« Une fois de plus, je reste la fiancée du danger, mais le mariage n'a pas été loin ! » (Marie Marvingt, le 3 janvier 1914 dans "Le Figaro").
Si j'étais ministre des armées et qu'on me demandait quel nom je donnerais à notre prochain porte-avion qui sera opérationnel en 2040, quel nom choisirais-je ? Je me dirais : le nom d'une femme. Et me viendrait à l'esprit Marie Marvingt. Certes, l'idée n'est pas de moi et a été envisagée sérieusement en mai 2023 par des députés (pas du tout de mon bord). Marie Marvingt est née il y a 150 ans, le 20 février 1875 à Aurillac. Elle est de la même génération de Léon Blum (né trois ans avant elle) et est sept ans plus jeune que Marie Curie, pour se donner des repères.
Il est très difficile de présenter Marie Marvingt car elle a été une femme multiple dans une époque où la place de la femme était encore souvent au foyer à élever les enfants dans l'esprit des hommes. La fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle furent cependant propices aux femmes audacieuses qui sont devenues, par la suite, les premières femmes à faire ci ou ça. Marie Marvingt était en ce sens une multi-aventurière, courageuse, engagée, sportive et intelligente.
Appelée souvent la fiancée du danger parce qu'elle flirtait d'un peu trop près du précipice du destin, elle est aussi considérée comme la Française la plus décorée de l'histoire, avec trente-quatre médailles et titres sportifs. Dire qu'elle était un garçon manqué est peut-être vrai : son père, ayant perdu ses trois fistons (il lui restait un dernier fils mais de santé fragile), a pris sa fille comme si c'était un garçon avec un solide programme sportif : à l'âge de 5 ans, elle nageait tous les jours 4 kilomètres !
Née en Auvergne, la famille s'est installée à Metz puis, à la mort de sa mère quand elle avait 9 ans, la famille s'est installée à Nancy et resta fidèle à cette belle agglomération (que je connais bien pour y être né et y avoir longtemps vécu). À l'âge de 15 ans, elle a parcouru 400 kilomètres en canoë entre Nancy et Coblence. La jeune Marie Marvingt a multiplié les sports : gymnastique, natation, acrobaties, ski, cyclisme, alpinisme, escalade, bobsleigh, luge, athlétisme, équitation, escrime, tir sportif, etc. Elle a gagné de nombreux championnats, coupes, et diverses distinctions. Elle a été la première femme en 1903 à gravir la Dent du Géant, à 4 014 mètres, dans le massif du Mont-Blanc.
En novembre 1910, pour la récompenser d'une telle assiduité aux sports, elle a été la première personne à recevoir la grande médaille d'or de l'Académie des sports dans la catégorie "toutes disciplines". Et la seule encore à ce jour !
Marie Marvingt aimait particulièrement faire du cyclisme : elle a parcouru des milliers de kilomètres pour aller à Bordeaux, Toulouse, Milan, etc., depuis Nancy. Et bien évidemment, elle a voulu participer au Tour de France. Les femmes n'avaient pas le droit de porter un pantalon. Alors, elle a inventé la jupe-culotte (certains disent que la jupe-culotte existait déjà, c'est possible mais elle ne le savait sans doute pas). Bien que interdite de concourir au Tour de France de 1908, elle a suivi les concurrents tout le long du parcours, et a franchi la ligne d'arrivée comme les 36 cyclistes rescapés sur les 144 participants de la ligne de départ.
Parallèlement aux sports, la jeune femme a été une étudiante chevronnée, avec des études de lettres, de droit et de médecine, ainsi que sept langues dans ses bagages, le français, l'allemand, l'anglais, l'italien, le russe, le néerlandais... et l'espéranto. Elle a été aussi la première femme d'Europe à obtenir ce qui allait devenir le permis de conduire (c'était encore un certificat).
Mais tout cela était un peu mou pour elle. Sa vraie passion était l'aviation ! N'ayant pas peur du ciel, elle était à la fois aventurière et pionnière : en 1901, Marie Marvingt a eu son brevet de pilote de ballon libre et en 1909, elle a été la première femme à avoir travers la Manche en ballon libre. Il faut se rappeler que l'aéronautique était très prisée pour les loisirs, Céline l'a excellemment bien raconté dans "Mort à crédit".
Il fallait bien sûr en faire plus : en 1910, elle a obtenu son brevet de pilote d'avion (la troisième femme au monde). Elle a multiplié les exploits. Là encore, les pilotes de l'époque (c'était le cas aussi pendant la guerre) étaient des têtes brûlées solitaires. Malgré ses centaines d'heures de vol (900), elle n'a eu qu'un seul accident en 1913 où elle a failli y rester. Sa combativité lui a permis d'être sauvée, car son visage était écrasée dans la boue et elle a eu la force de faire un trou pour respirer en attendant les secours.
Et la Première Guerre mondiale est survenue : Marie Marvingt s'est engagée pour combattre. Pour cela, elle s'est fait passer pour un homme. Découverte plusieurs mois plus tard, elle a été gardée pour être infirmière auprès des chasseurs alpins et également journaliste de guerre. Elle a quand même piloté un bombardier grâce à un concours de circonstances (le pilote était indisponible), mais n'a pas pu incorporer l'armée de l'air.
La puissance créatrice était là : de 1910 à 1934, elle a imaginé un avion sanitaire, qu'elle a appelé l'avion-ambulance, pour permettre de secourir les blessés sur place et les transférer à l'hôpital au plus vite par les airs. En 1913, le Ministre de la Guerre y a trouvé un grand intérêt. Laissé à l'abandon à cause de la guerre, elle a repris son projet en 1918 et a fait des milliers de conférences dans le monde pour exposer les avantages de l'avion-ambulance (elle a fait aussi deux films documentaires sur le sujet). En outre, elle a formé elle-même des infirmières-pilotes.
Un peu plus âgée (elle avait alors 65 ans), la courageuse Marie Marvingt a participé également à la Seconde Guerre mondiale, comme infirmière de la Croix-Rouge, et elle a inventé un point de suture pour refermer rapidement une plaie sur le terrain et éviter l'infection. Elle s'est aussi préoccupée des aviateurs mutilés pendant la guerre en les accueillant dans un centre en Dordogne.
Tous les exploits qu'elle a faits (elle a battu dix-sept records comme pilote) n'ont pas été vraiment reconnus car elle était une femme, si bien qu'elle a fini sa vie très pauvre, avec un maigre retraite (de correspondante de guerre), et devait continuer à travailler pour gagner sa vie ; elle exerçait son métier d'infirmière à Laxou, dans la banlieue de Nancy. Non seulement elle était peu reconnue, mais après la guerre, elle était tombée dans l'oubli alors qu'elle était encore vivante. Pour être célébré, faudrait-il périr brutalement, comme Roland Garros ou Maryse Bastié ?
Certes, on a donné à Marie Marvingt les insignes d'officière de la Légion d'honneur en décembre 1949, la médaille de la ville de Nancy en 1950, et le grand prix Deutch de la Meurthe de la Fédération nationale d'aéronautique en mars 1954 pour son avion-ambulance, mais elle travaillait dans l'anonymat et ceux qui vivaient à ses côtés, patients et collègues, ne se doutaient pas de l'exceptionnelle héroïne qu'elle était.
Heureusement, il y en avait certains qui se souvenaient malgré tout. Ainsi le gouvernement américain lui a proposé, pour son 80e anniversaire, le 20 février 1955, de voler à bord du chasseur supersonique MacDonnell F-101 Voodoo, au décollage de la base aérienne de Toul. On lui a permis également d'obtenir son brevet de pilote d'hélicoptère à l'âge de 84 ans, ce qui lui a permis de piloter le premier hélicoptère à réaction du monde en 1960.
Dame Marvingt n'a jamais arrêté de faire du sport. Ainsi, en 1961, elle avait alors 86 ans, elle a relié Nancy à Paris à vélo. Ce vélo, appelé Zéphirine, est désormais exposé au conseil départemental de Meurthe-et-Moselle à Nancy.
L'aviatrice est morte le 14 décembre 1963, deux mois avant ses 89 ans, et elle est enterrée au cimetière de Préville à Nancy, tout près de Laxou. Une de ses contemporaines a vécu encore plus de trente-trois ans ! Plusieurs établissements scolaires ou sportifs portent désormais son nom en Lorraine et dans le Massif central, des noms de rue, et même une piscine à Paris. Que sa mémoire puisse se perpétuer pour montrer que l'audace d'une femme peut déplacer des montagnes : « Savoir vouloir, c'est pouvoir. », disait-elle !
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