« Encadré par ses avocats, Pierre Palmade a l'air un peu perdu, comme depuis ce matin, dans cette salle d'audience. Livide. Le regard un peu dans le vague. Pas un bruit dans le prétoire. Il y a pas mal de tension dans l'air. » (Vincent Vantighem, sur Twitter le 20 novembre 2024, au moment du délibéré).
C'était le réquisitoire du parquet pour blessures involontaires aggravées dans le procès qui a eu lieu ce mercredi 20 novembre 2024 au tribunal judiciaire de Melun pour juger "l'humoriste" Pierre Palmade. Je mets entre guillemets, on pourrait maintenant écrire l'ex-humoriste car je crois qu'il ne fera plus jamais rire. C'est aussi le verdict du procès qui a été prononcé dans la soirée (vers 20 heures 30).
Toutefois, le mandat de dépôt est à effet différé, ce qui signifie que Pierre Palmade n'est pas incarcéré à l'issue de ce procès. Les deux ans ferme ne sont pas aménageables (et seront probablement exécutés près de Bordeaux). Quant au sursis : « À l’issue de l’exécution de cette peine, vous aurez au dessus de la tête trois ans que vous ne ferez jamais à deux conditions : prouver que vous continuez de vous soigner et payer les victimes. L’autre condition : de ne recommencer aucune infraction dans les trois ans. ».
Je rappelle très succinctement les faits : le vendredi 10 février 2023 sur une route de Villiers-en-Bière (en Seine-et-Marne), Pierre Palmade, bourré de drogue dans le sang, ne chassant pas ses démons, avait refusé de céder le volant à l'un de ses deux passagers pour conduire dans une contrée où il habitait (il connaissait donc très bien la route). Roulant à gauche en raison d'une altération de la réalité, Pierre Palmade est le responsable d'un grave accident qui a fait quatre victimes, trois personnes blessées très gravement, le conducteur et les passagers de la voiture qui roulait en face, et malheureusement un enfant à naître, dans le ventre de la passagère depuis six mois, qui n'a pas survécu au choc.
Au-delà du choc d'une star prise en défaut, j'ai d'abord vu les victimes, une famille complètement effondrée et traumatisée à vie. La perte d'un enfant à naître, qui n'a peut-être même pas encore eu son prénom (en l'occurrence, si, la petite fille à naître a eu son prénom à titre posthume), est une horreur pour les parents, d'autant plus que c'était le premier enfant qu'ils attendaient.
Si on voulait faire de l'humour noir, on dirait que Pierre Palmade avait des circonstances atténuantes, puisque drogué à bloc, c'était difficile pour lui de rouler convenablement. Non, ne riez pas, ce n'était pas de l'humour, mais c'était à peu près l'état d'esprit des tribunaux dans les années 1970 lorsqu'un conducteur galvanisé par l'alcool était responsable d'un accident mortel. On vient de loin. Heureusement, depuis une cinquantaine d'années, avoir le sang rempli d'alcool ou de stupéfiant est devenu une circonstance aggravante et pas atténuante.
On voit ainsi par cette occasion que la star se droguait régulièrement et bien sûr illégalement, mais cette addiction était déjà connue publiquement depuis quelque temps, notamment par une ancienne condamnation. Je sais que le calvaire de l'addiction n'est pas seulement pour celui qui est atteint mais aussi pour ses proches, sa famille, et que la double peine résout rarement les choses, mais lorsqu'on sait qu'une personne est incapable de ne pas boire ou de ne pas se droguer, pourquoi l'État, la société, la loi, n'enlèverait pas, provisoirement, la validité de son permis de conduire ? Après tout, les bigleux (dont je fais partie) doivent toujours avoir des lunettes à verres correctifs dans la voiture pour avoir le droit de conduire (même s'ils portent des lentilles), et on imagine bien que certaines personnes n'ont plus le droit, ou un droit sous condition, de reconduire pour raisons médicales, en particulier lorsqu'elles ont été victimes d'un AVC.
Deux ans de prison ferme, on pourrait penser que c'est sévère. Surtout que s'il y a un homicide, il l'est sur un enfant à naître, pas une personne "finie" déjà reconnue par la société et l'État de droit (mais ce débat est très important, existe-t-on, socialement, éthiquement, avant de naître ? Ma propre réponse est oui, ne serait-ce que dans la tête des parents, mais aussi dans les listes d'attente des crèches, etc. et surtout, l'existence biologique est patente !). En outre, la sévérité d'une peine ne fait jamais revenir un être chéri disparu, ni supprimer les traumatismes d'un accident qui restera toujours présent dans la tête. De même, Pierre Palmade a bien compris ce qu'il a fait comme monstrueuse bêtise, et la regrette, bien trop tard mais la regrette, il n'est pas indifférent à la détresse des victimes et leur demande pardon. Peut-on pardonner ? Personnellement, je ne répondrai à la question que lorsqu'elle se posera, dans le cas malheureux échéant.
Avant, on pouvait être responsable d'un accident mortel qui a tué plusieurs personnes sur la route et n'être condamné qu'à deux ans de prison avec sursis. Maintenant, les juges deviennent de plus en plus sévères, et c'est avec raison. Certes, l'intention fait partie de la proportionnalité de la peine, et le caractère accidentel est évidemment pleinement reconnu (du moins, dans la plupart des accidents de la route), c'est le principe de l'homicide involontaire. Le concept de responsabilité est aussi essentiel, et c'est même le point clef dans les accidents du travail. Un accident reste toujours le résultat et la combinaison de plusieurs causes souvent improbables. Il est pourtant des causes probables d'accident, rouler imbibé d'alcool ou de stupéfiant est justement l'une des causes qui donnent beaucoup plus de probabilité à l'accident.
Le passage du permis de conduire a surtout pour but, au-delà du simple apprentissage de la technique de conduite, de responsabiliser le futur conducteur : il a risque de vie ou de mort sur la route. Le comportement totalement irresponsable de Pierre Palmade pouvait ainsi se traduire par : il se moquait totalement de la vie des autres usagers de la route, il pensait avoir la route pour lui tout seul, ou il se moquait des autres, en clair, égocentrisme total et anti-altruisme. On peut comprendre que la demande de pardon vient un peu tard. Elle est celle d'un enfant qui a fauté mais qui n'a pas donné toutes les garanties pour qu'il ne refaute plus. C'est, je pense, le sens de la sévérité du réquisitoire même s'il faut rappeler que Pierre Palmade risquait quatorze ans de prison, et pas seulement cinq dont deux ferme.
Par ailleurs, juger une personnalité célèbre n'est jamais facile pour un juge car il faut éviter toute pression : la personnalité ne doit pas bénéficier d'une tolérance qu'on n'aura pas pour un anonyme, mais, a contrario, elle ne doit pas non plus être condamnée plus sévèrement pour l'exemple.
Concrètement, les victimes se sont senties plutôt méprisées par le verdict pourtant sévère car il n'est pas reconnu l'homicide involontaire aggravé malgré la mort de l'enfant à naître. Durant les débats au procès, l'avocat de la jeune femme avait même déclaré, dégoûté : « Le droit protège mieux les animaux que les enfants à naître. Les œufs de certains oiseaux sont mieux protégés que les fœtus en France. C’est ahurissant ! ». De son côté, la procureure a affirmé, pendant son réquisitoire : « Cette consommation de stupéfiants ne doit pas justifier la faute de Pierre Palmade. (…) Le souci, c’est cette prise en charge qui peut être chaotique, c’est de prévenir le risque de récidive. (…) Et c’est aussi la volonté de donner une peine qui doit être comprise par la société. » [ces déclarations sont issues du compte rendu du journaliste Vincent Vantighem sur Twitter].
Moi, j'aimais bien les sketchs de Pierre Palmade, je me bidonnais bien dans ses duos avec Michèle Laroque. C'est difficile maintenant. L'impression qu'un monument s'est encore écroulé. Un peu comme l'abbé Pierre : les êtres humains sont complexes, font des choses épatantes... et en même temps, ils peuvent être de vrais salauds. Oui, qu'il fasse sa peine, qu'il se soigne, mais cela n'empêchera pas les victimes d'être effondrées à vie. Là est la peine à perpétuité. La seule chose qui pourrait sortir de bien, c'est que, de ce procès médiatique, il en reste cette idée impérieuse que chaque conducteur que nous sommes a la fragile responsabilité de faire attention à la vie des autres. Cette attention devrait être portée en permanence. Et surtout, en prendre conscience en permanence. La voiture, parce qu'elle a de l'énergie, est un instrument mortel. Il faut la manier avec cette conscience aiguë. Pour éviter d'autres victimes.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (20 novembre 2024)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
L'AVC de Pierre Palmade.
5 ans de prison dont 2 ferme pour Pierre Palmade.
Tristesse.
Contrôle médical obligatoire pour le permis de conduire : une erreur de vision ?
Émotion nationale pour Alexandra Sonac et sa fille adolescente.
Claude Got.
Création du délit d'homicide routier : seulement cosmétique ?
Le Comité interministériel de la sécurité routière (CISR) du lundi 17 juillet 2023.
Le refus d'obtempérer est un délit routier.
Faut-il interdire aux insomniaques de conduire ?
Faut-il en finir avec le permis de conduire à vie ?
L'avenir du périph' parisien en question.
Fin du retrait de point pour les "petits" excès de vitesse : est-ce bien raisonnable ?
Les trottinettes à Paris.
L'accident de Pierre Palmade.
La sécurité des personnes.
Anne Heche.
Diana Spencer.
100 ans de code de la route.
80 km/h : le bilan 2018-2020 très positif.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241120-palmade.html
https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/5-ans-de-prison-dont-2-ferme-pour-257764
http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/20/article-sr-20241120-palmade.html
procès
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5 ans de prison dont 2 ferme pour Pierre Palmade
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Viols de Mazan : quelques réflexions sur Pélicot et compagnie...
« Depuis que je suis arrivée dans cette salle d'audience, je me sens humiliée. On me traite d'alcoolique. Je serais la complice de M. Pélicot. Il faut avoir un degré de patience pour supporter ce que j'ai pu entendre ! » (Gisèle Pélicot, le 17 septembre 2024 à Avignon).
Ce qu'on appelle parfois l'affaire Pélicot mais que je préfère appeler l'affaire des viols de Mazan (car Pélicot est soit une victime soit un criminel, selon le prénom utilisé), est passée au-delà du simple fait-divers, c'est désormais un fait de société, tellement il peut donner un exemple éloquent et glauque de l'existence sociale et de l'organisation systémique de la violence conjugale. Depuis le 2 septembre 2024 devant la cour criminelle du Vaucluse, à Avignon, se déroute un long procès qui devrait s'achever le 20 décembre 2024.
Je rappelle rapidement l'objet du procès : Dominique Pélicot, un homme de 71 ans, a non seulement violé sa femme Gisèle mais l'a fait violer par des dizaines voire des centaines d'hommes. 92 faits de viol ont été répertoriés par la justice, qui ont été commis entre le 23 juillet 2011 et le 23 octobre 2020, principalement à Mazan, dans le Vaucluse, au domicile du couple, dans la chambre conjugale. 83 violeurs potentiels ont été comptés, dont seulement 54 hommes identifiés, 51 (dont le mari) sont jugés au cours de ce procès, un est décédé et deux autres ont été relaxés faute de preuve.
Jusqu'à cette affaire judiciaire, Gisèle trouvait son mari formidable, « bienveillant et attentionné », « un super mec ». Elle a dit à l'audience : « J'aurais mis mes deux mains à couper que je vivais avec un homme extraordinaire. La première trompée dans ce dossier, c'est moi et mes enfants. ».
Le procédé était particulièrement odieux : le mari recrutait les violeurs sur un site Internet de rencontres à l'occasion d'échanges dans un forum privé (le forum s'intitulait "À son insu" laissant peu de doute sur la réalité des viols) avec un protocole bien précis et rigoureux (éviter d'être parfumé, rester silencieux, etc. pour ne pas réveiller l'épouse ni éveiller ses soupçons) car les viols étaient commis sans le consentement mais aussi sans la conscience de la victime qui était droguée préalablement au Temesta (un anxiolytique). Pendant tous ces viols, Gisèle Pélicot ne savait pas qu'elle était violée, mais elle souffrait de douleurs génitales, de pertes de mémoire pendant la journée, de grosse fatigue, etc. dont elle ne connaissait pas la cause (et elle a même chopé le papillomavirus ; heureusement, pas le sida alors qu'un des violeurs récidiviste était séropositif).
Tout dans cette affaire est instructif, autant instructif que glauque, mais aussi tout ce qu'il y a autour. Avant tout, je souhaite saluer le courage, car c'est bien du courage, de la victime Gisèle Pélicot. Courage pour avoir enduré ce qu'elle a subi, mais aussi courage pour l'extérioriser, courage de s'afficher publiquement, sans anonymat, pour faire éclater la vérité (avec l'accord de sa fille Caroline) et aussi pour faire en sorte que cela ne puisse plus se reproduire. Créer un choc social, un avant et un après ce procès. Chaque fois qu'elle rentre au palais de justice, Gisèle est entourée d'une haie d'honneur qui l'encourage. Des manifestations ont eu lieu pour la soutenir, notamment le samedi 14 novembre 2024, pour soutenir aussi toutes les victimes de viol. Aux milliers de manifestants, Gisèle Pélicot a affirmé : « Grâce à vous, j'ai la force de poursuivre le combat jusqu’au bout. ». Le mérite de la victime, ce n'est pas d'avoir été une victime, d'avoir subi, mais d'avoir voulu médiatiser tout le système dont elle était la victime ignorante pour un combat plus général contre le viol et contre les violeurs.
L'avocat général avait proposé un procès à huis-clos mais la victime a refusé et voulu faire de la publicité à cette affaire judiciaire : « Je n'ai pas à avoir honte ! ». La diffusion d'images pornographiques (scènes de viol, etc.) a cependant été faite dans le cadre d'un huis-clos partiel, le président de la cour ayant faire évacuer la salle de son public (y compris la presse). En raison de la publicité sur les coaccusés, certaines de leurs familles ont été menacées et ont déposé elles-mêmes plainte pour menaces.
Il est difficile de savoir exactement quel est le sujet, si c'est le viol collectif, le viol sous soumission chimique, le viol conjugal (le mari peut être considéré comme avoir violé sa femme si les rapports ont lieu sans consentement), le recrutement des violeurs sur Internet, le principe même du procès, son déroulement qui peut aussi provoquer la douleur, la réalité des prédateurs sexuels qui sont souvent très subtils et manipulateurs (loin des dragueurs lourdingues qu'on voit venir à des kilomètres à la ronde), capables de se faire passer pour victimes au lieu de bourreaux, etc. Sans doute tous ces sujets à la fois.
L'origine de l'affaire est aussi assez troublante car c'est par hasard qu'on a découvert ce système dégueulasse. Le mari a été pris le 12 septembre 2020 par un agent de sécurité d'un supermarché de Carpetras en train de filmer sous la jupe de plusieurs clientes du magasin. L'analyse de son ordinateur a montré des dizaines de vidéos et photos de viols de sa femme, ce qui a permis de remonter les dates et les violeurs. Du reste, Dominique Pélicot a avoué le 2 novembre 2020, laissant croire qu'il regrettait les faits. Son épouse a appris l'existence de ces viols le même jour, ce qui a dû provoquer en elle un choc psychologique monstrueux (comment n'ai-je pas pu ressentir de telles atteintes à mon corps pendant si longtemps ?). Elle a immédiatement demandé le divorce et l'a obtenu heureusement avant le début du procès, le 22 août 2024. Les 51 prévenus sont donc jugés pour viols avec circonstances aggravantes.
La lecture des profils de ces 50 coaccusés auteurs de viols avec la complicité du mari semble montrer qu'ils seraient des hommes ordinaires de 26 à 73 ans, de grande diversité de profession, âge, etc. Mais étaient-ce des messieurs toutlemonde ? Pas forcément car certains avaient été déjà condamnés pour viols ou violence conjugale. Les féministes qui voudraient faire l'amalgame entre ces coaccusés et les hommes en général ne vont certainement pas faire avancer efficacement la cause de femmes : non ! tous les hommes ne sont pas comme ça, tous ne sont pas forcément des prédateurs sexuels, tous n'ont pas besoin de contraindre pour aimer, et même, ce qu'il y a de plus beau dans l'amour, c'est justement le consentement libre et réciproque, le sentiment d'être sur la même longueur d'onde.
Après des reports d'audience en raison de l'état de santé du principal prévenu, Dominique Pélicot, hospitalisé pour une infection rénale, ce dernier a pris la parole au procès pour la première fois le 17 septembre 2024 pour reconnaître les faits mais aussi accuser ses complices : « Aujourd'hui, je maintiens : je suis un violeur comme tous ceux qui sont concernés dans cette salle. Ils savaient tous, ils ne peuvent pas dire le contraire. Elle ne méritait pas ça, je le reconnais. (…) Je regrette ce que j'ai fait, je demande pardon même si ce n'est pas pardonnable. ».
Lui-même aurait été une victime de viols pendant son enfance, mais les analyses ADN ont révélé qu'il pourrait être coupable du meurtre ou du viol de Sophie Narme, une jeune fille de 23 ans en stage dans une agence immobilière, tuée en décembre 1991 à Paris. Il a été mis en examen le 14 octobre 2022 pour cette affaire parce que le schéma d'agression serait le même qu'une autre agression sexuelle sur une jeune agente immobilière de 19 ans le 11 mai 1999 à Villeparisis pour laquelle il a avoué après avoir nié (en raison de l'ADN retrouvée).
Dominique Pélicot a été confronté le 18 septembre 2024 à des images de sa fille nue endormie, mais il a nié avoir violé sa fille et même avoir pris ces clichés. Certains des coaccusés ont rejeté la réalité du viol dont ils sont accusés, si bien que le tribunal a fait diffuser dans une salle sans public et avec l'accord de la victime, la vidéo qui les incriminent le cas échéant dans toute leur crudité. Pour sa part, Gisèle Pélicot est pour l'étalement médiatique le plus large, selon son avocat : « Il faut qu’on ait le courage de se confronter à ce qu’est véritablement le viol, dans un dossier, justement, où il est exceptionnel d’avoir la représentation précise et réelle de ce qu’est un viol, et pas simplement une description sur un procès-verbal. ».
On voit bien que cette affaire est très compliquée car il faut pouvoir décortiquer la responsabilité des uns et des autres et tous n'ont pas le même intérêt. Ainsi, en faisant embarquer tous les coaccusés dans une responsabilité collective, Dominique Pélicot est autant un accusé qu'un accusateur.
Mais la stratégie de défense de certains des coaccusés est plutôt révoltante. Ainsi, ont été diffusées des images de Gisèle Pélicot dénudée avant ces viols (et même d'autres personnes qui n'ont rien à voir) en renversant le procès comme si c'était le procès de la victime ! Comme si le fait de faire du naturisme ou d'être plus ou moins audacieuse sur le plan moral justifierait le fait d'être violée ! Ce type de dénigrement de la victime est absolument abject et dans tous les cas, un viol reste un viol, quelle que soit la victime, quels que fussent ses faits et gestes avant, pendant, après le viol.
De quoi mettre en colère la victime qui a protesté : « Les 50 [accusés] derrière ne se sont pas posés la question [du consentement]. C'est quoi, ces hommes, c'est des dégénérés ou quoi ? Pas à un moment ils se sont posé la question ! ». Le pire, c'est que la version de certains coaccusés ne serait peut-être pas incompatible avec la vérité, ce sera aux jurés d'en déterminer les exactes limites. En effet, certains coaccusés ont prétendu ne pas savoir qu'il n'y avait pas consentement de la part de Gisèle. Le mari leur aurait fourni le scénario précis de ces "jeux sexuels" et ils devaient trouver Gisèle endormie, comme si elle simulait un endormissement. Toutefois, comme ils ne se connaissaient pas, c'est difficile d'admettre que ces "libertins" n'ont pas cherché à savoir si madame Pélicot était réellement consentante, quels que soient les manipulations ou mensonges de son mari.
Cette réécriture de l'histoire, ce relativisme d'oser dire qu'il y avait « viol et viol », sous prétexte que le violeur n'aurait pas eu conscience de violer, a profondément heurté Gisèle Pélicot : « Quand on voit une femme endormie sur leur lit, il n'y a pas un moment où on s'interroge ? Il n'y a pas quelque chose qui cloche ? (…) Un viol est un viol. Que ça soit trois minutes ou une heure. C'est absolument abject ! ».
Un des coaccusés n'aurait pas violé Gisèle mais aurait obtenu de son mari le médicament incriminé pour endormir sa propre femme et la violer plusieurs fois. Son avocat a déclaré : « Mon client est le produit de la perversion de Pélicot. Je suis intimement persuadé que si X ne rencontre pas Pélicot, il ne se passe rien. ». On voit le niveau de glauque et de dégueulasserie qui va faire surface, avec plusieurs victimes qui ne se savaient pas victimes.
Jouer au faux candide d'un côté, attaquer la victime de l'autre. Ce genre de défense risque fortement d'agacer les jurés qui devront pourtant tenter la neutralité, évacuer toute pression médiatique ou populaire, pour juger en leur âme et conscience sur les faits établis, les seuls faits établis. Mais sans préjuger du niveau de culpabilité, du niveau d'ignorance ou de connaissance, de complicité avec le mari, on peut quand même dire que tous ces coaccusés étaient avant tout de gros dégueulasses. Cela n'en fait pas une raison seule de les condamner, mais le contexte donne une tournure particulièrement grave de leurs dégueulasseries.
Ce procès ne doit donc pas éveiller le combat des féministes contre les méchants hommes. Il est avant tout le combat de toute l'humanité contre les violences faites aux femmes, parmi lesquelles la manipulation et le mensonge sont des moteurs particulièrement efficaces.
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