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théâtre

  • Nicole Croisille, une femme avec Nous

    « Et je perdais mon temps dans ce désert doré
    J'étais seule quand je t'ai rencontré
    Les autres s'enterraient, toi tu étais vivant »
    ("Une femme avec toi", 1975).




     

     
     


    La très talentueuse chanteuse Nicole Croisille s'est éteinte ce mercredi 4 juin 2025 à l'âge de 88 ans, des suites d'une saleté de maladie (elle a connu la chimiothérapie). Coïncidence ? Même jour et même âge que Philippe Labro. Si ce dernier a bénéficié d'une bonne couverture médiatique (ce qui est logique, la disparition d'un des leurs touche les journalistes), j'ai l'impression qu'on a un peu oublié Nicole Crosille dans les médias.

    Elle était pourtant très présente dans l'actualité culturelle jusqu'à récemment (2020). Effectivement, elle jouait encore en 2020 dans une pièce de Sacha Guitry aux côtés de Michel Sardou, au Théâtre de la Michodière, à Paris. C'était le genre de personne qui mourrait artiste. Elle était d'ailleurs jalouse de son autonomie et n'aurait pas accepté d'être diminuée, elle laissait échapper qu'elle ne concourait pas pour être centenaire. Elle était du reste favorable à l'euthanasie.

    On a parlé d'elle comme de "la" chanteuse de Claude Lelouch, celle du Chabadabada de 1966, dans le film "Un homme et une femme". Des paroles de Pierre Barouh et une composition de Francis Lai, Nicole Croisille l'a interprétée aux côtés de Pierre Barouh.





    C'était peut-être cela, son talon d'Achille, elle était une interprète exceptionnelle et émouvante mais elle dépendait de paroliers et de compositeurs. C'est pour cela que sa carrière a été en dents de scie.

    Comme je l'avais déjà exprimé il y a plus de trois ans, j'ai adoré la chanson "Une femme avec toi" de Vito Pallavicini et Alfredo Ferrari adaptée par Pierre Delanoë. Elle est sortie en 1975 et caractérisait excellemment ces années 1970 faites d'amour et d'insouciance, juste avant les crises économiques, sociales, morales, géopolitiques qui n'en finissent plus de bousculer notre monde contemporain (évidemment, j'exagère, c'est juste une vue de l'esprit, il y a eu bien des crises avant les années 1980).
     

     
     


    Pour moi, cette chanson si bien servie avec cette belle voix était comme une lueur dans un océan d'incertitude et d'inquiétude. L'idée que l'amour triompherait un jour. Qu'une femme puisse te dire : « Et enfin pour la première fois, je me suis enfin sentie : Femme, femme, une femme avec toi ! », quelle émotion, quelle force !





    Autre très belle chanson que Nicole Croisille a interprétée, toujours grâce à Claude Lelouch, dans "Itinéraire d'un enfant gâté" c'est "J'aurais voulu être artiste", chanson de Michel Berger et Luc Plamondon pour Starmania modifiée à la deuxième personne du singulier "Tu aurais voulu être un artiste", dont le vrai titre est "Le blues du businessman".





    Dans le même film, Nicole Croisille a également interprété "Qui me dira".





    Claude Lelouch l'a aussi recrutée, quelques années auparavant, pour son film "Les Uns et les Autres" dont elle a chanté aussi la bande originale mais aussi pour jouer un rôle. En 1995, le réalisateur l'a fait Madame Thénardier dans ses "Misérables".





    Cette rencontre avec Claude Lelouch a été fondamentale et pour Nicole Croisille, c'était la raison de sa voix si émouvante. Lorsqu'elle l'a rencontré, le réalisateur lui a dit : « Quand tu fais des notes invraisemblables, et qu'elles sont de très belles notes, je m'en fous complètement. Ça ne m'intéresse pas. Ce qui m'intéresse, c'est que tu me racontes une histoire, et c'est que je sente ton émotion. ». Réaction de l'intéressée, racontée le 16 octobre 2028 sur France 5 : « J'ai compris qu'il fallait que j'arrête d'être une technicienne de la voix, j'avais quand même fait le cursus d'une chanteuse d'opéra, et puis, que je m'attache à dire pourquoi j'étais en train de chanter. ». Et après, elle a vraiment compris cela avec la discussion avec le chef d'une chorale sénégalaise : « La voix, c'est le reflet de l'âme. Quand nous, on prie, c'est avec notre voix. ». Ce qui l'a fait réfléchir : « Je me suis dit : il faut que j'arrête d'être une chanteuse de métier. Il faut que j'arrive d'être quelqu'un qui utilise sa voix pour communiquer des émotions. ».

    L'âge n'a jamais été pour elle un obstacle au travail (au contraire de la maladie). Ainsi, il y a encore moins de dix ans, le 11 octobre 2015 sur France 3, elle était toujours sur les plateaux de télévision pour s'adonner à son sport favori ("Téléphone-moi !").





    En réaction aux vidéos des chansons sur Youtube, beaucoup d'internautes ont exprimé leur émotion à l'annonce de la disparition de cette grande artiste. Tous pleurent la grande dame... mais aussi une partie d'eux-mêmes et de leur propre histoire. Merci Madame d'avoir su si bien traduire des émotions intemporelles. Elles le resteront par la magie des enregistrements.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (04 juin 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    La Nicole s'amuse.
    Nicole Croisille.
    Mike Brant.
    Olena Kohut.
    Joséphine Baker.
    Florence Arthaud.
    Herbert Léonard.
    Jeanne Calment.
    Pierre Bachelet.
    Gérard Lenorman.
    Pierre Dac.
    Marianne Faithfull.
    Marcel Zanini.
    Patricia Kaas.
    Kim Wilde.






    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250604-nicole-croisille.html

    https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/nicole-croisille-une-femme-avec-261365

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/06/04/article-sr-20250604-nicole-croisille.html


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  • Gérard Depardieu, un chêne qui s'effondre ?

    « Je n’ai pas attendu MeToo pour dire les violences faites aux femmes sont un problème. (…) Je me félicite que la parole se libère (…). Mais je pense que notre rôle, c'est de permettre son cadre, c'est que la justice puisse faire son travail, c'est qu'on protège les femmes qui sont menacées, mais que là aussi, on ne le fasse pas en oubliant les principes constitutionnels qui sont les nôtres, dont la présomption d'innocence. » (Emmanuel Macron, conférence de presse du 16 janvier 2024).


     

     
     


    C'était un rétropédalage à son trop grand hommage à Gérard Depardieu le 20 décembre 2023 sur France 5. Emmanuel Macron avait effectivement déclaré : « Dans nos valeurs, il y a la présomption d’innocence. Je déteste les chasses à l’homme. Quand tout le monde tombe sur une personne, sur la base d’un reportage, sans qu’il ait la possibilité de se défendre… Les procédures judiciaires suivront leur chemin. (…) Gérard Depardieu est un immense acteur, il a servi les plus beaux textes. C’est un génie de son art. (…) Il rend fière la France. ».

    Eh oui, on peut être un immense acteur et être un "prédateur" sexuel. C'est le privilège des immenses, il est des vertiges qui vont des cimes aux abîmes. Faut-il abattre les anciens héros ? Comment passer de monstre sacré à monstre tout court ?

    Un procès prévu le 28 octobre 2024 et reporté aux 24 et 25 mars 2025. Il a été condamné pour agressions sexuelles le 13 mai 2025 par le tribunal correctionnel de Paris à dix-huit mois de prison avec sursis, une peine d'inéligibilité de deux ans et son inscription au fichier des auteurs d'infractions sexuelles. Son avocat a immédiatement annoncé qu'il ferait appel.

    Gérard Depardieu a eu de la veine car sa condamnation est tombée dans la plus grande indifférence médiatique, alors que le Festival de Cannes s'ouvrait. La très forte actualité, du bouillonnement diplomatique autour de l'Ukraine, à l'interminable émission d'Emmanuel Macron, en passant par le scandale de Bétharram, etc. a occulté une information grave : on a condamné pour des agressions sexuelles en première instance le géant du cinéma français. À cause de l'appel, la présomption d'innocence revient au galop, mais le témoignage de deux accusatrices, plaignantes, sur des faits commis en 2021 lors du tournage du film "Les Volets verts", a convaincu le juge.
     

     
     


    Au cours de ce procès, Gérard Depardieu a toujours clamé son innocence. Il a déclaré par exemple qu'il s'était rattrapé par la hanche d'une plaignante parce qu'il allait tomber, sans intention sexuelle. Mais il a aussi reconnu qu'il pouvait prononcer des mots grossiers, choquants, sexistes, etc. Sa défense était confuse, parfois arrogante et peu crédible. Peut-on être bon acteur quand le rôle est mauvais dans un mauvais navet ?

    Cette condamnation (en première instance, donc pas définitive) est toute de même un choc pour beaucoup de Français. Bien sûr, il y avait ceux qui ricanaient un peu, sans s'occuper des victimes (qui se sont multipliées au fil des plaintes ; le collectif donne toujours plus de courage).

    Mais il y avait aussi ceux qui se souvenaient de toute la carrière cinématographique de Gérard Depardieu, de ce jeune inventeur (un très petit rôle) dans l'excellent "Stavisky" d'Alain Resnais (1973) ou de ce jeune malfrat dans cet autre excellent film "Le Viager" de Pierre Tchernia (1972). Bien sûr, ceux-là se souvenaient aussi du film qui lui a apporté la notoriété, "Les Valseuses" de Bertrand Blier (1974), et d'une succession incroyable de films souvent excellents (il a tourné dans plus de deux cents films, quelle santé !), parmi lesquels j'ai adoré "Le Sucre" de Jacques Rouffio (1978), "Buffet froid" de Bertrand Blier (1979), "Le Dernier Métro" de François Truffaut (1980), "La Femme d'à côté" de François Truffaut (1981), "La Chèvre" de Francis Veber (1981)... et j'arrête là pour ses "débuts"...

    Il y a cette impression d'une transformation d'un héros en monstre, une transformation physique qui lui donnait des airs parfaits d'Obélix, mais il y a cette autre impression que ce n'était pas une transformation et que Gégé a toujours été graveleux, toujours aux confins des limites du sexuellement correct, voire les franchissant très nettement (par exemple, en 1978, il expliquait qu'il avait eu son premier viol à l'âge de 9 ans).


    Gérard Depardieu est-il le brutal qu'on pourrait décrire, l'alcool aidant, fracassant le véhicule garé devant chez lui à Paris si ce n'était pas son scooter ? Mais Gérard Depardieu est aussi cette personne fine, sensible, que j'ai rencontrée il y a quelques années au Studio 104 de la Maison de la Radio, qui savait tellement bien prendre un rôle qu'il a chanté Barbara avec une excellence étonnante (il avouait alors qu'il s'aidait d'une oreillette ; ils ne sont pas nombreux ceux qui ont cette franchise-là).
     

     
     


    Des "prédateurs" sexuels, finalement, il y en a eu beaucoup qui étaient de braves gens, voire des personnalités qui pouvaient flirter le sommet du prestige. Dominique Strauss-Kahn aurait pu devenir Président de la République. L'abbé Pierre, personnalité préférée des Français pendant des années, aurait pu reposer au Panthéon. Et maintenant, un autre monstre sacré, Gérard Depardieu.

    Alors, c'est une bonne nouvelle pour toutes les victimes, il ne doit plus y avoir impunité pour quiconque aurait abusé sexuellement d'une autre personne. Mais il faut aussi accepter le clivage entre l'homme et son œuvre. Il ne faut pas détruire la Fondation Emmaüs qui fait vivre et qui a réinséré de nombreuses personnes. Il ne sert à rien de refuser de diffuser un film où a joué Gérard Depardieu, déjà parce qu'il n'est pas le seul à avoir fait le film (producteur, réalisateur, autres acteurs), ensuite parce que ses errements amoraux et illégaux n'ont rien enlevé au génie de l'acteur. Aussi condamné soit-il, il reste Gérard Depardieu.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (13 mai 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Gérard Depardieu, un chêne qui s'effondre ?
    Un cadeau d'anniversaire à Gérard Depardieu face à la démence collective.
    Faut-il lyncher Depardieu ?
    La russitude de Gérard Depardieu.
    Barbara chantée par Depardieu.
    Lettre de Gérard Depardieu à Jean-Marc Ayrault du 16 décembre 2012.
    Nationalité russe le 3 janvier 2013.

    La belgitude de Gérard Depardieu.
    Un sex symbol pourtant bien français.

     

     
     



    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250513-depardieu.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/gerard-depardieu-un-chene-qui-s-260952

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/05/13/article-sr-20250513-depardieu.html

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  • Jean-Louis Debré : République, fidélité, humour et amour de la France

    « Mon engagement politique fut au service de la République. La République qui est dans le sang de mes ancêtres. (…) La République qui est notre ambition, notre idéal, notre bien commun, celle d’une aspiration profonde à la liberté. (…) Il faut l’aimer. » (Jean-Louis Debré cité par Yaël Braun-Pivet le 4 mars 2025 dans l'hémicycle).




     

     
     


    L'ancien Président de l'Assemblée Nationale Jean-Louis Debré a été enterré ce lundi 10 mars 2025 dans la cathédrale Saint-Louis-des-Invalides à Paris et a été inhumé au cimetière du Montparnasse. Il est mort le 4 mars 2025 à l'âge de 80 ans.

    Beaucoup de monde était présent aux funérailles présidées par Mgr Antoine de Romanet, l'évêque aux armées, mais la famille avait refusé les places réservées, ce qui a fait une absence de protocole, dans un joli désordre tout jean-louis-debrésien, si j'ose écrire ainsi. Parmi les présents, beaucoup de gaullistes et d'ancien UMP, mais aussi des centristes, des socialistes, etc. Notamment : le Premier Ministre François Bayrou, son prédécesseur Michel Barnier, l'ancien Président de la République François Hollande, Claude Chirac (la fille de l'ancien Président), François Baroin, Laurent Wauquiez, Valérie Pécresse, Jean-Pierre Raffarin, Michèle Alliot-Marie, Roselyne Bachelot, Alain Juppé, Jacques Toubon, Frédéric de Saint-Sernin, Henri Guaino, etc. En revanche, Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron étaient absents.

    Dans un article publié le 11 mars 2025 dans "Le Monde", la journaliste Solenn de Royer constatait, avec cet enterrement, que c'était « la fin d'un monde ». Il suffisait de voir tous ceux qui assistaient à cet office. Henri Guaino, qui donna le ton à la campagne de Jacques Chirac en 1995, celui de la « fracture sociale », a parlé d'un « monde qui disparaît », celui qui fait la politique à l'ancienne, sans réseaux sociaux, sans chaîne d'information continue, avec des partis, avec des programmes, avec des courriers aux militants, avec des déclarations à l'Assemblée.

    On a l'habitude de dire que la mort d'une personne, c'est une bibliothèque qui brûle. Avec Jean-Louis Debré, c'est carrément une institution qui disparaît.


    Comment ne pas associer en effet Jean-Louis Debré à la Constitution de la Cinquième République qui était, en quelque sorte, sa sœur puisque lui et elle ont eu le même père, Michel Debré (c'est ce qu'il s'amusait à dire). Mais ce n'est pas seulement le lien filial qui a fait que Jean-Louis Debré était lui-même toute une institution, c'était aussi son parcours, Ministre de l'Intérieur pendant deux ans, Président de l'Assemblée pendant cinq ans et Président du Conseil Constitutionnel pendant neuf ans. C'étaient aussi ses fidélités, De Gaulle et Jacques Chirac. C'était aussi sa personnalité, très indépendante, chaleureuse mais n'hésitant pas à dire ce qu'il pensait de ses contemporains (il a beaucoup critiqué Emmanuel Macron ; est-ce la raison pour laquelle le chef de l'État n'était pas présent à ses obsèques ?), et dotée d'un grand sens de l'humour.

     

     
     


    Lorsqu'il présidait le Conseil Constitutionnel, il a eu à "gérer" la présence, à ses côtés, de deux anciens Présidents de la République, Jacques Chirac et Valéry Giscard d'Estaing, et il aimait raconter, tout amusé, la mesquinerie que ces deux vieillards de la République avaient l'un pour l'autre, en imitant leur voix bien entendu !
     

     
     


    Un amusement confirmé par Alain Juppé dans une interview par "Le Monde" le 7 mars 2025 : « Et un homme plein de vie et d’humour. Ses imitations de Chirac et de Giscard, du temps où les anciens Présidents venaient au Conseil Constitutionnel, étaient hilarantes ! ».





    L'homme aimait la vie, aimait fumer des cigares, s'était réinventé à l'âge de 76 ans en devenant jeune comédien sur les planches d'un théâtre, et surtout, avait l'obsession de « ne pas devenir vieux » !

    Au cours de la cérémonie, Guillaume Debré, le fils aîné de Jean-Louis, qui avait 19 ans en 1995, se demandait pourquoi son père n'avait pas lâché Jacques Chirac, très bas dans les sondages, pour Édouard Balladur. Réponse de l'intéressé : « Ceux qui l’ont trahi sont tellement mal à l’aise. Moi, je sais qui je suis. Et quand je me regarde dans la glace, je me sens bien. ». C'était cela, l'indépendance d'esprit, une liberté, des convictions. Sa fidélité permanente à Jacques Chirac depuis 1973 ne l'a d'ailleurs pas empêché de soutenir Jacques Chaban-Delmas en 1974 alors que son mentor avait tout fait pour le faire battre. Fidélité et convictions, qui, parfois, peuvent s'opposer.

    Je propose ici quelques hommages qui ont été exprimés lors de l'annonce de la disparition de Jean-Louis Debré.


    Le Président de la République Emmanuel Macron, dans un communiqué publié le 4 mars 2025, a réagi ainsi : « Il incarnait pour les Français le sens de l'État, un humanisme intransigeant, la fidélité aussi au Président Jacques Chirac. (…) Jean-Louis Debré avait avec vaillance poursuivi l’héritage de son père, Premier Ministre, pour défendre une espérance française, dans la force de son droit, dans son exigence de générosité envers tous. (…) Longtemps, le jeune homme chercha sa voie, et son père dépêcha Pierre Mazeaud pour le conduire vers des études de droit. (…) Docteur en droit public trois ans plus tôt, il devint [en 1976] magistrat, chargé des affaires de terrorisme. Dans ses fonctions, il apporta à la justice son tempérament, mélange d’humanité et de fermeté, de mesure et d’intransigeance. ».

     

     
     


    Le chef de l'État a souligna l'importance de Jean-Louis Debré à la tête du Conseil Constitutionnel avec l'arrivée des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) : « Pendant neuf ans, Jean-Louis Debré présida une institution qui vécut des transformations profondes, avec l’arrivée de la question prioritaire de constitutionnalité, son plus grand accès à tous les justiciables, son rôle accru dans la vie de la Nation. Avec une liberté de ton, la profondeur de son expérience, l’exigence de sa sagesse, il fut le visage de cette institution imaginée un demi-siècle plus tôt par son père. ». Et il a conclu ainsi : « Les Français le suivaient ainsi tel qu’il était, avec son art du récit, sa gourmandise de mots, sa bonhomie. ».

    Au début de la séance publique du mardi 4 mars 2025 à 15 heures, la Présidente de l'Assemblée Yaël Braun-Pivet a rendu hommage à Jean-Louis Debré et proposé une minute de silence : « La Ve République a perdu ce matin l’un de ses plus grands défenseurs et serviteurs. Issu d’une famille illustre, député, ministre, Président de l’Assemblée Nationale, Président du Conseil Constitutionnel : sa carrière fut en tout point exceptionnelle. C’est d’abord vers les prétoires qu’elle se tourna. Après une capacité puis une thèse en droit, Jean-Louis Debré devint, en 1971, assistant à la faculté de droit de Paris, puis magistrat et juge d’instruction. Chargé des affaires de grand banditisme, il tirera de ces années une source d’inspiration inépuisable pour les polars qu’il écrira ensuite. Mais revenons en arrière, en 1967. Alors que Jean-Louis Debré a 23 ans, une rencontre va changer sa vie : il fait alors la connaissance de Jacques Chirac, "mon Chirac", comme il l’appelait affectueusement. Ainsi naquit une amitié personnelle marquée par une fidélité politique indéfectible. Du ministère de l’agriculture, en 1973, au soir de la vie du président Chirac, lorsque Jean-Louis Debré lui remontait le moral dans les bars du 6e arrondissement, les deux hommes furent toujours liés, toujours alliés. C’est donc par Jacques Chirac que Jean-Louis Debré entre en politique. ».


     

     
     


    Son lieu privilégié était le Palais-Bourbon : « C’est cependant à l’Assemblée, ici même, depuis ce même perchoir, que Jean-Louis Debré aura connu, selon ses mots, "cinq ans de bonheur absolu". Président malicieux, Jean-Louis Debré était surtout un Président rigoureux, amoureux de cette institution dont il fut l’élève et l’architecte. Cette histoire d’amour commence tôt, lorsqu’enfant, il accompagnait son père au Palais-Bourbon. Il en profitait alors pour faire du patin à roulettes dans les couloirs, à la grande frayeur des huissiers. Président de l’Assemblée Nationale, il en connaissait tous les rouages, tous les passages, tous les secrets. Mais surtout, il connaissait l’essence de sa fonction de Président : être impartial pour, selon ses mots, "incarner l’Assemblée dans toutes ses composantes, et être le protecteur des droits de l’opposition". Estimé et respecté bien au-delà de son propre camp, il fut ainsi reconnu pour ce qu’il était : un homme droit, intègre, attaché au pluralisme républicain. Il était aussi et surtout un politique qui aimait les gens et qui s’intéressait à eux. Un homme simple, un homme bien, qui avait l’art du lien. Je peux en témoigner, puisqu’il fut toujours avec moi d’une grande bienveillance et d’un soutien indéfectible. Comme nombre d’entre vous, je le croisais souvent ici, à l’Assemblée, lorsqu’il arpentait les couloirs en guide passionné, se faisant auprès du jeune public autant conteur que passeur. Jean-Louis Debré, c’était donc un homme de cœur, mais c’était aussi un homme d’esprit et d’humour. À l’Assemblée même, il se permit quelques facéties. À la boutique, dont il eut l’idée, il avait même dessiné et conçu des peignoirs floqués du slogan "Mouillez-vous avec les politiques" ou des tabliers estampillés "Cuisine électorale". ».

    Au Conseil Constitutionnel : « Il fut le président de la QPC, question prioritaire de constitutionnalité, fit grandir cette réforme, ouvrit les portes du Conseil Constitutionnel aux avocats et aux justiciables. Sous sa Présidence, le Conseil devint pleinement, selon ses mots, "le bouclier qui préserve de toute atteinte à des droits et libertés". ».

    Et de conclure de cette façon : « Jean-Louis Debré était un amoureux de la République. Un amoureux d’une République qu’il voulait libre et laïque, qu’il voulait ardente, vibrante, vivante. Un amoureux de ces Mariannes auxquelles il était si attaché, c’est lui qui créa à l’Assemblée le salon des Mariannes et qui fit placer dans une niche du salon Delacroix le buste de Marianne à la place du trône de Louis-Philippe. En évoquant Marianne, la République, le Président Jean-Louis Debré paraphrasait souvent Ernest Renan : la République, disait-il, est "un rêve d’avenir partagé". Mais ces derniers temps, il ajoutait un avertissement inquiet : "Il faut faire en sorte que la République ne meure pas". ». Il avait d'ailleurs une grande collection de bustes de Marianne.
     

     
     


    Le Premier Ministre François Bayrou a répondu à Yaël Braun-Pivet par cet autre hommage dans l'hémicycle, le 4 mars 2025 : « Le premier mot qui me vient à l’esprit, au nom du gouvernement, est celui de reconnaissance, reconnaissance pour la personnalité qu’il était, pour le parcours exceptionnel qui fut le sien. S’il fallait trouver un adjectif pour qualifier le chemin de Jean-Louis Debré, ce serait sans aucun doute "républicain". Il était profondément attaché aux principes de liberté, d’égalité, de fraternité et de laïcité, qu’il a servis et honorés durant toute sa carrière, toute sa vie. Un autre mot qui le définit est celui de fidélité, cette fidélité dont il a fait preuve dans tous ses engagements, politiques comme personnels, notamment, vous l’avez rappelé, auprès de Jacques Chirac. Tout au long de sa vie, il a servi une certaine idée, une idée, si je puis dire, presque chevaleresque, de ce qu’étaient l’engagement et la responsabilité politiques, qu’il ne séparait pas de l’engagement personnel et affectif ; une certaine idée de la République, mais aussi de la vie : une vie dans laquelle on ne s’abaisse pas, surtout pas à trahir ceux qu’on aime et avec qui on se bat. Le troisième et dernier mot qui me vient à l’esprit est celui d’amour : l’amour de la France, qu’il ne dissociait jamais de l’amour de la République. Il voyait dans le long chemin des institutions qu’il a servies, non seulement depuis votre fauteuil, Madame la Présidente, mais aussi depuis la Présidence du Conseil Constitutionnel, un parallèle avec l’aventure nationale à laquelle il avait dédié toute sa vie. Enfin, vous l’avez souligné, c’était un homme qui, tout engagé qu’il fut, ne se départait jamais d’un certain humour, d’une pointe d’ironie dans les yeux. Moi qui ai siégé à ses côtés au conseil des ministres pendant des années, je garde le souvenir précis de l’esprit qu’il déployait au service de ses collègues et de ses contemporains, parfois en les égratignant quelque peu. Cette manière de voir le monde, où l’on pouvait être fidèle en tout sans être dupe de rien, était une marque de fabrique de sa personnalité. Cet homme nous manquera. Sa fidélité restera un modèle et son humour sera pour nous une leçon de vie. ».

    Le même jour, 4 mars 2025, au début de la séance publique de 16 heures 30, le Président du Sénat Gérard Larcher a également proposé une minute de silence pour Jean-Louis Debré : « Évoquer Jean-Louis Debré, c’est honorer la mémoire d’un grand serviteur de la Ve République. Son père, Michel Debré, Premier Ministre du Général De Gaulle, père de la Constitution, lui transmit les valeurs du gaullisme, auxquelles il restera attaché toute sa vie et qu’il défendra aux côtés de Jacques Chirac. (…) Le fils de celui qui fut le père de la Constitution veillera à ce qu’elle soit appliquée avec la plus grande rigueur. Présidant le Conseil Constitutionnel de 2007 à 2016, Jean-Louis Debré s’est attaché à ce que puisse être adoptée et que se déploie la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité. Il fut vigilant quant à la protection des droits et libertés. Il fut aussi un auteur : comment ne pas évoquer son "Dictionnaire amoureux de la République" ? Il fut un passionné de théâtre. ».





    François Bayrou y a aussi apporté son hommage au Sénat, un second, donc, qui a changé un petit peu de celui, quelques minutes auparavant, rendu à l'Assemblée : « Ceux qui le connaissaient bien, j’en suis, ayant siégé à ses côtés au gouvernement pendant deux années, savent quelle personnalité attachante était la sienne. Le premier mot qui vient à l’esprit, lorsqu’on pense à lui, est celui de républicain. Il avait des formules assez drôles. Ainsi, lui qui était le fils de Michel Debré disait régulièrement qu’il était le frère de la Constitution de la Ve République, puisque Michel Debré était le père de celle-ci. Évidemment, la proximité entre cette œuvre majeure et la personnalité de Michel Debré était profondément marquante. Le deuxième mot est celui de fidèle. Qui a rencontré Jean-Louis Debré dans sa vie partagée avec Jacques Chirac sait que, au-delà des positions politiques qu’ils avaient en commun, il y avait de la part du premier à l’égard du second une fidélité joviale, amicale, chaleureuse et, à bien des moments, drôle. En effet, le troisième mot auquel on pense pour évoquer la personnalité de Jean-Louis Debré, c’est celui d’humour, dont il était profondément pétri. Il portait sur le monde, et notamment sur le monde politique, un regard amusé, ironique, informé. Il n’était guère de secret qu’il ne connût, mais cela n’empêchait pas l’indulgence qu’il avait non seulement envers ses collègues engagés en politique, mais aussi à l’égard, au fond, de la nature humaine. Cette manière, chaleureuse, de regarder le monde, était aussi remarquable au travers des œuvres littéraires qu’il produisait. De son passé de juge d’instruction, il avait retenu bien des intrigues et bien des tics de personnalité, dont il faisait la matière de ses romans policiers. Il était un homme attachant et respecté. ».


    Enfin, je termine sur le témoignage d'un autre chiraquien historique, Alain Juppé, dans un entretien accordé à Frédéric Lemaître et Solenn de Royer publié le 7 mars 2025 dans "Le Monde". Jean-Louis Debré était secrétaire général adjoint du RPR lorsqu'Alain Juppé était secrétaire général : « C’est brutal [sa disparition]. (…) Jean-Louis Debré est un ami politique, un ami tout court. (…) Nous avons cheminé ensemble. C’était un homme de convictions, gaulliste, chiraquien, d’une fidélité absolue à Chirac. C’était aussi un Président de l’Assemblée Nationale infiniment respectueux des droits de l’opposition. ».


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (11 mars 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Jean-Louis Debré.
    L'un des derniers gardiens du Temple.
    Enfant de la République (la Cinquième).
    Haut perché.
    Bernard Debré.
    Michel Debré.





     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250310-jean-louis-debre.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/jean-louis-debre-republique-259807

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/03/12/article-sr-20250310-jean-louis-debre.html


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  • Splendide Josiane Balasko !

    « J'ai grandi dans un bistrot. On se chambrait sans arrêt. Il est toutefois important d'avoir de l'autodérision. Je suis la première à me moquer de moi-même. » (Josiane Balasko, le 9 juillet 2023 à Neuchâtel).



     

     
     


    Issue d'un milieu populaire, fille d'un cafetier d'origine yougoslave, proche du parti communiste et engagée auprès des sans-papiers, l'actrice française Josiane Balasko fête ses 75 ans ce mardi 15 avril 2025. Elle est actrice, mais aussi réalisatrice, scénariste, metteuse en scène de pièce de théâtre, et même écrivaine, elle fait partie de ces gens qui ne se laissent pas facilement enfermer dans des petites cases. Ainsi, en 2019, elle a publié un recueil de nouvelles fantastiques aux éditions Pygmalion, "Jamaiplu", après quelques romans.

    On ne peut pas dire qu'elle a démarré comme une starlette qui se basait sur sa beauté physique pour ouvrir de nombreuses portes du cinéma. Elle avait déjà, jeune, un physique, mais pas de starlette. D'ailleurs, elle en usait, voire en abusait, comme ses compères du Splendid, et elle disait même en 2005 : « On avait l'habitude de jouer avec nos physiques. Bon pour Michel Blanc et Gérard Jugnot, c'était facile… Et pour moi aussi, allez ! ».


    L'actrice désormais pleinement septuagénaire expliquait le 26 novembre 2023 sur France 2 : « Ça ne m’a jamais dérangé qu’on dise que je n’étais pas trop belle, ce n’est pas grave. Je crois que les gens qui posaient ces questions, quel que soit le respect que j’ai pour eux, ne savent pas ce que c’est les gens de la rue. Ils ne voient que des gens minces qui suivent des régimes et qui s’habillent chez les grands couturiers et évidemment, je ne rentrais pas dans le truc. ».
     

     
     


    Josiane Balasko, Michel Blanc, qui est parti il y a quelques mois, Gérard Jugnot, mais aussi Christian Clavier, Thierry Lhermitte, Marie-Anne Chazel, Bruno Moyniot, et quelques autres... évidemment, on ne peut pas évoquer la figure de Josiane Balasko sans évoquer la Troupe du Splendid, les deux (trois) gros succès de leur jeunesse qui les ont fait franchir le plafond de verre de la notoriété et du succès, avec les deux numéros des "Bronzés" (Josiane est Nathalie) et "Le Père Noël est une ordure" (Josiane est Madame Musquin, mais seulement au cinéma, elle n'a pas joué dans la pièce de théâtre). Comme plusieurs de cette troupe d'acteurs étonnants, Josiane Balasko a su à la fois cultiver une notoriété collective (qui l'a amenée à recevoir un César d'honneur collectif pour toute la Troupe du Splendid en 2021) et sa propre carrière, différente de celle des autres.

    Au début, c'était pourtant un peu difficile, car elle jouait le rôle de la bonne copine, de la fille à embrouilles, de la complexée, de la faire-valoir des vrais héros. Pas très réjouissant, comme perspectives. Mais heureusement, Bertrand Blier lui a proposé le rôle principal de "Trop belle pour toi" (sorti le 12 mai 1989), celui de la maîtresse d'un homme riche, Gérard Depardieu, marié à une très belle femme, Carole Bouquet. Josiane Balasko a alors changé de catégorie. Elle est nommée pour la première fois pour le César de la meilleure actrice.

     

     
     


    En tout, Josiane Balasko a été récompensée par trois Césars, celui du meilleur scénario pour "Gazon maudit" (sorti le 1996) qu'elle a réalisé, un César d'honneur en 2000 et le César anniversaire de la Troupe du Splendid en 2021, mais elle a été aussi nommée trois fois au César de la meilleure actrice (1990, 1994 pour "Tout le monde n'a pas eu la chance d'avoir des parents communistes" et 2004 pour "Cette femme-là"), une fois du meilleur réalisateur (1996) et une fois de la meilleure actrice dans un second rôle (2020) pour son rôle dans le film très médiatisé de François Ozon "Grâce à Dieu".

    La carrière de Josiane Balasko a donc commencé surtout par des comédies, mais elle a réussi aussi à avoir des rôles plus dramatiques, l'âge aidant, et dans les derniers films où elle a joué, elle n'a plus le rôle principal mais un second rôle.

    À côté du cinéma, elle joue aussi parfois des pièces de théâtre, la dernière pièce est une pièce qu'elle a mise en scène en 2021 au Théâtre des Nouveautés, "Un chalet à Gstaad", une comédie de boulevard alors qu'elle tournait en même temps au cinéma dans un rôle dramatique pour "Quand vient l'automne" de François Ozon (sorti le 9 septembre 2024), avec Hélène Vincent et Ludivine Sagnier.





    "Un chalet à Gstaad", c'est un face-à-face entre bourgeois qui ont fuit la France pour des raisons fiscales, des exilés fiscaux. Ils se fréquentent mais ils ne s'entendent pas forcément. Josiane Balasko est la femme d'un homme très riche et passe son temps chez l'esthéticienne ou dans le whisky. L'actrice précisait le 22 septembre 2022 sur France Info : « Ce sont des bourgeois très riches qui ne savent pas ce qu'est le RSA. Ce sont des gens que je ne connais pas, vraiment, ou que j'ai dû peut-être entrapercevoir, mais sans jamais les fréquenter. Donc ce sont des portraits qui sont imaginaires, certains sont exilés fiscaux. Ils se reçoivent entre eux, pas forcément parce qu'ils s'apprécient, mais c'est parce qu'ils n'ont pas trop le choix. ».

    Mais elle n'est pas qu'actrice, elle est aussi réalisatrice et ce n'est pas du tout le même métier. À ce jour, elle a réalisé huit films entre 1985 et 2013, dont son plus grand succès, près de 4 millions d'entrées en France, "Gazon maudit" qui évoque le thème de l'homosexualité féminine (c'était très original à l'époque) dans un jeu à trois avec Victoria Abril et Alain Chabat. Elle allait dire plus tard : « Je me suis inspirée d'une histoire qui était arrivée à des gens que je connaissais vaguement. » (le titre, très bien vu, a été trouvé par Bertrand Blier). Elle a rencontré des femmes bien plus tard qui lui ont assuré que son film leur avait permis de parler à leur entourage de leur homosexualité, ce qui lui a donné de la fierté.

    D'autres films qu'elle a réalisés ont eu beaucoup moins de succès, mais au moins, elle a exercé sa liberté de création, et maintenant, elle n'a plus trop envie de faire de la réalisation, c'est trop de travail pour elle. Elle préfère écrire des nouvelles : « Quand j'écris une nouvelle, il n'y a pas beaucoup d'enjeux. Si je me plante, il y a peu d'incidences, sauf mon amour-propre (…). On ne sait jamais ce qui va se passer quand on crée. Si ça va passer, si ça va émouvoir ou faire rire. On lance les dés à chaque fois. » (2023). L'intérêt de l'écriture, c'est que l'histoire est « à budget illimité », au contraire d'un film au cinéma. Elle peut imaginer tout, sans engager trop de moyens (cette réflexion peut être remise en cause avec l'intelligence artificielle, puisqu'on peut maintenant faire des œuvres créatives, en image ou en film, en très peu de temps).

    En tout cas, Josiane Balasko ne regrette pas du tout d'avoir abandonné le dessin malgré les encouragements de sa mère (qu'elle a tout de même suivie au début puisqu'elle a commencé ses études à l'École des arts graphiques). Elle a préféré suivre sa voie, celle du théâtre. 75 ans, dont déjà cinquante-cinq d'une belle carrière : bravo et bon anniversaire !



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (12 avril 2025)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    Josiane Balasko.
    Joséphine Baker.
    Moonraker.
    Gene Hackman.
    Pierre Dac.
    Bertrand Blier.
    Pierre Arditi.
    Pierre Palmade.
    Carla Bruni.
    Valeria Bruni Tedeschi.
    Teddy Vrignault.
    Pierre Richard.
    François Truffaut.
    Roger Hanin.
    Daniel Prévost.
    Michel Blanc.
    Brigitte Bardot.
    Marcello Mastroianni.
    Jean Piat.
    Sophia Loren.
    Lauren Bacall.
    Micheline Presle.
    Sarah Bernhardt.
    Jacques Tati.
    Sandrine Bonnaire.
    Shailene Woodley.
    Gérard Jugnot.
    Marlène Jobert.
    Alfred Hitchcock.
    Les jeunes stars ont-elles le droit de vieillir ?
    Charlie Chaplin.

     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250415-josiane-balasko.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/splendide-josiane-balasko-259484

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/04/13/article-sr-20250415-josiane-balasko.html



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  • Jules Verne, précurseur fécond des romans scientifiques

    « La véritable supériorité de l'homme, ce n'est pas de dominer, de vaincre la nature. C'est, pour le penseur, de la comprendre, de faire tenir l'univers immense dans le microcosme de son cerveau. C'est, pour l'homme d'action, de garder une âme sereine devant la révolte de la matière, c'est de lui dire : "Me détruire, soit ! M'émouvoir, jamais !" » (Jules Verne).


     

     
     


    L'écrivain français Jules Verne est mort il y a exactement cent vingt ans, le 24 mars 1905 à Amiens, où il habitait et dont il avait été un conseiller municipal, à l'âge de 77 ans (né le 8 février 1828 à Nantes).

    Jules Verne est un écrivain prolifique de romans d'aventures et d'anticipation mais aussi de pièces de théâtre et de poésie, curieusement peu honoré de son vivant (il n'a été membre que de l'Académie d'Amiens), mais c'est peut-être le lot des auteurs populaires par rapport à d'autres plus intellectuels. D'une tradition plutôt monarchique (orléaniste), Jules Verne n'a pas donné non plus son nom à beaucoup de grandes voies publiques mais surtout à des établissements scolaires en France (430 écoles, collèges ou lycées sont appelés Jules-Verne, soit parmi les vingt-cinq premières personnalités les plus célébrées).

    Jules Verne est aussi très célébré à l'étranger, beaucoup de pays ont leur Société Jules-Verne et, par exemple, à Nijniy Novgorod, grande ville de la Fédération de Russie à l'est de Moscou, il existe même un complexe résidentiel Jules-Verne et une statue de l'écrivain (parce que les Russes ne sont pas restés insensibles à "Michel Strogoff"). Le Président russe Vladimir Poutine expliquait ainsi le 18 mars 2005 au Salon du Livre de Paris : « Il est rare de trouver aujourd'hui en Russie quelqu'un qui, enfant, ne se soit pas passionné pour Jules Verne ou Dumas. ».

    Ce qui est impressionnant est la somme de ses œuvres qui ont fait l'objet de 4 751 traductions, soit, explique le site Wikipédia, le deuxième parmi les « auteurs les plus traduits en langues étrangères après Agatha Christie et devant William Shakespeare » en 2020. Un monument de la littérature française (inspiré notamment par Edgard Allan Poe, Victor Hugo, Daniel Defoe, George Sand, Walter Scott, etc.) où qualité est associée aussi à quantité. Jugez-en : 96 romans et nouvelles, dont 20 publiés à titre posthume (il avait plusieurs romans d'avance), 17 pièces de théâtre, 12 essais et 184 poèmes et chansons, sans oublier 14 discours (principalement comme membre de l'Académie d'Amiens ou conseiller municipal d'Amiens) et des tonnes de lettres (certaines publiées dans six recueils de correspondance), lettres notamment à Nadar, Alexandre Dumas fils, Émile Perrin, Théophile Gautier, Charles Lemire, Hector Malot, etc.


     

     
     


    Si Jules Verne est si connu des gens, même après plus d'un siècle, c'est qu'il a réussi à allier littérature pour la jeunesse et romans d'anticipation. Ses romans d'aventures font rêver, et lui-même a inspiré beaucoup de monde, on peut même dire que c'est le premier auteur vraiment moderne de science-fiction, utilisant les nouvelles technologies pour aller au-delà de la réalité, voire inventant de nouvelles technologies pour aller encore plus loin. Son éditeur Pierre-Jules Hetzel voulait que Jules Verne proposât des œuvres vulgarisant la science. Même si c'est beaucoup plus tard, le roman de Céline "Mort à crédit" donne l'ambiance de cette époque où la technologie était un divertissement culturel, où les montées en ballon étaient une activité voire une curiosité dominicales, où la vulgarisation scientifique était la poursuite des Lumières voulues par la République, etc.

    C'est pourquoi, dès son époque, ses œuvres ont fait l'objet de nombreuses adaptations, tant au cinéma que dans la bande dessiné (l'un des auteurs les plus inspiré fut Hergé qui a repris l'idée de Jules Verne d'aller sur la Lune et qui a imité aussi des personnages de Jules Verne, comme les Dupont/Dupond). Exotisme, exploration, voyage, science, technologie, rêve... la recette gagnante de Jules Verne qui a vu son succès décoller dès la sortie de "Cinq Semaines en ballon" en 1863 (il avait alors 35 ans).


     

     
     


    Non seulement l'écrivain et certains de ses romans sont très connus, durablement connus, mais aussi des personnages de ses romans, comme Michel Strogoff, le capitaine Nemo, Phileas Fogg, etc. Et des équipements : le Nautilus a donné son nom au premier sous-marin nucléaire américain.

    Je propose quelques citations de dix des œuvres les plus connues de Jules Verne.


    1. "Cinq Semaines en ballon" (1863)

    1.1. « – Faites entrer le docteur Fergusson dit simplement Sir Francis M...
    Et le docteur entra au milieu d'un tonnerre d'applaudissements, pas le moins du monde ému d'ailleurs. C' était un homme d'une quarantaine d'années, de taille et de constitution ordinaires ; son tempérament sanguin se trahissait par une coloration foncée du visage ; il avait une figure froide, aux traits réguliers, avec un nez fort, le nez en proue de vaisseau de l'homme prédestiné aux découvertes ; ses yeux fort doux, plus intelligents que hardis, donnaient un grand charme à sa physionomie ; ses bras étaient longs, et ses pieds se posaient à terre avec l'aplomb du grand marcheur. »

    1.2. « Le docteur Fergusson avait un ami. Non pas un autre lui-même, un alter-ego ; l'amitié ne saurait exister entre deux êtres parfaitement identiques. »

    1.3. « À force d'inventer des machines, les hommes se feront dévorer par elles ! Je me suis toujours figuré que le dernier jour du monde sera celui où quelque immense chaudière chauffée à trois milliards d'atmosphères fera sauter notre globe ! »

    1.4. « Là s'étalent sans ordre, et même avec un désordre charmant, les étoffes voyantes, les ivoires, les dents de requins, le miel, le tabac, le coton ; là se pratiquent les marchés les plus étranges, où chaque objet n'a de valeur que par les désirs qu 'il excite. »

    1.5. « C'était là l'un des plus beaux spectacles que la nature pût donner à l'homme. En bas, l'orage. En haut, le ciel étoilé, tranquille, muet, impassible, avec la lune projetant ses paisibles rayons sur ces nuages irrités. »


    2. "Voyage au centre de la Terre" (1864)

    2.1. « La science, mon garçon, est faite d'erreurs, mais d'erreurs qu'il est bon de commettre, car elles mènent peu à peu à la vérité. »

    2.2. « Jamais minéralogistes ne s’étaient rencontrés dans des circonstances aussi merveilleuses pour étudier la nature sur place. Ce que la sonde, machine inintelligente et brutale, ne pouvait rapporter à la surface du globe de sa texture interne, nous allions l’étudier de nos yeux et le toucher de nos mains. »

    2.3. « Alors intervint l'action de la chimie naturelle ; au fond des mers, les masses végétales se firent tourbe d'abord ; puis, grâce à l'influence des gaz, et sous le feu de la fermentation, elles subirent une minéralisation complète. Ainsi se formèrent ces immenses couches de charbon qu'une consommation excessive doit, pourtant, épuiser en moins de trois siècles, si les peuples industriels n'y prennent garde. »

    2.4. « C'était la maison d'un paysan, mais, en fait d'hospitalité, elle valait celle d'un roi. »

    2.5. « Représentez-vous un homme grand, maigre, d’une santé de fer, et d’un blond juvénile qui lui ôtait dix bonnes années de sa cinquantaine. Ses gros yeux roulaient sans cesse derrière des lunettes considérables ; son nez, long et mince, ressemblait à une lame affilée ; les méchants prétendaient même qu’il était aimanté et qu’il attirait la limaille de fer. Pure calomnie : il n’attirait que le tabac, mais en grande abondance, pour ne point mentir. Quand j’aurai ajouté que mon oncle faisait des enjambées mathématiques d’une demi-toise, et si je dis qu’en marchant il tenait ses poings solidement fermés, signe d’un tempérament impétueux, on le connaîtra assez pour ne pas se montrer friand de sa compagnie. »

    2.6. « C'était la maison d'un paysan, mais, en fait d'hospitalité, elle valait celle d'un roi. »

    2.7. « Ah ! Femmes, jeunes filles, cœurs féminins toujours incompréhensibles ! Quand vous n’êtes pas les plus timides des êtres, vous en êtes les plus braves ! La raison n’a que faire auprès de vous. »

    2.8. « Ah ! quel voyage ! Quel merveilleux voyage ! Entrés par un volcan, nous étions sortis par un autre, et cet autre était situé à plus de douze cents lieues du Sneffels, de cet aride pays de d'Islande jeté aux confins du monde ! »


    3. "De la Terre à la Lune" (1865)

    3.1. « Parmi ces cinq mille nébuleuses, il en est une que les hommes ont nommée la Voie Lactée, et qui renferme dix-huit millions d'étoiles, (…) dont l'une des plus modestes et des moins brillantes, une étoile du quatrième ordre, s'appelle orgueilleusement le Soleil. »

    3.2. « L’homme a commencé par voyager à quatre pattes, puis, un beau jour, sur deux pieds, puis en charrette, puis en coche, puis en patache, puis en diligence, puis en chemin de fer ; eh bien ! le projectile est la voiture de l’avenir, et, à vrai dire, les planètes ne sont que des projectiles, de simples boulets de canon lancés par la main du Créateur. »

    3.3. « Je ne crois donc pas trop m'avancer en disant qu'on établira prochainement des trains de projectiles, dans lesquels se fera commodément le voyage de la Terre à la Lune. »

    3.4. « Ils ont plus souci de l'humanité en général que de l'individu en particulier. »

    3.5. « À eux trois ils emportent dans l'espace toutes les ressources de l'art, de la science et de l'industrie. Avec cela on fait ce qu'on veut, et vous verrez qu'ils se tireront d'affaire. »

    3.6. « Or, quand un Américain a une idée, il cherche un second Américain qui la partage. Sont-ils trois, ils élisent un président et deux secrétaires. Quatre, ils nomment un archiviste, et le bureau fonctionne. Cinq, ils se convoquent en assemblée générale, et le club est constitué. »

    3.7. « Rien ne saurait étonner un Américain. On a souvent répété que le mot "impossible" n'était pas français ; on s'est évidemment trompé de dictionnaire. En Amérique, tout est facile, tout est simple, et quant aux difficultés mécaniques, elles sont mortes avant d'être nées. Entre le projet Barbicane et sa réalisation, pas un véritable Yankee ne se fût permis d'entrevoir l'apparence d'une difficulté . Chose dite, chose faite. »

    3.8. « Divisant le nombre des victimes tombées sous les boulets par celui des membres du Gun Club, il trouva que chacun de ceux-ci avait tué pour son compte une moyenne de deux mille trois cent soixante-quinze hommes et une fraction. À considérer un pareil chiffre, il est évident que l'unique préoccupation de cette société savante fut la destruction de l'humanité dans un but philanthropique, et le perfectionnement des armes de guerre, considérées comme instruments de civilisation. »

    3.9. « Oui ! Mon brave ami ! Songe au cas où nous rencontrions des habitants là-haut. Voudrais tu leur donner une aussi triste idée de ce qui se passe ici-bas, leur apprendre ce que c'est que la guerre, leur montrer qu'on emploie le meilleur de son temps à se dévorer, à se manger, à se casser bras et jambes, et cela sur un globe qui pourrait nourrir cent milliards d'habitants, et où il y en a douze cents millions à peine ? »


    4. "Les Enfants du capitaine Grant" (1865)

    4.1. « Voir est une science. »

    4.2. « Il suffit que l'on respire pour espérer ! »

    4.3. « Les Néo-Zélandais sont les plus cruels, pour ne pas dire les plus gourmands des anthropophages. Ils dévorent tout ce qui leur tombe sous la dent. La guerre pour eux n'est qu'une chasse à ce gibier qui s'appelle l'homme, et il faut l'avouer, c'est la seule guerre logique. Les Européens tuent leurs ennemis et les enterrent. Les sauvages tuent leurs ennemis et les mangent, et, comme l'a fort bien dit mon compatriote Toussenel, le mal n'est pas tant de faire rôtir son ennemi quand il est mort, que de le tuer quand il ne veut pas mourir. »

    4.4. « Dans un Français, il y a toujours un cuisinier. »

    4.5. « Cet homme grand, sec et maigre, pouvait avoir quarante ans ; il ressemblait à un long clou à grosse tête ; sa tête, en effet, était large et forte, son front haut, son nez allongé, sa bouche grande, son menton fortement busqué. Quant à ses yeux, ils se dissimulaient derrière d'énormes lunettes rondes, et son regard semblait avoir cette indécision particulière aux nyctalopes. Sa physionomie annonçait un homme intelligent et gai ; il n'avait pas l'air rébarbatif de ces graves personnages qui ne rient jamais, par principe, et dont la nullité se couvre d'un masque sérieux. Loin de là. Le laisser-aller, le sans-façon aimable de cet inconnu démontraient clairement qu'il savait prendre les hommes et les choses par leur bon côté. Mais sans qu'il eût encore parlé, on le sentait parleur, et distrait surtout, à la façon des gens qui ne voient pas ce qu'ils regardent, et qui n'entendent pas ce qu'ils écoutent. Il était coiffé d'une casquette de voyage, chaussé de fortes bottines jaunes et de guêtres de cuir, vêtu d'un pantalon de velours marron et d'une jaquette de même étoffe, dont les poches semblaient bourrées de calepins, d'agendas, de carnets, de portefeuilles, et de mille objets aussi embarrassants qu'inutiles, sans parler d'une longue-vue qu'il portait en bandoulière. »
     

     
     



    5. "Vingt Mille Lieues sous les mers" (1869)

    5.1. « On peut braver les lois humaines, mais non résister aux lois naturelles. »

    5.2. « La mer est le vaste réservoir de la nature. C'est par la mer que le globe a pour ainsi dire commencé, et qui sait s'il ne finira pas par elle ! Là est la suprême tranquillité. La mer n'appartient pas aux despotes. À sa surface, ils peuvent encore exercer des droits iniques, s'y battre, s'y dévorer, y transporter toutes les horreurs terrestres. Mais à trente pieds au-dessous de son niveau, leur pouvoir cesse, leur influence s'éteint, leur puissance disparaît ! Ah ! Monsieur, vivez, vivez au sein des mers ! Là seulement est l'indépendance ! Là je ne reconnais plus de maîtres ! Là je suis libre ! »

    5.3. « Oui ! Je l’aime ! La mer est tout ! Elle couvre les sept dixièmes du globe terrestre. Son souffle est pur et sain. C’est l’immense désert où l’homme n’est jamais seul, car il sent frémir la vie à ses côtés. La mer n’est que le véhicule d’une surnaturelle et prodigieuse existence ; elle n’est que mouvement et amour ; c’est l’infini vivant, comme l’a dit un de vos poètes. »

    5.4. « Il semblait que ces visqueux tentacules renaissaient comme les têtes de l'hydre. »

    5.5. « Cependant, le capitaine avait raison. L'acharnement barbare et inconsidéré des pêcheurs fera disparaître un jour la dernière baleine de l'Océan. »

    5.6. « Pas de pitié pour ces féroces cétacés. Ils ne sont que bouche et dents ! »

    5.7. « La mer était couverte de cadavres mutilés. »

    5.8. « Ce ne sont pas de nouveaux continents qu'il faut à la Terre, mais de nouveaux hommes ! »

    5.9. « Ce que les joueurs regrettent par-dessus tout, d'ordinaire, c'est moins la perte de leur argent que celle de leurs folles espérances. »


    6. "Le Tour du monde en quatre-vingts jours" (1872)

    6.1. « Phileas Fogg était de ces gens mathématiquement exacts, qui, jamais pressés et toujours prêts, sont économes de leurs pas et de leurs mouvements. Il ne faisait pas une enjambée de trop, allant toujours par le plus court. Il ne perdait pas un regard au plafond, il ne se permettait aucun geste superflu. On ne l’avait jamais vu ému ni troublé. C’était l’homme le moins pressé du monde, mais il arrivait toujours à temps. »

    6.2. « Les passeports ne servent jamais qu'à gêner les honnêtes gens et à favoriser la fuite des coquins. »

    6.3. « Et d'ailleurs, avec les habitudes d'insouciance des Américains, on peut dire que, quand ils se mettent à être prudents, il y aurait folie à ne pas l'être. »

    6.4. « — Tiens ! Mais vous êtes un homme de cœur ! dit sir Francis Cromarty.
    Quelquefois, répondit simplement Phileas Fogg. Quand j’ai le temps. »

    6.5. « Et maintenant, comment un homme si exact, si méticuleux, avait-il pu commettre cette erreur de jour ? Comment se croyait-il au samedi soir, 21 décembre, quand il débarqua à Londres, alors qu'il n'était qu'au vendredi, 20 décembre, soixante-dix-neuf jours seulement après son départ ? Voici la raison de cette erreur. Elle est fort simple. Phileas Fogg avait, « sans s'en douter », gagné un jour sur son itinéraire, et cela uniquement parce qu'il avait fait le tour du monde en allant vers l'est, et il eût, au contraire, perdu ce jour en allant en sens inverse, soit vers l'ouest. En effet, en marchant vers l'est, Phileas Fogg allait au-devant du soleil, et, par conséquent les jours diminuaient pour lui d'autant de fois quatre minutes qu'il franchissait de degrés dans cette direction. Or, on compte trois cent soixante degrés sur la circonférence terrestre, et ces trois cent soixante degrés, multipliés par quatre minutes, donnent précisément vingt-quatre heures, c'est-à-dire ce jour inconsciemment gagné. En d'autres termes, pendant que Phileas Fogg, marchant vers l'est, voyait le soleil passer quatre-vingts fois au méridien, ses collègues restés à Londres ne le voyaient passer que soixante-dix-neuf fois. C'est pourquoi, ce jour-là même, qui était le samedi et non le dimanche, comme le croyait Mr. Fogg, ceux-ci l'attendaient dans le salon du Reform Club. »

    6.6. « Qu'avait-il gagné à ce déplacement ? Qu'avait-il rapporté de ce voyage ? Rien, dira-t-on ? Rien, soit, si ce n'est une charmante femme, qui, quelque invraisemblable que cela puisse paraître, le rendit le plus heureux des hommes. En vérité, ne ferait-on pas, pour moins que cela, le Tour du Monde ? »


    7. "L'Île mystérieuse" (1874)

    7.1. « Voici ma pensée : les savants admettent généralement qu’un jour notre globe finira, ou plutôt que la vie animale et végétale n’y sera plus possible, par suite du refroidissement intense qu’il subira. Ce sur quoi ils ne sont pas d’accord, c’est sur la cause de ce refroidissement. Les uns pensent qu’il proviendra de l’abaissement de température que le soleil éprouvera après des millions d’années ; les autres, de l’extinction graduelle des feux intérieurs de notre globe, qui ont sur lui une influence plus prononcée qu’on ne le suppose généralement. Je tiens, moi, pour cette dernière hypothèse, en me fondant sur ce fait que la lune est bien véritablement un astre refroidi, lequel n’est plus habitable, quoique le soleil continue toujours de verser à sa surface la même somme de chaleur. Si donc la lune s’est refroidie, c’est parce que ces feux intérieurs auxquels, ainsi que tous les astres du monde stellaire, elle a dû son origine, se sont complètement éteints. Enfin, quelle qu’en soit la cause, notre globe se refroidira un jour, mais ce refroidissement ne s’opérera que peu à peu. Qu’arrivera-t-il alors ? C’est que les zones tempérées, dans une époque plus ou moins éloignée, ne seront pas plus habitables que ne le sont actuellement les régions polaires. »

    7.2. « C'était l'immense mer, dont les flots se heurtaient encore avec une incomparable violence ! C'était l'Océan sans limites visibles, même pour eux, qui le dominaient de haut et dont les regards s'étendaient alors sur un rayon de quarante miles ! C'était cette plaine liquide, battue sans merci, fouettée par l'ouragan, qui devait leur apparaître comme une chevauchée de lames échevelées, sur lesquelles eût été jeté un vaste réseau de crêtes blanches ! Pas une terre en vue, pas un navire ! »

    7.3. « Ah ! s'écria Cyrus Smith, te voilà donc redevenu homme, puisque tu pleures ! »

    7.4. « Le souper fut bientôt dévoré, car on avait faim, et il ne fut plus question que de dormir. Mais, quelques rugissements de nature suspecte s’étant fait entendre avec la tombée du jour, le foyer fut alimenté pour la nuit, de manière à protéger les dormeurs de ses flammes pétillantes. »

    7.5. « J’étais dans la justice et dans le droit, ajouta-t-il. J’ai fait partout le bien que j’ai pu, et aussi le mal que j’ai dû. Toute justice n’est pas dans le pardon ! »

    7.6. « La nécessité est, de tous les maîtres, celui qu'on écoute le plus et celui qui enseigne le mieux. »

    7.7. « Je meurs d'avoir cru que l'on pouvait vivre seul. »


    8. "Michel Strogoff" (1876)

    8.1. « Trop d'ambition a perdu les plus grands empires. »

    8.2. « Il fut un temps, Sire, où, quand on allait en Sibérie, on n’en revenait pas ! »

    8.3. « Eh ! Que diable ! Il faut bien bouillir quelquefois ! Dieu nous aurait mis de l'eau dans les veines et non du sang, s'il nous eût voulus toujours et partout imperturbables ! »

    8.4. « Qu'importe ! L'hiver est l'ami du Russe. Oui, Nadia, mais quel tempérament à toute épreuve il faut pour résister à une telle amitié ! J'ai vu souvent la température tomber dans les steppes sibériennes à plus de quarante degré au-dessous de glace ! J'ai senti, malgré mon vêtement de peau de renne,
    mon cœur se glacer, mes membres se tordre, mes pieds se geler sous leurs triples chaussettes de laine ! J'ai vu les chevaux de mon traîneau recouverts d'une carapace de glace, leur respiration figée aux naseaux. J'ai vu l'eau-de-vie de ma gourde se changer en pierre dure que le couteau ne pouvait entamer !... mon traîneau filer comme un ouragan ! Plus d'obstacles sur la plaine nivelée et blanche à perte de vue ! Plus de cours d'eau dont on est obligé de chercher les passages guéables ! Plus de lacs qu'il faut traverser en bateau ! Partout la glace dure, la route libre, le chemin assuré ! »

    8.5. « À quatorze ans, Michel Strogoff avait tué son premier ours, tout seul, ce qui n’était rien ; mais, après l’avoir dépouillé, il avait traîné la peau du gigantesque animal jusqu’à la maison paternelle, distante de plusieurs verstes, ce qui indiquait chez l’enfant une vigueur peu commune. Cette vie lui profita, et, arrivé à l’âge de l’homme fait, il était capable de tout supporter, le froid, le chaud, la faim, la soif, la fatigue. »


    8.6. « Elle se rappelait ses attentions pendant le voyage, son arrivée à la maison de police de Nijniy Novgorod, la cordiale simplicité avec laquelle il lui avait parlé en l’appelant du nom de sœur, son empressement près d’elle pendant la descente du Volga, enfin tout ce qu’il avait fait, dans cette terrible nuit d’orage à travers les monts Oural, pour défendre sa vie au péril de la sienne ! Nadia songeait donc à Michel Strogoff. Elle remerciait Dieu d’avoir placé à point sur sa route ce vaillant protecteur, cet ami généreux et discret. Elle se sentait en sûreté près de lui, sous sa garde. Un vrai frère n’eût pu mieux faire ! Elle ne redoutait plus aucun obstacle, elle se croyait maintenant certaine d’atteindre son but. »


    9. "Les Tribulations d'un Chinois en Chine" (1879)

    9.1. « C’est qu’il en est du bonheur comme de la santé. Pour en bien jouir, il faut en avoir été privé quelquefois. »

    9.2. « L’existence me paraît très acceptable, du moment qu’on ne fait rien et qu’on a le moyen de ne rien faire ! »

    9.3. « S’ennuyer seul dans la vie, c’est mauvais ! S’ennuyer à deux, c’est pire ! »

    9.4. « En passant devant la porte de l'Est, son regard s'accrocha, par hasard, à une douzaine de cages en bambou, où grimaçaient des têtes de criminels, qui avaient été exécutés la veille. "Peut-être, dit-il, y aurait-il mieux à faire que d'abattre des têtes ! Ce serait de les rendre plus solides !" »

    9.5. « Sa vie, il y tenait plus que jamais, et comme le disaient Craig-Fry, "Il se serait fait tuer pour la conserver". »

    9.6. « Un proverbe chinois dit : Quand les sabres sont rouillés et les bêches luisantes, quand les prisons sont vides et les greniers pleins, quand les degrés des temples sont usés par les pas des fidèles et les cours des tribunaux couvertes d'herbe, quand les médecins vont à pied et les boulangers à cheval, l'Empire est bien gouverné. »


    10. "Le Rayon vert" (1882)

    10.1. « Avez-vous quelquefois observé le soleil qui se couche sur un horizon de mer ? Oui ! sans doute. L'avez-vous suivi jusqu'au moment où, la partie supérieure de son disque effleurant la ligne d'eau, il va disparaître ? C'est très probable. Mais avez-vous remarqué le phénomène qui se produit à l'instant précis où l'astre radieux lance son dernier rayon, si le ciel, dégagé de brumes, est alors d'une pureté parfaite ? Non ! Peut-être. Eh bien, la première fois que vous trouverez l'occasion, elle se présente très rarement, de faire cette observation, ce ne sera pas, comme on pourrait le croire, un rayon rouge qui viendra frapper la rétine de votre œil, ce sera un rayon "vert", mais d'un vert merveilleux, d'un vert qu'aucun peintre ne peut obtenir sur sa palette, d'un vert dont la nature, ni dans la teinte si variée des végétaux, ni dans la couleur des mers les plus limpides, n'a jamais reproduit la nuance ! S'il y a du vert-là, qui est, sans doute, le vrai vert de l'espérance ! »

    10.2. « Alors, cette fantaisie devint une idée fixe, qui ne laissa plus place à aucune autre. Cela tournait à l'était d'obsession. On en rêvait nuit et jour, à faire craindre quelque nouveau genre de monomanie, à une époque où il n'y a plus à les compter. Sous cette contention d'esprit, les couleurs se transformaient en une couleur unique : le ciel bleu était vert, les routes étaient vertes, les grèves étaient vertes, les roches étaient vertes, l'eau et le vin étaient verts comme de l'absinthe. Les frères Melvill s'imaginaient être vêtus de vert et se prenaient pour deux grands perroquets, qui prenaient du tabac dans une tabatière verte ! En un mot, c'était la folie du vert ! Tous étaient frappés d'une sorte de daltonisme, et les professeurs d'oculistique auraient eu là de quoi publier d'intéressants mémoires dans leurs revues d'ophtalmologie. Cela ne pouvait durer plus longtemps. »

    10.3. « Mais, ce que Miss Campbell ne leur dit pas, c'est que précisément ce Rayon-Vert se rapportait à une vieille légende, dont le sens intime lui avait échappé jusqu'alors, légende inexpliquée entre tant d'autres, nées au pays des Highlands, et qui affirme ceci : c'est que ce rayon a pour vertu de faire que celui qui l'a vu ne peut plus se tromper dans les choses de sentiment ; c'est que son apparition détruit illusions et mensonges ; c'est que celui qui a été assez heureux pour l'apercevoir une fois, voit clair dans son cœur et dans celui des autres. »

    10.4. « C'était un "personnage" de vingt-huit ans, qui n'avait jamais été jeune et probablement ne serait jamais vieux. Il était évidemment né à l'âge qu'il devait paraître avoir toute sa vie. De tournure, ni bien ni mal ; de figure, très insignifiant, avec des cheveux trop blonds pour un homme ; sous ses lunettes, l'œil sans regard du myope ; un nez court, qui ne semblait pas être le nez de son visage. Des cent trente mille cheveux que doit porter toute tête humaine, d'après les dernières statistiques, il ne lui en restait plus guère que soixante mille. Un collier de barbe encadrait ses joues et son menton, ce qui lui donnait une face quelque peu simiesque. S'il avait été un singe, c'eût été un beau singe, peut-être celui qui manque à l'échelle des darwinistes pour raccorder l'animalité à l'humanité. »

    10.5. « Vous n'êtes pas sans savoir, monsieur, que quelques savants ont traité scientifiquement cette question si palpitante : De l'influence des queues de poisson sur les ondulations de la mer ?... (…) Eh bien, monsieur, en voici une autre que je recommande tout particulièrement à vos savantes méditations : De l'influence des instruments à vent sur la formation des tempêtes. »


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (22 mars 2025)
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    Pour aller plus loin :
    Jules Verne.
    Anatole France.
    Alexandre Dumas fils.
    Jean-Louis Debré.
    Philippe De Gaulle.
    Florence Arthaud.
    Pierre Dac.
    Lionel Jospin.
    Jean-François Kahn.
    Axel Kahn.

    Philippe Val.
    Sophia Aram.
    Jean-Marie Le Pen.
    Claude Allègre.
    Mazarine Pingeot.

    Danielle Mitterrand.
    Yvon Gattaz.
    Le pape François.
    Alain Peyrefitte.
    Boualem Sansal.
    Benoît Mandelbrot.
    Teddy Vrignault.

    Bernard Kouchner.
    Hubert Curien.
    Alain Bombard.
    Hubert Reeves.
    François Guizot.
    Laura Blajma-kadar.
    Jean-Pierre Elkabbach.
    Brigitte Bardot.
    Édouard Philippe.
    Edgar Morin.
    Bernard Pivot.
    Yves Duteil.
    Pierre Perret.
    Françoise Hardy.
    Paul Auster.
    Christine Ockrent.
    Dominique Baudis.
    Racine.
    Molière.
    Frédéric Dard.
    Alfred Sauvy.
    George Steiner.
    Françoise Sagan.
    Jean d’Ormesson.
    Les 90 ans de Jean d’O.



     

     
     





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    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/jules-verne-precurseur-fecond-des-259203

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  • Jean-Louis Debré, l'un des derniers gardiens du Temple

    « Chirac doit être à 13% dans les sondages, Balladur est à 30 ou 40%. Personne ne veut vraiment nous recevoir. Et je lui dis : comment voyez-vous les choses ? (…) Ce n'est pas très bon. Et je lui dis : qu'est-ce qu'on va faire après ? Il me dit : on va ouvrir une agence de voyage. Tu la tiendras et je voyagerai. Et dix secondes après : non, on va gagner ! On est à 13%. » (Jean-Louis Debré sur Jacques Chirac).




     

     
     


    Une anecdote parmi de très nombreuses autres qu'il aimait raconter, lui le mécanicien de la Cinquième République, celui qui était dans le moteur institutionnel de père en fils. C'est avec beaucoup de tristesse que j'ai appris la mort de Jean-Louis Debré dans la nuit du 3 au 4 mars 2025. Il avait 80 ans. Il nous manquera, "nous", tous les Français, car il était un visage et un regard irremplaçable d'une certaine idée de la vie politique.

    Il rejoint son frère jumeau, médecin et également homme politique, Bernard Debré mort le 13 septembre 2020 à 75 ans, quelques heures avant leur grand frère François Debré, journaliste, à 78 ans. De la fratrie, il ne reste plus que Vincent, l'aîné, 86 ans.

    Incontestablement, Jean-Louis Debré était issu d'une grande famille exceptionnelle, certains diront dynastie, mais en République, chaque membre n'a brillé que par son mérite personnel, et on l'a bien compris en observant les deux frères jumeaux, l'un était un homme politique, tandis que l'autre était bien plus que cela, un homme d'État (c'est d'ailleurs ainsi que le présente Wikipédia, ce dont je me réjouis), comme leur père, Michel Debré, auteur de la Constitution de la Cinquième République et premier Premier Ministre de cette République et du Général De Gaulle.

    Cette famille, qui était déjà bien installée depuis plusieurs générations, a donné de nombreux grands médecins (dont Robert Debré, présenté comme le père de la pédiatrie moderne, le grand-père de Jean-Louis Debré), de grandes personnalités politiques, de grands scientifiques et universitaires (Michel Debré était le cousin germain du grand mathématicien Laurent Schwartz récompensé par la Médaille Field, son frère Bernard Schwartz a été le directeur de l'École des Mines de Nancy, etc.), aussi un grand-rabbin (Simon Debré, l'arrière-grand-père de Jean-Louis Debré), aussi de grands artistes (son oncle Olivier Debré était un peintre de l'abstrait), sept académiciens, etc.

     

     
     


    Jean-Louis Debré était adolescent quand son père était à Matignon, il connaissait les De Gaulle, leur face publique mais aussi privée. Il ne pouvait être que passionné par la politique, car il a baigné dans la marmite étant petit (comme Obélix), d'autant plus que son père était un passionné qui a retransmis le virus de la politique à ses enfants. En 1986, les deux frères jumeaux ont été élus députés et ils ont siégé avec le père qui a pris sa retraite en 1988. Pendant deux ans, il y a eu trois Debré pour le prix d'un au Palais-Bourbon !

    Mais c'est bien avant qu'il a vraiment fait la connaissance de Jacques Chirac, en 1973, à une époque où, jeune homme de 28 ans, il s'était présenté aux élections législatives et avait perdu : on ne lui avait pas donné une circonscription en or, il s'est démené par son mérite pour arriver à la politique. Jacques Chirac l'a épaulé, l'a coaché, il était son mentor, en quelque sorte. Et au fil des années et des décennies, au fil des fidélités et des vilenies, Jean-Louis Debré est resté le chiraquien fidèle, l'un des rares jusqu'au bout de la route, l'un de ses rares visiteurs quand il était malade.

     

     
     


    Docteur en droit public, juge d'instruction, Jean-Louis Debré, au-delà de ses mandats de député (son successeur dans sa circonscription fut Bruno Le Maire) et de maire d'Évreux, a assumé trois grands mandats dans sa carrière politique.

    Le premier n'était pas une joie et son autorité y était souvent remise en cause : Ministre de l'Intérieur du 18 mai 1995 au 2 juin 1997, je pourrais même dire le premier Ministre de l'Intérieur de Jacques Chirac Président de la République, mais il aurait sans doute été plus utile au Ministère de la Justice. Jacques Chirac avait besoin d'une personne fiable et fidèle à l'Intérieur, et Jean-Louis Debré, qui n'a jamais tutoyé le Président, n'a jamais trahi Jacques Chirac, notamment pendant la campagne présidentielle de 1995, voir l'anecdote en introduction (alors que son frère Bernard Debré soutenait Édouard Balladur).

    Sa deuxième grande responsabilité a été d'être Président de l'Assemblée Nationale du 25 juin 2002 au 4 mars 2007. Là encore, rien n'était évident pour lui et il a réussi à convaincre la majorité des députés UMP de l'élire, alors que d'autres noms, parfois prestigieux (Édouard Balladur), circulaient pour le perchoir. Ce fut, comme l'a rappelé sa lointaine successeure Yaël Braun-Pivet, « l'honneur d'une vie » et « cinq ans de bonheur absolu ». Sa passion de la chose politique et son respect des institutions ont conduit Jean-Louis Debré à profondément marquer l'Assemblée Nationale par sa fonction. Depuis 1958, il n'y a pas eu beaucoup de Présidents de l'Assemblée à s'être autant distingué : Jacques Chaban-Delmas, Philippe Séguin, et lui (et je pourrais rajouter Yaël Braun-Pivet et Louis Mermaz). Les autres, c'était juste une ligne de plus sur leur CV et leurs gratifications ; pour Jean-Louis Debré, c'était faire vivre la représentation nationale, la moderniser, l'incarner, en particulier à l'étranger.

     

     
     


    Enfin, sa troisième grande responsabilité, il a exercé le mandat de Président du Conseil Constitutionnel du 5 mars 2007 au 5 mars 2016, de manière passionnée mais neutre et impartiale, d'autant plus que son gaullisme originel l'incitait à détester Nicolas Sarkozy et ses attitudes peu gaulliennes (par la suite, après 2016, il n'a pas caché qu'il avait voté pour François Hollande en 2012 !). Laurent Fabius lui a succédé et ce mandat s'achève dans quelques jours au profit de Richard Ferrand.

    Son père Michel Debré avait d'ailleurs refusé la proposition du Président Georges Pompidou de le nommer Président du Conseil Constitutionnel en début 1974, il était pourtant sans doute le plus apte à assumer cette fonction, mais il se méfiait de Georges Pompidou et pensait qu'il voulait se débarrasser (politiquement) de lui, alors que lui-même voulait garder sa liberté, sa partialité, son besoin d'influer sur le cours des choses.

    Retiré de la vie politique en mars 2016, Jean-Louis Debré a fréquenté régulièrement le Salon du Livre mais aussi le théâtre. Il a publié quelques livres de témoignages et d'anecdotes parfois croustillantes, devenu observateur après acteur, et quelques exposés sur des sujets qui l'intéressaient, comme les femmes qui ont réveillé la France, un spectacle au théâtre dans une nouvelle vie, culturelle cette fois-ci, commencée en 2022. Son amour pour l'histoire l'a conduit aussi à présider le Conseil supérieur des archives de 2016 à 2025, après deux prédécesseurs prestigieux, les historiens René Rémond (1988 à 2007) et Georgette Elgey (2007 à 2016).


     

     
     


    Je reviens sur la relation de Jean-Louis Debré avec Jacques Chirac qui l'a pris sous son aile en 1973 en le nommant conseiller technique au Ministère de l'Agriculture (leur première rencontre a eu lieu à l'aéroport d'Orly en juillet 1967, il avait 22 ans et accompagnait Michel Debré pour accueillir De Gaulle de retour de sa visite officielle au Québec, le fameux "vive le Québec libre !"). Soutenant comme son père la candidature de Jacques Chaban-Delmas, il a quitté le cabinet de Jacques Chirac (qui soutenait VGE) mais l'a réintégré à Matignon après l'élection de Valéry Giscard d'Estaing, jusqu'en été 1976. À partir de 1988, Jacques Chirac s'est beaucoup reposé sur la loyauté de Jean-Louis Debré pour maintenir unies ses troupes du RPR, après des tentatives de "rébellion" interne de Charles Pasqua, Philippe Séguin, puis Édouard Balladur.

    Sa liberté de ton, sa passion et son engagement ont fait de Jean-Louis Debré l'une des personnalités politiques les plus respectées de France, à qui même Mathilde Panot a rendu hommage ce matin, un hommage à « un des représentants majeurs d'une droite républicaine qui défendait encore les usages démocratiques ». Il manquera à la République.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (04 mars 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Jean-Louis Debré.
    Enfant de la République (la Cinquième).
    Haut perché.
    Bernard Debré.
    Michel Debré.

     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250304-jean-louis-debre.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/jean-louis-debre-l-un-des-derniers-259679

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/03/04/article-sr-20250304-jean-louis-debre.html




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  • Malheur aux Barbus !

    « En France, il y avait deux personnages célèbres, le Maréchal Pétain et moi. La Nation ayant choisi le premier, je n’ai plus rien à faire ici. » (novembre 1941).




     

     
     


    Celui qui a prononcé ces mots est un authentique résistant pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais ce n'est pas De Gaulle. Il était près de trois ans plus jeune. Il s'agit de Pierre Dac, déjà célèbre humoriste, qui, ayant écouté l'appel du 18 juin 1940, a mis trois ans pour rejoindre le cœur de la Résistance à Londres, parce qu'il a été arrêté et incarcéré plusieurs fois dans son trajet.

    Pierre Dac était d'une génération sacrifiée : né le 15 août 1893 (à Châlons-sur-Marne parce que ses parents avaient fui l'Alsace en 1871, la ville est devenue "Chalom-sur Marne" !), il avait 21 ans au début de la Première Guerre mondiale où il a vaillamment combattu (il a même perdu son grand frère Marcel). En juin 1940, il avait déjà 46 ans, mais cela n'a pas gêné pour repartir au combat dans la Résistance. Un combat comique sur les ondes.

    Pierre Dac est mort il y a cinquante ans, le 9 février 1975, d'un cancer du poumon (il était un gros fumeur). La Poste a profité de l'occasion pour célébrer le personnage en éditant un timbre qui lui est consacré (voir plus loin). Le Musée d'art et d'histoire du Judaïsme (MAHJ) lui avait également consacré une exposition il y a deux ans, du 20 avril au 27 août 2023 (71 rue du Temple à Paris), en proposant 250 documents d'archives rassemblés par Anne-Hélène Hoog et Jacques Pessis (son légataire universel) pour comprendre la vie et l'œuvre de Pierre Dac.

    Pierre Dac (c'était un pseudonyme voulant dire chansonnier d'actualités ; il est né André Isaac) est devenu humoriste à la fin des années 1920 et début des années 1930, dans des cabarets puis dans des théâtres. À partir de 1935, il faisait déjà des étincelles à la radio avec une forte audience. Et le 13 mai 1938, il a fondé son célèbre journal, "L'Os à Moelle, organe officiel des loufoques" très réputé pour ses petites annonces loufoques (rédigées généralement par son compère Francis Blanche), journal où sévissaient notamment les dessinateurs de presse Jean Effel et Moisan, puis, en 1965, des petits génies de l'humour comme Jean Yanne et René Goscinny. Dans ses années fastes, le périodique tirait jusqu'à 400 000 exemplaires !

    Ce n'était donc pas une surprise qu'une fois arrivé (enfin) à Londres, le 12 octobre 1943, Pierre Dac ait été affecté à Radio Londres pour la célèbre émission de la BBC "Les Français parlent aux Français" (à laquelle participaient aussi Pierre Lazareff, Maurice Schumann et De Gaulle). En fait, un ami l'avait encouragé dès décembre 1940 à proposer ses services à l'émission, et l'humoriste n'a pas attendu la réponse de la BBC pour s'y rendre.


     

     
     


    Sa première émission a été diffusée en direct le 30 octobre 1943. Il a tenu quatre-vingts émissions jusqu'au 14 août 1944. Entre-temps, il a rencontré pour la première fois De Gaulle venu faire un discours à la BBC le 6 juin 1944, jour du Débarquement de Normandie, et De Gaulle l'a chaleureusement remercié par écrit un peu plus tard, le 1er septembre 1944, pour son action de soutien à la Résistance.

    Parmi ses émissions, l'une a été rendue célèbre parce qu'elle répondait à une émission du sous-ministre de Vichy Philippe Henriot le 10 mai 1944 à Radio Paris, qui s'en était pris au "Juif" Pierre Dac, qui avait fui la France sans se soucier du sort des Français selon lui. Le 11 mai 1944, la réponse de Pierre Dac, sous le titre de "Bagatelle un tombeau" (reprenant le titre bien connu d'un pamphlet de Céline), a été cinglante : « Nous savons que vous êtes surchargé de travail et que vous ne pouvez pas vous occuper de tout. Mais, tout de même, je suis persuadé que les Français seraient intéressés au plus haut point, si, à vos moments perdus, vous preniez la peine de traiter les problèmes suivants dont nous vous donnons la nomenclature, histoire de faciliter votre tâche et de vous rafraîchir la mémoire : le problème de la déportation ; le problème des prisonniers ; le traitement des prisonniers et des déportés ; le statut actuel de l’Alsace-Lorraine et l’incorporation des Alsaciens-Lorrains dans l’armée allemande ; les réquisitions allemandes et la participation des autorités d’occupation dans l’organisation du marché noir ; le fonctionnement de la Gestapo en territoire français et en particulier les méthodes d’interrogatoire ; les déclarations du Führer dans "Mein Kampf" concernant l’anéantissement de la France. ».

    Le patriotisme, c'est une histoire de tripes : « Eh bien ! Monsieur Henriot, sans vouloir engager de vaine polémique, je vais vous le dire ce que cela signifie, pour moi, la France. Laissez-moi vous rappeler, en passant, que mes parents, mes grands-parents, mes arrière-grands-parents et d’autres avant eux sont originaires du pays d’Alsace, dont vous avez peut-être, par hasard, entendu parler ; et en particulier de la charmante petite ville de Niederbronn, près de Saverne, dans le Bas-Rhin. C’est un beau pays, l’Alsace, monsieur Henriot, où depuis toujours on sait ce que cela signifie, la France, et aussi ce que cela signifie, l’Allemagne. Des campagnes napoléoniennes en passant par celles de Crimée, d’Algérie, de 1870-1871, de 14-18 jusqu’à ce jour, on a dans ma famille, Monsieur Henriot, lourdement payé l’impôt de la souffrance, des larmes et du sang. Voilà, monsieur Henriot, ce que cela signifie pour moi, la France. Alors, vous, pourquoi ne pas nous dire ce que cela signifie, pour vous, l’Allemagne ? ». Pierre Dac avait ainsi répondu par avance à la question qu'a posée François Bayrou le 7 février 2025 sur RMC : que veut dire être Français ?

    Le saltimbanque radiophonique n'a pas omis de parler de son frère : « Un dernier détail : puisque vous avez si complaisamment cité les prénoms de mon père et de ma mère, laissez-moi vous signaler que vous en avez oublié un celui de mon frère. Je vais vous dire où vous pourrez le trouver ; si, d’aventure, vos pas vous conduisent du côté du cimetière Montparnasse, entrez par la porte de la rue Froidevaux ; tournez à gauche dans l’allée et, à la 6e rangée, arrêtez-vous devant la 8e ou la 10e tombe. C’est là que reposent les restes de ce qui fut un beau, brave et joyeux garçon, fauché par les obus allemands, le 8 octobre 1915, aux attaques de Champagne. C’était mon frère. Sur la simple pierre, sous ses nom, prénoms et le numéro de son régiment, on lit cette simple inscription : "Mort pour la France, à l’âge de 28 ans". Voilà, monsieur Henriot, ce que cela signifie pour moi, la France. Sur votre tombe, si toutefois vous en avez une, il y aura aussi une inscription: elle sera ainsi libellée : Philippe Henriot. Mort pour Hitler. Fusillé par les Français… ». Paroles prémonitoires puisque Philippe Henriot, criminel et collaborateur, a été exécuté (fusillé) par la Résistance quelques semaines plus tard, le 28 juin 1944.






    Avec son faux air de Hitchcock voire de Picasso, Pierre Dac était un joueur avec les mots et les idées, avec les concepts et les paradigmes. Il avait l'esprit d'escalier et la parole loufoque. Et en plus, il a montré le chemin aux humoristes d'aujourd'hui, les vrais peu nombreux car la plupart d'aujourd'hui sont des ricaneurs. Au-delà de ses drôleries, il exprimait une véritable pensée, une éthique personnelle et philosophique réelle, qui l'avait amené à fustiger les Accords de Munich et à s'opposer dès 1933 à Hitler et à son funeste dessein.

     

     
     


    Inventeur du schmilblick (« qui ne sert absolument à rien et peu donc servir à tout »), repris avec succès par Coluche, Pierre Dac a laissé à la postérité de nombreuses phrases et expressions comiques, et sa définition du sionisme, en ces temps très troublés, était intéressante : « Peuple échangerait beaucoup d'histoire contre un peu de géographie. ». Peut-être pourrait-on interchanger avec les habitants de Gaza ? Et sa version protestante : « Quand le Calvin est tiré, il faut le croire. ». Il a fait les premiers sketchs à la radio et surtout à la télévision (après la guerre) et expliquait sa recette : « Ma forme d’humour est de faire de la démonstration par l’absurde. Faire les choses graves, très sérieusement, sans pour autant se prendre au sérieux. ».

    Son sketch du Sâr Ranbindranath Duval, qu'il a joué à partir de janvier 1957 avec son ami Francis Blanche, est encore connu près de soixante-dix années plus tard, tellement il était hilarant avec ses jeux de mots et ses quiproquos. La version filmée (première vidéo) provient d'un enregistrement de 1960 à Lyon après un repas bien arrosé qui a obligé les deux humoristes à improviser faute d'avoir mémorisé le texte d'origine. L'autre version (seconde vidéo) est un enregistrement seulement sonore mais plus complet.









    Pierre Dac a été aussi le premier humoriste à vouloir être candidat à l'élection présidentielle, le 11 février 1965 (il s'est présenté sous l'étiquette du grand MOU, mouvement ondulatoire unifié). Une fois élu, il comptait nommer Jacques Martin Premier Ministre, et ses amis Jean Yanne et René Goscinny au gouvernement. Après d'amicales pressions gaullistes en septembre 1965, il a rapidement quitté le champ du politique malgré sa popularité croissante pour ne pas faire d'ombre au Général, avec un prétexte bidon : « Je viens de constater que Jean-Louis Tixier-Vignancour briguait lui aussi, mais au nom de l'extrême droite, la magistrature suprême. Il y a donc désormais, dans cette bataille, plus loufoque que moi. Je n'ai aucune chance et je préfère renoncer. ».

     

     
     


    Au fait, pourquoi le titre ? Il ne s'agit pas de faire la chasse aux islamistes ! "Malheur aux barbus" est le nom d'une série radiophonique de deux cent treize épisodes diffusés chaque jour du 15 octobre 1951 au 19 juin 1952 (l'histoire : les barbus de la Terre sont tous mystérieusement enlevés par un psychopathe). Pendant un quart de siècle, Pierre Dac a produit de très nombreux épisodes de feuilletons radiophoniques dont la série la plus connue est "Signé Furax".

    Voici pour terminer quelques échantillons de ses pensées et aphorismes...

    1. Humour hors de prix : « Quand on dit d’un artiste comique de grand talent qu’il n’a pas de prix, ce n’est pas une raison pour ne pas le payer sous le fallacieux prétexte qu’il est impayable. ».

    2. Humour noir : « L’âme des Justes qui ont péri dans les fours crématoires est immortelle. La preuve, dans le ciel, j’ai vu briller des étoiles jaunes. ».

    3. Optimisme : « Si la matière grise était plus rose, le monde aurait moins les idées noires. ».

    4. Creux : « La télévision est faite pour ceux qui, n'ayant rien à dire, tiennent absolument à le faire savoir. ».

    5. Amour exigeant : « Ce n'est pas parce que l'homme a soif d'amour qu'il doit se jeter sur la première gourde venue. ».

    6. Courtoise séparation : « Vends papier glacé pour lettres de rupture. ».

    7. Trumpisme québécois : « Échangerais tente canadienne bon état contre oncle d'Amérique, même usagé. ».

    8. Lexicographie : « Maison de correction recherche fautes d'orthographe. ».
    9. Face à l'Himalaya : « Qu'importe le flocon pourvu qu'on ait l'Everest ! ».
     

     
     


    10. Levers tôt : « Si la fortune vient en dormant, rien ne prouve que les emmerdements ne viennent pas au réveil. ».

    11. De toute fraîcheur : « Le plat du jour, c'est bien, à condition de savoir à quel jour remonte sa préparation. ».

    12. Musicologie à Matignon : « Professeur bègue donne répétitions. ».

    13. Indiscrétions : « Si les points de suspension pouvaient parler, ils pourraient en dire des choses et des choses ! ».

    Et je termine avec cet appel désespéré datant de 1939 :

    « Recherchons mort ou vif,
    Le dénommé Adolf,
    Taille 1,47 m,
    Cheveux bruns avec mèche sur le font.
    Signe particulier :
    Tend toujours la main comme pour voir s'il pleut.
    Signe spécial, le seul le rapprochant d'un être humain :
    Moustache à la Charlot.
    Énorme récompense. ».

    Rideau !


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (08 février 2025)
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    Pour aller plus loin :
    Les temps sont durs, votez mous !
    Pierre Dac.
    Philippe Val.
    Pierre Arditi.
    Pierre Palmade.
    Teddy Vrignault.
    Pierre Richard.
    Daniel Prévost.
    Michel Blanc.
    L'humour olympique français !
    Pierre Perret.
    Sophia Aram et Gaza.
    Sophia Aram et l'Ukraine.
    Soirée spéciale Pierre Desproges sur France Inter le 18 avril 2018.
    Claude Villers.
    Fernand Raynaud.


     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250209-pierre-dac.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/malheur-aux-barbus-259167

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  • La grande sensibilité de Valeria Bruni Tedeschi

    « Un tournage est comme un pays où il y a des lois et des langages. » (Valeria Bruni Tedeschi, le 18 février 2019 sur France Inter).


     

     
     


    L'actrice franco-italienne Valeria Bruni Tedeschi fête ses 60 ans ce samedi 16 novembre 2024 (elle est née à Turin ; elle est la grande sœur de la chanteuse et mannequin Carla Bruni, et donc la belle-sœur de Nicolas Sarkozy). Issue de la famille très riche de l'industriel Virgino Bruni Tedeschi (son grand-père qui a fait fortune dans les pneumatiques), Valeria est la fille d'une actrice et pianiste et d'un industriel qui était aussi compositeur d'opéra. La famille a dû se réfugier en France dans les années 1970 parce qu'elle était devenue une cible des Brigades rouges, ce qui a été un douloureux déchirement à l'âge de 9 ans.

    Elle est une actrice très attachante, presque familière, comme si c'était une intime, une bonne amie, une mère proche, une sœur complice... J'ai un petit faible pour elle dont la sensibilité est très forte, des yeux exceptionnellement pleins de vie, capable, dans un personnage secondaire, de voler la vedette à des personnages plus centraux dans un film.

    Un exemple frappant est l'excellent film de Claude Chabrol "Au cœur du mensonge" (sorti le 13 janvier 1999). Dans un jeu à quatre, elle s'est octroyée sans doute le rôle le plus captivant, même si tous sont intéressants. Les deux rôles principaux sont tenus par Sandrine Bonnaire et Jacques Gamblin, jouant un couple bien étrange, l'une médecin un peu désolée et déboussolée par son mari, peintre sans inspiration qui a été blessé dans un attentat (celui de la rue de Rennes le 17 septembre 1986 qui a tué 7 personnes et blessé 55 autres dont le personnage du film). Antoine de Caunes joue le journaliste écrivain odieux et imbu de lui-même, dandy séducteur de la médecin, qui a le don d'agacer voire de rendre jaloux le peintre. Le journaliste meurt dans d'étranges conditions et la commissaire Valeria Bruni Tedeschi enquête.

    Dans ce film, l'actrice n'est pas seulement policière, elle est aussi mère, et c'est une chose importante car elle a confié la garde de sa fille (attention, spoiler !) à la compagne d'une personne accusée de l'assassinat d'un enfant (donc, dans une autre affaire). La commissaire ne semble pas vraiment efficace dans ses investigations, mais elle tient un rôle assez surprenant dans le film de Claude Chabrol chez qui rien n'est jamais blanc ou noir.

     

     
     


    Commençant par le théâtre et la télévision, Valeria Bruni Tedeschi a obtenu son premier grand rôle au cinéma en 1987 ("Hôtel de France" de Patrick Chéreau, sorti le 20 mai 1987) et depuis ses débuts, elle a tourné dans plus d'une centaine de films, mais aussi en a réalisé sept, car elle est aussi réalisatrice (et scénariste). Patrick Chéreau était son mentor et son initiateur au théâtre et même au cinéma pour son premier rôle principal : « Je lui serai éternellement reconnaissante de m'avoir appris le sens du mot travail. » (a-t-elle dit à la mort du metteur en scène le 7 octobre 2013). Il était son professeur et elle avait pour camarades de classe Agnès Jaoui, Vincent Perez, Eva Ionesco et Marianne Denicourt. Réalisatrice et actrice, un peu comme Emmanuelle Bercot. Valeria Bruni Tedeschi a fait jouer souvent de nouveaux comédiens, apprécie les nouvelles têtes, encourage et promeut les nouvelles pousses.

    Parmi les films qu'elle a réalisés, souvent intimistes et très personnels (tout en étant très collectifs), on peut citer "Actrices" (sorti le 26 décembre 2007) avec Noémie Lvovsky, Valeria Golino, Mathieu Amalric et Louis Garrel ; "Les Estivants" (sorti le 10 décembre 2018) avec Noémie Lvovsky, Valeria Golino, Pierre Arditi, Yolande Moreau, Laurent Stocker, etc. ; et (encore à visée autobiographique) "Les Amandiers" (sorti le 16 novembre 2022) avec Nadia Tereszkiewicz, Louis Garrel (qui joue le rôle de Patrick Chéreau), Sofiane Bennacer, Micha Lesco... sans oublier à la télévision, la comédie "Les 3 Sœurs" (diffusée le 4 septembre 2015 sur Arte) qui s'inspire d'une pièce de Tchekhov sur le deuil du père de trois sœurs dans la Russie de la fin du XIXe siècle, avec notamment Florence Viala, Coraly Zahonero, Éric Ruf, Bruno Raffaelli, Michel Vuillermoz et Laurent Stocker (ainsi que le succulent et regretté Michel Robin pour un petit rôle).

    Malgré la présence dans le casting de sa mère Marisa Borini et de sa fille Oumy Bruni Garrel, "Les Estivants" n'a pas de vocation autobiographique si ce n'est dans l'imaginaire de Valeria Bruni Tedeschi qui a distribué les rôles selon sa famille, parfois avec les propres rôles (sa mère, par exemple). Quant à son dernier film "Les Amandiers", il a été sélectionné par le Festival de Cannes de 2022, et a reçu en 2023 un César (meilleur espoir féminin pour Nadia Tereszkiewicz) et sept nominations de César (dont meilleur film et meilleur scénario). Présentant ce film (qui raconte sa jeunesse) le 10 novembre 2022 sur France Inter, Valeria Bruni Tedeschi a fait un parallèle avec les jeunes d'aujourd'hui : « J'ai l’impression qu'on a insufflé à nos enfants la peur de l'avenir, je les trouve très angoissés, en train d'essayer de bien construire leur avenir. Nous, on ne construisais rien du tout, on voulait vivre, travailler, on s'en foutait de construire une carrière, on voulait juste jouer. ».


    Les films qu'elle a réalisés, comme je l'ai écrit plus haut, sont souvent ou vaguement à visée autobiographique et familiale. Ainsi, Valeria Bruni Tadeschi évoquait sa sœur et la mort de son père dans "Il est plus difficile pour un chameau..." (sorti le 16 avril 2003) avec Chiara Mastroianni, Jean-Hugues Anglade, Marisa Borini (sa mère), Denis Podalydès, Lambert Wilson, Yvan Attal, Emmanuell Devos, etc. (Prix Louis-Delluc du premier film), ainsi que la mort de son frère, succombant du sida en 2006, dans "Un château en Italie" (sorti le 30 octobre 2013) avec Louis Garrel, Marisa Borini et Xavier Beauvois (ce qui a valu à Valeria d'être la seule femme candidate à la Palme d'Or au Festival de Cannes 2013). Du reste, Valeria Bruni Tedeschi a pu tourner dans le propre château familial, le château de Castagneto Po, à 25 kilomètres de Turin, vendu par la famille en 2009 à un prince saoudien pour la somme de 17,5 millions d'euros et son mobilier, vendu aux enchères à Londres pour 10 millions d'euros, qui ont été versés à la Fondation Virginio-Bruni-Tedeschi (le frère décédé) contre le sida.
     

     
     


    En fait, Carla Bruni n'est que la demi-sœur de Valeria Bruni Tedeschi, mais elles ne l'ont su que tardivement, au début de l'année 1996. Le père biologique était un homme d'affaires installé au Brésil et le père qui l'a élevée, Alberto Bruni Tedeschi, qui l'avait su, l'a toujours chérie comme sa propre fille. Toutefois, le choc de la révélation n'en a pas été moins grand, d'autant plus qu'elle a eu lieu peu avant la mort du père affectif (le 17 février 1996).

    Louis Garrel a été le compagnon de Valeria Bruni Tedeschi après le tournage de son film "Actrices" et le couple a adopté alors en 2009 une petite fille Oumy qui a joué avec eux en 2018. Elle a aussi adopté en 2014 un petit garçon, Noé. Son nouveau compagnon Sofiane Bennacer a eu l'un des rôles principaux dans "Les Amandiers" (et la procureure de la République de Mulhouse a annoncé le 22 novembre 2022 qu'il a été mis en examen en octobre 2022 pour des accusations de viols et d'agressions sur trois voire quatre de ses anciennes compagnes, mais il a clamé son innocence ; à cause de cette mise en examen, et alors qu'il a été une révélation dans "Les Amandiers", son nom a été prudemment retiré de la liste des "talents émergents" pour les Césars 2023 par respect pour les victimes présumées).

    Reconnue par la profession, Valeria Bruni Tedeschi a reçu de nombreuses récompenses, en particulier un César du meilleur espoir féminin pour "Les gens normaux n'ont rien d'exceptionnel" de Laurence Ferreira Barbosa (sorti le 1994), avec Melvil Poupaud, Frédéric Diefenthal, Sandrine Kiberlain et Jackie Berroyer (et nommée pour cinq autres Césars), quatre David di Donatello de la meilleure actrice en 1996, 1998, 2014 et 2017 (l'équivalent italien des Césars), également le Prix spécial du jury au Festival de Cannes en 2007 et une citation pour un Molière de la meilleure comédienne, car elle joue aussi au théâtre (des pièces de Molière, Tchekhov, Tourgueniev, etc.).

    L'un des récents films dans lesquels Valeria a joué (très nombreux, depuis le début de la décennie ; elle a joué dans treize films !) est "Les Amours d'Anaïs" de Charline Bourgeois-Taquet (sorti le 15 septembre 2021) avec la très séduisante Anaïs Demoustier et Denis Podalydès. L'actrice devenue écrivaine se retrouve alors au centre d'un triangle amoureux où deux doubles hétérosexualités évoluent vers une seule homosexualité féminine sans identification d'orientation sexuelle mais avec pour seul guide le désir, comme l'a expliqué la jeune réalisatrice le 16 septembre 2021 à Mégane Choquet pour le site Allociné : « La seule chose qui guide Anaïs, c'est son désir. Et elle a cette capacité à suivre son désir de manière aveugle, sans se poser de questions. Elle se laisse emporter par ses pulsions et ses envies. Je trouvais ça beau qu'elle aille jusqu'au bout sans se poser de questions. (…) Le film commence à Paris et plus on avance, plus il s'ouvre quand on arrive à la campagne verdoyante en Bretagne et vers la fin on est carrément au bord de la mer avec cet horizon infini. Sans vouloir tomber dans trop de symbolisme, c'était aussi une trajectoire vers la liberté et le fait de suivre son désir jusqu'au bout et sans limites. ».


     

     


    Quant à Valeria Bruni Tadeschi, voici ce qu'en dit Charline Bourgeois-Taquet pour cette première collaboration : « J'ai adoré travailler avec Valeria. Encore aujourd'hui, quand je vois le film, je suis subjuguée, je la trouve sublime. C'était assez intéressant parce que j'avais envie de lui proposer ce personnage qu'elle a rarement joué, voire presque jamais, c'est-à-dire une femme solide, puissante, accomplie. Et Valeria aime bien faire rire, donc les premiers jours de tournage, elle était assez déstabilisée. Je pense même qu'elle était un peu frustrée parce qu'elle voyait qu'Anaïs et Denis [Podalydès] nous faisaient rire. Je n'avais vraiment pas envie qu'elle soit en souffrance sur le tournage mais j'ai quand même tenu bon, je lui ai expliqué qu'il fallait qu'elle me fasse confiance et que son personnage allait être marquant même s'il ne faisait pas rire. Et elle a fini par comprendre ce que j'avais derrière la tête et par accepter de s'abandonner. ».

    Dans "Paris Match", Valeria Bruni Tedeschi a déclaré de son côté, le 8 juillet 2022 à Karelle Fitoussi : « J'aime les metteurs en scène qui m’obligent à aller dans des endroits nouveaux. Charline m’a demandé d’incarner une femme qui assume sa beauté et sa puissance. Je crois n’avoir jamais été regardée par des cinéastes hommes hétérosexuels comme un objet de désir. ». Réponse de la réalisatrice : « Mais parce que tu résistes à ça ! Au début du tournage, ce qui t’aurait vraiment fait plaisir, c’était plutôt de faire rire tout le monde ! Il y a chez toi une fragilité qu’on perçoit derrière tous tes rôles. ».

     

     
     


    Complexée par le caractère très riche de sa famille (elle s'en sent coupable), mais pas du tout complexée par son physique (contrairement à sa sœur, elle ne se maquille pas, ne se coiffe pas, ne se chirurgie-esthétique pas, ne se photoshope pas dans les magazines aux pages glacées), Valeria Bruni Tadeschi aura un mal fou à atteindre la sérénité, faute d'un bonheur qu'elle n'assumerait pas : « J’ai le sentiment que rien ne m’a apaisée, que rien ne m’apaise, que rien ne m’apaisera jamais. » (a-t-elle lâché à Vanessa Schneider le 17 mai 2013 pour "Le Monde"). Toujours anxieuse, la religion catholique peut lui apporter cette sérénité qu'elle désire tant : « Je vais parfois à l’office du [dimanche] soir, que je trouve plus solitaire, moins familial et bourgeois que celui du matin. J’ai beaucoup de mal avec ce qui se dit à l'Église, de nombreuses choses ne me plaisent pas du tout, mais je peux y trouver des instants d’apaisement. C’est la religion de mon enfance, le langage qui m’est le plus naturel, même si je n’ai reçu que des miettes de foi. » (s'est-elle confiée le 28 mai 2022 à Baptiste Thion dans le "Journal du dimanche").


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    Sylvain Rakotoarison (16 novembre 2024)
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    Pour aller plus loin :
    Carla Bruni.
    Valeria Bruni Tedeschi.
    Teddy Vrignault.
    Pierre Richard.
    François Truffaut.
    Roger Hanin.
    Daniel Prévost.
    Michel Blanc.
    Brigitte Bardot.
    Marcello Mastroianni.
    Jean Piat.
    Sophia Loren.
    Lauren Bacall.
    Micheline Presle.
    Sarah Bernhardt.
    Jacques Tati.
    Sandrine Bonnaire.
    Shailene Woodley.
    Gérard Jugnot.
    Marlène Jobert.
    Alfred Hitchcock.
    Les jeunes stars ont-elles le droit de vieillir ?
    Charlie Chaplin.
     

     
     



    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241116-valeria-bruni-tedeschi.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/la-grande-sensibilite-de-valeria-257319

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/15/article-sr-20241116-valeria-bruni-tedeschi.html


     

  • Où est donc passé Teddy Vrignault ?

    « Les gens bien intentionnés les qualifient d'amuseurs. Les gens moins bien intentionnés les classent parmi les "rigolos". Ils valent beaucoup mieux que ça. Le délire verbal, le coq-à-l'âne, la gymnastique des mots, est probablement le genre exigeant le plus de maîtrise, le plus de rigueur, en un mot : le plus de style. Ce n'est pas Raymond Devos qui me contredira. » (Michel Audiard, à propos des Frères ennemis).


     

     
     


    C'est l'histoire banale du mec qui sort un dimanche soir pour chercher un paquet de clopes. Et il ne revient jamais. La femme est pourtant sûre qu'il reviendra. Une disparition sans préavis comme en font les romans ou les films à New York. Il y a quarante ans, le 1er novembre 1984, c'était le tour de Teddy Vrignault. Il allait avoir 56 ans le 22 novembre 1984. Il habitait à Montmartre avec son épouse Simone.

    Il a dit à sa femme : je vais chercher des clopes. Il a pris sa voiture, une 504 Peugeot de couleur dorée avec le toit noir, sans son carnet de chèque mais avec quelques billets de banque, et il est parti. On le cherche encore aujourd'hui. L'enquête n'a rien donnée. On n'a jamais retrouvé ni l'homme pourtant assez facilement identifiable (avec de belles moustaches) ni sa voiture. Par l'article 112 du code civil sur les disparitions, il a été considéré par l'État comme décédé le 1er novembre 2004, mais rien n'indique qu'il ne serait pas encore vivant aujourd'hui, auquel cas il aurait presque 96 ans. Sa femme n'avait rien remarqué d'anormal, si ce n'était que Teddy avait des problèmes d'argent, était déprimé et prenait des somnifères pour dormir.

    En France, il y a environ 50 000 à 60 000 personnes signalées disparues chaque année ; et chaque année, on retrouve entre 800 et 2 000 corps non identifiés. Certains, d'une famille de disparus, militent pour créer un fichier des empreintes ADN des cadavres anonymes à analyser systématiquement. En 2008, il y a eu 5 650 recherches administratives pour des disparitions présumées volontaires de personnes adultes (notre cas ici), et 2 456 (soit 44%) ont été découvertes après enquête, mais seulement la moitié de celles-ci ont accepté de communiquer leurs coordonnées. Je ne sais pas si l'année 2008 est statistiquement représentative d'une moyenne, et certainement pas de l'année 1984, mais cela signifie que Teddy Vrignault a fait partie de plusieurs milliers d'adultes qui se sont volatilisées a priori volontairement chaque année. Son cas, malheureusement, n'est donc pas très rare.

    Rappelons que la liberté de circulation implique aussi le liberté de disparaître (dès lors qu'on ne trouble l'ordre public et qu'on respecte la loi). Les enquêtes sont motivées par la légitimité de la détresse familiale, mais la procédure administrative de recherche dans l'intérêt des familles (datant de la
    Première Guerre mondiale et organisée selon la circulaire n°83-52 du 21 février 1983) a été abrogée par la circulaire du 26 avril 2013 en raison de la possibilité de faire des recherches, accessible à tous, grâce à l'Internet et aux réseaux sociaux.

    Enfin, si, un petit signe pourrait laisser entendre qu'il n'est hélas plus de ce monde. Un détective privé (un généalogiste) a retrouvé, sur le site Geneanet l'acte de décès (qu'on peut lire dans le fichier de l'INSEE) de Pierre Édouard Georges Vrignault (le vrai nom d'état-civil de Teddy Vrignault), correspondant à la bonne date de naissance, bon lieu de naissance, et qui serait décédé le 29 janvier 1999 à l'âge de 70 ans au 18
    e arrondissement de Paris. S'il s'agissait de la même personne, cela signifierait qu'elle serait restée dans la même ville (et dans le même arrondissement) pendant quatorze ans sans avoir été retrouvée, ce qui est difficile à imaginer car l'homme était une célébrité. C'est le journal "France Dimanche" qui a donné cette information le 17 avril 2020, malheureusement après le décès d'André Gaillard.
     

     
     


    Car il faut en effet rappeler qui est Teddy Vrignault à qui il faut absolument associer André Gaillard (1927-2019). Tous les deux étaient des humoristes. Ils s'étaient rencontrés par hasard au cours de leur service militaire en Allemagne, ils faisaient un spectacle ensemble mais n'étaient pas du même escadron. Après leur retour dans le civil, ils se sont perdus de vue (déjà) et se sont recroisés quelques années plus tard par hasard aux Champs-Élysées à Paris. Très vite, ils ont apprécié l'un chez l'autre l'humour sophistiqué, basé principalement sur des jeux de mots, sur la richesse du vocabulaire. Ils ont suivi des cours de théâtre et leur première représentation a eu lieu le 24 octobre 1953 dans un cabaret parisien. Ils étaient lancés.
     

     
     


    Avec un petit côté désuet, Teddy Vrignault, le grand chevelu à moustaches, André Gaillard, le chauve avec des rouflaquettes d'avant-guerre, ont formé un duo, les Frères ennemis, très connus dans les années 1960. Ils se sont produits de 1953 à 1984, pendant trente et une années, et en faisant rigoler un public bon enfant au cours de 750 sketchs différents (qui ont fait l'objet de publications livresques). Comme l'a rappelé Jérémy Gallet le 5 octobre 2019 sur le site Avoir-alire : « Des Frères Ennemis, duo comique injustement oublié, on retient les sketchs absurdes, qui lorgnent sur l’humour de Raymond Devos et Pierre Dac, avec des réparties débitées à la mitraillette, un art consommé du coq-à-l’âne et le contraste physique entre le chevelu Teddy Vrignault, brun ténébreux, sorte de mélange entre Claude Giraud et Lee Van Cleef, et André Gaillard, le dégarni, avec moustaches et rouflaquettes d’antan. Le binôme avait commencé, tel Richard et Lanoux, Darras et Noiret, par écumer les cabarets, dans les années 50, dont L’Écluse, lieu incontournable du rire, avant que le petit écran ne les rende populaires. ».
     

     
     


    Ils ont eu la chance de démarrer à Saint-Germain-des-Prés, un quartier parisien très encourageant pour les artistes. Ils ont aussi tourné dans plusieurs films, notamment de Jean Yanne et Pierre Richard, dans des seconds rôles, avec un humour qui n'a jamais été vulgaire et que certains (anciens) regrettent beaucoup. Cependant, les années 1970 ont vu leur succès décliner à cause de nouveaux modes de l'humour, plus audacieux, plus féroces (à l'instar de Coluche, Thierry Le Luron, Pierre Desproges et Michel Leeb, préférés des émissions de télévision).

    Quand Teddy Vrignault a disparu, les deux frères d'humour avaient encore un contrat pour des représentations en province toute l'année. Le site
    Wikipédia (qui ne semble se baser sur aucun indice sérieux) laisse entendre que c'est le désespoir d'une perte de succès qui lui aurait fait abandonner sa vie d'artiste pour retrouver l'anonymat, mais ce n'est pas très convainquant. En 2010 (ou 2011), André Gaillard, invité de Thierry Ardisson, a plutôt laissé entendre un problème avec son épouse (mais sans plus de conviction). Teddy était (à l'imparfait ?) quelqu'un de pas très tendre, très distant dans les relations personnelles, dur au contact, et ce ne devait peut-être pas être très facile avec sa femme. Il n'aurait peut-être pas osé lui dire en face qu'il voulait se séparer (mais partir sans rien dire est pour moi une forme très avancée de la goujaterie). Supputations de café du commerce. Le mystère restera.
     

     
     


    Toujours est-il qu'on n'a jamais eu de nouvelles par la suite. André Gaillard a tenté de continuer les sketchs à deux, notamment avec leur régisseuse Colette Duval (1930-1988), championne de saut en parachute et mannequin, avec qui ça a bien marché, aidés par Thierry Le Luron qui leur a proposé de se produire devant 4 000 spectateurs. Hélas, sa nouvelle partenaire est morte d'un cancer au bout de trois ans (le 22 mai 1988), ce qui a fait dire à un copain : c'est dur de travailler avec toi ! En 1993-1994, le seul Frère ennemi non disparu a trouvé un nouveau partenaire de réparties en la personne de Jean-Louis Blèze (1927-2012), cancre récurrent de "La Classe", l'émission présentée par Fabrice sur France 3, mais sans retrouver les heures glorieuses de son duo initial.

    André Gaillard a poursuivi sa carrière de comédien et d'humoriste, au cinéma, à la télévision, au théâtre et aussi chez Philippe Bouvard, aux "Grosses Têtes". Affecté jusqu'à sa mort par la disparition de son ami, au point d'aller chez Jacques Pradel, dans l'émission "Perdu de vue" dans les années 1990, sans succès, le dernier Frère ennemi, qui est mort le 30 septembre 2019 (à 91 ans et demi), a eu la satisfaction de voir ses deux filles Silvia et Valérie reprendre les sketchs paternels en 2010 sous le nom de Sœurs Z'ennemies. Quant à l'ami Teddy, il aura parfaitement réussi sa dernière (mauvaise) blague.


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    Sylvain Rakotoarison (26 octobre 2024)
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    Pour aller plus loin :
    Teddy Vrignault.
    Pierre Richard.
    François Truffaut.
    Roger Hanin.
    Daniel Prévost.
    Michel Blanc.
    Brigitte Bardot.
    Marcello Mastroianni.
    Jean Piat.
    Sophia Loren.
    Lauren Bacall.
    Micheline Presle.
    Sarah Bernhardt.
    Jacques Tati.
    Sandrine Bonnaire.
    Shailene Woodley.
    Gérard Jugnot.
    Marlène Jobert.
    Alfred Hitchcock.
    Les jeunes stars ont-elles le droit de vieillir ?
    Charlie Chaplin.










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    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/ou-est-donc-passe-teddy-vrignault-256593

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  • Anatole France, figure marquante de la Troisième République

    « Son œuvre ne surprit que doucement et agréablement par le contraste rafraîchissant d’une manière si mesurée avec les styles éclatants ou fort complexes qui s’élaboraient de toutes parts. Il sembla que l’aisance, la clarté, la simplicité, revenaient sur la Terre. Ce sont des déesses qui plaisent à la plupart. On aima tout de suite un langage qu’on pouvait goûter sans y trop penser, qui séduisait par une apparence si naturelle, et de qui la limpidité, sans doute, laissait transparaître parfois une arrière-pensée, mais non mystérieuse ; mais au contraire, toujours bien lisible, sinon toujours toute rassurante. Il y avait dans ses livres un art consommé de l’effleurement des idées et des problèmes les plus graves. Rien n’y arrêtait le regard, si ce n’est la merveille même de n’y trouver nulle résistance. Quoi de plus précieux que l’illusion délicieuse de la clarté qui nous donne le sentiment de nous enrichir sans effort, de goûter du plaisir sans peine, de comprendre sans attention, de jouir du spectacle sans payer ? Heureux les écrivains qui nous ôtent le poids de la pensée et qui tissent d’un doigt léger un lumineux déguisement de la complexité des choses ! » (Paul Valéry sur Anatole France, le 23 juin 1927 à l'Académie française).


     

     
     


    Avant-hier, c'était l'attribution du Prix Nobel de Littérature 2024 (à l'écrivaine sud-coréenne Han Kang). Un de ses lointains prédécesseurs, celui de 1921, était Anatole France. Il est mort il y a exactement cent ans, le 12 octobre 1924 à l'âge de 80 ans (il est né le 16 avril 1844 ; les hasards des nombres s'entrechoquent avec l'actualité, car Michel Blanc est né aussi un 16 avril). À l'annonce de sa mort, l'ancien et futur Président du Conseil Paul Painlevé, alors Président de la Chambre des députés, a exprimé ainsi son émotion : « Le niveau de l'intelligence humaine a baissé cette nuit-là. ».

    Pour son 80e anniversaire, le Cartel des gauches, qui venait de gagner les élections, a célébré le 24 mai 1924 le grand écrivain place du Trocadéro à Paris. À la mort, son corps, embaumé, fut exposé au public (reçut la visite du Président du Conseil Édouard Herriot et du Président de la République Gaston Doumergue le 17 octobre 1924) et il bénéficia d'obsèques quasi-nationales à Paris.

    Anatole France, également membre de l'Académie française, a marqué son temps avec ses œuvres littéraires, principalement des romans, mais aussi de la poésie et du théâtre ; il était aussi critique littéraire et journaliste (il a travaillé pour "Temps", "L'Union", "L'Humanité" et "Le Figaro"), et aussi collectionneur d'art. Il faut rappeler que la France est le pays qui compte le plus de Prix Nobel de Littérature (le dernier Français en date est la Française Annie Ernaux).

    Le bien nommé écrivain de langue française Anatole France m'a toujours fasciné, ne serait-ce que parce qu'on avait baptisé de son nom l'avenue la plus large de mon quartier quand j'étais enfant. Je la traversais souvent. Quand vous êtes petit et que vous comprenez peu les choses des grandes personnes, l'univers des noms de rue qui vous entourent est essentiel dans votre éveil intellectuel. Évoluer aux côtés d'Anatole France, Verlaine, Coriolis, Hoche, Gambetta, Charlemagne, Thiers, La Fayette, les Goncourt, etc., ça peut vous donner des envies de vous cultiver, même à 7-8 ans. Il faut dire que la plupart des noms de rues honorent des personnalités de la Troisième République, et Anatole France fut un de ces grands maîtres de la République-là.

    France n'était pas vraiment un patronyme. Son père s'appelait Noël Thibault (1805-1890), analphabète à 20 ans mais ensuite, propriétaire d'une librairie parisienne (appelée France-Thibault puis France) que fréquentaient de nombreux érudits, écrivains, journalistes, etc. notamment les frères Goncourt, parce qu'elle proposait des documents historiques de la période révolutionnaire.

    À l'origine, Anatole France aurait dû reprendre l'affaire paternelle et faire une belle carrière de libraire. Son père ne croyait pas du tout en l'avenir de ses premiers écrits. Ses premiers métiers furent néanmoins libraire et bibliothécaire et il a commencé dans la littérature en rédigeant des poèmes par amour pour une femme inaccessible (une jeune et belle actrice).

    Sa notoriété littéraire a débuté avec son roman "Le Crime de Sylvestre Bonnard" en 1881 (il a eu un prix de l'Académie française pour l'occasion). L'encyclopédie
    Wikipédia explique doctement que cette « œuvre [fut] remarquée pour son style optimiste et parfois féerique, tranchant avec le naturalisme qui [régnait] alors ». Il fut alors un écrivain prolifique (le site de l'Académie française a inventorié plus de 90 livres publiés entre 1859 et 1922 !), riche, très influent car devenu également critique littéraire, aux idées politiques plus ou moins vagues, plus ou moins conservatrices, d'abord opposé au général Boulanger, puis séduit par lui puis enfin déçu par lui.
     

     
     


    Pourrait-on même dire qu'il était l'équivalent de Jean-Paul Sartre ? C'est difficile de faire des comparaisons hors contexte, qui sont toujours foireuses, mais Anatole France n'était pas seulement un grand écrivain, il était un homme engagé, surtout, une conscience républicaine, comme la Troisième République savait en sécréter et savait les aimer et les honorer. Il était certes contemporain de Victor Hugo (inégalable écrivain du XIXe siècle), mais sans lui les quasiment trente dernières années de sa vie (Victor Hugo est mort en 1885). Ainsi, Anatole France a été membre de la Ligue des droits de l'homme, premier président du PEN Club français de 1921 à 1924 (son successeur est un autre écrivain emblématique de la Troisième République, Paul Valéry), une société savante international qui, depuis la fin de la guerre, promeut la liberté d'expression et les intérêts des écrivains, éditeurs, traducteurs, journalistes (élargi à blogueurs de nos jours), etc. (PEN signifie Poètes Essayistes Nouvellistes).

    Il a rejoint Émile Zola durant
    l'Affaire Dreyfus (il a déposé devant le tribunal le 19 février 1898 comme témoin de moralité d'Émile Zola, a rendu sa Légion d'honneur lorsqu'on a retiré à Émile Zola la sienne, etc.), a dénoncé le génocide arménien, et, plus généralement, a soutenu de nombreuses causes politiques au fil de son existence (il s'est rapproché de Jean Jaurès, a promu la laïcité, les droits syndicaux, s'est opposé à la politique coloniale, etc.).

    Comme signalé au début, Anatole France a été élu à l'Académie française le 23 janvier 1896 au fauteuil 38. Il a succédé à Ferdinand de Lesseps qui venait de mourir le 7 décembre 1894, mais aussi à Adolphe Thiers et Henri Martin. Il a été reçu sous la Coupole le 24 décembre 1896 par le pédagogue Octave Gréard, futur vice-recteur de Paris. Son successeur direct fut Paul Valéry, puis Henri Mondor, et l'avant-dernier,
    François Jacob. Il a rendu un hommage remarqué à Émile Zola et à Ernest Renan.

    Longtemps parmi les "candidats" potentiels aux Nobels (cité en 1904, 1909, 1910, 1911, 1912, 1913, 1915 et 1916), Anatole France fut désigné Prix Nobel de Littérature en 1921 « en reconnaissance de ses brillantes œuvres littéraires, caractérisées par une noblesse de style, une profonde sympathie humaine, de la grâce et un véritable tempérament gaulois ».


    Parmi les adjectifs qui peuvent le mieux qualifier Anatole France, il y a bien sûr indépendant, intellectuellement indépendant. Lorsqu'il l'a reçu à l'Académie française le 24 décembre 1896, Octave Gréard lui a déclaré entre autres : « L’œuvre de la raison humaine, quelques fins qu’elle poursuive, est pour vous inviolable. Vous n’y souffrez ni limites ni entraves. Que si certaines philosophies ne peuvent entrer dans l’ordre des faits que sous une forme dangereuse pour la société, il faut les châtier, dès qu’elles se traduisent en actes : la vie doit s’appuyer sur une morale simple et précise. Mais les droits de la pensée n’en demeurent pas moins intangibles. La pensée porte en elle-même sa légitimité. Ne disons jamais qu’elle est immorale. Elle plane au-dessus de toutes les morales. L’homme ne serait pas l’homme, s’il ne pensait librement. Cette indépendance sans réserve que vous revendiquez pour tous, vous la pratiquez pour vous. À vingt ans, vous vous plaigniez naïvement de n’avoir pas trouvé une explication du monde, en une matinée, sous les platanes du Luxembourg. Et la joie vous transporte, quand, quelques années après, à la lumière des idées de Darwin, vous croyez avoir surpris le plan divin. Ce n’était qu’une étape vers la religion d’Épicure, où votre esprit a trouvé l’apaisement, sinon le repos. Le monde n’est qu’un assemblage de phénomènes, la vie un perpétuel écoulement. Mesurée, discrète, sans aucun sacrifice de sincérité, mais toujours élevée dans l’expression, partout où vous la prenez directement à votre compte, l’apologie de la doctrine, lorsque vous la confiez à l’abbé Jérôme Coignard, se donne carrière sans ménagement ni scrupule. ».
     

     
     


    Dans les faits, Anatole France a eu une sorte de consécration inversée : le 31 mai 1922, l'ensemble de son œuvre a été frappée d'une condamnation papale. De même, le mouvement surréaliste a beaucoup critiqué l'œuvre d'Anatole France, en particulier Louis Aragon : « Je tiens tout admirateur d'Anatole France pour un être dégradé. ». Selon l'agrégé de lettres classiques Claude Aziza : « La réputation de France devient ainsi celle d’un écrivain officiel au style classique et superficiel, auteur raisonnable et conciliant, complaisant et satisfait, voire niais, toutes qualités médiocres que semble incarner le personnage de M. Bergeret. Mais nombre de spécialistes de l’œuvre de France considèrent que ces jugements sont excessifs et injustes, ou qu’ils sont même le fruit de l’ignorance, car ils en négligent les éléments magiques, déraisonnables, bouffons, noirs ou païens. Pour eux, l’œuvre de France a souffert et souffre encore d’une image fallacieuse. D'ailleurs M. Bergeret est tout le contraire d'un conformiste. On lui reproche toujours de ne rien faire comme tout le monde, il soumet tout à l'esprit d'examen, s'oppose fermement, malgré sa timidité, aux notables de province au milieu desquels il vit, il est l'un des deux seuls dreyfusistes de sa petite ville… » (Wikipédia). M. Bergeret est le personnage central de "Monsieur Bergeret à Paris" (sorti en 1901).

    Dans son hommage à Anatole France, Paul Valéry a jugé son œuvre littéraire ainsi : « C’est qu’il y avait en lui une souplesse et une diversité essentielles. Il y avait du spirituel et du sensuel, du détachement et du désir, une grande et ardente curiosité traversée de profonds dégoûts, une certaine complaisance dans la paresse ; mais paresse songeuse, paresse aux immenses lectures et qui se distingue mal de l’étude, paresse tout apparente, pareille au repos d’une liqueur trop enrichie de substance et qui, dans ce calme, se fait mère de cristaux aux formes parfaites. Tant de connaissances accumulées, tant d’idées qu’il avait acquises n’étaient pas quelquefois sans lui nuire extérieurement. Il étonnait, il scandalisait sans effort des personnes moins variées. Il concevait une quantité de doctrines qui se réfutaient l’une dans l’autre dans son esprit. Il ne se fixait que dans les choses qu’il trouvait belles ou délicieuses, et il ne retenait en soi que des certitudes d’artiste. Ses habitudes, ses pensées, ses opinions, la politique enfin qu’il a suivie se composaient dans une harmonie assez complexe qui n’a pas laissé d’émerveiller ou d’embarrasser quelques-uns. Mais qu’est-ce qu’un esprit de qui les pensées ne s’opposent aux pensées, et qui ne place son pouvoir de penser au-dessus de toute pensée ? Un esprit qui ne se déjoue, et ne s’évade vivement de ses jugements à peine formés, et ne les déconcerte de ses traits, mérite-t-il le nom d’esprit ? Tout homme qui vaut quelque chose dans l’ordre de la compréhension, ne vaut que par un trésor de sentiments contradictoires, ou que nous croyons contradictoires. Nous exprimons si grossièrement ce qui nous apparaît des autres humains qu’à peine nous semblent-ils plus divers et plus libres que nous-mêmes, aussitôt, nos paroles qui essayent de les décrire, se contrarient et nous attribuons à des êtres vivants, une monstrueuse nature que nos faibles expressions viennent de nous construire. Admirons au contraire cette grande capacité de contrastes. Il faut considérer avec une attention curieuse, cette nature d’oisif, ce liseur infini, produire une œuvre considérable ; ce tempérament assez voluptueux s’astreindre à l’ennui d’une tâche constante ; cet hésitant, qui s’avance comme à tâtons dans la vie, procéder de sa modestie première, s’élever au sommet par des mouvements indécis ; ce balbutiant, en venir à déclarer même violemment les choses les plus hardies ; cet homme d’esprit, et d’un esprit si nuancé, s’accommoder d’être simplifié par la gloire et de revêtir dans l’opinion des couleurs assez crues ; ce modéré et ce tempéré par excellence, prendre parti, avec une si grande et étonnante vigueur dans les dissensions de son temps ; cet amateur si délicat faire figure d’ami du peuple, et davantage, l’être de cœur et tout à fait sincèrement. ».


    Et d'ajouter : « Sceptique et satirique devait être un esprit que distinguait son extrême avidité de tout connaître. Son immense culture lui fournissait abondamment les moyens de désenchanter. Il rendait aisément mythique et barbare toute forme sociale. Nos usages les plus respectables, nos convictions les plus sacrées, nos ornements les plus dignes, tout était invité, par l’esprit érudit et ingénieux, à se placer dans une collection ethnographique, à se ranger avec les taboos, les talismans, les amulettes des tribus ; parmi les oripeaux et les dépouilles des civilisations déjà surmontées et tombées au pouvoir de la curiosité. Ce sont des armes invincibles que l’esprit de satire trouve dans les collections et les vestiges. Il n’est de doctrine, d’institution, de sociétés ni de régimes sur qui ne pèse une somme de gênants souvenirs, de fautes incontestables, d’erreurs, de variations embarrassantes, et parfois des commencements injustes ou des origines peu glorieuses que n’aiment point les grandeurs et les prétentions ultérieures. Les lois, les mœurs, les institutions sont l’ordinaire et délectable proie des critiques du genre humain. Ce n’est qu’un jeu que de tourmenter ces entités considérables et imparfaites que poursuit d’âge en âge la tradition de les harceler. Il est doux, il est facile, périlleux quelquefois, de les obséder d’ironies. Le plaisir de ne rien respecter est le plus enivrant pour certaines âmes. Un écrivain qui le dispense aux amateurs de son esprit les associe et les ravit à sa lucidité impitoyable, et il les rend avec délices semblables à des dieux, méprisant le bien et le mal. ».
     

     
     


    Je propose ici quelques extraits de l'œuvre d'Anatole France.

    Sur la vie humaine : « Plus je songe à la vie humaine, plus je crois qu'il faut lui donner pour témoins et pour juges l'Ironie et la Pitié. L'Ironie et la Pitié sont deux bonnes conseillères; l'une, en souriant, nous rend la vie aimable, l'autre, qui pleure, nous la rend sacrée. L'Ironie que j'invoque n'est point cruelle. Elle ne raille ni l'amour ni la beauté. Elle est douce et bienveillante. Son rire calme la colère, et c'est elle qui nous enseigne à nous moquer des méchants et des sots que nous pourrions, sans elle, avoir la faiblesse de haïr. ».

    Sur la pensée par soi-même : « À mesure qu'on avance dans la vie, on s'aperçoit que le courage le plus rare est celui de penser. ».

    Sur la curiosité : « Pour digérer le savoir, il faut l’avoir avalé avec appétit. ».

    Sur l'enseignement : « Tout l'art d'enseigner se résume à éveiller la curiosité naturelle des jeunes esprits pour la satisfaire ensuite. ».

    Sur l'action politique : « Il est dans la nature humaine de penser sagement et d'agir d'une façon absurde. ».

    Sur la guerre : « On croit mourir pour la patrie, on meurt pour des industriels. ».

    Clivage : « J'ai toujours préféré la folie des passions à la sagesse de l'indifférence. ».

    Dans "Jocaste et le Chat maigre" (1879) : « Il n'aimait pas ces courses au vent et à la pluie. Pour s'en dispenser, il se faisait admettre par ses grimaces à l'infirmerie, où il se pelotonnait sous ses couvertures comme un boa dans une vitrine de muséum. ».

    Dans "La Rôtisserie de la reine Pétauque" (1892), des prémices véganes : « Un honnête homme ne peut sans dégoût manger la chair des animaux et les peuples ne peuvent se dire polis tant qu'ils auront dans leurs villes des abattoirs et des boucheries. Mais nous saurons un jour nous débarrasser de ces industries barbares. ».

    Dans "Le Jardin d'Épicure" (1894) : « Nous appelons dangereux ceux qui ont l'esprit fait autrement que le nôtre et immoraux ceux qui n'ont point notre morale. Nous appelons sceptiques ceux qui n'ont point nos propres illusions, sans même nous inquiéter s'ils en ont d'autres. ». Et aussi : « L'espèce humaine n'est pas susceptible d'un progrès indéfini. Il a fallu pour qu'elle se développât que la terre fût dans de certaines conditions physiques et chimiques qui ne sont point stables. Il fut un temps où notre planète ne convenait pas à l'homme : elle était trop chaude et trop humide. Il viendra un temps où elle ne lui conviendra plus : elle sera trop froide et trop sèche. Quand le soleil s'éteindra, ce qui ne peut manquer, les hommes auront disparu depuis longtemps. Les derniers seront aussi dénués et stupides qu'étaient les premiers. Ils auront oublié tous les arts et toutes les sciences, ils s'étendront misérablement dans des cavernes, au bord des glaciers qui rouleront alors leurs blocs transparents sur les ruines effacées des villes où maintenant on pense, on aime, on souffre, on espère. ».

    Dans "Crainquebille" (1904), apologie pour le président Bourriche : « Ce dont il faut louer le président Bourriche, lui dit-il, c’est d’avoir su se défendre des vaines curiosités de l’esprit et se garder de cet orgueil intellectuel qui veut tout connaître. En opposant l’une à l’autre les dépositions contradictoires de l’agent Matra et du docteur David Matthieu, le juge serait entré dans une voie où l’on ne rencontre que le doute et l’incertitude. La méthode qui consiste à examiner les faits selon les règles de la critique est inconciliable avec la bonne administration de la justice. Si le magistrat avait l’imprudence de suivre cette méthode, ses jugements dépendraient de sa sagacité personnelle, qui le plus souvent est petite, et de l’infirmité humaine, qui est constante. Quelle en serait l’autorité ? On ne peut nier que la méthode historique est tout à fait impropre à lui procurer les certitudes dont il a besoin. ».

    Dans "L'Île des pingouins" (1908) : « Sans doute les raisons scientifiques de préférer un témoignage à un autre sont parfois très fortes. Elles ne le sont jamais assez pour l'emporter sur nos passions, nos préjugés, nos intérêts, ni pour vaincre cette légèreté d'esprit commune à tous les hommes graves. En sorte que nous présentons constamment les faits d'une manière intéressée ou frivole. ». Compétence politique : « Il a déjà trahi son parti pour un plat de riz. C’est l’homme qu’il nous faut ! » (On dirait de nos jours "pour un plat de lentilles", cf
    Olivier Faure vendu à Jean-Luc Mélenchon).

    Dans "Les Dieux ont soif" (1912), sur le vivre ensemble : « La nature nous enseigne à nous entre-dévorer et elle nous donne l'exemple de tous les crimes et de tous les vices que l'état social corrige ou dissimule. On doit aimer la vertu ; mais il est bon de savoir que c'est un simple expédient imaginé par les hommes pour vivre commodément ensemble. Ce que nous appelons la morale est une entreprise désespérée de nos semblables contre l'ordre universel, qui est la lutte, le carnage et l'aveugle jeu de forces contraires. Elle se détruit elle-même et plus j'y pense, plus je me persuade que l'univers est enragé. ».


    Dans "La Révolte des anges" (1914) : « Il faut aimer qui nous aime. La souffrance nous aime et s'attache à nous. Il faut l'aimer si l'on veut supporter la vie ; et c'est la force et la bonté du christianisme de l'avoir compris... Hélas! je n'ai pas la foi, et c'est ce qui me désespère. ».

    Et je conclus par l'amour de la langue. Dans "Les Matinées de la Villa Saïd" (sorti en 1921 chez Grasset), Anatole France a déclaré son amour au français (un tantinet sexiste !) : « La langue française est une femme. Et cette femme est si belle, si fière, si modeste, si hardie, touchante, voluptueuse, chaste, noble, familière, folle, sage, qu'on l'aime de toute son âme, et qu'on n'est jamais tenté de lui être infidèle. ». Anatole a aussi écrit : « Un dictionnaire, c'est l'univers par ordre alphabétique. ». Qu'il puisse faire des émules, qu'on puisse toujours chérir la langue française et surtout la respecter sans trop l'estropier !



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    Sylvain Rakotoarison (12 octobre 2024)
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    Pour aller plus loin :
    Anatole France.
    Alexandre Dumas fils.
    François Guizot.
    Laura Blajma-kadar.
    Jean-Pierre Elkabbach.
    Jean-Louis Debré.
    Brigitte Bardot.
    Édouard Philippe.
    Edgar Morin.
    Bernard Pivot.
    Yves Duteil.
    Pierre Perret.
    Françoise Hardy.
    Paul Auster.
    Christine Ockrent.
    Dominique Baudis.
    Racine.
    Molière.
    Frédéric Dard.
    Alfred Sauvy.
    George Steiner.
    Françoise Sagan.
    Jean d’Ormesson.
    Les 90 ans de Jean d’O.

     

     
     





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