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« Cela fait 14 ans qu’elle me suit… Toujours présente malgré mes tentatives de fuite, elle s’accroche à moi. Ce soir, elle est bien présente mais j’essaie de la faire taire en me rappelant tous les maux qu’elle me fait endurer depuis ces années. » (Agathe Hilairet, 2022 sur Instagram).
Cyril Lacombe, le procureur de la République de Poitiers, a annoncé ce lundi 5 mai 2025 la triste nouvelle. Les forces de l'ordre ont retrouvé dans un sous-bois au sud de Vivonne, la veille, le corps sans vie d'Agathe Hilairet, qui avait disparu le 10 avril 2025 à 10 heures après avoir commencé un jogging depuis Vivonne, à 20 kilomètres au sud de Poitiers. Selon France Info, c'est un promeneur qui aurait retrouvé le corps dans une zone qui n'avait pas été fouillée.
Le père de la jeune fille de 28 ans avait alors alerté les forces de l'ordre en début d'après-midi alors qu'elle ne revenait pas. Grande sportive, elle faisait cet itinéraire de course à pied quasiment tous les jours. La dernière connexion de son smartphone a été géolocalisée dans l'après-midi à Voulon, à une dizaine de kilomètres de Vivonne.
La gendarmerie a très vite pris au sérieux cette disparition. Dès le 11 avril 2025, plus d'une centaine de gendarmes ont été mobilisés pour effectuer les recherches, ainsi que des militaires et des plongeurs. Un hélicoptère avec une caméra thermique a également été utilisé pour l'occasion. En tout, une surface de 100 kilomètres carrés a été passée au peigne fin. Le 14 avril 2025, le parquet de Poitiers a ouvert une information judiciaire contre X pour enlèvement et séquestration afin de se donner plus de moyens d'investigation (notamment des perquisitions, des auditions, des analyses ADN et numériques). En six jours, la diffusion de l'appel à témoins a permis de recevoir 178 signalements.
L'inquiétude était grande car la jeune joggeuse souffrait d'anorexie mentale depuis l'âge de 12 ans, un combat qu'elle menait quotidiennement, avec des centaines d'internautes qui la suivaient sur les réseaux sociaux (en particulier Instagram). Elle était d'une taille très mince (initialement, son poids a été donné à 35 kilogrammes pour 1,65 mètre). Les pistes de la fugue organisée et du suicide ont été écartées par la famille à partir de la lecture des derniers mots de son journal intime ou des recherches Internet qu'elle avait effectuées, même si rien n'était exclu pour les autorités.
L'autopsie réalisée ce lundi 5 mai 2025 n'a donné aucun résultat conclusif sur la cause de la mort en raison de l'état du corps. Une crise cardiaque, par exemple, ne laisserait plus beaucoup de traces visibles après trois semaines dans des conditions extérieures très humides. D'autres analyses et examens sont en cours de réalisation pour poursuivre les investigations.
L'hypothèse d'une mauvaise rencontre reste encore très plausible sinon probable (on dit même qu'elle est toujours privilégiée à ce stade de l'enquête). La découverte du corps a levé une inconnue mais pour la pire des possibilités. Tant que la personne était disparue, tout restait possible et notamment qu'elle fût encore en vie. Hélas, dans ce genre de disparition, plus le temps est long, plus les chances que la personne disparue ait survécu s'amenuisent.
La vraie question pour le procureur est de savoir si la jeune femme est morte d'un pépin de santé (en l'occurrence, probablement d'un arrêt cardiaque) ou si elle a été la victime d'un prédateur détraqué, auquel cas il faudra chercher le ou les coupables.
Je regrette que dans la presse, on continue encore, et malheureusement, ce n'est pas la première fois, à parler de la "joggeuse" de Vivonne. Elle est morte, certes, en faisant son jogging (cela semble à peu près établi), mais elle n'était pas une "joggeuse professionnelle" (si cette fonction existe ?). Elle était une personne à part entière, et j'imagine que sa famille et les proches ne la voyaient pas comme une coureuse mais comme une fille, une amie, ou une collègue.
Alors, disons-le : la jeune femme s'appelait Agathe, elle venait d'avoir 28 ans le 30 mars dernier. Elle adorait faire du sport, et en particulier courir depuis l'âge de 13 ans, elle aimait aussi beaucoup dessiner, faire de la broderie et jouer à des jeux vidéo. Après une première année de droit à Poitiers, elle a réorienté sa trajectoire professionnelle comme assistante de direction, selon "Le Parisien", et occupait alors un poste d'assistante d'accueil pour une association promouvant l'insertion professionnelle à Poitiers. Les parents vont pouvoir commencer à faire leur deuil. Une réalité qui s'effondre sur cette tragédie. Pensée aux proches.
« Il ne sait pas que je suis victime et il ne sait pas que je vais témoigner comme victime. Je suis restée trente ans dans le silence. En dehors de ça, pas une allusion, à personne. Mon père, j’ai peut-être voulu le protéger, inconsciemment, je pense, des coups politiques qu’il se prenait localement. » (Hélène Perlant, à propos de son père François Bayrou, le 22 avril 2025 dans "Paris Match").
On ne redira jamais assez à quel point il est difficile pour des victimes de sortir du silence et de témoigner publiquement. Ce n'est pas nouveau : combien de victimes de viol n'osaient pas déposer plainte il y a quelques décennies ? Victimes de viols, d'agressions sexuelles, de violences physiques ou/et morales... Beaucoup ressentent très injustement un sentiment de honte voire de culpabilité et ne parlent pas, ou, du moins, si elles parlent, c'est très tardivement. C'est le cas avec les victimes de nombreux prêtres (rapport Sauvé). C'est le cas avec les victimes de l'abbé Pierre. C'est aussi le cas avec les victimes de Notre-Dame de Bétharram et, plus généralement, d'institutions catholiques d'enseignement scolaire. Si les victimes parlent aujourd'hui, parfois après cinquante ans de silence, c'est parce qu'elles découvrent qu'elles ne sont pas les seules et qu'elles ont été les victimes de tout un système.
Pour Notre-Dame de Bétharram, près de Pau, il est question surtout de violences physiques (certaines sexuelles) et toujours d'humiliation. Il y avait des plaintes déposées en 2024, mais la folle course des médias ne s'était pas enclenchée. Il faut dire les choses comme elles sont. Le député FI Paul Vannier a ressorti cette affaire sans vraiment se préoccuper des victimes : son seul objectif, après le vote du budget de l'État, c'était de faire tomber le Premier Ministre François Bayrou. Les choses qu'il lui reproche, ce n'est pas d'avoir violenté des enfants, ce n'est pas d'avoir couvert, c'est juste d'avoir été au courant et de n'avoir rien fait. C'est stupide, et on en saura plus lors de l'audition du Premier Ministre devant la commission d'enquête parlementaire le 14 mai 2025, mais cela a eu un avantage, celui de mettre le scandale de Notre-Dame de Bétharram sous les projecteurs médiatiques.
Car c'est un véritable scandale, de nombreux enfants ont été violentés, sexuellement ou pas, humiliés, pendant des dizaines d'années dans un établissement scolaire catholique considéré comme strict, voire sévère. On en était resté à la punition de la règle contre les doigts infligée aux écoliers qui n'apprenaient pas leurs leçons, comme si frapper était pédagogique. C'était dans les années 1950, ou avant, et on se disait que les temps étaient révolus. Pourtant, dans cet établissement, on frappait les enfants encore dans les années 2000. Et puis, ce n'est pas pareil, ou ce n'est plus pareil. Avant, on ne constituait pas une commission d'enquête parlementaire pour une seule gifle contre un élève. Aujourd'hui, si, et avec raison. On ne doit pas frapper les enfants.
Très rapidement, François Bayrou a réagi comme devait réagir un homme politique expérimenté : il est allé rencontrer les victimes de Bétharram à Pau le 15 février 2025 et il en est ressorti bouleversé. Les victimes présentes ont pu l'attester : il avait l'air sincère, il découvrait l'étendue de l'horreur. Et bien sûr, il souhaitait que toute la lumière soit faite sur cet établissement... et sur d'autres, car il y a eu des faits de violence aussi dans d'autres établissements scolaires catholiques. Il a accepté le principe d'une commission d'enquête et celle-ci a rapidement commencé les auditions.
J'ai eu l'occasion d'écouter la première audition qui a eu lieu le 20 mars 2025 à l'Assemblée Nationale (on peut la revoir en bas de l'article). Ces parlementaires enquêteurs ont souhaité avec raison écouter d'abord les victimes (pas seulement de Bétharram) et seulement ensuite, les représentants des institutions (école, État, Église catholique, justice, forces de l'ordre, etc.).
C'était particulièrement émouvant et bouleversant. Les victimes racontaient avec leurs mots, parfois revivaient avec une extrême émotion ce qu'elles avaient subi ou vu, et aucune n'avait l'esprit tourné vers une quelconque récupération politique. Elles étaient souvent enfermées dans leur propre traumatisme parfois ancien. La plus émouvante fut sans doute Évelyne, témoin d'une chasse à l'écolier avec des chiens, et elle a raconté que l'un des fugueurs était mort, dévoré par un chien.
Le témoignage de Bernard fut aussi très poignant. Il insistait pour dire qu'il y avait de la violence (sexuelle ou pas) également dans des établissements non catholiques, par exemple, dans des établissements publics, il y avait commencé sa scolarité. De même, il a expliqué qu'il connaissait plusieurs victimes qui continuaient malgré tout à aller à la messe maintenant. Bref, ces paroles, ces témoignages n'ont généralement aucune vocation ni politique ni philosophique. Il ne s'agissait pas pour les victimes, de s'impliquer dans un combat politique particulièrement puant, ni non plus de s'opposer de front à l'Église catholique. Mais il faut bien aussi que les choses sortent pour faire le deuil, pour passer à autre chose.
Venons-en à Hélène Perlant. Cette élégante femme de 53 ans a une double particularité : d'une part, elle est la fille aînée du Premier Ministre, et d'autre part, elle a fréquenté le milieu de Notre-Dame de Bétharram dont elle a été élève. Son nom avait été cité par le député insoumis et par d'autres inquisiteurs politiques parce qu'Hélène aurait été la témoin de scènes de violence dans l'institution religieuse, et donc, son père ne pourrait être qu'au courant, selon la logique foireuse de ses accusateurs.
J'ai encore du mal à comprendre quel est l'intérêt de savoir si François Bayrou savait ou pas, puisque la justice avait été saisie et avait suivi son cours, à part tenter maladroitement un faux scandale politique. Évoquons ici un fait clair : les victimes de Bétharram sont très agacées par cette récupération politicienne car elles ont l'impression qu'on leur vole leurs paroles, leurs témoignages. Elles sentent que ces récupérateurs politiciens se moquent totalement des victimes et veulent juste faire un coup politique.
Lorsqu'on a évoqué Hélène, François Bayrou a réagi comme un père de famille, en repoussant toute instrumentalisation de ses enfants dans ce scandale, lâchant le 21 février 2025 dans "Sud-Ouest" : « Celui qui me fera mêler mes enfants à tout ça n'est pas né. ». Il n'aurait bien sûr pas fait cette déclaration s'il avait su... Car le témoignage d'Hélène Perlant est capital pour comprendre la sincérité de son père : a-t-elle raconté ce qu'elle a vu des violences dont elle était la témoin ou pas ? Selon le père, non.
Alors qu'un livre qui recueille les témoignages de victimes de Bétharram était en train d'être rédigé sous la houlette d'un journaliste de "Paris Match", Hélène Perlant a effectivement pris elle-même l'initiative de contacter, le 21 février 2025, Alain Esquerre, le fondateur du collectif de victimes et ancien pensionnaire de Bétharram, pour apporter son propre témoignage dans le livre, et elle a informé son père de sa démarche, sans en raconter le contenu. François Bayrou lui a juste répondu qu'il espérait qu'elle ne le mettrait pas en difficulté politique. C'était "Le Canard enchaîné" qui avait informé François Bayrou de la participation de sa fille au livre collectif, et ce dernier l'a dpnc appelée en lui demandant : « Tu me dénonces ? », puis, en concluant : « Je te fais confiance. Partout où tu iras, j'irai ! ». À ce moment-là, le Premier Ministre n'était pas au courant qu'elle allait témoigner elle-même publiquement comme victime.
Et puis, ce mardi 22 avril 2025 vers midi, la fille a téléphoné à son père, lui a expliqué qu'une interview d'elle, accordée à Arnaud Bizot, serait publiée dans "Paris Match" dans la soirée, à 18 heures 27, peu avant la publication du livre "Le silence de Bétharram" le jeudi 24 avril 2025 (éd. Michel Lafon), et elle lui a raconté ce qu'elle avait déclaré au journaliste, à savoir son propre cauchemar. Ce fut un choc pour le Premier Ministre, mais d'abord, pour le père.
Hélène Perlant a ainsi raconté qu'elle avait elle-même été la victime de graves violences physiques lors d'un camp de vacances organisé par Notre-Dame de Bétharram lorsqu'elle avait 14 ans. Elle a été rouée de coups, par le prêtre qui s'était vengé d'elle après un acte antérieur supposé insolent. Elle en a uriné sur elle et elle était restée dans sa saleté pendant toute la nuit. Elle avait tellement honte qu'elle n'en a parlé à personne, ni à ses amies, ni à sa famille. Surtout pas à son père qui, à l'époque, était jeune député des Pyrénées-Atlantique (il venait tout juste d'être élu pour la première fois à l'Assemblée en mars, à l'âge de 34 ans) et simple conseiller général de son département (il allait présider le conseil général six ans plus tard), et elle ne voulait pas compromettre sa carrière politique. Les ressorts du silence : la honte, la culpabilité et le déni.
Ainsi, Hélène Perlant a raconté dans "Paris Match" l'histoire de la violente gifle dont elle était témoin ainsi que la personne, assise à l'époque à côté d'elle, et qui, aujourd'hui, accuse François Bayrou de non-dénonciation de crime et de délit : « [Cette personne] a vu mon regard sidéré et il a pensé en toute bonne foi que j’allais forcément raconter la scène à mon père. Jamais ! En fait, ce moment-là m’a fait revivre avec effroi mon propre passage à tabac, quatre ans auparavant. L’agression à l’étude, la mienne et tant d’autres ont été vues par nous tous et pourtant personne n’a parlé. Ni les témoins ni les victimes. La vraie question est celle du déni individuel et collectif. Pas du mensonge. Vous imaginez : 80-100 gamins dans une salle, et aucun ne parle ? Lorsque j’ai téléphoné à Alain Esquerre, il a tout de suite compris dans quoi je m’engageais. On ne témoigne pas pour exposer nos stigmates mais pour expliquer le système Bétharram, maintenant que nous, entre anciens élèves, on commence à le comprendre et à se soutenir les uns les autres. On montre comment ces déchaînements de violence publics sont la condition paradoxale pour que personne ne parle jamais. ».
Le contexte de son passage à tabac, c'était l'année précédente, où Hélène avait perturbée la préparation de la profession de foi supervisée par une religieuse qui s'affichait ostensiblement à son futur tortionnaire, un prêtre qui est mort en 2000 : « Ces deux-là m’avaient à l’œil ! Elle avait quelque chose de sadique, de très malveillant, une vraie méchante, qui a voulu se venger. Lui m’avait déjà lancé : “Toi, la fille Bayrou, insolente comme ton père !”. Dans cette colo, on était une quarantaine, moniteurs inclus. Un soir, alors qu’on déballe nos sacs de couchage, [le prêtre] me saisit tout d’un coup par les cheveux, il me traîne au sol sur plusieurs mètres et me roue de coups de poing, de coups de pied sur tout le corps, surtout dans le ventre. Il pesait environ 120 kilos. Pour parler crûment, je me suis urinée dessus et suis restée toute la nuit, comme ça, humide et prostrée dans mon duvet. Alain le raconte dans son livre avec des mots qui me préservent. ».
Et de dénoncer tout un système : « Bétharram était organisé comme une secte ou un régime totalitaire exerçant une pression psychologique sur les élèves et les enseignants pour qu’ils se taisent. ». Quant à ce que savait ou pas son père : « Évidemment, on peut penser qu’il a eu toutes les infos. Mais lui, comme les autres parents, était très, très intriqué politiquement, localement. Lui, davantage, mais je le mets au même niveau que tous les parents. Plus on est intriqué, moins on voit, moins on comprend. Et plus il y a de témoins, moins ça parle. ».
La réaction de François Bayrou dans l'après-midi du 23 avril 2025, lors d'un déplacement à la prison de Saint-Quentin-Fallavier, en Isère, a été la suivante : « En tant que père de famille, ça me poignarde le cœur. En tant que responsable public qui dépasse le père de famille, c'est aux victimes que je pense. Une partie de leur vie a été gâchée si profondément que je ne veux pas les abandonner. ». En tout cas, sa sincérité a été confirmée par sa fille. L'omerta a été généralisée, tant du côté des victimes qui se sont tues que du côté des parents des victimes qui n'ont rien vu, qui n'ont pas imaginé. François Bayrou avait eu connaissance par sa fille qu'une gifle avait été donnée en classe, mais pouvait la prendre comme une sanction méritée, à l'instar des coups de règle sur les doigts, bien qu'anachroniques et inutilement sadiques.
Encore une fois, le Premier Ministre a eu la bonne réaction : il ne veut pas défocaliser le scandale. L'écho médiatique ne doit pas se faire autour de lui-même, sa défense, sa sincérité, son émotion de père de famille qui n'avait rien vu et ses regrets qu'il aurait pu agir autrement, faire sortir sa fille de cet enfer, éviter d'autres victimes, trop occupé à faire de la politique dans une difficile stratégie de conquête, dans une terre politique qui lui était très hostile (le ministre socialiste André Labarrère était le maire indéboulonnable de Pau de 1971 à sa mort en 2006). Il a refocalisé sur la seule chose qui vaille, l'attention, l'écoute des victimes, des seules victimes. D'autant plus que certaines victimes qui ont participé à la rédaction du livre de témoignages qui sort ce jeudi étaient agacées par la publication, auparavant, de cette interview de la fille de François Bayrou, ce qui a nécessairement entraîné le sujet dans un combat politique qui ne devrait pas avoir lieu (tout le monde est scandalisé et veut que les violences s'arrêtent). Apparemment, Hélène Perlant elle-même ne savait pas que l'interview allait paraître avant le livre, même si cela était prévisible.
Les opposants politiques de mauvaise foi qui n'ont pas trouvé d'autre moyen de faire chuter un Premier Ministre que de l'impliquer faussement dans un scandale énorme (en l'occurrence, il est réellement impliqué, mais comme père d'une victime), attendent évidemment avec impatience son audition du 14 mai 2025 qui ne devrait pourtant révéler rien de particulier sinon son aveuglément et son impuissance de père de famille qui n'a pas su protéger sa fille aînée. Se refocaliser, c'est avant tout écouter les victimes. Deux cents anciens élèves ont dénoncé depuis lors des agressions physiques et sexuelles. Je vous recommande très vivement d'écouter certaines victimes lors de leur audition du 20 mars 2025 à l'Assemblée Nationale. Leur témoignage fait froid dans le dos.
« Bientôt le dé-rassemblement national ? Dans le parti, certains voient en Bardella le responsable du bide du meeting du 6 avril, quand d’autres estiment que Marine devraient comprendre "que c’est sans doute fini pour elle" ! Ça promet pour 2027… » ("Le Canard enchaîné" du 9 avril 2025).
La mousse médiatique commence à se dissiper autour de la condamnation très lourde de Marine Le Pen et d'une vingtaine de cadres du RN. Au-delà du fond, il y a la forme, et la mauvaise foi des dirigeants du RN est assez instructive.
Dans un premier temps, voyons quelques arguments sur les soutiens supposés populaires de Marine Le Pen. Et dans un second temps, je reviendrai sur les motivations des juges d'avoir assorti la peine d'inéligibilité de cinq ans de Marine Le Pen de son exécution provisoire, l'empêchant de se présenter à une élection au moins jusqu'au jugement en appel.
Le meeting du dimanche 6 avril 2025 à Paris, place Vauban, a été un véritable bide avec seulement quelques milliers de participants, environ 5 000, échec de mobilisation qui a l'air plutôt de réjouir le gagnant de l'affaire, Jordan Bardella. C'est le parti macroniste Renaissance qui a gagné la bataille de la mobilisation, en rassemblant exactement 8 853 sympathisants au meeting de Gabriel Attal à Saint-Denis. L'amusant, c'est d'ailleurs que le président délégué du groupe RN à l'Assemblée a alerté la procureure de la République sur le fait qu'il y aurait eu trop de présents à ce meeting, ce qui n'aurait pas permis de respecter les jauges de sécurité. En somme, une reconnaissance des capacités de mobilisation de Renaissance.
On peut aussi voir à quel point les discours sont foireux. Par exemple, on peut parler de la pétition visant à soutenir Marine Le Pen à la suite de sa condamnation très lourde du 31 mars 2025. Elle était la même pétition que celle qui était déjà en ligne le 14 novembre 2024, c'est ce que permettent de savoir les archives de l'Internet. Le RN aurait juste changé le texte de la pétition, ce qui paraît peu loyal pour les signataires d'origine, et elle a la même adresse Internet que celle de 2024. Les centaines de milliers de signatures ne sont donc pas venues en trois jours, mais en quatre mois, cela réduit la nature du soutien spontané.
Du reste, il suffit de regarder le sondage qu'a organisé la chaîne CNews, pourtant assez proche idéologiquement du RN, pour comprendre l'absence générale de compassion du peuple français aux déboires judiciaires de Marine Le Pen : 71% des sondés trouveraient normale sa condamnation, selon le principe énoncé par Gabriel Attal « Tu voles ; tu paies ! », tandis que seulement 29% seraient choqués par la peine d'inéligibilité. La bataille de l'opinion est complètement perdue par le RN et beaucoup voudraient trouver rapidement une porte de sortie, car vouloir maintenir la candidature de Marine Le Pen serait un suicide collectif.
Répétons : dans cette grave affaire de grande délinquance (plus de 4 millions d'euros d'argent public détournés !), Marine Le Pen n'est pas du tout une victime mais une coupable, condamnée en première instance à 4 ans de prison dont deux ans ferme (et présumée innocente pour son procès en appel).
Lisons la chronique que le professeur Jean-Philippe Derosier, constitutionnaliste lillois, a publié le 7 avril 2025 dans "Le Nouvel Observateur" : « La peine ne doit pas faire oublier la culpabilité. (…) Il n’est question que des modalités d’exécution d’une peine complémentaire, car l’exécution provisoire n’est pas, en soi, une peine mais une modalité de son application et l’inéligibilité n’est pas la peine principale, mais une peine qui vient la compléter. ».
Jean-Philippe Derosier a insisté sur la stratégie suicidaire de la défense tout au long du procès : « Refusant d’admettre toute culpabilité et, au contraire, en justifiant les faits (qu’elle reconnaît), car une activité politique serait indissociable de tout mandat parlementaire, elle laisse entendre qu’elle considère ne rien avoir commis d’illégal et de pénalement répréhensible. Par conséquent, placée dans une situation identique, elle serait susceptible de les commettre à nouveau. Ce seul élément serait suffisant pour justifier l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité, dont l’un des objectifs est d’empêcher la récidive : on voit que le risque existe. ».
Marine Le Pen a été condamné surtout comme la responsable en chef d'un système durable de détournement massif d'argent public, pas seulement en tant que députée européenne mais surtout en tant que présidente du RN. Il n'est donc pas besoin qu'elle soit députée européenne pour craindre une récidive.
Au contraire, le risque de récidive est d'autant plus sérieux que l'actualité judiciaire nous apporte deux événements qui confortent nettement l'appréciation inquiète des trois juges du tribunal correctionnel de Paris.
Le premier événement, c'est la confirmation, le 19 juin 2024, par la Cour de Cassation, de la condamnation en appel de sept proches de Marine Le Pen et de trois personnes morales de la mouvance d'extrême droite, pour escroquerie aux dépens de l'État, abus de biens sociaux, abus de confiance, recel et blanchiment, rien que cela. Le RN a été condamné à une amende de 250 000 euros pour cette affaire dite des kits de campagne (vente à un prix exagérément surévalué d'un matériel de campagne aux candidats RN aux législatives de juin 2012 destiné à être remboursé par l'État si le score est supérieur à 5%). Cette condamnation est définitive depuis le rejet des pourvois en cassation. La cour d'appel avait alors estimé que ce système avait « porté atteinte aux règles de la démocratie ».
Le second événement a été confirmé par France Inter ce mercredi 9 avril 2025 à partir d'une indiscrétion de l'hebdomadaire satirique "Le Canard enchaîné" du 9 avril 2025 : le président du RN Jordan Bardella souhaitait rémunérer son directeur de cabinet de parti avec l'argent des assistants parlementaires du Parlement Européen. C'est-à-dire exactement ce qu'on a reproché à Marine Le Pen et à une vingtaine de membres du RN !
Effectivement, dans un courrier daté du 26 mars 2025, le secrétaire général du Parlement Européen a adressé à Jordan Bardella un refus de renouveler le contrat d'assistant parlementaire à temps partiel de François P., directeur de cabinet du président du RN à Paris et conseiller région d'Île-de-France (rappelons que le mandat de conseiller régional est lui-même rémunéré) : « Compte tenu de vos responsabilités en tant que président de parti, les missions de M. P. comme directeur de cabinet exigent un certain degré de disponibilité et de réactivité. Cela parait peu conciliable avec la régularité des tâches d'assistance parlementaire que vous envisagez de lui confier, du lundi au jeudi de 9 heures à 12h30. ».
Dans l'affaire Le Pen, on avait reproché exactement la même chose : que des assistants parlementaires en temps partiel soient officiellement embauchés pour, en fait, rémunérer sur fonds publics, les nôtres, ceux du contribuable, le majordome de Jean-Marie Le Pen, sa secrétaire et son directeur de cabinet, le garde du corps de Marine Le Pen, etc. Il est là, le scandale, et visiblement, Jordan Bardella voudrait continuer ce système malgré près de dix ans d'instruction, un long procès et un jugement qui a fait polémique. C'est à se demander si Jordan Bardella a lu une seule fois un journal ces derniers mois.
Le risque que Marine Le Pen supervise ce système de détournement de fonds publics une nouvelle fois n'est donc pas mince puisqu'elle refuse obstinément de reconnaître sa faute (tout en reconnaissant les faits !).
La seconde motivation qui ont conduit les juges à assortir la peine d'inéligibilité de son exécution provisoire, c'est ce qu'on appelle le trouble public. Jean-Philippe Derosier a ainsi justifié cette seconde motivation des juges : « Dès lors que Madame Le Pen a été reconnue coupable et condamnée par le tribunal, ce dernier est légitime à relever que les faits commis sont de nature à porter une atteinte tant à la confiance des citoyens dans la vie publique, qu’à la probité et à l’exemplarité qui doivent s’attacher aux élus, dans l’exercice de leur mandat. Ainsi, permettre qu’une telle personne, reconnue coupable et condamnée par un tribunal, puisse concourir à une élection, en particulier l’élection présidentielle et puisse a fortiori être élue, constitue un trouble majeur à l’ordre public démocratique. On peut ajouter que si Marine Le Pen était élue Présidente de la République dans ces circonstances, elle échapperait à la justice pendant tout le temps de son mandat et serait en position de faire évoluer la législation pénale pour l’exonérer de sa responsabilité, en influant sur le travail gouvernemental et législatif comme le fait tout Président de la République. ».
Le professeur de droit constitutionnel a conclu ainsi : « Il est donc parfaitement légitime et juridiquement fondé que le tribunal conclue qu’il lui appartient de veiller à ce que les élus, comme tous les justiciables, ne bénéficient pas d’un régime de faveur, incompatible avec la confiance recherchée par les citoyens dans la vie politique. Il prononce donc l’exécution provisoire de l’inéligibilité, afin de la rendre applicable immédiatement. Cette exécution provisoire ne contrevient ni au procès équitable, ni au droit au recours, ni à la présomption d’innocence. ».
Il a rappelé en outre que, contrairement à ce qu'a vaguement affirmé, le 1er avril 2025, le Premier Ministre François Bayrou (à savoir : « En principe de droit, toute décision lourde et grave en matière pénale doit pouvoir faire l’objet d’une procédure en appel et d’un recours. Cependant, le dispositif de l’exécution provisoire conduit à ce que des décisions lourdes et graves ne soient pas susceptibles de recours. Il n’est alors plus possible de faire appel de décisions qui, pourtant, peuvent entraîner des conséquences irréversibles. J’ai toujours, comme citoyen, considéré ce point comme problématique. »), la peine d'inéligibilité n'est pas définitive et qu'il y a possibilité de recours puisqu'il aura appel : « Marine Le Pen a interjeté appel et verra donc sa cause de nouveau entendue. D’après ce qui a été annoncé, la cour d’appel pourrait même se prononcer avant l’élection présidentielle. Elle exerce donc son droit au recours et pourra de nouveau faire valoir ses arguments, de façon contradictoire, devant une juridiction indépendante et impartiale, comme elle l’a fait devant le tribunal correctionnel. Elle continue de bénéficier de la présomption d’innocence et l’exécution provisoire de l’inéligibilité ne la remet pas en cause car son objectif est simplement de préserver l’ordre public démocratique à l’égard d’une personne susceptible de lui porter une atteinte irréparable. ».
Jean-Philippe Derosier a d'ailleurs fait la comparaison avec des affaires criminelles, en en pointant bien sûr les différences : « Imaginerait-on contester le placement en détention provisoire d’un individu soupçonné de multiples meurtres ? Certainement pas : bien qu’il bénéficie, comme tout justiciable, de la présomption d’innocence, l’objectif constitutionnel de préservation de l’ordre public justifie une telle mesure privative de liberté, car il présente un réel danger pour la société. Peut-on oser comparer la situation d’un meurtrier avec celle d’une élue ? Non. Les situations sont évidemment différentes. Mais la détention provisoire n’est précisément pas de même nature que l’inéligibilité provisoire. Cependant, la justification participe de la même dynamique : il existe non un danger pour la société, mais un danger pour la démocratie et il est du rôle de la justice de nous en préserver, au nom de tout le peuple français. Marine Le Pen dispose alors du droit de se défendre. ».
Il faut rappeler que l'utilisation des 4,1 millions d'euros que le tribunal correctionnel de Paris a considérés comme de l'argent public détourné par le RN a contribué au renforcement déloyal de la puissance électorale du RN par rapport aux autres formations politiques qui ont respecté la loi et a donc faussé le jeu démocratique (a troublé l'ordre public démocratique) au profit du RN qui aurait pu obtenir moins d'élus sans cette force de frappe (mais ça, on ne le saura jamais et c'est peut-être faux, mais le simple fait qu'on puisse l'imaginer dénature la loyauté et la sincérité de la vie démocratique pendant toute cette période).
Comme je l'ai déjà expliqué, la peine d'inéligibilité de Marine Le Pen n'a rien d'exceptionnel. Plusieurs personnalités politiques l'ont déjà eue récemment assortie d'une exécution provisoire, parfois de dix ans !
Les statistiques du Ministère de la Justice donnent d'ailleurs des indications précieuses : en 2023, 639 personnes ont été condamnées en France à une peine d'inéligibilité assortie d'une exécution provisoire. Le cas de Marine Le Pen n'est donc pas rare. Au total, en 2023, les tribunaux de France ont condamné 16 364 personnes à une peine d'inéligibilité, l'exécution provisoire correspond donc à 4% des peines d'inéligibilité en 2023 (qui ont été en forte augmentation, elles étaient au nombre de 9 125 en 2022, dont plus de 300 avec exécution provisoire). De ces données, dans un article de France Info publié le 3 avril 2025, Armêl Balogog en a déduit ainsi : « Il est donc possible d'en conclure que le principe de l'exécution provisoire n'a rien d'exceptionnel et qu'il fait intrinsèquement partie de l'exercice de la justice. ».
Toutes ces observations montrent que la condamnation lourde de Marine Le Pen ne provient pas un supposé complot contre elle et son parti (qui pourra toujours présenter un candidat à la prochaine élection présidentielle), mais l'exercice ordinaire de la justice qui doit s'appliquer avec la même sévérité, ni plus ni moins, quels que soient les délinquants mis en cause. Cela ne fera pas changer d'avis les militants convaincus et apparatchiks du RN, mais va sérieusement compliquer la tâche de ce parti pour trouver de nouveaux électeurs et tenter de faire exploser le plafond de verre qui sévit depuis 1972. Le meilleur moyen aurait été sans aucun doute de ne pas détourner de fonds publics et d'être honnête avec l'argent des contribuables. C'est le minimum qu'on peut attendre de tout futur élu.
« Les lois de la vie et de la mort comme suspendue, vaincue, abolie. Alors, s’ouvre le temps de la reconnaissance de la Nation. Aussi votre nom devra s’inscrire, aux côtés de ceux qui ont tant fait pour le progrès humain et pour la France et vous attendent, au Panthéon. » (Emmanuel Macron, le 14 février 2024 à Paris).
La panthéonisation de Robert Badinter a été envisagée dès son décès et même bien auparavant. La principale personne concernée ne s'était pas opposée, de son vivant, à cette idée, même s'il lui était pénible d'être l'objet d'honneurs publics. Il avait ainsi refusé toute décoration nationale, que ce soit l'Ordre national du Mérite ou la Légion d'honneur. Il avait été d'ailleurs un moment envisagé une panthéonisation du couple Badinter, avec également sa femme Élisabeth Badinter lors du décès de celle-ci, au même titre que l'époux de Simone Veil, Antoine Veil, a été transféré à ses côtés au Panthéon (mais je trouvais cette planification un peu morbide).
Finalement, il a été conclu que Robert Badinter ira au Panthéon... sans ses cendres qui resteront inhumées là où elles se trouvent actuellement. Cela avait déjà été le cas pour Geneviève Anthonioz-De Gaulle et Germaine Tillion.
Le transfert des cendres d'une personnalité, en principe de nationalité française (mais il y a eu des exceptions), est décidée par un décret du Président de la République, sur proposition du Premier Ministre et sur rapport du Ministre de la Culture.
Je suis toujours gêné par le principe de la panthéonisation qui est l'équivalent républicain et laïque d'une sorte de béatification voire canonisation pour les chrétiens. Il est difficile de sélectionner ceux qui devraient en être et ceux qui ne devraient pas en être, d'autant plus que cela dépend beaucoup du moment, de l'évolution de la société et aussi de la connaissance qu'on peut avoir des personnes (ainsi, l'abbé Pierre avait été souvent cité pour faire partie des prochains panthéonisés ; on se rassure qu'il ne le soit finalement pas !). On a aussi panthéonisé des maîtres de cérémonie de panthéonisation, par exemple, André Malraux pour Jean Moulin.
Heureusement, dans un éclair à la fois de lucidité et d'extrême orgueil, beaucoup de grands personnages de l'État ont refusé de leur vivant ce genre d'hommage, le premier d'entre eux étant De Gaulle lui-même qui craignait de ne pas pouvoir se reposer en paix. Devenir comme une œuvre d'art dans un musée, visitée par des milliers de touristes, n'est pas forcément du goût de tous les macchabées qui aspirent plutôt à la tranquillité.
L'idée de panthéoniser Robert Badinter a pourtant un véritable sens, celui d'avoir su, au-delà des oppositions feutrées ou même féroces (il suffit de voir les réactions ces prochains jours sur cette information ; Robert Badinter bénéficie encore d'un haut niveau de haine qui montre à quel point il fallait du courage pour aller jusqu'au bout de son projet), ...d'avoir su mener à bien l'abolition de la peine de mort qui n'est pas une question de politique pénale, ni de politique tout court, mais une question de société, de philosophie : la justice, au nom du peuple français, avait-elle le droit de supprimer des vies ? C'est un choix de société. La réponse depuis le 9 octobre 1981 est non, et le Président Jacques Chirac, qui, lorsqu'il était député, avait voté cette abolition de la peine de mort (comme d'autres personnalités de l'opposition, entre autres Philippe Séguin), a même renforcé le dispositif en rendant constitutionnelle cette abolition, ce qui reste une garantie pour tous les justiciables en France.
Ainsi, on peut voir une analogie entre Simone Veil, qui a mené à bien la loi sur l'IVG en 1974-1975, et Robert Badinter la loi sur l'abolition de la peine de mort en 1981. Aucun des deux n'avait vraiment prévu la chose dans leur existence. Jean Lecanuet aurait dû le faire pour l'IVG et Maurice Faure pour la peine de mort. Les deux lois ont été, par la suite, intégrées dans la Constitution. Enfin, dernière analogie qui n'est pas sans intérêt, les deux ont connu l'atrocité des camps d'extermination (elle comme déportée ; lui, qui a failli être déporté, touché de plein fouet), y perdant chacun une partie de leur famille, ce qui en a fait des êtres toujours associés à une certaine gravité historique (les parents de Robert Badinter étaient tous les deux d'origine moldave et ont obtenu la nationalité française quelques semaines avant sa naissance).
Ministre de la Justice de 1981 à 1986, Président du Conseil Constitutionnel de 1986 à 1995, sénateur des Hauts-de-Seine de 1995 à 2011, Robert Badinter a incarné pendant sa vie publique une certaine idée de faire de la politique, celle de l'intellectuel, celle du moraliste, mais certainement pas celle de l'ambitieux. Il a pris les chemins détournés de la politique pour suivre, paradoxalement, son ambitieux ami François Mitterrand pour qui il voua une fidélité mise parfois à rude épreuve. La République a de quoi s'enorgueillir d'avoir eu parmi ses serviteurs un homme tel que Robert Badinter. C'est parce qu'ils sont rares qu'il faut savoir les honorer et en faire des exemples républicains (sans qu'ils en soient pour autant des modèles).
« Ce n'est pas une décision de justice, c'est une décision politique. » (Marine Le Pen, le 6 avril 2025 à Paris).
Meeting du RN à Paris ce dimanche 6 avril 2025. Étrange réflexe de vouloir faire un rassemblement pour protester contre la condamnation très lourde de Marine Le Pen en première instance (quatre ans de prison dont deux ferme, 100 000 euros d'amende, cinq ans d'inéligibilité avec exécution provisoire). Réponse de l'ancien Premier Ministre Gabriel Attal : « Tu voles, tu paies ! », en remarquant : « Le RN, c'est le parti qui demande de la fermeté pour tous, sauf pour lui ! ». D'autres, à l'Assemblée, se contentaient de rétorquer : « Rends l'argent ! ».
Ce ne sont pas quelques milliers de militants du RN venus soutenir Marine Le Pen (dans sa condamnation pour détournement massif de fonds publics ?) qui changeront les choses : Marine Le Pen a été reconnue par le tribunal judiciaire de Paris comme la responsable de tout un système de financement de son parti sans lequel le RN aurait certainement eu moins d'audience électorale. Le texte du jugement est accablant.
Le mot d'ordre "Sauvons la démocratie" est du langage orwellien, ou, du moins, du trumpisme de bas étage : la démocratie, c'est le suffrage universel (les urnes, et pour l'instant, le RN n'a jamais gagné une élection nationale, il faut le rappeler), mais c'est aussi l'État de droit, c'est-à-dire les valeurs de la République : la majorité doit gouverner dans le cadre de nos valeurs précisées dans notre Constitution, elle ne peut pas tout.
La réaction colérique de Marine Le Pen, qui, soit dit en passant, n'est pas approuvée par ceux qui, au RN, voudraient conquérir le pouvoir et préféreraient donc un autre cheval un peu plus présentable, c'est le refus de la règle commune, c'est le refus de la justice, c'est surtout le refus de la démocratie qui est d'accepter (même sans l'approuver) une décision de justice car elle s'impose à tous (y compris au gouvernement).
Fuite en avant insensée, voire suicidaire, que vouloir à tout prix rester candidate. Elle a déjà perdu la bataille de "l'opinion publique" qui est aux deux tiers favorables au principe de sa condamnation sévère, selon l'adage de Gabriel Attal, tu voles, tu paies. C'était du reste le discours du RN/FN depuis cinquante ans, pestant contre le laxisme des juges, pestant contre la libération de délinquants, et pour les affaires politico-judiciaires, prônant une peine d'inéligibilité à vie (ce qui me paraissait d'ailleurs complètement disproportionnée). Marine Le Pen va avoir du mal à justifier les deux poids deux mesures : je suis pour la sévérité des juges... sauf pour moi ! C'est trop gros, et pour l'instant, nous ne sommes pas des citoyens américains prêts à avaler n'importe quoi.
J'ai relu ce que j'en disais... le 22 février 2017. Nous étions en pleine campagne présidentielle, l'affaire Fillon venait d'éclater, et les juges ont perquisitionné les locaux du FN/RN. Marine Le Pen, au contraire de François Fillon, avait alors déclaré par anticipation qu'elle resterait candidate à l'élection présidentielle même si elle était mise en examen. Concrètement, elle a même eu le temps d'être candidate aux deux élections présidentielles qui ont suivi ces perquisitions, 2017 et 2022. La justice ne l'a donc jamais "empêchée".
Car ces perquisitions, il s'agissait bien d'une démarche provenant de l'affaire qui l'a condamnée le 31 mars 2025 : non seulement ce sont trois juges, et pas une seule, qui ont condamné lourdement Marine Le Pen le 31 mars 2025, mais c'est près d'une centaine de juges différents qui ont dû se prononcer, tout au long de cette longue procédure, toujours en défaveur du RN et de Marine Le Pen, en raison des 45 recours faits à l'initiative des Le Pen.
On ne s'étonnera donc pas de sa faible considération pour la justice en politisant elle-même la justice (elle aurait pu dire aussi que la justice était misogyne puisqu'elle a condamné une femme). Effectivement, dans "Le Monde" du 2 février 2017, Marine Le Pen disait déjà : « Un juge pourrait décider qui est candidat et qui n’est pas candidat. C’est la fin de la démocratie. ». À l'époque, il s'agissait juste d'une possible mise en examen, ce qui est très différent d'une condamnation à quatre ans de prison dont deux ferme. Elle bénéficiait encore de la présomption d'innocence.
L'un des arguments employés par le RN aujourd'hui est de dire que la justice aurait volé l'élection présidentielle de 2027 en empêchant Marine Le Pen d'être candidate à cette élection. L'affirmation est totalement dénuée de raison ! D'une part, en raison d'un favoritisme qui devrait aussi en faire bénéficier tous les justiciables, Marine Le Pen a, semble-t-il, bénéficié d'une accélération pour la tenue de son procès en appel. Tant mieux et c'est la porte étroite qui lui fait dire qu'elle pourrait être candidate malgré tout. Mais pourquoi les juges en appel renieraient-il les faits établis en première instance qui seraient accablants ? D'autre part, c'est factuellement faux : même si Marine Le Pen est empêchée, le RN aura naturellement un candidat pour le représenter à l'élection présidentielle, et le plan B qui se précise, à savoir Jordan Bardella, fait déjà jeu égal avec Marine Le Pen dans les sondages d'intentions de vote. Donc, non seulement l'empêchement de Marine Le Pen n'est pas un empêchement du RN (et c'est tant mieux), mais le fait qu'il y ait un autre candidat n'handicaperait pas ce parti électoralement à ce jour.
C'est surtout l'illustration d'une vanité monstrueuse de l'ex-présidente du RN. Moi moi moi. Sans moi, la démocratie serait en danger ! J'aurais plutôt tendance à penser le contraire quand elle fustige ainsi les juges et la justice, au point de devoir mettre une protection rapprochée auprès de certains juges dont les coordonnées ont été divulguées dans les réseaux asociaux et qui ont reçu des menaces de mort.
L'idée de se croire irremplaçable n'est pas réservée à Marine Le Pen, bien entendu, et je crois que les grands candidats à l'élection présidentielle ont tous eu ce sentiment sans lequel ils ne se battraient pas. En revanche, l'idée que c'est uniquement Marine Le Pen qui est empêchée par la justice est complètement fausse.
D'une part, les peines d'inéligibilité prononcées avec exécution provisoire en première instance sont très nombreuses. François Fillon a été ainsi interdit de se présenter pendant dix ans dès sa condamnation en première instance en 2020. Pareil pour les époux Balkany en 2019. Un petit schéma propose dix exemples, et on constate que Marine Le Pen n'a pas eu l'inéligibilité la plus sévère.
D'autre part, elle pourrait répliquer en disant qu'elle est la seule candidate à l'élection présidentielle en capacité de gagner à être empêchée par la justice. Là encore, c'est complètement faux. Si l'on regarde les dernières élections présidentielles, je note au moins quatre élections présidentielles dont on pourrait dire, avec la même logique, qu'elles auraient été "volées".
Pour l'élection de 1995, Lionel Jospin a été le candidat socialiste un peu par défaut, mais au-delà de Michel Rocard, un autre candidat évident était voulu et préparé par François Mitterrand, à savoir Laurent Fabius. C'est sa mise en examen dans l'affaire du sang contaminé qui l'a empêché politiquement (et pas juridiquement) d'être candidat à 1995.
Pour l'élection de 2007, Nicolas Sarkozy a emporté assez facilement l'investiture de l'UMP pour sa candidature, mais à l'origine, le dauphin de Jacques Chirac était plutôt Alain Juppé qui, condamné en 2004, a dû renoncer à la candidature présidentielle.
Pour l'élection de 2012, c'est la justice américaine qui a empêché, là encore politiquement, la candidature de Dominique Strauss-Kahn, pourtant le favori des sondages et quasi-sûr de gagner le scrutin.
Enfin, pour l'élection de 2017, la campagne de François Fillon, également le favori du scrutin, a été freinée par sa mise en examen à quelques semaines du premier tour, empêchant son parti de choisir un candidat de remplacement (et c'esit été cocasse que ce candidat de remplacement aurait pu s'appeler Alain Juppé !).
Bref, bien sûr que l'empêchement de Marine Le Pen aura des conséquences sur le déroulement de l'élection présidentielle de 2027, mais pas plus que toutes les élections présidentielles précédentes où des faits d'actualité ont changé le cours normal des choses. Si ma tante en avait... À la différence de la plupart des candidats empêchés que je viens de citer, Marine Le Pen a été condamnée, et pas seulement mise en examen, ce qui est beaucoup plus grave. Le responsabilité n'incombe pas aux juges qui aurait dû être plus laxistes, mais à Marine Le Pen elle-même qui aurait dû éviter de détourner massivement et durablement l'argent public des contribuables.
Alors, il faut raison garder : comme certains, on peut penser qu'il est regrettable qu'une candidate avec ce niveau très élevé d'intentions de vote dans les sondages soit inéligible, mais il est regrettable avant tout qu'elle soit elle-même à l'origine de ce système de détournement massif de fonds publics, car de ce fait, elle a contribué à la défiance des citoyens vis-à-vis de la classe politique. Comment imaginer une personne élue Présidente de la République avec de telles casseroles ? Comme Patrick Cohen dans sa chronique du 3 avril 2025 sur France Inter, je soupirerais ainsi : « Fatigue. On a le sentiment parfois depuis trois jours que le débat public a perdu pied, ballotté par les outrances et les mensonges du RN et de ses puissants porte-voix médiatiques. ».
« Marine Le Pen est moins victime du "système", que de son propre système de défense, aberrant, suicidaire. C’est simple, du début à la fin et du sol au plafond, elle a TOUT renié, TOUT contesté : les règles européennes, la plainte du Parlement, l’autorité du tribunal, les décisions qui ont validé la procédure, y compris en Cassation, et naturellement l’existence du moindre délit. Le tribunal parle d’une "impunité revendiquée", se désole qu’après dix ans d’enquête, le système de défense continue de se déployer au mépris des faits et de la manifestation de la vérité. En révélant, je cite "une conception peu démocratique de l’exercice politique ainsi que des responsabilités qui s’y attachent". » (Patrick Cohen, le 3 avril 2025 sur France Inter).
En clair, c'est comme le chauffard qui a brûlé un feu rouge et qui conteste l'idée même qu'il y avait un feu tricolore !...
Dimanche prochain, 6 avril 2025, le RN a appelé à une manifestation à Paris pour protester contre... contre quoi, au fait ? Contre la justice qui n'est plus laxiste ? Contre la justice qui sait sanctionner comme il le faut les délinquants ? S'il y a bien un scandale avec la justice, c'est qu'elle est un peu trop favorable à Marine Le Pen : en effet, les assurances pour que son procès en appel soit fait dès l'été 2026 et que la Cour de Cassation se prononce avant janvier 2027 alors que ces procédures durent généralement plus de deux ou trois ans, relève d'un favoritisme injustifiable. C'est une justice qui n'est pas la même pour tous. Les autres justiciables, certains incarcérés, attendront alors encore un peu plus longtemps tandis que Marine Le Pen bénéficie d'un coupe-file.
La condamnation de Marine Le Pen commence à quitter l'actualité. Il faut dire que les annonces de Donald Trump avec ses taxes douanières, l'écroulement depuis deux jours des bourses mondiales et l'inquiétude de tous les citoyens du monde devaient occuper l'actualité. D'un côté, un fait-divers anecdotique d'une délinquance en col blanc ordinaire, de l'autre, un fait historique qui risque d'hypothéquer l'avenir du monde des dix prochaines années.
Ce qui est étonnant, c'est l'absence totale de préparation de ce qui arrive au RN. Les premiers défenseurs de Marine Le Pen avaient quitté la place le 31 mars 2025, Jordan Bardella allait à Strasbourg, Laure Lavalette était dans le Var et Laurent Jacobelli devait dîner à l'Élysée (eh oui, on n'est pas dans le système mais on en profite avec le roi du Danemark), etc. Bref, rien n'était prévu en cas de peine d'inéligibilité assortie d'une exécution provisoire alors que c'était pourtant la peine complémentaire plus probable. Encore aujourd'hui, en soutenant qu'elle sera candidate, il y a une véritable part de déni de réalité provenant de Marine Le Pen.
Dans tous les cas, il faut rassurer les électeurs du RN ; "on" n'empêchera pas le RN d'être présent à la prochaine élection présidentielle, même si Marine Le Pen est empêchée : pour la remplacer, il y aura plutôt le trop-plein, principalement Jordan Bardella ...et Marion Maréchal, dont la candidature aura l'avantage de garder l'emprise de la famille régnante sur le parti.
Vouloir coûte que coûte aller à la candidature jusqu'au bout malgré le procès en appel qui ne l'innocentera probablement pas car les faits reprochés sont établis et confirmés, c'est une tentative désespérée de continuer à exister politiquement jusqu'à la chute finale. Un journaliste proposait cette image assez pertinente : Marine Le Pen est la pilote d'un avion en chute libre, qui va bientôt s'écraser et, paniquée, elle est en train d'appuyer sur tous les boutons en même temps, même les plus improbables (comme la CEDH, qu'elle voulait voir la France quitter encore récemment et qui, de toute façon, ne s'occupe que des situations où il n'existe plus de recours dans le pays concerné).
Le vrai problème de Marine Le Pen, c'est qu'elle a basé son populisme anti-système sur la délinquance de la classe politique en général, en excluant son parti qui serait mains propres et tête haute. Cet écart encore le discours revendiqué et la réalité (le RN est aussi pourri que les autres, voire plus, si l'on lit le jugement) peut être électoralement dévastateur, tout autant que ce discours sur le laxisme de la justice, sur la faible sévérité des peines (Marine Le Pen réclamait en 2013 des peines d'inéligibilité à vie !), se retourne évidemment contre l'ancienne présidente du RN.
Du coup, les demandes contraires (réviser la loi pour y mettre plus de laxisme) ont de quoi étonner. L'éditorialiste politique Patrick Cohen s'est posé la question le 3 avril 2025 sur France Inter : « Qui pense dans ce pays qu’il est urgent d’alléger les contrôles et les sanctions contre les élus suspects d’un manque de probité ? Qui peut soutenir que notre démocratie se porterait mieux si elle laissait des individus ayant commis des actes répréhensibles accéder à des positions de pouvoir ? Qui peut croire que la confiance à l’égard de l’action publique, qui va si bien comme chacun sait, sortirait plus forte du retour des corrompus ou des repris de justice dans le jeu démocratique ? Notez que ce serait une grande première : depuis des lustres, chaque scandale fait bouger la loi vers une plus grande exigence d’exemplarité. Comme le notait le rapport Nadal en 2015, "le droit de la probité est lié à l’histoire de ses atteintes". Sans Cahuzac et ses comptes à l’étranger, pas de Parquet financier et de Haute autorité de la transparence. Sans la phobie administrative de Thévenoud, pas d’inéligibilité automatique. Eh bien là, on est tranquillement en train de débattre du contraire : de l’idée que les assistants fictifs du RN devraient nous conduire à lever le pied sur l’inéligibilité… ».
En clair, il faudrait faire une loi d'exception pour les apparatchiks du RN : tout citoyen délinquant doit être sévèrement condamné et purger sa peine (pas question d'aménagement de peine, comme le réclamait le RN), sauf s'il s'agit d'un adhérent du RN. Sinon, ce serait une atteinte honteuse à la liberté politique, à la démocratie, au droit de détourner des millions d'euros d'argent public comme on veut. Avec cet état d'esprit, on ose imaginer le RN au pouvoir !
Tout est accablant dans l'affaire Le Pen, mais surtout, le fond de l'affaire. Car c'est un détournement massif d'argent public qui a eu lieu. Tous les journalistes qui ont assisté tous les jours au long procès du 30 septembre 2024 au 27 novembre 2024 sont déconcertés par le caractère accablant des faits cités et aucun n'est étonné par la dureté des sanctions.
Il faut lire les 154 pages du jugement du 31 mars 2025 pour se rendre compte que les trois juges (ils sont trois) ont prononcé la condamnation avec de très solides arguments et motivations.
Oui, la défense de Marine Le Pen, quasiment infantile, comme un enfant pris la main dans le pot de confiture et qui nierait tout, lui a fait beaucoup de tort. Car les juges, qui n'apprécient pas qu'on se moque d'eux, lui ont donné les clefs pour sa condamnation. En refusant d'admettre les faits délictueux qu'ils ont commis, la plupart des prévenus ont manqué de jugeote et ont creusé leur propre inéligibilité immédiate.
C'est ce que dit le délibéré : « Il convient de relever que, dix ans après la dénonciation des faits, toutes les personnes condamnées contestent les faits, ce qui est évidemment leur droit. Elles n'ont dès lors exprimé aucune prise de conscience de la violation de la loi qu'elles ont commise ni a fortiori de l’exigence particulière de probité et d’exemplarité qui s’attache aux élus. Dans le cadre d’une information judiciaire contradictoire qui a duré sept ans, de très nombreux recours ont été exercés, comme le permettent les règles de procédure pénale. Ils ont fait l’objet de décisions de rejet par les juges d’instruction, dans leur quasi-totalité, soumises à la chambre de l’instruction et confirmées par elle. Lorsque des pourvois ont été formés devant la Cour de Cassation, ils ont été rejetés. ».
Les juges insistent ainsi sur ce fait : « La défense revendiquait une impunité totale et absolue reposant sur le fait que les assistants parlementaires auraient effectué un travail politique, non détachable du mandat de leur député, au profit d’un parti politique. ».
À cette occasion, Marine Le Pen reconnaissait elle-même les faits reprochés : « Ainsi, elle assumait avoir fait travailler pour le parti les assistants parlementaires qui n’étaient, selon elle, pas très occupés par le travail législatif. Elle considérait n’avoir pas d’instruction à recevoir du Parlement Européen concernant le travail des assistants parlementaires, serait-ce à travers les règles internes qu’il édicte. Elle affirmait que l’autorité judiciaire ne pouvait contrôler le travail de ces assistants, sans violer la séparation des pouvoirs. ».
Le jugement rappelle la première déclaration de Marine Le Pen à l'audience du 2 octobre 2024, en tant que représentante du RN : « L’activité politique est indissociable du mandat parlementaire. Nous ne sommes pas des fonctionnaires. Nous ne sommes pas des fonctionnaires, nous sommes des élus du peuple. Dans le cadre de cette activité politique qui est indissociable de notre mandat, nous sommes assistés par des assistants parlementaires. Il y a ceux qui font avec nous de la politique. ».
D'où la déduction des juges : « Ce système de défense constitue, selon le tribunal, une construction théorique qui méprise les règles du Parlement Européen, les lois de la République et les décisions de justice rendues notamment au cours de la présente information judiciaire, en ne s’attachant qu’à ses propres principes. Il révèle de la part de personnes condamnées qui ont, pour les principales, une formation de juriste ou d’avocat, une conception peu démocratique de l’exercice politique ainsi que des exigences et responsabilités qui s’y attachent. ».
Selon les juges, le système de défense s'est fait au mépris de la manifestation de la vérité : « Dès les premiers jours du procès, la défense a également manifesté son refus du débat contradictoire, sollicitant par voie de conclusions d’incident le renvoi de la procédure pour régularisation suite à la présentation par le tribunal de tableaux d’évaluation des détournements visés par la prévention qui étaient précisément destinés à servir de base au débat contradictoire. Au-delà de la volonté d’éviter ou de retarder le débat sur les faits qui leur étaient reprochés, les prévenus ont tenté de s’écarter du débat au fond. Ils n’ont pour la plupart manifesté aucune volonté de participer à la manifestation de la vérité, avec laquelle ils ont pour certains un rapport très distendu, niant parfois jusqu’aux évidences, y compris leurs propres écrits de l’époque. ».
Des déclarations des responsables du RN aux audiences ont révélé ceci : « Au mépris des faits, ces déclarations relèvent d’une conception à tout le moins narrative de la vérité. ». Elles expliquent à elles seules la nécessité d'une exécution provisoire des peines d'inéligibilité : « Ainsi, dans le cadre de ce système de défense d’un parti autant que de ses dirigeants, qui tend à contester la compétence matérielle du tribunal autant que les faits, dans une conception narrative de la vérité, le risque de récidive est objectivement caractérisé. Le tribunal relève encore, en fil conducteur, de la question de la prescription à celle de la faute de la victime qui serait de nature à réduire à néant son droit à réparation, la position de la défense à l’égard du Parlement européen, qui n’est pas de nature à considérer que les intérêts de la victime sont à ce jour sauvegardés. Outre les critères de gravité qui président au prononcé des peines d’inéligibilité pour certains prévenus, il convient de rappeler que l’existence de mandats en cours, de même que les prétentions à briguer de tels mandats sont de nature à laisser persister un risque d’utilisation frauduleuse des deniers publics que les intéressés seraient amenés à percevoir, détenir, octroyer ou utiliser dans le cadre des dits mandats, ce que seule l’exécution provisoire permet de prévenir. ».
À la page 45, les juges discutent du principe d'une exécution provisoire de l'inéligibilité : « C’est dans ce contexte que se pose la question de la délicate conciliation entre le droit à un double degré de juridiction et une éventuelle exécution provisoire de cette peine d’inéligibilité. La véritable question n’est pas celle de l’absence de recours mais plus précisément celle de l’absence d’effet suspensif du recours en cas d’exécution provisoire. Les personnes condamnées à une peine d’inéligibilité ont en effet bien entendu le droit d’interjeter appel du présent jugement. Néanmoins si le tribunal ordonne l’exécution provisoire de ces peines d’inéligibilité, ces dernières seraient effectives par provision, c’est-à-dire immédiatement, avant la décision de la cour d’appel susceptible d’intervenir un à deux ans plus tard, et avant le cas échéant celle de la Cour de Cassation. En vue de favoriser l’exécution de la peine, eu égard notamment au risque de récidive, il conviendrait dès lors d’ordonner l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité, tandis qu’en l’absence de recours suspensif contre cette mesure d’exécution provisoire, il conviendrait selon la défense de ne pas l’ordonner. ».
En exprimant clairement les deux enjeux contradictoires : « Il revient donc plus précisément au tribunal, conscient de la nécessaire humilité qui s’attache à une décision de première instance, d’apprécier et de mettre en balance deux risques : 1) au regard des droits de la défense, le risque que cette peine complémentaire assortie de l’exécution provisoire ne soit pas confirmée en appel, alors que la peine d’inéligibilité aurait déjà été exécutée par provision. 2) Dans l’hypothèse où le tribunal n’assortirait pas la peine d’inéligibilité de l’exécution provisoire, le risque de voir les personnes condamnées être candidates, voire élues, alors qu’elles ont été condamnées à une peine d’inéligibilité en première instance notamment pour des faits de détournement de fonds publics, et pourraient l’être par la suite de façon définitive. La deuxième hypothèse pose la question de l’effectivité de la peine d’inéligibilité prononcée par le tribunal, confirmée en appel, et dont l’exécution serait réduite à néant dans le cadre d’élections intervenues avant que cette condamnation ne soit devenue définitive. ».
Et d'en conclure la nature des peines par l'individualisation des jugements : « L'effectivité de l'exécution des peines poursuit un but d'intérêt général (QPC n°2016-569). Le tribunal prend en considération, outre le risque de récidive, le trouble majeur à l’ordre public démocratique qu’engendrerait en l’espèce le fait que soit candidat, par exemple et notamment à l’élection présidentielle, voire élue, une personne qui aurait déjà été condamnée en première instance, notamment à une peine complémentaire d’inéligibilité, pour des faits de détournements de fonds publics et pourrait l’être par la suite définitivement. Il s’agit ainsi pour le tribunal de veiller à ce que les élus, comme tous justiciables, ne bénéficient pas d’un régime de faveur, incompatible avec la confiance recherchée par les citoyens dans la vie politique. Dès lors, dans le contexte décrit, eu égard à l’importance de ce trouble irréparable, le droit au recours n’étant pas un droit acquis à la lenteur de la justice, il apparaît nécessaire selon le tribunal, à titre conservatoire, d’assortir les peines d’inéligibilité prononcées de l’exécution provisoire. Il ne s’agit pas d’une peine définitive mais d’une peine complémentaire prononcée en première instance qui, afin de garantir l’effectivité de son exécution et d’éviter un trouble irréparable à l’ordre public démocratique, sera exécutée immédiatement, dans l’attente de l’arrêt de la cour d’appel susceptible d’intervenir d’ici un à deux ans. Dans le cadre d’une décision rendue au nom du peuple français dans son ensemble, cette mesure est en effet proportionnée aux objectifs à valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et de bonne administration de la justice. C’est au regard de ces considérations que le tribunal apprécie, pour chaque personne condamnée, en tenant compte de sa situation individuelle, le caractère nécessaire et proportionné d’une peine d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire. ».
Contrairement à ce qu'a prétendu Marine Le Pen, il ne s'agit donc pas d'un ciblage contre sa personne (quelle vanité de le croire), mais d'une déclaration de principe pour savoir si les personnes condamnées devaient accomplir leur peine d'inéligibilité immédiatement ou pas. Et cela dépendait surtout des déclarations de chacun pendant le procès.
Mais revenons au fond du fond, le détournement massif d'argent public.
Voici, pour les juges, ce pour quoi les responsables RN ont été condamnés : « Les faits dans leur ensemble ont consisté en la mise en place d’un système permettant au parti FRONT NATIONAL devenu RASSEMBLEMENT NATIONAL de "faire des économies" et d’être ainsi indirectement financé par des fonds du Parlement Européen. Sous couvert de plus de quarante contrats d’assistant parlementaire fictifs conclus par onze députés européens, douze personnes ont travaillé au cours de trois législatures en réalité pour le parti. Leurs salaires et les charges sociales y afférents étaient réglées par les fonds du Parlement Européen. Les détournements de fonds publics pour lesquels le parti est déclaré coupable des chefs de complicité et de recel s’élèvent à plus de 4,4 millions d’euros. Dans le cadre de procédures administratives en répétition de l’indu le Parlement Européen a recouvré plus de 1,1 million d’euros. Ces fonds détournés à hauteur de 4,4 millions d’euros ont été utilisés à hauteur de près de 4,1 millions d’euros pour rémunérer les sept personnes suivantes (…). ».
Non seulement l'argument anti-système du RN est stupide quand on prétend être le premier parti de France, mais en plus, le RN a créé son propre système de financement : « Si la défense a rejeté la notion de système, elle apparaît néanmoins établie et même au cœur de la présente affaire. Un système peut en effet être défini comme un ensemble de pratiques organisées en fonction d’un but. La présente procédure a révélé un véritable système destiné à alléger les charges du FN mis en place dès 2004, qui s’est perfectionné au fil des années et devait à partir de juillet 2014, avec l’élection de 23 députés au Parlement Européen, produire des effets plus importants encore que ceux qu’il a effectivement produits. ».
Le système a commencé dès la 6e législature entre 2004 et 2009 : « Dès le début de la 6e législature, à partir du mois de juillet 2004, dans le cadre d’une organisation artisanale ou familiale au service du parti, quatre députés historiques (sur les sept élus au Parlement Européen) mettaient en œuvre des contrats fictifs destinés à financer sur les fonds du Parlement Européen le fonctionnement du parti, ou à tout le moins à en alléger les charges. Il convient à cet égard de préciser que Marine LE PEN n’est pas poursuivie ni déclarée coupable au titre de cette 6e législature. Néanmoins le parti, dont la responsabilité pénale a été engagée par Jean-Marie LE PEN, son président, est déclaré coupable de faits de complicité et de recel de détournement de fonds publics au titre des contrats la concernant. Marine LE PEN, sur instigation de son père, puis Jean-Marie LE PEN engageaient comme assistant parlementaire Jean-François J., adhérent du RN depuis 1974 (FNJ), cadre historique du parti et proche collaborateur de son président, qui a été, à partir de 2010 secrétaire général puis délégué général du parti, membre du comité exécutif, vice-président en charge des élections et des contentieux électoraux puis en charge des affaires juridiques. Il apparaissait sur l’organigramme du FN de 2008 comme secrétaire national aux élections et aux analyses électorales. (…) Pour cette seule 6e législature, les détournements de fonds publics afférents à ces contrats représentent un montant total de près de 1,5 million d’euros, soit plus du tiers de l’ensemble des détournements pour lesquels le RASSEMBLEMENT NATIONAL est déclaré coupable sur l’ensemble de la période. Ainsi si le système mis en place dès 2004 l’a été manifestement par Jean-Marie LE PEN de façon quasi-familiale et le nombre d’assistants parlementaires concernés est moins important, les montants détournés n’en sont pas moins significatifs, au regard surtout des difficultés financières que le parti rencontrait à l’époque. ».
Les déclarations pendant le procès de Fernand Le Rachinel, ancien député européen et qui a prêté de l'argent au parti, et également de Jean-Marie Le Pen lui-même ont été accablantes : « Fernand LE RACHINEL a reconnu que ni Thierry L., qui était agent de protection et s’occupait de la sécurité de Jean-Marie LE PEN à temps complet, ni Micheline B., secrétaire particulière de Jean-Marie LE PEN travaillant exclusivement pour ce dernier, n’avait jamais travaillé pour lui. Il a exposé dès sa première audition que le "FRONT NATIONAL vivait grâce à ce système de rémunération via le Parlement européen pour rémunérer les personnes du FRONT NATIONAL". Il précisait encore que "le principe était que chaque député arrivait à avoir peu ou prou un assistant ou collaborateur qui lui était réellement dédié et le reste de l’enveloppe était dédié à la rémunération des personnes choisies par Jean-Marie LE PEN. Il s’agissait de caser le staff du groupe". Jean-Marie LE PEN a admis que Thierry L. avait toujours été son garde du corps, puis celui de Marine LE PEN à partir de janvier 2011 et que Micheline B. avait toujours été sa secrétaire particulière. Les déclarations de Jean-Marie LE PEN, qui reconnaît avoir, dans le cadre d’un fonctionnement "en pool", "réparti les budgets au mieux de (leur) fonctionnement parlementaire" ne sont pas en contradiction avec celles de Fernand LE RACHINEL sur ce point. Elles corroborent celles de Thierry L., qui a admis que sa rémunération était affectée sur tel ou tel député dans le cadre d’un contrat d’assistant parlementaire selon le montant disponible des enveloppes, ou encore celles de Michèle B. qui déclarait avoir subi les changements de contrats qu’elle ne décidait pas. Pas plus que les autres eurodéputés, Fernand LE RACHINEL ne s’est personnellement directement enrichi du fait des contrats fictifs d’assistant parlementaire qu’il a signés au cours de la 6e législature pour faire financer par le parlement européen les salaires et charges de Thierry L. (495 k€) et de Micheline B. (320 k€) pour un montant total de 815 k€. Néanmoins ses déclarations illustrent l’intérêt personnel qu’il trouvait à voir alléger les charges du parti dont la situation financière était tendue. Après avoir démissionné du RASSEMBLEMENT NATIONAL à la rentrée 2008, il n’a d’ailleurs pas mis fin aux contrats de Thierry L. et Micheline B. qui ont continué à être rémunérés sur son enveloppe de frais d’assistance jusqu’à la fin de la 6e législature, à l’été 2009. Il peut à cet égard être relevé que si Jean-Marie LE PEN n’a pas non plus directement retiré d’enrichissement personnel de ces détournements, ils lui ont néanmoins procuré un confort de vie et de travail que la situation financière du parti ne lui aurait pas permis d’assumer. ».
Je ne poursuis pas avec les législatures suivantes (2009-2014 et 2014-2016) avec autant de précisions car ce serait trop long. Je ne garde que le principal.
7e législature (2009-2014) : « Les trois députés historiques ont donc fait perdurer le système pour continuer à faire financer par le Parlement Européen les salaires des sept mêmes personnes que pendant la législature précédente, qui travaillaient toujours pour le parti. Les fonds détournés au cours de cette 7e législature à travers les contrats d’assistant parlementaire fictifs signés par Jean-Marie LE PEN, Marine LE PEN et Bruno G. sont évalués à plus de 2,2 millions d’euros, ce qui représente presque un doublement du ratio des fonds détournés par député par rapport à la législature précédente. Le système mis en place en 2004 a en effet été "optimisé", avant même l’accession de Marine LE PEN à la présidence du parti. ».
8e législature (2014-2016) : « En ce qui concerne Yann LE PEN, son salaire en tant que responsable de l’événementiel au sein du parti avait été pris en charge par le Parlement européen depuis le 1er janvier 2009, au cours des 6e et 7e législatures, sous couvert de contrats d’assistance parlementaire successifs de Bruno G., pour un montant total de 417 k€. (…) Les fonds détournés s’élèvent à moins de 300 k€ pour ces trois députés "historiques" et environ 370 k€ pour les sept nouveaux députés, soit environ 670 k€ entre juillet 2014 et février 2016, au cours d’une période de 20 mois. Si ces chiffres apparaissent moins significatifs que pour les législatures précédentes, ce constat mérite néanmoins quelques observations. (…) Les détournements de la 8e législature concernent donc un nombre de députés et d’assistants parlementaires plus important, mais une période de temps beaucoup plus limitée que celle des précédentes législatures. La dénonciation et les procédures administratives mises en œuvre par le Parlement Européen ont manifestement porté un coût d’arrêt aux contrats en cours. Ainsi, à l’été 2014, alors que 23 députés du RASSEMBLEMENT NATIONAL étaient élus au Parlement Européen, le système était destiné à constituer une véritable manne financière pour le parti. Avec 23 députés élus, les frais d’assistance parlementaire représentaient en effet désormais près de 6,6 millions d’euros par an, soit environ le double de la masse salariale du RN à l’époque, de l’ordre de 3 millions d’euros sur un budget de 10,2 millions d’euros. Les contrats conclus au cours de la 8e législature étaient donc susceptibles de contribuer de façon de plus en plus significative au financement des charges de personnel du parti. Le système élaboré mis en place n’a trouvé de limite que dans la dénonciation des faits et l’ouverture de la présente procédure judiciaire. ».
Et de poursuivre : « Le principe était le même que celui mis en place en 2004 et décrit par Fernand LE RACHINEL : les eurodéputés pouvaient recruter un assistant parlementaire de leur choix et devaient laisser le reste de l’enveloppe à destination du parti. Aucun des députés poursuivis, à l’exception de Fernand LE RACHINEL (qui conteste avoir agi intentionnellement), n’a reconnu les faits. Néanmoins, le déroulement de la réunion du 4 juin 2014 décrit par plusieurs députés ayant refusé le système ou ayant quitté le parti depuis ne fait aucun doute. Marine LE PEN avait bien donné comme instruction aux nouveaux députés de donner une procuration à Charles V. H. pour suivre leur dotation budgétaire et de choisir le cabinet X de Nicolas C. comme tiers-payant. Malgré ses dénégations, elle leur a aussi dit qu’ils n’avaient pas besoin de plus d’un assistant dédié à (leurs) tâches parlementaires et qu’ils allaient laisser le solde de leur enveloppe à la disposition du parti. (…) Le système en place depuis dix ans à l’époque avait été "optimisé" avant même le début de la 8e législature. Un système global de gestion des enveloppes budgétaires des assistants parlementaires était opérationnel et proposé à l’ensemble des eurodéputés afin de permettre au parti "de faire des économies grâce au Parlement Européen". ».
Le rôle de Marine Le Pen est considéré comme essentiel par le tribunal : « Au cœur de ce système depuis 2009, Marine LE PEN, s’est inscrite avec autorité et détermination dans le fonctionnement instauré par son père auquel elle participait depuis 2004. Elle va s’entourer dès 2009 de Charles V. H., comptable et spécialiste des instances du Parlement Européen recruté comme APA, qui va jouer un rôle de facilitateur auprès des services financiers du Parlement Européen et être chargé d’optimiser la gestion centralisée des enveloppes. Sur la base des propositions de Charles V. H., Marine LE PEN va arbitrer. Les mouvements entre les enveloppes et les transferts de contrats vont se multiplier. Le but est de répartir les assistants selon les disponibilités des enveloppes, sans aucun lien avec une quelconque activité pour un eurodéputé. Marine LE PEN a été poursuivie et déclarée coupable en tant qu’auteur principal pour les contrats d’assistant parlementaire fictifs représentant un montant total de 474 k€ sur une période du 1er septembre 2009 au 14 février 2016. À l’occasion de procédures administratives en répétition de l’indu, le Parlement Européen a recouvré à son encontre une somme totale de 340 k€. ».
Mais ce n'est pas tout ce qu'on reproche à Marine Le Pen. Il y a aussi ceci : « Elle est en outre déclarée coupable de faits de complicité des détournements commis par les autres eurodéputés depuis son accession à la présidence du parti en janvier 2011. Ces faits de complicité portent sur un montant total que le tribunal évalue à 801 k€ au titre de la complicité de Jean-Marie LE PEN, à 665 k€ au titre de la complicité de Bruno G. et à 370 k€ au titre de la complicité des sept nouveaux députés de la 8e législature, soit au total plus de 1,8 million d’euros sur la période du 16 janvier 2011 au 17 janvier 2016. En effet, compte tenu des relaxes partielles prononcées pour les trois contrats conclus par Marie-Christine A. en 2016 au titre desquels tous les prévenus poursuivis (notamment Marine LE PEN et le RASSEMBLEMENT NATIONAL) ont été relaxés des faits de complicité et/ou de recel qui leur étaient reprochés, les faits de complicité la concernant ne prennent plus fin le 31 décembre 2016 comme visé à la prévention, mais le 17 janvier 2016. ». Cela signifie que les dispositions de la loi Sapin II ne s'appliquent pas.
Sur le trouble causé par l'infraction, qui a contourné le fonctionnement démocratique, le tribunal est très précis : « S’ils n’ont pas généré d’enrichissement personnel direct des députés condamnés ni de leurs assistants parlementaires, les faits constituent, au-delà des manquements à l’exigence de probité des élus, un contournement démocratique qui réside dans une double tromperie, aux dépens du Parlement Européen et des électeurs. L’article 4 de la Constitution du 4 octobre 1958 prévoit que les partis politiques, s’ils se forment et exercent leur activité librement, doivent respecter les principes de la démocratie. Par des lois successives depuis les lois fondatrices n°88-226 et n°88-227 du 11 mars 1988 relatives à la transparence financière de la vie politique, le législateur s’est employé à encadrer le financement de la vie politique française afin, principalement, d’en garantir la transparence et d’assurer l’égalité des chances des candidats dans la compétition politique. Le respect de ces dispositions législatives par tous les partis politiques doit assurer le fonctionnement vertueux de la démocratie représentative. En outrepassant le cadre ainsi posé par le législateur, les auteurs, complices et receleurs de détournements de fonds publics, qui ont procuré un enrichissement au FRONT NATIONAL devenu RASSEMBLEMENT NATIONAL, ont provoqué une rupture d’égalité, favorisant ainsi leurs candidats et leur parti politique, au détriment des autres. S’agissant du Parlement Européen, sa légitime confiance en ses élus a été abusée par des moyens sophistiqués de détournements à des fins partisanes des fonds payés pour renforcer la qualité du débat démocratique. L'indemnité d'assistance parlementaire a en effet pour finalité de permettre aux députés européens de s'entourer librement de collaborateurs pour pouvoir notamment s'emparer de sujets d'intérêt général, en particulier complexes ou techniques, et en débattre utilement dans l'enceinte parlementaire ou en dehors. Imputée sur le budget de l'Union Européenne, cette indemnité est ainsi une pièce importante du dispositif parlementaire européen et contribue à la continuité du projet européen. Le tribunal prendra par conséquent en considération la nature des fonds détournés pour la détermination des peines. S’agissant du corps électoral, les manquements commis par les députés européens portent fortement atteinte à la confiance légitime qu’ils doivent inspirer aux citoyens de l’Union Européenne en général et aux électeurs français en particulier. Représentants de l’institution la plus démocratique de l’Union Européenne, ils sont les porteurs des valeurs proclamées à l’article 2 du Traité sur l’Union Européenne, notamment le respect de la démocratie, de l’égalité et de l’État de droit. Ainsi, ces faits ont porté une atteinte grave et durable aux règles du jeu démocratique, européen mais surtout français et à la transparence de la vie publique. L’atteinte aux intérêts de l’Union Européenne revêt une gravité particulière dans la mesure où elle est portée, non sans un certain cynisme mais avec détermination, par un parti politique qui revendique son opposition aux institutions européennes. La gravité des faits dans leur ensemble résulte donc de leur nature systématique, de leur durée, du montant des fonds publics détournés au bénéfice d’un parti politique, mais aussi de la qualité d’élus des personnes condamnées comme auteurs de ces détournements, ainsi que de l’atteinte portée à la confiance publique et aux règles du jeu démocratique. Le tribunal prend en considération pour la fixation de la nature et du quantum des peines principales prononcées à l’encontre de chacun des auteurs, complices ou receleurs, le rôle et la responsabilité de chacun, le montant des détournements au titre desquels il est déclaré coupable, outre des motivations individuelles relatives à la personnalité et à la situation personnelle ci-après développées. ».
C'est vrai qu'il est un peu ardu de lire les 154 pages d'un texte parfois un peu compliqué, mais il est établi que ce système, mis au clair par les enquêteurs, une dizaine d'années d'instruction et un procès de près de deux mois, a conduit à un détournement massif de fonds publics entre 2004 et 2016 d'un montant qui correspond à 1,2 million de repas au CROUS pour les étudiants ou encore à 209 années de travail au SMIC !
Vouloir déplacer le débat sur la prétendue politisation des juges alors que ces derniers n'ont fait que leur travail avec débat contradictoire et droits de la défense relève avant tout d'une mauvaise foi, d'une stupéfaction étonnante provenant d'amateurs (ils auraient dû imaginer cette possibilité de condamnation) et enfin, d'une fuite en avant qui me paraît suicidaire politiquement et électoralement.
La bataille de "l'opinion publique" est déjà perdue. Environ deux tiers des sondés, dans plusieurs sondages depuis plusieurs jours, trouvent tout à fait normal que les délinquants, même une future candidate à l'élection présidentielle, soient condamnés tant à de la prison ferme à une peine d'inéligibilité avec exécution provisoire. Le paradoxe, c'est que le RN a lui-même contribué, dans ses campagnes démagogiques antérieures, à rendre les citoyens plus exigeants sur la probité de leurs représentants.
La réaction épidermique et à la limite de l'insurrectionnel des responsables RN depuis l'annonce du jugement confirme l'efficacité de l'exécution provisoire de la peine d'inéligibilité. C'est la conclusion du journaliste de Mediapart Fabrice Arfi le 3 avril 2025 : « Être reconnus coupables, condamnés à de la prison, à des amendes, ils s'en foutent. Ce qu'ils ne supportent pas, c'est l'inéligibilité. Ça montre que c'est la seule sanction efficace. ». Rideau !
« Le majordome de Jean-Marie Le Pen avait-il le droit d'être payé par les contribuables français ? » (Gilles Bouleau à Marine Le Pen, Journal de 20 heures, le 31 mars 2025 sur TF1).
La question du journaliste Gilles Bouleau le 31 mars 2025 au journal de 20 heures de TF1 posée à la présidente du groupe RN à l'Assemblée Marine Le Pen était pertinente. Mais il aurait fallu aller un peu plus loin, car les réactions du RN, de colère bien normale après l'annonce de la multicondamnation de la leader du RN et de ses proches, semblent complètement inverser les rôles. Dans cette affaire, Marine Le Pen n'est pas une victime (supposée victime du "système" dans lequel elle s'est complètement acclimatée à tel point qu'elle a tenté d'en profiter au maximum), mais une coupable. Une coupable qui a été condamnée en première instance. La victime, dans cette affaire, c'est le peuple français, ce sont les contribuables français à qui on a spolié leur contribution financière à la nation.
Et je suis désolé de l'écrire, mais Marine Le Pen a été condamnée pour des détournements de fonds public à hauteur de 4,1 millions d'euros, ce n'est pas rien. Ce n'est pas 200 000 euros, 500 000 euros, mais 4,1 millions d'euros : combien de restos du cœur, combien d'opérations pièces jaunes peut-on avoir avec 4,1 millions d'euros ? Je ne fais que poser sa question du 9 février 2004 sur France 2, je n'insiste pas sur l'argent volé aux Français !
Je suis un peu inquiet de la tournure du débat public à propos de cette condamnation car j'ai l'impression qu'on la classe politico-médiatique ne s'est arrêtée que sur la peine complémentaire de cinq années d'inéligibilité assortie d'une exécution provisoire, ce qui va peut-être l'empêcher de se présenter à la prochaine élection présidentielle.
Attention, je suis bien conscient tant de la gravité de cette peine complémentaire et de ses conséquences sur la vie démocratique de notre pays. Une candidate qui ferait actuellement autour d'un tiers des sondés dans les sondages d'intentions de vote pour le premier tour d'une élection présidentielle qui se trouve empêchée de se présenter est un véritable problème, c'est l'évidence, et surtout, un véritable événement politique, sans doute aussi grave et historique que la dissolution du 9 juin 2024 ou la censure du gouvernement du 4 décembre 2024.
Mais à qui la faute ? Au système dont elle a nettement profité jusqu'à plus soif ? Aux méchants juges qui n'ont fait que leur travail honnêtement en se basant sur les lois qu'ils n'ont pas rédigées ni votées et sur les faits délictueux qu'ils ont établis sans laisser planer aucun doute ? Ou à l'ancienne présidente d'un parti vorace qui a voulu utiliser l'argent public pour faire fructifier son affaire politique ?
Car le plus choquant, c'est la raison des détournements. Depuis le 31 mars 2025, les apparatchiks du RN parlent d'un simple "différend administratif" ! On rêve !! Voilà de la réalité alternative, comme on dit ! Non, ce n'est pas un problème administratif, c'est carrément du détournement massif de fonds publics. Les députés européens sont censés travailler au Parlement Européen avec leurs assistants parlementaires pour défendre les intérêts des Français en Europe. On peut être contre l'Union Européenne et considérer que l'intérêt de la France est d'être contre l'Europe, mais même ainsi, comme l'a fait par exemple Nigel Farage au Royaume-Uni, il faut bosser auprès des instances européennes contre les institutions européennes, dès lors que leur parti a élu des représentants (c'est la démocratie). Mais non ! Les députés européens du RN n'ont rien fait (il suffit de voir le bilan de Jordan Bardella à Strasbourg depuis 2019 !), et pendant longtemps (de 2004 à 2016), leurs assistants parlementaires n'ont fait que bosser pour la présidente du FN et l'appareil de leur parti, pas pour les intérêts français (selon eux) en Europe.
Le plus choquant, dans la multicondamnation de Marine Le Pen, ce n'est pas la peine d'inéligibilité, qui est juste complémentaire, mais plutôt la peine de deux ans de prison ferme (quatre ans de prison en tout), avec mesure d'aménagement ab initio sous le régime de détention à domicile sus surveillance électronique. Deux ans ferme ! Imagine-t-on un candidat à l'élection présidentielle avec une condamnation à deux ans de prison ferme pour des délits de détournement de fonds public ?! Et qu'il puisse être élu ? Il est là, le scandale. Il a beau y avoir appel et présomption d'innocence, la condamnation en première instance n'est pas effacée pour autant.
Le 31 mars 2025 sur France 5, le constitutionnaliste Dominique Roussau rappelait une évidence : « Pour que les électeurs aient confiance en leurs élus, il faut qu’ils soient intègres. Ce qui met en cause la démocratie c’est le tous pourris. Ce qui n’est pas sain pour la démocratie, c’est de laisser élire des gens qui ont fraudé. ». Le thème favori du lepénisme électoral s'est effondré dans un sketch de l'arroseur arrosé.
Même si elle va faire appel, Marine Le Pen a quand même été condamnée en première instance à de la prison ferme et surtout, les faits ont été établis et sans laisser aucun doute. Cela signifie que, contrairement à d'autres affaires où l'incertitude peut planer, la culpabilité de Marine Le Pen sera probablement confirmée et que la seule différence portera peut-être dans la nature des peines qu'elle aura en appel.
Ce qui m'inquiète, c'est que dans les nombreux commentaires dans cette affaire, tant les responsables politiques (hors RN) que les journalistes sont focalisés sur l'exécution provisoire de la peine d'inéligibilité et ses conséquences dans la course de petits chevaux présidentiels alors que le plus important est la peine de deux ans de prison ferme et surtout, les 4,1 millions d'euros d'argent public détourné. Où est la tolérance zéro ? Où est la condamnation du laxisme des juges contre la délinquance ? Où est la volonté de condamner à l'inéligibilité à vie les responsables politiques tombés dans la délinquance ?
J'ai ressenti dans ce paysage politico-médiatique une double trouille. La trouille des journalistes qui, du coup, sont très mesurés parce que si, pour beaucoup d'entre eux, ils sont au fond ravis, ils ont peur que malgré tout, le RN arrive au pouvoir et ils doivent le cas échéant éviter une future disgrâce (c'est aussi cette trouille qui domine la presse américaine actuellement). Mais aussi la trouille des responsables politiques (hors RN), pas vis-à-vis du RN, mais vis-à-vis des lois et de la justice, comme s'il y avait un réflexe corporatiste, de système (celui dans lequel RN évolue allègrement, comme les autres), de se retrouver à la place du RN dans le box des accusés... et des condamnés. C'est particulièrement clair pour Jean-Luc Mélenchon et ses insoumis, pour LR également (le parti a été ébranlé par les condamnations de François Fillon et, plus récemment, de Nicolas Sarkozy), mais aussi, un peu plus subtilement, pour le Premier Ministre François Bayrou dont les déclarations, plus nuancées qu'on pourrait le croire, restent néanmoins assez décevantes (j'y reviens plus loin).
Si Marine Le Pen a été relativement mesurée le 31 mars 2025 en voulant respecter la stratégie de la respectabilité qu'elle avait mis en place en juin 2022, celle-ci a complètement explosé le lendemain, mardi 1er avril 2025, peut-être en guise de poisson d'avril. La conférence de presse de Marine Le Pen et Jordan Bardella qui s'est tenue le mardi matin à l'Assemblée et, encore pire, la séance des questions au gouvernement le mardi après-midi ont montré que le RN venait d'adopter une stratégie complètement suicidaire avec des propos insurrectionnels, populistes, violemment démagogiques, remettant en cause l'État de droit, les juges, les lois, en somme, le RN vient de tomber dans le trumpisme le plus obscur !
Les caciques du RN crient au gouvernement des juges. C'est tout le contraire qui s'est passé. Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l'Université de Lille et membre de l'Institut Universitaire de France, l'a expliqué très clairement dans un article publié le 1er avril 2025 dans "Libération" : « À ceux qui dénoncent une justice politique, soustrayant le pouvoir des juges au pouvoir du peuple, il faut répondre, d’abord, que la justice est rendue au nom du peuple français. Les juges tiennent leur légitimité de l’édifice juridique qui constitue notre droit et au fondement duquel se trouve notre Constitution, que le peuple a adopté soit directement, soit par la voie de ses représentants. Les juges tiennent également leur légitimité de leur indépendance et de leur impartialité, constitutionnellement garanties, les contraignant à agir conformément au droit, qu’ils sont chargés d’appliquer, indépendamment de tout intérêt privé, partial ou partisan. Ils appliquent donc le droit, au nom du peuple, exerçant une mission de souveraineté qui leur est juridiquement et légitimement confiée par ce même peuple. ».
Et d'ajouter : « Ensuite, il faut ajouter que la justice nous protège, en veillant à la bonne application du droit et en sanctionnant ceux qui le violent. Pour cela, des procédures sont établies destinées à préserver les droits des justiciables : enquête, instruction, audience, délibéré, collégialité, verdict, appel, cassation. Ce sont autant d’éléments, parmi d’autres, qui permettent d’assurer que la justice n’est pas inique, mais sert le droit et l’intérêt général. Marine Le Pen a eu l’occasion, tout au long de cette procédure, de faire valoir ses arguments, devant plusieurs juges, à différentes étapes. In fine, une formation collégiale de trois juges, après un délibéré de plusieurs mois, a retenu que les faits qui lui étaient reprochés étaient suffisamment probants et convaincants pour constater qu’elle avait effectivement commis une infraction. Dès lors, le droit s’applique : s’il y a culpabilité, il y a peine et, en l’espèce, il y a également peine complémentaire d’inéligibilité, les juges retenant que les circonstances particulières de l’espèce commandent de l’assortir de l’exécution provisoire, c’est-à-dire de la rendre applicable immédiatement. Au nom de la loi, ils viennent exprimer le "non" de la loi : ce ne sont pas les juges qui décident de déclarer Marine Le Pen inéligible immédiatement, mais c’est bien la loi qui l’impose. ».
L'État de droit, c'est respecter les juges et la justice : « Dénoncer un "gouvernement des juges" revient donc à commettre une grave erreur d’appréciation. Pis, en soutenant qu’il reviendrait au peuple de décider du sort de Marine Le Pen, on argumente en faveur d’une justice populaire, partiale et partisane. Serait-ce au peuple de juger tous les prévenus ? Serait-ce au peuple de décider si Untel est un violeur, si Untel est un meurtrier ou si Untel doit être acquitté ? Et, dans ce cas, en vertu de quels arguments et de quel cadre ? Si on est désireux d’une justice indépendante, objective et impartiale, on ne peut la confier au peuple, dont les prises de positions collectives, exprimées lors d’un vote, reposent sur une argumentation et un débat politiques. Et c’est précisément ce qui correspondrait à un "gouvernement des juges" voire, pire encore, à un "gouvernement sans juge". Au contraire, l’indépendance de la justice, établie et garantie au nom du peuple, permet que le droit soit objectivement appliqué et c’est exactement ce que révèle le verdict dans cette affaire. ».
Jean-Philippe Derosier a aussi justifié l'exécution provisoire de la peine d'inéligibilité ainsi : « [Les juges] ont enfin fait application du principe constitutionnel d’individualisation des peines, en retenant que Marine Le Pen, qui, selon les faits, se trouvait au cœur de l’infraction, devait être condamnée à une lourde peine. Eu égard à son rôle dans la commission de cette infraction, à son refus persistant de la reconnaître et aux fonctions qu’elle occupe, deux risques ont enfin pu être identifiés, justifiant l’application immédiate de la peine d’inéligibilité : d’une part, un risque de récidive, dès lors qu’elle ne reconnaît pas le caractère délictuel des faits et, d’autre part, un risque d’échapper à la justice pendant un temps, précisément si elle était élue Présidente de la République, ce qui lui conférerait une immunité. ».
Dans leur délibéré du 31 mars 2025, les juges ont eux-mêmes commenté ainsi leur jugement : « Le tribunal prend en considération, outre le risque de récidive, le trouble majeur à l’ordre public démocratique qu’engendrerait en l’espèce le fait que soit candidat, par exemple et notamment à l’élection présidentielle, voire élue, une personne qui aurait déjà été condamnée en première instance, notamment à une peine complémentaire d’inéligibilité, pour des faits de détournements de fonds publics et pourrait l’être par la suite définitivement. Il s’agit ainsi pour le tribunal de veiller à ce que les élus, comme tout justiciable, ne bénéficient pas d’un régime de faveur, incompatible avec la confiance recherchée par les citoyens dans la vie politique. Dès lors, dans le contexte décrit, eu égard à l’importance de ce trouble irréparable, le droit au recours n’étant pas un droit acquis à la lenteur de la justice, il apparaît nécessaire selon le tribunal, à titre conservatoire, d’assortir les peines d’inéligibilité prononcées de l’exécution provisoire. Il ne s’agit pas d’une peine définitive mais d’une peine complémentaire prononcée en première instance qui, afin de garantir l’effectivité de son exécution et d’éviter un trouble irréparable à l’ordre public démocratique, sera exécutée immédiatement, dans l’attente de l’arrêt de la cour d’appel susceptible d’intervenir d’ici un à deux ans. Dans le cadre d’une décision rendue au nom du peuple français dans son ensemble, cette mesure est en effet proportionnée aux objectifs à valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de bonne administration de la justice. C’est au regard de ces considérations que le tribunal apprécie, pour chaque personne condamnée, en tenant compte de sa situation individuelle, le caractère nécessaire et proportionné d’une peine d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire. ».
En d'autres termes, les juges ont considéré que, condamnée en première instance à quatre ans de prison dont deux ferme, Marine Le Pen ne pourrait pas accomplir sa peine si elle était élue à l'élection présidentielle et l'application de sa peine serait reportée à 2032 pour des faits délictueux établis qui datent de 2004 !
Je précise d'ailleurs que le temps long de la justice ici ne vient pas des juges mais du RN lui-même qui a, pendant toute l'instruction, fait 45 recours depuis 2017 ! sans compter le fait que Marine Le Pen ne s'est pas rendue aux convocations des juges. Le RN a tout fait pour repousser le plus tard possible le procès ainsi que le jugement. On s'étonnera donc de la volonté d'accélérer la procédure d'appel en faisant pression dans les médias et dans la rue.
J'ajoute aussi que l'individualisation des peines est réelle et on peut le constater dans le délibéré qui compte tout de même 154 pages ! (On peut le lire ici). L'exécution provisoire de la peine d'inéligibilité de trois ans n'a pas été décidée par exemple pour un autre prévenu, Fernand Le Rachinel, condamné à deux ans de prison avec sursis, parce que lui, au moment du procès, avait reconnu ses torts.
Revenons aux citations de la journée du mardi 1er avril 2025 dans l'hémicycle, au cours de la séance des questions au gouvernement, car il s'agit d'éléments importants de la vie politique française. Pas moins de sept questions ont été posées au gouvernement en une heure et quart sur la condamnation de Marine Le Pen.
Posant la première question du jour, le député RN Jean-Philippe Tanguy est parti comme une mitraillette en mélangeant tout, en osant évoquer le Général De Gaulle et en faisant dans l'excessif extrêmement insignifiant : « Le Général De Gaulle l’avait dit : en France, la seule et unique cour suprême, c’est le peuple ! Hélas, en vérité, jamais l’oligarchie n’a accepté que le peuple décide ni ne vote. Le système ne respecte que les urnes qui confortent son pouvoir mais renie les suffrages qui lui déplaisent. Un quarteron de procureurs et de juges prétend à présent sortir du droit pour exercer la vendetta du système contre son seul opposant, le Rassemblement national, et contre sa principale incarnation, Marine Le Pen. Il y a des tyrannies qui enferment leurs opposants, il y a désormais des juges tyrans qui exécutent l’État de droit en place publique ! Ces magistrats, en appliquant l’esprit d’une loi postérieure aux faits qui lui sont reprochés, refusent à Marine Le Pen le droit effectif d’appel et la présomption d’innocence qu’il confère. Ils lui refusent le droit d’être candidate ! Ces magistrats criminalisent le droit à la défense en aggravant la peine de Marine Le Pen, dont le seul tort est d’avoir voulu faire valoir son innocence ! Ces magistrats ont laissé envoyer hier à toute la presse parisienne et à nos adversaires, le jugement que nos avocats n’ont eu que ce matin ! Ces magistrats avouent, dans ce jugement, que la candidature, que l’élection de Marine Le Pen constituerait un trouble à l’ordre public ! Ces magistrats appliquent finalement la promesse du Syndicat de la magistrature : faire barrage à Marine Le Pen par tous les moyens, les pires des moyens ! Le groupe Rassemblement national ne vous laissera pas voler l’élection présidentielle comme vous avez volé des dizaines de sièges lors des dernières législatives ! Aucun de nos députés ne laissera diffamer celle qui incarne l’espérance du peuple de France ! De quoi est accusée Marine Le Pen, sinon de sa capacité à vaincre ce système ? ».
La réponse du Ministre d'État, Ministre de la Justice, Gérald Darmanin a été (évidemment) beaucoup plus mesurée : « Une décision de justice importante a été rendue hier. Elle concerne Mme la présidente Le Pen, comme de nombreux membres du Rassemblement national. Dans cette affaire, les personnes qui le voudraient ont dix jours pour interjeter appel. Cet appel est de droit : tout citoyen doit pouvoir exercer son droit au recours, afin d’être jugé par une cour d’appel. Si madame Le Pen décidait d’interjeter appel, je souhaite, à titre personnel, que l’audience d’appel puisse être organisée dans le délai le plus raisonnable possible, conformément à l’esprit de sa démarche. Il appartiendra à la cour d’appel de Paris, parfaitement indépendante, de fixer la date de cet appel. Monsieur le député, votre intervention m’a semblé contenir deux erreurs, pardonnez-moi si je n’ai pas bien entendu dans le brouhaha. La première, c’est que nous n’avons volé aucun siège de député ! Nous avons tous été élus au suffrage universel direct que vous réclamez ; nous sommes des parlementaires égaux ! C’est ainsi : le scrutin législatif comporte deux tours ; aucun citoyen n’a été forcé de voter pour aucun des députés ici présents. Deuxième erreur : vous avez sans doute oublié d’apporter votre soutien aux magistrats menacés depuis hier… En démocratie, il est inacceptable que des personnes puissent menacer physiquement des magistrats. Il me semble que lorsque l’on réclame un État de droit, cette réclamation ne peut souffrir aucune exception parmi les magistrats libres et indépendants de ce pays. ».
Certains ont vu cette opinion personnelle sur le calendrier de la justice comme une pression sur celle-ci. Quelques heures plus tard, on a appris qu'en cas d'appel, la cour d'appel de Paris tenterait de faire ce procès en appel avant la fin de l'été 2026. Sur le principe, accélérer la justice est une nécessité de bon sens, mais d'une part, la lenteur de l'affaire Le Pen vient du RN lui-même (déjà écrit) et d'autre part, en donnant la priorité à l'affaire Le Pen sur d'autres affaires, cela va impacter sur d'autres affaires judiciaires et d'autres personnes condamnées en première instance et actuellement incarcérées. Selon la magistrate Évelyne Sire-Marin, membre du bureau de la Ligue des droits de l'homme (interviewée le 1er avril 2025 sur LCI), il y a, à ce jour, déjà 4 000 affaires dont l'instruction est terminée en attente de procès en appel !
En outre, je ne vois pas en quoi ce procès en appel ferait les affaires de Marine Le Pen, en ce sens qu'une nouvelle condamnation resterait très probable en appel et qu'une peine en appel serait encore plus dure à faire accepter auprès de ses propres électeurs.
Sur la tirade particulièrement excessive de Jean-Philippe Tanguy, l'éditorialiste politique Patrick Cohen a proposé le lendemain, dans sa chronique sur France Inter, ce commentaire : « C’est politiquement inepte et judiciairement stupide. La colère est sûrement sincère, mais les adversaires du RN auront beau jeu d’expliquer que ce jour-là, le vernis a craqué, que l’extrême-droite a montré son vrai visage. Que la normalisation et la stratégie de la cravate n’étaient que des leurres. Or ce discours victimaire, antisystème et antirépublicain, s’il peut susciter l’adhésion d’une partie de la base, des 30 à 35% d’électeurs de premier tour, il a tout pour effrayer ceux qui manquent pour faire 50 au second, surtout dans une présidentielle. Un RN dédiabolisé peut espérer briser le plafond. Un RN trumpiste, c’est beaucoup moins sûr. Et puis sur le plan judiciaire, c’est tout aussi curieux. Maudire les magistrats qui vont vous rejuger, insulter ceux qui viennent de le faire, appeler à manifester contre les juges, comme l’avait fait Jean-Marie Le Pen déclaré inéligible en 98, n’est pas la meilleure des stratégies. Surtout quand vos premiers juges vous reprochent de ne pas avoir pris conscience de la gravité des détournements dont vous êtes coupables. ».
Répondant à une question du président du groupe socialiste Boris Vallaud, François Bayrou a déclaré : « Le soutien que nous devons apporter aux magistrats, dans l’exercice de leurs fonctions, doit en effet être inconditionnel, non mesuré, puissant. Il est très important que l’ensemble de la représentation nationale exprime un tel soutien. ». Mais il a continué ainsi : « Il est vrai que des interrogations subsistent, j’en ai moi-même souvent formulé sur le seul sujet qui me paraît devoir être abordé dans cette affaire : la possibilité de former des recours. En principe de droit, toute décision lourde et grave en matière pénale doit pouvoir faire l’objet d’une procédure en appel et d’un recours. Cependant, le dispositif de l’exécution provisoire conduit à ce que des décisions lourdes et graves ne soient pas susceptibles de recours. Il n’est alors plus possible de faire appel de décisions qui, pourtant, peuvent entraîner des conséquences irréversibles. J’ai toujours, comme citoyen, considéré ce point comme problématique ; je m’étais déjà exprimé en ce sens lors de la condamnation du maire de Toulon, Hubert Falco. En effet, je considère, comme citoyen… Je suis un citoyen. Conformément aux principes du droit, les décisions de justice sont protégées et les magistrats doivent être soutenus. Cependant, lorsqu’il s’agit de s’interroger sur l’état de la loi, il revient au Parlement de prendre ses responsabilités. ».
Répondant ensuite à la présidente du groupe écologiste Cyrielle Chatelain : « Il est indiscutable et il doit être indiscuté, sur tous les bancs, que les décisions de justice ont à être soutenues et les magistrats protégés dans l’exercice de leur mission. J’affirme, au nom du gouvernement, que c’est le cas : vous l’avez dit, il n’y a pas de passe-droit, quel qu’il soit et quelle que soit la loi concernée. Les magistrats exercent leur mission lorsqu’ils prononcent des jugements. Il est donc légitime que nous leur apportions, unanimement, sur tous les bancs, notre soutien. Toutefois, certains exemples… Pardonnez-moi de le dire : c’est vous, c’est le Parlement qui fait la loi. J’ai lu les déclarations des Insoumis à ce sujet, qui étaient très claires… Je considère que le Parlement a une réflexion à mener. Cependant, je n’ai pas l’intention de confondre la discussion portant sur un jugement, que je ne commente pas et que je soutiens, avec la réflexion sur l’état de la loi, qui appartient au Parlement et qui mérite d’être constamment reprise. ».
Ainsi, François Bayrou a renvoyé le Parlement à ses responsabilités et a mollement défendu les juges (il ne pouvait pas faire autrement), mais c'est quand même assez décevant notamment pour un leader politique qui a fait de la moralisation de vie politique l'un de ses plus marquants dadas.
Gérald Darmanin est réintervenu également après une question de la députée RN Laure Lavalette : « Je pense également avoir été clair, tout comme M. le Premier Ministre, sur le respect du droit inaliénable de faire appel, pour toutes les citoyennes et pour tous les citoyens, pour madame la présidente Le Pen comme pour toutes les autres personnes mises en cause par le tribunal de Paris. Il ne m’appartient pas, au titre de l’article 64 de la Constitution, d’en dire plus. Nous souhaitons tous, et je m’adresse ici aux membres du groupe Rassemblement national, un climat politique apaisé et des élections qui permettent à chacun de voter pour le candidat de son choix. Madame Lavalette, permettez-moi cependant de remarquer, vous êtes vous-même élue du Var, que M. Falco, ancien maire de Toulon, a été, lui aussi, frappé d’une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire. Vous aviez déclaré à l’époque, dans la presse locale : "S’il ne m’appartient pas de commenter cette décision de justice (…), j’appelle de mes vœux à l’apaisement et au respect de chacun". Je ne saurais dire mieux. ».
Dans sa question, l'ancien président de LR et désormais complètement lepénisé, Éric Ciotti, a fait dans l'amalgame populiste (repris souvent dans les réseaux sociaux) : « Le candidat de l’opposition, François Fillon, largement favori dans l’élection présidentielle de 2017 : éliminé. La chaîne de télévision la plus populaire de la TNT : rayée de la carte. Aujourd’hui, enfin, la candidate donnée gagnante par tous les sondages pour l’élection présidentielle de 2027 est empêchée de se présenter par certaines personnes. Je veux dire tout mon soutien, dans ces conditions, à Marine Le Pen. Ce qui se passe est d’une gravité extrême. Alors que le pouvoir exécutif n’exécute plus rien, alors que le pouvoir législatif ne légifère sur rien, nous observons la prise de pouvoir de l’autorité judiciaire. Le gouvernement des juges s’installe contre le peuple souverain. D’éminents juristes, pourtant opposés à Marine Le Pen, ont fait entendre leur inquiétude : l’exécution provisoire instaure une peine de mort politique. Notre groupe défendra donc, dans le cadre de sa niche parlementaire de juin, une proposition de loi tendant à supprimer l’exécution provisoire pour les peines d’inéligibilité. ». Sur le "gouvernement des juges", je renvoie à l'explication du professeur Jean-Philippe Derosier, plus haut.
La réponse de François Bayrou n'a pas changé : « Je ne veux pas laisser dire ici que notre démocratie serait mise à mal par l’autorité judiciaire. Ce n’est pas vrai. (…) Dès lors que nous prenons acte de la répartition des rôles qui assure l’équilibre de la démocratie et de la République, la marche à suivre est très simple : vous annoncez que vous allez déposer une proposition de loi, celle-ci sera examinée par les deux chambres et c’est donc le Parlement qui décidera si, oui ou non, il convient de toucher à l’écriture de la loi à partir de laquelle les magistrats jugent. ». Je reviendrai dans un autre article sur le fait de faire une nouvelle loi sur le sujet.
La députée PS Sandine Runel, quant à elle, a rappelé un article du code pénal : « "Le fait de chercher à jeter le discrédit, publiquement par actes, paroles, écrits ou images de toute nature, sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende". Cet article du code pénal semble avoir échappé à certains, mais après tout, ils ne sont plus à ça près. Car, depuis hier, nombre de réactions se sont fait entendre, en premier lieu celles de l’extrême droite mondiale qui dénonce une décision de justice qualifiée de politique. MM. Poutine, Musk et Orban sont d’ailleurs les premiers à crier au scandale démocratique. S’en est suivi un déferlement de réactions dangereuses et populistes de la part de tout l’état-major du Rassemblement national. (…) Alors redisons-le avec force : en France, il n’y a pas de dictature judiciaire. Il n’y a pas de justice politique ni de tyrannie des juges. Car dans un État de droit, la loi s’applique sans privilège. Aucun sondage, aucune intention ne saurait vous donner un totem d’impunité. ».
La question du député RN Sébastien Chenu n'a pas manqué, comme ses autres collègues du groupe RN, d'être polémique, tandis que d'autre députés lui ont crié "Rendez plutôt l'argent !" : « En laissant s’abîmer notre État de droit, la France, seul pays où il faut avoir perdu les élections pour gouverner, s’abîme sur la scène internationale. Craignant le jugement du peuple, certains se rassurent en s’appuyant sur celui de magistrats politisés. (…) Vous qui parlez à Tebboune et à Al-Charaa, vous acceptez qu’on piétine ici notre État de droit. Vous qui aimez tant donner des leçons de morale au monde entier, comment défendrez-vous demain Navalny ou Imamoglu, l’opposant d’Erdogan, quand vous acceptez ici que le peuple ne puisse ni choisir, ni voter pour la candidate du peuple, Marine Le Pen ? ».
La réponse de Gérald Darmanin : « L’affaire est si importante que je ne cherche en rien à polémiquer. Il est question d’une décision de justice, rendue par trois magistrats indépendants, après un procès. Je ne vous permets pas de mettre en doute l’indépendance des magistrats ! Dans un État de droit, il est possible de faire appel. L’appel de madame la présidente Le Pen et des autres condamnés en première instance doit d’abord être audiencé. Après l’audiencement, le procès, qui sera équitable, et le verdict, prononcé par des magistrats indépendants, chacun devra accepter la décision de justice, c’est le principe dans un État de droit. Vous évoquez le respect de la démocratie. Comme vous l’a rappelé le Premier Ministre, les dispositions que vous dénoncez figurent dans une loi de 2016, la loi Sapin II, que je n’ai pas votée. Aujourd’hui, c’est la loi de la République. Comme l’a indiqué le Premier Ministre au président Ciotti, il appartient maintenant au Parlement de la modifier, s’il le souhaite. ».
Et de préciser un point : « Je veux revenir sur un point également soulevé par M. Tanguy. Il n’existe pas une candidate du peuple et d’autres qui ne le seraient pas. Nous avons tous ici été élus par le peuple. Depuis le début de la Ve République, aucun candidat d’extrême droite n’a été choisi par le peuple à l’occasion de l’élection présidentielle, contrairement à M. Macron, qui l’a été deux fois, ne vous en déplaise ! Le peuple ne serait-il plus le peuple quand il vote mal ? Il devrait vous être possible d’avancer de bons arguments juridiques et politiques tout en respectant le vote du peuple, même quand il ne vote pas pour vous ! ».
Dans la soirée du 1er avril 2025, Marine Le Pen a confirmé dans une interview au quotidien "Le Parisien" publiée le lendemain, qu'elle explorerait toutes les voies de recours possible : « Nous allons saisir le Conseil Constitutionnel par une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), dont le but est de se prononcer sur l'incompatibilité qu'il y a entre une décision d'inéligibilité avec exécution provisoire, et la liberté des électeurs qui est inscrite dans la Constitution. Par ailleurs, je souhaite saisir aussi en référé la Cour européenne des droits de l'homme. ». La QPC devrait être recevable si l'on lit bien entre les lignes la décision n°2025-1129 QPC du 28 mars 2025 du Conseil Constitutionnel. Quant à la CEDH, il fut un temps où Marine Le Pen la conspuait !
Malgré toute cette agitation politicienne, il n'en demeure pas moins que la condamnation de Marine Le Pen en première réelle est bien réelle. Elle est d'une gravité exceptionnelle, de quatre ans de prison dont deux ans ferme, portant sur des détournements de fonds publics dans un système de financement qui n'a rien de fortuit et qui a duré douze ans. L'inéligibilité n'est que l'écume de cette lourde condamnation.
Le principal sera la bataille de "l'opinion publique". Dans les premiers sondages, la tendance n'est pas favorable à Marine Le Pen. Une majorité des sondés considérerait normale la condamnation de Marine Le Pen et serait d'accord avec le principe d'une exécution provisoire d'une peine d'inéligibilité.
En effet, dans le sondage Elabe pour BFMTV publié le 31 mars 2025 (avec un échantillon représentatif de 1 008 personnes interrogées par Internet après l'annonce de la condamnation de Marine Le Pen), pour 57,0% des sondés, cette décision de justice serait avant tout « une décision de justice normale ». De plus, 68% des sondés dans ce même sondage diraient que cette règle de l'exécution provisoire est juste.
La candidature de Marine Le Pen a donc beaucoup de plomb dans l'aile pour l'élection présidentielle de 2027. Elle aura du mal à aller jusqu'au bout avec tous ces obstacles judiciaires mais aussi politiques. Sa combativité l'honore, mais on l'aimerait plus au service de l'intérêt du peuple français.
« Marine Le Pen est au cœur de ce système. (…) Les embauches sont décidées par Marine Le Pen sans que les députés soient consultés. » (La présidente du tribunal correctionnel de Paris, le 31 mars 2025).
Coup de semonce ce lundi 31 mars 2025 dans la matinée : le tribunal correctionnel de Paris a rendu public son jugement dans l'affaire des assistants parlementaires du RN. La principale prévenue, Marine Le Pen, considérée comme étant au cœur de tout un système de détournement de fonds publics, a été condamnée en première instance à quatre ans de prison dont deux ans ferme, avec bracelet électronique a domicile, à 100 000 euros d'amende et, surtout, en peine complémentaire, à cinq ans d'inéligibilité assortis d'une exécution provisoire. Cela signifie que Marine Le Pen ne pourra pas se présenter à une élection présidentielle entre le 31 mars 2025 et le 31 mars 2030. De plus, son mandat de conseillère départementale du Pas-de-Calais est déchu (pas celui de députée).
C'est bien sûr un événement politique important, de la même importance que la condamnation à de la prison ferme de Nicolas Sarkozy ou que la mise en examen, en plein campagne présidentielle, de François Fillon. Mais il ne faut pas oublier que la justice est indépendante et les juges (ils sont plusieurs à avoir pris cette décision) ont dû résister aux nombreuses pressions politiques de ces dernières semaines.
Il ne faut pas se tromper, le RN et Marine Le Pen, loin d'être anti-système, ont voulu, pendant de nombreuses années, entre 2004 et 2016, profiter du système avec de l'argent public. Le RN a d'ailleurs été lui aussi condamné à une lourde amende de 2 millions d'euros dont un million avec sursis. Le préjudice serait de 4,1 millions d'euros, ce qui est une somme colossale dans les affaires politico-financières.
Ce n'est pas la première fois que des élus de la République ont été condamnés à des peine d'inéligibilité avec exécution provisoire : Hubert Falco (maire de Toulon et ancien ministre), Gaston Flosse (ancien président de Polynésie française et ancien ministre), le couple Balkany (en particulier Patrick Balkany, maire de Levallois-Perret), etc. En ce sens, le jugement particulièrement sévère à l'encontre de Marine Le Pen n'a rien d'exceptionnel et est au contraire une règle... voulue par les parlementaires eux-mêmes !
C'est intéressant d'observer la réaction de la classe politique et du monde médiatique. Parmi les politiques, les proches du RN sont évidemment vent debout contre une décision qu'ils considèrent comme politique, celle d'un gouvernement des juges (ce qui est faux, voir plus loin l'explication du professeur Dominique Rousseau). Les insoumis aussi sont opposés à ce jugement. Le PS et les écologistes sont plus mesurés en se contentant de vouloir préserver l'indépendance de la justice mais ne peuvent s'empêcher d'être ravis. Quant à la majorité gouvernementale, elle est très mesurée, le Premier Ministre François Bayrou a laissé croire qu'il était « troublé » tout en refusant de commenter une décision de justice, et la veille, il expliquait au journal "Le Figaro" : « Si Marine Le Pen ne peut pas se présenter, il y a un risque de choc dans l'opinion. ». En outre, un candidat à la présidence de LR a protesté vigoureusement.
Peut-être que c'est l'ancienne ministre et actuelle députée EPR Prisca Thevenot qui a eu la meilleure réaction, la plus rationnelle. Elle a posé la simple question : à partir de quel pourcentage dans les sondages une candidate peut-elle être au-dessus des lois ? La réponse est évidente : la loi s'applique à tous !
Quant aux journalistes, ils sont manifestement gênés, tentent de ménager la chèvre et le chou, pour beaucoup, sont secrètement ravis mais ont peur des réactions peut-être explosives d'une partie de l'électorat et ont complètement oublié que l'État de droit, c'est d'abord de respecter les lois et les juges veillent justement à ce respect.
Très instructives aussi ont été les réactions internationales de soutien. Là, c'est clair, les masques tombent ! L'internationale de l'extrême droite populiste est à l'œuvre et s'est trahie elle-même ce lundi ! Tous ceux qui ont apporté un soutien à Marine Le Pen veulent l'échec de la France. Cela dit beaucoup du patriotisme de pacotille des élus RN ! La première réaction est même venue du Kremlin, ce n'est pas un poisson d'avril, ce n'est pas une caricature, ce n'est même pas de l'humour, c'est la réalité glaçante par la voix du porte-parole de Vladimir Poutine, Dmitri Peskov : « De plus en plus de capitales européennes empruntent la voie de la violation des normes démocratiques. ». La France des Lumières n'a pas de leçon à recevoir d'un sbire de Vladimir Poutine !
Dis-moi qui te soutient, je te dirai qui tu es ! Viktor Orban : « Je suis Marine ! ». Elon Musk : « Lorsque la gauche radicale ne peut pas gagner par le biais d'un vote démocratique, elle abuse du système judiciaire pour emprisonner ses opposants. C'est la règle du jeu qu'ils appliquent partout dans le monde. ». Matteo Salivini : « Ceux qui craignent le jugement des électeurs cherchent souvent à se rassurer par celui des tribunaux. À Paris, ils ont condamné Marine Le Pen et aimeraient l'écarter de la vie politique. Un mauvais film que l'on observe également dans d'autres pays comme la Roumanie. ». Geert Wilders : « Je suis choqué par le verdict incroyablement sévère rendu contre Marine Le Pen. Je la soutiens et je crois en elle à 100% et je pense qu'elle gagnera son appel et deviendra Présidente de la France. ». Le pire est sans doute l'ancien Président russe Dmitri Medvedev qui n'a pas hésité à confirmer les visions expansionnistes de son pays : « Après la décision de justice rendue, il me semble que, comme le 31 mars 1814, seuls les cosaques russes puissent ramener la liberté en France. Mais est-ce que Marine Le Pen les attendra ? ». Qu'est-ce que c'est que toutes ces ingérences de dirigeants politiques étrangers à l'égard de la France ? La patriotisme du RN se réduit à rien du tout !
Avant de poursuivre, je ne peux pas m'empêcher de revoir Marine Le Pen dans la position si connue de Mains propres, tête haute ! Ainsi, le 9 février 2004 dans "Mots croisés" sur France 2, Marine Le Pen débattait avec Jean-François Copé, Arlette Laguiller et Malek Boutih. Elle a notamment déclaré, à propos de la condamnation d'Alain Juppé : « Tout le monde a piqué de l'argent dans la caisse sauf le front national. Et on trouve ça normal ? Oh mais non, c'est pas très grave, à la limite. Les Français en ont marre, mais les Français n'en ont pas marre d'entendre parler des affaires, ils en ont marre qu'il y ait des affaires, ils en ont marre de voir les élus, je suis navrée de vous le dire, qui détournent de l'argent, c'est ça qui est scandaleux. Parce que je vais vous dire, avec tout cet argent, ce qu'on aurait fait. Ah, en termes de restos du cœur, en termes d'opérations pièces jaunes, c'est combien d'opérations pièces jaunes, tout l'argent qui a été détourné par les élus ? (…) Monsieur Copé, on ne vole pas l'argent des Français ! Vous savez ce que ça veut dire ? Voler l'argent des Français, voler l'argent des Français ! Ça, c'est respecter la démocratie, c'est de ne pas voler l'argent des Français. Voilà, vous voyez ? ». Il faut bien comprendre que la condamnation de Marine Le Pen se base de faits qui ont commencé en ...2004 !
Neuf ans plus tard, le 5 avril 2013 sur Public Sénat, Marine Le Pen répétait la tirade de celle qui lave plus blanc que blanc : « Moi, j'ai entendu le Président de la République dire : oui, ce qu'il faudrait, c'est rendre inéligible à vie ceux qui ont été condamnés. Jusque là, je suis parfaitement d'accord. C'était dans mon projet présidentiel. Pour corruption et fraude fiscale. Ah bon ? Et pourquoi pas le reste ? Mais alors, pourquoi pas pour favoritisme ? Pourquoi pas pour détournement du fonds public ? Pourquoi pas pour emplois fictifs ? ». Si elle avait su...
La (encore) députée Marine Le Pen s'est invitée au journal de 20 heures de TF1 ce lundi 31 mars 2025. Elle a eu, à mon avis, la mauvaise idée de proclamer encore son innocence, un système de défense utilisé déjà pendant tout son procès qui a encouragé les juges à prononcer l'exécution provisoire pour éviter la récidive, puisqu'elle n'a pas compris que ce qu'elle avait fait était illégal.
Se proclamer innocent même après une condamnation définitive, l'un des hommes politiques qui a passé le plus de temps en prison, Alain Carignon, en a fait une règle personnelle : ne jamais reconnaître sa culpabilité. C'est efficace politiquement car cela permet à ses fidèles de continuer à le soutenir. En revanche, c'est très contre-productif lors d'un procès car c'est insupportable pour les juges qui considèrent que décidément, ce justiciable est irrécupérable.
Mais Marine Le Pen a dit des contre-vérités sur TF1, en particulier en disant que la loi Sapin II ne s'appliquait pas à sa situation. Bien sûr que si ! La loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin II (du nom du Ministre de l'Économie et des Finances Michel Sapin) a introduit dans le code pénal (article 131-26-2) ce principe : toute condamnation pénale pour délit d’atteinte à la probité (par exemple, détournement de fonds publics, abus de confiance, corruption, favoritisme, etc.) doit obligatoirement être assortie d’une peine complémentaire d’inéligibilité, sauf décision spécialement motivée du juge.
L'exécution provisoire (inéligibilité immédiatement applicable, même en cas d'appel), provient en partie de la loi n°2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire défendue par le garde des sceaux de l'époque, Éric Dupond-Moretti.
Les juges ont donc appliqué simplement les lois voulues par les parlementaires élus au suffrage universel direct et donc, dépositaire de la volonté du peuple. Elle est là, la majorité ; il est là, le peuple. Les juges étaient même blâmés pour leur laxisme, d'où le renforcement par la loi.
Le constitutionnaliste Dominique Rousseau, professeur émérite de droit public à l'Université Panthéon-Sorbonne, l'a rappelé le 31 mars 2025 à Public Sénat : « J'entends effectivement, depuis ce matin, haro sur les juges. Alors, je vais essayer de remettre les choses sur leurs pieds. Jusqu'à la loi Sapin, la peine d'inéligibilité, et l'exécution provisoire, était facultative, et les juges ne la prononçait quasiment jamais, afin justement d'éviter qu'on leur dise : ils se mêlent du politique. Devant cela, c'est le législateur, les élus, qui ont décidé non plus qu'elle serait facultative, mais obligatoire. Obligatoire ne voulant pas dire automatique, puisque les juges ont la possibilité de dire pas de peine d'inéligibilité. Autrement dit, pas haro sur les juges, haro sur le législateur, si on veut. C'est le législateur, qui a demandé aux juges qui n'étaient pas sévères, d'appliquer de manière obligatoire la peine d'inéligibilité pour un certain nombre d'infraction violences sexistes et sexuelles, et détournement de fonds publics. Donc, stop ! Stop ! Il ne faut pas tout mélanger. On oublie depuis ce matin les causes. (…) Les élus du peuple ont utilisé l'argent du peuple pour autre chose que ce pour quoi ils ont été élus. Ils ont été élus pour défendre les intérêts de la France au Parlement Européen, et ils ont utilisé l'argent pour autre chose que défendre les intérêts de la France au Parlement Européen. Ce qui fait mal à la démocratie, ce qui exécute la démocratie, c'est des élus qui ne remplissent pas leur travail, qui ne font pas leur travail. La démocratie se perd quand les élus ne sont pas intègres. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est ce qui est écrit dans la Déclaration de 1789. ».
Nous sommes en plein Orwell quand on entend Marine Le Pen dire qu'avec sa condamnation, il n'y a plus d'État de droit. C'est au contraire l'indépendance des juges qui garantit l'État de droit. Le suffrage universel ne permet pas tout et surtout pas d'être au-dessus des lois que les parlementaires ont eux-mêmes rédigées. Ce frein aux abus, c'est la justice, comme ce sont aussi l'université et la presse, pour le professeur Dominique Rousseau : « Les juges ont comme références pour prononcer leur jugement la loi ou la Constitution si c'est le Conseil Constitutionnel. (…) Sur cette affaire-là, c'est le politique qui a voulu que la sanction soit plus sévère parce qu'il constatait que le juge ne prononçait pas la peine d'inéligibilité. (…) Il n'y a pas de pouvoir des juges. (…) Quel est le rôle des juges ? Le rôle des juges, c'est d'empêcher un pouvoir d'abuser de sa situation majoritaire. C'est du Montesquieu, hein. Il y a la faculté de statuer, et la faculté d'empêcher. Les juges n'empêchent pas le pouvoir de gouverner, ils empêchent le gouvernement d'abuser de sa situation pour porter atteinte aux droits et libertés. Et je dirais qu'en l'espèce, d'une certaine manière, les juges protègent la démocratie. Un des piliers de la démocratie, c'est le suffrage universel, on est bien d'accord ? Bon, et pour que la démocratie fonctionne, il faut qu'il y ait une confiance entre les électeurs et les élus. Si on ne prévient pas la possibilité d'élire des gens qui ont commis des infractions, détournement de pouvoir, violence, sexisme, détournement etc., on sape la confiance dans les institutions. (…) Trois piliers (…) : la liberté de la presse, la liberté et l'indépendance des juges, et la liberté universitaire. Ce sont les trois qui sont attaqués par tous ceux qui veulent remettre en cause la démocratie. ».
La combativité de Marine Le Pen qui a décidé de continuer sa campagne présidentielle malgré sa condamnation est une forme de déni étonnant. Car il y a peu de chance que le jugement en appel soit rendu avant l'élection présidentielle et encore moins de probabilité pour qu'il soit plus clément qu'en première instance alors que les juges n'ont émis aucun doute sur la réalité des faits. De plus, il n'y a pas d'empêchement politique de se présenter, le RN a bien d'autres candidats possibles pour être représenté sérieusement à l'élection présidentielle. D'ailleurs, Jordan Bardella et Marion Maréchal piaffent d'impatience. Sauront-il attendre un délai raisonnable pour préserver la décence vis-à-vis de Tata Le Pen ?
« Je comprends que des gens ne soient pas sereins, mais moi, je le suis. » (Marine Le Pen, le 30 mars 2025 sur TF1).
Il est des jours plus cruciaux que d'autres. On peut penser que le jour le plus crucial pour une personnalité politique, qui ne pense qu'à la politique depuis des décennies, c'est le jour de l'élection, mais maintenant, il faut être moderne : le jour crucial, c'est désormais le jour de l'annonce du jugement. Pour Marine Le Pen, candidate putative à l'élection présidentielle de 2027 (après déjà trois échecs cinglants !), ce jour-là, c'est ce lundi 31 mars 2025. Suspense dramatique. D'une tragédie, ou d'une comédie.
En jeu, son avenir judiciaire, et donc, son agenda politique. Le réquisitoire du procureur dans l'affaire des assistants parlementaires du RN au Parlement Européen était d'une très grande sévérité le 13 novembre 2024 : il a requis, entre autres, une peine complémentaire de cinq années d'inéligibilité assortie d'une exécution provisoire. C'est cette "exécution provisoire" qui fait polémique, car cela rendrait l'ancienne présidente du RN inéligible malgré un recours en appel, c'est-à-dire alors qu'elle ne serait pas encore condamnée définitivement. De quoi rater le train électoral de 2027.
On le comprend bien : l'exécution provisoire est une forme d'exécution tout court. Marine Le Pen l'a d'ailleurs vu ainsi dans une interview le 30 mars 2025 sur TF1 : « Je ne peux pas imaginer un tel trouble à l'ordre démocratique, on parle d'une mise à mort, d'une guillotine judiciaire. ». Même si cela pourrait faire plaisir à beaucoup de monde, serait-ce judicieux d'un point de vue démocratique ?
Les autres peines requises par le parquet sont cinq ans de prison dont deux ans ferme et 300 000 euros d'amendes. Revenons aux fondamentaux, c'est-à-dire ici au contexte. La justice reproche à Marine Le Pen quelque chose de très grave : on parle d'un préjudice évalué entre 5,0 et 7,5 millions d'euros de détournement d'argent public. En utilisant l'enveloppe budgétaire prévue pour les collaborateurs des députés européens pour des individus qui avaient un autre emploi, comme garde-du-corps. Cela concernerait une vingtaine de personnes. Rien à voir avec l'affaire du MoDem, où il était de seulement quelques centaines de milliers d'euros. Un des supposés assistants parlementaires était, à l'époque, le compagnon de la présidente du FN ; une autre son (ancienne) belle-sœur.
On peut comprendre que les juges pourraient considérer qu'une personnalité incapable de respecter le droit et la loi (et du reste incapable de gérer correctement les finances de son parti) ne devrait pas pouvoir postuler à un poste aussi important que Président de la République où il faudrait gérer le budget de l'État. Mais on pourrait aussi rétorquer, a contrario, que ceux qui ont géré l'argent public depuis une cinquantaine d'années ont creusé collectivement un trou de 3 305 milliards d'euros au 31 décembre 2024 !
Marine Le Pen veut garder sa sérénité parce qu'elle ne peut pas imaginer un autre sort que celui d'une future candidate. La méthode Coué est-elle efficace ? Il faudra, pour le savoir, attendre le jugement de lundi : « Je pense que les magistrats ne décideront pas de l'exécution provisoire parce que je ne peux imaginer qu'ils le fassent. ».
Ce qui est intéressant dans le discours de Marine Le Pen, c'est que, dans son esprit, sa condamnation ne fait l'objet d'aucune incertitude, et même, une peine d'inéligibilité contre elle ne fait aucun doute. Ce qui reste incertain, pour elle comme pour les observateurs de la vie politique, c'est si cette peine d'inéligibilité est assortie d'une exécution provisoire, ce qui aurait pour effet de rendre impossible sa candidature à l'élection présidentielle pour 2027. Du moins, en théorie, car elle aurait, dans ce cas-là, d'autres types de recours comme une QPC sur le sujet.
Je rappelle que la décision du Conseil Constitutionnel prise le 28 mars 2025 n'avait pas l'effet de la rassurer puisqu'elle confirmait que l'exécution provisoire d'une peine d'inéligibilité était conforme à la Constitution sous réserve qu'il y ait un débat contradictoire, que les motivations soient écrites et qu'il n'y ait pas atteinte à la proportionnalité de la peine (ce dernier point est essentiel dans le cas de Marine Le Pen). Mais le Conseil Constitutionnel, qui n'a donc pas montré une grande empathie pour le cas de Marine Le Pen, lui a laissé une porte de sortie, ou plutôt, une sortie de secours : cette décision du Conseil Constitutionnel ne concerne que le cas des élus locaux, et pas des parlementaires. Par conséquent, cette décision ouvre bien la voie possible d'une QPC sur le sujet pour les parlementaires, ce qui est le cas de Marine Le Pen.
D'un point de vue politique, l'inéligibilité effective de Marine Le Pen serait quand même un énorme coup de semonce sur la vie politique. Elle serait regrettable en ce sens que sa candidature est aujourd'hui créditée d'un score assez élevé dans les sondages d'intentions de vote, autour de 30%. Cette décision de justice remettrait en cause le jeu normal des candidatures, mais pas plus qu'avec la mise en examen, en plein campagne présidentielle, de François Fillon en mars 2017.
Ce qui est sûr, malgré tous les soupçons qu'on pourrait avoir (avec l'existence d'un mur des c@ns dans le local d'un syndicat de juges, par exemple), c'est que le juge n'aura pas un raisonnement politique mais juridique. En clair, il devra déterminer si l'exécution provisoire de la peine d'inéligibilité remet en cause ou pas le droit des électeurs (en l'occurrence ici du RN).
Rappelons que Marine Le Pen a longtemps été favorable à la sévérité des peines, et même à leur automaticité, estimant les juges beaucoup trop laxistes vis-à-vis des délinquants. La tolérance zéro ne doit-elle pas s'appliquer aussi à la classe politique ? Moins convaincante, Marine Le Pen avait pourtant fait de la moralité en politique son cheval de bataille en 2012 et souhaitait renforcer l'inéligibilité des responsables politiques qui auraient commis des délits.
L'exécution provisoire de l'éventuelle peine d'inéligibilité de Marine Le Pen serait évidemment un coup dur pour elle, pour sa carrière politique et pour le RN, mais la nature a toujours horreur du vide et il y a une véritable vanité de se croire indispensable (au parti, à la nation).
Jordan Bardella serait-il à Marine Le Pen ce qu'a été Édouard Balladur à Jacques Chirac ? Car au RN, tout est déjà acquis avec un "candidat de remplacement" en la personne de Jordan Bardella. La candidature de ce dernier aurait même la préférence de certains élus RN car il serait le plus apte à faire un rassemblement des droites là où Marine Le Pen voudrait encore surfer sur le ni droite ni gauche.
Cette analyse néglige cependant le facteur très personnel d'une élection présidentielle. Certes, on vote pour une tendance, un courant politique, un projet présidentiel, mais aussi pour une personnalité qu'on croit apte, ou pas, aux fonctions de Président de la République. Ce serait difficile de faire confiance en un jeune homme de 28 ans qui, certes, communique bien sur les réseaux sociaux, mais qui n'a jamais travaillé autrement que dans un appareil politique, qui ne connaît pas la vraie vie des Français, fainéant en n'allant jamais au Parlement Européen pour lequel il est élu, et qui n'a jamais bossé ses dossiers.
Ainsi, les électeurs de Marine Le Pen pourraient se détourner du RN pour un autre candidat qui serait, selon eux, aussi sérieux voire plus sérieux que l'ancienne présidente du RN. Aujourd'hui, ce candidat de substitution n'est pas au RN mais... au gouvernement : Bruno Retailleau, candidat actuel à la présidence de LR !
Il pourrait toutefois y avoir une solution médiane pour le juge. Ce serait de prononcer une peine d'inéligibilité d'un ou deux ans assortie d'une exécution provisoire. Cela n'empêcherait pas Marine Le Pen de se porter candidate en avril 2027, mais cela montrerait la gravité du délit reconnu le cas échéant.
Ah, au fait... On a appris par un article de Laurent Léger, publié le 28 mars 2025 dans "Libération", que Jean-Luc Mélenchon aurait lui aussi des poursuites judiciaires pour la même raison (emploi fictif d'assistants parlementaires européens)... depuis 2017 ! L'information, pourtant connue depuis le 18 juillet 2017, était bien cachée et l'avancée de l'enquête judiciaire est restée fort discrète...