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quatrième république

  • André Siegfried, père de la sociologie électorale et de la science politique française

    « Malgré son aspect paradoxal, cette observation simpliste, mais décisive s’impose : tout ce qui est sur le calcaire appartient à la gauche, tout ce qui est sur le granit, à la droite. » (André Siegfried, "Tableau politique de la France de l'Ouest sous la Troisième République", 1913, éd. Armand Colin).




     

     
     


    Ces quelques lignes ont fait date dans l'analyse politique des terres politiques des différentes partis politiques, et sa formulation lapidaire a valu à son auteur de se faire reprendre par un autre sociologue de la vie politique, Raymond Aron qui ironisait en 1955 : « On trouve l’hétérogénéité géographique quand on la cherche, on trouve les deux blocs quand on les organise. ». Mais il n'en demeure pas moins que le politologue André Siegfried, qui est né il y a juste 150 ans le 21 avril 1875 au Havre, donc en plein début de la Troisième République, reste encore aujourd'hui perçu comme le père de la géographie électorale et même de la science politique qu'il a enseignée mais aussi organisée, institutionnalisée après la dernière guerre.

    C'est pourquoi André Siegfried est une référence fondamentale pour la science politique en France, un fondateur d'une nouvelle discipline dans laquelle se sont engouffrés tous les politologues, éditorialistes politiques depuis la fin de la guerre. André Siegfried a connu et analysé la vie politique de deux républiques, la Troisième et la Quatrième Républiques, il n'a pas eu le temps d'appréhender vraiment la Cinquième République même s'il a eu de quoi sortir, à la fin de sa vie : "De la IVe à la Ve République au jour le jour" en 1958 chez Grasset (il avait déjà publié "De la IIIe à la IVe République" en 1956 chez Grasset). En effet, il est mort le 28 mars 1959 à Paris, peu avant ses 84 ans.

    Auteur prolifique d'études politiques et électorales, universitaire et académicien, André Siegfried a marqué l'histoire intellectuelle de la France du XXe siècle. Ses parents étaient très engagés dans la vie publique et intellectuelle. Son père entrepreneur Jules Siegfried (1837-1922), dont il a fait une biographie en 1946, était une personnalité politique importante de la Troisième République, maire du Havre de 1878 à 1886, député puis sénateur de la Seine-Inférieure, conseiller général, et ministre du commerce des gouvernements d'Alexandre Ribot (1892-1893). Quant à sa mère Julie Puaux-Siegfried (1848-1922), elle était une féministe et a présidé le Conseil national des femmes françaises pendant dix ans, de 1912 à 1922, une instance créée en 1901 que Louise Weiss avait intégrée et qui existe encore aujourd'hui.


    Issu d'un milieu protestant de bourgeoisie provinciale (il avait un oncle maternel pasteur et président de la Société de l'histoire du protestantisme français), d'une famille alsacienne qui a émigré en Normandie après la perte de l'Alsace-Moselle (à l'origine, l'entreprise familiale était située à Mulhouse), André Siegfried a étudié à Paris les lettres et le droit jusqu'à obtenir un doctorat en histoire (thèse sur la démocratie en Nouvelle-Zélande soutenue en 1904) et un doctorat en droit. Ses disciplines furent nombreuses et voisine : il fut économiste, historien, géographe, sociologue, politologue... et il fut bien sûr, écrivain, surtout essayiste.

    Intellectuel et homme de terrain, comme le précise l'Académie, il a fait dans sa jeunesse en 1900-1901 un "vaste tour du monde" qui lui a permis de visiter de nombreux pays du Globe : États-Unis, Mexique, Australie, Japon, Chine, Indes, etc., à l'instar de son père et de son oncle Jacques Siegfried qui ont fait également un tour du monde.

    Baigné dans la vie politique, André Siegfried était d'abord un déçu des élections. En effet, sur les traces paternelles, il a tenté à plusieurs reprises de se faire élire avec l'étiquette de l'Alliance démocratique (formation laïque de centre droit), mais sans succès : quatre candidatures à des élections législatives (en 1902, puis, après invalidation, en 1903, puis en 1906 et en 1910) et aussi à des élections cantonales (en 1909). À la mort de son père, en 1922, sa candidature était envisagée pour la succession, mais finalement, ce fut René Coty qui fut choisi.

    Dès lors, puisque le suffrage universel lui barrait la route, il renonça à une carrière politique et il s'attacha à comprendre les raisons de ses échecs, c'est-à-dire à comprendre le comportement de l'électorat en fonction du territoire, ce qui l'a conduit à publier en 1913 son fameux "Tableau politique de la France de l'Ouest sous la Troisième République" aux éditions Armand Colin. Ce livre l'a rendu rapidement célèbre dans les milieux de la recherche en sciences humaines, en jetant les bases d'une science politique moderne attachée à comprendre le comportement des électeurs.


    À partir de 1910, il enseigna à l'École libre des sciences politiques (futur IEP Paris à partir de 1945 après sa nationalisation), et cela jusqu'en 1955, et a suivi une carrière universitaire et académique prestigieuse : il fut élu en 1933 professeur au Collège de France à la chaire à la chaire de géographie économique et politique, qu'il conserva jusqu'en 1945 (il avait alors 70 ans). André Siegfried enseigna également à l'étranger (il faisait de nombreux voyages autour du monde qui lui permirent de publier des analyses sur de nombreux pays étrangers), en particulier il fut professeur associé à l'Université Harvard en 1955. Figure dominante de Science Po Paris (dont il a refusé la direction), il fut en 1945 le premier président de la Fondation nationale des sciences politiques (on peut citer ses successeurs : 1959 Pierre Renouvin, 1971 François Goguel, 1981 René Rémond, 2007 Jean-Claude Casanova, 2016 Olivier Duhamel, jusqu'à sa démission en 2021).
     

     
     


    Lors de ses cours dans les années 1920, selon Gérard Noiriel, il émettait des analyses racistes assez à l'emporte-pièce, comme le présente aujourd'hui Wikipédia : « "Il y a des races qui s'assimilent vite, d'autres plus lentement, d'autres enfin, pas du tout", en France, "les Chinois demeurent toujours des étrangers", "la race noire reste inférieure", "le Juif est un résidu non fusible dans le creuset". ». Cette "géographie des races" a été fortement dénoncé en 1993 par l'historien Pierre Birnbaum, spécialiste de l'antisémitisme en France et aux États-Unis. Dans la revue "Sociétés et Représentations" n°20 d'octobre 2005, l'historienne Carole Reynaud-Paligot, professeure à l'IEP de Paris et spécialiste de l'histoire des intellectuels, en parlait ainsi, pour remettre le contexte : « Le fondateur de la sociologie électorale française n’a pas échappé aux critiques et certains aspects de sa pensée ont été jugés discutables : l’utilisation du concept de race, le recours aux mystères des personnalités ethniques, la présence de stéréotypes et de préjugés de son temps, etc. Il nous apparaît intéressant de poursuivre l’étude en analysant plus particulièrement dans quelle mesure Siegfried est un héritier de la pensée raciale fin de siècle. Cette pensée raciale, qui a largement imprégné la culture française des dernières décennies du XIXe siècle, a construit une représentation de la différence en termes raciaux et produit une vision inégalitaire du genre humain. La communauté savante, le monde colonial, la presse, les manuels scolaires ont largement diffusé cette vision raciale du monde qui s’organise autour de quelques idées force : chaque race possède des caractères physiques, intellectuels et moraux spécifiques qui se transmettent de génération en génération ; l’inégalité raciale s’inscrit dans le processus héréditaire et certaines races sont jugées plus aptes à bénéficier de la civilisation. (…) L’analyse des écrits d’André Siegfried, de ses articles, ouvrages et de ses cours, nous permet de cerner la postérité de cette pensée raciale dans le premier Vingtième Siècle. Dans quelle mesure les axiomes de la raciologie fin de siècle sont-ils restés partie intégrante de la culture du premier vingtième siècle ? De quelles manières les enjeux propres à l’entre-deux-guerres ont-ils modifié ces représentations de l’altérité ? (…) Raciste Siegfried ? Pas dans le sens de l’époque : il juge la thèse "nordique" qui prétend que "tout ce qui est bon dans la région méditerranéenne provient du Nord" ridicule… tout en lui concédant une part de vérité. Après la Seconde Guerre mondiale, Siegfried affirme que les Français "ne sont pas des racistes de doctrine" et ce n’est pas être raciste que d’admettre que les deux notions de civilisation occidentale et de race blanche se recouvrent. Il y a un racisme "parfaitement acceptable" qui est de reconnaître "qu’il y a des races, et que quand vous êtes en présence d’une race, vous êtes en présence d’une réalité". La ségrégation raciale, "dans l’égalité et la dignité", bien que n’étant plus possible dans les sociétés modernes, lui paraît le meilleur moyen de protéger la race blanche des races de couleur. Il lui est difficile d’admettre une égalité totale entre les races : en 1948, il juge que les États-Unis ont "montré quelque légèreté en instituant une ONU dans laquelle les votes relevant de la race blanche, de la civilisation occidentale (…) ne sont probablement pas la majorité". Du début du siècle jusqu’à ses derniers écrits, l’œuvre de Siegfried se fait ainsi encore largement l’écho des thématiques traditionnelles de la pensée raciale fin de siècle : psychologie des peuples, hérédité raciale, idée de hiérarchie et d’inégalité des races, scepticisme face à l’éducation des races de couleur, lenteur de l’évolution intellectuelle des races. À cette culture, issue de la raciologie de la fin du siècle précédent, s’ajoutent des thématiques plus spécifiques à l’entre-deux guerres. Le thème du déclin de la civilisation occidentale et de la race blanche face au "flot montant des races de couleur", qui apparaît au lendemain de la Grande Guerre et qui connaît un succès notable durant l’entre-deux-guerres, est omniprésent dans les écrits de Siegfried, et ce jusque dans les années Cinquante. De même, la question des politiques d’immigration et l’idée de sélection en fonction de la capacité d’assimilation des peuples prennent, dans l’entre-deux-guerres, une grande place aux États-Unis, comme en Europe. Siegfried, on l’a vu, n’y échappe pas. Cette question de l’assimilation demeure encore fortement liée à une vision raciale de l’altérité : l’hérédité raciale facilite ou entrave l’assimilation des races. Si Siegfried entend se rattacher à la tradition humaniste de la France, il rappelle qu’on ne peut oublier "que l’assimilation à ses lois et qu’on ne peut en brûler les étapes". ». On voit que le mythe du supposé "grand remplacement" n'est vraiment pas nouveau ni le thème politique de l'immigration utilisé à des fins électorales !

    À partir de 1934, André Siegfried a collaboré régulièrement au quotidien "Le Figaro" et, entre 1953 et 1956, à la revue d'art et d'histoire, mensuelle, "L'Échauguette", où il écrivait aux côtés de Paul Morand, André Maurois, Henri Mondor, sous la direction de Paul Claudel. Il fut l'auteur d'une œuvre composée de près de 90 ouvrages principalement des essais et des analyses diverses et variées.

    La consécration professionnelle et littéraire a eu lieu d'abord en 1932 avec son élection à l'Académie des sciences morales et politiques, au fauteuil numéro 4 (celui de Paul Deschanel) de la section II (Morale et Sociologie), puis le 12 octobre 1944 à l'Académie française (élu en même temps que deux autres nouveaux membres, dont le grand physicien Louis de Broglie), au fauteuil numéro 29, celui de Claude Bernard, Ernest Renan, et ses successeurs furent, à partir de 1960, Henry de Montherlant, Claude Lévi-Strauss et aujourd'hui (depuis 2011) Amin Maalouf.

    Il fut reçu sous la Coupole le 21 juin 1945 par le duc Auguste-Armand de La Force, un historien. Ce dernier en prit l'occasion pour citer quelques descriptions savoureuses d'acteurs politiques par le nouvel académicien : « De l’appartement de votre père, vous pouviez, le jour de l’an, apercevoir le défilé des landaus, qui, débouchant du cours la Reine, chacun avec son huissier à chaîne sur le siège, traversaient le rond-point pour se rendre de la Chambre à l’Élysée. J’ai croisé plus d’une fois ces voitures misérablement attelées, dont la mauvaise tenue indignait Anatole France. Votre père recevait les sommités de la Troisième République. Vous figuriez parmi les convives et les propos que vous entendiez vous surprenaient quelque peu. Vous nous dites, dans les pages où vous faites revivre votre père et qui sont les Mémoires charmants de votre jeunesse : "Quand il parlait d’intérêt général, de dévouement à la chose publique, mon père se faisait journellement traiter de naïf par ses invités". Comment ne pas vous croire, Monsieur, puisque vous êtes la conscience même et que, d’ailleurs, la vérité sort de la bouche des enfants ? En 1895, jeune homme de vingt ans, vous assistez, 226, boulevard Saint-Germain, dans le nouvel appartement de vos parents, à de grands dîners de parlementaires. Votre mère préside la table, seule femme au milieu de tant d’hommes. Députés et sénateurs étaient sensibles à sa bonne grâce. Son esprit animait et entraînait la conversation. Sa gaieté méridionale parvenait à dérider l’austère Brisson toujours sinistre et vêtu de noir. Quant à vous, Monsieur, vous écoutiez et vous observiez et, bien des années plus tard, vous avez crayonné, pour notre plus grand plaisir, "le petit père Goblet, râblé et rageur", avec ses favoris de neige "l’air d’un amiral sur sa dunette" ; Freycinet "menu et fluet", "immatériel et diaphane comme un saint", mais "l’œil clair et terriblement averti", "vraie souris blanche", prête à se tirer "des situations les plus inextricables" ; "Floquet, portant haut une grosse tête noble, le regard dirigé à quarante-cinq degrés vers le ciel comme un canon de soixante-quinze, toujours rasé de frais, très gentleman, très bien habillé, ressemblant à un Danton soigné". Puis ce fut un nouveau personnel gouvernemental. Vous n’avez pas manqué de l’ajouter à votre galerie de portraits. Voici Paul Deschanel "sentencieux" et d’une si impeccable tenue "que l’on disait : S’il forme un cabinet, ce sera un cabinet de toilette". Plus loin, "André Lebon avec sa barbe de fleuve", "semblant quelque Neptune échappé dans la politique" ; Poincaré "physiquement mesquin et comme étriqué, donnant une froide impression de correction et de compétence" ; Ribot "parlant, avec un léger tremblement dans la voix, des nécessités de l’ordre, des fondements de la société qui étaient ébranlés". Delcassé, d’ordinaire, venait déjeuner seul et proclamait fougueusement : "Si je parviens au pouvoir, soyez sûr que je ne me reposerai pas : la politique se fait en cherchant, non en évitant les affaires". Et vous n’avez portraituré ni les Doumer ni les Doumergue ni les Klotz ni les Leygues ni les Charles Benoist ni les Briand, qui ont passé sous vos yeux à la table de vos parents. Quel regret pour nous, Monsieur ! Votre esprit curieux s’intéressait à leurs débats. Peu d’importantes séances de la Chambre que vous ayez manquées. Je doute, cependant, que telle Mlle Hélène Vacaresco, l’illustre déléguée à la Société des Nations qui porta si haut le drapeau de la Roumanie et soutint de sa belle éloquence l’amitié française, vous ayez subi vingt-sept mille discours. ».

     

     
     


    Pour comprendre un peu mieux André Siegfried, François Goguel lui a rendu hommage, à l'annonce de sa disparition, dans "La Revue Française de Science Politique" que l'immortel avait lancée en 1951 et dirigée jusqu'à sa mort : « Dans un texte daté du 3 mars 1946, André Siegfried écrivait : "Trois maîtres ont exercé sur ma formation une influence décisive : Izoulet, mon professeur de philosophie, m'a donné le goût des idées générales ; Seignobos m'a enseigné le réalisme psychologique politique ; Vidal de La Blache m'a fait comprendre, du moins je l'espère, l'esprit profond de la géographie". Il y a dans cette triple référence une indication profondément significative : dès l'origine, André Siegfried s'est voulu étranger aux cloisonnements traditionnels entre disciplines prétendument distinctes : il se sentait la fois philosophe, historien et géographe. Fort important est également le fait que son éducation ait été très loin d'être purement livresque ou théorique. C'est à son père (…) qu'il dut certainement le goût du concret, la soif de l'observation qui caractérisent sa méthode intellectuelle. ».

    Et François Goguel de citer à nouveau André Siegfried dans son "Tableau des partis en France" publié en 1930 (éd. Grasset) : « Pour recueillir les faits, comment procéder ? J'ai pratiqué toute ma vie une règle dont je ne saurais jamais me départir : aller voir sur place, c'est-à-dire voyager. Tout m'est apparu toujours comme un voyage. Je crois effectivement que le voyage n'est autre chose un état esprit à base de curiosité. J'ai impression d'être en voyage à un kilomètre de chez moi aussi bien qu'à dix mille, dans le XIIIe arrondissement aussi bien qu'à New York, à Samoa ou au Pérou. Je n'aime en somme parler que de ce que j'ai vu. L'atmosphère se respire et cela est irremplaçable. Une escale de deux heures dans un port m'en apprend davantage que de longues lectures. C'est peut-être un peu mélancolique pour quelqu'un qui a écrit beaucoup de livres sur les pays étrangers... Faut-il partir dans un état ignorance ou bien ne s'embarquer après s'être fortement documenté sur les pays qu'on va visiter ?... Le système que je propose consiste à connaître les faits essentiels, ou peut-être même à faire une hypothèse. Mais attention : à condition d'être toujours prêt à l'abandonner comme un échafaudage qu'on abat après avoir construit la maison. Est-il permis d'avoir de la passion ? Elle est nécessaire à la compréhension car elle est la vie même. Ce n'est pourtant qu'une première étape, car l'intelligence ensuite doit débrayer, continuer seule, libérée de toute participation et de toute violence... Les faits sont si nombreux qu'il n'est pas question de les connaître tous. Les plus simples seront ceux sur lesquels on pourra le mieux raisonner. ».

    Du reste, Christophe Le Digol, maître de conférences en science politique à l'Université Paris-Nanterre, expliquait aussi le 9 février 2016 dans "Le Figaro" : « André Siegfried était convaincu que “même l'enfer a ses lois”. Et s'appuie sur l'hypothèse qu'il existe des lois générales qui dominent le désordre des faits particuliers et qu'elles se différencient des explications habituellement proposées par les hommes politiques ou les commentateurs les plus avertis. ».

    Dans son livre "Tableau politique de la France de l'Ouest sous la Troisième République" (1913), André Siegfried s'était en particulier intéressé à la Vendée : « L’attachement du peuple à son clergé demeure entier  ; l’effort de la noblesse pour conserver sa suprématie reste couronné de succès. Pour provoquer une transformation de ce milieu, il y faudrait une destruction complète de la grande propriété en même temps qu’une révolte générale contre le pouvoir électoral du prêtre. La Vendée reste donc en marge de la France politique moderne, dont, à la lettre, elle n’est pas contemporaine. Le régime moderne a pu y établir des fonctionnaires, y imposer des lois, y tracer des routes pour y introduire, comme en pays étranger, ses conceptions officielles de la société et du gouvernement. Mais les routes morales qui mènent de France en Vendée sont désertes comme les routes militaires de Napoléon ; plusieurs lois restent lettre morte dans un milieu qui les repousse ; et les fonctionnaires, isolés dans leurs postes ainsi qu’un corps d’occupation, y restent socialement des étrangers. Entre la France démocratique du Centre ou du Sud-Ouest et cette première marche de l’Ouest, il y a tout au plus contact, il n’y a pas pénétration. ».

    À l'occasion du centenaire de la naissance d'André Siegfried, l'historien Jacques Chastenet lui a rendu hommage le 26 mai 1975, sous la Coupole, en commençant par cette description physique : « La taille élevée, les épaules larges, point de ventre, les cheveux blond cendré, une courte moustache surmontant une bouche bien dessinée, l’œil clair, la physionomie habituellement souriante, parfois narquoise, le geste rare, la démarche souple : tel, presque jusqu’au terme de sa vie, apparaissait André Siegfried. ».

    Et il terminait sa biographie verbale ainsi : « Certains problèmes d’ordre métaphysique, problèmes dont il s’était jusqu’ici peu occupé, commencent à se poser à lui. Croyant sincère, très lié avec d’éminents pasteurs, il n’était guère pratiquant et la religion n’occupait dans son œuvre qu’une place secondaire. Pourtant, dès 1951, il collabora à une importante publication : "Les Forces religieuses et la Vie politique". En 1958, il donne un ouvrage : "Les Voies d’Israël, Essai d’interprétation de la Religion juive", qui témoigne de préoccupations nouvelles. Son dernier livre toutefois, qui ne paraîtra qu’après sa mort, reste dans sa ligne habituelle. Il est intitulé : "Itinéraire de contagions, Épidémies et Idéologies". En 1958, Siegfried va encore nager au voisinage du Cap d’Antibes. En 1959, un mal incurable s’installe soudain dans son organisme. Bientôt il se voit condamné à l’immobilité, son cerveau demeurant entièrement lucide. La tendresse de sa femme et celle de sa fille adoucissent son glissement vers la mort. Elle survient au bout de quatre mois. Il a quatre-vingt-quatre ans. Je ne suis pas certain que notre époque violente et tourmentée favorise l’éclosion d’un autre Siegfried, savant objectif, impartial, irradiant la clarté en même temps passionné par les formes, les sons et les couleurs. Il était le très haut représentant d’un monde menacé d’effondrement. Inspirons-nous cependant de sa lucide fermeté pour ne pas désespérer et disons-nous, après Claudel, que "le pire n’est pas toujours le plus sûr". ».

    Le 25 octobre 1945, André Siegfried a prononcé un discours à l'Académie française sur la continuité de la langue et de la civilisation françaises : « Je me suis souvent demandé ce dont, dans la contribution de la France à la civilisation, je suis le plus fier, et, dans ma réponse, je n’hésite pas : je placerais tout au centre la confiance magnifique du Français dans l’intelligence humaine. Nous croyons, spontanément et de toute notre force, qu’il y a une vérité humaine, la même pour tous les hommes, appartenant donc à tous les hommes, et que, cette vérité, l’intelligence peut la comprendre, la parole l’exprimer. À nos yeux, une pensée n’existe que si elle peut être exprimée ; jusque-là elle n’est que virtuelle. Pour lui donner la forme qui sera la condition nécessaire de son être, nous faisons confiance, confiance entière à notre langue. Ainsi le Français ne respecte intellectuellement que ce qui est clair, libéré du chaos. Là réside sans doute la différence profonde, essentielle, qui sépare la pensée française de la pensée allemande et même, plus généralement, de la pensée nordique ou anglo-saxonne. L’Allemand s’estime profond quand il eut obscur, il se plaît même à opposer cette obscurité à notre clarté. ».


    D'autres échantillons de la pensée d'André Siegfried sont notamment dans son livre "L'Âme des peuples" publié en 1950 (chez Hachette), où l'on comprend son positionnement politique et sociologique. Ainsi : « Ce Français, qui vote en doctrinaire intransigeant de la gauche, c'est souvent le même qui, dans la défense de ses intérêts, glisse à l'égoïsme le plus absolu, et le fait que cet égoïsme est familial n'en change pas au fond le caractère. Ce communiste propriétaire, et combien n'en connaissons-nous pas, est prêt à défendre âprement sa propriété : il trouverait scandaleux qu'on lui imposât le régime du kolkhoze ! Et tous ces gens qui votent, avec conviction, avec passion, pour les nationalisations, nous voyons bien qu'ils se méfient de l'État et que, quand il s'agit de choses qu'ils estiment sérieuses, c'est sur eux-mêmes qu'ils comptent en somme. ».

    La dépense publique sans fond, André Siegfried a bien compris le talon d'Achille de toute politique publique : « Ainsi donc le Français, quand il recourt à la puissance publique, se trouve-t-il tenté de la considérer, non comme une entreprise dont il est l'associé solidaire, mais comme une vache à lait dont il faut tirer pour lui le maximum. (...) Le rentier social croit encore que la caisse de l'État est sans fond, que l'industrie nationalisée peut sans inconvénient tourner indéfiniment à perte. Il lui faudra une difficile éducation pour comprendre qu'en l'espèce il n'est pas en somme, comme il le croit, un obligataire, mais l'actionnaire d'une grande société qui est la France elle-même. En attendant, avec des dons merveilleux, avec une dépense étonnante de talent, et du reste aussi de dévouement, ce qui nous frappe surtout en France, c'est l'inefficacité de la vie publique faisant contraste avec l'efficacité de l'individu. ».

    L'âme française : « Tout le bien et tout le mal, toute la grandeur et toute la faiblesse de la France viennent de sa conception de l'individu : conception splendide, éventuellement aussi pathologique. Il s'agit d'abord d'une revendication d'indépendance, essentiellement d'une revendication d'indépendance intellectuelle. Le Français prétend penser et juger par lui-même, il ne s'incline devant aucun mandarinat et par là il est profondément non conformiste, anti-totalitaire. S'il lui arrive de suivre fanatiquement, aveuglément une consigne, en sacrifiant délibérément tout esprit critique, c'est par dévouement fanatique à un principe, à un système, à une politique, mais ce n'est pas, comme chez l'Allemand, par tempérament d'obéissance. En Amérique on obtient tout de l'individu au nom de l'efficacité, c'est au nom d'un principe qu'on peut tout demander au Français. À cet égard, la pensée française, que ce soit sous l'angle de la critique ou sous l'angle du fanatisme idéologique, peut apparaître, à juste titre, non seulement comme un instrument de libération, mais comme un ferment dangereux, éventuellement révolutionnaire. ».


    L'individualisme : « Dans l'association, le Français a toujours le sentiment qu'il apporte plus qu'il ne reçoit, et c'est un mauvais associé, mais l'Allemand reçoit et a conscience de recevoir du groupe plus qu'il ne lui donne. ».

    On s'étonnera des préjugés, clichés et surtout, généralités qu'André Siegfried a pu commettre dans toute son œuvre. Comme l'expliquait Carole Reynaud-Paligot (plus haut), cette œuvre est imprégnée de stéréotypes de la fin du XIXe siècle, en particulier racistes (ne serait-ce que parce qu'il n'y a, biologiquement et génétiquement, pas de races humaines), et qu'en ce sens, elle est très datée. Il n'en demeure pas moins qu'il reste une référence à tous les politologues d'aujourd'hui et aussi, à tous les experts en sondage qui peuplent aujourd'hui les plateaux de télévision.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (19 avril 2025)
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    Pour aller plus loin :
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    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250421-andre-siegfried.html

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  • Joseph Laniel : il y a du lingot dans cet homme-là !

    « On voudrait bien, ne serait-ce que par souci de ne pas être banal, comparer Joseph Laniel à autre chose qu’un bœuf. Mais cela est d’autant plus impossible qu’il semble cultiver comme à plaisir la ressemblance. Ce n’est pas assez qu’il soit massif, pesant, de membres brefs et lourds, que sa tête engoncée dans ses épaules soit presque aussi large que son poitrail, que ses gros yeux aux bords rouges aient l’air d’attendre les mouches, et que, de son museau qui mastique à l’horizontale (c’est la seule façon qu’a Laniel de ruminer), on s’étonne de ne pas voir découler un scintillant filet de bave. » (André Figueras, 1956).



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    L'ancien chef du gouvernement de la Quatrième République Joseph Laniel est mort il y a cinquante ans, le 8 avril 1975. L'occasion de revenir sur la période pendant laquelle il a dirigé la France d'une main de fer et sur l'occasion perdue de son élection à la Présidence de la République.

    Après trente-quatre années de carrière politique, tant locale que nationale, Joseph Laniel est arrivé au sommet de sa puissance lors de son investiture, le 26 juin 1953, comme Président du Conseil.

    Il dirigea l’un des gouvernements les plus longs de la Quatrième République (après Guy Mollet), du 28 juin 1953 au 12 juin 1954. Sa composition fut approuvée par les députés le 30 juin 1953. Il y avait trois Vice-Présidents du Conseil, son mentor Paul Reynaud (CNIP), Henri Queuille (radical) et Pierre-Henri Teitgen (MRP), et on pouvait retrouver (certains étaient simplement reconduits du ou des gouvernement précédents) notamment : François Mitterrand (UDSR) au Conseil de l’Europe, Georges Bidault (MRP) aux Affaires étrangères, secondé par Maurice Schumann (MRP), René Pleven (UDSR) à la Défense nationale et Forces armées, aidé notamment de Pierre de Chevigné (MRP) à la Guerre, Edgar Faure (radical) aux Finances et Affaires économiques, André Marie (radical) à l’Éducation nationale, Louis Jacquinot (CNIP) à la France d’Outre-mer et Paul Coste-Floret (MRP) à la Santé publique et Population. Quatre députés venus du RPF ont fait leur entrée, ce qui était nouveau.

    Formellement, il y a eu deux gouvernements, car l’investiture du nouveau Président de la République imposait la démission du gouvernement le 16 janvier 1954, qui fut immédiatement et intégralement reconduit, pratiquement sans aucun changement (à noter l’apparition furtive du député des concierges parisiens, Édouard Frédéric-Dupont, comme Ministre des Relations avec les pays associés du 3 au 9 juin 1954, il avait là l’étiquette CNIP, il avait été élu sous l’étiquette RPF, et il avait voté les plein pouvoirs à Pétain en 1940).

    Toute l’attention de Joseph Laniel pendant le temps de son gouvernement fut portée sur les problèmes économiques et financiers. La situation économique était mauvaise, elle se dégradait : la croissance s’essoufflait, le chômage redémarrait. Sur le plan extérieur, il s’était engagé à préserver la continuité de la politique de la France (menée par Georges Bidault). Il y a eu deux éléments perturbateurs pour son gouvernement : la guerre d’Indochine et le projet de la Communauté européenne de défense (CED) qui divisait profondément tant le peuple français que la classe politique.

    L’été 1953 fut particulièrement dense dans la vie politique et sociale en France. En effet, profitant des vacances estivales, Joseph Laniel, droit dans ses bottes, a voulu adopter quelques réformes sociales à l’arraché. Le 8 juillet 1953, il a obtenu des députés, par 329 voix contre 277, la possibilité de légiférer par décrets-lois (on dirait "ordonnances" maintenant) pendant trois mois pour réformer (déjà !) l’âge de départ à la retraite des fonctionnaires et les conditions d’avancement, également pour réformer la Banque de France. L’idée annoncée était de faire la rigueur budgétaire pour relancer l’économie. Pour la gauche, c’était le détricotage annoncé du programme du CNR.

    Alors que Joseph Laniel pensait pouvoir légiférer en toute quiétude durant l’été, profitant notamment de la division structurelle des forces syndicales (scission de la CGT avec FO), ce fut tout le contraire qui arriva, et cela venant de la base. Avant même que les textes fussent rédigés et présentés, une grande grève commença dans les services publics, à partir du 4 août 1953 (les premiers furent les postiers bordelais). La grève était motivée notamment par des rumeurs sur une harmonisation par le bas des régimes spéciaux de retraites, des licenciements d’auxiliaires, un blocage des salaires, une prolongation de deux ans de l’âge de la retraite, etc. Toutes ces mesures devaient être présentées au Conseil supérieur de la fonction publique, ce qui était prévu d’abord le 4 août puis le 7 août 1953 (ce qui expliquait la grève à partir du 4). Les syndicats ont boycotté la réunion de ce conseil supérieur. Le 9 août 1953, le conseil des ministres a adopté la dernière version des réformes de la fonction publique, faisant quelques concessions aux syndicats mais c’était trop tard, le mouvement était lancé.

    Cette grève illimitée a été très suivie, avec une unité syndicale à la base : éboueurs, postiers PTT, cheminots SNCF, électriciens EDF, gaziers GDF, RATP, Air France, personnels de santé, etc. ont fait grève (seuls les enseignants étaient absents du mouvement pour cause de vacances scolaires). 4 millions de grévistes le 13 août 1953 ! On interdisait même aux ministres de téléphoner, les agents coupaient leurs communications privées !

    La réaction du gouvernement fut également très forte, refusant de céder à la pression des grévistes (Joseph Laniel l’a martelé plusieurs fois le 12 août 1953 à la radio nationale) : perquisitions, arrestations, inculpations (notamment d’André Le Léap, secrétaire général de la CGT, l’autre secrétaire général Benoît Frachon étant passé dans la clandestinité !), réquisition de l’armée et de détenus, etc.

    Dans "Le Monde diplomatique" d’août 2017, l’historien Michel Pigenet a expliqué : « Acteur et observateur lucide à son poste de Ministre des Finances, Edgar Faure décrit un climat de "défoulement" et de "bonne rigolade, presque comme un canular". Le sentiment d’invincibilité métamorphose la colère initiale en enthousiasme bon enfant. Août 1953 diffère de novembre-décembre 1947, où les "grèves rouges" s’étaient soldées par la mort de quatre ouvriers et plus de 1 300 arrestations. ».

    Le 21 août 1953, finalement, le gouvernement réussit à trouver un accord avec les syndicats FO et CFTC, aucune réforme n’aura été vraiment entérinée, et les retours au travail se sont fait très lentement (les grévistes CGT se sentant trahis). Les personnes arrêtées furent libérées si bien que même la CGT appela à la reprise du travail le 25 août 1953.

    Ce qui reste étonnant, c’est que cette grève d’août 1953, qui fut générale et illimitée, n’a pas marqué ce qu’on pourrait appeler la "mémoire collective" ou la "mémoire nationale". Pourtant, elle était mémorable, et surtout, elle n’est pas sans rappeler, aujourd’hui, la crise des gilets jaunes, selon ce qu’a exprimé Michel Pigenet pour août 1953 : « Confronté à l’État patron, le mouvement acquiert une signification politique, mais n’a ni les moyens ni l’ambition de s’ériger en solution de rechange. S’y engager le perdrait. » ("Le Monde diplomatique", août 2017).

    Cette crise sociale a cependant fait date à court terme dans l’esprit des parlementaires socialistes, et l’idée d’une résurgence de la Troisième force (SFIO-MRP-radicaux) sous l’égide de Pierre Mendès France allait refaire son chemin. Au congrès du parti radical le 23 septembre 1953, Pierre Mendès France lança : « Nous sommes en 1788 ! » et analysa : « Les grèves récentes n’étaient pas des grèves politiques ni exactement des grèves professionnelles. Certains grévistes étaient incapables de définir avec précision leurs revendications. C’étaient les grèves de la tristesse, du désespoir, du découragement. ». Cela fait en effet penser aux gilets jaunes.

    Mais aussi à long terme : elle a tétanisé tous les gouvernements pendant un demi-siècle en les dissuadant de faire des réformes (comme la fin des régimes spéciaux des retraites), nous sommes en pleine actualité ! et aussi dans la structuration de la vie politique. En effet, dès le 22 juillet 1953, un mouvement allait s’opposer aux grévistes qui mettaient en danger l’économie française, notamment les petits entrepreneurs et les commerçants, l’UDCA (Union de défense des commerçants et artisans). Ce mouvement fut celui de Pierre Poujade qui entra massivement à l’Assemblée Nationale aux élections législatives suivantes du 2 janvier 1956 avec 52 élus (dont Jean-Marie Le Pen) et 12,9% des voix (2,7 millions d’électeurs !).

    Dans la politique gouvernementale, la crise a aussi eu un effet sur Edgar Faure, aux Finances, qui prôna une volonté de reprise de l’économie française avec une expression qui lui était très particulière : "l’expansion dans la stabilité" (en février 1954). Les salaires des fonctionnaires allaient d’ailleurs augmenter de 14% sur les deux années qui suivaient.

    Parmi les mesures économiques et sociales du gouvernement Laniel, il faut citer l’instauration de la TVA (taxe sur la valeur ajoutée) le 10 avril 1954 et l’adoption de la loi n°54-439 du 15 avril 1954 sur le traitement des alcooliques dangereux pour autrui. Toujours dans le domaine social, il faut rappeler que l’abbé Pierre (qui fut député MRP de Nancy de 1945 à 1951) a fait son fameux appel contre la misère le 1er février 1954.

    Le 20 août 1953, Joseph Laniel a eu aussi à réagir sur la décision sans concertation du résident général au Maroc de déposer le sultan Mohammed Ben Youssef. Joseph Laniel a finalement entériné à son compte le fait accompli, entraînant des protestations polies d’Edgar Faure et la démission de François Mitterrand le 4 septembre 1953. Plus tard, après avoir quitté le pouvoir, Joseph Laniel s’expliqua sur ce dossier le 8 octobre 1955 devant les députés, ce fut d’ailleurs sa seule intervention publique dans l’hémicycle après sa démission jusqu’à la fin de la législature.

    Dans son "Bloc-notes" du 14 novembre 1954, François Mauriac a écrit, sans complaisance : « Il faut rendre justice à monsieur Joseph Laniel : en voilà un qui ne trompe pas son monde ! Ce Président massif, on discerne du premier coup d’œil ce qu’il incarne : il y a du lingot dans cet homme-là. Sans doute ignore-t-il "le grand secret de ceux qui entrent dans les emplois" que nous livre le cardinal de Retz, et qui est "de saisir d’abord l’imagination des hommes". On ne saurait moins parler à l’imagination que monsieur Joseph Laniel. Ce Président-là nous ferait découvrir de la fantaisie chez monsieur Doumergue, et chez monsieur Lebrun, de la verve. »  Il est cependant revenu le 29 janvier 1966 sur cette réflexion en regrettant d’avoir employé le mot "lingot".

    La grande affaire politique du moment était la Communauté européenne de défense (CED), dont le traité fut signé le 27 mai 1952, mais dont les débats allaient se terminer bien plus tard, le 30 août 1954 avec le rejet par 319 députés français contre 264. Cependant, le clivage sur la CED (qui, comme les autres traités européens par la suite, en 1992 ou en 2005) se faisait à l’intérieur de la plupart des partis (sauf par exemple le MRP qui était proeuropéen de manière homogène) allait se traduire lors de la très difficile élection présidentielle de décembre 1953.

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    Le mandat de Vincent Auriol s’achevait effectivement et il ne se représentait pas. Le Président de la République était élu par l’ensemble des parlementaires (députés et "conseillers de la République", équivalents de sénateurs). Cette élection présidentielle s’est déroulée dans la plus grande confusion, puisqu’il a fallu treize tours avant de connaître l’élu, pire qu’un pape ! En effet, le Président devait être élu à la majorité absolue, quel que soit le tour, pas seulement à la majorité relative après le premier ou deuxième tour.

    Elle a eu lieu du 17 au 23 décembre 1953 et a donné une très mauvaise image de la classe politique et de la Quatrième République. Joseph Laniel s’est présenté à cette élection, dès le premier tour, et fut considéré comme le favori. Il se présenta aux dix premiers tours et il aurait dû, en toute logique arithmétique, être élu. Mais son soutien à la CED, ses manières assez brutales de gouverner ("à la tête de bœuf"), et son "origine industrielle" qui reste toujours effrayante dans la classe politique française (on le voit pour Emmanuel Macron et sa furtive incursion dans une banque d’affaires) lui ont retiré quelques soutiens qui auraient pu être déterminants dans l’élection. Sans compter l’enlisement politique et militaire en Indochine.

    Par ailleurs, le Président du Congrès, André Le Troquer (SFIO) a tout fait pour éviter son élection (selon l’historien Jean-Pierre Rioux), jusqu’à retirer, dans la comptabilisation des votes favorables, les bulletins où n’était indiqué que son patronyme "Laniel" sans son prénom Joseph, pouvant ainsi laisser un doute sur la destination du bulletin car il y avait aussi un René Laniel, son frère, qui siégeait au Sénat (il n’était pas nécessaire d’être candidat pour recueillir des voix).

    Même si les institutions n’étaient pas comparables, cette élection a montré à quel point il est difficile et, pour l’instant, impossible, à un chef du gouvernement d’être élu Président de la République (à l’exception de De Gaulle le 21 décembre 1958) : en effet, sous la Cinquième République et après la réforme de 1962 du suffrage universel direct pour élire le Président de la République, aucun candidat Premier Ministre en exercice n’a pu se faire élire : ni Jacques Chirac en 1988, ni Édouard Balladur en 1995, ni Lionel Jospin en 2002. Georges Pompidou avait été obligé de démissionner l’année précédant son élection (pour être "en réserve de la République") et Jacques Chirac avait refusé de diriger un nouveau gouvernement de cohabitation en 1993 avant l’élection présidentielle de 1995. Quant aux autres Présidents de la Cinquième République, ils n’ont jamais occupé Matignon.

    Le premier tour du 17 décembre 1953 laissait entendre un match entre le socialiste Marcel-Edmond Naegelen, ancien ministre, qui bénéficia aux autres tours du report des voix communistes, et le chef du gouvernement Joseph Laniel. Naegelen a eu 160 voix et Laniel 155 voix, ce qui représentait seulement un sixième des voix et pas la majorité absolue. La raison, c’était la présence d’autres candidats, surtout du centre droit : Georges Bidault représentait le MRP avec 131 voix, Yvon Delbos les radicaux avec 129 voix, même le CNIP était divisé avec un second candidat Jacques Fourcade qui ramassait 62 voix, et un radical indépendant, Jean Médecin (père de Jacques Médecin) a récolté aussi 54 voix. Quant aux deux ailes exclues du pouvoir, les communistes avec Marcel Cachin (113 voix) et les gaullistes avec Paul-Jacques Kalb (114 voix), ils faisaient jeu égal. On voit qu’il y avait une grande dispersion des voix.

    Dès le deuxième tour, la gauche a réussi à s’unir, les communistes se sont désistés, et Naegelen a rassemblé 299 voix, frôlant le tiers de voix. Laniel s’est renforcé à 276 voix (30%) mais le maintien de Bidault (143 voix) et Delbos (180 voix) l’ont empêché d’être élu. Après l’abandon de Georges Bidault, du troisième au dixième tours, Joseph Laniel est parvenu à être en tête du scrutin, mais jamais assez pour atteindre la majorité absolue, tandis que Marcel-Edmond Naegelen a consolidé sa position de challenger en deuxième place, oscillant entre 300 et 400 voix.

    Au huitième tour, le 20 décembre 1953, Joseph Laniel n’était pas loin de l’élection avec 430 voix (47,3%), il lui manquait 24 voix, et Antoine Pinay et Louis Jacquinot, du même parti que lui, CNIP, ont eu respectivement 25 et 14 voix. Il faut comprendre que ces deux candidats n’étaient pas forcément candidats voulus par eux, c’étaient des parlementaires qui ont pu voter spontanément pour eux.

    L’élection de Laniel était donc possible, mais au neuvième tour, un autre candidat CNIP a rassemblé 103 voix, lui faisant perdre mécaniquement une quinzaine de voix. À partir du huitième tour inclus, face au socialiste Naegelen, il n’y avait plus que des candidats CNIP, mais plusieurs, pas un seul. Le centre droit estimait en effet que l’Élysée devait revenir à ce parti, mais visiblement, au sein de la majorité de centre droit, certains refusaient l’élection de Joseph Laniel, trop atlantiste, trop proeuropéen, trop cassant dans son caractère.

    Joseph Laniel l’a compris à la fin du dixième tour. Il abandonna la partie, laissant la porte ouverte à un autre candidat CNIP. Louis Jacquinot et René Coty se sont disputé cette candidature dans les trois derniers tours qui ont eu lieu le 23 décembre 1953. Au onzième tour, Louis Jacquinot, beaucoup plus connu des parlementaires que Coty et soutenu par Laniel, a eu une grande avance (338 voix) sur René Coty (71 voix).

    Mais ce fut la candidature de René Coty qui s’imposa. Pourquoi ? Parce qu’il était vice-président du Sénat (on n’a pas voulu du Président du Sénat, qui était d’habitude élu sous la Troisième République, probablement parce que c’était Gaston Monnerville). J’écris Sénat mais il faut comprendre Conseil de la République. Et René Coty avait dû s’absenter lors d’un vote au Sénat à propos de la CED, si bien qu’il n’avait pas indiqué de préférences et n’a donc pas suscité de rejet dans ce clivage. René Coty fut élu au treizième tour avec 477 voix (54,8%). Son élection fut cruciale, puisque, quatre ans plus tard, il appela De Gaulle à revenir au pouvoir. Qu’en aurait-il été si Joseph Laniel ou Louis Jacquinot avait été élu Président de la République ? Uchronie inutile mais passionnante.

    L’année 1954 fut dominée par la guerre en Indochine. Joseph Laniel continua à solliciter l’aide américaine pour construire une armée vietnamienne face à l’armée Vietminh tout en poursuivant les tentatives de dialogues. Ainsi, il fut décidé de faire du camp de Dien-Bien-Phu un piège pour l’ennemi, mais ce fut l’inverse qui arriva, un immense piège pour les Français. Le camp fut encerclé le 2 février 1954. Joseph Laniel et René Pleven, Ministre de la Défense, furent conspués à l’Arc-de-Triomphe le 4 avril 1954 par d’anciens combattants d’Indochine. La Conférence de Genève s’est ouverte le 26 avril 1954 avec ce climat très hostile, et Dien-Bien-Phu tomba le 7 mai 1954.

    Pendant trois jours, le gouvernement a cherché à justifier sa politique tout en mettant en garde contre une crise gouvernementale au moment où la France devait négocier à Genève. Le 12 juin 1954, les députés ont rejeté la confiance au gouvernement par 306 voix contre 296, insuffisamment constitutionnellement, mais politiquement, le sort était jeté. Joseph Laniel remit à René Coty la démission de son gouvernement le jour même.

    Ce fut alors l’heure de Pierre Mendès France, qui fut investi le 15 juin 1954 et qui mit fin à la guerre d’Indochine le 20 juillet 1954 avec l’Accord de paix de Genève. Joseph Laniel n’a pas pris part au vote pour l’investiture de son successeur ni pour la ratification de l’Accord de Genève, mais il vota en faveur de la CED le 30 août 1954, une position proeuropéenne qui lui avait probablement coûté l’Élysée.

    Aux élections législatives du 2 janvier 1956, Joseph Laniel fut réélu de justesse, sa liste, avec seulement 7,8% des voix, est arrivée en cinquième position dans le Calvados, bien après celles du PCF, de la SFIO, du MRP et des gaullistes. Pendant cette législature (entre 1956 et 1958), il n’est intervenu que deux fois, le 2 mai 1956 pour prôner la rigueur budgétaire, exprimer son soutien à Robert Lacoste et Max Lejeune et sa foi en l’Algérie française, et le 5 mars 1957 pour interpeller le gouvernement sur sa politique agricole. Après avoir voté les pouvoirs spéciaux au gouvernement de Guy Mollet, la loi-cadre de Gaston Defferre sur l’Outremer et la ratification du Traité de Rome, il apporta son soutien au retour au pouvoir du Général De Gaulle en votant l’investiture de son gouvernement le 1er juin 1958 ainsi que les pouvoirs spéciaux et la révision constitutionnelle le 2 juin 1958.

    Balayé par la Cinquième République, Joseph Laniel s’est retiré de la vie politique à la fin de l’année 1958 (il avait 69 ans) et est mort à Paris le 8 avril 1975 (à l’âge de 85 ans), après avoir publié "Le Drame indochinois" en 1957 (éd. Plon), "Jours de gloire et jours cruels", ses mémoires, en 1971 (éd. Presse de la Cité) et "Réflexions après l’action" en 1973 (éd. Plon).

    Soucieux des équilibres budgétaires, promoteur d’une croissance économique et de la puissance industrielle qui ne pouvait se développer que dans le cadre de la construction européenne, Joseph Laniel n’a probablement pas laissé une grande trace dans la mémoire historique en raison de son caractère bourru, bougon, peu tourné vers la communication et l’explication, dans le mode des patrons paternalistes tout-puissants du XIXe siècle (management directif). Pourtant, peut-être même plus qu’Antoine Pinay et Edgar Faure, il symbolisait sans doute le mieux la volonté de reconstruction du pays (il était très attentionné sur l’indemnisation des victimes de guerre) que l’on a appelée les "Trente Glorieuses" dont certains pourraient avoir la nostalgie dans cette époque de crises durables et multiples.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (05 avril 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Joseph Laniel.
    Quel bovin vous amène ?
    Le vote des femmes en France.
    L'échec de la CED.
    Mélinée et Missak Manouchian.
    Séminaire gouvernemental, conseil de cabinet et conseil des ministres.
    L'abbé Pierre.
    André Figueras.
    Jean-Marie Le Pen.

    Jean Moulin.
    Stéphane Hessel.
    René Pleven.
    Pierre Mendès France.
    Léon Blum.
    La création du RPF.
    De Gaulle.
    Germaine Tillion.
    François Mitterrand.
    Pierre Pflimlin.
    Henri Queuille.
    Robert Schuman.
    Antoine Pinay.
    Félix Gaillard.
    Les radicaux.
    Georges Bidault.
    Débarquement en Normandie.
    Libération de Paris.
    Général Leclerc.
    Daniel Cordier.
    Le programme du Conseil National de la Résistance (CNR).
    Jean Monnet.
    Joseph Kessel.
    Maurice Druon.
    André Malraux.
    Maurice Schumann.
    Jacques Chaban-Delmas.
    Daniel Mayer.
    Edmond Michelet.
    Alain Savary.
    Édouard Herriot.
    Vincent Auriol.
    René Coty.
    Maurice Faure.
    Gaston Defferre.
    Edgar Faure.
    René Cassin.
    Édouard Bonnefous.



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    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250408-joseph-laniel.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/joseph-laniel-il-y-a-du-lingot-259374

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/04/07/article-sr-20250408-joseph-laniel.html


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  • L'échec de la Communauté Européenne de Défense (CED), il y a 70 ans

    « L’Hémicycle est bondé, fébrile, comme dans les plus grands jours. Tous les députés sont là ou presque, même Édouard Herriot, vieux leader radical et grand ténor politique de la Troisième République, qui, arraché à sa chambre de grand malade, est venu en fauteuil roulant pour clamer que "la Communauté Européenne, c’est la fin de la France !" (…). Le Président du Conseil, Pierre Mendès France, ne veut pas engager la responsabilité de son gouvernement sur le projet. » (Marc Semo, "Le Monde" le 3 septembre 2021).



     

     
     


    C'est au cours du débat à l'Assemblée Nationale, à la séance du 30 août 1954, que la Communauté Européenne de Défense a été sabordée par les députés français. Revenons sur cet événement très important, tellement important que soixante-dix ans plus tard, on reparle encore d'une défense européenne, notamment pour compenser le désengagement des États-Unis de l'Europe (avant 2022) et prévoir une défense européenne indépendante face à l'agression de la Russie en Ukraine (depuis 2022).

    Tout d'abord, il s'agit d'une traité international. D'un point de vue institutionnel, il faut rappeler comment cela se passe : les gouvernements des États impliqués négocient un texte commun, un accord international, avec plus ou moins de précision. C'est la signature du traité. Ensuite, chaque État, de son côté, le ratifie, c'est-à-dire que le texte devient force de loi nationale selon les procédures du pays (adoption par les parlementaires, voire par référendum). Ensuite, le chef de l'État le promulgue ; c'est la ratification nécessaire pour sa mise en œuvre. Un traité doit donc être approuvé par les gouvernements des pays signataires pour sa rédaction, puis par les parlements de ces pays pour sa ratification.

    À partir d'une initiative française, le plan Pleven (issu lui-même d'une déclaration de Churchill le 11 août 1950 qui proposa une « armée européenne unifiée »), présenté par René Pleven, le Ministre de la Défense nationale, aux députés française le 24 octobre 1950, le traité instituant la CED a été signé le 27 mai 1952 à Paris par six pays : la France (Antoine Pinay), l'Allemagne fédérale (de l'Ouest ; Konrad Adenauer), l'Italie (Alcide De Gasperi), la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg. À partir du 25 juin 1950, la guerre de Corée a fait craindre le même processus entre les deux Allemagne en Europe. L'OTAN (créée en 4 avril 1949) n'étant pas encore opérationnelle, les seules troupes américaines, britanniques et françaises stationnées en Allemagne de l'Ouest ne pourraient pas résister face à une éventuelle agression de l'Allemagne de l'Est aidée de l'URSS. Les États-Unis souhaitaient donc le réarmement de l'Allemagne de l'Ouest pour faire éventuellement face au bloc de l'Est. Pour cela, il fallait transgresser un interdit depuis la fin de la guerre : redonner une armée à l'Allemagne.

    C'était la France le pays le plus hostile au réarmement allemand. Jean Monnet, conseiller de Robert Schuman, a considéré le 16 septembre 1950 que les arguments américains étaient pertinents mais a proposé que le réarmement de l'Allemagne ne se fît pas à l'échelle nationale mais européenne. La déclaration de René Pleven du 24 octobre 1950 (approuvée par l'Assemblée Nationale) était assez claire en proposant la « création, pour la défense commune, d'une armée européenne rattachée à des institutions politiques de l'Europe unie, placée sous la responsabilité d'un ministre européen de la Défense, sous le contrôle d'une assemblée européenne, avec un budget militaire commun. Les contingents fournis par les pays participants seraient incorporés dans l'armée européenne, au niveau de l'unité la plus petite possible. ». Cela avait un avantage : on évitait la création d'une véritable armée allemande, indépendante, avec état-major.

    Les États-Unis étaient toutefois plutôt opposés au plan Pleven en raison du temps à le mettre en place, nécessitant d'abord la mise en place des premières institutions européennes. En effet, un peu auparavant, le 9 mai 1950, Robert Schuman avait prononcé son fameux discours qui ouvrait la voie de la construction européenne, d'abord par la création de CECA (Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier, créée le 18 avril 1952), première brique de ce qui est devenu l'Union Européenne. Il faut remarquer que la CED a été le premier projet européen de grande envergure bien avant la CEE (Communauté Économique Européenne créée par le Traité de Rome du 25 mars 1957). Les Américains préféraient réarmer l'Allemagne de l'Ouest dans le cadre de l'OTAN et pas dans le cadre de la CED.

    En Allemagne, la ratification du traité n'a pas été aisée. Le Chancelier chrétien démocrate Konrad Adenauer l'a soutenu dans un discours au Bundestag le 8 novembre 1950 mais a dû batailler contre les sociaux-démocrates allemands qui craignaient que ce projet compromît les perspectives d'une future réunification. La condition d'Adenauer était ferme : « Si la République fédérale doit y participer, elle doit avoir les mêmes devoirs mais aussi les mêmes droits que les autres pays. ».

    En France, à l'initiative du Président du Conseil radical Edgar Faure, le principe de la CED a été approuvée par l'Assemblée Nationale le 19 février 1952 (avant la signature du texte définitif). Certains partis étaient opposés à la CED (les gaullistes et les communistes, au nom de l'indépendance nationale, au point de créer un front commun anti-CED) et les autres partis étaient très divisés (en particulier, les radicaux et la SFIO, mais même le MRP, très majoritairement favorable, comptait en son sein des opposants à la CED, notamment l'abbé Pierre, Robert Buron, Léo Hamon, etc.).

    Entre mai 1952 et juillet 1954, aucun gouvernement français n'a eu le courage de mettre à l'ordre du jour la ratification du traité du 27 mai 1952, tant ce sujet était très polémique, comme la France aime bien en avoir (à l'instar de l'Affaire Dreyfus), trouvant toujours des prétextes politiques ou institutionnels pour reporter le débat. Raymond Aron a commenté plus tard, en 1956 : « Sur la CED se déchaîna la plus grande querelle idéologico-politique que la France ait connue depuis l'Affaire Dreyfus. ».

    Chez les socialistes (SFIO), étaient opposés à la CED des personnalités comme Daniel Mayer, Jules Moch, Vincent Auriol, Robert Verdier, Alain Savary, Marcel-Edmond Naegelen, Max Lejeune, tandis que Guy Mollet (secrétaire général de la SFIO), Christian Pineau y était favorables (on retrouve le clivage du PS lors du référendum sur le TCE en 2005). Chez les radicaux, deux personnalités historiques Édouard Herriot et Édouard Daladier se sont opposés à la CED, alors qu'Edgar Faure et René Mayer y étaient favorables. Chez les indépendants, Paul Reynaud, Joseph Laniel et Antoine Pinay aussi y étaient favorables.

    La querelle a renversé plusieurs gouvernements. Ainsi, les députés MRP ont renversé le 23 décembre 1952 le gouvernement dirigé par Antoine Pinay pour n'avoir pas voulu faire ratifier la CED. Au contraire, les députés gaullistes ont renversé le gouvernement de René Mayer le 28 juin 1953 parce qu'il avait l'intention de procéder au débat sur le sujet alors qu'il demandait les pleins pouvoirs financiers et que sa conception était : « La vocation de la France est triple : européenne, atlantique et mondiale. » (René Mayer allait devenir le Président de la Haute Autorité de le CECA du 3 juin 1955 au 13 janvier 1958, succédant à Jean Monnet qui a démissionné après l'échec de la CED).


    Pour l'anecdote, la succession de Vincent Auriol en décembre 1953 fut très compliquée à cause du sujet de la CED. En effet, il a fallu treize tours pour élire le nouveau Président de la République. À l'origine, l'élection devait partager deux candidats, un de centre droit, Joseph Laniel, Président du Conseil en exercice, favorable à la CED, et un socialiste, Marcel-Edmond Naegelen, opposé à la CED. Finalement, ce fut un vice-président du Sénat qui fut élu par les parlementaires, René Coty avait eu la bonne idée d'être hospitalisé au moment du débat sur la CED au Sénat et avait ainsi eu la chance de ne pas avoir donné son avis, ne mécontentant personne.

    Alors que le débat intérieur était au point mort en France, le contexte international a évolué avec la mort de Staline, la fin de la guerre de Corée, et l'essor de l'atlantisme. Les partisans de la CED perdaient leur principal argument, la peur des Soviétiques, et les opposants moulinaient à fond sur l'indépendance nationale et le risque que la France se fondât dans l'atlantisme (on voit que les arguments d'aujourd'hui sont assez vieux et datent de cette époque). La guerre en Indochine avec des échecs militaires de l'armée française, n'aidait pas à convaincre les hésitants.

    En été 1954, la France, qui en était l'initiatrice, restait donc paradoxalement le seul pays à ne pas avoir ratifié ce traité international d'une importance de politique intérieure fondamentale. Pierre Mendès France, investi Président du Conseil le 18 juin 1954, a décidé de crever l'abcès et de « sortir le cadavre du placard » en procédant à l'examen de la ratification du traité instituant la CED qui a commencé le 29 août 1954 à l'Assemblée Nationale, mais sans engager la responsabilité de son gouvernement.

    Dans le gouvernement Mendès France, les gaullistes y étaient opposés (dont Jacques Chaban-Delmas, le général Pierre Koenig et Christian Fouchet, le seul gaulliste à ne pas avoir démissionné). François Mitterrand et René Pleven y étaient favorables, le premier sans grand empressement. Quant à Pierre Mendès France, il était un partisan assez mou de la CED dont il aurait voulu modifier les modalités (en vain) à Bruxelles.

    Le débat de la ratification a tourné court assez rapidement. Une question préalable, repoussée la vieille, a été déposée à nouveau le 30 août 1954 (pour répondre au dépôt d'une mention préjudicielle). La question préalable, si elle était adoptée, signifiait que les députés rejetaient l'idée même de discuter du sujet ! Or, c'est ce qui s'est passé ce 30 août : 319 députés ont voté pour la question préalable et 264 contre. Parmi les opposants à la CED : la totalité des députés gaullistes, la totalité des députés communistes, 53 députés SFIO sur 105, 34 députés radicaux sur 67, 10 députés UDSR sur 18 (parti de René Pleven et François Mitterrand), et même 9 députés MRP (pourtant très majoritairement pro-européens). Des sanctions ont eu lieu après ce vote (exclusion de certains députés anti-CED de la SFIO et du MRP).

     

     
     


    Deux avis parlementaires ont sans doute déterminé cet échec historique : celui du vieux radical Édouard Herriot, maire de Lyon, ancien Président du Conseil et ancien Président de l'Assemblée, et celui du résistant socialiste Daniel Mayer, alors président de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée.

    Pour Daniel Mayer, au moins cinq arguments s'opposaient à la CED, exposés dès le 10 août 1951 dans "Paris-Presse". 1° « Une fois son embryon récréé, nul ne saurait réduire l'importance et la puissance de la nouvelle armée allemande. ». 2° « Les Allemands ne se battraient pas les uns contre les autres. En face d'une Allemagne de l'Est agresseur et triomphant par surprise, les Allemands de l'Ouest se rendraient au nom de la fraternité germanique et de l'unité nationale à reconstruire. ». 3° « Rappello ou un nouveau parce germano-soviétique ne sont pas à exclure, qui regrouperaient contre les démocraties le totalitarisme stalinien et ses anciens alliés. ». 4° « Dans l'état d'instabilité des forces intérieures allemandes, recréer la Wehrmacht, c'est armer les chefs nazis d'hier contre les dirigeants de la démocratie allemande. ». 5° « La création d'une armée autonome allemande aurait pour conséquence quasi-immédiate le retour à égalité des droites, le départ des troupes d'occupation et l'établissement d'une situation analogue à celle de la Corée durant le premier semestre de 1950. ».

    Trois plus tard à la tête de la commission des affaires étrangères, Daniel Mayer a imposé une suspension de séance pour permettre à sa commission de prendre position sur la question préalable (24 pour et 20 contre). L'adoption de la question préalable de la commission rappelait l'importance de répondre rapidement à une question majeure : « Est-ce que la passagère dégradation de l'influence française ne vient justement pas de l'impuissance de la France à répondre nettement aux questions qui lui sont posées ? Il a été aussi refusé de se laisser enfermer dans ce dilemme CED ou Wehrmacht, qui est le type même des faux dilemmes. Il y a sans doute au problème posé du réarmement de l'Allemagne d'autres solutions, mais que l'on ne peut examiner que lorsqu'il aura été préalablement dit non à la Communauté Européenne de Défense. (…) Je suis convaincu qu'il convient, sur un autre plan, de faire cesser au plus tôt la controverse intérieure, les rivalités entre partis et à l'intérieur même des partis. Je suis convaincu que, pour le fonctionnement normal et sain de la démocratie française, il faut revenir rapidement au classement normal des hommes et des groupes, et non dans les deux camps, à des alliances artificielles comme à des divisions meurtrières dont la France, seule, fait, en définitive, les frais. Je souhaite que, désormais, l'effort commun, l'unité et la grandeur recouvrée soient la seule querelle de la France. Je voudrais formuler le vœu ardent que, quel que soit le verdict de l'Assemblée Nationale, il ne reste rien plus tard entre nous que le souvenir d'une époque où les patriotes étaient divisés, non sur le but à atteindre, qui est le même pour tous, mais sur le seul moyen pour l'atteindre. ».

    Pierre Mendès France a pris la parole pour dire : « Dans l'Union française, au dedans et au dehors, c'est aux problèmes les plus difficiles, mais aussi les plus dramatiques, que nous avons essayé de trouver les premières solutions. Le problème posé par la Communauté Européenne de Défense était de ceux-là. J'aurais pu tenter d'esquiver, d'éluder, d'ajourner. Après tout, ce gouvernement s'est constitué le 20 juin, à la veille de la date qui est ordinairement celle des vacances parlementaires. Comme il aurait été tentant, lorsqu'on évoquait les difficultés que nous connaissons aujourd'hui, et qu'il était bien facile de prévoir, d'essayer tant bien que mal d'atteindre cette date, généralement bénie par les chefs de gouvernement, des vacances parlementaires, d'atermoyer une fois de plus et d'ajourner le problème qui, depuis si longtemps, se trouve devant notre route et auquel, jusqu'à présent, nous n'avions pas pu donner de solution ! ».

    Puis, il a reconnu : « Ce n'est un secret pour personne que, dans son sein même, des nuances existaient et existent encore. Dans la mesure même où ce gouvernement représente la réunion d'hommes de bonne volonté venus d'horizons divers, il n'est pas surprenant qu'il puisse y avoir entre eux telle ou telle divergence. C'était une raison de plus pour nous d'essayer de réaliser un rapprochement, d'essayer d'opérer une conciliation. Ce rapprochement, cette conciliation, j'ai dit franchement hier à cette tribune, je l'ai dit avec beaucoup de peine, je n'ai pas pu les réaliser. (…) Le gouvernement refuse de participer à un vote qui divise profondément l'Assemblée et l'opinion, sur une question qui aurait dû recevoir, à son avis, une solution de compromis. ».

    L'intervention d'Édouard Herriot était beaucoup plus claire puisqu'il soutenait la question préalable avec des arguments de fond et pas de procédure (il considérait que c'était là le seul moyen pour que les opposants à la CED puissent présenter leurs arguments de fond) : « Si je relis le traité de la communauté et le discours si noble, si sérieux, qu'a prononcé hier M. le Président du Conseil, voici les conclusions auxquelles j'arrive. Quelles sont pour la France les diminutions de souveraineté ? Pour ne citer que les principales, les voici, je crois. Premièrement, son armée est coupée en deux. Cela, personne ne peut le nier. Deuxièmement, la durée du service militaire n'est pas fixée par le Parlement national. Troisièmement, le budget général des armées est arrêté par le conseil unanime, puis réparti. Un quart des dépenses françaises est soustrait au contrôle du Parlement. Je crois que ce que je dis est exact. Quatrièmement, les soldes seront fixées par la commission. Cinquièmement, les généraux ne seront plus nommés par le Président de la République. D'autre part, la mobilisation nous échappe en partie. Je pose enfin une question : quand un peuple n'a plus la direction de son armée, a-t-il encore la direction de sa diplomatie ? Je réponds : non, il ne l'a plus. Et, je vous livre cette réflexion, ceci est spécialement grave dans une époque comme la nôtre, où les questions diplomatiques ont un caractère si aigu. Car, si idéaliste qu'on soit, on ne peut pas ignorer que la force d'un pays est un élément d'action, sinon de solution, dans tous les pays où la diplomatie est en jeu. Voilà donc les restrictions de la France. Et si l'on doutait de ces restrictions, si l'on voulait nier ce qu'elles ont pour notre pays d'humiliant d'abord, et de grave ensuite, je vous prie de vous reporter à l'article 20 du Traité de Paris qui consacre tous ces renoncements, toutes ces restrictions puisqu'il dispose : "Dans l'accomplissement de leurs devoirs, les membres du Commissariat ne sollicitent ni n'acceptent d 'instructions d'aucun gouvernement. Ils s'abstiennent de tout acte incompatible avec le caractère supranational de leurs fonctions". Voilà donc des commissaires complètement coupés, le texte est très net, de toutes relations avec leur pays. Eh bien ! Je dis que c'est un texte à la fois monstrueux et ridicule. Quel Français de cœur accepterait ainsi de représenter son pays ? Cela est monstrueux et ridicule, parce que c'est accorder une prime à ceux qui ne seront pas loyaux. (…) Voilà ce que je pense. (…) Je dis que cet article 20 est encore la consécration d'un abaissement de la France et, pour ma part, je ne l'accepte pas. ».

    Le débat s'est poursuivi avec Pierre-Henri Teitgen (ancien ministre et président du MRP) qui proposait de rejeter la question préalable pour soutenir le Président du Conseil à la conférence de Bruxelles pour modifier les modalités du Traité de Paris de 1952. Ce à quoi Édouard Herriot a répondu : « Je dis que renvoyer M. le Président du Conseil, à l'heure actuelle, à Bruxelles, ce serait le désavouer. Pour ma part, je m'y refuse. En disant cela, j'aurai répondu clairement à M. Teitgen qui m'a dit : Pourquoi n'acceptez-vous pas l'idée d'une nouvelle négociation, d'amendements, de protocole ? Je réponds à notre collègue : Parce qu'il vaut mieux dire la vérité. Le conflit qui nous divise n'est pas un conflit de forme, ce n'est pas un conflit de détail, c'est un conflit de fond. Pour nous, la Communauté Européenne, laissez-moi vous le dire comme je le pense au seuil de ma vie, en résumant dans cette conviction tous les efforts que j'ai pu faire : pour moi, pour nous, la Communauté Européenne, c'est la fin de la France. ».

    Un peu plus tard, toujours dans sa très longue intervention, Édouard Herriot a fait part de sa grande expérience : « Voyez-vous, mes chers collègues, je suis très frappé de la similitude qui existe entre l'époque que nous vivons et celle que nous avons connue entre les deux guerres. Au lendemain de la guerre mondiale, les Américains ont refusé d'appliquer un traité pour lequel, cependant, Clemenceau et Foch leur avaient fait beaucoup de concessions. En même temps que ce traité, nous avions été saisis de traités annexes les uns franco-anglais, d'autre franco-américains. Ils n'ont eu aucune suite. Puis est arrivée la conférence de Londres. Là, bien que non partie au traité, les Américains sont venus et ont fait sur nous la pression qu'il fallait faire pour obtenir le vote du plan Dawes et l'évacuation de la Ruhr. (…) Je me rappelle et je vous rappelle une phrase que Clemenceau a prononcée peu de temps avant de mourir : "N'oubliez pas, Français, qu'un grand pays lui-même peut disparaître". Avec la situation actuelle, nous savons ce que nous avons et ce que nous n'avons pas. (…) Je ne veux pas, pour ma part, la Communauté Européenne de Défense. Je veux un rapprochement avec l'Allemagne, avec tous les pays d'Europe fondé sur d'autres principes, fondé sur d'autres intentions. ».

    Ancien résistant et ancien déporté à Buchenwald, le député socialiste Christian Pineau (ancien ministre), favorable à la CED, a répondu à Édouard Herriot : « Il y a, d'abord, ceux qui ont conservé dans leur cœur de la haine et, sinon un désir de revanche, du moins une répulsion profonde pour toute collaboration ultérieure avec l'Allemagne. Je les comprends, car la souffrance peut engendrer des sentiments de cette nature. Pour ma part, la leçon de ces épreuves a été tout autre. Ce que je souhaite, ce n'est pas une revanche sous une forme quelconque, c'est que nous n'ayons jamais plus l'occasion, dans notre histoire, de connaître de nouveau ces camps de déportation. ».


    Le vote de la question préalable, qui a clos l'examen de la ratification de la CED, a estomaqué Paul Reynaud qui a déclaré après l'annonce du scrutin : « Pour la première fois depuis qu'il y a un Parlement en France, un traité aura été repoussé sans que l'auteur de ce traité ni son signataire aient eu la parole pour le défendre. ».

    L'enterrement de la CED n'a pas eu de conséquences immédiates sur la guerre froide, car l'Allemagne fédérale a adhéré dès 1955 à l'OTAN. Après cet échec historique, la construction européenne s'est poursuivie sur les bases économiques avec la CEE. Quant à la défense européenne, elle reste l'Arlésienne du chef, on en parle depuis soixante-dix ans et on ne la fait toujours pas. Il ne s'agit pourtant pas de délaisser la souveraineté nationale, d'autant plus qu'elle est renforcée par la dissuasion nucléaire, mais de la compléter par une souveraineté européenne. D'ailleurs, dès 1961, De Gaulle, au pouvoir, a cherché à la remettre à l'ordre du jour avec le plan Fouchet qui fut un nouvel échec. Au-delà d'une défense commune, la CED était une tentative française pour construire une Europe très politique. L'échec du référendum sur le TCE a constitué le second échec historique dans la construction européenne, celui d'un texte lui aussi très français dont la rédaction fut supervisée par Valéry Giscard d'Estaing.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (24 août 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    L'échec de la CED il y a 70 ans.
    Élections européennes 2024 (7) : Ursula von der Leyen et ses trois priorités, la défense, le logement et la compétitivité.
    Élections européennes 2024 (6) : le casting pour la dixième législature du Parlement Européen.
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    https://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/l-echec-de-la-communaute-256345

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