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théâtre

  • La grande sensibilité de Valeria Bruni Tedeschi

    « Un tournage est comme un pays où il y a des lois et des langages. » (Valeria Bruni Tedeschi, le 18 février 2019 sur France Inter).


     

     
     


    L'actrice franco-italienne Valeria Bruni Tedeschi fête ses 60 ans ce samedi 16 novembre 2024 (elle est née à Turin ; elle est la grande sœur de la chanteuse et mannequin Carla Bruni, et donc la belle-sœur de Nicolas Sarkozy). Issue de la famille très riche de l'industriel Virgino Bruni Tedeschi (son grand-père qui a fait fortune dans les pneumatiques), Valeria est la fille d'une actrice et pianiste et d'un industriel qui était aussi compositeur d'opéra. La famille a dû se réfugier en France dans les années 1970 parce qu'elle était devenue une cible des Brigades rouges, ce qui a été un douloureux déchirement à l'âge de 9 ans.

    Elle est une actrice très attachante, presque familière, comme si c'était une intime, une bonne amie, une mère proche, une sœur complice... J'ai un petit faible pour elle dont la sensibilité est très forte, des yeux exceptionnellement pleins de vie, capable, dans un personnage secondaire, de voler la vedette à des personnages plus centraux dans un film.

    Un exemple frappant est l'excellent film de Claude Chabrol "Au cœur du mensonge" (sorti le 13 janvier 1999). Dans un jeu à quatre, elle s'est octroyée sans doute le rôle le plus captivant, même si tous sont intéressants. Les deux rôles principaux sont tenus par Sandrine Bonnaire et Jacques Gamblin, jouant un couple bien étrange, l'une médecin un peu désolée et déboussolée par son mari, peintre sans inspiration qui a été blessé dans un attentat (celui de la rue de Rennes le 17 septembre 1986 qui a tué 7 personnes et blessé 55 autres dont le personnage du film). Antoine de Caunes joue le journaliste écrivain odieux et imbu de lui-même, dandy séducteur de la médecin, qui a le don d'agacer voire de rendre jaloux le peintre. Le journaliste meurt dans d'étranges conditions et la commissaire Valeria Bruni Tedeschi enquête.

    Dans ce film, l'actrice n'est pas seulement policière, elle est aussi mère, et c'est une chose importante car elle a confié la garde de sa fille (attention, spoiler !) à la compagne d'une personne accusée de l'assassinat d'un enfant (donc, dans une autre affaire). La commissaire ne semble pas vraiment efficace dans ses investigations, mais elle tient un rôle assez surprenant dans le film de Claude Chabrol chez qui rien n'est jamais blanc ou noir.

     

     
     


    Commençant par le théâtre et la télévision, Valeria Bruni Tedeschi a obtenu son premier grand rôle au cinéma en 1987 ("Hôtel de France" de Patrick Chéreau, sorti le 20 mai 1987) et depuis ses débuts, elle a tourné dans plus d'une centaine de films, mais aussi en a réalisé sept, car elle est aussi réalisatrice (et scénariste). Patrick Chéreau était son mentor et son initiateur au théâtre et même au cinéma pour son premier rôle principal : « Je lui serai éternellement reconnaissante de m'avoir appris le sens du mot travail. » (a-t-elle dit à la mort du metteur en scène le 7 octobre 2013). Il était son professeur et elle avait pour camarades de classe Agnès Jaoui, Vincent Perez, Eva Ionesco et Marianne Denicourt. Réalisatrice et actrice, un peu comme Emmanuelle Bercot. Valeria Bruni Tedeschi a fait jouer souvent de nouveaux comédiens, apprécie les nouvelles têtes, encourage et promeut les nouvelles pousses.

    Parmi les films qu'elle a réalisés, souvent intimistes et très personnels (tout en étant très collectifs), on peut citer "Actrices" (sorti le 26 décembre 2007) avec Noémie Lvovsky, Valeria Golino, Mathieu Amalric et Louis Garrel ; "Les Estivants" (sorti le 10 décembre 2018) avec Noémie Lvovsky, Valeria Golino, Pierre Arditi, Yolande Moreau, Laurent Stocker, etc. ; et (encore à visée autobiographique) "Les Amandiers" (sorti le 16 novembre 2022) avec Nadia Tereszkiewicz, Louis Garrel (qui joue le rôle de Patrick Chéreau), Sofiane Bennacer, Micha Lesco... sans oublier à la télévision, la comédie "Les 3 Sœurs" (diffusée le 4 septembre 2015 sur Arte) qui s'inspire d'une pièce de Tchekhov sur le deuil du père de trois sœurs dans la Russie de la fin du XIXe siècle, avec notamment Florence Viala, Coraly Zahonero, Éric Ruf, Bruno Raffaelli, Michel Vuillermoz et Laurent Stocker (ainsi que le succulent et regretté Michel Robin pour un petit rôle).

    Malgré la présence dans le casting de sa mère Marisa Borini et de sa fille Oumy Bruni Garrel, "Les Estivants" n'a pas de vocation autobiographique si ce n'est dans l'imaginaire de Valeria Bruni Tedeschi qui a distribué les rôles selon sa famille, parfois avec les propres rôles (sa mère, par exemple). Quant à son dernier film "Les Amandiers", il a été sélectionné par le Festival de Cannes de 2022, et a reçu en 2023 un César (meilleur espoir féminin pour Nadia Tereszkiewicz) et sept nominations de César (dont meilleur film et meilleur scénario). Présentant ce film (qui raconte sa jeunesse) le 10 novembre 2022 sur France Inter, Valeria Bruni Tedeschi a fait un parallèle avec les jeunes d'aujourd'hui : « J'ai l’impression qu'on a insufflé à nos enfants la peur de l'avenir, je les trouve très angoissés, en train d'essayer de bien construire leur avenir. Nous, on ne construisais rien du tout, on voulait vivre, travailler, on s'en foutait de construire une carrière, on voulait juste jouer. ».


    Les films qu'elle a réalisés, comme je l'ai écrit plus haut, sont souvent ou vaguement à visée autobiographique et familiale. Ainsi, Valeria Bruni Tadeschi évoquait sa sœur et la mort de son père dans "Il est plus difficile pour un chameau..." (sorti le 16 avril 2003) avec Chiara Mastroianni, Jean-Hugues Anglade, Marisa Borini (sa mère), Denis Podalydès, Lambert Wilson, Yvan Attal, Emmanuell Devos, etc. (Prix Louis-Delluc du premier film), ainsi que la mort de son frère, succombant du sida en 2006, dans "Un château en Italie" (sorti le 30 octobre 2013) avec Louis Garrel, Marisa Borini et Xavier Beauvois (ce qui a valu à Valeria d'être la seule femme candidate à la Palme d'Or au Festival de Cannes 2013). Du reste, Valeria Bruni Tedeschi a pu tourner dans le propre château familial, le château de Castagneto Po, à 25 kilomètres de Turin, vendu par la famille en 2009 à un prince saoudien pour la somme de 17,5 millions d'euros et son mobilier, vendu aux enchères à Londres pour 10 millions d'euros, qui ont été versés à la Fondation Virginio-Bruni-Tedeschi (le frère décédé) contre le sida.
     

     
     


    En fait, Carla Bruni n'est que la demi-sœur de Valeria Bruni Tedeschi, mais elles ne l'ont su que tardivement, au début de l'année 1996. Le père biologique était un homme d'affaires installé au Brésil et le père qui l'a élevée, Alberto Bruni Tedeschi, qui l'avait su, l'a toujours chérie comme sa propre fille. Toutefois, le choc de la révélation n'en a pas été moins grand, d'autant plus qu'elle a eu lieu peu avant la mort du père affectif (le 17 février 1996).

    Louis Garrel a été le compagnon de Valeria Bruni Tedeschi après le tournage de son film "Actrices" et le couple a adopté alors en 2009 une petite fille Oumy qui a joué avec eux en 2018. Elle a aussi adopté en 2014 un petit garçon, Noé. Son nouveau compagnon Sofiane Bennacer a eu l'un des rôles principaux dans "Les Amandiers" (et la procureure de la République de Mulhouse a annoncé le 22 novembre 2022 qu'il a été mis en examen en octobre 2022 pour des accusations de viols et d'agressions sur trois voire quatre de ses anciennes compagnes, mais il a clamé son innocence ; à cause de cette mise en examen, et alors qu'il a été une révélation dans "Les Amandiers", son nom a été prudemment retiré de la liste des "talents émergents" pour les Césars 2023 par respect pour les victimes présumées).

    Reconnue par la profession, Valeria Bruni Tedeschi a reçu de nombreuses récompenses, en particulier un César du meilleur espoir féminin pour "Les gens normaux n'ont rien d'exceptionnel" de Laurence Ferreira Barbosa (sorti le 1994), avec Melvil Poupaud, Frédéric Diefenthal, Sandrine Kiberlain et Jackie Berroyer (et nommée pour cinq autres Césars), quatre David di Donatello de la meilleure actrice en 1996, 1998, 2014 et 2017 (l'équivalent italien des Césars), également le Prix spécial du jury au Festival de Cannes en 2007 et une citation pour un Molière de la meilleure comédienne, car elle joue aussi au théâtre (des pièces de Molière, Tchekhov, Tourgueniev, etc.).

    L'un des récents films dans lesquels Valeria a joué (très nombreux, depuis le début de la décennie ; elle a joué dans treize films !) est "Les Amours d'Anaïs" de Charline Bourgeois-Taquet (sorti le 15 septembre 2021) avec la très séduisante Anaïs Demoustier et Denis Podalydès. L'actrice devenue écrivaine se retrouve alors au centre d'un triangle amoureux où deux doubles hétérosexualités évoluent vers une seule homosexualité féminine sans identification d'orientation sexuelle mais avec pour seul guide le désir, comme l'a expliqué la jeune réalisatrice le 16 septembre 2021 à Mégane Choquet pour le site Allociné : « La seule chose qui guide Anaïs, c'est son désir. Et elle a cette capacité à suivre son désir de manière aveugle, sans se poser de questions. Elle se laisse emporter par ses pulsions et ses envies. Je trouvais ça beau qu'elle aille jusqu'au bout sans se poser de questions. (…) Le film commence à Paris et plus on avance, plus il s'ouvre quand on arrive à la campagne verdoyante en Bretagne et vers la fin on est carrément au bord de la mer avec cet horizon infini. Sans vouloir tomber dans trop de symbolisme, c'était aussi une trajectoire vers la liberté et le fait de suivre son désir jusqu'au bout et sans limites. ».


     

     


    Quant à Valeria Bruni Tadeschi, voici ce qu'en dit Charline Bourgeois-Taquet pour cette première collaboration : « J'ai adoré travailler avec Valeria. Encore aujourd'hui, quand je vois le film, je suis subjuguée, je la trouve sublime. C'était assez intéressant parce que j'avais envie de lui proposer ce personnage qu'elle a rarement joué, voire presque jamais, c'est-à-dire une femme solide, puissante, accomplie. Et Valeria aime bien faire rire, donc les premiers jours de tournage, elle était assez déstabilisée. Je pense même qu'elle était un peu frustrée parce qu'elle voyait qu'Anaïs et Denis [Podalydès] nous faisaient rire. Je n'avais vraiment pas envie qu'elle soit en souffrance sur le tournage mais j'ai quand même tenu bon, je lui ai expliqué qu'il fallait qu'elle me fasse confiance et que son personnage allait être marquant même s'il ne faisait pas rire. Et elle a fini par comprendre ce que j'avais derrière la tête et par accepter de s'abandonner. ».

    Dans "Paris Match", Valeria Bruni Tedeschi a déclaré de son côté, le 8 juillet 2022 à Karelle Fitoussi : « J'aime les metteurs en scène qui m’obligent à aller dans des endroits nouveaux. Charline m’a demandé d’incarner une femme qui assume sa beauté et sa puissance. Je crois n’avoir jamais été regardée par des cinéastes hommes hétérosexuels comme un objet de désir. ». Réponse de la réalisatrice : « Mais parce que tu résistes à ça ! Au début du tournage, ce qui t’aurait vraiment fait plaisir, c’était plutôt de faire rire tout le monde ! Il y a chez toi une fragilité qu’on perçoit derrière tous tes rôles. ».

     

     
     


    Complexée par le caractère très riche de sa famille (elle s'en sent coupable), mais pas du tout complexée par son physique (contrairement à sa sœur, elle ne se maquille pas, ne se coiffe pas, ne se chirurgie-esthétique pas, ne se photoshope pas dans les magazines aux pages glacées), Valeria Bruni Tadeschi aura un mal fou à atteindre la sérénité, faute d'un bonheur qu'elle n'assumerait pas : « J’ai le sentiment que rien ne m’a apaisée, que rien ne m’apaise, que rien ne m’apaisera jamais. » (a-t-elle lâché à Vanessa Schneider le 17 mai 2013 pour "Le Monde"). Toujours anxieuse, la religion catholique peut lui apporter cette sérénité qu'elle désire tant : « Je vais parfois à l’office du [dimanche] soir, que je trouve plus solitaire, moins familial et bourgeois que celui du matin. J’ai beaucoup de mal avec ce qui se dit à l'Église, de nombreuses choses ne me plaisent pas du tout, mais je peux y trouver des instants d’apaisement. C’est la religion de mon enfance, le langage qui m’est le plus naturel, même si je n’ai reçu que des miettes de foi. » (s'est-elle confiée le 28 mai 2022 à Baptiste Thion dans le "Journal du dimanche").


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (16 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    Carla Bruni.
    Valeria Bruni Tedeschi.
    Teddy Vrignault.
    Pierre Richard.
    François Truffaut.
    Roger Hanin.
    Daniel Prévost.
    Michel Blanc.
    Brigitte Bardot.
    Marcello Mastroianni.
    Jean Piat.
    Sophia Loren.
    Lauren Bacall.
    Micheline Presle.
    Sarah Bernhardt.
    Jacques Tati.
    Sandrine Bonnaire.
    Shailene Woodley.
    Gérard Jugnot.
    Marlène Jobert.
    Alfred Hitchcock.
    Les jeunes stars ont-elles le droit de vieillir ?
    Charlie Chaplin.
     

     
     



    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241116-valeria-bruni-tedeschi.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/la-grande-sensibilite-de-valeria-257319

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/15/article-sr-20241116-valeria-bruni-tedeschi.html


     

  • Où est donc passé Teddy Vrignault ?

    « Les gens bien intentionnés les qualifient d'amuseurs. Les gens moins bien intentionnés les classent parmi les "rigolos". Ils valent beaucoup mieux que ça. Le délire verbal, le coq-à-l'âne, la gymnastique des mots, est probablement le genre exigeant le plus de maîtrise, le plus de rigueur, en un mot : le plus de style. Ce n'est pas Raymond Devos qui me contredira. » (Michel Audiard, à propos des Frères ennemis).


     

     
     


    C'est l'histoire banale du mec qui sort un dimanche soir pour chercher un paquet de clopes. Et il ne revient jamais. La femme est pourtant sûre qu'il reviendra. Une disparition sans préavis comme en font les romans ou les films à New York. Il y a quarante ans, le 1er novembre 1984, c'était le tour de Teddy Vrignault. Il allait avoir 56 ans le 22 novembre 1984. Il habitait à Montmartre avec son épouse Simone.

    Il a dit à sa femme : je vais chercher des clopes. Il a pris sa voiture, une 504 Peugeot de couleur dorée avec le toit noir, sans son carnet de chèque mais avec quelques billets de banque, et il est parti. On le cherche encore aujourd'hui. L'enquête n'a rien donnée. On n'a jamais retrouvé ni l'homme pourtant assez facilement identifiable (avec de belles moustaches) ni sa voiture. Par l'article 112 du code civil sur les disparitions, il a été considéré par l'État comme décédé le 1er novembre 2004, mais rien n'indique qu'il ne serait pas encore vivant aujourd'hui, auquel cas il aurait presque 96 ans. Sa femme n'avait rien remarqué d'anormal, si ce n'était que Teddy avait des problèmes d'argent, était déprimé et prenait des somnifères pour dormir.

    En France, il y a environ 50 000 à 60 000 personnes signalées disparues chaque année ; et chaque année, on retrouve entre 800 et 2 000 corps non identifiés. Certains, d'une famille de disparus, militent pour créer un fichier des empreintes ADN des cadavres anonymes à analyser systématiquement. En 2008, il y a eu 5 650 recherches administratives pour des disparitions présumées volontaires de personnes adultes (notre cas ici), et 2 456 (soit 44%) ont été découvertes après enquête, mais seulement la moitié de celles-ci ont accepté de communiquer leurs coordonnées. Je ne sais pas si l'année 2008 est statistiquement représentative d'une moyenne, et certainement pas de l'année 1984, mais cela signifie que Teddy Vrignault a fait partie de plusieurs milliers d'adultes qui se sont volatilisées a priori volontairement chaque année. Son cas, malheureusement, n'est donc pas très rare.

    Rappelons que la liberté de circulation implique aussi le liberté de disparaître (dès lors qu'on ne trouble l'ordre public et qu'on respecte la loi). Les enquêtes sont motivées par la légitimité de la détresse familiale, mais la procédure administrative de recherche dans l'intérêt des familles (datant de la
    Première Guerre mondiale et organisée selon la circulaire n°83-52 du 21 février 1983) a été abrogée par la circulaire du 26 avril 2013 en raison de la possibilité de faire des recherches, accessible à tous, grâce à l'Internet et aux réseaux sociaux.

    Enfin, si, un petit signe pourrait laisser entendre qu'il n'est hélas plus de ce monde. Un détective privé (un généalogiste) a retrouvé, sur le site Geneanet l'acte de décès (qu'on peut lire dans le fichier de l'INSEE) de Pierre Édouard Georges Vrignault (le vrai nom d'état-civil de Teddy Vrignault), correspondant à la bonne date de naissance, bon lieu de naissance, et qui serait décédé le 29 janvier 1999 à l'âge de 70 ans au 18
    e arrondissement de Paris. S'il s'agissait de la même personne, cela signifierait qu'elle serait restée dans la même ville (et dans le même arrondissement) pendant quatorze ans sans avoir été retrouvée, ce qui est difficile à imaginer car l'homme était une célébrité. C'est le journal "France Dimanche" qui a donné cette information le 17 avril 2020, malheureusement après le décès d'André Gaillard.
     

     
     


    Car il faut en effet rappeler qui est Teddy Vrignault à qui il faut absolument associer André Gaillard (1927-2019). Tous les deux étaient des humoristes. Ils s'étaient rencontrés par hasard au cours de leur service militaire en Allemagne, ils faisaient un spectacle ensemble mais n'étaient pas du même escadron. Après leur retour dans le civil, ils se sont perdus de vue (déjà) et se sont recroisés quelques années plus tard par hasard aux Champs-Élysées à Paris. Très vite, ils ont apprécié l'un chez l'autre l'humour sophistiqué, basé principalement sur des jeux de mots, sur la richesse du vocabulaire. Ils ont suivi des cours de théâtre et leur première représentation a eu lieu le 24 octobre 1953 dans un cabaret parisien. Ils étaient lancés.
     

     
     


    Avec un petit côté désuet, Teddy Vrignault, le grand chevelu à moustaches, André Gaillard, le chauve avec des rouflaquettes d'avant-guerre, ont formé un duo, les Frères ennemis, très connus dans les années 1960. Ils se sont produits de 1953 à 1984, pendant trente et une années, et en faisant rigoler un public bon enfant au cours de 750 sketchs différents (qui ont fait l'objet de publications livresques). Comme l'a rappelé Jérémy Gallet le 5 octobre 2019 sur le site Avoir-alire : « Des Frères Ennemis, duo comique injustement oublié, on retient les sketchs absurdes, qui lorgnent sur l’humour de Raymond Devos et Pierre Dac, avec des réparties débitées à la mitraillette, un art consommé du coq-à-l’âne et le contraste physique entre le chevelu Teddy Vrignault, brun ténébreux, sorte de mélange entre Claude Giraud et Lee Van Cleef, et André Gaillard, le dégarni, avec moustaches et rouflaquettes d’antan. Le binôme avait commencé, tel Richard et Lanoux, Darras et Noiret, par écumer les cabarets, dans les années 50, dont L’Écluse, lieu incontournable du rire, avant que le petit écran ne les rende populaires. ».
     

     
     


    Ils ont eu la chance de démarrer à Saint-Germain-des-Prés, un quartier parisien très encourageant pour les artistes. Ils ont aussi tourné dans plusieurs films, notamment de Jean Yanne et Pierre Richard, dans des seconds rôles, avec un humour qui n'a jamais été vulgaire et que certains (anciens) regrettent beaucoup. Cependant, les années 1970 ont vu leur succès décliner à cause de nouveaux modes de l'humour, plus audacieux, plus féroces (à l'instar de Coluche, Thierry Le Luron, Pierre Desproges et Michel Leeb, préférés des émissions de télévision).

    Quand Teddy Vrignault a disparu, les deux frères d'humour avaient encore un contrat pour des représentations en province toute l'année. Le site
    Wikipédia (qui ne semble se baser sur aucun indice sérieux) laisse entendre que c'est le désespoir d'une perte de succès qui lui aurait fait abandonner sa vie d'artiste pour retrouver l'anonymat, mais ce n'est pas très convainquant. En 2010 (ou 2011), André Gaillard, invité de Thierry Ardisson, a plutôt laissé entendre un problème avec son épouse (mais sans plus de conviction). Teddy était (à l'imparfait ?) quelqu'un de pas très tendre, très distant dans les relations personnelles, dur au contact, et ce ne devait peut-être pas être très facile avec sa femme. Il n'aurait peut-être pas osé lui dire en face qu'il voulait se séparer (mais partir sans rien dire est pour moi une forme très avancée de la goujaterie). Supputations de café du commerce. Le mystère restera.
     

     
     


    Toujours est-il qu'on n'a jamais eu de nouvelles par la suite. André Gaillard a tenté de continuer les sketchs à deux, notamment avec leur régisseuse Colette Duval (1930-1988), championne de saut en parachute et mannequin, avec qui ça a bien marché, aidés par Thierry Le Luron qui leur a proposé de se produire devant 4 000 spectateurs. Hélas, sa nouvelle partenaire est morte d'un cancer au bout de trois ans (le 22 mai 1988), ce qui a fait dire à un copain : c'est dur de travailler avec toi ! En 1993-1994, le seul Frère ennemi non disparu a trouvé un nouveau partenaire de réparties en la personne de Jean-Louis Blèze (1927-2012), cancre récurrent de "La Classe", l'émission présentée par Fabrice sur France 3, mais sans retrouver les heures glorieuses de son duo initial.

    André Gaillard a poursuivi sa carrière de comédien et d'humoriste, au cinéma, à la télévision, au théâtre et aussi chez Philippe Bouvard, aux "Grosses Têtes". Affecté jusqu'à sa mort par la disparition de son ami, au point d'aller chez Jacques Pradel, dans l'émission "Perdu de vue" dans les années 1990, sans succès, le dernier Frère ennemi, qui est mort le 30 septembre 2019 (à 91 ans et demi), a eu la satisfaction de voir ses deux filles Silvia et Valérie reprendre les sketchs paternels en 2010 sous le nom de Sœurs Z'ennemies. Quant à l'ami Teddy, il aura parfaitement réussi sa dernière (mauvaise) blague.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (26 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    Teddy Vrignault.
    Pierre Richard.
    François Truffaut.
    Roger Hanin.
    Daniel Prévost.
    Michel Blanc.
    Brigitte Bardot.
    Marcello Mastroianni.
    Jean Piat.
    Sophia Loren.
    Lauren Bacall.
    Micheline Presle.
    Sarah Bernhardt.
    Jacques Tati.
    Sandrine Bonnaire.
    Shailene Woodley.
    Gérard Jugnot.
    Marlène Jobert.
    Alfred Hitchcock.
    Les jeunes stars ont-elles le droit de vieillir ?
    Charlie Chaplin.










    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241101-teddy-vrignault.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/ou-est-donc-passe-teddy-vrignault-256593

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/25/article-sr-20241101-teddy-vrignault.html




     

  • Anatole France, figure marquante de la Troisième République

    « Son œuvre ne surprit que doucement et agréablement par le contraste rafraîchissant d’une manière si mesurée avec les styles éclatants ou fort complexes qui s’élaboraient de toutes parts. Il sembla que l’aisance, la clarté, la simplicité, revenaient sur la Terre. Ce sont des déesses qui plaisent à la plupart. On aima tout de suite un langage qu’on pouvait goûter sans y trop penser, qui séduisait par une apparence si naturelle, et de qui la limpidité, sans doute, laissait transparaître parfois une arrière-pensée, mais non mystérieuse ; mais au contraire, toujours bien lisible, sinon toujours toute rassurante. Il y avait dans ses livres un art consommé de l’effleurement des idées et des problèmes les plus graves. Rien n’y arrêtait le regard, si ce n’est la merveille même de n’y trouver nulle résistance. Quoi de plus précieux que l’illusion délicieuse de la clarté qui nous donne le sentiment de nous enrichir sans effort, de goûter du plaisir sans peine, de comprendre sans attention, de jouir du spectacle sans payer ? Heureux les écrivains qui nous ôtent le poids de la pensée et qui tissent d’un doigt léger un lumineux déguisement de la complexité des choses ! » (Paul Valéry sur Anatole France, le 23 juin 1927 à l'Académie française).


     

     
     


    Avant-hier, c'était l'attribution du Prix Nobel de Littérature 2024 (à l'écrivaine sud-coréenne Han Kang). Un de ses lointains prédécesseurs, celui de 1921, était Anatole France. Il est mort il y a exactement cent ans, le 12 octobre 1924 à l'âge de 80 ans (il est né le 16 avril 1844 ; les hasards des nombres s'entrechoquent avec l'actualité, car Michel Blanc est né aussi un 16 avril). À l'annonce de sa mort, l'ancien et futur Président du Conseil Paul Painlevé, alors Président de la Chambre des députés, a exprimé ainsi son émotion : « Le niveau de l'intelligence humaine a baissé cette nuit-là. ».

    Pour son 80e anniversaire, le Cartel des gauches, qui venait de gagner les élections, a célébré le 24 mai 1924 le grand écrivain place du Trocadéro à Paris. À la mort, son corps, embaumé, fut exposé au public (reçut la visite du Président du Conseil Édouard Herriot et du Président de la République Gaston Doumergue le 17 octobre 1924) et il bénéficia d'obsèques quasi-nationales à Paris.

    Anatole France, également membre de l'Académie française, a marqué son temps avec ses œuvres littéraires, principalement des romans, mais aussi de la poésie et du théâtre ; il était aussi critique littéraire et journaliste (il a travaillé pour "Temps", "L'Union", "L'Humanité" et "Le Figaro"), et aussi collectionneur d'art. Il faut rappeler que la France est le pays qui compte le plus de Prix Nobel de Littérature (le dernier Français en date est la Française Annie Ernaux).

    Le bien nommé écrivain de langue française Anatole France m'a toujours fasciné, ne serait-ce que parce qu'on avait baptisé de son nom l'avenue la plus large de mon quartier quand j'étais enfant. Je la traversais souvent. Quand vous êtes petit et que vous comprenez peu les choses des grandes personnes, l'univers des noms de rue qui vous entourent est essentiel dans votre éveil intellectuel. Évoluer aux côtés d'Anatole France, Verlaine, Coriolis, Hoche, Gambetta, Charlemagne, Thiers, La Fayette, les Goncourt, etc., ça peut vous donner des envies de vous cultiver, même à 7-8 ans. Il faut dire que la plupart des noms de rues honorent des personnalités de la Troisième République, et Anatole France fut un de ces grands maîtres de la République-là.

    France n'était pas vraiment un patronyme. Son père s'appelait Noël Thibault (1805-1890), analphabète à 20 ans mais ensuite, propriétaire d'une librairie parisienne (appelée France-Thibault puis France) que fréquentaient de nombreux érudits, écrivains, journalistes, etc. notamment les frères Goncourt, parce qu'elle proposait des documents historiques de la période révolutionnaire.

    À l'origine, Anatole France aurait dû reprendre l'affaire paternelle et faire une belle carrière de libraire. Son père ne croyait pas du tout en l'avenir de ses premiers écrits. Ses premiers métiers furent néanmoins libraire et bibliothécaire et il a commencé dans la littérature en rédigeant des poèmes par amour pour une femme inaccessible (une jeune et belle actrice).

    Sa notoriété littéraire a débuté avec son roman "Le Crime de Sylvestre Bonnard" en 1881 (il a eu un prix de l'Académie française pour l'occasion). L'encyclopédie
    Wikipédia explique doctement que cette « œuvre [fut] remarquée pour son style optimiste et parfois féerique, tranchant avec le naturalisme qui [régnait] alors ». Il fut alors un écrivain prolifique (le site de l'Académie française a inventorié plus de 90 livres publiés entre 1859 et 1922 !), riche, très influent car devenu également critique littéraire, aux idées politiques plus ou moins vagues, plus ou moins conservatrices, d'abord opposé au général Boulanger, puis séduit par lui puis enfin déçu par lui.
     

     
     


    Pourrait-on même dire qu'il était l'équivalent de Jean-Paul Sartre ? C'est difficile de faire des comparaisons hors contexte, qui sont toujours foireuses, mais Anatole France n'était pas seulement un grand écrivain, il était un homme engagé, surtout, une conscience républicaine, comme la Troisième République savait en sécréter et savait les aimer et les honorer. Il était certes contemporain de Victor Hugo (inégalable écrivain du XIXe siècle), mais sans lui les quasiment trente dernières années de sa vie (Victor Hugo est mort en 1885). Ainsi, Anatole France a été membre de la Ligue des droits de l'homme, premier président du PEN Club français de 1921 à 1924 (son successeur est un autre écrivain emblématique de la Troisième République, Paul Valéry), une société savante international qui, depuis la fin de la guerre, promeut la liberté d'expression et les intérêts des écrivains, éditeurs, traducteurs, journalistes (élargi à blogueurs de nos jours), etc. (PEN signifie Poètes Essayistes Nouvellistes).

    Il a rejoint Émile Zola durant
    l'Affaire Dreyfus (il a déposé devant le tribunal le 19 février 1898 comme témoin de moralité d'Émile Zola, a rendu sa Légion d'honneur lorsqu'on a retiré à Émile Zola la sienne, etc.), a dénoncé le génocide arménien, et, plus généralement, a soutenu de nombreuses causes politiques au fil de son existence (il s'est rapproché de Jean Jaurès, a promu la laïcité, les droits syndicaux, s'est opposé à la politique coloniale, etc.).

    Comme signalé au début, Anatole France a été élu à l'Académie française le 23 janvier 1896 au fauteuil 38. Il a succédé à Ferdinand de Lesseps qui venait de mourir le 7 décembre 1894, mais aussi à Adolphe Thiers et Henri Martin. Il a été reçu sous la Coupole le 24 décembre 1896 par le pédagogue Octave Gréard, futur vice-recteur de Paris. Son successeur direct fut Paul Valéry, puis Henri Mondor, et l'avant-dernier,
    François Jacob. Il a rendu un hommage remarqué à Émile Zola et à Ernest Renan.

    Longtemps parmi les "candidats" potentiels aux Nobels (cité en 1904, 1909, 1910, 1911, 1912, 1913, 1915 et 1916), Anatole France fut désigné Prix Nobel de Littérature en 1921 « en reconnaissance de ses brillantes œuvres littéraires, caractérisées par une noblesse de style, une profonde sympathie humaine, de la grâce et un véritable tempérament gaulois ».


    Parmi les adjectifs qui peuvent le mieux qualifier Anatole France, il y a bien sûr indépendant, intellectuellement indépendant. Lorsqu'il l'a reçu à l'Académie française le 24 décembre 1896, Octave Gréard lui a déclaré entre autres : « L’œuvre de la raison humaine, quelques fins qu’elle poursuive, est pour vous inviolable. Vous n’y souffrez ni limites ni entraves. Que si certaines philosophies ne peuvent entrer dans l’ordre des faits que sous une forme dangereuse pour la société, il faut les châtier, dès qu’elles se traduisent en actes : la vie doit s’appuyer sur une morale simple et précise. Mais les droits de la pensée n’en demeurent pas moins intangibles. La pensée porte en elle-même sa légitimité. Ne disons jamais qu’elle est immorale. Elle plane au-dessus de toutes les morales. L’homme ne serait pas l’homme, s’il ne pensait librement. Cette indépendance sans réserve que vous revendiquez pour tous, vous la pratiquez pour vous. À vingt ans, vous vous plaigniez naïvement de n’avoir pas trouvé une explication du monde, en une matinée, sous les platanes du Luxembourg. Et la joie vous transporte, quand, quelques années après, à la lumière des idées de Darwin, vous croyez avoir surpris le plan divin. Ce n’était qu’une étape vers la religion d’Épicure, où votre esprit a trouvé l’apaisement, sinon le repos. Le monde n’est qu’un assemblage de phénomènes, la vie un perpétuel écoulement. Mesurée, discrète, sans aucun sacrifice de sincérité, mais toujours élevée dans l’expression, partout où vous la prenez directement à votre compte, l’apologie de la doctrine, lorsque vous la confiez à l’abbé Jérôme Coignard, se donne carrière sans ménagement ni scrupule. ».
     

     
     


    Dans les faits, Anatole France a eu une sorte de consécration inversée : le 31 mai 1922, l'ensemble de son œuvre a été frappée d'une condamnation papale. De même, le mouvement surréaliste a beaucoup critiqué l'œuvre d'Anatole France, en particulier Louis Aragon : « Je tiens tout admirateur d'Anatole France pour un être dégradé. ». Selon l'agrégé de lettres classiques Claude Aziza : « La réputation de France devient ainsi celle d’un écrivain officiel au style classique et superficiel, auteur raisonnable et conciliant, complaisant et satisfait, voire niais, toutes qualités médiocres que semble incarner le personnage de M. Bergeret. Mais nombre de spécialistes de l’œuvre de France considèrent que ces jugements sont excessifs et injustes, ou qu’ils sont même le fruit de l’ignorance, car ils en négligent les éléments magiques, déraisonnables, bouffons, noirs ou païens. Pour eux, l’œuvre de France a souffert et souffre encore d’une image fallacieuse. D'ailleurs M. Bergeret est tout le contraire d'un conformiste. On lui reproche toujours de ne rien faire comme tout le monde, il soumet tout à l'esprit d'examen, s'oppose fermement, malgré sa timidité, aux notables de province au milieu desquels il vit, il est l'un des deux seuls dreyfusistes de sa petite ville… » (Wikipédia). M. Bergeret est le personnage central de "Monsieur Bergeret à Paris" (sorti en 1901).

    Dans son hommage à Anatole France, Paul Valéry a jugé son œuvre littéraire ainsi : « C’est qu’il y avait en lui une souplesse et une diversité essentielles. Il y avait du spirituel et du sensuel, du détachement et du désir, une grande et ardente curiosité traversée de profonds dégoûts, une certaine complaisance dans la paresse ; mais paresse songeuse, paresse aux immenses lectures et qui se distingue mal de l’étude, paresse tout apparente, pareille au repos d’une liqueur trop enrichie de substance et qui, dans ce calme, se fait mère de cristaux aux formes parfaites. Tant de connaissances accumulées, tant d’idées qu’il avait acquises n’étaient pas quelquefois sans lui nuire extérieurement. Il étonnait, il scandalisait sans effort des personnes moins variées. Il concevait une quantité de doctrines qui se réfutaient l’une dans l’autre dans son esprit. Il ne se fixait que dans les choses qu’il trouvait belles ou délicieuses, et il ne retenait en soi que des certitudes d’artiste. Ses habitudes, ses pensées, ses opinions, la politique enfin qu’il a suivie se composaient dans une harmonie assez complexe qui n’a pas laissé d’émerveiller ou d’embarrasser quelques-uns. Mais qu’est-ce qu’un esprit de qui les pensées ne s’opposent aux pensées, et qui ne place son pouvoir de penser au-dessus de toute pensée ? Un esprit qui ne se déjoue, et ne s’évade vivement de ses jugements à peine formés, et ne les déconcerte de ses traits, mérite-t-il le nom d’esprit ? Tout homme qui vaut quelque chose dans l’ordre de la compréhension, ne vaut que par un trésor de sentiments contradictoires, ou que nous croyons contradictoires. Nous exprimons si grossièrement ce qui nous apparaît des autres humains qu’à peine nous semblent-ils plus divers et plus libres que nous-mêmes, aussitôt, nos paroles qui essayent de les décrire, se contrarient et nous attribuons à des êtres vivants, une monstrueuse nature que nos faibles expressions viennent de nous construire. Admirons au contraire cette grande capacité de contrastes. Il faut considérer avec une attention curieuse, cette nature d’oisif, ce liseur infini, produire une œuvre considérable ; ce tempérament assez voluptueux s’astreindre à l’ennui d’une tâche constante ; cet hésitant, qui s’avance comme à tâtons dans la vie, procéder de sa modestie première, s’élever au sommet par des mouvements indécis ; ce balbutiant, en venir à déclarer même violemment les choses les plus hardies ; cet homme d’esprit, et d’un esprit si nuancé, s’accommoder d’être simplifié par la gloire et de revêtir dans l’opinion des couleurs assez crues ; ce modéré et ce tempéré par excellence, prendre parti, avec une si grande et étonnante vigueur dans les dissensions de son temps ; cet amateur si délicat faire figure d’ami du peuple, et davantage, l’être de cœur et tout à fait sincèrement. ».


    Et d'ajouter : « Sceptique et satirique devait être un esprit que distinguait son extrême avidité de tout connaître. Son immense culture lui fournissait abondamment les moyens de désenchanter. Il rendait aisément mythique et barbare toute forme sociale. Nos usages les plus respectables, nos convictions les plus sacrées, nos ornements les plus dignes, tout était invité, par l’esprit érudit et ingénieux, à se placer dans une collection ethnographique, à se ranger avec les taboos, les talismans, les amulettes des tribus ; parmi les oripeaux et les dépouilles des civilisations déjà surmontées et tombées au pouvoir de la curiosité. Ce sont des armes invincibles que l’esprit de satire trouve dans les collections et les vestiges. Il n’est de doctrine, d’institution, de sociétés ni de régimes sur qui ne pèse une somme de gênants souvenirs, de fautes incontestables, d’erreurs, de variations embarrassantes, et parfois des commencements injustes ou des origines peu glorieuses que n’aiment point les grandeurs et les prétentions ultérieures. Les lois, les mœurs, les institutions sont l’ordinaire et délectable proie des critiques du genre humain. Ce n’est qu’un jeu que de tourmenter ces entités considérables et imparfaites que poursuit d’âge en âge la tradition de les harceler. Il est doux, il est facile, périlleux quelquefois, de les obséder d’ironies. Le plaisir de ne rien respecter est le plus enivrant pour certaines âmes. Un écrivain qui le dispense aux amateurs de son esprit les associe et les ravit à sa lucidité impitoyable, et il les rend avec délices semblables à des dieux, méprisant le bien et le mal. ».
     

     
     


    Je propose ici quelques extraits de l'œuvre d'Anatole France.

    Sur la vie humaine : « Plus je songe à la vie humaine, plus je crois qu'il faut lui donner pour témoins et pour juges l'Ironie et la Pitié. L'Ironie et la Pitié sont deux bonnes conseillères; l'une, en souriant, nous rend la vie aimable, l'autre, qui pleure, nous la rend sacrée. L'Ironie que j'invoque n'est point cruelle. Elle ne raille ni l'amour ni la beauté. Elle est douce et bienveillante. Son rire calme la colère, et c'est elle qui nous enseigne à nous moquer des méchants et des sots que nous pourrions, sans elle, avoir la faiblesse de haïr. ».

    Sur la pensée par soi-même : « À mesure qu'on avance dans la vie, on s'aperçoit que le courage le plus rare est celui de penser. ».

    Sur la curiosité : « Pour digérer le savoir, il faut l’avoir avalé avec appétit. ».

    Sur l'enseignement : « Tout l'art d'enseigner se résume à éveiller la curiosité naturelle des jeunes esprits pour la satisfaire ensuite. ».

    Sur l'action politique : « Il est dans la nature humaine de penser sagement et d'agir d'une façon absurde. ».

    Sur la guerre : « On croit mourir pour la patrie, on meurt pour des industriels. ».

    Clivage : « J'ai toujours préféré la folie des passions à la sagesse de l'indifférence. ».

    Dans "Jocaste et le Chat maigre" (1879) : « Il n'aimait pas ces courses au vent et à la pluie. Pour s'en dispenser, il se faisait admettre par ses grimaces à l'infirmerie, où il se pelotonnait sous ses couvertures comme un boa dans une vitrine de muséum. ».

    Dans "La Rôtisserie de la reine Pétauque" (1892), des prémices véganes : « Un honnête homme ne peut sans dégoût manger la chair des animaux et les peuples ne peuvent se dire polis tant qu'ils auront dans leurs villes des abattoirs et des boucheries. Mais nous saurons un jour nous débarrasser de ces industries barbares. ».

    Dans "Le Jardin d'Épicure" (1894) : « Nous appelons dangereux ceux qui ont l'esprit fait autrement que le nôtre et immoraux ceux qui n'ont point notre morale. Nous appelons sceptiques ceux qui n'ont point nos propres illusions, sans même nous inquiéter s'ils en ont d'autres. ». Et aussi : « L'espèce humaine n'est pas susceptible d'un progrès indéfini. Il a fallu pour qu'elle se développât que la terre fût dans de certaines conditions physiques et chimiques qui ne sont point stables. Il fut un temps où notre planète ne convenait pas à l'homme : elle était trop chaude et trop humide. Il viendra un temps où elle ne lui conviendra plus : elle sera trop froide et trop sèche. Quand le soleil s'éteindra, ce qui ne peut manquer, les hommes auront disparu depuis longtemps. Les derniers seront aussi dénués et stupides qu'étaient les premiers. Ils auront oublié tous les arts et toutes les sciences, ils s'étendront misérablement dans des cavernes, au bord des glaciers qui rouleront alors leurs blocs transparents sur les ruines effacées des villes où maintenant on pense, on aime, on souffre, on espère. ».

    Dans "Crainquebille" (1904), apologie pour le président Bourriche : « Ce dont il faut louer le président Bourriche, lui dit-il, c’est d’avoir su se défendre des vaines curiosités de l’esprit et se garder de cet orgueil intellectuel qui veut tout connaître. En opposant l’une à l’autre les dépositions contradictoires de l’agent Matra et du docteur David Matthieu, le juge serait entré dans une voie où l’on ne rencontre que le doute et l’incertitude. La méthode qui consiste à examiner les faits selon les règles de la critique est inconciliable avec la bonne administration de la justice. Si le magistrat avait l’imprudence de suivre cette méthode, ses jugements dépendraient de sa sagacité personnelle, qui le plus souvent est petite, et de l’infirmité humaine, qui est constante. Quelle en serait l’autorité ? On ne peut nier que la méthode historique est tout à fait impropre à lui procurer les certitudes dont il a besoin. ».

    Dans "L'Île des pingouins" (1908) : « Sans doute les raisons scientifiques de préférer un témoignage à un autre sont parfois très fortes. Elles ne le sont jamais assez pour l'emporter sur nos passions, nos préjugés, nos intérêts, ni pour vaincre cette légèreté d'esprit commune à tous les hommes graves. En sorte que nous présentons constamment les faits d'une manière intéressée ou frivole. ». Compétence politique : « Il a déjà trahi son parti pour un plat de riz. C’est l’homme qu’il nous faut ! » (On dirait de nos jours "pour un plat de lentilles", cf
    Olivier Faure vendu à Jean-Luc Mélenchon).

    Dans "Les Dieux ont soif" (1912), sur le vivre ensemble : « La nature nous enseigne à nous entre-dévorer et elle nous donne l'exemple de tous les crimes et de tous les vices que l'état social corrige ou dissimule. On doit aimer la vertu ; mais il est bon de savoir que c'est un simple expédient imaginé par les hommes pour vivre commodément ensemble. Ce que nous appelons la morale est une entreprise désespérée de nos semblables contre l'ordre universel, qui est la lutte, le carnage et l'aveugle jeu de forces contraires. Elle se détruit elle-même et plus j'y pense, plus je me persuade que l'univers est enragé. ».


    Dans "La Révolte des anges" (1914) : « Il faut aimer qui nous aime. La souffrance nous aime et s'attache à nous. Il faut l'aimer si l'on veut supporter la vie ; et c'est la force et la bonté du christianisme de l'avoir compris... Hélas! je n'ai pas la foi, et c'est ce qui me désespère. ».

    Et je conclus par l'amour de la langue. Dans "Les Matinées de la Villa Saïd" (sorti en 1921 chez Grasset), Anatole France a déclaré son amour au français (un tantinet sexiste !) : « La langue française est une femme. Et cette femme est si belle, si fière, si modeste, si hardie, touchante, voluptueuse, chaste, noble, familière, folle, sage, qu'on l'aime de toute son âme, et qu'on n'est jamais tenté de lui être infidèle. ». Anatole a aussi écrit : « Un dictionnaire, c'est l'univers par ordre alphabétique. ». Qu'il puisse faire des émules, qu'on puisse toujours chérir la langue française et surtout la respecter sans trop l'estropier !



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    Sylvain Rakotoarison (12 octobre 2024)
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    Pour aller plus loin :
    Anatole France.
    Alexandre Dumas fils.
    François Guizot.
    Laura Blajma-kadar.
    Jean-Pierre Elkabbach.
    Jean-Louis Debré.
    Brigitte Bardot.
    Édouard Philippe.
    Edgar Morin.
    Bernard Pivot.
    Yves Duteil.
    Pierre Perret.
    Françoise Hardy.
    Paul Auster.
    Christine Ockrent.
    Dominique Baudis.
    Racine.
    Molière.
    Frédéric Dard.
    Alfred Sauvy.
    George Steiner.
    Françoise Sagan.
    Jean d’Ormesson.
    Les 90 ans de Jean d’O.

     

     
     





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  • Michel Blanc marche à l'ombre

    « Putain Michel… Qu’est-ce que tu nous as fait !… » (Gérard Jugnot, le 4 octobre 2024 sur Instagram).




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    Le comédien Michel Blanc est mort à l'âge de 72 ans dans la nuit du 3 au 4 octobre 2024, à l'hôpital des suites d'un malaise cardiaque à son domicile. Une nouvelle qui a de quoi émouvoir de nombreuses personnes tant l'acteur était populaire.

    Michel Blanc avait deux caractéristiques : il était un excellent acteur tant dans les comédies que dans les drames (ce qu'on a pu entrevoir aussi avec Coluche, avec "Tchao Pantin"), mais aussi, il fait partie des rares acteurs (il y en a quelques-uns) qui ont pu se faire une réputation également dans la réalisation de films. Il était aussi comédien au théâtre, là où il a débuté (avec la troupe du Splendid) et en même temps metteur en scène.

    Le monde du théâtre et le monde du cinéma l'avaient d'ailleurs récompensé plusieurs fois : prix du scénario au Festival de Cannes en 1994, prix d'interprétation masculine au Festival de Cannes en 1996, deux Césars (un du meilleur acteur dans un second rôle et 2012, un d'anniversaire avec la troupe du Splendid) et sept autres nominations aux Césars, un Molière de l'adaptateur en 2004 (et cinq autres nominations aux Molières).

    À l'origine du Splendid, une bande de copains au lycée Pasteur, à Neuilly-sur-Seine.
    Gérard Jugnot était à côté de Michel Blanc en classe de terminale et leur bureau était collé à celui du prof, ce qui leur permettait de chahuter sans trop se faire voir... jusqu'au jour où ils ont été pincés : « Blanc et Jugnot, plus jamais ensemble ! ». Gérard Jugnot était aussi copain avec Thierry Lhermitte lui-même copain avec Christian Clavier. Le Splendid s'est constitué rue du Faubourg Saint-Martin, à Paris, avec aussi Josiane Balasko, Marie-Anne Chazel et Bruno Moynot. Du rire, des pièces de théâtre, et puis plusieurs films qui ont fait leur succès, la série des Bronzés de Patrice Leconte et "Le Père Noël est une ordure" de Jean-Marie Poiré (sorti le 25 août 1982). Ensuite, chacun est allé de son côté au cinéma et au théâtre.

    Le jeu de Michel Blanc parlait à beaucoup de Français parce qu'il était avant tout un anti-héros, ou, au mieux, un individu ordinaire, monsieur tout-le-monde. Bien entendu, parce que cela lui est resté collé à la peau comme pour les autres acteurs de la série, Michel Blanc est mémorable dans "Les Bronzés" (sorti le 22 novembre 1978) et surtout, "Les Bronzés font du ski" (sorti le 21 novembre 1979) dans sa recherche pitoyable, désespérée et lourdement obsédante (presque
    houellebecquienne !) de vouloir absolument "conclure" (profitant de circonstances néfastes).

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    Lors de retrouvailles de la bande du Splendid le 13 avril 2024, Michel Blanc expliquait à "Paris Match" : « C’est un peu tout le problème. À l’époque, on a écrit des personnages qui étaient assez proches de nous. Jean-Claude Dusse, c’était clairement pour moi, pas pour Thierry Lhermitte. J’ai très vite eu peur qu’on m’y associe toute ma vie. ». Avec ses compères, il avait une grande envie de recommencer l'aventure commune, mais absolument pas dans le cadre des Bronzés.

    Heureusement, le rôle de Jean-Claude Dusse n'a pas tant que ça collé à la peau de Michel Blanc car il s'est beaucoup renouvelé. Étrangement, son seul véritable César, il l'a dû pour "L'Exercice de l'État" de Pierre Schoeller (sorti le 26 octobre 2011) dont je n'ai pas du tout apprécié la non-histoire. Certes, il faisait excellemment le directeur de cabinet du ministre, mais il a été peu servi par le scénario qui voulait en mettre plein les yeux du pouvoir sans pour autant en montrer le fond (les choses concrètes, les décisions, les difficultés de prendre des décisions, les enjeux politiques, économiques, sociaux). Je n'ai jamais compris pourquoi ce film a eu tant de bonnes critiques alors que pour mieux comprendre le mécanisme du pouvoir, "
    Quai d'Orsay" de Bertrand Tavernier (sorti le 6 novembre 2013) vaut mille fois mieux (avec un autre membre du Splendid, Thierry Lhermitte). Le monde du cinéma paraît très hermétique à celui du pouvoir politique, et pour que ce soit un vrai succès, il faut que parmi les scénaristes, il y ait au moins une personne de ce monde politique, pour avoir la connaissance de l'intérieur (comme ce fut le cas pour "Quai d'Orsay" avec Antonin Baudry alias Abel Lanzac).

    L'intérêt de "L'Exercice de l'État", c'est qu'on peut dire que Michel Blanc était un véritable acteur, c'est-à-dire que la personnalité se collait, s'adaptait au personnage et pas l'inverse. Il se moquait de lui-même en affirmant qu'il aimait le rôle de névrosé, comme il le reconnaissait le 12 janvier 2010 pour la sortie de "Une petite zone de turbulences" d'Alfred Lot : « Je n’aime pas les habitudes, les charentaises dans lesquelles on pantoufle, mais comment résister aux névroses, si jouissives à interpréter ? C’est comme un exorcisme. Et puis, je n’ai pas besoin de me documenter ! ».

    J'écrivais
    il y a deux ans : « Il y aurait en effet deux Michel Blanc… Le jeune chauve et moustachu, qui est un chauve triste, solitaire, à la limite de la dépression, en tout cas, désespéré, en opposition avec un autre chauve du Splendid, le sympa, le jovial, le collectif, le bon compagnon, qu’est Gérard Jugnot… enfin, je suis dans la caricature et je parle évidemment des rôles de Michel Blanc et pas de sa propre personnalité, c’est parfois difficile de faire la différence tant des réalisateurs utilisent justement la personnalité de leurs principaux acteurs pour raffermir les personnages de leurs fictions. Mais ce n’est pas toujours le cas, qui de l’acteur ou de son personnage l’emporte sur l’image publique ? En tout cas, il est dans la vraie vie l’hypocondriaque et l’angoissé de nombreux de ses personnages, ce qui le rend bien sûr authentique, authentiquement névrosé ! ».

    Et un peu plus loin : « En tout cas, il y avait manifestement, et depuis longtemps, un second Michel Blanc qui mijotait, effectivement plus dramatique que comique, avec des personnages de plus de maturation, et le jeu de plus de maturité, presque le physique a changé, pas forcément l’âge qui enlève le lissage de la jeunesse, mais peut-être la moustache en moins et les lunettes en plus. ».

    Il y a eu bien sûr de grands succès pour l'acteur et même le réalisateur, qui prenait l'audace d'évoquer la situation des SDF, l'homosexualité, les agressions sexuelles, ou d'autres sujets sociétaux rarement évoqués à l'époque au cinéma, comme notamment dans "Viens chez moi, j'habite chez une copine" de Patrice Leconte (sorti le 28 janvier 1981), "Marche à l'ombre" de lui-même (sorti le 17 octobre 1984), "Tenue de soirée" de Bertrand Blier (sorti le 23 avril 1986), "Grosse Fatigue" de lui-même (sorti le 18 mai 1994), etc. Il y a eu également d'autres succès avec "Papy fait de la Résistance" de Jean-Marie Poiré (sorti le 26 octobre 1983), pour un petit rôle, et "Uranus" de Claude Berri (sorti le 12 décembre 1990).

    On peut aussi apprécier des rôles plus improbables de Michel Blanc, comme dans "Je vous trouve très beau" d’Isabelle Mergault (sorti le 11 janvier 2006), où il semble jouer un remake du "Bonheur est dans le pré", agriculteur en recherche de compagne après la mort de sa femme, ou dans "Les Souvenirs" de Jean-Paul Rouve (sorti le 14 janvier 2015), une adaptation très réussie de l'excellent roman de
    David Foekinos, avec Annie Cordy, Mathieu Spinosi et Chantal Lauby.

    De tous ses rôles, je choisirais, s'il ne fallait en choisir qu'un seul, celui de "Monsieur Hire", un film de (encore) Patrice Leconte (sorti le 24 mai 1989) : il y est un commerçant peu aimé de son quartier, solitaire, misanthrope et taciturne, tombé amoureux de sa (jeune) voisine (jouée par la succulente
    Sandrine Bonnaire) qu'il espionne. Il se trouve alors entraîné dans une mécanique infernale due à son obsession. Cette adaptation de George Simenon (mort peu après la sortie du film) est particulièrement réussie, avec un flou voulu sur l'unité de temps et l'unité de lieu. Patrice Leconte avait d'ailleurs souhaité confier ce rôle à Coluche avant qu'il ne mourût. Le choix de Michel Blanc proposé par le réalisateur était donc un pari sur l'acteur. Réussi.

    Ses trois derniers films sont sortis l'année dernière : "Les Cadors" de Julien Guetta (sorti le 11 janvier 2023), avec Jean-Paul Rouve, Grégoire Ludig et Marie Gillain ; "Les Petites Victoires" de Mélanie Auffret (sorti le 1er mars 2023), avec Julia Piaton, où il est un illettré qui veut retourner à l'école, et "Marie-Line et son juge" de Jean-Pierre Améris (sorti le 11 octobre 2023), avec Louane Emera et Victor Belmondo, où il est le juge.


    Quitter ainsi une bande de copains. En solitaire. Michel Blanc manquera beaucoup aux cinéphiles parce qu'il était toujours à la recherche d'une permanent renouvellement. Mais son dernier rôle n'est pas terrible du tout... RIP.


    Aussi sur le blog.


    Sylvain Rakotoarison (04 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    Authentique névrosé ?
    Michel Blanc.
    Brigitte Bardot.
    Marcello Mastroianni.
    Jean Piat.
    Sophia Loren.
    Lauren Bacall.
    Micheline Presle.
    Sarah Bernhardt.
    Jacques Tati.
    Sandrine Bonnaire.
    Shailene Woodley.
    Gérard Jugnot.
    Marlène Jobert.
    Alfred Hitchcock.
    Les jeunes stars ont-elles le droit de vieillir ?
    Charlie Chaplin.

     

     
     







    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241004-michel-blanc.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/michel-blanc-marche-a-l-ombre-257065

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/04/article-sr-20241004-michel-blanc.html

     

  • Jean-Louis Debré, enfant de la République (la Cinquième)

    « Aujourd'hui, à mon âge, être un jeune comédien, c'est fantastique. Apprendre un nouveau métier, voir des nouveaux gens, avoir une nouvelle ambition. C'est ça qui est fantastique dans la vie ! » (Jean-Louis Debré, le 28 janvier 2023 sur France Culture).



     

     
     


    Enfant de la République. La Cinquième. Pas de Beethoven, mais de De Gaulle, bien sûr. Jean-Louis Debré fête ses 80 ans ce lundi 30 septembre 2024. Il les fête seul, je veux dire, il les fête sans son frère jumeau Bernard Debré qui est parti il y a quatre ans. Cela doit faire quelque chose d'être amputé d'un frère si proche (et en même temps qui était si différent).

    Au regard de sa carrière politique, on peut dire que Jean-Louis Debré a eu une belle trajectoire, il est un baron de la République, il a eu des postes prestigieux, dont trois qui ont dû faire honneur à son père premier Premier Ministre de De Gaulle (qui n'en a vu qu'un de son vivant) : Ministre de l'Intérieur de 1995 à 1997 (prime au fidèle et loyal, mais un ministre peu convaincant), Président de l'Assemblée Nationale de 2002 à 2007 (beaucoup plus convaincant), enfin Président du Conseil Constitutionnel de 2007 à 2016 (très convaincant).

    Il ne faut pas croire que c'était parce qu'il est issu d'une très grande famille républicaine, de médecins et de responsables politiques, qu'il a eu tout tout cuit sur un plateau d'argent. J'ai déjà évoqué longuement sa carrière ici. Né à Toulouse, diplômé de l'IEP Paris, il a fait un doctorat spécialisé en droit constitutionnel (son directeur de thèse était Roger-Gérard Schwartzenberg, à peine plus âgé que lui). Sa future fonction à la tête du Conseil Constitutionnel est donc non seulement la consécration de son engagement politique mais aussi celle de sa carrière de juriste. Après ses études, il fut membre de cabinets ministériels, juge d'instruction, député, maire d'Évreux, etc.

    Sans doute que, plus que son lien de filiation avec Michel Debré, sa relation faite d'amitié et de loyauté absolue envers Jacques Chirac dans une époque de trahisons (balladuriennes) a quelque peu encouragé sa carrière. Amitié avec Jacques Chirac dont il est devenu un confident jusqu'au bout de la nuit, quand tout s'effaçait, tout s'oubliait. Amitié aussi avec Pierre Mazeaud, son prédécesseur immédiat au Conseil Constitutionnel, qui date des années 1960, une amitié familiale surtout.


    Il a commencé à se présenter aux élections en mars 1973, à l'époque, il avait 28 ans. Dans un reportage dans le journal d'Antenne 2 le 11 février 1973, on le voit ainsi faire campagne assez timidement pour les élections législatives, sans succès. L'une de ses paroles, c'était de dire que s'il s'était servi de sa famille, il aurait choisi une circonscription plus facile.





    C'est un peu cela, Jean-Louis Debré, un homme qui, faute de s'être fait un nom (l'ascendance familiale était trop lourde), a su se faire un prénom. Ayant travaillé pour Jacques Chirac dans les années 1970, il lui était resté fidèle malgré les relations parfois orageuses entre le futur Président de la République et son propre père (ils étaient concurrents à l'élection présidentielle de 1981). Cette fidélité s'est renforcée au moment de la grande rivalité avec Édouard Balladur, et il s'est retrouvé dans le camp des vainqueurs en 1995 : peu de leaders du RPR avaient su soutenir Jacques Chirac, les plus ambitieux préféraient le trahir sur l'autel de leur carriérisme.

    À cette époque, j'appréciais peu Jean-Louis Debré : il n'était qu'un second couteau et montrait un aspect très militant et politicien, avec ses éléments de langage, sa langue de bois, sa mauvaise foi. C'est assez commun et on a pu l'observer chez de nombreux dirigeants politiques, au RPR notamment, de Nicolas Sarkozy à Alain Juppé en passant par Jean-François Copé. L'exercice de son ministère Place Beauvau a été un désastre pour la lutte antiterroriste. Il n'était visiblement pas à sa place.

    Heureusement, il a eu une seconde chance ! Il a donné sa mesure personnelle quand il a été élu au perchoir. D'abord, il l'a été sur son propre mérite et avait un adversaire de taille en 2002 : Édouard Balladur, ancien Premier Ministre, et ancien favori d'une élection présidentielle sept ans auparavant. C'est la victoire du passionné sur le plus médaillé, un peu comme la victoire de Gérard Larcher sur Jean-Pierre Raffarin en 2008, au Plateau (Présidence du Sénat).

    Jean-Louis Debré a été effectivement un excellent Président de l'Assemblée Nationale, ouvrant l'institution sur le monde extérieur, modernisant les procédures, etc. Et sa Présidence n'était pas partisane, il défendait désormais les institutions, l'Assemblée Nationale, avant de défendre son camp politique, son parti, surtout lorsque celui-ci est tombé sous la tutelle de Nicolas Sarkozy qu'il n'a jamais apprécié (au point de voter pour François Hollande en 2012 !).

    Au fur et à mesure qu'il est devenu une autorité de référence dans une République en perte de référence, Jean-Louis Debré se permettait de prendre plus de distance. Tant de ses anciens amis gaullistes que des autres. Sa prise de distance n'était pas nouvelle et pas seulement sous Nicolas Sarkozy. Il s'était émancipé de Jacques Chirac dès 1997 lorsqu'il a pris à l'arraché la présidence du groupe RPR à l'Assemblée Nationale, en opposition au gouvernement de cohabitation de Lionel Jospin, malgré les réticences de Jacques Chirac lui-même, puis le perchoir en 2002 malgré les appétits de deux Premiers Ministres, Alain Juppé et Édouard Balladur (et les mêmes réticences de Jacques Chirac).

     

     
     


    En 2017, il n'hésitait pas à annoncer qu'il voterait Emmanuel Macron aux deux tours de l'élection présidentielle (s'opposant à François Fillon), mais plusieurs années plus tard, il ne s'interdisait pas de critiquer ouvertement le jeune Président de la République, proposant, dans "Le Parisien" du 15 juillet 2023, une dissolution ou un référendum pour rompre avec la crise politique (considérant que les Français se moqueraient d'un changement de gouvernement ou d'un remaniement) : « Vous ne pouvez pas passer des textes aussi importants que la réforme des retraites sans avoir une consultation populaire. (…) Les Français n’ont rien à fiche des changements de ministres. D’ailleurs, on n’en connaît que quatre ou cinq. ».

    Sa Présidence du Conseil Constitutionnel (2007-2016) a été également cruciale pour cette instance suprême car Jean-Louis Debré a dû adapter l'institution à la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui comporte une innovation majeure : le contrôle de constitutionnalité des lois a posteriori (après leur promulgation et leur application) sur saisine des citoyens eux-mêmes (s'ils sont justiciables). Ce sont les fameuses QPC (questions prioritaires de constitutionnalité) qui ont bouleversé les missions du Conseil Constitutionnel en lui donnant beaucoup plus de travail qu'auparavant (ses missions d'origine étant la constitutionnalité des projets de loi avant promulgation seulement sur saisine des parlementaires et la validation des élections nationales).

    Le 13 novembre 2015, il confiait d'ailleurs à Capucine Coquand pour le journal "Décideurs Magazine" que sans ce défi de la QPC, il aurait quitté ses fonctions car cela l'aurait ennuyé : « Sans cela, je ne serais probablement pas resté Président du Conseil Constitutionnel. C’est une avancée significative pour la Ve République et les justiciables, pour notre État de droit. (…) L’institution n’est plus la même que celle que j’ai trouvée en arrivant avec plus de décisions en cinq ans qu’en quarante-neuf ans, le nombre inchangé de fonctionnaires mais de très grand professionnalisme ou la construction d’une nouvelle salle d’audience qui marque la juridictionnalisation de cette institution, un greffe performant, des audiences publiques, des avocats qui plaident... Jamais la maison n’a été aussi ouverte sur l’extérieur notamment vers les étudiants en droit, concours de plaidoiries, salon du livre juridique… (…) [Les dépenses] ont été réduites de 23% alors que nous travaillons beaucoup plus. ».


    Sa plus grande fierté demeure l'indépendance du Conseil Constitutionnel : « Car nous n’avons pas hésité à annuler les comptes de campagne d’un candidat à la Présidence, là où l’un de mes prédécesseurs avait préféré faire la sourde oreille. Nous ne craignons pas un instant de retoquer une surtaxe de 75%, figurant pourtant parmi les promesses d’un candidat à la présidentielle. C’est ça l’indépendance ! Et elle s’illustre symboliquement. Aujourd’hui, il n’y a plus un seul portrait des anciens Présidents de la République : ils ont tous été remplacés par des Marianne. (…) Mon plus grand souvenir, c’est lorsque nous avons annulé la loi de 1838 sur l’hospitalisation sans consentement. Ce jour-là, j’ai pensé à Camille Claudel hospitalisée contre son gré pendant trente ans. On l’a laissée mourir dans un hospice. C’est aussi ça la QPC : rétablir la justice. ».
     

     
     


    Le 5 juin 2023, répondant à l'invitation de l'Association pour l'histoire des Caisses d'Épargne, Jean-Louis Debré donnait sa définition du vivre ensemble dans la République : « "Un rêve d’un avenir partagé" comme le formulait Ernest Renan. La République n’est pas un modèle figé ; c’est une volonté de vivre ensemble. Aspirer à un destin commun suppose des mutations et des ruptures, des compromis et des anticipations. La société est en perpétuelle évolution, des attentes nouvelles apparaissent. Plus que jamais nous avons besoin d’une République audacieuse. ».

    C'est sans doute cette audace et ce besoin de se renouveler qui l'ont fait changer de vie. Jean-Louis Debré a définitivement quitté la vie politique, il n'est plus acteur mais observateur politique, publiant des livres de souvenirs, de témoignages, d'anecdotes... qui pourraient presque s'apparenter à de l'antiparlementarisme primaire si on ne connaissait pas son auteur ! De la taquinerie faite de tendresse et de passion plus que de la haine du système politique dont il défend les principes essentiels. Et certainement aucune rancœur nostalgique.

    Jugeons-en avec ses paroles du 28 janvier 2023 sur France Culture : « Aujourd'hui, le système politique ne génère plus de grands personnages comme jadis. Et la politique est devenue un métier du spectacle. Et peu importe ce que l'on dit, c'est la manière de le dire. Je suis sidéré de voir comment, comme les concitoyens, nous vivons tous dans l'immédiateté. Comment on peut dire tout et son contraire en quelques jours. (…) Le monde politique d'aujourd'hui n’est plus mon monde. Je ne le comprends pas. Je regarde ça avec un très grand détachement. (…) Quand je regarde les discours aujourd'hui des responsables politiques, il n'y a rien, il n'y a aucune ambition, il n'y a aucune foi et aucune passion. Ce sont des mots que l'on a alignés. On lit une note faite par ses collaborateurs. ». Et de conclure : « Je pense qu'il doit y avoir un Président qui assure l'unité nationale et qui est une personnalité importante. Et face à cela, un Parlement qui discute et qui modifie. ».

    Après les élections législatives anticipées, Jean-Louis Debré n'était guère plus tendre avec la classe politique, disant à Francis Brochet le 24 juillet 2024 pour "Le Dauphiné libéré" : « [Les Français] ressentent de l’angoisse pour l’avenir, de la tristesse pour le présent. Ils ont eu une mobilisation extraordinaire pour les législatives, ils voulaient de la sérénité, qu’on se remette au travail pour régler les problèmes économiques et sociaux et le problème de l’insécurité. Les politiques n’ont rien compris, ils chipotent et se font des croche-pieds. (…) La responsabilité incombe à l'ensemble du personnel politique. ».
     

     
     


    Il n'est plus acteur politique, je dois préciser, mais il est devenu acteur tout court, jeune acteur, jeune comédien. En 2022, il a donc radicalement changé de vie car le voici sur les planches avec sa compagne Valérie Bochenek pour honorer les femmes qui ont fait la France (il s'est même produit au Liban), avec ce titre : "Ces femmes qui ont réveillé la France", titre du livre qu'il avait coécrit avec sa compagne dix ans auparavant. Cela fait deux ans qu'il parcourt la France pour évoquer ces femmes françaises : le voici maintenant octogénaire. Amoureux de la France et des femmes.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (28 septembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Bernard Debré.
    Haut perché.
    Michel Debré.
    Jean-Louis Debré.
    Yaël Braun-Pivet.
    Richard Ferrand.
    Il faut une femme au perchoir !
    François de Rugy.
    Claude Bartolone.
    Patrick Ollier.
    Raymond Forni.
    Laurent Fabius.
    Philippe Séguin.
    Henri Emmanuelli.
    Louis Mermaz.
    Jacques Chaban-Delmas.
    Edgar Faure.
    Édouard Herriot.
    Vincent Auriol.
    Paul Painlevé.
    Léon Gambetta.










    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240930-jean-louis-debre.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/jean-louis-debre-enfant-de-la-256647

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/09/28/article-sr-20240930-jean-louis-debre.html




     

  • Marcello Mastroianni célébré par la Cinémathèque française

    « Tu sais, tu es tout, Sylvia, tout ce qu'un homme peut désirer. Tu es la première femme du premier jour de la Création du monde. Tu es la mère, la sœur, l'amante, tu es le diable et tu es l'ange. Tu es la terre, le foyer... Ah, voilà : tu es le foyer ! » (Marcello Mastroianni, dans "La Dolce Vita" sorti le 5 février 1960).



     

     
     


    L'acteur Marcello Mastroianni est né il y a 100 ans, le 28 septembre 1924. Il est probablement le plus grand acteur italien de tous les temps et aussi l'un des plus grands acteurs au monde. Avec près de cent cinquante films à son actif, beaucoup d'italiens mais aussi des films français, des américains, des grecs, etc., pour une carrière qui s'est étendue pendant cinquante-sept ans (de 1939 à 1996), Mastroianni a tourné dans des dizaines de films "culte" du cinéma mondial et réussissait autant dans les comédies que dans les drames. Il a donc joué dans de nombreux chefs-d'œuvre du cinéma et lui-même était un chef-d'œuvre !

    Au début, il était figurant et travaillait comme géomètre du bâtiment, et c'est Luchino Visconti qui l'a véritablement "lancé" au théâtre dans deux pièces "Comme il vous plaira" (Shakespeare) créée le 26 novembre 1948 à Rome, puis "Un tramway nommé désir" (Tennessee Williams) créée le 23 janvier 1949 à Rome. C'est par le théâtre qu'il a connu Federico Fellini, mari d'une comédienne. Parallèlement, il a repris le cinéma (plus comme figurant) et ce fut rapidement la reconnaissance (avec "Jours d'amour"). Visconti lui confia un grand rôle dans "Nuits blanches", puis Mario Monicelli dans "Le Pigeon" qui lui donna une reconnaissance internationale.

    Le partenaire douze fois de Sophia Loren au cinéma a reçu un très grand nombre de récompenses nationales et internationales, dont sept David di Donatello du meilleur acteur (dont deux d'honneur), sept Rubans d'argent du meilleur acteur (dont un pour un second rôle), trois prix à la Mostra de Venise (un Lion d'or, un prix de la meilleure interprétation masculine, un autre pour un second rôle) et deux prix d'interprétation masculine au Festival de Cannes, deux BAFTA, un Golden Globes, une Coquille d'argent du Festival de Saint-Sébastien, etc. À cela se sont ajoutées deux nominations aux Oscars.

     
     


    Atteint d'un cancer au pancréas, Marcello Mastroianni est mort le 19 décembre 1996 à Paris, à l'âge de 72 ans, entouré de son ancienne compagne Catherine Deneuve, de sa fille Chiara et de son ami Michel Piccoli. Les eaux de la fontaine de Trevi à Rome furent arrêtées à cette occasion en signe d'hommage au grand acteur et de clin d'œil à "La Dolce Vita".

    À l'occasion de son centenaire, la Cinémathèque française (51 rue de Bercy, dans le douzième arrondissement de Paris), traduisant ainsi le lien très fort qu'unissait Mastroianni à la France, a organisé du 11 au 29 septembre 2024 une grande rétrospective Mastroianni, un cycle de vingt-cinq grands films de Mastroianni avec une séance d'ouverture le 11 septembre 2024 à 20 heures présentée par Chiara Mastroianni, la fille du grand acteur, pour "La Dolce Vita".
     

     
     


    Voici donc la sélection du cinéma mastroiannien rediffusée par la Cinémathèque française, dans l'ordre des sorties historiques : "Nuits blanches" de Luchino Visconti (sorti le 15 septembre 1957), avec Maria Schell et Jean Marais ; "Le Pigeon" de Mario Monicelli (sorti le 24 septembre 1958), avec Claudia Cardinale, Vittorio Gassman et Renato Salvatori ; "La Dolce Vita" de Federico Fellini (sorti le 5 février 1960), avec Anita Ekberg et Anouk Aimée ; "Le Bel Antonio" de Mauro Bolognini (sorti le 4 mars 1960), avec Claudia Cardinale, Pierre Brasseur et Rina Morelli ; "La Nuit" de Michelangelo Antonioni (sorti le 1961) ; "Divorce à l'italienne" de Pietro Germi (sorti le 24 janvier 1961), avec Jeanne Moreau et Monica Vitti ; "Journal intime" de Valerio Zurlini (sorti le 6 septembre 1962), avec Jacques Perrin et Louise Sylvie ; "Huit et demi" de Federico Fellini (sorti le 14 février 1963), avec Claudia Cardinale, Anouk Aimée, Sandra Milo, Rossella Falk et Barbara Steele ; "Les Camarades" de Mario Monicelli (sorti le 25 octobre1963), avec Renato Salvatori, Annie Girardot, François Périer et Bernard Blier ; "Mariage à l'italienne" de Vittorio De Sica (sorti le 20 décembre 1964), avec Sophia Loren ;
     

     
     


    "Drame de la jalousie" d'Ettore Scola (sorti le 18 janvier 1970), avec Monica Vitti et Giancarlo Giannini ; "La Femme du prêtre" de Don Mario Carlesi (sorti le 22 décembre 1970), avec Sophia Loren et Venantino Venantini ; "Liza" de Marco Ferreri (sorti le 3 mai 1972), avec Catherine Deneuve, Michel Piccoli et Corinne Marchand ; "Rapt à l'italienne" de Dino Risi (sorti le 8 mars 1973), avec Oliver Reed, Carole André, Nicoletta Machiavelli et Lionel Stander ; "La Grande Bouffe" de Marco Ferreri (sorti le 17 mai 1973), avec Philippe Noiret, Michel Piccoli, Ugo Tognazzi, Andréa Ferréol, Monique Chaumette et Bernard Ménez ; "Allonsanfàn" de Paolo et Vittorio Taviani (sorti le 6 septembre 1973), avec Lea Massari, Mimsy Farmer et Laura Betti ; "Vertiges" de Mauro Bolognini (sorti le 9 août 1975), avec Françoise Fabian, Marthe Keller, Barbara Bouchet et Lucia Bosé ; "La Femme du dimanche" de Luigi Comencini (sorti le 23 décembre 1975), avec Jean-Louis Trintignant, Jacqueline Bisset et Claudio Gora ; "Todo modo" d'Elio Petri (sorti le 30 avril 1976), avec Gian Maria Volonté, Mariangela Melato, Renato Salvatori et Michel Piccoli ; "Une Journée particulière" d'Ettore Scola (sorti le 12 août 1977), avec Sophia Loren et Alessandra Mussolini ;"La Terrasse" d'Ettore Scola (sorti le 8 février 1980), avec Jean-Louis Trintignant, Serge Reggiani, Vittorio Gassman et Ugo Tognazzi ; "Fantôme d'amour" de Dino Risi (sorti le 3 avril 1981), avec Romy Schneider ; "Ginger et Fred" de Federico Fellini (sorti le 22 janvier 1986), avec Giuletta Masina et Jacques Henri Lartigue ; "Les Yeux noirs" de Nikita Mikhalkov (sorti le 9 septembre 1987), avec Marthe Keller, Elena Safonova, Vsevolod Larionov, Silvana Mangano et Pina Cei ; "Splendor" d'Ettore Scola (sorti le 9 mars 1989), avec Marina Vlady et Massimo Troisi.
     

     
     


    Pour ces derniers jours, ce week-end, sont programmés le samedi 28 septembre : "La Femme du prêtre" (à 18 heures 30) et "La Femme du dimanche" (à 20 heures 45) ; et le dimanche 29 septembre : "Vertiges" (à 14 heures 30) et "Liza" (à 20 heures 00). Chapeau, maestro Mastroianni !


    Aussi sur le blog.


    Sylvain Rakotoarison (28 septembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    Brigitte Bardot.
    Marcello Mastroianni.
    Jean Piat.
    Sophia Loren.
    Lauren Bacall.
    Micheline Presle.
    Sarah Bernhardt.
    Jacques Tati.
    Sandrine Bonnaire.
    Shailene Woodley.
    Gérard Jugnot.
    Marlène Jobert.
    Alfred Hitchcock.
    Les jeunes stars ont-elles le droit de vieillir ?
    Charlie Chaplin.

     

  • Et Dieu créa les animaux... et Brigitte Bardot !

    « Il reste encore de grandes batailles à gagner car les êtres humains se sont déshumanisés, particulièrement dans la politique et aussi dans nos gouvernements successifs. » (Brigitte Bardot, 2014).


     

     
     


    Les années passent et heureusement, les stars ne passent pas, ou pas toutes, du moins. Elle est née exactement dix ans après Marcello Mastroianni, huit jours après Sophia Loren : Brigitte Bardot fête ses 90 ans ce samedi 28 septembre 2024. Pour cette ancienne actrice au cœur du culte de la beauté et de la jeunesse, de la modernité et de l'audace, le fait de devenir une vieille dame n'est pas nouveau. Cela fait cinquante ans qu'elle est devenue une vieille dame, depuis qu'elle a arrêté sa courte et dense carrière au cinéma, une vingtaine d'années en tout.

    C'était un choix, conscient, mûri, et sans doute a-t-elle dû décevoir des armées de réalisateurs qui auraient souhaité continuer à exploiter ce filon (et des bataillons de cinéphiles), d'autant plus que les années 1970 furent les plus osées et les plus chaudes du cinéma français. Brigitte Bardot devait en avoir ras-le-bol de la virilité, du machisme, et elle voyait bien ce qui l'attendait, avec l'âge et les rides, une sorte de reclassement dans des rôles de grand-mère que certaines de ses collègues ont su merveilleusement s'approprier (par exemple, la pimpante Catherine Deneuve) mais qu'elle-même ne voulait pas. Pas pour laisser une image éternelle de la jeunesse, mais parce qu'elle a saisi des choses plus importantes pour sa vie.

    Changer de vie. Le destin des bébés phoques, alertée par Marguerite Yourcenar, puis, plus généralement, les animaux, la souffrance des animaux, ont eu largement gain de cause par rapport à une carrière cinématographique qu'elle ne souhaitait plus.

    Malgré son enthousiasme pour Jordan Bardella et le RN aux dernières élections, on ne l'a pas entendue parmi les protestataires du nouveau gouvernement dirigé par Michel Barnier, mais elle aurait pu en être. Pas forcément parce qu'il n'a pas la couleur politique qu'elle aurait souhaitée, mais parce qu'il n'y a pas de ministère des animaux (d'autres protestent parce qu'il n'y a pas de ministère des personnes en situation de handicap, ni de ministère de la ville). Il faut bien dire qu'il n'y en a jamais eu mais les défenseurs des animaux militent pour qu'il y en ait un, à l'égal d'un ministère de la bouffe (euh, de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire) et d'un ministère de l'environnement.

    C'est étonnant qu'un gouvernement s'occupe des humains, de la planète, de l'environnement et des plantes, mais pas spécifiquement des animaux. Certes, il y a eu déjà des sous-ministères de la biodiversité, mais rester déjà dans le basique, dans l'élémentaire : lutter contre la souffrance animale, ce qui, aujourd'hui, depuis une dizaine d'années, est reconnu juridiquement, les animaux sont des êtres sensibles. Difficile de rendre compatible cet aspect des choses avec les abattoirs, avec la viande à produire et à manger, surtout lorsqu'on doit, par compétitivité, être le moins cher, produire au moindre coût. Toujours est-il que dans la nouvelle Commission Européenne qui prendra ses fonctions le 1er décembre 2024, un commissaire européen chargé des animaux a été institué.


    Tout naturellement, ce combat de Brigitte Bardot a abouti à un combat contre une certaine religion (tout le monde la connaît) qui abat rituellement les animaux sans leur empêcher la souffrance. Son combat est devenu une guerre de religion et elle a déjà été blâmée par la justice pour des propos publics qui mettaient en cause cette religion. Le droit des animaux en contradiction avec le droit de manger de la viande, mais aussi la liberté du culte. Cette société compliquée n'est faite que de contradictions, d'injonctions paradoxales multiples, et finalement, la représentation démocratique de l'Assemblée Nationale de l'été 2024 en apporte une certaine illustration.
     

     
     


    En 2014, dans un bouquin sur ses "as de cœur", elle a présenté en quelque sorte son Panthéon des défenseurs des animaux. Citons quelques-unes des personnalités qui l'ont éblouies (peut-être celles-ci en seraient étonnées, sans doute elles-mêmes éblouies par l'ancien star ?).

    Par exemple, Théodore Monod : « En près d'un siècle de sa riche existence, Théodore Monod rédigea près de 2 000 volumes d'œuvres scientifiques, regroupa 20 000 échantillons et enrichit notre connaissance de la flore et de la faune de respectivement 35 et 130 espèces nouvelles. Il était l'un des derniers grands voyageurs naturalistes. Son humilité ne se démentit jamais. (…) Il faisait partie de ces qui donnent une légitimité scientifique à toutes les actions en faveur des animaux et de la nature. ».

    Dian Fossey : « Si elle était aussi réfractaire aux visites, c'était surtout à cause du risque de contagion des maladies humaines aux gorilles, animaux fragiles entre tous. Dans sa guerre contre les zoos occidentaux, toujours avides de les exposer ignoblement, Dian obtint quelques victoires, mais subit aussi de nombreuses défaites. (…) Le matin du 27 décembre 1985, l'étudiant américain Wayne McGuire, qui l'avait rejointe depuis peu, la découvrit morte à côté de son lit, le crâne fendu d'un coup de machette. Aujourd'hui encore, on ne sait pas qui a tué Dian Fossey ; l'hypothèse la plus probable étant bien évidemment qu'elle a été assassinée par un braconnier. ».

    Saint François d'Assise : « Une histoire "écologique" avant l'heure. François reconnaît à l'animal une dignité similaire à celle de l'homme. Il attend de ses semblables qu'ils remplissent leur devoir d'assistance face aux animaux lorsqu'ils souffrent. (…) Personne mieux que saint François n'a exprimé une telle volonté de retrouver une humanité débarrassée de tout ce qui la pollue. Il refusa tout idée de pouvoir, de domination. La pauvreté pour lui n'était pas seulement une privation corporelle, mais un état d'un homme humble, dépouillé de tout désir qui empêcherait la communion parfaite avec son Créateur et avec l'univers. ».


    Mylène Demongeot : « Une actrice qui a du chien ! Mylène ne s'est pas entourée d'animaux pour combler un quelconque manque affectif, argument idiot qu'on entend bien trop souvent. Non, cet engouement vient plutôt d'une vision jubilatoire de l'existence, à laquelle l'actrice a décidé de tout subordonner, bien inconsciemment sans doute, car elle a eu dans sa vie, comme tout un chacun, de quoi alimenter ses douleurs... ».

    Le dalaï-lama : « Ses paroles sont douces, ses yeux extrêmement vifs savent capter au-delà des mots les ressentis de ses interlocuteurs. Il est pacifiste dans le plus profond de son cœur, vénère et respecte toute vie, humaine ou animale. Il fait du bien. ».

    Paul Watson : « Watson est un homme d'action. La bureaucratie lui déplaît, comme les discours inutiles. Il ne veut pas de "campagne de sensibilisation", il ne vaut pas faire de compromis, il veut agir concrètement. (…) Les baleines... Paul les a vues mourir par centaines sous le coup des harpons et des flèches explosives. Il a entendu leur cri pareil à celui d'un être humain. Il les a vues agoniser en gémissant. Il se souvient de ce jour où un cachalot frappé à mort, au lieu de chavirer son Zodiac venu s'interposer, l'a épargné, après avoir fixé son œil sur lui, un regard qu'il n'oubliera jamais de sa vie et qui scellera sa vocation de "justicier des océans". (…) Il tire la certitude que notre monde obéit à des lois de symbiose et d'équilibre. À ses détracteurs qui l'accusent volontiers d'être un misanthrope, il répond : "Si l'on détruit les mers, on détruit l'homme". ».

    Ce sera sans doute la réponse de BB à ses propres détracteurs qui la traitent de misanthropes. On ne peut pas aimer les humains sans aimer les animaux. Elle pourrait aussi citer Gandhi : « On reconnaît le niveau d’évolution d’un peuple à la manière dont il traite ses animaux. ». Depuis la loi n°2015-177 du 16 février 2016 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, le nouvel article 515-14 du code civil précise que « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité, soumis, sous réserve des lois qui les protègent, au régime des biens ». C'est une grande avancée juridique pour consacrer le statut de l'animal, même s'il y a encore beaucoup de progression à venir dans des lois à prévoir.

    Le 28 septembre 2014 (il y a juste dix ans), Brigitte Bardot disait que tout restait encore à faire malgré cette loi (dont l'amendement crucial pour reconnaître l'être vivant doué de sensibilité chez l'animal a été voté le 15 avril 2014) : « Il reste encore tant à faire, tant d’horreurs. La vie des animaux n’est pas prise en considération ni leurs souffrances. Ils sont toujours considérés comme des objets de rapports et sont massacrés quotidiennement pour du fric dans la plus grande indifférence. ».

     
     


    On le voit : pour Brigitte Bardot, les animaux, c'est son dada ! « Ma Fondation est le but essentiel de ma vie. J'ai tout donné pour la construire. (…) Depuis, je vis chez mes animaux. ». Eh oui, quand on a des bestioles chez soi, qui ont un nom, on sait bien qu'on n'est plus chez soi mais chez elles. J'ai connu des chats qui se choisissaient leur maison dans un quartier, ils changeaient de "propriétaires" (ou plutôt d'esclaves) au gré des déménagements des lieux !

    Parce qu'elle est déjà très âgée, Brigitte Bardot a pensé à sa mort. Sa fortune irait pour sa fondation et elle serait enterrée dans sa propriété de La Madrague, dans le Var, transformée en musée : « J'ai choisi un petit coin, proche de la mer, qui a été entériné par les autorités. ». Il faut l'accord de l'État pour être enterré hors des cimetières. Elle préfère éviter le cimetière de Saint-Tropez pour laisser en paix ses parents et grands-parents. Elle enverrait ses visiteurs chez elle, dans un musée, pour alimenter financièrement sa fondation.

    Dans une interview au journal "Le Parisien" le 20 septembre 2024, elle confiait qu'elle marchait maintenant très difficilement (« Je me déplace avec mes cannes anglaises. ») et qu'elle a été très affectée par la disparition de son ami Alain Delon. À 90 ans, Brigitte Bardot a consacré 50 ans aux animaux et 20 ans au cinéma. Rappelons-nous... Et BB créa Saint-Tropez ! Vidéo.


    Aussi sur le blog.


    Sylvain Rakotoarison (21 septembre 2024)
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    Pour aller plus loin :
    Brigitte Bardot.
    Marcello Mastroianni.
    Jean Piat.
    Sophia Loren.
    Lauren Bacall.
    Micheline Presle.
    Sarah Bernhardt.
    Jacques Tati.
    Sandrine Bonnaire.
    Shailene Woodley.
    Gérard Jugnot.
    Marlène Jobert.
    Alfred Hitchcock.
    Les jeunes stars ont-elles le droit de vieillir ?
    Charlie Chaplin.







    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240928-brigitte-bardot.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/et-dieu-crea-les-animaux-et-256755

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/09/26/article-sr-20240928-brigitte-bardot.html



     

  • L'acteur Jean Piat est né il y a 100 ans, le 23 septembre 1924

    « Nous, acteurs, avons la chance de nous amuser avec la mort avant de la connaître. » (Jean Piat, interrogé par Barbara Théate, "Journal du dimanche", le 31 janvier 2016).


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    S’amuser avec la mort avant de la connaître… Hélas, maintenant, Jean Piat la connaît. Depuis ce mardi 18 septembre 2018 à Paris. À cinq jours seulement de son 94e anniversaire. Jean Piat était un comédien immense. Une diction parfaite, un regard perçant, une présence captivante. Il était sociétaire de la Comédie-française du 1er septembre 1947 au 31 décembre 1972. Il est parti tôt de lui-même de la Comédie-française (à l’âge de 48 ans) parce qu’il considérait que la troupe devait se renouveler régulièrement et faire la place aux jeunes… et aussi, choisir lui-même la date de son départ avant d’être remercié par le conseil d’administration.

    Il a commencé le 7 mai 1945 à l’âge de 20 ans dans un petit rôle dans la pièce "Ruy Blas" de Victor Hugo mise en scène par Pierre Dux. Pendant ses premières années de théâtre, il a joué dans de nombreuses pièces mises en scène par Pierre Dux. Pas étonnant que Pierre Dux fût pour lui un mentor, un maître. Si je voulais faire un mauvais jeu de mot, je dirais que ce n’est plus "Fiat lux" mais "Piat Dux" !

    Au théâtre, Jean Piat a joué au moins 900 fois, il a joué de très nombreux rôles comme Alceste, Cyrano de Bergerac (rôle dont il était le plus fier), Don Quichotte, etc., avec de grands auteurs comme Victor Hugo, Edmond Rostand, Marivaux, Beaumarchais, Musset, Labiche, Mérimée, Tristan Bernard, Molière, Paul Claudel, Fernand Ledoux, Montherlant (dans le rôle d’un personnage très misogyne), Feydeau, Giraudoux, Shakespeare, Courteline, Jules Romains, Guitry, Cocteau, etc. Il a beaucoup travaillé avec certains metteurs en scène comme Pierre Dux, Jean Meyer, etc. Il a aussi fait un peu de mise en scène (une vingtaine de pièces). Sa dernière prestation était très récente puisque c’était l’année dernière, en 2017, à la Comédie des Champs-Élysées.

    Pour Jean Piat, il ne s’agissait pas de se mettre dans la peau d’un personnage, mais que ce personnage se mît dans sa peau : « Un personnage est un être vivant, qui est inclus dans les feuilles d’une brochure, mais c’est quand même un être vivant. (…) Donc, le personnage vivant vient à travers vous. La rencontre entre le personnage et vous, ça donne le personnage et ça donne l’être vivant sur scène qui intéresse plus ou moins le spectateur. On se rend service l’un l’autre, si je puis dire. En tant qu’acteur, on profite de la qualité d’un personnage. Vous ne me ferez pas jouer un personnage que je n’aime pas. Ce n’est pas possible. » ("Télérama", octobre 2016). Le personnage qui est fait pour lui, c’est quand il y a : « Une certaine vérité, une certaine bonne humeur. ».

    Il s’est toujours interrogé sur l’intérêt du public pour les drames alors que les comédies sont relayées hors du champ culturel, dans les "théâtres de boulevard" à l’appellation péjorative : « C’est respecté, beaucoup plus qu’une scène de rire. Le rire n’est pas respecté au théâtre, alors que le drame est respecté. (…) C’est plus difficile de faire rire que d’attirer l’attention sur un drame quelconque. (…) Pourquoi on respecte moins le vaudeville que la tragédie ? On ne sait pas. Il n’y a de réponse, pas de réponse logique, pas de réponse rationnelle. » ("Télérama", octobre 2016).

    Jouer, toujours jouer. Le 25 janvier 2016, Jean Piat l’avouait comme un fin gourmet : « Je joue, parce que quand je ne joue pas, j’ai l’impression d’être privé de dessert ! » (AFP). Il a joué dans une vingtaine de films au cinéma, mais son rendez-vous avec le cinéma fut raté, au contraire d’un comédien comme Claude Rich. Jean Piat a fait du cinéma alimentaire au début de sa carrière pour augmenter ses fins de mois. Mais quand il est sorti de la Comédie-française, il avait déjà presque 49 ans, c’était déjà âgé pour commencer à faire du cinéma au milieu des années 1970. Il avait laissé passer un grand moment de cinéma dans les années 1960. On ne lui avait alors proposé aucun grand rôle et le terrain était déjà occupé par de grands acteurs comme Jean-Paul Belmondo, Alain Delon, Jean Marais, etc.

    Jean Piat a aussi pas mal joué pour la télévision française. D’ailleurs, sa notoriété auprès du grand public, il l’a acquise principalement dans deux rôles qu’il a joués pour des séries télévisées : Lagardère (pas Arnaud mais Henri de Lagardère !), une série de six épisodes créée par Marcel Jullian reprenant le roman de Paul Féval ("Le Bossu") et sa suite, diffusée sur la première chaîne de l’ORTF du 20 septembre 1967 au 25 octobre 1967, et Robert III d’Artois, le personnage éclatant de l’adaptation télévisée du fameux roman de Maurice Druon, "Les Rois maudits", série de six épisodes aussi, réalisée par Claude Barma dans une adaptation de Marcel Jullian, diffusée du 21 septembre 1972 au 24 janvier 1973 sur la deuxième chaîne de l’ORTF. Lorsque cette série a été rediffusée un peu plus tard, je l’avais adorée, comme tous les passionnés d’histoire de France.

    La sortie des "Rois maudits" fut très importante pour Jean Piat : « Cela a été énorme. J’ai reçu ça comme la vague de l’océan qui vous balance quand vous êtes en train de mettre les pieds dans l’eau pour voir si elle est fraîche ou chaude. Plouf ! Je suis devenu un acteur vedette sans le vouloir, sans le savoir, sans m’en rendre compte (…). J’ai été le premier surpris de l’énorme succès. Dès le premier soir où il y a eu une projection à la Maison de la Radio, Chancel est arrivé vers moi : "C’est formidable !". (…) Je ne me rendais pas compte à quel point cela a eu un impact sur le public. » ("Télérama", octobre 2016). Mais il n’a pas eu d’autres rôles importants à la télévision après ce succès.

    Je reviens sur ce rendez-vous raté avec le cinéma. Jean Piat a eu ce regret, mais pas très grave selon lui : « J’ai vécu de cela et j’ai pensé que cette réussite à la télévision allait m’amener au cinéma. Pas du tout. C’était le contraire, car le raisonnement était simple. Si l’on vous voit à la télévision gratuitement, il sera plus difficile après d’imposer votre présence dans un film au cinéma payant. Les gens vont payer leur place alors qu’ils vous voient à la télévision gratuitement. (…) Le cinéma n’est pas venu à moi parce que je ne suis pas allé à lui. En réalité, aux tréfonds de moi, maintenant, cela ne m’ennuie pas gravement, sinon que j’aurais voulu trouver un rôle, une fois. » ("Télérama", octobre 2016).

    Sa notoriété, c’était aussi sa voix, au-delà de sa présence scénique. La voix, il l’a utilisée en particulier pour le personnage principal (Peter O’Toole) du film "Lawrence d’Arabie" (sorti le 10 décembre 1962), et pour la double série de films "Le Seigneur des Anneaux" et "Le Hobbit" (entre 2001 et 2014), pour le personnage de Gandalf (Ian MacKellen).

    Au-delà de la scène, Jean Piat s’est mis à écrire, une quinzaine d’ouvrages, dont trois récompensés par l’Académie française, et cette passion de l’écriture lui a beaucoup plu : « C’est la solitude. La solitude me plaît avec des personnages que vous réinventez, que vous faites revenir à la surface. (…) C’étaient mes espaces entre deux pièces. » ("Télérama", octobre 2016).

    Il a eu cette passion de l’écriture quand il a rencontré Françoise Dorin, auteur dramatique, qui est devenue sa compagne dans la vie à partir de 1975, et jusqu’à sa mort, le 12 janvier 2018, là aussi à quelques jours de son anniversaire (le 23 janvier 2018, elle aurait eu 90 ans). Les deux sont partis la même année, à quelques mois d’intervalle…

    Jouer la mort : « Jouer une scène de mort, c’est merveilleux. Tout le monde vous écoute comme si c’était la leur qu’il voyait déjà ou qu’il prévoyait déjà. (…) Brusquement, il y a un silence, une épaisseur extraordinaire et on vit aussi bien de l’effet comique que du silence. Et un silence épais, pourquoi ? (…) parce qu’il y a un respect de la mort, d’une part, et qu’on a l’impression, quand on a joué, qu’ils pensaient à la leur sans le vouloir en voyant celle jouée par un autre, et après on se relève, le rideau tombe, et hop, on est vivant ! C’est bien, c’est une résurrection. C’est pourquoi les scènes de mort, c’est un régal ! » ("Télérama", octobre 2016).

    Pour rendre hommage à Jean Piat, je propose ici les deux célèbres séries citées, une fable ("Les Animaux malade de la peste"), récitée le 5 avril 1980 à la télévision suisse (RTS), et surtout, un entretien inédit, savoureux, au Théâtre des Bouffes Parisiens avec la journaliste Fabienne Pascaud en octobre 2016 que "Télérama" vient de mettre en ligne pour rendre hommage au comédien disparu.


    1. Entretien avec Fabienne Pascaud en octobre 2016






    2. Une fable de La Fontaine sur la RTS le 5 avril 1980






    3. "Les Rois maudits" (1972), premier épisode, mis en ligne par l’INA






    4. "Lagardère" (1967)





















    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (19 septembre 2018)
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    Pour aller plus loin :
    Jean Piat.
    Maurice Chevalier.
    Vanessa Marquez.
    Micheline Presle.
    Pauline Lafont.
    Marie Trintignant.
    Philippe Magnan.
    Louis Lumière.
    Georges Méliès.
    Jeanne Moreau.
    Louis de Funès.
    Le cinéma parlant.
    Charlie Chaplin.
    Annie Cordy.
    Johnny Hallyday.
    Pierre Bellemare.
    Meghan Markle.

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  • Lauren Bacall, la femme fatale

    ​x« Pour moi, une légende c'est quelque chose qui n'est pas sur cette Terre, qui est mort. »


     

     
     


    Une légende, donc. Et aussi un sacré regard, Le Regard ("The Look"), celui du visage baissé d'une timide qui vous regarde vers le haut, et puis une voix reconnaissable... et toujours une légende. Mais elle rejetait le terme : « S'il y a une chose que je n'ai jamais été, c'est mystérieuse, et s'il y a une chose que je n'ai jamais faite, c'est me taire ! ». L'actrice américaine Lauren Bacall est née il y a 100 ans, le 16 septembre 1924, à New York (dans le Bronx). Elle est morte peu avant ses 90 ans, il y a un peu plus de dix ans, le 12 août 2014, toujours à New York (à Manhattan, près de Central Park), des suites d'un AVC. Pour l'ensemble de sa carrière, Lauren Bacall a reçu un César d'honneur en 1996 et un Oscar d'honneur en 2009 (les Français auraient-ils été plus vite reconnaissants que les Américains ?).

    La "petite fille du Bronx" s'appelait en fait Betty Joan Perske, fille d'origine roumaine par sa mère (dont le nom de jeune fille était Weinstein-Bacal) et d'origine polonaise par son père, cousine de l'ancien Président de l'État d'Israël (et Prix Nobel de la Paix) Shimon Peres (Szymon Perski), qu'elle n'a rencontré pour la première fois que dans les années 1950. C'est Howard Hawks qui lui a fait changer de nom mais elle n'aimait pas Lauren et ses amies l'ont toujours appelée Betty.

    Ancienne mannequin, remarquée à l'âge de 19 ans à la une d'un magazine par Nancy Hawks, la femme du réalisateur, elle a crevé le grand écran et fait partie des stars de l'âge d'or de Hollywood. Ses partenaires au cinéma étaient autant des légendes qu'elle : Humphrey Bogart (qui fut son premier mari, ou elle sa dernière épouse, tremblante à son seul regard ; couple modèle à Hollywood avec deux enfants), Gary Cooper, Gregory Peck, Kirk Douglas, Henry Fonda, Paul Newman, John Wayne, Jack Nicholson, etc.

     

     
     


    Dès l'âge de 17 ans, elle a aussi joué dans des pièces de théâtre et des comédies musicales à Broadway. Elle a quitté la Californie pour New York après la mort de son mari Humphrey Bogart et de sa courte idylle avec Frank Sinatra (elle allait devenir la reine de Broadway pour sa seconde carrière). Elle a effectivement failli se marier avec Frank Sinatra qui l'a abandonnée après lui avoir proposé le mariage (la rupture s'est faite au téléphone !). À New York, elle s'est remariée avec un autre acteur qu'elle a quitté ensuite après quelques années à cause de son alcoolisme. Elle est l'auteure de deux autobiographies qui ont marqué, publiées en 1979 puis 1994. Elle y a raconté notamment : « À 32 ans [à la mort de Bogart], j'ai eu le sentiment affreux que ma vie était terminée. Jusqu'alors, j'avais toujours pu compter sur la présence de ma mère ou de Bogie. À présent, j'étais seule. ».

    Une carrière passant de Broadway à Hollywood et réciproquement. Les réalisateurs qui ont eu la chance de pouvoir bénéficier de son talent d'actrice étaient également de "grands" réalisateurs, à commencer par Howard Hawks, mais aussi John Huston, Michael Curtiz, Vincente Minnelli, Douglas Sirk, Lars Von Trier, etc.


    Ce qui était fascinant, c'est que même très âgée, Lauren Bacall avait encore cette grâce et ce charme, cette beauté, que les rides peut-être même accentuaient : « Je pense que l'ensemble de votre vie se voit sur votre visage et vous devriez en être fier. ». D'ailleurs, si elle a tourné une cinquantaine de films, la moitié l'a été après ses 60 ans, montrant qu'elle n'était pas simplement une jeune et belle femme, mais aussi une femme plus mûre, plus mature, et toujours aussi souriante. Elle a tourné jusqu'en 2011, elle avait 86 ans !
     

     
     


    Son style était, selon l'expression de Norbert Creutz dans "Le Temps", « celui de la blonde intelligente à qui on ne la fait pas », ajoutant qu'elle « impose une assurance amusée de vamp (on se souvient de son fameux "Si vous avez besoin de moi, vous n'avez qu'à siffler") ». Ce même journaliste osa écrire : « Même une fois sa beauté envolée, elle garda une classe extraordinaire. ».

    En 1996-1997, Lauren Bacall (mais qu'allait-elle faire dans cette galère ?) a joué dans le très mauvais et très prétentieux film de Bernard-Henri Lévy aux côtés d'Alain Delon et Arielle Dombasle ("Le Jour et la Nuit", sorti le 12 février 1997). Alain Delon avait été très ému de côtoyer Lauren Becall, tant elle lui inspirait du respect. Les deux acteurs se sont tout de suite apprivoisés, selon les termes du supposé réalisateur et supposé philosophe.

    Heureusement, ce n'était pas sur ce super-navet que Lauren Bacall a bâti sa notoriété. Celle-ci, elle le craignait, a commencé parce qu'elle était l'épouse de son mari, Humphrey Bogart, et elle craignait de n'être que "la femme de". La mort brutale et rapide de Bogart a changé la tournure de sa carrière, préférant Broadway à Hollywood. Femme libre et indépendante, et néanmoins sensuelle et presque cliché.


    Ses grands films n'ont finalement pas été si nombreux que cela. Je n'oserai pas chercher l'exhaustivité, mais on peut citer : "Le Port de l'Angoisse" de Howard Hawks (sorti le 20 janvier 1945), avec des relations tellement fluides entre elle et Bogart, couple au cinéma et à la ville (entre 1945 et 1957), d'après un roman d'Ernest Hemingway ; "Le grand sommeil" de Howard Hawks (sorti le 31 août 1946), avec Bogart  ; "Key Largo" de John Huston (sorti le 31 juillet 1948), toujours avec Bogart, aussi avec Claire Trevor ; "La Femme aux chimères" de Michael Curtiz (sorti le 9 février 1950), avec Kirk Douglas et Doris Day ; "Écrit sur du vent" de Douglas Sirk (sorti le 6 octobre 1956), avec Rock Hudson, Robert Stack et Dorothy Malone ; "La Femme modèle" de Vincente Minnelli (sorti le 16 mai 1957), avec Gregory Peck et Dolores Gray ; "Le crime de l'Orient-Express" de Sidney Lumet (sorti le 22 novembre 1974), avec Albert Finney, Ingrid Bergman, Jacqueline Bisset, Sean Connery, Jean-Pierre Cassel, Martin Balsam, Anthony Perkins, etc. ; "Prêt à porter" de Robert Altman (sorti le 23 décembre 1994), avec Marcello Mastroianni (dont c'est bientôt le centenaire également), Sophia Loren, Kim Basinger, Anouk Aimée, Jean-Pierre Cassel, Julia Roberts, etc., où elle campe une ancienne directrice de magazine de mode ; "Leçons de séduction" de Barbra Streisand (sorti le 15 novembre 1996) qui lui valut une nomination aux Oscars et le Golden Globe de la meilleure actrice dans un second rôle.
     

     
     


    J'ai gardé pour la fin celui qui m'a paru peut-être le meilleur, d'un humour un peu cynique, avec "Comment épouser un millionnaire ?" de Jean Negulesco (sorti le 4 novembre 1953), où une "bande" de trois femmes amies (Lauren Bacall, Marilyn Monroe et Betty Grable) échafaude des stratagèmes pour trouver un futur mari très riche (mais où richesse et amour ne sont pas au rendez-vous en même temps). Lauren Bacall joue la femme plutôt sérieuse et rationnelle, c'est-à-dire calculatrice (mais elle tombe amoureuse d'un supposé pompiste, ce qui n'entre pas dans ses objectifs initiaux !), tandis que les deux autres sont plutôt fleurs bleues.

    La chaîne franco-allemande Arte propose la diffusion d'un documentaire sur Lauren Bacall ce lundi 16 septembre 2024 à partir de 22 heures 50, "Lauren Bacall, ombre et lumière" par Pierre-Henry Salfati (2017), qu'on peut aussi voir en fin d'article.



    Aussi sur le blog.


    Sylvain Rakotoarison (14 septembre 2024)
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    Pour aller plus loin :
    Lauren Bacall.
    Maurice Jarre.
    Vera Miles.
    Alain Delon.
    Pierre Richard.
    Marianne Faithfull.
    Pierre Perret.
    Anouk Aimée.
    Marceline Loridan-Ivens.
    Édouard Baer.
    Françoise Hardy.
    Charles Aznavour.
    Alain Souchon.
    Patrick Bruel.
    Frédéric Mitterrand.
    Fanny Ardant.
    Alain Bashung.
    Alain Chamfort.
    Sophia Aram.
    Plastic Bertrand.
    Micheline Presle.
    Sarah Bernhardt.
    Jacques Tati.
    Sandrine Bonnaire.
    Shailene Woodley.
    Gérard Jugnot.
    Marlène Jobert.
    Alfred Hitchcock.
    Brigitte Bardot.
    Charlie Chaplin.







    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240916-lauren-bacall.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/lauren-bacall-la-femme-fatale-256644

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/09/15/article-sr-20240916-lauren-bacall.html



     

  • Alain Delon soutenait Raymond Barre

    « Et j'en arrive à Raymond Barre : c'est pour moi l'homme le plus proche du Général De Gaulle, c'est un homme hors des partis, c'est un homme qui veut un État impartial au service du peuple et au service de la France, c'est un homme exceptionnel comme l'était le Général De Gaulle. » (Alain Delon, le 30 octobre 1988 sur TF1).



     

     
     


    L'enterrement a lieu ce samedi 24 août 2024 dans la chapelle de sa propriété à Douchy, et dans l'intimité familiale, comme on dit. Toute cette semaine, beaucoup de monde a parlé de l'acteur français Alain Delon, et notamment dans les réseaux sociaux, où les gens se lâchent, on a vu qu'une certaine gauche, la plus sectaire, était capable de continuer à détester un homme même mort. Simplement parce qu'il ne cachait pas ses convictions de droite. Et probablement aussi parce qu'il était très riche, mais d'une richesse qu'il a acquise par son travail et par son talent.

    On en profite d'ailleurs pour dire n'importe quoi, par exemple, qu'il soutenait électoralement Jean-Marie Le Pen et le Front national, que c'était un abominable extrémiste de droite. Alors, il faut rétablir un peu les choses.

    Alain Delon était un gaulliste et parce qu'il était un gaulliste, il avait soutenu très activement la candidature de Raymond Barre à l'élection présidentielle du printemps 1988. En particulier, il a assisté, parmi le public invité, à plusieurs émissions politiques de "L'Heure de Vérité" (animées sur Antenne 2 par François-Henri de Virieu) dont l'invité était Raymond Barre, en particulier le 7 janvier 1987 (à côté de Jean-Pierre Soisson et de Catherine Pironi), et aussi après l'élection présidentielle, le 7 novembre 1988 (il était à côté de l'épouse de l'homme politique, Eva Barre et de Gilberte Beaux). De plus, il était présent au grand meeting de campagne de Raymond Barre le 19 avril 1988 à Lyon (quelques jours avant le premier tour). Enfin, on l'a retrouvé naturellement aux obsèques de l'ancien Premier Ministre le 29 août 2007 à la chapelle de l'hôpital du Val-de-Grâce, à Paris, où il est mort, au milieu d'une classe politique assez secouée.

    En quelque sorte, le barrisme d'Alain Delon était incontestable et il n'a pas fait simplement qu'ajouter passivement une signature à une liste de comité de soutien, mais il était présent aux grands moments de la campagne présidentielle du futur maire de Lyon. En tant que barriste, je m'en réjouissais, même si je n'avais pas toujours les mêmes idées qu'Alain Delon, en particulier sur la peine de mort (voir plus loin). Et ça tombait bien, Alain Delon n'était pas un homme politique, donc, ses convictions ont eu peu d'influence sur le cours des événements (la construction de la loi). Comme lui, mon barrisme était du gaullisme moderne. Mais aucune personnalité n'est sacrée et toutes ont eu leur faille.

    Quant à Jean-Marie Le Pen, effectivement, Alain Delon le connaissait très bien, c'étaient même deux amis très proches depuis la fin des années 1960, Alain Delon le connaissait avant qu'il ne devînt président du FN et si pour l'acteur, l'amitié n'était pas un vain mot, il faisait la différence entre amitié et politique et il n'a pas soutenu politiquement Jean-Marie Le Pen, contrairement à ce qu'on voudrait nous faire croire.

    Dans le cadre de son hommage dominical, la chaîne LCI a eu la bonne idée de retransmettre le dimanche 18 août 2024 à 15 heures des extraits d'une émission politique importante du dimanche soir dont Alain Delon était l'invité, le fameux "7 sur 7" animé sur TF1 par la journaliste vedette Anne Sinclair. Elle était datée de "septembre 1988" mais renseignements pris, elle aurait été enregistrée et diffusée plutôt le 30 octobre 1988, donc non seulement après l'élection présidentielle mais aussi avant le référendum du 6 novembre 1988 sur les Accords de Matignon sur la Nouvelle-Calédonie : Alain Delon avait été invité à Matignon par le Premier Ministre Michel Rocard parce qu'il était de droite, avec un autre acteur, Michel Piccoli, qui lui était notoirement de gauche, pour qu'ils fissent campagne ensemble pour le "oui" de manière consensuelle. Alain Delon a répondu à cette demande en donnant les arguments pour le "oui", oui à la paix en Nouvelle-Calédonie et s'était un peu fâché, d'ailleurs, avec quelques leaders de droite qui, refusant d'aider politiquement François Mitterrand, avaient prôné une lâche abstention.

     

     
     


    Dès le début de l'émission, alors qu'Anne Sinclair parlait pour introduire longuement son émission et son illustre (et rare) invité, on pouvait voir Alain Delon, silencieux, l'écouter attentivement, le regard parfois dans le vide mais montrant surtout un charisme, une présence, même dans le silence ! On imaginait alors facilement, comme avec Yves Montand ou Vincent Lindon dans un autre registre, qu'Alain Delon aurait pu avoir une carrière politique, un peu à l'instar de la classe politique américaine, les acteurs professionnels étant les meilleurs pour convaincre les électeurs puisqu'ils jouent leur rôle bien mieux que des acteurs amateurs, à savoir des candidats technocrates qui lisent des discours que des collaborateurs leur auraient rédigés.

    Et puis très vite, Alain Delon expliquait qu'il ne pouvait pas être homme politique car il avait une très grande sensibilité. On pouvait aussi se dire : tout le monde a sa sensibilité. Mais quand Anne Sinclair lui a fait parler d'un fait-divers récent à l'époque, et atroce, le viol de petites filles, Alain Delon a montré qu'il valait mieux qu'il restât comédien et qu'il ne se risquât pas à aller sur le terrain de l'action politique.

     

     
     


    J'ai écrit que je n'avais les mêmes idées que lui sur la justice, en voici un exemple énorme, Alain Delon reconnaissant qu'il était entier et "un peu" excessif : « Moi, je suis pour la peine de mort, je l'ai toujours été, donc je le dis comme je le pense. Et en ce qui concerne les viols d'enfant, je suis carrément pour un tribunal d'exception et une justice expéditive. (…) Ces monstres-là, pour moi, n'ont pas le droit de vivre. (…) Ces êtres-là ne sont pas des êtres humains, ni des animaux. Pour moi, ce sont des monstres. (…) Si ces gens-là savaient que dans les quinze jours, une fois les aveux passés, les preuves faites, dans les quinze jours, ils allaient avoir le châtiment suprême, sentence exécutoire sur le champ, je vous promets qu'ils réfléchiraient, s'ils sont encore capables de réfléchir. Mais s'ils ne sont pas capables de réfléchir, vous savez, on va vous dire, ils n'ont pas demandé à naître, ils n'ont pas demandé à venir sur Terre. Le chardon non plus, entre la pelouse, il n'a pas demandé à venir sur Terre. Le charbon, chez moi, je l'arrache, et je le retire. C'est un phénomène de société, ces gens-là n'ont pas le droit de faire partie de notre société. Je suis peut-être un peu excessif, c'est mon sentiment, je ne le demande pas de le partager. Je n'excuse pas. ».

    Cela n'a pas empêché Alain Delon de voter Raymond Barre et pas Jean-Marie Le Pen. Un peu plus tard dans l'émission, il a tenté d'expliquer son barrisme par son gaullisme. Il a déclaré qu'à 21 ans, il avait manifesté pour demander le retour du Général De Gaulle. Pour lui qui était enfant sous l'Occupation, De Gaulle était un héros, le libérateur de la France (on fête les 80 ans de la Libération de Paris ce dimanche 25 août 2024).
     

     
     


    Et, sur le ton d'un vendeur de dentifrice, ou de maison individuelle, Alain Delon a expliqué rapidement (car l'émission se terminait) : « Vous savez, j'aime les hommes, les vrais hommes, sans que ce soit équivoque. Alors, les vrais hommes à commencer par le Général De Gaulle (…). Pourquoi le Général De Gaulle ? Simplement, et par le Général De Gaulle, vous comprendrez mieux Raymond Barre, parce qu'ils ont les mêmes vues sur ce que j'appelle la France, la même idée de la France. (…) Et j'en arrive à Raymond Barre : c'est pour moi l'homme le plus proche du Général De Gaulle, c'est un homme hors des partis, c'est un homme qui veut un État impartial au service du peuple et au service de la France, c'est un homme exceptionnel comme l'était le Général De Gaulle, on ne le comprend pas aujourd'hui, on le comprendra demain. Voilà pourquoi j'ai soutenu Raymond Barre, voilà pourquoi je continuerai à le soutenir. C'est un homme qui n'a aucun intérêt personnel, qui ne voit que les intérêts de la France et des Français, pour qui une seule chose compte, l'intérêt supérieur de la France, et il l'a dit lui-même quand on lui a reproché d'avoir été reçu par le Président Mitterrand ou d'avoir été reçu par le gouvernement en place aujourd'hui. Je ne vois pas le mal d'être reçu par un gouvernement légitime et par un Président légitime. Ce n'est pas un gouvernement d'occupation. Ça, c'est Raymond Barre, il n'y a pas de gauche, il n'y a pas de droite, il y a les intérêts de la France. ».

    En l'écoutant, on écoutait ainsi une déclaration d'amour pour Raymond Barre. Un barrisme de tripes et pas d'intellectuel qu'il n'a jamais été. Le barrisme d'un ancien combattant, pour qui l'amour de la France est intrinsèque à son enfance. Alors, bien sûr, avec le recul, on pourra toujours sourire dans sa barbe, penser que l'amour de la France pouvait aussi s'accommoder d'une belle optimisation fiscale à la suisse (il est mort en France selon ses vœux), on pourra aussi s'interroger sur le Raymond Barre qui n'a pas d'intérêt personnel et que l'intérêt national chevillé au corps, depuis qu'on a soupçonné l'ancien meilleur économiste de France d'avoir caché de l'argent au fisc (comme il est mort, il n'y a pas de procès et surtout, on ne connaît pas vraiment ce qui est vrai et ce qui est supposé). Il reste que Raymond Barre était aimé de ceux qui aimaient la France en dehors de tout esprit partisan, et c'était cela l'essentiel pour la politique.

    Ce n'était sans doute pas une bonne chose, pour les leaders du RPR, qu'Alain Delon fût dans leur camp car il se permettait beaucoup plus de liberté de ton que s'il n'en était pas. Ainsi, pour la campagne du référendum sur la Nouvelle-Calédonie, il a beaucoup blâmé Nicolas Sarkozy qui défendait l'abstention, mais, dans l'émission d'Anne Sinclair, un autre a été encore plus victime de sa sévère franchise. Il s'agit du futur Premier Ministre, à l'époque simple secrétaire général du RPR (ancien Ministre du Budget) Alain Juppé qui, dans l'émission "Questions à domicile" (sur TF1), a, selon l'acteur, exprimé des idées beaucoup trop compliquées qui ne s'adresseraient qu'au microcosme, ou alors, sur le référendum, qui a pris les Français pour des "débiles".

    Le mot est bien d'Alain Delon : « J'ai été frappé par ce qu'Alain Juppé, en tant que secrétaire général du plus grand parti d'opposition, (…) j'ai trouvé qu'il avait un langage (…), il s'est adressé à des débiles, il s'est adressé aux Français comme s'ils étaient des débiles. Les Français ont souvent des réactions d'imbéciles, moi le premier, mais c'est tout sauf des débiles, et je n'ai pas compris, si vous voulez, qu'un homme aussi éminent d'un parti aussi important s'adresse à des Français pour un sujet aussi important (…), on ne peut pas s'adresser pour une chose aussi importante à des Français en leur parlant comme à des débiles ! ».

     

     
     


    Cela ne l'a pas empêché, vingt-huit ans plus tard, de soutenir Alain Juppé en 2016 lors de la primaire LR pour trouver un candidat LR à l'élection présidentielle qui succéderait au déplorable François Hollande. Eh oui, Alain Delon a soutenu Alain Juppé, le candidat de "l'identité heureuse" tant chahuté par les militants du FN/RN jusqu'à se faire appeler Ali Juppé. Alors, les votes d'Alain Delon n'ont pas grand-chose à voir avec le supposé extrémiste de droite que certains, à gauche, sans doute aigris sinon jaloux, ont tant fustigé, même après sa mort, ou plutôt, surtout après sa mort.

    Samedi, c'est Mgr Jean-Michel Di Falco (82 ans) qui célèbre la messe d'enterrement d'Alain Delon, il avait déjà enterré la très chère Mireille Darc il y a sept ans, le 1er septembre 2017, et Alain Delon, au contraire de l'égoïsme qu'on lui a souvent collé à la peau, a été très généreux en faisant discrètement des dons pour la recherche sur les maladies cardiaques. De toute façon, quelqu'un (de riche), qui a acquis des tableaux de Pierre Soulages, de Nicolas de Staël, de Hans Hartung et de Zao Wou-Ki, ne peut pas être tout à fait mauvais...



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (20 août 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Alain Delon soutenait Raymond Barre.
    Le charisme d'Alain Delon : The Girl on a Motorcycle.
    Le grand Alain Delon
    Affaire Alain Delon : ce que cela nous dit de la fin de vie.
    Comment va Alain Delon ?

     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240820-alain-delon.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/alain-delon-soutenait-raymond-256386

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/08/18/article-sr-20240820-alain-delon.html