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famille

  • 40 ans de confusions dans l'Affaire Grégory

    « On a beaucoup parlé du juge Lambert. Ce n'est pas le fiasco d'un seul homme, hein, c'est le fiasco de tout le monde, cette histoire-là, y compris des journalistes, d'ailleurs. (…) C'est aussi pour ça qu'on en parle autant d'années après. Parce que cette affaire, au-delà de tous les ingrédients qu'elle regroupe, d'un petit enfant qui disparaît, d'une histoire familiale hors normes, d'un lieu hors normes, et d'un raté global de tout le monde, c'est pour ça qu'elle continue aujourd'hui à passionner aussi. » (Damien Delseny, rédacteur en chef adjoint du "Parisien", le 20 avril 2024 sur France 5).



     

     
     


    Sinistre anniversaire. Il faut l'imaginer aujourd'hui. Il aurait pu être un homme déjà bien accompli, quadragénaire à la quarantaine déjà bien entamée, un contre-maître comme son père, ou un avocat pour défendre les causes perdues, un juge pour bien faire la justice, ou encore un journaliste, mais avec une vraie déontologie, ou encore un romancier, celui de polars qui se lisent avec passion, fascination, interrogation... Hélas, il n'est pas tout cela.

    Au lieu de quoi, ce triste mardi 16 octobre 1984, dans la soirée, on a retrouvé le corps du petit
    Grégory, 4 ans (né le 24 août 1980 à Saint-Dié), dans son anorak, ligoté des poignets et des chevilles, le visage caché par son bonnet, sorti de l'eau de la Vologne, une rivière vosgienne, dont les journalistes charognards se sont emparé tout de suite de la photographie en toute indécence. Entre sa disparition (entre 17h05 et 17h30) et son assassinat (17h50), il n'y a eu que l'instant d'une haine, d'une horreur, d'une jalousie savamment entretenue par des secrets familiaux et la réussite sociale de ses parents.

    Est-ce la médiatisation, dès les premières heures, de ce drame sans nom, l'assassinat d'un gosse de 4 ans, plein de vie, plein de sourire, plein de soleil, qui n'a jamais rien fait de mal à personne, sinon jouer quelques minutes dans le jardin pendant que sa mère faisait du repassage en écoutant les
    Grosses Têtes à la radio, qui m'a embarqué, comme tant d'autres, dans cette folie de l'émotion ? Ou peut-être ma proximité géographique ? À l'époque, j'étais lorrain, et quand j'entendais certains protagonistes vosgiens, je croyais entendre certains membres de ma famille. Je me sentais concerné, je crois même que j'avais dû me baigner dans la Vologne quand j'étais petit (ou peut-être pas, c'était peut-être la rivière voisine ?).
     

     
     


    Quand je lisais le déroulé de "l'affaire" dans Wikipédia, il y a une petite rubrique chiffrée également présente dans les sujets guerriers ou les attentats : "Nombre de victimes". Et c'est indiqué : 1. Quelle erreur ! C'est la limite de la rédaction par des encyclopédistes citoyens. Moi, hélas, j'en ai déjà compté trois, voire quatre victimes.
     

     
     


    Il y a l'enfant, oui, bien sûr, mais aussi le cousin de son père, Bernard Laroche, accusé, inculpé, écroué le 5 novembre 1984, puis relâché le 4 février 1985, et finalement tué le 29 mars 1985 par le père de Grégory, Jean-Marie Villemin, d'un coup de fusil, croyant faire justice lui-même alors qu'en fait, par cet acte irréversible, il a empêché toute enquête possible sur ce potentiel suspect. Bernard Laroche, coupable ou pas, complice (auteur de l'enlèvement) ou pas, on ne le saura certainement jamais. Jean-Marie Villemin, qui a été condamné le 16 décembre 1993 à cinq ans de prison dont un avec sursis par la cour d'assises de la Côte-d'Or, a beaucoup regretté son geste, comme il l'a affirmé plus tard, le 3 octobre 2024, dans la préface d'une bande dessinée sur l'affaire : « J'ai craqué. J'ai pris la vie de mon cousin. Je resterai à jamais un assassin. Je le regrette tant. La vengeance n'est pas une solution. » ("Gregory" par Pat Perna et Christophe Gaultier, éd. Les Arènes).
     

     
     


    La troisième victime, c'est ce petit juge d'instruction Jean-Michel Lambert, trop jeune, trop immature, trop occupé (il n'avait pas qu'une seule affaire), trop inconscient de la gravité des choses, avec des décisions très déconcertantes, et son lynchage médiatique continu, plus, la goutte d'eau, la publication d'extraits des carnets de son successeur, le juge Maurice Simon, ancien résistant et président de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Dijon, qui l'aurait probablement conduit à se suicider le 11 juillet 2017, quelques heures après leur diffusion par BFMTV. C'était l'humiliation de trop, comme l'a affirmé plus tard sa veuve : « Les médias l'ont quelque part poussé au suicide, notamment un, qui a divulgué un extrait des carnets intimes du juge Simon [où mon époux est durement critiqué]. La presse, c'est une chose. Mais qu'un magistrat, un collègue l'attaque ainsi, c'était pour lui inconcevable. Quand vous voyez ça tourner en boucle toute la journée… S'il avait su, comme on l'a vu par la suite, que ce magistrat critiquait en réalité un peu tout le monde, ça lui aurait sans doute sauvé la vie. ».
     

     
     


    Dans ses carnets (dont il ne prévoyait certainement pas la publication et remis par son fils à la justice le 28 janvier 2016), Maurice Simon (qui est mort le 23 mai 1994), a décrit son prédécesseur ainsi : « On reste confondu devant les carences, les irrégularités, les fautes (…) ou le désordre intellectuel du juge Lambert. Je suis en présence de l'erreur judiciaire dans toute son horreur. » (14 septembre 1988). Dans une lettre juste avant son suicide, le juge Lambert a écrit : « Si j'ai parfois failli, j'ai cependant la conscience parfaitement tranquille quant aux décisions que j'ai ét amené à prendre. ». Dans cette lettre, également : « J’ai décidé de me donner la mort car je sais que je n’aurai plus la force désormais de me battre dans la dernière épreuve qui m’attendrait. ». Et d'insister : « Je proclame une dernière fois que Bernard Laroche est innocent. ».

    L'enquête s'était orientée vers la mère de l'enfant, Christine Villemin, qui a vécu une tragédie supplémentaire jusqu'à son non-lieu le 3 février 1993, rendu par la cour d'appel de Dijon, plus de sept années plus tard, écrouée pendant onze jours, perdant l'un des jumeaux qu'elle attendait parce qu'elle était enceinte à cette époque. Pour ajouter à la confusion, l'écrivaine Marguerite Duras a publié un article jugé délirant le 17 juillet 1985 dans "Libération" qui chargeait Christine Villemin et la justifiait d'être une mère infanticide ("Sublime, forcément sublime Christine V."). La veuve du juge, Nicole Lambert, a voulu préciser dans "Le Parisien" du 22 octobre 2019, que ce n'était pas son mari mais la cour d'appel de Dijon qui a pris la décision incompréhensible du renvoi de Christine Villemin devant la cour d'assises.(Le juge Lambert a pourtant effectivement demandé le renvoi de Christine Villemin devant la cour d'assises des Vosges, ce qui a eu lieu le 9 décembre 1986 par un arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Nancy qui a été cassé le 17 mars 1987).

    La quatrième victime, cela pourrait donc être l'enfant à naître, parmi les deux jumeaux, que Christine Villemin attendait en 1985 et qu'elle a perdu après avoir été mise en prison. On pourrait même parler d'une cinquième victime, puisque le juge Maurice Simon, qui avait retardé son départ à la retraite pour s'occuper de cette "affaire" (il avait une très bonne réputation de compétence et on lui avait demandé de reprendre l'enquête après sa délocalisation à Dijon par la Cour de Cassation le 17 mars 1987), n'a pas vraiment survécu à son enquête.

     

     
     


    Menacé de mort pendant son instruction, Maurice Simon a comparu en janvier 1990 devant la cour d'appel de Dijon (accusé par des protagonistes de l'affaire). Sa réaction le 25 janvier 1990 : « Toujours aucun signe de vie du premier président ni du procureur général. Cela s’appelle le soutien de la hiérarchie. ». Il a en effet été très affecté par cette comparution alors qu'il se disait près du but, ce qui a précipité une crise cardiaque le 28 janvier 1990 entraînant un coma de trois jours et une amnésie totale sur son enquête. Le 30 octobre 1987, il avait écrit : « Je pense aussi que je laisserai ma vie dans cette affaire. Peut-être que oui, peut-être que non ! En tout cas je porte Grégory dans mon cœur et dans mon âme. ». Le 5 septembre 1988 : « Je sens en effet que, contre toute apparence, les jours me sont comptés car les troubles se multiplient alors je réfléchis, je pense et je me prépare. J’ai d’ailleurs le sentiment que, d’une manière ou d’une autre, je ne verrai pas la fin de l’affaire de l’assassinat du petit Grégory Villemin. ». En son hommage, les époux villemin ont donné à leur quatrième enfant le prénom Simon (né en 1998).

    Du reste, Maurice Simon allait très loin dans ses réflexions puisqu'en juillet 1988, il a indiqué ses soupçons de manière très claire : « Il paraît certain que Bernard Laroche a bien enlevé le petit Grégory Villemin. Il me reste à trouver (…) qui a tué ce superbe enfant. (…) C'est clair, il ne faut pas découvrir le ou les vrais coupables parce que ce sont Laroche et consorts et qu'il y a derrière eux le parti communiste et des élus socialistes. Je m'explique mieux, dès lors, le culot des Bolle qui se croient tout permis. (…) Il existe une volonté absolue de ce côté-là de faire de l'obstruction. (…) Il est clair que c'est la panique et que l'on veut à tout prix m'empêcher d'entendre Murielle Bolle parce qu'on a peur qu'elle craque. ». Il faut rappeler que Bernard Laroche, lui aussi contre-maître (ce qui supprimerait la motivation de la jalousie du statut social), était délégué syndical CGT tandis que son cousin avait refusé, dans son entreprise, se syndiquer à la CGT. Une partie de la famille aurait été syndiquée à la CGT.

    Tout depuis le début, dans cette affaire, a été mauvais : les investigateurs de la gendarmerie, la justice incohérente, et surtout, les journalistes qui ont été abominables dans leur surenchère pour faire de l'audience. De très nombreuses erreurs ont eu lieu dès le début de l'enquête, par la perte de nombreuses indices etc. à tel point que la procédure judiciaire a été améliorée après les leçons de cette affaire. À cela, il faut aussi ajouter l'idéologie, car il y a eu un avocat ou des journalistes qui militaient pour le rétablissement de la
    peine de mort (abolie quelques années auparavant).
     

     
     


    La connaissance de la famille, plongée dans la jalousie, l'envie, des secrets qui remontent parfois à trois générations (un inceste qui a donné naissance à un enfant, et aussi un enfant de 4 ans tué par la violence de ses parents et le suicide du père dix ans plus tard par l'abandon de sa femme, la mort de Bernard Laroche à sa naissance et sa proximité comme frère de lait d'un frère de Jean-Marie Villemin, etc.). Dès 1981, la famille Villemin a été victime de nombreuses lettres anonymes et d'appels téléphoniques anonymes (de ceux qu'on a appelés les corbeaux, qui étaient plusieurs), parce que Jean-Marie Villemin a bien réussi dans sa vie professionnelle (il a rapidement été nommé contre-maître) et que le couple a pu s'acheter un pavillon avec jardin, etc. dans une campagne vosgienne à l'esprit rural encore très marqué.

    L'hypothèse de complicités, de plusieurs coupables, un qui aurait enlevé, un autre qui aurait tué, était envisageable. Le colonel Étienne Sesmat, le gendarme en charge de l'enquête au début (capitaine, il commandait la compagnie de gendarmerie d'Épinal), est toutefois convaincu du contraire, que l'auteur de l'enlèvement et de l'assassinat est le même, parce que cela s'est déroulé de manière très rapide, entre 17h05 et 17h45, que c'était imprévu (l'occasion de pouvoir enlever l'enfant dans le jardin chez lui), et qu'il n'y avait pas de téléphone mobile. Le courrier annonçant la mort de l'enfant par vengeance a été posté vers 17h50 au bureau de poste (arrivée le lendemain chez les Villemin). Le gendarme croit encore en 2024 en la culpabilité de Bernard Laroche, alors que sa veuve Marie-Ange Larouche, qui a maintenant un petit-fils de 14 ans, crie toujours à l'innocence de son mari mais n'espère plus de nouveaux rebondissements de "l'affaire".

     

     
     


    Le dernier rebondissement est récent puisqu'il a eu lieu le 20 mars 2024 quand la chambre d'instruction de la cour d'appel de Dijon a ordonné de nouvelles comparaisons d'ADN et d'autres expertises vocales sur les enregistrements des corbeaux (on peut maintenant déterminer scientifiquement l'identité vocale de chacun), selon les demandes des époux Villemin. Les preuves matérielles sont les cordelettes qui ont servi à attacher le malheureux enfant, l'écriture des courriers anonymes et la voix des appels anonymes, en sachant qu'il y a eu plusieurs corbeaux et qu'ils ne sont pas nécessairement les auteurs de l'assassinat.

    La seule chose positive dans cette affaire judiciaire, au contraire de celle liée au supposé suicide (et probable assassinat) du ministre
    Robert Boulin, c'est qu'elle n'est pas classée car il y a encore des investigations et des actes judiciaires, ce qui laisse encore l'espoir qu'on puisse connaître un jour la vérité. Repose bien aux cieux, petit Grégory !


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (12 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Le juge Jean-Michel Lambert.
    La relance judiciaire de l’affaire Grégory.
    Histoire encore à suivre.
    Documents sur l’affaire Grégory.
    40 ans de confusions dans l'Affaire Grégory.
    Philippine : émotion nationale, récupérations politiques, dysfonctionnements de l'État ?
    Viols de Mazan : quelques réflexions sur Pélicot et compagnie...
    Violence scolaire : quand une enseignante s'y met...
    Création du délit d'homicide routier : seulement cosmétique ?
    La France criminelle ?
    La nuit bleue de Lina.
    La nuit de Célya.
    La nuit d'Émile Soleil.
    Affaire Grégory : la vérité sans la boue ?
    Alexandra Sonac et sa fille adolescente.
    Harcèlement scolaire et refus d'obtempérer.
    Alisha, victime d’un engrenage infernal.
    À propos de la tragique disparition de Karine Esquivillon...
    Meurtre de Lola.
    Nos enseignants sont des héros.
    La sécurité des personnes face aux dangers.






















    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241016-affaire-gregory.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/40-ans-de-confusions-dans-l-256282

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/15/article-sr-20241016-affaire-gregory.html



     

  • La nuit bleue de Lina

    « Ça donne un peu d’espoir pour retrouver une trace. Est-ce qu’elle est vivante ? On l’espère tous... » (un habitant de Plaine, le 27 juillet 2024 sur France Info).


     

     
     


    Lina Delsarte a été, avec Émile Soleil, l'une de des enfants disparus de l'année 2023, en période estivale (ou quasi-estivale). Les deux disparitions étaient très différentes, l'une concernant un petit bout de chou de 2 ans, disparu le 8 juillet 2023, l'autre une adolescente déjà grande de 15 ans, disparue le 23 septembre 2023. Mais elles avaient un point commun.

    Les deux enquêtes étaient telles, dans leur incapacité à privilégier une piste ou l'autre, avec même parfois des fausses pistes, qu'à la fin de l'année 2023, il y avait une quasi-certitude que la disparition de ces deux enfants resterait un mystère complet. Pendant longtemps, les enquêtes ont pédalé dans la semoule, les recherches pourtant très élaborées n'ont abouti à rien, aucun indice, aucune piste sérieuse.

    Lina a disparu sur le chemin entre chez elle et la gare pour prendre le train pour Strasbourg et rejoindre son petit ami de 19 ans, le samedi 23 septembre 2023 en fin de matinée. La dernière géolocalisation de son smartphone a été enregistrée à 11 heures 22, ce qui correspond aussi à l'heure où des témoins l'ont aperçue. C'est le petit ami qui l'attendait à la gare de Strasbourg qui a alerté la mère de Lina de son absence, et les caméras de surveillance n'ont pas vu Lina embarquer dans le train prévu. La gendarmerie a publié un avis de disparition inquiétante dès l'après-midi du samedi. Plusieurs opérations de ratissage ont eu lieu les jours qui ont suivi, sans résultat. Le petit ami a été menacé plusieurs fois par des accusateurs qui le considéraient comme responsable de la disparition.

    Grâce à l'ADN, les enquêtes ont cependant pu avancer d'un bond. Hélas, pas pour de bonnes nouvelles. Le corps d'Émile a été retrouvé dans une forêt, ses ossements, identifiés par une analyse génétique, ont été retrouvés par une randonneuse et, si on ne sait pas ce qui est réellement arrivé au malheureux Émile, on sait, trois fois hélas, qu'il n'est plus de ce monde depuis longtemps.
     

     
     


    Pour Lina, qui a disparu à Plaine, dans le Bas-Rhin, la situation reste encore très mystérieuse même si l'enquête a beaucoup avancé grâce à son ADN, le premier indice de cette enquête, qu'on a retrouvé dans une voiture volée qui se trouvait pas loin de lieu de disparition de l'adolescente le jour de sa disparition et qui a été retrouvée dans le Languedoc-Roussillon fin mai et début juin 2024 (cette information a été communiquée par la justice le 26 juillet 2024). La procureure de Strasbourg a annoncé le 30 juillet 2024 que le véhicule volé incriminé a été saisi et son propriétaire, après avoir été entendu par la police pour le vol de son véhicule, s'est suicidé peu de temps après, le 10 juillet 2024 à Besançon, en laissant une lettre à ses deux enfants disant ses regrets et sa honte, sans évoquer Lina.

    De nouvelles fouilles ont été effectuées du 30 juillet au 2 août 2024, en Alsace et dans les Vosges, sans résultat non plus, malgré la géolocalisation de la voiture dans cette zone au moment de la disparition de Lina (le conducteur y aurait fait un arrêt d'une heure trente).

    Le principal suspect, le propriétaire de la voiture qui aurait transporté Lina le jour de sa disparition, est mort sans avoir indiqué s'il était le responsable de la disparition voire de la mort de Lina et sans avoir indiqué le cas échéant où elle se trouvait, elle ou son corps.

    La presse a évoqué largement le profil chaotique de ce suspect, un quadragénaire qui a eu de lourds antécédents de drogue, de bipolarité, de problèmes psychiques, et aussi de vols, d'enlèvements de jeunes filles, etc. Il était très dépressif et connu de la justice. Ce qui est notable également, c'est que, contrairement à un assassin d'enfants comme Michel Fourniret, dont le visage et la silhouette laissent deviner une personne inquiétante, le suspect n'effrayait pas physiquement, semblait tout à fait normal, sans allure inquiétante, avec du reste un nom et une apparence bien français (je le précise car il est souvent de bon ton de répéter, à tort, que les auteurs de meurtres seraient souvent issus de l'immigration, pour rester soft).

    La justice a communiqué avec parcimonie et retard ces nouveaux éléments de l'enquête, probablement avec un objectif précis. Peut-être envisage-t-elle une autre personne impliquée ? Les chances de revoir Lina sourire à nouveau, bien vivante, se réduisent malheureusement depuis ces nouveaux faits.

    Ce qui est troublant aussi, c'est que deux autres affaires, qui n'ont en principe rien à voir avec sa disparition, ont eu lieu : la mort de son premier petit ami (à 22 ans) le 1er octobre 2023 d'un accident de voiture (il roulait trop vite et a été flashé à 185 kilomètres par heure ; l'enquête a conclu qu'il ne s'agissait pas d'un suicide). En outre, Lina avait déposé plainte en juin 2022 car victime d'un viol en réunion (elle avait 13 ans), plainte initialement classée sans suite mais reprise par l'ouverture d'une information judiciaire en février 2024, là aussi sans rapport avec sa disparition.

    Lina avait obtenu le brevet des collèges en juin 2023 et préparait un CAP Aide à la personne. Elle aurait dû fêter son 16e anniversaire ce samedi 10 août 2024. Un anniversaire de larmes.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (03 août 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    La nuit bleue de Lina.
    La nuit de Célya.
    La nuit d'Émile Soleil.
    Affaire Grégory : la vérité sans la boue ?
    Alexandra Sonac et sa fille adolescente.
    Harcèlement scolaire et refus d'obtempérer.
    Alisha, victime d’un engrenage infernal.
    À propos de la tragique disparition de Karine Esquivillon...
    Meurtre de Lola.
    Nos enseignants sont des héros.
    La sécurité des personnes face aux dangers.


     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240730-lina.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/la-nuit-bleue-de-lina-256111

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/07/30/article-sr-20240730-lina.html




     

  • Yves Duteil, passeur de mots

    « Et si parfois je te montre les rails, c'est pour que tu y ajoutes l'aiguillage à ton idée. » (Yves Duteil, 2006).



     

     
     


    Le chanteur (auteur-compositeur-interprète) Yves Duteil fête son 75e anniversaire ce mercredi 24 juillet 2024. Cela fait plus de cinquante ans qu'il existe de la paysage de la chanson française (son premier disque date de 1972) et il se caractérise par l'amour des mots, de la langue française. Il a été plusieurs fois récompensé pour les paroles et la musique de ses chansons (par la Sacem, par l'Académie française, par l'Académie Charles-Cros, etc.). Il a fait un concert il y a encore quelques mois, le 2 novembre 2023, aux Folies Bergère à Paris.

    Soixante-quinze ans déjà, est-on tenté de dire et d'y aller sur le temps qui passe. Il était très connu dans les années 1970 avec deux ou trois chansons très bucoliques, pleines de tendresse des êtres et des mots, en particulier cette chanson "Prendre un enfant par la main" qui a été sacrée meilleure chanson française du XXe siècle par le magazine "Le Temps" en 1987.

    « Prendre un enfant par la main
    Pour l'emmener vers demain,
    (…)
    Prendre un enfant par la main
    En regardant tout au bout du chemin,

    Prendre un enfant pour le sien. »

    Dans le même album sorti en 1977, deux autres chansons ont eu aussi une destinée retentissante, "Tarentelle" et "Le petit pont de bois" (et j'ajouterais aussi "La puce et le pianiste"). Une vingtaine d'albums, près de quatre centaines de chansons, aussi beaucoup d'ouvrages écrits, une quinzaine (Yves Duteil est un écrivain, voir ci-après).

    Yves Duteil était l'ami des enfants, du moins ceux qui étaient enfants dans les années 1970 ! Ce n'est pas anodin qu'il existe une trentaine d'établissements scolaires qui sont baptisés à son nom en France, ce qui est très rare pour une personnalité encore vivante.

    Il est un star atypique (il n'est pas le seul comme cela, heureusement). Loin des paillettes, connu avec une image d'amoureux de la nature, une guitare à la main et de longs cheveux très à la mode de l'époque, Yves Duteil semble être quelqu'un de très stable, qui a traversé sans encombres des décennies très marquées : il s'est marié en juin 1975 et vit toujours avec sa femme, ils ont une fille et un petit-fils, et comme tout le monde, des pépins de santé, etc. qu'il a racontés dans son autobiographie "Chemins de liberté" sorti le 6 mai 2021 (éd. de L'Archipel).

    Les chansons ne reflètent pas seulement des mots d'amoureux, mais aussi de militant, celui d'un engagement calme et respectueux néanmoins profond. Yves Duteil a soutenu ainsi une jeune Tibétaine condamnée à la prison. Yves Duteil a aussi évoqué l'assassinat du Premier Ministre israélien Yitzhak Rabin en 1997.

    Il a condamné aussi l'antisémitisme en se replongeant dans l'histoire de l'Affaire Dreyfus, c'est-à-dire, dans sa propre histoire car le capitaine Alfred Dreyfus, injustement condamné parce qu'il était Juif, n'était autre que son grand-oncle (son grand-père a fait changer son nom Deutsch en Duteil) : « Je suis né dans une famille juive qui m’a baptisé. Je n’ai pas reçu d’éducation religieuse, mais ce baptême de complaisance a laissé une empreinte. ».

    « Et je retrouve en moi

    Ta foi dans la justice
    Et ta force au combat.
    Dans ton honneur déchu,
    Malgré ta peine immense,
    Tu n'as jamais perdu

    Ton amour pour la France. »

    Parmi d'autres engagements qui ont marqué sa vie, Yves Duteil s'est fait élire et réélire, de 1989 à 2014, maire de Précy-sur-Marne, un village de moins de 1 000 habitants dans le nord-ouest de la Seine-et-Marne (avec une étiquette centriste). Les Guignols de l'Info l'ont même caricaturé parce qu'il a soutenu Jacques Chirac en 1995. Il s'engagea aussi dans les Jeux olympiques d'hiver à Albertville en 1992 où il donna une chanson retenue par le comité olympique ("La Fleur de l'impossible").

    Avant de proposer quelques chansons disponibles sur Internet (une quinzaine), je propose quelques belles phrases issues de deux de ses livres.


    L'amour : « La plus belle définition que j'en connaisse [de l'amour] : "Quelqu'un qui vous aime, c'est quelqu'un qui vous a à sa merci mais qui n'en profite pas". » (2014). L'exemple le plus simple de cette définition, c'est de dormir ensemble, ce qui revient à s'abandonner à l'autre.

    Toujours l'amour : « Tu dis les mots justes et souvent tes phrases commencent par "oui..", même pour conduire doucement vers le contraire en ouvrant la porte de la tolérance. » (2006).

    Soif de connaissances : « La première condition pour apprendre est d'accepter d'ignorer. » (2006). Une reformulation du fameux "gnothi séauton" de Socrate.

    Vaine démagogie : « En attendant, on confie notre destin à la démocratie. Celui qui fait le mieux semblant de tout savoir est élu pour demander ensuite à ceux qui ont le plus de diplômes de lui dire ce qu'il faut faire devant l'inconnu... Et, sitôt qu'il est élu, on ne songe qu'à le remplacer par un autre qui a l'air de mieux savoir demander aux mêmes... » (2006).


    1. "J'ai caché ton mouchoir" (1974)






    2. "Tarentelle" (1977)






    3. "Prendre un enfant" (1977)






    4. "Le petit pont de bois" (1977)






    5. "La puce et le pianiste" (1977)






    6. "Les p'tites casquettes" (1977)






    7. "J'ai la guitare qui me démange" (1979)






    8."La maman d'Amandine" (1979)






    9. "Mélancolie" (1979)






    10. "La langue de chez nous" (1985)






    11. "Les petits hommes verts" (1987)






    12. "La Fleur de l'impossible" (J.O. 1992)






    13. "Dreyfus : je suis son neveu" (1997)






    14. "La Tibétaine" (1997)






    15. "Grand-père Yitzhak" (1997)






    16. Ses plus belles chansons des années 1970







    17. Émission "C à vous" le 5 mai 2021 sur France






    Aussi sur le blog.


    Sylvain Rakotoarison (20 juillet 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    Yves Duteil.
    Pierre Perret.
    Michel Polnareff.
    Françoise Hardy.
    Charles Aznavour.
    Alain Souchon.
    Patrick Bruel.
    Eden Golan.
    ABBA.
    Toomaj Salehi.
    Sophia Aram.
    Fanny Ardant.
    Alain Bashung.
    Alain Chamfort.
    Micheline Presle.
    Plastic Bertrand.
    Jacques Dutronc.

    Guy Marchand.
    Maria Callas.
    Catherine Deneuve.
    Gérard Depardieu.
    Stéphanie de Monaco.
    Jane Birkin.
    Fernand Raynaud.
    Marcel Zanini.
    Patricia Kaas.
    Kim Wilde.

     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240724-yves-duteil.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/yves-duteil-passeur-de-mots-255817

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/07/20/article-sr-20240724-yves-duteil.html



     

  • La nuit de Célya

    Tristesse infinie. Petite pitchounette meurtrie. Dont on a ôté la vie.


     

     
     


    Les téléspectateurs de ce vendredi 12 juillet 2024, dans la soirée, ont pu apprendre la nouvelle : une alerte enlèvement. Le nom de l'enfant disparu, Célya, son âge, 6 ans, ses vêtements, les lieux où elle pourrait être, etc. Et une photo. Rien n'est inutile pour retrouver un enfant. On sait bien que c'est aux premières heures qu'on peut retrouver un enfant et plus le temps s'allonge, plus la probabilité des retrouvailles s'écroule.

    Dans une sorte d'insensé espoir, on se dit que c'est une erreur, l'enfant s'est perdue, on va vite la retrouver et on en sera pour une bonne peur, qu'on racontera plus tard, comme souvenir d'un été particulièrement stressant. Peut-être en rigolant. Et puis l'optimisme s'écroule, s'effondre, lorsqu'on lit un macabre communiqué, comme un couperet de guillotine, cette nuit, du parquet de Rouen : « Le corps sans vie de Célya a été retrouvé. ».

    Des dizaines, peut-être des centaines de personnes ont communié à cette disparition, ont aidé, ont cherché à s'informer, à avoir des nouvelles de la petite, se sont mis à la place de sa mère, se sont inquiétés pour elle. Incontestablement, même si c'est très anecdotique, il y a encore des pistes de progression pour le Ministère de la Justice dans la communication avec le grand public. Sans ménagement. Sans ambages, on apprend que le pire est arrivé. Effondrement infini.

    Un peu plus tard, on apprend que l'alerte enlèvement a été très utile, et il faut s'en féliciter car la procédure est maintenant bien rodée et peut sauver des vies. Hélas, ici, cela n'a pas suffi. Un témoin a pu informer la police qu'il avait vu le véhicule du beau-père de Célya.
     

     
     


    C'est à partir de cette information que la brigade des recherches de la gendarmerie nationale d'Yvetot, en Seine-Maritime, a pu faire des investigations dans les environs et a trouvé le corps sans vie de Célya dans un bois, pas loin du véhicule. Le propriétaire du véhicule et auteur présumé du meurtre de la petite fille de 6 ans est encore en fuite et peut d'ailleurs être dangereux (des conseils de prudence et de vigilance sont donnés).

    Dans le communiqué du procureur de la République de Rouen publié au milieu de la nuit (lire en fin d'article), il est précisé que la mère de Célya a d'abord été victime de coups de son compagnon et a été hospitalisée, sans que ses jours, heureusement, ne soient en danger. Enfin, c'est une façon de parler, car lorsqu'elle s'apercevra de la situation, sa vie sera foutue, elle aura une blessure indélébile, incicatrisable, le monde s'est écroulé pour elle. Perdre un enfant. Toujours innocent. Insurmontable.

    Beaucoup de réactions affluent, en particulier sur Twitter, même des politiques, dont le député FI Carlos Martens Bilongo. Soit les internautes s'adressent à l'enfant pour lui souhaiter la paix, un monde doux dans le ciel, soit ils pensent à la famille, à sa mère (qui est hospitalisée). Compassion. Certains se demandent si la mort remonte à avant ou après l'alerte enlèvement, d'autres évoquent la peine de mort, se lâchent même sur leur propre idéologie qui y voit matière à récupération politique, mais heureusement, ils sont très peu nombreux. Face à l'amour d'une vie, au départ d'un enfant, la décence reste relativement bien partagée. Quelques-uns enfin ont publié la photographie du suspect, le compagnon de la mère, comme pour inciter au lynchage, alors qu'il faut rappeler que la sanction doit être prononcée par la justice et tant qu'un suspect n'est pas jugé, il est présumé innocent. Je sais, c'est dur de l'écrire, mais qui est-on pour condamner alors qu'on ne connaît rien de rien ?

    Entre les statistiques des homicides volontaires et la photo de la petite Célya, entre les arguments nauséeux de gros bourrins qui se nourrissent, comme des vampires, des victimes, et l'innocence de cette âme assassinée, il y a effectivement un immense fossé. La violence, celle de la maison d'à-côté, la guerre, lointaine ou proche, dans les cœurs, les arguments de force, de brutalité, hélas, font partie inhérente de cette humanité qui peut le meilleur et le pire, et parfois en même temps.


    Est-ce un féminicide d'avoir voulu assassiner sa mère, d'avoir assassiné sa belle-fillette ? On pourrait aussi appeler un célyacide, tellement chaque victime, chaque meurtre est une histoire entière, spécifique, singulière et doit prendre un nom différent. Quelles qu'en soient ses raisons, ou ses déraisons, l'auteur de cette horreur définitive, suprême, de prendre la vie d'un enfant a nécessairement tort, mérite jugement, condamnation et châtiment. Mais de grâce, nous, hommes et femmes libres et éclairés de la société des Lumières, endeuillés, enlarmés par cette tragique, par les autres et par les suivantes hélas, restons humains et n'imitons pas les bourreaux. Ce serait assassiner une seconde fois l'enfance.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (13 juillet 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    La nuit de Célya.
    La nuit d'Émile Soleil.
    Affaire Grégory : la vérité sans la boue ?

     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240713-celya.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/la-nuit-de-celya-255815

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/07/13/article-sr-20240713-celya.html