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justice - Page 3

  • Une nostalgie nommée Ronald Reagan ?

    « Une récession, c’est quand votre voisin perd son travail. Une dépression, c’est quand vous perdez votre travail. Et la reprise, c’est quand Jimmy Carter perd le sien ! » (Ronald Reagan, 1980).


     

     
     


    C'était avec ce genre de parole péremptoire que l'ancien acteur d'Hollywood a été élu Président des États-Unis le 4 novembre 1980 contre le sortant Jimmy Carter. Ronald Reagan est mort il y a vingt ans, le 5 juin 2004, à Los Angeles à l'âge de 93 ans, souffrant de la maladie d'Alzheimer. Son corps reposant au Capitole le 9 juin 2004 à Washington, près de 105 000 citoyens américains sont venus se recueillir pour lui rendre hommage.

    Il fait partie de ces Présidents hors normes, souvent du Parti républicain, qui ont été élus par des élans de populisme contre un rival considéré comme faisant partie de l'etablishment washingtonien : Ronald Reagan contre Jimmy Carter en 1981, George W. Bush contre Al Gore en 2000 et Donald Trump contre Hillary Clinton en 2016. En gros, tous les vingt ans apparaît ce genre de personnage qui montre que la personnalité, l'audace, la détermination et le charisme l'emportent sur le savoir, la compétence, la raison et l'expérience. Pourtant, ces trois Présidents sont très différents les uns des autres. Donald Trump est sans doute le plus hors normes et c'est la raison pour laquelle George W. Bush n'avait pas voté pour lui en 2016 (même si Trump s'est beaucoup inspiré de Reagan pour son slogan de campagne : "Make America Great Again"). Bush Jr en effet appartenait bien à l'etablishment, comme fils de son père, mais il laissait l'image d'un candide qui représentait plus le peuple qu'un habitué du pouvoir.

    Reagan représentait les acteurs dans les années 1950 avant de représenter le peuple d'abord comme gouverneur de Californie puis comme Président. Si pour lui, la vie politique était une grande scène de théâtre, il avait des convictions qui en ont fait un grand Président. Libéral, il ne s'ennuyait pas avec les formalités. Une grève dans les transports aériens ? Ce n'était pas grave, il virait les dix mille contrôleurs aériens en grève, recrutait l'armée et les transports aériens reprenaient. Les syndicats pourtant puissants en furent estomaqués. Une recette peut-être gagnante ?

     
     


    Jugez-en par la situation économique. À son arrivée à la Maison-Blanche, inflation à 12,5%, "croissance" négative (-2%) et chômage à 10,8%. À la fin de sa Présidence, huit années plus tard : inflation à 4,4%, croissance de 3,9% par an en moyenne, chômage à 5,4%. L'efficacité du libéralisme sur le collectivisme. Mais cela signifiait sacrifier une grande part de la population dans la précarité. Et la note à payer, c'était un endettement massif : la dette publique a triplé, de 1 000 milliards de dollars à 2 900 milliards de dollars. Tout a été référencé pour garder une monnaie forte (après l'effondrement du dollar en 1982).

    Parmi les raisons du déficit chronique, l'augmentation de 40% du budget consacré aux dépenses militaires. Car le double mandat de Ronald Reagan s'est avant tout caractérisé par la politique extérieure, dès son élection qui a profité d'une situation américaine catastrophique à Téhéran (prise d'otages américains depuis 1979). Il a gagné pour redonner fierté aux Américains : America is back ! Ronald Reagan a été très interventionniste dans le monde des années 1980, et son principal objectif était idéologique : vaincre le communisme international. Et il y est parvenu avec la chute de l'Union Soviétique qu'il n'a pas connue comme Président des États-Unis mais à laquelle il a très largement contribué, notamment en mettant en œuvre le plan de bouclier nucléaire qui, s'il n'était pas techniquement pertinent, a été d'une très grande efficacité politique.

     
     


    Ronald Reagan a su créer un front occidental uni (avec Margaret Thatcher et François Mitterrand) contre les missiles soviétiques SS-20 installés en Europe centrale et orientale. Le Président américain n'a pas oublié ce discours mémorable du Président français à Bruxelles le 12 octobre 1983 lors d'un dîner officiel, avec cette formule qui résumait bien les choses : « Le pacifisme est à l'Ouest et les euromissiles sont à l'Est ! ». On pourrait malheureusement la décliner avec la guerre voulue par Vladimir Poutine en Ukraine : il n'y a que du côté "occidental" qu'on entend des velléités de paix, afin surtout de laisser la Russie vaincre.

    Le climat international était tel que des personnalités politiques françaises très diverses se revendiquaient de Reagan : François Mitterrand (qui, grâce à lui, a gagné en crédibilité internationale), Jacques Chirac (qui adopta son libéralisme pour 1986-1988, qu'il abandonna en 1995), et même Jean-Marie Le Pen pour avoir repompé en 1985 le slogan de Reagan à la sauce française ("La France est de retour").

    Toutefois, l'épopée reaganienne a commencé à vaciller à partir de 1986. D'abord l'explosion de la navette spatiale Challenger le 28 janvier 1986, et cet hommage présidentiel : « Le futur n’appartient pas aux timides ; il appartient aux braves. (…) Nous ne les oublierons jamais, ni la dernière fois que nous les avons vus, ce matin, quand ils préparèrent leur voyage et dirent au revoir, et rompirent les liens difficiles avec la Terre pour toucher le visage du Créateur. ». Et surtout avec la sortie du scandale de l'IranGate (le gouvernement américain aurait vendu des armes à l'Iran pour financer le soutien aux contras au Nicaragua).

     
     


    Il quitta néanmoins la Maison-Blanche avec la réputation du guerrier vainqueur du communisme, après avoir négocié les premiers traités de désarmement nucléaire avec l'URSS. Dans sa retraite californienne, Ronald Reagan s'éclipsa sur la pointe des pieds avec cette sale maladie neurodégénérative pendant les dix dernières années de sa vie : « J’entame maintenant le voyage qui me mènera au crépuscule de ma vie. » avait-il simplement écrit aux Américains le 5 novembre 1994. Il reste très admiré des Américains. De nombreux sondages ont indiqué qu'il était considéré comme le meilleur Président des États-Unis depuis la guerre. Sa postérité est telle qu'on donna son nom à un aéroport national (celui de la capitale) en 1998 et à un porte-avions en 2001. On pourrait aussi donner son nom à cette nostalgie, celle des années 1980, celle des années fric, celle du débridage économique que la France n'a connu qu'à partir de la Présidence Macron.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (02 juin 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    America is back !
    Nancy Reagan.
    Le Biden de Reagan.
    Ronald Reagan.
    Triste Trump (hic) !
    Paul Auster.
    Standard & Poor's.
    Moody's et Fitch.
    Les 75 ans de l'OTAN.
    Lee Marvin.
    Les 20 ans de Facebook.
    Bernard Madoff.
    La crise financière mondiale de 2008.

    La boîte quantique.
    Maria Callas.
    Henry Kissinger.
    Alexander Haig.
    Katalin Kariko et Drew Weissman.
    Rosalynn Carter.
    Walter Mondale.
    Marathonman.
    Bob Kennedy.

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240605-reagan.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/une-nostalgie-nommee-ronald-reagan-254846

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/06/01/article-sr-20240605-reagan.html



     

  • Triste Trump (hic) !

    « Un esprit malicieux a défini l'Amérique comme un pays qui a passé de la barbarie à la décadence sans connaître la civilisation. On pourrait, avec plus de justesse, appliquer la formule aux villes du Nouveau Monde : elles vont de la fraîcheur à la décrépitude sans s'arrêter à l'ancienneté. » ("Tristes Tropiques", 1955).



     

     
     


    Pas très original (et assez répétitif de ma part) de parodier le titre du célèbre essai de l'ethnographe Claude Lévi-Strauss. Pourtant, il faudra bien des générations d'historiens pour comprendre ce qui se passe aujourd'hui aux États-Unis, où un ancien Président, regroupant tout ce que l'humain peut avoir de plus mauvais en sentiments, réflexions, idéologies (jusqu'à menacer ouvertement ses juges), se lisant presque physiquement sur son visage, est en passe de redevenir l'élu d'un peuple profondément divisé, du moins, le favori d'une élection très incertaine et certainement très serrée.

    Le 5 novembre 2024 auront lieu les élections présidentielles aux États-Unis. Fin mai 2024, mais en fait, depuis le début, les primaires chez les démocrates et chez les républicains n'entretenaient aucun suspense dramatique : l'actuel Président en exercice Joe Biden sera le candidat à sa réélection pour les démocrates, et l'ancien Président Donald Trump, par ailleurs milliardaire, sera le candidat de la revanche pour les républicains. Le choc des vieillards : 78 ans (dans deux semaines) vs 81 ans !

    Ce jeudi 30 mai 2024 a eu lieu un événement qui marquera l'histoire politique des États-Unis : Donald Trump a été jugé coupable à l'unanimité des douze jurés populaires de la cour criminelle de Manhattan, coupable de trente-quatre délits dont des falsifications de documents comptables. Le juge Juan Merchan, qui présidait le procès, doit fixer la peine de l'ancien Président le 11 juillet 2024. Quelle que soit la nature de la peine, même de la prison ferme, Donald Trump ne sera pas empêché d'être candidat aux élections présidentielles. Si c'est une première aux États-Unis, la France a déjà expérimenté deux anciens Présidents de la République jugés et condamnés, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy (et cela ne fait pas la fierté des Français).

    Trump risque-t-il la prison ? En théorie, chaque délit pourrait lui valoir au maximum quatre ans de prison, et comme aux États-Unis, on peut cumuler les années de prison, il pourrait être condamné au maximum à cent trente-six années de prison ! Il y a très peu de chance qu'il aille en prison avant les présidentielles, car il peut faire appel, mais surtout, il y a plein d'autres obstacles. Le premier, c'est qu'avec un casier judiciaire vierge et sans sang sur les mains, un justiciable ordinaire ne serait a priori pas condamné à de la prison ferme pour ces délits.

    En outre, en tant qu'ancien Président, il a droit (et c'est même une obligation) une garde rapprochée à vie pour le protéger, et il faudrait donc aménager un espace en prison pour que cette garde rapprochée puisse agir. Enfin, son incarcération pourrait mettre à mal le premier amendement de la Constitution, ce qui est le plus important aux yeux des Américains, à savoir la liberté d'expression : en enfermant un candidat aux présidentielles, d'autant plus qu'il est le favori, on l'empêcherait de faire campagne, et donc, de s'exprimer, ce qui contreviendrait à ce premier amendement.

    On ne sait plus trop ce qui est le plus grave, si c'est d'avoir eu une liaison avec une actrice du porno (Stormy Daniels), avoir tenté de l'acheter pour qu'elle se taise avant son élection en novembre 2016, avoir corrompu les élections de 2016, avoir falsifié ses comptes pour ne pas voir cette tentative ? À une époque pas si éloignée (il y a vingt-cinq ans), on avait beaucoup disserté sur les plateaux de télévision sur le mensonge sous serment de Bill Clinton. Mais face à Donald Trump, l'ancien Président démocrate ferait vraiment figure de petit joueur.

     
     


    Pour moi, le plus grave est ailleurs : que des hommes de pouvoir aient des failles et qu'elles soient mises à jour n'est pas très étonnant. En revanche, que l'un d'eux soit, en toute connaissance de cause, le favori des présidentielles, et cela de façon durable, pose vraiment question. Une grande partie du peuple américain, pas les intellos des quartiers chics à New York, mais les précaires, les travailleurs, ceux qui n'ont pas de retraite, etc. sont acquis à la cause trumpienne et quelles que soient les bêtises (pour ne pas écrire de gros mots) faites par Trump, ils lui garderaient leur soutien. Le pire, c'est que le démagogue populiste milliardaire les méprise et représente tout ce que ces personnes peu aisées devraient détester, en particulier l'arrogance de plus forts.

    C'est la confrontation de la réalité historique des États-Unis : c'est aussi un peuple de cow-boys qui règlent les problèmes par la violence, la frime, la force, les rapports de force, le bluff. Même l'âge ne devait pas favoriser Trump. C'est vrai, Joe Biden, octogénaire maintenant, est vieux, mais il tient encore la route ; jamais dans la définition de sa politique il n'a été mis en cause pour une incohérence, ou une inconséquence, au contraire d'un Trump qui, lors de son mandat de 2017-2021, faisait n'importe quoi d'imprévisible sur le plan intérieur et extérieur. Et du reste, Trump est aujourd'hui plus vieux que Biden il y a quatre ans, juste avant sa première élection, et apparemment, il est en nettement moins bon état de santé que Biden au même âge, il suffisait de voir comment il se comportait pendant son procès débuté le 15 avril 2024 à New York, incapable de suivre une réquisition jusqu'au bout (sa présence à son procès était obligatoire).

     
     


    La réaction de Donald Trump à sa condamnation multiple (je sais dire double pour deux, triple pour trois, mais je ne sais pas comment dire pour trente-quatre !) n'a bien sûr pas étonnée. Le lendemain dans une conférence de presse, le populiste hurlait au complot, à la politisation des juges, au procès truqué, et au vrai verdict qui tomberait le 5 novembre 2024 au soir... Être aussi hostile aux institutions (on l'a vu mettre de l'huile sur le feu dans l'invasion du Congrès en janvier 2021) et vouloir en être le magistrat suprême relève d'une schizophrénie... populaire !

    Avec un esprit de finesse aussi peu développé que Trump, le porte-parole de Vladimir Poutine lui a apporté un soutien moral dans ses déboires judiciaires, ce qui n'est pas très malin politiquement pour l'aider à convaincre les électeurs américains qu'il n'est pas le candidat de puissances étrangères. Il faut dire que lorsqu'il s'agit de déstabiliser un pays, les dirigeants russes n'ont jamais hésité à porter leurs gros sabots, ils ne font pas dans la dentelle. Beaucoup plus subtils, les dirigeants chinois préfèrent se taire et compter les points. Quant aux autres dirigeants du monde, le silence est d'or : charger Trump mettrait leur diplomatie en danger si jamais il revenait au pouvoir. La prudence s'impose donc.

    Plus c'est gros, plus ça passe. On retrouve cela aussi dans d'autres démocraties, comme en France où un parti ouvertement populiste (et d'essence d'extrême droite), qui n'a jamais caché ses sympathies pour Donald Trump, reste obstinément très largement en tête des sondages alors que son inconsistance, son incohérence, la vacuité de son bilan, ses contradictions, son électoralisme sont mis à jour depuis le début de la campagne des élections européennes. Mais à quoi rêve les peuples masochistes ? Plus au Père Noël mais au Père Fouettard ? Peut-être. On n'a que ce qu'on mérite.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (31 mai 2024)
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    Pour aller plus loin :
    Triste Trump (hic) !
    Paul Auster.
    Moody's et Fitch.
    Les 75 ans de l'OTAN.
    Lee Marvin.
    Les 20 ans de Facebook.
    Bernard Madoff.
    La crise financière mondiale de 2008.

    La boîte quantique.
    Maria Callas.
    Henry Kissinger.
    Alexander Haig.
    Katalin Kariko et Drew Weissman.
    Rosalynn Carter.
    Walter Mondale.
    Marathonman.
    Bob Kennedy.

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240530-trump.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/triste-trump-hic-254935

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  • Henri Nallet, l'agriculture et la justice au service ...du PS

    « Ses recherches l’ont amené à publier plusieurs études sur le syndicalisme, la politique agricole, le statut juridique du paysan, ou encore l’élevage et la production laitière. Cette connaissance du monde agricole l’a guidé dans ses premiers engagements politiques. » (Site du Ministère de l'Agriculture, mai 2024).


     

     
     


    L'ancien ministre socialiste Henri Nallet est mort ce mercredi 29 mai 2024 à l'âge de 85 ans (il est né le 6 janvier 1939 à Bergerac). Je l'avais rencontré le 25 juin 2014 à l'occasion d'un colloque à la Sorbonne sur Jean Jaurès, une réflexion proposée au centenaire de son assassinat. Henri Nallet était la "puissance invitante" en tant que président de la Fondation Jean-Jaurès (il l'a présidée de 2013 à 2022), une fondation en soutien intellectuel du PS fondée (et présidée) par Pierre Mauroy en 1992, et présidée depuis 2022 par l'ancien Premier Ministre socialiste Jean-Marc Ayrault (Henri Nallet en était devenu le président d'honneur).

    Dans ce colloque, il y avait du beau monde, je ne citerai pas tous les intervenants, mais parmi les plus réputés, il y avait Robert Badinter, Alain Juppé, Pierre Bergé (en tant que président des Amis de François Mitterrand, oui oui, ça existe encore), Alain Richard, Jean-Noël Jeanneney, Christiane Taubira, Claude Bartolone, Laurent Fabius, etc. C'est dans les activités d'une telle fondation de faire des retours sur le passé (colloques, séminaires, etc.), et aussi des propectives pour préparer l'avenir. Henri Nallet adorait faire de la recherche, car c'était son métier d'origine.

    J'ai toujours eu du mal en politique avec Henri Nallet, en ce sens que j'ai toujours eu du mal à le considérer comme un véritable homme politique et pourtant, il avait tout pour être considéré comme tel : des portefeuilles ministériels, un mandat parlementaire et même, une implantation locale qui l'a fait élire maire de Tonnerre, petite ville de l'Yonne à l'est d'Auxerre, de 1989 à 1998 (conseiller municipal de 1998 à 2001) ainsi que conseiller général de l'Yonne de 1988 à 2001.

    Sans doute parce qu'il a pris ses engagements politiques par la grande porte, un peu à l'instar de beaucoup de responsables politiques depuis 2017 : celle d'un grand ministère. En effet, après la démission surprise de Michel Rocard comme Ministre de l'Agriculture en avril 1985 pour protester contre l'instauration du scrutin proportionnel pour les législatives de 1986, cuisine électorale pour empêcher l'alliance UDF-RPR d'atteindre la majorité absolue et de favoriser l'élection de députés FN, François Mitterrand a nommé Henri Nallet à sa succession, du 4 avril 1985 au 20 mars 1986.

    À l'époque, il était inconnu du grand public et était considéré comme un technocrate... qu'il était. En effet, Henri Nallet, diplômé de l'IEP de Bordeaux (il est né en Dordogne), d'une licence de droit public et d'un DESS de sciences politiques à Paris (sur l'agriculture), est devenu avocat en 1968. Mais également chercheur de 1970 à 1981 à l'INRA (Institut national de la recherche agronomique) dont il est devenu un directeur de recherches. De 1965 à 1970, Henri Nallet fut aussi chargé de mission pour les affaires économiques auprès de Michel Debatisse, secrétaire général de la FNSEA, mais il démissionna sur un désaccord idéologique.

     

     
     


    Quand il était étudiant, il s'est parallèlement engagé à la JEC (Jeunesse étudiante chrétienne) dont il fut le secrétaire général en 1963 avant de démissionner en 1964 en raison d'un désaccord avec la tutelle catholique. C'est à cette occasion qu'il a rencontré le futur maire de Lille Pierre Mauroy, président du Conseil français des mouvements de jeunesse dont Henri Nallet fut l'un des vice-présidents jusqu'en 1965. Au début des années 1970, il a collaboré aussi au journal protestant "Réforme" où il a fait la connaissance de Pierre Joxe qui l'encouragea à intégrer l'équipe de campagne de François Mitterrand pour l'élection présidentielle de 1981, spécialisé dans les questions agricoles.

    La victoire des socialistes en 1981 l'a conduit à fréquenter les cabinets du pouvoir : d'abord celui de la toute nouvelle Ministre de l'Agriculture Édith Cresson, mais la réputation de brillant conseiller d'Henri Nallet l'a fait entrer quelques semaines plus tard à l'Élysée comme conseiller technique chargé des questions agricoles, des problèmes communautaires et de la pêche, complétées par les questions sur l'environnement un peu plus tard. Il était entre autres dans les réunions européennes aux côtés du ministre Roland Dumas pour préparer l'entrée de l'Espagne et du Portugal à la CEE.

     

     
     


    En avril 1985, c'était donc à la fois un homme très compétent techniquement sur les questions agricoles (et sur la pratique du pouvoir) et un engagé au sein du parti socialiste (de manière informelle, car il a pris sa première carte du PS seulement en 1987 !) qui a fait son entrée au Ministère de l'Agriculture. Mais comme il est passé par la grande porte sans toutes les étapes de l'élu local qui s'est fait un nom jusqu'à monter à Paris, il y a eu une sorte de procès en illégitimité politique qui lui a toujours collé à la peau, conforté par le fait qu'il n'avait pas d'ambition politique en tant que telle (il ne s'est jamais frotté aux batailles claniques au sein du parti socialiste). En tant que ministre, il apporta à Coluche à la fin de 1985 le soutien des autorités publiques à son excellente initiative des Restos du cœur.

    Pressentant la défaite du PS et leur retour dans l'opposition, les dirigeants du PS ont tenté de sauver les ministres sortants en les présentant en tête de listes aux élections législatives de mars 1986. N'ayant aucune implantation locale, Henri Nallet a été parachuté dans l'Yonne sur le conseil de son ami Pierre Joxe, régional de l'étape, alors qu'il avait d'abord songé à la Manche où sa belle-famille était installée. Henri Nallet fut élu député de l'Yonne en mars 1986, réélu au scrutin majoritaire en juin 1988, battu en mars 1993 et réélu en juin 1997.

    Après la réélection de François Mitterrand, Henri Nallet fut renommé Ministre de l'Agriculture et de la Forêt du 12 mai 1988 au 2 octobre 1990 dans le gouvernement de Michel Rocard. Son successeur et son prédécesseur exerçant durant le gouvernement de la cohabitation dirigé par Jacques Chirac fut le président de la FNSEA François Guillaume (91 ans). Son action au service de l'agriculture l'a amené à présider le Conseil mondial de l'alimentation ainsi que, plus tard, le Haut Conseil de la coopération agricole.

    Mais ce n'est pas dans le domaine agricole que l'action politique d'Henri Nallet resta la plus mémorable. En effet, lors d'un remaniement qui a évincé Pierre Arpaillange de la Place Vendôme, Henri Nallet fut bombardé Ministre de la Justice du 2 octobre 1990 au 2 avril 1992, dans le gouvernement de Michel Rocard et confirmé dans celui d'Édith Cresson qui le connaissait bien (du 2 octobre 1990 au 15 mai 1991, il avait auprès de lui un ministre délégué, l'avocat Georges Kiejman). Son successeur à l'Agriculture fut Louis Mermaz, et il fut évincé lui-même de la Place Vendôme lors de la formation du gouvernement de Pierre Bérégovoy, remplacé par l'ancien conseiller de François Mitterrand à l'Élysée Michel Vauzelle.

     

     
     


    Là encore, un ministre de l'agriculture qui devient ministre de la justice, cela a étonné beaucoup d'observateurs. Mais juriste (et même avocat), Henri Nallet avait bien sûr les qualités pour devenir garde des sceaux (et la politique veut que ministre, c'est une fonction politique et pas technique). Néanmoins, ce qui resta de lui fut le dessaisissement le 7 avril 1991 du juge Thierry Jean-Pierre qui a enquêté sur l'Affaire Urba, un scandale politico-financier impliquant de nombreux dirigeants socialistes. Thierry Jean-Pierre avait alors mené une perquisition au siège d'Urba-Gracco (une boîte à financements occultes des élus socialistes), ce qui avait provoqué la colère de François Mitterrand et sa tentative d'étouffement de l'affaire (le juge Renaud Van Ruymbeke a repris l'affaire, et l'a poursuivie en perquisitionnant au siège du PS !). Il faut aussi rappeler qu'Henri Nallet était le trésorier de la campagne présidentielle des socialistes de 1988 et à ce titre, connaissait sans doute les ressorts du financement du PS.

    Après son exclusion du gouvernement, Henri Nallet fut nommé conseiller d'État en décembre 1992, un statut qui lui assurait une bonne protection alimentaire. Il s'éloigna alors de la vie politique pour devenir expert auprès d'organisations internationales comme la Commission Européenne ou la BERD (Banque européenne pour la reconstruction et le développement présidée alors par Jacques Attali, l'ancien conseiller spécial de François Mitterrand à l'Élysée). Il a ensuite intégré l'équipe de campagne de Lionel Jospin pour l'élection présidentielle de 1995.

    Réélu député de l'Yonne en juin 1997, Henri Nallet a repris une activité politique nationale voire internationale en se faisant élire président de la délégation de l'Assemblée pour l'Union Européenne, fonction pour laquelle il a pondu de nombreux rapports. Il a aussi beaucoup travaillé à l'époque pour Dominique Strauss-Kahn (Finances) et Élisabeth Guigou (Justice). Henri Nallet fut également vice-président du Parti socialiste européen en 1998, tandis que Pierre Mauroy était le président de l'Internationale socialiste.

    Resté avocat, Henri Nallet a lâché ses mandats électifs au début des années 2000, et a présidé la Fondation Jean-Jaurès après la mort de Pierre Mauroy. Lorsque François Hollande a voulu l'élever le 14 juillet 2015 au grade de commandeur de la Légion d'honneur, une polémique s'est développée en raison du scandale du Mediator, car Henri Nallet était également rémunéré de 1997 à 2013 par le groupe Servier, notamment comme directeur général des affaires extérieures et de la communication. Il a en effet été accusé de trafic d'influence. Ce commandeur du Mérite agricole n'a, semble-t-il, jamais été inquiété par la justice. Et c'est peut-être justice (je ne connais pas son degré d'implication).

    Dans son hommage, son lointain successeur, l'actuel Ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire Marc Fresneau a déclaré : « J’avais eu la chance de pouvoir dîner avec lui au mois de janvier dernier et nous avions évoqué les sujets agricoles et politiques avec un grand esprit de liberté et d’ouverture. Je n’oublie pas combien il a œuvré pour l’agriculture, de l’enseignement agricole aux relations syndicales et pour favoriser le développement des appellations d’origine contrôlées. ». Tandis que Jean-Marc Ayraud, son successeur à la Fondation Jean-Jaurès, a rappelé ses contributions intellectuelles, en particulier sur le multilatéralisme (septembre 2004), sur l'Europe (septembre 2009), sur la gauche et la justice (février 2011), sur les relations entre François Mitterrand et Pierra Mauroy (juin 2016) ainsi que sur Michel Rocard (juillet 2017).



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (29 mai 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Jean Jaurès.
    Henri Nallet.
    Jacques Delors.
    Ségolène Royal.
    Najat Vallaud-Belkacem.
    Frédéric Mitterrand.
    Jean-Pierre Chevènement.
    Robert Badinter.
    Édith Cresson.
    Patrick Kanner.

    Olivier Dussopt.
    Louis Le Pensec.
    Gérard Collomb.
    Jérôme Cahuzac.
    Pierre Moscovici.
    Jacques Attali.
    Louis Mexandeau.
    Joseph Paul-Boncour.
    Bernard Cazeneuve.
    Charles Hernu.
    Pierre Mauroy.
    Roger-Gérard Schwartzenberg.
    Georges Kiejman.
    Roland Dumas.

    Jean Le Garrec.
    Laurence Rossignol.
    Olivier Véran.

    Sophie Binet.
    Hidalgo et les trottinettes de Paris.
    Hidalgo et les rats de Paris.
    Les congés menstruels au PS.
    Comment peut-on encore être socialiste au XXIsiècle ?
    Nuit d'épouvante au PS.
    Le laborieux destin d'Olivier Faure.

    PS : ça bouge encore !
    Éléphants vs Nupes, la confusion totale.
    Le leadershit du plus faure.
    L'élection du croque-mort.
    La mort du parti socialiste ?
    Le fiasco de la candidate socialiste.
    Le socialisme à Dunkerque.
    Le PS à la Cour des Comptes.

     
     




  • La mort d'Ebrahim Raïssi, le boucher de Téhéran, confirmée

    « Il sera difficile de trouver pire qu'Ebrahim Raïssi. » (Tamir Hayman, le 20 mai 2024, "Jerusalem Post").



     

     
     


    Il n'y a pas de justice dans l'histoire du monde et la succession plus ou moins chaotique des événements. Pour autant, la mort confirmée ce lundi 20 mai 2024 du Président de la République islamique d'Iran Ebrahim Raïssi (63 ans), considéré comme un ultra-dur du régime théocratique et surnommé le boucher de Téhéran, ne fera pas pleurer tous ceux qui, en Iran, ont été ses victimes depuis plus de trente-cinq ans.

    Donné comme le successeur potentiel de l'ayatollah Ali Khamenei (qui vient d'avoir 85 ans le 19 avril dernier), Guide Suprême de la Révolution islamique depuis le 4 mai 1989 (succédant à Rouhollah Khomeini) et à ce titre, le véritable maître de l'Iran, Ebrahim Raïssi, Président de la République depuis le 3 août 2021, avait été l'un des juges les plus cruels à partir de 1985 comme procureur adjoint de Téhéran, condamnant à mort à tour de bras les opposants au régime en 1988. Depuis son arrivée au pouvoir, le régime s'était durci, multipliant condamnations à mort et exécutions, renforçant la chasse aux femmes refusant de se voiler en intensifiant l'action de la police des mœurs, et menant aussi un programme d'enrichissement de l'uranium qui a de quoi inquiéter l'ensemble de la planète.

    L'annonce de la mort d'Ebrahim Raïssi s'est faite en deux temps. Le 19 mai 2024, on a annoncé la disparition de l'hélicoptère présidentiel en raison d'un « incident d'atterrissage brutal ». Les conditions météorologiques auraient empêché de localiser rapidement l'appareil (la zone est une forêt sous pluie et brouillard). Le 20 mai 2024, l'épave de l'hélicoptère a été identifiée et la mort d'Ebrahim Raïssi confirmée. Il était accompagné dans son infortune fatale de huit autres personnes dont Hossein Amir Adbollahian (60 ans), le Ministre iranien des Affaires étrangères, Malek Rahmati (42 ans), le nouveau gouverneur de la province de l'Azerbaïdjan oriental (en Iran), Mohammad Ali Ale-Hashem, le représentant du guide suprême dans cette province, ainsi que deux gardes du corps et trois membres d'équipages, qui, eux non plus, n'ont pas survécu à l'accident (certains corps, toutefois, brûlés, n'ont pas pu être identifiés).

     

     
     


    Ebrahim Raïssi venait de quitter son homologue Ilham Aliyev, Président de la République d'Azerbaïdjan depuis le 31 octobre 2003, rencontré le 19 mai 2024 à la frontière entre les deux pays, près de Djolfa. Peu avant, les deux chefs d'État avaient inauguré le nouveau barrage hydroélectrique de Qiz Qalasi, en Azerbaïdjan. L'hélicoptère présidentiel devait se rendre à Tabriz, la capitale de la province iranienne d'Azerbaïdjan oriental. Il se serait écrasé près de la mine de cuivre de Sungun ou dans la forêt de Dizmar, entre Ozi et Khoineroud.

    Alors que, dans la nuit du 19 au 20 mai 2024, le guide suprême a recommandé au peuple de prier pour la santé d'Ebrahim Raïssi, ce furent souvent, au contraire, des explosions de joie qui ont accueilli l'annonce de l'accident et de la mort probable de ce Président sanguinaire. En particulier, des feux d'artifice ont été lancés pour se réjouir de cette information à Saqqez, la ville de la jeune étudiante d'origine kurde Jina Mahsa Amini, tuée à près de 22 ans le 16 septembre 2022 par la police des mœurs alors qu'elle avait été arrêtée pour « port de vêtements inappropriés ». Le Président Emmanuel Macron a d'ailleurs rencontré Ebrahim Raïssi le 20 septembre 2022, en marge de l'Assemblée Générale de l'ONU, pour déplorer cette mort et évoquer le programme nucléaire iranien.

     

     
     


    Considéré comme le dauphin d'Ali Khamenei, Ebrahim Raïssi a été élu Président de la République islamique d'Iran le 18 juin 2021 pour succéder à Hassan Rohani, qui ne pouvait plus se représenter. Aucun candidat réformiste n'ayant été autorisé à se présenter (pour éviter l'échec de l'élection précédente), Ebrahim Raïssi, sans surprise, a été élu dès le premier tour avec 72,4% des voix, mais avec une très faible participation (seulement 48,8% des inscrits). Ebrahim Raïssi avait effectivement déjà présenté sa candidature à l'élection présidentielle du 19 mai 2017, mais il avait été battu avec 38,3% des voix dès le premier tour par le Président sortant Hassan Rohani 57,1% (avec 73,3% de participation).

    Lors de l'élection en 2021, Amnesty International avait réclamé une enquête sur Ebrahim Raïssi pour crimes contre l'humanité pour avoir pris part à l'exécution massive et à la disparition de plusieurs milliers d'opposants en 1988, parfois hors de toute procédure judiciaire.


    Soutien indéfectible de Vladimir Poutine dans sa tentative d'invasion contre l'Ukraine, Ebrahim Raïssi a attaqué directement l'État d'Israël par l'envoi de plus de 330 drones et missiles dans la nuit du 13 au 14 avril 2024, en riposte au bombardement du consulat iranien à Damas par Israël qui a tué le général iranien Mohammad Reza Zahedi, l'un des principaux organisateurs du massacre du 7 octobre 2023 par les terroristes du Hamas. Le Président iranien a également intensifié son soutien au Hamas, au Hezbollah au Liban ainsi qu'au mouvement Houthi au Yémen.

    Le Premier Vice-Président Mohammad Mokhber (68 ans) succède donc à Ebrahim Raïssi pour assurer l'intérim et organiser dans les cinquante jours une nouvelle élection présidentielle. Avec cette mort, les conservateurs sont en crise, et "The Economist" voit dans celle-ci l'occasion pour Ali Khamenei de désigner son propre fils Mojtaba Khamenei comme successeur. Le prochain guide suprême devrait être formellement désigné par les 88 membres de l'Assemblée des experts élus en mars 2024 (ou leurs successeurs).


    Le "Jerusalem Post" a cité, le 20 mai 2024, l'ancien chef du renseignement de Tsahal, Tamir Hayman, pour qui « il sera difficile de trouver pire qu'Ebrahim Raïssi » pour lui succéder. Sa mort n'est donc pas sans importance politique en Iran puisqu'il devait aussi succéder au guide suprême. C'est donc pour le peuple iranien un véritable soulagement et il n'a pas hésité à exprimer sa joie. Les bourreaux n'ont jamais bonne presse... même à titre posthume.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (20 mai 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Ebrahim Raïssi.
    Khosro Besharat.
    Mobilisons-nous pour Toomaj Salehi !
    Fatwa de mort contre Salman Rushdie.
    Alireza Akbari.
    Mehran Karimi Nasseri.
    Claude Malhuret contre la mollarchie.
    Mahsa Amini, les femmes iraniennes, leur liberté et Claude Malhuret.
    Révolution : du rêve républicain à l’enfer théocratique de Bani Sadr.
    L'Iran de Bani Sadr.
    De quoi fouetter un Shah (18 février 2009).
    N’oubliez pas le Guide (20 février 2009).
    Incompréhensions américaines (1) et (2).
    Émission de France 3 "L’Iran et l’Occident" (17-18 février 2009).
    Session de septembre 2006 à l’ONU : Bush, Ahmadinejad, Chirac.
    Dennis Ross et les Iraniens.
    Un émissaire français à Téhéran.
    Gérard Araud.
    Stanislas de Laboulaye.
    Des opposants exécutés par pendaison en Iran.
    Expulsion de Vakili Rad, assassin de Chapour Bakhtiar, dernier Premier Ministre du Shah d'Iran, par Brice Hortefeux à la suite du retour de l'étudiante Clotilde Reiss.
    Mort de l'ancien Premier Ministre iranien Mohammad Reza Mahdavi-Kani à 83 ans le 21 octobre 2014.

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240520-ebrahim-raissi.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/la-mort-d-ebrahim-raissi-le-254757

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/05/20/article-sr-20240520-ebrahim-raissi.html



     

  • Kohsro Besharat pendu pour corruption sur terre ce mercredi 15 mai 2024

    « Il est (…) temps pour les États de lancer des procédures pénales, en vertu du principe de compétence universelle, à l’encontre de toutes les personnes soupçonnées de responsabilité pénale pour des crimes relevant du droit international, même s’il s’agit de hauts responsables iraniens. » (Diana Eltahawy, le 24 janvier 2024).



     

     
     


    Ce matin, je me suis réveillé avec la nausée. J'ai appris que Khosro Besharat (39 ans) venait d'être exécuté par pendaison ce mercredi 15 mai 2024 dans la prison de Ghezel Hesar à Karadj, dans la province d'Alborz, en Iran. De quoi avoir envie de vomir toute la journée. Je n'ai pas entendu ceux qui, à l'indignation facile, occupaient l'IEP de Paris pour s'indigner de ce qui se passe à Gaza en fermant systématiquement les yeux sur ce qui se passe dans les régimes islamiques, en particulier en Iran, pays qui condamne à mort et exécute à tour de bras, le champion du monde de l'exécution, avec au moins 853 exécutions en 2023.

    La mère de cette énième victime des mollahs, Khadijeh Azar-Pouya avait adressé une lettre au rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l'homme en République islamique d'Iran, Javaid Rehman, en février 2020 pour lui demander de prendre des mesures juridiques afin d'arrêter et révoquer l'ordre d'exécution de son fils. Elle a accusé le Ministère iranien du Renseignement d'avoir orchestré un complot à Mahabad et Orumiyeh pour condamner son fils et les six autres co-accusés : « Mon fils n'avait que 24 ans quand il a été arrêté (…). Il a passé la fleur de sa jeunesse en détention sans avoir commis aucun crime. Je suis complètement brisée et vieillie, et les mots rire et joie n'ont plus de sens pour moi. (…) Ce qui est (…) douloureux et frustrant, c'est qu'après plus de dix ans d'attente pour l'acquittement et la libération de mon fils, uniquement en raison de l'absence de toute preuve ou fondement pour prouver sa culpabilité, la 41e chambre de la Cour suprême a malheureusement confirmé la condamnation à mort (…). Comment est-il possible que [cette chambre] de la Cour suprême puisse annuler la première condamnation à mort (…) sur la base de preuves et d'aveux insuffisants, mais que la deuxième fois, sans aucun changement dans l'affaire, elle confirme ce verdict ? ».

    Khosro Besharat était un Kurde sunnite et il ne faisait pas bon de vivre au pays des mollahs (chiites). Il avait 24 ans quand il a été arrêté en janvier 2010 à Mahabad, dans la province de l'Azerbaïdjan occidental, comme prisonnier politique de la minorité kurde.

    Dans une lettre écrite en 2021, Khosro Besharat a raconté son calvaire pendant sa détention (citée par le site Kurdistan Human Rights Network) : « C’était en janvier 2010 lorsque j’ai été arrêté par les forces de renseignement à Mahabad et immédiatement transféré au Ministère du Renseignement à Orumiyeh. Ils m’ont soumis à diverses formes de torture pendant un mois complet en cellule d'isolement. Souvent, de minuit au matin, des bruits terrifiants, des cris et des hurlements de quelqu’un en train d’être torturé remplissaient l’air, instillant la peur et le tremblement dans tout mon corps. Je n’ai pas pu dormir jusqu’au matin à cause de la peur, et cela m’a beaucoup affligé et torturé mentalement. Ils m’attaquaient souvent les mains par derrière, me faisant gémir de douleur. Plusieurs fois, ils m’ont suspendu au plafond pendant des heures avec des menottes, et à d’autres moments, ils m’ont retenu sur un lit, frappant violemment la plante de mes pieds avec des câbles électriques, faisant presque sortir mon cerveau de ma bouche, et mon mes yeux se détachaient de leurs orbites, tandis que mon cœur avait l’impression qu’il était sur le point d’éclater. (…) Ces tortures ont continué pendant trois semaines, après quoi ils ont menacé d’arrêter les membres de ma famille. Durant ces tortures et menaces, l’interrogateur a noté les charges retenues contre moi et, dans cet état, j’ai été obligé de signer et de laisser mes empreintes digitales sur le même papier. À ce moment-là, j’avais l’impression de ne pas exister dans ce monde et je ne savais pas que je signais. ».
     

     
     


    En mars 2016, un procès bâclé et très inéquitable l'a condamné, ainsi que six autres co-accusés, pour « action contre la sécurité nationale », « propagande contre le régime », « appartenance à des groupes salafistes » et « propagation de corruption sur terre ». Khosro Besharat et ses tristes compagnons d'infortune n'avaient pas pu se défendre de ces accusations fallacieuses. Jugés par la 28e chambre du célèbre et cruel tribunal révolutionnaire islamique de Téhéran, présidée par le juge Moghiseh, les prévenus ont été informés le 25 mai 2016 de leur condamnation à mort.

    Après un recours, l'affaire a été renvoyée devant la 41e chambre de la Cour suprême présidée par le juge Razini qui a annulé le verdict en 2017 et a renvoyé l'affaire à la 15e chambre du tribunal révolutionnaire islamique de Téhéran, présidée par le juge Abolghasem Salavati. Cette dernière a confirmé les sept condamnations à mort en juin 2018. Après un nouveau recours devant la 41e chambre de la Cour suprême, cette dernière a validé le verdict le 3 février 2020 sous la pression du Ministère du Renseignement. En septembre 2020, la 38e chambre de la Cour suprême a rejeté un nouveau recours pour obtenir un nouveau procès.

    Par ailleurs, Khosro Besharat et ses autres compagnons d'infortune ont été condamnés le 30 juin 2018 à dix ans de prison par la 12e chambre de la cour d'appel d'Orumiyeh, accusés dans une autre affaire d'un « implication dans un meurtre » par une collision avec une automobile (qu'ils ont nié farouchement ; on notera cependant qu'en Iran, il est moins dangereux d'être l'auteur d'un meurtre que d'une "corruption sur terre").

    Au contraire d'un semblant de procédure (avec appel, recours, etc.), ces procès étaient truqués, les juges ont abouti à leur verdict en quelques minutes seulement sur la seule base des aveux exprimés sous la torture.

    Khosro Besharat a été mis en isolement dans sa prison le 1er mai 2024, juste après l'exécution d'un de ses co-accusés, Anvar Khezri. Cela pressentait hélas une exécution imminente. Anvar Khezri avait lui-même été mis à l'isolement la veille de son exécution, le 30 avril 2024 et sa famille n'a pas été avertie pour un ultime adieu. Khosro Besharat, lui, a quand même pu revoir sa famille le 5 mai 2024, seulement vingt minutes, pour lui dire adieu. Quatre autres co-accusés ont été exécutés avant eux : Ghasem Abasteh le 5 novembre 2023 (torturé peu avant son exécution), Ayoub Karimi le 29 novembre 2023, Davoud Abdollahi le 2 janvier 2024 et Farhad Salimi le 23 janvier 2024.

     
     


    Le 24 janvier 2024, à la suite de cette troisième exécution, la directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Amnesty International Diana Eltahawy, avait vivement réagi : « L’exécution arbitraire de Farhad Salimi met en évidence une tendance alarmante des autorités iraniennes à recourir de manière disproportionnée à la peine de mort contre des membres de minorités ethniques opprimées d’Iran. L’exécution arbitraire de Mohammad Ghobadlou a sidéré ses proches et son avocat, qui attendaient qu’il soit rejugé, sans savoir que les autorités judiciaires au plus haut niveau contournaient secrètement les procédures et bafouaient de manière flagrante les principes fondamentaux de l’humanité et de l'État de droit. ». Mohammad Ghobadlou avait été exécuté le même jour que Farhard Salimi, et était un manifestant de 23 ans souffrant d'un handicap mental accusé d'avoir renversé un fonctionnaire pendant une manifestation (son procès avait pourtant été annulé le 25 juillet 2023 mais le nouveau procès n'a jamais eu lieu).

    Et Diana Eltahawy de poursuivre : « L’implacable frénésie meurtrière des autorités iraniennes à la suite du soulèvement ”Femme. Vie. Liberté“, qui a conduit à l’exécution arbitraire de centaines de personnes à l’issue de procès manifestement inéquitables au cours de l’année écoulée, souligne la nécessité de renouveler et d’étendre respectivement les mandats du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Iran et de la mission d’établissement des faits des Nations Unies, lors de la prochaine session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Il est également temps pour les États de lancer des procédures pénales, en vertu du principe de compétence universelle, à l’encontre de toutes les personnes soupçonnées de responsabilité pénale pour des crimes relevant du droit international, même s’il s’agit de hauts responsables iraniens. ».

    À la mort de leur co-accusés, en janvier 2024, Anvar Khezri, Khosro Besharat et Kamran Sheikheh avaient observé une grève de la faim pour protester contre leur procès inique. Sans effet sur les autorités iraniennes, froides et cyniques.


    Le septième co-accusé de cette imposture de procès est Kamran Sheikheh, lui aussi sous isolement depuis quinze jours, et tout indique qu'il sera hélas très prochainement exécuté. Honte à ce régime assassin, alors que dans les années 1970, l'Iran était un pays moderne avec les femmes capables de faire autant que les hommes, sans soumission de genre. Depuis 1979, la potence est devenue le seul outil pour se faire respecter. Que les victimes de ce régime abominable reposent en paix. Et que les tortionnaires s'inquiètent à jamais.


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    Sylvain Rakotoarison (15 mai 2024)
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    Pour aller plus loin :
    Khosro Besharat.
    Mobilisons-nous pour Toomaj Salehi !
    Fatwa de mort contre Salman Rushdie.
    Alireza Akbari.
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    Masha Amini, les femmes iraniennes, leur liberté et Claude Malhuret.
    Révolution : du rêve républicain à l’enfer théocratique de Bani Sadr.
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    N’oubliez pas le Guide (20 février 2009).
    Incompréhensions américaines (1) et (2).
    Émission de France 3 "L’Iran et l’Occident" (17-18 février 2009).
    Session de septembre 2006 à l’ONU : Bush, Ahmadinejad, Chirac.
    Dennis Ross et les Iraniens.
    Un émissaire français à Téhéran.
    Gérard Araud.
    Stanislas de Laboulaye.
    Des opposants exécutés par pendaison en Iran.
    Expulsion de Vakili Rad, assassin de Chapour Bakhtiar, dernier Premier Ministre du Shah d'Iran, par Brice Hortefeux à la suite du retour de l'étudiante Clotilde Reiss.
    Mort de l'ancien Premier Ministre iranien Mohammad Reza Mahdavi-Kani à 83 ans le 21 octobre 2014.
     

     
     





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    https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/kohsro-besharat-pendu-pour-254693

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  • Renaud Van Ruymbeke et la fin de l'impunité du monde politique

    « La France perd un grand magistrat et la Justice un immense serviteur. » (Éric Dupond-Moretti, le 10 mai 2024 sur Twitter).



     

     
     


    Le Ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti a annoncé ce vendredi 10 mai 2024 la mort du juge Renaud Van Ruymbeke à l'âge de 71 ans des suites d'une sale maladie. Il devait participer à un colloque le 28 mai 2024 à Tréguier (en Bretagne) pour une table ronde le matin sur les nouvelles pratiques de la justice pénale. Né d'une famille d'énarques le 19 août 1952 à Neuilly-sur-Seine, Renaud Van Ruymbeke a été l'un des premiers juges emblématiques de la lutte contre la corruption dans le monde politique.

    Il a commencé sa carrière comme juge d'instruction à Caen en 1977, puis il fut substitut au procureur de la République de Caen en 1983 (à la section financière) et retrouva ses fonctions de juge d'instruction en 1985. Nommé à la cour d'appel de Rennes en décembre 1988, il a rejoint le pôle financier du tribunal de grande instance de Paris en avril 2000.

     

     
     


    Paradoxalement, ce furent ceux qui voulaient l'éloigner de sa fonction de juge d'instruction qui l'ont maintenu dans cette fonction plus longtemps que prévu. En effet, en 2004-2005, il avait prévu de rejoindre la coup d'appel de Paris en 2006, un poste se libérant. Mais dans la très troublante affaire Clearstream, dans une affaire dans l'affaire, en raison d'un comportement imprudent (il s'est fait instrumentaliser et a entendu un témoin en dehors des procédures), il a été lui-même mis en cause le 12 mai 2006 par le Ministre de la Justice Pascal Clément et est passé devant le conseil de discipline du Conseil Supérieur de la Magistrature. Pendant ce temps, il est resté dans ses fonctions et s'est occupé d'autres affaires politico-financières. Blanchi le 3 octobre 2012 par la Ministre de la Justice Christiane Taubira qui a demandé de renoncer à toute fonction (on lui a reproché un manque de rigueur, de prudence, de loyauté et de discrétion), il a été nommé premier vice-président chargé de l'instruction du tribunal de grande instance de Paris en 2013, poursuivant ainsi quelques affaires politiques. Il a pris sa retraite en 2019.

    Renaud Van Ruymbeke a démarré sa carrière avec l'affaire Robert Boulin (la manière de l'avoir menée lui a été reprochée puisqu'elle finit par le supposé suicide de Robert Boulin). Mais il s'est fait vraiment connaître avec les socialistes au pouvoir. Malgré sa sensibilité de gauche, Renaud Van Ruymbeke a en effet mis à jour l'affaire Urba qui a impliqué des responsables du PS à une époque où aucune loi n'existait sur le financement de la vie politique. Tout un système de financement illégal de la vie politique a été démantelé, ce qui a abouti à la condamnation du trésorier du PS de l'époque, Henri Emmanuelli.

    Sa détermination et surtout sa conscience professionnelle ont été les deux éléments majeurs qui ont permis de mener à bien l'instruction de nombreuses affaires financières impliquant des responsables politiques (de tout bord). Son indépendance et son incorruptibilité ont été très largement confirmées tout au long de sa carrière.

     

     
     


    Ainsi, Renaud Van Ruymbeke a eu l'occasion d'instruire de nombreuses affaires très médiatisées dans les années 1990, 2000, 2010, en particulier : l'affaire Urba en 1992 après le juge Thierry Jean-Pierre (il a procédé à une perquisition au siège de PS, une première pour un parti politique, d'autant plus qu'il était au pouvoir), le financement du Parti républicain en 1994 (qui a provoqué la démission du ministre Gérard Longuet), le meurtre de Caroline Dickinson en 1997, l'affaire Elf en 2001 (avec Eva Joly, future candidate écologiste, et Laurence Vichnievsky, cette dernière devenue députée MoDem), l'affaire Jérôme Kerviel en 2008, l'affaire Karachi en 2010, l'affaire Bernard Madoff en 2009, l'affaire Cahuzac en 2013, l'affaire Balkany, l'affaire Richard Ferrand en 2017, etc.

    Avec lui, le monde politique pouvait trembler car l'État de droit prévalait sur le cynisme politique. Par son action et son modèle, il a permis un véritable assainissement de la vie politique où les responsables politiques sont devenus des justiciables comme les autres (au point que deux anciens Présidents de la République allaient être condamnés pour des affaires politico-financières).

     

     
     


    Avec sa retraite, Renaud Van Ruymbeke a gagné sa liberté de parler et il a sorti deux livres, ses mémoires de juge d'instruction, puis un livre de lutte contre la corruption en réclamant la fin des paradis fiscaux, des comptes offshore etc.

    Au-delà de son activité éditoriale, l'ancien juge a participé à de nombreuses conférences pour expliquer les enjeux de la lutte contre la corruption, et il estimait qu'au-delà des procédures et du droit, il regardait aussi l'aspect moral qui se réduit à : y a-t-il eu enrichissement personnel des personnes impliquées ? Car il faisait la différence entre un élu corrompu qui s'est enrichi en gagnant des commissions sur des marché public attribué à des amis (dans tous les cas, il considérait qu'il fallait qu'il soit jugé publiquement et refusait le principe des transactions permises aux États-Unis) et un élu qui a fait du favoritisme pour favoriser les entreprises locales sur des grands groupes nationaux ou internationaux, sans enrichissement personnel. Les condamnations de personnes morales (entreprises) à des amendes très élevées pouvaient aussi sanctionner les salariés qui n'étaient pourtant pas les responsables d'une éventuelle malversation.

    Renaud Van Ruymbeke avait d'autant plus de mérite de faire correctement son métier que, malgré sa notoriété, il a toujours refusé de s'engager politiquement, ce qu'ont pourtant fait de nombreux juges (en particulier Thierry Jean-Pierre, Eva Joly, Laurence Vichnievsky, Éric Halphen, Georges Fenech, Jean-Paul Garraud, Didier Motchane, Pierre Arpaillange, Adeline Hazan, Jean Tiberi, etc. ...et bien sûr Rachida Dati, Simone Veil et Jean-Louis Debré).

    Dans ses mémoires, il définissait son métier ainsi : « Instruire, c’est d’abord écouter et dialoguer ; ce n’est pas juger, mais chercher, formuler des hypothèses tout en se méfiant de ses intuitions, remettre en question, comprendre et, enfin, démontrer et expliquer. Le dialogue est essentiel. ». C'est pour cela qu'il était très remonté contre Nicolas Sarkozy qui voulait supprimer les juges d'instruction en 2008 pour établir un système à l'anglo-saxonne : « Éliminer le juge d'instruction sans accorder l'indépendance au parquet permet au pouvoir de reprendre la main sur les enquêtes sensibles. C'est une régression de l'indépendance de la justice et des libertés. ».



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (10 mai 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Renaud Van Ruymbeke.
    Affaire François Fillon.
    Affaire Mathilde Panot.
    Affaire Simone Weber.
    La nuit d'Émile Soleil.
    Jean-Michel Lambert.
    Nordahl Lelandais, sa paternité et l'hybristophilie.
    L’autojustification de la nouvelle prison de Nancy.
    Émotion nationale pour Alexandra Sonac et sa fille Camille.
    Violences urbaines : à quoi s'attendre pour la fête nationale ?
    Soutien total à Vincent Jeanbrun, maire de L'Haÿ-les-Roses.
    Nahel n'était pas un ange : et alors ?
    La société de vigilance et le faux Xavier Dupont de Ligonnès.
    Agression à Bordeaux : attention, un train de violence peut en cacher un autre...
    Violence contre une prof et vidéo dans les réseaux sociaux.
    Alisha, victime d’un engrenage infernal.
    À propos de la tragique disparition de Karine Esquivillon...
    La Méditerranée, mère de désolation et cimetière de nos valeurs ?
    Émotion, compassion et soutien aux victimes du criminel d'Annecy.
    La sécurité des personnes face aux dangers.
    Meurtre de Lola.
    7 pistes de réflexion sur la peine de mort.
    Alexandra Richard, coupable ou victime ?
    Jacqueline Sauvage.
    Éric de Montgolfier.








    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240510-renaud-van-ruymbeke.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/renaud-van-ruymbeke-et-la-fin-de-l-254606

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  • François Fillon définitivement condamné

    « (…) Par ces motifs (…), la Cour, sur le pourvoi formé par M. I, le rejette ; sur les pourvois formés par M. et Mme N, casse et annule l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 9 mai 2022, mais en ses seules dispositions relatives aux peines prononcées (…). » (Arrêt de la Cour de Cassation du 24 avril 2024).



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    C'est toujours étrange de s'apercevoir que la conclusion d'une affaire politico-judiciaire qui a hanté toute la campagne présidentielle de 2017, matin midi et soir, est si peu médiatisée sept ans plus tard, quand plus aucun enjeu électoral n'est en cours. Par son arrêt n°22-83.466 FS-B N°00382 MAS2, la Cour de Cassation a en effet confirmé le mercredi 24 avril 2024 la décision de la cour d'appel de Paris du 9 mai 2022 sur la culpabilité de François Fillon, de son épouse et de son suppléant, dans son affaire mettant en cause l'emploi de collaboratrice parlementaire de son épouse, en particulier sa condamnation pour détournement de fonds publics et complicité. Par conséquent, la condamnation de François Fillon est définitive.

    Rappelons que la chambre 2-12 de la cour d'appel de Paris a condamné le 9 mai 2022 : François Fillon « pour détournement de fonds publics et complicité, complicité d’abus de biens sociaux, recels, à quatre ans d’emprisonnement dont trois ans avec sursis, 375 000 euros d’amende et dix ans d’inéligibilité » ; son suppléant « pour détournement de fonds publics à trois ans d’emprisonnement avec sursis et cinq ans d’inéligibilité » ; et son épouse « pour complicité de détournements de fonds publics, complicité d’abus de biens sociaux, recels, à deux ans d’emprisonnement avec sursis, 375 000 euros d’amende et deux ans d’inéligibilité ».

    Avant de poursuivre sur le plan juridique (et judiciaire), je me permets un petit commentaire politique. En tant qu'électeur de François Fillon au premier tour de l'élection présidentielle de 2017, j'ai trouvé assez peu sain dans une démocratie que la justice soit allée aussi rapidement dans la mise en examen d'un grand candidat à l'élection présidentielle (initialement le favori, même), après seulement quelques scoops dans la presse à sensation. On pourra me répondre aujourd'hui que la justice avait raison puisque la condamnation est désormais définitive.


    Je respecte bien entendu la justice de mon pays, mais je reste toujours dubitatif sur une possible politisation de la justice (dont je n'accuse absolument pas le principal bénéficiaire, à savoir Emmanuel Macron qui a profité surtout d'un contexte très favorable à plusieurs titres). Au cours de mon engagement politique qui remonte à il y a plus de trente ans, j'ai eu l'occasion de voir des "pratiques", aujourd'hui révolues, qui étaient bien plus scandaleuses que ce qui a condamné François Fillon. L'un des défauts structurels pendant longtemps a été que le parlementaire était le propre employeur de ses collaborateurs. En d'autres termes, le parlementaire recevait l'argent d'une enveloppe globale concernant le salaire de ses collaborateurs... et il en faisait ce qu'il voulait. Heureusement, cela a évolué et cela passe maintenant par une structure tiers, son assemblée d'origine. Le parlementaire doit agir dans la plus grande liberté et sans pression, mais cela n'empêche pas qu'il doit rester honnête (c'est d'ailleurs le minimum qu'on peut demander à celui qui fait la loi, celui de l'appliquer).

    La justice n'a pas condamné François Fillon d'avoir recruté son épouse comme collaboratrice parlementaire car ce n'était pas interdit à l'époque (maintenant, si), mais parce que ladite collaboratrice n'aurait rien fait malgré sa rémunération. Comme elle a travaillé jusqu'en 2013, il est toujours difficile de montrer qu'elle a travaillé ou même qu'elle n'a pas travaillé. Beaucoup de documents peuvent avoir été jetés,. perdus, détruits. Et les oublis arriver.


    L'autre côté malsain, c'est la volonté de la justice de vouloir savoir et même juger de la manière de travailler des parlementaires. Or, la démocratie impose la séparation des pouvoirs et les parlementaires, dont la légitimité (au contraire des juges) est absolue puisqu'elle vient du peuple, n'a ni leçon à prendre ni compte à rendre à la justice sur sa manière de travailler qui doit d'ailleurs rester parfois confidentielle. Il en est de même pour des ministres sur la gestion de la crise du covid-19 : la justice n'a pas à se substituer au peuple ou aux parlementaires dans l'appréciation de la politique menée par un gouvernement.

    Ces considérations politiques étant écrites, j'en reviens aux considérations juridiques, car un arrêt de la Cour de Cassation, c'est d'abord la procédure et pas le fond (même si cela peut l'être parfois). Car dans son malheur, François Fillon peut quand même avoir une petite satisfaction.


    En effet, si la décision de la cour d'appel sur la culpabilité de François Fillon, de son épouse et de son suppléant (qui, lorsque François Fillon était ministre ou Premier Ministre, avait continué à rémunérer Pénélope Fillon comme collaboratrice parlementaire) a été validée, ce qui rend cette reconnaissance de culpabilité définitive (on va dire quasiment définitive, car il y a encore un recours auprès de la Cour européenne des droits de l'homme, ce qui serait étonnant car certains élus du même parti voulaient que la France se désengage de la CEDH), la Cour de Cassation a néanmoins cassé la décision de la cour d'appel concernant les peines prononcées à l'égard de François Fillon et les dommages et intérêts à verser. En revanche, les peines prononcées à l'égard de l'épouse et du suppléant ont été validées et sont donc définitives (car aucun des deux n'a été condamné à une peine de prison ferme).

    Maître Éric Landot, avocat brillant qui tient de manière très assidue un blog très instructif, a ainsi fait une petite note de synthèse au lendemain de la décision de la Cour de Cassation. On y apprend ainsi quelques éléments intéressants du droit et de la politique.

    Par exemple, les élus n'ont pas le droit, depuis longtemps, de recruter un membre de leur famille au titre d'un emploi public : c'est « une prise illégale d'intérêts au pénal et une illégalité en droit administratif ». C'est l'article 432-12 du code pénal qui régit cette infraction. Même un lien d'amitié établi suffit à constituer la prise illégale d'intérêts. Le blog propose plusieurs affaires dont le cas d'un élu qui a recruté sa sœur comme directrice générale des services (DGS), numéro une de l'administration de la collectivité locale en question (arrêt du 4 mars 2020).

    En revanche, les parlementaires, avec leurs collaborateurs parlementaires, ne sont pas dans la même situation que les élus d'une collectivité avec leur administration. C'est pour cela que les poursuites n'ont pas été fondées sur la prise illégale d'intérêts mais sur le détournement de fonds publics, l'abus de biens sociaux et leurs recels. Comme je l'ai écrit plus haut, on n'a donc pas reproché Pénélope Fillon d'être l'épouse du député qui l'a recrutée mais de n'avoir rien fait en tant que collaboratrice parlementaire.

    Maître Éric Landot insiste sur la validation de la cour d'appel par la Cour de Cassation : « Elle juge notamment que le principe de séparation des pouvoirs n’interdit pas au juge judiciaire de vérifier qu’un contrat de travail conclu entre un parlementaire et un de ses collaborateurs a réellement été exécuté, dès lors qu’il s’agit d’un contrat de droit privé. Le député, son épouse et le suppléant sont donc définitivement déclarés coupables, notamment de "détournements de fonds publics par personne chargée de mission de service public" et complicité de cette infraction. ».

    En revanche, François Fillon repassera devant un tribunal (sa condamnation sera rejugée par la cour d'appel), non pas pour être jugé sur sa culpabilité (elle est définitivement établie) mais pour redéfinir sa peine. En effet, il a été condamné le 9 mai 2022 à quatre d'emprisonnement dont trois avec sursis, donc à un an de prison ferme.

    Le blog du juriste explique simplement la raison de cette invalidation partielle : « Cette cour n’avait pas pris soin de justifier des raisons pour lesquelles elle avait prononcé une peine partiellement ferme (même si une peine d’un an ne conduit en pratique qu’au bracelet électronique), alors que c’est obligatoire de le faire (en se fondant sur la gravité de l’infraction, la personnalité de son auteur et l’existence ou non de sanction alternative adéquate). Or, en condamnant le député, le juge d’appel n’a pas expliqué en quoi une autre sanction que la peine d’emprisonnement sans sursis aurait été manifestement inadéquate. D’où une censure de la Cour de Cassation. ».

    Le montant des dommages et intérêts que François Fillon et son épouse devront verser à l'Assemblée Nationale sera également rejugé par la cour d'appel. L'explication d'Éric Landot : « La Cour de Cassation casse la décision de la cour d’appel en ce qu’elle condamne le député et son épouse à rembourser à l’Assemblée Nationale l’intégralité des salaires versés. En effet, les juges ont constaté que si les rémunérations versées étaient manifestement disproportionnées au regard du travail fourni, elles n’étaient pas dénuées de toute contrepartie. ».

    Concrètement, une peine de prison ferme ne se justifie pas pour François Fillon. Ce nouveau procès un peu particulier pourra-t-il redorer son honneur ? Certainement pas, car la reconnaissance de sa culpabilité est définitive. Il a été piégé par une trop grande confiance en lui. Et surtout une arrogance politique pour écraser ses deux adversaires de son parti, Nicolas Sarkozy et Alain Juppé. Des trois, c'est celui qui a le mieux réussi à tourner la page de la vie politique pour aller quérir d'autres fortunes dans d'autres contrées. C'est peut-être cela le plus tragique pour lui : que sa condamnation définitive n'a même pas fait les grands titres des journaux. Lui qui était promis à devenir Président de la République.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (25 avril 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    François Fillon définitivement condamné.
    Rapport de la commission d'enquête n°1311 de l'Assemblée Nationale relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères (enregistré le 1er juin 2023).
    François Fillon, vendeur de rillettes sur la place Rouge !
    Et voici que François Fillon revient...
    A-t-on volé l’élection de François Fillon ?
    François Fillon, victime de la morale ?
    Une affaire Fillon avant l’heure.
    François Fillon, artisan de la victoire du Président Macron.
    Matignon en mai et juin 2017.
    François Fillon et son courage.
    Premier tour de l'élection présidentielle du 23 avril 2017.
    Macron ou Fillon pour redresser la France ?
    François Fillon, le seul candidat de l’alternance et du redressement.
    Programme 2017 de François Fillon (à télécharger).
    L’autorité et la liberté.
    Un Président exemplaire, c’est…
    Interview de François Fillon dans le journal "Le Figaro" le 20 avril 2017 (texte intégral).
    Interview de François Fillon dans le journal "Le Parisien" le 19 avril 2017 (texte intégral).
    Discours de François Fillon le 15 avril 2017 au Puy-en-Velay (texte intégral).
    Discours de François Fillon le 14 avril 2017 à Montpellier (texte intégral).
    Discours de François Fillon le 13 avril 2017 à Toulouse (texte intégral).
    Tribune de François Fillon le 13 avril 2017 dans "Les Échos" (texte intégral).
    Discours de François Fillon le 12 avril 2017 à Lyon (texte intégral).


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    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240424-fillon.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/francois-fillon-definitivement-254349

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/27/article-sr-20240424-fillon.html




  • Euthanasie : Robert Badinter, Ana Estrada et l'exemple péruvien ?

    « Il viendra un moment où je ne pourrai plus écrire ni m'exprimer. Mon corps est défaillant, mais mon esprit est heureux. Je veux que les derniers instants de ma vie soient comme ça. » (Ana Estrada).




     
     


    Depuis quelques semaines, Élisabeth Badinter est invitée dans les médias, parce qu'elle vient de sortir un nouveau livre, le premier depuis la mort de son mari Robert Badinter. L'une de ses premières prestations a eu lieu sur France 5 le vendredi 26 avril 2024. Entre autres nombreux sujets, elle est revenue sur la pensée de Robert Badinter sur l'euthanasie. Certains, dont moi, voyaient dans la position de l'ancien garde des sceaux une appréciation hostile à l'euthanasie.

    C'est toujours difficile et malsain de faire parler les morts, dans un sens comme dans un autre, et une déclaration ouvertement publique avant de mourir aurait permis d'éviter tout malentendu. Élisabeth Badinter, elle, est certaine de la position de son mari concernant le projet Vautrin d'aide à mourir : il la voterait si l'occasion lui en était donnée.

    Les mots de la sociologue sont précisément les suivants : « Oui, je pense qu'il est effectivement important de savoir quel était son point de vue en septembre 2023. Il est vrai qu'en 2008, il a été interrogé dans une commission importante où il a dit ses réticences à propos de l'euthanasie. Et on a retenu ça, et par conséquent, il fallait faire très attention. Il n'a jamais dit : je suis hostile, quoi qu'il arrive. Il a dit : ça n'est pas des précautions religieuses ; ce n'est pas non plus, comment dirais-je, des précautions d'aucune sorte. C'est que l'euthanasie est un mot qui signifie quelque chose. D'ailleurs, on a enlevé le terme euthanasie dans le plan. Voilà. Et 2023, mais avant 2023 aussi, il a eu un entretien très long avec le député actuel qui va soutenir la loi. Lequel a affirmé, moi je n'étais pas présente à ce moment-là, lequel a affirmé que sa position était celle-là, qu'il voterait la loi. Et puis, donc quelques mois avant sa mort, comme l'a dit la ministre, étaient interrogés tous les deux. Donc, je suis le témoin direct, comme madame la ministre, on était quatre dans la pièce, et il a dit son point de vue, et il a dit : je voterais la loi si l'occasion m'était donnée. ».


    Je ne doute pas de sa sincérité, mais j'ai quand même un doute car, en très bon juriste, Robert Badinter était guidé par des logiques inflexibles qu'il me paraît peu fluctuantes. En effet, le 16 septembre 2008, lors de son audition parlementaire sur l'évaluation de la loi Leonetti, Robert Badinter avait trouvé cette loi satisfaisante, car elle gardait un équilibre entre deux interdits, celui de tuer et celui de laisser souffrir. Mais surtout, il rappelait : « Le droit à la vie est le premier des droits de l'homme. », considéré comme « le fondement contemporain de l'abolition de la peine de mort » et que le remettre en cause en permettant de faire mourir laisserait une porte ouverte qui pourrait être très inquiétante dans le droit français (même s'il y a déjà le droit à l'IVG). Son principe juridique : « Personne ne peut disposer de la vie d'autrui. (…) Je ne conçois pas qu'un comité, aussi honorable soit-il, puisse délivrer une autorisation de tuer. ».

    Robert Badinter s'estimait avant tout juriste et il réagissait comme juriste. Son point de vue n'était pas d'interdire l'euthanasie, d'autant plus qu'elle est déjà pratiquée de manière plus ou moins avouable. Mais il ne voulait pas la légaliser dans les textes. Il préférait que ce soit la justice et pas la loi qui puisse régenter cette pratique. Pour lui, c'est la justice qui doit dire si une euthanasie pratiquée est un meurtre ou un apaisement. L'intérêt que ce soient les juges qui se penchent spécifiquement sur un cas donné, dans une hypothèse de contestation (de la famille, d'un établissement, etc.), c'est qu'ils n'étudient que ce cas-là et n'ont pas la prétention de régir pour tous les cas, comme le fait la loi. Ainsi, l'infirmière malhonnête coureuse d'héritage qui "aide à mourir" ses futures victimes serait toujours poursuivie, alors que la maman aimante d'un fils en fin de vie qui la supplie de l'aider à mourir serait jugée de manière adéquate et indulgente (ce qui a été le cas en France, notamment pour l'affaire Vincent Humbert).


    Au-delà de l'euthanasie, c'était une conception du rôle de la justice qu'avait Robert Badinter, par ailleurs ancien Président du Conseil Constitutionnel : le droit pénal n'a « pas seulement une fonction répressive mais aussi une fonction expressive », à savoir qu'il traduit « les valeurs d'une société ». Pour lui, au lieu de légiférer, la justice pourrait se prononcer pour dire s'il y a abus ou pas dans l'accompagnement d'une fin de vie.

    Je ne suis pas dans le secret des dieux et aujourd'hui, le dieu en question a rendu l'âme, et donc, on ne peut plus rien dire de ce qui n'a pas été dit publiquement, mais je doute fort que Robert Badinter, qui avait émis cet avis effectivement il y a une quinzaine d'années, ait pu autant changer d'avis en cours de route car cela concernait des principes très importants, voire fondateurs, de ce à quoi il croyait. Mais son épouse, surtout si elle en a été témoin, est évidemment plus habilitée que moi pour dire s'il a changé ou évolué dans sa conception. Je suis cependant étonné de ce témoignage car le texte de loi n'a été véritablement défini qu'en mars 2024, après sa disparition, donc, s'il a dit qu'il voterait la loi si l'occasion lui en était donnée, de quel texte de loi s'agissait-il ?

    Je laisse en suspension cette réflexion et elle importe finalement peu (au contraire de ce que pense Élisabeth Badinter que j'apprécie beaucoup par ailleurs pour son combat contre l'islamisme), faire parler les morts n'a pas d'intérêt et me paraît malsain. Je resterai donc sur le fait que j'approuve à 100% la réflexion du Robert Badinter du 16 septembre 2008, qu'il soit le même ou pas de celui de 2023 ou de 2024. Oui, pour des cas particuliers très exceptionnels, la possibilité d'une euthanasie (je mets dans ce mot qui a été évité dans le texte mais qui est bien elle, à la fois l'euthanasie et le suicide assisté, qui sont, en eux-mêmes très différents mais qui restent dans la même finalité : abréger la vie parce que la fin de vie est douloureuse, et si ce n'est pas le patient qui l'abrège lui-même, un tiers parce qu'il n'en est plus capable, mais dans tous les cas, le patient a besoin d'une aide, principalement médicale)... pour des cas particuliers, la possibilité d'une euthanasie doit rester nécessaire. Elle est déjà pratiquée, et même en présence de prêtres. Mais il ne faudrait surtout pas la mettre dans la loi, car c'est ouvrir une boîte de Pandore qui sans cesse assouplirait les conditions initialement très strictes d'application de l'euthanasie (cf la Belgique).
     

     
     


    Toute cette longue introduction à propos de la pensée de Robert Badinter m'a paru utile pour évoquer la mort d'une citoyenne du Pérou, Ana Estrada, le 21 avril 2024 à Lima, selon son avocate Josefina Miro Quesada dans une communication sur Twitter le 23 avril 2024 : « Ana a remercié toutes les personnes qui l'ont aidée à donner une voix, qui l'ont accompagnée dans ce combat et qui ont soutenu sa décision sans condition et avec amour. ».

    Qui était Ana Estrada ? Elle était une psychologue péruvienne de 47 ans (née le 20 novembre 1976 à Lima). En 1989, les médecins lui ont diagnostiqué une polymyosite (sorte de myopathie dégénérative), une maladie rare et incurable qui provoque une inflammation des muscles et entraîne des difficultés respiratoires. Dès 1996, elle devait se déplacer en fauteuil roulant. Elle a réussi toutefois à faire des études de psychologie à l'Université pontificale catholique du Pérou.


    Malheureusement, sa maladie a beaucoup évolué (perte des muscles) et en 2015, après une forte aggravation de sa maladie, elle est restée près d'un an en soins intensifs pour soigner une pneumonie. On lui a ouvert la trachée pour pouvoir respirer à l'aide d'un ventilateur, et relié le ventre à une sonde pour pouvoir être alimentée (double intubation). Elle restait très peu souvent hors du lit dans la journée. Sa maladie l'a rendue dépressive. Sur son blog, elle a décrit : « C’est comme être prisonnière dans mon propre corps, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. ».

    En 2019, Ana Estrada a commencé une activité militante en faveur de l'euthanasie et du suicide assisté. Après une pétition pour que l'État lui donne le droit d'avoir une "mort assistée", elle a ouvert un blog pour une "mort digne". Pays catholique, le Pérou interdit l'euthanasie considérée comme un "meurtre par compassion" selon l'article 112 du code pénal péruvien, passible d'une peine de trois ans de prison. En Amérique latine, la Colombie, l'Équateur et Cuba autorisent l'euthanasie sous conditions. En particulier en Colombie, l'euthanasie est dépénalisée depuis 1997 et a fait l'objet d'une réglementation ministérielle en 2015, sans faire l'objet d'une loi particulière.

    En déposant un recours auprès des administrations de son pays et après un "tour judiciaire", Ana Estrada a obtenu de la justice (la onzième cour constitutionnelle de la cour supérieure de justice de Lima) le 22 février 2021 le droit d'être assistée dans sa mort en considérant que l'article 112 du code pénal n'était pas applicable dans cette situation particulière. Le 14 juillet 2022, la Cour suprême de la nation latino-américaine, la plus haute juridiction du Pérou, a confirmé la décision judiciaire lui accordant une exemption d'euthanasie. Plus précisément, la Cour suprême dit ainsi que le médecin qui fournirait, "le moment venu", le médicament destiné à mettre fin à la vie d'Ana Estrada serait exempté de toute sanction pénale. Pour beaucoup de juristes, cette décision est un événement historique.

    Lors des audiences de février 2021, Ana Estrada a déclaré aux juges, selon "Le Monde" du 30 août 2022 : « Je ne demande pas à ce qu’on me laisse mourir, je demande un droit à choisir quand je ne voudrai plus vivre. De décider quand et comment mettre fin à mes douleurs, quand la maladie aura avancé à un point insoutenable. J’ai besoin de savoir que je dispose de cet outil, de cette possibilité, et que personne ne sera poursuivi ou condamné pour m’avoir aidée. ».

    Dans les débats au sein de la Cour constitutionnelle (qui a pris sa décision par 4 voix pour et 2 voix contre), il était à un moment question d'obliger la visite régulière d'un représentant d'une organisation religieuse auprès d'Ana Estrada, mais cette mesure a été finalement abandonnée. Deux ans plus tard, avec une maladie qui a encore beaucoup avancé, Ana Estrada a utilisé cette ultime disposition juridique, totalement spéciale, pour être aidée à tirer sa révérence, accompagnée de sa famille.

    Cet aspect juridique est important. Alors que le Pérou n'a même pas une loi comme en France qui permet la sédation profonde et continue (loi Claeys-Leonetti), il a permis cet acte d'euthanasie sans changer la loi, par l'intervention du juge qui est le seul apte à apprécier avec justesse la réalité de la situation et la justification d'une aide à mourir. Ainsi, l'aide à mourir n'est pas un droit mais une exception juridique permise par un juge.

    Cette décision du 14 juillet 2022 fera certainement jurisprudence dans les années à venir au Pérou, alors que les députés péruviens, majoritairement conservateurs, n'ont aucune envie de légiférer sur le sujet. L'avocate d'Ana Estrada commentait ainsi : « Quand la politique ne s’empare pas de ces thèmes, cela finit par être la justice, les tribunaux, qui comblent ce vide. ». Et finalement, cette voie est très pertinente, car la fin d'une vie est un événement singulier et il est difficile d'y appliquer une règle générale ne prenant forcément pas en compte toutes les situations, puisque chaque vie et donc chaque mort est différente.


    L'exemple péruvien (j'écris bien "exemple péruvien" et pas "modèle péruvien" car il n'y a jamais de modèle pour mourir) devrait inspirer le législateur français aujourd'hui alors que le projet de loi sur la fin de vie est en cours d'examen à l'Assemblée Nationale. À mon sens, cet exemple applique clairement et pleinement la conception de Robert Badinter de la justice, qui n'est pas que répression, mais aussi expression des attentes de la société, mais sous le contrôle des juges (qui sont bien plus indiqués que sous le contrôle des médecins qui ne sont pas impartiaux dans la relation entre la société et les patients).

    Les activistes d'une loi sur l'euthanasie seraient opposées à laisser le juge décider car ils veulent obtenir un droit à l'euthanasie. Or, l'adoption d'une loi sur un tel droit à l'euthanasie ferait de notre nation une toute autre société, où la norme évoluerait naturellement vers une sorte d'eugénisme où les inutiles seraient invités, très "librement", à laisser la place aux autres. Dans un État déjà particulièrement endetté et déficitaire, les économies financières d'une réduction de vie des personnes en fin de vie seraient énormes.

    Depuis cinquante ans, des alertes sont faites comme le film "Soleil vert", pour mettre en garde contre une telle société. Ce n'est pas la société à laquelle je crois. Ma société, c'est celle dont l'État vient au secours des plus fragiles, pas en les éliminant physiquement purement et simplement, mais en les soutenant dans leur infortune, en investissement massivement dans les soins palliatifs. S'il y a une telle demande d'euthanasie provenant d'ailleurs principalement de personnes bien-portantes, c'est surtout que nous sommes très en retard avec les soins palliatifs et que la situation de certains départements est une véritable honte et un véritable scandale. Éliminer le mal, c'est proposer des traitements pour réduire la douleur, ce n'est pas tuer la personne elle-même. Méfions-nous du doigt dans l'engrenage d'une logique eugéniste : elle sera irréversible. Car implacable.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (27 avril 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Euthanasie : Robert Badinter, Ana Estrada et l'exemple péruvien ?
    Euthanasie 2024 (2) : le projet Vautrin adopté au conseil des ministres du 10 avril 2024.
    Euthanasie 2024 (1) : l'agenda désolant du Président Macron.
    Robert Badinter sur l'euthanasie.
    Le pape François sur l'euthanasie.
    Fin de vie 2023 (4) : la mystification d'un supposé "modèle français" de la fin de vie.
    Discours du Président Emmanuel Macron recevant la Convention citoyenne sur la fin de vie le 3 avril 2023 à l'Élysée (texte intégral).
    Communiqué de l'Ordre des médecins sur la fin de vie publié le 1er avril 2023 (texte intégral).
    Avis n°139 du CCNE sur les questions éthiques relatives aux situations de fin de vie publié le 13 septembre 2022 (à télécharger).
    Rapport n°1021 de la mission d'évaluation de la loi Claeys-Leonetti publié par l'Assemblée Nationale le 29 mars 2023 (à télécharger).
    Rapport de la Convention citoyenne sur la fin de vie publié le 2 avril 2023 (à télécharger).
    Fin de vie 2023 (3) : conclusions sans surprise de la Convention citoyenne.
    Fin de vie 2023 (2) : méthodologie douteuse.
    Fin de vie 2023 (1) : attention danger !
    Le drame de la famille Adams.
    Prémonitions (Solace).
    Vincent Lambert.
    Axel Kahn : chronique d’une mort annoncée.
    Euthanasie : soigner ou achever ?
    Le réveil de conscience est possible !
    Soins palliatifs.
    Le congé de proche aidant.
    Stephen Hawking et la dépendance.
    La dignité et le handicap.
    Euthanasie ou sédation ?
    La leçon du procès Bonnemaison.
    Les sondages sur la fin de vie.
    Les expériences de l’étranger.
    La politisation du CCNE (16 décembre 2013).
    Tribune de Michel Houellebecq dans "Le Figaro" du 5 avril 2021.
    Tribune de Michel Houellebecq dans "Le Monde" du 12 juillet 2019.
    Les nouvelles directives anticipées depuis le 6 août 2016.
    Réglementation sur la procédure collégiale (décret n°2016-1066 du 3 août 2016).
    La loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016.
    La loi Leonetti du 22 avril 2005.


     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240421-ana-estrada.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/euthanasie-robert-badinter-ana-254302

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/23/article-sr-20240421-ana-estrada.html




     

  • Mobilisons-nous pour soutenir Toomaj Salehi !

    « La vraie mort, c'est se résigner au désespoir. Si nous sommes désespérés, nous ne bougeons plus, nous devenons passifs. Nous allons alors rater toutes les occasions que nous avons, qu'elles soient grandes ou petites. Nous les transformons en zéros, comme si, avec nos propres mains, nous abattons notre victoire. C'est pour ça qu'ils coupent l'Internet. C'est pour ça que des journalistes, des reporters, des blogueurs, des artistes et des athlètes sont arrêtés, pour qu'on ne sache pas ce qui se passe autour de nous. S'il y a un jour le silence autour de nous, qu'on pense que le silence s'est imposé partout, que tout le monde a abandonné, qu'on pense que c'est fini, qu'on a perdu, qu'on accepte la défaite, ils vont faire de leur mieux pour nous imposer la défaite. » (Toomaj Salehi, 2024).



     

     
     


    Le rappeur iranien Toomaj Salehi vient d'être condamné à mort le mercredi 24 avril 2024 par la tribunal révolutionnaire d'Ispahan. Il risque l'exécution par pendaison parce qu'il a été déclaré coupable d'incitation à la sédition, de rassemblement, de conspiration, de propagande contre le système, d'appel aux émeutes, de corruption sur terre, de guerre contre Dieu. Il avait été auparavant plusieurs fois condamné à des peines de prison.

    À 33 ans, Toomaj Salehi est un chanteur populaire très connu en Iran, notamment parmi la jeunesse. Il chante depuis 2016 sur les problèmes des jeunes et des femmes (aussi des animaux) dans la société iranienne et a participé aux mobilisations contre le régime islamique. Il a été arrêté le 12 septembre 2021 puis relâché le 21 septembre 2021. Il s'est engagé dans la contestation de la république islamique après l'assassinat de Masha Amini (le 16 septembre 2022), arrêtée par la police des mœurs pour ne pas avoir porté le voile. Il est devenu une figure populaire et courageuse de la contestation iranienne. Il a alors été arrêté de nouveau le 30 octobre 2022, a subi des tortures, a été incarcéré en isolement pendant près d'un an, puis a été relâché le 19 novembre 2023. Mais il a été encore arrêté le 30 novembre 2023 après avoir publié des chansons qui dénonçaient les tortures dont il a été victime.

    Et aussi après avoir témoigné dans les réseaux sociaux la vérité : « J'ai été beaucoup torturé lors de mon arrestation. Ils m'ont cassé les bras et les jambes. Ils frappaient beaucoup mon visage et ma tête. Je tentais d'éviter les coups avec les mains. Ils m'ont cassé les doigts. Ce n'est pas très racontable. Ça a duré très longtemps. Un détenu politique m'a dit : ce qu'ils t'ont injecté dans le cou, c'était probablement de l'adrénaline pour que tu ne t'évanouisse pas, pour que tu sois éveillé pendant la torture et que tu sentes la douleur jusqu'à son apogée. J'ai porté plainte pour les tortures. L'une des raisons de ma plainte est de prouver la véracité de mon récit, qu'ils ne disent pas que je mente. Car si je mens, ils pourraient me poursuivre à nouveau pour diffamation. J'ai fait ça aussi pour d'autres raisons. J'ai aussi porté plainte contre leurs médias pour diffamation. Ils ont dit : Toomaj était condamné à mort, son verdict a été cassé parce qu'il a coopéré efficacement. Pourquoi condamnation à mort ? Qu'ai-je fait pour être condamné à mort ? (…) Nous ne nous sommes mis en face de personne. Qui a torturé des gens ? (…) Ils n'auraient jamais dû m'arrêter. Ils n'avaient pas le droit de m'arrêter. Au lieu de ça, ils m'ont mis en cellule d'isolement pendant neuf mois me faire subir la torture. » (novembre 2023). Sa condamnation à mort a pour objectif de faire régner le silence sur les exactions du régime théocratique et donner une nouvel exemple pour dissuader de faire dissidence.

     

     
     


    Selon Amnesty International dans un communiqué du 4 avril 2024, il y a eu 853 exécutions en 2023, en nette augmentation (chiffre le plus élevé depuis huit ans, +48% par rapport à 2022 et +171% par rapport à 2021), et déjà 95 exécutions du 1er janvier 2024 au 20 mars 2024 : « L’année dernière a également été marquée par une vague d’exécutions visant des manifestants, des utilisateurs de médias sociaux et d’autres opposants réels ou supposés pour des actes protégés par le droit international relatif aux droits humains, qui ont donné lieu à des inculpations pour "insulte au prophète" et "apostasie", ainsi qu’à de vagues accusations d’ "inimitié à l’égard de Dieu" (moharebeh) et/ou de "corruption sur terre" (efsad-e fel arz). ».

    Le régime iranien se croit en position de force après son agression militaire contre Israël (en lançant 300 missiles et drones contre l'État d'Israël) sans qu'il n'y ait eu de grandes conséquences en riposte. Le régime islamique en a profité pour accroître la répression, renforcer la police des mœurs qui devait pourtant être dissoute après l'assassinat de Masha Amini. Cette condamnation à mort, alors que le rappeur n'est coupable que de s'être exprimé et de protester contre la torture du régime, montre une nouvelle fois la volonté des mollahs de dissuader toute nouvelle tentative d'opposition et de soulèvement.

    Ce qui est révoltant, c'est que cette condamnation à mort ne semble pas émouvoir les professionnels de l'indignation dans nos contrées. Je repense alors aux propos du sénateur Claude Malhuret le 5 octobre 2022 après l'assassinat de Masha Amini : « Depuis le début de la révolte en Iran, et jusqu'à la manifestation de dimanche dernier à Paris, ces professionnels de l'indignation, ceux qui battent le pavé chaque semaine pour crier que la police tue ou dénoncer le racisme systémique en France, avaient disparu. Où étaient-ils lors des deux premiers rassemblements en soutien des femmes iraniennes ? En week-end sans doute, comme lors des manifestations pour l'Ukraine ! Leurs comptes Twitter, qui dénoncent chaque jour le patriarcat et l'islamophobie, sont devenus muets : pas un mot de soutien, pas un appel contre la mollarchie et sa police des mœurs ! Pendant qu'à Téhéran, les femmes meurent sous les coups et les balles, ils préfèrent dénoncer le virilisme du barbecue, faire l'éloge d'un gifleur ou juger les harceleurs dans des "comités de transparence", qui sont l'oxymore le plus grotesque inventé depuis la dictature du prolétariat. ».

    Et en effet, on s'étonne qu'il n'y ait pas beaucoup de mobilisation pour soutenir Toomaj Salehi. Les ayatollahs iraniens profitent de notre indifférence pour renforcer leur dictature des mœurs. Plus nous sommes indifférents, plus ils iront dans la répression contre le peuple iranien et sa jeunesse. Toomaj Salehi s'est engagé auprès du mouvement "Femme, Vie, Liberté" (le nom du soulèvement entre septembre et décembre 2022 pour réagir après l'assassinat de Masha Amini) où il défendait la condition des femmes, des jeunes et même des animaux. Il en est devenu le porte-voix parce qu'il a un écho important auprès des jeunes.


    Le jeudi 25 avril 2024, le Parlement Européen a voté la résolution C9-0235/2024 condamnant le régime iranien par 357 voix pour, 20 voix contre et 58 abstentions. Parmi les députés européens français, 3 députées européennes FI (dont Leïla Chaibi et Manon Aubry), 7 députés européens EELV (dont Marie Toussaint et David Cormand), 1 députée européenne LR (Nadine Morano) et 1 député européen RN (Jérôme Rivière) n'ont pas voulu voter cette résolution qui, entre autres, « condamne avec la plus grande fermeté l'attaque de drones et de missiles sans précédent perpétrée par l'Iran contre Israël dans la nuit du 13 au 14 avril 2024, ainsi que la grave escalade et la menace que cela représente pour la sécurité régionale », qui « se félicite de la décision de l'Union [Européenne] d'étendre et d'élargir le régime de sanction actuel, mis en place en juillet 2023, notamment en sanctionnant la production par l'Iran de drones et de missiles », et qui « exprime son soutien et sa solidarité sans réserve à l'égard de la société civile et des forces démocratiques en Iran ».
     

     
     


    Pendant que beaucoup de populistes en France, prompts à s'indigner sur la situation à Gaza, refusent de condamner l'Iran dans son attaque contre Israël voire soutiennent l'Iran et même le Hamas au nom de leur combat contre les "valeurs occidentales" (qui sont démocratie, laïcité, liberté, égalité, fraternité, diversité, État de droit, protection des minorités, etc., rappelons-le !), l'Iran condamne à mort un de ses enfants pour simplement son engagement dans ses chansons. Comme l'expliquait cette internaute sur Twitter avec une certaine colère : « L’Iran. Ce pays merveilleux où le Prix Nobel de la Paix est en prison. Où un artiste résistant attend d’être pendu. Ça devrait inspirer nos belles âmes défilantes et pétitionnaires. Mais non. Comme les dames patronnesses d’autrefois avaient "leurs pauvres", elles ont "leurs causes". ».

    Beaucoup de monde dans les réseaux sociaux a dénoncé cette indifférence dans les milieux artistiques (comme Sophie Aram) et certains ont même fustigé la soirée de remise de récompenses des rappeurs, le Flammes Awards 2024 qui s'est tenu au Théâtre du Châtelet à Paris le 25 avril 2024, car aucun artiste dans la salle n'a évoqué ni soutenu Tommaj Salehi, pas un mot, rien, la lâcheté et la honte.

     

     
     


    En revanche, l'ancien ministre de la culture, et actuel président de l'Institut du monde arabe Jack Lang a apporté rapidement un vif soutien au rappeur dès le 24 avril 2024 : « Ne laissons pas la république islamique le tuer ! ».

    Il faut se mobiliser, plus grande sera la mobilisation internationale, plus fortes seront les pressions sur le régime des mollahs. Un grand rassemblement à Paris, place de la Bastille, aura lieu ce dimanche 28 avril 2024 à 15 heures pour soutenir ce gardien courageux de la liberté. D'autres rassemblements ont lieu dans d'autres villes et pays du monde, en particulier à Los Angeles (au Federal Building) à la même date et même heure, et à Grenoble (place Félix-Poulat) le samedi 27 avril 2024 à 15 heures. Soutenons Toomaj Salehi, son courage, sa persévérance, sa détermination.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (25 avril 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Mobilisons-nous pour Toomaj Salehi !
    Fatwa de mort contre Salman Rushdie.
    Alireza Akbari.
    Mehran Karimi Nasseri.
    Claude Malhuret contre la mollarchie.
    Masha Amini, les femmes iraniennes, leur liberté et Claude Malhuret.
    Révolution : du rêve républicain à l’enfer théocratique de Bani Sadr.
    L'Iran de Bani Sadr.
    De quoi fouetter un Shah (18 février 2009).
    N’oubliez pas le Guide (20 février 2009).
    Incompréhensions américaines (1) et (2).
    Émission de France 3 "L’Iran et l’Occident" (17-18 février 2009).
    Session de septembre 2006 à l’ONU : Bush, Ahmadinejad, Chirac.
    Dennis Ross et les Iraniens.
    Un émissaire français à Téhéran.
    Gérard Araud.
    Stanislas de Laboulaye.
    Des opposants exécutés par pendaison en Iran.
    Expulsion de Vakili Rad, assassin de Chapour Bakhtiar, dernier Premier Ministre du Shah d'Iran, par Brice Hortefeux à la suite du retour de l'étudiante Clotilde Reiss.
    Mort de l'ancien Premier Ministre iranien Mohammad Reza Mahdavi-Kani à 83 ans le 21 octobre 2014.

     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240424-toomaj-salehi.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/mobilisons-nous-pour-soutenir-254348

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/26/article-sr-20240424-toomaj-salehi.html


     

  • Mathilde Panot : les énièmes outrances populistes de la hurleuse professionnelle

    « La loi n’a pas changé, c'est toujours la même : nous avons la liberté de nous exprimer. Il y a juste quelques limites : l’incitation à la haine et l’apologie du terrorisme. » (Caroline Fourest, le 23 avril 2024 sur LCI).



     

     
     


    La présidente du groupe FI à l'Assemblée Nationale, Mathilde Panot, a été convoquée ce mardi 23 avril 2024 par la police judiciaire de Paris pour s'expliquer sur des propos qu'elle aurait tenus et qui pourraient être jugés comme une apologie du terrorisme. On ne savait pas quels étaient les propos incriminés mais on imaginait bien qu'il s'agissait de sa réaction aux massacres commis par les terroristes du Hamas en Israël le 7 octobre 2023.

    Loin de se faire discrète en attendant d'être entendue par la police, Mathilde Panot est sortie avec ses gros sabots et y a vu un complot contre la liberté d'expression. Elle a publié un communiqué incendiaire contre l'État, aussi insignifiant qu'il est excessif. L'esprit complotiste est bien là puisqu'elle a rassemblé un certain nombre de faits, dont l'interdiction d'une conférence par un président d'université (à Lille) de Jean-Luc Mélenchon, qu'elle a laissé entendre comme provenant d'une même origine alors que la députée, qui sait ce qu'est le fonctionnement des institutions, sait très bien que les décisions provenaient d'autorités très différentes (qui toutes ont considéré que les propos qu'ont tenu les dirigeants de FI sont à la limite de l'illégalité et dans tous les cas, c'est factuel, susceptibles d'être fauteurs de troubles).

    Dans son communiqué, Mathilde Panot a expliqué notamment : « C'est la première fois dans l'histoire de la Cinquième République qu'une présidente d'un groupe d'opposition à l'Assemblée Nationale est convoquée pour un motif aussi grave sur la base d'accusations fallacieuses. ». Je ne sais pas si c'est vrai (la violence verbale a toujours existé au Parlement et à l'époque de l'OAS et du FLN, les débats étaient particulièrement durs), mais même si c'était vrai, il faudrait aussi s'interroger soi-même, Madame Panot : à ma connaissance, jusqu'à maintenant, je n'ai jamais connu un président de groupe d'opposition à l'Assemblée Nationale depuis le début de la Cinquième République à être aussi peu respectueux des usages, à hurler autant dans l'enceinte du Parlement, à dériver autant vers le populisme avec autant de violence verbale.

    Mais ce qui m'a le plus choqué, dans ce communiqué, c'est cette petite phrase idiote, très politicienne mais très grave car elle renforce le sentiment d'antiparlementarisme : « Le régime macroniste aura transgressé toutes les limites imaginables. ». Tout, dans cette phrase, transpire le populisme et le mensonge le plus puant.

     

     
     


    D'abord, parler de « régime » macroniste n'a de sens que si on veut le comparer à une dictature, ce qui n'est pas le cas : Emmanuel Macron a été élu Président de la République par 66% des Français en 2017 et par 59% des Français en 2022. C'est important de le rappeler, d'autant plus que c'est historique puisqu'il est le seul chef de l'État après De Gaulle à avoir été réélu sans une période de cohabitation qui ont redonné une virginité politique à François Mitterrand en 1988 et Jacques Chirac en 2002. Nous sommes en démocratie et la présence d'Emmanuel Macron à l'Élysée vient donc uniquement de la volonté populaire (j'insiste sur ce point-là). La République, c'est plus Emmanuel Macron que Jean-Luc Mélenchon, n'en déplaise aux insoumis.

    Ensuite, le verbe au futur antérieur, comme si le second quinquennat était déjà terminé (alors qu'il reste encore trois ans !). Le verbe "transgresser" n'a aucun sens ici puisque la procédure judiciaire est très classique et procède de l'État de droit. Enfin, plus généralement, cette phrase laisse croire que c'est Emmanuel Macron qui a demandé à la police de la convoquer pour l'empêcher de parler. D'une part, plus elle parle, plus elle se discrédite, donc ses adversaires se frottent plutôt les mains ; d'autre part, le Président de la République est garant de l'indépendance de la justice et c'est la justice qui a agi ici, et si Mathilde Panot conteste qu'il y a indépendance, qu'elle apporte les preuves que le Président de la République serait intervenu dans cette affaire. Comme elle connaît très bien le fonctionnement des institutions, Mathilde Panot veut tromper sciemment ceux qui la liraient ou l'écouteraient dans un but purement démagogique.


    C'est la raison pour laquelle j'étais très content que l'essayiste Caroline Fourest, invitée de David Pujadas sur LCI le 23 avril 2024, ait relevé l'arnaque populiste de cette phrase. Une véritable escroquerie intellectuelle. Elle s'est juste interrogée : « La question est de savoir si les personnes qui sont aujourd'hui convoquées et qui vont devoir s'expliquer devant la justice, ont tenu des propos qui tombent sous le coup de la loi, point. ».

    La phrase du communiqué de Mathilde Panot (sur le "régime macroniste") a fait réagir Caroline Fourest ainsi : « C'est un raccourci qui est indigne, pour le coup, d'une parlementaire. C'est du populisme, une fois de plus, c'est mensonger. ».

    La question de la liberté d'expression n'est pas en cause ici, c'est avant tout une question de respect de la loi et de respect des institutions dont il s'agit : « On verra. Peut-être que la justice va décider à la fin que [ces propos] relèvent de la liberté d'expression. ». Mais : « Il faut garder à l'esprit que toute personne, qu'on soit député ou pas, qu'on soit d'un groupe parlementaire ou pas, en fait, tout citoyen, les élus politiques ne sont pas au-dessus de la loi, a priori, tout citoyen qui tient des propos pouvant être attaqués est convoqué par la police. C'est la procédure, en fait, tout simplement. Ce n'est pas le Président de la République qui le décide. Ce n'est même pas des juges. C'est la procédure avant d'aller se défendre devant la chambre qui va avec. Mais en l'occurrence, les plaintes concernant ces personnalités, elles viennent d'organisations juives qui ont estimé, donc tout le monde peut le faire, en fait, qui ont estimé que ces propos étant extrêmement choquants et donnant le sentiment de comprendre l'action du Hamas voire de s'en réjouir, ils devaient être examinés par la loi. ».

    Ainsi, Caroline Fourest a cité quelques propos controversés (sans savoir si ce sont ceux-là qui sont en cause pour la convocation), comme ceux de la militante propalestinienne Rima Hassan, candidate éligible sur la liste FI (et convoquée par la police judiciaire pour le 30 avril 2024 pour apologie du terrorisme), lâchés dans une émission à la fin du mois de novembre 2023 ("Le Crayon"), qui a répondu « vrai » à l'affirmation : « Le Hamas mène une action légitime. ». On peut également évoquer la comparaison vaseuse de Jean-Luc Mélenchon, faite le 18 avril 2024 à Lille, d'un préfet actuel avec Adolf Eichmann, principal organisateur de la "Solution finale" (comparaison qui, selon Fabien Roussel, l'a complètement « discrédité » et l'a rendu « indéfendable »).
     

     
     


    Il y a aussi ceux d'un responsable de la CGT du Nord, Jean-Paul Delescaut (qui a été gardé-à-vue pour cette raison, puis condamné le 18 avril 2024 par le tribunal correctionnel de Lille à un an de prison avec sursis pour apologie de terrorisme), qui a mis sur un tract : « Les horreurs de l'occupation illégale se sont accumulées. Depuis samedi [7 octobre], elles reçoivent les réponses qu'elles ont provoquées. ». Phrase publiée sur le site de la CGT du Nord du 10 au 20 octobre 2023 (elle a été retirée après de nombreuses protestations).

    Ces propos, qui mettent un lien de causalité, sont révoltants car cela signifierait que les innocents qui ont été enlevés, violés, torturés, brûlés, assassinés le 7 octobre 2023 mériteraient leur sort pour une raison ou un autre. Caroline Fourest, avec raison, a comparé ce raisonnement avec celui de dire qu'une femme aurait mérité d'être violée car elle portait une jupe (qui aurait alors "provoqué" le viol).

    Ce qui est étrange, c'est que des journalistes comme Daniel Schneidermann, trop noyés dans leur militantisme propalestinien, ne comprennent pas l'horreur d'une telle phrase. Cet éditorialiste a écrit en effet le 22 avril 2024, dans sa chronique : « Personnellement, je n'aurais sans doute pas écrit les choses comme le tract de la CGT. Parce que j'ai toujours une réticence face aux explications mécanistes de l'Histoire. Parce qu'en dépit de la brutalité meurtrière de la politique israélienne depuis 75 ans à l'égard des Palestiniens, en dépit du génocide en cours à Gaza, je ne peux pas m'empêcher de me souvenir d'où vient ce pays. Un souvenir de plus en plus vacillant, que je dois faire effort pour conserver vivant. Je fais cet effort. Mais je trouve insupportable de ne pas avoir la liberté de l'écrire. ». Sauf que justement, l'emploi même du mot "génocide", qui n'est absolument pas justifié (comme l'a bien confirmé la Cour européenne des droits de l'homme, contrairement à ce qui se raconte), laisserait entendre que le Hamas aurait quand même raison de se battre.

    Caroline Fourest a rappelé le massacre du 7 octobre : « C'est quand même ce qui s'est passé le 7 octobre. On a des terroristes du Hamas qui tuent des civils, kibboutzims, des pacifistes israéliens, chez eux, pas en territoires occupés, pas en territoires colonisés, pas dans les colonies disputées, pas à Gaza, chez eux, en territoire israélien, et ils n'ont rien fait. Ils sont violés, découpés en morceaux, et passés à la kalachnikov ou brûlés. (…) Est-ce que c'est violent [de mettre un lien de causalité] ? C'est à la justice de le dire. Est-ce que c'est l'apologie du terrorisme ? Dans le cas de ce syndicaliste CGT, ça a plutôt visiblement été tranché dans ce sens. Mais ce n'est pas un complot politique d'un régime dictatorial qui est en train d'œuvrer. ».


    Pour illustrer ses propos, l'essayiste a donné un exemple contraire, celui de l'humoriste Guillaume Meurice qui, le 29 octobre 2023 sur France Inter, avait tenu des propos très limites dans un sketch sur Benyamin Netanyahou (qualifié de « sorte de nazi, mais sans prépuce ») qui ont été classés sans suite le 11 avril 2024 par le parquet de Nanterre (parce que les infractions dénoncées n'étaient pas « suffisamment caractérisées ») : « Il a aussi été convoqué par la police. Il a aussi suivi le cours, ce n'était pas pour apologie du terrorisme mais c'était pour incitation à la haine. Et il a été relaxé parce que, pour le coup, le sketch de Guillaume Meurice, on peut le trouver plus ou moins réussi, on peut trouver que Guillaume Meurice a toujours les mêmes têtes de Turcs (…), mais ce sketch fait partie de la liberté d'expression, totalement. ».

    Bref, l'instrumentalisation politique qu'a faite Mathilde Panot de sa convocation ne l'honore pas du tout. On ne s'étonnera pas, avec de telles personnalités politiques, que les électeurs s'éloignent des urnes et laissent ce petit monde s'entre-dévorer tout seul. Heureusement qu'à côté de ces hurleurs professionnels, il y a des personnes responsables qui se préoccupent de l'avenir de la France et de l'intérêt des Français ...comme le Président Emmanuel Macron dont le discours très attendu (attendu en France mais aussi dans le monde) sur l'Europe, qu'il fera jeudi 25 avril 2024 à 11 heures à la Sorbonne, marquera une nouvelle étape.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (23 avril 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Mathilde Panot.
    Sondage secret : le tour de chauffe de François Ruffin !
    Adrien Quatennens, le meilleur allié du Président Macron ?
    Et si le peuple révoquait Adrien Quatennens ?
    La justice harcèle-t-elle la classe politique ?
    Le député Adrien Quatennens doit-il démissionner de l'Assemblée Nationale ?
    Mais où est donc passé Adrien Quatennens ?
    Thomas Portes.
    Carlos Martens Bilongo.
    Clémentine Autain.
    Éric Coquerel.
    Jean-Luc Mélenchon.
    Danièle Obono.
    François Ruffin.
    Sandrine Rousseau.
    Pour ou contre M… ?
    Sous la NUPES de Mélenchon.
    La consécration du mélenchonisme électoral

     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240423-mathilde-panot.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/mathilde-panot-les-eniemes-254303

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/23/article-sr-20240423-mathilde-panot.html