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violence

  • 40 ans de confusions dans l'Affaire Grégory

    « On a beaucoup parlé du juge Lambert. Ce n'est pas le fiasco d'un seul homme, hein, c'est le fiasco de tout le monde, cette histoire-là, y compris des journalistes, d'ailleurs. (…) C'est aussi pour ça qu'on en parle autant d'années après. Parce que cette affaire, au-delà de tous les ingrédients qu'elle regroupe, d'un petit enfant qui disparaît, d'une histoire familiale hors normes, d'un lieu hors normes, et d'un raté global de tout le monde, c'est pour ça qu'elle continue aujourd'hui à passionner aussi. » (Damien Delseny, rédacteur en chef adjoint du "Parisien", le 20 avril 2024 sur France 5).



     

     
     


    Sinistre anniversaire. Il faut l'imaginer aujourd'hui. Il aurait pu être un homme déjà bien accompli, quadragénaire à la quarantaine déjà bien entamée, un contre-maître comme son père, ou un avocat pour défendre les causes perdues, un juge pour bien faire la justice, ou encore un journaliste, mais avec une vraie déontologie, ou encore un romancier, celui de polars qui se lisent avec passion, fascination, interrogation... Hélas, il n'est pas tout cela.

    Au lieu de quoi, ce triste mardi 16 octobre 1984, dans la soirée, on a retrouvé le corps du petit
    Grégory, 4 ans (né le 24 août 1980 à Saint-Dié), dans son anorak, ligoté des poignets et des chevilles, le visage caché par son bonnet, sorti de l'eau de la Vologne, une rivière vosgienne, dont les journalistes charognards se sont emparé tout de suite de la photographie en toute indécence. Entre sa disparition (entre 17h05 et 17h30) et son assassinat (17h50), il n'y a eu que l'instant d'une haine, d'une horreur, d'une jalousie savamment entretenue par des secrets familiaux et la réussite sociale de ses parents.

    Est-ce la médiatisation, dès les premières heures, de ce drame sans nom, l'assassinat d'un gosse de 4 ans, plein de vie, plein de sourire, plein de soleil, qui n'a jamais rien fait de mal à personne, sinon jouer quelques minutes dans le jardin pendant que sa mère faisait du repassage en écoutant les
    Grosses Têtes à la radio, qui m'a embarqué, comme tant d'autres, dans cette folie de l'émotion ? Ou peut-être ma proximité géographique ? À l'époque, j'étais lorrain, et quand j'entendais certains protagonistes vosgiens, je croyais entendre certains membres de ma famille. Je me sentais concerné, je crois même que j'avais dû me baigner dans la Vologne quand j'étais petit (ou peut-être pas, c'était peut-être la rivière voisine ?).
     

     
     


    Quand je lisais le déroulé de "l'affaire" dans Wikipédia, il y a une petite rubrique chiffrée également présente dans les sujets guerriers ou les attentats : "Nombre de victimes". Et c'est indiqué : 1. Quelle erreur ! C'est la limite de la rédaction par des encyclopédistes citoyens. Moi, hélas, j'en ai déjà compté trois, voire quatre victimes.
     

     
     


    Il y a l'enfant, oui, bien sûr, mais aussi le cousin de son père, Bernard Laroche, accusé, inculpé, écroué le 5 novembre 1984, puis relâché le 4 février 1985, et finalement tué le 29 mars 1985 par le père de Grégory, Jean-Marie Villemin, d'un coup de fusil, croyant faire justice lui-même alors qu'en fait, par cet acte irréversible, il a empêché toute enquête possible sur ce potentiel suspect. Bernard Laroche, coupable ou pas, complice (auteur de l'enlèvement) ou pas, on ne le saura certainement jamais. Jean-Marie Villemin, qui a été condamné le 16 décembre 1993 à cinq ans de prison dont un avec sursis par la cour d'assises de la Côte-d'Or, a beaucoup regretté son geste, comme il l'a affirmé plus tard, le 3 octobre 2024, dans la préface d'une bande dessinée sur l'affaire : « J'ai craqué. J'ai pris la vie de mon cousin. Je resterai à jamais un assassin. Je le regrette tant. La vengeance n'est pas une solution. » ("Gregory" par Pat Perna et Christophe Gaultier, éd. Les Arènes).
     

     
     


    La troisième victime, c'est ce petit juge d'instruction Jean-Michel Lambert, trop jeune, trop immature, trop occupé (il n'avait pas qu'une seule affaire), trop inconscient de la gravité des choses, avec des décisions très déconcertantes, et son lynchage médiatique continu, plus, la goutte d'eau, la publication d'extraits des carnets de son successeur, le juge Maurice Simon, ancien résistant et président de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Dijon, qui l'aurait probablement conduit à se suicider le 11 juillet 2017, quelques heures après leur diffusion par BFMTV. C'était l'humiliation de trop, comme l'a affirmé plus tard sa veuve : « Les médias l'ont quelque part poussé au suicide, notamment un, qui a divulgué un extrait des carnets intimes du juge Simon [où mon époux est durement critiqué]. La presse, c'est une chose. Mais qu'un magistrat, un collègue l'attaque ainsi, c'était pour lui inconcevable. Quand vous voyez ça tourner en boucle toute la journée… S'il avait su, comme on l'a vu par la suite, que ce magistrat critiquait en réalité un peu tout le monde, ça lui aurait sans doute sauvé la vie. ».
     

     
     


    Dans ses carnets (dont il ne prévoyait certainement pas la publication et remis par son fils à la justice le 28 janvier 2016), Maurice Simon (qui est mort le 23 mai 1994), a décrit son prédécesseur ainsi : « On reste confondu devant les carences, les irrégularités, les fautes (…) ou le désordre intellectuel du juge Lambert. Je suis en présence de l'erreur judiciaire dans toute son horreur. » (14 septembre 1988). Dans une lettre juste avant son suicide, le juge Lambert a écrit : « Si j'ai parfois failli, j'ai cependant la conscience parfaitement tranquille quant aux décisions que j'ai ét amené à prendre. ». Dans cette lettre, également : « J’ai décidé de me donner la mort car je sais que je n’aurai plus la force désormais de me battre dans la dernière épreuve qui m’attendrait. ». Et d'insister : « Je proclame une dernière fois que Bernard Laroche est innocent. ».

    L'enquête s'était orientée vers la mère de l'enfant, Christine Villemin, qui a vécu une tragédie supplémentaire jusqu'à son non-lieu le 3 février 1993, rendu par la cour d'appel de Dijon, plus de sept années plus tard, écrouée pendant onze jours, perdant l'un des jumeaux qu'elle attendait parce qu'elle était enceinte à cette époque. Pour ajouter à la confusion, l'écrivaine Marguerite Duras a publié un article jugé délirant le 17 juillet 1985 dans "Libération" qui chargeait Christine Villemin et la justifiait d'être une mère infanticide ("Sublime, forcément sublime Christine V."). La veuve du juge, Nicole Lambert, a voulu préciser dans "Le Parisien" du 22 octobre 2019, que ce n'était pas son mari mais la cour d'appel de Dijon qui a pris la décision incompréhensible du renvoi de Christine Villemin devant la cour d'assises.(Le juge Lambert a pourtant effectivement demandé le renvoi de Christine Villemin devant la cour d'assises des Vosges, ce qui a eu lieu le 9 décembre 1986 par un arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Nancy qui a été cassé le 17 mars 1987).

    La quatrième victime, cela pourrait donc être l'enfant à naître, parmi les deux jumeaux, que Christine Villemin attendait en 1985 et qu'elle a perdu après avoir été mise en prison. On pourrait même parler d'une cinquième victime, puisque le juge Maurice Simon, qui avait retardé son départ à la retraite pour s'occuper de cette "affaire" (il avait une très bonne réputation de compétence et on lui avait demandé de reprendre l'enquête après sa délocalisation à Dijon par la Cour de Cassation le 17 mars 1987), n'a pas vraiment survécu à son enquête.

     

     
     


    Menacé de mort pendant son instruction, Maurice Simon a comparu en janvier 1990 devant la cour d'appel de Dijon (accusé par des protagonistes de l'affaire). Sa réaction le 25 janvier 1990 : « Toujours aucun signe de vie du premier président ni du procureur général. Cela s’appelle le soutien de la hiérarchie. ». Il a en effet été très affecté par cette comparution alors qu'il se disait près du but, ce qui a précipité une crise cardiaque le 28 janvier 1990 entraînant un coma de trois jours et une amnésie totale sur son enquête. Le 30 octobre 1987, il avait écrit : « Je pense aussi que je laisserai ma vie dans cette affaire. Peut-être que oui, peut-être que non ! En tout cas je porte Grégory dans mon cœur et dans mon âme. ». Le 5 septembre 1988 : « Je sens en effet que, contre toute apparence, les jours me sont comptés car les troubles se multiplient alors je réfléchis, je pense et je me prépare. J’ai d’ailleurs le sentiment que, d’une manière ou d’une autre, je ne verrai pas la fin de l’affaire de l’assassinat du petit Grégory Villemin. ». En son hommage, les époux villemin ont donné à leur quatrième enfant le prénom Simon (né en 1998).

    Du reste, Maurice Simon allait très loin dans ses réflexions puisqu'en juillet 1988, il a indiqué ses soupçons de manière très claire : « Il paraît certain que Bernard Laroche a bien enlevé le petit Grégory Villemin. Il me reste à trouver (…) qui a tué ce superbe enfant. (…) C'est clair, il ne faut pas découvrir le ou les vrais coupables parce que ce sont Laroche et consorts et qu'il y a derrière eux le parti communiste et des élus socialistes. Je m'explique mieux, dès lors, le culot des Bolle qui se croient tout permis. (…) Il existe une volonté absolue de ce côté-là de faire de l'obstruction. (…) Il est clair que c'est la panique et que l'on veut à tout prix m'empêcher d'entendre Murielle Bolle parce qu'on a peur qu'elle craque. ». Il faut rappeler que Bernard Laroche, lui aussi contre-maître (ce qui supprimerait la motivation de la jalousie du statut social), était délégué syndical CGT tandis que son cousin avait refusé, dans son entreprise, se syndiquer à la CGT. Une partie de la famille aurait été syndiquée à la CGT.

    Tout depuis le début, dans cette affaire, a été mauvais : les investigateurs de la gendarmerie, la justice incohérente, et surtout, les journalistes qui ont été abominables dans leur surenchère pour faire de l'audience. De très nombreuses erreurs ont eu lieu dès le début de l'enquête, par la perte de nombreuses indices etc. à tel point que la procédure judiciaire a été améliorée après les leçons de cette affaire. À cela, il faut aussi ajouter l'idéologie, car il y a eu un avocat ou des journalistes qui militaient pour le rétablissement de la
    peine de mort (abolie quelques années auparavant).
     

     
     


    La connaissance de la famille, plongée dans la jalousie, l'envie, des secrets qui remontent parfois à trois générations (un inceste qui a donné naissance à un enfant, et aussi un enfant de 4 ans tué par la violence de ses parents et le suicide du père dix ans plus tard par l'abandon de sa femme, la mort de Bernard Laroche à sa naissance et sa proximité comme frère de lait d'un frère de Jean-Marie Villemin, etc.). Dès 1981, la famille Villemin a été victime de nombreuses lettres anonymes et d'appels téléphoniques anonymes (de ceux qu'on a appelés les corbeaux, qui étaient plusieurs), parce que Jean-Marie Villemin a bien réussi dans sa vie professionnelle (il a rapidement été nommé contre-maître) et que le couple a pu s'acheter un pavillon avec jardin, etc. dans une campagne vosgienne à l'esprit rural encore très marqué.

    L'hypothèse de complicités, de plusieurs coupables, un qui aurait enlevé, un autre qui aurait tué, était envisageable. Le colonel Étienne Sesmat, le gendarme en charge de l'enquête au début (capitaine, il commandait la compagnie de gendarmerie d'Épinal), est toutefois convaincu du contraire, que l'auteur de l'enlèvement et de l'assassinat est le même, parce que cela s'est déroulé de manière très rapide, entre 17h05 et 17h45, que c'était imprévu (l'occasion de pouvoir enlever l'enfant dans le jardin chez lui), et qu'il n'y avait pas de téléphone mobile. Le courrier annonçant la mort de l'enfant par vengeance a été posté vers 17h50 au bureau de poste (arrivée le lendemain chez les Villemin). Le gendarme croit encore en 2024 en la culpabilité de Bernard Laroche, alors que sa veuve Marie-Ange Larouche, qui a maintenant un petit-fils de 14 ans, crie toujours à l'innocence de son mari mais n'espère plus de nouveaux rebondissements de "l'affaire".

     

     
     


    Le dernier rebondissement est récent puisqu'il a eu lieu le 20 mars 2024 quand la chambre d'instruction de la cour d'appel de Dijon a ordonné de nouvelles comparaisons d'ADN et d'autres expertises vocales sur les enregistrements des corbeaux (on peut maintenant déterminer scientifiquement l'identité vocale de chacun), selon les demandes des époux Villemin. Les preuves matérielles sont les cordelettes qui ont servi à attacher le malheureux enfant, l'écriture des courriers anonymes et la voix des appels anonymes, en sachant qu'il y a eu plusieurs corbeaux et qu'ils ne sont pas nécessairement les auteurs de l'assassinat.

    La seule chose positive dans cette affaire judiciaire, au contraire de celle liée au supposé suicide (et probable assassinat) du ministre
    Robert Boulin, c'est qu'elle n'est pas classée car il y a encore des investigations et des actes judiciaires, ce qui laisse encore l'espoir qu'on puisse connaître un jour la vérité. Repose bien aux cieux, petit Grégory !


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (12 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Le juge Jean-Michel Lambert.
    La relance judiciaire de l’affaire Grégory.
    Histoire encore à suivre.
    Documents sur l’affaire Grégory.
    40 ans de confusions dans l'Affaire Grégory.
    Philippine : émotion nationale, récupérations politiques, dysfonctionnements de l'État ?
    Viols de Mazan : quelques réflexions sur Pélicot et compagnie...
    Violence scolaire : quand une enseignante s'y met...
    Création du délit d'homicide routier : seulement cosmétique ?
    La France criminelle ?
    La nuit bleue de Lina.
    La nuit de Célya.
    La nuit d'Émile Soleil.
    Affaire Grégory : la vérité sans la boue ?
    Alexandra Sonac et sa fille adolescente.
    Harcèlement scolaire et refus d'obtempérer.
    Alisha, victime d’un engrenage infernal.
    À propos de la tragique disparition de Karine Esquivillon...
    Meurtre de Lola.
    Nos enseignants sont des héros.
    La sécurité des personnes face aux dangers.






















    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241016-affaire-gregory.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/40-ans-de-confusions-dans-l-256282

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/15/article-sr-20241016-affaire-gregory.html



     

  • Philippine : émotion nationale, récupérations politiques, dysfonctionnements de l'État ?

    « Soyez donc les bienvenus vous tous, chrétiens ou non, habitués ou moins habitués des églises, qui venez entourer la famille de Philippine, manifester votre amitié et prier pour elle. Vous pressentez que c’est important d’être là, tels que vous êtes. Merci d’être venus, parfois de loin. » (Père Pierre-Hervé Grosjean, le 27 septembre 2024 à Versailles).



     

     
     


    À la découverte à la fois du corps inerte de Philippine Le Noir de Carlan et du profil de son meurtrier présumé deux jours plus tard, l'extrême droite a profité de l'occasion pour faire de la récupération politique. Oui, c'est sans doute vrai, mais l'émotion ne signifie pas toujours la récupération et c'était une grande émotion nationale qu'ont ressenti ce vendredi 27 septembre 2024 les près de 3 000 participants aux obsèques de Philippine à la cathédrale Saint-Louis de Versailles, dont 1 000 restés dehors, sur le parvis, faute de place, sous une pluie battante.

    Rappelons d'abord les faits : Philippine Le Noir de Carlan, jeune étudiante de l'Université Paris-Dauphine qui allait fêter son 20e anniversaire le 10 octobre prochain, a été déclarée disparue le vendredi 20 septembre 2024 dans la soirée. Sa dernière apparition remontait à 14 heures le même jour, à l'issue de son déjeuner. Elle devait retrouver ses parents dans les Yvelines pour le week-end. Hélas, très rapidement, on en est venu à chercher du côté du bois de Boulogne (proche de la Porte Dauphine), et le soir du samedi 21 septembre 2024, on a retrouvé son corps, enseveli sauf un bras. Une vague d'émotion a alors envahi le pays. Pourquoi ? Parce que, comme toujours avec ce genre de tragédie, on peut s'identifier à la victime. Une jeune étudiante, symbole de toutes les étudiantes, mais aussi les parents de jeunes filles peuvent s'identifier aussi (même la dernière fille du nouveau garde des sceaux a l'âge de Philippine).

    De nombreux étudiants, même ceux qui ne connaissaient pas Philippine, sont venus se recueillir le lundi 23 septembre 2024 dans le hall de l'Université Paris-Dauphine pour lui rendre hommage et honorer sa mémoire. Ce qui est arrivé à Philippine aurait pu arriver à n'importe quelle étudiante de cette université et sans doute n'a-t-elle a eu de chance d'avoir croisé son meurtrier.
     

     
     


    Beaucoup de détails peuvent contribuer à s'identifier à la victime. Ainsi, les lieux. Il y a une vingtaine d'années, je me rendais de temps en temps à cette université Paris-Dauphine parce que j'avais un groupe de travail avec des étudiants de cette université. Parfois, les réunions pouvaient finir tardivement dans la soirée ou en hiver, vers les 19-20 heures, il faisait nuit, et je me faisais la réflexion, lorsque je revenais seul reprendre mon véhicule stationné dans le bois de Boulogne, peu éclairé, que ce serait peut-être dangereux si j'avais été une jeune fille (j'avoue que je n'ai jamais eu peur personnellement d'être agressé, mais à tort, surtout par imprudence car nul n'est épargné ; la témérité était ma seule réponse à une impuissante fatalité). Je connais aussi bien Versailles, et Montigny-le-Bretonneux où Philippine vient d'être inhumée, ce qui renforce l'identification. J'imagine parfaitement son milieu.

    L'émotion suscitée par ce drame infini s'est renforcée par la colère. En effet, l'auteur présumé du meurtre a été arrêté à Genève le mardi 24 septembre 2024 (bravo la police !). Il s'agirait d'un Marocain de 22 ans venu illégalement en France en 2019, qui aurait commis un viol alors qu'il n'était pas encore majeur, aurait été condamné à sept ans de prison mais libéré au bout de cinq ans, en juin 2024. Il était condamné aussi à une obligation de quitter le territoire français (OQTF) d'une durée de dix ans. Il a été placé dans un centre de rétention administrative pendant un peu plus deux mois mais relâché quinze jours avant la tragédie.

    On le comprend, le sujet est ultrasensible : meurtre d'une jeune fille, fille croyante et pratiquante, immigration illégale, OQTF non exécutée, récidive. Chaque terme susciterait en lui-même des montagnes de récupérations politiques de l'extrême droite. Insistons sur le fait que si le RN avait été au pouvoir (il n'en était pas très loin au début de l'été), le meurtre aurait hélas été sans doute aussi commis.

    Restons encore brièvement dans la récupération politique... mais de l'extrême gauche, pas plus décente à cet égard pour la mémoire de Philippine, et même, pire. Ainsi, on peut lire dans les réseaux sociaux des messages franchement dégueulasses de personnes qui refusent la compassion pour Philippine sous prétexte qu'elle serait catholique pratiquante et que l'extrême droite aurait récupéré son assassinat. Du reste, des militantes d'extrême gauche ont arraché à Science Po les affiches rendant hommage à Philippine. On ne sait plus très bien si les plus dégénérés sont les meurtriers du type de celui de Philippine ou tous ces tordus qui ne voient plus l'humain au travers de leur prisme idéologique et de leurs puanteurs militantes.
     

     
     


    Le grand nombre de participants à l'enterrement à Versailles montre qu'on n'était pas obligé de connaître Philippine pour être touché dans ses tripes par son meurtre. Des gens qui ne se connaissaient se sont d'ailleurs serrés dans les bras pour exprimer cette émotion et se consoler. Elle ne vient pas de nulle part, elle rassure même, car tout drame mérite respect, émotion et réflexion. Cela s'est passé aussi pour d'autres drames, précédemment, trop nombreux hélas pour les énumérer simplement ici.

    Pour autant, la réflexion doit s'amorcer avec cette idée : le meurtre de Philippine pouvait-il être évité ? Et aussi : comment l'éviter dans l'avenir ? Car la première réflexion, logique, c'est de se dire : jamais Philippine n'aurait dû croiser sur son chemin ce jeune criminel marocain qui aurait dû être expulsé depuis plusieurs semaines. Et vient donc la question en d'autres termes : y a-t-il eu des dysfonctionnements dans l'État, c'est-à-dire, des décisions humaines qui, mal inspirées, ont engendré un tel crime ?
     

     
     


    Pour ma part, sans ôter la moindre responsabilité au moindre responsable, l'entière responsabilité du meurtre provient du meurtrier et de lui seul. Personne ne l'a forcé à tuer Philippine. Il est 100% responsable de son acte odieux.

    Il y a d'abord des amalgames à éviter, et à éviter des deux extrêmes. Extrême droite : les immigrés clandestins ne sont pas tous des tueurs. Heureusement. Réduire le meurtre de Philippine à des OQTF mal exécutées est, à mon sens, une erreur de raisonnement. Extrême gauche (chez certains écologistes) : on réfute l'idée que le tueur soit immigré pour qu'il tue, en disant qu'il a tué parce qu'il était un homme ! Là aussi, c'est tout aussi stupide intellectuellement. Dieu merci, les hommes ne sont pas tous des tueurs de jeunes filles (sinon, j'en viendrais à être honteux d'être ce que je suis, un homme).

    Premiers éléments de réflexion pour répondre à la question principale (le meurtre aurait-il pu être évité ?). D'après les informations dont je dispose, et donc, sous réserve qu'elles soient exactes et confirmées, j'ai compris que la remise de peine de deux ans est plutôt sévère pour une peine de sept ans. Rappelons aussi que le juge évite le plus possible la prison en temps long en raison des places qui manquent. Donc, le jeune Marocain est relâché et immédiatement placé en centre de rétention administrative pour rendre exécutable son OQTF.

    Qu'est-ce qu'on attendait ? Comme le futur expulsé n'a pas de passeport, il lui faut un sauf-conduit (je n'ai pas le terme exact) consulaire délivré par le pays qui l'accueille, à savoir ici le Maroc. Le problème, c'est que les pays de retour sont peu enthousiastes pour délivrer ce genre de papiers officiels. Il y aura bien un rapport de force diplomatique à mener entre les deux pays, mais c'est du long terme et très aléatoire, car concrètement, si le pays de retour ne fait rien, la France est bien ennuyée. Le pire, c'était que des candidats à l'expulsion pouvaient rester des mois voire des années dans des centres de rétention, qui n'est pas autre chose qu'une prison alors qu'on n'est pas condamné (je rappelle : les expulsés n'ont commis que la faute d'être entrés en France illégalement, mais n'ont pas forcément commis des crimes ou autres délits). Une loi a donc établi une durée maximale durant laquelle on pouvait être retenu dans un centre de rétention : 90 jours. Avec une décision de maintien du juge tous les quinze jours. Sur quoi se base le juge ? Sur la probabilité que le pays de retour délivre les documents consulaires avant les 90 jours de durée maximale.

    Pour le cas du meurtrier présumé de Philippine, la justice française avait abandonné tout espoir raisonnable que le Maroc fournisse ce document dans les temps, si bien qu'elle a considéré que le retenir plus longtemps n'avait aucune sorte d'utilité (au bout de 90 jours, il serait de toute façon relâché). Donc, à mon sens, blâmer le juge qui a signé sa sortie du centre de rétention est stupide car il n'a fait que son travail selon les critères que la loi lui a imposés. En revanche, l'auteur présumé aurait dû signaler régulièrement sa présence, ce qu'il n'a pas fait. Pourquoi n'a-t-on pas réagi ? (Là encore, regardons l'unité de temps : quinze jours, semble-t-il, entre sa sortie du centre de rétention et le meurtre ; la police n'allait pas réagir plus vite de toute façon).
     

     
     


    Pour autant, peut-on considérer que c'est satisfaisant ? Certainement pas. Absolument pas. Des vies humaines ont été perdues à cause d'un manque de réflexion. Il ne faut pas idéologiser l'immigration, mais réfléchir de manière pragmatique sur les raisons de non exécution des OQTF. La principale, c'est la mauvaise volonté des pays du retour. Quand la justice française connaît le pays du retour, car ce n'est pas toujours le cas.

    Je n'ai pas "la" solution, sinon, elle aurait déjà été trouvée et appliquée depuis longtemps, mais des pistes sur ce cas précis. Deux modestes pistes.

    La première est que la condamnation du jeune violeur était de la détention assortie d'une OQTF. On aurait donc pu rechercher les documents consulaires avant sa libération de prison, en vue de son expulsion immédiate dès sa sortie de prison. Après tout, condamné à sept ans de prison, cela laissait deux ans à l'administration française pour obtenir le papier consulaire auprès des autorités marocaines. Mieux que 90 jours. L'obtention de ce papier consulaire devrait même être une condition nécessaire à toute libération anticipée d'un condamné faisant l'objet d'une procédure d'expulsion.

    La seconde piste, c'est de différencier les candidats à l'expulsion, car il y en a de deux sortes : il y a la grande majorité d'étrangers clandestins qui doivent retourner chez eux et qui n'ont rien fait d'illégal autre que cette entrée du territoire français ; et puis il y a des gens comme ce violeur condamné qui est un criminel (rappelons que le viol est un crime) et on doit focaliser la surveillance des autorités françaises sur ces personnes sous OQTF tant qu'elles ne sont pas effectivement expulsées car elles sont susceptibles d'être (encore) des dangers pour la société (même si on ne peut pas préjugé d'un crime ou délit futur, "Minority report" n'est qu'une fiction, heureusement). Ou même permettre exceptionnellement le placement en centre de rétention le temps de pouvoir les expulser selon les règles.

    Invité de la matinale de France Inter ce vendredi 27 novembre 2024, le nouveau Ministre de la Justice Didier Migaud a manqué manifestement de dose de persuasion pour exprimer pourtant une évidence : « des situations tout à fait objectives, comme sur l'exécution des peines, qui a beaucoup progressé, comme le nombre de personnes qui aujourd'hui sont détenues en prison. Mais je sais que c'est inentendable pour le citoyen ! (…) Je souhaite convaincre les citoyens qu'il faut faire confiance à la justice. Et comme garde des sceaux, ce sera à moi de veiller à ce que la justice puisse avoir les moyens de fonctionner. Je serai toujours le défenseur de l'État de droit, toujours le défenseur de la justice, toujours le défenseur des magistrats, sans être complaisant vis-à-vis de manquements qui peuvent effectivement intervenir. ».
     

     
     


    Et de répondre aux critiques parce qu'il n'avait pas réagi au meurtre de Philippine : « Vous savez que le garde des sceaux ne peut pas intervenir dans le cadre d'une procédure individuelle. Ça ne m'empêche pas de ressentir aussi fortement que les citoyens l'émotion devant une telle situation. C'est une tragédie. Ma dernière fille, elle a l'âge de la victime ! Donc vous vous rendez compte que je peux imaginer le drame que ça peut représenter pour la famille, et je lui exprime bien évidemment toute ma sympathie. ». Sa mission : « Essayer de travailler pour voir si la réglementation, si la législation est adaptée en toutes circonstances, pour faire en sorte d'éviter ce type de situation et ce type de drame. Et là, je dois travailler avec le Ministre de l'Intérieur : c'est ce que nous efforçons de faire, d'ailleurs, depuis quelques jours pour faire face à cette situation. Mais je comprends que l'émotion est telle qu'elle submerge tous les discours objectifs. ».

    La cérémonie religieuse a eu lieu à la cathédrale Saint-Louis de Versailles (où Philippine a fait sa confirmation) parce que l'église de sa paroisse, à Montigny, n'aurait pas été assez grande pour accueillir ces milliers de personnes venues communier à la mémoire de Philippine. La présidente du conseil régional d'Île-de-France Valérie Pécresse était présente, le président de l'Université Paris-Dauphine également. Beaucoup d'élus étaient présents. Une cagnotte mise en ligne pour soutenir financièrement la famille a déjà recueilli les dons de 3 500 généreuses personnes.

    Dans son homélie, le curé de la paroisse de Montigny-Voisins-le-Bretonneux, le Père Pierre-Hervé Grosjean, a évoqué trois temps : celui de la tristesse, celui de l'espérance, et celui de l'action.

    L'émotion : « Devant le mystère du mal, devant l’injustice insupportable et la violence qui s’est déchaînée, nous sommes sidérés, comme écrasés. Bien sûr, la justice des hommes sera nécessaire. Son temps viendra. Mais aujourd’hui, nous avons besoin de pleurer, de partager et de déposer ensemble notre douleur, notre colère, notre incompréhension. ».
     

     
     


    L'espérance : « Nous voulons nous accrocher à cette espérance que nous donne Jésus, comme on s’accroche à une ancre pour ne pas couler ou dériver. Oui, en priant pour toi, en te portant devant Dieu, Philippine, nous espérons et nous croyons que le Seigneur t’accueille dans sa paix, dans la joie du Ciel, qu’auprès de Lui tu ne souffres plus, et que tu connais ce bonheur parfait pour lequel nous avons été créés, ce bonheur qu’aucun mal ne pourra plus désormais atteindre ou abîmer, cette joie éternelle dont nous avons tous soif, dont tu avais soif et que les joies de ta vie annonçaient. Nous sommes là, nous accrochant à cette espérance qui nous promet aussi qu’il y aura un jour des retrouvailles. Nous te reverrons Philippine. Cette espérance n’empêche pas nos larmes, mais elle les éclaire. ».

    L'action : « Nous avons nous aussi en effet chacun une mission. Nous ne voulons pas que le mal ait le dernier mot. Nous voulons croire que Jésus a vaincu la mort, pour que ceux qui accueillent cet Amour victorieux puissent recevoir la vie éternelle. Mais dès maintenant, nous pouvons répondre à ce mal en le retournant contre lui-même. Comment ? En faisant de ce drame, de cette épreuve terrible, l’occasion d’un sursaut, l’occasion de grandir résolument, généreusement et courageusement dans notre vie, dans la façon de la vivre pleinement, de la donner, dans notre désir de servir et d’aimer. Nous voulons opposer au Mal, à sa violence et à sa laideur, la force de notre amour, de notre espérance, de notre foi, et la beauté de notre unité. Nous voulons répondre à l’horreur du mal par la force plus grande encore du bien, le bien que nous pouvons faire en nous engageant, chacun à notre façon, chacun selon notre vocation, pour servir. ».

    Et il a terminé en s'adressant directement à Philippine à propos de sa famille et de ses amis : « Tu es désormais leur grande sœur du Ciel. Encourage-les dans leurs joies, leurs peines et leurs combats. Donne à chacun de pouvoir servir, croire et aimer à son tour avec toute la générosité dont il ou elle est capable. Aide tous ces jeunes à découvrir combien ils sont aimés de Dieu, de façon inconditionnelle, quelle que soit leur histoire ou leurs fragilités. Parce que c’est quand on se sait aimé qu’on devient capable du meilleur ! ».


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (27 septembre 2024)
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    Pour aller plus loin :
    Philippine : émotion nationale, récupérations politiques, dysfonctionnements de l'État ?
    Viols de Mazan : quelques réflexions sur Pélicot et compagnie...
    Violence scolaire : quand une enseignante s'y met...
    Création du délit d'homicide routier : seulement cosmétique ?
    La France criminelle ?
    La nuit bleue de Lina.
    La nuit de Célya.
    La nuit d'Émile Soleil.
    Affaire Grégory : la vérité sans la boue ?
    Alexandra Sonac et sa fille adolescente.
    Harcèlement scolaire et refus d'obtempérer.
    Alisha, victime d’un engrenage infernal.
    À propos de la tragique disparition de Karine Esquivillon...
    Meurtre de Lola.
    Nos enseignants sont des héros.
    La sécurité des personnes face aux dangers.

     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240927-philippine.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/philippine-emotion-nationale-256968

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/09/27/article-sr-20240927-philippine.html



     

  • Viols de Mazan : quelques réflexions sur Pélicot et compagnie...

    « Depuis que je suis arrivée dans cette salle d'audience, je me sens humiliée. On me traite d'alcoolique. Je serais la complice de M. Pélicot. Il faut avoir un degré de patience pour supporter ce que j'ai pu entendre ! » (Gisèle Pélicot, le 17 septembre 2024 à Avignon).



     

     
     


    Ce qu'on appelle parfois l'affaire Pélicot mais que je préfère appeler l'affaire des viols de Mazan (car Pélicot est soit une victime soit un criminel, selon le prénom utilisé), est passée au-delà du simple fait-divers, c'est désormais un fait de société, tellement il peut donner un exemple éloquent et glauque de l'existence sociale et de l'organisation systémique de la violence conjugale. Depuis le 2 septembre 2024 devant la cour criminelle du Vaucluse, à Avignon, se déroute un long procès qui devrait s'achever le 20 décembre 2024.

    Je rappelle rapidement l'objet du procès : Dominique Pélicot, un homme de 71 ans, a non seulement violé sa femme Gisèle mais l'a fait violer par des dizaines voire des centaines d'hommes. 92 faits de viol ont été répertoriés par la justice, qui ont été commis entre le 23 juillet 2011 et le 23 octobre 2020, principalement à Mazan, dans le Vaucluse, au domicile du couple, dans la chambre conjugale. 83 violeurs potentiels ont été comptés, dont seulement 54 hommes identifiés, 51 (dont le mari) sont jugés au cours de ce procès, un est décédé et deux autres ont été relaxés faute de preuve.

    Jusqu'à cette affaire judiciaire, Gisèle trouvait son mari formidable, « bienveillant et attentionné », « un super mec ». Elle a dit à l'audience : « J'aurais mis mes deux mains à couper que je vivais avec un homme extraordinaire. La première trompée dans ce dossier, c'est moi et mes enfants. ».

    Le procédé était particulièrement odieux : le mari recrutait les violeurs sur un site Internet de rencontres à l'occasion d'échanges dans un forum privé (le forum s'intitulait "À son insu" laissant peu de doute sur la réalité des viols) avec un protocole bien précis et rigoureux (éviter d'être parfumé, rester silencieux, etc. pour ne pas réveiller l'épouse ni éveiller ses soupçons) car les viols étaient commis sans le consentement mais aussi sans la conscience de la victime qui était droguée préalablement au Temesta (un anxiolytique). Pendant tous ces viols, Gisèle Pélicot ne savait pas qu'elle était violée, mais elle souffrait de douleurs génitales, de pertes de mémoire pendant la journée, de grosse fatigue, etc. dont elle ne connaissait pas la cause (et elle a même chopé le papillomavirus ; heureusement, pas le sida alors qu'un des violeurs récidiviste était séropositif).

    Tout dans cette affaire est instructif, autant instructif que glauque, mais aussi tout ce qu'il y a autour. Avant tout, je souhaite saluer le courage, car c'est bien du courage, de la victime Gisèle Pélicot. Courage pour avoir enduré ce qu'elle a subi, mais aussi courage pour l'extérioriser, courage de s'afficher publiquement, sans anonymat, pour faire éclater la vérité (avec l'accord de sa fille Caroline) et aussi pour faire en sorte que cela ne puisse plus se reproduire. Créer un choc social, un avant et un après ce procès. Chaque fois qu'elle rentre au palais de justice, Gisèle est entourée d'une haie d'honneur qui l'encourage. Des manifestations ont eu lieu pour la soutenir, notamment le samedi 14 novembre 2024, pour soutenir aussi toutes les victimes de viol. Aux milliers de manifestants, Gisèle Pélicot a affirmé : « Grâce à vous, j'ai la force de poursuivre le combat jusqu’au bout. ». Le mérite de la victime, ce n'est pas d'avoir été une victime, d'avoir subi, mais d'avoir voulu médiatiser tout le système dont elle était la victime ignorante pour un combat plus général contre le viol et contre les violeurs.


    L'avocat général avait proposé un procès à huis-clos mais la victime a refusé et voulu faire de la publicité à cette affaire judiciaire : « Je n'ai pas à avoir honte ! ». La diffusion d'images pornographiques (scènes de viol, etc.) a cependant été faite dans le cadre d'un huis-clos partiel, le président de la cour ayant faire évacuer la salle de son public (y compris la presse). En raison de la publicité sur les coaccusés, certaines de leurs familles ont été menacées et ont déposé elles-mêmes plainte pour menaces.
     

     
     


    Il est difficile de savoir exactement quel est le sujet, si c'est le viol collectif, le viol sous soumission chimique, le viol conjugal (le mari peut être considéré comme avoir violé sa femme si les rapports ont lieu sans consentement), le recrutement des violeurs sur Internet, le principe même du procès, son déroulement qui peut aussi provoquer la douleur, la réalité des prédateurs sexuels qui sont souvent très subtils et manipulateurs (loin des dragueurs lourdingues qu'on voit venir à des kilomètres à la ronde), capables de se faire passer pour victimes au lieu de bourreaux, etc. Sans doute tous ces sujets à la fois.

    L'origine de l'affaire est aussi assez troublante car c'est par hasard qu'on a découvert ce système dégueulasse. Le mari a été pris le 12 septembre 2020 par un agent de sécurité d'un supermarché de Carpetras en train de filmer sous la jupe de plusieurs clientes du magasin. L'analyse de son ordinateur a montré des dizaines de vidéos et photos de viols de sa femme, ce qui a permis de remonter les dates et les violeurs. Du reste, Dominique Pélicot a avoué le 2 novembre 2020, laissant croire qu'il regrettait les faits. Son épouse a appris l'existence de ces viols le même jour, ce qui a dû provoquer en elle un choc psychologique monstrueux (comment n'ai-je pas pu ressentir de telles atteintes à mon corps pendant si longtemps ?). Elle a immédiatement demandé le divorce et l'a obtenu heureusement avant le début du procès, le 22 août 2024. Les 51 prévenus sont donc jugés pour viols avec circonstances aggravantes.

    La lecture des profils de ces 50 coaccusés auteurs de viols avec la complicité du mari semble montrer qu'ils seraient des hommes ordinaires de 26 à 73 ans, de grande diversité de profession, âge, etc. Mais étaient-ce des messieurs toutlemonde ? Pas forcément car certains avaient été déjà condamnés pour viols ou violence conjugale. Les féministes qui voudraient faire l'amalgame entre ces coaccusés et les hommes en général ne vont certainement pas faire avancer efficacement la cause de femmes : non ! tous les hommes ne sont pas comme ça, tous ne sont pas forcément des prédateurs sexuels, tous n'ont pas besoin de contraindre pour aimer, et même, ce qu'il y a de plus beau dans l'amour, c'est justement le consentement libre et réciproque, le sentiment d'être sur la même longueur d'onde.

    Après des reports d'audience en raison de l'état de santé du principal prévenu, Dominique Pélicot, hospitalisé pour une infection rénale, ce dernier a pris la parole au procès pour la première fois le 17 septembre 2024 pour reconnaître les faits mais aussi accuser ses complices : « Aujourd'hui, je maintiens : je suis un violeur comme tous ceux qui sont concernés dans cette salle. Ils savaient tous, ils ne peuvent pas dire le contraire. Elle ne méritait pas ça, je le reconnais. (…) Je regrette ce que j'ai fait, je demande pardon même si ce n'est pas pardonnable. ».

    Lui-même aurait été une victime de viols pendant son enfance, mais les analyses ADN ont révélé qu'il pourrait être coupable du meurtre ou du viol de Sophie Narme, une jeune fille de 23 ans en stage dans une agence immobilière, tuée en décembre 1991 à Paris. Il a été mis en examen le 14 octobre 2022 pour cette affaire parce que le schéma d'agression serait le même qu'une autre agression sexuelle sur une jeune agente immobilière de 19 ans le 11 mai 1999 à Villeparisis pour laquelle il a avoué après avoir nié (en raison de l'ADN retrouvée).

    Dominique Pélicot a été confronté le 18 septembre 2024 à des images de sa fille nue endormie, mais il a nié avoir violé sa fille et même avoir pris ces clichés. Certains des coaccusés ont rejeté la réalité du viol dont ils sont accusés, si bien que le tribunal a fait diffuser dans une salle sans public et avec l'accord de la victime, la vidéo qui les incriminent le cas échéant dans toute leur crudité. Pour sa part, Gisèle Pélicot est pour l'étalement médiatique le plus large, selon son avocat : « Il faut qu’on ait le courage de se confronter à ce qu’est véritablement le viol, dans un dossier, justement, où il est exceptionnel d’avoir la représentation précise et réelle de ce qu’est un viol, et pas simplement une description sur un procès-verbal. ».

    On voit bien que cette affaire est très compliquée car il faut pouvoir décortiquer la responsabilité des uns et des autres et tous n'ont pas le même intérêt. Ainsi, en faisant embarquer tous les coaccusés dans une responsabilité collective, Dominique Pélicot est autant un accusé qu'un accusateur.

    Mais la stratégie de défense de certains des coaccusés est plutôt révoltante. Ainsi, ont été diffusées des images de Gisèle Pélicot dénudée avant ces viols (et même d'autres personnes qui n'ont rien à voir) en renversant le procès comme si c'était le procès de la victime ! Comme si le fait de faire du naturisme ou d'être plus ou moins audacieuse sur le plan moral justifierait le fait d'être violée ! Ce type de dénigrement de la victime est absolument abject et dans tous les cas, un viol reste un viol, quelle que soit la victime, quels que fussent ses faits et gestes avant, pendant, après le viol.

    De quoi mettre en colère la victime qui a protesté : « Les 50 [accusés] derrière ne se sont pas posés la question [du consentement]. C'est quoi, ces hommes, c'est des dégénérés ou quoi ? Pas à un moment ils se sont posé la question ! ». Le pire, c'est que la version de certains coaccusés ne serait peut-être pas incompatible avec la vérité, ce sera aux jurés d'en déterminer les exactes limites. En effet, certains coaccusés ont prétendu ne pas savoir qu'il n'y avait pas consentement de la part de Gisèle. Le mari leur aurait fourni le scénario précis de ces "jeux sexuels" et ils devaient trouver Gisèle endormie, comme si elle simulait un endormissement. Toutefois, comme ils ne se connaissaient pas, c'est difficile d'admettre que ces "libertins" n'ont pas cherché à savoir si madame Pélicot était réellement consentante, quels que soient les manipulations ou mensonges de son mari.

    Cette réécriture de l'histoire, ce relativisme d'oser dire qu'il y avait « viol et viol », sous prétexte que le violeur n'aurait pas eu conscience de violer, a profondément heurté Gisèle Pélicot : « Quand on voit une femme endormie sur leur lit, il n'y a pas un moment où on s'interroge ? Il n'y a pas quelque chose qui cloche ? (…) Un viol est un viol. Que ça soit trois minutes ou une heure. C'est absolument abject ! ».

    Un des coaccusés n'aurait pas violé Gisèle mais aurait obtenu de son mari le médicament incriminé pour endormir sa propre femme et la violer plusieurs fois. Son avocat a déclaré : « Mon client est le produit de la perversion de Pélicot. Je suis intimement persuadé que si X ne rencontre pas Pélicot, il ne se passe rien. ». On voit le niveau de glauque et de dégueulasserie qui va faire surface, avec plusieurs victimes qui ne se savaient pas victimes.

    Jouer au faux candide d'un côté, attaquer la victime de l'autre. Ce genre de défense risque fortement d'agacer les jurés qui devront pourtant tenter la neutralité, évacuer toute pression médiatique ou populaire, pour juger en leur âme et conscience sur les faits établis, les seuls faits établis. Mais sans préjuger du niveau de culpabilité, du niveau d'ignorance ou de connaissance, de complicité avec le mari, on peut quand même dire que tous ces coaccusés étaient avant tout de gros dégueulasses. Cela n'en fait pas une raison seule de les condamner, mais le contexte donne une tournure particulièrement grave de leurs dégueulasseries.

    Ce procès ne doit donc pas éveiller le combat des féministes contre les méchants hommes. Il est avant tout le combat de toute l'humanité contre les violences faites aux femmes, parmi lesquelles la manipulation et le mensonge sont des moteurs particulièrement efficaces.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (21 septembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Viols de Mazan : quelques réflexions sur Pélicot et compagnie...
    Violence scolaire : quand une enseignante s'y met...
    Création du délit d'homicide routier : seulement cosmétique ?
    La France criminelle ?
    La nuit bleue de Lina.
    La nuit de Célya.
    La nuit d'Émile Soleil.
    Affaire Grégory : la vérité sans la boue ?
    Alexandra Sonac et sa fille adolescente.
    Harcèlement scolaire et refus d'obtempérer.
    Alisha, victime d’un engrenage infernal.
    À propos de la tragique disparition de Karine Esquivillon...
    Meurtre de Lola.
    Nos enseignants sont des héros.
    La sécurité des personnes face aux dangers.

     

     
     



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  • Violence scolaire : quand une enseignante s'y met...

    « Certains vont essayer de relativiser l’étendue et l’horreur des violences conjugales. Certains auront peut-être l’indécence de temporiser, au lieu d’agir. Ce n’est pas notre intention. Car on ne le répétera jamais assez : l’absolue singularité des violences conjugales, c’est qu’elles se produisent à l’endroit où l’on devrait se sentir le plus en sécurité. » (Édouard Philippe, le 3 septembre 2019).


     

     
     


    Ce que disait Édouard Philippe, alors Premier Ministre, le 3 septembre 2019 au Grenelle contre les violences conjugales, est vrai aussi pour les enfants à l'école : en effet, pour les enfants, l'école, comme la famille, doit être le lieu de la sécurité absolue. Sécurité physique et sécurité affective. Alors, lorsqu'il y a des faits de violence à l'école, c'est un véritable scandale.

    Souvent, il est question de violences entre élèves, de harcèlement scolaire, voire de violences commises par des élèves sur des enseignants. Le fait médiatique du jour, c'est encore pire : la violence vient de l'autorité, vient de l'enseignant, et encore pire que pire, sur une enfant à peine sortie de la petite enfance.

    La vidéo que l'avocate de la famille, Vanessa Edberg, a mise en ligne ce lundi 9 septembre 2024 a provoqué consternation et malaise tant dans la classe politique que dans la communauté éducative. De quoi s'agit-il ? L'unité de lieu : une école maternelle dans le quinzième arrondissement de Paris. L'unité de temps : le jeudi 5 septembre 2024.

    Une fillette de 3 ans qui venait de rentrer pour la première fois à l'école (rappelons-nous que l'école est désormais obligatoire à partir de 3 ans) a été frappée par sa maîtresse et aspergée de liquide. En fait, dès le deuxième jour de la rentrée, la petite fille avait expliqué à sa maman que sa maîtresse lui avait donné des coups. C'est la mère d'une autre camarade de la classe, présente, qui, étonnée puis choquée par le comportement de l'institutrice vis-à-vis de ses écoliers, a filmé la scène (cette mère étant étrangère se demandait si c'était normal en France).

    Dans son message sur Twitter accompagnant la vidéo, l'avocate a écrit : « Une Maîtresse violente une petite fille de petite section et lui asperge un liquide sur la tête dans une école du 15ème arrondissement de Paris. Une plainte a été déposée. En tant qu’avocate je mènerai ce combat main dans la main avec la famille, en tant que maman mon cœur saigne. ». À la fin de la scène filmée de moins d'une minute, on entend l'enseignante dire à la fillette qui pleurait et criait : « Voilà, ça te fait du bien, là ? ».

    Selon la mère de l'enfant (qui a affirmé : « Au départ, je n'y ai pas cru ! »), sa fillette ne fait plus que pleurer à la maison. La famille est sous le choc, et le choc pour l'enfant est énorme car sa première expérience avec l'école, peut-être avec l'extérieur sans sa mère, est de la violence. Elle aura du mal à ne pas avoir peur d'un enseignant dans son avenir proche.

    Le parquet de Nanterre a ouvert le 10 septembre 2024 une enquête préliminaire confiée au commissariat d'Issy-les-Moulineaux à la suite de la plainte déposée le 5 septembre 2024 par la famille, pour des « faits qualifiés à ce stade de violence sur mineur de 15 ans sans incapacité ». Selon certains spécialistes, l'institutrice encourrait sept ans de prison en raison de trois circonstances aggravantes : cela se passe à l'école (lieu sanctuarisé pour l'enfant) ; sur une "mineure de 15 ans" (cela veut dire : enfant de moins de 15 ans) ; par une personne ayant autorité (enseignante). Le parquet de Nanterre devrait être rapidement dessaisi de l'affaire au profit du parquet de Paris où se trouve l'école.

    De même, le recteur de l'académie de Paris Bernard Beignier a pris immédiatement une mesure de suspension de l'enseignante, dans l'attente des conclusions de l'enquête, visant à mettre en sécurité tant la fillette et les autres écoliers, les collègues de l'institutrice qu'elle-même. : « L’arrêté de suspension de cette enseignante, ce qui n’est pas une sanction mais une mesure de protection et ensuite il y aura à la fois une enquête pénale puisqu’une plainte a été déposée et une enquête administrative qui pourra conduire très certainement à un conseil de discipline, voire des sanctions qui vont du blâme à la révocation. ».

    Le maire du quinzième arrondissement de Paris, Philippe Goujon (ancien député) a réagi sur BFMTV : « C’est tout à fait insoutenable, ce comportement est inqualifiable, venant d’une enseignante confirmée, qui était dans cette école depuis déjà une dizaine d’années. [Elle] connaît bien l’école, les parents, les élèves, et c’est une enseignante qui a une cinquantaine d’années (…), qui [ne] se laisse pas emporter normalement par ses émotions. ». Guislaine David, la secrétaire générale de la FSU-SNUIPP, principal syndicat des enseignants du premier degré, s'est déclarée choquée : « En tant qu’enseignants, nous devons assurer la sécurité physique et affective des élèves. ».

    De son côté, selon son avocat, l'enseignante suspendue a regretté ses gestes dus, selon elle, à un emportement : « L'institutrice est en état de choc. Elle regrette profondément ce qu'il s'est passé. ». On peut imaginer surtout le choc émotionnel sur les médias et les réseaux sociaux d'être montrée du doigt, mais il y a une part d'indécence à exprimer cet état de choc alors qu'elle est l'auteure de cette violence et que c'est sur la victime, la fillette et sa famille, elles aussi en état de choc, qu'il faut se concentrer, que la société doit se concentrer, du moins les pouvoirs publics.

    On pourra s'étonner sans doute de l'explosion médiatique de cette "affaire" alors que l'intérêt de tous les protagonistes (victime, famille, écoliers, établissement) serait plutôt de ne pas enflammer les passions publiques... sauf si c'est pour empêcher d'autres faits de violence à l'avenir, ce qui semblerait être l'objectif de l'avocate. En quelque sorte, le scandale est lui-même très instructif, car cela signifie que la société évolue. Il n'est plus possible de violenter les enfants sans créer un scandale, ce qui est relativement nouveau.

    Il y a cinq ans, les parlementaires avaient adopté la loi n°2019-721 du 10 juillet 2019 relative à l’interdiction des violences éducatives ordinaires. Elle signifiait, surtout aux parents, qu'on n'avait plus le droit de frapper physiquement ses enfants, ni gifles, ni fessées. Pour les "vieux" parmi lesquels je pourrais me compter, on a souvent estimé qu'une bonne claque pouvait être efficace et salutaire, déclencheur d'une maturité qui tardait à venir. La réalité, c'est qu'il y a des nourrissons qui meurent de la violence de leurs parents. Car il y a claque et claque, grosse claque qui blesse profondément le corps et petite tapette qui blesse surtout psychologiquement l'âme. Mais qui est le juge de paix de la pondération des claques ? Interdire sauve des enfants de la maltraitance, d'où cette loi.

    A fortiori, un enseignant a encore moins le droit de frapper un élève que ses parents. Selon certains témoignages, ce n'était pas la première fois que cette enseignante frappait, mais pourquoi est-ce seulement aujourd'hui qu'on le lui reproche ? Sans doute un élément simple : la vidéo. L'image est parlante et remplace tout jugement. Cela fait cinquante ans que nous sommes dans une société de l'image (avec la télévision, puis Internet), mais c'est très récemment (depuis une dizaine d'années) que n'importe qui peut diffuser à grande échelle des images (en l'occurrence, ici, une mère sur la violence d'une enseignante).


    Les réactions des internautes de Youtube à la vidéo de cette scène sont, elles aussi, instructives (et je soupçonne que ce sont issues de personnes plutôt âgées, en tout cas, qui ont le temps et l'oisiveté de se consacrer à réagir sur Internet). J'en ai pioché quelques-uns sur deux vidéos données. On voit à quel point le relativisme dénoncé par Édouard Philippe (voir au début de l'article) sévit et reste bien vivace.
     

     
     


    Majoritairement, beaucoup disent qu'il ne faudrait pas exagérer, qu'il n'y a pas mort d'homme, que c'est une petite violence, jusqu'à faire part de leur expérience (j'ai été frappé et tout va bien maintenant, je n'en suis pas mort), voire se retournent contre les parents en demandant ce qu'ils ont fait de leur éducation pour cette pauvre fillette (rappelons-le : c'était sa première rentrée scolaire). Heureusement, d'autres s'insurgent contre cette violence et s'imaginent les parents de cette fillette.
     

     
     


    Je ne doute pas que ces réactions d'hostilités vont perdurer parce qu'il y a toujours un fond de complotisme résiduel sur Internet et le complot, ici, ce serait de dire que la vidéo était un coup monté pour mettre en difficulté l'enseignante. Que celle-ci en soit consciente ou pas, taper des enfants de 3 ans ne sont pas des méthodes pédagogiques et si elle ne s'en sort pas avec ses élèves dans sa classe, il faudra penser sérieusement à évoluer vers un autre métier que l'enseignement. On s'étonnera aussi que personne, au rectorat, n'avait reçu auparavant de signalement sur cette violence dont serait coutumière cette enseignante.
     

     
     


    Mais celle-ci ne doit pas payer non plus pour les autres, pour la violence à l'école en général. Les faits sont tristes pour tout le monde. Je laisse la justice enquêter au-delà des apparences médiatiques et donner ses conclusions. Ce que je retiens, c'est que cette sortie médiatique est une bonne mesure préventive voire dissuasive pour les enseignants susceptibles de violenter leurs élèves, surtout s'ils sont en très bas âge, car finalement, un lynchage médiatique peut faire plus mal qu'une véritable condamnation judiciaire. Alors, restons modérés dans les réactions, c'est plusieurs vies qui sont en jeu dans cette triste affaire, et heureusement, toutes ne sont pas finies.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (10 septembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    Violence scolaire : quand une enseignante s'y met...
    Ni claque ni fessée aux enfants, ni violences conjugales !
    La foi de Sœur Marguerite contre l'exclusion scolaire.
    Il y a 40 ans, l'énorme manifestation pour l'école libre.
    Amélie Oudéa-Castéra.
    Journée de lutte contre le harcèlement scolaire : est-elle utile ?
    Harcèlement scolaire et refus d'obtempérer.
    L'assassinat de Dominique Bernard au lycée Gambetta d'Arras.
    G. Bruno.
    Gabriel Attal, nouveau ministre de l'éducation nationale.
    Pap Ndiaye.
    Les vacances scolaires sont-elles trop longues ?
    Nos enseignants sont des héros !
    Prime à l'assiduité : faut-il être choqué ?
    Violence contre une prof et vidéo dans les réseaux sociaux.
    Transgression à Marseille : recruter des profs plus "librement" ?
    Samuel Paty : faire des républicains.
    Samuel Paty : les enseignants sont nos héros.
    La sécurité des personnes.
    Lycée Toulouse-Lautrec.
    Transgression à Marseille : recruter des profs plus "librement" ?
    L’école publique gratuite de Jules Ferry.
    Alisha, victime d’un engrenage infernal.
    Genrer la part du Lyon ?
    Daniel Pennac, ministre de l'éducation nationale.
    René Haby.
    Le handicap et l'école.
    La féminisation des noms de métiers et de fonctions.
    Les écoles ne sont pas des casernes.
    La laïcité.
    La réforme du baccalauréat.
    Prime à l’assiduité.
    Notation des ministres.
    Les internats d’excellence.
    L’écriture inclusive.
    La réforme de l’orthographe.
    La dictée à  l’école.
    La réforme du collège.
    Le réforme des programmes scolaires.
    Le français et l’anglais.
    Le patriotisme français.
    Jean-Michel Blanquer.
    Jean Zay.
    Vincent Peillon.
    Alain Devaquet.
    Alain Savary.


     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240910-violence-scolaire.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/violence-scolaire-quand-une-256724

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/09/10/article-sr-20240910-violence-scolaire.html



     

  • La France criminelle ?

    « La France a tué mon mari ! » (la veuve du gendarme Éric Comyn tué par un chauffard multirécidiviste, le 28 août 2024 à Mandelieu).



     

     
     


    Le lundi 26 août 2024 vers 20 heures 30, l'adjudant Éric Comyn a été mortellement blessé par un chauffard au cours d'un contrôle routier à Mougins, dans les Alpes-Maritimes, sur une bretelle de sortie de l'autoroute A8.

    Tristesse. C'est d'abord un immense drame humain. Le gendarme avait 54 ans, allait prendre sa retraite l'année prochaine, et laisse sur le carreau une famille effondrée, sa femme Harmonie et ses deux enfants, 17 ans et 12 ans. Colère. C'est ensuite une interrogation très lourde : l'auteur de l'homicide (du meurtre) était un chauffard multirécidiviste bien connu des services de la police. La justice avait fait son travail, le chauffard avait été condamné et avait fait ses peines.

    Malheureusement, ce genre de drame n'est pas le premier et on craint qu'il ne soit pas le dernier. Les refus d'obtempérer sont nombreux sur les routes de France (plusieurs dizaines de milliers par an) et l'issue reste souvent soit l'impunité, soit la victoire de la loi, mais parfois, il y a des drames, soit un membre des forces de l'ordre qui tire sur le fugitif, soit, au contraire, le délinquant qui fonce sur le membre des forces de l'ordre. L'un pouvant provoquer l'autre, d'ailleurs.

     

     
     


    Comme souvent, certains mouvements politiques tentent d'exploiter ce genre de drame humain et le font plus ou moins subtilement. En revanche, ce qui s'est passé deux jours plus tard, le mercredi 28 août 2024, à l'occasion d'un hommage rendu à Éric Comyn à Mandelieu, était assez exceptionnel. En effet, la veuve du gendarme, Harmonie Comyn a pris la parole en public, au cours ce cette cérémonie, et a chargé lourdement la France, la politique française depuis plus d'une quarantaine d'années, en fustigeant le laxisme des lois et des juges.

    Ses mots étaient très durs. Elle a répété cinq fois : « La France a tué mon mari ! », pour, chaque fois, évoquer une raison de son affirmation. Par exemple : « La France a tué mon mari par son insuffisance, son laxisme et son excès de tolérance. ». Les mots durs étaient très politiques mais apparemment pas téléphonés, pas manipulés, pas soufflés par des politiques. Elle a remis en cause la politique des socialistes des années 1980 : « 1981 n'aurait jamais dû exister. » a-t-il proclamé en pensant à l'abolition de la peine de mort. Dans la même journée, le maire de Cannes David Lisnard, potentiel candidat LR à Matignon, a également prononcé un discours assez dur et sécuritaire lors d'un autre hommage au gendarme devant la mairie de Cannes. Un hommage national lui sera aussi rendu lundi 2 septembre 2024 à Nice présidé par le Ministre de l'Intérieur et des Outre-mer démissionnaire Gérald Darmanin.

    Comment réagir face à un tel discours de la veuve d'une victime terrible du refus d'obtempérer ? Les partis d'extrême droite et de droite dure n'ont pas hésité : ils se sont engouffrés dans la brèche ouverte par cette femme en y allant avec leur populisme sécuritaire habituel dont c'est le fonds de commerce habituel. C'était prévisible et ils n'avaient du reste pas besoin de ce discours pour instrumentaliser cette tragédie comme tant d'autres (et c'est aussi l'effet de cumul qui donne aussi à penser qu'ils auraient raison alors que rien n'est simple).


    À gauche, ce n'est guère mieux, et j'aurais envie de penser que c'est même pire. Dans les réseaux sociaux, Harmonie a été insultée par de nombreux internautes de gauche ultra qui n'ont aucun respect pour la peine infinie qu'on lui a déjà infligée par ce deuil. On ménage les personnes endeuillées, en général. La palme du plus odieux doit sans doute être attribuée au journal communiste "L'Humanité" qui a eu l'horreur de titrer : « 203e morts au travail en France depuis le 1er janvier ». Quel cynisme de la rédaction communiste ! Il ne s'agit pas d'un accident du travail, il s'agit d'un crime commis en toute conscience par un chauffard de 39 ans condamné déjà dix fois !

     
     


    Ce dernier a été arrêté le soir même devant le commissariat de Cannes, testé positif pour son alcoolémie, et a prétendu qu'il avait fui par panique, qu'il n'avait pas vu le gendarme quand il l'a renversé, mais des vidéos montreraient le contraire. La justice devra dire si cet homicide a été commis délibérément, auquel cas il s'agit d'un véritable meurtre, ou si, effectivement, il n'avait pas aperçu le gendarme et qu'il l'a malheureusement heurté. Dans tous les cas, ce n'est pas un accident du travail, dû à pas d'chance ou à de mauvaises protections, mais bien d'un meurtre plus ou moins conscient par son auteur présumé.

    Le journaliste Patrick Cohen, dans sa chronique politique du 29 août 2024, s'est posé la question que je me suis aussi posée en écoutant le discours véhément d'Harmonie Comyn : que peut-on faire d'un tel discours ? Moi, j'aurais modestement tendance à dire : pas l'opposer à des arguments, mais prendre en compte sa a rage, comprendre sa rage. Ce discours ne doit pas être blâmé. Parce qu'il a été prononcé par une femme qui a perdu à la fois son compagnon et le père de ses enfants. On doit la respecter. Elle a exprimé sa colère en même temps que sa tristesse. Elle reste dans l'émotionnel et ils sont rares, les proches des victimes, capables de s'exprimer publiquement. Je le dis suffisamment à l'aise que moi-même qui voulais prononcer quelques mots à l'enterrement de mon père, j'en ai été incapable sur le moment, la voix m'avait manqué. Il faut du courage et de la force pour prononcer un discours lorsqu'on est si endeuillé.

    Ce qu'a convenu en tout cas l'éditorialiste de France Inter, c'est que toute réponse rationnelle est inutile. Inutile pour la personne qui a prononcé ces mots à la fois durs et injustes. Inutile car aucune réponse n'est audible quand on est dans un tel chagrin, meurtri par l'effondrement d'une vie commune qui a duré une trentaine d'années.


    Harmonie Comyn a formulé deux demandes au cours de son discours : que les médias ne se méprennent pas de ce qu'elle a déclaré, par exemple, elle a fustigé les récidivistes, pas les étrangers. La seconde demande, c'est qu'elle ne soit pas récupérée par les politiques (mais là, c'était déjà trop tard, l'extrême droite et les médias qui l'entourent n'ont pas hésité une seconde pour matraquer, c'était de toute façon couru d'avance).

    Patrick Cohen le dit clairement : « En pleurant son mari mort par la France, par la faute selon elle d’une société pas assez répressive, Harmonie Comyn nous interpelle, décideurs et citoyens, et nous force à réfléchir. Il ne faut ni silence, ni démagogie. ». Il croit alors utile de répondre par un discours rationnel, qui ne sera pas audible par la famille, mais par ceux qui ont entendu le discours injuste et excessif de cette veuve et mère de famille désespérée.
     

     
     


    Ainsi, le rétablissement de la peine de mort n'aurait pas empêché concrètement la mort du gendarme, car le chauffard, aussi délinquant fût-il, n'avait pas de quoi être condamné à mort même dans une société ultrapunitive, ultrarépressive. De plus, la peine de mort n'a jamais empêché les crimes d'être commis car les criminels sont dans un état second (une courte folie ?) qui les inhibe complètement de ces préventions sociales.

    La vengeance et la peine de mort n'ont jamais eu de valeur dissuasive. Patrick Cohen s'est souvenu d'une lecture qui l'avait marqué : « Arthur Koestler racontait comment, dans l’Angleterre du XVIIIe siècle qui condamnait à mort les voleurs de biens de plus de 40 shillings, les badauds qui assistaient aux pendaisons de pickpockets, se faisaient détrousser. Par d’autres pickpockets. ». C'est la même histoire cyclique que le bourreau qui se fait exécuter (selon Franquin).

    La meilleure réponse à apporter est peut-être celle d'une victime d'un délit routier qui est membre de l'association Victimes Solidaires et qui veut sensibiliser les gens sur les risques qu'ils encourent à conduire n'importe comment (par exemple, en téléphonant, en étant imbibé d'alcool ou d'autres substances, etc.). Il réclame le droit d'assister voire de proposer des exposés aux stagiaires de la formation pour la récupération de points du permis de conduire. Ce qu'il constate, c'est que souvent, les présumés chauffards ne savaient pas qu'ils se mettaient autant en danger et qu'ils mettaient les autres usagers de la route autant en danger.


    Ce militant associatif parlait sur LCI du scandale des accidents de la route qui tuent encore environ 10 personnes par jour en France. Éric Comyn, gendarme, ne faisait que vouloir faire appliquer le code de la route. Il en est mort par un fou furieux de chauffard. J'espère que les juges seront sévères avec celui-ci, mais dans le cadre de nos lois et notre État de droit (le chauffard a le droit à une défense). Pas dans le cadre d'une justice expéditive proposée par feu Alain Delon.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (31 août 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Création du délit d'homicide routier : seulement cosmétique ?
    La France criminelle ?
    La nuit bleue de Lina.
    La nuit de Célya.
    La nuit d'Émile Soleil.
    Affaire Grégory : la vérité sans la boue ?
    Alexandra Sonac et sa fille adolescente.
    Harcèlement scolaire et refus d'obtempérer.
    Alisha, victime d’un engrenage infernal.
    À propos de la tragique disparition de Karine Esquivillon...
    Meurtre de Lola.
    Nos enseignants sont des héros.
    La sécurité des personnes face aux dangers.


     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240828-comyn.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/la-france-criminelle-256542

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/08/30/article-sr-20240828-comyn.html


     

  • La nuit bleue de Lina

    « Ça donne un peu d’espoir pour retrouver une trace. Est-ce qu’elle est vivante ? On l’espère tous... » (un habitant de Plaine, le 27 juillet 2024 sur France Info).


     

     
     


    Lina Delsarte a été, avec Émile Soleil, l'une de des enfants disparus de l'année 2023, en période estivale (ou quasi-estivale). Les deux disparitions étaient très différentes, l'une concernant un petit bout de chou de 2 ans, disparu le 8 juillet 2023, l'autre une adolescente déjà grande de 15 ans, disparue le 23 septembre 2023. Mais elles avaient un point commun.

    Les deux enquêtes étaient telles, dans leur incapacité à privilégier une piste ou l'autre, avec même parfois des fausses pistes, qu'à la fin de l'année 2023, il y avait une quasi-certitude que la disparition de ces deux enfants resterait un mystère complet. Pendant longtemps, les enquêtes ont pédalé dans la semoule, les recherches pourtant très élaborées n'ont abouti à rien, aucun indice, aucune piste sérieuse.

    Lina a disparu sur le chemin entre chez elle et la gare pour prendre le train pour Strasbourg et rejoindre son petit ami de 19 ans, le samedi 23 septembre 2023 en fin de matinée. La dernière géolocalisation de son smartphone a été enregistrée à 11 heures 22, ce qui correspond aussi à l'heure où des témoins l'ont aperçue. C'est le petit ami qui l'attendait à la gare de Strasbourg qui a alerté la mère de Lina de son absence, et les caméras de surveillance n'ont pas vu Lina embarquer dans le train prévu. La gendarmerie a publié un avis de disparition inquiétante dès l'après-midi du samedi. Plusieurs opérations de ratissage ont eu lieu les jours qui ont suivi, sans résultat. Le petit ami a été menacé plusieurs fois par des accusateurs qui le considéraient comme responsable de la disparition.

    Grâce à l'ADN, les enquêtes ont cependant pu avancer d'un bond. Hélas, pas pour de bonnes nouvelles. Le corps d'Émile a été retrouvé dans une forêt, ses ossements, identifiés par une analyse génétique, ont été retrouvés par une randonneuse et, si on ne sait pas ce qui est réellement arrivé au malheureux Émile, on sait, trois fois hélas, qu'il n'est plus de ce monde depuis longtemps.
     

     
     


    Pour Lina, qui a disparu à Plaine, dans le Bas-Rhin, la situation reste encore très mystérieuse même si l'enquête a beaucoup avancé grâce à son ADN, le premier indice de cette enquête, qu'on a retrouvé dans une voiture volée qui se trouvait pas loin de lieu de disparition de l'adolescente le jour de sa disparition et qui a été retrouvée dans le Languedoc-Roussillon fin mai et début juin 2024 (cette information a été communiquée par la justice le 26 juillet 2024). La procureure de Strasbourg a annoncé le 30 juillet 2024 que le véhicule volé incriminé a été saisi et son propriétaire, après avoir été entendu par la police pour le vol de son véhicule, s'est suicidé peu de temps après, le 10 juillet 2024 à Besançon, en laissant une lettre à ses deux enfants disant ses regrets et sa honte, sans évoquer Lina.

    De nouvelles fouilles ont été effectuées du 30 juillet au 2 août 2024, en Alsace et dans les Vosges, sans résultat non plus, malgré la géolocalisation de la voiture dans cette zone au moment de la disparition de Lina (le conducteur y aurait fait un arrêt d'une heure trente).

    Le principal suspect, le propriétaire de la voiture qui aurait transporté Lina le jour de sa disparition, est mort sans avoir indiqué s'il était le responsable de la disparition voire de la mort de Lina et sans avoir indiqué le cas échéant où elle se trouvait, elle ou son corps.

    La presse a évoqué largement le profil chaotique de ce suspect, un quadragénaire qui a eu de lourds antécédents de drogue, de bipolarité, de problèmes psychiques, et aussi de vols, d'enlèvements de jeunes filles, etc. Il était très dépressif et connu de la justice. Ce qui est notable également, c'est que, contrairement à un assassin d'enfants comme Michel Fourniret, dont le visage et la silhouette laissent deviner une personne inquiétante, le suspect n'effrayait pas physiquement, semblait tout à fait normal, sans allure inquiétante, avec du reste un nom et une apparence bien français (je le précise car il est souvent de bon ton de répéter, à tort, que les auteurs de meurtres seraient souvent issus de l'immigration, pour rester soft).

    La justice a communiqué avec parcimonie et retard ces nouveaux éléments de l'enquête, probablement avec un objectif précis. Peut-être envisage-t-elle une autre personne impliquée ? Les chances de revoir Lina sourire à nouveau, bien vivante, se réduisent malheureusement depuis ces nouveaux faits.

    Ce qui est troublant aussi, c'est que deux autres affaires, qui n'ont en principe rien à voir avec sa disparition, ont eu lieu : la mort de son premier petit ami (à 22 ans) le 1er octobre 2023 d'un accident de voiture (il roulait trop vite et a été flashé à 185 kilomètres par heure ; l'enquête a conclu qu'il ne s'agissait pas d'un suicide). En outre, Lina avait déposé plainte en juin 2022 car victime d'un viol en réunion (elle avait 13 ans), plainte initialement classée sans suite mais reprise par l'ouverture d'une information judiciaire en février 2024, là aussi sans rapport avec sa disparition.

    Lina avait obtenu le brevet des collèges en juin 2023 et préparait un CAP Aide à la personne. Elle aurait dû fêter son 16e anniversaire ce samedi 10 août 2024. Un anniversaire de larmes.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (03 août 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    La nuit bleue de Lina.
    La nuit de Célya.
    La nuit d'Émile Soleil.
    Affaire Grégory : la vérité sans la boue ?
    Alexandra Sonac et sa fille adolescente.
    Harcèlement scolaire et refus d'obtempérer.
    Alisha, victime d’un engrenage infernal.
    À propos de la tragique disparition de Karine Esquivillon...
    Meurtre de Lola.
    Nos enseignants sont des héros.
    La sécurité des personnes face aux dangers.


     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240730-lina.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/la-nuit-bleue-de-lina-256111

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/07/30/article-sr-20240730-lina.html




     

  • Le scandale bouleversant de l'abbé Pierre

    « Toi qui souffres, qui que tu sois, entre, dors, mange, reprends espoir, ici on t'aime ! »



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    Ici, on t'aime !? Il faudrait savoir ce que cela signifie vraiment, aimer. Ce mercredi 17 juillet 2024, peut-être la dernière institution à laquelle les Français croyaient est tombée : l'abbé Pierre, qui est mort le 22 janvier 2007 à 94 ans, aurait été l'auteur de plusieurs agressions sexuelles. Si ça ne suffisait pas, voici une nouvelle perte de repère dans une société sans valeur absolue.

    Les faits d'abord : selon une enquête réalisée par un organisme indépendant sur commande de la Fondation Abbé Pierre et du mouvement Emmaüs International, l'abbé Pierre est accusé par sept personnes d'agressions sexuelles. L'alerte a été donnée en juin 2023 par un témoignage faisant état auprès d'Emmaüs France d'une agression sexuelle commise par l'abbé Pierre sur une femme (fille d'un couple ami), ce qui a ouvert cette enquête confiée à un cabinet indépendant (menée ainsi par la militante féministe Caroline De Haas et payée par l'organisation privée qu'est Emmaüs).

    Le communiqué de presse des trois organisations Emmaüs International, Emmaüs France et la Fondation Abbé Pierre, précise ce mercredi : « Le Mouvement Emmaüs rend publics des faits qui peuvent s’apparenter à des agressions sexuelles ou du harcèlement sexuel, commis par l’abbé Pierre, entre la fin des années 1970 et 2005. Ces faits ont concerné des salariées, des volontaires et bénévoles de certaines de nos organisations membres, ou des jeunes femmes dans l’entourage personnel de l’abbé Pierre. ». Une des victimes était mineure au moment des faits.

    Et le communiqué ajoute : « Nos organisations saluent le courage des personnes qui ont témoigné et permis, par leur parole, de mettre au jour ces réalités. Nous les croyons, nous savons que ces actes intolérables ont laissé des traces et nous nous tenons à leurs côtés. Ces révélations bouleversent nos structures, au sein desquelles la figure de l’abbé Pierre occupe une place majeure. Chacun d’entre nous connaît son histoire et son message. Ces agissements changent profondément le regard que nous portons sur un homme connu avant tout pour son combat contre la pauvreté, la misère et l’exclusion. ».

    Un dispositif de recueil de témoignages et d'accompagnement, sur des bases anonymes, a été mis en place pour d'éventuelles autres victimes de l'abbé Pierre. Un travail d'écoute de témoignages et également de formation a été assuré dans ces trois organisations sur le harcèlement sexuel et les violences sexuelles.

    Personnalité la plus appréciée des Français pendant seize années, l'abbé Pierre jouissait, jusqu'à aujourd'hui, dix-sept ans après sa mort, d'une forte sympathie provenant de tous les Français, croyants ou pas, chrétiens ou pas. Son combat contre la précarité et contre l'exclusion a été exemplaire et son idée de rendre utiles ceux qui n'avaient trouvé plus d'issue pour eux reste cruciale dans une société où la solidarité et l'entraide sont des composantes indispensables.

    On n'ose pas imaginer cette icône magistrale de la bonté et de la charité s'écrouler sur des comportements déviants, telle une statue de Staline après la chute de l'URSS. Car au-delà des mouvements et des idées dont il était le fondateur, c'est son image, celle du vieillard à la voix chevrotante, qui est utilisée comme une marque de reconnaissance et de ralliement. Faudra-t-il débaptiser les lieux qui ont pris son nom ?

    L'abbé Pierre était dans un contexte religieux, prêtre, et le rapport Sauvé a montré qu'il y a eu beaucoup d'abus sexuels commis dans ce milieu, malheureusement (aussi dans d'autres milieux éducatifs). Il était aussi un homme d'un temps où le simple toucher n'était pas considéré comme scandaleux. Mais ici, il y a plus qu'un simple toucher, un simple geste de tendresse. Il aurait été de nature sexuelle. Enfin, l'abbé Pierre était une star, éblouissante, très connue, très admirée, au point qu'il était intouchable, et qu'il pouvait tout se permettre, au même titre que d'autres grandes stars dans leur métier respectif : Gérard Depardieu, Patrick Poivre d'Arvor, Nicolas Hulot, Dominique Strauss-Kahn pour ne citer que les "grandes stars" dont le rayonnement personnel pouvait transcender voire pervertir les rapports sociaux.

    Il est difficile d'imaginer que l'abbé Pierre n'avait pas conscience de la gravité de ses comportements, et s'il en avait conscience, comment cet homme de bien a-t-il pu faire autant de mal ? Surtout pour un homme d'Église ?


    Je pense aussi à une autre icône de la bonté, moins connue universellement mais qui a bouleversé ses nombreux admirateurs : Jean Vanier (mort le 7 mai 2019 à 90 ans), fondateur des communautés de l'Arche, une structure qui recueille des adultes en situation de handicap mental, accusé de nombreux abus sexuels en 2023.

    Ces faits ne remettent pourtant pas en cause les actions exceptionnelles de l'abbé Pierre contre l'exclusion. Ils montrent surtout que les personnes sont parfois complexes, que l'homme même le meilleur peut être traversé par des pulsions violentes et ne plus respecter ses interlocuteurs. C'est terrible car tout le monde a fait de l'abbé Pierre un de ses héros secrets. Il structurait le mental de nombreuses personnes. Il était quasiment sanctifié par une société à l'affût de mythes et de héros, de personnes providentielles. Mais même l'abbé Pierre aurait été un vieux dégueulasse ! Cette information va entraîner le renforcement de la pensée que décidément, tout le monde est pourri, même ceux qu'on aurait pu penser être les plus grands bienfaiteurs.

    Cette nouvelle risque d'impacter gravement le mouvement Emmaüs, au même titre que le scandale financier de l'ARC (affaire Jacques Crozemarie à partir de 1991) a réduit considérablement les dons pour la recherche contre le cancer. Au contraire de la Fondation Nicolas-Hulot qui a refusé d'aborder frontalement les accusations portées sur Nicolas Hulot, ce sont bien les mouvements d'Emmaüs qui, non seulement aujourd'hui communiquent mais hier étaient à l'origine de l'enquête visant à déterminer les faits.


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    Pour Emmaüs, la vérité vaut toujours mieux que tout autre chose : « À l’heure où l’urgence sociale et la nécessité de défendre les personnes les plus précaires se font ressentir avec une particulière acuité, les missions exercées au quotidien par l’ensemble des salariés, des compagnes, compagnons et bénévoles du Mouvement Emmaüs, demeurent indispensables. La solidarité, l’entraide et l’accueil inconditionnel des plus démunis constituent notre raison d’être. Le Mouvement Emmaüs combat toutes formes de violences et entend dénoncer les actes inacceptables commis par une personne qui a joué un grand rôle dans son histoire. Nous le devons aux victimes. Nous le devons aussi à toutes celles et ceux qui, depuis plus de 70 ans, portent au quotidien les actions du Mouvement. Nous partageons leur peine et leur colère, mais également leur détermination à continuer d’œuvrer, chaque jour, pour construire un monde plus juste et plus solidaire. ».

    Marie-Hélène Le Nédic, la présidente de la Fondation Abbé Pierre, est très déterminée : « Le choc a été immense pour nous. La priorité est de faire preuve d’une totale transparence et faire tout ce qui est en notre capacité pour aider et soutenir les personnes qui ont eu le courage de témoigner. Je pense aussi aux personnes que nous aidons et accompagnons au quotidien, qui subissent la pauvreté, le mal-logement. Nous allons vivre une période mouvementée, mais je veux leur dire que nous allons poursuivre sans relâche notre combat auprès d’elles. ».

    Certains disent que ce scandale va encore éclabousser l'Église catholique. Je ne le crois pas. L'Église catholique est déjà noyée par ses propres scandales rapportés dans le rapport Sauvé. De plus, l'abbé Pierre avait été mis un peu à l'écart de l'Église parce qu'il avait reconnu publiquement en octobre 2005 avoir eu des relations sexuelles, rompant son vœux d'abstinence et de chasteté : « Il m'est arrivé de céder à la force du désir de manière passagère, mais je n'ai jamais eu de liaison régulière, car je n'ai pas laissé le désir sexuel prendre racine. Cela m'aurait conduit à vivre une relation durable avec une femme (…). J'ai donc connu l'expérience du désir sexuel et de sa très rare satisfaction. ». Des propos qui prennent désormais un tout autre sens.

    Savoir bien après coup que notre héros est un vieux vicelard met aussi un coup sur notre propre jugement, c'est en fait une partie de nous qui s'effondre, qui s'ébranle. Mais il ne faut pas se morfondre dans le narcissisme : la tristesse et la colère ne doivent pas provenir de ce mauvais jugement, et la compassion doit être tournée vers les victimes. Si des témoignages sortent, aussi longtemps soient-ils après les faits, c'est que ces violences ont meurtri, blessé, traumatisé ces femmes, et qu'il leur a fallu un sacré courage pour se voir répondre, quasi-systématiquement, que c'était impossible, que cela ne pouvait pas être vrai, parce que justement c'était l'abbé Pierre, parce qu'elles s'attaquaient à cette sorte d'image inattaquable.


    L'enseignement de ce scandale, c'est qu'il faut vivre avec des principes, des valeurs, et pas avec des héros. Aucune personne n'est parfaite, toutes sont faillibles, plus ou moins faillibles, certaines plus que d'autres (car tous les mâles ne pensent pas forcément qu'à ça et ils ne font pas tous des victimes de violence sexuelle). Comment imaginer que le corps si abîmé, si fragilisé par la vieillesse, ce héros si adulé ait pu être si abîmé dans sa conscience, dans son comportement ? Pour Emmaüs, il y a de fort risque que ces sept témoignages ne soient pas les seuls. Cinq autres sont déjà parvenus après l'éclatement de cet énorme scandale : « Il est raisonnable de penser qu’il y a d’autres personnes concernées, dans des proportions difficiles à estimer. ». Emmaüs a clairement indiqué que le mouvement était aux côtés des victimes malgré toutes les conséquences sur l'image de ses activités que cela suppose.

    Et la justice dans tout cela ? On ne peut juger un mort et c'est heureux (il a le droit de se défendre). En revanche, certains faits auraient été apparemment connus dès 1992 de certains responsables d'Emmaüs et ils n'auraient rien dit, n'auraient rien empêché. Eux pourraient être jugés pour n'avoir rien fait, pour avoir simplement gardé le silence. Alors qu'il n'est plus possible de se taire devant de telles violences. Même commises par un demi-dieu. Les Français sont orphelins.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (17 juillet 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Le scandale bouleversant de l'abbé Pierre.
    L'appel de l'abbé Pierre.
    Viens m’aider à aider !
    Le départ d'un Juste.

    _yartiAbbePierreC01




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    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/07/17/article-sr-20240717-abbe-pierre.html