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pauvreté

  • Abbé Pierre : le Vatican savait dès 1955 !

    « [La Conférence des évêques de France] exprime sa proximité aux personnes victimes et redit sa détermination à agir pour que toute la vérité possible soit faite sur les actes commis par l’abbé Pierre. » (communiqué du 4 février 2025).



     

     
     


    Depuis le 17 juillet 2024, les Français sont orphelins de l'une des personnalités qu'ils ont le plus adorée depuis les cinquante dernières années, à savoir l'abbé Pierre, une véritable institution de la charité, spirituelle mais aussi économique et sociale, qui fait vivre encore aujourd'hui des milliers de personnes qui avaient besoin d'une seconde chance dans tous les établissements Emmaüs (et qui, du reste, aide aussi tous ceux qui ont été amenés à vider une maison familiale et qui ne savaient pas que faire de tous les meubles, objets, etc. accumulés depuis des décennies voire des générations et devenus invendables).

    Les révélations sur l'obsession sexuelle, car c'est bien de cela qu'il s'agit, de l'abbé Pierre arrivent progressivement au grand public par petites grappes d'informations, cela devient même une série à épisodes assez malsaine mais pourtant nécessaire. Rappelons qu'à l'origine, non pas du scandale (seul l'abbé Pierre en est à l'origine), mais de ces révélations, c'est l'enquête interne de la Fondation Abbé Pierre et d'Emmaüs International, saisis par des femmes victimes de l'abbé Pierre, qui ont diligenté une enquête indépendante (oui, même si les enquêteurs sont connus, elle est indépendante) et qui ont remis leur copie à ces organismes qui n'avaient pas beaucoup d'autre choix que de la rendre publique.

    Pour les Français, croyants ou pas croyants, cela fait mal car c'est une sorte de saint qui s'écroule dans la mémoire collective. À ce sujet, il faut rappeler que le nom de l'abbé Pierre avait longtemps circulé pour transférer ses cendres au Panthéon. Heureusement qu'on ait hésité ou attendu et il faut vraiment faire attention à ceux qu'on honore, sous peine de rendre ridicule le principe même d'honorer. Je ne sais pas s'il existe un protocole pour dépanthéoniser, mais tant qu'à faire, autant éviter à devoir l'envisager.

    Deux petites introductions encore avant la révélation des derniers faits.

    La première, courte, est d'insister sur le fait qu'il n'existe pas d'homme providentiel (j'inclus aussi les femmes), quel que soit le domaine dans lequel il exercerait. Pour la raison simple que tout homme est faillible et qu'il faut rester humble. C'est la complexité de l'âme humaine : on peut faire des grandes choses et être un salopard ! On le sait pour les artistes, écrivains géniaux, peintres géniaux, musiciens géniaux (inutile de citer des exemples, on les a en tête), mais c'est vrai que c'est plus difficile lorsqu'il s'agit de personnes religieuses qui, en principe, ont un devoir d'exemplarité plus fort, et l'Église de France a fait ce douloureux travail d'introspection avec le rapport Sauvé, pas encore terminé (l'affaire Bétharram le rappelle), mais indispensable pour repartir sur des bases saines et confiantes. L'homme et la bête. Ange et démon. C'est un classique de la littérature mondiale.

    L'autre introduction préalable, c'est d'évoquer certains commentaires qu'on a pu entendre depuis ce 17 juillet 2024 : en gros, ils disent qu'on n'en finit pas de bafouer l'Église catholique, que l'abbé Pierre est mort depuis dix-huit ans et qu'il faut le laisser en paix, et certains commentaires, tentés par le complotisme, iraient même jusqu'à dire que c'est une opération pour discréditer la religion, le christianisme, le catholicisme, et l'Église catholique, voire la tradition.


    Alors, d'une part, insistons : l'origine médiatique de toute cette affaire provient des institutions catholiques elles-mêmes ulcérées de découvrir qu'en leur sein, parmi les personnes les plus insoupçonnables, et ce sont les plus croyants, les plus pratiquants, ceux pour qui l'Église catholique représente le plus de choses qui sont demandeurs de cette vérité, qui existe. D'autre part, il ne s'agit pas de malmener la mémoire de l'abbé Pierre car, oui, il a fait de belles choses malgré tout, et cette œuvre caritative doit pouvoir se poursuivre, mais sans embellir l'homme. Ceux qui ne sont pas en paix, ce sont ses victimes, très nombreuses, et elles doivent pouvoir se reconstruire, parler, crier même si nécessaire, du moins pour celles qui sont encore vivantes.

    Ceux qui émettent ce genre de commentaires choqués qu'on ose remuer la mouise sont plutôt des identitaires, c'est-à-dire, des revendiqués catholiques pour la seule raison de s'opposer à l'islam, se prévaloir d'un ordre ancien, naturel, qui veulent agiter un étendard de valeurs dites chrétiennes mais qui ne le sont pas du tout (par exemple, lorsqu'on commence à regarder leurs positions sur l'immigration, etc.). Cette branche conservatrice de l'extrême droite a, d'habitude, plus de compassion pour les victimes lorsque les délinquants ou criminels portent des prénoms pas très catholiques.

    Revenons alors à l'abbé Pierre.
     

     
     


    Le premier rapport commandé par Emmaüs France, Emmaüs International et la Fondation Abbé Pierre, rédigé par la féministe Caroline de Haas, a été publié le 17 juillet 2024. Il évoque le cas de sept femmes dont une mineure victimes de l'abbé Pierre entre les années 1970 et 2005 : « comportements inadaptés d'ordre personnel », « proposition sexuelle », « propos répétés à connotation sexuelle », « tentatives de contacts physiques non sollicités », « contacts non sollicités sur les seins »... La Conférence des évêques de France a réagi immédiatement en tweetant « sa profonde compassion et sa honte que de tels faits puissent être commis par un prêtre » et « redit sa détermination à se mobiliser pour faire de l'Église une maison sûre ».

    Un nouveau rapport du même prestataire a été publié le 6 septembre 2024 renforçant l'image d'un prêtre libidineux, avec dix-sept témoignages dont douze directs : propos à caractère sexuel, baisers volés, agressions sexuelles sur personne vulnérable dont plusieurs mineures... entre les années 1950 et 2000. Autant le premier rapport pouvait laisser planer un doute, ce deuxième rapport confirme qu'il y a bien un "problème" avec l'abbé Pierre, d'autant plus que les accusations sont même internationales. Le 13 septembre 2024, la Fondation Abbé Pierre, Emmaüs France et Emmaüs International ont annoncé un changement de logo et de nom pour ne plus se référer à la personne de l'abbé Pierre qui, d'attractif, deviendrait répulsif (le 25 janvier 2025, la fondation s'appelle désormais Fondation pour le Logement des Défavorisés). Une commission d'enquête d'historiens indépendants a été mise en place pour faire la lumière sur tous les abus de l'abbé Pierre.


    Quelques jours plus tard, Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France, a confirmé que « quelques évêques au moins » étaient au courant « dès 1955-1957 » du caractère déviant de l'abbé Pierre « à l'égard des femmes » et a rendu accessibles toutes les archives sur le prêtre. Les 216 pièces confirment le comportement problématique sans préciser la nature exacte des actes mis en cause. En particulier, la lettre d'un prélat, peut-être le secrétaire général de l'épiscopat, datée du 13 novembre 1964, parlait déjà d'un « grand malade mental » qui a perdu « tout contrôle de soi, notamment après des livres à succès » et assurait que « de jeunes filles en ont été marquées pour la vie ».

    Mgr Jean-Marie Villot, évêque auxiliaire de Paris et secrétaire général de l'épiscopat, patron de l'abbé Pierre à l'époque, et futur cardinal et même, futur Secrétaire d'État (numéro deux au Vatican) de 1969 à 1979, a écrit une lettre sans ambiguïté le 10 janvier 1958 au cardinal Pierre Gerlier, archevêque de Lyon : « Il ne faut pas se dissimuler que tout cela pourra un jour ou l’autre être connu et que l’opinion serait bien surprise alors de voir que la hiérarchie catholique a maintenu sa confiance à l’abbé Pierre. Il y a longtemps déjà que le parti communiste a un dossier à son sujet. Toute la psychologie de l'abbé, attachante par l'humilité avec laquelle il parle de ses faiblesses, n'en est pas moins fort inquiétante et trouble par la facilité avec laquelle il les accepte et en minimise la gravité. ». Il ne faut pas oublier que l'abbé Pierre était déjà une personnalité médiatique de grande envergure dans les années 1950, résistant dès 1942, député MRP de Nancy à la Libération de 1945 à 1951, et connu pour son fameux appel à la radio de l'hiver 1954. En décembre 1957, pourtant, l'abbé Pierre avait été discrètement délocalisé et interné dans un hôpital psychiatrique en Suisse, sur consigne de l'évêque de Grenoble.

     

     
     


    Le 13 décembre 2024, le journal "Le Monde" a publié un article faisant état d'une longue lettre de dix-sept pages du jeune abbé Pierre âgé de 19 ans, adressée en 1932 à son maître des novices chez les capucins (conservée dans les archives de l'ordre), qui racontait une tentative d'automutilation de son pénis avec un couteau dès l'âge de 5 ans, ce qui montrait bien que le sexe l'a préoccupé depuis très longtemps, et la lettre racontait aussi des abus sexuels qu'il a subis quand il avait 7 ans par des élèves plus âgés, « sous la menace d'un pistolet ».

    L'abbé Pierre fut jugé inapte à la vie religieuse juste après son ordination sacerdotale, et il fut affecté non pas à Lyon (sa ville natale) mais à Grenoble pour une raison non connue. À La Côte-Saint-André, en 1942, il était l'aumônier de l'orphelinat et a été soupçonné de comportements ambigus avec les jeunes filles qui l'aidaient.

    Un troisième rapport comprenant neuf nouveaux témoignages et une nouvelle synthèse a été publié le 13 janvier 2025, particulièrement accablant pour l'abbé Pierre : il est accusé d'un viol sur un garçon de 9 ans, d'autres agressions sur deux enfants de 8 à 10 ans, une femme de la famille de l'abbé Pierre abusée de manière incestueuse à la fin des années 1990. En tout, les trois rapports font état de trente-trois accusations contre l'abbé Pierre. D'autres sources d'information font état du recensement de cinquante-sept victimes.

    Le parquet de Paris a définitivement exclu le 24 janvier 2025 toute poursuite concernant les violences sexuelles de l'abbé Pierre, en raison de son décès et de la prescription. Aucune enquête judiciaire ne sera donc ouverte, ce qui confirme la nécessité que la lumière se fasse par d'autres voies non judiciaires. Rendue publique le 4 février 2025, la lettre du parquet a précisé à l'Église catholique : « Le parquet de Paris a fait savoir que l’action publique était éteinte par le décès du mis en cause en 2007 en ce qui le concernait personnellement, et prescrite en ce qui aurait éventuellement pu concerner des non-dénonciations de faits. (…) Une enquête judiciaire a pour objectif de rechercher si des faits pénalement répréhensibles peuvent et doivent être jugés. S’il arrive que le parquet ouvre des enquêtes sur la dénonciation de faits manifestement prescrits au préjudice de mineurs, comme il y a par ailleurs incité une circulaire ministérielle, c’est afin de rechercher si d’autres mineurs auraient par la suite été victimes de faits similaires (…). Si ces faits plus récents s’avèrent non prescrits, le parquet peut alors engager des poursuites contre le mis en cause pour l’ensemble des faits. Ce n’est évidemment pas le cas lorsque celui-ci est décédé. ».
     

     
     


    Enfin, le nouveau rebondissement de cette triste histoire a eu lieu le 17 avril 2025 avec la publication du livre d'investigation des journalistes Marie-France Etchegoin, ancienne du "Nouvel Observateur", et Laetitia cherel, de la cellule d'investigation de Radio France, intitulé "L'abbé Pierre, la fabrique d'un saint" (chez Allary Éditions) : « Dès l’automne 1955, non seulement le haut clergé français connaissait la face noire et la dangerosité de l’abbé Pierre mais le Saint-Siège aussi. ». La mise en cause du Vatican n'est pas étonnante étant donné la structure centralisatrice de l'Église catholique. En 1955, l'ancien ambassadeur auprès du Vatican Jacques Maritain a qualifié l'abbé Pierre de « grand malade » peut-être atteint de « schizophrénie ». Le Vatican a adressé le 11 novembre 1955 une lettre à l'évêque de Versailles Mgr Alexandre Renard pour demander l'ouverture d'une « procédure judiciaire » à l'encontre de l'abbé Pierre. Mgr Renard a répondu : « Il semble que les relations “inhonestae” [déshonorantes] de l’abbé ont été moins graves qu’il n’a été dit. », pour refuser de salir « un symbole aux yeux des masses qu’il galvanise à la manière d’un prophète ».

    Au-delà de son comportement sexuel problématique, les deux journalistes d'investigation ont aussi mis le doigt sur d'autres faces très sombres de l'abbé Pierre. Il a prononcé des discours ouvertement pétainistes en 1941, avant d'être résistant, comme celui-ci : « Partout où aujourd'hui la France renaissante de notre grand maréchal agit, soyez présents, soyez au premier rang, soyez des plus grands lutteurs, dans la conscience et l'enthousiasme ! ». Le livre rappelle d'ailleurs le soutien tardif apporté publiquement au négationniste Roger Garaudy, ce qui avait provoqué (déjà) une vive polémique (l'abbé Pierre s'en était tiré en parlant simplement d'un soutien « à titre amical »). Les auteures dépeignent un homme « manipulateur », un « Rastignac » qui « intrigue pour grimper dans la carrière de député » et qui « manipule pour faire taire les gêneurs », en totale contradiction avec son image de modestie et de convivialité.

    Dès le 13 septembre 2024, le pape François lui-même a affirmé que le Vatican était au courant de ces violences sexuelles depuis, au moins, la mort de l'abbé Pierre, en 2007. En revanche, le Vatican n'a pas réagi au livre publié le 17 avril 2025 disant qu'il était informé dès 1955.

    Ce qui est notable, si j'ai bien compris, c'est que le Vatican, conscient du grave problème sexuel de l'abbé Pierre, a demandé aux évêques français d'initier une procédure judiciaire dès 1955. On ne pourrait donc pas reprocher au Vatican de ne rien avoir fait. En revanche, l'épiscopat français de l'époque est fautif d'avoir voulu sinon étouffer l'affaire au moins garder le silence afin de préserver la réputation de l'abbé Pierre et, par la même occasion, la réputation de l'institution religieuse.


    Alors, les accusations portées contre l'abbé Pierre n'ont pas pour but de porter des accusations contre l'Église catholique, même si c'en est la conséquence. Elles sont graves car les victimes sont là, nombreuses, traumatisées. Et par ricochet, l'Église catholique, celle de France, est touchée pour avoir fermé les yeux et laisser un prédateur durablement en capacité de faire de nouvelles victimes, jusqu'à l'âge de 93 ans selon un témoignage ! Lors de la remise du rapport Sauvé, il était question de faire toute la vérité sur les agressions sexuelles au sein de l'Église. Comme pour Notre-Dame de Bétharram, les victimes ont encore du mal à s'exprimer. Il est temps que tout soit révélé, seule la vérité peut sortir l'Église de cette affreuse impasse.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (18 avril 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Abbé Pierre : le Vatican savait dès 1955 !
    Le scandale bouleversant de l'abbé Pierre.
    L'appel de l'abbé Pierre.
    Viens m’aider à aider !
    Le départ d'un Juste.

     

     
     



    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250417-abbe-pierre.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/abbe-pierre-le-vatican-savait-des-260551

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/04/17/article-sr-20250417-abbe-pierre.html


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  • Le scandale bouleversant de l'abbé Pierre

    « Toi qui souffres, qui que tu sois, entre, dors, mange, reprends espoir, ici on t'aime ! »



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    Ici, on t'aime !? Il faudrait savoir ce que cela signifie vraiment, aimer. Ce mercredi 17 juillet 2024, peut-être la dernière institution à laquelle les Français croyaient est tombée : l'abbé Pierre, qui est mort le 22 janvier 2007 à 94 ans, aurait été l'auteur de plusieurs agressions sexuelles. Si ça ne suffisait pas, voici une nouvelle perte de repère dans une société sans valeur absolue.

    Les faits d'abord : selon une enquête réalisée par un organisme indépendant sur commande de la Fondation Abbé Pierre et du mouvement Emmaüs International, l'abbé Pierre est accusé par sept personnes d'agressions sexuelles. L'alerte a été donnée en juin 2023 par un témoignage faisant état auprès d'Emmaüs France d'une agression sexuelle commise par l'abbé Pierre sur une femme (fille d'un couple ami), ce qui a ouvert cette enquête confiée à un cabinet indépendant (menée ainsi par la militante féministe Caroline De Haas et payée par l'organisation privée qu'est Emmaüs).

    Le communiqué de presse des trois organisations Emmaüs International, Emmaüs France et la Fondation Abbé Pierre, précise ce mercredi : « Le Mouvement Emmaüs rend publics des faits qui peuvent s’apparenter à des agressions sexuelles ou du harcèlement sexuel, commis par l’abbé Pierre, entre la fin des années 1970 et 2005. Ces faits ont concerné des salariées, des volontaires et bénévoles de certaines de nos organisations membres, ou des jeunes femmes dans l’entourage personnel de l’abbé Pierre. ». Une des victimes était mineure au moment des faits.

    Et le communiqué ajoute : « Nos organisations saluent le courage des personnes qui ont témoigné et permis, par leur parole, de mettre au jour ces réalités. Nous les croyons, nous savons que ces actes intolérables ont laissé des traces et nous nous tenons à leurs côtés. Ces révélations bouleversent nos structures, au sein desquelles la figure de l’abbé Pierre occupe une place majeure. Chacun d’entre nous connaît son histoire et son message. Ces agissements changent profondément le regard que nous portons sur un homme connu avant tout pour son combat contre la pauvreté, la misère et l’exclusion. ».

    Un dispositif de recueil de témoignages et d'accompagnement, sur des bases anonymes, a été mis en place pour d'éventuelles autres victimes de l'abbé Pierre. Un travail d'écoute de témoignages et également de formation a été assuré dans ces trois organisations sur le harcèlement sexuel et les violences sexuelles.

    Personnalité la plus appréciée des Français pendant seize années, l'abbé Pierre jouissait, jusqu'à aujourd'hui, dix-sept ans après sa mort, d'une forte sympathie provenant de tous les Français, croyants ou pas, chrétiens ou pas. Son combat contre la précarité et contre l'exclusion a été exemplaire et son idée de rendre utiles ceux qui n'avaient trouvé plus d'issue pour eux reste cruciale dans une société où la solidarité et l'entraide sont des composantes indispensables.

    On n'ose pas imaginer cette icône magistrale de la bonté et de la charité s'écrouler sur des comportements déviants, telle une statue de Staline après la chute de l'URSS. Car au-delà des mouvements et des idées dont il était le fondateur, c'est son image, celle du vieillard à la voix chevrotante, qui est utilisée comme une marque de reconnaissance et de ralliement. Faudra-t-il débaptiser les lieux qui ont pris son nom ?

    L'abbé Pierre était dans un contexte religieux, prêtre, et le rapport Sauvé a montré qu'il y a eu beaucoup d'abus sexuels commis dans ce milieu, malheureusement (aussi dans d'autres milieux éducatifs). Il était aussi un homme d'un temps où le simple toucher n'était pas considéré comme scandaleux. Mais ici, il y a plus qu'un simple toucher, un simple geste de tendresse. Il aurait été de nature sexuelle. Enfin, l'abbé Pierre était une star, éblouissante, très connue, très admirée, au point qu'il était intouchable, et qu'il pouvait tout se permettre, au même titre que d'autres grandes stars dans leur métier respectif : Gérard Depardieu, Patrick Poivre d'Arvor, Nicolas Hulot, Dominique Strauss-Kahn pour ne citer que les "grandes stars" dont le rayonnement personnel pouvait transcender voire pervertir les rapports sociaux.

    Il est difficile d'imaginer que l'abbé Pierre n'avait pas conscience de la gravité de ses comportements, et s'il en avait conscience, comment cet homme de bien a-t-il pu faire autant de mal ? Surtout pour un homme d'Église ?


    Je pense aussi à une autre icône de la bonté, moins connue universellement mais qui a bouleversé ses nombreux admirateurs : Jean Vanier (mort le 7 mai 2019 à 90 ans), fondateur des communautés de l'Arche, une structure qui recueille des adultes en situation de handicap mental, accusé de nombreux abus sexuels en 2023.

    Ces faits ne remettent pourtant pas en cause les actions exceptionnelles de l'abbé Pierre contre l'exclusion. Ils montrent surtout que les personnes sont parfois complexes, que l'homme même le meilleur peut être traversé par des pulsions violentes et ne plus respecter ses interlocuteurs. C'est terrible car tout le monde a fait de l'abbé Pierre un de ses héros secrets. Il structurait le mental de nombreuses personnes. Il était quasiment sanctifié par une société à l'affût de mythes et de héros, de personnes providentielles. Mais même l'abbé Pierre aurait été un vieux dégueulasse ! Cette information va entraîner le renforcement de la pensée que décidément, tout le monde est pourri, même ceux qu'on aurait pu penser être les plus grands bienfaiteurs.

    Cette nouvelle risque d'impacter gravement le mouvement Emmaüs, au même titre que le scandale financier de l'ARC (affaire Jacques Crozemarie à partir de 1991) a réduit considérablement les dons pour la recherche contre le cancer. Au contraire de la Fondation Nicolas-Hulot qui a refusé d'aborder frontalement les accusations portées sur Nicolas Hulot, ce sont bien les mouvements d'Emmaüs qui, non seulement aujourd'hui communiquent mais hier étaient à l'origine de l'enquête visant à déterminer les faits.


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    Pour Emmaüs, la vérité vaut toujours mieux que tout autre chose : « À l’heure où l’urgence sociale et la nécessité de défendre les personnes les plus précaires se font ressentir avec une particulière acuité, les missions exercées au quotidien par l’ensemble des salariés, des compagnes, compagnons et bénévoles du Mouvement Emmaüs, demeurent indispensables. La solidarité, l’entraide et l’accueil inconditionnel des plus démunis constituent notre raison d’être. Le Mouvement Emmaüs combat toutes formes de violences et entend dénoncer les actes inacceptables commis par une personne qui a joué un grand rôle dans son histoire. Nous le devons aux victimes. Nous le devons aussi à toutes celles et ceux qui, depuis plus de 70 ans, portent au quotidien les actions du Mouvement. Nous partageons leur peine et leur colère, mais également leur détermination à continuer d’œuvrer, chaque jour, pour construire un monde plus juste et plus solidaire. ».

    Marie-Hélène Le Nédic, la présidente de la Fondation Abbé Pierre, est très déterminée : « Le choc a été immense pour nous. La priorité est de faire preuve d’une totale transparence et faire tout ce qui est en notre capacité pour aider et soutenir les personnes qui ont eu le courage de témoigner. Je pense aussi aux personnes que nous aidons et accompagnons au quotidien, qui subissent la pauvreté, le mal-logement. Nous allons vivre une période mouvementée, mais je veux leur dire que nous allons poursuivre sans relâche notre combat auprès d’elles. ».

    Certains disent que ce scandale va encore éclabousser l'Église catholique. Je ne le crois pas. L'Église catholique est déjà noyée par ses propres scandales rapportés dans le rapport Sauvé. De plus, l'abbé Pierre avait été mis un peu à l'écart de l'Église parce qu'il avait reconnu publiquement en octobre 2005 avoir eu des relations sexuelles, rompant son vœux d'abstinence et de chasteté : « Il m'est arrivé de céder à la force du désir de manière passagère, mais je n'ai jamais eu de liaison régulière, car je n'ai pas laissé le désir sexuel prendre racine. Cela m'aurait conduit à vivre une relation durable avec une femme (…). J'ai donc connu l'expérience du désir sexuel et de sa très rare satisfaction. ». Des propos qui prennent désormais un tout autre sens.

    Savoir bien après coup que notre héros est un vieux vicelard met aussi un coup sur notre propre jugement, c'est en fait une partie de nous qui s'effondre, qui s'ébranle. Mais il ne faut pas se morfondre dans le narcissisme : la tristesse et la colère ne doivent pas provenir de ce mauvais jugement, et la compassion doit être tournée vers les victimes. Si des témoignages sortent, aussi longtemps soient-ils après les faits, c'est que ces violences ont meurtri, blessé, traumatisé ces femmes, et qu'il leur a fallu un sacré courage pour se voir répondre, quasi-systématiquement, que c'était impossible, que cela ne pouvait pas être vrai, parce que justement c'était l'abbé Pierre, parce qu'elles s'attaquaient à cette sorte d'image inattaquable.


    L'enseignement de ce scandale, c'est qu'il faut vivre avec des principes, des valeurs, et pas avec des héros. Aucune personne n'est parfaite, toutes sont faillibles, plus ou moins faillibles, certaines plus que d'autres (car tous les mâles ne pensent pas forcément qu'à ça et ils ne font pas tous des victimes de violence sexuelle). Comment imaginer que le corps si abîmé, si fragilisé par la vieillesse, ce héros si adulé ait pu être si abîmé dans sa conscience, dans son comportement ? Pour Emmaüs, il y a de fort risque que ces sept témoignages ne soient pas les seuls. Cinq autres sont déjà parvenus après l'éclatement de cet énorme scandale : « Il est raisonnable de penser qu’il y a d’autres personnes concernées, dans des proportions difficiles à estimer. ». Emmaüs a clairement indiqué que le mouvement était aux côtés des victimes malgré toutes les conséquences sur l'image de ses activités que cela suppose.

    Et la justice dans tout cela ? On ne peut juger un mort et c'est heureux (il a le droit de se défendre). En revanche, certains faits auraient été apparemment connus dès 1992 de certains responsables d'Emmaüs et ils n'auraient rien dit, n'auraient rien empêché. Eux pourraient être jugés pour n'avoir rien fait, pour avoir simplement gardé le silence. Alors qu'il n'est plus possible de se taire devant de telles violences. Même commises par un demi-dieu. Les Français sont orphelins.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (17 juillet 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Le scandale bouleversant de l'abbé Pierre.
    L'appel de l'abbé Pierre.
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    Le départ d'un Juste.

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