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journaliste

  • Bernard Pivot, l'incarnation de la culture populaire

    « Si vous saviez le bonheur que j'ai eu pendant des années et des années (…) à lire des livres, à parler avec les auteurs. Donc, la plus élémentaire gratitude, c'est de transmettre ce plaisir. » (Bernard Pivot).

     

     
     


    C'est un véritable tsunami de réactions d'émotion qui a accompagné la triste annonce de la mort du journaliste Bernard Pivot ce lundi 6 mai 2024 à l'âge de 89 ans (qu'il venait de fêter la veille) après une saleté de maladie. Animateur vedette de la deuxième chaîne de télévision, il avait animé deux émissions littéraires très courues le vendredi soir à 21 heures 40, "Apostrophes" du 10 janvier 1975 au 22 juin 1990, puis "Bouillon de culture" du 12 janvier 1991 au 29 juin 2001. "Apostrophes" : « Eh bien, c'est un échange d'idées parfois vif ! » (23 février 1975).

    Avec Bernard Pivot, on célèbre aussi soi-même, sa jeunesse, son adolescence, sa vie dans les années 1970-1980-1990. Bref, son miroir. Au lendemain de l'annonce de la suppression définitive du célèbre jeu télévisé "Des chiffres et des lettre" commencé le 19 septembre 1965 (et maintenu sous perfusion le week-end depuis un an et demi), la disparition d'un véritable monument de la littérature pour Français (et pas seulement littérature française) est un choc humain mais aussi un choc de nostalgie. Beaucoup attendaient cette émission "Apostrophes" qui était une véritable prescriptrice des libraires et des éditeurs. Sa musique de générique était devenue très connue, le concerto pour piano en fa dièse mineur, op. 1, de Rachmaninov, interprétée (avis aux russophiles) par le pianiste Byron Janis enregistré en juin 1962 à Moscou accompagné de l'Orchestre philharmonique de Moscou sous la direction de Kirill Kondrachine.

    Incontestablement, Bernard Pivot avait un pouvoir fou sur les auteurs et les éditeurs, mais il n'en abusait pas pour faire fortune alors que sa notoriété lui aurait ouvert de nombreux boulevards (pour garder son indépendance intellectuelle, il a même refusé à plusieurs reprises des décorations comme la Légion d'honneur et les Arts et les Lettres ; en revanche, il a accepté le Mérite agricole). Il n'abusait pas de sa position privilégiée. Au contraire, il était un lecteur et un présentateur incorruptible, ne choisissant ses invités que par ses envies, ses découvertes, son intérêt. Il ne voulait pas briller en public, mais au contraire, il s'effaçait et faisait briller ses invités.

    Ainsi, de nombreux auteurs inconnus se sont fait connaître avec cette émission, qui valait bien un prix littéraire dans les ventes en librairie. On pouvait apprécier à la fois sa spontanéité, son ton direct, et même certaines surprises sur le plateau, car les émissions étaient diffusées en direct. Sa convivialité et son côté jovial (bon vivant, adorateur de bons vins et de football) rendaient la littérature attrayante. Loin des cours naphtaline d'un enseignement suranné.

    Cette télévision authentique est si loin de toutes ces émissions aseptisées d'aujourd'hui. À l'époque, l'animateur était un passeur de livres et pas une vedette, il invitait des inconnus pour les aider au lieu d'inviter des auteurs célèbres pour faire de l'audience (voir témoignage plus loin). Ses découvertes étaient diversifiées, pluralistes, très éclectiques... et très érudites aussi. On pouvait suivre le 28 mai 1982 un combat de "coqs" entre Jean d'Ormesson et Roger Peyrefitte (encore que...), ou assister le 27 mai 1977 à la naissance des "nouveaux philosophes" en direct sur le plateau en présence de Maurice Clavel, Bernard-Henri Lévy et André Glucksmann (le père de Raphaël), ou encore le 22 septembre 1978 à l'évacuation en "douceur" de Charles Bukowski quasiment ivre mort.

    D'ailleurs, loin d'être consensuel parmi l'élite culturelle et intellectuelle, il était au contraire ouvertement critiqué pour être justement cet homme si puissant qui influençait tant les envies littéraires du pays par « l'arbitraire d'un seul homme » selon Régis Debray. J'imagine en revanche que du côté du peuple, peu le fustigeait et beaucoup de gens le remerciaient de leur avoir fait découvrir tel auteur ou tel livre. Plus ennuyeux et plus récemment, on a aussi critiqué à juste titre Bernard Pivot d'avoir invité un peu légèrement Gabriel Matzneff faire l'éloge de ses tendances aujourd'hui dénoncées, en particulier dans l'émission du 2 mars 1990 sur son livre "Mes amours décomposés" (pour lequel, seule des invités sur le plateau, Denise Bombardier s'était indignée dans le désert).

    Chacun peut avoir quelques souvenirs épiques de ces émissions. Je me souviens en particulier des émissions spéciales, tournées en extérieur, hors plateau, avec un seul invité, prestigieux en général, comme Alexandre Soljenitsyne, Umberto Eco, Marguerite Duras, Julien Green, Vladimir Nabokov, John Le Carré, Milan Kundera, Françoise Dolto, Marguerite Yourcenar, Georges Simenon, ou encore Lech Walesa, etc. mais si je devais retenir une émission, ce serait l'émission spéciale avec Georges Dumézil, peu porté à la promotion publicitaire de ses travaux de recherche, qui m'a fait découvrir des pans entiers de la culture mondiale ; l'émission était diffusée le 18 juillet 1986, quelques mois avant la disparition de ce très grand chercheur en linguistique.

    L'homme de télévision pouvait aussi se réjouir de la reconnaissance de la profession avec au compteur sept Sept d'or, en particulier du meilleur animateur de télévision, du meilleur producteur de télévision, du meilleur animateur de débats, avec des émissions reconnues comme les meilleurs magazines culturels ou artistiques. En outre, Bernard Pivot a animé de nombreuses émissions pour sa fameuse dictée très suivie par les téléspectateurs ("Les Dicos d'or" de 1985 à 2005).


    Membre du jury du Prix Interallié en 2002, élu le 5 octobre 2004 membre de l'Académie Goncourt (qu'il a présidée de janvier 2014 à décembre 2019), il était par ailleurs rédacteur en chef du magazine Lire, et l'auteur d'une vingtaine d'ouvrages dont un, en 2013, où, malgré son âge et son expérience d'un ancien temps, il faisait l'éloge de Twitter et de ce mode d'expression qui nécessite une excellent esprit de concision, le sens de la répartie et faisait marcher les neurones, ce qui est très bon avec le grand âge. En 2018, je l'ai vu aux côtés de sa fille Cécile pour un livre commun de témoignage sur leur expérience respective de la lecture.
     

     
     


    Le grand âge, Bernard Pivot y avait beaucoup réfléchi. Le 17 janvier 2021, il confiait ainsi sur Arte (alors que la pandémie de covid-19 faisait encore rage) : « La lutte contre la mort, mais surtout la lutte contre la maladie qui entraînera la mort est un réflexe naturel chez l'Homme. Il y a des gens qui, au bout d'un moment, à force de lutter contre le mal, contre la maladie, contre la douleur, renoncent. On peut les comprendre. Mais je pense que l'honneur de l'Homme, c'est de lutter le plus possible pour garder un corps sain, un esprit sain pour surmonter la maladie. Mon anxiété est plus grande, non pas quand je pense à la mort, mais quand je pense à la débâcle finale du corps et de l'esprit. Ce qui me fait peur à la fin, c'est cette débâcle, c'est-à-dire cette mort avant la mort. Lire est toujours un moyen de s'évader. Donc s'évader des chagrins du moment, s'évader des peurs du moment. La lecture d'écrivains amusants comme Molière, comme Jules Renard, comme Proust aussi... Si vous avez une bibliothèque, prenez des livres un peu drôles. Il n'y a pas de chagrin, il n'y a pas de peur qu'une scène de Molière n'interrompe. ».

    Parmi tous les témoignages actuels ou anciens sur le personnage qui vient de disparaître, sans doute celui du journaliste et écrivain Éric Neuhoff, le 13 juin 2023, me paraît le plus pertinent, invité pour la première fois à "Apostrophes" à l'âge de 25 ans (le 28 mai 1982) : « L'émission était tellement importante à l'époque que quand j'ai dit à mes amis que j'allais publier un livre, ils ne m'ont pas du tout demandé de quoi ça parlait, mais ils m'ont dit : alors, tu vas passer chez Pivot ? Et je ne me rendais pas compte de l'importance que ça avait. (…) Bernard Pivot qui était là en maître d'œuvre, qui était très impressionnant parce que c'était en direct. On ne le voyait pas avant l'émission, et je me souviens que sur le plateau, il était comme ça avec ses fiches, la tête baissée, il y avait la publicité, puis à la fin, le petit jingle d'Antenne 2 à l'époque, il relevait la tête, et c'était parti, et là, il y en avait pour une heure et demie. Ce qui était frappant, c'est qu'il savait très bien doser les interventions, faire taire ceux qui étaient trop bavards, donner la parole à ceux qui étaient timides. À l'époque, ce qui était bien aussi, c'est que ce n'était pas, comme souvent aujourd'hui : "Quelle chance vous avez de me rencontrer". L'animateur passait les plats, et était modeste. Et c'est lui qui était content de voir ces gens qui avaient écrit des livres. (…) Les éditeurs ne savaient pas quoi faire pour qu'un de leurs auteurs soit pris. C'était quelqu'un qui lisait tous les livres, qui restait chez lui toute la semaine allongé sur son canapé à lire les bouquins, qui n'en a pas profité pour signer des contrats mirobolants avec tous les éditeurs qui lui auraient déroulé un tapis rouge, qui n'était pas producteur de l'émission... Et c'est surtout sa curiosité, sa modestie, parce qu'on sentait qu'il était heureux de pouvoir parler d'un livre qu'il avait aimé avec son auteur. Et cette joie était transmissible. (…) Ce n'était pas une vedette du tout, et c'est ça, sans doute, qui plaisait au public, qui s'identifiait à lui. Et c'est sans doute pour ça qu'il a lancé un tas d'écrivains. C'était quelqu'un qui invitait des inconnus et qui en faisait des gens un petit peu célèbres à cause de leurs livres. Maintenant, aujourd'hui, on fait venir les best-sellers pour que l'émission soit regardée. C'est le contraire qui se passe. (…) Maintenant, ce n'est pas sorcier d'inviter Amélie Nothomb ou Marc Levy pour que les gens regardent l'émission. » ("Le Figaro").


    Lors de la dernière émission "Apostrophes" le 22 juin 1990, Jean Dutourd disait à l'animateur avec son humour habituel : « Je crois qu'il n'y a qu'un seul mot, le plus beau mot de la langue française pour un écrivain français, du moins depuis quinze ans, c'est le mot Pivot ! …Écoutez, je ne peux vraiment pas être accusé de vous lécher les pieds puisque vous vous en allez. Je peux au contraire le dire maintenant ! ». Aujourd'hui, Bernard Pivot vient rejoindre cet académicien, et aussi Jean d'Ormesson qui était un bon client de l'émission.

    Et depuis une vingtaine d'années, beaucoup ont tenté de nouvelles émissions littéraires mais personne n'a su égaler l'inimitable Bernard Pivot, de l'érudition, de la découvertes, de l'authenticité, mais aussi des débats vifs et ...même des événements. Pensée à sa famille et merci à lui de tous ces moments de grande curiosité intellectuelle.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (06 mai 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Les mots en ont toujours un pour rire.
    Bernard Pivot.
    Christine Ockrent.
    Vive la crise !
    Yves Montand.
    Jean Lacouture.
    Marc Ferro.
    Dominique Baudis.
    Frédéric Mitterrand.
    Jean-Jacques Servan-Schreiber.
    Christine Angot.
    Jean-François Revel.
    Philippe Alexandre.
    Alain Duhamel.

     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240506-bernard-pivot.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/bernard-pivot-l-incarnation-de-la-254539

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/05/06/article-sr-20240506-bernard-pivot.html



     

  • La reine Christine Ockrent, la poire et les cacahuètes

    « Quand on était petit, Christine Ockrent présentait le journal de 20 heures sur Antenne 2, c'était entre 1981 à 1985. Il n’y avait que trois chaînes. La deuxième chaîne réunissait alors 20 millions de Français par jour. On l’appelait "la reine Christine". Elle est la première femme titulaire et rédactrice en chef du 20 heures. À force de dîner avec elle, elle est devenue un membre à part entière de nos familles. » (Sonia Devillers, le 12 mai 2023 sur France Inter).


     

     
     


    La journaliste Christine Ockrent fête son 80e anniversaire ce mercredi 24 avril 2024. Présentatrice du journal télévisé de 20 heures au début des années 1980, elle était, avec Patrick Poivre d'Arvor, la star des journaux télévisés de l'époque. Elle était aussi, avec Anne Sinclair, l'une des deux reines de l'information à la télévision, chacune opérant avec un grand professionnalisme mais aussi une certaine dose de séduction.

    Elle est d'abord belge, née dans la capitale non seulement de la Belgique mais aussi de l'Europe. Son père Roger Ockrent a été le chef de cabinet de Paul-Henri Spaak, Premier Ministre belge et considéré comme l'un des Pères de l'Europe. Comme Catherine Nay (avec Albin Chalandon), Anne Sinclair (avec Dominique Strauss-Kahn), Béatrice Schönberg (avec Jean-Louis Borloo) et bien plus tard, Audrey Pulvar (avec Arnaud Montebourg) et Léa Salamé (avec Raphaël Glucksmann, candidat tête de liste du PS aux élections européennes de 2019 et de 2024), elle partage, depuis une quarantaine d'années, sa vie avec un homme politique (et futur, ancien, ministre), Bernard Kouchner, le médecin distributeur de grains de riz des années 1990. Elle a étudié à l'IEP Paris (diplômée en 1965) et à l'Université de Cambridge, et a commencé en 1967 sa carrière de journaliste aux États-Unis.

    Sa notoriété est arrivée avec la décision de Pierre Desgraupes, président d'Antenne 2, en octobre 1981, de la mettre à la présentation du journal télévisée de 20 heures. Christine Ockrent a été rapidement sacrée reine des médias par les téléspectateurs qui n'avaient pas beaucoup l'habitude de voir une femme à cette fonction très intime, puisque, comme le rappelle sur France Inter la productrice Sonia Devillers, les officiants du journal télévisé s'invitaient aux dîners quotidiens des Français (enfin, pour ceux qui dînaient en regardant la télévision ; ce qui n'était pas le cas de mes grands-parents qui dînaient avant de regarder la télévision !). Elle y est restée jusqu'en juin 1985, en alternance avec PPDA (puis de septembre 1988 à décembre 1989 après un passage à RTL et TF1). En particulier, elle a participé à l'émission "Vive la crise !" présentée par Yves Montand et diffusée le 22 février 1984 pour se prêter au jeu d'un faux journal crédible. À cette époque, elle était parmi les plus médiatiques, recevant deux Sept d'or en 1985 (7 d'or du meilleur présentateur de journal télévisé, en l'occurrence présentatrice !, et Super 7 d'or).

    En 1992, elle est retournée à la présentation du journal télévisé sur France 3 pour "Soir 3" entre septembre 1992 et septembre 1994, mais surtout, entre novembre 1992 et février 2008, avec des noms d'émission différents ("À la une sur la 3", "Dimanche soir", "Politique dimanche", "France Europe Express", "Duel sur la 3"), elle a animé le dimanche soir un duel entre deux éditorialistes, Serge July ("Libération") et Philippe Alexandre (RTL). Le trio a été rendu célèbre par "Les Guignols de l'Info" sur Canal Plus avec leurs marionnettes qui n'oubliaient pas "la poire et les cahuètes de chez M'ame Crissine". L'émission était parfois, selon la formule, coanimée par Gilles Leclerc.

     

     
     


    Christine Ockrent a été également directrice de la rédaction de l'hebdomadaire "L'Express" d'octobre 1994 à mars 1996 (une greffe avec la presse écrite qui ne s'est pas bien faite), et sa boulimie des années 1990 et 2000 la conduisait à proposer des éditoriaux réguliers aussi pour Canal J, "Info-Matin", Europe 1 (participant à la grande émission politique hebdomadaire de la station "Le Club de la Presse"), BFM, "La Provence", "Metro", TV5, France 24, etc.

    Si Christine Ockrent est partie de France 3 le 17 février 2008, c'était tout simplement parce qu'elle venait de recevoir son bâton de maréchale : elle a été nommée le 20 février 2008 par le Président de la République Nicolas Sarkozy directrice générale déléguée de l'Audiovisuel extérieur de la France (AEF), que venait juste d'être créé, rebaptisé le 27 juin 2013 France Médias Monde (nommée sur proposition de son président Alain de Pouzilhac), et à ce titre, directrice générale déléguée des deux entités, la télévision France 24 et la radio RFI (Radio France Internationale), la voix de la France à l'étranger.

    Son aventure à ce poste de numéro deux n'a pas duré très longtemps, jusqu'en septembre 2011. Elle a été particulièrement contestée dans sa gestion par le management des deux chaînes avec des épreuves de force inédites dans l'audiovisuel (refus d'assister aux réunions, etc.), avec une affaire d'espionnage des ordinateurs du personnel, etc. Par ailleurs, les relations étaient très tendues entre Christine Ockrent et Alain de Pouzilhac. Sa nomination elle-même a prêté le flanc à la critique car l'AEF dépendait de la tutelle du Ministère des Affaires étrangères ; or le ministre depuis mai 2007 n'était autre que Bernard Kouchner, son compagnon (les syndicats de journalistes ont vivement souligné le risque de conflit d'intérêt). À partir de janvier 2010, la tutelle a été attribuée au Ministère de la Culture. Christine Ockrent a jeté l'éponge en mai 2011 en donnant sa démission et en déposant plainte pour harcèlement moral (en novembre 2010, Bernard Kouchner a quitté le Quai d'Orsay dont c'était aussi le bâton de maréchal).

    À partir de février 2013, Christine Ockrent a repris l'antenne, cette fois-ci sur France Culture pour une chronique hebdomadaire le samedi sur des thèmes internationaux. Son expertise journalistique est la géopolitique et c'est ce thème qui revient très souvent parmi les vingt et un essais dont elle est l'auteure, en particulier sur la politique intérieure américaine (elle avait annoncé la victoire d'Hillary Clinton en 2016), les oligarques russes, le régime théocratique iranien, le régime saoudien, le régime communiste chinois, etc.

    Petits échantillons. Sur l'Arabie Saoudite, malgré le prince séducteur Mohammed Ben Salmane : « En l’absence de chiffres officiels, Amnesty International estime que quelque cinq cents exécutions ont été pratiquées depuis l’avènement du roi Salman. Une cinquantaine de personnes ont été exécutées lors des premiers mois de 2018, dont la moitié pour des affaires de drogue sans violence, dénonce de son côté Human Rights Watch. Dans le cas d’individus ayant commis des crimes ou des vols particulièrement scandaleux, une fois la tête recousue, leur cadavre est parfois crucifié et exposé en public. Le vol entraîne l'amputation de la main droite et quelquefois des pieds. Sont punis de mort le blasphème, l’homosexualité, la trahison et le meurtre. L’adultère expose la femme mariée à la mort par lapidation ; cent coups de fouet châtient son partenaire. » (2018). Sur Vladimir Poutine : « La dissolution de l’Union Soviétique a été "la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle". Il lui revient donc de restaurer la Russie dans sa gloire, d’effacer ses humiliations, de redorer son Église orthodoxe, d’embrasser les icônes et de brûler les encens, de lui rendre son statut de puissance globale, d’exalter sa victoire contre le fascisme, de célébrer les symboles de sa force ancienne, quitte à ressusciter ceux du communisme. » (2014). Sur les services secrets : « Quand on a, par métier, regardé le dessous de table et l'envers des cartes pendant longtemps, il ne reste plus que trois attitudes : ou préparer une liste de gens "à flinguer", ce qui est fastidieux et illégal, ou se flinguer soi-même, ce qui est inconfortable, ou faire l'appel à une vertu cardinale, le sens de l'humour, ce qui permet de sourire pour le restant de vos jours. » (1986). Le secret de Xi Jinping pour durer : « Xi Jinping interdit d'ordinaire toute mise en cause publique du passé, "le nihilisme historique" et la transparence seraient responsables, selon lui, de l'écroulement de l'Union Soviétique dont il ne cesse de ressasser l'exemple. » (2023). Sur Hillary Clinton : « Quel a été son rôle : celui de l'épouse bornée et trompée ou celui de la complice hypocrite ? Est-elle jusqu'au bout une femme cocue ou une partenaire cynique ? Entre les deux hypothèses, l'Amérique ne cessera d'osciller. Les bien-pensants opinent : qu'elle préserve les apparences, l'institution et sa famille ! Les féministes trépignent : qu'elle le quitte ! Qu'à l'image de sa génération, elle préserve la dignité de la femme bafouée et libérée ! Dans ses Mémoires, Hillary se contentera de cet argument, qui ne va pas loin dans la confidence mais qui correspond sans doute à sa conviction profonde : "Je voulais lui tordre le cou, mais il n'était pas simplement mon mari : il était le Président des États-Unis". » (2016).

    En 2023, elle est sortie de sa zone de confort en participant à une pièce de théâtre de l'auteur, metteur en scène et comédien libanais Wajdi Mouawad qui avait dû fuir son pays, le Liban, en 1982 (il était alors adolescent) et qui n'avait plus de nouvelles de son pays que par Christine Ockrent dans le journal télévisé. Sonia Devillers expliquait ainsi : « [Wajdi Mouawad] reste hanté par la guerre, il ne vit qu'à travers la hantise de la guerre à une époque où il n'y avait ni téléphone portable, ni réseaux sociaux, ni chaîne d'information continue. La seule source d'information pour cette famille étant alors le 20 heures de Christine Ockrent à travers laquelle il fait revivre sa propre histoire. Wajdi Mouawad lui fait dire quelques mots sur sa propre mère, des phrases très belles qui font réfléchir à une forme de déshumanisation quand on raconte la vie des victimes de la guerre en général, en plus de raconter comment on médiatise à l'époque une guerre, telle que celle du Liban. ».


    Pour son attention portée aux affaires européennes (en particulier avec l'émission "France Europe Express" de 1997 à 2007), Christine Ockrent a fait partie des cinq journalistes (avec notamment Jean Quatremer, Quentin Dickinson et Guillaume Klossa) à avoir fait partie du comité d'honneur du 50e anniversaire du Traité de Rome en 2007.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (21 avril 2024)
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    Pour aller plus loin :
    Christine Ockrent.
    Vive la crise !
    Yves Montand.
    Jean Lacouture.
    Marc Ferro.
    Dominique Baudis.
    Frédéric Mitterrand.
    Jean-Jacques Servan-Schreiber.
    Christine Angot.
    Jean-François Revel.
    Philippe Alexandre.
    Alain Duhamel.

     

     
     



    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240424-christine-ockrent.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/medias/article/la-reine-christine-ockrent-la-254212

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  • Dominique Baudis, dix ans plus tard

    « Il y a toujours eu chez lui un mélange de discrétion et de timidité, d'autorité et de charisme. (…). Dominique avait une éthique très forte, la volonté de séparer le fait du commentaire, à l'anglo-saxonne. » (Patrice Duhamel, le 13 avril 2014 dans le JDD).


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    J'ai une petite pensée pour Dominique Baudis qui s'est éteint il y a dix ans, le 10 avril 2014 d'une très cruelle maladie. J'allais écrire, les bottes aux pieds, ou plutôt, le costume de Défenseur des droits, premier titulaire de la fonction constitutionnalisée. Il a pu appliquer concrètement son humanisme et son empathie pendant près de trois ans auprès des citoyens en conflit, parfois kafkaïen (comme cette homonyme d'une personne décédée qui a perdu ses allocations, sa retraite, tous ses droits sociaux), avec l'administration. Il manque des personnalités de cette envergure aujourd'hui dans la classe politique, même si on a changé d'époque.

    Journaliste passionné par la vie politique (il a commenté les séances des questions au gouvernement à l'Assemblée Nationale le mercredi après-midi sur FR3 au début des années 1980), homme engagé très jeune dans la démocratie chrétienne (par tradition familiale), il a fait la campagne de Jean Lecanuet en 1965 (et s'est fait élire conseiller municipal de Boulogne-Billancourt en 1971 sur la liste du maire Georges Gorse), Dominique Baudis est devenu en trois ans un homme politique national incontournable de l'opposition au gouvernement socialo-communiste, devenant de 1983 à 1986 : maire de Toulouse (élu en mars 1983 à la succession de son père Pierre Baudis qui a fait deux mandats), député européen (élu en juin 1984), conseiller général de Haute-Garonne (élu en mars 1985), député de Haute-Garonne (élu en mars 1986) et président du conseil régional de Midi-Pyrénées (élu en mars 1986, à une époque où on n'avait pas encore commencé à limiter les mandats).

    Il a fait beaucoup d'allers et retours entre les médias et la politique, avec aussi un intérêt pour l'Orient. Journaliste, il a été correspondant de TF1 pendant plusieurs années au Liban, très attentif au sort des chrétiens d'Orient, ce qui a pu expliquer le choix de Jacques Chirac de le nommer à la présidence de l'Institut du monde arabe entre 2007 et 2011.

    Journaliste très charismatique, il remplaçait Yves Mourousi et Roger Gicquel aux journaux télévisés de TF1 entre 1977 et 1980, puis, il a assuré la présentation du Soir 3 sur FR3 entre 1980 à 1982. Un de ses collègues, Patrice Duhamel, se rappelait, pour le JDD ("Journal du dimanche"), le 13 avril 2014 : « L'époque était joyeuse, nous étions une bande de jeunes journalistes célibataires, Patrick de Carolis, Bruno Masure, Dominique et moi-même… Sa flamme s'est imposée à la rédaction. ». Dominique Baudis a quitté l'audiovisuel public pour se présenter à la mairie de Toulouse et faire de la politique à 100%. Il a toutefois succédé à Alain Peyrefitte à la présidence du comité éditorial du journal "Le Figaro" en mai 2000 (jusqu'en 2001). Son bâton de maréchal de journaliste, il l'a reçu de Jacques Chirac avec sa nomination à la présidence du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (CSA, futur Arcom), entre 2001 et 2007. À cette tâche, il a introduit la TNT (télévision numérique terrestre) et a lutté (sans beaucoup de succès) contre la pornographie.

    Bien sûr, c'est l'homme politique qui a le plus marqué les Français. Mais Dominique Baudis, très soucieux de sa liberté, a refusé toutes les offres de ministre qu'on lui proposait. Il a marqué surtout par son action pour Toulouse et celle en faveur de l'Europe, mais il a souvent flirté avec les sommets de la scène nationale. Patrice Duhamel : « Il aurait pu faire une grande carrière politique, il avait l'étoffe d'un Premier Ministre ! Mais il a refusé trois ou quatre fois d'entrer dans un gouvernement pour se consacrer à son mandat de maire de Toulouse. ».

    En fait, on pourrait même aller plus loin : Dominique Baudis avait l'étoffe d'un Président de la République. Au-delà de convictions très fortes, il avait un charisme qu'il avait gagné par son métier de journaliste mais aussi par son tempérament, un sourire irrésistible et pourtant, il mettait aussi de la distance dans les relations personnelles. Il faisait partie de ces gens qui ont une autorité naturelle et qui peuvent impressionner naturellement.

    Malgré sa grande prudence qui l'amenait plutôt à préférer les discours consensuels aux propos tranchés, il a pris la tête de la "fronde" des jeunes députés (et jeunes maires) de l'opposition UDF-RPR après l'échec présidentiel de mai 1988 et après les municipales de mars 1989 pour renouveler la classe politique dans l'optique des européennes de juin 1989 : c'étaient les Rénovateurs. Lui qui était un habitué des journaux télévisés, comme présentateur, il a marqué aussi l'histoire politique comme invité, à deux journaux télévisé, dont l'un en avril 1989, où il demandait à Valéry Giscard d'Estaing, "les yeux dans les yeux", de quitter la présidence de l'UDF qu'il venait de reprendre en 1988 (l'autre JT en 2003, voir plus loin).

    Il y a eu des rendez-vous politiques manqués, comme l'abandon, au dernier moment, de l'idée de conquérir la présidence du CDS au congrès d'Angoulême en octobre 1991, trop démocrate-chrétien pour "tuer le père" Pierre Méhaignerie (finalement, la guerre de succession a eu lieu en décembre 1994 entre Bernard Bosson et François Bayrou). Au cours de ce second septennat de François Mitterrand, Dominique Baudis avait montré quelques ambitions, il a ainsi rivalisé avec Philippe Séguin (un ancien rénovateur, lui aussi) en mars 1993, lui disputant le perchoir (il l'a manqué de quelques voix).

    Son combat national, Dominique Baudis l'a quand même obtenu. Soutenu par VGE et Alain Juppé et préféré à Jean-François Deniau, il fut désigné par l'UDF et le RPR tête de liste aux élections européennes de juin 1994, de nouveau réunis dans cette campagne. Rassemblant plus du quart des électeurs, sa liste était la première, et de loin puis qu'il avait près du double de la deuxième liste, celle menée par Michel Rocard, premier secrétaire du PS, ancien Premier Ministre, pour qui ce fut l'enterrement de ses ambitions présidentielles. Il retourna au combat électoral des européennes (pour la troisième fois) en juin 2009 (avec un scrutin cette fois-ci régional).

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    Ses réalisations les plus marquantes restent Toulouse, avec trois mandats (1983 à 2001). À la mort du maire emblématique, France 3 avait fait un rapide bilan : d'abord, l'implantation du métro à Toulouse, mais aussi la transformation des abattoirs en musée d'art contemporain, la construction de la Cité de l'Espace pour faire de la Ville rose la ville du spatial français par excellence, la construction de la médiathèque Marengo et d'un des plus grands Zénith de France. Mais l'essentiel n'était pas seulement dans le "quoi", aussi dans le "comment". Dominique Baudis voulait gérer comme un bon père de famille, c'est-à-dire en respectant l'argent des contribuables. Ainsi, il a refusé d'endetter sa ville à une époque où beaucoup d'édiles municipaux, départementaux et régionaux dépensaient à tort et à travers avec des hôtels du département, etc. parfois mégalomaniaques.

    Il aurait sans doute été réélu s'il avait sollicité un quatrième mandat municipal, mais il souhaitait changer radicalement (en présidant le CSA et en quittant la vie politique active). Il retourna à la vie politique dans une dernière excursion entre 2009 et 2011 (comme député européen).

    Entre-temps, il y a eu l'affaire Alègre qui l'a traumatisé au printemps 2003 : deux prostituées l'ont accusé des pires crimes, les plus abominables : proxénétisme, viol, acte de barbarie, pédophilie voire meurtre. "La Dépêche du midi" (dirigée par un rival régional, Jean-Michel Baylet), "Le Monde" (avec un journaliste d'investigation à moustaches devenu fondateur et star d'un site Internet très couru), et les médias en général ont été abominables avec la rumeur en le chargeant sans vérification, si ce n'est le témoignage assez léger des deux prostituées. Dominique Baudis s'est invité au journal télévisé de 20 heures sur TF1 le 18 mai 2003 pour évoquer l'affaire et démentir toutes les accusations, mais cela a eu l'effet inverse, celui de nourrir la rumeur et même son émotion devenait un signe de culpabilité. La justice l'a blanchi définitivement plusieurs années plus tard, mais cette histoire est restée une blessure très vive. Il a imaginé qu'on l'avait accusé parce qu'il avait combattu la pornographie à la télévision, ce qui dérangeait ce genre de milieu glauque. C'était aussi un moyen de connaître ses véritables amis... Sa veuve s'est exprimée en 2016 à ce sujet en y voyant une guerre entre deux familles (Baylet, centre gauche, et Baudis, centre droit) avec la fin des arrangements qui existaient entre la mairie de Toulouse et "La Dépêche du midi" quand Dominique Baudis est devenu maire avec l'idée de mieux gérer les deniers publics.

    La dernière mission de Dominique Baudis fut à sa hauteur : Nicolas Sarkozy l'a nommé en juin 2011 Défenseur des droits, un nouveau poste prévu par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 et la loi organique du 29 mars 2011. Cette fonction reprenait celle du Médiateur de la République avec beaucoup plus de champs d'action, de responsabilités et surtout de moyens. Il était alors le digne héritier de, notamment, Antoine Pinay, Robert Fabre, Jacques Pelletier et aussi Bernard Stasi, des hommes modérés au contact avec la réalité humaine qui ont joué le rôle de David contre le Goliath de l'administration française. Ses successeurs furent Jacques Toubon en 2014 puis Claire Hédon en 2020, l'actuelle Défenseure des droits.

    Le très bon score des européennes de 1994 aurait pu intégrer Dominique Baudis dans le cercle très restreint des présidentiables français. Il ne voulait sans doute pas s'y astreindre. Dans un livre biographique publié en 2001, Stéphane Baumont précisait : « Pourquoi l’une des figures les plus symboliques de la République de la Province comme de la démocratie d’opinion n’a-t-elle pas plus encore marqué notre histoire contemporaine ? Autant de questions qui reflètent le mystère et l’énigme Baudis : un homme faisant de la politique autrement, charismatique mais atypique, rigoureux mais sensible, homme d’action autant que de réflexion, acteur contemporain autant qu’écrivain. Dominique Baudis, un cas unique dans le paysage politique français… au-delà des partis, loin des idéologies, une forme de conquête du bonheur, un destin inachevé. ». Écrivain, en effet, car, au cours de son existence, il a publié dix livres (principalement historiques).

    Un Prix Dominique Baudis Science Po a été créé au début des années 2020 pour récompenser chaque année « trois courtes productions vidéo non-professionnelles produites à l’aide d’outils du quotidien (téléphone portable, ordinateur personnel, logiciels grand public, etc.) et visant à mettre en valeur un engagement dans les domaines cités ci-dessus (engagement public, défense des droits, rapprochement des peuples, information publique) » avec ces trois critères en particulier : « lien avec les engagements de Dominique Baudis ; caractère impactant de l’engagement mis en valeur (fond) ; angle original dans la présentation et clarté du narratif (forme) ».


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (06 avril 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Hommage d'État (16 avril 2014).
    Homme d’État (10 avril 2014).
    Premier Défenseur des Droits (4 juin 2011).
    Ex-jeune loup de la politique française (15 juin 2011).
    La rumeur dans le milieu politique.
    Les Rénovateurs (1).
    Les Rénovateurs (2).
    La famille centriste.
    Dominique Baudis.
    Valérie Hayer.
    François Bayrou.
    Henri Grouès.
    Jean-Jacques Servan-Schreiber.
    Jean-Marie Rausch.
    René Monory.
    René Pleven.
    Simone Veil.
    Bruno Millienne.
    Jean-Louis Bourlanges.
    Jean Faure.
    Joseph Fontanet.
    Marc Sangnier.
    Bernard Stasi.
    Jean-Louis Borloo.
    Sylvie Goulard.
    André Rossinot.
    Laurent Hénart.
    Hervé Morin.
    Olivier Stirn.
    Marielle de Sarnez.

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    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240410-baudis.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/dominique-baudis-dix-ans-plus-tard-253963

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/10/article-sr-20240410-baudis.html