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Malheur aux Barbus !

« En France, il y avait deux personnages célèbres, le Maréchal Pétain et moi. La Nation ayant choisi le premier, je n’ai plus rien à faire ici. » (novembre 1941).




 

 
 


Celui qui a prononcé ces mots est un authentique résistant pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais ce n'est pas De Gaulle. Il était près de trois ans plus jeune. Il s'agit de Pierre Dac, déjà célèbre humoriste, qui, ayant écouté l'appel du 18 juin 1940, a mis trois ans pour rejoindre le cœur de la Résistance à Londres, parce qu'il a été arrêté et incarcéré plusieurs fois dans son trajet.

Pierre Dac était d'une génération sacrifiée : né le 15 août 1893 (à Châlons-sur-Marne parce que ses parents avaient fui l'Alsace en 1871, la ville est devenue "Chalom-sur Marne" !), il avait 21 ans au début de la Première Guerre mondiale où il a vaillamment combattu (il a même perdu son grand frère Marcel). En juin 1940, il avait déjà 46 ans, mais cela n'a pas gêné pour repartir au combat dans la Résistance. Un combat comique sur les ondes.

Pierre Dac est mort il y a cinquante ans, le 9 février 1975, d'un cancer du poumon (il était un gros fumeur). La Poste a profité de l'occasion pour célébrer le personnage en éditant un timbre qui lui est consacré (voir plus loin). Le Musée d'art et d'histoire du Judaïsme (MAHJ) lui avait également consacré une exposition il y a deux ans, du 20 avril au 27 août 2023 (71 rue du Temple à Paris), en proposant 250 documents d'archives rassemblés par Anne-Hélène Hoog et Jacques Pessis (son légataire universel) pour comprendre la vie et l'œuvre de Pierre Dac.

Pierre Dac (c'était un pseudonyme voulant dire chansonnier d'actualités ; il est né André Isaac) est devenu humoriste à la fin des années 1920 et début des années 1930, dans des cabarets puis dans des théâtres. À partir de 1935, il faisait déjà des étincelles à la radio avec une forte audience. Et le 13 mai 1938, il a fondé son célèbre journal, "L'Os à Moelle, organe officiel des loufoques" très réputé pour ses petites annonces loufoques (rédigées généralement par son compère Francis Blanche), journal où sévissaient notamment les dessinateurs de presse Jean Effel et Moisan, puis, en 1965, des petits génies de l'humour comme Jean Yanne et René Goscinny. Dans ses années fastes, le périodique tirait jusqu'à 400 000 exemplaires !

Ce n'était donc pas une surprise qu'une fois arrivé (enfin) à Londres, le 12 octobre 1943, Pierre Dac ait été affecté à Radio Londres pour la célèbre émission de la BBC "Les Français parlent aux Français" (à laquelle participaient aussi Pierre Lazareff, Maurice Schumann et De Gaulle). En fait, un ami l'avait encouragé dès décembre 1940 à proposer ses services à l'émission, et l'humoriste n'a pas attendu la réponse de la BBC pour s'y rendre.


 

 
 


Sa première émission a été diffusée en direct le 30 octobre 1943. Il a tenu quatre-vingts émissions jusqu'au 14 août 1944. Entre-temps, il a rencontré pour la première fois De Gaulle venu faire un discours à la BBC le 6 juin 1944, jour du Débarquement de Normandie, et De Gaulle l'a chaleureusement remercié par écrit un peu plus tard, le 1er septembre 1944, pour son action de soutien à la Résistance.

Parmi ses émissions, l'une a été rendue célèbre parce qu'elle répondait à une émission du sous-ministre de Vichy Philippe Henriot le 10 mai 1944 à Radio Paris, qui s'en était pris au "Juif" Pierre Dac, qui avait fui la France sans se soucier du sort des Français selon lui. Le 11 mai 1944, la réponse de Pierre Dac, sous le titre de "Bagatelle un tombeau" (reprenant le titre bien connu d'un pamphlet de Céline), a été cinglante : « Nous savons que vous êtes surchargé de travail et que vous ne pouvez pas vous occuper de tout. Mais, tout de même, je suis persuadé que les Français seraient intéressés au plus haut point, si, à vos moments perdus, vous preniez la peine de traiter les problèmes suivants dont nous vous donnons la nomenclature, histoire de faciliter votre tâche et de vous rafraîchir la mémoire : le problème de la déportation ; le problème des prisonniers ; le traitement des prisonniers et des déportés ; le statut actuel de l’Alsace-Lorraine et l’incorporation des Alsaciens-Lorrains dans l’armée allemande ; les réquisitions allemandes et la participation des autorités d’occupation dans l’organisation du marché noir ; le fonctionnement de la Gestapo en territoire français et en particulier les méthodes d’interrogatoire ; les déclarations du Führer dans "Mein Kampf" concernant l’anéantissement de la France. ».

Le patriotisme, c'est une histoire de tripes : « Eh bien ! Monsieur Henriot, sans vouloir engager de vaine polémique, je vais vous le dire ce que cela signifie, pour moi, la France. Laissez-moi vous rappeler, en passant, que mes parents, mes grands-parents, mes arrière-grands-parents et d’autres avant eux sont originaires du pays d’Alsace, dont vous avez peut-être, par hasard, entendu parler ; et en particulier de la charmante petite ville de Niederbronn, près de Saverne, dans le Bas-Rhin. C’est un beau pays, l’Alsace, monsieur Henriot, où depuis toujours on sait ce que cela signifie, la France, et aussi ce que cela signifie, l’Allemagne. Des campagnes napoléoniennes en passant par celles de Crimée, d’Algérie, de 1870-1871, de 14-18 jusqu’à ce jour, on a dans ma famille, Monsieur Henriot, lourdement payé l’impôt de la souffrance, des larmes et du sang. Voilà, monsieur Henriot, ce que cela signifie pour moi, la France. Alors, vous, pourquoi ne pas nous dire ce que cela signifie, pour vous, l’Allemagne ? ». Pierre Dac avait ainsi répondu par avance à la question qu'a posée François Bayrou le 7 février 2025 sur RMC : que veut dire être Français ?

Le saltimbanque radiophonique n'a pas omis de parler de son frère : « Un dernier détail : puisque vous avez si complaisamment cité les prénoms de mon père et de ma mère, laissez-moi vous signaler que vous en avez oublié un celui de mon frère. Je vais vous dire où vous pourrez le trouver ; si, d’aventure, vos pas vous conduisent du côté du cimetière Montparnasse, entrez par la porte de la rue Froidevaux ; tournez à gauche dans l’allée et, à la 6e rangée, arrêtez-vous devant la 8e ou la 10e tombe. C’est là que reposent les restes de ce qui fut un beau, brave et joyeux garçon, fauché par les obus allemands, le 8 octobre 1915, aux attaques de Champagne. C’était mon frère. Sur la simple pierre, sous ses nom, prénoms et le numéro de son régiment, on lit cette simple inscription : "Mort pour la France, à l’âge de 28 ans". Voilà, monsieur Henriot, ce que cela signifie pour moi, la France. Sur votre tombe, si toutefois vous en avez une, il y aura aussi une inscription: elle sera ainsi libellée : Philippe Henriot. Mort pour Hitler. Fusillé par les Français… ». Paroles prémonitoires puisque Philippe Henriot, criminel et collaborateur, a été exécuté (fusillé) par la Résistance quelques semaines plus tard, le 28 juin 1944.






Avec son faux air de Hitchcock voire de Picasso, Pierre Dac était un joueur avec les mots et les idées, avec les concepts et les paradigmes. Il avait l'esprit d'escalier et la parole loufoque. Et en plus, il a montré le chemin aux humoristes d'aujourd'hui, les vrais peu nombreux car la plupart d'aujourd'hui sont des ricaneurs. Au-delà de ses drôleries, il exprimait une véritable pensée, une éthique personnelle et philosophique réelle, qui l'avait amené à fustiger les Accords de Munich et à s'opposer dès 1933 à Hitler et à son funeste dessein.

 

 
 


Inventeur du schmilblick (« qui ne sert absolument à rien et peu donc servir à tout »), repris avec succès par Coluche, Pierre Dac a laissé à la postérité de nombreuses phrases et expressions comiques, et sa définition du sionisme, en ces temps très troublés, était intéressante : « Peuple échangerait beaucoup d'histoire contre un peu de géographie. ». Peut-être pourrait-on interchanger avec les habitants de Gaza ? Et sa version protestante : « Quand le Calvin est tiré, il faut le croire. ». Il a fait les premiers sketchs à la radio et surtout à la télévision (après la guerre) et expliquait sa recette : « Ma forme d’humour est de faire de la démonstration par l’absurde. Faire les choses graves, très sérieusement, sans pour autant se prendre au sérieux. ».

Son sketch du Sâr Ranbindranath Duval, qu'il a joué à partir de janvier 1957 avec son ami Francis Blanche, est encore connu près de soixante-dix années plus tard, tellement il était hilarant avec ses jeux de mots et ses quiproquos. La version filmée (première vidéo) provient d'un enregistrement de 1960 à Lyon après un repas bien arrosé qui a obligé les deux humoristes à improviser faute d'avoir mémorisé le texte d'origine. L'autre version (seconde vidéo) est un enregistrement seulement sonore mais plus complet.









Pierre Dac a été aussi le premier humoriste à vouloir être candidat à l'élection présidentielle, le 11 février 1965 (il s'est présenté sous l'étiquette du grand MOU, mouvement ondulatoire unifié). Une fois élu, il comptait nommer Jacques Martin Premier Ministre, et ses amis Jean Yanne et René Goscinny au gouvernement. Après d'amicales pressions gaullistes en septembre 1965, il a rapidement quitté le champ du politique malgré sa popularité croissante pour ne pas faire d'ombre au Général, avec un prétexte bidon : « Je viens de constater que Jean-Louis Tixier-Vignancour briguait lui aussi, mais au nom de l'extrême droite, la magistrature suprême. Il y a donc désormais, dans cette bataille, plus loufoque que moi. Je n'ai aucune chance et je préfère renoncer. ».

 

 
 


Au fait, pourquoi le titre ? Il ne s'agit pas de faire la chasse aux islamistes ! "Malheur aux barbus" est le nom d'une série radiophonique de deux cent treize épisodes diffusés chaque jour du 15 octobre 1951 au 19 juin 1952 (l'histoire : les barbus de la Terre sont tous mystérieusement enlevés par un psychopathe). Pendant un quart de siècle, Pierre Dac a produit de très nombreux épisodes de feuilletons radiophoniques dont la série la plus connue est "Signé Furax".

Voici pour terminer quelques échantillons de ses pensées et aphorismes...

1. Humour hors de prix : « Quand on dit d’un artiste comique de grand talent qu’il n’a pas de prix, ce n’est pas une raison pour ne pas le payer sous le fallacieux prétexte qu’il est impayable. ».

2. Humour noir : « L’âme des Justes qui ont péri dans les fours crématoires est immortelle. La preuve, dans le ciel, j’ai vu briller des étoiles jaunes. ».

3. Optimisme : « Si la matière grise était plus rose, le monde aurait moins les idées noires. ».

4. Creux : « La télévision est faite pour ceux qui, n'ayant rien à dire, tiennent absolument à le faire savoir. ».

5. Amour exigeant : « Ce n'est pas parce que l'homme a soif d'amour qu'il doit se jeter sur la première gourde venue. ».

6. Courtoise séparation : « Vends papier glacé pour lettres de rupture. ».

7. Trumpisme québécois : « Échangerais tente canadienne bon état contre oncle d'Amérique, même usagé. ».

8. Lexicographie : « Maison de correction recherche fautes d'orthographe. ».
9. Face à l'Himalaya : « Qu'importe le flocon pourvu qu'on ait l'Everest ! ».
 

 
 


10. Levers tôt : « Si la fortune vient en dormant, rien ne prouve que les emmerdements ne viennent pas au réveil. ».

11. De toute fraîcheur : « Le plat du jour, c'est bien, à condition de savoir à quel jour remonte sa préparation. ».

12. Musicologie à Matignon : « Professeur bègue donne répétitions. ».

13. Indiscrétions : « Si les points de suspension pouvaient parler, ils pourraient en dire des choses et des choses ! ».

Et je termine avec cet appel désespéré datant de 1939 :

« Recherchons mort ou vif,
Le dénommé Adolf,
Taille 1,47 m,
Cheveux bruns avec mèche sur le font.
Signe particulier :
Tend toujours la main comme pour voir s'il pleut.
Signe spécial, le seul le rapprochant d'un être humain :
Moustache à la Charlot.
Énorme récompense. ».

Rideau !


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http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/02/07/article-sr-20250209-pierre-dac.html



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