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sociétal

  • IVG : l'adoption de la loi Veil il y a 50 ans

    « C'est aussi avec la plus grande conviction que je défendrai un projet longuement réfléchi et délibéré par l'ensemble du gouvernement, un projet qui, selon les termes mêmes du Président de la République, a pour objet de "mettre fin à une situation de désordre et d'injustice et d'apporter une solution mesurée et humaine à un des problèmes les plus difficiles de notre temps". » (Simone Veil, le 26 novembre 1974 dans l'hémicycle de l'Assemblée Nationale).


     

     
     


    C'est il y a cinquante ans, le 26 novembre 1974, que l'examen du projet de loi relatif à l'interruption volontaire de grossesse (dite loi Veil) a commencé en séance publique à l'Assemblée Nationale, dans un climat particulièrement houleux et difficile. Le projet de loi a été déposé le 15 novembre 1974 et il a fallu trois jours très intensifs de débat pour aboutir à son adoption en première lecture par les députés.

    Il faut rappeler deux contextes : le contexte politique et le contexte social.

    Le contexte politique, d'abord. La mort soudaine du Président Georges Pompidou le 2 avril 1974 a traumatisé les responsables UDR (gaullistes), traumatisme renforcé par la division au sein de leur parti pour l'élection présidentielle et la perte de l'Élysée après quinze années. Valéry Giscard d'Estaing, jeune fringant et moderne, a été élu et a promis une libéralisation de la société. Parmi ses engagements, la dépénalisation de l'avortement. Soit dit en passant : VGE a toujours été meurtri, jusqu'à la fin de sa vie, qu'on ne parle pas de loi VGE pour la loi sur l'IVG car il a pris seul l'initiative politique de ce texte.

    Comme pour la majorité à 18 ans, Valéry Giscard d'Estaing entendait aller très vite avec l'IVG, considérant que les grandes réformes, surtout si elles sont très sensibles (comme l'IVG), doivent être réalisées au début d'un mandat présidentiel, en bénéficiant politiquement encore de l'état de grâce de l'élection. En principe, un sujet comme l'IVG, principalement juridique, devait être défendu par le Ministre de la Justice. En l'occurrence, Jean Lecanuet, président du Centre démocrate (CD), le parti des démocrates chrétiens, ne souhaitait pas défendre une telle loi en raison de ses convictions religieuses, même s'il en voyait la nécessité. C'est donc Simone Veil, magistrate peu politisée (c'était son mari Antoine Veil le politique !) bombardée Ministre de la Santé par la volonté de donner plus de responsabilité aux femmes, choisie par le nouveau Premier Ministre Jacques Chirac, par l'entremise d'une grande amie commune, Marie-France Garaud. Lorsqu'elle a accepté sa mission d'entrer au gouvernement, d'une part, elle ne connaissait pas beaucoup de choses dans le domaine de la santé (elle était juge et pas médecin), et d'autre part, on ne lui avait pas dit à sa nomination qu'elle serait sur le front de l'IVG. Peut-être que ses bonnes connaissances juridiques ont aidé, mais je crois avant tout que c'était la femme et c'était la santé publique à assurer qui ont été ses deux moteurs.

    Le contexte social ensuite. S'il y avait un responsable politique qui était très conscient de l'importance vitale de faire une loi sur l'IVG, c'était le nouveau Ministre de l'Intérieur, prince des giscardiens, à savoir Michel Poniatowski qui était, juste avant l'élection présidentielle, Ministre de la Santé (le prédécesseur direct de Simone Veil) et qui a bien compris l'horreur sanitaire en cours mais aussi judiciaire. Trop de femmes avortaient clandestinement pour que l'État puisse concrètement toutes less sanctionner pénalement comme le voulait la loi encore en vigueur. La loi d'amnistie du 10 juillet 1974 portait très explicitement sur les faits d'avortement et, dans sa conférence de presse du 25 juillet 1974, VGE a annoncé l'absence de poursuite pour avortement jusqu'à l'adoption d'une loi sur l'IVG. Mais surtout, trop de femmes mouraient au cours d'un avortement clandestin. Il y avait environ 1 000 avortements clandestins par jour en France et un de ces mille entraînait la mort de la femme (en raison des conditions précaires, manque de stérilisation, absence de médecin, etc.).
     

     
     


    Cette considération sanitaire avait déjà conduit le Premier Ministre précédent Pierre Messmer à déposer un projet de loi sur l'IVG dès le 7 juin 1973, mais lors du début de son examen en séance publique à l'Assemblée, le 14 décembre 1973, le projet a été renvoyé en commission pour pouvoir créer un consensus parlementaire sur le sujet. La mort de Président de la République a fait abandonner ce texte.

    Un nouveau texte a donc été adopté au conseil des ministres et déposé à l'Assemblée le 15 novembre 1974. L'examen à l'Assemblée en première lecture a eu lieu au cours de huit séances publiques du 26 novembre 1974 à la nuit du 28 au 29 novembre 1974. Le discours introductif de Simone Veil le 26 novembre 1974 est resté dans les annales de l'histoire. Elle a commencé ainsi : « Si j'interviens aujourd'hui à cette tribune, ministre de la santé, femme et non-parlementaire, pour proposer aux élus de la nation une profonde modification de la législation sur l'avortement, croyez bien que c'est avec un profond sentiment d'humilité devant la difficulté du problème, comme devant l'ampleur des résonances qu'il suscite au plus intime de chacun des Français et des Françaises, et en pleine conscience de la gravité des responsabilités que nous allons assumer ensemble. ».

    Reprenant tous les raisons de ne pas légiférer, la ministre a ensuite posé les termes de l'enjeu : « Nous sommes arrivés à un point où, en ce domaine, les pouvoirs publics ne peuvent plus éluder leurs responsabilités. Tout le démontre : les études et les travaux menés depuis plusieurs années, les auditions de votre commission, l'expérience des autres pays européens. Et la plupart d'entre vous le sentent, qui savent qu'on ne peut empêcher les avortements clandestins et qu'on ne peut non plus appliquer la loi pénale à toutes les femmes qui seraient passibles de ses rigueurs. Pourquoi donc ne pas continuer à fermer les yeux ? Parce que la situation actuelle est mauvaise. Je dirai même qu'elle est déplorable et dramatique. ».

    Peu après, le passage le plus important : « Je le dis avec toute ma conviction : l'avortement doit rester l'exception, l'ultime recours pour des situations sans issue. Mais comment le tolérer sans qu'il perde ce caractère d'exception, sans que la société paraisse l'encourager ? Je voudrais tout d'abord vous faire partager une conviction de femme, je m'excuse de le faire devant cette Assemblée presque exclusivement composée d'hommes : aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l'avortement. Il suffit d'écouter les femmes. C'est toujours un drame et cela restera toujours un drame. C'est pourquoi, si le projet qui vous est présenté tient compte de la situation de fait existante, s'il admet la possibilité d'une interruption de grossesse, c'est pour la contrôler et, autant que possible, en dissuader la femme. Nous pensons ainsi répondre au désir conscient ou inconscient de toutes les femmes qui se trouvent dans cette situation d'angoisse (…). Actuellement, celles qui se trouvent dans cette situation de détresse, qui s'en préoccupe ? La loi les rejette non seulement dans l'opprobre, la honte et la solitude, mais aussi dans l'anonymat et l'angoisse des poursuites. Contraintes de cacher leur état, trop souvent elles ne trouvent personnes pour les écouter, les éclairer et leur apporter un appui et une protection. Parmi ceux qui combattent aujourd'hui une éventuelle modification de la loi répressive, combien sont-ils ceux qui se sont préoccupés d'aider ces femmes dans leur détresse ? Combien sont-ils ceux qui, au-delà de ce qu'ils jugent comme une faute, ont su manifester aux jeunes mères célibataires la compréhension et l'appui moral dont elles avaient grand besoin ? ».
     

     
     


    Rien n'était acquis et Simone Veil a plus tard raconté qu'elle n'imaginait pas le flot de haine de la part de certains parlementaires. La palme du plus odieux doit être sans doute attribuer au député centriste Jean-Marie Daillet, élu de la Manche, qui a comparé le 27 novembre 1974 l'avortement aux assassinats de bébés dans les fours crématoires à Auschwitz : « On est allé, quelle audace incroyable, jusqu'à déclarer tout bonnement qu'un embryon humain était un agresseur. Eh bien ! ces agresseurs, vous accepterez, madame, de les voir, comme cela se passe ailleurs, jetés au four crématoire ou remplir des poubelles ! ». Adressé à une ancien déportée qui a perdu une partie de sa famille dans les camps de la mort, c'était particulièrement maladroit et malvenu, et disons-le, totalement dégueulasse. Jean-Marie Daillet s'est d'ailleurs rendu compte de ce qu'il avait dit dans la colère de sa passion et est venu présenter ses excuses à Simone Veil. Un soir, à la demande de l'Élysée, Jacques Chirac est venu en renfort dans la discussion pour aider sa ministre, mais elle se sentait particulièrement seule avec son texte.

    La situation parlementaire était compliquée parce que, menés par l'ancien Premier Ministre Michel Debré, nataliste réputé, les députés gaullistes étaient prêts à voter contre ou à s'abstenir. C'était sûr que Simone Veil ne pouvait pas ne compter que sur les députés de la majorité. Elle devait aussi négocier avec les socialistes, qui étaient favorables, menés par le président de leur groupe Gaston Defferre (maire de Marseille). Le point crucial était la position des centristes du Centre démocrate, dont les convictions religieuses mettaient en porte-à-faux la morale et la nécessité publique.

    Le mari de Simone Veil, Antoine Veil, très introduit dans les cercles centristes, avaient l'habitude de rencontrer les responsables centristes chez lui, à son domicile, au sein du Club Vauban (nom du lieu où les Veil habitaient). Son entremise a été capitale pour convaincre notamment l'ancien résistant et ancien ministre Eugène Claudius-Petit qui avait un grand pouvoir d'influence sur ses collègues centristes. Pour obtenir finalement son soutien, Simone Veil a modifié le texte en retirant l'obligation des médecins à faire une IVG avec une clause de conscience et en supprimant le remboursement de l'IVG par la sécurité sociale, mettant la gauche dans l'embarras mais permettant aux députés centristes de ne pas voter une loi qui encouragerait l'avortement. L'article 1er du texte réaffirme par ailleurs le respect du droit à la vie comme principe intangible.

    La conclusion a été souriante pour Simone Veil puisque dans la nuit du 28 au 29 novembre 1974, à 3 heures 40 du matin, le projet de loi a été adopté en première lecture par 284 voix pour et 189 contre, sur 479 votants avec 6 abstentions (scrutin n°120).

    Parmi les pour : Paul Alduy, Pierre Bernard-Reymond, André Bettencourt, Jean-Jacques Beucler, Jean de Broglie, Aimé Césaire, Jacques Chaban-Delmas, André Chandernagor, Jean-Pierre Chevènement, Roger Chinaud, Eugène Claudius-Petit, Jean-Pierre Cot, Michel Crépeau, Gaston Defferre, André Delelis, Hubert Dubedout, Jacques Duhamel, André Duroméa, Robert Fabre, André Fanton, Maurice Faure, Georges Fillioud, Henri Fiszbin, Raymond Forni, Joseph Franceschi, Jean-Claude Gaudin, Yves Guéna, Robert Hersant, Pierre Joxe, Didier Julia, Pierre Juquin, André Labarrère, Paul Laurent, Jacques Legendre, Max Lejeune, Louis Le Pensec, Roland Leroy, Charles-Émile Loo, Philippe Madrelle, Georges Marchais, Jacques Marette, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Georges Mesmin, Louis Mexandeau, Hélène Missoffe, François Mitterrand, Guy Mollet, Lucien Neuwirth, Arthur Notebart, Bernard Pons, Jean Poperen, Jack Ralite, Marcel Rigout, Alain Savary, Jean-Jacques Servan-Schreiber, Jacques Soustelle, Pierre Sudreau, Alain Terrenoire, Alain Vivien, Robert-André Vivien et Adrien Zeller.
     

     
     


    Parmi les contre : Pierre Bas, Pierre Baudis, Jacques Baumel, Pierre de Bénouville, Jacques Blanc, Robert Boulin, Loïc Bouvard, Claude Coulais, Jean-Marie Daillet, Marcel Dassault, Michel Debré, Jean Foyer, Emmanuel Hamel, Louis Joxe, Jean Kiffer, Claude Labbé, Joël Le Theule, Maurice Ligot, Christian de La Malène, Alain Mayoud, Jacques Médecin, Pierre Méhaignerie, Pierre Messmer, Maurice Papon, Jean Seitlinger et Jean Tiberi, etc. Se sont abstenus notamment Roland Nungesser et Gabriel Kaspereit.

    Le Sénat a examiné alors le projet de loi en première lecture les 13 et 14 décembre 1974, l'a adopté le 14 décembre 1974 avec des modifications, ce qui a rendu nécessaire une seconde lecture, puis une commission mixte paritaire le 19 décembre 1974 (portant sur le remboursement de l'IVG). L'Assemblée et le Sénat ont adopté le texte définitif le 20 décembre 1974 (pour l'Assemblée, par 277 voix pour et 192 voix contre sur 480 votants avec 11 abstentions). Valéry Giscard d'Estaing a ensuite, le 17 janvier 1975, promulgué la loi n°75-18 du 17 janvier 1975, qui, à l'origine, prévoyait une dépénalisation expérimentale pendant cinq ans. Une deuxième loi a été ultérieurement votée pour rendre permanente la dépénalisation (loi n°79-1204 du 31 décembre 1979).

     
     


    Après plusieurs autres modifications du texte, le droit à l'IVG est entré dans la Constitution le 8 mars 2024 au cours d'une cérémonie Place Vendôme, devant le Ministère de la Justice, présidée par Emmanuel Macron. Les études montrent que la loi Veil n'a pas fait augmenter le nombre d'avortements en France qui reste stable, autour de 200 000 par an.
     

     
     


    Ce vendredi 29 novembre 2024 à 22 heures, la chaîne parlementaire LCP fête ce cinquantenaire en rediffusant le téléfilm de Christian Faure intitulé "La Loi, le combat d'une femme pour toutes les femmes" diffusé pour la première fois le 26 novembre 2014 sur France 2 (pour le quarantième anniversaire). Autant le dire tout de suite, faire un film avec des personnages de la classe politique contemporaine est toujours casse-cou car toujours très différent de la réalité et la fiction peut aussi n'être qu'une pâle imitation des personnages réels.

    Néanmoins, on saluera quand même la prestation de l'actrice Emmanuelle Devos dans le rôle principal, celui de Simone Veil, et on regardera avec curiosité Antoine Veil (joué par Lionel Abelanski, dont le rôle dans le scénario est toutefois très insuffisant par rapport à la réalité), Dominique Le Vert, le dircab de Simone Veil (joué par Lorant Deutsch), et j'avoue que j'ai eu du mal à croire aux autres personnages : Gaston Defferre (joué par Michel Jonasz), Michel Debré (Éric Naggar), Jean Lecanuet (Olivier Pagès), Jacques Chirac (Michaël Cohen), Eugène Claudius-Petit (Bernard Menez), et je ne croyais pas du tout en Charles Pasqua (Philippe Uchan), Jean-Marie Daillet (Patrick Haudecœur), Edgar Faure (Laurent Claret) qui présidait ces séances historiques... avec juste une exception, Marie-France Garaud (jouée par Émilie Caen).


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (23 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    IVG : l'adoption de la loi Veil il y a 50 ans.
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    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241128-ivg.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/ivg-l-adoption-de-la-loi-veil-il-y-257490

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/26/article-sr-20241128-ivg.html



     

  • Le droit de vote à 18 ans, c'était il y a 50 ans grâce à Giscard !

    « De ce jour date une ère nouvelle de la politique française, celle du rajeunissement, et du changement de la France. » (VGE, le 27 mai 1974).

     

     
     


    L'affiche est connue, c'était le début de l'ère moderne de la communication politique. Valéry Giscard d'Estaing avait fait contribuer sa plus jeune fille Jacinte, elle venait alors d'avoir 14 ans (elle est morte avant son père en janvier 2018), pour sa campagne présidentielle de 1974. Dans ses bagages, avec son élection très serrée face au candidat socialiste François Mitterrand, le droit de vote à 18 ans. Plus exactement, la majorité à 18 ans qui a été adoptée définitivement par le Parlement français il y a cinquante ans, le 28 juin 1974.

    Le droit de vote est toute une histoire. La majorité civile était fixée par décret le 20 septembre 1792 à l'âge de 21 ans pour les hommes et les femmes (au lieu de 25 ans), ce décret complétait le décret du 28 août 1792 qui avait aboli les droits des pères sur leurs enfants majeurs. Le Code Napoléon l'a ensuite modifiée en 1804 en la fixant à 21 ans pour les femmes et 25 ans pour les hommes. Puis, la majorité a été fixée à 21 ans pour tous par la loi du 21 juin 1907.

    Mais le droit de vote n'était pas vraiment couplé avec la majorité civile. D'abord, les femmes n'ont eu le droit de vote que le 21 avril 1944. Quant aux hommes, après la Révolution, le suffrage était souvent censitaire : sous la Restauration, en 1815, ils pouvaient voter seulement à partir de 30 ans et seulement s'ils payaient beaucoup d'impôts. Avec la Monarchie de Juillet, en 1830, les conditions se sont assouplies : l'âge à partir duquel un homme pouvait voter a été abaissé à 25 ans et le seuil des impôts payés réduit du tiers. En 1848, l'âge a encore baissé et le suffrage est devenu universel au lieu de censitaire, c'est-à-dire que tous les hommes de plus de 21 ans, quel qu'ils fussent devant l'impôt, pouvaient voter.

    Valéry Giscard d'Estaing a été élu le 19 mai 1974 et a pris ses fonctions le 27 mai 1974. Son objectif : faire de la France (qui était en retard pour l'âge du droit de vote par rapport à ses voisins) une « société libérale avancée ».Il n'a donc pas perdu de temps et a fait très rapidement adopter sa première réforme de société, très attendue par les jeunes : l'Assemblée Nationale a adopté en procédure d'urgence (sur le rapport d'Alain Terrenoire) à main levée et à la quasi-unanimité le projet de loi fixant la majorité civile à 18 ans (au lieu de 21 ans) le 25 juin 1974 et le Sénat l'a adopté dans la lancée le 28 juin 1974 (sur le rapport de Jacques Genton). Cette adoption définitive a entraîné logiquement la promulgation de la loi le 5 juillet 1974 (loi n°74-631 du 5 juillet 1974 fixant à 18 ans l'âge de la majorité) par le nouveau Président de la République, élu à 48 ans, ce qui était le record de jeunesse depuis 1870 (en 2017, Emmanuel Macron l'a battu à 39 ans). Ont signé aussi ce texte le Premier Ministre Jacques Chirac et les ministres Michel Poniatowski (Intérieur), Jean Lecanuet (Justice), Jacques Soufflet (Défense) et Olivier Stirn (DOM-TOM).
     

     
     


    À l'origine, le garde des sceaux Jean Lecanuet avait voulu proposer le droit de vote à 18 ans tout en maintenant la majorité civile à 21 ans. Ce furent les députés, au cours de l'examen en séance publique, qui ont voulu carrément abaisser l'âge de la majorité civile à 18 ans. C'était une révolution puisque cela modifiait l'âge adopté en 1848 ! Cela signifiait par exemple qu'au-delà du droit de vote, les jeunes de 18 à 21 ans pouvaient aussi se marier et ouvrir un compte bancaire sans obtenir l'accord de leurs parents.

    Beaucoup ont dit que cette réforme était une conséquence de la révolte étudiante de mai 1968. Valéry Giscard d'Estaing était arrivé à l'Élysée sous le signe de la jeunesse et c'est pourquoi il a voulu faire cette réforme la premier signe emblématique du renouveau sociétal. Son concurrent du second tour François Mitterrand y était également favorable puisque cette mesure faisait partie du programme commun de la gauche. Du reste, le Premier Ministre Pierre Messmer, avant VGE, avait proposé un même texte dès 1972 mais son processus législatif n'a pas pu aboutir à cause de la mort de Georges Pompidou (et aussi parce que ce dernier y était plutôt opposé).

    C'étaient 2,4 millions de jeunes entre 18 et 21 ans qui étaient concernés mais ceux-ci se sont finalement sentis un peu floués car il n'y a pas eu d'élections importantes avant les élections municipales de mars 1977, c'est-à-dire que les jeunes de 18 ans en 1974 allaient avoir de toute façon 21 ans en 1977 (il y avait cependant des élections cantonales en mars 1976 mais seulement pour la moitié des cantons).
     

     
     


    Cette réforme a fait donc partie d'une série de réformes faites dans les premières années du septennat de VGE visant à moderniser la France, à adapter la loi aux mœurs, et après la majorité à 18 ans, il y a eu le remboursement de la pilule le 4 décembre 1974 (la contraception est devenue un "droit individuel"), la dépénalisation de l'IVG le 17 janvier 1975, portée par Simone Veil, la libéralisation de l'audiovisuel par l'éclatement de l'ORTF le 6 janvier 1975, le divorce par consentement mutuelle le 11 juillet 1975, etc. À cela, il faut ajouter une révolution constitutionnelle avec la révision du 29 octobre 1974 permettant à 60 parlementaires de saisir le Conseil Constitutionnel sur la conformité d'un projet de loi adopté définitivement au Parlement (ce qui a donné un grand pouvoir à l'opposition pour s'opposer juridiquement aux textes de la majorité ; auparavant la saisine du Conseil Constitutionnel était réservée aux seuls Président de la République et Présidents des deux assemblées).

    Le politologue Raymond Aron a ainsi commenté cette réforme le 22 novembre 1974 sur France Culture, de manière un peu dubitative : « Il [VGE] a voulu mettre, pour ainsi dire, au défi, les commentateurs, les adversaires, les critiques et être le Président le plus jeune de l'histoire de France qui accordait le droit de vote aux garçons et aux jeunes filles de 18 ans. (…) Il est évident que demander aux garçons et aux jeunes filles de 18 ans de décider de ceux qui nous gouverneront est un pari. ».
     

     
     


    Et effectivement, si le pari pour la capacité des jeunes était gagné d'avance (même si le problème ultérieur serait plutôt que beaucoup de jeunes s'en moqueraient, soit ne s'inscrivant pas sur les listes électorales soit s'abstenant massivement), le pari était plutôt sociologique et politique pour Valéry Giscard d'Estaing puisque les enquêtes d'opinion montraient clairement que les jeunes de 18 à 21 ans lui préféraient le leader de gauche. C'était là le courage politique de Valéry Giscard d'Estaing dont les décisions relevaient de l'intérêt général et pas de son intérêt électoral immédiat. Car en 1981, la jeunesse française a voté massivement pour François Mitterrand, ce qui a contribué à sa défaite sévère (défaite toutefois qui aurait sans doute eu lieu sans cette réforme).

    Depuis quelques années, on parle maintenant du droit de vote dès l'âge de 16 ans (éventuellement seulement pour les élections municipales), à l'image de l'Équateur, du Brésil ou de l'Autriche, mais les propositions de loi allant dans ce sens n'ont pour l'instant jamais abouti. Après tout, depuis le 1er janvier 2024, on peut passer le permis de conduire de série B dès l'âge de 17 ans révolu, selon le décret du 20 décembre 2023.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (28 juin 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


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    Le droit de vote à 18 ans, c'était il y a 50 ans grâce à Giscard !
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    PMA : la levée de l’anonymat du donneur.
    La PMA pour toutes les femmes.










    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240628-majorite-18-ans.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/le-droit-de-vote-a-18-ans-c-etait-255289

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/06/27/article-sr-20240628-majorite-18-ans.html