« On voudrait bien, ne serait-ce que par souci de ne pas être banal, comparer Joseph Laniel à autre chose qu’un bœuf. Mais cela est d’autant plus impossible qu’il semble cultiver comme à plaisir la ressemblance. Ce n’est pas assez qu’il soit massif, pesant, de membres brefs et lourds, que sa tête engoncée dans ses épaules soit presque aussi large que son poitrail, que ses gros yeux aux bords rouges aient l’air d’attendre les mouches, et que, de son museau qui mastique à l’horizontale (c’est la seule façon qu’a Laniel de ruminer), on s’étonne de ne pas voir découler un scintillant filet de bave. » (André Figueras, 1956).
L'ancien chef du gouvernement de la Quatrième République Joseph Laniel est mort il y a cinquante ans, le 8 avril 1975. L'occasion de revenir sur la période pendant laquelle il a dirigé la France d'une main de fer et sur l'occasion perdue de son élection à la Présidence de la République.
Après trente-quatre années de carrière politique, tant locale que nationale, Joseph Laniel est arrivé au sommet de sa puissance lors de son investiture, le 26 juin 1953, comme Président du Conseil.
Il dirigea l’un des gouvernements les plus longs de la Quatrième République (après Guy Mollet), du 28 juin 1953 au 12 juin 1954. Sa composition fut approuvée par les députés le 30 juin 1953. Il y avait trois Vice-Présidents du Conseil, son mentor Paul Reynaud (CNIP), Henri Queuille (radical) et Pierre-Henri Teitgen (MRP), et on pouvait retrouver (certains étaient simplement reconduits du ou des gouvernement précédents) notamment : François Mitterrand (UDSR) au Conseil de l’Europe, Georges Bidault (MRP) aux Affaires étrangères, secondé par Maurice Schumann (MRP), René Pleven (UDSR) à la Défense nationale et Forces armées, aidé notamment de Pierre de Chevigné (MRP) à la Guerre, Edgar Faure (radical) aux Finances et Affaires économiques, André Marie (radical) à l’Éducation nationale, Louis Jacquinot (CNIP) à la France d’Outre-mer et Paul Coste-Floret (MRP) à la Santé publique et Population. Quatre députés venus du RPF ont fait leur entrée, ce qui était nouveau.
Formellement, il y a eu deux gouvernements, car l’investiture du nouveau Président de la République imposait la démission du gouvernement le 16 janvier 1954, qui fut immédiatement et intégralement reconduit, pratiquement sans aucun changement (à noter l’apparition furtive du député des concierges parisiens, Édouard Frédéric-Dupont, comme Ministre des Relations avec les pays associés du 3 au 9 juin 1954, il avait là l’étiquette CNIP, il avait été élu sous l’étiquette RPF, et il avait voté les plein pouvoirs à Pétain en 1940).
Toute l’attention de Joseph Laniel pendant le temps de son gouvernement fut portée sur les problèmes économiques et financiers. La situation économique était mauvaise, elle se dégradait : la croissance s’essoufflait, le chômage redémarrait. Sur le plan extérieur, il s’était engagé à préserver la continuité de la politique de la France (menée par Georges Bidault). Il y a eu deux éléments perturbateurs pour son gouvernement : la guerre d’Indochine et le projet de la Communauté européenne de défense (CED) qui divisait profondément tant le peuple français que la classe politique.
L’été 1953 fut particulièrement dense dans la vie politique et sociale en France. En effet, profitant des vacances estivales, Joseph Laniel, droit dans ses bottes, a voulu adopter quelques réformes sociales à l’arraché. Le 8 juillet 1953, il a obtenu des députés, par 329 voix contre 277, la possibilité de légiférer par décrets-lois (on dirait "ordonnances" maintenant) pendant trois mois pour réformer (déjà !) l’âge de départ à la retraite des fonctionnaires et les conditions d’avancement, également pour réformer la Banque de France. L’idée annoncée était de faire la rigueur budgétaire pour relancer l’économie. Pour la gauche, c’était le détricotage annoncé du programme du CNR.
Alors que Joseph Laniel pensait pouvoir légiférer en toute quiétude durant l’été, profitant notamment de la division structurelle des forces syndicales (scission de la CGT avec FO), ce fut tout le contraire qui arriva, et cela venant de la base. Avant même que les textes fussent rédigés et présentés, une grande grève commença dans les services publics, à partir du 4 août 1953 (les premiers furent les postiers bordelais). La grève était motivée notamment par des rumeurs sur une harmonisation par le bas des régimes spéciaux de retraites, des licenciements d’auxiliaires, un blocage des salaires, une prolongation de deux ans de l’âge de la retraite, etc. Toutes ces mesures devaient être présentées au Conseil supérieur de la fonction publique, ce qui était prévu d’abord le 4 août puis le 7 août 1953 (ce qui expliquait la grève à partir du 4). Les syndicats ont boycotté la réunion de ce conseil supérieur. Le 9 août 1953, le conseil des ministres a adopté la dernière version des réformes de la fonction publique, faisant quelques concessions aux syndicats mais c’était trop tard, le mouvement était lancé.
Cette grève illimitée a été très suivie, avec une unité syndicale à la base : éboueurs, postiers PTT, cheminots SNCF, électriciens EDF, gaziers GDF, RATP, Air France, personnels de santé, etc. ont fait grève (seuls les enseignants étaient absents du mouvement pour cause de vacances scolaires). 4 millions de grévistes le 13 août 1953 ! On interdisait même aux ministres de téléphoner, les agents coupaient leurs communications privées !
La réaction du gouvernement fut également très forte, refusant de céder à la pression des grévistes (Joseph Laniel l’a martelé plusieurs fois le 12 août 1953 à la radio nationale) : perquisitions, arrestations, inculpations (notamment d’André Le Léap, secrétaire général de la CGT, l’autre secrétaire général Benoît Frachon étant passé dans la clandestinité !), réquisition de l’armée et de détenus, etc.
Dans "Le Monde diplomatique" d’août 2017, l’historien Michel Pigenet a expliqué : « Acteur et observateur lucide à son poste de Ministre des Finances, Edgar Faure décrit un climat de "défoulement" et de "bonne rigolade, presque comme un canular". Le sentiment d’invincibilité métamorphose la colère initiale en enthousiasme bon enfant. Août 1953 diffère de novembre-décembre 1947, où les "grèves rouges" s’étaient soldées par la mort de quatre ouvriers et plus de 1 300 arrestations. ».
Le 21 août 1953, finalement, le gouvernement réussit à trouver un accord avec les syndicats FO et CFTC, aucune réforme n’aura été vraiment entérinée, et les retours au travail se sont fait très lentement (les grévistes CGT se sentant trahis). Les personnes arrêtées furent libérées si bien que même la CGT appela à la reprise du travail le 25 août 1953.
Ce qui reste étonnant, c’est que cette grève d’août 1953, qui fut générale et illimitée, n’a pas marqué ce qu’on pourrait appeler la "mémoire collective" ou la "mémoire nationale". Pourtant, elle était mémorable, et surtout, elle n’est pas sans rappeler, aujourd’hui, la crise des gilets jaunes, selon ce qu’a exprimé Michel Pigenet pour août 1953 : « Confronté à l’État patron, le mouvement acquiert une signification politique, mais n’a ni les moyens ni l’ambition de s’ériger en solution de rechange. S’y engager le perdrait. » ("Le Monde diplomatique", août 2017).
Cette crise sociale a cependant fait date à court terme dans l’esprit des parlementaires socialistes, et l’idée d’une résurgence de la Troisième force (SFIO-MRP-radicaux) sous l’égide de Pierre Mendès France allait refaire son chemin. Au congrès du parti radical le 23 septembre 1953, Pierre Mendès France lança : « Nous sommes en 1788 ! » et analysa : « Les grèves récentes n’étaient pas des grèves politiques ni exactement des grèves professionnelles. Certains grévistes étaient incapables de définir avec précision leurs revendications. C’étaient les grèves de la tristesse, du désespoir, du découragement. ». Cela fait en effet penser aux gilets jaunes.
Mais aussi à long terme : elle a tétanisé tous les gouvernements pendant un demi-siècle en les dissuadant de faire des réformes (comme la fin des régimes spéciaux des retraites), nous sommes en pleine actualité ! et aussi dans la structuration de la vie politique. En effet, dès le 22 juillet 1953, un mouvement allait s’opposer aux grévistes qui mettaient en danger l’économie française, notamment les petits entrepreneurs et les commerçants, l’UDCA (Union de défense des commerçants et artisans). Ce mouvement fut celui de Pierre Poujade qui entra massivement à l’Assemblée Nationale aux élections législatives suivantes du 2 janvier 1956 avec 52 élus (dont Jean-Marie Le Pen) et 12,9% des voix (2,7 millions d’électeurs !).
Dans la politique gouvernementale, la crise a aussi eu un effet sur Edgar Faure, aux Finances, qui prôna une volonté de reprise de l’économie française avec une expression qui lui était très particulière : "l’expansion dans la stabilité" (en février 1954). Les salaires des fonctionnaires allaient d’ailleurs augmenter de 14% sur les deux années qui suivaient.
Parmi les mesures économiques et sociales du gouvernement Laniel, il faut citer l’instauration de la TVA (taxe sur la valeur ajoutée) le 10 avril 1954 et l’adoption de la loi n°54-439 du 15 avril 1954 sur le traitement des alcooliques dangereux pour autrui. Toujours dans le domaine social, il faut rappeler que l’abbé Pierre (qui fut député MRP de Nancy de 1945 à 1951) a fait son fameux appel contre la misère le 1er février 1954.
Le 20 août 1953, Joseph Laniel a eu aussi à réagir sur la décision sans concertation du résident général au Maroc de déposer le sultan Mohammed Ben Youssef. Joseph Laniel a finalement entériné à son compte le fait accompli, entraînant des protestations polies d’Edgar Faure et la démission de François Mitterrand le 4 septembre 1953. Plus tard, après avoir quitté le pouvoir, Joseph Laniel s’expliqua sur ce dossier le 8 octobre 1955 devant les députés, ce fut d’ailleurs sa seule intervention publique dans l’hémicycle après sa démission jusqu’à la fin de la législature.
Dans son "Bloc-notes" du 14 novembre 1954, François Mauriac a écrit, sans complaisance : « Il faut rendre justice à monsieur Joseph Laniel : en voilà un qui ne trompe pas son monde ! Ce Président massif, on discerne du premier coup d’œil ce qu’il incarne : il y a du lingot dans cet homme-là. Sans doute ignore-t-il "le grand secret de ceux qui entrent dans les emplois" que nous livre le cardinal de Retz, et qui est "de saisir d’abord l’imagination des hommes". On ne saurait moins parler à l’imagination que monsieur Joseph Laniel. Ce Président-là nous ferait découvrir de la fantaisie chez monsieur Doumergue, et chez monsieur Lebrun, de la verve. » Il est cependant revenu le 29 janvier 1966 sur cette réflexion en regrettant d’avoir employé le mot "lingot".
La grande affaire politique du moment était la Communauté européenne de défense (CED), dont le traité fut signé le 27 mai 1952, mais dont les débats allaient se terminer bien plus tard, le 30 août 1954 avec le rejet par 319 députés français contre 264. Cependant, le clivage sur la CED (qui, comme les autres traités européens par la suite, en 1992 ou en 2005) se faisait à l’intérieur de la plupart des partis (sauf par exemple le MRP qui était proeuropéen de manière homogène) allait se traduire lors de la très difficile élection présidentielle de décembre 1953.
Le mandat de Vincent Auriol s’achevait effectivement et il ne se représentait pas. Le Président de la République était élu par l’ensemble des parlementaires (députés et "conseillers de la République", équivalents de sénateurs). Cette élection présidentielle s’est déroulée dans la plus grande confusion, puisqu’il a fallu treize tours avant de connaître l’élu, pire qu’un pape ! En effet, le Président devait être élu à la majorité absolue, quel que soit le tour, pas seulement à la majorité relative après le premier ou deuxième tour.
Elle a eu lieu du 17 au 23 décembre 1953 et a donné une très mauvaise image de la classe politique et de la Quatrième République. Joseph Laniel s’est présenté à cette élection, dès le premier tour, et fut considéré comme le favori. Il se présenta aux dix premiers tours et il aurait dû, en toute logique arithmétique, être élu. Mais son soutien à la CED, ses manières assez brutales de gouverner ("à la tête de bœuf"), et son "origine industrielle" qui reste toujours effrayante dans la classe politique française (on le voit pour Emmanuel Macron et sa furtive incursion dans une banque d’affaires) lui ont retiré quelques soutiens qui auraient pu être déterminants dans l’élection. Sans compter l’enlisement politique et militaire en Indochine.
Par ailleurs, le Président du Congrès, André Le Troquer (SFIO) a tout fait pour éviter son élection (selon l’historien Jean-Pierre Rioux), jusqu’à retirer, dans la comptabilisation des votes favorables, les bulletins où n’était indiqué que son patronyme "Laniel" sans son prénom Joseph, pouvant ainsi laisser un doute sur la destination du bulletin car il y avait aussi un René Laniel, son frère, qui siégeait au Sénat (il n’était pas nécessaire d’être candidat pour recueillir des voix).
Même si les institutions n’étaient pas comparables, cette élection a montré à quel point il est difficile et, pour l’instant, impossible, à un chef du gouvernement d’être élu Président de la République (à l’exception de De Gaulle le 21 décembre 1958) : en effet, sous la Cinquième République et après la réforme de 1962 du suffrage universel direct pour élire le Président de la République, aucun candidat Premier Ministre en exercice n’a pu se faire élire : ni Jacques Chirac en 1988, ni Édouard Balladur en 1995, ni Lionel Jospin en 2002. Georges Pompidou avait été obligé de démissionner l’année précédant son élection (pour être "en réserve de la République") et Jacques Chirac avait refusé de diriger un nouveau gouvernement de cohabitation en 1993 avant l’élection présidentielle de 1995. Quant aux autres Présidents de la Cinquième République, ils n’ont jamais occupé Matignon.
Le premier tour du 17 décembre 1953 laissait entendre un match entre le socialiste Marcel-Edmond Naegelen, ancien ministre, qui bénéficia aux autres tours du report des voix communistes, et le chef du gouvernement Joseph Laniel. Naegelen a eu 160 voix et Laniel 155 voix, ce qui représentait seulement un sixième des voix et pas la majorité absolue. La raison, c’était la présence d’autres candidats, surtout du centre droit : Georges Bidault représentait le MRP avec 131 voix, Yvon Delbos les radicaux avec 129 voix, même le CNIP était divisé avec un second candidat Jacques Fourcade qui ramassait 62 voix, et un radical indépendant, Jean Médecin (père de Jacques Médecin) a récolté aussi 54 voix. Quant aux deux ailes exclues du pouvoir, les communistes avec Marcel Cachin (113 voix) et les gaullistes avec Paul-Jacques Kalb (114 voix), ils faisaient jeu égal. On voit qu’il y avait une grande dispersion des voix.
Dès le deuxième tour, la gauche a réussi à s’unir, les communistes se sont désistés, et Naegelen a rassemblé 299 voix, frôlant le tiers de voix. Laniel s’est renforcé à 276 voix (30%) mais le maintien de Bidault (143 voix) et Delbos (180 voix) l’ont empêché d’être élu. Après l’abandon de Georges Bidault, du troisième au dixième tours, Joseph Laniel est parvenu à être en tête du scrutin, mais jamais assez pour atteindre la majorité absolue, tandis que Marcel-Edmond Naegelen a consolidé sa position de challenger en deuxième place, oscillant entre 300 et 400 voix.
Au huitième tour, le 20 décembre 1953, Joseph Laniel n’était pas loin de l’élection avec 430 voix (47,3%), il lui manquait 24 voix, et Antoine Pinay et Louis Jacquinot, du même parti que lui, CNIP, ont eu respectivement 25 et 14 voix. Il faut comprendre que ces deux candidats n’étaient pas forcément candidats voulus par eux, c’étaient des parlementaires qui ont pu voter spontanément pour eux.
L’élection de Laniel était donc possible, mais au neuvième tour, un autre candidat CNIP a rassemblé 103 voix, lui faisant perdre mécaniquement une quinzaine de voix. À partir du huitième tour inclus, face au socialiste Naegelen, il n’y avait plus que des candidats CNIP, mais plusieurs, pas un seul. Le centre droit estimait en effet que l’Élysée devait revenir à ce parti, mais visiblement, au sein de la majorité de centre droit, certains refusaient l’élection de Joseph Laniel, trop atlantiste, trop proeuropéen, trop cassant dans son caractère.
Joseph Laniel l’a compris à la fin du dixième tour. Il abandonna la partie, laissant la porte ouverte à un autre candidat CNIP. Louis Jacquinot et René Coty se sont disputé cette candidature dans les trois derniers tours qui ont eu lieu le 23 décembre 1953. Au onzième tour, Louis Jacquinot, beaucoup plus connu des parlementaires que Coty et soutenu par Laniel, a eu une grande avance (338 voix) sur René Coty (71 voix).
Mais ce fut la candidature de René Coty qui s’imposa. Pourquoi ? Parce qu’il était vice-président du Sénat (on n’a pas voulu du Président du Sénat, qui était d’habitude élu sous la Troisième République, probablement parce que c’était Gaston Monnerville). J’écris Sénat mais il faut comprendre Conseil de la République. Et René Coty avait dû s’absenter lors d’un vote au Sénat à propos de la CED, si bien qu’il n’avait pas indiqué de préférences et n’a donc pas suscité de rejet dans ce clivage. René Coty fut élu au treizième tour avec 477 voix (54,8%). Son élection fut cruciale, puisque, quatre ans plus tard, il appela De Gaulle à revenir au pouvoir. Qu’en aurait-il été si Joseph Laniel ou Louis Jacquinot avait été élu Président de la République ? Uchronie inutile mais passionnante.
L’année 1954 fut dominée par la guerre en Indochine. Joseph Laniel continua à solliciter l’aide américaine pour construire une armée vietnamienne face à l’armée Vietminh tout en poursuivant les tentatives de dialogues. Ainsi, il fut décidé de faire du camp de Dien-Bien-Phu un piège pour l’ennemi, mais ce fut l’inverse qui arriva, un immense piège pour les Français. Le camp fut encerclé le 2 février 1954. Joseph Laniel et René Pleven, Ministre de la Défense, furent conspués à l’Arc-de-Triomphe le 4 avril 1954 par d’anciens combattants d’Indochine. La Conférence de Genève s’est ouverte le 26 avril 1954 avec ce climat très hostile, et Dien-Bien-Phu tomba le 7 mai 1954.
Pendant trois jours, le gouvernement a cherché à justifier sa politique tout en mettant en garde contre une crise gouvernementale au moment où la France devait négocier à Genève. Le 12 juin 1954, les députés ont rejeté la confiance au gouvernement par 306 voix contre 296, insuffisamment constitutionnellement, mais politiquement, le sort était jeté. Joseph Laniel remit à René Coty la démission de son gouvernement le jour même.
Ce fut alors l’heure de Pierre Mendès France, qui fut investi le 15 juin 1954 et qui mit fin à la guerre d’Indochine le 20 juillet 1954 avec l’Accord de paix de Genève. Joseph Laniel n’a pas pris part au vote pour l’investiture de son successeur ni pour la ratification de l’Accord de Genève, mais il vota en faveur de la CED le 30 août 1954, une position proeuropéenne qui lui avait probablement coûté l’Élysée.
Aux élections législatives du 2 janvier 1956, Joseph Laniel fut réélu de justesse, sa liste, avec seulement 7,8% des voix, est arrivée en cinquième position dans le Calvados, bien après celles du PCF, de la SFIO, du MRP et des gaullistes. Pendant cette législature (entre 1956 et 1958), il n’est intervenu que deux fois, le 2 mai 1956 pour prôner la rigueur budgétaire, exprimer son soutien à Robert Lacoste et Max Lejeune et sa foi en l’Algérie française, et le 5 mars 1957 pour interpeller le gouvernement sur sa politique agricole. Après avoir voté les pouvoirs spéciaux au gouvernement de Guy Mollet, la loi-cadre de Gaston Defferre sur l’Outremer et la ratification du Traité de Rome, il apporta son soutien au retour au pouvoir du Général De Gaulle en votant l’investiture de son gouvernement le 1er juin 1958 ainsi que les pouvoirs spéciaux et la révision constitutionnelle le 2 juin 1958.
Balayé par la Cinquième République, Joseph Laniel s’est retiré de la vie politique à la fin de l’année 1958 (il avait 69 ans) et est mort à Paris le 8 avril 1975 (à l’âge de 85 ans), après avoir publié "Le Drame indochinois" en 1957 (éd. Plon), "Jours de gloire et jours cruels", ses mémoires, en 1971 (éd. Presse de la Cité) et "Réflexions après l’action" en 1973 (éd. Plon).
Soucieux des équilibres budgétaires, promoteur d’une croissance économique et de la puissance industrielle qui ne pouvait se développer que dans le cadre de la construction européenne, Joseph Laniel n’a probablement pas laissé une grande trace dans la mémoire historique en raison de son caractère bourru, bougon, peu tourné vers la communication et l’explication, dans le mode des patrons paternalistes tout-puissants du XIXe siècle (management directif). Pourtant, peut-être même plus qu’Antoine Pinay et Edgar Faure, il symbolisait sans doute le mieux la volonté de reconstruction du pays (il était très attentionné sur l’indemnisation des victimes de guerre) que l’on a appelée les "Trente Glorieuses" dont certains pourraient avoir la nostalgie dans cette époque de crises durables et multiples.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (05 avril 2025)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Joseph Laniel.
Quel bovin vous amène ?
Le vote des femmes en France.
L'échec de la CED.
Mélinée et Missak Manouchian.
Séminaire gouvernemental, conseil de cabinet et conseil des ministres.
L'abbé Pierre.
André Figueras.
Jean-Marie Le Pen.
Jean Moulin.
Stéphane Hessel.
René Pleven.
Pierre Mendès France.
Léon Blum.
La création du RPF.
De Gaulle.
Germaine Tillion.
François Mitterrand.
Pierre Pflimlin.
Henri Queuille.
Robert Schuman.
Antoine Pinay.
Félix Gaillard.
Les radicaux.
Georges Bidault.
Débarquement en Normandie.
Libération de Paris.
Général Leclerc.
Daniel Cordier.
Le programme du Conseil National de la Résistance (CNR).
Jean Monnet.
Joseph Kessel.
Maurice Druon.
André Malraux.
Maurice Schumann.
Jacques Chaban-Delmas.
Daniel Mayer.
Edmond Michelet.
Alain Savary.
Édouard Herriot.
Vincent Auriol.
René Coty.
Maurice Faure.
Gaston Defferre.
Edgar Faure.
René Cassin.
Édouard Bonnefous.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250408-joseph-laniel.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/joseph-laniel-il-y-a-du-lingot-259374
http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/04/07/article-sr-20250408-joseph-laniel.html
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Joseph Laniel : il y a du lingot dans cet homme-là !
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IVG : l'adoption de la loi Veil il y a 50 ans
« C'est aussi avec la plus grande conviction que je défendrai un projet longuement réfléchi et délibéré par l'ensemble du gouvernement, un projet qui, selon les termes mêmes du Président de la République, a pour objet de "mettre fin à une situation de désordre et d'injustice et d'apporter une solution mesurée et humaine à un des problèmes les plus difficiles de notre temps". » (Simone Veil, le 26 novembre 1974 dans l'hémicycle de l'Assemblée Nationale).
C'est il y a cinquante ans, le 26 novembre 1974, que l'examen du projet de loi relatif à l'interruption volontaire de grossesse (dite loi Veil) a commencé en séance publique à l'Assemblée Nationale, dans un climat particulièrement houleux et difficile. Le projet de loi a été déposé le 15 novembre 1974 et il a fallu trois jours très intensifs de débat pour aboutir à son adoption en première lecture par les députés.
Il faut rappeler deux contextes : le contexte politique et le contexte social.
Le contexte politique, d'abord. La mort soudaine du Président Georges Pompidou le 2 avril 1974 a traumatisé les responsables UDR (gaullistes), traumatisme renforcé par la division au sein de leur parti pour l'élection présidentielle et la perte de l'Élysée après quinze années. Valéry Giscard d'Estaing, jeune fringant et moderne, a été élu et a promis une libéralisation de la société. Parmi ses engagements, la dépénalisation de l'avortement. Soit dit en passant : VGE a toujours été meurtri, jusqu'à la fin de sa vie, qu'on ne parle pas de loi VGE pour la loi sur l'IVG car il a pris seul l'initiative politique de ce texte.
Comme pour la majorité à 18 ans, Valéry Giscard d'Estaing entendait aller très vite avec l'IVG, considérant que les grandes réformes, surtout si elles sont très sensibles (comme l'IVG), doivent être réalisées au début d'un mandat présidentiel, en bénéficiant politiquement encore de l'état de grâce de l'élection. En principe, un sujet comme l'IVG, principalement juridique, devait être défendu par le Ministre de la Justice. En l'occurrence, Jean Lecanuet, président du Centre démocrate (CD), le parti des démocrates chrétiens, ne souhaitait pas défendre une telle loi en raison de ses convictions religieuses, même s'il en voyait la nécessité. C'est donc Simone Veil, magistrate peu politisée (c'était son mari Antoine Veil le politique !) bombardée Ministre de la Santé par la volonté de donner plus de responsabilité aux femmes, choisie par le nouveau Premier Ministre Jacques Chirac, par l'entremise d'une grande amie commune, Marie-France Garaud. Lorsqu'elle a accepté sa mission d'entrer au gouvernement, d'une part, elle ne connaissait pas beaucoup de choses dans le domaine de la santé (elle était juge et pas médecin), et d'autre part, on ne lui avait pas dit à sa nomination qu'elle serait sur le front de l'IVG. Peut-être que ses bonnes connaissances juridiques ont aidé, mais je crois avant tout que c'était la femme et c'était la santé publique à assurer qui ont été ses deux moteurs.
Le contexte social ensuite. S'il y avait un responsable politique qui était très conscient de l'importance vitale de faire une loi sur l'IVG, c'était le nouveau Ministre de l'Intérieur, prince des giscardiens, à savoir Michel Poniatowski qui était, juste avant l'élection présidentielle, Ministre de la Santé (le prédécesseur direct de Simone Veil) et qui a bien compris l'horreur sanitaire en cours mais aussi judiciaire. Trop de femmes avortaient clandestinement pour que l'État puisse concrètement toutes less sanctionner pénalement comme le voulait la loi encore en vigueur. La loi d'amnistie du 10 juillet 1974 portait très explicitement sur les faits d'avortement et, dans sa conférence de presse du 25 juillet 1974, VGE a annoncé l'absence de poursuite pour avortement jusqu'à l'adoption d'une loi sur l'IVG. Mais surtout, trop de femmes mouraient au cours d'un avortement clandestin. Il y avait environ 1 000 avortements clandestins par jour en France et un de ces mille entraînait la mort de la femme (en raison des conditions précaires, manque de stérilisation, absence de médecin, etc.).
Cette considération sanitaire avait déjà conduit le Premier Ministre précédent Pierre Messmer à déposer un projet de loi sur l'IVG dès le 7 juin 1973, mais lors du début de son examen en séance publique à l'Assemblée, le 14 décembre 1973, le projet a été renvoyé en commission pour pouvoir créer un consensus parlementaire sur le sujet. La mort de Président de la République a fait abandonner ce texte.
Un nouveau texte a donc été adopté au conseil des ministres et déposé à l'Assemblée le 15 novembre 1974. L'examen à l'Assemblée en première lecture a eu lieu au cours de huit séances publiques du 26 novembre 1974 à la nuit du 28 au 29 novembre 1974. Le discours introductif de Simone Veil le 26 novembre 1974 est resté dans les annales de l'histoire. Elle a commencé ainsi : « Si j'interviens aujourd'hui à cette tribune, ministre de la santé, femme et non-parlementaire, pour proposer aux élus de la nation une profonde modification de la législation sur l'avortement, croyez bien que c'est avec un profond sentiment d'humilité devant la difficulté du problème, comme devant l'ampleur des résonances qu'il suscite au plus intime de chacun des Français et des Françaises, et en pleine conscience de la gravité des responsabilités que nous allons assumer ensemble. ».
Reprenant tous les raisons de ne pas légiférer, la ministre a ensuite posé les termes de l'enjeu : « Nous sommes arrivés à un point où, en ce domaine, les pouvoirs publics ne peuvent plus éluder leurs responsabilités. Tout le démontre : les études et les travaux menés depuis plusieurs années, les auditions de votre commission, l'expérience des autres pays européens. Et la plupart d'entre vous le sentent, qui savent qu'on ne peut empêcher les avortements clandestins et qu'on ne peut non plus appliquer la loi pénale à toutes les femmes qui seraient passibles de ses rigueurs. Pourquoi donc ne pas continuer à fermer les yeux ? Parce que la situation actuelle est mauvaise. Je dirai même qu'elle est déplorable et dramatique. ».
Peu après, le passage le plus important : « Je le dis avec toute ma conviction : l'avortement doit rester l'exception, l'ultime recours pour des situations sans issue. Mais comment le tolérer sans qu'il perde ce caractère d'exception, sans que la société paraisse l'encourager ? Je voudrais tout d'abord vous faire partager une conviction de femme, je m'excuse de le faire devant cette Assemblée presque exclusivement composée d'hommes : aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l'avortement. Il suffit d'écouter les femmes. C'est toujours un drame et cela restera toujours un drame. C'est pourquoi, si le projet qui vous est présenté tient compte de la situation de fait existante, s'il admet la possibilité d'une interruption de grossesse, c'est pour la contrôler et, autant que possible, en dissuader la femme. Nous pensons ainsi répondre au désir conscient ou inconscient de toutes les femmes qui se trouvent dans cette situation d'angoisse (…). Actuellement, celles qui se trouvent dans cette situation de détresse, qui s'en préoccupe ? La loi les rejette non seulement dans l'opprobre, la honte et la solitude, mais aussi dans l'anonymat et l'angoisse des poursuites. Contraintes de cacher leur état, trop souvent elles ne trouvent personnes pour les écouter, les éclairer et leur apporter un appui et une protection. Parmi ceux qui combattent aujourd'hui une éventuelle modification de la loi répressive, combien sont-ils ceux qui se sont préoccupés d'aider ces femmes dans leur détresse ? Combien sont-ils ceux qui, au-delà de ce qu'ils jugent comme une faute, ont su manifester aux jeunes mères célibataires la compréhension et l'appui moral dont elles avaient grand besoin ? ».
Rien n'était acquis et Simone Veil a plus tard raconté qu'elle n'imaginait pas le flot de haine de la part de certains parlementaires. La palme du plus odieux doit être sans doute attribuer au député centriste Jean-Marie Daillet, élu de la Manche, qui a comparé le 27 novembre 1974 l'avortement aux assassinats de bébés dans les fours crématoires à Auschwitz : « On est allé, quelle audace incroyable, jusqu'à déclarer tout bonnement qu'un embryon humain était un agresseur. Eh bien ! ces agresseurs, vous accepterez, madame, de les voir, comme cela se passe ailleurs, jetés au four crématoire ou remplir des poubelles ! ». Adressé à une ancien déportée qui a perdu une partie de sa famille dans les camps de la mort, c'était particulièrement maladroit et malvenu, et disons-le, totalement dégueulasse. Jean-Marie Daillet s'est d'ailleurs rendu compte de ce qu'il avait dit dans la colère de sa passion et est venu présenter ses excuses à Simone Veil. Un soir, à la demande de l'Élysée, Jacques Chirac est venu en renfort dans la discussion pour aider sa ministre, mais elle se sentait particulièrement seule avec son texte.
La situation parlementaire était compliquée parce que, menés par l'ancien Premier Ministre Michel Debré, nataliste réputé, les députés gaullistes étaient prêts à voter contre ou à s'abstenir. C'était sûr que Simone Veil ne pouvait pas ne compter que sur les députés de la majorité. Elle devait aussi négocier avec les socialistes, qui étaient favorables, menés par le président de leur groupe Gaston Defferre (maire de Marseille). Le point crucial était la position des centristes du Centre démocrate, dont les convictions religieuses mettaient en porte-à-faux la morale et la nécessité publique.
Le mari de Simone Veil, Antoine Veil, très introduit dans les cercles centristes, avaient l'habitude de rencontrer les responsables centristes chez lui, à son domicile, au sein du Club Vauban (nom du lieu où les Veil habitaient). Son entremise a été capitale pour convaincre notamment l'ancien résistant et ancien ministre Eugène Claudius-Petit qui avait un grand pouvoir d'influence sur ses collègues centristes. Pour obtenir finalement son soutien, Simone Veil a modifié le texte en retirant l'obligation des médecins à faire une IVG avec une clause de conscience et en supprimant le remboursement de l'IVG par la sécurité sociale, mettant la gauche dans l'embarras mais permettant aux députés centristes de ne pas voter une loi qui encouragerait l'avortement. L'article 1er du texte réaffirme par ailleurs le respect du droit à la vie comme principe intangible.
La conclusion a été souriante pour Simone Veil puisque dans la nuit du 28 au 29 novembre 1974, à 3 heures 40 du matin, le projet de loi a été adopté en première lecture par 284 voix pour et 189 contre, sur 479 votants avec 6 abstentions (scrutin n°120).
Parmi les pour : Paul Alduy, Pierre Bernard-Reymond, André Bettencourt, Jean-Jacques Beucler, Jean de Broglie, Aimé Césaire, Jacques Chaban-Delmas, André Chandernagor, Jean-Pierre Chevènement, Roger Chinaud, Eugène Claudius-Petit, Jean-Pierre Cot, Michel Crépeau, Gaston Defferre, André Delelis, Hubert Dubedout, Jacques Duhamel, André Duroméa, Robert Fabre, André Fanton, Maurice Faure, Georges Fillioud, Henri Fiszbin, Raymond Forni, Joseph Franceschi, Jean-Claude Gaudin, Yves Guéna, Robert Hersant, Pierre Joxe, Didier Julia, Pierre Juquin, André Labarrère, Paul Laurent, Jacques Legendre, Max Lejeune, Louis Le Pensec, Roland Leroy, Charles-Émile Loo, Philippe Madrelle, Georges Marchais, Jacques Marette, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Georges Mesmin, Louis Mexandeau, Hélène Missoffe, François Mitterrand, Guy Mollet, Lucien Neuwirth, Arthur Notebart, Bernard Pons, Jean Poperen, Jack Ralite, Marcel Rigout, Alain Savary, Jean-Jacques Servan-Schreiber, Jacques Soustelle, Pierre Sudreau, Alain Terrenoire, Alain Vivien, Robert-André Vivien et Adrien Zeller.
Parmi les contre : Pierre Bas, Pierre Baudis, Jacques Baumel, Pierre de Bénouville, Jacques Blanc, Robert Boulin, Loïc Bouvard, Claude Coulais, Jean-Marie Daillet, Marcel Dassault, Michel Debré, Jean Foyer, Emmanuel Hamel, Louis Joxe, Jean Kiffer, Claude Labbé, Joël Le Theule, Maurice Ligot, Christian de La Malène, Alain Mayoud, Jacques Médecin, Pierre Méhaignerie, Pierre Messmer, Maurice Papon, Jean Seitlinger et Jean Tiberi, etc. Se sont abstenus notamment Roland Nungesser et Gabriel Kaspereit.
Le Sénat a examiné alors le projet de loi en première lecture les 13 et 14 décembre 1974, l'a adopté le 14 décembre 1974 avec des modifications, ce qui a rendu nécessaire une seconde lecture, puis une commission mixte paritaire le 19 décembre 1974 (portant sur le remboursement de l'IVG). L'Assemblée et le Sénat ont adopté le texte définitif le 20 décembre 1974 (pour l'Assemblée, par 277 voix pour et 192 voix contre sur 480 votants avec 11 abstentions). Valéry Giscard d'Estaing a ensuite, le 17 janvier 1975, promulgué la loi n°75-18 du 17 janvier 1975, qui, à l'origine, prévoyait une dépénalisation expérimentale pendant cinq ans. Une deuxième loi a été ultérieurement votée pour rendre permanente la dépénalisation (loi n°79-1204 du 31 décembre 1979).
Après plusieurs autres modifications du texte, le droit à l'IVG est entré dans la Constitution le 8 mars 2024 au cours d'une cérémonie Place Vendôme, devant le Ministère de la Justice, présidée par Emmanuel Macron. Les études montrent que la loi Veil n'a pas fait augmenter le nombre d'avortements en France qui reste stable, autour de 200 000 par an.
Ce vendredi 29 novembre 2024 à 22 heures, la chaîne parlementaire LCP fête ce cinquantenaire en rediffusant le téléfilm de Christian Faure intitulé "La Loi, le combat d'une femme pour toutes les femmes" diffusé pour la première fois le 26 novembre 2014 sur France 2 (pour le quarantième anniversaire). Autant le dire tout de suite, faire un film avec des personnages de la classe politique contemporaine est toujours casse-cou car toujours très différent de la réalité et la fiction peut aussi n'être qu'une pâle imitation des personnages réels.
Néanmoins, on saluera quand même la prestation de l'actrice Emmanuelle Devos dans le rôle principal, celui de Simone Veil, et on regardera avec curiosité Antoine Veil (joué par Lionel Abelanski, dont le rôle dans le scénario est toutefois très insuffisant par rapport à la réalité), Dominique Le Vert, le dircab de Simone Veil (joué par Lorant Deutsch), et j'avoue que j'ai eu du mal à croire aux autres personnages : Gaston Defferre (joué par Michel Jonasz), Michel Debré (Éric Naggar), Jean Lecanuet (Olivier Pagès), Jacques Chirac (Michaël Cohen), Eugène Claudius-Petit (Bernard Menez), et je ne croyais pas du tout en Charles Pasqua (Philippe Uchan), Jean-Marie Daillet (Patrick Haudecœur), Edgar Faure (Laurent Claret) qui présidait ces séances historiques... avec juste une exception, Marie-France Garaud (jouée par Émilie Caen).
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Sylvain Rakotoarison (23 novembre 2024)
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Claude Malhuret : du vol des élections aux chefs d'escadrille...
« Les Français sont fatigués de la révolution permanente ; ils sont fatigués de la ZAD qui s’est reconstituée hier à l’Assemblée dès l’ouverture de la session ; ils sont fatigués des démagogues qui promettent la lune et sèment la ruine partout où ils sont au pouvoir. Votre programme, avec humilité et responsabilité, en est l’exact contraire. C’est une raison supplémentaire pour que nous le soutenions. » (Claude Malhuret, le 2 octobre 2024 au Sénat).
ZAD, comprendre zone à délirer ! Voici une petite démonstration de près de dix minutes sur le mythe des élections volées. Comme depuis quelques années c'est la tradition, chaque intervention en séance publique du sénateur Claude Malhuret est un condensé d'humour et de lucidité sur la vie politique. À un moment pressenti par le nouveau Premier Ministre pour faire partie de son gouvernement (il était déjà membre du gouvernement entre 1986 et 1988), le président du groupe Les Indépendants, République et Territoires au Sénat (regroupant les sénateurs Horizons) n'a pas déçu ses collègues lorsqu'il a fallu participer au débat qui a suivi la déclaration de politique générale de Michel Barnier au Sénat le mercredi 2 octobre 2024. Il réagissait surtout aux propos tenus quelques minutes auparavant par son collègue Patrice Kanner, président du groupe socialiste, qui s'enferrait dans la légende urbaine d'une victoire de la nouvelle farce populaire (NFP) aux dernières élections législatives.
Alors, le sénateur a commencé comme Martin Luther King (mais en négatif : ce n'est pas un rêve qu'il a fait) : « Mes chers collègues, en écoutant il y a quelques instants l’analyse de la situation politique par le président du groupe socialiste, j’ai brusquement fait une sorte de cauchemar éveillé. ». Et il a découvert un nouveau gouvernement : « Je me tenais ici, à cette tribune, et en face de moi, à la place où vous vous trouvez, monsieur le Premier Ministre, ce n’était pas vous : c’était Lucie Castets. À ses côtés se tenaient Sandrine Rousseau, ministre des finances et de la décroissance ; Sophia Chikirou, garde des sceaux ; Aymeric Caron, ministre de l’écologie et des insectes ; Sébastien Delogu, ministre de la mémoire et des anciens combattants ; Louis Boyard, ministre du développement durable du cannabis et Jean-Luc Mélenchon, ministre des affaires étrangères et de l’amitié avec la Russie, le Hezbollah et l’Alliance bolivarienne ! ».
Retour à la réalité et à l'imposture du NFP : « Lorsque j’ai rouvert les yeux, je me suis aperçu que j’étais en train de tomber de mon siège. Les propos du président du groupe socialiste montrent que l’on ne peut aborder ce débat sans faire d’abord table rase de l’invraisemblable campagne qui est menée depuis des semaines par le nouveau front populaire pour convaincre les Français que l’élection leur a été volée, que votre gouvernement est illégitime et que vous êtes l’otage du Rassemblement national. Cette campagne va se poursuivre, plus virulente que jamais, comme le prouve le discours de fureur et de haine que Mme Panot a prononcé hier à l’Assemblée Nationale. Le soir des élections, le 7 juillet dernier, à vingt heures zéro une, à la télévision, tous les chefs de partis ont été priés de passer leur tour pour permettre à celui de LFI de prononcer cette phrase : "Nous sommes arrivés les premiers, nous devons former le gouvernement". L’échec huit jours plus tard du candidat du NFP à l’élection pour la Présidence de l’Assemblée Nationale a démontré de manière évidente que cette intox constitutionnelle était une imposture. Mais la vague médiatique et les ragots sociaux se sont transformés en tsunami et le mensonge s’est changé en vérité. Il faut donc le répéter : l’élection n’a été volée à personne ! Et si elle a été volée, c’est aux électeurs de gauche par les dirigeants de l’extrême gauche, qui ont joué une invraisemblable partie de poker menteur avec leurs partenaires. ».
D'où la recherche laborieuse d'un Premier Ministre qui oscillait entre le vaudeville et la tragédie (je ne sais pas trop s'il a été le plus féroce contre Lucie Castets ou contre Ségolène Royal !) : « Pendant les quinze jours qui ont suivi le 7 juillet, le mot d’ordre fut : "Macron doit nommer immédiatement un Premier Ministre du NFP". Question des journalistes : "Qui est votre candidat ?". Réponse : "On ne sait pas, on n’arrive pas à se mettre d’accord". Après deux semaines de bras de fer et de crises de nerfs, une inconnue tombe enfin du ciel : pendant vingt-quatre heures, Huguette Bello devient le nouveau dalaï-lama, jusqu’à ce qu’on découvre qu’elle n’est pas woke, mais alors pas woke du tout : elle est anti-mariage pour tous et tout le tralala. Panique au NFP ; exit Huguette ! Quelqu’un propose alors Laurence Tubiana, organisatrice de la COP21. Horreur, on s’aperçoit que Macron l’a nommée à l’UNESCO. Une macroniste Première Ministre du NFP ? La "fisha" absolue… Exit Laurence ! Au bord du gouffre, alors qu’il n’allait plus rester que Ségolène Royal, on finit par débusquer dans les combles de la mairie de Paris une sémillante fonctionnaire jamais élue nulle part et coanimatrice de l’incroyable dette de 10 milliards d’euros de la capitale. Par miracle, cet Annapurna de la pensée politique, auprès de qui les Bertrand, Cazeneuve ou Barnier ne sont que des billes, accepte de faire bénéficier les Français de son inexpérience. Le NFP tient sa Première Ministre. Du moins, c’est ce que croient les socialistes, les écolos et les communistes. Ce qu’ils n’ont pas compris, et l’on s’étonne d’une telle naïveté, c’est que jamais Mélenchon n’a envisagé un Premier Ministre de gauche. Jamais ! Au moment même où le nom de Lucie Castets est prononcé, une fatwa vient la faucher en quelques mots : "Le programme, rien que le programme, mais tout le programme !". En bon français, cela veut dire que Mme Castets disposerait de 193 voix à l’Assemblée, et pas une de plus ! Exit donc Lucie… En un mot, si vous avez compris le NFP, c’est qu’on vous a mal expliqué ! ». Cette dernière phrase restera sans doute "culte" ! On est en plein dans un film comique avec le regretté Michel Blanc.
Claude Malhuret a ainsi expliqué l'échec de Bernard Cazeneuve : « La gauche responsable, celle qui est largement représentée dans cet hémicycle, du moins c’est ce que je pensais jusqu’à il y a quelques minutes, fait une tentative désespérée en proposant le nom de Bernard Cazeneuve. Cette fois, Mélenchon n’a même pas besoin de lever le petit doigt, Faure le socialiste se charge lui-même du sale boulot en déclarant que nommer un Premier Ministre socialiste serait une "anomalie". Cazeneuve est des nôtres, il sera censuré comme les autres ! Exit Bernard ! Un jour, dans les manuels de sciences politiques, on expliquera dans un long chapitre comment, en 2024, la gauche s’est vendue pour un plat de lentilles à une secte gauchiste en pleine dérive islamiste et antisémite, dirigée par un ancien du lambertisme, que les communistes eux-mêmes qualifiaient il y a quelques années encore d’hitléro-trotskisme ! ».
Il n'y a pas eu que la gauche islamo-gauchiste à avoir crié au vol des élections, l'extrême droite a hurlé pareil : « Quant à l’extrême droite, qui prétend elle aussi qu’on a volé l’élection à ses 11 millions d’électeurs, elle oublie de dire que 20 millions d’autres ont décidé d’associer leurs voix au second tour pour lui faire barrage devant la radicalité de ses positions, un programme économique qui nous mènerait droit vers l’abîme et une flopée de candidats imprésentables, entre les casquettes nazies et les propos antisémites sur les réseaux asociaux. Elle n’est pas plus légitime à gouverner et elle le sait très bien. Elle attend son heure, et si cette heure vient un jour, elle aura été soigneusement préparée par la folie de l’extrême gauche et la capitulation du premier secrétaire du parti socialiste, l’homme-caoutchouc. ».
Quant à la motion de censure, voici pourquoi ses chances de succès sont faibles : « Vient enfin le dernier mensonge, monsieur le Premier Ministre : vous seriez l’otage du Rassemblement national. L’extrême droite compte 142 députés. Ils ne peuvent faire tomber votre gouvernement qu’en bande organisée avec le NFP. J’attends avec impatience qu’ils expliquent cela à leurs électeurs, et surtout qu’ils expliquent comment ils comptent composer, pour vous succéder, un gouvernement lepéno-mélenchoniste. Mélenchon ne veut pas de Premier Ministre de gauche et Le Pen sait que son parti est incapable pour l’heure de gouverner. Ce n’est pas une assurance-vie, mais votre gouvernement est loin d’être condamné d’avance. ».
D'où le soutien fort du groupe présidé par Claude Malhuret au gouvernement de Michel Barnier : « Vous êtes légitime. Vous n’avez pas de majorité absolue, mais vous rassemblez tous ceux, de la droite républicaine au centre et à la gauche modérée, qui ont fait le choix de la responsabilité. Ils sont le camp de la raison que notre groupe Les Indépendants appelle de ses vœux depuis des mois. Et vous êtes, après deux ans d’Assemblée Nationale transformée en zone à délirer, le Premier Ministre de l’apaisement. Quelles sont les priorités ? Mais il n’y a que des priorités : le budget, le déficit, la dette, la Nouvelle-Calédonie, le logement, l’agriculture, l’immigration, la transition écologique, sans oublier l’Ukraine, le Moyen-Orient et toutes les crises dans le monde que la France ne peut ignorer. Ces priorités étaient au cœur de votre discours et de ceux de tous mes collègues ; je n’y reviendrai pas à mon tour. Qu’il me soit seulement permis de dire que nous soutenons votre engagement dans cette démarche difficile et courageuse. Vous disposerez d’une large majorité au Sénat, qui tentera de compenser l’absence de majorité absolue à l’Assemblée Nationale et de combattre les tentatives des populistes pour saper notre démocratie. ».
Les savoureuses envolées lyriques du sénateur Malhuret apportent toujours un peu de fraîcheur, de légèreté, mais aussi de lucidité à une classe politique tendue et rageuse. Il a le mérite de faire mal car il cible juste. Depuis 2022, il s'inquiète régulièrement de la perspective de l'élection présidentielle de 2027 et de la nécessité de rassembler toutes les forces non-populistes, ce qu'il a appelé ce 2 octobre 2024 les forces raisonnables, le "camp de la raison", du centre droit au centre gauche, "qui ont fait le choix de la responsabilité". Les deux anciens grands partis gouvernementaux, LR et le PS, n'ont pas voulu jouer le jeu en 2022, chacun pris par une surenchère populiste. LR s'est finalement résolu à faire le choix de la raison et de la responsabilité, au contraire du PS qui s'enferme toujours dans un mélencho-islamisme qui l'asphyxiera à court terme. Surtout, Claude Malhuret, continuez à nous délecter ainsi !
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Sylvain Rakotoarison (05 octobre 2024)
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Claude Malhuret au Sénat : le spectacle continue !
« Qui aurait pu imaginer une campagne électorale aussi rocambolesque ? Une majorité présidentielle suppliant le Président de se tenir à l’écart, un Nouveau front populaire terrifié à chaque prise de parole de son dirigeant le plus médiatique, des Républicains en guerre contre leur chef barricadé dans ses locaux après les avoir enfermés dehors… Le spectacle continue. » (Claude Malhuret, le 18 juillet 2024 au Sénat).
Avec les élections législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet 2024, une session parlementaire extraordinaire devait se tenir du 18 juillet 2024 au 1er août 2024 pour l'installation des députés, l'élection de leurs responsables internes, etc. Petite incongruité : pour cette raison, le Sénat aussi est en session, mais comme l'ordre du jour était vide, notamment en raison de l'absence du gouvernement, qui est démissionnaire et sans nouveau gouvernement, le Président du Sénat Gérard Larcher a décidé de ne pas tenir d'autre séance publique avant la fin de l'été que celle de ce jeudi 18 juillet 2024 sauf en cas de nécessité.
Pour ne pas réunir les sénateurs pour rien, la conférence des présidents a décidé de tenir un débat contradictoire sur la situation politique du moment, c'est-à-dire, sur l'après-législatives et le vide politique et gouvernemental qui en résulte. Parmi les orateurs, il y en a un dont ont attend toujours avec impatience les formules chocs, toujours croustillantes, sur la vie nationale. Il s'agit de Claude Malhuret qui, bien évidemment, n'a pas hésité à balancer clairement les choses.
Le bon docteur Malhuret a brossé une situation politique qui est complètement surréaliste à bien des égards. La gauche irresponsable : « Depuis dix jours, la gauche en principe unie somme le Président de la République de lui livrer séance tenante les clefs de Matignon, sans parvenir à s’accorder pour lui proposer un seul nom. ».
Et la position de la CGT et de FI, qui fait penser à des épisodes très sombres de notre histoire : « Tout aussi ahurissants, mais plus inquiétants (…), sont les appels de l’extrême gauche à marcher sur Matignon et ceux d’une CGT "LFIsée" à se rassembler devant l’Assemblée Nationale pour "la mettre sous surveillance". Je pose la question avec gravité : que signifie dans une démocratie la mise sous surveillance de l’Assemblée Nationale par une foule attroupée devant ses murs ? La dernière fois que c’est arrivé, en France, c’était le 6 février 1934, et aux États-Unis, le 6 janvier 2021. On connaît le résultat. ».
La situation institutionnelle n'a cependant pas de quoi rassurer Claude Malhuret qui a décrit une situation inédite sous la Cinquième République : « La Ve République nous a habitués à nommer ses gouvernements en un instant, si bien qu’une situation banale chez nos voisins apparaît chez nous comme angoissante. Ensuite (…), comme ailleurs, cette situation peut durer. Il faut du temps pour se parler et faire des compromis. ». L'angoisse du gouvernement fantôme, ou zombie. Retour à une vieille république.
Et le président du groupe indépendants au Sénat a mis l'accent sur la difficulté politique des compromis à négocier : « Ces derniers seront qualifiés de compromissions par tous les extrémistes et autres virtuoses des réseaux antisociaux, qui ne manqueront pas de confirmer leur rôle de plaie démocratique auprès d’une population qu’ils ont déjà largement contribué à rendre antiparlementaire et défiante. ».
Enfin, troisième difficulté : « La perspective de l’élection présidentielle n’incite personne, une fois n’est pas coutume, à rejoindre un gouvernement qui sera fragile à l’Assemblée Nationale et impopulaire du fait des contraintes de la dette et des décisions difficiles que celle-ci impose. ».
L'état des lieux des forces politiques n'est pas plus réjouissant. À l'extrême droite : « Le Rassemblement national, en forte progression, ne peut gouverner faute d’alliés. De toute façon, il ne le souhaite pas : il attend son heure. ». À gauche : « La gauche est piégée par le Nouveau front populaire, qui lui a permis de sauver ses sièges, mais qui l’a livrée à sa frange la plus radicale, dont le but est non pas de gouverner, mais de rendre le pays ingouvernable. La stratégie du chaos à l’Assemblée Nationale comme dans la rue se poursuivra, pour permettre au sous-commandant Marcos de la Canebière, de plus en plus suffisant, mais de moins en moins nécessaire, de figurer au second tour de l’élection présidentielle de 2027. Son objectif immédiat est d’étouffer dans l’œuf toute hypothèse d’un Premier Ministre issu des rangs de ses alliés. Si je puis me permettre un conseil à ces derniers : dans l’intérêt de la France comme dans le vôtre, chers collègues, échappez-vous du syndrome de Stockholm qu’est devenu le NFP ! Vous méritez mieux que d’être traités de "punaises de lit" ! ».
Pour Claude Malhuret, la seule réponse aux électeurs à l'issue de ces élections législatives, c'est le front républicain : « Pas de front national, pas de front populaire : la seule hypothèse possible est celle du front républicain. Elle suppose, comme chez nos voisins, mais à rebours des traditions françaises, l’alliance de tous les démocrates, depuis la droite républicaine jusqu’à la gauche de gouvernement. ».
Une telle configuration, qui demanderait de mettre d'accord socialistes, macronistes et républicains, serait difficile à mettre en place, et pourtant, d'un point de vue arithmétique, c'est la seule viable pour l'année sans dissolution qui vient : « Elle sera difficile, lente, incertaine et provisoire. Elle suppose que des gens qui ont l’habitude de se combattre apprennent à se parler, qu’ils résistent dans chaque camp aux extrêmes quand ces derniers crieront à la trahison et qu’ils aient le courage de s’en séparer. Elle suppose, enfin, qu’ils acceptent la tâche ingrate de se contenter de stabiliser un pays pour l’heure sans boussole, autour de mesures qui peuvent rassembler. Contrairement à ce que nous pouvions redouter, l’annonce d’un pacte d’action législative (…) montre que le pire n’est jamais certain et que la sagesse a quelques chances de l’emporter. Cette perspective n’est pour le moment qu’un espoir ténu, une éventualité qui peut s’effondrer à la moindre bourrasque politique. Cependant, c’est la seule qui ait aujourd’hui une chance de se réaliser. Je ne doute pas qu’une majorité de notre assemblée défende le choix de la sagesse dans ce moment difficile. Notre groupe ne ménagera pas ses efforts pour y parvenir. ».
Pour une fois, Claude Malhuret ne s'est pas contenté que de beaux mots et de tirer comme dans un chamboule-tout, mais aussi d'un espoir, celui de trouver cette majorité impossible, introuvable dans l'état actuel des forces politiques. Cela nécessiterait donc l'éclatement assumé de cette nouvelle farce populaire (NFP) et la reprise de liberté des socialistes actuellement vassalisés par leur seigneur insoumis. Pas sûr que le PS ait ce courage politique et possible qu'ils préfèrent se morfondre à la remarque de groupes plus radicalisés qu'eux. Avant leur patriotisme de gauche qui, dans ces conditions, les mènerait tout droit vers l'inexistence politique à l'élection présidentielle, ils devraient prendre en compte l'intérêt national, c'est le seul qui vaille.
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Le droit de vote à 18 ans, c'était il y a 50 ans grâce à Giscard !
« De ce jour date une ère nouvelle de la politique française, celle du rajeunissement, et du changement de la France. » (VGE, le 27 mai 1974).
L'affiche est connue, c'était le début de l'ère moderne de la communication politique. Valéry Giscard d'Estaing avait fait contribuer sa plus jeune fille Jacinte, elle venait alors d'avoir 14 ans (elle est morte avant son père en janvier 2018), pour sa campagne présidentielle de 1974. Dans ses bagages, avec son élection très serrée face au candidat socialiste François Mitterrand, le droit de vote à 18 ans. Plus exactement, la majorité à 18 ans qui a été adoptée définitivement par le Parlement français il y a cinquante ans, le 28 juin 1974.
Le droit de vote est toute une histoire. La majorité civile était fixée par décret le 20 septembre 1792 à l'âge de 21 ans pour les hommes et les femmes (au lieu de 25 ans), ce décret complétait le décret du 28 août 1792 qui avait aboli les droits des pères sur leurs enfants majeurs. Le Code Napoléon l'a ensuite modifiée en 1804 en la fixant à 21 ans pour les femmes et 25 ans pour les hommes. Puis, la majorité a été fixée à 21 ans pour tous par la loi du 21 juin 1907.
Mais le droit de vote n'était pas vraiment couplé avec la majorité civile. D'abord, les femmes n'ont eu le droit de vote que le 21 avril 1944. Quant aux hommes, après la Révolution, le suffrage était souvent censitaire : sous la Restauration, en 1815, ils pouvaient voter seulement à partir de 30 ans et seulement s'ils payaient beaucoup d'impôts. Avec la Monarchie de Juillet, en 1830, les conditions se sont assouplies : l'âge à partir duquel un homme pouvait voter a été abaissé à 25 ans et le seuil des impôts payés réduit du tiers. En 1848, l'âge a encore baissé et le suffrage est devenu universel au lieu de censitaire, c'est-à-dire que tous les hommes de plus de 21 ans, quel qu'ils fussent devant l'impôt, pouvaient voter.
Valéry Giscard d'Estaing a été élu le 19 mai 1974 et a pris ses fonctions le 27 mai 1974. Son objectif : faire de la France (qui était en retard pour l'âge du droit de vote par rapport à ses voisins) une « société libérale avancée ».Il n'a donc pas perdu de temps et a fait très rapidement adopter sa première réforme de société, très attendue par les jeunes : l'Assemblée Nationale a adopté en procédure d'urgence (sur le rapport d'Alain Terrenoire) à main levée et à la quasi-unanimité le projet de loi fixant la majorité civile à 18 ans (au lieu de 21 ans) le 25 juin 1974 et le Sénat l'a adopté dans la lancée le 28 juin 1974 (sur le rapport de Jacques Genton). Cette adoption définitive a entraîné logiquement la promulgation de la loi le 5 juillet 1974 (loi n°74-631 du 5 juillet 1974 fixant à 18 ans l'âge de la majorité) par le nouveau Président de la République, élu à 48 ans, ce qui était le record de jeunesse depuis 1870 (en 2017, Emmanuel Macron l'a battu à 39 ans). Ont signé aussi ce texte le Premier Ministre Jacques Chirac et les ministres Michel Poniatowski (Intérieur), Jean Lecanuet (Justice), Jacques Soufflet (Défense) et Olivier Stirn (DOM-TOM).
À l'origine, le garde des sceaux Jean Lecanuet avait voulu proposer le droit de vote à 18 ans tout en maintenant la majorité civile à 21 ans. Ce furent les députés, au cours de l'examen en séance publique, qui ont voulu carrément abaisser l'âge de la majorité civile à 18 ans. C'était une révolution puisque cela modifiait l'âge adopté en 1848 ! Cela signifiait par exemple qu'au-delà du droit de vote, les jeunes de 18 à 21 ans pouvaient aussi se marier et ouvrir un compte bancaire sans obtenir l'accord de leurs parents.
Beaucoup ont dit que cette réforme était une conséquence de la révolte étudiante de mai 1968. Valéry Giscard d'Estaing était arrivé à l'Élysée sous le signe de la jeunesse et c'est pourquoi il a voulu faire cette réforme la premier signe emblématique du renouveau sociétal. Son concurrent du second tour François Mitterrand y était également favorable puisque cette mesure faisait partie du programme commun de la gauche. Du reste, le Premier Ministre Pierre Messmer, avant VGE, avait proposé un même texte dès 1972 mais son processus législatif n'a pas pu aboutir à cause de la mort de Georges Pompidou (et aussi parce que ce dernier y était plutôt opposé).
C'étaient 2,4 millions de jeunes entre 18 et 21 ans qui étaient concernés mais ceux-ci se sont finalement sentis un peu floués car il n'y a pas eu d'élections importantes avant les élections municipales de mars 1977, c'est-à-dire que les jeunes de 18 ans en 1974 allaient avoir de toute façon 21 ans en 1977 (il y avait cependant des élections cantonales en mars 1976 mais seulement pour la moitié des cantons).
Cette réforme a fait donc partie d'une série de réformes faites dans les premières années du septennat de VGE visant à moderniser la France, à adapter la loi aux mœurs, et après la majorité à 18 ans, il y a eu le remboursement de la pilule le 4 décembre 1974 (la contraception est devenue un "droit individuel"), la dépénalisation de l'IVG le 17 janvier 1975, portée par Simone Veil, la libéralisation de l'audiovisuel par l'éclatement de l'ORTF le 6 janvier 1975, le divorce par consentement mutuelle le 11 juillet 1975, etc. À cela, il faut ajouter une révolution constitutionnelle avec la révision du 29 octobre 1974 permettant à 60 parlementaires de saisir le Conseil Constitutionnel sur la conformité d'un projet de loi adopté définitivement au Parlement (ce qui a donné un grand pouvoir à l'opposition pour s'opposer juridiquement aux textes de la majorité ; auparavant la saisine du Conseil Constitutionnel était réservée aux seuls Président de la République et Présidents des deux assemblées).
Le politologue Raymond Aron a ainsi commenté cette réforme le 22 novembre 1974 sur France Culture, de manière un peu dubitative : « Il [VGE] a voulu mettre, pour ainsi dire, au défi, les commentateurs, les adversaires, les critiques et être le Président le plus jeune de l'histoire de France qui accordait le droit de vote aux garçons et aux jeunes filles de 18 ans. (…) Il est évident que demander aux garçons et aux jeunes filles de 18 ans de décider de ceux qui nous gouverneront est un pari. ».
Et effectivement, si le pari pour la capacité des jeunes était gagné d'avance (même si le problème ultérieur serait plutôt que beaucoup de jeunes s'en moqueraient, soit ne s'inscrivant pas sur les listes électorales soit s'abstenant massivement), le pari était plutôt sociologique et politique pour Valéry Giscard d'Estaing puisque les enquêtes d'opinion montraient clairement que les jeunes de 18 à 21 ans lui préféraient le leader de gauche. C'était là le courage politique de Valéry Giscard d'Estaing dont les décisions relevaient de l'intérêt général et pas de son intérêt électoral immédiat. Car en 1981, la jeunesse française a voté massivement pour François Mitterrand, ce qui a contribué à sa défaite sévère (défaite toutefois qui aurait sans doute eu lieu sans cette réforme).
Depuis quelques années, on parle maintenant du droit de vote dès l'âge de 16 ans (éventuellement seulement pour les élections municipales), à l'image de l'Équateur, du Brésil ou de l'Autriche, mais les propositions de loi allant dans ce sens n'ont pour l'instant jamais abouti. Après tout, depuis le 1er janvier 2024, on peut passer le permis de conduire de série B dès l'âge de 17 ans révolu, selon le décret du 20 décembre 2023.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (28 juin 2024)
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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240628-majorite-18-ans.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/le-droit-de-vote-a-18-ans-c-etait-255289
http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/06/27/article-sr-20240628-majorite-18-ans.html
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Valéry Giscard d'Estaing, à la postérité intacte...
« Il a mis au point son personnage, qui correspond à une certaine idée, chez le téléspectateur et surtout chez la téléspectatrice, de l'homme jeune encore, fort, riche, puissant, intelligent, équilibré, détective, qui gagne à tous les coups et dont les films américains ont fixé le type. » (François Mauriac, le 30 mai 1964, il y a soixante ans).
Il y a cinquante ans exactement, le dimanche 19 mai 1974, Valéry Giscard d'Estaing a été élu Président de la République avec 50,8% des voix, soit 13,4 millions d'électeurs. Pour l'histoire de la Cinquième République, ce fut une étape importante, celle du changement dans la continuité, celle de postgaullisme sans gaullisme.
Il faut imaginer l'homme. Vous êtes ministre des finances et à ce titre, votre bureau est au Louvre, rue de Rivoli. Sur le balcon du premier étage, vous voyez les passants, les touristes. Vous avez un léger, très léger, oh, à peine décelable, sentiment de supériorité. Vous, ce dimanche soir, vous êtes préoccupé mais à peine. Vous saviez déjà que vous allez gagné. Vous étiez tellement sûr de vous. Vous saviez que ce serait serré mais vous ne pouvez pas perdre parce que vous êtes le meilleur, sur le fond comme sur la forme. Vous avez battu sans contestation votre contradicteur au premier duel présidentiel à la télévision grâce à deux ou trois formules choc. Vous étiez prêt. Et vous aviez envie. Conviction et ambition.
Vous avez voté tôt le matin. Il est maintenant dix-huit heures, dix-huit heures trente. Vous êtes bien assis dans votre fauteuil, un papier et un crayon en main et vous regardez la télévision... qui ne dit rien d'intéressant, qui meuble en attendant vingt heures, la fermeture de tous les bureaux de vote (certains ferment dès dix-huit heures). Vous n'avez pas de smartphone, parce que vous êtes encore dans les années 70, mais vous avez votre vieux téléphone à cadran près de vous, prêt à dialoguer avec votre principal interlocuteur : Michel Poniatowski. Ce dernier appelle tous les cinq minutes. Et une dernière fois, la plus importante. Il a les premières estimations. Il gagne. Au bout du fil, vous restez froid. Vous le saviez, vous étiez le meilleur. Vous devenez le chef d'État de la cinquième puissance mondiale (la Chine et l'Inde étaient encore loin de la compétition économique). Vous avez gagné votre pari. À 48 ans, vous entrez dans l'Histoire. Deux ans avant De Gaulle. Vous serez la France... et tant pis pour les Français.
Peut-être que tout ça, cette sérénité affichée, ce calme olympien, tout ça était téléphoné, tout ça était sûrement téléphoné, tout ça était pour la caméra qu'il ne pouvait pas oublier. En tout cas, c'est ce qu'on peut voir dans le film de Raymond Depardon, une sorte de téléréalité de campagne électorale, la première du genre en France (Serge Moati en a fait une mémorable en 2002 aux côtés de Jean-Marie Le Pen), film dont VGE a interdit la diffusion pendant longtemps, jusqu'en 2002. Saisir l'instant fatidique où il sait, où il est sûr qu'il est élu. « Quelle histoire ! » dira son successeur le 10 mai 1981.
Comment les Français ont-ils pu élire un Président si intelligent, si subtil, si intellectuel ? Si peu représentatif d'eux-mêmes ? Il faut se remettre dans le contexte. À l'époque, Giscard était très novateur dans la communication politique. Il donnait envie. Il avait fait une campagne joyeuse. Pour la première fois, un homme politique a utilisé un membre de sa famille (en l'occurrence, sa jeune fille, adolescente). Maintenant, cela paraît un peu coincé, même condescendant, mais à l'époque, c'était beaucoup plus ouvert que l'épopée gaullienne. Il avait été reçu à la Maison-Blanche par John Kennedy alors qu'il était Ministre des Finances de De Gaulle. Il s'identifiait au jeune Président américain. À la fin de l'entrevue, il lui a demandé : quel conseil me donneriez-vous si je me présentais à la présidentielle ? Un conseil ? JFK lui répondit : soyez joyeux !
Évidemment, on ne peut s'empêcher d'associer Valéry Giscard d'Estaing et Emmanuel Macron qui a battu le record de jeunesse (39 ans, neuf ans de moins !). Deux jeunes brillants cerveaux qui ont gravi rapidement les marches des palais. Avec une envie folle d'innover, de rompre avec le passé, et surtout, de sauvegarder les intérêts français par une implication totale dans la construction européenne. À une différence énorme près, c'est que Valéry Giscard d'Estaing était un homme politique depuis une quinzaine d'années, Emmanuel Macron, seulement depuis deux ans et demi. Tout le monde politique lui restait encore à découvrir en 2017.
Troublant anniversaire puisque le septennat Giscard a commencé il y a cinquante ans, et Emmanuel Macron vient de faire un septennat ce mardi 14 mai 2024 (installé à l'Élysée le 14 mai 2017). Ils ne sont pas nombreux ceux qui ont fait au moins sept ans de Présidence réelle. J'appelle Présidence réelle le fait d'être Président totalement libre, c'est-à-dire avec une majorité (absolue ou relative) à l'Assemblée Nationale, donc hors cohabitation. De Gaulle un peu plus de dix ans, François Mitterrand un peu moins de dix ans. Et puis Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Chirac et maintenant Emmanuel Macron sept ans. Les autres, c'est cinq ans. Emmanuel Macron devrait faire dix ans, à presque l'égal de De Gaulle.
La machine intellectuelle fonctionnait encore parfaitement à 90 ans, des analyses géopolitiques sur l'Europe encore intéressante. VGE a dominé la Cinquième République et je me rends compte aujourd'hui que celui qui était promis à une faible postérité, de manière injuste, a eu cette reconnaissance depuis sa mort qu'il a été un grand Président de la République, qui a beaucoup agi, beaucoup réformé pour faire de la France un pays moderne.
En été 2023, j'ai ressenti une très forte émotion en découvrant, en attendant à un feu rouge, que le boulevard de l'Europe de la commune d'Évry (devenue Évry-Courcouronnes), celui qui passe devant le centre commercial Évry 2, est désormais baptisé : "boulevard Valéry Giscard d'Estaing", avec la mention "un des pères de l'Europe". Même émotion en voyant que le parvis du Musée d'Orsay s'appelle désormais "esplanade Valéry Giscard d'Estaing".
Un des pères de l'Europe, il l'a en effet été. Quand on pense au septennat de VGE, on pense trop souvent à l'IVG et à la majorité à 18 ans, des réformes sociétales qui, finalement, n'ont pas beaucoup influé le cours des choses, simplement un ajustement du droit à l'évolution de la société. La libéralisation de l'audiovisuel a eu un impact beaucoup plus important, avec l'explosion de l'ORTF et le début d'une certaine indépendance des journalistes.
Mais à mon sens, l'innovation majeure a été sa vision européenne. Il a eu deux initiative, soutenue par son homologue allemand Helmut Schmidt, qui fut, d'une part, la fin des "Sommets européens" et le début des "Conseils Européens", c'est-à-dire que lui, l'Européen, avait compris que les avancées de la construction européenne ne pouvaient passer que par une instance comme le Conseil Européen qui réunit tous les chefs d'État et de gouvernement des États membres, seul organe vraiment décisionnaire et légitime puisque chaque membre est issu d'un processus démocratique national ; d'autre part, il a transformé le Parlement Européen en en faisant une instance démocratique, avec l'élection des députés européens au scrutin universel direct, innovation majeure qui, maintenant, va occuper les esprits politiques jusqu'au 9 juin 2024. Bien plus tard, VGE a présidé la Convention pour l'avenir de l'Europe qui a rédigé le TCE, le traité européen qui était le plus franco-compatible que les Français ont rejeté stupidement (je rappelle qu'aujourd'hui, 75% des Français sont favorables à l'euro, ils n'étaient que 51% au moment du référendum sur le Traité de Maastricht en 1992).
Sur le plan international, VGE a été aussi à l'initiative du G7. Après les deux chocs pétroliers, il considérait qu'il était profitable que les chefs d'État et de gouvernement des sept pays les plus industrialisés du monde puissent se rencontrer et se concerter sur la politique financière, voire puissent harmoniser ces politiques financières. C'était encore le temps de la guerre froide et par la suite, ce cénacle s'est élargi à la Russie (G8) puis jusqu'au G20, incluant la Chine, l'Inde, le Brésil, l'Afrique du Sud, etc.
Sur le plan intérieur, Valéry Giscard d'Estaing était pour l'ouverture politique, d'autant plus que le RPR lui rendait la vie impossible. Il aurait souhaité nommer un gouvernement centriste qui incluait des socialistes modérés. Mais la stratégie de François Mitterrand d'union de la gauche et d'alliance exclusive avec les communistes, a empêché toute ouverture. En revanche, il a su trouver de bonnes personnalités comme Simone Veil, Raymond Barre, René Monory, Lionel Stoléru, etc.
Dans le bilan non exhaustif, on pourra aussi penser à l'aspect culturel qui était peu mis en valeur jusqu'à sa mort en raison de l'ombre très lourde culturellement de son successeur. Ainsi, VGE était à l'origine de la Villette, notamment de la Cité des Sciences et de l'Industrie, du Musée d'Orsay et de l'Institut du Monde Arabe.
Son échec présidentiel le 10 mai 1981 a été ressenti comme profondément injuste, comme une ingratitude de l'histoire si ce n'est des Français. Au-delà d'une vague trahison de Jacques Chirac (personne ne sait vraiment l'influence réelle que cela a eu dans l'esprit des électeurs), il y avait un besoin d'alternance, de changement de majorité, pour raffermir la Cinquième République. Et il a fait beaucoup trop de boulettes de communication, un refus de s'expliquer sur des scandales qu'il jugeait dérisoires mais qui signifiait une sorte de mépris et de suffisance peu acceptables des Français.
En 1996, André Santini, champion des plaisanteries fines, a déclaré à l'occasion de la mort de François Mitterrand : « Je me demande si l'on n'en a pas trop fait pour les obsèques de François Mitterrand. Je ne me souviens pas qu'on en ait fait autant pour Giscard. ». Bien entendu, il a dit cela quand Giscard était encore vivant, mais il a eu raison : Valéry Giscard d'Estaing est mort discrètement du covid-19, à quelques jours de la distribution du vaccin, et il a refusé toute cérémonie nationale, il a été enterré très discrètement hors des trompettes de la République. Peut-être son dernier orgueil.
À l'occasion de ce cinquantenaire, ce week-end de la Pentecôte est aussi un week-end spécial Giscard. Pas moins de quatre émissions de télévision reviennent sur les années Giscard.
"1974, l'alternance Giscard" est un documentaire réalisé en 2019 par Pierre Bonte-Joseph qui est rediffusé sur Public Sénat ce samedi 18 mai 2024 à 20 heures.
Avec un débat après l'émission dont les invités sont notamment Claude Malhuret, Louis Giscard d'Estaing et Nathalie Saint-Cricq visible à ce lien.
"1974, une partie de campagne" est un film documentaire réalisé en 1974 par Raymond Depardon et diffusé pour la première fois seulement le 20 février 2002, qui est rediffusé sur France 5 ce dimanche 19 mai 2024 à 21 heures 05.
"Giscard, de vous à moi : Les confidences d'un Président" est un documentaire réalisé en 2016 par Gabriel Le Bomin et Patrice Duhamel, qui est rediffusé sur France 5 ce dimanche19 mai 2024 à 22 heures 35.
"La TV des 70's : Quand Giscard était Président" est un documentaire écrit par Philippe Thuillier et réalisé en 2021 par Matthieu Jaubert qui est rediffusé sur France 3 dans la nuit du dimanche 19 au lundi 20 mai 2024 à 2 heures 35 du matin.
Ajoutons aussi ce dernier documentaire, "Giscard, le premier Président moderne ?", réalisé pour l'émission "Sens public" diffusée le mardi 14 mai 2024 sur Public Sénat : un portrait débat avec Jean-Pierre Raffarin, Patrice Duhamel et Anne Levade, animé par Thomas Hugues.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (18 mai 2024)
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Pour aller plus loin :
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Anne-Aymone Giscard d'Estaing.
François Léotard, l'enfant terrible de Giscard.
Valéry Giscard d’Estaing et son problème, le peuple !
Michel Poniatowski, le bras droit sacrifié de Giscard.
Valéry Giscard d’Estaing, le rêveur d’Europe.
Hommage européen à Valéry Giscard d’Estaing le 2 décembre 2021 au Parlement Européen à Strasbourg (texte intégral et vidéos).
VGE en mai (1968).
Michel Debré aurait-il pu succéder à VGE ?
Le fantôme du Louvre.
Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron d’hommage à VGE le 3 décembre 2020 (texte intégral et vidéo).
Le Destin de Giscard.
Giscard l’enchanteur.
Valéry Giscard d’Estaing et les diamants de Bokassa.
Valéry Giscard d’Estaing et sa pratique des institutions républicaines.
VGE, splendeur de l’excellence française.
Propositions de VGE pour l’Europe.
Le septennat de Valéry Giscard d’Estaing (1).
Le septennat de Valéry Giscard d’Estaing (2).
Loi n°73-7 du 3 janvier 1973.
La Cinquième République.
Bouleverser les institutions ?
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240519-vge.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/valery-giscard-d-estaing-a-la-254447
http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/05/15/article-sr-20240519-vge.html