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« Par arrêté du grand chancelier de la Légion d’honneur en date du 5 juin 2025 est constatée, avec effet au 17 mai 2023, l’exclusion de droit de l’ordre national de la Légion d’honneur de M. Nicolas SARKÖZY de NAGY BOCSA, né le 28 janvier 1955 à Paris. Cette exclusion entraîne la privation définitive de l’exercice des droits et prérogatives attachés à la qualité de membre de la Légion d’honneur ainsi que l’interdiction de porter les insignes de toute décoration française ou étrangère ressortissant à la grande chancellerie de la Légion d’honneur. » (Arrêté du 5 juin 2025 publié dans le Journal officiel du 15 juin 2025).
L'ancien Président de la République Nicolas Sarkozy était grand-croix de la Légion d'honneur et grand maître de l'Ordre national du Mérite. C'est le grade le plus haut pour les deux ordres les plus importants de France. Normal : Nicolas Sarkozy l'était par sa qualité de Président de la République française.
Nicolas Sarkozy était d'abord chevalier de la Légion d'honneur sur décision du Président Jacques Chirac le 31 décembre 2004 comme « ancien ministre d'État, ancien député des Hauts-de-Seine, ancien maire de Neuilly-sur-Seine ; 24 ans d'activités professionnelles, de fonctions électives et de services militaires ».
Mais tous les verbes sont à l'imparfait. Très imparfait ! Car Nicolas Sarkozy n'est plus ainsi décoré. Deux arrêtés signés le 5 juin 2025 par le général François Lecointre, grand chancelier de la Légion d'honneur et chancelier de l'Ordre national du Mérite, ont exclu d'office de ces deux ordres Nicolas Sarkozy (et également Gilbert Azibert et Thierry Herzog). Ces arrêtés sont applicables rétroactivement dès le 17 mai 2023, date de sa condamnation en appel.
La raison, c'est sa condamnation définitive à un an de prison ferme après le rejet du pourvoi en cassation le 18 décembre 2024, dans l'affaire Bismuth (suspicion d'un pacte de corruption). En effet, les deux ordres ont pour règlement l'exclusion d'office de toutes les personnes membres de ces ordres qui auraient été condamnées à au moins un an de prison ferme, ce qui est donc le cas de l'ancien Président de la République. Très précisément, le code de la Légion d'honneur proclame : « Est exclue toute personne condamnée pour un crime ou condamnée à une peine définitive de prison ferme d’un an minimum. ».
Toutefois, des logiques contradictoires s'affrontent. La première est donc l'exclusion, comme simple citoyen jugé et condamné. La seconde, c'est de rappeler que le Président de la République est de droit grand-croix de la Légion d'honneur. Or, on ne peut pas lui retirer le fait d'avoir exercé les fonctions de Président de la République du 16 mai 2007 au 15 mai 2012 (élu par une majorité confortable des électeurs).
Le seul précédent cité par les médias ne l'est pas vraiment. En considérant le maréchal Philippe Pétain comme un prédécesseur de Nicolas Sarkozy, certains journalistes considèrent de fait légal le régime de Vichy (mal nommé, je pense aux malheureux habitants de Vichy qui liraient cela, celui de la Révolution nationale).
En effet, le 15 août 1945, Pétain a été condamné à mort, à l'indignité nationale et à la confiscation de ses biens pour intelligence avec l'ennemi et haute trahison. On voit à quel point la comparaison est historiquement stupide.
Le journaliste Renaud Dély en a profité pour évoquer les peines planchers dans son éditorial politique du 16 juin 2025 sur France Info : « En renvoyant l’ancien Président de la République au précédent du maréchal Pétain, cette décision abîme, de fait, la fonction présidentielle. Au lieu d’indexer la déchéance uniquement sur la durée d’une peine, sans doute l’Ordre devrait-il modifier sa règle pour tenir compte de la nature des faits ayant entraîné une condamnation. À écarter les circonstances et les faits incriminés, ce genre de décisions couperets illustre l’absurdité de ces fameuses peines planchers automatiques que la droite, et Nicolas Sarkozy, aiment d’ordinaire à prôner en matière pénale. ».
L'opposition des deux logiques se faisait par deux représentants respectifs.
D'une part, le grand chancelier de la Légion d'honneur, le général François Lecointre, ancien chef d'état-major des armées, qui, le 4 mars 2025, avait rappelé que la dégradation des deux ordres nationaux était "de droit" et ne correspondait donc pas à une décision : « C'est un sujet majeur. Le sujet de la discipline est d'autant plus important que l'exemplarité de l'ordre tient aussi au fait que les gens qui sont décorés puissent être sanctionnés. ». Lorsque les deux arrêtés ont été publié, il a été ainsi communiqué : « Le Grand chancelier de la Légion d'honneur s'est assuré auprès d'éminents juristes de la bonne application des textes en vigueur à ce cas spécifique. ».
Plusieurs enfants et petits-enfants de titulaires de la Légion d'honneur et de l'Ordre national du Mérite avaient déposé un recours le 6 mai 205 auprès du tribunal administratif de Paris pour obtenir la déchéance de l'ancien chef de l'État de ces deux ordres.
D'autre part, l'actuel Président de la République Emmanuel Macron avait clairement déclaré le 24 avril 2025 son opposition à la dégradation de Nicolas Sarkozy : « De mon point de vue, de là où je suis, je pense que ce ne serait pas une bonne décision. (…) Je pense que c'est très important que (…) les anciens Présidents soient respectés et donc le Président de la République que je suis, en tant que grand maître, ne prendra aucune décision de ce type. ». Mais en l'occurrence, ce n'est pas au Président de la République de prendre une telle décision, mais au grand chancelier (le Président de la République la prend quand c'est une dégradation qui n'est pas "de droit" et qui demande donc une décision spécifique, dans le cadre d'une procédure disciplinaire ordinaire).
Par ailleurs, la condamnation définitive correspond à l'épuisement de toutes les voies de recours judiciaire en France. C'est du reste pour cette raison que Nicolas Sarkozy a dû effectuer sa peine de prison ferme sous la forme de la pose d'un bracelet électronique à sa cheville le 7 février 2025. Celui-là a été retiré le 14 mai 2025 en raison de sa libération conditionnelle rendue possible par son grand âge (âgé de plus de 70 ans qu'il a atteints le 28 janvier 2025) et décidée le 12 mai 2025 par le juge d'application des peines sur une requête du 16 avril 2025, selon le parquet de Paris. L'avocate de Nicolas Sarkozy Jacqueline Laffont-Haïk avait alors précisé : « Cette mesure, qui au regard de la loi aurait pu intervenir dès le premier jour, est strictement conforme à la loi et à la jurisprudence. ».
Or, le caractère définitif de la condamnation peut être discuté. Effectivement, Nicolas Sarkozy a fait un recours auprès de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) contre la France pour ce jugement définitif, obligé de s'opposer à la France pour clamer son innocence. Il a donc également déposé un second recours auprès la CEDH contre la France pour sa dégradation des deux ordres nationaux.
Ainsi, le 15 juin 2025, son avocat Patrice Spinosi a affirmé : « Nicolas Sarkozy prend acte de la décision prise par le Grand Chancelier. Il n'a jamais fait de cette question une affaire personnelle. (…) [Il] a fait valoir des arguments juridiques, c'était au nom de la fonction même de Président de la République. (…) La condamnation de la France [par la CEDH] impliquera la révision de la condamnation pénale prononcée à l'encontre [de Nicolas Sarkozy] en même temps que l'exclusion de l'ordre de la Légion d'Honneur, l'une n'étant que la conséquence de l'autre. ». Il a martelé : « Aujourd’hui, il faut bien comprendre que désormais tout Président de la République qui sera condamné à une peine d’emprisonnement d’un an se verra nécessairement retirer l’ordre de la Légion d’honneur. (…) Ce combat, Nicolas Sarkozy ne l’a pas mené pour lui-même, il l’a mené au nom de la fonction qu’il a occupée de Président de la République. ».
Ce dimanche, l'ancien Président de la République a reçu le soutien de son fils le plus jeune, Louis Sarkozy, qui, dans un message envoyé sur Instagram le 15 juin 2025, a rendu éloge à son père en rappelant son courage le 13 mai 1993 lors de la prise d'otages d'enfants dans une école maternelle de Neuilly-sur-Seine alors qu'il était maire de Neuilly-sur-Seine et ministre : « Il est des Légions d’honneur que l’on ne perd pas. Celles que l’on reçoit en sauvant des enfants des griffes d’un kamikaze. Celles que l’on mérite en arrachant des infirmières, des médecins, ou une Française, à un emprisonnement étranger. Ces Légions-là ne dépendent d’aucun décret. Elles vivent dans la mémoire des vies sauvées, dans les sourires des enfants libérés. Elles valent plus que n’importe quelle médaille, plus que n’importe quelle reconnaissance officielle. Ce sont elles, les vraies Légions d’honneur. Le reste n’est que littérature. ». Son épouse Carla Bruni a retransféré ce message sur son compte le lendemain.
La prochaine échéance judiciaire de Nicolas Sarkozy aura lieu le 25 septembre 2025 avec le délibéré de l'affaire libyenne dans laquelle l'ancien Président de la République risque jusqu'à sept ans de prison, selon le réquisitoire du procureur général. La question de la candidature de Nicolas Sarkozy à l'élection présidentielle de 2027 ne peut plus se poser en raison de son inéligibilité pendant trois ans. Marine Le Pen n'est pas la seule personnalité dans ce cas.
« Le clan Tiberi réuni autour de lui à l'hôpital, c'est la chapelle Cystite ! » (Laurent Ruquier).
L'ancien maire de Paris Jean Tiberi est mort ce mardi 27 mai 2025 dans la matinée, selon une annonce de la mairie du cinquième arrondissement qu'il affectionnait tant. Il avait fêté son 90e anniversaire il y a quelques mois, le 30 janvier dernier.
La carrière de Jean Tiberi a été 100% parisienne. Avec les quelques affaires judiciaires, certaines classées, une autre qui a été jugée définitivement, celle des faux électeurs du cinquième arrondissement qui aurait pu influer sur le résultat des élections municipales de 1995 et des élections législatives de 1997, sans oublier l'affaire du pseudo-rapport d'études de son épouse Xavière, on pouvait imaginer Jean Tiberi comme un vieux schnoque pestiféré dont la seule légitimité était sa fidélité à Jacques Chirac.
En fait, c'était un peu subtil que cela. Il y a eu d'abord les Corses de la ville de Paris, si Jean Tiberi est né à Paris, il est bien d'origine corse, son épouse est née en Corse, et il y a eu d'autres élus parisiens ainsi, comme Jacques Dominati (premier adjoint en 1995), etc. Ce côté clanique était réel au point de vouloir voir son fils Dominique lui succéder à la mairie du cinquième arrondissement en 2014 (finalement, c'est l'actuelle maire, aujourd'hui Horizons, Florence Berthout, investie par l'UMP, qui a été élue, notamment contre le dissident Dominique Tiberi).
Il y a eu surtout un jeune homme, adolescent après la guerre, qui était gaulliste par adhésion au sauveur de la patrie. Il a adhéré au RPF en 1950. Il était, après le retour de De Gaulle au pouvoir, ce qu'on appelait un gaulliste de gauche (UDT). Plus tard parlementaire, il a voté en faveur de la loi Veil le 28 novembre 1974, gage d'une certaine ouverture vers la société qui a évolué.
Rappelons aussi que Jean Tiberi a fait des études de droit qui l'ont amené à entrer dans la magistrature. Il était donc juge dans ses premières années de vie active, affecté à Metz, Meaux, Beauvais. Mais il a très vite bifurqué dans la vie politique parisienne. En mars 1965, il a été élu conseiller de Paris pour la première fois (il avait 30 ans) et en mars 1967 et en juin 1968, il s'est retrouvé le suppléant du député gaulliste de gauche René Capitant, élu du cinquième arrondissement.
Lorsque ce dernier a été nommé le 30 juin 1968 Ministre de la Justice dans le gouvernement de Maurice Couve de Murville, le jeune homme de 33 ans fut alors bombardé député de Paris. Il le resta jusqu'en juin 2012 sauf pendant les quelques mois où il fut nommé Secrétaire d'État chargé des Industries alimentaires du 12 janvier 1976 au 25 août 1976 à la fin du premier gouvernement de Jacques Chirac (il a été réélu député en novembre 1976 après la démission de sa suppléante. Il faut préciser que René Capitant, mort en 1970, n'a pas repris sa circonscription lorsqu'il a démissionné du gouvernement en avril 1969, la laissant à Jean Tiberi qui a donc été réélu sur son propre nom aux élections législatives suivantes : mars 1973, novembre 1976 (partielle pour revenir à l'Assemblée), mars 1978, juin 1981, mars 1986 (à la proportionnelle, troisième de la liste RPR à Paris), juin 1988, mars 1993, juin 1997, juin 2002 et juin 2007 (près de quarante-quatre ans de mandat parlementaire).
Pour les petites anecdotes électorales, Jean Tiberi a été confronté en mars 1973 à Georges Bidault (3,5%), en novembre 1976 à Pierre Guidoni (19;7%) pour le PS, Jean Elleinstein (11,0%) pour le PCF, Brice Lalonde (6,6%) et Henri Weber (0,6%) pour LCR, en mars 1978 à Jean Elleinstein (11,7%) et Brice Lalonde (8,7%), en juin 1981 à Brice Lalonde (8,2%), en mars 1993 à Jacques Cheminade (0,3%), en juin 1997 à Lyne Cohen-Solal (27,9% puis 46,5%), Yves Frémion pour les Verts (4,9%), Pierre Jolivet (1,9%) et Marie-Françoise Bechtel pour les chevènementistes (1,6%), en juin 2002 à Lyne Cohen-Solal (29,0% puis 44,5%) et Aurélie Filippetti pour les Verts (6,6%), enfin, en juin 2007 à Lyne Cohen-Solal (27,7% puis 47,3%) et Christian Saint-Étienne pour le MoDem (16,2%). À l'origine, cette circonscription a eu pour premier député, entre 1958 et 1962, un certain Jean-Marie Le Pen, élu au second tour d'un scrutin majoritaire, mais avec seulement 45,2% des voix dans une sexangulaire (contre notamment des candidats PCF et UNR).
En juin 2012, sur demande du Premier Ministre François Fillon, Jean Tiberi lui a laissé sa circonscription pour permettre au futur candidat à l'élection présidentielle d'être un élu de Paris.
Jacques Chirac, dont il a été le fidèle depuis le début des années 1970 (et qui n'était pourtant pas un gaulliste de gauche), et qu'il a suivi lors de la création du RPR en décembre 1976, a fait partie bien sûr de la victoire municipale de Jacques Chirac en mars 1977 à Paris, puis du grand chelem de 1983 (tous les arrondissements gagnés par les listes RPR-UDF). De mars 1983 à juin 1995, Jean Tiberi fut le premier adjoint de la Ville de Paris et, à ce titre, le dauphin désigné de Jacques Chirac à Paris (préféré à Jacques Toubon qui a tenté de s'y opposer). Par ailleurs, il fut élu maire du cinquième arrondissement pendant près d'un quart de siècle, de mars 1983 à juin 1995 et de mars 2001 à mars 2014.
Jean Tiberi fut d'ailleurs l'un des rares dauphins de maire de grande ville à avoir succédé effectivement à son mentor, au contraire de Jacques Valade à Bordeaux (Jacques Chaban-Delmas), Michel Pezet à Marseille (Gaston Defferre), Bernard Roman à Lille (Pierre Mauroy), etc.
Ce fut le cas lorsque Jacques Chirac a été élu Président de la République. Aux élections municipales qui ont suivi un mois plus tard, en juin 1995, Jean Tiberi, candidat investi par le RPR, a été élu maire de Paris. Il a donc exercé un mandat de 1995 à 2001. Son bilan est plutôt positif, avec une réduction de l'endettement de la ville (au contraire d'aujourd'hui) et une révision à la baisse de certains projets d'urbanisme.
En raison des poursuites judiciaires déjà engagées contre Jean Tiberi, le RPR a organisé une sélection pour la candidature municipale de 2001. Édouard Balladur était dans la course, ainsi que Philippe Séguin qui a obtenu l'investiture. Toutefois, fort de son implantation, Jean Tiberi n'a pas renoncé à un second mandat et s'est présenté avec des listes dissidentes dans tous les arrondissements (il a été exclu du RPR pour cette raison par la présidente du RPR Michèle Alliot-Marie). Résultat, au premier tour, Jean Tiberi a été largement devancé par Philippe Séguin mais l'absence d'union et de fusion au second tour a favorisé Bertrand Delanoë qui a gagné sans obtenir la majorité absolue. Jean Tiberi a néanmoins conservé le cinquième arrondissement et aussi le premier arrondissement avec Jean-François Legaret, ainsi que 12 conseillers de Paris. Il a réussi à maintenir son leadership sur le cinquième arrondissement en 2008 malgré une triangulaire au second tour qui l'a confronté à une candidate socialiste Lyne Cohen-Solal et un candidat investi par le MoDem, le célèbre journaliste Philippe Meyer.
Cette division de 2001 a fait perdre à la droite la ville de Paris durablement (depuis quatre mandats, un quart de siècle) au profit d'une gauche boboïsante qui a considérablement transformé (en mal) la capitale, la rendant insupportable pour la voiture, tant pour la circulation que pour le stationnement. Ni Françoise de Panafieu en 2008, ni Nathalie Kosciusko-Morizet en 2014, ni Rachida Dati en 2020, n'ont réussi à battre le candidat ou la candidate socialiste. Toutefois, les derniers sondages donneraient Rachida Dati favorite pour les élections municipales de 2026 à Paris.
Le 3 mars 2015, Jean Tiberi a été définitivement condamné à dix mois de prison avec sursis, 10 000 euros d'amende et trois ans d'inéligibilité pour l'affaire des faux électeurs du cinquième arrondissement (un système organisé apparemment dans les années 1990 pour transférer le surplus d'électeurs de droite d'arrondissements largement à droite vers les arrondissements tangents susceptibles de basculer à gauche). D'autres scandales ont touché les Tiberi, dont l'attribution d'un logement social (à loyer modéré) à Dominique Tiberi alors que ce dernier, propriétaire d'appartements, aurait touché des loyers (non modérés) par ailleurs.
Dans un communiqué à l'AFP, l'actuelle maire PS de Paris Anne Hidalgo a salué son prédécesseur Jean Tiberi avec qui elle avait travaillé entre 2008 et 2014 (elle maire de Paris et lui maire du cinquième arrondissement) : « Paris, sa ville, lui rendra hommage. (…) Je veux saluer la mémoire de cet homme qui a consacré une part immense de sa vie à Paris et au cinquième arrondissement, qui perd l'un des siens. Je garderai le souvenir d'un homme chaleureux, avec qui j'avais tissé des relations cordiales et respectueuses. ». Il rejoins maintenant Jacques Chirac dans l'Olympe parisien.
« Félicitations chaleureuses à Bruno Retailleau pour sa magnifique victoire. Les Français engagés souhaitent, je le crois, que nous fassions cause commune pour sortir, autant que possible, notre pays des difficultés qu'il traverse. Ils aiment la diversité et veulent la solidarité. » (François Bayrou, le 18 mai 2025 sur Twitter).
En ce sens, ce n'est pas le même ressenti du côté de l'Élysée. Emmanuel Macron semble au contraire s'inquiéter des thèmes de droite dure que veut porter le Ministre de l'Intérieur. Plus généralement, les macronistes voient en Bruno Retailleau un nouveau candidat rival de l'élection présidentielle de 2027 aux côtés de Gabriel Attal, Gérald Darmanin et Édouard Philippe, entre autres, déjà dans les starting-blocks de la course présidentielle.
Rappelons que le combat était inégal. Laurent Wauquiez, ancien favori, était devenu outsider dès lors qu'il y avait un concurrent solide contre lui. Bruno Retailleau avait déjà beaucoup plus de parrains que son rival. Il a été soutenu par tous les grands caciques de LR, en particulier par Michel Barnier, Gérard Larcher, Xavier Bertrand, Valérie Pécresse, Jean-François Copé, François Fillon, David Lisnard, Agnès Evren, Patrick Hetzel, Muriel Jourda, Marc-Philippe Daubresse, Laurence Garnier, Michel Savin, François-Xavier Bellamy, Othman Nasrou, etc. Quant à Laurent Wauquiez, les soutiens étaient plus rares, comme ceux de Fabien Di Filippo, Yannick Neuder, Christian Jacob, Florence Portelli, Michèle Tabarot, Vincent Jeanbrun, Nicolas Daragon, etc.
Le secret de la victoire de Bruno Retailleau ? Il en a touché deux mots, ou plutôt, un seul mot, la sincérité : « Lorsqu'on fait de la politique avec ses tripes et ses convictions, on obtient des résultats. Il faut être sincère : quand la politique, c'est de l'insincérité, les gens le sentent, les gens le voient. ». Cela remet en cause toute la pratique politique des anciens. Une prime à la vertu ! C'est rare.
Fort de son soutien interne, Bruno Retailleau est allé très rapidement pour former un nouveau bureau de LR. Selon "Le Parisien" du 22 mai 2025, il aurait proposé à Laurent Wauquiez le poste de numéro deux du parti, vice-président délégué, mais l'intéressé a démenti qu'on le lui avait proposé.
La cohabitation avec Laurent Wauquiez ne sera certainement pas de tout repos. Dans son éditorial le 19 mai 2025 sur France Inter, le journaliste Maxence Lambrecq s'interrogeait avec pertinence : « Mais comment cet homme intelligent peut nier deux évidences ? La première : il a perdu. Ses propres troupes ne veulent pas de lui. C’est pourtant clair ? Quand on échoue violemment à devenir délégué de classe, on ne rêve pas de présider l’interclub du collège. Mais non, lui se dit que c’est son destin, que dans un an, peut-être, tout sera différent. La seconde évidence : Bruno Retailleau a gagné parce qu’il apparaît sincère et qu’il est Ministre de l’Intérieur d’Emmanuel Macron depuis septembre. Les adhérents ont tranché : plutôt l’action imparfaite que le discours magique. Le problème, c’est que Laurent Wauquiez reste le patron du groupe LR à l’Assemblée, il garde, donc, ce pouvoir de nuisance. À moins que les députés s’en débarrassent, ce qui serait logique étant donné son score. ».
Toujours est-il que Laurent Wauquiez est un prudent. Il avait invité le nouveau président de LR à se rendre à la réunion du groupe LR à l'Assemblée le 20 mai 2025. Mais peu auparavant, il avait surpris les députés LR en arrachant sur le champ le renouvellement de la confiance envers lui à la présidence du groupe. Certains députés LR estimaient qu'il aurait dû simplement démissionner et remettre ce mandat en jeu, mais en prenant de vitesse ces députés retaillistes, il a sauvé son unique responsabilité au sein de LR, qui lui donne d'office le droit d'intégrer toutes les instances décisionnelles du parti.
Bruno Retailleau a nommé le nouveau bureau de LR le lendemain, le mercredi 21 mai 2025, sans surprise. Le numéro deux reste un fidèle filloniste, François-Xavier Bellamy, vice-président délégué. Ancien secrétaire d'État (très furtif) et vice-président du conseil régional d'Île-de-France, Othman Nasrou est bombardé secrétaire général de LR, il était le directeur de campagne de Bruno Retailleau. Il est secondé par cinq secrétaires généraux adjoints : Kristell Niasme (maire de Villeneuve-Saint-Georges, qui a gagné la municipale partielle en février 2025 contre Louis Boyard), Justine Gruet (députée proche de Laurent Wauquiez), Nicolas Daragon (maire de Valence et ancien ministre proche de Laurent Wauquiez), Béatrice de Montille (élue de Lyon et proche de David Lisnard) et Pierre-Henri Dumont (ancien député). En outre, la nouvelle porte-parole est la très influente sénatrice de Paris Agnès Evren (patronne de la fédération LR de Paris, la plus importante), secondée par deux porte-parole adjoints, la sénatrice Alexandra Borchio-Fontimp (ancienne proche de l'ancien président de LR Éric Ciotti) et Jonas Haddad (vice-président du conseil régional de Normandie).
Le trésorier Daniel Fasquelle (maire du Touquet), après dix ans de bons et loyaux services, cède la place à l'entrepreneur Pierre Danon (ancien patron de Numericable), un des hommes majeurs de la campagne de François Fillon en 2017. Anne Genevard (Ministre de l'Agriculture) devient présidente de la commission nationale des investitures, prenant la place de Michèle Tabarot, proche de Laurent Wauquiez et désignée par Éric Ciotti. Enfin, annoncé dès le comité stratégique du 20 mai 2025, l'ancien Premier Ministre Michel Barnier est désigné président du conseil national de LR, l'équivalent du parlement de LR, place qui était occupée auparavant par Rachida Dati (Ministre de la Culture).
Pour présenter sa nouvelle équipe à la tête de LR, Bruno Retailleau a simplement expliqué : « La droite a trop longtemps souffert de ses divisions et de sa paresse intellectuelle. Il est temps de tourner la page. Place désormais au collectif et au travail. ». Histoire de dire que depuis l'échec historique de 2017, LR ne s'est pas renouvelé par paresse et n'est donc plus une force de proposition originale et pertinente. Pire ! Depuis la trahison du précédent président, Éric Ciotti, qui a rejoint Marine Le Pen, ce parti n'était plus animé, ne vivait plus, n'était qu'une coquille vide.
Bruno Retailleau n'insistera probablement pas sur le dixième anniversaire de la fondation de LR, le 30 mai 2015. Il préfère le travail au triomphalisme creux. De quoi inquiéter Marine Le Pen et Jordan Bardella qui pourraient être impactés par la popularité grandissante de Bruno Retailleau.
Pour l'heure, il n'a échappé à aucun observateur de la vie politique que Bruno Retailleau a reçu un soutien très appuyé de l'ancien Président de la République Nicolas Sarkozy. S'étant promis un silence médiatique depuis ses condamnations judiciaires, il a fait une seule exception pour rendre hommage à la jeune policière qui s'était fait tuer en service à l'âge de 26 ans, Aurélie Fouquet, il y a juste quinze ans. Le président fondateur de LR est en effet venu le 20 mai 2025 accompagner Bruno Retailleau et surtout la famille de la policière (les parents et le jeune fils qui a perdu sa mère à l'âge de 1 an, il a maintenant 16 ans) pour exprimer son émotion toujours aussi marquée par cette tragédie. Faire de la politique avec ses tripes, on vous dit.
« Aujourd’hui, alors que le pays se trouve dans une situation grave, la droite est de nouveau écoutée. Et c’est pourquoi demain, elle peut gagner. J’en suis profondément convaincu. Mais nous devons d’abord, et sans tarder, donner une incarnation à notre mouvement, pour lui donner un nouvel élan. » (Bruno Retailleau, le 2 avril 2025, profession de foi).
Il est des congrès serrés, où les scores sont très rapprochés. Le congrès du parti Les Républicains de ce dimanche 18 mai 2025 n'aura pas du tout été serré : le Ministre d'État, Ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau a été véritablement plébiscité par les militants de LR pour devenir président de leur parti. Son unique concurrent, Laurent Wauquiez a subi une désastreuse défaite sur le plan personnel : sa personnalité, son insincérité, son cynisme ont agacé plus d'un des adhérents de LR, et cette fois-là, on peut le dire car les deux candidats prônaient à peu près le même fond idéologique de droite dite dure.
Revenons aux données chiffrées. La rivalité entre Laurent Wauquiez et Bruno Retailleau depuis février 2025 a redonné de la vitalité à ce parti moribond et peut-être que c'est cette nouvelle guerre des chefs qui a été très profitable, au contraire de ce qu'affirmaient les deux protagonistes. Seuls les adhérents de LR au 17 avril 2025 pouvaient voter, si bien qu'une vague d'adhésions, ou plutôt, de réadhésions d'anciens adhérents déçus, a submergé les fédérations. Je l'évoquais déjà le mois dernier.
Il faut voir l'évolution : le nombre d'adhérents a triplé en deux mois ! C'est passé de 43 859 adhérents au 13 février 2025 à 121 617 au 17 avril 2025, ce qui est énorme.
L'autre élément de vitalité, bien sûr, c'est la participation, mais il était prévisible que ceux qui ont adhéré entre février et avril 2025 allaient voter puisque c'était l'unique but de cette adhésion. Il fallait voter de manière électronique, c'est-à-dire sur Internet. 98 110 ont participé au vote, c'est-à-dire 80,7% de participation, ce qui est également énorme pour un parti politique (il suffit de regarder le futur congrès du parti socialiste). Ce sont des données officielles, mais généralement confirmées par des huissiers et autres contrôleurs car les candidats pensaient leur score très serré. Cette fois-ci, ce n'était pas le cas.
En outre, il y a eu très peu de blancs et nuls, 374, ce qui signifie bien que l'enjeu était effectivement entre les deux candidats. Inutile de dire que le parti Les Républicains, héritier de l'UMP qui, elle-même, était censée être la fusion entre le RPR et l'UDF, n'est plus qu'un repaire d'ex-RPR aile dure. C'est certes difficile de dire cela car beaucoup d'adhérents LR n'étaient pas nés politiquement avant l'UMP, mais il paraît certain qu'il n'existe plus aucun centriste dans ce parti qui devait pourtant rassembler la droite et le centre à l'initiative du Président Jacques Chirac en 2002.
Cela ne me fait donc pas déplaisir de constater que François Bayrou avait évidemment raison en 2002 lorsqu'il avait refusé de rejoindre l'UMP, étant persuadé que la volaille centriste allait se faire plumer par l'aile la plus dure du RPR. Ce qui est amusant aujourd'hui, c'est que c'est François Bayrou qui est au pouvoir, à Matignon, et que toute l'argumentation de Laurent Wauquiez était basée sur l'indépendance de LR vis-à-vis de François Bayrou et Emmanuel Macron.
Mais cela ne lui a pas suffi à reprendre l'avantage. Et de loin. À l'origine, Laurent Wauquiez était le favori, et pensait même que son élection à la présidence de LR serait une formalité. Après tout, il avait déjà été président de LR, élu par les militants, du 10 décembre 2017 au 2 juin 2019. L'échec de LR aux européennes de 2019 a été fatal à Laurent Wauquiez, si bien qu'il s'est replié dans sa présidence du conseil régional d'Auvergne-Rhône-Alpes qu'il occupait depuis le 4 janvier 2016 (jusqu'au 4 septembre 2024). Il a laissé passer l'élection présidentielle 2022 ingagnable, et il a cru que son fidèle Éric Ciotti allait tenir boutique à sa place. Erreur, il n'a pas fallu longtemps pour que le sieur Ciotti rejoignît le RN et Marine Le Pen.
Laurent Wauquiez a pris alors une position courageuse : quitter son repli régional et revenir à l'Assemblée Nationale, là où se passait le véritable combat politique (au contraire de ses collègues Xavier Bertrand, Valérie Pécresse, Jean-François Copé, etc.). Il doit d'ailleurs son mandat de député aux macronistes. Le 10 juillet 2024, il a pris (sans demander aux autres) la présidence du groupe LR à l'Assemblée, si bien qu'avec Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat, il formait un binôme pour négocier les futurs gouvernements. Au départ, Laurent Wauquiez voulait rester dans l'opposition, puis, voulant l'Intérieur, n'a plus voulu appartenir à un gouvernement en dehors de la place Beauvau.
Bruno Retailleau, lui, a pris ses responsabilités. Michel Barnier l'a choisi comme Ministre de l'Intérieur le 21 septembre 2024 et confirmé par François Bayrou le 23 décembre 2024 avec le rare privilège d'être un Ministre d'État. Depuis ainsi près de huit mois, Bruno Retailleau est sur le pont, en déplacements incessants sur tous les lieux des drames en France. Son efficacité n'est peut-être pas au rendez-vous (on verra au bilan), mais son discours de vérité plaît, sa sincérité n'est pas mise en doute (au contraire de son adversaire interne) et surtout, il est devenu une personnalité nouvelle de la vie politique.
En fait, c'est faux, il existe politiquement depuis des décennies, aurait sans doute été le Premier Ministre de François Fillon si ce dernier avait été élu en 2017, mais les Français ne le connaissaient pas et il est ainsi arrivé avec la lumière des projecteurs. Les Français sont en train de le découvrir.
Le score des adhérents de LR est sans appel. Bruno Retailleau a obtenu 72 629 voix, soit 74,3%, tandis que Laurent Wauquiez n'a eu que 25 107 voix, soit 25,7%. En gros, trois quarts pour Bruno Retailleau et un quart pour Laurent Wauquiez. Il n'y aura finalement pas de guerre des chefs car les militants ont définitivement tranché.
Je ne sais pas comment va réagir Laurent Wauquiez dans les mois à venir, mais sa perspective présidentielle sera d'autant plus bloquée que lui-même a fait campagne contre une primaire ouverte pour 2027. Le parti va être administré par son rival et ce dernier sera en bonne posture pour, éventuellement, présenter une candidature LR à l'élection présidentielle de 2027. J'écris "éventuellement" car il paraît peu responsable que le bloc commun qui gouverne aujourd'hui se présente désuni en 2027 face au RN et à la gauche mélenchonisée (qui, contrairement à ce qu'on dit, est capable de revenir à un niveau élevé, de l'ordre de 20% de l'électorat, car Jean-Luc Mélenchon jouit de son grand talent souvent sous-estimé et d'une absence d'autres rivaux à gauche).
Cette victoire de Bruno Retailleau ne fait pas non plus l'affaire du RN. Certainement interdit de candidature de Marine Le Pen, le RN aura du mal à concurrencer Bruno Retailleau sur ses thèmes favoris (sécurité, immigration) avec un à peine trentenaire qui n'a jamais rien fait de sa vie (à part jouer à TikTok), j'ai nommé Jordan Bardella.
Laurent Wauquiez a perdu par un manque complet de discernement. Il n'a jamais existé parce qu'il était chef de parti, il a existé parce qu'il était ministre à l'époque de Nicolas Sarkozy. Au même titre que Nicolas Sarkozy est devenu présidentiable parce qu'il était Ministre de l'Intérieur, pas parce qu'il était président de l'UMP, le parti n'était qu'un moyen de gagner, pas sa légitimité de candidat.
C'est aussi ainsi pour Bruno Retailleau, c'est sa légitimité ministérielle qui l'a fait triompher dans un parti de gouvernement qui n'était plus au gouvernement de 2012 à 2024 (pendant douze ans). C'est Bruno Retailleau qui a redonné un peu de fierté aux militants de LR et surtout, qui leur a redonné un peu d'espoir en l'avenir.
Enfin, je termine sur une analogie : le 16 novembre 2006, s'est déroulée une primaire interne au PS pour choisir son candidat à l'élection présidentielle de 2007. Les socialistes avaient été très secoués par leur absence au second tour en 2002. Trois candidats se sont présentés : deux très connus et bien "capés", Laurent Fabius (ancien Premier Ministre, ancien Ministre de l'Économie et des Finances, ancien Président de l'Assemblée Nationale, ancien premier secrétaire du PS), Dominique Strauss-Kahn (ancien numéro deux du gouvernement, ancien Ministre de l'Économie et des Finances), et un ancienne sous-ministre qui n'avait pas eu beaucoup de médailles sur son tableau politique, Ségolène Royal. Les apparatchiks du PS étaient évidemment favorables aux deux premiers, mais les militants socialistes ont préféré la plus populaire, Ségolène Royal, car, malgré ses handicaps, elle était la seule à présenter un espoir d'avenir (en fait, un Désir d'avenir !), la perspective d'une victoire à l'élection présidentielle de 2007. Cela n'a pas marché, mais cela aurait pu, car elle a réussi à mobiliser de nombreux nouveaux électeurs. Ségolène Royal a eu 60,6% des militants du PS, DSK 20,7% et Laurent Fabius 18,7%. Les sondages ont tranché !
En donnant les clefs de leur parti à leur seul ministre populaire et visible Bruno Retailleau, les adhérents de LR ont aussi exprimé leur désir de revenir à l'avant-scène de la vie politique et, pourquoi pas (mais je n'y crois pas pour autant), gagner la prochaine élection présidentielle. Quant à Laurent Wauquiez, il va tranquillement retourner à l'ombre, comme l'ont fait d'autres avant lui, entre autres, Jean-François Copé.
« Aujourd’hui, alors que le pays se trouve dans une situation grave, la droite est de nouveau écoutée. Et c’est pourquoi demain, elle peut gagner. J’en suis profondément convaincu. Mais nous devons d’abord, et sans tarder, donner une incarnation à notre mouvement, pour lui donner un nouvel élan. » (Bruno Retailleau, le 2 avril 2025, profession de foi).
Il est des congrès serrés, où les scores sont très rapprochés. Le congrès du parti Les Républicains de ce dimanche 18 mai 2025 n'aura pas du tout été serré : le Ministre d'État, Ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau a été véritablement plébiscité par les militants de LR pour devenir président de leur parti. Son unique concurrent, Laurent Wauquiez a subi une désastreuse défaite sur le plan personnel : sa personnalité, son insincérité, son cynisme ont agacé plus d'un des adhérents de LR, et cette fois-là, on peut le dire car les deux candidats prônaient à peu près le même fond idéologique de droite dite dure.
Revenons aux données chiffrées. La rivalité entre Laurent Wauquiez et Bruno Retailleau depuis février 2025 a redonné de la vitalité à ce parti moribond et peut-être que c'est cette nouvelle guerre des chefs qui a été très profitable, au contraire de ce qu'affirmaient les deux protagonistes. Seuls les adhérents de LR au 17 avril 2025 pouvaient voter, si bien qu'une vague d'adhésions, ou plutôt, de réadhésions d'anciens adhérents déçus, a submergé les fédérations. Je l'évoquais déjà le mois dernier.
Il faut voir l'évolution : le nombre d'adhérents a triplé en deux mois ! C'est passé de 43 859 adhérents au 13 février 2025 à 121 617 au 17 avril 2025, ce qui est énorme.
L'autre élément de vitalité, bien sûr, c'est la participation, mais il était prévisible que ceux qui ont adhéré entre février et avril 2025 allaient voter puisque c'était l'unique but de cette adhésion. Il fallait voter de manière électronique, c'est-à-dire sur Internet. 98 110 ont participé au vote, c'est-à-dire 80,7% de participation, ce qui est également énorme pour un parti politique (il suffit de regarder le futur congrès du parti socialiste). Ce sont des données officielles, mais généralement confirmées par des huissiers et autres contrôleurs car les candidats pensaient leur score très serré. Cette fois-ci, ce n'était pas le cas.
En outre, il y a eu très peu de blancs et nuls, 374, ce qui signifie bien que l'enjeu était effectivement entre les deux candidats. Inutile de dire que le parti Les Républicains, héritier de l'UMP qui, elle-même, était censée être la fusion entre le RPR et l'UDF, n'est plus qu'un repaire d'ex-RPR aile dure. C'est certes difficile de dire cela car beaucoup d'adhérents LR n'étaient pas nés politiquement avant l'UMP, mais il paraît certain qu'il n'existe plus aucun centriste dans ce parti qui devait pourtant rassembler la droite et le centre à l'initiative du Président Jacques Chirac en 2002.
Cela ne me fait donc pas déplaisir de constater que François Bayrou avait évidemment raison en 2002 lorsqu'il avait refusé de rejoindre l'UMP, étant persuadé que la volaille centriste allait se faire plumer par l'aile la plus dure du RPR. Ce qui est amusant aujourd'hui, c'est que c'est François Bayrou qui est au pouvoir, à Matignon, et que toute l'argumentation de Laurent Wauquiez était basée sur l'indépendance de LR vis-à-vis de François Bayrou et Emmanuel Macron.
Mais cela ne lui a pas suffi à reprendre l'avantage. Et de loin. À l'origine, Laurent Wauquiez était le favori, et pensait même que son élection à la présidence de LR serait une formalité. Après tout, il avait déjà été président de LR, élu par les militants, du 10 décembre 2017 au 2 juin 2019. L'échec de LR aux européennes de 2019 a été fatal à Laurent Wauquiez, si bien qu'il s'est replié dans sa présidence du conseil régional d'Auvergne-Rhône-Alpes qu'il occupait depuis le 4 janvier 2016 (jusqu'au 4 septembre 2024). Il a laissé passer l'élection présidentielle 2022 ingagnable, et il a cru que son fidèle Éric Ciotti allait tenir boutique à sa place. Erreur, il n'a pas fallu longtemps pour que le sieur Ciotti rejoignît le RN et Marine Le Pen.
Laurent Wauquiez a pris alors une position courageuse : quitter son repli régional et revenir à l'Assemblée Nationale, là où se passait le véritable combat politique (au contraire de ses collègues Xavier Bertrand, Valérie Pécresse, Jean-François Copé, etc.). Il doit d'ailleurs son mandat de député aux macronistes. Le 10 juillet 2024, il a pris (sans demander aux autres) la présidence du groupe LR à l'Assemblée, si bien qu'avec Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat, il formait un binôme pour négocier les futurs gouvernements. Au départ, Laurent Wauquiez voulait rester dans l'opposition, puis, voulant l'Intérieur, n'a plus voulu appartenir à un gouvernement en dehors de la place Beauvau.
Bruno Retailleau, lui, a pris ses responsabilités. Michel Barnier l'a choisi comme Ministre de l'Intérieur le 21 septembre 2024 et confirmé par François Bayrou le 23 décembre 2024 avec le rare privilège d'être un Ministre d'État. Depuis ainsi près de huit mois, Bruno Retailleau est sur le pont, en déplacements incessants sur tous les lieux des drames en France. Son efficacité n'est peut-être pas au rendez-vous (on verra au bilan), mais son discours de vérité plaît, sa sincérité n'est pas mise en doute (au contraire de son adversaire interne) et surtout, il est devenu une personnalité nouvelle de la vie politique.
En fait, c'est faux, il existe politiquement depuis des décennies, aurait sans doute été le Premier Ministre de François Fillon si ce dernier avait été élu en 2017, mais les Français ne le connaissaient pas et il est ainsi arrivé avec la lumière des projecteurs. Les Français sont en train de le découvrir.
Le score des adhérents de LR est sans appel. Bruno Retailleau a obtenu 72 629 voix, soit 74,3%, tandis que Laurent Wauquiez n'a eu que 25 107 voix, soit 25,7%. En gros, trois quarts pour Bruno Retailleau et un quart pour Laurent Wauquiez. Il n'y aura finalement pas de guerre des chefs car les militants ont définitivement tranché.
Je ne sais pas comment va réagir Laurent Wauquiez dans les mois à venir, mais sa perspective présidentielle sera d'autant plus bloquée que lui-même a fait campagne contre une primaire ouverte pour 2027. Le parti va être administré par son rival et ce dernier sera en bonne posture pour, éventuellement, présenter une candidature LR à l'élection présidentielle de 2027. J'écris "éventuellement" car il paraît peu responsable que le bloc commun qui gouverne aujourd'hui se présente désuni en 2027 face au RN et à la gauche mélenchonisée (qui, contrairement à ce qu'on dit, est capable de revenir à un niveau élevé, de l'ordre de 20% de l'électorat, car Jean-Luc Mélenchon jouit de son grand talent souvent sous-estimé et d'une absence d'autres rivaux à gauche).
Cette victoire de Bruno Retailleau ne fait pas non plus l'affaire du RN. Certainement interdit de candidature de Marine Le Pen, le RN aura du mal à concurrencer Bruno Retailleau sur ses thèmes favoris (sécurité, immigration) avec un à peine trentenaire qui n'a jamais rien fait de sa vie (à part jouer à TikTok), j'ai nommé Jordan Bardella.
Laurent Wauquiez a perdu par un manque complet de discernement. Il n'a jamais existé parce qu'il était chef de parti, il a existé parce qu'il était ministre à l'époque de Nicolas Sarkozy. Au même titre que Nicolas Sarkozy est devenu présidentiable parce qu'il était Ministre de l'Intérieur, pas parce qu'il était président de l'UMP, le parti n'était qu'un moyen de gagner, pas sa légitimité de candidat.
C'est aussi ainsi pour Bruno Retailleau, c'est sa légitimité ministérielle qui l'a fait triompher dans un parti de gouvernement qui n'était plus au gouvernement de 2012 à 2024 (pendant douze ans). C'est Bruno Retailleau qui a redonné un peu de fierté aux militants de LR et surtout, qui leur a redonné un peu d'espoir en l'avenir.
Enfin, je termine sur une analogie : le 16 novembre 2006, s'est déroulée une primaire interne au PS pour choisir son candidat à l'élection présidentielle de 2007. Les socialistes avaient été très secoués par leur absence au second tour en 2002. Trois candidats se sont présentés : deux très connus et bien "capés", Laurent Fabius (ancien Premier Ministre, ancien Ministre de l'Économie et des Finances, ancien Président de l'Assemblée Nationale, ancien premier secrétaire du PS), Dominique Strauss-Kahn (ancien numéro deux du gouvernement, ancien Ministre de l'Économie et des Finances), et un ancienne sous-ministre qui n'avait pas eu beaucoup de médailles sur son tableau politique, Ségolène Royal. Les apparatchiks du PS étaient évidemment favorables aux deux premiers, mais les militants socialistes ont préféré la plus populaire, Ségolène Royal, car, malgré ses handicaps, elle était la seule à présenter un espoir d'avenir (en fait, un Désir d'avenir !), la perspective d'une victoire à l'élection présidentielle de 2007. Cela n'a pas marché, mais cela aurait pu, car elle a réussi à mobiliser de nombreux nouveaux électeurs. Ségolène Royal a eu 60,6% des militants du PS, DSK 20,7% et Laurent Fabius 18,7%. Les sondages ont tranché !
En donnant les clefs de leur parti à leur seul ministre populaire et visible Bruno Retailleau, les adhérents de LR ont aussi exprimé leur désir de revenir à l'avant-scène de la vie politique et, pourquoi pas (mais je n'y crois pas pour autant), gagner la prochaine élection présidentielle. Quant à Laurent Wauquiez, il va tranquillement retourner à l'ombre, comme l'ont fait d'autres avant lui, entre autres, Jean-François Copé.
« Si on n’assiste pas à une bataille de projets, on aura une guerre entre deux hommes. Et ça sera forcément violent. » (un cadre LR rapporté par Quentin Laurent le 14 février 2025 sur France Inter).
Jeudi 17 avril 2025 à minuit. C'était la dernière limite pour pouvoir adhérer, ou surtout, réadhérer, au parti Les Républicains pour participer à son prochain congrès qui s'avère crucial. Le vote des adhérents aura lieu les 17 et 18 mai 2025 et devra départager Bruno Retailleau et Laurent Wauquiez pour la présidence de LR.
Concrètement, la première bataille est terminée et influera sur le résultat de la vraie bataille, l'élection. La première bataille, dont on ne connaît pas vraiment le résultat si ce n'est de manière géographique (par exemple, en Vendée pour Bruno Retailleau, en Haute-Loire pour Laurent Wauquiez), c'est de pouvoir compter sur une base électorale élargie. On connaît l'histoire des congrès politiques et personne n'est dupe : on inscrit son conjoint, ses enfants, son personnel de maison, son chauffeur, etc., tout est bon pour apporter des voix ponctuellement, cela s'est toujours fait, mais après tout, ce n'est pas forcément une image déformée de la réalité : à l'élection présidentielle, il faudra tout autant mobiliser jusqu'à l'ultime électeur pour aller au bureau de vote.
Ainsi, la bataille a eu au moins un impact avantageux pour LR, c'est, selon ses dirigeants, d'avoir redépasser le cap des 100 000 adhérents ! Pour comparaison, les écologistes n'arrivent même pas à 14 000 adhérents. Ce ne sont pas les effectifs de la période bénie de Nicolas Sarkozy (plus que 200 000), mais c'est quand même pas mal depuis la marginalisation accélérée de ce parti par les macronistes et les lepénistes amorcée en 2017.
Le parti Les Républicains est en déshérence depuis 2017, mais néanmoins, au contraire du PS qui n'est plus qu'un parti d'élus locaux, LR a réussi à retrouver, depuis l'été 2024, le pouvoir. Et pourtant, la campagne des élections législatives de 2024 a très mal commencé puisque le président de LR a trahi ses membres en rejoignant honteusement Marine Le Pen en pensant sincèrement que le RN serait majoritaire (tant pis pour lui).
À l'origine, depuis la nouvelle donne politique de 2024, les deux hommes sont "équivalents" : l'un était président du groupe LR au Sénat, très nombreux et très écouté, l'autre a compris, au contraire des Xavier Bertrand, Valérie Pécresse et Jean-François Copé, que l'avenir se jouait dans l'hémicycle et est devenu député ainsi que président du groupe LR à l'Assemblée Nationale (tous les députés LR ne souhaitaient pas vraiment qu'il soit leur président).
À l'heure de la désignation du gouvernement de Michel Barnier, Bruno Retailleau a gagné le stratégique Ministère de l'Intérieur que convoitait aussi Laurent Wauquiez au point d'aller l'implorer auprès du numéro deux de l'Élysée.
Soyons clairs : que ce soit Bruno Retailleau ou Laurent Wauquiez, le programme de LR ne changera pas, il restera placé sous l'influence d'une course à l'échalote du plus sécuritaire, course que ne pourra jamais gagner LR face au RN, bien mieux outillé pour dire n'importe quoi.
Mais il n'y a pas qu'une rivalité de personnes. Il y a aussi une rivalité de stratégies. En juillet 2024, Laurent Wauquiez refusait l'entrée de LR au gouvernement pour ne pas se confondre ni se compromettre avec le Président Emmanuel Macron, ce qui serait, selon lui, suicidaire pour LR lors de l'élection présidentielle 2027. Au contraire, Bruno Retailleau considérait que l'absence de responsabilité gouvernementale, pour un parti de gouvernement, nuisait beaucoup à sa crédibilité, et évidemment, l'histoire a montré qu'il avait raison. Depuis septembre 2024, des ministres LR sont au travail et la visibilité de LR s'est accrue, surtout pour Bruno Retailleau qui, au moins, à l'école du sarkozysme, est sur le front médiatique matin midi et soir.
Après la censure en décembre 2024, le nouveau Premier Ministre François Bayrou tenait absolument à le garder dans son gouvernement, tandis que Laurent Wauquiez a renoncé à mettre les mains dans le cambouis. Celui-ci aurait dit à ses collègues parlementaires le 21 décembre 2024, avant la formation du gouvernement Bayrou : « La seule configuration possible pour moi, c’était Bercy avec une feuille de route claire, notamment pas d’augmentation d’impôts. Il n’y a pas cette feuille de route. [François Bayrou] m’a proposé autre chose, j’ai décliné. » (selon "Le Figaro").
Lorsque Bruno Retailleau a déclaré sa candidature à la présidence de LR, le 12 février 2025, Laurent Wauquiez s'est senti trahi, mais trahi par son simple imaginaire. Aucun pacte n'avait été conclu entre les deux hommes, au contraire de ce qu'il a prétendu, à savoir : à moi la présidence du parti, à toi un gros ministère. Non seulement il a été pris de court, mais en déclarant sa propre candidature le lendemain, c'est-à-dire le 13 février 2025, Laurent Wauquiez s'est retrouvé à la fois en position d'outsider mais aussi de diviseur. Il a beau jeu de dénoncer le combat des chefs, il y participe tout autant que son rival.
Il y a, dans la rivalité, bien sûr, comme dans toute rivalité, une différence de personnalité.
Bruno Retailleau, numéro deux de Philippe de Villiers en Vendée (au spectacle du Puy-du-Fou puis dauphin à la présidence du conseil général de Vendée), puis numéro deux de François Fillon (dauphin à la présidence du conseil régional des Pays de la Loire, et bras droit lors de la candidature de 2017), est un homme posé, calme, poli, presque intellectuel, et bien évidemment, idéologue, avec des convictions bien ancrées, et surtout une cohérence politique inattaquable, un constance politique (il ne change pas de veste ou d'idée tous les jours). Du reste, il était le plus probable Premier Ministre du seul candidat favori à l'élection présidentielle de 2017... du moins, avant "l'affaire"... Au gouvernement comme Ministre d'État, Ministre de l'Intérieur, il a montré un courage indéniable, il est présent partout, au risque de dire n'importe quoi (sur l'État de droit), mais cela correspond aussi à des maladresses de débutant ; ministre, ça s'apprend.
Par exemple, ce dimanche 27 avril 2025, Bruno Retailleau a repris à son compte les valeurs républicains lorsqu'il a condamné (évidemment) l'assassinat d'un jeune musulman dans une mosquée l'avant-veille près d'Alès : « Je suis Français, je suis très attaché à la République française. C'est la République qui nous unit tous. Nous sommes tous des enfants de la République. Être Français, être membre de la communauté nationale, ce n'est pas une question de couleur de peau, ce n'est pas une question de religion, ce n'est pas une question de conditions sociales. On est Français, un point, c'est tout. Et jamais je ne laisserai passer quoi que ce soit qui puisse trier précisément entre nos compatriotes. Je voudrais leur dire vraiment la plus totale solidarité de l'ensemble du gouvernement, du Premier Ministre, du Président de la République, de l'ensemble des ministres. Et nous nous tenons évidemment en cet instant, comme depuis vendredi, à leurs côtés. ».
Cette déclaration qui pourrait paraître anodine a son importance afin de mettre les points sur les i. Et probablement que le sens des responsabilités l'a emporté sur toute tentation populiste.
Laurent Wauquiez, quant à lui, est certainement un brillant garçon : normalien, agrégé d'histoire, énarque, auditeur au Conseil d'État, les anciens de la classe politique, et à commencer par l'une des grandes figures du centrisme Jacques Barrot, qui doit se retourner continuellement dans sa tombe à voir et écouter celui qu'il avait pris pour dauphin, ont beaucoup cru en lui avant même qu'il ait fait quelque chose, ce qui peut expliquer une certaine arrogance. En fait, Laurent Wauquiez, c'est l'exemple typique d'une intelligence gâchée. Un intellectuel qui se comporterait comme un voyou. Arrivisme, plus qu'ambition, hypocrisie, matraquage populiste, intimidation... En 2016, son ancien collègue du gouvernement Luc Chatel disait de lui : « Il a zéro conviction mais il bosse énormément, ce qui le rend d'autant plus dangereux ! ».
Un faussaire qui est capable de teindre ses cheveux en blanc pour avoir l'apparence d'une personne plus âgée et donc plus expérimentée qu'il ne l'est ! Il a commencé à vraiment se faire connaître alors qu'il était Secrétaire d'État à l'Emploi et qu'il a déclaré le 8 mai 2011 sur BFMTV vouloir dénoncer les « dérives de l'assistanat » qui serait « le cancer de la société française ». Le pire a été que les journalistes ont repris sa revendication stupide de représenter une droite dite « sociale » alors qu'elle est avant tout antisociale ! Qu'importe le fond de l'idée, l'opération a fonctionné puisqu'il fallait se faire connaître.
Dans "Le Parisien" le 14 décembre 2017, il venait d'être élu président de LR, Laurent Wauquiez répondait à cette critique : « Moi, je veux être là pour dire les choses, quitte à secouer. J'ai du tempérament et du dynamisme. Je ne veux pas faire une droite filet d'eau tiède! Alors qu'on me classe à la droite de la droite, ça me fait juste sourire! Sur le plan social par exemple, je ne suis pas à la droite de la droite car la défense des classes moyennes et des familles modestes est l'une de mes obsessions. Moi, je veux juste proposer un autre chemin que celui de Macron et des extrêmes, celui d'une droite républicaine qui défend ses valeurs. ». On notera les "moi, je".
Sa dernière provocation qui ne valait pas un article d'indignation pour autant, ce fut sa proposition, dite le 8 avril 2025 sur CNews, de mettre toutes les personnes en situation irrégulière qui sont sous OQTF (obligation de quitter le territoire français) dans un centre de rétention administrative situé ...à Saint-Pierre-et-Miquelon (je ne commente pas l'idée, même le RN l'a fustigée !), cela a marché puisqu'on a encore parlé de lui ! Son argument massif, délivré le 9 avril 2025 : « Face à la cohorte de bien-pensants qui trouvent toutes les bonnes raisons pour que rien ne change, je ne me résignerai jamais à l’impuissance. ». Parmi les "bonnes raisons" se trouvent simplement les valeurs républicaines.
Celui qui a déjà présidé Les Républicains du 10 décembre 2017 au 2 juin 2019 est détesté par tous ses collègues de LR, qui ont été ravis de la candidature de Bruno Retailleau : Jean-François Copé, Xavier Bertrand, Valérie Pécresse, etc., tous soutiennent le Ministre de l'Intérieur contre un autocrate qui n'a jamais montré un sens de l'État très affirmé.
Qui va gagner ? La question est difficile et les courageux sondeurs se gardent bien de faire un pronostic, car ils sont capables de dire ce que penserait "l'opinion publique", mais pas ce que penseraient les nouveaux adhérents de LR convaincus qu'il faille prendre position dans ce duel.
Bruno Retailleau est à l'évidence le plus populaire des deux, et devient même, dans les sondages, un présidentiable alors que les intentions de vote en faveur de Laurent Wauquiez plafonnent toujours de 5% à 8% (rappelons que Valérie Pécresse avait 15% des intentions de vote lors de sa désignation). Bruno Retailleau semblerait rencontrer assez peu les militants et serait présent surtout à la télévision, notamment à chaque fait-divers horrible. On a vu en 2006 au PS qu'une candidate populaire et médiatique pouvait gagner une primaire dans un parti qui ne l'appréciait guère (Ségolène Royal face à Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn).
De son côté, Laurent Wauquiez fait un grand travail de fond en visitant toutes les fédérations départementales LR, pensant que le contact direct lui serait profitable. C'est d'ailleurs son principal argument : lui a le temps d'aller à la rencontre des adhérents et ne leur manque pas de respect. L'autre argument, c'est qu'il serait un président de LR indépendant de François Bayrou et d'Emmanuel Macron, puisqu'il est en dehors du gouvernement. Il oublie de dire qu'il a pleuré devant l'Élysée pour avoir l'Intérieur en septembre 2024 et qu'il voulait l'Économie et les Finances en décembre 2024.
Bruno Retailleau sait aussi réagir avec vaillance et esprit de répartie. Ainsi, lorsque Laurent Wauquiez a piqué sa colère à la candidature du Ministre de l'Intérieur, ce dernier lui a répondu : « Quand on est de droite, on ne doit pas avoir peur de la compétition. ». C'est vrai que Laurent Wauquiez pensait que redevenir président de LR serait une simple formalité pour lui. Il oublie aussi que celui qui a été élu le 11 décembre 2022 à la présidence de LR contre Bruno Retailleau, c'était Éric Ciotti, qui assurait le soutenir pour l'élection présidentielle de 2027, et qui maintenant bosse manifestement pour Marine Le Pen avec les mêmes réflexes populistes. Laurent Wauquiez ne serait-il qu'un Ciotti bis ?
Pendant ces deux mois de campagne (celle qui vise à faire adhérer ses sympathisants), les deux candidats ont bombardé d'emails leurs fichiers d'adhérents ou d'anciens adhérents.
Ainsi, Laurent Wauquiez précisait le 1er mars 2025 : « En juin dernier, je me suis engagé dans la bataille des législatives pour sauver notre mouvement de la disparition. Depuis six mois, une dynamique collective est à l’œuvre. Avec nos adhérents, nos élus locaux, nos parlementaires, nos ministres pleinement engagés au gouvernement et la mission de refondation que je conduis pour notre mouvement. Cette complémentarité fait notre force et je veux la préserver. Après cinq ans de socialisme et bientôt dix ans de macronisme, notre pays a besoin d’un projet de rupture avec l’impuissance. Notre famille politique peut l’incarner. Elle doit l’incarner. C’est ce que je vous propose de bâtir ensemble. C’est pour cela que je suis candidat à la présidence de notre mouvement. Dans le prolongement naturel du travail d’équipe que nous avons engagé, je consacre toute mon énergie à relever la droite, dans une complète indépendance vis-à-vis de François Bayrou et d’Emmanuel Macron. ». Il a même fait valoir sa position de s'opposer à la désignation de Richard Ferrand comme membre du Conseil Constitutionnel, opposition inefficace en raison de l'indifférence des députés RN !
Faute d'être populaire, et convenant après coup que la candidature de Bruno Retailleau avait toute sa légitimité, il a fait, le 20 mars 2025, dix propositions, dont la première : « Additionner les talents : je proposerai à Bruno Retailleau d’être le premier vice-président de notre mouvement. ». La deuxième proposition est également politicienne : « Pas de primaires qui ne sont qu’une machine à diviser et à perdre : le mode de désignation de notre candidat à la présidentielle, ce seront aux adhérents de le trancher. ». Et il a terminé ainsi : « Président des Républicains, j'irai surtout à votre rencontre. Je sillonnerai toutes nos fédérations, de la plus petite à la plus grande. Comme je l’ai toujours fait et comme je le fais en ce moment même. ».
Comme sa campagne ne prenait pas, l'équipe de Laurent Wauquiez en a remis une couche le 4 avril 2025 à coup de dix, cette fois-ci des qualités du candidat. Je les cite : « c'est un fidèle, un gagnant, un visionnaire, un courageux, un leader, un homme libre, un rassembleur, un militant, un audacieux, et un marathonien » ! Un vrai marathonien, ça, c'est de l'argumentation politique, car Laurent Wauquiez allait participer au marathon de Paris le 13 avril 2025 !
Soutenu par un ancien président de LR Christian Jacob, Laurent Wauquiez a réitéré le 14 avril 2025 sa proposition de partenariat avec son rival : « C’est en rompant avec le macronisme que nous tracerons le chemin du sursaut français. Je vous propose donc un duo avec Bruno Retailleau : lui pleinement engagé au Ministère de l’Intérieur, moi pleinement engagé dans la refondation de notre mouvement. Et dans un an, nous choisirons notre candidat à la présidentielle. ».
Bruno Retailleau non plus n'a pas été avare en messages aux sympathisants, mais il a préféré surtout publié un livre de ses premiers discours, une sorte de bilan de ses six premiers mois place Beauvau. Le 17 mars 2025, il justifiait ainsi sa prise de responsabilité au gouvernement : « Dès mon entrée au gouvernement, j’ai choisi d’agir vite et nous commençons à obtenir de premiers résultats. (…) Bien sûr ma tâche est difficile, parce qu’il n’existe pas de majorité et qu’il me faut souvent affronter les immobilismes, les conformismes. Mais j’ai choisi d’agir, pas de subir, de m’engager, pas de me protéger. C’est mon tempérament, et c’est aussi mon devoir : compte tenu de l’ampleur des désordres, tout ce qui peut aller dans le sens d’une plus grande fermeté doit être entrepris. Je me suis promis que pour protéger les Français, je tenterai tout et je ne lâcherai rien. C’est ce que je fais. ».
Le 24 mars 2025, alors que le sujet a été mis en avant par les partisans de Laurent Wauquiez, opposés à une primaire ouverte pour la prochaine élection présidentielle, Bruno Retailleau a annoncé qu'il laisserait le choix aux adhérents : « Ce sont les militants qui décideront démocratiquement comment le désigner. Car nous les consulterons. S'ils ne veulent pas de primaire, alors il n'y aura pas de primaire. Dans un parti moderne, il n'est pas question qu'un sujet aussi important soit décidé par quelques élus dans un bureau politique. ».
Ce qui a trompé Laurent Wauquiez dans son analyse de la situation, c'est que le ministre Bruno Retailleau se déplace beaucoup pour son travail de ministre, certes, mais à chaque déplacement, il fait aussi une rencontre de militants LR, si bien qu'il rencontre lui aussi beaucoup d'adhérents. Il a d'ailleurs déposé 70% des parrainages déposés par l'ensemble des candidats, soit 2 235, ainsi que 92 parrainages de parlementaires (pour Laurent Wauquiez, 997 parrainages et 44 parlementaires). En outre, par une tribune publiée le 22 mars 2025 dans "Valeurs actuelles", qui explique notamment : « Bruno Retailleau incarne une droite fière, enracinée, qui ne transige pas. Ni les vents contraires ni les modes ne l’ont jamais forcé à abdiquer ses convictions et ses engagements : la liberté d’entreprendre, la défense de l’autorité, la promotion du mérite, la préservation de notre identité. Dans un paysage politique marqué par les renoncements et les calculs opportunistes, il a toujours su rester fidèle à ses principes. », il a reçu le soutien de 1 000 jeunes membres de LR, c'est beaucoup.
Ce qui a conduit Bruno Retailleau à dire le 30 mars 2025 : « Je crois que nous avons suscité une véritable dynamique. Partout où je me rends, les militants sont présents, nombreux, ce qui me touche profondément, car je connais leur courage, eux qui sont restés fidèles à nos convictions, jusqu’au bout. Dans mes réunions publiques, je rencontre aussi beaucoup d’électeurs qui nous ont quittés, mais qui désormais prêtent l’oreille à ce que dit la droite, qui souvent se retrouvent dans la politique de fermeté que je porte. Je suis convaincu que nous avons aujourd’hui une opportunité historique, qu’il ne faut pas rater : refaire un grand mouvement de droite qui rassemble tous ces électeurs aujourd’hui dispersés, mais qui pourtant partagent les mêmes idées d’autorité, de liberté et de fierté française. ».
Bien entendu, Bruno Retailleau use et abuse des mêmes simplismes que son concurrent et laboure dans le même positionnement idéologique. C'est très clair lorsqu'il a affirmé le 15 avril 2025 : « J’ai fait un choix : me battre. Me battre pour qu’enfin la droite marche la tête haute, sans céder à la pensée unique. Me battre pour qu’enfin la droite parle vrai, sur tous les sujets. La droite fière et sincère : c’est ce que je veux que mon parti incarne, pour renouer avec la confiance des Français qui nous ont quittés. Ma plus grande fierté dans cette campagne interne, c’est d’être parvenu à susciter une espérance parmi tous ces électeurs déçus. ».
Dès le début de cette campagne interne, Bruno Retailleau avait annoncé qu'il refuserait tout débat contradictoire public avec Laurent Wauquiez. Il a eu raison, car malgré les propositions transgressives de son adversaire, c'est Bruno Retailleau qui a donné les sujets de campagne par sa participation gouvernementale, présent sur tous les fronts et encore ce dimanche 27 avril 2027 à Alès pour évoquer l'assassinat dans une mosquée, l'occasion de ne pas faire simplement une chasse aux islamistes, mais à tous les sauvageons, de quelque bord que ce soit.
À l'évidence, Bruno Retailleau est le favori, plus par son tempérament cohérent et calme et par le caractère autoritaire de son rival que par le bilan de son action gouvernementale. Somme toute, son vrai bilan, c'est celui du ministère de la parole. Mais de cela, on pouvait l'imaginer dès le début.
« Mon engagement politique fut au service de la République. La République qui est dans le sang de mes ancêtres. (…) La République qui est notre ambition, notre idéal, notre bien commun, celle d’une aspiration profonde à la liberté. (…) Il faut l’aimer. » (Jean-Louis Debré cité par Yaël Braun-Pivet le 4 mars 2025 dans l'hémicycle).
L'ancien Président de l'Assemblée Nationale Jean-Louis Debré a été enterré ce lundi 10 mars 2025 dans la cathédrale Saint-Louis-des-Invalides à Paris et a été inhumé au cimetière du Montparnasse. Il est mort le 4 mars 2025 à l'âge de 80 ans.
Dans un article publié le 11 mars 2025 dans "Le Monde", la journaliste Solenn de Royer constatait, avec cet enterrement, que c'était « la fin d'un monde ». Il suffisait de voir tous ceux qui assistaient à cet office. Henri Guaino, qui donna le ton à la campagne de Jacques Chirac en 1995, celui de la « fracture sociale », a parlé d'un « monde qui disparaît », celui qui fait la politique à l'ancienne, sans réseaux sociaux, sans chaîne d'information continue, avec des partis, avec des programmes, avec des courriers aux militants, avec des déclarations à l'Assemblée.
On a l'habitude de dire que la mort d'une personne, c'est une bibliothèque qui brûle. Avec Jean-Louis Debré, c'est carrément une institution qui disparaît.
Comment ne pas associer en effet Jean-Louis Debré à la Constitution de la Cinquième République qui était, en quelque sorte, sa sœur puisque lui et elle ont eu le même père, Michel Debré (c'est ce qu'il s'amusait à dire). Mais ce n'est pas seulement le lien filial qui a fait que Jean-Louis Debré était lui-même toute une institution, c'était aussi son parcours, Ministre de l'Intérieur pendant deux ans, Président de l'Assemblée pendant cinq ans et Président du Conseil Constitutionnel pendant neuf ans. C'étaient aussi ses fidélités, De Gaulle et Jacques Chirac. C'était aussi sa personnalité, très indépendante, chaleureuse mais n'hésitant pas à dire ce qu'il pensait de ses contemporains (il a beaucoup critiqué Emmanuel Macron ; est-ce la raison pour laquelle le chef de l'État n'était pas présent à ses obsèques ?), et dotée d'un grand sens de l'humour.
Lorsqu'il présidait le Conseil Constitutionnel, il a eu à "gérer" la présence, à ses côtés, de deux anciens Présidents de la République, Jacques Chirac et Valéry Giscard d'Estaing, et il aimait raconter, tout amusé, la mesquinerie que ces deux vieillards de la République avaient l'un pour l'autre, en imitant leur voix bien entendu !
Un amusement confirmé par Alain Juppé dans une interview par "Le Monde" le 7 mars 2025 : « Et un homme plein de vie et d’humour. Ses imitations de Chirac et de Giscard, du temps où les anciens Présidents venaient au Conseil Constitutionnel, étaient hilarantes ! ».
L'homme aimait la vie, aimait fumer des cigares, s'était réinventé à l'âge de 76 ans en devenant jeune comédien sur les planches d'un théâtre, et surtout, avait l'obsession de « ne pas devenir vieux » !
Au cours de la cérémonie, Guillaume Debré, le fils aîné de Jean-Louis, qui avait 19 ans en 1995, se demandait pourquoi son père n'avait pas lâché Jacques Chirac, très bas dans les sondages, pour Édouard Balladur. Réponse de l'intéressé : « Ceux qui l’ont trahi sont tellement mal à l’aise. Moi, je sais qui je suis. Et quand je me regarde dans la glace, je me sens bien. ». C'était cela, l'indépendance d'esprit, une liberté, des convictions. Sa fidélité permanente à Jacques Chirac depuis 1973 ne l'a d'ailleurs pas empêché de soutenir Jacques Chaban-Delmas en 1974 alors que son mentor avait tout fait pour le faire battre. Fidélité et convictions, qui, parfois, peuvent s'opposer.
Je propose ici quelques hommages qui ont été exprimés lors de l'annonce de la disparition de Jean-Louis Debré.
Le Président de la République Emmanuel Macron, dans un communiqué publié le 4 mars 2025, a réagi ainsi : « Il incarnait pour les Français le sens de l'État, un humanisme intransigeant, la fidélité aussi au Président Jacques Chirac. (…) Jean-Louis Debré avait avec vaillance poursuivi l’héritage de son père, Premier Ministre, pour défendre une espérance française, dans la force de son droit, dans son exigence de générosité envers tous. (…) Longtemps, le jeune homme chercha sa voie, et son père dépêcha Pierre Mazeaud pour le conduire vers des études de droit. (…) Docteur en droit public trois ans plus tôt, il devint [en 1976] magistrat, chargé des affaires de terrorisme. Dans ses fonctions, il apporta à la justice son tempérament, mélange d’humanité et de fermeté, de mesure et d’intransigeance. ».
Le chef de l'État a souligna l'importance de Jean-Louis Debré à la tête du Conseil Constitutionnel avec l'arrivée des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) : « Pendant neuf ans, Jean-Louis Debré présida une institution qui vécut des transformations profondes, avec l’arrivée de la question prioritaire de constitutionnalité, son plus grand accès à tous les justiciables, son rôle accru dans la vie de la Nation. Avec une liberté de ton, la profondeur de son expérience, l’exigence de sa sagesse, il fut le visage de cette institution imaginée un demi-siècle plus tôt par son père. ». Et il a conclu ainsi : « Les Français le suivaient ainsi tel qu’il était, avec son art du récit, sa gourmandise de mots, sa bonhomie. ».
Au début de la séance publique du mardi 4 mars 2025 à 15 heures, la Présidente de l'Assemblée Yaël Braun-Pivet a rendu hommage à Jean-Louis Debré et proposé une minute de silence : « La Ve République a perdu ce matin l’un de ses plus grands défenseurs et serviteurs. Issu d’une famille illustre, député, ministre, Président de l’Assemblée Nationale, Président du Conseil Constitutionnel : sa carrière fut en tout point exceptionnelle. C’est d’abord vers les prétoires qu’elle se tourna. Après une capacité puis une thèse en droit, Jean-Louis Debré devint, en 1971, assistant à la faculté de droit de Paris, puis magistrat et juge d’instruction. Chargé des affaires de grand banditisme, il tirera de ces années une source d’inspiration inépuisable pour les polars qu’il écrira ensuite. Mais revenons en arrière, en 1967. Alors que Jean-Louis Debré a 23 ans, une rencontre va changer sa vie : il fait alors la connaissance de Jacques Chirac, "mon Chirac", comme il l’appelait affectueusement. Ainsi naquit une amitié personnelle marquée par une fidélité politique indéfectible. Du ministère de l’agriculture, en 1973, au soir de la vie du président Chirac, lorsque Jean-Louis Debré lui remontait le moral dans les bars du 6e arrondissement, les deux hommes furent toujours liés, toujours alliés. C’est donc par Jacques Chirac que Jean-Louis Debré entre en politique. ».
Son lieu privilégié était le Palais-Bourbon : « C’est cependant à l’Assemblée, ici même, depuis ce même perchoir, que Jean-Louis Debré aura connu, selon ses mots, "cinq ans de bonheur absolu". Président malicieux, Jean-Louis Debré était surtout un Président rigoureux, amoureux de cette institution dont il fut l’élève et l’architecte. Cette histoire d’amour commence tôt, lorsqu’enfant, il accompagnait son père au Palais-Bourbon. Il en profitait alors pour faire du patin à roulettes dans les couloirs, à la grande frayeur des huissiers. Président de l’Assemblée Nationale, il en connaissait tous les rouages, tous les passages, tous les secrets. Mais surtout, il connaissait l’essence de sa fonction de Président : être impartial pour, selon ses mots, "incarner l’Assemblée dans toutes ses composantes, et être le protecteur des droits de l’opposition". Estimé et respecté bien au-delà de son propre camp, il fut ainsi reconnu pour ce qu’il était : un homme droit, intègre, attaché au pluralisme républicain. Il était aussi et surtout un politique qui aimait les gens et qui s’intéressait à eux. Un homme simple, un homme bien, qui avait l’art du lien. Je peux en témoigner, puisqu’il fut toujours avec moi d’une grande bienveillance et d’un soutien indéfectible. Comme nombre d’entre vous, je le croisais souvent ici, à l’Assemblée, lorsqu’il arpentait les couloirs en guide passionné, se faisant auprès du jeune public autant conteur que passeur. Jean-Louis Debré, c’était donc un homme de cœur, mais c’était aussi un homme d’esprit et d’humour. À l’Assemblée même, il se permit quelques facéties. À la boutique, dont il eut l’idée, il avait même dessiné et conçu des peignoirs floqués du slogan "Mouillez-vous avec les politiques" ou des tabliers estampillés "Cuisine électorale". ».
Au Conseil Constitutionnel : « Il fut le président de la QPC, question prioritaire de constitutionnalité, fit grandir cette réforme, ouvrit les portes du Conseil Constitutionnel aux avocats et aux justiciables. Sous sa Présidence, le Conseil devint pleinement, selon ses mots, "le bouclier qui préserve de toute atteinte à des droits et libertés". ».
Et de conclure de cette façon : « Jean-Louis Debré était un amoureux de la République. Un amoureux d’une République qu’il voulait libre et laïque, qu’il voulait ardente, vibrante, vivante. Un amoureux de ces Mariannes auxquelles il était si attaché, c’est lui qui créa à l’Assemblée le salon des Mariannes et qui fit placer dans une niche du salon Delacroix le buste de Marianne à la place du trône de Louis-Philippe. En évoquant Marianne, la République, le Président Jean-Louis Debré paraphrasait souvent Ernest Renan : la République, disait-il, est "un rêve d’avenir partagé". Mais ces derniers temps, il ajoutait un avertissement inquiet : "Il faut faire en sorte que la République ne meure pas". ». Il avait d'ailleurs une grande collection de bustes de Marianne.
Le Premier Ministre François Bayrou a répondu à Yaël Braun-Pivet par cet autre hommage dans l'hémicycle, le 4 mars 2025 : « Le premier mot qui me vient à l’esprit, au nom du gouvernement, est celui de reconnaissance, reconnaissance pour la personnalité qu’il était, pour le parcours exceptionnel qui fut le sien. S’il fallait trouver un adjectif pour qualifier le chemin de Jean-Louis Debré, ce serait sans aucun doute "républicain". Il était profondément attaché aux principes de liberté, d’égalité, de fraternité et de laïcité, qu’il a servis et honorés durant toute sa carrière, toute sa vie. Un autre mot qui le définit est celui de fidélité, cette fidélité dont il a fait preuve dans tous ses engagements, politiques comme personnels, notamment, vous l’avez rappelé, auprès de Jacques Chirac. Tout au long de sa vie, il a servi une certaine idée, une idée, si je puis dire, presque chevaleresque, de ce qu’étaient l’engagement et la responsabilité politiques, qu’il ne séparait pas de l’engagement personnel et affectif ; une certaine idée de la République, mais aussi de la vie : une vie dans laquelle on ne s’abaisse pas, surtout pas à trahir ceux qu’on aime et avec qui on se bat. Le troisième et dernier mot qui me vient à l’esprit est celui d’amour : l’amour de la France, qu’il ne dissociait jamais de l’amour de la République. Il voyait dans le long chemin des institutions qu’il a servies, non seulement depuis votre fauteuil, Madame la Présidente, mais aussi depuis la Présidence du Conseil Constitutionnel, un parallèle avec l’aventure nationale à laquelle il avait dédié toute sa vie. Enfin, vous l’avez souligné, c’était un homme qui, tout engagé qu’il fut, ne se départait jamais d’un certain humour, d’une pointe d’ironie dans les yeux. Moi qui ai siégé à ses côtés au conseil des ministres pendant des années, je garde le souvenir précis de l’esprit qu’il déployait au service de ses collègues et de ses contemporains, parfois en les égratignant quelque peu. Cette manière de voir le monde, où l’on pouvait être fidèle en tout sans être dupe de rien, était une marque de fabrique de sa personnalité. Cet homme nous manquera. Sa fidélité restera un modèle et son humour sera pour nous une leçon de vie. ».
Le même jour, 4 mars 2025, au début de la séance publique de 16 heures 30, le Président du Sénat Gérard Larcher a également proposé une minute de silence pour Jean-Louis Debré : « Évoquer Jean-Louis Debré, c’est honorer la mémoire d’un grand serviteur de la Ve République. Son père, Michel Debré, Premier Ministre du Général De Gaulle, père de la Constitution, lui transmit les valeurs du gaullisme, auxquelles il restera attaché toute sa vie et qu’il défendra aux côtés de Jacques Chirac. (…) Le fils de celui qui fut le père de la Constitution veillera à ce qu’elle soit appliquée avec la plus grande rigueur. Présidant le Conseil Constitutionnel de 2007 à 2016, Jean-Louis Debré s’est attaché à ce que puisse être adoptée et que se déploie la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité. Il fut vigilant quant à la protection des droits et libertés. Il fut aussi un auteur : comment ne pas évoquer son "Dictionnaire amoureux de la République" ? Il fut un passionné de théâtre. ».
François Bayrou y a aussi apporté son hommage au Sénat, un second, donc, qui a changé un petit peu de celui, quelques minutes auparavant, rendu à l'Assemblée : « Ceux qui le connaissaient bien, j’en suis, ayant siégé à ses côtés au gouvernement pendant deux années, savent quelle personnalité attachante était la sienne. Le premier mot qui vient à l’esprit, lorsqu’on pense à lui, est celui de républicain. Il avait des formules assez drôles. Ainsi, lui qui était le fils de Michel Debré disait régulièrement qu’il était le frère de la Constitution de la Ve République, puisque Michel Debré était le père de celle-ci. Évidemment, la proximité entre cette œuvre majeure et la personnalité de Michel Debré était profondément marquante. Le deuxième mot est celui de fidèle. Qui a rencontré Jean-Louis Debré dans sa vie partagée avec Jacques Chirac sait que, au-delà des positions politiques qu’ils avaient en commun, il y avait de la part du premier à l’égard du second une fidélité joviale, amicale, chaleureuse et, à bien des moments, drôle. En effet, le troisième mot auquel on pense pour évoquer la personnalité de Jean-Louis Debré, c’est celui d’humour, dont il était profondément pétri. Il portait sur le monde, et notamment sur le monde politique, un regard amusé, ironique, informé. Il n’était guère de secret qu’il ne connût, mais cela n’empêchait pas l’indulgence qu’il avait non seulement envers ses collègues engagés en politique, mais aussi à l’égard, au fond, de la nature humaine. Cette manière, chaleureuse, de regarder le monde, était aussi remarquable au travers des œuvres littéraires qu’il produisait. De son passé de juge d’instruction, il avait retenu bien des intrigues et bien des tics de personnalité, dont il faisait la matière de ses romans policiers. Il était un homme attachant et respecté. ».
Enfin, je termine sur le témoignage d'un autre chiraquien historique, Alain Juppé, dans un entretien accordé à Frédéric Lemaître et Solenn de Royer publié le 7 mars 2025 dans "Le Monde". Jean-Louis Debré était secrétaire général adjoint du RPR lorsqu'Alain Juppé était secrétaire général : « C’est brutal [sa disparition]. (…) Jean-Louis Debré est un ami politique, un ami tout court. (…) Nous avons cheminé ensemble. C’était un homme de convictions, gaulliste, chiraquien, d’une fidélité absolue à Chirac. C’était aussi un Président de l’Assemblée Nationale infiniment respectueux des droits de l’opposition. ».
« Oui, j'en ai bien l'intention. Je n'ai pas changé d'ambition. » (3 février 2024 dans "Ouest-France").
Remarquez, on pourrait intervertir les mots : "Oui, j'en ai bien l'ambition. Je n'ai pas changé d'intention". Son ambition est-elle intentionnelle ? Toujours est-il qu'il y a déjà beaucoup d'eau qui a coulé sous les ponts depuis cette interview de Xavier Bertrand, précisément un an et un mois et demi, des élections européennes, une dissolution, des élections législatives et pas moins de trois gouvernements, dont un censuré ! Xavier Bertrand fête son 60e anniversaire ce vendredi 21 mars 2025.
C'est trop jeune pour la retraite, mais c'est déjà un âge canonique : il aura 62 ans en 2027, soit l'âge de Jacques Chirac à sa première élection à la Présidence de la République. Avec une petite différence : en 1995, Jacques Chirac avait déjà dans ses bagages deux candidatures à l'élection présidentielle, plus de quatre ans à Matignon, plus de vingt ans de chef d'un grand parti de gouvernement, sans compter dix-huit ans de maire de Paris, l'ENA, etc.
Xavier Bertrand est sans doute moins "capé" : assureur picard, il a été élu conseiller général de l'Aisne de 1998 à 2002, député de l'Aisne de 2002 à 2016, maire de Saint-Quentin de 2010 à 2016, secrétaire général de l'UMP de janvier 2009 à novembre 2010, membre de cinq gouvernements sous Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy : Secrétaire d'État chargé de l'Assurance maladie du 31 mars 2004 au 31 mai 2005, Ministre de la Santé et des Solidarités du 2 juin 2005 au 26 mars 2007, Ministre du Travail, des Relations sociales et de la Solidarité du 18 mai 2007 au 15 janvier 2009 (avec la Famille à partir du 18 mars 2008), enfin, Ministre du Travail, de l'Emploi et de la Santé du 14 novembre 2010 au 10 mai 2012.
Mais, ce qui le rend le plus fier, c'est d'avoir été élu en décembre 2015 et réélu en juin 2021 président du conseil régional des Hauts-de-France, réunion des régions Nord-Pas-de-Calais et Picardie, et à ce titre, adversaire direct de Marine Le Pen en 2015 sur le terrain régional autant que national.
Celui qui s'amusait à faire à ses collègues des blagues de potaches à l'Assemblée est devenu un personnage grave du paysage politique français. Avec lui, tout est grave. Il se croit Président de la République mais il ne l'est pas. Il le voudrait bien mais s'en donne-t-il les moyens.
En tout cas, il a raté de nombreux trains. Déjà pour être chef de l'UMP : en novembre 2012, la bataille a fait rage entre François Fillon et Jean-François Copé, et lui a préféré rester confortablement en arrière, pour compter les points. Il aurait pourtant pu être le troisième homme qui aurait surpris son monde. La présidence de l'UMP puis de LR a toujours été négligée, alors que contrôler un grand parti de gouvernement apporterait un avantage majeur dans une campagne présidentielle, son financement, ses réseaux, ses soutiens. Ainsi, il n'a pas voulu affronter Laurent Wauquiez en décembre 2017, il a même démissionné de LR, il n'a pas cherché à reprendre ce parti après sa déconfiture de 2019, ni en décembre 2022, et pas plus en mai 2025 ; il ne s'est pas présenté à la présidence de LR face à Laurent Wauquiez et Bruno Retailleau (le congrès aura lieu les 17 et 18 mai 2025).
Pourtant, ce n'est pas les envies qui lui ont manqué. Tiens, Matignon, c'est un peu l'Arlésienne de Xavier Bertrand. Dès 2010, il était le premier-ministrable privilégié des post-gaullistes. En novembre 2010, François Fillon s'est accroché à Matignon, si bien que la place n'était pas libre. Après la victoire du Président Emmanuel Macron en mai 2017, ce dernier lui aurait proposé Matignon avant de le proposer à Édouard Philippe. L'opposition de Xavier Bertrand à Emmanuel Macron est une sorte de jeu de rôle peu convaincant. Il se dit de droite, mais la droite sociale, du gaullisme social. Cela ne veut pas dire grand-chose, mais ces mots sont attendus.
Régulièrement, il était attendu chez les macronistes. Son poulain avait franchi le Rubicon dès 2017, Gérald Darmanin, devenu pour l'occasion un sérieux rival dont l'ambition est plus qu'une intention. En été 2024, l'absence totale de majorité a placé Xavier Bertrand parmi les favoris pour Matignon, à égalité avec Bernard Cazeneuve, avec un avantage, il ne remettrait pas en cause la réforme des retraites. Soutenu par Gérald Darmanin, Xavier Bertrand a même commencé à imaginer l'ossature de son futur gouvernement. Mais en vain.
Alors, pourquoi n'a-t-il pas été nommé ? À cause d'un veto. Parce que la durée de vie de son gouvernement n'aurait pas dépassé quelques semaines. Le RN était prêt à voter la censure dès sa nomination en raison du contentieux personnel qui l'oppose à sa présidente. Michel Barnier a été nommé avec un préjugé moins négatif, mais il n'a finalement duré que trois mois. S'est alors reposée la question du Premier Ministre. François Bayrou voulait nommer Xavier Bertrand à la Justice, mais, là encore, le RN a annoncé que dans une telle configuration, il tirerait à vue avec une censure préventive. Finalement, c'est Gérald Darmanin qui est revenu aux affaires pour la Justice.
Quant à Xavier Bertrand, son honneur en a pris un coup et malgré d'autres propositions de ministère de la part de François Bayrou, ce serait sans lui. Sur Twitter le 23 décembre 2024, il a lâché son amertume : « Le Premier Ministre m'a informé ce matin, contrairement à ce qu'il m'avait proposé hier, qu'il n'était plus en mesure de me confier la responsabilité du ministère de la justice en raison de l'opposition du Rassemblement national. (…) En dépit de ses nouvelles propositions, je refuse de participer à un gouvernement de la France formé avec l'aval de Marine Le Pen. ».
Alors, en attendant de revenir aux affaires, Xavier Bertrand attend. Il ne sait qu'attendre. Déjà, il avait laissé sa chance passer en 2017, il n'a pas tenté de concurrencer les trois grands (Nicolas Sarkozy, Alain Juppé et François Fillon) à la primaire LR de novembre 2016. Et sa détermination à se présenter à l'élection présidentielle de 2022 quoi qu'il en coûtât était extrêmement forte. Après avoir refusé dans un premier temps, il a toutefois accepté d'affronter ses collègues de LR dans une primaire fermée en décembre 2021. Résultat, alors qu'il était le favori des sondages, il s'est fait surpasser par ses trois principaux concurrents, Michel Barnier, Éric Ciotti et Valérie Pécresse.
Alors, on imagine aisément qu'on ne lui reprendra plus de participer à une primaire. Mais son train est parti depuis longtemps. À LR, le combat est désormais entre Bruno Retailleau et Laurent Wauquiez. Xavier Bertrand croit à ses chances pour 2027 parce qu'il se considère comme le meilleur rempart contre le RN et contre Marine Le Pen. Il peut au moins le dire par expérience, il a déjà battu concrètement Marine Le Pen, ce qui peu de ses rivaux peuvent dire.
Dans l'interview publiée le 3 février 2024 dans "Ouest-France", Xavier Bertrand insistait : « Beaucoup aujourd'hui pensent déjà que 2027 sera le tour de Marine Le Pen. Pas moi ! Je suis convaincu qu'il n'y a pas une majorité de fachos dans notre pays, mais il y a une majorité de Français en colère. J'entends y répondre le moment venu. Donc non, en 2027, ça ne sera pas le tour de l'extrême droite. ». Il n'a pas osé poursuivre : en 2027, ce serait son tour. Le croit-il vraiment ?
Pour ce faire, le 1er octobre 2022 à Saint-Quentin, il a lancé son propre parti politique, "Nous France" (je me demande vraiment ce qu'il y a dans la tête des communicants pour pondre de telles inepties comme noms de parti). À ma connaissance, il n'a pas refait de nouvelle réunion depuis deux ans et demi. C'est toute la différence avec Horizons, qui est un véritable parti, avec beaucoup d'élus, des maires, des parlementaires, et même deux groupes parlementaires, au Sénat et à l'Assemblée, le parti de l'ancien Premier Ministre Édouard Philippe qui s'est encore réuni en congrès le 16 mars 2025 à Lille.
Car la question se pose encore cette fois-ci. Depuis quinze ans, Xavier Bertrand clame après chaque élection présidentielle qu'il sera candidat à l'élection présidentielle suivante, mais dans la réalité, il n'a encore jamais été candidat ! Or, comme il le dit, 2027 sera une élection où le candidat ou la candidate du RN serait en mesure de gagner. Pour éviter un second tour opposant Marine Le Pen à Jean-Luc Mélenchon, il serait de nature salutaire qu'un seul candidat du socle commun puisse affronter ces deux redoutables candidats populistes. Pas sûr que le ton obséquieux, la mollesse des convictions qui en ferait un François Hollande de droite, soient ce qu'il y a de mieux dans le magasin du socle commun.
« Chirac doit être à 13% dans les sondages, Balladur est à 30 ou 40%. Personne ne veut vraiment nous recevoir. Et je lui dis : comment voyez-vous les choses ? (…) Ce n'est pas très bon. Et je lui dis : qu'est-ce qu'on va faire après ? Il me dit : on va ouvrir une agence de voyage. Tu la tiendras et je voyagerai. Et dix secondes après : non, on va gagner ! On est à 13%. » (Jean-Louis Debré sur Jacques Chirac).
Une anecdote parmi de très nombreuses autres qu'il aimait raconter, lui le mécanicien de la Cinquième République, celui qui était dans le moteur institutionnel de père en fils. C'est avec beaucoup de tristesse que j'ai appris la mort de Jean-Louis Debré dans la nuit du 3 au 4 mars 2025. Il avait 80 ans. Il nous manquera, "nous", tous les Français, car il était un visage et un regard irremplaçable d'une certaine idée de la vie politique.
Il rejoint son frère jumeau, médecin et également homme politique, Bernard Debré mort le 13 septembre 2020 à 75 ans, quelques heures avant leur grand frère François Debré, journaliste, à 78 ans. De la fratrie, il ne reste plus que Vincent, l'aîné, 86 ans.
Incontestablement, Jean-Louis Debré était issu d'une grande famille exceptionnelle, certains diront dynastie, mais en République, chaque membre n'a brillé que par son mérite personnel, et on l'a bien compris en observant les deux frères jumeaux, l'un était un homme politique, tandis que l'autre était bien plus que cela, un homme d'État (c'est d'ailleurs ainsi que le présente Wikipédia, ce dont je me réjouis), comme leur père, Michel Debré, auteur de la Constitution de la Cinquième République et premier Premier Ministre de cette République et du Général De Gaulle.
Cette famille, qui était déjà bien installée depuis plusieurs générations, a donné de nombreux grands médecins (dont Robert Debré, présenté comme le père de la pédiatrie moderne, le grand-père de Jean-Louis Debré), de grandes personnalités politiques, de grands scientifiques et universitaires (Michel Debré était le cousin germain du grand mathématicien Laurent Schwartz récompensé par la Médaille Field, son frère Bernard Schwartz a été le directeur de l'École des Mines de Nancy, etc.), aussi un grand-rabbin (Simon Debré, l'arrière-grand-père de Jean-Louis Debré), aussi de grands artistes (son oncle Olivier Debré était un peintre de l'abstrait), sept académiciens, etc.
Jean-Louis Debré était adolescent quand son père était à Matignon, il connaissait les De Gaulle, leur face publique mais aussi privée. Il ne pouvait être que passionné par la politique, car il a baigné dans la marmite étant petit (comme Obélix), d'autant plus que son père était un passionné qui a retransmis le virus de la politique à ses enfants. En 1986, les deux frères jumeaux ont été élus députés et ils ont siégé avec le père qui a pris sa retraite en 1988. Pendant deux ans, il y a eu trois Debré pour le prix d'un au Palais-Bourbon !
Mais c'est bien avant qu'il a vraiment fait la connaissance de Jacques Chirac, en 1973, à une époque où, jeune homme de 28 ans, il s'était présenté aux élections législatives et avait perdu : on ne lui avait pas donné une circonscription en or, il s'est démené par son mérite pour arriver à la politique. Jacques Chirac l'a épaulé, l'a coaché, il était son mentor, en quelque sorte. Et au fil des années et des décennies, au fil des fidélités et des vilenies, Jean-Louis Debré est resté le chiraquien fidèle, l'un des rares jusqu'au bout de la route, l'un de ses rares visiteurs quand il était malade.
Docteur en droit public, juge d'instruction, Jean-Louis Debré, au-delà de ses mandats de député (son successeur dans sa circonscription fut Bruno Le Maire) et de maire d'Évreux, a assumé trois grands mandats dans sa carrière politique.
Le premier n'était pas une joie et son autorité y était souvent remise en cause : Ministre de l'Intérieur du 18 mai 1995 au 2 juin 1997, je pourrais même dire le premier Ministre de l'Intérieur de Jacques Chirac Président de la République, mais il aurait sans doute été plus utile au Ministère de la Justice. Jacques Chirac avait besoin d'une personne fiable et fidèle à l'Intérieur, et Jean-Louis Debré, qui n'a jamais tutoyé le Président, n'a jamais trahi Jacques Chirac, notamment pendant la campagne présidentielle de 1995, voir l'anecdote en introduction (alors que son frère Bernard Debré soutenait Édouard Balladur).
Sa deuxième grande responsabilité a été d'être Président de l'Assemblée Nationale du 25 juin 2002 au 4 mars 2007. Là encore, rien n'était évident pour lui et il a réussi à convaincre la majorité des députés UMP de l'élire, alors que d'autres noms, parfois prestigieux (Édouard Balladur), circulaient pour le perchoir. Ce fut, comme l'a rappelé sa lointaine successeure Yaël Braun-Pivet, « l'honneur d'une vie » et « cinq ans de bonheur absolu ». Sa passion de la chose politique et son respect des institutions ont conduit Jean-Louis Debré à profondément marquer l'Assemblée Nationale par sa fonction. Depuis 1958, il n'y a pas eu beaucoup de Présidents de l'Assemblée à s'être autant distingué : Jacques Chaban-Delmas, Philippe Séguin, et lui (et je pourrais rajouter Yaël Braun-Pivet et Louis Mermaz). Les autres, c'était juste une ligne de plus sur leur CV et leurs gratifications ; pour Jean-Louis Debré, c'était faire vivre la représentation nationale, la moderniser, l'incarner, en particulier à l'étranger.
Enfin, sa troisième grande responsabilité, il a exercé le mandat de Président du Conseil Constitutionnel du 5 mars 2007 au 5 mars 2016, de manière passionnée mais neutre et impartiale, d'autant plus que son gaullisme originel l'incitait à détester Nicolas Sarkozy et ses attitudes peu gaulliennes (par la suite, après 2016, il n'a pas caché qu'il avait voté pour François Hollande en 2012 !). Laurent Fabius lui a succédé et ce mandat s'achève dans quelques jours au profit de Richard Ferrand.
Son père Michel Debré avait d'ailleurs refusé la proposition du Président Georges Pompidou de le nommer Président du Conseil Constitutionnel en début 1974, il était pourtant sans doute le plus apte à assumer cette fonction, mais il se méfiait de Georges Pompidou et pensait qu'il voulait se débarrasser (politiquement) de lui, alors que lui-même voulait garder sa liberté, sa partialité, son besoin d'influer sur le cours des choses.
Retiré de la vie politique en mars 2016, Jean-Louis Debré a fréquenté régulièrement le Salon du Livre mais aussi le théâtre. Il a publié quelques livres de témoignages et d'anecdotes parfois croustillantes, devenu observateur après acteur, et quelques exposés sur des sujets qui l'intéressaient, comme les femmes qui ont réveillé la France, un spectacle au théâtre dans une nouvelle vie, culturelle cette fois-ci, commencée en 2022. Son amour pour l'histoire l'a conduit aussi à présider le Conseil supérieur des archives de 2016 à 2025, après deux prédécesseurs prestigieux, les historiens René Rémond (1988 à 2007) et Georgette Elgey (2007 à 2016).
Je reviens sur la relation de Jean-Louis Debré avec Jacques Chirac qui l'a pris sous son aile en 1973 en le nommant conseiller technique au Ministère de l'Agriculture (leur première rencontre a eu lieu à l'aéroport d'Orly en juillet 1967, il avait 22 ans et accompagnait Michel Debré pour accueillir De Gaulle de retour de sa visite officielle au Québec, le fameux "vive le Québec libre !"). Soutenant comme son père la candidature de Jacques Chaban-Delmas, il a quitté le cabinet de Jacques Chirac (qui soutenait VGE) mais l'a réintégré à Matignon après l'élection de Valéry Giscard d'Estaing, jusqu'en été 1976. À partir de 1988, Jacques Chirac s'est beaucoup reposé sur la loyauté de Jean-Louis Debré pour maintenir unies ses troupes du RPR, après des tentatives de "rébellion" interne de Charles Pasqua, Philippe Séguin, puis Édouard Balladur.
Sa liberté de ton, sa passion et son engagement ont fait de Jean-Louis Debré l'une des personnalités politiques les plus respectées de France, à qui même Mathilde Panot a rendu hommage ce matin, un hommage à « un des représentants majeurs d'une droite républicaine qui défendait encore les usages démocratiques ». Il manquera à la République.
« La politique de la majorité nationale, avec trois priorités, vous les retiendrez facilement. La première, rétablir l'ordre. La deuxième, rétablir l'ordre. La troisième, rétablir l'ordre. Parce que je crois à l'ordre, l'ordre comme condition de la liberté. Quand il n'y a pas d'ordre, c'est la liberté d'abord qui est menacée. Je crois à l'ordre comme la condition de l'égalité. La loi du plus fort s'exerce contre le plus faible. Je crois à l'ordre comme la condition de la fraternité, comme une possibilité de la concorde civile. » (Bruno Retailleau, le 23 septembre 2024, Place Beauvau).
Considéré comme un représentant de l'aile droite de son parti Les Républicains, avec son petit air anachronique de vieux conservateur, l'ancien président du puissant groupe LR au Sénat s'est distingué des autres nouveaux ministres par sa personnalité et son dynamisme. Sans doute le seul nom connu des Français parmi les ministres qui ont siégé aux côtés de Michel Barnier, il a rejoint les poids lourds de la politique dans le gouvernement Bayrou aux côtés d'anciens Premiers Ministres.
La classe politico-médiatique a certainement sous-estimé les possibilités de Bruno Retailleau, qui a fait ses débuts auprès du seigneur de la Vendée, Philippe de Villiers. Pourtant, François Fillon, devenu le candidat incontournable de LR à l'élection présidentielle de 2017, donné même le favori des sondages avant "son affaire", avait largement laissé entendre qu'il nommerait à Matignon ce sénateur, clair dans des positions clivantes mais courtois dans ses relations.
Il avait surpris certains Français lorsqu'il s'était présenté contre Éric Ciotti à la présidence de LR en décembre 2022 (et contre Aurélien Pradié). À l'époque, personne n'imaginait qu'Éric Ciotti allait trahir son parti pour se vendre au RN, mais les grands élus avaient soutenu Bruno Retailleau qui rassurait et était capable d'unité. Éric Ciotti, très apprécié des militants LR, a finalement été élu, ce qui a mis LR dans la mouise après la dissolution.
Au contraire de Laurent Wauquiez, pourtant revenu à l'Assemblée en prenant même la présidence du groupe LR, Bruno Retailleau a accepté de prendre ses responsabilités et de devenir ministre même si c'était dans un contexte politique très difficile (sans majorité absolue). Il a fait preuve de courage pendant que l'ancien président du conseil régional d'Auvergne-Rhône-Alpes a préféré se planquer dans le confortable rôle d'observateur.
Les premières déclarations de Bruno Retailleau lors de son installation au Ministère de l'Intérieur, en répétant trois fois "ordre", semblaient des incantations au dieu sécuritaire et m'ont fait évidemment penser à Louis de Funès, dans l'excellent film "La Zizanie" de Claude Zidi (sorti le 16 mars 1978), maire et patron en confrontation avec Annie Girardot, sa femme maltraitée, lorsqu'il évoque son programme : « Mon programme, trois points : premièrement, le plein emploi ; deuxièmement, le plein emploi ; et troisièmement, le plein emploi ! ».
Ses débuts Place Beauvau ont été chaotiques, avec des déclarations intempestives (comme vouloir renoncer à l'État de droit, le dire est une profonde erreur quand on est membre d'un gouvernement), mais à la longue, il était à peu près le seul ministre du gouvernement Barnier à être visible, lisible, audible, à remuer ciel et terre pour renforcer la sécurité des citoyens. Le contraste avec son collègue de la Justice, Didier Migaud, était frappant, moins depuis que Gérald Darmanin s'est installé Place Vendôme. Les deux hommes semblent désormais entrer dans une saine émulation, dans une saine concurrence à celui qui en fera le plus.
Pour François Bayrou, très occupé jusqu'à maintenant sur les questions budgétaires, il laisse ses deux ministres s'occuper du régalien. Parfois, François Bayrou remet le débat en route, comme le vendredi 7 février 2025 sur RMC en proposant imprudemment d'ouvrir un large débat public sur ce que signifie être Français, qui n'est d'ailleurs pas sans faire penser à un autre débat ouvert tout aussi imprudemment en 2009 par un ancien grand rival, Nicolas Sarkozy, sur l'identité nationale.
Depuis près de cinq mois, son activisme lui a plutôt réussi : il semble de plus en plus apprécié par les sondés dans les enquêtes d'opinion, et on pense désormais à lui comme possible candidat LR à l'élection présidentielle.
Présent sur de nombreux fronts, dans les médias et sur le terrain, à l'Assemblée et au Sénat également, Bruno Retailleau était l'invité ce mercredi 12 février 2025 dans la matinale de France Inter où il a refusé d'exprimer ses intentions pour le prochain congrès de LR, un congrès de la refondation. Laurent Wauquiez, inquiet de la tournure des événements, avait envoyé il y a quelques jours une première salve d'avertissements contre son ancien ami pour rappeler un deal qui n'a pourtant jamais eu lieu : à moi le parti, à toi le gouvernement !
C'est à peine une ou deux heures après son interview sur France Inter qu'a été rendue publique la lettre que Bruno Retailleau a envoyée à tous les adhérents de LR : « J'ai décidé de me porter candidat à la présidence des Républicains. (…) Je veux faire pour mon parti ce que je fais à la tête de mon ministère : parler vrai et agir vite. ». Au moins, cela a le mérite d'être clair.
"L'entourage" de Laurent Wauquiez, également candidat à la présidence de LR (qu'il avait quittée en 2019), a répliqué immédiatement à l'AFP en affirmant que le Ministre de l'Intérieur « prend la lourde responsabilité d'ouvrir une guerre des chefs ». Comme si la présidence de LR était une chasse gardée !
Ce qui est surprenant, c'est que Laurent Wauquiez croit qu'il se place au même niveau que Bruno Retailleau dans une éventuelle course présidentielle. Et pourtant, il n'y a pas photo ! Laurent Wauquiez n'est pas apprécié des Français, et aucun frémissement n'a jamais eu lieu depuis toujours à son avantage, même il y a quinze ans. Parmi les handicaps qu'on lui colle à la peau, il y a celui de l'insincérité qui contraste réellement avec la sincérité de Bruno Retailleau qui n'a jamais eu d'arrière-pensée car il a toujours dit ce qu'il pensait et depuis cinq mois, il tente de faire ce qu'il disait (ce qui est beaucoup moins facile). Bruno Retailleau, au pire, on critiquera son impuissance, mais certainement pas son insincérité.
On ne s'étonnera pas que beaucoup d'anciens dirigeants de LR vont soutenir Bruno Retailleau, et parmi les premiers, un ancien président de l'UMP, Jean-François Copé, replié dans "sa" ville de Meaux, qui voit en Bruno Retailleau le candidat idéal non seulement à la présidence de LR mais aussi à la Présidence de la République. Son avantage, c'est qu'il capte un électorat tenté par le RN. Remettre Laurent Wauquiez à la tête de LR serait d'ailleurs le meilleur moyen de transformer ce grand parti d'élus (encore) en une secte crépusculaire. Si ce dernier ne veut pas de guerre des chefs, il y a une solution très simple, il lui suffit de s'effacer derrière Bruno Retailleau.
De toute façon, il y a des trains à ne pas rater. Aujourd'hui, il y a un moment Retailleau, et le principal concerné en est bien conscient. Pour François Bayrou, cela lui permet de renforcer la solidarité gouvernementale. L'objectif du Premier Ministre, lorsqu'il a constitué son gouvernement, c'était d'impliquer tous les chefs de parti pour éviter le désordre entre les partis gouvernementaux qui avait pourri l'action du gouvernement Barnier. Et puis, il faut bien le dire, Bruno Retailleau, c'est le seul dirigeant de LR qui reste encore audible par les Français. Les autres ont fait leur temps.