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  • La grande sensibilité de Valeria Bruni Tedeschi

    « Un tournage est comme un pays où il y a des lois et des langages. » (Valeria Bruni Tedeschi, le 18 février 2019 sur France Inter).


     

     
     


    L'actrice franco-italienne Valeria Bruni Tedeschi fête ses 60 ans ce samedi 16 novembre 2024 (elle est née à Turin ; elle est la grande sœur de la chanteuse et mannequin Carla Bruni, et donc la belle-sœur de Nicolas Sarkozy). Issue de la famille très riche de l'industriel Virgino Bruni Tedeschi (son grand-père qui a fait fortune dans les pneumatiques), Valeria est la fille d'une actrice et pianiste et d'un industriel qui était aussi compositeur d'opéra. La famille a dû se réfugier en France dans les années 1970 parce qu'elle était devenue une cible des Brigades rouges, ce qui a été un douloureux déchirement à l'âge de 9 ans.

    Elle est une actrice très attachante, presque familière, comme si c'était une intime, une bonne amie, une mère proche, une sœur complice... J'ai un petit faible pour elle dont la sensibilité est très forte, des yeux exceptionnellement pleins de vie, capable, dans un personnage secondaire, de voler la vedette à des personnages plus centraux dans un film.

    Un exemple frappant est l'excellent film de Claude Chabrol "Au cœur du mensonge" (sorti le 13 janvier 1999). Dans un jeu à quatre, elle s'est octroyée sans doute le rôle le plus captivant, même si tous sont intéressants. Les deux rôles principaux sont tenus par Sandrine Bonnaire et Jacques Gamblin, jouant un couple bien étrange, l'une médecin un peu désolée et déboussolée par son mari, peintre sans inspiration qui a été blessé dans un attentat (celui de la rue de Rennes le 17 septembre 1986 qui a tué 7 personnes et blessé 55 autres dont le personnage du film). Antoine de Caunes joue le journaliste écrivain odieux et imbu de lui-même, dandy séducteur de la médecin, qui a le don d'agacer voire de rendre jaloux le peintre. Le journaliste meurt dans d'étranges conditions et la commissaire Valeria Bruni Tedeschi enquête.

    Dans ce film, l'actrice n'est pas seulement policière, elle est aussi mère, et c'est une chose importante car elle a confié la garde de sa fille (attention, spoiler !) à la compagne d'une personne accusée de l'assassinat d'un enfant (donc, dans une autre affaire). La commissaire ne semble pas vraiment efficace dans ses investigations, mais elle tient un rôle assez surprenant dans le film de Claude Chabrol chez qui rien n'est jamais blanc ou noir.

     

     
     


    Commençant par le théâtre et la télévision, Valeria Bruni Tedeschi a obtenu son premier grand rôle au cinéma en 1987 ("Hôtel de France" de Patrick Chéreau, sorti le 20 mai 1987) et depuis ses débuts, elle a tourné dans plus d'une centaine de films, mais aussi en a réalisé sept, car elle est aussi réalisatrice (et scénariste). Patrick Chéreau était son mentor et son initiateur au théâtre et même au cinéma pour son premier rôle principal : « Je lui serai éternellement reconnaissante de m'avoir appris le sens du mot travail. » (a-t-elle dit à la mort du metteur en scène le 7 octobre 2013). Il était son professeur et elle avait pour camarades de classe Agnès Jaoui, Vincent Perez, Eva Ionesco et Marianne Denicourt. Réalisatrice et actrice, un peu comme Emmanuelle Bercot. Valeria Bruni Tedeschi a fait jouer souvent de nouveaux comédiens, apprécie les nouvelles têtes, encourage et promeut les nouvelles pousses.

    Parmi les films qu'elle a réalisés, souvent intimistes et très personnels (tout en étant très collectifs), on peut citer "Actrices" (sorti le 26 décembre 2007) avec Noémie Lvovsky, Valeria Golino, Mathieu Amalric et Louis Garrel ; "Les Estivants" (sorti le 10 décembre 2018) avec Noémie Lvovsky, Valeria Golino, Pierre Arditi, Yolande Moreau, Laurent Stocker, etc. ; et (encore à visée autobiographique) "Les Amandiers" (sorti le 16 novembre 2022) avec Nadia Tereszkiewicz, Louis Garrel (qui joue le rôle de Patrick Chéreau), Sofiane Bennacer, Micha Lesco... sans oublier à la télévision, la comédie "Les 3 Sœurs" (diffusée le 4 septembre 2015 sur Arte) qui s'inspire d'une pièce de Tchekhov sur le deuil du père de trois sœurs dans la Russie de la fin du XIXe siècle, avec notamment Florence Viala, Coraly Zahonero, Éric Ruf, Bruno Raffaelli, Michel Vuillermoz et Laurent Stocker (ainsi que le succulent et regretté Michel Robin pour un petit rôle).

    Malgré la présence dans le casting de sa mère Marisa Borini et de sa fille Oumy Bruni Garrel, "Les Estivants" n'a pas de vocation autobiographique si ce n'est dans l'imaginaire de Valeria Bruni Tedeschi qui a distribué les rôles selon sa famille, parfois avec les propres rôles (sa mère, par exemple). Quant à son dernier film "Les Amandiers", il a été sélectionné par le Festival de Cannes de 2022, et a reçu en 2023 un César (meilleur espoir féminin pour Nadia Tereszkiewicz) et sept nominations de César (dont meilleur film et meilleur scénario). Présentant ce film (qui raconte sa jeunesse) le 10 novembre 2022 sur France Inter, Valeria Bruni Tedeschi a fait un parallèle avec les jeunes d'aujourd'hui : « J'ai l’impression qu'on a insufflé à nos enfants la peur de l'avenir, je les trouve très angoissés, en train d'essayer de bien construire leur avenir. Nous, on ne construisais rien du tout, on voulait vivre, travailler, on s'en foutait de construire une carrière, on voulait juste jouer. ».


    Les films qu'elle a réalisés, comme je l'ai écrit plus haut, sont souvent ou vaguement à visée autobiographique et familiale. Ainsi, Valeria Bruni Tadeschi évoquait sa sœur et la mort de son père dans "Il est plus difficile pour un chameau..." (sorti le 16 avril 2003) avec Chiara Mastroianni, Jean-Hugues Anglade, Marisa Borini (sa mère), Denis Podalydès, Lambert Wilson, Yvan Attal, Emmanuell Devos, etc. (Prix Louis-Delluc du premier film), ainsi que la mort de son frère, succombant du sida en 2006, dans "Un château en Italie" (sorti le 30 octobre 2013) avec Louis Garrel, Marisa Borini et Xavier Beauvois (ce qui a valu à Valeria d'être la seule femme candidate à la Palme d'Or au Festival de Cannes 2013). Du reste, Valeria Bruni Tedeschi a pu tourner dans le propre château familial, le château de Castagneto Po, à 25 kilomètres de Turin, vendu par la famille en 2009 à un prince saoudien pour la somme de 17,5 millions d'euros et son mobilier, vendu aux enchères à Londres pour 10 millions d'euros, qui ont été versés à la Fondation Virginio-Bruni-Tedeschi (le frère décédé) contre le sida.
     

     
     


    En fait, Carla Bruni n'est que la demi-sœur de Valeria Bruni Tedeschi, mais elles ne l'ont su que tardivement, au début de l'année 1996. Le père biologique était un homme d'affaires installé au Brésil et le père qui l'a élevée, Alberto Bruni Tedeschi, qui l'avait su, l'a toujours chérie comme sa propre fille. Toutefois, le choc de la révélation n'en a pas été moins grand, d'autant plus qu'elle a eu lieu peu avant la mort du père affectif (le 17 février 1996).

    Louis Garrel a été le compagnon de Valeria Bruni Tedeschi après le tournage de son film "Actrices" et le couple a adopté alors en 2009 une petite fille Oumy qui a joué avec eux en 2018. Elle a aussi adopté en 2014 un petit garçon, Noé. Son nouveau compagnon Sofiane Bennacer a eu l'un des rôles principaux dans "Les Amandiers" (et la procureure de la République de Mulhouse a annoncé le 22 novembre 2022 qu'il a été mis en examen en octobre 2022 pour des accusations de viols et d'agressions sur trois voire quatre de ses anciennes compagnes, mais il a clamé son innocence ; à cause de cette mise en examen, et alors qu'il a été une révélation dans "Les Amandiers", son nom a été prudemment retiré de la liste des "talents émergents" pour les Césars 2023 par respect pour les victimes présumées).

    Reconnue par la profession, Valeria Bruni Tedeschi a reçu de nombreuses récompenses, en particulier un César du meilleur espoir féminin pour "Les gens normaux n'ont rien d'exceptionnel" de Laurence Ferreira Barbosa (sorti le 1994), avec Melvil Poupaud, Frédéric Diefenthal, Sandrine Kiberlain et Jackie Berroyer (et nommée pour cinq autres Césars), quatre David di Donatello de la meilleure actrice en 1996, 1998, 2014 et 2017 (l'équivalent italien des Césars), également le Prix spécial du jury au Festival de Cannes en 2007 et une citation pour un Molière de la meilleure comédienne, car elle joue aussi au théâtre (des pièces de Molière, Tchekhov, Tourgueniev, etc.).

    L'un des récents films dans lesquels Valeria a joué (très nombreux, depuis le début de la décennie ; elle a joué dans treize films !) est "Les Amours d'Anaïs" de Charline Bourgeois-Taquet (sorti le 15 septembre 2021) avec la très séduisante Anaïs Demoustier et Denis Podalydès. L'actrice devenue écrivaine se retrouve alors au centre d'un triangle amoureux où deux doubles hétérosexualités évoluent vers une seule homosexualité féminine sans identification d'orientation sexuelle mais avec pour seul guide le désir, comme l'a expliqué la jeune réalisatrice le 16 septembre 2021 à Mégane Choquet pour le site Allociné : « La seule chose qui guide Anaïs, c'est son désir. Et elle a cette capacité à suivre son désir de manière aveugle, sans se poser de questions. Elle se laisse emporter par ses pulsions et ses envies. Je trouvais ça beau qu'elle aille jusqu'au bout sans se poser de questions. (…) Le film commence à Paris et plus on avance, plus il s'ouvre quand on arrive à la campagne verdoyante en Bretagne et vers la fin on est carrément au bord de la mer avec cet horizon infini. Sans vouloir tomber dans trop de symbolisme, c'était aussi une trajectoire vers la liberté et le fait de suivre son désir jusqu'au bout et sans limites. ».


     

     


    Quant à Valeria Bruni Tadeschi, voici ce qu'en dit Charline Bourgeois-Taquet pour cette première collaboration : « J'ai adoré travailler avec Valeria. Encore aujourd'hui, quand je vois le film, je suis subjuguée, je la trouve sublime. C'était assez intéressant parce que j'avais envie de lui proposer ce personnage qu'elle a rarement joué, voire presque jamais, c'est-à-dire une femme solide, puissante, accomplie. Et Valeria aime bien faire rire, donc les premiers jours de tournage, elle était assez déstabilisée. Je pense même qu'elle était un peu frustrée parce qu'elle voyait qu'Anaïs et Denis [Podalydès] nous faisaient rire. Je n'avais vraiment pas envie qu'elle soit en souffrance sur le tournage mais j'ai quand même tenu bon, je lui ai expliqué qu'il fallait qu'elle me fasse confiance et que son personnage allait être marquant même s'il ne faisait pas rire. Et elle a fini par comprendre ce que j'avais derrière la tête et par accepter de s'abandonner. ».

    Dans "Paris Match", Valeria Bruni Tedeschi a déclaré de son côté, le 8 juillet 2022 à Karelle Fitoussi : « J'aime les metteurs en scène qui m’obligent à aller dans des endroits nouveaux. Charline m’a demandé d’incarner une femme qui assume sa beauté et sa puissance. Je crois n’avoir jamais été regardée par des cinéastes hommes hétérosexuels comme un objet de désir. ». Réponse de la réalisatrice : « Mais parce que tu résistes à ça ! Au début du tournage, ce qui t’aurait vraiment fait plaisir, c’était plutôt de faire rire tout le monde ! Il y a chez toi une fragilité qu’on perçoit derrière tous tes rôles. ».

     

     
     


    Complexée par le caractère très riche de sa famille (elle s'en sent coupable), mais pas du tout complexée par son physique (contrairement à sa sœur, elle ne se maquille pas, ne se coiffe pas, ne se chirurgie-esthétique pas, ne se photoshope pas dans les magazines aux pages glacées), Valeria Bruni Tadeschi aura un mal fou à atteindre la sérénité, faute d'un bonheur qu'elle n'assumerait pas : « J’ai le sentiment que rien ne m’a apaisée, que rien ne m’apaise, que rien ne m’apaisera jamais. » (a-t-elle lâché à Vanessa Schneider le 17 mai 2013 pour "Le Monde"). Toujours anxieuse, la religion catholique peut lui apporter cette sérénité qu'elle désire tant : « Je vais parfois à l’office du [dimanche] soir, que je trouve plus solitaire, moins familial et bourgeois que celui du matin. J’ai beaucoup de mal avec ce qui se dit à l'Église, de nombreuses choses ne me plaisent pas du tout, mais je peux y trouver des instants d’apaisement. C’est la religion de mon enfance, le langage qui m’est le plus naturel, même si je n’ai reçu que des miettes de foi. » (s'est-elle confiée le 28 mai 2022 à Baptiste Thion dans le "Journal du dimanche").


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (16 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    Carla Bruni.
    Valeria Bruni Tedeschi.
    Teddy Vrignault.
    Pierre Richard.
    François Truffaut.
    Roger Hanin.
    Daniel Prévost.
    Michel Blanc.
    Brigitte Bardot.
    Marcello Mastroianni.
    Jean Piat.
    Sophia Loren.
    Lauren Bacall.
    Micheline Presle.
    Sarah Bernhardt.
    Jacques Tati.
    Sandrine Bonnaire.
    Shailene Woodley.
    Gérard Jugnot.
    Marlène Jobert.
    Alfred Hitchcock.
    Les jeunes stars ont-elles le droit de vieillir ?
    Charlie Chaplin.
     

     
     



    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241116-valeria-bruni-tedeschi.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/la-grande-sensibilite-de-valeria-257319

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/15/article-sr-20241116-valeria-bruni-tedeschi.html


     

  • Michel Barnier sur les pas de Pierre Mendès France

    « Il y a aussi une phrase d'un homme politique, d'un homme d'État, que moi j'ai admiré, Pierre Mendès France, qui disait, "ne jamais sacrifier l'avenir au présent". C'est dans cet état d'esprit-là, si exigeant, dans lequel je me trouve en ce moment. Je ne veux pas sacrifier l'avenir, y compris à moyen terme, au présent extrêmement difficile dans lequel je me trouve, avec vous. » (Michel Barnier, le 15 novembre 2024 à Angers).



     

     
     


    Un peu plus de deux mois, une longévité archicourte et pourtant, l'étoffe d'un grand Premier Ministre pour la France. Michel Barnier est décidément un oiseau bien particulier de la vie politique française. On le connaissait depuis une bonne quarantaine d'années, la Savoie, les Jeux olympiques d'Albertville, l'Environnement, l'Europe, le Brexit... des dizaines de dossiers majeurs qu'on lui a confiés et qui lui ont donné expérience, assurance, malgré une humilité qu'il maintient jalousement, et aussi de la sagesse. On le connaissait, mais on ne l'a pas vu surgir cet été comme l'homme majeur qu'il fallait pour une classe politique paralysée par la stupéfaction de la dissolution, détrônant probablement Gabriel Attal et Jordan Bardella dans le concours de la personnalité politique de l'année 2024 (au grand dam de Lucie Castets). En somme, un homme providentiel, comme il en surgit quelques-uns dans la vie politique.

    Loin d'être seulement épanoui, il donne toute la mesure de son rôle et marque étape après étape les conditions de l'exercice du pouvoir. Avant même de citer lui-même Pierre Mendès France, en l'écoutant parler lors de son discours pour la clôture des 93e congrès de l'Association des départements de France où étaient réunis plus d'une centaine de présidents de conseils départementaux (sous la présidence du centriste François Sauvadet, président du conseil départemental de la Côte-d'Or), je le mettais juste en parallèle avec Pierre Mendès France qui a gouverné si peu de temps mais si densément, puisqu'on en parle encore soixante-dix ans plus tard !

    Mais avant d'évoquer ce discours d'Angers qui m'a paru plus important que par sa seule portée sur ses relations avec les collectivités territoriales (en particulier les départements et les communes), revenons au matin, voire à la veille puisque les propos du Premier Ministre, interviewé par Cyril Petit, Yves-Marie Robin et Stéphane Vernay, publiés dans le journal "Ouest-France" daté du 15 novembre 2024, étaient connus dès la veille. Qu'a-t-il dit dans cette interview ? Beaucoup de choses (une page complète du journal régional) mais j'en retiendrai deux en particulier. À la question sur l'utilisation de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution à la fin de la procédure budgétaire, Michel Barnier a répondu : « Probablement. Quand je vois ce qu'il s'est passé à l'Assemblée Nationale, il me semble difficile de faire autrement au bout de la discussion. ». Son sens de l'ouverture et de la concertation n'en sera pas pour autant affecté, puisqu'il a déclaré très clairement : « C'est à nous de faire la preuve que la méthode est utile pour consolider et apaiser le pays. Nous voulons remettre du respect et du dialogue partout. ». Cette dernière phrase est sans doute la plus emblématique de cet ancien jeune gaulliste.

    Et son application directe, celle du respect et du dialogue, c'était justement sa rencontre avec les présidents des conseils départementaux. En raison de la chute de l'immobilier (les droits de mutation font partie de leurs recettes principales), les départements sont en forte difficulté financière alors qu'ils sont les premiers guichets de l'aide sociale de l'État.


    Je n'évoquerai pas les propos spécifiquement destinés aux élus départementaux pour simplement reprendre quelques déclarations politiques générales. Comme dans chaque intervention de Michel Barnier, il y a une extraordinaire maîtrise à la fois de la forme et du fond. Du fond, évidemment, avec une telle expérience politique, mais aussi de la forme, tant sa forme physique et mentale qui paraît excellente (c'est un grand sportif) que son intelligence des dossiers et de la communication politique. Avec toujours en prime cette pointe d'humour, parfois ironique, très ciblée, très dense, amenée toujours à l'improviste, par surprise, déconcertante, mais toujours bien léchée. En somme, il est redoutable, et il fallait bien cela pour évoluer dans cette situation inédite d'absence de majorité à l'Assemblée.

    De même, il est difficile de bien comprendre le personnage : a-t-il un ego fort ou pas ? À ce niveau de responsabilité, il est toujours fort, et on voit que sur certains sujets, il est déterminé et il s'accroche, mais il montre aussi une forme très intelligente, très réfléchie de modestie, d'humilité, face à ses fonctions (très temporaires, il ne cesse de le rappeler), mais aussi face aux défis. Cultive-t-il pour autant l'autodérision ? Pas forcément.

    Sur la brièveté de son parcours à Matignon, il a multiplié les incertitudes : « Au moment de commencer ce parcours, dont je ne sais pas la durée, d'ailleurs. J'espère que j'aurais le temps de dépasser l'extrême urgence dans laquelle je me trouve, nous nous trouvons, pour remonter la ligne d'horizon. Mais ce que je veux vous dire, simplement, parce que j'ai été élu conseiller départemental, conseiller général, j'avais 22 ans. J'étais, d'ailleurs, à l'époque, le plus jeune conseiller général de France. C'est un titre qu'on perd assez vite. Comme j'ai été, un peu plus tard, le plus jeune président de département, à 32 ans. Mesdames et messieurs, j'avais, à cette époque, une capacité d'enthousiasme, une capacité d'indignation. Et ce que je veux dire, c'est que cinquante et un ans plus tard, cette première élection de suffrage universel, je n'ai perdu ni l'une ni l'autre. Je viens vous voir avec de l'humilité, et tous les jours, je reçois des leçons d'humilité. ».

    Au final, il a tablé sur près de trois ans, un mandat qui finirait avec l'élection présidentielle de 2027. Très optimiste ? Pas du tout ! Michel Barnier non seulement s'est permis de citer Jean Monnet, mais en prenant soin de préciser : « un homme que je respectais, même si je n'ai pas toujours été totalement proche de ses idées » : « à qui on demandait, Monsieur Monnet, est-ce que vous êtes pessimiste ou optimiste ? Il disait, ni l'un ni l'autre, je suis déterminé. C'est l'état d'esprit dans lequel je me trouve devant vous aujourd'hui. ».

    En introduction, une petite leçon sur l'ascendance de la technocratie dans la vie politique : « J'ai appris une chose aussi, et je peux vous dire que c'est extrêmement utile à la place où je me trouve en ce moment, c'est qu'à Angers, comme à Paris, comme à Bruxelles, n'oubliez pas Bruxelles, quand les hauts fonctionnaires, les bureaucrates prennent le pouvoir, c'est que les hommes ou les femmes politiques leur ont laissé le pouvoir. ».


    Et le premier message aux départements, c'était de dire qu'il réduirait l'effort budgétaire des collectivités locales : « Je suis là pour vous dire, en tenant compte de votre situation très spécifique et qui n'a peut-être pas été bien vue dans les premiers scénarios budgétaires, que nous allons réduire très significativement l'effort qui vous est demandé par le projet de loi de finances. ». Cela reste vague mais signifierait qu'au lieu de 5 milliards d'euros d'économies, il en demanderait apparemment seulement 2. Message assorti un peu plus tard de cette déclaration d'amour de l'ancien président du conseil général de Savoie : « La place où je me trouve, je n'accepte pas que les départements aient le sentiment de devenir de simples opérateurs de l'État. Ce n'est pas ce que nous avons voulu collectivement avec les lois de décentralisation, et je les ai bien connues. Parce que j'ai eu l'honneur de devenir président de département en mars 82, au moment même où la loi Defferre, qui reste, je le pense, personnellement, avec l'abolition de la peine de mort, l'une des deux grandes réformes fondamentales, d'une nature différente, évidemment, du premier septennat de François Mitterrand. ».

    Autre message, l'absolue nécessité d'une simplification administrative : « Tout à l'heure, je discutais dans le train avec Michel Cadot, que vous connaissez, un grand préfet qui est à mes côtés et qui est votre interlocuteur aussi, si vous avez besoin de me faire passer des messages très directs sur le bénéfice que notre pays trouverait à réduire ce carcan de normes, cette simplification qui va être une tâche. Je crois que c'est 2 à 3% du PIB qu'on pourrait gagner collectivement, sans parler de l'efficacité et de la relance. ».


    Puis, toujours à destination de l'ensemble des politiques et des Français, Michel Barnier a rappelé qu'il n'était pas Lucie Castets : « À la place où je me trouve, Mesdames et Messieurs les présidents, et je m'y trouve pour un temps que je ne connais pas. Est-ce que j'ai besoin de rappeler que je ne me suis pas roulé par terre pour être Premier Ministre ? J'étais prêt, j'étais disponible, j'avais obtenu, acquis cette expérience que donne la collectivité territoriale pendant dix-sept ans, j'ai eu quatre fois l'honneur d'être membre de gouvernement avec François Mitterrand, avec Nicolas Sarkozy, avec Jacques Chirac évidemment, et puis j'ai eu cette opportunité, cette chance d'apprendre comment renforcer l'influence française au plan européen et d'être, pendant quinze ans à Bruxelles, comme commissaire ou comme négociateur du Brexit. J'étais prêt à utiliser cette expérience. Si je vous disais le contraire, je vous raconterais des histoires. On a tous des ambitions, elles sont légitimes. Mais je n'étais pas demandeur. Je n'étais pas demandeur. Et j'ai accepté de servir, comme vous servez, Mesdames et messieurs les présidents, je le dis à tous les élus, et d'utiliser tout ce que j'ai appris pour notre pays. ».

    Cette expression, "roulé par terre", il l'a également utilisée dans son interview dans "Ouest-France" : « Je ne me suis pas roulé par terre pour être Premier Ministre. J'étais prêt, disponible, mais je n'étais pas demandeur. J'ai accepté en me disant que je pouvais être utile. J'essaie de remettre du calme, du respect partout. ».


    Et sa situation fait aussi qu'il est complètement libre, le confirmant en poursuivant son discours ainsi : « Mais je suis aussi prêt à partir demain matin. Il faut que vous le sachiez. Si les conditions ne sont plus réunies pour changer, faire face à l'urgence ou à l'extrême urgence, et puis réformer ce pays pendant le temps que j'aurais. C'est ça, mon seul objectif. ». Il ne fait pas un chantage à la démission, mais il veut pouvoir exercer la plénitude de ses responsabilités que personne d'autre, il faut bien l'avouer, ne voulait (surtout pas un parlementaire ou élu de la nouvelle farce populaire).

    Il s'est même amusé de son âge : « Je n'ai pas d'agenda pour après. J'ai 73 ans aujourd'hui. J'en aurai 76 en 2027. Je n'ai pas besoin qu'on me rappelle mon âge. Je sais ce qui est raisonnable et ce qui ne serait pas raisonnable. J'ai simplement envie que, pour tout vous dire, à la fin de ce mandat, j'espère deux ans et demi, 2027, puisqu’à ça, c’est qu’on se dise, tiens, Barnier avec toute l'équipe qui l'entoure (…)... J’ai envie qu’on dise que cette équipe a créé du progrès, ce qui est l'essence même de la politique, mesdames et messieurs, créer du progrès. Qu'est-ce qu'on fait avec un mandat de cinq ans ou de six ans, des lois, des règlements, des projets avec des valeurs et des convictions aussi, c'est mieux d'en avoir. On doit créer du progrès collectif. C'est ce que vous faites chacune et chacun dans vos départements. C'est ça notre honneur. C'est de se dire qu'à la fin de notre mandat, la situation est meilleure, sans faire de miracle, meilleure, un peu meilleure que celle qu'on a trouvée en arrivant. C'est ça dont j'ai envie. Et je n'ai pas d'autres ambitions, il faut que vous le sachiez. ».


    Lucide avec lui-même : « Je le sais, avec cette conviction, cet objectif chevillé au corps, nous allons procéder méthodiquement et par étapes, comme c'est mon tempérament. C'est pour ça que je ne suis pas considéré comme quelqu'un de très marrant, mais je vais être très méthodique avec le gouvernement. Et nous allons attacher, mesdames et messieurs les présidents, autant, sinon plus, d'importance à l'effet de suivi qu'aux effets d'annonce. ».
     

     
     


    Ses contraintes se résument à un seul mot d'ordre, réduire le déficit : « Je suis, avec ces deux lettres et ces deux notes sur mon bureau, avec un objectif qui ne m'amuse pas, qui ne me fait pas plaisir. Ça veut dire 60 milliards d'une année à l'autre, ramené à 5% de déficit, ça veut dire 60 milliards de moins de dépenses ou de plus de recettes. Et pourquoi je pense que c'est l'intérêt national de faire ça ? Parce que je pense, mesdames et messieurs, qu'on ne peut pas continuer à avoir une dette qui monte comme ça tous les ans. (…) Est-ce que cet argent des intérêts de l'emprunt, 60 milliards, ne serait pas mieux utilisé autrement ? Ça fait presque 870 euros par Français, qu'il ait un mois de vie ou 80 ans, soit 870. Voilà. (…) Mais moi aussi, je pourrais demander des comptes. Je pourrais distribuer des bons et des mauvais points. Je ne suis pas dans cet état d'esprit de faire des polémiques. Je n'ai pas de temps pour ça. La seule chose que je veux dire, c'est que je trouve une situation telle qu'elle est, telle que je viens de vous la dire, je ne trouve en effet pas normal (…) qu'on ne soit pas capable, ou foutu, dans ce pays, d'être d'accord sur les chiffres. Ce n'est pas normal. J'en ai parlé hier soir, d'ailleurs, avant de venir vous voir avec le Premier Président de la Cour des Comptes, et on va essayer de trouver le moyen, entre les services de l'État, de Bercy, de l'Assemblée Nationale et du Sénat, de la Cour des Comptes, peut-être d'autres experts, de trouver un moyen de mettre sur la table, et devant les Français, quels qu'ils soient, les vrais chiffres qu'il n'y ait pas des polémiques, parce qu'il y a parfois des raisons, il y a des dépassements, il y a moins de recettes, mais il faut qu'on se mette d'accord. ».

    Après avoir annoncé quelques mesures financières très techniques qui ont pour objectif de desserrer l'asphyxie financière des départements, Michel Barnier, après avoir cité Pierre Mendès France, a cité l'un de ses disciples, Gaston Defferre qui disait le 21 juillet 1981 dans l'hémicycle (l'actuel Premier Ministre y était) : « Il faut que les décisions soient prises là où elles devront s'appliquer sur le terrain par des hommes, j'ajouterais d'ailleurs des femmes, en contact direct avec les problèmes. ».


    Et Michel Barnier de commenter la phrase de Gaston Defferre : « Voilà. Et je n'ai pas oublié cette phrase ou cette promesse qui n'a été que partiellement tenue par tous les gouvernements de droite, de gauche ou du centre depuis. Quarante ans plus tard, je pense que l'exigence de proximité est encore plus là qu'avant. On voit bien le besoin de garder ses racines, de les retrouver, son identité, ses traditions, sa culture, son patrimoine, je suis très attaché au patrimoine, dans un monde où les réseaux sociaux, la télévision, font que l'inquiétude est importée dans chaque maison, dans chaque iPhone, dans chaque téléphone. L'inquiétude, l'angoisse, qui sont parfois justifiées par ce qui passe en Ukraine, à côté de nous, au Proche-Orient, aux États-Unis. Donc, je pense que c'est aussi pour cette raison politique et démocratique fondamentale que je partage votre discours sur l'exigence que portent les départements et les communes de cette cohésion, de cette unité sociale. Je n'ai pas besoin d'être convaincu davantage de ça. Pour moi, le département, c'est l'échelle du concret, c'est l'échelle où se prennent les décisions qui comptent pour les gens, les services publics, l'aménagement du territoire pour l'aide sociale, le sport, la culture, la transition écologique, la prévention des risques. La prévention des risques. (…) Tout cela nous paraît naturel dans cette enceinte, mesdames et messieurs à Angers, et pourtant, je dois vous dire, chaque jour, depuis que je suis Premier Ministre, combien ce n'est pas évident pour tout le monde, ce que je viens de vous dire. Parfois même dans nos administrations et nos agences. ».

    Au détour d'une phrase, Michel Barnier était fier d'une première réussite à la tête du gouvernement, l'accord sur l'assurance-chômage : « Si vous voulez une preuve de cette méthode dite Barnier, enfin du Premier Ministre ou du gouvernement, vous en avez eu une, ce matin encore sur deux sujets importants, que sont l'assurance chômage, et l'emploi des seniors, où j'ai décidé qu'on ferait confiance aux syndicats et au patronat, plutôt que d'imposer par la loi, même si la loi avait été votée pour l'assurance-chômage. J'ai décidé de remettre ce chantier sur la table des syndicats et du patronat. Et cette nuit, ils ont abouti, en deux mois, à un accord, par le dialogue social. Je crois aussi que la cohésion sociale, c'est une des conditions de la compétitivité des entreprises et donc nous allons amplifier ce dialogue. ».

    Parmi les mesures qu'il va proposer, il y a quelques mesures pour les élus. Comme « la proposition de loi qui va venir début 2025 sur le statut de l'élu local ». Mais ce qui sera important concernera le mille-feuilles territorial et le cumul des mandats : « Je serais intéressé (…), mesdames et messieurs les présidents, de vos réflexions, de vos idées sur deux sujets qui ont une dimension politique et sur lesquels nous sommes prêts à ouvrir la discussion. Je n'engage pas à ce stade. Le premier est celui d'une idée qui a été contestée par beaucoup de départements, qui est celle du conseiller territorial. Dites-moi votre sentiment actualisé sur cette question. Voilà. Non, mais juste, je vous écoute, et puis après... Je suis aussi intéressé, mesdames et messieurs les présidents, mesdames et messieurs les élus, sur votre avis concernant le cumul des mandats. Et je suis ouvert à une réflexion pluraliste pour évaluer et remettre à plat le cas échéant l'interdiction actuelle du cumul des mandats avec l'objectif de rapprocher les élus nationaux, aussi les élus européens, des citoyens. ».


    C'est ainsi qu'en s'exprimant aux présidents de conseils départementaux, le Premier Ministre s'est exprimé finalement à toute la classe politique et à l'ensemble des Français. Petit à petit, Michel Barnier crée sa légende. Il se moque de savoir s'il durera, il sait qu'il fait du hors piste et que le vide de la falaise n'est pas loin, mais il est déterminé et se sent investi enfin d'une mission à la mesure de ses ambitions. Même s'il est renversé demain par une conjonction certes improbable mais possible, on peut dire déjà qu'il aura marqué son temps politique. Sur sa longévité, il a dit à Angers, au détour d'une réflexion : « Nous allons, avec cet objectif-là, pendant le temps que nous aurons, deux ans et demi, j'espère... Ça dépend de l'Assemblée Nationale, vous l'avez bien compris. C'est une conjonction qui peut paraître improbable, mais qui peut toujours se produire. » (à "Ouest-France", il disait de même : « Nous savons que la durée de vie du gouvernement dépend d'une conjonction entre l'extrême gauche et le Rassemblement national. »).

    Lui qui a été un jeune loup à plusieurs égards, voici qu'il lui a fallu attendre ses 73 ans pour qu'il imprime son style, le style Barnier. Au contraire de Petit Gibus dans "La Guerre des boutons" (film d'Yves Robert, adaptation du roman de Louis Pergaud), il a pu dire (au tout début de son intervention à Angers) : « Eh bien, j'ai bien fait de venir, hein ! Je ne regrette pas du tout d'être venu, depuis le début d'ailleurs. ». La question restera évidemment : qu'en pensent les Français ? La bataille de "l'opinion publique" sera déterminante pour la survie du gouvernement de Michel Barnier. Mais aussi du Président Emmanuel Macron.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (15 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Michel Barnier sur les pas de Pierre Mendès France.
    Discours du Premier Ministre Michel Barnier le 15 novembre 2024 à Angers (vidéo et texte intégral).
    PLF 2025 : la majorité de rejet !
    Michel Barnier : déjà deux mois !
    François Guizot à Matignon ?
    5 euros pour visiter Notre-Dame de Paris ?
    Achats dans la fonction publique : des économies à faire ?
    Doliprane : l'impéritie politique.
    Proche-Orient : l'incompréhension de Roger Karoutchi.
    Motion de censure : le quart d'heure de gloire d'Olivier Faure.
    Budget 2025 : l'impossible mission de Michel Barnier.
    Claude Malhuret : du vol des élections aux chefs d'escadrille...
    Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
    La quadrature du cercle de Michel Barnier.
     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241115-barnier.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/michel-barnier-sur-les-pas-de-257679

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  • Procès de Marine Le Pen : surprise de gazelles et cynisme de vieux loups

    « On a vu une véritable machine de guerre pour détourner systématiquement le montant des enveloppes (…). Le Parlement Européen était leur vache à lait. » (Louise Neyton, procureure de la République, le 13 novembre 2024).



     

     
     


    Voilà, c'était à prévoir : la surprise vaguement feinte des journalistes et de la classe politique en général après le réquisitoire très sévère du parquet contre Marine Le Pen dans l'affaire des assistants parlementaires du FN/RN. Il faut dire que le procès a commencé le 30 septembre 2024 et que si les journalistes avaient fait correctement leur boulot, il y aurait eu chaque jour, comme dans chaque affaire judiciaire importante, et celle-ci l'est puisqu'elle concerne une personnalité politique de premier plan, des comptes rendus détaillés des audiences, le témoignage des uns, des autres, etc.

    Au lieu de cela, rien ! Le procès va se terminer dans les jours prochains, le 27 novembre 2024 (le verdict sera probablement prononcé en février ou mars 2025) sans aucune couverture médiatique, sinon ces jérémiades de l'extrême droite qui crie au viol de la démocratie ! Et pourtant, cette sévérité ne vient pas par hasard, ne vient pas de nulle part, ne vient pas du ciel, ne vient pas de la politisation des juges supposés de gauche, ne vient pas du gouvernement qui vient à peine de s'installer et qui peine déjà assez pour faire adopter le projet de loi de finances. Non, les faits sont simples très graves. Les réquisitions des procureurs ont duré plus de huit heures, c'est dire qu'il y avait matière à dire !

    Il s'agit selon le parquet d'un détournement de 4,5 millions d'euros de 2004 à 2016 (fin décembre 2016), un système mis en place par Jean-Marie Le Pen et industrialisé, optimisé par Marine Le Pen lorsqu'elle est arrivée à la présidence du FN en 2011. Il s'agissait d'occuper les assistants parlementaires rémunérés par le Parlement Européen à faire de la politique nationale au sein du parti lepéniste, à tel point qu'un certain assistant (actuellement député, ne citons pas son nom) a envoyé un email à la présidente de l'époque pour lui demander de faire le voyage à Bruxelles afin de connaître quand même le député européen supposé l'employer !

    Au contraire de François Bayrou dont la complicité n'a pas été établie et dont l'existence d'un système n'a pas été démontrée, et son affaire portait sur des montants nettement inférieurs, Marine Le Pen aurait, selon la justice, supervisé ce système de détournement d'argent public, car détourner de l'argent du Parlement Européen, c'est se moquer des contribuables français qui participent au budget européen par leur contributions nationales. Pire, ce sont ceux qui sont les plus anti-européens qui ont le mieux profité de la tirelire européenne, c'est fort de café !

    Toutes ces audiences jamais rendues compte quotidiennement par les médias auraient permis de comprendre (si on en avait parlé) que la sévérité de la procureure avait ses raisons qui n'ont rien à voir avec une quelconque politisation. D'autant plus que contrairement à l'affaire Fillon, nous ne sommes pas en campagne présidentielle (l'élection n'aura lieu que dans deux ans et demi, en avril 2027) et donc, il n'existe aucun candidat ni aucun favori car c'est beaucoup trop tôt (rappelons-nous les projections présidentielles de 2017 publiées en novembre 2014 !).


    C'est vrai que la réquisition du parquet ce mercredi 13 novembre 2024 pour Marine Le Pen était sévère, puisque la peine de cinq ans de prison dont deux ans ferme a été requise, avec 300 000 euros d'amendes et cinq ans d'inéligibilité, peine assortie d'un détail : l'inéligibilité ne sera pas suspensive en cas d'appel, il faudra qu'une cour d'appel supprime cette peine d'inéligibilité pour qu'elle ne court plus.

    Précisons les choses, même s'il faut bien rappeler qu'il s'agit d'une réquisition et pas d'un jugement, le tribunal peut donc proposer un verdict moins sévère, voire plus sévère que celui requis par le parquet. L'inéligibilité, dans ce cas, courrait dès le jour du verdict en début 2025 et durerait cinq ans, donc jusqu'en 2030 (c'est-à-dire au-delà de l'élection présidentielle de 2027). Marine Le Pen, dans ce cas, pourrait rester députée (en revanche, si elle était maire, elle devrait démissionner), rester même présidente du groupe RN, mais ne pourrait pas se représenter en cas de dissolution. D'où sa réticence à provoquer une dissolution par le vote d'une motion de censure. Et pourtant, ses amis sont favorables à faire chuter le gouvernement, imaginant alors la démission du Président Emmanuel Macron et une élection présidentielle anticipée avant le prononcé du verdict (et de l'éventuelle inéligibilité). Sauf que c'est un scénario un peu foireux car Emmanuel Macron ne ferait pas le cadeau au RN de sa démission. Au contraire, de nouvelles élections dans un contexte de procès pour détournement de millions d'euros pourraient faire perdre quelques électeurs...

    C'est la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin II, qui a rendu semi-automatique une peine d'inéligibilité en cas d'infractions financières, notamment dans son article 19 qui précise : « Par dérogation au 1° du présent article, le prononcé de la peine complémentaire d'inéligibilité mentionnée au 2° de l'article 131-26 et à l'article 131-26-1 est obligatoire à l'encontre de toute personne coupable de l'une des infractions définies à la section 3 du présent chapitre. ».


    Cependant, cette peine est semi-automatique et pas automatique, en raison de la non automaticité de principe, on ne juge que des individus spécifiquement : « Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer cette peine, en considération des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur. ».

    Cet élément est essentiel dans la philosophie politique : Marine Le Pen n'a cessé, depuis des dizaines d'années, de réclamer la sévérité des lois, et l'automaticité des peines afin d'obliger les juges à sévir et ne pas leur laisser la liberté d'être laxistes dans leurs décisions. La loi Sapin II a justement introduit une option d'automaticité avec cette peine complémentaire d'inéligibilité, mais avec la possibilité exceptionnelle de ne pas la prononcer si le juge en donne la raison. Autrement dit, comme le formule un rapport parlementaire de février 2019, ce que la loi Sapin II a introduit est essentiel : « Alors que l’inéligibilité d’un responsable politique fautif était auparavant prononcée par le juge s’il l’estimait pertinente, la loi pose désormais cette sanction pour principe et exige du juge une décision spéciale s’il souhaite l’écarter. ». La réquisition du 13 novembre 2024 était donc tout à fait dans l'esprit de la loi Sapin II voulu par les parlementaires.

    Une proposition de loi déposée par la députée socialiste Fanny Dombre Coste examinée lors de la séance publique du 1er février 2017 visait à « instaurer une obligation de casier judiciaire vierge pour les candidats à une élection ». Cette proposition avait reçu un accueil positif de toute la classe politique (mais n'a pas abouti à cause de la fin de la législature).

    À l'instar du gaulliste Pierre Mazeaud qui déclarait en novembre 1971 : « L’incompatibilité devrait être établie entre le mandat et la malhonnêteté de l’homme, et les électeurs devraient pouvoir choisir des hommes de toutes les professions pourvu qu’ils soient honnêtes. », Fanny Dombre Coste a expliqué ce 1er février 2017 : « L’état actuel du droit exige des infirmières, des policiers, des taxis, des journalistes et de près de 400 autres métiers un casier judiciaire vierge. Comment pouvons-nous justifier auprès des Français que ces professionnels soient soumis à cette condition et que nous-mêmes, élus, n’y soyons pas assujettis ? L’opinion publique s’est largement mobilisée sur cette question. Les propositions de loi bénéficient d’un soutien quasi absolu de la part de nos concitoyens, une pétition recueillant près de 150 000 signatures circule en ce moment sur internet. Ces propositions de loi visent donc à instaurer une nouvelle condition d’éligibilité, liée à la présence ou non de la mention de certaines condamnations sur le bulletin n°2 du casier judiciaire. Cette suggestion, j’en ai conscience, bouleverse les habitudes de pensée. En matière de probité, l’inéligibilité est habituellement conçue comme une peine, prononcée par le juge en répression d’un comportement fautif. Elle est donc tournée vers le passé et doit se conformer aux règles constitutionnelles en matière pénale. Nous proposons ici d’inverser cette logique, en prévoyant non pas une peine d’inéligibilité automatique, qui subirait une censure constitutionnelle, mais bien une nouvelle condition d’éligibilité. L’objectif n’est nullement de sanctionner un coupable : il est de garantir l’éthique des candidats aux fonctions publiques. Cet élément est primordial, puisqu’il signifie que le processus n’est pas direct. La condamnation est inscrite au bulletin n°2 du casier judiciaire, et cette mention fait, ensuite, obstacle à l’éligibilité. Cette inscription n’a aucun caractère punitif et ne soulève d’ailleurs, je souhaite le rappeler, aucune difficulté lorsqu’elle induit l’impossibilité d’accéder à un ensemble de professions, au premier rang desquelles la fonction publique, alors même que la liberté d’y entrer se fonde sur l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le même que celui qui garantit l’éligibilité. ».

    À l'époque, Bruno Le Roux, qui avait cosigné cette proposition de loi, était devenu Ministre de l'Intérieur et avait répondu à son ancienne collègue socialiste ainsi : « Les deux propositions de loi prévoient que les personnes dont le bulletin n°2 du casier judiciaire porte la mention d’une condamnation incompatible avec l’exercice d’un mandat électif ne puissent faire acte de candidature à aucun mandat électif. Ces condamnations concernent les crimes, les délits sexuels, les manquements au devoir de probité, la fraude fiscale, ainsi qu’un certain nombre d’infractions électorales définies par le code électoral. La proposition de loi organique organise ce régime pour l’élection des députés et des sénateurs, ainsi que pour les candidats à l’élection présidentielle. La proposition de loi ordinaire, quant à elle, adapte ce dispositif pour les élections locales. Chacun d’entre nous est conscient que la défiance envers les élus mine le principe même de notre démocratie. Elle jette en effert, et injustement, l’opprobre sur des personnes sincèrement dévouées au service de l’intérêt général, et qui, pour la totalité d’entre elles, exercent leurs mandats avec un engagement et une honnêteté irréprochables. Pour renforcer la confiance, nous devons donc nous doter de règles toujours plus rigoureuses. ». Rappelons pour la petite histoire que Bruno Le Roux a dû démissionner de la Place Beauvau le 21 mars 2017 après avoir été accusé des mêmes « turpitudes » que François Fillon, à savoir le recrutement de ses deux filles comme collaboratrices parlementaires, soupçonnées d'emplois fictifs, alors qu'il avait fustigé lui-même François Fillon sur l'emploi de la femme de celui-ci.

    À la même époque, Marine Le Pen voulait être le meilleur lave-linge qui lavait plus blanc que blanc. Ainsi, le 13 avril 2017 sur France 2, elle disait : « Je ferai appliquer la loi, ce qui n'a pas été fait depuis des années, car la justice a reçu des instructions d'un laxisme absolu. ». En novembre 2024, elle devrait donc être satisfaite : la justice va s'appliquer.

     

     
     


    Car il faut être cohérent avec soi-même. Déjà dans l'émission "Mots croisés", le 9 février 2004 sur France 2, Marine Le Pen, devant Jean-François Copé et Malek Boutih, débordait d'indignation à la suite de la condamnation de l'ancien Premier Ministre Alain Juppé le 30 janvier 2004 à dix-huit mois de prison avec sursis, peine assortie d'une peine d'inéligibilité de dix ans. À l'époque, elle défendait les honnêtes gens et fustigeait les délinquants politiques condamnés et autres repris de justice : « Tout le monde a piqué dans la caisse sauf le Front national. Et on trouve ça normal ? (…) Les Français n'en ont pas marre d'entendre parler des affaires. Ils en ont marre qu'il y ait des affaires. Ils en ont marre de voir des élus, je suis navrée de vous le dire, qui détourne de l'argent, c'est scandaleux ! Parce que je vais vous dire, avec tout cet argent, ce qu'on aurait fait, hein ?, en termes de Restos du cœur, en termes d'opérations Pièces jaunes. C'est combien d'opérations Pièces jaunes, tout l'argent qui a été détourné par les élus ? ».

    On a compris que toute la communication de Marine Le Pen depuis plus de vingt ans n'était que du vent, de l'hypocrisie voire du mensonge ! Pourtant, ce n'était pas faute d'avoir tenté de reporter sans cesse le procès. En effet, le RN a fait quarante-cinq recours et l'instruction a duré presque dix années. C'est en 2015 que le Président social-démocrate du Parlement Européen de l'époque, l'Allemand Martin Schulz, avait signalé le détournement. Pour la procureure Louise Neyton, c'est bien un système sans précédent de détournement de fonds qui a été mis en place pour récupérer l'argent du Parlement Européen au profit du FN/RN mais aussi de ses dirigeants. Le maire d'une grande ville du Sud est également dans le box des accusés.

    C'est le propre système de défense de Marine Le Pen qui l'a fait couler : en affirmant à la fois qu'elle n'en savait rien (bien qu'à la fois présidente du FN/RN et députée européenne entre 2011 et 2017) mais aussi qu'il n'y avait rien de mal à ce que les assistants parlementaires aient travaillé pour le parti de leur député européen (alors que le Parlement Européen interdit strictement ce genre de pratique), elle a implicitement justifié ce système et donc avoué qu'elle le connaissait et même l'a initié.


    La réaction de l'extrême droite à ces réquisitions était prévisible : ce serait un déni de démocratie ! Petits extraits. Marine Le Pen : « Le parquet essaie de priver les Français de la capacité de voter pour qui ils souhaitent. ». Jordan Bardella : « Le parquet n'est pas dans la justice : il est dans l'acharnement et la vengeance à l'égard de Marine Le Pen. Ses réquisitions scandaleuses visent à priver des millions de Français de leur vote en 2027. C'est une atteinte à la démocratie. ». Éric Zemmour : « Si Marine Le Pen était déclarée inéligible, on atteindrait alors un niveau sans précédent dans le gouvernement des juges. ». Marion Maréchal : « François Fillon hier, Marine Le Pen aujourd'hui (…), un nouveau déni de démocratie. ».

    Plus curieusement, des personnalités d'autres bords politiques ont émis le même genre de réactions. Ainsi, sur des terres nordistes, on peut comprendre l'arrière-pensée électorale de Gérald Darmanin lorsqu'il a dit : « Il serait profondément choquant que Marine Le Pen soit jugée inéligible et, ainsi, ne puisse pas se présenter devant le suffrage des Français. (…) Combattre Madame Le Pen se fait dans les urnes, pas ailleurs. (…) N'ayons pas peur de la démocratie. ». Son mentor Xavier Bertrand a été plus cohérent et mieux inspiré en estimant que la loi s'appliquait à tous et qu'il n'y avait aucune raison de faire des exceptions.

    Mais que penser du député MoDem Richard Ramos ? du député EPR Karl Olive ? Ou encore de l'ancien député LR Julien Aubert : « La question n'est pas de savoir si Marine Le Pen a détourné oui ou non pour un autre usage que celui prévu les postes d'assistants au Parlement Européen. La vraie question est : est-ce que c'est suffisamment grave pour priver des millions de gens de leur porte-parole ? ». Jean-Luc Mélenchon aussi est venu à la rescousse : « Une peine d'inéligibilité ne doit pas être appliquée avant expiration de tous les recours prévus par la loi. ».

    À tous ceux-là, la procureure Louise Neyton avait répondu par avance : « Oui, la décision judiciaire est légitime à produire ses effets sur la vie démocratique, légitime, car ce rôle lui a été imposé par le législateur. ». C'était en effet de la volonté du législateur que les délinquants politiques soient sévèrement sanctionnés, pour redonner un peu de crédit à une classe politique complètement discréditée par les affaires et l'impuissance (après le scandale de Jérôme Cahuzac).

    Personnellement, je répondrais plus fortement sur le déni de démocratie : la démocratie, c'est d'abord de respecter la loi, de respecter les Français, ceux qui contribuent à l'effort financier de l'Union Européenne, de ne pas profiter de l'argent facile en dehors du cadre de la loi. On ne peut pas prétendre dicter la loi (en tant que parlementaire) et refuser de l'appliquer. De plus, il n'y a aucun risque démocratique de voir l'élection présidentielle sans un représentant du RN, qui est un parti important (le plus important de l'Assemblée) et qui mérite effectivement d'avoir un candidat. Car le RN a déjà un autre candidat tout désigné pour remplacer Marine Le Pen, en la personne de Jordan Bardella qui, à sa façon, sourit de la situation actuelle.


    Même le Premier Ministre hongrois Viktor Orban est venu au secours de Marine Le Pen : « Marine, n'oubliez pas que nous sommes avec vous dans cette bataille ! Être harcelé par la justice a été une étape cruciale de la victoire du Président [Trump]. ». Eh oui, Donald Trump a été condamné et cela ne l'a pas empêché d'être élu, et même largement élu. Parler de trumpisation à la française pour Marine Le Pen serait lui faire trop d'honneur. La réalité, c'est que le favori de l'élection de 2017, François Fillon, a été balayé par son affaire qui représentait un détournement bien plus faible d'argent public (seulement 700 000 euros à comparer à 4,5 millions d'euros), et cela bien avant sa condamnation (définitivement le 24 avril 2024). Les électeurs français seraient-ils peut-être plus exigeants que les électeurs américains ? (question très audacieuse à laquelle je ne répondrai pas, bien sûr !).

    En tout cas, les militants RN convaincus ne changeront pas d'opinion avec une condamnation de leur leader : au contraire, ils seront renforcés dans leur choix de candidate que la justice, le système, prétendument harcèle. Et puis, profiter de l'argent européen quand on est anti-européen, c'est la revanche des frexiters. Sauf que Marine Le Pen souhaitait la normalisation de son parti, sa banalisation pour faire preuve de respectabilité auprès des personnes qui comptent en France et à l'étranger. Ce très long procès (presque deux mois) remet en cause toute cette stratégie amorcée en 2011 : si le tribunal suit les procureurs, les gens pourront se dire que décidément, le RN/FN n'est qu'une association de malfaiteurs. Pour le Ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau, la situation est critique : lui veut l'application la plus sévère de la loi. Chiche !



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    Sylvain Rakotoarison (13 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Procès de Marine Le Pen : surprise de gazelles et cynisme de vieux loups.
    Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
    Législatives 2024 (18) : la fin du cauchemar Bardella (pour le moment).
    Fake news : la scandaleuse manipulation politique du RN.
    Législatives 2024 (12) : un isoloir, ce n'est pas un cabine d'essayage !
    Législatives 2024 (11) : front, rassemblement, union nationale, barrage, consignes de vote...
    Législatives 2024 (10) : il était une fois Jordan Bardella, Gabriel Attal et Manuel Bompard.
    Législatives 2024 (9) : Emmanuel Macron et son n'ayez-pas-peur !
    Jean-Marie Le Pen, retour aux sources du RN.
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Le débat Gabriel Attal vs Jordan Bardella du 23 mai 2024.
    Débat Valérie Hayer vs Jordan Bardella : l'imposture démasquée de Coquille vide.
    Ukraine : Claude Malhuret se gausse de Jordan Selfie !
    Ukraine : Gabriel Attal attaque durement le RN et Marine Le Pen !
    Sondage secret : en cas de législatives anticipées, une victoire du RN ?
    FN/RN : fais-moi peur ! (27 octobre 2015).
    Marine Le Pen en tête dans un sondage : attention au buzz !
    Christine Boutin.
    André Figueras.
    Patrick Buisson.

    Rassemblement national : objectif 2027... ou avant !
    Jordan Bardella.
    Le nouveau JDD et la récupération des Enzo...
    Geoffroy Lejeune.
    Attention, un train de violence peut en cacher un autre...
    Éric Caliméro Zemmour.
    Jean-Marie Le Pen et sa marque dans l'histoire.
    La tactique politicienne du RN.
    La sanction disciplinaire la plus lourde de la Cinquième.

    Louis Aliot.
    Le congrès du RN.
    Grégoire de Fournas.
    Incident raciste : 89 nuances de haine à la veille du congrès du RN ?

    Le Front national des Le Pen, 50 ans plus tard...






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  • PLF 2025 : la majorité de rejet !

    « Loin du compromis, c’est à une guerre de positions que nous avons assisté. L’examen dans notre assemblée a conduit à une forme de concours des outrances entre les deux extrémités de l’hémicycle, qui se soutiennent et se renforcent. L’une a fait adopter un Frexit de fait, l’autre près de 40 milliards de hausses d’impôts. » (Jean-Paul Mattei, député MoDem, le 12 novembre 2024 dans l'hémicycle).




     

     
     


    Fronts renversés dans l'hémicycle du Palais-Bourbon ce mardi 12 novembre 2024 après-midi. Après trois semaines d'intenses débats pour l'examen du projet de loi de finances pour 2025 (PLF 2025), les députés devaient se prononcer en vote solennel sur la première partie du texte, le volet des recettes (fiscalité, taxation, etc.) avant de se prononcer sur le second volet, le volet dépenses.

    Et ce vote solennel a été à fronts renversés : les députés du socle gouvernemental ont voté contre l'adoption de ce projet qui a été profondément remanié par rapport à la version gouvernementale. Le député Jean-Paul Mattei (MoDem) a évoqué un « concours des outrances » et c'était bien cela, c'était la foire à la saucisse, la fête au slip, à celui qui proposait la meilleure taxe ! En tout, 65 milliards d'euros supplémentaires seraient prélevés des portefeuilles des Français si ce projet de loi avait été adopté en l'état. Le Ministre du Budget et des Comptes publics Laurent Saint-Martin l'a dit calmement : « La copie présentée par le NFP avec la complicité du Rassemblement national nous paraît inacceptable. ». Et il l'a expliqué simplement : « Plus de 35 milliards d’impôts supplémentaires ont été votés. Inutile de croire qu’ils concerneront uniquement quelques millionnaires ou quelques grandes entreprises : ils pèseront sur l’ensemble du pays. ».


    Paradoxalement, l'ultragauche est pour ce budget, et la majorité gouvernementale est contre ce budget. Pourquoi ? Parce qu'il a été tellement modifié par les extrêmes que ce texte est devenu complètement loufoque, anticonstitutionnel voire irréalisable techniquement.

    Prenant sa casquette d'orateur du groupe LIOT, le rapporteur général du budget
    Charles de Courson, dont on ne peut soupçonner de s'accommoder de combines politiciennes diverses et variées, qui est dans l'opposition et qui est sans doute un bon étalon de l'orthodoxie budgétaire, à savoir bien gérer les comptes de l'État, a expliqué pourquoi ce texte amendé est complètement fou et qu'il doit être rejeté pour trois raisons : « La première est la suppression du prélèvement au profit de l’Union Européenne. L’article 40 du projet de loi de finances pour 2025 prévoyait un prélèvement sur recettes à destination de l’Union Européenne à hauteur de 23,3 milliards. Il a été supprimé en séance. Voulez-vous le Frexit, mes chers collègues ? N’oublions pas que l’Europe a permis d’assurer depuis soixante-quinze ans la paix et la prospérité entre les États membres. L’environnement géopolitique actuel nécessite plus d’Europe, afin de protéger nos concitoyens, notre économie et notre modèle culturel. Notre groupe croit pour sa part profondément au projet européen. Rejeter la contribution à l’Europe serait un trompe-l’œil ; cela ne nous exonérerait pas d’assurer à l’Europe un budget en équilibre. Adopter la partie recettes du budget sans prélèvement européen enverrait un signal très négatif à nos partenaires européens. Ce n’est pas acceptable. Deuxième raison : les amendements à la première partie adoptés en séance accentuent gravement la dérive des comptes publics. Ils entraîneraient, apparemment, une hausse nette d’impôts de près de 64,8 milliards. Néanmoins, nombre d’entre eux, à hauteur de 50 milliards, ne respectent pas le droit constitutionnel ou le droit européen, voire sont inapplicables ; et si l’on tient compte de la suppression du prélèvement sur recettes au profit de l’Union Européenne (PSR-UE), qui correspond à 23,3 milliards, ce que l’on enregistre, ce ne sont pas 65 milliards de recettes en plus, mais une perte sèche de plus de 6 milliards d’euros. S’y ajoute le coût des amendements adoptés en commission des finances sur la partie dépenses et dont le montant représente environ 57 milliards. En l’état, notre discussion conduirait donc à dégrader les comptes publics de 63 milliards et nous éloignerait de plus en plus du respect de nos engagements budgétaires. Dans ces conditions, je ne peux me résoudre, en tant que rapporteur général, à voter pour la partie recettes du budget. Je crains que ce chaos n’entraîne tout simplement le rejet par nos concitoyens de notre système parlementaire. La troisième raison de notre opposition à ce texte est que nous avons rejeté l’article d’équilibre dans la nuit de vendredi à samedi : il serait incohérent d’adopter la partie recettes après avoir voté contre en commission puis contre l’article d’équilibre en séance, d’autant plus que cela entraînerait un risque d’inconstitutionnalité : l’adoption de l’article d’équilibre est en effet un prérequis pour examiner la partie dépenses sous peine d’une censure par le Conseil Constitutionnel. Dès lors, nous devons rejeter l’ensemble de la première partie. ».

    Écoutons aussi la plupart des autres explications de vote des différents groupes.

    L'orateur insoumis Aurélien Le Coq ne s'est pas embarrassé de considérations d'intérêt général. Il a tout de suite plongé dans le cloaque politicien. Il est revenu sur la fausse affirmation que la
    nouvelle farce populaire (NFP) serait majoritaire à l'Assemblée, ce que le rejet de la motion de censure le 8 octobre 2024 a démenti complètement et factuellement : « Jamais, monsieur le ministre, vous n’auriez dû être assis aujourd’hui au banc, face à moi. Vous avez volé les élections. Pourquoi ? Par soif du pouvoir ? Par mégalomanie présidentielle ? Non ! Pour empêcher le Nouveau Front populaire, arrivé en tête des élections, de rétablir dans ce pays la justice sociale et fiscale et pour protéger une petite poignée d’ultrariches. Après les avoir gavés sept années durant, vous voulez leur permettre de continuer à exploiter la grande masse des Français qui continuent à se battre pour leur survie dans la pauvreté. Vous aviez si bien commencé, en vidant les caisses de l’État par dizaines de milliards au profit des ultrariches et des multinationales ! Tant et si bien que le patrimoine de 500 familles a doublé, pour atteindre 1 228 milliards. Et vous vous apprêtiez, par ce budget, à saigner les classes populaires, dans ce qui pourrait être la plus grande boucherie sociale de notre siècle. Alors qu’aux prémices de l’hiver 2024, les Français ont froid et faim, vous vouliez une fois de plus leur faire cracher du sang ! Pour compenser les cadeaux aux plus riches, vous souhaitiez 60 milliards d’effort budgétaire. (…) L’examen de ce budget a permis le retour fracassant de la vérité : la Macronie est morte ! Vous avez perdu, et ce ne sont pas les travées vides de vos groupes parlementaires, abandonnant leur ministre illégitime au milieu de la bataille, qui auraient pu la faire revivre. (…) L’Assemblée Nationale a voté (…), amendement après amendement, 75 milliards de recettes nouvelles proposées par le nouveau front populaire et La France insoumise, pour un excédent de 58 milliards. ». L'orateur insoumis a ainsi reconnu qu'il avait participé à ce matraquage fiscal de 75 milliards d'euros de nouveaux impôts, et il en était fier ! Les Français apprécieront.

    Par ailleurs, Aurélien Le Coq a reproché au RN de ne pas voter avec la gauche populiste alors que celle-ci a fait front républicain aux élections contre le RN : « Une fois de plus, le Rassemblement national s’apprête à accomplir ce qu’il sait faire de mieux : sauver Emmanuel Macron et les plus riches ! C’est ce qu’il a déjà fait en refusant de voter la censure et en s’opposant à la destitution. Assumez ce que vous êtes : les larbins de la Macronie et des ultrariches. Honte à vous ! ». Honte plutôt aux insoumis de continuer à répandre cette fable du « vol démocratique en bande organisée », fable qui contribue une fois encore au discrédit de tout le Parlement lui-même par ses excès de langage.

     

     
     


    Au contraire, l'oratrice du groupe LR, Véronique Louwagie, a voulu rappeler l'esprit de responsabilité du gouvernement : « Le gouvernement de Michel Barnier s’emploie désormais à restaurer le crédit de la France s’agissant de sa capacité à soutenir durablement sa dette, ainsi que la confiance de nos partenaires européens : nous le soutenons et l’accompagnerons dans cette direction. Je nous mets tout de même en garde contre la facilité qui consisterait à préférer systématiquement l’augmentation des impôts à la diminution de la dépense publique. Plus que jamais, l’État doit donner l’exemple : nous l’invitons à prendre rapidement des mesures en vue de rationaliser son fonctionnement, ce à quoi nous resterons attentifs. Certes, le caractère inédit du déficit abyssal de 2024 peut faire admettre la nécessité, dans l’urgence, de nouvelles recettes ; il s’agit néanmoins d’y recourir de manière extrêmement précautionneuse et à titre temporaire, sous peine d’affecter l’activité économique. C’est la raison pour laquelle nous dénonçons avec la plus grande vigueur l’irresponsabilité budgétaire et le matraquage fiscal auxquels se sont adonnés, main dans la main, Rassemblement national et nouveau front populaire. Nous avons assisté à un déluge de taxes, vu s’élever des montagnes de nouvelles dépenses. À l’issue de neuf jours d’examen, l’addition est pour le moins salée : plus de 35 milliards d’impôts supplémentaires selon les estimations du gouvernement, près de 60 milliards d’après les calculs du président de la commission des finances. Comme si la pression fiscale n’était pas assez forte dans notre pays, qui détient le record mondial des prélèvements obligatoires, le NFP et le RN sont parvenus à un alourdissement sans précédent de la fiscalité des ménages comme de celle des entreprises : pérennisation de la contribution différentielle sur les hauts revenus, remise en cause du pacte Dutreil pour les entreprises familiales, taxation des dividendes, principe d’un impôt universel. Lorsque le courage politique leur faisait défaut, c’est l’abstention de l’un des camps qui permettait à l’autre de faire adopter une taxe sur les prétendus superprofits ou l’augmentation de 10 points du taux d’imposition minimal des multinationales ! Je retiendrai deux choses : d’une part, l’irresponsabilité du nouveau front populaire, qui, en même temps que de nouveaux impôts en séance publique, votait en commission quasiment 60 milliards de nouvelles dépenses parfois démesurées au regard des enjeux ; d’autre part, les incohérences du Rassemblement national, qui dépose des amendements visant à réduire les crédits des opérateurs et vote contre les amendements gouvernementaux allant dans le même sens. Chers collègues, c’est notre souveraineté que votre inconséquence met en péril. À l’heure où nous parlons, nous n’avons même plus de contribution au budget de l’Union Européenne : comment prétendre œuvrer au redressement de la France, à sa compétitivité, avec une telle offre politique ? Ce n’est pas en se repliant sur elle-même que la France renouera avec la prospérité ; l’actualité outre-Atlantique nous invite au contraire à davantage de discernement. La version du texte issue de nos débats, totalement dénaturée, ne correspond en rien à la proposition initiale souhaitée par Michel Barnier. ».

    Pour le groupe MoDem, Jean-Paul Mattei a redit son opposition au texte : « Je voudrais d’ailleurs souligner que la réduction du déficit à 2,9% du PIB, dont certains ici se gargarisent, n’est que faciale : près de la moitié de cette diminution est en effet imputable au rejet du prélèvement sur recettes au profit de l’Union Européenne, prélèvement déjà fortement écorné par l’adoption d’un amendement du Rassemblement national. Nous, députés du groupe Les Démocrates, qui avons depuis le départ placé la construction européenne au cœur de notre engagement politique, ne pouvons accepter ce Frexit de fait. Plus de la moitié de la baisse restante est soit euro-incompatible, soit anticonstitutionnelle, soit inopérante du fait des rédactions adoptées, comme l’institution de l’impôt Zucman. D’ailleurs, chers collègues du NFP, si vous aviez remporté les élections, auriez-vous déposé et adopté de tels amendements ? C’est peu probable. Nous voterons donc contre cette première partie. ». L'impôt Zucman est ce dispositif proposé par l'économiste Gabriel Zucman, par ailleurs militant insoumis et ancien thésard de Thomas Piketty, qui vise à créer une taxation des multinationales basée sur leur chiffre d'affaires.

    La députée Félicie Gérard, pour son groupe Horizons, a regretté, elle aussi, ce texte dénaturé : « Sans surprise, comme lors de l’examen en commission, le texte initial et équilibré du gouvernement a été fortement dénaturé. Plus de 35 milliards d’euros de taxes et impôts supplémentaires ont été adoptés. Ce budget est devenu irréaliste et irresponsable. Le projet de loi de finances, tel qu’amendé en séance publique, s’éloigne dangereusement des principes de responsabilité et de cohérence budgétaires (…). En voulez-vous une preuve ? Allez sur les réseaux sociaux et observez l’expression de la joie des députés de la France insoumise. Rien ne fait plus plaisir à un député LFI que d’augmenter de 35 milliards d’euros les impôts des Français ! Taxation des multinationales, des grandes entreprises, des entreprises pétrolières et gazières, des concessionnaires autoroutiers, des sociétés du transport maritime, des dividendes, du numérique… C’est à se demander quel secteur d’activité échappe à cet enfer fiscal ! Et quels effets dévastateurs cela aurait sur notre économie ! Les grandes entreprises fuiraient, car elles le peuvent ; ces mesures toucheraient les salariés et les petits épargnants, qui, eux, ne peuvent pas fuir. Voilà la politique de la France insoumise ! Quant à vous, collègues du Rassemblement national, vous avez retrouvé vos vieilles positions politiques, celles que vous prétendiez avoir abandonnées. En supprimant l’article 40, vous organisez purement et simplement le Frexit ! Certes, l’Europe est imparfaite, elle semble parfois trop éloignée, trop technique, mais allez dire à nos agriculteurs que vous voulez leur enlever les 9 milliards d’euros de la politique agricole commune (PAC), dont ils bénéficient ! Allez dire à nos PME, à nos ETI, à nos grandes entreprises qu’elles ne pourront plus accéder aux marchés européens aussi facilement, alors que notre pays exporte ! Allez dire aux salariés qu’ils perdront leur emploi, car ils subiront directement la compétition avec la Chine et les États-Unis ! Qui peut encore croire qu’en restant entre nous, sans l’Europe, nous pouvons rivaliser dans la compétition économique mondiale ? Toutes ces mesures déraisonnables composent le projet de loi de finances tel qu’il est soumis à notre vote : des hausses massives d’impôts et la sortie de la France de l’Union Européenne. Voici la triste image que renvoie notre assemblée au terme de ce débat : celle de l’irresponsabilité ! ».

     

     
     


    Le député David Amiel (EPR) a constaté : « Quelque 80% des hausses d’impôts qui ont été votées dans cet hémicycle nécessiteraient de sortir de l’Union Européenne, de violer des traités internationaux ou de mettre à bas notre ordre constitutionnel et juridique. Ces chiffres ont été établis par le rapporteur général du budget, qui ne fait pas partie de notre majorité. Si la première partie du budget était adoptée en l’état, la France n’appartiendrait plus à l’Europe, elle ne disposerait plus de moyens pour éviter des coupures de courant électrique après 2026, c’est vous dire le degré que nous avons atteint dans l’absurde !, et elle ne réglementerait plus les prix de l’électricité, exposant les Français à la spéculation des marchés. Il faut se rendre compte de ce que cela signifie que de produire un tel texte à l’Assemblée Nationale. Certains me répondent que ce budget n’est pas fait pour s’appliquer, qu’il s’agit d’envoyer des "signaux politiques", le terme est revenu souvent dans la discussion. Mais c’est encore plus grave : cela veut dire que l’on se moque des conséquences de ce que l’on vote dans cet hémicycle. Ceux qui disent vouloir envoyer des signaux admettent qu’ils votent un budget pour rire, sans se soucier des conséquences pour les Français. Quand on se comporte ainsi, le seul signal politique que l’on envoie, c’est celui du cynisme et de l’irresponsabilité. Le résultat, ce n’est pas un projet économique alternatif ! C’est un barbouillis budgétaire sans queue ni tête, qui n’a aucune cohérence interne, est à 80% inapplicable et est donc indigne du respect que l’on doit aux Français et à l’Assemblée. Nous en sommes arrivés là parce qu’à plusieurs reprises, l’extrême droite et l’extrême gauche se sont donné la main pour voter une véritable explosion fiscale, acceptant de mettre à terre notre économie, le pouvoir d’achat des Français et des travailleurs ainsi que la compétitivité de nos industries. Une fois dans l’hémicycle, ceux qui, sur les plateaux de télévision, se réclament de la souveraineté, conspirent avec La France insoumise pour mettre à bas notre souveraineté économique : quelle ironie ! Nous en sommes arrivés là, ensuite, parce que l’extrême droite et l’extrême gauche se sont donné la main pour s’opposer à l’Europe. (…) Ce gâchis parlementaire affaiblit notre pays à l’heure de la bataille économique mondiale. La Chine s’apprête à déverser ses surcapacités industrielles sur notre continent. Aux États-Unis, Donald Trump prépare une nouvelle guerre commerciale. Partout en Europe, nos voisins se préparent ; au Royaume-Uni, les travaillistes viennent d’ailleurs de lancer un plan d’investissement massif pour soutenir l’économie. La France, elle, après des années de redressement de sa compétitivité, court le risque d’un désarmement industriel unilatéral. (…) Vous connaissez notre opposition aux hausses de charges, alors que la baisse du coût du travail faisait l’objet, depuis des années, d’un consensus transpartisan, approuvée aussi bien par la gauche, je vois le Président François Hollande parmi nous, que par la droite et le centre ! Cette politique donnait des résultats. ».

    Quant au RN, Mattias Renault a confirmé son opposition au texte soumis au vote : « La copie initiale du gouvernement était déjà lourde en impôts, mais vous avez chargé la barque jusqu’à l’absurde ; le groupe RN ne peut pas voter en faveur d’une partie recettes qui mènerait notre pays au chaos. Nous avons certes obtenu quelques victoires symboliques, comme la suppression de l’augmentation de la taxe sur l’électricité ou la réduction de la contribution de la France à l’Union Européenne. Le fait est d’ailleurs nouveau : par notre présence massive et constante dans l’hémicycle, nous arrivons à y remporter des victoires politiques, en faveur de nos propositions. Cela étant, le groupe Rassemblement national ne peut cautionner ni le budget initial du gouvernement ni le budget absurde du NFP. ».

    Au final, à ce vote solennel (scrutin n°438), tous les députés LR, MoDem, Horizons, RN ont voté contre, la très grande majorité des députés EPR également (87 sur 94 ; une seule députée EPR a voté pour), tandis que tout le NFP a voté pour (PS, FI, PCF, EELV), il ne manquait à l'appel que l'ex-ministre PS devenue EELV
    Delphine Batho (qui s'est abstenue). Au total : sur 573 votants, 192 députés ont voté pour, 362 ont voté contre et 19 se sont abstenus. Les socialistes se sont totalement discrédités en votant pour un budget qui a refusé la contribution financière à l'Union Européenne. Ils remettent en cause leur ADN propre. Ce vote a montré une nouvelle fois, de façon éloquente, que le NFP ne détient aucune majorité, même relative.

     
     


    Conséquence : le volet recettes n'ayant pas été adopté, le volet dépenses ne peut être mis aux voix dans la mesure où les parlementaires n'ont constitutionnellement pas le droit de proposer des dépenses sans les financer par des recettes équivalentes. N'ayant plus de recettes, l'État ne peut plus faire de dépenses. C'est donc tout le projet de loi de finances (très modifié) qui a donc été rejeté par l'Assemblée Nationale ce 12 novembre 2024, mais la procédure législative n'est pas terminée pour autant : le texte originel, reproposé par le gouvernement avec éventuellement les amendements qu'il aurait gardé, va être en discussion au Sénat avant de revenir en seconde lecture à l'Assemblée Nationale.

    Est-ce à dire que ces trois semaines de discussion n'ont servi à rien ? Oui et non. Certes, cela donne une image déplorable du Parlement. Certes, les députés du socle commun (qui participent au gouvernement) n'ont pas été présents de manière aussi assidue que nécessaire, et ont laissé le NFP et le RN adopter, de manière complice, des amendements qui ont dénaturé complètement non seulement le texte du gouvernement mais aussi l'idée qu'on peut se faire de la France (par exemple, en refusant d'accepter de contribuer financièrement à l'Union Européenne, ce qui est, il me semble, je peux me tromper, sans précédent dans l'histoire parlementaire française depuis le
    Traité de Rome).
     

     
     


    Le Premier Ministre Michel Barnier a en revanche réussi ce que sa prédécesseure Élisabeth Borne n'avait pas réussi pour les lois de finances pour 2023 et 2024 : il n'a pas utilisé l'article 49 alinéa 3 de la Constitution qui aurait mis fin à la discussion. Du moins, il ne l'a pas encore utilisé (il ne l'a pas utilisé pour la première lecture). Cela reste conforme à ce qu'il avait annoncé, à savoir qu'il écouterait tous les députés, les respecterait.

    On peut évidemment comprendre que le texte qui sortira du Sénat sera plus conforme aux idées du gouvernement qui, du reste, n'avait pas finalisé son budget en raison de la rapidité à le préparer (quinze jours). En revanche, pour qu'il soit adopté en seconde lecture, je ne vois pas comment il n'utiliserait pas l'article 49 alinéa 3 dans la mesure où il n'existe aucune majorité de construction (le rejet est plus facilement majoritaire que l'adoption).

    En annonçant la marche en arrière du gouvernement sur la revalorisation des retraites (finalement au 1er janvier 2025 au lieu du 1er juillet 2025, avec une petite astuce pour économiser un peu), Michel Barnier a ôté un argument du RN pour voter une motion de censure. Car faire adopter la loi de finances par un article 49 aliéna 3, c'est prendre
    le risque d'une motion de censure adoptée et d'un renversement de gouvernement.

    On pourra par ailleurs aussi disserter sur la manière d'annoncer ce recul sur la revalorisation des retraites : c'est
    Laurent Wauquiez, chef de groupe mais pas ministre, qui l'a annoncé dans un journal de 20 heures le 10 novembre 2024 alors que cela aurait dû être un membre du gouvernement. Cette annonce a d'autant plus agacé les autres groupes du socle commun qu'ils n'étaient pas averti de ces tractations. Car pour certains de ces députés, le report de la revalorisation des retraites (qu'on ne pourrait appliquer qu'à partir d'un certain seuil de rémunération), si elle affaiblit le pouvoir d'achat, n'affaiblit pas globalement l'économie française au contraire de mesures fiscales tant sur les ménages que sur les entreprises qui pourraient freiner la compétitivité et surtout l'attractivité de notre économie, principale réussite du Président Emmanuel Macron depuis 2017. Le taux de chômage remonte légèrement (à 7,4%), il ne faudrait pas donner le signal qu'il n'est plus bon d'investir en France.

    Dans leur grande sagesse, les sénateurs vont revoir la copie du gouvernement (composé de beaucoup de sénateurs ou d'anciens sénateurs, comme l'a été Michel Barnier lui-même), et proposé aux députés un texte plus cohérent qui ne pourrait alors pas échappé à l'article 49 alinéa 3 de la Constitution.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (12 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    PLF 2025 : la majorité de rejet !
    Michel Barnier : déjà deux mois !
    François Guizot à Matignon ?
    5 euros pour visiter Notre-Dame de Paris ?
    Achats dans la fonction publique : des économies à faire ?
    Doliprane : l'impéritie politique.
    Proche-Orient : l'incompréhension de Roger Karoutchi.
    Motion de censure : le quart d'heure de gloire d'Olivier Faure.
    Budget 2025 : l'impossible mission de Michel Barnier.
    Claude Malhuret : du vol des élections aux chefs d'escadrille...
    Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
    La quadrature du cercle de Michel Barnier.

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241112-budget-2025.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/plf-2025-la-majorite-de-rejet-257638

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/12/article-sr-20241112-budget-2025.html






     

  • Michel Barnier : déjà deux mois !

    « Depuis que j’ai accepté la proposition du Président de la République d’être le Premier Ministre de notre pays, j’ai gardé en mémoire mes propres lignes rouges, qui sont celles de tout le gouvernement. Il n’y aura aucune tolérance à l’égard du racisme et de l’antisémitisme. Il n’y aura aucune tolérance à l’égard des violences faites aux femmes. Il n’y aura aucune tolérance à l’égard du communautarisme. Il n’y aura aucun accommodement en ce qui concerne la défense de la laïcité, aucun. Nous n’accepterons aucune discrimination. Nous n’accepterons aucune remise en cause des libertés conquises au fil des ans. » (Michel Barnier, le 1er octobre 2024 dans l'hémicycle).




     

     
     


    Le Premier Ministre Michel Barnier a été nommé maintenant il y a deux mois. Le second tour des élections législatives anticipées a donné son verdict le 7 juillet 2024, ont suivi deux mois d'incertitudes et d'hésitations, et Michel Barnier a été nommé le 5 septembre 2024.

    Durer déjà deux mois ne semble pas vraiment un exploit (il n'a pas dépassé en longévité
    Bernard Cazeneuve, le recordman de brièveté sous la Cinquième République avec un peu plus que cinq mois ; il le dépasserait éventuellement le 10 février 2025), mais il faut insister sur le fait qu'il n'a pas de majorité absolue et que l'addition de deux farouches oppositions forme une majorité absolue de déconstruction. Avec une telle Assemblée, il faut plutôt faire les comparaisons de longévité avec la Quatrième République et dans cette perspective, Michel Barnier aura déjà duré plus longtemps que des gouvernements dirigés par les six Présidents du Conseil suivants : Léon Blum (en 1946), André Marie (en 1948), Robert Schuman (en 1948), Henri Queuille (en 1950), Edgar Faure (en 1952) et Pierre Pflimlin (1958). Quatre d'entre eux ont toutefois eu l'occasion de diriger d'autres gouvernements plus stables.

    Ou même avec des gouvernements de la
    Troisième République : ceux de Gaëtan de Rochebouët (en 1877), Armand Fallières (en 1883), Alexandre Ribot (en 1914), Paul Painlevé (en 1917), Frédéric François-Marsal (en 1924), Édouard Herriot (en 1926), Camille Chautemps (en 1930 et en 1933), Théodore Steeg (en 1930), Joseph Paul-Boncour (en 1932), Albert Sarraut (en 1933), Édouard Daladier (en 1934), Fernand Bouisson (en 1935) et Léon Blum (en 1938), ont duré moins longtemps que celui de Michel Barnier (sept sur les treize ont aussi dirigé d'autres gouvernements plus stables et je n'ai pas inclus Philippe Pétain, Président du Conseil pendant moins d'un mois mais chef de l'État aux pleins pouvoirs pendant plus de quatre ans). Et le 17 novembre 2024, Michel Barnier aura aussi duré plus longtemps qu'une figure majeure de la République, Léon Gambetta. C'est donc pour dire que ces deux mois ont déjà leur poids historique dans l'exercice du pouvoir.

    Le gouvernement Barnier a bénéficié du rejet réciproque de ses deux farouches adversaires, le RN et la
    nouvelle farce populaire (NFP). La première motion de censure n'a pas eu beaucoup de succès parce qu'elle pêchait par son esprit partisan et surtout, systématique. Il en viendra certainement d'autres et la question est toute simple : le NFP votera-t-il une motion de censure déposée par le RN ? Et le RN votera-t-il une motion de censure déposée par le NFP ? L'une ou l'autre de ces hypothèses montreraient une collusion indiscutable entre le NFP et le RN alors que chacun voudrait montrer du doigt une collusion majorité/RN pour les uns et majorité/NFP pour les autres.
     

     
     


    Pour montrer à quel point les oppositions aujourd'hui s'autodétruisent, il suffit de regarder avec attention deux scrutins publics très importants concernant l'abrogation de la réforme des retraites de 2023 : un amendement déposé par Boris Vallaud, président du groupe PS, et une proposition de loi déposée par Thomas Ménagé, député RN.
     

     
     


    L'amendement (n°146) de Boris Vallaud au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 visait à rétablir l'âge légal de départ à la retraite à 62 ans, sous réserve d'augmenter (fortement) les cotisations sociales sur les salaires supérieur à deux fois le plafond de la sécurité sociale, a été rejeté le 29 octobre 2024 lors du scrutin n°182 : sur 416 votants, 182 ont voté pour, 232 contre et 2 abstentions. Parmi les 182 votes pour : 63 FI, 61 PS, 36 EELV, 6 LIOT et 16 PCF. Parmi les 232 votes contre : 91 RN, 60 EPR, 27 LR, 24 MoDem, 20 HOR, 3 LIOT, 5 ciottistes.
     

     
     


    La proposition de loi (n°284) de Thomas Ménagé déposée le 18 septembre 2024 visant à annuler les dernières réformes des retraites (âge de la retraite et nombre d'annuités) a été rejetée, quant à elle, le 31 octobre 2024 lors du scrutin n°217 : sur 334 votants, 119 ont voté pour, 197 contre et 18 abstentions. Parmi les 119 votes pour : 118 RN. Parmi les 197 votes contre : 58 EPR, 51 PS, 13 LR, 26 EELV, 17 MoDem, 19 HOR, 2 LIOT, 9 PCF. Le député socialiste Aurélien Rousseau a été comptabilisé comme votant pour mais il a indiqué qu'il voulait voter contre.

    Comme on le voit, les votes sont diamétralement opposés. Les ciottistes se sont majoritairement abstenus lors du texte du RN car ils étaient favorables à la réforme des retraites de 2023. Il faut dire aussi que l'amendement de Boris Vallaud aurait plombé la compétitivité des entreprises puisque cela revenait à financer le retour à 62 ans en taxant encore plus le travail, des dizaines de milliards d'euros supplémentaires, ce que ne voulaient pas le RN ni le bloc central. Tandis que le NFP ne souhaite pas voter pour une proposition du RN et lui donner l'occasion d'une victoire parlementaire.

    Dans cette chronologie délicate du gouvernement Barnier, il y a donc bien sûr
    sa nomination (pas sans mal) le 21 septembre 2024, la déclaration de politique générale du Premier Ministre devant l'Assemblée Nationale le 1er octobre 2024, l'examen de cette première motion de censure le 8 octobre 2024 qui a démontré que le NFP n'avait jamais eu de majorité relative contrairement à ce qu'il soutenait ad nauseam, et le 21 octobre 2024, le début du douloureux et laborieux examen du projet de loi de finances pour 2025 (puis le 28 octobre 2024 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025).
     

     
     


    Le style un peu pince-sans-rire de Michel Barnier est nouveau, original et déconcertant, capable de faire taire Mathilde Panot (ce qui est un vrai exploit !). Sans doute Michel Barnier, qui se croyait injustement sous-employé par cette République malgré sa très longue expérience locale, nationale et internationale, arrive presque par irruption au sommet du pouvoir, à Matignon sous une proto-coalitation avec un Président très affaibli. Il fallait ce bâton de maréchal pour conclure une si brillante carrière. Michel Barnier est en outre le premier LR à revenir au pouvoir après Nicolas Sarkozy et François Fillon. Son message pas très avenant en raison de sa lucidité budgétaire (il faut réduire la voilure de l'État de 60 milliards d'euros par an) s'apparente à la campagne également peu emballante de François Fillon avant son "affaire" en 2016-2017.
     

     
     


    Cette courte période montre que Michel Barnier peut raisonnablement durer dans cette situation politique très instable. Pour tout dire, tout le monde est content que Michel Barnier s'y soit collé. Car comment imaginer le Premier Ministre de l'après-dissolution vouloir prétendre se présenter à l'élection présidentielle prochaine ? Au-delà même de l'affaire ardue de diriger un gouvernement minoritaire, Michel Barnier pâtit aussi de son âge (il aura 76 ans en 2027, soit 81 ans à la fin du prochain quinquennat en 2032). C'est vrai que la mode américaine arrive toujours en France avec un peu de retard, mais passer du trentenaire à l'octogénaire semblerait peu probable dans l'envie de vote des Français, même si Michel Barnier réussissait sa politique.

    En fait, Michel Barnier devrait plus se méfier de ses supposés soutiens que de ses francs opposants. Ce qu'il appelle le socle de la majorité, à savoir LR et l'ancienne majorité (EPR, MoDem et HOR), paraît particulièrement dissipé et peu discipliné, pour des raisons purement électoralistes. Soit par négligence (et absence physique au moment du scrutin), soit par volonté de montrer son autonomie au prix de certains sacrifices (tant dans le choix des personnes que dans les mesures des textes adoptés), ce socle paraît bien instable et l'autorité de Michel Barnier ne suffit pas à compenser la perte d'influence du Président
    Emmanuel Macron sur ses troupes.

    L'un des exemples les plus flagrants est la désignation d'un nouveau vice-président de l'Assemblée Nationale pour remplacer la députée LR Annie Genevard, nommée Ministère de l'Agriculture, de la Souveraineté alimentaire et de la Forêt. La désignation a eu lieu au cours de la première séance du 22 octobre 2024. Cinq candidats se partageaient les suffrages : Christophe Blanchet, député MoDem, Virginie Duby-Muller, députée LR, Yoann Gillet, député RN, Jérémie Iordanoff, député EELV, et Olivier Serva, député LIOT. En principe, le socle majoritaire devait pouvoir obtenir le siège
    comme il avait obtenu le perchoir, à la majorité relative au troisième tour. Mais cela ne s'est pas passé comme cela, à cause de la mauvaise humeur des macronistes et des bayrouïstes qui ont refusé d'apporter leur soutien total à la députée LR.

    Au premier tour, sur 510 votants, Blanchet a obtenu 69 voix, Duby-Muller 127 voix, Gillet 127 voix, Iordanoff 156 voix et Serva 29 voix. Au deuxième tour, tous les candidats se sont maintenus, et sur 473 votants, Blanchet a obtenu 46 voix, Duby-Muller 125 voix (moins qu'au premier tour !), Gillet 124 voix, Iordanoff 149 voix et Serva 28 voix. Le candidat du MoDem s'est désisté pour le troisième tour au cours duquel, sur 495 votants, Duby-Muller a obtenu 161 voix, Gillet 125 voix, Iordanoff 175 voix et Serva 25 voix. Ainsi, le candidat écologiste de l'Isère Jérémie Iordanoff a été élu vice-président au détriment de Virginie Duby-Muller uniquement en raison d'une déperdition des voix du socle majoritaire qui pouvait pourtant compter sur environ 210-220 députés. C'est d'autant plus une réussite du NFP qu'il était déjà majoritaire au
    bureau de l'Assemblée et donc, qu'il renforce cette majorité.

    Les nombreuses déclarations de députés EPR, notamment celles de
    Gérald Darmanin et de Gabriel Attal, sur fond d'élection du nouveau secrétaire général du parti Renaissance prévue le 7 décembre 2024 et de prochaine élection présidentielle, souvent intempestives et désordonnées, n'aident certainement pas le gouvernement à garder une ligne claire et audible. Mais Michel Barnier sait qu'il dépend plus des macronistes que de ses amis de LR pour durer. On est en pleine Quatrième République, dans ce qu'il y a de pire, le régime des partis minoritaires mais indispensables. Avis à ceux, inconséquents, qui veulent instaurer le scrutin proportionnel qui imposerait définitivement ce régime après chaque élections législatives.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (02 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Michel Barnier : déjà deux mois !
    François Guizot à Matignon ?
    5 euros pour visiter Notre-Dame de Paris ?
    Achats dans la fonction publique : des économies à faire ?
    Doliprane : l'impéritie politique.
    Proche-Orient : l'incompréhension de Roger Karoutchi.
    Motion de censure : le quart d'heure de gloire d'Olivier Faure.
    Budget 2025 : l'impossible mission de Michel Barnier.
    Claude Malhuret : du vol des élections aux chefs d'escadrille...
    Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
    La quadrature du cercle de Michel Barnier.
     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241102-barnier.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/michel-barnier-deja-deux-mois-257489

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/03/article-sr-20241102-barnier.html




     

  • Où est donc passé Teddy Vrignault ?

    « Les gens bien intentionnés les qualifient d'amuseurs. Les gens moins bien intentionnés les classent parmi les "rigolos". Ils valent beaucoup mieux que ça. Le délire verbal, le coq-à-l'âne, la gymnastique des mots, est probablement le genre exigeant le plus de maîtrise, le plus de rigueur, en un mot : le plus de style. Ce n'est pas Raymond Devos qui me contredira. » (Michel Audiard, à propos des Frères ennemis).


     

     
     


    C'est l'histoire banale du mec qui sort un dimanche soir pour chercher un paquet de clopes. Et il ne revient jamais. La femme est pourtant sûre qu'il reviendra. Une disparition sans préavis comme en font les romans ou les films à New York. Il y a quarante ans, le 1er novembre 1984, c'était le tour de Teddy Vrignault. Il allait avoir 56 ans le 22 novembre 1984. Il habitait à Montmartre avec son épouse Simone.

    Il a dit à sa femme : je vais chercher des clopes. Il a pris sa voiture, une 504 Peugeot de couleur dorée avec le toit noir, sans son carnet de chèque mais avec quelques billets de banque, et il est parti. On le cherche encore aujourd'hui. L'enquête n'a rien donnée. On n'a jamais retrouvé ni l'homme pourtant assez facilement identifiable (avec de belles moustaches) ni sa voiture. Par l'article 112 du code civil sur les disparitions, il a été considéré par l'État comme décédé le 1er novembre 2004, mais rien n'indique qu'il ne serait pas encore vivant aujourd'hui, auquel cas il aurait presque 96 ans. Sa femme n'avait rien remarqué d'anormal, si ce n'était que Teddy avait des problèmes d'argent, était déprimé et prenait des somnifères pour dormir.

    En France, il y a environ 50 000 à 60 000 personnes signalées disparues chaque année ; et chaque année, on retrouve entre 800 et 2 000 corps non identifiés. Certains, d'une famille de disparus, militent pour créer un fichier des empreintes ADN des cadavres anonymes à analyser systématiquement. En 2008, il y a eu 5 650 recherches administratives pour des disparitions présumées volontaires de personnes adultes (notre cas ici), et 2 456 (soit 44%) ont été découvertes après enquête, mais seulement la moitié de celles-ci ont accepté de communiquer leurs coordonnées. Je ne sais pas si l'année 2008 est statistiquement représentative d'une moyenne, et certainement pas de l'année 1984, mais cela signifie que Teddy Vrignault a fait partie de plusieurs milliers d'adultes qui se sont volatilisées a priori volontairement chaque année. Son cas, malheureusement, n'est donc pas très rare.

    Rappelons que la liberté de circulation implique aussi le liberté de disparaître (dès lors qu'on ne trouble l'ordre public et qu'on respecte la loi). Les enquêtes sont motivées par la légitimité de la détresse familiale, mais la procédure administrative de recherche dans l'intérêt des familles (datant de la
    Première Guerre mondiale et organisée selon la circulaire n°83-52 du 21 février 1983) a été abrogée par la circulaire du 26 avril 2013 en raison de la possibilité de faire des recherches, accessible à tous, grâce à l'Internet et aux réseaux sociaux.

    Enfin, si, un petit signe pourrait laisser entendre qu'il n'est hélas plus de ce monde. Un détective privé (un généalogiste) a retrouvé, sur le site Geneanet l'acte de décès (qu'on peut lire dans le fichier de l'INSEE) de Pierre Édouard Georges Vrignault (le vrai nom d'état-civil de Teddy Vrignault), correspondant à la bonne date de naissance, bon lieu de naissance, et qui serait décédé le 29 janvier 1999 à l'âge de 70 ans au 18
    e arrondissement de Paris. S'il s'agissait de la même personne, cela signifierait qu'elle serait restée dans la même ville (et dans le même arrondissement) pendant quatorze ans sans avoir été retrouvée, ce qui est difficile à imaginer car l'homme était une célébrité. C'est le journal "France Dimanche" qui a donné cette information le 17 avril 2020, malheureusement après le décès d'André Gaillard.
     

     
     


    Car il faut en effet rappeler qui est Teddy Vrignault à qui il faut absolument associer André Gaillard (1927-2019). Tous les deux étaient des humoristes. Ils s'étaient rencontrés par hasard au cours de leur service militaire en Allemagne, ils faisaient un spectacle ensemble mais n'étaient pas du même escadron. Après leur retour dans le civil, ils se sont perdus de vue (déjà) et se sont recroisés quelques années plus tard par hasard aux Champs-Élysées à Paris. Très vite, ils ont apprécié l'un chez l'autre l'humour sophistiqué, basé principalement sur des jeux de mots, sur la richesse du vocabulaire. Ils ont suivi des cours de théâtre et leur première représentation a eu lieu le 24 octobre 1953 dans un cabaret parisien. Ils étaient lancés.
     

     
     


    Avec un petit côté désuet, Teddy Vrignault, le grand chevelu à moustaches, André Gaillard, le chauve avec des rouflaquettes d'avant-guerre, ont formé un duo, les Frères ennemis, très connus dans les années 1960. Ils se sont produits de 1953 à 1984, pendant trente et une années, et en faisant rigoler un public bon enfant au cours de 750 sketchs différents (qui ont fait l'objet de publications livresques). Comme l'a rappelé Jérémy Gallet le 5 octobre 2019 sur le site Avoir-alire : « Des Frères Ennemis, duo comique injustement oublié, on retient les sketchs absurdes, qui lorgnent sur l’humour de Raymond Devos et Pierre Dac, avec des réparties débitées à la mitraillette, un art consommé du coq-à-l’âne et le contraste physique entre le chevelu Teddy Vrignault, brun ténébreux, sorte de mélange entre Claude Giraud et Lee Van Cleef, et André Gaillard, le dégarni, avec moustaches et rouflaquettes d’antan. Le binôme avait commencé, tel Richard et Lanoux, Darras et Noiret, par écumer les cabarets, dans les années 50, dont L’Écluse, lieu incontournable du rire, avant que le petit écran ne les rende populaires. ».
     

     
     


    Ils ont eu la chance de démarrer à Saint-Germain-des-Prés, un quartier parisien très encourageant pour les artistes. Ils ont aussi tourné dans plusieurs films, notamment de Jean Yanne et Pierre Richard, dans des seconds rôles, avec un humour qui n'a jamais été vulgaire et que certains (anciens) regrettent beaucoup. Cependant, les années 1970 ont vu leur succès décliner à cause de nouveaux modes de l'humour, plus audacieux, plus féroces (à l'instar de Coluche, Thierry Le Luron, Pierre Desproges et Michel Leeb, préférés des émissions de télévision).

    Quand Teddy Vrignault a disparu, les deux frères d'humour avaient encore un contrat pour des représentations en province toute l'année. Le site
    Wikipédia (qui ne semble se baser sur aucun indice sérieux) laisse entendre que c'est le désespoir d'une perte de succès qui lui aurait fait abandonner sa vie d'artiste pour retrouver l'anonymat, mais ce n'est pas très convainquant. En 2010 (ou 2011), André Gaillard, invité de Thierry Ardisson, a plutôt laissé entendre un problème avec son épouse (mais sans plus de conviction). Teddy était (à l'imparfait ?) quelqu'un de pas très tendre, très distant dans les relations personnelles, dur au contact, et ce ne devait peut-être pas être très facile avec sa femme. Il n'aurait peut-être pas osé lui dire en face qu'il voulait se séparer (mais partir sans rien dire est pour moi une forme très avancée de la goujaterie). Supputations de café du commerce. Le mystère restera.
     

     
     


    Toujours est-il qu'on n'a jamais eu de nouvelles par la suite. André Gaillard a tenté de continuer les sketchs à deux, notamment avec leur régisseuse Colette Duval (1930-1988), championne de saut en parachute et mannequin, avec qui ça a bien marché, aidés par Thierry Le Luron qui leur a proposé de se produire devant 4 000 spectateurs. Hélas, sa nouvelle partenaire est morte d'un cancer au bout de trois ans (le 22 mai 1988), ce qui a fait dire à un copain : c'est dur de travailler avec toi ! En 1993-1994, le seul Frère ennemi non disparu a trouvé un nouveau partenaire de réparties en la personne de Jean-Louis Blèze (1927-2012), cancre récurrent de "La Classe", l'émission présentée par Fabrice sur France 3, mais sans retrouver les heures glorieuses de son duo initial.

    André Gaillard a poursuivi sa carrière de comédien et d'humoriste, au cinéma, à la télévision, au théâtre et aussi chez Philippe Bouvard, aux "Grosses Têtes". Affecté jusqu'à sa mort par la disparition de son ami, au point d'aller chez Jacques Pradel, dans l'émission "Perdu de vue" dans les années 1990, sans succès, le dernier Frère ennemi, qui est mort le 30 septembre 2019 (à 91 ans et demi), a eu la satisfaction de voir ses deux filles Silvia et Valérie reprendre les sketchs paternels en 2010 sous le nom de Sœurs Z'ennemies. Quant à l'ami Teddy, il aura parfaitement réussi sa dernière (mauvaise) blague.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (26 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    Teddy Vrignault.
    Pierre Richard.
    François Truffaut.
    Roger Hanin.
    Daniel Prévost.
    Michel Blanc.
    Brigitte Bardot.
    Marcello Mastroianni.
    Jean Piat.
    Sophia Loren.
    Lauren Bacall.
    Micheline Presle.
    Sarah Bernhardt.
    Jacques Tati.
    Sandrine Bonnaire.
    Shailene Woodley.
    Gérard Jugnot.
    Marlène Jobert.
    Alfred Hitchcock.
    Les jeunes stars ont-elles le droit de vieillir ?
    Charlie Chaplin.










    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241101-teddy-vrignault.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/ou-est-donc-passe-teddy-vrignault-256593

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/25/article-sr-20241101-teddy-vrignault.html




     

  • Bernard Kouchner, un tiers-mondiste, deux tiers mondain

    « Je suis communiste et Rastignac. Paradoxe ? Détrompez-vous ; le mélange n'est pas détonnant. Il est même étonnamment efficace. Vous riez ? Je vous attends... » (Bernard Kouchner, en 1963).


     

     
     


    Le médiatique médecin Bernard Kouchner fête son 85e anniversaire ce vendredi 1er novembre 2024. Plus médiatique que médecin (gastro-entérologue). Il est aussi une personnalité politique qui a toujours ses entrées dans les médias et qui continue à exprimer ses positions politiques. L'une d'entre elles était le soutien aux États-Unis pour leur intervention militaire en Irak en 2003, une initiative inutile et surtout particulièrement meurtrière (entre 100 000 et 1 million de morts) à laquelle la France, heureusement, s'était vivement opposée.

    Mais comment le qualifier ? Il est un médecin d'abord, et il a fait partie des cofondateurs de Médecins sans frontières (MSF) en décembre 1971 et lorsque sa présence n'y était plus souhaitable en 1979, il a cocréé Médecins du monde en mars 1980. Le désaccord entre MSF et Bernard Kouchner portait sur sa volonté de faire une opération Un bateau pour le Vietnam, l'idée était d'envoyer des médecins et des journalistes pour alerter sur les droits de l'homme au Vietnam. Déjà, l'écho médiatique prenait le pas sur les soins.

    Parmi les présidents de MSF, on peut citer Bernard Kouchner de 1976 à 1977,
    Claude Malhuret de 1978 à 1980, Xavier Emmanuelli en 1982 et Rony Brauman de 1982 à 1994 (les trois premiers ont été par la suite ministres). On pourrait dire que Bernard Kouchner était un agitateur politique, un médecin et un agitateur politique. Déjà étudiant, il militait au sein de l'UEC, le syndicat étudiant communiste (il y a écrit dans un périodique qui lui a fait rencontrer des auteurs comme Claude Roy, Jacques Monod et Louis Aragon), puis a été par la suite alternativement socialiste ou radical de gauche selon l'opportunité du moment. Car agitateur, oui, mais avant tout opportuniste.

    Il faut aussi regarder sa famille, et sa jeunesse, pour tenter de mieux le cerner. Du côté paternel, une origine lettone juive ; du côté maternel, une origine protestante. Les grand-parents paternels de Bernard Kouchner sont morts assassinés dans le
    camp d'Auschwitz après avoir été arrêtés et déportés (convoi n°76 du 30 juin 1944). Quand on a 5 ans, ça marque, évidemment.

    Dans le cadre de ses activités militantes communistes, Bernard Kouchner est parti visiter Cuba en 1964 (il avait alors 24 ans). Il y a rencontré sa future femme Évelyne Pisier (la grande sœur de Marie-France Pisier) qui était alors en cours d'une relation avec...
    Fidel Castro lui-même ! Bernard Kouchner et Évelyne Pisier se sont mariés en 1970 et ont divorcé en 1984, après avoir fait trois enfants. Évelyne Pisier, qui n'en pouvait plus des missions humanitaires lointaines et dangereuses de son mari, a refait sa vie avec le politologue Olivier Duhamel alors que Bernard Kouchner l'a refaite avec la journaliste Christine Ockrent. Ces derniers étaient encore jeunes, très ambitieux, et prêts à beaucoup de sacrifices.

    On peut être foudroyé par la différence de personnalité entre
    Hubert Curien et Bernard Kouchner (mais pourquoi donc ai-je la sottise de faire une telle comparaison ?!) : le premier voulait agir, construire, bâtir, et il se moquait bien du service après-vente médiatique, tant que ça agissait, construisait et bâtissait. Bernard Kouchner, c'est le contraire, à l'école de BHL. Hubert Curien laissait volontiers la paternité de projets réussis à d'autres alors qu'il en était le vrai père, tandis que d'autres préfèrent au contraire s'attribuer les mérites de leur inaction et de l'action des autres. Refaire l'histoire.

    Soyons honnêtes : agiter les médias a des avantages pour sensibiliser les gens, au risque de les émouvoir, et surtout, influencer les décideurs politiques. Cela a donc son utilité mais un peu comme celle de l'ARC de Jacques Crozemarie : une bonne cause, une mauvaise conséquence.

    Bernard Kouchner a fait un grand nombre de voyages plus ou moins utiles, entre voyages humanitaires et voyages politiques, il a même défendu le principe du devoir d'ingérence, un principe qui pourrait être déconstructeur du droit international et qu'il faut manier avec précaution. Intervenir militairement conduit toujours à des drames.

    Et tout pour sa bobine : il a souvent été ministre, ou sous-ministre, et pas le moins voyant des gouvernements qu'il a honorés de sa présence, ceux de
    Michel Rocard, Édith Cresson, Pierre Bérégovoy, Lionel Jospin ! C'était une sorte de carte inoxydable de la gauche au pouvoir, celle de François Mitterrand et celle de Lionel Jospin. Bernard Kouchner a été nommé Secrétaire d'État chargé de l'Insertion sociale du 13 mai 1988 au 28 juin 1988, puis chargé de l'Action humanitaire du 28 juin 1988 au 4 avril 1992, Ministre de la Santé et de l'Action humanitaire du 4 avril 1992 au 30 mars 1993, Secrétaire d'État chargé de la Santé du 4 juin 1997 au 28 juillet 1999, puis Ministre de la Santé du 6 février 2001 au 7 mai 2002.

    Enfin, le bâton de maréchal, la meilleure pioche de l'ouverture selon le nouveau Président
    Nicolas Sarkozy : Bernard Kouchner est devenu Ministre des Affaires étrangères et de l'Europe du 18 mai 2007 au 13 novembre 2010, dans les deux premiers gouvernements de François Fillon ! Une surprise qui a fait dire à Patrick Devedjian que ce serait bien d'élargir l'ouverture sarkozyenne... aux sarkozystes ! Il était en concurrence avec Hubert Védrine. Sa nomination au Quai d'Orsay l'a définitivement banni des cercles socialistes. Et pourtant, à part sa communication, il ne maîtrisait rien, c'était l'Élysée qui tirait toutes les ficelles. Par orgueil, il n'a jamais claqué la porte.

     
     


    Il comptait convaincre ses anciens amis de gauche dans un tribune publiée le 20 mai 2007 dans "Le Monde" : « En près de quarante ans d'action humanitaire et de batailles politiques pour les Droits de l'Homme, nous avons fait bouger le monde dans les domaines de la diplomatie, de la santé ou de la protection des minorités. (…) La politique extérieure de notre pays n'est ni de droite ni de gauche. Elle défend les intérêts de la France dans un monde qui se réinvente chaque jour. Elle doit être déterminée et novatrice. (…) Je sais que certains de mes amis me reprochent ce nouvel engagement. À ceux-là, je réclame crédit : mes idées et ma volonté restent les mêmes. S'ils me prennent un jour en flagrant délit de renoncement, je leur demande de me réveiller. Je garantis que ce temps n'est pas venu. N'ayons pas peur de l'avenir ; regardons au-delà des cloisons partisanes. ». À ma connaissance, personne n'a tenté de réveiller le ministre parce que personne ne s'y intéressait.

    Nicolas Sarkozy était heureux de ce débauchage, et pourtant, il n'y avait aucun mérite, le ministre était arriviste et opportuniste, c'était facile de le débaucher. C'est comme si
    Michel Barnier avait demandé à Ségolène Royal ou à Manuel Valls de faire partie de son gouvernement il y a quelques semaines, il aurait été sûr de leur réponse positive. Mais dans quel but ? Ils ne représentent politiquement plus rien. C'était le cas aussi de Bernard Kouchner qui n'a jamais été élu sur son nom ; à de nombreux moments, aux élections législatives voire municipales, on évoquait son parachutage, dans le Nord, en Lorraine, dans le Dauphiné, dans les Bouches-du-Rhône, un peu partout en France pour conquérir une circonscription ou une mairie (mais ce fut chaque fois soit un acte manqué soit un échec cinglant). Le seul mandat qu'il a eu, c'est quand il est devenu socialiste pour être sur la liste du PS aux élections européennes de 1994, ainsi bombardé au Parlement Européen de juin 1994 à juin 1997, date de sa renomination au gouvernement. En tout, il a été plus de onze ans au gouvernement, et faites le compte, peu de personnalités politiques chevronnées peuvent s'enorgueillir d'une telle longévité ministérielle !

    Il faut se rappeler l'année 2007 : Bernard Kouchner, après avoir espéré devenir le candidat de la gauche, puis soutenu Ségolène Royal, a appelé à faire une alliance avec
    François Bayrou dans le "Journal du dimanche" du 15 avril 2007, peu avant le premier tour de l'élection présidentielle, et après l'élection présidentielle, il se retrouvait ministre important... du troisième larron, le rival et vainqueur des deux premiers ! C'est même plus que cela puisque, dans la foulée, a été nommé aussi au gouvernement son ancien directeur de cabinet de l'époque où il était Ministre de la Santé, Emmanuel Hirsch, Haut commissaire aux Solidarités actives et à la Jeunesse jusqu'au 22 mars 2010.

    Le ministre multirécidiviste a eu aussi beaucoup de responsabilités internationales, celle de Représentant spécial du Secrétaire Général de l'ONU au Kosovo de juillet 1999 à janvier 2001 (entre deux missions gouvernementales), celle de Représentant de l'Union Européenne sur le Sri Lanka en août 2005, etc. On parlait aussi de lui pour remplacer le Haut représentant de l'ONU pour la reconstruction de Haïti en janvier 2011. Il s'ennuyait et a flanché en créant son propre cabinet de conseil, apparemment très juteux selon certaines investigations journalistiques.

    Bernard Kouchner est un touche-à-tout : il est capable d'inspirer des séries télévisées comme "Médecins de nuit" (diffusée en 1978 sur Antenne 2), de publier des dizaines de livres plus ou moins fouillés, d'intervenir partout dans le monde sur de nombreuses causes plus ou moins bien comprises. On lui a reproché de s'être fait beaucoup d'argent avec des activités de conseil auprès de chefs d'État africains, ou de grands groupes, etc. Il a soutenu
    Roman Polanski lorsqu'il était décrié, il a probablement été accusé de mille et unes choses car il énerve autant qu'il laisse croire qu'il agit... Si on regarde d'un œil discret sa notice sur Wikipédia, on s'étonne de tant d'affaires, tant de choses dans lesquelles il s'est impliqué, et chaque initiative pourrait faire l'objet d'un chapitre détaillé.

    Capable même de lucidité tout en se mettant lui-même en scène, comme en 1987 lorsqu'il racontait ses voyages humanitaires (entre autres pour les
    enfants du Biafra) : « Bien des fois, au Kurdistan, au Liban, j'ai éprouvé cet étrange sentiment qui pousse à aller jusqu'au bout de l'aventure, à courir les plus grands risques, à goûter le délicieux frisson du danger, à frôler le grand saut. Des années après, j'ai saisi que l'aide humanitaire, j'en faisais d'abord pour moi-même... ».
     

     
     


    Il devrait savoir qu'affichage médiatique et prospérité pourraient faire mauvais ménage car cela suscite de la jalousie. Cet affichage médiatique était pourtant indispensable pour cultiver une belle cote de popularité dans les sondages, ce qui aguichait les dirigeants politiques de gauche et, aussi, de droite. Mais il y a beaucoup de choses étranges dans sa carrière, ou gênante, entre autres la nomination de Christine Ockrent, dont la compétence journalistique n'a jamais été remise en cause, comme directrice générale de RFI alors que son compagnon était Ministre des Affaires étrangères, le ministère de tutelle de la station de radio. On a connu des couples moins imbriqués.

    Je me restreindrai à trois faits, un positif et deux très négatifs pour lui.

    Parlons d'abord du positif qui montre que malgré l'agitation égotique, il y a aussi des convictions. À la Santé sous Lionel Jospin, il a fait adopter une loi importante, la loi n°2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. C'est à mon sens ce qu'il a fait de mieux de sa carrière politique. Cette loi introduit le concept juridique de droit des malades avec notamment le droit des malades à accéder à leur dossier médical. Elle impose que l'acte médical ou le traitement soient faits avec un consentement libre et éclairé du patient, ce qui signifie la fin de l'acharnement thérapeutique. Elle oblige aussi les médecins à déclarer tous les liens d'intérêt avec des groupes pharmaceutiques ou autre. C'est dans la lancée de cette loi qu'ont été par la suite adoptées la
    loi Leonetti (loi n°2005-370 du 22 avril 2005) et la loi Claeys-Leonetti (loi n°2016-87 du 2 février 2016) sur la fin de vie. Auparavant, Bernard Kouchner avait fait adopter une première loi, la loi n°99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit d'accès aux soins palliatifs qui était aussi une forte avancée dans l'accompagnement de la fin de vie (même si l'essentiel est d'abord d'ordre budgétaire afin de permettre à tous les patients qui en ont besoin d'en bénéficier).

    Passons maintenant à deux sujets qui ont de quoi écœurer. Deux dates.

     

     
     


    J'aurais pu donner comme titre ici : Le docteur sac de riz ! En effet, la première date est le 5 décembre 1992, sur une plage, à côté du port de Mogadiscio, la capitale de la Somalie. Bernard Kouchner s'est fait photographier en train de porter des sacs de riz pour les enfants affamés de Somalie, victimes de la guerre civile (qui faisait rage depuis la chute du dictateur communiste Mohamed Siad Barre au pouvoir du 21 octobre 1969 au 26 janvier 1991). Ce qui était gênant, c'est que le gentil ministre médecin a refait plusieurs fois le trajet avec le même sac de riz, pour faire la meilleure prise devant les caméras. Il se moquait des enfants et c'était sa trombine qui importait. Il aurait beau dire qu'il faut de la promotion médiatique pour émouvoir le chaland, l'opération était là beaucoup trop visible pour être sincère.

    À l'origine, il avait fait une campagne de publicité assez formidable avec son collègue de l'Éducation nationale,
    Jack Lang, pour proposer aux écoliers d'apporter chacun un paquet de riz (un kilogramme) à sa classe le 20 octobre 1992. Formidable car très efficace. En tout, 9 300 tonnes de riz ont été collectées, et acheminées gratuitement par La Poste et la SNCF au port de Marseille où deux gros cargos les attendaient. Où est passé le riz ? Dans les pellicules photos ? Ce qui est sûr, c'est qu'apporter du riz n'apporte pas grand-chose aux enfants (surtout quand c'est du riz très hétérogène avec des durées de cuisson différentes) car c'est leur enlever la cause de la famine qui est le plus nécessaire. Cela n'empêche qu'aider à nourrir des populations affamées a pu les aider à très court terme. Mais c'est aussi l'idée d'avoir bonne conscience à bon compte qui est assez gênante et malsaine. Mais c'est la mécanique de tous les dons caritatifs, de ceux qui n'ont fait que signer un chèque, sans s'investir eux-mêmes sur le terrain. La motivation de Bernard Kouchner était peut-être sincère, sans doute sincère. Mais ce qu'il en a fait était franchement limite. Les humoristes ont rapidement utilisé cette image à fin comique. Les Inconnus, par exemple, au détour d'un sketch (à 3:53 dans la vidéo) et aussi Les Guignols de l'Info.





    Bernard Kouchner avait senti la gravité de la situation avec les effets cumulés de la guerre civile, de la sécheresse, de la destruction de grandes infrastructures rendant impossibles les secours, etc. Il voulait l'intervention militaire de la France dans le cadre de l'ONU pour répondre aux urgences humanitaires, mais son collègue de la Défense
    Pierre Joxe ne voulait absolument pas engager la France dans ce conflit. Finalement, après l'échec de cette opération sac de riz, l'armée américaine est intervenue, sous l'égide de l'ONU : 1 800 marines US ont débarqué sur les côtes somaliennes le 10 décembre 1992 sous les yeux de nombreux journalistes venus par anticipation, car prévenus. C'est la première application du droit d'ingérence humanitaire que prônait Bernard Kouchner. Au début de 1993, cette opération appelée Restore Hope a fait participer 28 870 soldats de l'ONU dont 20 515 soldats américains et 2 454 soldats français. Les casques bleus sont repartis complètement le 2 mars 1995 (les soldats américains ont quitté la Somalie le mars 1994). Sans avoir vraiment stabilisé politiquement la région.
     

     
     


    L'autre date est encore plus grave, car cela a impacté sur la vie de ses enfants. C'est le 7 janvier 2021 qu'est sorti le livre de Camille Kouchner, "La Familia grande". Ce fut un coup de tonnerre. Camille est née en 1975, elle est jumelle avec Antoine, et ce sont les deux derniers des trois enfants que Bernard a eus avec Évelyne qui s'en est totalement occupée. Camille a attendu la mort de leur mère, le 9 février 2017 (des suites d'un cancer) pour rendre public ce qui l'a traumatisé pendant trente ans : lors des étés festoyant dans la propriété familiale du Var, où le tout Paris socialiste et bobo se montrait, Camille a été témoin du viol par inceste de son frère avec le beau-père Olivier Duhamel (qui n'a jamais démenti les faits). Ce dernier imposait à la fratrie le silence par le chantage affectif : leur mère aurait des tendances suicidaires (dont les parents venaient de se suicider) et il fallait la ménager.

    Je ne veux ici pas trop insister sur cette histoire glauque (je pourrai éventuellement revenir sur le livre de Camille très bien écrit), sinon pour faire un parallèle. Bien entendu, enfin, sauf autres révélations, Bernard Kouchner n'a commis rien de grave et ce qu'on pourrait lui reprocher, du moins, pas le "on" mais ses enfants, c'est de ne pas s'en être occupé, de les avoir laissés dans leur adolescence seuls avec leur mère et surtout, le beau-père, le prédateur, et cela surtout pour des considérations de carriérisme. Mais ce qu'on pourrait lui reprocher, justement, de ne rien avoir vu, de ne pas avoir su écouter les traumatismes, les drames qui se nouaient, c'est en fin de compte un peu ce qu'on a reproché à certains évêques français qui ont passé sous silence les agressions sexuelles voire les viols commis par certains prêtres de leur diocèse. Cette passivité, cette indifférence, cette inaction, ce silence sont, en eux-mêmes, une source de scandale. Bernard Kouchner n'était pas le seul au courant, tout le petit monde autour d'eux, au fil du temps, l'a été, et rien n'a filtré. Mais quand même, lui, c'était le père de la victime, pas une simple connaissance vaguement concernée ! Qu'est-ce que vous, lecteurs, vous feriez si votre enfant de 13 ans était violé par le nouveau mari de votre ancienne femme ?

    Maintenant, à 85 ans, le French doctor reste toujours présent dans les médias, , même si ses idées sont parfois un peu confuses. Exemple sur Radio J le 20 octobre 2024 ; il s'est aussi exprimé plus récemment sur d'autres chaînes de télévision. Il ne peut pas s'en empêcher. Alors que son petit intérêt serait aujourd'hui de se faire plus discret, de se faire oublier. Ce carriérisme, pourquoi faire, on aurait tendance à dire ? Ou plutôt, tant d'énergie dissipée pour si peu ? Si peu de résultats. Durant la semaine du 5 novembre 2018, Bernard Kouchner était l'invité de l'émission "À voix nue" produite par Annelise Signoret et Martin Quenehen sur France Culture. L'émission commence ainsi : « "Tout bien considéré, il y a deux sortes d’hommes dans le monde : ceux qui restent chez eux et les autres", écrivait Kipling. Et Bernard Kouchner a (tôt) choisi à quelle catégorie il appartenait, pour devenir aventurier de l'humanitaire, du droit d'ingérence et de la politique… ». Il a toujours choisi d'être en dehors. Tant pis pour les enfants...


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (26 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Christine Ockrent.
    Bernard Kouchner.
    Quai d'Orsay.
    Jean-Yves Le Drian.
    Jean-Marc Ayrault.
    Laurent Fabius.
    Alain Juppé.
    Michèle Alliot-Marie.
    Philippe Douste-Blazy.
    Michel Barnier.
    Dominique de Villepin.
    Hubert Védrine.
    Roland Dumas.
    Claude Cheysson.
    Jean François-Poncet.
    Michel Jobert.
    Maurice Schumann.
    Michel Debré.
    Maurice Couve de Murville.
    René Pleven.
    Antoine Pinay.
    Edgar Faure.
    Pierre Mendès France.
    Georges Bidault.
    Robert Schuman.
    Léon Blum.
    Édouard Daladier.
    Joseph Paul-Boncour.
    Pierre Laval.
    Édouard Herriot.
    André Tardieu.
    Aristide Briand.
    Raymond Poincaré.
    Alexandre Millerand.
    Jules Ferry.
    Léon Gambetta.
    François Guizot.
    Adolphe Thiers.
     

     
     










    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241101-bernard-kouchner.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/bernard-kouchner-un-tiers-mondiste-256543

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/26/article-sr-20241101-bernard-kouchner.html



     

  • Hubert Curien, le père de l'Europe de la Science

    « Michel Barnier [alors Ministre des Affaires étrangères] aurait souhaité se trouver parmi nous aujourd’hui, il m’a chargée de vous transmettre à vous, Madame, et à ceux ici rassemblés, les marques de son plus profond respect pour la personnalité et l’œuvre du Professeur Curien. » (Claudie Haigneré à Anne Perrine Dumézil-Curien, le 14 mars 2005 à Paris).


     

     
     


    Le père de l'Europe spatiale, c'est ainsi qu'on le qualifie en général et avec raison. Mais ce serait encore plus complet de l'appeler le père de l'Europe de la Science. En somme, un Père de l'Europe ! Le physicien Hubert Curien est né il y a 100 ans, le 30 octobre 1924 dans la commune vosgienne de Cornimont. Hubert Curien était ce que j'appellerais un grand administrateur de la recherche française et européenne, tout en étant un mandarin de l'université, et la gauche au pouvoir en a fait aussi un homme politique. C'est donc une trajectoire hors du commun qu'a suivie Hubert Curien. Avec ses sourcils très broussailleux et très pompidoliens, sa voix très grave mais bienveillante, Hubert Curien était ce qu'on aurait pu aussi appeler un capitaine de recherche, comme on parle de capitaine d'industrie. Un grand commis de la recherche.

    Mais avant d'avoir été un scientifique, Hubert Curien a été un résistant. À l'âge de 19 ans, quittant ses études parisiennes, il a rejoint le maquis de la Piquante Pierre, dans les Vosges, près de La Bresse et pas loin de sa ville natale. En 1945, il a intégré l'École normale supérieur et en est ressorti agrégé de physique. Il a également soutenu une thèse de doctorat en physique spécialisée en cristallographie (l'étude de la structure de la matière). À 28 ans, sa thèse d'État portait sur « l'étude des ondes élastiques et de la diffusion thermique des rayons X dans un réseau cubique centré : application au fer alpha ». Ses travaux de recherche ont commencé au sein du laboratoire de minéralogie de Jean Wiart, il a étudié l'effet Compton, les défauts des cristaux par irradiation, etc. Il a étudié et déterminé des structures de minéraux complexes, a découvert une nouvelle forme cristallographique du gallium, a étudié aussi des matériaux biologiques, etc. et même la curiénite, un minérau baptisé de son nom (pas par lui !) qu'il avait découvert au Gabon.

    À la fin des années 1940, il a épousé Anne Perrine, astrophysicienne et fille du grand linguiste et académicien Georges Dumézil chez qui il se rendait souvent à Vernon pour suivre le programme spatial dans les années 1970. Anne Perrin Dumézil-Curien est morte cette année 2024, à l'âge de 98 ans. Ils ont eu trois enfants, Nicolas Curien, polytechnicien et docteur en mathématiques appliquées, membre de l'Académie de la Technologie, professeur au CNAM (Centre national des arts et métiers), ancien membre du CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel) de 2015 à 2021 (il a présidé le CSA par intérim quelques semaines au printemps 2018), Christophe Curien, artiste peintre, et Pierre-Louis Curien, mathématicien, directeur de recherches au CNRS et spécialisé en informatique théorique. Hubert Curien était en outre le petit frère de l'ambassadeur Gilles Curien, membre voire directeur de plusieurs cabinets ministériels dans les années 1960.

    Maître de conférences de minéralogie-cristallographie à la faculté des sciences de Paris en 1953, à 28 ans, puis professeur des universités à la future Université Pierre-et-Marie-Curie Paris-6 en 1958 à 33 ans (ce qui est très jeune), il a enseigné aussi à l'École normale supérieure, Hubert Curien a intégré également le CNRS (Centre national de la recherche scientifique) en 1966 à un haut niveau puisqu'il a été bombardé (jeune) premier directeur scientifique du département science physique et mathématiques (le titre était directeur scientifique pour la physique au CNRS).

    À partir de ce moment-là, Hubert Curien a travaillé moins sur les paillasses et plus derrière un bureau classique de manager avec des responsabilités administratives et organisationnelles très larges et nombreuses. Ainsi, il est devenu directeur général du CNRS de 1969 à 1973, puis Délégué général à la recherche scientifique et technique de 1973 à 1976.

    Le CNES (Centre national d'études spatiales) était alors en pleine crise existentielle. Hubert Curien a été alors nommé président du CNES de 1976 à 1984 pour redresser cet organisme de recherche, redonner de la motivation aux chercheurs et préparer le premier vol de la fusée Ariane le 24 décembre 1979, nommé en outre président du conseil d'administration du Palais de la Découverte de 1977 à 1984. Il est nommé dans sa lancée premier président de l'Agence spatiale européenne (ESA) de 1979 à 1984, et aussi premier président de l'Association des musées et centres de culture scientifique et industrielle en 1982. Il fut également le président du CERN de 1994 à 1996, président de l'Académie des sciences de 2001 à 2003 (membre élu le 8 novembre 1993 dans la section de sciences de l'univers), directeur de l'École supérieure Chimie Physique Électronique de Lyon (CPE Lyon) de 1993 à 2005, et président de la Fondation de France de 1998 à 2000.

    C'est son action au sein du CNES qui a été probablement la plus importante pour la recherche française (et européenne) en lançant le programme Ariane, en créant Arianespace, la société de commercialisation d'Ariane, en lançant aussi la mission de Jean-Loup Chrétien, premier spationaute français, en lançant le programme SPOT (satellites de télédétection français civils d'observation de la Terre), ainsi qu'en lançant les participation françaises aux projets de l'ESA qu'il a créée et présidée. C'est la raison pour laquelle on l'a souvent qualifié de père de l'Europe spatiale qui n'a plus grand-chose à voir avec sa spécialité d'origine, la cristallographie. Il était en quelque sorte un grand ordonnateur de la recherche française et européenne, tant dans le domaine physique (au CNRS) que spatial (au CNES, à l'ESA, etc.).
     

     
     


    En été 1984, la venue de Laurent Fabius à Matignon a précipité la carrière d'Hubert Curien appelé à siéger au gouvernement : il fut nommé Ministre de la Recherche et de la Technologie du 19 juillet 1984 au 20 mars 1986, puis, après la réélection de François Mitterrand, renommé au même ministère du 12 mai 1988 au 29 mars 1993 dans les gouvernements de Michel Rocard, Édith Cresson et Pierre Bérégovoy. Loin de prendre cela comme un honneur, ce fut pour lui une aubaine pour faire avancer de nombreuses idées et intuitions.

    À ce poste, sa principale action a été de mettre la science à disposition du peuple, la rendre accessible à l'ensemble des gens, ce qui est difficile car la science étudie souvent des choses complexes. Son idée de génie a été d'organiser en mai 1991 une journée portes ouvertes de son ministère à l'occasion du dixième anniversaire de sa création, ce qui est devenu très rapidement la Fête de la Science dès l'année suivante, en juin 1992 et qui, chaque année, fait rencontrer les chercheurs avec les citoyens, chaque chercheur ouvrant son laboratoire et montrant son travail aux gens, en leur donnant les enjeux, les objectifs, les applications.

    Cette manifestation scientifique et culturelle, qui a le rôle de propagateur de la science, a lieu désormais en octobre de chaque année et est très suivie des chercheurs, ravis d'exposer leurs travaux aux profanes (d'autant plus qu'en France, les sciences dures jouissent d'un très faible intérêt médiatique, à part quelques excellents documentaires sur Arte ; il y a beaucoup trop peu d'attrait des journalistes pour les sciences, disciplines jugées trop compliquées et pas assez sexy). C'est bien pour les citoyens qui peuvent comprendre un peu mieux l'époque technologique dans laquelle nous vivons, et ses perspectives, mais aussi pour les chercheurs eux-mêmes qui doivent synthétiser, vulgariser, résumer leurs travaux dans un travail pédagogique très utile également pour la science (dans la mise en forme des connaissances).

    D'un côté, il y a des scientifiques, beaucoup trop rares, qui font de la vulgarisation scientifique et qui ont acquis un peu de notoriété médiatique (Hubert Reeves, par exemple), et de l'autre côté, il y a des structures, c'était le rôle d'Hubert Curien, qui a joué surtout sur les structures, qui a été un grand organisateur de la recherche scientifique et de son accessibilité aux profanes.

    La conclusion d'une étude sur le personnel dirigeant du CNRS entre 1937 et 1966 réalisée par l'historien Christophe Charle, de l'Institut d'histoire moderne et contemporaine du CNRS), publiée par les "Cahiers pour l'histoire du CNRS" en 1989 est intéressante dans son contraste : « L'étude du personnel dirigeant du CNRS permet de voir la naissance progressive d'un nouveau type d'élite, issue de l'Université scientifique mais de plus en plus distincte d'elle, dans la mesure où l'accès aux responsabilités administratives se fait de plus en plus tôt. Les initiateurs de l'institution, dreyfusards et socialistes hostiles à l'État napoléonien seraient certainement surpris du résultat historique de leur entreprise : accumulation de niveaux écrans au sein de la hiérarchie universitaire, groupes de pression, etc. La république de la science dont ils rêvaient tend ainsi à nourrir des oligarchies qui se neutralisent ou à devenir un nouvel enjeu de pouvoir pour des élites extérieures. ».

    Hubert Curien est mort le 6 février 2005 à l'âge de 80 ans. Depuis cette date, il est honoré par de nombreux organismes ou lieux qui ont pris son nom, des collèges, des écoles, des rues, des laboratoires, etc. Sa mémoire reste vivante. Le site de l'Académie des sciences lui a rendu hommage en février 2005 par ces quelques phrases : « Les qualités unanimement reconnues de ce très grand serviteur de l'État, sa clarté, sa précision, alliées à son écoute et à sa bienveillance, ont fait de lui non seulement un professeur exceptionnel et un modèle pour tous ses étudiants, mais également un scientifique, un collaborateur, un homme aimé, estimé, respecté de tous. ».
     

     
     


    Une grande cérémonie a été organisée en son honneur le 14 mars 2005 à la Maison de la Chimie à Paris sous l'égide de l'Académie des sciences : scientifiques et politiques se sont succédé pour évoquer la personnalité attachantes d'Hubert Curien, en particulier Claude Allègre (membre de l'Académie des sciences et ancien Ministre de l'Éducation nationale), Claudie Haigneré (spationaute et Ministre déléguée aux Affaires européennes), Philippe Busquin (ancien Commissaire européen pour la Recherche), Laurent Fabius (ancien Premier Ministre), François Loos (Ministre délégué au Commerce extérieur), Christophe Desprez (ancien dircab d'Hubert Curien), Anne Lauvergeon (présidente d'Areva et surtout, ancienne Secrétaire Générale adjointe de l'Élysée), Édouard Brézin (président de l'Académie des sciences) et François d'Aubert (Ministre délégué à la Recherche). En tout, quinze personnalités se sont exprimées pendant cette après-midi d'hommages.

    Petits extraits d'hommage à Hubert Curien durant cette journée-là.

    Claude Allègre : « Je connaissais Hubert Curien depuis quarante-cinq ans. Il fut mon professeur de cristallographie à la faculté des sciences et je me souviens qu’il nous enseignait l’usage des rayons X et des neutrons pour déterminer les structures des cristaux. C’était un professeur lumineux. (…) Quelques années plus tard, alors que nous commencions à mettre en place le premier enseignement de géochimie à Paris, au niveau du troisième cycle, nous étions quatre jeunes scientifiques et nous n’avions pas encore terminé notre thèse d’État, Hubert Curien avec René Dars, Jacques Faucherre et Yves Rocard avec qui il gardait des liens d’amitié anciens, nous donna son patronage administratif pour créer un laboratoire dans une usine désaffectée (l’Université de Jussieu n’était pas construite) et un enseignement de 3e cycle dans lequel il enseigna la thermodynamique pour géologues. Je me souviens d’Hubert Curien participant à une excursion en Galice où il surprit tout le monde par ses connaissances géologiques et ses questions judicieuses, montrant qu’il appréciait les problèmes tectoniques pourtant bien éloignés de la minéralogie. Tout naturellement, il fut le rapporteur de ma thèse d’état car il y avait peu de monde qui s’intéressait de manière compétente alors à l’utilisation des isotopes en Sciences de la Terre. (…) Et puis, comme on le sait, il commença alors une carrière dans l’administration de la science qui allait être brillante. (…) Au risque de dévoiler quelques secrets, je crois que ce choix a résulté de deux circonstances. D’une part, il voyait l’émergence de la physique du solide que développaient en France ses amis Pierre Aigrain et Jacques Friedel vers laquelle il aurait voulu engager plus nettement le laboratoire de cristallographie et minéralogie de Paris, mais il sentait des résistances internes et non des moindres. D’autre part, Pierre Jacquinot, en réponse à une menace de dissolution du CNRS, avait créé des Directions scientifiques et réorganisé l’organisme. Il avait proposé la Direction de la physique à Hubert Curien. C’était une opportunité exaltante, reconstruire le CNRS, qu’il ne pouvait refuser dans une période de crise pour la recherche française. ».

    Claudie Haigneré : « Je ne peux manquer de vous dire quelques mots sur les circonstances qui m'ont amenée à rencontrer Hubert Curien à de très nombreuses reprises pour l'espace, l'Europe, la Russie, la recherche et je dirais plutôt la Science. Hubert Curien et l’espace, c’est d’abord l’histoire d’une rencontre passionnée. L’espace a probablement donné à Hubert Curien quelques-unes de ses plus grandes satisfactions professionnelles, ainsi que ses soucis les plus tenaces. Il n’était pas possible de le rencontrer, qu’il soit Ministre, Président de l’Académie des sciences, ou simple citoyen, sans que la conversation vienne sur le spatial et qu’il vous fasse part de ses soucis sur cette Ariane qui, décidément, aura pris beaucoup de place dans sa vie. (…) L'Europe, une autre grande affaire pour Hubert Curien. Vous comprendrez que j’y sois particulièrement sensible et que je commence par là. Avant d’être ministre, ses responsabilités de président du CNES l’avaient conduit à prendre la présidence du Conseil de l’Agence Spatiale Européenne. En tant que Ministre chargé de l’espace, il vécut deux Conseils ministériels de l’ESA : à Rome en 1985, et à Grenade en 1992. Nous savons tous, et Jean-Marie Luton le premier, qui en a été si proche et avec lequel il avait une relation privilégiée, que sa priorité absolue dans chacune de ces occasions consistait à préserver la dynamique européenne, à éviter que les divergences d’appréciations entre pays ne l’emportent sur la nécessité d’une œuvre commune, quand bien même cette œuvre commune ne répondrait que partiellement aux souhaits purement français, comme ce fut le cas avec les décisions si difficiles à prendre sur Hermès. Au sein de l’Europe, c’est bien sûr à la qualité du dialogue franco-allemand qu’il était le plus sensible, et il a, directement et personnellement, beaucoup œuvré pour que soient pris en compte les points de vue et contraintes réelles de l’Allemagne nouvellement réunifiée dans les décisions spatiales de l’Europe. Si l’ESA porte aujourd’hui encore l’ambition spatiale de l’Europe, elle le doit en particulier à Hubert Curien qui l’a aidée à traverser la période de grande difficulté qui a suivi la réunification allemande et qui coïncidait, d’une part avec de sérieuses contraintes budgétaires en Allemagne, et d’autre part avec une dangereuse accumulation de programmes spatiaux européens demandant des moyens quasi-impossibles à mobiliser. ».

    Philippe Busquin : « Dans un article paru il y a quelques années, intitulé "Hubert Curien et l'Europe des chercheurs", l'ancien directeur général de la Commission Européenne, Paolo Fasella disait que Hubert Curien a joué un rôle clef dans la plupart des initiatives de coopérations scientifiques européennes prises ces dernières années. Hubert Curien, lui-même, faisait remarquer dans un article paru dans "La Recherche" à l'époque, que "construire pour l'Europe des programmes de recherche et rassembler l'Europe des chercheurs sont deux démarches qui doivent aller de pair en parfaite harmonie". Et cela reste d'une brûlante actualité. Comment concilier la dimension humaine des chercheurs à l'échelle européenne, élargie d'ailleurs, et cette conception de travailler ensemble dans un avenir commun ? Hubert Curien a été de tous les rendez-vous. (…) Et des initiatives, il y en a eu dès les années 80. En fait, l'histoire de la recherche européenne date des années 80 avec les premiers programmes-cadres et Hubert Curien était déjà un des six fondateurs du programme "Esprit" qui a joué un rôle essentiel à l'époque pour redonner à l'Europe une dimension dans la société de l'information. Il était avec le commissaire Davignon, Ilya Prigogine et quatre autres personnes à la base du programme "Esprit", qui a d'ailleurs été continué par un programme qui s'appelait "Brain" et qui a permis de donner des avancées dans l'Europe dans ce domaine. Il a été comme on l'a dit fondateur de la Fondation Européenne de la Science, premier Président de cette fondation, qui a joué aussi un rôle très important dans la mise en commun des capacités des chercheurs européens. Mais il n'a jamais négligé non plus le rôle de l'industrie. Je pense qu'il faut rappeler qu'il y avait les programmes "Brite Euram" qui ont été des programmes dans les années 80 qui ont permis d'associer à l'échelle européenne l'industrie et les milieux de la recherche. Et de la même manière, vous le savez comme moi, il a été un peu aussi à la base du programme "Eureka" qui vise aussi à donner à l'Europe des structures industrielles plus novatrices, plus liées à une recherche et à une innovation. Mais il n'a jamais négligé le facteur humain et dans le même temps qu'il y avait ces programmes industriels, on lançait les premiers programmes dits "Capital humain, mobilité". Ces programmes ont été lancés dans les années 80 et aujourd'hui ils sont certainement une des réussites à l'échelle européenne, avec les bourses Marie Curie, qui permettent à des chercheurs de l'Europe d'aller dans d'autres laboratoires et constituer cette communauté de la recherche européenne. À coté du facteur humain, il était évidemment très sensible aux infrastructures indispensables à l'échelle européenne. Ayant été président du CERN, il a été aussi initiateur avec d'autres présents ici dans la salle, du Synchrotron de Grenoble, qui était une des grandes réalisations à l'échelle européenne. Dans le domaine de l'espace européen de la recherche, j'ai eu de nombreuses occasions d'en discuter avec lui, il insistait aussi sur cette nécessité d'organiser, à l'échelle européenne, la discussion sur les infrastructures d'avenir. À cet égard, des progrès sont réalisés, puisque maintenant nous avons un forum des infrastructures qui aide les ministres de la science dans le choix des prochaines infrastructures, entre autres les lasers à électrons libres qui seront redistribués un peu partout dans l'Europe. ».

    Laurent Fabius : « C’est en tant que chargé moi-même de la Recherche que j’avais appris à le connaître (…). Tout naturellement, je lui proposais de devenir ministre lorsque j’eus l’honneur ensuite d’être appelé par François Mitterrand à diriger le gouvernement. Ce choix me paraissait naturel, tant Hubert Curien symbolisait pour toute la communauté scientifique la réflexion et l’action dans le domaine de la science et tant il était apprécié des chercheurs. La recherche était tout simplement sa vie. Je me souviens d’une conversation avec lui et avec Jacques-Louis Lions, d’où une expression avait jailli, sans que je me rappelle exactement qui d’entre nous l’avait lancée : "l’horizon de la recherche, c’est l’horizon du forestier". Cette vision longue était chez lui une idée maîtresse, particulièrement précieuse lorsqu’on doit décider pour la collectivité. Éviter les à-coups, les fausses habilités de l’urgence, penser et agir à long terme : Hubert Curien, qui aimait tant ses forêts des Vosges, était, pour la recherche aussi, un forestier. Long terme et recherche fondamentale. Il savait par expérience et il professait, comme le Général De Gaulle et Pierre Mendès France qu’il admirait, qu’il n’y a pas de grand pays sans recherche puissante et pas de recherche puissante sans priorité à la recherche fondamentale, laquelle requiert évidemment des moyens et ne doit pas être subordonnée à l’aval. L’évaluation, devenue depuis une évidence, était une autre de ses idées pionnières. Il considérait qu’une sécurité matérielle des chercheurs, sans ostentation car tel n’était pas son genre, est nécessaire pour accomplir une bonne recherche, mais il soulignait que cette sécurité n’est pas contradictoire avec les évaluations nationales et internationales indispensables, ni avec les remises en cause qu’elles entraînent. (…) Il y a quelques mois, à l’issue d’une réunion au sein d’un groupe où nous aimions nous retrouver, déambulant nous plaisantions ensemble en pensant à ce temps où, ministre, il se voyait proposer régulièrement d’aller conquérir, en Île-de-France, en Isère ou dans ses Vosges natales, le suffrage universel. Chaque fois, il déclinait poliment, avec un bon sourire, ces sollicitations. Et il ajoutait : "ma circonscription, c’est mon laboratoire de l’Université Paris-6". ».
     

     
     


    Christophe Desprez : « Hubert Curien était un homme bon, qui incitait ses collaborateurs à la patience et à la modestie. Quand, après un exposé argumenté de notre part [ses conseillers au ministère], il concluait "Vous avez raison, avançons dans ce sens", nous savions que nous étions dans la bonne direction. Quand il fronçait l’un de ses sourcils broussailleux et nous disait "Vous croyez ?", nous comprenions que nous n’avions pas convaincu ; alors, il consultait ; il recevait énormément de chercheurs, de patrons de laboratoires ou d’organismes ; il écoutait, et peu à peu se forgeait une opinion ; c’était sa façon de travailler, à l’écoute en permanence de la science en marche. Il était toujours au contact de la science, en visite en France ou à l’étranger. Il était passionné par la science, par toutes les sciences, et par les hommes et les femmes qui la font. (…) Je me souviens d’une sortie d’un conseil des ministres, où Jack Lang et Hubert Curien venaient de faire une communication sur la culture scientifique et technique. Les journalistes se précipitent sur le tapis rouge disposé au début de la cour de l’Élysée pour les prendre en photos. Et là, Hubert Curien se recule, pour que le Ministre de la Culture, ou était-ce déjà de l’Éducation ? , apparaisse mieux sur les photos. Comme je m’en étonnais à la lecture de la presse du lendemain, puisque c’était Hubert Curien qui était le principal artisan de cette communication, je m’entendis répondre "Mais Christophe, cela n’a aucune importance, et, en plus, cela fait tellement plaisir à Jack"… ».

    Anne Lauvergeon : « Il est vrai qu'au moment du bouclage des budgets, quand on est à l'Élysée, on reçoit un certain nombre de coups de fil de ministres pas contents de leur sort. En général, le mode est toujours le même : "j'e n'ai pas assez" ; bien sûr, personne ne téléphone pour dire qu'il a trop de budget. C’est souvent sur un ton ou agressif ou du moins montrant qu'il y a un grave problème. Hubert Curien quand il m'appelait, s'excusait d'abord de m'appeler. Ensuite il me disait, il me l'a dit à plusieurs reprises, "qu'il était très très ennuyé… qu'il y avait un petit problème… que certainement il y avait une mauvaise compréhension… que les objectifs qui avaient été fixés n'étaient pas complètement remplis par l'aboutissement des discussions budgétaires. Mais, ce n'était pas la faute du Ministère du Budget, ce n'était pas la faute du Ministre du Budget, non, non… Ils avaient vraiment fait des efforts, ils avaient fait beaucoup de choses… mais …. est-ce qu'on ne pourrait pas néanmoins….", et à ce moment là, effectivement, on rentrait dans le problème qui se posait. Jamais aucune espèce d'acrimonie, aucune espèce de volonté de pouvoir, de volonté de revanche, de volonté de puissance. Uniquement faire aboutir, et faire aboutir non pas pour soi, pour son ministère, mais pour les gens, les chercheurs qui allaient effectivement pouvoir profiter de tout cela. Et je dois dire que cette espèce de calme, toujours, cette espèce de réserve en même temps, de souci de ne pas déranger, mais en même temps d'agir… ce mélange des deux était absolument, incroyablement efficace. Je dois dire que c'était également quelqu'un qui inspirait confiance à des gens très différents.(...) À la Renaissance, on aurait dit que c'était un humaniste. Je crois que Hubert Curien était assurément un humaniste. Curieux de tout et curieux de tous. Il était à l'écoute, il voulait comprendre, comprendre ce qu'étaient les gens. Cette volonté de compréhension qui est assez fréquente chez les scientifiques et qui s'applique souvent à la matière, il la portait aussi aux hommes. Je crois que tout au long de sa vie, il s'y est employé avec toujours le respect immense qu'il manifestait pour les autres, pour ne pas être trop pesant, pour ne pas surtout donner le sentiment qu'il cherchait à entrer dans un domaine ou un territoire que l'autre ne lui aurait pas laissé franchir. ».

    François d'Aubert : « Fils d’un receveur municipal et d’une institutrice, il fut admis au prestigieux lycée Saint-Louis en classes préparatoires, puis il fut reçu aux concours de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, qu’il intégra, et de l’École polytechnique. Exemplaire, Hubert Curien le fut aussi par ses qualités humaines. Son statut de scientifique éminent, et bientôt de grand commis de l’État, ne retrancha jamais rien à sa simplicité, qu’il attribuait à ses origines de montagnard vosgien, ni à son humour et son franc parler. Il déclarait ainsi avec lucidité et clairvoyance à propos de la recherche fondamentale : "la recherche fondamentale, c’est un peu comme Christophe Colomb découvrant l’Amérique ; quand il est parti, il ne savait pas où il allait ; quand il arrivait, il ne savait pas où il était et cependant il a découvert l’Amérique… Il n’est pas possible de dire à quelqu’un qui se consacre à la recherche fondamentale : n’allez pas par là, c’est ridicule, vous ne trouverez rien". (…) Pleinement conscient du lien si nécessaire entre la recherche et l’innovation, il fonda également le RDT, Réseau de développement technologique, destiné à diffuser la technologie vers des PME peu familiarisées avec le processus d’innovation, préfigurant ainsi les RRIT. C’est sur cette même voie que nous nous employons aujourd’hui à relancer la Recherche, à travers le redressement de l’effort financier national, le soutien à la recherche fondamentale et le renforcement de ses applications. ».

    Et le Ministre délégué de la Recherche de l'époque de terminer sur cette petite citation qu'Hubert Curien aimait répéter : « Je voudrais revenir sur Terre, un instant, dans mille ans, juste le temps de voir ce que trente générations de savants auront su découvrir, et entendre ce que les hommes de science seront alors en humeur de dire. ». Ok Professeur Curien, rendez-vous en l'an 3005 !


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (26 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Hubert Curien.
    Alain Bombard.
    Hubert Reeves.
    L'intelligence artificielle récompensée par les Nobel 2024 de Physique et de Chimie.
    Didier Raoult interdit d'exercer !
    2e rentrée scolaire contre les papillomavirus humains.
    Variole du singe (mpox) : "ils" nous refont le coup ?
    Covid : attention au flirt !
    Papillomavirus humains, cancers et prévention.
    Publications sur le papillomavirus, le cancer du col de l'utérus et l'effet de la vaccination anti-HPV (à télécharger).
    Émission "Le Téléphone Sonne" sur la vaccination contre les papillomavirus, sur France Inter le 3 mars 2023 (à télécharger).
    Le cancer sans tabou.
    Qu'est-ce qu'un AVC ?
    Lulu la Pilule.
    La victoire des impressionnistes.
    Science et beauté : des aurores boréales en France !
    Le Tunnel sous la Manche.
    Peter Higgs.
    Georges Charpak.
    Gustave Eiffel.
    Prix Nobel de Chimie 2023 : la boîte quantique ...et encore la France !
    Katalin Kariko et Drew Weissman Prix Nobel de Médecine 2023 : le vaccin à ARN messager récompensé !
    Covid : la contre-offensive du variant Eris.
    Prix Nobel de Physique 2023 : les lasers ultrarapides, la physique attoseconde... et la France récompensée !
    John Wheeler.
    La Science, la Recherche et le Doute.
    L'espoir nouveau de guérir du sida...
    Louis Pasteur.
    Howard Carter.
    Alain Aspect.
    Svante Pääbo.
    Frank Drake.
    Roland Omnès.
    Marie Curie.







    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241030-hubert-curien.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/technologies/article/hubert-curien-le-pere-de-l-europe-256862

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/25/article-sr-20241030-hubert-curien.html




     

  • Danielle Mitterrand l'Insoumise en Utopie

    « La femme du Président de la République n’a pas de rôle. Elle a celui qu’elle veut bien se donner. » (Danielle Mitterrand).


     

     
     


    L'ancienne Première Dame Danielle Mitterrand est née il y a 100 ans, le 29 octobre 1924, à Verdun. Cette fonction, qui peut malheureusement réduire la vie de cette femme, n'est pas officielle mais occupe une place bien particulière dans l'esprit des Français, sans doute un relent résiduel de monarchie avec l'existence de la reine (on voit d'ailleurs à quel point Brigitte Macron a des détracteurs qui pourraient la comparer à la malheureuse Marie-Antoinette). Elle-même n'aimait pas du tout l'expression Première Dame et préférait simplement épouse du Président de la République.

    Malgré des détracteurs, il y en a toujours, les Français sont souvent attachés aux Premières Dames et ce n'est pas un hasard si elles reçoivent de très nombreux courriers (ce qui justifie le budget de secrétariat mis à leur disposition à l'Élysée). J'avais assisté à Nancy à une séance de dédicaces d'un de ses livres dans les années 1990, et j'avais découvert la grande ferveur que les gens avaient pour cette reine Danielle (sur une terre politiquement pas vraiment favorable à ses idées).

    Parmi ses autres... collègues (?), de femmes de Président de la République (je n'ose écrire : vivement une Présidente de la République ! car politiquement, ce qui se fait sur le marché, en ce moment et probablement jusqu'en 2027, ne me conviendrait pas du tout !), Danielle Mitterrand s'est démarquée de deux manières, une dont elle n'y pouvait rien, elle a été la Première Dame à la plus grande longévité, du 21 mai 1981 au 17 mai 1995 (pendant les deux septennats de son mari), et l'autre qui est le résultat de sa propre volonté et détermination, et sans doute contre la volonté de son mari, elle a été la seule Première Dame militante politique, voire activiste, parallèlement à l'exercice du pouvoir de son mari. À leur mariage,
    François Mitterrand ne voulait pas qu'elle fût sa secrétaire, ni jamais sa collaboratrice. Il préférait qu'elle s'occupât des enfants, ce qu'elle allait faire. Mais pas seulement !

    Et malgré son militantisme de gauche très à gauche, au point de mettre en difficulté la diplomatie française (quand, par exemple, elle cultivait des liens d'amitié avec
    Fidel Castro alors que son époux à l'Élysée fricotait avec Ronald Reagan), j'ai une grande tendresse pour Danielle Mitterrand, car elle synthétisait bien les paradigmes sociaux d'une femme de son temps : être à la fois indépendante et soumise, être à la fois dépendante et insoumise.

    Indépendante parce qu'elle a pu agir comme elle le voulait, militer pour les causes qui lui paraissaient justes, et c'est sûrement sur ce thème de l'injustice qu'elle a trouvé la motivation pour agir et militer. Mais aussi soumise parce qu'elle était une femme de son temps, que le divorce était un traumatisme social, et plus encore politique (ce qui a participé à démotiver les électeurs gaullistes conservateurs à voter pour
    Jacques Chaban-Delmas), et parce qu'elle ne voulait pas empêcher François Mitterrand d'accéder à l'Élysée, et du moins, elle ne voulais pas enrayer la dynamique d'espoir qu'il a suscitée à gauche pendant toutes les années 1970, au moment même où la relation extraconjugale de son mari devenait patente avec la naissance de Mazarine le 18 décembre 1974 (qu'il a reconnue le 25 janvier 1984 et dont l'existence a été rendue publique le 10 novembre 1994 par la publication acceptée mais non voulue de photos par "Paris Match").

    Elle était la femme restée stoïquement auprès de son mari, acceptant le rôle qu'il lui avait donné pendant les années d'opposition mais aussi de pouvoir, malgré cette relation et les relations extraconjugales notoires de son mari (à ce titre, François Mitterrand, comme
    Valéry Giscard d'Estaing et Jacques Chirac, a fait partie des grands fauves sexuels de la vie politique, il y aurait beaucoup à en dire, au contraire de De Gaulle, Georges Pompidou et Emmanuel Macron). Elle a même eu la grandeur d'âme d'accepter la présence de la seconde famille pourtant un peu concurrente aux obsèques de François Mitterrand à Jarnac.
     

     
     


    Rappelons que François Mitterrand avait l'habitude de dire à ses amis, notamment Roland Dumas, que dans la vie, un homme devait avoir plusieurs femmes : une femme pour l'apparat, une femme pour être la mère de ses enfants, une femme pour la passion sexuelle, une femme pour se cultiver, etc. Le concept pouvait se décliner à l'infini et justifier intellectuellement, et sans doute a posteriori, son infidélité maladive. Danielle Mitterrand, dans ce cadre étroit, avait le plus mauvais rôle mais l'a accepté pour ne pas défavoriser politiquement et électoralement son mari.

    En ce sens, malgré cette soumission d'apparence, elle était moderne. En écrivant ces lignes, je repense à
    ma grand-mère, née au milieu de la Première Guerre mondiale (et donc un peu plus âgée que Danielle Mitterrand ; en fait à quelques semaines près, ma grand-mère avait le même âge que François Mitterrand et elle n'en était pas peu fière !). Mes grands-parents faisaient semblant mais c'était connu qu'ils ne s'aimaient plus vraiment. Mais que faire quand la femme, avec ses quatre enfants, n'avait pas de travail ? Elle était bien obligée de rester dans le foyer avec l'argent (chichement) donné par le mari. Cela ne l'a pas empêchée, dans les années 1960 (à un âge déjà avancé pour l'occasion), de passer le permis de conduire et même d'acheter une voiture à l'insu complet de mon grand-père, grâce à la complicité de ses fistons et gendres. C'est cette dichotomie femme soumise/femme indépendante qui a caractérisé beaucoup de femmes de cette génération et qu'a illustrée avec beaucoup de grandeur d'âme (je le répète) Danielle Mitterrand.

    Et elle était là, la modernité de Danielle Mitterrand, celle de vouloir agir pour des causes qui lui étaient chères. Elle n'épousait certainement pas les causes que j'aurais soutenues, mais je l'ai beaucoup admirée pour cette détermination à vouloir agir pour celles-ci, malgré toutes les barrières qui se dressaient contre elle, et en particulier le
    Quai d'Orsay.

    Ce que j'indiquais plus haut, c'est que son moteur, sa motivation était les injustices. Et c'est dès l'âge de 6 ans qu'elle a senti sur sa famille cette injustice. Sa famille allait là où son père était affecté comme principal de collège, d'où sa naissance à Verdun (sa mère aussi était enseignante). À Dinan, la famille avait été mal reçue à cause de leur défense de la laïcité et de la gauche en général, si bien qu'il y a eu un accueil très négatif entre 1930 et 1936, du dénigrement contre la petite fille de 6 ans par sa maîtresse alors qu'elle était brillante élève, jusqu'à un incendie dans le bâtiment où vivait la famille. Elle avait 12 ans quand la famille est partie à Villefranche-sur-Saône, au nord de Lyon, soulagée de quitter cette Bretagne bien impénétrable.

    Dès le début de l'Occupation, en 1940, le père de Danielle (André Gouze) a refusé les directives du régime de
    Pétain, ce qui l'a conduit à être révoqué. La famille s'est installée à Cluny et Danielle, à 16 ans, terminait sa Seconde à Mâcon : «  J'avais 16 ans. J'ai dû sortir de l'insouciance et mesurer ma capacité de révolte devant l'injustice, celle que subissaient ces enfants, celle que subissait mon père. ». La maison de Cluny est devenue un haut lieu de refuge pour les résistants. Dans son livre autobiographique ("Le Livre de ma mémoire", sorti en 2007), elle racontait : « Très vite la maison Gouze fut un refuge pour les réseaux clandestins. Jusqu’au jour où un monsieur accompagné d’une jolie dame se présenta au portail de la cour et demande à rencontrer les hôtes de ces lieux. C’est ainsi que "Madame et Monsieur Moulin" furent les locataires de l’un des appartements aménagés dans la Maison Grise, ancienne dépendance de ROMADA (Roger, Madeleine, Danielle), notre maison d’habitation. Sous leur fausse identité, Henri Fresnay et Bertie Albrecht sont entrés dans ma vie, avec le mouvement combat. » (cité par Wikipédia).

    Engagée donc dans la Résistance en aidant sa famille avec des petits actes (notamment en prévenant les uns et les autres de l'arrivée des nazis, etc.), Danielle Mitterrand a eu la plus grande frayeur de sa vie le 28 mai 1943 quand la gestapo a débarqué chez eux et qu'heureusement, elle en est ressortie sans avoir rien trouvé. Mais elle avait appris que le jour même, Bertie Albrecht, devenue son amie, avait été arrêtée à Mâcon par la gestapo qui avait retrouvé une enveloppe avec l'adresse de la maison de Cluny où la résistante avait été hébergée la nuit précédente. Bertie Albrecht est morte le 31 mai 1943 à la prison de Fresnes après avoir été torturée par Klaus Barbie à Mâcon. Pour Danielle Mitterrand, c'était l'horreur : « Lorsque j’essaie de me remémorer le cheminement de mes pensées à cet instant, l’alternative se présentait sans échappatoire possible : c’était le peloton d’exécution, là dans notre cour, l’arrestation et les camps …ou la vie. » (2007).

    Le 14 février 1944, autre coup dur : Danielle et sa sœur (aînée) Christine (future femme de
    Roger Hanin) ont quitté la veille au soir un bal, mais plus tard dans la nuit, la gestapo a arrêté de nombreux jeunes qui furent déportés dans les camps. La question de Danielle Gouze était alors : pourquoi eux, pourquoi pas moi ? (la question que se posaient tous les rescapés des camps). C'est en avril 1944 à Paris qu'elle a fait la connaissance de François Mitterrand par sa sœur qui était sa "boîte aux lettres" de son mouvement des anciens prisonniers résistants.
     

     
     


    Dans "Le Livre de ma mémoire", Danielle Mitterrand a livré sa version du premier rendez-vous avec l'ambitieux jeune homme politique : « Une soirée au restaurant Beulemans, boulevard Saint-Germain (…). Il joue de son charme comme il sait bien le faire auprès des femmes. Mais je n’étais pas encore une femme… À vrai dire, cela n’a pas vraiment bien marché ; son registre de séduction n’a pas opéré. Je n’étais pas préparée à ces jeux-là. Il a bien compris que mon adolescente simplicité dans les relations entre les êtres s’accordait mal aux exercices de son charme caustique.
    Alors qu’en penses-tu, Danielle ? me dit Christine (…)
    Je ne sais pas…
    Ce n’est pas le coup de foudre ?
    C’est un homme…
    Bien sûr, c’est un homme !
    Je ne suis pas sûre de peser lourd dans ses préoccupations. Pourtant, il ne m’est pas indifférent… Mais je ne vois pas où je me situe dans le rôle que vous semblez me voir jouer. ».

    Un peu plus tard, selon les consignes de dirigeants de la Résistance, François et Danielle ont voyagé ensemble par le train de Paris à Cluny sous la couverture d'un couple (sa présence servait d'alibi). Ce n'était pas usurpé puisque les deux jeunes s'étaient fiancés (Danielle s'était engagée à 19 ans dans le maquis de Bourgogne comme agente de liaison) et qu'ils se sont mariés le 28 octobre 1944 à Paris, après la
    Libération de Paris. Les témoins du mariage étaient prestigieux : Henri Fresnay, Jean Munier, Patrice Pelat, et la sœur, Christine.

    La légende voudrait que quelques mois auparavant, François Mitterrand, voyant la photo de Danielle que lui tendait Christine Gouze, lui ait dit : "Je l'épouserai !". Cette histoire a été notamment retranscrite par le journaliste politique Robert Schneider (qui a travaillé pour "L'Express", France Inter et "Le Nouvel Observateur") dans sa biographie documentée sur l'ancien Président, "Les Mitterrand", publiée le 7 avril 2011 (chez Tempus Perrin) : « Dans sa lettre du 24 juin 1944, écrite de Bourgogne où il se cache, François Mitterrand confie à Marie-Claire Sarrazin "être en compagnie d'une jolie fille dont les yeux de chat admirables restent fixés sur un au-delà dont j'ignore les bornes et les accidents"... Exceptionnellement, le propos n'est pas assorti de ses habituelles considérations sur le vide, l'inculture, la sottise des jeunes filles qu'il est amené à fréquenter. François, le beau ténébreux, le romantique, encore marqué par son échec avec Marie-Louise, agacé par les réticences d'une cousine à la fois séduite et méfiante, serait-il amoureux ? À son retour de Londres, il a fait la connaissance d'une jeune femme, Madeleine Gouze, dont la beauté l'attire [Madeleine se faisait appeler Christine, c'était la sœur aînée de Danielle]. Mais elle est déjà l'amie de son ami Patrice Pelat. Au domicile parisien de Madeleine, François aperçoit sur le piano la photographie de la jeune fille aux yeux de chat.

    Qui est-ce ? demande-t-il.
    Ma sœur.
    Elle est ravissante, je l'épouse.
    Madeleine écrit à sa sœur : "J'ai un fiancé pour toi...". Pendant les vacances de Pâques qui, en 1944, tombent en avril, Danielle monte à Paris. Elle n'a pas 20 ans. Elle fait beaucoup plus jeune lorsqu'elle débarque gare de Lyon, vêtue d'une jupe plissée et de chaussettes blanches. Madeleine la force à mettre des bas pour être plus présentable ! La rencontre a lieu chez Beulemans, un restaurant du boulevard Saint-Germain. Les deux sœurs arrivent les premières. Madeleine dit à Danielle : "Si c'est le coup de foudre, tu me fais un petit signe d'approbation ; s'il ne te plaît pas, une moue". »
    .

     

     
     


    Militante, Danielle Mitterrand a ainsi fondé le 4 mars 1986 sa propre fondation (comme toutes les Premières Dames depuis De Gaulle, et même avant, car la première à créer sa fondation fut Élise Thiers, l'épouse d'Adolphe Thiers), appelée Fondation France Libertés, baptisée maintenant Fondation Danielle-Mitterrand (depuis son décès), dont le but est : « défendre les droits humains et les biens communs du vivant. Elle contribue à la construction d'un monde plus solidaire. ». En fait de création, c'est la réunion de trois associations militantes qu'elle avait déjà créées un peu plus tôt. En 1992, elle a écrit : « J’ai imaginé la Fondation avant tout comme un lieu de rencontres, croisement de messages et de langages, aire de confrontation des cultures, plate-forme d’échanges, carrefour d’expression sous toutes ses formes, tremplin pour un XXIe siècle de compréhension et de reconnaissance de l’autre ». Reconnue d'utilité publique, elle a obtenu en 1991 le statut d'organisation consultative auprès des Nations Unies, et selon sa fondatrice en 2011 : « France Libertés est essentiellement un maillon actif d’un réseau mondial qui aspire à organiser l’alternative à la mondialisation du commerce et de la finance pour une société qui donne toutes ses chances à la vie. ». Sur le site de la fondation, il est d'ailleurs précisé que son statut de Première Dame « n’a pas éteint la flamme d’insoumission qui brûlait dans son cœur et qui la poussait à prêter l’oreille aux violences du monde ! ». Parmi ses généreux soutiens financiers, on comptait Pierre Bergé, l'artiste Philippe Starck et la styliste Agnès Troublé.

    Comme elle avait ses idées et ne se sentait pas gênée pour les exprimer malgré la proximité d'un Président de la République, Danielle Mitterrand a fait de nombreuses déclarations parfois polémiques et a rencontré de très nombreuses personnalités françaises et internationales pour son activité de présidente de France Libertés.

    Parmi les prises de position qui ont scandalisé une partie du pays, il y a celle du 20 octobre 1989 où elle voulait dédramatiser (à tort) l'affaire du voile islamique au collège de Creil : « Si aujourd'hui deux cents ans après la Révolution, la laïcité ne pouvait accueillir toutes les religions, toutes les expressions en France, c'est qu'il y aurait un recul. Si le voile est l'expression d'une religion, nous devons accepter les traditions quelles qu'elles soient. ». On a vu à quel point cette polémique emblématique, qui a été initiée le 18 septembre 1989 par trois adolescentes en mal d'identité, a pourri le débat public et la gestion de l'enseignement scolaire pendant une quinzaine d'années et il a fallu la
    loi n°2004-228 du 15 mars 2004 sur les signes religieux dans les écoles publiques pour régler enfin ce problème.

    Danielle Mitterrand a aussi beaucoup milité contre les lois sur l'immigration présentées par
    Charles Pasqua sous les deux premières cohabitations, en particulier en 1993, elle a fait des actions médiatiques pour venir soutenir des sans-papiers ni expulsables ni régularisables (des parents étrangers d'enfants français), au point que Pierre Mazeaud, avec d'autres collègues députés agacés, a publié une tribune au titre évocateur : « Qui veut faire taire Danielle ? ».
     

     
     


    Mais elle se moquait de microcosme parisien. Dans "Le Printemps des insoumis" sorti en 1998 (chez Ramsay), Danielle Mitterrand concevait ainsi le racisme : « Le racisme, à l'évidence, concerne moins l'origine des êtres que l'épaisseur de leur portefeuille. Mais il a une fonction bien commode : tandis que les pauvres, étrangers ou non, s'entre-déchirent dans leur misère, ils ne se posent pas de question sur la logique qui les broie. La xénophobie, cette gangrène, nourrie par des démagogues en quête de pouvoir, gagne les esprits jusqu'au sein de l'État. ».

    On lui a souvent reproché son amitié pour Fidel Castro qu'elle appréciait beaucoup et avait embrassé (notamment le 13 mars 1995 à Paris), elle refusait d'admettre qu'il était un dictateur. Elle a aussi pris position en faveur du front Polisario pour l'indépendance du Sahara occidental (au grand dam du roi du Maroc Hassan II, ami de François Mitterrand), soutenait
    Bernard Kouchner en 1992, et son dernier combat était pour l'accès à l'eau dans le monde, au point d'en faire la raison de son vote non au référendum du 29 mai 2005. Elle s'en est expliquée dans le "Journal du dimanche" en mars 2005 : « Si nous ne réagissons pas, cette Constitution libérale donnera définitivement le statut de marchandise à l’eau (…). Nous avons la responsabilité de nous élever contre une telle conception. ».

    Parmi les très nombreuses rencontres de Danielle Mitterrand, citons le
    dalaï-lama, le sous-commandant Marcos, Abou Diouf, Nelson Mandela, Thabo Mbeki, Massoud Barzani, Rigoberta Menchu, Mumia Abu-Jamal, Leonard Peltier, etc. Dans leur détermination à avoir un État indépendant, elle a soutenu les Tibétains, les Sahraouis, les Kurdes, les Palestiniens (mais aussi les Israéliens), etc. En plus du droit des peuples à s'autodéterminer, Danielle Mitterrand tenait aussi à l'abolition de la peine de mort et elle faisait évidemment campagne pour cela aux États-Unis. Dans une préface d'une biographie sur elle publiée en 2012, l'historien Jean Lacouture a synthétisé ainsi : « Toujours en avance de deux pas sur notre temps. ». Elle-même disait : « Je savais que mon chemin me conduirait inéluctablement à dénoncer les atteintes à l’intégrité de la vie et à la dignité. ». En quelque sorte, comme militante internationale, Danielle Mitterrand tenait le même rôle que, pendant longtemps, Jimmy Carter, qui ont tous les deux le même âge.

    Je propose deux vidéos ci-dessous, la première très hagiographique dont l'intérêt est de connaître plus précisément ses activités de militante, la seconde plus intéressante qui est une interview de près d'une heure accordée à la chaîne catholique KTO le 12 avril 2008.

    Danielle Mitterrand a survécu plus d'une quinzaine d'années à son époux de Président, partant sur la pointe des pieds
    le matin du 22 novembre 2011 à l'hôpital Georges-Pompidou de Paris, à l'âge de 87 ans. Cette nouvelle a ému beaucoup de personnalités étrangères avec qui elle avait tissé des liens profonds. Elle n'a pas rejoint François Mitterrand à Jarnac mais sa sœur Christine au cimetière de Cluny.

    Le 27 octobre 2011 à son domicile parisien (rue de Bièvre), Danielle Mitterrand avait accordé sa dernière interview aux journalistes Corine Chabaud et Élisabeth Marshall pour l'hebdomadaire catholique "La Vie" (l'entretien a été publié dans son intégralité le 24 novembre 2011, donc après sa mort). Fatiguée mais sereine, elle y donnait en guise de testament politique cette réflexion personnelle : « La vie est la valeur la plus importante. Le XXe siècle a apporté beaucoup de progrès en matière de technologies. Mais elles doivent être au service de la vie. J’attends que l’on sorte de la croissance, qui amplifie la pauvreté et les inégalités. Je milite pour une société nouvelle. L’argent rend fou. Il n’est pourtant qu’un outil. Il faut que les valeurs marchandes ne comptent que ce pour quoi elles doivent compter. Il faut que la peur recule. Aujourd’hui, on a peur de perdre sa maison, son travail, sa santé, d’aller dans la rue, de rencontrer son voisin. On a peur de vivre. À tort. Il faut bâtir un monde solidaire. ». L'Insoumise en Utopie ! Utopie un jour, Utopie toujours.



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    Sylvain Rakotoarison (26 octobre 2024)
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    Pour aller plus loin :
    François Mitterrand.
    Roger Hanin.
    Mort d'une Première Dame.
    Danielle Mitterrand.
    Jacques Chirac.
    Bernadette Chirac.
    Brigitte Macron.
    Anne-Aymone Giscard d'Estaing.
    Carla Bruni.
    Ségolène Royal.
    Valérie Trierweiler.
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    Julie Gayet.










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  • Alain Bombard : l'aventure, c'est l'aventure !

    « Naufragés des légendes, victimes raides et hâtives, je sais que vous n'êtes pas morts de la mer, que vous n'êtes pas morts de la faim, que vous n'êtes pas morts de la soif, car, ballottés sous le cri des mouettes, vous êtes morts d'épouvante. Ainsi ce fut bientôt pour moi une certitude : beaucoup de naufragés meurent bien avant que les conditions physiques ou physiologiques ne soient devenues, par elles-mêmes, mortelles. Comment combattre le désespoir, meurtrier plus efficace et plus rapide que n'importe quel facteur physique ? » (Alain Bombard, 1953).


     

     
     


    Le médecin et biologiste français Alain Bombard est né il y a 100 ans, le 27 octobre 1924, à Paris. Il est difficile de présenter Alain Bombard qui a aussi goûté à la vie politique avec l'arrivée au pouvoir de la gauche, parce qu'il fait partie des héros des temps modernes, de ces explorateurs de la mer qui ont apporté quelque chose au monde, notamment sur la capacité de survivre en pleine mer. Son intuition de départ, c'est que c'est d'abord l'esprit qui flanche quand le naufrage s'effondre. Avant le corps. Et il a tenté de le prouver.


    On pourrait dire comme La Palice qu'avant d'être vieux et de ressembler, avec sa barbichette, aux savants comme les représentaient Hergé dans Tintin voire Franquin dans Spirou ou Morris dans Lucky Luke, un look très représentatif avant même de voir ses cheveux blanchir, il était jeune. Et c'est bien le jeune, très jeune, avant les 30 ans, qui a fait l'exploit qui a marqué son époque et son destin.

    Et d'abord, un contexte, ses années d'études au lycée Henri-IV et à l'École alsacienne, puis à Saint-Brieuc. Pendant ses vacances en Bretagne, il a découvert sa passion de la voile, sur une plage fréquentée depuis des décennies par de grandes familles de scientifiques, Jean Perrin,
    Marie Curie, et il a connu Frédéric Joliot-Curie qui a été son moniteur de voile. Pour terminer ses études de médecine, il s'est installé à Boulogne-sur-Mer.

    Dans un livre autobiographique, il a raconté un événement déclencheur qui n'a pas été exactement ce qu'il a raconté, à savoir qu'au printemps 1951, il a dû s'occuper des corps de 43 marins morts dans le naufrage de leur chalutier. En fait, le naufrage aurait fait plutôt une dizaine de morts, mais qu'importe, les statistiques étaient monstrueuses : il y a 200 000 morts en mer chaque année, dont 50 000 dans des bateaux de sauvetage. Son objectif, c'était de trouver des moyens de survivre à un naufrage en pleine mer : résistance à la soif, à la faim, à la fatigue, à l'hypothermie, etc.. et surtout, au moral et à la dépression.


    Alain Bombard a traversé la Manche à la nage, ce qui relevait déjà d'un exploit sportif exceptionnel : il fallait beaucoup de préparation, s'enduire le corps de graisse pour résister au froid de la mer, etc. Cet événement a notamment permis à la romancière Marie Vareille d'écrire son excellent roman "Désenchantées" sorti en 2022 (éd. Charleston). À l'époque, cet exploit a été déterminant pour Alain Bombard qui a pu ainsi trouver des sponsors et financer son propre laboratoire intégré à l'Institut océanographique de Monaco. Il voulait montrer qu'on pouvait éviter la déshydratation en buvant de l'eau de mer et de l'eau de pluie, ainsi que se prémunir de la faim en mangeant des planctons.

    Petit rappel : les naufragés qui n'ont pas d'eau potable refusent généralement de boire l'eau de mer car elle est beaucoup trop salée ce qui flingue les reins et accélère la déshydratation du corps. Alain Bombard voulait montrer qu'en prenant une quantité raisonnable d'eau de mer (un demi-litre par jour), on pouvait survivre à un absence d'eau potable, mais cette ration était insuffisante et on devait quand même trouver de l'eau ailleurs, en pressant les poissons pêchés (sauf la raie) ou en récupérant l'eau de pluie (cet aspect essentiel de survie reste encore en débat, notamment sur l'eau présente dans les poissons).
     

     
     


    Après quelques traversées seul ou accompagné, Alain Bombard a effectué en solitaire la traversée de l'Atlantique. Son périple est allé de Tanger le 13 août 1952 à La Barbade le 23 décembre 1952 (avec une étape à Las Palmas le 19 octobre 1952), à bord de L'Hérétique, son petit Zodiac, se laissant dériver volontairement sans nourriture ni eau (avec seulement une voile, deux avirons, quelques instruments de navigation, un couteau et quelques livres) pendant cent treize jours pour montrer qu'on pouvait en survivre, mais il a bien cru qu'il allait en mourir. Il a perdu vingt-cinq kilogrammes et a été hospitalisé à son arrivée (il a fêté son 28e anniversaire seul en pleine mer). Il a survécu grâce au croisement avec un cargo qui lui a permis de prendre un repas et de corriger son orientation. Il a survécu aussi en pêchant des poissons, en attrapant des oiseaux, qu'il mangeait crûs faute de pouvoir les cuire, etc. Il relevait quotidiennement sa tension artérielle (les faibles tensions étant une alerte des moments de désespoir).
     

     
     


    Cette traversée a montré par l'exemple qu'on pouvait survivre en pleine mer sans rien avec de soi. Sa thèse, c'était que les naufragés mouraient plus de désespoir que de faim et de soif, ou, plus exactement, qu'ils mouraient d'abord de désespoir avant de mourir de faim et de soif. Il a raconté sa terrible traversée dans "Naufragé volontaire" sorti en 1953 (Éditions de Paris), premier des onze essais ou récits qu'il allait publier jusqu'à la fin de sa vie. Cela a inspiré, entre autres, le film "All Is Lost" de J. C. Chandor (sorti le 18 octobre 2013) avec pour seul acteur Robert Redford au dialogue très léger (inexistant : il est naufragé tout seul). Considéré comme un chef-d'œuvre, j'ai quand même trouvé ce film un peu ennuyeux !

    En tout cas, la notoriété d'Alain Bombard était faite, et il l'utilisa tant pour la construction d'équipements de navigation que pour des combats pour l'environnement et la protection de la mer, en particulier en 1963 contre le déversement des boues rouges dans la Méditerranée par une usine de Péchiney à Gardanne. Il a donc été parmi les premiers lanceurs d'alerte écologique à une époque où on ne s'en préoccupait pas vraiment.


    Alain Bombard a participé à la conception de radeaux de sauvetage dont la présence sur les embarcations était devenue obligatoire par la réglementation à partir des années 1950. Notamment, on l'appelle désormais par son nom, un Bombard, un radeau de sauvetage pneumatique à gonflage rapide conçu en 1972. Il a milité pour le caoutchouc au détriment du bois dont étaient constituées traditionnellement les chaloupes de sauvetage. Les travaux d'Alain Bombard ont toutefois provoqué un tragique drame accidentel le 3 octobre 1958 dans la baie d'Étel où le navigateur a profité d'une alerte météorologique de forte tempête pour justement tester son canot de sauvetage. Très rapidement, les sept occupants du canot ont été éjectés dans la mer, et le bateau chargé de les secourir a lui-même eu un accident et a chaviré, ce qui a fini par un bilan très lourd, neuf morts, dont quatre occupants du canots et cinq marins sauveteurs.

    L'enquête a mis hors de cause Alain Bombard dans la responsabilité de cet accident mais il en est toutefois ressorti un amer goût de faute. Cela l'a entraîné dans une dépression dans les années 1960 dont il est sorti grâce à sa rencontre avec l'entrepreneur Paul Ricard, fondateur du célèbre pastis et maire d'une commune du Var dans les années 1970, Signes, près du circuit de Castellet qu'il a contribué à financer et qui a pris son nom, et mécène d'Alain Bombard, Alain Colas et Éric Tabarly.

    Remis en état de travailler avec ce nouveau laboratoire financé par Paul Ricard, Alain Bombard a adhéré au PS dans sa lancée, en 1974, s'est fait élire conseiller général de Six-Fours-les-Plages (dans le Var) de 1979 à 1985 (pour un mandat de six ans), et, présent sur la liste du PS aux élections européennes de 1979, 1984 et 1989, il a été député européen de septembre 1981 à juillet 1994. Entre-temps, François Mitterrand l'a nommé Secrétaire d'État auprès du Ministre de l'Environnement dans le premier gouvernement de Pierre Mauroy du 22 mai 1981 au 23 juin 1981, mas il n'a pas été reconduit après les élections législatives de juin 1981 en raison de ses déclarations souhaitant l'interdiction de la chasse à courre. Il a donc fait partie de ces ministres météores, à l'instar de Jean-Jacques Servan-Schreiber en 1974 et de Léon Schwartzenberg en 1988, qui n'ont pas beaucoup duré pour la raison que fondamentalement, leur personnalité n'était pas compatible avec les responsabilités politiques qui imposent nécessairement d'avaler quelques couleuvres (Nicolas Hulot, c'est différent car il a avalé quelques couleuvres avant de démissionner).
     

     
     


    La vie d'Alain Bombard est très riche et déconcertante car son esprit a toujours été hors des sentiers battus. Médecin, il a pris la mer pour passion : « Nous devons quitter la Méditerranée pour rentrer dans quelque chose de beaucoup plus grand, qui me semble démesuré. L'Atlantique, cet océan qui a englouti un continent pour lui prendre son nom, que serait-ce pour lui de submerger notre frêle esquif ! » (1953).

    Dans "Au-delà de l'horizon" sorti en 1978 aux Presses de la Cité, le célèbre naufragé volontaire a expliqué en particulier ceci : « On me pose souvent la question : comment avez-vous fait pour traverser l'Atlantique, sur un bateau qui faisait quatre mètres cinquante de long ? C'est relativement simple. Sur un grand océan, deux vagues sont séparées par deux cents mètres, il y a deux cents mètres de longueur d'onde ; avec un petit bateau de quatre mètres cinquante, on épouse sans difficulté les différents reliefs de la mer. Tandis qu'un navire de cent mètres de long aura l'avant dans le creux, le cul sur le sommet de la vague, et c'est ce qui provoque roulis et tangage qui mettent à mal les gros bateaux. D'où l'idée orgueilleuse des hommes née au XVIe et XVIIe siècles : "construisons des navires incoulables, des navires qui ne feront jamais naufrage". Tous, sauf un, seront vaincus par ma mer... ».

    Alain Bombard était également passionné par la musique au point d'envisager de devenir compositeur ou chef d'orchestre : « J’ai un grand besoin de ressentir la filiation des œuvres les unes avec les autres. Pour moi, il n’y a pas de rupture entre cette petite phrase pensive dans L’Estro Armonico de Vivaldi, et cette grande pensée triste de Beethoven dans son quatuor à cordes n°10. Il y a une continuité… » avait-il confié sur France Musique en 1980. Il était l'ami d'Igor Stravinsky, de Fernandel, de physiciens, de vendeurs d'alcool, de François Mitterrand, etc., bref, de personnalités de domaines et d'univers très différents. Volontiers cabotin, il était conteur ; il adorait depuis toujours raconter de belles histoires, au risque de les embellir. En somme, Bombard et Bobard, il n'y a qu'un m qui sépare ces mots, celui d'aimer l'aventure, les aventures.

    Homme de médias depuis les années 1950, Alain Bombard a participé à de nombreuses émissions de radio et de télévision, en particulier l'émission "Radioscopie" produite par Jacques Chancel le 5 mai 1980 sur France Inter. Alain Bombard est mort à Toulon il y a un peu moins de vingt ans, le 19 juillet 2005 à l'âge de 80 ans, inscrit depuis longtemps dans tous les livres d'histoire comme une légende de la navigation en mer.


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    Sylvain Rakotoarison (26 octobre 2024)
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    Alain Bombard.
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