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  • Yvon Gattaz, vite et bien !

    « Familier des métaphores, infatigable inventeur de mots et de sigles, qu’il appelait lui-même "gattazismes, gattazeries et gattazinades", ce premier créateur d’entreprise à être entré à l’Académie des sciences morales et politiques surnommait la mort "EDF", comme "extinction des feux". Jusqu’au bout, celui qui se flattait de s’éloigner de plus en plus d’une retraite qu’il n’avait jamais prise, a déployé une énergie sans limites. » (Michel Noblecourt, le 12 décembre 2024 dans "Le Monde").



     

     
     


    Vite et bien, c'était sa devise d'entrepreneur. L'ancien patron des patrons Yvon Gattaz vient de mourir ce jeudi 12 décembre 2024 à l'âge de 99 ans (il allait avoir 100 ans le 17 juin prochain). Il y a quelques années, j'avais évoqué cette grande figure de l'industrie française.

    Major de l'École centrale, après quelques années comme ingénieur, il a créé en juin 1952 avec son frère Lucien (lui aussi ingénieur) une entreprise qui a eu un grand succès dans l'électronique, Radiall, basée en Isère (à Voreppe). Il en est resté le patron jusqu'en 1993. Membre du Conseil Économique et Social (futur CESE) de 1979 à 1989, Yvon Gattaz est devenu très connu du grand public entre le 15 décembre 1981 et le 16 décembre 1986 alors qu'il présidait le CNPF (Conseil national des patronat français) face à une gauche socialo-communiste arrivée au pouvoir avec l'élection de François Mitterrand.

     

     
     


    Sans brutalité et avec beaucoup de diplomatie, il a ainsi mené de nombreuses batailles politiques sur la flexibilité du temps de travail, contre les 39 heures, la hausse énorme des charges sur les salaires, l'impôt sur la grande fortune, et surtout, sur les nationalisations qui ont mobilisé beaucoup de capitaux. Yvon Gattaz a montré son talent de mobilisation en rassemblant près de 30 000 chefs d'entreprise le 14 décembre 1982 au parc des exposition de Villepinte pour mettre en garde le gouvernement contre les risques pour l'économie française. Ce grand investissement personnel lui a permis de négocier avec le gouvernement et de conclure un accord le 16 avril 1982 pour limiter la casse des investissements.

    Ce fut sous sa présidence du CNPF que l'entreprise, paradoxalement, a été réhabilitée voire célébrée par les Français dans leur esprit (à tel point qu'on appelle cette décennie les années Tapie !). Yvon Gattaz a été aussi membre du conseil d'administration du Centre français du commerce extérieur de 1979 à 1981, du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) de 1979 à 1981, de Moulinex de 1988 à 1993 et de la Fondation Fourmentin-Guilbert pour la recherche en biologie moléculaire à partir de 1989.

     

     
     


    Son fils qui lui a succédé à la tête de Radiall a aussi, dans une sorte de drôle de coïncidence dynastique, succédé à la présidence du Medef de 2013 à 2018, l'organisation qui a pris le relais sur le CNPF. Pierre Gattaz a eu aussi à batailler face à un Président de la République socialiste qui a alourdi les impôts et taxes dès le début de son quinquennat.

    Malgré l'âge qui avançait lentement, Yvon Gattaz n'a jamais pris sa retraite. Il a présidé jusqu'à sa mort l'Association Jeunesse et Entreprise qu'il a créée en 1986, et il a créé bien d'autres organisations (comme Ethic, les entreprises de taille humaine indépendante et de croissance, en 1976).


    Yvon Gattaz a été élu le 29 mai 1989 à l'Académie des sciences morales et politiques, dans la section Économie politique, statistique et finances, et il en fut l'un des membres les plus actifs (il présida même cette académie en 1999).

    Au-delà des honneurs, Yvon Gattaz avait le goût de la transmission, celle de sa passion d'entreprendre, celle de former les jeunes pour créer les entreprises de demain, car l'économie évolue très vite. Ce n'est pas pour rien qu'il avait adopté cette devise pour son entreprise, "vite et bien" au point de bousculer la tiédeur des fauteuils par des formules choc.

    Il disait notamment, à propos de sa devise : « Cette maxime peut sembler simple voire simpliste. En fait, elle est d’une rare difficulté. Il est courant de rencontrer des lents qui n’ont pas compris que la vitesse, c’est la vie moderne et qu’on ne peut la traverser en gastéropode sans souci des autres et de l’environnement. Bien sûr, le conseil "Il faut tuer les lents" est une image brutale et simplement satirique. Il serait plus humain de les parquer dans des cités réservées où tout se ferait lentement… lentement… lentement… Le lent ne sait pas qu’il freine tout le monde : le flot des voitures comme les études des élèves normaux. Au feu rouge de 15 secondes, le lent qui met 5 secondes à démarrer diminue le trafic d’un tiers, avec des conséquences économiques qu’on ne veut pas évaluer. Si le perfectionniste est dangereux, le "trop rapide" risque de bâcler. La vie moderne exige le "bien fait", de même qu’elle veut des réponses rapides, ce qu’on appelle dans l’entreprise de la réactivité. Le compromis incontestable est le "vite et bien" que peu de nos compatriotes savent vraiment réaliser. On a pu dire que cette expression n’était pas une devise mais une asymptote ! ».

    Dans le même registre, Yvon Gattaz considérait que tout le monde n'avait pas le profil d'un entrepreneur. Il faut quelques qualités qui ne sont pas données à tous. D'abord, une volonté et une ténacité de fer, une résistance aux épreuves. Ensuite, des qualités de réception : la compréhension rapide, la faculté d'analyse, la faculté de synthèse et la mémoire. Mais ce n'est pas suffisant, il faut aussi des qualités d'émission : de l'imagination créatrice, de la combativité. Il rappelait qu'il faut mille fois moins d'énergie pour recevoir un signal radio que pour en émettre. Or, on a toujours favorisé les réceptions (les bons diplômés) alors qu'il faudrait favoriser les émissions, les créations. De plus, comme il le dit, il faut de la résistance : « Les épreuves tuent les faibles et endurcissent les forts. ».

     

     
     


    Parmi toutes les réflexions qu'il a émises pendant sa longue retraite, Yvon Gattaz n'hésitait pas à casser le tabou sur les syndicats, facteurs de blocage en France. Dans une tribune publiée le 3 décembre 2003 dans "Le Figaro", il n'y allait pas avec le dos de la cuillère : « Les sondages sont tous concordants : pour défendre leurs intérêts, les salariés font plus confiance à leur patron qu'aux syndicats. (…) On ose enfin attaquer de front la plus grande puissance cachée de la France, le syndicalisme, toujours tabou, encore sanctifié, éternellement intouchable, jouissant de façon incroyable d'une sorte d'immunité psychologique, morale, fiscale et même judiciaire. Ce n'est pas un état dans l'État. C'est une divinité dans l'État. Si on peut moquer, décrier, ridiculiser les parlementaires, les ministres, le chef de l'État, les policiers, les militaires, les enseignants, les patrons, les religieux et le pape lui-même, on ne peut toucher à un cheveu d'un syndicaliste, ce qui, d'ailleurs, ne ferait rire personne. La sanctuarisation est profonde. ».

    Il critiquait ainsi le fonctionnement des syndicats réduits à leur principe de base, leur outil unique et leur méthode d'influence : « Le principe de base des syndicats est cette indestructible IAA, l'Irréversibilité des Avantages Acquis, érigée en dogme définitivement calcifié. Quelles que soient les circonstances politiques, économiques, financières ou humaines, on ne change rien, jamais rien, en contradiction avec tous les pays modernes dont l'adaptabilité est le maître-mot dans un monde en mutation de plus en plus rapide. L'outil des syndicats est unique, et ce n'est pas à proprement parlé un outil pour construire, mais une arme pour détruire : la grève. (…) La méthode d'influence des syndicats est elle aussi d'une extrême simplicité et d'une redoutable efficacité : le TDN, le Taux De Nocivité. Quelle influence pourrait avoir sur les pouvoirs publics un syndicat inoffensif ? Basé sur l'IAA et utilisant la grève dévastatrice, le TDN éclate au grand jour et fait trembler les décideurs. Le noyautage des services publics démontre l'effroyable efficacité de ce TDN. ».


    Je propose ici quatre interventions d'Yvon Gattaz, souvent dans le cadre de conférences à des étudiants. Ses grands-parents étaient directeurs d'école, ses parents enseignants, et lui-même ne s'estimait pas vraiment préparé à créer une entreprise. C'est pourquoi il n'a pas cessé de vouloir expliquer ce que c'est pour donner cette passion aux jeunes qui est déjà la passion de l'effort et du résultat. Il aura été un très grand patron. Condoléances à la famille.



    1. Interview du 17 février 2014 à "La Tribune des Décideurs"







    2. Conférence du 26 février 2015 à l'École de Management Léonard de Vinci






    3. Conférence en novembre 2018 à HEC







    4. Interview du 11 juin 2019 à Saint-Raphaël






    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (12 décembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Comment créer les emplois de demain ?
    Yvon Gattaz.
    Gilberte Beaux.
    Carlos Tavares.
    Carlos Ghosn.
    Bernard Madoff.
    Jacques Séguéla.
    Gustave Eiffel.
    Francis Mer.
     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241212-yvon-gattaz.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/yvon-gattaz-vite-et-bien-258121

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/12/12/article-sr-20241212-yvon-gattaz.html



     

  • Taisez-vous, Elkabbach !

    « Un homme (…), qui voit toute sa vie à demeurer l'exact contemporain de son époque. Jean-Pierre Elkabbach voulait en être. En être de son époque, pleinement. En être des vedettes, des gens qui comptent, des princes du temps. En être, surtout, de l'histoire qui s'écrit et se raconte, se transmet et demeure. » (Emmanuel Macron, le 9 octobre 2023 à Paris).


     

     
     


    Et il s'est tu. À la suite d'un accident et d'une maladie. Le journaliste Jean-Pierre Elkabbach est mort il y a un an, le 3 octobre 2023 à l'âge de 86 ans. Il représente pour beaucoup la compétence du journaliste, mais aussi sa trop grande proximité avec le pouvoir, quel que soit le pouvoir.

    Jean-Pierre Elkabbach était un excellent journaliste dans le genre intervieweur, celui qui accouche les esprits, celui va chercher jusqu'à des personnalités improbables, peu connues du grand public mais qui ont beaucoup de choses intéressantes à raconter, en politique mais aussi en culture, en science, etc., et il était aussi un patron de presse très gourmand, voire un peu trop ! Sa notoriété, elle lui est venue d'avoir présenté le journal télévisé de la première chaîne de 1970 à 1972 puis de la seconde chaîne de 1972 à 1974, ce qui assurait une rapide célébrité, mais, au contraire de Christine Ockrent, Jean-Pierre Pernaut, Patrick Poivre d'Arvor, Yves Mourousi, Claire Chazal et quelques autres, ce n'était pas le cœur de ses passions audiovisuelles.

    Patron de presse : il a été (entre autres) président de France Télévisions de 1993 à 1996, puis président de Public Sénat de 1999 à 2009 et président d'Europe 1 de 2005 à 2008. Intervieweur de talent : (entre autres) avec l'émission "Carte sur table" aux côtés du brillant politologue
    Alain Duhamel sur Antenne 2 de 1977 à 1981 (d'où est née l'expression "Taisez-vous Elkabbach !" que n'aurait pas hurlé directement Georges Marchais, mais simplement son génial imitateur Thierry Le Luron), l'émission "Découvertes" sur Europe 1 de 1981 à 1987 (une émission quotidienne de 18h à 19h, assez longue pour comprendre en profondeur le message de son invité), la matinale d'Europe 1 de 1997 à 2017 ainsi que l'excellente émission culturelle "Bibliothèque Médicis" sur Public Sénat de 1999 à 2018.

    Il a par ailleurs été la "vedette" de trois événements audiovisuels : c'est lui, aux côtés d'Étienne Mougeotte, qui a annoncé à la France entière la victoire de
    François Mitterrand le 10 mai 1981 à 20 heures sur Antenne 2, une séquence de télévision qui a été très fréquemment reprise pour évoquer la victoire socialiste, avec sa disgrâce audiovisuelle, Jean-Pierre Elkabbach ayant été trop associé au septennat de Valéry Giscard d'Estaing ; ce qui ne l'a pas empêché de devenir un confident très particulier du successeur, François Mitterrand qui lui a accordé l'émission sans doute la plus importante de sa carrière, une interview à l'Élysée le 12 septembre 1994 sur France 2 pour évoquer son passé pendant la guerre, ses amitiés troublantes et sa fille Mazarine ; enfin, il a été beaucoup critiqué dans son mode de gestion sur France Télévisions, permettant à des producteurs-animateurs de s'enrichir énormément avec de l'argent public, ce qui l'a conduit à démissionner.

    Tout cela, le Président de la République, dans un
    hommage prononcé le 9 octobre 2023 dans les locaux même France Télévisions à Paris, l'a rappelé. Emmanuel Macron s'est souvenu de cette émission mémorable du 12 septembre 1994 avec son lointain prédécesseur socialiste : « Ainsi, les téléspectateurs virent deux hommes, deux vies françaises, deux rapports au pouvoir et au destin. Un Président frappé par la maladie, défendant son parcours à travers une époque de clair-obscur. Un journaliste se hissant à la hauteur du moment, implacable et subtil, intraitable et concentré. Ce moment dit tout du journaliste qu’était Jean-Pierre Elkabbach. Un journaliste qui voulait porter la plume, le Nagra, la caméra dans les plaies de l'époque. Un homme de presse avec ce que son métier, selon lui, supposait de proximité, de chaleur, de voisinage, avec les grands de France et du monde. Un patron qui avait le génie de fomenter, d'obtenir, d'organiser des coups naturellement, spontanément, instinctivement. ».

    Le chef de l'État a aussi rappelé son professionnalisme : « Jean-Pierre Elkabbach, à force de vouloir écrire l'Histoire, s'y brûla parfois. Sa participation au
    mai 68 de l'ORTF lui valut d'un court bannissement, mais parce qu'il exigeait, selon ses propres mots "du rythme et des idées", qu'il travaillait jour et nuit, obsédé et possédé par son métier, Jean-Pierre Elkabbach revint et reprit sa marche vers les sommets. ».
     

     
     


    Pour montrer sa puissance d'innovation, Emmanuel Macron a cité son émission "Actuel 2" sur Antenne 2 en 1974 : « Le titre était un hommage à Albert Camus. Il était aussi comme sa devise personnelle, demeurer actuel. Dans cette émission profondément novatrice, on put voir alors ce qu’on ne voyait pas ailleurs : Brigitte Bardot interrogée par Nathalie Sarraute sur son manque de solidarité avec la cause des femmes. Jean-Edern Hallier, chroniqueur social des luttes de Lip face à François Mitterrand. René Dumont défendant un mot alors presqu’inconnu, celui d’écologie. Ou Delphine Seyrig racontant le procès de Bobigny. ».

    Et d'ajouter : « Toujours, le journaliste voulait être de son temps. Cela supposait de bousculer, comme de faire émerger les talents, tels Gérard Holtz, Hervé Claude, Claude Sérillon, Nicole Cornu-Langlois, Noël Mamère, Daniel Bilalian, Patrick Poivre d'Arvor, et tant d’autres, d’inventer la rubrique Météo avec Alain Gillot-Pétré. Il fallait être toujours sur la brèche, transgressif et travailleur. ».

    Marqué aussi par l'émission "Découvertes" sur Europe 1 : « Avec
    Philippe Gildas, le directeur d’antenne, avec Béatrice Schönberg, tous les après-midis, Jean-Pierre Elkabbach se remit à faire ce qu’il savait faire de mieux : capturer l’esprit du temps, lire la modernité artistique, sociale, culturelle, sociologique et en déduire des émissions. La sienne s’appelait logiquement "Découvertes" et naviguait de Raymond Aron à Thierry Le Luron, des spectacles parisiens aux reportages en région. ».

    Emmanuel Macron insista sur le talent d'intervieweur dont il fut l'une des victimes : « Ce serait une litote de dire que Jean-Pierre Elkabbach était un intervieweur redoutable, sans doute l'un des plus travailleurs, des plus rusés, le plus théâtral, le plus aguerri. Combien s'y sont fait prendre ? "Celui-là, la prochaine fois qu'il reviendra me voir, il aura appris la messe par cœur" concluait le journaliste après avoir terrassé un impétrant. N’hésitant pas à voler les invités à la concurrence, il cherchait à repérer les visages de demain en même temps que les valeurs du moment. Beaucoup, j’en suis, y accomplirent une sorte de baptême du feu. Les interviews de Jean-Pierre Elkabbach sur Europe 1, puis brièvement sur CNews, entrèrent dans la légende, entrèrent même dans la liturgie de notre République. Il y avait les mardis et les mercredis, les questions au gouvernement et tous les matins, les questions de Jean-Pierre Elkabbach. Ses interviews se jouaient cartes sur table, opéraient toujours de vraies découvertes, ambitionnaient d'être actuelles, comme un résumé de toute sa carrière. ».

     

     
     


    Paradoxalement, l'homme de cultures et de lectures qu'était Jean-Pierre Elkabbach n'a pas laissé beaucoup d'écrits. Il était un homme de l'audiovisuel, avec sa voix agréable et reconnaissable parmi toutes, mais pas une plume très prolifique. S'il a publié quatre ouvrages, il n'en a véritablement sorti qu'un seul exposant sa vie, un an avant sa mort, le 27 octobre 2022, son autobiographie (avec l'aide de Martin Veber), "Les Rives de la mémoire" dont les premiers mots évoquent son origine : « Je suis un enfant de la Méditerranée, de son soleil, de ses rivages arides, de la mer. J'ai quitté Oran, la ville où je suis né, à l'aube de ma vie d'adulte. C'était le début de la guerre d'indépendance. L'Algérie que je laissais derrière moi était devenue un pays de violence et de mort. Je suis parti sans regret. Pendant toute mon adolescence, je ne pensais qu'à cela : fuir Oran, cette ville sans horizon, rejoindre la France et surtout Paris, où tout me semblait possible. ».

    Le professionnalisme de Jean-Pierre Elkabbach a transpiré pendant toute sa carrière, et il y a mille et un exemples. J'en prends un car il est très intéressant. Depuis qu'il fait de la politique,
    Laurent Fabius n'est pas vraiment ma tasse de thé. Je n'ai jamais apprécié sa condescendance et son esprit partisan. Néanmoins, j'étais très étonné qu'on lui reprochât d'avoir été mêlé au scandale du sang contaminé car j'avais le souvenir, au contraire, qu'il avait, en tant que Premier Ministre, eu le courage d'anticiper les risques avec le sida. Je suis donc très heureux de lire dans l'autobiographie de Jean-Pierre Elkabbach le même genre de réflexion.

    Il a eu de très mauvaises relations avec Laurent Fabius dont il a pourtant été le premier intervieweur en 1975 sur France Inter (invité avec
    Jacques Attali pour promouvoir son premier livre). En effet, pendant la campagne présidentielle de 1981, Laurent Fabius, directeur de campagne de François Mitterrand, ne voulait pas que Jean-Pierre Elkabbach invitât Michel Rocard à la télévision. Il lui a téléphoné ainsi : « Il en est hors de question. Je suis le directeur de campagne, je ne veux pas de lui à l'antenne. ». Réponse immédiate : « Oui, mais le directeur de l'information, c'est moi, et c'est ma décision. ». Réplique et menace à peine voilée : « Si nous gagnons, vous allez voir ce que nous ferons des gens comme vous ! ». Mais il ne s'est pas laissé intimider : « Écoutez, faites ce que vous voulez. Ce soir, moi, je vous emm@rde ! ». Cela donne une idée du caractère bien trempé.

    Évidemment, la gauche est arrivée au pouvoir et les relations entre Jean-Pierre Elkabbach et Laurent Fabius furent exécrables. Jusqu'à l'affaire du sang contaminé : « Pendant des années, il me poursuivit de sa rancune. Nos relations s'apaisèrent dans la tourmente de l'affaire du sang contaminé. Partout, on entendait que Fabius n'avait rien vu et avait failli. Or j'avais suivi les débats et je fis remarquer lors d'une émission qu'on lui faisait subir un mauvais procès. En effet, l'ancien Premier Ministre avait été le premier haut responsable à réagir aux alertes. Dès le 19 juin 1985, il avait prononcé devant une Assemblée Nationale indifférente le dépistage obligatoire des donneurs de sang afin d'éviter les contaminations lors des transfusions. Mon intervention n'était que justice et simple rappel des faits. Je n'aimais pas l'acharnement dont il était l'objet. Il m'appela pour me remercier et nous nous revîmes. J'étais l'un des rares à avoir publiquement pris sa défense. ».

    Et de commenter sa relation jusqu'à sa mort : « Par la suite, nos rencontres furent empreintes d'une amabilité courtoise dont ni l'un ni l'autre n'était dupe. Aujourd'hui, la Présidence du Conseil Constitutionnel lui va bien. Il applique avec les huit sages la même méthode qu'avec moi : distance et parole rare. ». Un exemple : « Quand je le conviais aux matins d'Europe 1, il répondait avec parcimonie à mes invitations, mais il venait. Généralement, après l'entretien, les journalistes de la rédaction se pressaient autour de l'invité pour poursuivre les échanges plus librement, en quête de révélations. Leurs coqueluches étaient
    Nicolas Sarkozy, Emmanuel Macron, Bernard Arnault, François Hollande et Arnaud Montebourg. Laurent Fabius, lui, faisait salle vide, victime de sa condescendance. ». Le journaliste conclut sur sa rancœur de ne pas avoir pu être Président de la République, dépassé par Michel Rocard, Lionel Jospin, Dominique Strauss-Kahn, François Hollande... : « Un Président de la République vit la solitude du pouvoir. Laurent Fabius est un solitaire sans pouvoir. ».

    Dans ce livre, qui rapporte une soixantaine d'années de carrière de journaliste politique, Jean-Pierre Elkabbach a bien sûr brossé bien des portraits de responsables politiques, dans sa franchise crûe de son point de vue.

    Jean-Pierre Elkabbach a fait aussi état de l'une de ses dernières conversations avec Emmanuel Macron qui l'avait invité à un déjeuner en tête-à-tête en septembre 2022. Question de l'intervieweur professionnel sur l'accomplissement majeur du second quinquennat : « Cela se révélera après, comme dans un
    tableau impressionniste. Sur le moment, on ne perçoit que des taches de lumières et c'est en prenant du recul que l'image apparaît dans sa force et sa clarté. Je veux réformer pour assurer notre indépendance nationale. Notre victoire serait que nos enfants puissent encore choisir leur destinée. ».

    Et le journaliste a compris la grande frayeur du Président : « En 2027, Emmanuel Macron devra passer la main. Par-dessus tout, il redoute de transmettre sa charge à
    Marine Le Pen et à l'extrême droite, qui croient leur heure arrivée. Pour l'éviter, il lui faut réussir son second quinquennat. Ensuite, rien ne l'empêchera de poursuivre son engagement politique et d'incarner l'Europe. Ce n'est pas à lui de régler sa succession, mais il doit promouvoir la génération qui a émergé grâce à lui, Élisabeth Borne, Julien Denormandie, Gabriel Attal, Sébastien Lecornu et surtout Jean Castex, qui quitta Matignon populaire, malgré la crise du covid. Il est l'un des rares à ne pas penser encore au rôle qu'il pourrait tenir en 2027. Avec sa simplicité, sa liberté, il est proche des Français et sait trouver les mots. Pourquoi me fait-il penser à Georges Pompidou à ses débuts ? Si aucune figure du "nouveau monde" ne se détache, le macronisme restera une parenthèse, refermée dès le départ de l'Élysée de son inspirateur, il est le premier à le savoir. La lutte pour le pouvoir, son exercice, les alliances qui se nouent et se dénouent, les opportunités que l'on saisit, les reniements, les ruptures laissent peu de place aux sentiments. La vie politique est impitoyable et requiert un sens aigu de la dissimulation. ».

    Dans cette réflexion, comme figures du macronisme, Jean-Pierre Elkabbach a toutefois oublié
    Édouard Philippe, Gérald Darmanin et Bruno Le Maire (il en a parlé un peu avant : « Il s'est révélé être un des piliers des deux quinquennats, utile pour faire face aux conséquences de la guerre en Ukraine. Toutes les grandes décisions, il les discute directement avec le chef de l'État. Pourquoi, pense-t-il, ne pourrait-il pas lui succéder à l'Élysée ? »). En revanche, il avait bien vu pour Gabriel Attal dont il n'a pas su qu'il allait être nommé à Matignon.

    Son livre se referme sur ces phrases : « Ma soif de connaissance, d'exploration, ne procède pas du journalisme. Elle était là dès l'enfance et c'est elle qui m'a conduit à mon métier. Pendant longtemps, elle s'est confondue avec lui. Désormais, peu à peu, elle s'en détache et reprend sa liberté. Elle oriente le cours de mes jours, nourrit de nouveaux projets et me mène vers de nouvelles causes. Tout bien réfléchi, ai-je tant changé ? Je n'ai pas guéri de ma curiosité. ». Point final.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (28 septembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Vous n'avez pas honte ?
    Boulimique.
    Hommage du Président Emmanuel Macron à Jean-Pierre Elkabbach le 9 octobre 2023.
    Jean-Pierre Elkabbach.
    Patrick Cohen.
    Fake news : la scandaleuse manipulation politique du RN.
    Bernard Pivot.
    Christine Ockrent.
    Vive la crise !
    Yves Montand.
    Jean Lacouture.
    Marc Ferro.
    Dominique Baudis.
    Frédéric Mitterrand.
    Jean-Jacques Servan-Schreiber.
    Christine Angot.
    Jean-François Revel.
    Philippe Alexandre.
    Alain Duhamel.







    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241003-elkabbach.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/medias/article/taisez-vous-elkabbach-256892

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/02/article-sr-20241003-elkabbach.html



     

  • Gilberte Beaux, une grande dame qui sort des schémas classiques

    « Il faut aimer la vie. J'aime la vie (…). Quand on aime (…), on arrive toujours à faire des choses merveilleuses. La vie est fantastique ! » (Gilberte Beaux, le 26 juillet 2017).



     

     
     


    Gilberte Beaux fête son 95e anniversaire ce vendredi 12 juillet 2024. Il est très difficile de définir en deux mots qui est Gilberte Beaux. En ce qui me concerne, je la connaissais car elle était la "trésorière" de Raymond Barre, je ne sais pas trop sa fonction, peut-être conseillère économique aussi (les deux probablement) pendant sa campagne présidentielle de 1988.

    Si Gilberte Beaux n'est pas très connue du grand public, c'est parce qu'elle a tout fait pour être discrète, éloignée des médias. Son monde, ce n'était pas celui de la politique où, au contraire, il faut se faire connaître, il faut se promouvoir, il faut faire parler de soi, parfois lourdement, la notoriété étant un élément important dans une victoire électorale (c'est le chat qui se mord la queue : on est connu aussi parce qu'on est élu). Son monde, c'est celui de l'économie, celui de la gestion d'entreprises,celui des discussions feutrées, des négociations secrètes.

    Alors, on pourrait qualifier Gilberte Beaux de femme d'affaires, mais cela risque de faire oxymore, une femme peut être une bonne affaire, mais fait-elle de bonnes affaires ? Arg ! Stop ! J'arrête mon sexisme et si je suis un peu provocateur par le plaisir du jeu, c'est parce que Gilberte Beaux se sent (encore aujourd'hui) une femme libre, mais une femme libre parce qu'une femme forte, et à ce titre, elle s'inscrit dans la tradition des femmes fortes de sa génération, en particulier Simone Veil, mais aussi Marie-France Garaud (grande amie de Simone Veil).

    Encore un petit détour avec Marie-France Garaud (qui est morte récemment). Gilberte Beaux a eu, donc, sa période barriste, en gros toute la décennie des années 1980. Dès 1981, Raymond Barre a vu sa cote de popularité grimper en flèche au fur et à mesure que le gouvernement socialo-communiste vidait toutes les caisses de l'État. Les Français aiment bien les hommes d'État (et femmes d'État) mais seulement lorsqu'ils ne sont plus au pouvoir.

     

     
     


    L'un des préceptes du barrisme institutionnel, c'était sa conception très gaullienne de la Constitution, et à ce titre, Raymond Barre avait repris le flambeau de De Gaulle délaissé par Jacques Chirac prêt à foncer à Matignon (à l'époque, on faisait moins de chichi !) pour faire la première cohabitation. Raymond Barre, fidèle au dogme de la légitimité populaire sacrée par l'onction des urnes, considérait que le Président de la République devait démissionner s'il avait perdu les élections législatives. Au contraire, le président du RPR et futur candidat à l'élection présidentielle refusait d'exclure de gouverner et refusait d'engager un bras de fer avec François Mitterrand visant à le faire démissionner. À l'époque, j'étais à fond dans cette interprétation barriste, mais c'est l'interprétation pragmatique qui a finalement gagné (trois fois) en faisant même de la cohabitation un régime plutôt apprécié des Français car rétablissant une certain équilibre des institutions au sein de l'exécutif.

    Les gardiens du dogme gaullien étaient rares dans la classe politique, notamment parmi les gaullistes, mais on pouvait compter sur Michel Debré (le père de la Constitution, évidemment) et aussi sur Marie-France Garaud, conseillère spéciale de Georges Pompidou à l'Élysée et conservatrice réactionnaire, en quelque sorte (avant-c'était-mieux). Les deux avaient eu le courage de se présenter à l'élection présidentielle de 1981, probablement aidés dans leurs parrainages par les giscardiens pour disperser l'électorat de Jacques Chirac (à charge de revanche, ce dernier, lui, a encouragé ses militants à voter contre VGE au second tour !).

    Malgré son envie de discrétion, Gilberte Beaux s'est quand même engagée dans la bataille électorale... aux côtés de Marie-France Garaud puisqu'elles ont constitué une liste (Marie-France Garaud tête de liste) à Paris aux élections législatives du 16 mars 1986 qui étaient au scrutin proportionnel à l'échelle départementale. Sans investiture de grands partis politiques, cette liste était discrètement soutenue par... Raymond Barre qui cherchait à multiplier les députés purement barristes dans l'Assemblée de 1986 pour empêcher la cohabitation (la majorité très serrée a fait que les députés barristes, y compris le député de Lyon Raymond Barre, se sont finalement ralliés au gouvernement de Jacques Chirac pour ne pas être accusés d'être des diviseurs).

    En 1986, leur liste n'a pas obtenu de siège, mais elle a fait mieux que les écologistes, Lutte ouvrière, le MPPT, ou encore qu'une liste menée par Albert Jacquard. Bref, avec 23 701 voix, soit 2,6% des suffrages exprimés, la liste Garaud-Beaux s'est classée en sixième place sur seize listes, juste après les listes des partis bien établis : la liste RPR menée par Jacques Toubon, la liste PS menée par Lionel Jospin, la liste UDF menée par Jacques Dominati, la liste Rassemblement national (oui oui, pas FN mais RN = FN + CNI) menée par Jean-Marie Le Pen (et le député des concierges Édouard Frédéric-Dupont) et la liste PCF menée par Gisèle Moreau (qui n'a pas obtenu non plus de siège, au contraire des quatre premières). Malgré son concurrent Jacques Dominati, la liste Garaud bénéficiait du soutien des Corses de Paris, car Gilberte Beaux est d'origine corse (son nom de jeune fille est Gilberte Lovisi).
     

     
     


    Mais je m'égare dans cette voie politique qui n'était pas la sienne et sans doute cette candidature en 1986 a été téléguidée par Raymond Barre et elle ne pouvait pas la lui refuser. Revenons surtout à son parcours professionnel qui est loin d'être ordinaire. S'il fallait le résumer avec des noms, on pourrait le résumer étrangement avec deux noms : Jimmy Goldsmith et Bernard Tapie !

    L'encyclopédie en ligne Wikipédia la considère comme « une personnalité du monde des affaires en France, des années 1960 aux années 1990, et une dirigeante d'entreprise » et ajoute : « Elle a été l'associée discrète de deux personnalités flamboyantes du milieu financier et entrepreneurial de ces décennies, Jimmy Goldsmith puis Bernard Tapie, chargée par eux de la bonne gestion des sociétés dont ils s'emparaient. Elle incarne aussi une époque de l'histoire du capitalisme, et du management en entreprise, où il était encore possible à une personne entrant comme dactylo de gravir tous les échelons et de devenir le dirigeant d’un groupe international. ».

    Quand on regarde son origine familiale, un père qui a eu une faillite, on peut y voir un point commun avec Raymond Barre dont le père aussi a été socialement humilié par la faillite de son entreprise. Juste après la guerre qu'elle a passée adolescente avec sa famille à Marseille, la future Gilberte Beaux (elle s'est mariée en 1951 avec Édouard Beaux et est devenue veuve en 1995) a appris la sténodactylographie et a commencé à travailler très jeune dans une banque au plus bas des échelons afin de payer les études de son frère. Au bout de dix ans, par une volonté de fer (et un management particulièrement à l'écoute), elle a grimpé tous les échelons de la banque jusqu'à en devenir une fondée de pouvoir ! Une évolution aujourd'hui quasiment impossible à imaginer où les diplômes et recommandations sont bien plus nécessaires qu'à la sortie de la guerre où beaucoup d'emplois manquaient de titulaires.

    Fort de cette expérience déjà exceptionnelle au milieu des années 1950, Gilberte Beaux a poursuivi dans d'autres entreprises, le groupe automobile Simca, dont elle a géré la trésorerie par l'intermédiaire d'une autre entreprise, la Compagnie financière de Paris. Elle gérait des grands comptes, des investissements, des crédits, etc., réputée au point d'être nommée à la tête de l'Union financière de Paris et de la Société de gestion industrielle et financière.

    Et puis, ce furent ses rencontres dans la vie des affaires qui ont consolidé sa carrière financière. La première fut avec Jimmy Goldsmith dont elle est devenue le bras droit pendant une vingtaine d'années, entre 1967 et 1987. Elle a pris la tête de la Générale Occidentale, société holding du magma de la finance, qui a investi dans le secteur agro-alimentaire, en particulier en rachetant la Générale Alimentaire (marques Amora, Poulain, Maille, etc.). C'est elle qui négociait les prises de participation, les achats, les reventes et surtout la diversification économique du groupe.

    Fine négociatrice, elle a revendu tous les activités du secteur alimentaire au groupe BSN afin d'investir dans les médias et l'audiovisuel au milieu des années 1970 et début des années 1980 : si les tentatives de rachat dans la télévision se sont avérées décevantes (et ratées), la Générale Occidentale a réussi à racheter l'hebdomadaire "L'Express" en 1977 à son fondateur JJSS (qui avait besoin d'argent pour investir dans ses campagnes électorales très coûteuses et assez vaines), ainsi que les Presses de la Cité. Jean-François Revel a été alors nommé directeur de "L'Express" avec, pour rédacteur en chef, Olivier Todd (qui lui aussi vient d'avoir 95 ans, le 19 juin dernier), proche du PSU, et accueillant les réflexions écrites de Raymond Aron. Après le renvoi d'Olivier Todd et la démission, par solidarité, de Jean-François Revel en 1981, l'hebdomadaire a évolué vers la droite (historiquement, il était de centre gauche et mendésiste) pour combattre le gouvernement socialo-communiste après l'arrivée au pouvoir de François Mitterrand.


    En 1987, ce fut la fin de l'idylle entre Jimmy Goldsmith et Gilberte Beaux, non qu'il y ait eu une mésentente professionnelle, mais parce que Jimmy Goldsmith a voulu vivre et se recentrer aux États-Unis et revendre toutes ses entreprises d'Europe. Gilberte Beaux a négocié alors le rachat de la Générale Occidentale par la CGE (Compagnie générale d'électricité), devenue ainsi propriétaire de "L'Express" (voir la première vidéo ci-dessous).

    À cette époque (lire plus haut), Gilberte Beaux était surtout occupée par son engagement politique derrière Raymond Barre, tout en présidant Basic, une société pétrolière au Guatemala, résidu de ses investissements antérieurs. Elle aurait pu dire qu'elle attendait ainsi une retraite déjà bien méritée, mais atteignant ses 60 ans, elle a relevé un nouveau challenge : Bernard Tapie est venu lui demander en 1990 de prendre la direction du groupe Adidas qu'il venait d'acquérir. Elle connaissait depuis une dizaine d'années Bernard Tapie pour avoir tenté de faire des affaires avec lui, mais sans résultat concret (Bernard Tapie était spécialiste des reprises d'entreprise en liquidation et de la valorisation et revente de leur actif).
     

     
     


    Pour Adidas, dont elle a présidé le directoire puis le conseil de surveillance jusqu'à sa revente (qu'elle a négociée) en 1994 au milliardaire Roger Louis-Dreyfus. Pour redresser financièrement Adidas (au bord de la faillite), Gilberte Beaux a revendu d'autres entreprises du groupe Tapie comme La Vie claire avec de fortes plus-values, puis a accompagné la revente d'Adidas, remis à flots en deux ans (revendu parce que son propriétaire a été nommé ministre) dont fut chargé le Crédit lyonnais (ce qui allait aboutir à une très longue affaire financière et judiciaire car le Crédit lyonnais a fait de très substantiels gains en cachant la valeur réelle d'Adidas).

    Cette revente a coïncidé à peu près avec la mort de son mari en 1995. Édouard Beaux avait acheté un ranch en Argentine et s'y était installé. Veuve, elle a découvert que la vie là-bas y était agréable et s'y est définitivement installée, commençant à près de 70 ans une nouvelle vie de paysanne argentine, du reste très appréciée localement pour avoir soutenu des opérations d'archéologie dans le coin. Ce qui est amusant, c'est que Marie-France Garaud et son collègue politique Pierre Juillet étaient eux aussi, à leurs heures perdues, des éleveurs de moutons dans la campagne profonde !

    Elle qui a passé une trentaine d'années à voyager dans le monde pour les affaires, se rendant sur tous les continents, Europe, Amérique, Asie, reconnaît cependant un trou dans sa raquette, elle ne connaît pas l'Australie ! Elle a été aussi nommée membre du Conseil Économie et Social (devenu CESE, avec Environnemental), pour lequel elle est partie au Japon pour une mission d'étude, qui a abouti à un rapport publié au Journal officiel : "Pour une politique européenne et française face au Japon" (popularisée par un ouvrage grand public : "La Leçon japonaise", ed. Plon). Elle a aussi publié son autobiographie "Une Femme libre" en 2006 (éd. Fayard).
     

     
     


    Gilberte Beaux est une personne qui est bien placée pour dire qu'elle s'est faite toute seule. Elle proclame à qui veut l'entendre que la personnalité et le caractère sont bien plus importants que l'intelligence pour réussir, en particulier, il faut prendre des décisions rapidement, quitte à prendre de mauvaises décisions, mais c'est toujours moins pire que ne pas décider du tout.

    Femme ayant particulièrement réussi sa vie professionnelle, Gilberte Beaux est sans doute une meilleure féministe au sens de la promotion sociale des femmes que bien des militantes féministes stériles qui pinaillent sur des aspects dérisoires de la vie sociale ou prêtes à s'enflammer pour l'écriture inclusive. Elle a donné trois conseils aux femmes qui souhaitent réussir : la liberté, la flexibilité et la confiance en soi. Et pour elle, c'est essentiel : si vous ne vous sentez pas à l'aise dans vos fonctions, dans votre milieu professionnel, n'hésitez pas à en changer et à vivre autre chose. Sinon, votre créativité et votre vitalité risquent de se nécroser.

    Et Gilberte Beaux est bien placée pour le dire parce qu'elle a eu plusieurs vies économiques, passant allègrement d'un secteur à l'autre pour diversifier ses expériences personelles : secteur de la banque, secteur de l'automobile, secteur de l'agro-alimentaire, secteur des médias et de la presse, secteur du pétrole, secteur du sport. Sans compter son incursion politique. Et désormais, secteur agricole avec son exploitation en Argentine. Elle a toujours été discrète et s'est peu souvent exposée auprès du grand public (selon ses activités économiques), mais elle mériterait d'être plus connue, car elle peut être un bon modèle de femmes cultivée et cultivatrice ! Bon anniversaire !


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (12 juillet 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Bernard Tapie.
    Marie-France Garaud.
    Raymond Barre.
    Gilberte Beaux.
    Carlos Tavares.
    Carlos Ghosn.
    Bernard Madoff.
    Jacques Séguéla.
    Gustave Eiffel.
    Francis Mer.
     

     

     







    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240712-gilberte-beaux.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/gilberte-beaux-une-grande-dame-qui-255755

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/07/12/article-sr-20240712-gilberte-beaux.html

     

     

     

     

  • Stellantis : Carlos Tavares à 100 000 euros par jour

    « Si vous estimez que ce n'est pas acceptable, faites une loi et modifiez la loi, et je la respecterai ! » (Carlos Tavares, sur France Bleu Lorraine, le 16 avril 2024 à l'usine de Trémery, en Moselle).



     

     
     


    La polémique resurgit en France avec le vote consultatif des actionnaires ce mardi 16 avril 20240, au cours d'une assemblée générale réunie à Amsterdam, qui a approuvé à 70,2% la rémunération du directeur général du groupe Stellantis, mais l'information était déjà connue dès le 23 février 2024 avec la publication du rapport annuel : Carlos Tavares (65 ans) a touché 36,5 millions d'euros de rémunération pour l'année 2023.

    Autant le dire tout de suite : c'est un montant complètement fou et excessif. Démesuré et disproportionné. Mais une fois écrit cela, qu'en penser ? D'abord, est-ce mérité ? Peut-être. Stellantis existe depuis le 16 janvier 2021. C'est nouveau et c'est la fusion de plusieurs groupes automobiles, français, italien, américain, pour en faire le quatrième constructeur mondial avec les marques : Peugeot, Citroën, Open, Fiat, Lancia, Chrysler, Alfa Romeo, Jeeetc.

    Carlos Tavares est issu d'une famille portugaise de conditions plutôt modestes aimant la France et le français. Il est diplômé de l'École centrale de Paris et s'est consacré tout entièrement au secteur automobile dont il était passionné. Jusqu'en 2013, il a fait toute sa carrière à Renault, devenant le numéro deux de Carlos Ghosn comme directeur général délégué aux opérations du groupe Renault de 2011 à 2013.

    Le jour de ses 55 ans, le 14 août 2013, il a affirmé publiquement, dans une interview, qu'il ne souhaitait pas rester un simple numéro deux et qu'il voulait devenir numéro un : « À un moment donné, vous avez l'énergie et l'appétit pour devenir numéro un (…). Mon expérience serait bonne pour n'importe quel constructeur ! ». Crime de lèse majesté ! Stupeur de son patron, Carlos Ghosn, qui l'a immédiatement viré (le 29 août 2013). Exit Renault. L'objectif de Carlos Tavares s'est porté alors sur General Motors ou Ford.


    Ce fut PSA : le groupe Peugeot SA était alors au bord de la faillite en 2014 lorsqu'il a été nommé président du directoire. Son objectif était de redresser les comptes, supprimer la dette, retrouver de la trésorerie et une marge opérationnelle. En quelques années, il a redressé le groupe familial français et a pris l'initiative (aux côtés de l'État français) de la fusion de PSA avec Fiat en 2021 (Fiat venant d'absorber Chrysler en 2014).
     

     
     


    Le 16 janvier 2021, il est devenu le directeur général de Stellantis, le nouveau groupe, dont le siège est aux Pays-Bas. Le chiffre d'affaires en 2023 a été de 189,5 milliards d'euros, en progression de 6%. Le résultat net pour 2023 a été aussi en progression, de 11%, pour atteindre le record de 18,6 milliards d'euros, ce qui est un exploit financier. Ce bénéfice a été d'ailleurs obtenu surtout à l'extérieur de la France, sur le marché américain. De ce bénéfice, 1,9 milliard d'euros ont été consacrés à une prime exceptionnelle aux près de 260 000 collaborateurs du groupe (précisément, un intéressement de 4 100 euros selon une annonce du 15 février 2024). 7,7 milliards d'euros ont été redistribués aux actionnaires (le reste est retourné en investissement).

    Cette excellente situation financière d'un fleuron européen de l'automobile provient aussi de la stratégie mise en place par Carlos Tavares, en particulier l'idée de ne pas vouloir vendre le plus d'automobiles possible (comme pour Renault) mais de faire les meilleures marges possible.

    Le sujet des rémunérations des patrons de constructeurs automobiles revient régulièrement dans l'actualité en France où le principe d'égalité est sacro-saint. En effet, l'indécence vient du fait que la rémunération de Carlos Tavares serait 500 fois la rémunération moyenne d'un salarié de son groupe. Dans cette rémunération, à 90% en fonction du résultat de son groupe, il faut compter une prime de 10 millions d'euros pour avoir mené la fusion, 2 millions d'euros pour une pension de retraite, etc.

    Ce qui étonne, c'est que l'attention devrait être portée sur les personnes en précarité pour qu'elles puissent vivre décemment et pas s'indigner de rémunérations énormes. Les limiter ne résoudrait pas le problème de la pauvreté. De même, la transparence apportée à la rémunération des dix plus gros salaires des groupes n'a pas entraîné une modération salariale, au contraire, plutôt une surenchère qu'on avait déjà comprise avec Carlos Ghosn : comme les adolescents qui jouent à avoir la plus grosse, ces patrons se comparent non pas à leurs salariés mais aux autres patrons dans le monde, et plus ils gagnent de l'argent, plus ils pensent que leur reconnaissance est effective. Cette surenchère n'a plus beaucoup de sens à partir d'un certain seuil (qui reste à définir).

    Du reste, l'arrogance va avec cette surenchère : presque provocateur, Carlos Tavares a justifié sa rémunération et si on la trouve trop importante, il défie les parlementaires de voter une loi et lui respectera la loi. Dans son arrogance, il se compare d'ailleurs à Kilian Mbappé (lui aussi objet de polémique sur sa rémunération), mais la différence, c'est qu'un joueur de football fait partie de l'actif d'un club, qui est l'argument d'achat des spectateurs et des sponsors, et il peut être revendu, au contraire du patron du groupe dont l'identité ne fait pas vendre à proprement parler ses véhicules (c'est plutôt la conception des véhicules qui déclenche l'acte d'achat).

    Cela écrit, je n'ai pas personnellement d'idée précise sur le sujet. Ce qui semble certain, pour évacuer un risque, c'est que réduire la rémunération d'un patron, dans ces cimes si hautes, ne me semblent pas réduire leurs (éventuelles) performances ni celles de leur entreprise. Donc, l'argument de performance économique ne me paraît pas pertinent pour empêcher de fixer un seuil de rémunération. Néanmoins, la philosophie générale de liberté me paraît globalement un élément majeur de performance économique en elle-même. Limiter, réguler (dans le secteur automobile, il y a de plus en plus de réglementation notamment dans le domaine écologique), entraîne toujours un risque économique à long terme. De plus, à part un effet électoraliste à court terme, je n'en vois pas l'intérêt général pour le peuple français : réduire le salaire des autres n'augmentera jamais le sien (en revanche, soulage psychologiquement, peut-être est-ce propre à la France qui a l'argent honteux ?).


    Pour moi, le problème est le calcul de la rémunération en général. Pour justifier son emploi, celui-ci doit rapporter nécessairement plus à l'employeur qu'il ne lui coûte en salaires et charges salariales (évidence élémentaire).

    Mais comment rémunérer juste ? Il y a deux méthodes. Celui du consultant payé à l'heure (et aux frais). Tant de temps passé sera facturé de manière égale, qu'il s'agisse d'une affaire petite ou grande. Mais souvent, les rémunérations sont des pourcentages d'une affaire. C'est le cas des commerciaux. L'exemple typique est l'agent immobilier. Il peut passer autant de temps à vendre un appartement à 200 000 euros qu'une maison à 2 millions d'euros. Pourquoi décupler ses honoraires pour le même travail ? Dès lors qu'il y a une rémunération en pourcentage, il n'y a plus de limite, c'est le cas pour les acteurs, chanteurs, auteurs de best-sellers etc. La limite, finalement, c'est nous : plus nous achetons un bien, un livre, une place de cinéma, etc., plus nous donnons aux auteurs de l'œuvre. On peut juste réagir en aval, en imposant plus durement les rémunérations élevées, mais à condition que cela ne s'apparente pas à de la confiscation d'État.

    Et si l'État français a encore une participation à Stellantis (près de 6,1% du capital), on oublie trop souvent dans ce genre de polémique franco-française qu'il s'agit toujours d'un groupe international, du reste de droit néerlandais et pas français et que les meilleures lois seront de toute façon détournées en raison de cette position internationale (on l'a vu pour Carlos Ghosn). Et le moteur de cette surenchère est d'ordre psychologique, le besoin du patron de montrer qu'il fait partie des plus puissants du monde. Ce qui est un peu chiche par rapport aux vrais riches, car même à 36,5 millions d'euros par an, il faut durer une carrière complète pour atteindre le "petit" milliard d'euros. Face aux milliardaires, ces patrons arrogants sont des petits joueurs !

    La ligne à tenir pour la puissance publique, c'est l'intérêt général, on doit garder à l'esprit, hors de toute pression, ce qui rejaillirait en bien pour les Français en cas de réforme de la législation. Et ce dont je suis sûr, c'est que la jalousie voire l'envie n'ont jamais apporté un seul centime aux contribuables français. Juste de la rancœur et du dénigrement alors que les Français devraient d'abord être fiers de compter un patron très performant au niveau mondial.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (17 avril 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Carlos Tavares.
    Carlos Ghosn.
    Bernard Madoff.
    Jacques Séguéla.
    Gustave Eiffel.
    Francis Mer.
     

     
     






    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240416-carlos-tavares.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/stellantis-carlos-tavares-a-100-254211

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/18/article-sr-20240416-carlos-tavares.html