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solidarité

  • Abbé Pierre : le Vatican savait dès 1955 !

    « [La Conférence des évêques de France] exprime sa proximité aux personnes victimes et redit sa détermination à agir pour que toute la vérité possible soit faite sur les actes commis par l’abbé Pierre. » (communiqué du 4 février 2025).



     

     
     


    Depuis le 17 juillet 2024, les Français sont orphelins de l'une des personnalités qu'ils ont le plus adorée depuis les cinquante dernières années, à savoir l'abbé Pierre, une véritable institution de la charité, spirituelle mais aussi économique et sociale, qui fait vivre encore aujourd'hui des milliers de personnes qui avaient besoin d'une seconde chance dans tous les établissements Emmaüs (et qui, du reste, aide aussi tous ceux qui ont été amenés à vider une maison familiale et qui ne savaient pas que faire de tous les meubles, objets, etc. accumulés depuis des décennies voire des générations et devenus invendables).

    Les révélations sur l'obsession sexuelle, car c'est bien de cela qu'il s'agit, de l'abbé Pierre arrivent progressivement au grand public par petites grappes d'informations, cela devient même une série à épisodes assez malsaine mais pourtant nécessaire. Rappelons qu'à l'origine, non pas du scandale (seul l'abbé Pierre en est à l'origine), mais de ces révélations, c'est l'enquête interne de la Fondation Abbé Pierre et d'Emmaüs International, saisis par des femmes victimes de l'abbé Pierre, qui ont diligenté une enquête indépendante (oui, même si les enquêteurs sont connus, elle est indépendante) et qui ont remis leur copie à ces organismes qui n'avaient pas beaucoup d'autre choix que de la rendre publique.

    Pour les Français, croyants ou pas croyants, cela fait mal car c'est une sorte de saint qui s'écroule dans la mémoire collective. À ce sujet, il faut rappeler que le nom de l'abbé Pierre avait longtemps circulé pour transférer ses cendres au Panthéon. Heureusement qu'on ait hésité ou attendu et il faut vraiment faire attention à ceux qu'on honore, sous peine de rendre ridicule le principe même d'honorer. Je ne sais pas s'il existe un protocole pour dépanthéoniser, mais tant qu'à faire, autant éviter à devoir l'envisager.

    Deux petites introductions encore avant la révélation des derniers faits.

    La première, courte, est d'insister sur le fait qu'il n'existe pas d'homme providentiel (j'inclus aussi les femmes), quel que soit le domaine dans lequel il exercerait. Pour la raison simple que tout homme est faillible et qu'il faut rester humble. C'est la complexité de l'âme humaine : on peut faire des grandes choses et être un salopard ! On le sait pour les artistes, écrivains géniaux, peintres géniaux, musiciens géniaux (inutile de citer des exemples, on les a en tête), mais c'est vrai que c'est plus difficile lorsqu'il s'agit de personnes religieuses qui, en principe, ont un devoir d'exemplarité plus fort, et l'Église de France a fait ce douloureux travail d'introspection avec le rapport Sauvé, pas encore terminé (l'affaire Bétharram le rappelle), mais indispensable pour repartir sur des bases saines et confiantes. L'homme et la bête. Ange et démon. C'est un classique de la littérature mondiale.

    L'autre introduction préalable, c'est d'évoquer certains commentaires qu'on a pu entendre depuis ce 17 juillet 2024 : en gros, ils disent qu'on n'en finit pas de bafouer l'Église catholique, que l'abbé Pierre est mort depuis dix-huit ans et qu'il faut le laisser en paix, et certains commentaires, tentés par le complotisme, iraient même jusqu'à dire que c'est une opération pour discréditer la religion, le christianisme, le catholicisme, et l'Église catholique, voire la tradition.


    Alors, d'une part, insistons : l'origine médiatique de toute cette affaire provient des institutions catholiques elles-mêmes ulcérées de découvrir qu'en leur sein, parmi les personnes les plus insoupçonnables, et ce sont les plus croyants, les plus pratiquants, ceux pour qui l'Église catholique représente le plus de choses qui sont demandeurs de cette vérité, qui existe. D'autre part, il ne s'agit pas de malmener la mémoire de l'abbé Pierre car, oui, il a fait de belles choses malgré tout, et cette œuvre caritative doit pouvoir se poursuivre, mais sans embellir l'homme. Ceux qui ne sont pas en paix, ce sont ses victimes, très nombreuses, et elles doivent pouvoir se reconstruire, parler, crier même si nécessaire, du moins pour celles qui sont encore vivantes.

    Ceux qui émettent ce genre de commentaires choqués qu'on ose remuer la mouise sont plutôt des identitaires, c'est-à-dire, des revendiqués catholiques pour la seule raison de s'opposer à l'islam, se prévaloir d'un ordre ancien, naturel, qui veulent agiter un étendard de valeurs dites chrétiennes mais qui ne le sont pas du tout (par exemple, lorsqu'on commence à regarder leurs positions sur l'immigration, etc.). Cette branche conservatrice de l'extrême droite a, d'habitude, plus de compassion pour les victimes lorsque les délinquants ou criminels portent des prénoms pas très catholiques.

    Revenons alors à l'abbé Pierre.
     

     
     


    Le premier rapport commandé par Emmaüs France, Emmaüs International et la Fondation Abbé Pierre, rédigé par la féministe Caroline de Haas, a été publié le 17 juillet 2024. Il évoque le cas de sept femmes dont une mineure victimes de l'abbé Pierre entre les années 1970 et 2005 : « comportements inadaptés d'ordre personnel », « proposition sexuelle », « propos répétés à connotation sexuelle », « tentatives de contacts physiques non sollicités », « contacts non sollicités sur les seins »... La Conférence des évêques de France a réagi immédiatement en tweetant « sa profonde compassion et sa honte que de tels faits puissent être commis par un prêtre » et « redit sa détermination à se mobiliser pour faire de l'Église une maison sûre ».

    Un nouveau rapport du même prestataire a été publié le 6 septembre 2024 renforçant l'image d'un prêtre libidineux, avec dix-sept témoignages dont douze directs : propos à caractère sexuel, baisers volés, agressions sexuelles sur personne vulnérable dont plusieurs mineures... entre les années 1950 et 2000. Autant le premier rapport pouvait laisser planer un doute, ce deuxième rapport confirme qu'il y a bien un "problème" avec l'abbé Pierre, d'autant plus que les accusations sont même internationales. Le 13 septembre 2024, la Fondation Abbé Pierre, Emmaüs France et Emmaüs International ont annoncé un changement de logo et de nom pour ne plus se référer à la personne de l'abbé Pierre qui, d'attractif, deviendrait répulsif (le 25 janvier 2025, la fondation s'appelle désormais Fondation pour le Logement des Défavorisés). Une commission d'enquête d'historiens indépendants a été mise en place pour faire la lumière sur tous les abus de l'abbé Pierre.


    Quelques jours plus tard, Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France, a confirmé que « quelques évêques au moins » étaient au courant « dès 1955-1957 » du caractère déviant de l'abbé Pierre « à l'égard des femmes » et a rendu accessibles toutes les archives sur le prêtre. Les 216 pièces confirment le comportement problématique sans préciser la nature exacte des actes mis en cause. En particulier, la lettre d'un prélat, peut-être le secrétaire général de l'épiscopat, datée du 13 novembre 1964, parlait déjà d'un « grand malade mental » qui a perdu « tout contrôle de soi, notamment après des livres à succès » et assurait que « de jeunes filles en ont été marquées pour la vie ».

    Mgr Jean-Marie Villot, évêque auxiliaire de Paris et secrétaire général de l'épiscopat, patron de l'abbé Pierre à l'époque, et futur cardinal et même, futur Secrétaire d'État (numéro deux au Vatican) de 1969 à 1979, a écrit une lettre sans ambiguïté le 10 janvier 1958 au cardinal Pierre Gerlier, archevêque de Lyon : « Il ne faut pas se dissimuler que tout cela pourra un jour ou l’autre être connu et que l’opinion serait bien surprise alors de voir que la hiérarchie catholique a maintenu sa confiance à l’abbé Pierre. Il y a longtemps déjà que le parti communiste a un dossier à son sujet. Toute la psychologie de l'abbé, attachante par l'humilité avec laquelle il parle de ses faiblesses, n'en est pas moins fort inquiétante et trouble par la facilité avec laquelle il les accepte et en minimise la gravité. ». Il ne faut pas oublier que l'abbé Pierre était déjà une personnalité médiatique de grande envergure dans les années 1950, résistant dès 1942, député MRP de Nancy à la Libération de 1945 à 1951, et connu pour son fameux appel à la radio de l'hiver 1954. En décembre 1957, pourtant, l'abbé Pierre avait été discrètement délocalisé et interné dans un hôpital psychiatrique en Suisse, sur consigne de l'évêque de Grenoble.

     

     
     


    Le 13 décembre 2024, le journal "Le Monde" a publié un article faisant état d'une longue lettre de dix-sept pages du jeune abbé Pierre âgé de 19 ans, adressée en 1932 à son maître des novices chez les capucins (conservée dans les archives de l'ordre), qui racontait une tentative d'automutilation de son pénis avec un couteau dès l'âge de 5 ans, ce qui montrait bien que le sexe l'a préoccupé depuis très longtemps, et la lettre racontait aussi des abus sexuels qu'il a subis quand il avait 7 ans par des élèves plus âgés, « sous la menace d'un pistolet ».

    L'abbé Pierre fut jugé inapte à la vie religieuse juste après son ordination sacerdotale, et il fut affecté non pas à Lyon (sa ville natale) mais à Grenoble pour une raison non connue. À La Côte-Saint-André, en 1942, il était l'aumônier de l'orphelinat et a été soupçonné de comportements ambigus avec les jeunes filles qui l'aidaient.

    Un troisième rapport comprenant neuf nouveaux témoignages et une nouvelle synthèse a été publié le 13 janvier 2025, particulièrement accablant pour l'abbé Pierre : il est accusé d'un viol sur un garçon de 9 ans, d'autres agressions sur deux enfants de 8 à 10 ans, une femme de la famille de l'abbé Pierre abusée de manière incestueuse à la fin des années 1990. En tout, les trois rapports font état de trente-trois accusations contre l'abbé Pierre. D'autres sources d'information font état du recensement de cinquante-sept victimes.

    Le parquet de Paris a définitivement exclu le 24 janvier 2025 toute poursuite concernant les violences sexuelles de l'abbé Pierre, en raison de son décès et de la prescription. Aucune enquête judiciaire ne sera donc ouverte, ce qui confirme la nécessité que la lumière se fasse par d'autres voies non judiciaires. Rendue publique le 4 février 2025, la lettre du parquet a précisé à l'Église catholique : « Le parquet de Paris a fait savoir que l’action publique était éteinte par le décès du mis en cause en 2007 en ce qui le concernait personnellement, et prescrite en ce qui aurait éventuellement pu concerner des non-dénonciations de faits. (…) Une enquête judiciaire a pour objectif de rechercher si des faits pénalement répréhensibles peuvent et doivent être jugés. S’il arrive que le parquet ouvre des enquêtes sur la dénonciation de faits manifestement prescrits au préjudice de mineurs, comme il y a par ailleurs incité une circulaire ministérielle, c’est afin de rechercher si d’autres mineurs auraient par la suite été victimes de faits similaires (…). Si ces faits plus récents s’avèrent non prescrits, le parquet peut alors engager des poursuites contre le mis en cause pour l’ensemble des faits. Ce n’est évidemment pas le cas lorsque celui-ci est décédé. ».
     

     
     


    Enfin, le nouveau rebondissement de cette triste histoire a eu lieu le 17 avril 2025 avec la publication du livre d'investigation des journalistes Marie-France Etchegoin, ancienne du "Nouvel Observateur", et Laetitia cherel, de la cellule d'investigation de Radio France, intitulé "L'abbé Pierre, la fabrique d'un saint" (chez Allary Éditions) : « Dès l’automne 1955, non seulement le haut clergé français connaissait la face noire et la dangerosité de l’abbé Pierre mais le Saint-Siège aussi. ». La mise en cause du Vatican n'est pas étonnante étant donné la structure centralisatrice de l'Église catholique. En 1955, l'ancien ambassadeur auprès du Vatican Jacques Maritain a qualifié l'abbé Pierre de « grand malade » peut-être atteint de « schizophrénie ». Le Vatican a adressé le 11 novembre 1955 une lettre à l'évêque de Versailles Mgr Alexandre Renard pour demander l'ouverture d'une « procédure judiciaire » à l'encontre de l'abbé Pierre. Mgr Renard a répondu : « Il semble que les relations “inhonestae” [déshonorantes] de l’abbé ont été moins graves qu’il n’a été dit. », pour refuser de salir « un symbole aux yeux des masses qu’il galvanise à la manière d’un prophète ».

    Au-delà de son comportement sexuel problématique, les deux journalistes d'investigation ont aussi mis le doigt sur d'autres faces très sombres de l'abbé Pierre. Il a prononcé des discours ouvertement pétainistes en 1941, avant d'être résistant, comme celui-ci : « Partout où aujourd'hui la France renaissante de notre grand maréchal agit, soyez présents, soyez au premier rang, soyez des plus grands lutteurs, dans la conscience et l'enthousiasme ! ». Le livre rappelle d'ailleurs le soutien tardif apporté publiquement au négationniste Roger Garaudy, ce qui avait provoqué (déjà) une vive polémique (l'abbé Pierre s'en était tiré en parlant simplement d'un soutien « à titre amical »). Les auteures dépeignent un homme « manipulateur », un « Rastignac » qui « intrigue pour grimper dans la carrière de député » et qui « manipule pour faire taire les gêneurs », en totale contradiction avec son image de modestie et de convivialité.

    Dès le 13 septembre 2024, le pape François lui-même a affirmé que le Vatican était au courant de ces violences sexuelles depuis, au moins, la mort de l'abbé Pierre, en 2007. En revanche, le Vatican n'a pas réagi au livre publié le 17 avril 2025 disant qu'il était informé dès 1955.

    Ce qui est notable, si j'ai bien compris, c'est que le Vatican, conscient du grave problème sexuel de l'abbé Pierre, a demandé aux évêques français d'initier une procédure judiciaire dès 1955. On ne pourrait donc pas reprocher au Vatican de ne rien avoir fait. En revanche, l'épiscopat français de l'époque est fautif d'avoir voulu sinon étouffer l'affaire au moins garder le silence afin de préserver la réputation de l'abbé Pierre et, par la même occasion, la réputation de l'institution religieuse.


    Alors, les accusations portées contre l'abbé Pierre n'ont pas pour but de porter des accusations contre l'Église catholique, même si c'en est la conséquence. Elles sont graves car les victimes sont là, nombreuses, traumatisées. Et par ricochet, l'Église catholique, celle de France, est touchée pour avoir fermé les yeux et laisser un prédateur durablement en capacité de faire de nouvelles victimes, jusqu'à l'âge de 93 ans selon un témoignage ! Lors de la remise du rapport Sauvé, il était question de faire toute la vérité sur les agressions sexuelles au sein de l'Église. Comme pour Notre-Dame de Bétharram, les victimes ont encore du mal à s'exprimer. Il est temps que tout soit révélé, seule la vérité peut sortir l'Église de cette affreuse impasse.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (18 avril 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Abbé Pierre : le Vatican savait dès 1955 !
    Le scandale bouleversant de l'abbé Pierre.
    L'appel de l'abbé Pierre.
    Viens m’aider à aider !
    Le départ d'un Juste.

     

     
     



    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250417-abbe-pierre.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/abbe-pierre-le-vatican-savait-des-260551

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/04/17/article-sr-20250417-abbe-pierre.html


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