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« Son extravagance à lui ne ressemble à aucune de celles qui sont inoffensives et courantes... Elle appartient m'a-t-il semblé, à l'une des rares formes redoutables de l'originalité, une de ces lubies aisément contagieuses : sociales et triomphantes pour tout dire !... Ce n'est peut-être point tout à fait encore de la folie dont il s'agit dans le cas de votre ami... Non ! Ce n'est peut-être que de la conviction exagérée... Mais je m'y connais en fait de démences contagieuses... Rien n'est plus grave que la conviction exagérée !... » (Céline, 1932).
Autant le dire tout de suite, je ne suis pas un citoyen américain et je respecte le choix des électeurs américains, mais je suis quand même très déçu par les résultats des élections américaines qui se sont déroulées ce mardi 5 novembre 2024. J'espérais la victoire de Kamala Harris qui a toutes les qualités pour présider ce qui est encore la première puissance mondiale, mais on pourra certainement dire qu'une élection se mérite et ce n'est pas avec une campagne de trois mois qu'on peut convaincre des centaines de millions d'électeurs quand son adversaire, malgré son grand âge, a tenu près d'un milliers de meetings dans tout le pays. Donc, c'est presque officiel mais il n'y a pas d'incertitude, Donald Trump a gagné les élections de ce 5 novembre 2024, et même, a largement gagné.
Il y avait deux incertitudes dans ces élections : l'identité du vainqueur, et si les résultats du dépouillement allaient être eux-mêmes incertains, flous, mettre des jours voire des semaines à accoucher, comme en 2000 ou en 2020. L'incertitude n'a pas eu lieu, les résultats ont été clairs dès le milieu de cette nuit électorale, dès la victoire des républicains en Pennsylvanie, au point que le Président français Emmanuel Macron n'a même pas attendu l'atteinte des 270 grands électeurs pour féliciter Donald Trump. Non seulement les résultats sont clairs, mais la participation électorale a été très forte. La conclusion incontestable.
Quant à l'incertitude sur le nom du vainqueur, y avait-il un réel suspense ? Pas sûr. Des sites d'information comme RealClearPolitics semblaient considérer les élections pliées depuis plusieurs semaines. En France, il y a eu bien entendu un fort courant en faveur de Kamala Harris (j'en étais), comme c'est traditionnel (à part l'extrême droite et la droite dure, les Français sont traditionnellement démocrates au sens politiquement américain du terme), mais de là à prendre ses désirs pour des réalités, c'est sans doute les biais de nombreux journalistes et commentateurs français.
En revanche, on savait une chose ; c'était que dans tous les cas, cette élection était historique. Cela l'aurait été si Kamala Harris avait été élue, ne serait-ce que parce que cela aurait été la première femme élue Présidente des États-Unis. J'espère à l'avenir qu'elle retentera le coup, car elle n'a pas démérité dans cette campagne courte et difficile et il y aura besoin de beaucoup d'énergie pour 2028, d'autant plus la voie du nouveau Vice-Président J.D. Vance semble désormais toute tracée dans le sillage du parti républicain.
Elle est historique aussi avec la réélection de Donald Trump qui s'est autoproclamé 47e Président des États-Unis au milieu de la nuit, au cours d'un meeting de joie à West Palm Beach, en Floride. L'historique, c'est qu'il est l'un des rares Présidents des États-Unis à avoir été battu à l'issue de son premier mandat et à se faire réélire à l'issue du suivant. En effet, il faut remonter au Président démocrate Grover Cleveland (1837-1909) pour retrouver un tel come-back (retour) politique et électoral, qui, à l'époque, était sans précédent.
Grover Celveland a été élu le 4 novembre 1884 avec un peu moins de 60 000 voix d'avance (sur 10,1 millions de voix au total) et 37 grands électeurs d'avance (sur 401 grands électeurs) face au candidat républicain James Blaine (ancien et futur Secrétaire d'État), mais a été battu le 6 novembre 1888 par le candidat républicain Benjamin Harrison malgré ses plus de 90 000 voix d'avance (sur 11,4 millions de voix au total) en raison de son retard de 65 grands électeurs (sur 401). Mais il ne s'est pas avoué définitivement vaincu et il a pris sa revanche, finalement réélu à l'issue du mandat de son adversaire, en le battant très nettement le 8 novembre 1892, avec plus de 360 000 voix d'avance (sur 12,1 millions de voix au total) et 132 grands électeurs (sur 444). Ancien maire de Buffalo et ancien gouverneur de l'État de New York, Grover Cleveland a été le premier Président démocrate depuis la fin de la guerre de Sécession. Son second mandat a été ponctué par la défaite du candidat démocrate et la victoire du républicain William MacKinley le 3 novembre 1896.
On disait qu'aux États-Unis, les candidats perdants ne s'accrochaient pas aux élections, au contraire des nôtres, en France, où François Mitterrand, Jacques Chirac, François Bayrou, Jean-Marie Le Pen, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, etc., n'ont cessé de se présenter à des élections présidentielles malgré leurs échecs successifs (ce qui a tout de même bien fini pour deux d'entre eux). Après un premier échec (pas aux primaires où certains ont beaucoup persévéré, mais aux élections nationales), ils jetaient l'éponge et faisaient autre chose. Aux États-Unis, depuis un siècle, il n'y a eu véritablement qu'un seul candidat tenace, le républicain Richard Nixon qui, Vice-Président sortant, a été battu en 1960 par John Kennedy mais élu en 1968 (et même réélu en 1972). Donald Trump est le second exemple de candidat tenace.
Deux autres raisons de dire que ces élections du 5 novembre 2024 sont historiques. Donald Trump devient, à 78 ans, le Président des États-Unis le plus vieux de l'histoire du pays, dépassant de cinq mois Joe Biden en 2020, et il faut bien reconnaître qu'il a l'air plus en forme physiquement que son successeur/prédécesseur.
Le plus important, c'est aussi que la victoire de Donald Trump n'est pas seulement sur le nombre de grands électeurs, comme en 2016, mais aussi sur le vote populaire, ce qui fait que c'est la première fois depuis vingt ans qu'un républicain a obtenu une majorité du vote populaire en 2004 avec la réélection de George W. Bush.
D'ailleurs, on pourrait aussi faire une analogie entre les élections de 2004 et celles de 2024 puisqu'elles tendent à confirmer (ou infirmer) très nettement le résultat très serré de la précédente : en 2004, George W. Bush a confirmé son élection très litigieuse et serrée de 2000 (à cause d'un décompte d'un comté de la Floride), et en 2024, Donald Trump regagne après avoir contesté son échec électoral de 2020 au point d'en appeler à l'insurrection.
Non seulement le vote populaire, qui lui a fait défaut en 2016 (et en 2020), est désormais majoritaire en sa faveur, mais en plus, Donald Trump va bénéficier d'un alignement des planètes très rare dans la vie politique américaine : il bénéficiera au cours de son mandat (du moins pour les deux premières années de son second mandat) à la fois d'une Chambre des représentants républicaine, d'un Sénat républicain (qui vient de basculer ce mardi) et également d'une Cour Suprême majoritairement et durablement républicaine (six juges sur neuf, nommés tous à vie). Donald Trump n'aura donc aucun mal à nommer qui il veut dans l'administration fédérale, même à des petits postes puisqu'il veut faire valser la plupart des hauts fonctionnaires pour combattre "l'État profond" à la notion plus fantasque que réelle.
Cette triple grande victoire a donc encore plus de quoi m'inquiéter tant sur l'avenir des États-Unis, que celui de l'Europe voire du monde en général, des relations internationales en général. Pourquoi ?
Sur le plan international, c'est évidemment le devenir de l'Ukraine qui vient de se jouer dans les urnes américaines. Si Donald Trump coupe l'aide américaine, l'Ukraine n'aura plus de moyens réels de résister à l'envahisseur qu'est Vladimir Poutine qui doit, en ce moment, se frotter les mains. Aux Européens de prendre la mesure de ce changement de paradigme fondamental.
Sur le plan intérieur, la victoire de Donald Trump s'est faite sur le dos du droit et de la justice. Non seulement Donald Trump a été condamné des dizaines de fois pour des délits voire des crimes (agressions sexuelles, etc.) mais il a annoncé pendant la campagne qu'il pourchasserait, une fois élu, tous ceux qui l'avaient mis en accusation. C'est une position qui n'est pas de nature à pacifier les relations dans un pays très divisé et à rendre la justice sereine. Cette victoire est la victoire du repris de justice sur la procureure.
L'élection de Donald Trump, c'est bien la victoire morale (provisoire) de la violence individuelle, des rapports de force, de la brutalité, de la loi du plus fort, sur l'État de droit, sur le droit des minorités, sur les droits humains, sur le droits des plus faibles. C'est un vrai arrêt civilisationnel, que j'espère de courte durée, mais c'est malheureusement un mouvement de fond qui n'est pas uniquement américain et qu'on connaît aussi dans les vieilles démocraties européennes, avec la forte audience de partis populistes, parfois même au pouvoir ou en passe en de le conquérir à courte échéance.
Cet arrêt civilisationnel est réel : depuis des siècles, peut-être un millénaire, sur la base des valeurs chrétiennes (les Dix Commandements qui ont été finalement repris dans le code civil et le code pénal), on a réussi à réduire la violence individuelle et à la déléguer à la puissance de l'État pour qu'un tiers, lui, règle les problèmes entre les individus (justice, police, etc.), une force publique organisée mais aussi contrôlée par le peuple, par un pouvoir politique démocratiquement légitime. Cela a été un bond de civilisation et de culture majeur.
Mais depuis quelque temps, quelques décennies, l'emprise de l'État, partout dans les pays démocratiques (et encore plus dans les autres), est devenue étouffante, asphyxiante. Les hyper-réglementations ont assommé les citoyens et leurs propres libertés, ce qui conduisent parfois les peuples à ne plus entendre d'autres considérations et à élire des Donald Trump (entre autres).
Une personne qui m'est chère avec qui j'ai échangé ce matin à la suite de la réélection de Donald Trump, a exprimé excellemment la pensée que j'avais également eue à l'annonce de cette forte victoire (en l'occurrence à mes yeux, de cette forte défaite), je la cite donc : « Il faut aussi réfléchir sur les ressorts du vivre ensemble qui se sont cassés. Peut-être que le champ des libertés individuelles s'est exagérément restreint sous la triple pression d'une réglementation boursouflée et autoreproductrice, d'un wokisme rampant qui transforme les mentalités au prix de dommages collatéraux terrifiants et de la nécessité d'agir face à la transformation climatique. Peut-être qu'il faut réinventer des contre-pouvoirs aux réseaux sociaux qui ont changé la place de l'homme, sa façon d'analyser les faits, sa perception de la vérité. J'ai peur, en vérité, que notre civilisation, celle qui s'est développée en Europe depuis la Renaissance soit en train de mourir et que ce dépérissement soit douloureux et violent. ».
Les élections sont toujours des vagues de haute mer, ça va et ça revient, les succès se succèdent aux échecs. Il ne faut pas renoncer à abandonner ce qui a fait le ciment de la démocratie et de nos sociétés. Les États-Unis ont plus d'un atout pour ne pas tout perdre, mais il va falloir, nous, démocraties européennes, nous y faire à ne plus rien attendre des États-Unis, et en tout cas, à nous défendre militairement nous-mêmes. Cette élection est un appel impérieux à la défense européenne. Ceux qui vous disent le contraire ne veulent pas protéger ni la France ni l'Europe, ce sont de faux patriotes vendus à la Russie ou à d'autres puissances étrangères.
Pour l'heure, dans son premier discours, Donald Trump a semblé plus modéré qu'en campagne et souhaiterait rassembler le pays. Il faut voir, car l'histoire jugera sur pièces. Pour reprendre le mot d'ordre des contestataires : ne lâchons rien !!
« Aujourd'hui, chers Moldaves, vous avez donné une leçon de démocratie digne de figurer dans les livres d'histoire ! » (Maia Sandu, le 3 novembre 2024 à Chisinau).
On ne peut pas perdre à tous les coups ! La réélection de Donald Trump n'est pas une bonne nouvelle pour la sécurité de l'Europe. Mais le vieux continent européen avait enregistré deux jours auparavant une belle victoire électorale avec la réélection de Maia Sandu (52 ans) à la Présidence de la République de Moldavie. Maia Sandu a en effet obtenu 42,5% des voix au premier tour du 20 octobre 2024 et 55,4% des voix au second tour du 3 novembre 2024. C'était même une double victoire européenne.
La Moldavie est un petit pays agricole de 2,7 millions d'habitants situé à l'est de l'Europe, coincée entre la Roumanie et l'Ukraine. La population est principalement roumaine (à très forte majorité, 82,1%) mais il y a aussi de fortes minorités ukrainienne (6,6%) et russe (4,1%), et également gagaouze, c'est-à-dire turque orthodoxe, (4,6%) et bulgare (1,9%).
La Moldavie a acquis son indépendance le 27 août 1991. Comme l'Ukraine, la Moldavie a fait partie de l'URSS et à ce titre, la Russie a un œil vigilant voire influent sur son évolution politique, d'autant plus qu'une région pro-russe a fait sécession. Cette région séparatiste s'appelle la Transnistrie, au-delà du fleuve Dniestr, qui a proclamé son indépendance unilatéralement le 2 septembre 1990 (avant l'indépendance de la Moldavie). Ce petit bout de terre, coincé entre la Moldavie et l'Ukraine, représente 4 000 kilomètres carrés et environ 500 000 habitants. La Transnistrie n'est reconnue que par d'autres États sécessionnistes, l'Abkhasie et l'Ossétie du Sud (régions pro-russes de Géorgie). Jusqu'au 22 février 2023, elle n'était même pas reconnue par la Russie, mais depuis lors, Vladimir Poutine a reconnu à la fois la Transnistrie et les deux États géorgiens cités.
La Moldavie vit donc avec des élans paradoxaux, certains voudraient l'unification avec la Roumanie, d'autres avec l'Ukraine, d'autres encore avec la Russie, mais pas plus que la Wallonie voudrait le rattachement à la France. Depuis plus de trente ans, comme les autres pays d'Europe centrale et orientale sous le joug soviétique, elle aspire à se moderniser en paix et en indépendance, à prospérer, à bénéficier des apports de l'Europe en général. La question de l'adhésion de la Moldavie à l'Union Européenne n'est pas nouvelle mais souvent remise à plus tard. Elle a obtenu le statut d'association avec l'Union Européen le 1er juillet 2016.
La déclaration de guerre de Vladimir Poutine à l'Ukraine le 24 février 2022 a remis en cause l'ordre européen, car en cas de réussite de la tentative d'invasion de l'Ukraine (les régions séparatistes pro-russes du Donbass ont été unilatéralement annexées par la Russie comme la Crimée en mars 2014), les prochaines étapes nationales de Vladimir Poutine seront à l'évidence la Moldavie, la Géorgie et les Pays baltes. L'Estonie, la Lettonie et la Lituanie faisant partie de l'Union Européenne et de l'OTAN craignent par conséquent moins pour leur intégrité territoriale que la Moldavie et la Géorgie qui, désormais, cherchent à adhérer le plus rapidement possible à l'Union Européenne et surtout à l'OTAN afin de bénéficier de la garantie de défense réciproque (le fameux article 5 du Traité atlantique nord).
La présence russe en Moldavie est cruciale pour la Russie puisqu'elle permet de prendre en tenaille l'Ukraine par son flanc ouest, notamment du côté d'Odessa. C'est pour cela que l'élection présidentielle moldave dont le premier tour a eu lieu le 20 octobre 2024 et le second tour le 3 novembre 2024 a subi des influences très fortes de la Russie.
La Présidente de la République sortante était Maia Sandu, économiste et ancienne haut fonctionnaire, qui a été Ministre de l'Éducation du 24 juillet 2012 au 30 juillet 2015 (elle a réduit de 50% la corruption pour acheter des diplômes en mettant des caméras dans les salles d'examen) et Première Ministre du 8 juin 2019 au 14 novembre 2019. Elle s'est présentée à l'élection présidentielle une première fois il y a huit ans après avoir fondé et présidé le Parti action et solidarité (PAS) le 15 mai 2016, un parti de centre droit, pro-européen, indépendantiste (c'est-à-dire contre l'union avec la Roumanie et pour sortir de la tutelle de la Russie).
Arrivée à la deuxième place au premier tour du 30 octobre 2016 avec 38,7% des voix, elle a été battue avec 47,9% par le candidat socialiste pro-russe Igor Dodon au second tour le 13 novembre 2016. Maia Sandu a fait néanmoins alliance avec les socialistes contre les démocrates au sein d'un Parlement ingouvernable depuis les élections législatives du 24 février 2019 qui avait abouti à une assemblée tripartite : 35 sièges sur 101 au total pour les socialistes (31,2% des voix), 30 sièges pour les démocrates (23,6% des voix) et 26 sièges pour le Bloc électoral ACUM pro-européen et anti-oligarchie (dont faisait partie le PAS) mené par Maia Sandu (26,8% des voix). À ceux-ci s'ajoutaient 7 députés issus du parti conservateur pro-russe Égalité d'Ilan Sor, oligarque israélo-moldave, maire d'Orhei (une ville moldave de 21 000 habitants) entre 2015 et 2019, qui avait obtenu 8,3% des voix. Maia Sandu a été désignée Première Ministre avec l'appui des députés socialistes et des députés ACUM qui se sont accordé le 8 juin 2019, mais son gouvernement a été renversé le 12 novembre 2019 par le vote d'une motion de censure en raison d'un désaccord sur le mode de scrutin des prochaines élections législatives.
La formation du gouvernement de Maia Sandu a été l'occasion d'une crise constitutionnelle provoquée par la Cour constitutionnelle (qui a même retiré provisoirement les pouvoirs du Président de la République) qui a finalement reculé et est revenue en arrière, justifiant sa position par de fortes pressions (le dénouement de la crise s'est soldée par la fuite à l'étranger de Vladimir Plahotniuc, le leader du parti démocrate, et du milliardaire Ilan Sor dont les biens personnels ont été saisis en raison de fraude d'un montant de 1 milliard de dollars).
La situation politique s'est clarifiée démocratiquement un an et demi plus tard. Au premier tour de l'élection présidentielle du 1er novembre 2020, Maia Sandu, de nouveau candidate, a surpris les observateurs en obtenant la première place avec 36,2% des voix, devançant le Président sortant Igor Dodon qui sollicitait un second mandat (32,6%). Au second tour du 15 novembre 2020, Maia Sandu l'a emporté très largement avec 57,7% des voix contre Igor Dodon, en confortant nettement la participation électorale de 45,7% des inscrits au premier tour à 55,8% au second tour. Maia Sandu a commencé son premier mandat présidentiel le 24 décembre 2020. Son élection, basée sur sa réputation d'incorruptible, a marqué historiquement la perte d'influence de la Russie en Moldavie.
Pour éviter la poursuite d'un Parlement ingouvernable, elle a nommé une ancienne collaboratrice Natalia Gavrilita le 27 janvier 2021 à la tête du gouvernement en demandant aux députés de sa coalition de ne pas voter pour elle afin de pouvoir dissoudre le Parlement (il faut un constat d'impossibilité de gouverner), tandis que les socialistes et les députés du parti Sor, qui ne souhaitaient pas d'élections anticipées, étaient prêts à soutenir ce gouvernement. La nomination de Natalia Gavrilita a été invalidée le 23 février 2021 par la Cour constitutionnelle, et après quelques autres péripéties politiciennes, Maia Sandu a prononcé la dissolution du Parlement le 28 avril 2021, en organisant de nouvelles élections législatives le 11 juillet 2021 qui lui ont apporté une large majorité absolue : son parti PAS a obtenu en effet 63 sièges sur 101 avec 52,8% des voix, ce qui lui a permis de ne plus avoir besoin de nouer de coalition pour gouverner pendant quatre ans. Les démocrates ont été laminés (aucun siège), et les socialistes et communistes ont obtenu 32 sièges. Natalia Gavrilita a alors été nommée officiellement Première Ministre le 6 août 2021 (jusqu'au 16 février 2023).
Deux axes pour la politique de Maia Sandu, au-delà de la crise du covid-19 : la lutte anti-corruption et le rapprochement avec l'Union Européenne, renforcée par la tentative d'invasion de l'Ukraine par les troupes russes. La Moldavie a subi une crise énergétique majeure en raison de la baisse de 30% de la fourniture de Gazprom. Parmi ses premiers déplacements, a eu lieu la visite le 12 janvier 2021 à Kiev pour rencontrer son homologue Volodymyr Zelensky (alors encore en costume cravate très chic).
Après le début de la guerre en Ukraine, Maia Sandu a annoncé ouvrir les frontières de la Moldavie pour permettre aux réfugiés ukrainiens de passer vers l'Ouest, et le 3 mars 2022, elle a signé officiellement la demande d'adhésion de son pays à l'Union Européenne. Le Conseil Européen du 23 juin 2022 a entériné le statut de candidate de la Moldavie à l'unanimité des Vingt-sept chefs d'État et de gouvernement. Les négociations d'adhésion ont été amorcées le 25 juin 2024 à Bruxelles.
La consécration internationale de Maia Sandu et de la Moldavie a eu lieu le 1er juin 2023 où Chisinau a accueilli le 2e Sommet de la Communauté politique européenne réunissant 47 chefs d'État et de gouvernement européens (la Communauté politique européenne a été lancée le 6 octobre 2022 à Prague à l'initiative du Président français Emmanuel Macron ; son 5e Sommet a eu lieu ce jeudi 7 novembre 2024 à Budapest).
Maia Sandu était la favorite de l'élection présidentielle de 2024 dans les sondages. Elle a gagné encore largement (55,4% des voix avec 54,3% de participation) face au candidat socialiste pro-russe Alexandr Stoianoglo (25,9% au premier tour et 44,6% au second tour), ancien procureur général de Moldavie démis de ses fonctions en septembre 2023 à cause des accusations de corruption portées contre lui.
Cette belle réélection de Maia Sandu est le symbole de l'ancrage européen de la Moldavie, ratifié doublement par le peuple moldave, et cela malgré les nombreuses pressions, « tentatives de déstabilisation », propagandes et fraudes opérées par le camp pro-russe, notamment par Ilan Sor qui aurait acheté de nombreuses voix en faveur du candidat pro-russe (environ 150 000 voix auraient ainsi été achetées au profit du candidat pro-russe, qui a obtenu en tout 401 215 voix au premier tour et 750 370 voix au second tour).
J'ai indiqué dès le début de l'article qu'il s'agissait d'une double victoire car Maia Sandu a réussi à mettre à l'ordre du jour des électeurs, en même temps que le premier tour de l'élection présidentielle, le 20 octobre 2024, un référendum inscrivant dans la Constitution moldave l'objectif de l'adhésion de la Moldavie à l'Union Européenne. Cette inscription a été acceptée par 50,4% des voix pour une participation de 50,7%. La victoire est donc très serrée, avec seulement près de 10 600 voix d'avance du oui sur le non, dans le même contexte de propagande et d'achats de voix (Ilan Sor, réfugié à Moscou, était un ferme partisan du non, mais le Kremlin a démenti toute tentative d'ingérence de la Russie). Alors qu'en raison du scrutin serré, les pro-russes ont parlé d'un échec, la Cour constitutionnelle a au contraire validé l'approbation populaire de la réforme le 31 octobre 2024 (dans un référendum où la réponse est oui ou non, même à une voix près, la victoire est à ceux qui ont eu le plus de voix).
Pour "Courrier international", le 21 octobre 2024 : « Concrètement, les Moldaves devaient décider s'ils souhaitaient ou non inscrire l'objectif européen dans la Constitution du pays, protégeant ainsi le processus d'adhésion, entamé en 2022, des aléas du pouvoir politique. ». Objectif donc atteint !
La réélection de Maia Sandu a été accueillie avec satisfaction et joie par les pays de l'Union Européenne. Emmanuel Macron a salué la « démocratie [qui a] triomphé de toutes les interférences et de toutes les manœuvres » tandis que la Présidente de la Commission Européenne Ursula von der Leyen s'est réjouie de pouvoir « continuer à travailler » avec la Présidente moldave pour un « avenir européen ».
Le politologue moldave Andrei Curararu, cofondateur du think tank WatchDog basé en Moldavie, a déclaré pour TV5 Monde : « Malgré tout, la Moldavie a démontré à deux reprises que sa volonté d'intégrer l'Union Européenne était plus forte que la pression de Moscou. ». Il n'en demeure pas moins que le pays reste très divisé entre les tenants de l'ouverture à l'Ouest et la proximité du grand frère de l'Est, notamment en Transnistrie dont Maia Sandu voudrait régler le problème avec Moscou. Le prochain rendez-vous électoral sera également crucial puisqu'il s'agira des élections législatives qui auront lieu au plus tard en juillet 2025.
« Depuis que j’ai accepté la proposition du Président de la République d’être le Premier Ministre de notre pays, j’ai gardé en mémoire mes propres lignes rouges, qui sont celles de tout le gouvernement. Il n’y aura aucune tolérance à l’égard du racisme et de l’antisémitisme. Il n’y aura aucune tolérance à l’égard des violences faites aux femmes. Il n’y aura aucune tolérance à l’égard du communautarisme. Il n’y aura aucun accommodement en ce qui concerne la défense de la laïcité, aucun. Nous n’accepterons aucune discrimination. Nous n’accepterons aucune remise en cause des libertés conquises au fil des ans. » (Michel Barnier, le 1er octobre 2024 dans l'hémicycle).
Durer déjà deux mois ne semble pas vraiment un exploit (il n'a pas dépassé en longévité Bernard Cazeneuve, le recordman de brièveté sous la Cinquième République avec un peu plus que cinq mois ; il le dépasserait éventuellement le 10 février 2025), mais il faut insister sur le fait qu'il n'a pas de majorité absolue et que l'addition de deux farouches oppositions forme une majorité absolue de déconstruction. Avec une telle Assemblée, il faut plutôt faire les comparaisons de longévité avec la Quatrième République et dans cette perspective, Michel Barnier aura déjà duré plus longtemps que des gouvernements dirigés par les six Présidents du Conseil suivants : Léon Blum (en 1946), André Marie (en 1948), Robert Schuman (en 1948), Henri Queuille (en 1950), Edgar Faure (en 1952) et Pierre Pflimlin (1958). Quatre d'entre eux ont toutefois eu l'occasion de diriger d'autres gouvernements plus stables.
Ou même avec des gouvernements de la Troisième République : ceux de Gaëtan de Rochebouët (en 1877), Armand Fallières (en 1883), Alexandre Ribot (en 1914), Paul Painlevé (en 1917), Frédéric François-Marsal (en 1924), Édouard Herriot (en 1926), Camille Chautemps (en 1930 et en 1933), Théodore Steeg (en 1930), Joseph Paul-Boncour (en 1932), Albert Sarraut (en 1933), Édouard Daladier (en 1934), Fernand Bouisson (en 1935) et Léon Blum (en 1938), ont duré moins longtemps que celui de Michel Barnier (sept sur les treize ont aussi dirigé d'autres gouvernements plus stables et je n'ai pas inclus Philippe Pétain, Président du Conseil pendant moins d'un mois mais chef de l'État aux pleins pouvoirs pendant plus de quatre ans). Et le 17 novembre 2024, Michel Barnier aura aussi duré plus longtemps qu'une figure majeure de la République, Léon Gambetta. C'est donc pour dire que ces deux mois ont déjà leur poids historique dans l'exercice du pouvoir.
Le gouvernement Barnier a bénéficié du rejet réciproque de ses deux farouches adversaires, le RN et la nouvelle farce populaire (NFP). La première motion de censure n'a pas eu beaucoup de succès parce qu'elle pêchait par son esprit partisan et surtout, systématique. Il en viendra certainement d'autres et la question est toute simple : le NFP votera-t-il une motion de censure déposée par le RN ? Et le RN votera-t-il une motion de censure déposée par le NFP ? L'une ou l'autre de ces hypothèses montreraient une collusion indiscutable entre le NFP et le RN alors que chacun voudrait montrer du doigt une collusion majorité/RN pour les uns et majorité/NFP pour les autres.
Pour montrer à quel point les oppositions aujourd'hui s'autodétruisent, il suffit de regarder avec attention deux scrutins publics très importants concernant l'abrogation de la réforme des retraites de 2023 : un amendement déposé par Boris Vallaud, président du groupe PS, et une proposition de loi déposée par Thomas Ménagé, député RN.
L'amendement (n°146) de Boris Vallaud au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 visait à rétablir l'âge légal de départ à la retraite à 62 ans, sous réserve d'augmenter (fortement) les cotisations sociales sur les salaires supérieur à deux fois le plafond de la sécurité sociale, a été rejeté le 29 octobre 2024 lors du scrutin n°182 : sur 416 votants, 182 ont voté pour, 232 contre et 2 abstentions. Parmi les 182 votes pour : 63 FI, 61 PS, 36 EELV, 6 LIOT et 16 PCF. Parmi les 232 votes contre : 91 RN, 60 EPR, 27 LR, 24 MoDem, 20 HOR, 3 LIOT, 5 ciottistes.
La proposition de loi (n°284) de Thomas Ménagé déposée le 18 septembre 2024 visant à annuler les dernières réformes des retraites (âge de la retraite et nombre d'annuités) a été rejetée, quant à elle, le 31 octobre 2024 lors du scrutin n°217 : sur 334 votants, 119 ont voté pour, 197 contre et 18 abstentions. Parmi les 119 votes pour : 118 RN. Parmi les 197 votes contre : 58 EPR, 51 PS, 13 LR, 26 EELV, 17 MoDem, 19 HOR, 2 LIOT, 9 PCF. Le député socialiste Aurélien Rousseau a été comptabilisé comme votant pour mais il a indiqué qu'il voulait voter contre.
Comme on le voit, les votes sont diamétralement opposés. Les ciottistes se sont majoritairement abstenus lors du texte du RN car ils étaient favorables à la réforme des retraites de 2023. Il faut dire aussi que l'amendement de Boris Vallaud aurait plombé la compétitivité des entreprises puisque cela revenait à financer le retour à 62 ans en taxant encore plus le travail, des dizaines de milliards d'euros supplémentaires, ce que ne voulaient pas le RN ni le bloc central. Tandis que le NFP ne souhaite pas voter pour une proposition du RN et lui donner l'occasion d'une victoire parlementaire.
Dans cette chronologie délicate du gouvernement Barnier, il y a donc bien sûr sa nomination (pas sans mal) le 21 septembre 2024, la déclaration de politique générale du Premier Ministre devant l'Assemblée Nationale le 1er octobre 2024, l'examen de cette première motion de censure le 8 octobre 2024 qui a démontré que le NFP n'avait jamais eu de majorité relative contrairement à ce qu'il soutenait ad nauseam, et le 21 octobre 2024, le début du douloureux et laborieux examen du projet de loi de finances pour 2025 (puis le 28 octobre 2024 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025).
Le style un peu pince-sans-rire de Michel Barnier est nouveau, original et déconcertant, capable de faire taire Mathilde Panot (ce qui est un vrai exploit !). Sans doute Michel Barnier, qui se croyait injustement sous-employé par cette République malgré sa très longue expérience locale, nationale et internationale, arrive presque par irruption au sommet du pouvoir, à Matignon sous une proto-coalitation avec un Président très affaibli. Il fallait ce bâton de maréchal pour conclure une si brillante carrière. Michel Barnier est en outre le premier LR à revenir au pouvoir après Nicolas Sarkozy et François Fillon. Son message pas très avenant en raison de sa lucidité budgétaire (il faut réduire la voilure de l'État de 60 milliards d'euros par an) s'apparente à la campagne également peu emballante de François Fillon avant son "affaire" en 2016-2017.
Cette courte période montre que Michel Barnier peut raisonnablement durer dans cette situation politique très instable. Pour tout dire, tout le monde est content que Michel Barnier s'y soit collé. Car comment imaginer le Premier Ministre de l'après-dissolution vouloir prétendre se présenter à l'élection présidentielle prochaine ? Au-delà même de l'affaire ardue de diriger un gouvernement minoritaire, Michel Barnier pâtit aussi de son âge (il aura 76 ans en 2027, soit 81 ans à la fin du prochain quinquennat en 2032). C'est vrai que la mode américaine arrive toujours en France avec un peu de retard, mais passer du trentenaire à l'octogénaire semblerait peu probable dans l'envie de vote des Français, même si Michel Barnier réussissait sa politique.
En fait, Michel Barnier devrait plus se méfier de ses supposés soutiens que de ses francs opposants. Ce qu'il appelle le socle de la majorité, à savoir LR et l'ancienne majorité (EPR, MoDem et HOR), paraît particulièrement dissipé et peu discipliné, pour des raisons purement électoralistes. Soit par négligence (et absence physique au moment du scrutin), soit par volonté de montrer son autonomie au prix de certains sacrifices (tant dans le choix des personnes que dans les mesures des textes adoptés), ce socle paraît bien instable et l'autorité de Michel Barnier ne suffit pas à compenser la perte d'influence du Président Emmanuel Macron sur ses troupes.
L'un des exemples les plus flagrants est la désignation d'un nouveau vice-président de l'Assemblée Nationale pour remplacer la députée LR Annie Genevard, nommée Ministère de l'Agriculture, de la Souveraineté alimentaire et de la Forêt. La désignation a eu lieu au cours de la première séance du 22 octobre 2024. Cinq candidats se partageaient les suffrages : Christophe Blanchet, député MoDem, Virginie Duby-Muller, députée LR, Yoann Gillet, député RN, Jérémie Iordanoff, député EELV, et Olivier Serva, député LIOT. En principe, le socle majoritaire devait pouvoir obtenir le siège comme il avait obtenu le perchoir, à la majorité relative au troisième tour. Mais cela ne s'est pas passé comme cela, à cause de la mauvaise humeur des macronistes et des bayrouïstes qui ont refusé d'apporter leur soutien total à la députée LR.
Au premier tour, sur 510 votants, Blanchet a obtenu 69 voix, Duby-Muller 127 voix, Gillet 127 voix, Iordanoff 156 voix et Serva 29 voix. Au deuxième tour, tous les candidats se sont maintenus, et sur 473 votants, Blanchet a obtenu 46 voix, Duby-Muller 125 voix (moins qu'au premier tour !), Gillet 124 voix, Iordanoff 149 voix et Serva 28 voix. Le candidat du MoDem s'est désisté pour le troisième tour au cours duquel, sur 495 votants, Duby-Muller a obtenu 161 voix, Gillet 125 voix, Iordanoff 175 voix et Serva 25 voix. Ainsi, le candidat écologiste de l'Isère Jérémie Iordanoff a été élu vice-président au détriment de Virginie Duby-Muller uniquement en raison d'une déperdition des voix du socle majoritaire qui pouvait pourtant compter sur environ 210-220 députés. C'est d'autant plus une réussite du NFP qu'il était déjà majoritaire au bureau de l'Assemblée et donc, qu'il renforce cette majorité.
Les nombreuses déclarations de députés EPR, notamment celles de Gérald Darmanin et de Gabriel Attal, sur fond d'élection du nouveau secrétaire général du parti Renaissance prévue le 7 décembre 2024 et de prochaine élection présidentielle, souvent intempestives et désordonnées, n'aident certainement pas le gouvernement à garder une ligne claire et audible. Mais Michel Barnier sait qu'il dépend plus des macronistes que de ses amis de LR pour durer. On est en pleine Quatrième République, dans ce qu'il y a de pire, le régime des partis minoritaires mais indispensables. Avis à ceux, inconséquents, qui veulent instaurer le scrutin proportionnel qui imposerait définitivement ce régime après chaque élections législatives.
« Je serai peut-être la première à ce poste, mais pas la dernière. J'espère que chaque petite fille qui regarde ce soir voit que c'est un pays de tous les possibles. Et aux enfants de notre pays, quel que soit votre sexe, notre pays vous a envoyé un message clair : rêvez avec ambition, dirigez avec conviction. » (Kamala Harris).
Deux Amérique s'affrontent, en quelque sorte. Celle de l'etablishment derrière Kamala Harris et celle des laissés-pour-compte derrière Donald Trump. Cette réduction simpliste ne se satisfait pas d'une réalité bien plus complexe que cela. Le patron de presse Bruno Bertez avait ainsi osé dire le 14 février 2017 : « Le trumpisme est une réaction, un mouvement de contestation de l’ordre du monde qui a été mis en place il y a soixante-dix ans. Ou plus exactement, c’est l’expression, mise en forme populaire et exprimée de façon populiste, des limites de l’ordre du monde qui a été décidé ou imposé il y a soixante-dix ans. ».
Kamala Harris, la candidate du parti démocrate, représente l'aile centriste, conservato-compatible. Mais en même temps, elle peut aussi représenter toutes les minorités, c'est d'ailleurs sur ce registre qu'elle a du mal à convaincre. Sa clef, c'est de mobiliser tous ceux qui n'ont jamais cru pouvoir se faire entendre. Barack Obama avait réussi à le faire avec son slogan très bien vu : Yes We Can ! Mais il a beaucoup déçu : grand potentiel, petites réalisations. Il n'en reste pas moins que Kamala Harris a été la première femme Vice-Présidente des États-Unis, et en cela, elle bénéficie d'une aura plus grande que la précédente femme candidate démocrate, à savoir Hillary Clinton qui considère l'élection de Kamala Harris comme la suite de sa propre candidature. Avec Kamala : Yes We Kam !
L'actuelle Vice-Présidente a suscité un engouement réel auprès des militants démocrates particulièrement soulagés de ne plus devoir soutenir un Président sortant âgé de presque 82 ans, Joe Biden, au bilan pourtant très honorable.
L'âge est sans doute le premier handicap de Donald Trump sur qui, curieusement, tout glisse : les condamnations pénales, les insultes, les brutalités, les grossièreté, les accusations de fuite de renseignements à l'étranger, sa responsabilité personnelle dans l'invasion du Capitole qui a particulièrement choqué les Américains, etc. Il est actuellement le candidat le plus âgé de l'après-guerre (à plus de 78 ans) et en cas de nouvelle élection, il serait le Président le plus âgé à démarrer un nouveau mandat présidentiel.
À ce titre, il y a des arguments des démocrates qui ne peuvent pas être crédibles, même si, dans le fond, ils ont raison : l'idée que l'élection de Donald Trump en 2024 serait une catastrophe pour les États-Unis et pour le monde. Pour le monde, il faudrait préciser lequel, et l'Europe assurément.
Le problème, pour les démocrates, c'est qu'il a déjà été Président des États-Unis. Son mandat n'a pas d'une grande lumière, mais il n'a pas été non plus une grande catastrophe pour les Américains. C'est moins le cas pour les relations internationales où Donald Trump a remis en vogue ce que les populistes de tout poil, des démocraties, des régimes autocratiques voire des dictatures, promettent déjà : la loi du plus fort. Dehors l'État de droit et vivent les rapports de forces.
Ce retour à l'instinct grégaire, ce qui est en fait dans la nature des relations entre les êtres vivants, l'être humain avait cru s'y soustraire momentanément pour permettre la croissance de la culture, de la civilisation en mettant des règles communes, du droit international, des protections individuelles. En rompant l'accord des États-Unis lors de la COP21, en rompant l'accord avec l'Iran sur le nucléaire, en faisant fi de tout ce qui était la base de la dissuasion nucléaire en Europe, à savoir la garantie d'une intervention américaine en cas d'attaque d'un des pays (européen) de l'OTAN, Donald Trump a remis en cause l'ordre international multilatéral au profit d'un désordre narcissique entre potentats nationaux. La plus grande illustration a été la rencontre avec le dictateur communiste nord-coréen Kim Jong-Un qui n'a abouti qu'à une simple photographie. Les relations troubles avec Vladimir Poutine, les fake news trumpiennes, la propagande poutinienne, etc. devraient avoir de quoi inquiéter les citoyens américains sur le patriotisme de Donald Trump.
Car la seule patrie de Donald Trump, c'est l'argent. Le seul dieu de Donald Trump, c'est le dollar. Et sur ce registre, les Américains peuvent s'y retrouver collectivement, tant les riches qui ont montré qu'ils chérissaient l'argent que les pauvres qui souhaiteraient pouvoir relever le défi de l'argent, de gagner beaucoup d'argent partis de rien. De plus, le parti-pris isolationniste de Donald Trump est une tradition séculaire aux États-Unis, elle n'est pas étonnante qu'elle reste très vivante. Un isolationniste qu'on verrait surtout comme un égoïsme : débrouillez-vous vous autres qui êtes dans la difficulté, on a mieux à faire...
Du côté de Kamala Harris, son programme diplomatique reste encore assez vague, serait plutôt dans la continuation du gouvernement Biden avec l'aide américaine en Ukraine, mais sur le Proche-Orient, elle peine à définir un projet audible car le sujet est impossible (et très sensible dans l'électorat démocrate). Ce qui est troublant, c'est que l'aile gauche du parti démocrate reproche à Kamala Harris de ne pas avoir assez défendu les Palestiniens de Gaza alors que Donald Trump est celui qui a le plus soutenu Benyamin Netanyahou, en particulier en déplaçant l'ambassade des États-Unis en Israël de Tel-Aviv à Jérusalem, ce qui ne manquait pas de mettre de l'huile sur le feu.
Mais les élections américaines ne se font jamais sur la politique extérieure, sinon George H. W. Bush (le père) aurait été réélu en 1992. Sur le plan intérieur, Donald Trump a été incapable de gérer la crise du covid-19, mais là encore, tout le monde voudrait tourner la page de cette triste période sans en tirer les enseignements politiques. Sur le plan économique, Joe Biden a un bon bilan mais sans doute que le ressenti est autre chose, un peu comme en France. Les gens craignent le déclassement, l'insécurité, la non reconnaissance, la non prise en compte de leurs difficultés. On ne peut pas leur dire non, c'est du domaine du ressenti et ce ressenti est factuel.
Par sa démagogie, Donald Trump se montre paradoxalement, du haut de sa grande tour et de ses dollars, plus proche du peuple car il tente d'adopter ses propres raisonnements parfois irréfléchis. Plus inquiétant pour les démocrates, surtout quand la candidate démocrate est une ancienne élus de Californie, les patrons des entreprises d'innovation ne soutiennent plus en masse les démocrates. Au-delà du soutien inconditionnel d'Elon Musk, patron de Tesla (et de SpaceX), pour Donald Trump, il y a aussi la grande prudence d'un concurrent spatial comme Jeff Bezos qui préfère la neutralité bienveillante du "Washington Post" à une sorte de militantisme très courant en France en faveur de la candidate démocrate.
Certains leaders démocrates, et en particulier Joe Biden lui-même, ont pu tomber dans le piège de la bassesse et de l'invective. Il faut dire que Donald Trump a largement commencé dans ce registre de classe d'école primaire, mais il a réussi à y entraîner toute la classe politique américaine. C'est le premier principe de thermodynamique : l'énergie va toujours à son niveau minimal. Pour s'élever, il faut toujours rajouter de l'énergie et ce n'est pas facile. La facilité, c'est de s'abaisser.
Ainsi, quand un supposé humoriste a tenu des propos franchement racistes au grand meeting de Donald Trump à New York (au Madison Square Garden) le 27 octobre 2024, propos qui ont particulièrement irrité les Portoricains (« Il y a littéralement une île d'ordures flottante au milieu de l'océan. »), le Président des États-Unis en exercice aurait mieux fait de s'abstenir plutôt que de décliner cette insulte, les ordures, en les reciblant sur les partisans de Donald Trump.
En effet, dans la nuit du 29 au 30 octobre 2024, il a déclaré dans une vidéo aux citoyens latino-américains : « Les seules ordures que je vois flotter autour d'ici sont celles de ses partisans. » [the only garbage I see floating around is his supporter's]. Selon la Maison-Blanche, il s'agit des ordures de "son" partisan et pas de "ses" partisans (his supporter's garbage) afin de prouver que le Président ne considérait pas les partisans de Donald Trump comme des ordures mais que son partisan (de dimanche) avait sorti une ordure qui, ici, qualifiait une "rhétorique haineuse".
Mais les rejustifications n'apportent jamais le calme et au contraire, remuent le couteau dans la plaie qui, ici, est que Joe Biden est tombé dans le vulgaire, suivant ainsi son rival de 2020. Une simple boulette, mais qui peut faire du mal à sa Vice-Présidente. La candidate démocrate Kamala Harris a donc dû s'éloigner de son Président en clarifiant sa position : « Je suis en désaccord profond avec toute critique contre des gens fondée sur la personne pour laquelle ils votent. ». C'est au moins clair, mais les dommages sont faits.
En effet, dommage que la polémique ait moussé autant sur les ordures, car quelques heures auparavant, le mardi 29 octobre 2024, dans un meeting à Washington, Kamala Harris a fait un réquisitoire (de procureure qu'elle a été) contre la volonté de pouvoir sans limites de Donald Trump. Elle a opposé « un pouvoir sans limites » de son adversaire et « un avenir plein de promesses » qu'elle propose aux citoyens américains.
Elle a prononcé cet important discours au Parc de l'Ellipse, sur fond de colonnes de la Maison-Blanche, là où Donald Trump, le 6 janvier 2021, avait excité ses partisans à marcher sur le Capitole et à l'envahir : « On sait qui est Donald Trump. C'est la personne qui s'est tenue ici, il y a presque quatre ans, et a envoyé une meute armée au Capitole pour renverser la voix du peuple dans une élection libre et juste. ». Ce discours était important pour la candidate démocrate qui a considéré que Donald Trump était « instable, obsédé par la vengeance, rongé par le ressentiment et en quête d'un pouvoir sans limites » et qu'il voulait « utiliser l'armée contre des citoyens américains simplement car ils ne sont pas d'accord avec lui, des gens qu'il appelle “l'ennemi de l'intérieur” ».
Kamala Harris a montré sa liste des choses à faire lorsqu'elle sera Présidente alors que Donald Trump a sa liste des personnes qu'il déteste et dont il entend bien pourrir la vie de retour devant le bureau ovale. Les sondages dans les sept États pivots mettent les deux candidats au coude-à-coude. Bien malin celui qui saura prédire le nom du gagnant et ce sera heureux de le connaître dès la fermeture des bureaux de vote. Le décompte des bulletins sera ardu. Et la nuit du 5 au 6 novembre 2024 sera longue, de New York à Los Angeles. Très longue. Avec risque de gueule de bois.
« Je suis communiste et Rastignac. Paradoxe ? Détrompez-vous ; le mélange n'est pas détonnant. Il est même étonnamment efficace. Vous riez ? Je vous attends... » (Bernard Kouchner, en 1963).
Le médiatique médecin Bernard Kouchner fête son 85e anniversaire ce vendredi 1er novembre 2024. Plus médiatique que médecin (gastro-entérologue). Il est aussi une personnalité politique qui a toujours ses entrées dans les médias et qui continue à exprimer ses positions politiques. L'une d'entre elles était le soutien aux États-Unis pour leur intervention militaire en Irak en 2003, une initiative inutile et surtout particulièrement meurtrière (entre 100 000 et 1 million de morts) à laquelle la France, heureusement, s'était vivement opposée.
Mais comment le qualifier ? Il est un médecin d'abord, et il a fait partie des cofondateurs de Médecins sans frontières (MSF) en décembre 1971 et lorsque sa présence n'y était plus souhaitable en 1979, il a cocréé Médecins du monde en mars 1980. Le désaccord entre MSF et Bernard Kouchner portait sur sa volonté de faire une opération Un bateau pour le Vietnam, l'idée était d'envoyer des médecins et des journalistes pour alerter sur les droits de l'homme au Vietnam. Déjà, l'écho médiatique prenait le pas sur les soins.
Parmi les présidents de MSF, on peut citer Bernard Kouchner de 1976 à 1977, Claude Malhuret de 1978 à 1980, Xavier Emmanuelli en 1982 et Rony Brauman de 1982 à 1994 (les trois premiers ont été par la suite ministres). On pourrait dire que Bernard Kouchner était un agitateur politique, un médecin et un agitateur politique. Déjà étudiant, il militait au sein de l'UEC, le syndicat étudiant communiste (il y a écrit dans un périodique qui lui a fait rencontrer des auteurs comme Claude Roy, Jacques Monod et Louis Aragon), puis a été par la suite alternativement socialiste ou radical de gauche selon l'opportunité du moment. Car agitateur, oui, mais avant tout opportuniste.
Il faut aussi regarder sa famille, et sa jeunesse, pour tenter de mieux le cerner. Du côté paternel, une origine lettone juive ; du côté maternel, une origine protestante. Les grand-parents paternels de Bernard Kouchner sont morts assassinés dans le camp d'Auschwitz après avoir été arrêtés et déportés (convoi n°76 du 30 juin 1944). Quand on a 5 ans, ça marque, évidemment.
Dans le cadre de ses activités militantes communistes, Bernard Kouchner est parti visiter Cuba en 1964 (il avait alors 24 ans). Il y a rencontré sa future femme Évelyne Pisier (la grande sœur de Marie-France Pisier) qui était alors en cours d'une relation avec... Fidel Castro lui-même ! Bernard Kouchner et Évelyne Pisier se sont mariés en 1970 et ont divorcé en 1984, après avoir fait trois enfants. Évelyne Pisier, qui n'en pouvait plus des missions humanitaires lointaines et dangereuses de son mari, a refait sa vie avec le politologue Olivier Duhamel alors que Bernard Kouchner l'a refaite avec la journaliste Christine Ockrent. Ces derniers étaient encore jeunes, très ambitieux, et prêts à beaucoup de sacrifices.
On peut être foudroyé par la différence de personnalité entre Hubert Curien et Bernard Kouchner (mais pourquoi donc ai-je la sottise de faire une telle comparaison ?!) : le premier voulait agir, construire, bâtir, et il se moquait bien du service après-vente médiatique, tant que ça agissait, construisait et bâtissait. Bernard Kouchner, c'est le contraire, à l'école de BHL. Hubert Curien laissait volontiers la paternité de projets réussis à d'autres alors qu'il en était le vrai père, tandis que d'autres préfèrent au contraire s'attribuer les mérites de leur inaction et de l'action des autres. Refaire l'histoire.
Soyons honnêtes : agiter les médias a des avantages pour sensibiliser les gens, au risque de les émouvoir, et surtout, influencer les décideurs politiques. Cela a donc son utilité mais un peu comme celle de l'ARC de Jacques Crozemarie : une bonne cause, une mauvaise conséquence.
Bernard Kouchner a fait un grand nombre de voyages plus ou moins utiles, entre voyages humanitaires et voyages politiques, il a même défendu le principe du devoir d'ingérence, un principe qui pourrait être déconstructeur du droit international et qu'il faut manier avec précaution. Intervenir militairement conduit toujours à des drames.
Et tout pour sa bobine : il a souvent été ministre, ou sous-ministre, et pas le moins voyant des gouvernements qu'il a honorés de sa présence, ceux de Michel Rocard, Édith Cresson, Pierre Bérégovoy, Lionel Jospin ! C'était une sorte de carte inoxydable de la gauche au pouvoir, celle de François Mitterrand et celle de Lionel Jospin. Bernard Kouchner a été nommé Secrétaire d'État chargé de l'Insertion sociale du 13 mai 1988 au 28 juin 1988, puis chargé de l'Action humanitaire du 28 juin 1988 au 4 avril 1992, Ministre de la Santé et de l'Action humanitaire du 4 avril 1992 au 30 mars 1993, Secrétaire d'État chargé de la Santé du 4 juin 1997 au 28 juillet 1999, puis Ministre de la Santé du 6 février 2001 au 7 mai 2002.
Enfin, le bâton de maréchal, la meilleure pioche de l'ouverture selon le nouveau Président Nicolas Sarkozy : Bernard Kouchner est devenu Ministre des Affaires étrangères et de l'Europe du 18 mai 2007 au 13 novembre 2010, dans les deux premiers gouvernements de François Fillon ! Une surprise qui a fait dire à Patrick Devedjian que ce serait bien d'élargir l'ouverture sarkozyenne... aux sarkozystes ! Il était en concurrence avec Hubert Védrine. Sa nomination au Quai d'Orsay l'a définitivement banni des cercles socialistes. Et pourtant, à part sa communication, il ne maîtrisait rien, c'était l'Élysée qui tirait toutes les ficelles. Par orgueil, il n'a jamais claqué la porte.
Il comptait convaincre ses anciens amis de gauche dans un tribune publiée le 20 mai 2007 dans "Le Monde" : « En près de quarante ans d'action humanitaire et de batailles politiques pour les Droits de l'Homme, nous avons fait bouger le monde dans les domaines de la diplomatie, de la santé ou de la protection des minorités. (…) La politique extérieure de notre pays n'est ni de droite ni de gauche. Elle défend les intérêts de la France dans un monde qui se réinvente chaque jour. Elle doit être déterminée et novatrice. (…) Je sais que certains de mes amis me reprochent ce nouvel engagement. À ceux-là, je réclame crédit : mes idées et ma volonté restent les mêmes. S'ils me prennent un jour en flagrant délit de renoncement, je leur demande de me réveiller. Je garantis que ce temps n'est pas venu. N'ayons pas peur de l'avenir ; regardons au-delà des cloisons partisanes. ». À ma connaissance, personne n'a tenté de réveiller le ministre parce que personne ne s'y intéressait.
Nicolas Sarkozy était heureux de ce débauchage, et pourtant, il n'y avait aucun mérite, le ministre était arriviste et opportuniste, c'était facile de le débaucher. C'est comme si Michel Barnier avait demandé à Ségolène Royal ou à Manuel Valls de faire partie de son gouvernement il y a quelques semaines, il aurait été sûr de leur réponse positive. Mais dans quel but ? Ils ne représentent politiquement plus rien. C'était le cas aussi de Bernard Kouchner qui n'a jamais été élu sur son nom ; à de nombreux moments, aux élections législatives voire municipales, on évoquait son parachutage, dans le Nord, en Lorraine, dans le Dauphiné, dans les Bouches-du-Rhône, un peu partout en France pour conquérir une circonscription ou une mairie (mais ce fut chaque fois soit un acte manqué soit un échec cinglant). Le seul mandat qu'il a eu, c'est quand il est devenu socialiste pour être sur la liste du PS aux élections européennes de 1994, ainsi bombardé au Parlement Européen de juin 1994 à juin 1997, date de sa renomination au gouvernement. En tout, il a été plus de onze ans au gouvernement, et faites le compte, peu de personnalités politiques chevronnées peuvent s'enorgueillir d'une telle longévité ministérielle !
Il faut se rappeler l'année 2007 : Bernard Kouchner, après avoir espéré devenir le candidat de la gauche, puis soutenu Ségolène Royal, a appelé à faire une alliance avec François Bayrou dans le "Journal du dimanche" du 15 avril 2007, peu avant le premier tour de l'élection présidentielle, et après l'élection présidentielle, il se retrouvait ministre important... du troisième larron, le rival et vainqueur des deux premiers ! C'est même plus que cela puisque, dans la foulée, a été nommé aussi au gouvernement son ancien directeur de cabinet de l'époque où il était Ministre de la Santé, Emmanuel Hirsch, Haut commissaire aux Solidarités actives et à la Jeunesse jusqu'au 22 mars 2010.
Le ministre multirécidiviste a eu aussi beaucoup de responsabilités internationales, celle de Représentant spécial du Secrétaire Général de l'ONU au Kosovo de juillet 1999 à janvier 2001 (entre deux missions gouvernementales), celle de Représentant de l'Union Européenne sur le Sri Lanka en août 2005, etc. On parlait aussi de lui pour remplacer le Haut représentant de l'ONU pour la reconstruction de Haïti en janvier 2011. Il s'ennuyait et a flanché en créant son propre cabinet de conseil, apparemment très juteux selon certaines investigations journalistiques.
Bernard Kouchner est un touche-à-tout : il est capable d'inspirer des séries télévisées comme "Médecins de nuit" (diffusée en 1978 sur Antenne 2), de publier des dizaines de livres plus ou moins fouillés, d'intervenir partout dans le monde sur de nombreuses causes plus ou moins bien comprises. On lui a reproché de s'être fait beaucoup d'argent avec des activités de conseil auprès de chefs d'État africains, ou de grands groupes, etc. Il a soutenu Roman Polanski lorsqu'il était décrié, il a probablement été accusé de mille et unes choses car il énerve autant qu'il laisse croire qu'il agit... Si on regarde d'un œil discret sa notice sur Wikipédia, on s'étonne de tant d'affaires, tant de choses dans lesquelles il s'est impliqué, et chaque initiative pourrait faire l'objet d'un chapitre détaillé.
Capable même de lucidité tout en se mettant lui-même en scène, comme en 1987 lorsqu'il racontait ses voyages humanitaires (entre autres pour les enfants du Biafra) : « Bien des fois, au Kurdistan, au Liban, j'ai éprouvé cet étrange sentiment qui pousse à aller jusqu'au bout de l'aventure, à courir les plus grands risques, à goûter le délicieux frisson du danger, à frôler le grand saut. Des années après, j'ai saisi que l'aide humanitaire, j'en faisais d'abord pour moi-même... ».
Il devrait savoir qu'affichage médiatique et prospérité pourraient faire mauvais ménage car cela suscite de la jalousie. Cet affichage médiatique était pourtant indispensable pour cultiver une belle cote de popularité dans les sondages, ce qui aguichait les dirigeants politiques de gauche et, aussi, de droite. Mais il y a beaucoup de choses étranges dans sa carrière, ou gênante, entre autres la nomination de Christine Ockrent, dont la compétence journalistique n'a jamais été remise en cause, comme directrice générale de RFI alors que son compagnon était Ministre des Affaires étrangères, le ministère de tutelle de la station de radio. On a connu des couples moins imbriqués.
Je me restreindrai à trois faits, un positif et deux très négatifs pour lui.
Parlons d'abord du positif qui montre que malgré l'agitation égotique, il y a aussi des convictions. À la Santé sous Lionel Jospin, il a fait adopter une loi importante, la loi n°2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. C'est à mon sens ce qu'il a fait de mieux de sa carrière politique. Cette loi introduit le concept juridique de droit des malades avec notamment le droit des malades à accéder à leur dossier médical. Elle impose que l'acte médical ou le traitement soient faits avec un consentement libre et éclairé du patient, ce qui signifie la fin de l'acharnement thérapeutique. Elle oblige aussi les médecins à déclarer tous les liens d'intérêt avec des groupes pharmaceutiques ou autre. C'est dans la lancée de cette loi qu'ont été par la suite adoptées la loi Leonetti (loi n°2005-370 du 22 avril 2005) et la loi Claeys-Leonetti (loi n°2016-87 du 2 février 2016) sur la fin de vie. Auparavant, Bernard Kouchner avait fait adopter une première loi, la loi n°99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit d'accès aux soins palliatifs qui était aussi une forte avancée dans l'accompagnement de la fin de vie (même si l'essentiel est d'abord d'ordre budgétaire afin de permettre à tous les patients qui en ont besoin d'en bénéficier).
Passons maintenant à deux sujets qui ont de quoi écœurer. Deux dates.
J'aurais pu donner comme titre ici : Le docteur sac de riz ! En effet, la première date est le 5 décembre 1992, sur une plage, à côté du port de Mogadiscio, la capitale de la Somalie. Bernard Kouchner s'est fait photographier en train de porter des sacs de riz pour les enfants affamés de Somalie, victimes de la guerre civile (qui faisait rage depuis la chute du dictateur communiste Mohamed Siad Barre au pouvoir du 21 octobre 1969 au 26 janvier 1991). Ce qui était gênant, c'est que le gentil ministre médecin a refait plusieurs fois le trajet avec le même sac de riz, pour faire la meilleure prise devant les caméras. Il se moquait des enfants et c'était sa trombine qui importait. Il aurait beau dire qu'il faut de la promotion médiatique pour émouvoir le chaland, l'opération était là beaucoup trop visible pour être sincère.
À l'origine, il avait fait une campagne de publicité assez formidable avec son collègue de l'Éducation nationale, Jack Lang, pour proposer aux écoliers d'apporter chacun un paquet de riz (un kilogramme) à sa classe le 20 octobre 1992. Formidable car très efficace. En tout, 9 300 tonnes de riz ont été collectées, et acheminées gratuitement par La Poste et la SNCF au port de Marseille où deux gros cargos les attendaient. Où est passé le riz ? Dans les pellicules photos ? Ce qui est sûr, c'est qu'apporter du riz n'apporte pas grand-chose aux enfants (surtout quand c'est du riz très hétérogène avec des durées de cuisson différentes) car c'est leur enlever la cause de la famine qui est le plus nécessaire. Cela n'empêche qu'aider à nourrir des populations affamées a pu les aider à très court terme. Mais c'est aussi l'idée d'avoir bonne conscience à bon compte qui est assez gênante et malsaine. Mais c'est la mécanique de tous les dons caritatifs, de ceux qui n'ont fait que signer un chèque, sans s'investir eux-mêmes sur le terrain. La motivation de Bernard Kouchner était peut-être sincère, sans doute sincère. Mais ce qu'il en a fait était franchement limite. Les humoristes ont rapidement utilisé cette image à fin comique. Les Inconnus, par exemple, au détour d'un sketch (à 3:53 dans la vidéo) et aussi Les Guignols de l'Info.
Bernard Kouchner avait senti la gravité de la situation avec les effets cumulés de la guerre civile, de la sécheresse, de la destruction de grandes infrastructures rendant impossibles les secours, etc. Il voulait l'intervention militaire de la France dans le cadre de l'ONU pour répondre aux urgences humanitaires, mais son collègue de la Défense Pierre Joxe ne voulait absolument pas engager la France dans ce conflit. Finalement, après l'échec de cette opération sac de riz, l'armée américaine est intervenue, sous l'égide de l'ONU : 1 800 marines US ont débarqué sur les côtes somaliennes le 10 décembre 1992 sous les yeux de nombreux journalistes venus par anticipation, car prévenus. C'est la première application du droit d'ingérence humanitaire que prônait Bernard Kouchner. Au début de 1993, cette opération appelée Restore Hope a fait participer 28 870 soldats de l'ONU dont 20 515 soldats américains et 2 454 soldats français. Les casques bleus sont repartis complètement le 2 mars 1995 (les soldats américains ont quitté la Somalie le mars 1994). Sans avoir vraiment stabilisé politiquement la région.
L'autre date est encore plus grave, car cela a impacté sur la vie de ses enfants. C'est le 7 janvier 2021 qu'est sorti le livre de Camille Kouchner, "La Familia grande". Ce fut un coup de tonnerre. Camille est née en 1975, elle est jumelle avec Antoine, et ce sont les deux derniers des trois enfants que Bernard a eus avec Évelyne qui s'en est totalement occupée. Camille a attendu la mort de leur mère, le 9 février 2017 (des suites d'un cancer) pour rendre public ce qui l'a traumatisé pendant trente ans : lors des étés festoyant dans la propriété familiale du Var, où le tout Paris socialiste et bobo se montrait, Camille a été témoin du viol par inceste de son frère avec le beau-père Olivier Duhamel (qui n'a jamais démenti les faits). Ce dernier imposait à la fratrie le silence par le chantage affectif : leur mère aurait des tendances suicidaires (dont les parents venaient de se suicider) et il fallait la ménager.
Je ne veux ici pas trop insister sur cette histoire glauque (je pourrai éventuellement revenir sur le livre de Camille très bien écrit), sinon pour faire un parallèle. Bien entendu, enfin, sauf autres révélations, Bernard Kouchner n'a commis rien de grave et ce qu'on pourrait lui reprocher, du moins, pas le "on" mais ses enfants, c'est de ne pas s'en être occupé, de les avoir laissés dans leur adolescence seuls avec leur mère et surtout, le beau-père, le prédateur, et cela surtout pour des considérations de carriérisme. Mais ce qu'on pourrait lui reprocher, justement, de ne rien avoir vu, de ne pas avoir su écouter les traumatismes, les drames qui se nouaient, c'est en fin de compte un peu ce qu'on a reproché à certains évêques français qui ont passé sous silence les agressions sexuelles voire les viols commis par certains prêtres de leur diocèse. Cette passivité, cette indifférence, cette inaction, ce silence sont, en eux-mêmes, une source de scandale. Bernard Kouchner n'était pas le seul au courant, tout le petit monde autour d'eux, au fil du temps, l'a été, et rien n'a filtré. Mais quand même, lui, c'était le père de la victime, pas une simple connaissance vaguement concernée ! Qu'est-ce que vous, lecteurs, vous feriez si votre enfant de 13 ans était violé par le nouveau mari de votre ancienne femme ?
Maintenant, à 85 ans, le French doctor reste toujours présent dans les médias, , même si ses idées sont parfois un peu confuses. Exemple sur Radio J le 20 octobre 2024 ; il s'est aussi exprimé plus récemment sur d'autres chaînes de télévision. Il ne peut pas s'en empêcher. Alors que son petit intérêt serait aujourd'hui de se faire plus discret, de se faire oublier. Ce carriérisme, pourquoi faire, on aurait tendance à dire ? Ou plutôt, tant d'énergie dissipée pour si peu ? Si peu de résultats. Durant la semaine du 5 novembre 2018, Bernard Kouchner était l'invité de l'émission "À voix nue" produite par Annelise Signoret et Martin Quenehen sur France Culture. L'émission commence ainsi : « "Tout bien considéré, il y a deux sortes d’hommes dans le monde : ceux qui restent chez eux et les autres", écrivait Kipling. Et Bernard Kouchner a (tôt) choisi à quelle catégorie il appartenait, pour devenir aventurier de l'humanitaire, du droit d'ingérence et de la politique… ». Il a toujours choisi d'être en dehors. Tant pis pour les enfants...
« Michel Barnier [alors Ministre des Affaires étrangères] aurait souhaité se trouver parmi nous aujourd’hui, il m’a chargée de vous transmettre à vous, Madame, et à ceux ici rassemblés, les marques de son plus profond respect pour la personnalité et l’œuvre du Professeur Curien. » (Claudie Haigneré à Anne Perrine Dumézil-Curien, le 14 mars 2005 à Paris).
Le père de l'Europe spatiale, c'est ainsi qu'on le qualifie en général et avec raison. Mais ce serait encore plus complet de l'appeler le père de l'Europe de la Science. En somme, un Père de l'Europe ! Le physicien Hubert Curien est né il y a 100 ans, le 30 octobre 1924 dans la commune vosgienne de Cornimont. Hubert Curien était ce que j'appellerais un grand administrateur de la recherche française et européenne, tout en étant un mandarin de l'université, et la gauche au pouvoir en a fait aussi un homme politique. C'est donc une trajectoire hors du commun qu'a suivie Hubert Curien. Avec ses sourcils très broussailleux et très pompidoliens, sa voix très grave mais bienveillante, Hubert Curien était ce qu'on aurait pu aussi appeler un capitaine de recherche, comme on parle de capitaine d'industrie. Un grand commis de la recherche.
Mais avant d'avoir été un scientifique, Hubert Curien a été un résistant. À l'âge de 19 ans, quittant ses études parisiennes, il a rejoint le maquis de la Piquante Pierre, dans les Vosges, près de La Bresse et pas loin de sa ville natale. En 1945, il a intégré l'École normale supérieur et en est ressorti agrégé de physique. Il a également soutenu une thèse de doctorat en physique spécialisée en cristallographie (l'étude de la structure de la matière). À 28 ans, sa thèse d'État portait sur « l'étude des ondes élastiques et de la diffusion thermique des rayons X dans un réseau cubique centré : application au fer alpha ». Ses travaux de recherche ont commencé au sein du laboratoire de minéralogie de Jean Wiart, il a étudié l'effet Compton, les défauts des cristaux par irradiation, etc. Il a étudié et déterminé des structures de minéraux complexes, a découvert une nouvelle forme cristallographique du gallium, a étudié aussi des matériaux biologiques, etc. et même la curiénite, un minérau baptisé de son nom (pas par lui !) qu'il avait découvert au Gabon.
À la fin des années 1940, il a épousé Anne Perrine, astrophysicienne et fille du grand linguiste et académicien Georges Dumézil chez qui il se rendait souvent à Vernon pour suivre le programme spatial dans les années 1970. Anne Perrin Dumézil-Curien est morte cette année 2024, à l'âge de 98 ans. Ils ont eu trois enfants, Nicolas Curien, polytechnicien et docteur en mathématiques appliquées, membre de l'Académie de la Technologie, professeur au CNAM (Centre national des arts et métiers), ancien membre du CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel) de 2015 à 2021 (il a présidé le CSA par intérim quelques semaines au printemps 2018), Christophe Curien, artiste peintre, et Pierre-Louis Curien, mathématicien, directeur de recherches au CNRS et spécialisé en informatique théorique. Hubert Curien était en outre le petit frère de l'ambassadeur Gilles Curien, membre voire directeur de plusieurs cabinets ministériels dans les années 1960.
Maître de conférences de minéralogie-cristallographie à la faculté des sciences de Paris en 1953, à 28 ans, puis professeur des universités à la future Université Pierre-et-Marie-Curie Paris-6 en 1958 à 33 ans (ce qui est très jeune), il a enseigné aussi à l'École normale supérieure, Hubert Curien a intégré également le CNRS (Centre national de la recherche scientifique) en 1966 à un haut niveau puisqu'il a été bombardé (jeune) premier directeur scientifique du département science physique et mathématiques (le titre était directeur scientifique pour la physique au CNRS).
À partir de ce moment-là, Hubert Curien a travaillé moins sur les paillasses et plus derrière un bureau classique de manager avec des responsabilités administratives et organisationnelles très larges et nombreuses. Ainsi, il est devenu directeur général du CNRS de 1969 à 1973, puis Délégué général à la recherche scientifique et technique de 1973 à 1976.
Le CNES (Centre national d'études spatiales) était alors en pleine crise existentielle. Hubert Curien a été alors nommé président du CNES de 1976 à 1984 pour redresser cet organisme de recherche, redonner de la motivation aux chercheurs et préparer le premier vol de la fusée Ariane le 24 décembre 1979, nommé en outre président du conseil d'administration du Palais de la Découverte de 1977 à 1984. Il est nommé dans sa lancée premier président de l'Agence spatiale européenne (ESA) de 1979 à 1984, et aussi premier président de l'Association des musées et centres de culture scientifique et industrielle en 1982. Il fut également le président du CERN de 1994 à 1996, président de l'Académie des sciences de 2001 à 2003 (membre élu le 8 novembre 1993 dans la section de sciences de l'univers), directeur de l'École supérieure Chimie Physique Électronique de Lyon (CPE Lyon) de 1993 à 2005, et président de la Fondation de France de 1998 à 2000.
C'est son action au sein du CNES qui a été probablement la plus importante pour la recherche française (et européenne) en lançant le programme Ariane, en créant Arianespace, la société de commercialisation d'Ariane, en lançant aussi la mission de Jean-Loup Chrétien, premier spationaute français, en lançant le programme SPOT (satellites de télédétection français civils d'observation de la Terre), ainsi qu'en lançant les participation françaises aux projets de l'ESA qu'il a créée et présidée. C'est la raison pour laquelle on l'a souvent qualifié de père de l'Europe spatiale qui n'a plus grand-chose à voir avec sa spécialité d'origine, la cristallographie. Il était en quelque sorte un grand ordonnateur de la recherche française et européenne, tant dans le domaine physique (au CNRS) que spatial (au CNES, à l'ESA, etc.).
En été 1984, la venue de Laurent Fabius à Matignon a précipité la carrière d'Hubert Curien appelé à siéger au gouvernement : il fut nommé Ministre de la Recherche et de la Technologie du 19 juillet 1984 au 20 mars 1986, puis, après la réélection de François Mitterrand, renommé au même ministère du 12 mai 1988 au 29 mars 1993 dans les gouvernements de Michel Rocard, Édith Cresson et Pierre Bérégovoy. Loin de prendre cela comme un honneur, ce fut pour lui une aubaine pour faire avancer de nombreuses idées et intuitions.
À ce poste, sa principale action a été de mettre la science à disposition du peuple, la rendre accessible à l'ensemble des gens, ce qui est difficile car la science étudie souvent des choses complexes. Son idée de génie a été d'organiser en mai 1991 une journée portes ouvertes de son ministère à l'occasion du dixième anniversaire de sa création, ce qui est devenu très rapidement la Fête de la Science dès l'année suivante, en juin 1992 et qui, chaque année, fait rencontrer les chercheurs avec les citoyens, chaque chercheur ouvrant son laboratoire et montrant son travail aux gens, en leur donnant les enjeux, les objectifs, les applications.
Cette manifestation scientifique et culturelle, qui a le rôle de propagateur de la science, a lieu désormais en octobre de chaque année et est très suivie des chercheurs, ravis d'exposer leurs travaux aux profanes (d'autant plus qu'en France, les sciences dures jouissent d'un très faible intérêt médiatique, à part quelques excellents documentaires sur Arte ; il y a beaucoup trop peu d'attrait des journalistes pour les sciences, disciplines jugées trop compliquées et pas assez sexy). C'est bien pour les citoyens qui peuvent comprendre un peu mieux l'époque technologique dans laquelle nous vivons, et ses perspectives, mais aussi pour les chercheurs eux-mêmes qui doivent synthétiser, vulgariser, résumer leurs travaux dans un travail pédagogique très utile également pour la science (dans la mise en forme des connaissances).
D'un côté, il y a des scientifiques, beaucoup trop rares, qui font de la vulgarisation scientifique et qui ont acquis un peu de notoriété médiatique (Hubert Reeves, par exemple), et de l'autre côté, il y a des structures, c'était le rôle d'Hubert Curien, qui a joué surtout sur les structures, qui a été un grand organisateur de la recherche scientifique et de son accessibilité aux profanes.
La conclusion d'une étude sur le personnel dirigeant du CNRS entre 1937 et 1966 réalisée par l'historien Christophe Charle, de l'Institut d'histoire moderne et contemporaine du CNRS), publiée par les "Cahiers pour l'histoire du CNRS" en 1989 est intéressante dans son contraste : « L'étude du personnel dirigeant du CNRS permet de voir la naissance progressive d'un nouveau type d'élite, issue de l'Université scientifique mais de plus en plus distincte d'elle, dans la mesure où l'accès aux responsabilités administratives se fait de plus en plus tôt. Les initiateurs de l'institution, dreyfusards et socialistes hostiles à l'État napoléonien seraient certainement surpris du résultat historique de leur entreprise : accumulation de niveaux écrans au sein de la hiérarchie universitaire, groupes de pression, etc. La république de la science dont ils rêvaient tend ainsi à nourrir des oligarchies qui se neutralisent ou à devenir un nouvel enjeu de pouvoir pour des élites extérieures. ».
Hubert Curien est mort le 6 février 2005 à l'âge de 80 ans. Depuis cette date, il est honoré par de nombreux organismes ou lieux qui ont pris son nom, des collèges, des écoles, des rues, des laboratoires, etc. Sa mémoire reste vivante. Le site de l'Académie des sciences lui a rendu hommage en février 2005 par ces quelques phrases : « Les qualités unanimement reconnues de ce très grand serviteur de l'État, sa clarté, sa précision, alliées à son écoute et à sa bienveillance, ont fait de lui non seulement un professeur exceptionnel et un modèle pour tous ses étudiants, mais également un scientifique, un collaborateur, un homme aimé, estimé, respecté de tous. ».
Une grande cérémonie a été organisée en son honneur le 14 mars 2005 à la Maison de la Chimie à Paris sous l'égide de l'Académie des sciences : scientifiques et politiques se sont succédé pour évoquer la personnalité attachantes d'Hubert Curien, en particulier Claude Allègre (membre de l'Académie des sciences et ancien Ministre de l'Éducation nationale), Claudie Haigneré (spationaute et Ministre déléguée aux Affaires européennes), Philippe Busquin (ancien Commissaire européen pour la Recherche), Laurent Fabius (ancien Premier Ministre), François Loos (Ministre délégué au Commerce extérieur), Christophe Desprez (ancien dircab d'Hubert Curien), Anne Lauvergeon (présidente d'Areva et surtout, ancienne Secrétaire Générale adjointe de l'Élysée), Édouard Brézin (président de l'Académie des sciences) et François d'Aubert (Ministre délégué à la Recherche). En tout, quinze personnalités se sont exprimées pendant cette après-midi d'hommages.
Petits extraits d'hommage à Hubert Curien durant cette journée-là.
Claude Allègre : « Je connaissais Hubert Curien depuis quarante-cinq ans. Il fut mon professeur de cristallographie à la faculté des sciences et je me souviens qu’il nous enseignait l’usage des rayons X et des neutrons pour déterminer les structures des cristaux. C’était un professeur lumineux. (…) Quelques années plus tard, alors que nous commencions à mettre en place le premier enseignement de géochimie à Paris, au niveau du troisième cycle, nous étions quatre jeunes scientifiques et nous n’avions pas encore terminé notre thèse d’État, Hubert Curien avec René Dars, Jacques Faucherre et Yves Rocard avec qui il gardait des liens d’amitié anciens, nous donna son patronage administratif pour créer un laboratoire dans une usine désaffectée (l’Université de Jussieu n’était pas construite) et un enseignement de 3e cycle dans lequel il enseigna la thermodynamique pour géologues. Je me souviens d’Hubert Curien participant à une excursion en Galice où il surprit tout le monde par ses connaissances géologiques et ses questions judicieuses, montrant qu’il appréciait les problèmes tectoniques pourtant bien éloignés de la minéralogie. Tout naturellement, il fut le rapporteur de ma thèse d’état car il y avait peu de monde qui s’intéressait de manière compétente alors à l’utilisation des isotopes en Sciences de la Terre. (…) Et puis, comme on le sait, il commença alors une carrière dans l’administration de la science qui allait être brillante. (…) Au risque de dévoiler quelques secrets, je crois que ce choix a résulté de deux circonstances. D’une part, il voyait l’émergence de la physique du solide que développaient en France ses amis Pierre Aigrain et Jacques Friedel vers laquelle il aurait voulu engager plus nettement le laboratoire de cristallographie et minéralogie de Paris, mais il sentait des résistances internes et non des moindres. D’autre part, Pierre Jacquinot, en réponse à une menace de dissolution du CNRS, avait créé des Directions scientifiques et réorganisé l’organisme. Il avait proposé la Direction de la physique à Hubert Curien. C’était une opportunité exaltante, reconstruire le CNRS, qu’il ne pouvait refuser dans une période de crise pour la recherche française. ».
Claudie Haigneré : « Je ne peux manquer de vous dire quelques mots sur les circonstances qui m'ont amenée à rencontrer Hubert Curien à de très nombreuses reprises pour l'espace, l'Europe, la Russie, la recherche et je dirais plutôt la Science. Hubert Curien et l’espace, c’est d’abord l’histoire d’une rencontre passionnée. L’espace a probablement donné à Hubert Curien quelques-unes de ses plus grandes satisfactions professionnelles, ainsi que ses soucis les plus tenaces. Il n’était pas possible de le rencontrer, qu’il soit Ministre, Président de l’Académie des sciences, ou simple citoyen, sans que la conversation vienne sur le spatial et qu’il vous fasse part de ses soucis sur cette Ariane qui, décidément, aura pris beaucoup de place dans sa vie. (…) L'Europe, une autre grande affaire pour Hubert Curien. Vous comprendrez que j’y sois particulièrement sensible et que je commence par là. Avant d’être ministre, ses responsabilités de président du CNES l’avaient conduit à prendre la présidence du Conseil de l’Agence Spatiale Européenne. En tant que Ministre chargé de l’espace, il vécut deux Conseils ministériels de l’ESA : à Rome en 1985, et à Grenade en 1992. Nous savons tous, et Jean-Marie Luton le premier, qui en a été si proche et avec lequel il avait une relation privilégiée, que sa priorité absolue dans chacune de ces occasions consistait à préserver la dynamique européenne, à éviter que les divergences d’appréciations entre pays ne l’emportent sur la nécessité d’une œuvre commune, quand bien même cette œuvre commune ne répondrait que partiellement aux souhaits purement français, comme ce fut le cas avec les décisions si difficiles à prendre sur Hermès. Au sein de l’Europe, c’est bien sûr à la qualité du dialogue franco-allemand qu’il était le plus sensible, et il a, directement et personnellement, beaucoup œuvré pour que soient pris en compte les points de vue et contraintes réelles de l’Allemagne nouvellement réunifiée dans les décisions spatiales de l’Europe. Si l’ESA porte aujourd’hui encore l’ambition spatiale de l’Europe, elle le doit en particulier à Hubert Curien qui l’a aidée à traverser la période de grande difficulté qui a suivi la réunification allemande et qui coïncidait, d’une part avec de sérieuses contraintes budgétaires en Allemagne, et d’autre part avec une dangereuse accumulation de programmes spatiaux européens demandant des moyens quasi-impossibles à mobiliser. ».
Philippe Busquin : « Dans un article paru il y a quelques années, intitulé "Hubert Curien et l'Europe des chercheurs", l'ancien directeur général de la Commission Européenne, Paolo Fasella disait que Hubert Curien a joué un rôle clef dans la plupart des initiatives de coopérations scientifiques européennes prises ces dernières années. Hubert Curien, lui-même, faisait remarquer dans un article paru dans "La Recherche" à l'époque, que "construire pour l'Europe des programmes de recherche et rassembler l'Europe des chercheurs sont deux démarches qui doivent aller de pair en parfaite harmonie". Et cela reste d'une brûlante actualité. Comment concilier la dimension humaine des chercheurs à l'échelle européenne, élargie d'ailleurs, et cette conception de travailler ensemble dans un avenir commun ? Hubert Curien a été de tous les rendez-vous. (…) Et des initiatives, il y en a eu dès les années 80. En fait, l'histoire de la recherche européenne date des années 80 avec les premiers programmes-cadres et Hubert Curien était déjà un des six fondateurs du programme "Esprit" qui a joué un rôle essentiel à l'époque pour redonner à l'Europe une dimension dans la société de l'information. Il était avec le commissaire Davignon, Ilya Prigogine et quatre autres personnes à la base du programme "Esprit", qui a d'ailleurs été continué par un programme qui s'appelait "Brain" et qui a permis de donner des avancées dans l'Europe dans ce domaine. Il a été comme on l'a dit fondateur de la Fondation Européenne de la Science, premier Président de cette fondation, qui a joué aussi un rôle très important dans la mise en commun des capacités des chercheurs européens. Mais il n'a jamais négligé non plus le rôle de l'industrie. Je pense qu'il faut rappeler qu'il y avait les programmes "Brite Euram" qui ont été des programmes dans les années 80 qui ont permis d'associer à l'échelle européenne l'industrie et les milieux de la recherche. Et de la même manière, vous le savez comme moi, il a été un peu aussi à la base du programme "Eureka" qui vise aussi à donner à l'Europe des structures industrielles plus novatrices, plus liées à une recherche et à une innovation. Mais il n'a jamais négligé le facteur humain et dans le même temps qu'il y avait ces programmes industriels, on lançait les premiers programmes dits "Capital humain, mobilité". Ces programmes ont été lancés dans les années 80 et aujourd'hui ils sont certainement une des réussites à l'échelle européenne, avec les bourses Marie Curie, qui permettent à des chercheurs de l'Europe d'aller dans d'autres laboratoires et constituer cette communauté de la recherche européenne. À coté du facteur humain, il était évidemment très sensible aux infrastructures indispensables à l'échelle européenne. Ayant été président du CERN, il a été aussi initiateur avec d'autres présents ici dans la salle, du Synchrotron de Grenoble, qui était une des grandes réalisations à l'échelle européenne. Dans le domaine de l'espace européen de la recherche, j'ai eu de nombreuses occasions d'en discuter avec lui, il insistait aussi sur cette nécessité d'organiser, à l'échelle européenne, la discussion sur les infrastructures d'avenir. À cet égard, des progrès sont réalisés, puisque maintenant nous avons un forum des infrastructures qui aide les ministres de la science dans le choix des prochaines infrastructures, entre autres les lasers à électrons libres qui seront redistribués un peu partout dans l'Europe. ».
Laurent Fabius : « C’est en tant que chargé moi-même de la Recherche que j’avais appris à le connaître (…). Tout naturellement, je lui proposais de devenir ministre lorsque j’eus l’honneur ensuite d’être appelé par François Mitterrand à diriger le gouvernement. Ce choix me paraissait naturel, tant Hubert Curien symbolisait pour toute la communauté scientifique la réflexion et l’action dans le domaine de la science et tant il était apprécié des chercheurs. La recherche était tout simplement sa vie. Je me souviens d’une conversation avec lui et avec Jacques-Louis Lions, d’où une expression avait jailli, sans que je me rappelle exactement qui d’entre nous l’avait lancée : "l’horizon de la recherche, c’est l’horizon du forestier". Cette vision longue était chez lui une idée maîtresse, particulièrement précieuse lorsqu’on doit décider pour la collectivité. Éviter les à-coups, les fausses habilités de l’urgence, penser et agir à long terme : Hubert Curien, qui aimait tant ses forêts des Vosges, était, pour la recherche aussi, un forestier. Long terme et recherche fondamentale. Il savait par expérience et il professait, comme le Général De Gaulle et Pierre Mendès France qu’il admirait, qu’il n’y a pas de grand pays sans recherche puissante et pas de recherche puissante sans priorité à la recherche fondamentale, laquelle requiert évidemment des moyens et ne doit pas être subordonnée à l’aval. L’évaluation, devenue depuis une évidence, était une autre de ses idées pionnières. Il considérait qu’une sécurité matérielle des chercheurs, sans ostentation car tel n’était pas son genre, est nécessaire pour accomplir une bonne recherche, mais il soulignait que cette sécurité n’est pas contradictoire avec les évaluations nationales et internationales indispensables, ni avec les remises en cause qu’elles entraînent. (…) Il y a quelques mois, à l’issue d’une réunion au sein d’un groupe où nous aimions nous retrouver, déambulant nous plaisantions ensemble en pensant à ce temps où, ministre, il se voyait proposer régulièrement d’aller conquérir, en Île-de-France, en Isère ou dans ses Vosges natales, le suffrage universel. Chaque fois, il déclinait poliment, avec un bon sourire, ces sollicitations. Et il ajoutait : "ma circonscription, c’est mon laboratoire de l’Université Paris-6". ».
Christophe Desprez : « Hubert Curien était un homme bon, qui incitait ses collaborateurs à la patience et à la modestie. Quand, après un exposé argumenté de notre part [ses conseillers au ministère], il concluait "Vous avez raison, avançons dans ce sens", nous savions que nous étions dans la bonne direction. Quand il fronçait l’un de ses sourcils broussailleux et nous disait "Vous croyez ?", nous comprenions que nous n’avions pas convaincu ; alors, il consultait ; il recevait énormément de chercheurs, de patrons de laboratoires ou d’organismes ; il écoutait, et peu à peu se forgeait une opinion ; c’était sa façon de travailler, à l’écoute en permanence de la science en marche. Il était toujours au contact de la science, en visite en France ou à l’étranger. Il était passionné par la science, par toutes les sciences, et par les hommes et les femmes qui la font. (…) Je me souviens d’une sortie d’un conseil des ministres, où Jack Lang et Hubert Curien venaient de faire une communication sur la culture scientifique et technique. Les journalistes se précipitent sur le tapis rouge disposé au début de la cour de l’Élysée pour les prendre en photos. Et là, Hubert Curien se recule, pour que le Ministre de la Culture, ou était-ce déjà de l’Éducation ? , apparaisse mieux sur les photos. Comme je m’en étonnais à la lecture de la presse du lendemain, puisque c’était Hubert Curien qui était le principal artisan de cette communication, je m’entendis répondre "Mais Christophe, cela n’a aucune importance, et, en plus, cela fait tellement plaisir à Jack"… ».
Anne Lauvergeon : « Il est vrai qu'au moment du bouclage des budgets, quand on est à l'Élysée, on reçoit un certain nombre de coups de fil de ministres pas contents de leur sort. En général, le mode est toujours le même : "j'e n'ai pas assez" ; bien sûr, personne ne téléphone pour dire qu'il a trop de budget. C’est souvent sur un ton ou agressif ou du moins montrant qu'il y a un grave problème. Hubert Curien quand il m'appelait, s'excusait d'abord de m'appeler. Ensuite il me disait, il me l'a dit à plusieurs reprises, "qu'il était très très ennuyé… qu'il y avait un petit problème… que certainement il y avait une mauvaise compréhension… que les objectifs qui avaient été fixés n'étaient pas complètement remplis par l'aboutissement des discussions budgétaires. Mais, ce n'était pas la faute du Ministère du Budget, ce n'était pas la faute du Ministre du Budget, non, non… Ils avaient vraiment fait des efforts, ils avaient fait beaucoup de choses… mais …. est-ce qu'on ne pourrait pas néanmoins….", et à ce moment là, effectivement, on rentrait dans le problème qui se posait. Jamais aucune espèce d'acrimonie, aucune espèce de volonté de pouvoir, de volonté de revanche, de volonté de puissance. Uniquement faire aboutir, et faire aboutir non pas pour soi, pour son ministère, mais pour les gens, les chercheurs qui allaient effectivement pouvoir profiter de tout cela. Et je dois dire que cette espèce de calme, toujours, cette espèce de réserve en même temps, de souci de ne pas déranger, mais en même temps d'agir… ce mélange des deux était absolument, incroyablement efficace. Je dois dire que c'était également quelqu'un qui inspirait confiance à des gens très différents.(...) À la Renaissance, on aurait dit que c'était un humaniste. Je crois que Hubert Curien était assurément un humaniste. Curieux de tout et curieux de tous. Il était à l'écoute, il voulait comprendre, comprendre ce qu'étaient les gens. Cette volonté de compréhension qui est assez fréquente chez les scientifiques et qui s'applique souvent à la matière, il la portait aussi aux hommes. Je crois que tout au long de sa vie, il s'y est employé avec toujours le respect immense qu'il manifestait pour les autres, pour ne pas être trop pesant, pour ne pas surtout donner le sentiment qu'il cherchait à entrer dans un domaine ou un territoire que l'autre ne lui aurait pas laissé franchir. ».
François d'Aubert : « Fils d’un receveur municipal et d’une institutrice, il fut admis au prestigieux lycée Saint-Louis en classes préparatoires, puis il fut reçu aux concours de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, qu’il intégra, et de l’École polytechnique. Exemplaire, Hubert Curien le fut aussi par ses qualités humaines. Son statut de scientifique éminent, et bientôt de grand commis de l’État, ne retrancha jamais rien à sa simplicité, qu’il attribuait à ses origines de montagnard vosgien, ni à son humour et son franc parler. Il déclarait ainsi avec lucidité et clairvoyance à propos de la recherche fondamentale : "la recherche fondamentale, c’est un peu comme Christophe Colomb découvrant l’Amérique ; quand il est parti, il ne savait pas où il allait ; quand il arrivait, il ne savait pas où il était et cependant il a découvert l’Amérique… Il n’est pas possible de dire à quelqu’un qui se consacre à la recherche fondamentale : n’allez pas par là, c’est ridicule, vous ne trouverez rien". (…) Pleinement conscient du lien si nécessaire entre la recherche et l’innovation, il fonda également le RDT, Réseau de développement technologique, destiné à diffuser la technologie vers des PME peu familiarisées avec le processus d’innovation, préfigurant ainsi les RRIT. C’est sur cette même voie que nous nous employons aujourd’hui à relancer la Recherche, à travers le redressement de l’effort financier national, le soutien à la recherche fondamentale et le renforcement de ses applications. ».
Et le Ministre délégué de la Recherche de l'époque de terminer sur cette petite citation qu'Hubert Curien aimait répéter : « Je voudrais revenir sur Terre, un instant, dans mille ans, juste le temps de voir ce que trente générations de savants auront su découvrir, et entendre ce que les hommes de science seront alors en humeur de dire. ». Ok Professeur Curien, rendez-vous en l'an 3005 !
« La femme du Président de la République n’a pas de rôle. Elle a celui qu’elle veut bien se donner. » (Danielle Mitterrand).
L'ancienne Première Dame Danielle Mitterrand est née il y a 100 ans, le 29 octobre 1924, à Verdun. Cette fonction, qui peut malheureusement réduire la vie de cette femme, n'est pas officielle mais occupe une place bien particulière dans l'esprit des Français, sans doute un relent résiduel de monarchie avec l'existence de la reine (on voit d'ailleurs à quel point Brigitte Macron a des détracteurs qui pourraient la comparer à la malheureuse Marie-Antoinette). Elle-même n'aimait pas du tout l'expression Première Dame et préférait simplement épouse du Président de la République.
Malgré des détracteurs, il y en a toujours, les Français sont souvent attachés aux Premières Dames et ce n'est pas un hasard si elles reçoivent de très nombreux courriers (ce qui justifie le budget de secrétariat mis à leur disposition à l'Élysée). J'avais assisté à Nancy à une séance de dédicaces d'un de ses livres dans les années 1990, et j'avais découvert la grande ferveur que les gens avaient pour cette reine Danielle (sur une terre politiquement pas vraiment favorable à ses idées).
Parmi ses autres... collègues (?), de femmes de Président de la République (je n'ose écrire : vivement une Présidente de la République ! car politiquement, ce qui se fait sur le marché, en ce moment et probablement jusqu'en 2027, ne me conviendrait pas du tout !), Danielle Mitterrand s'est démarquée de deux manières, une dont elle n'y pouvait rien, elle a été la Première Dame à la plus grande longévité, du 21 mai 1981 au 17 mai 1995 (pendant les deux septennats de son mari), et l'autre qui est le résultat de sa propre volonté et détermination, et sans doute contre la volonté de son mari, elle a été la seule Première Dame militante politique, voire activiste, parallèlement à l'exercice du pouvoir de son mari. À leur mariage, François Mitterrand ne voulait pas qu'elle fût sa secrétaire, ni jamais sa collaboratrice. Il préférait qu'elle s'occupât des enfants, ce qu'elle allait faire. Mais pas seulement !
Et malgré son militantisme de gauche très à gauche, au point de mettre en difficulté la diplomatie française (quand, par exemple, elle cultivait des liens d'amitié avec Fidel Castro alors que son époux à l'Élysée fricotait avec Ronald Reagan), j'ai une grande tendresse pour Danielle Mitterrand, car elle synthétisait bien les paradigmes sociaux d'une femme de son temps : être à la fois indépendante et soumise, être à la fois dépendante et insoumise.
Indépendante parce qu'elle a pu agir comme elle le voulait, militer pour les causes qui lui paraissaient justes, et c'est sûrement sur ce thème de l'injustice qu'elle a trouvé la motivation pour agir et militer. Mais aussi soumise parce qu'elle était une femme de son temps, que le divorce était un traumatisme social, et plus encore politique (ce qui a participé à démotiver les électeurs gaullistes conservateurs à voter pour Jacques Chaban-Delmas), et parce qu'elle ne voulait pas empêcher François Mitterrand d'accéder à l'Élysée, et du moins, elle ne voulais pas enrayer la dynamique d'espoir qu'il a suscitée à gauche pendant toutes les années 1970, au moment même où la relation extraconjugale de son mari devenait patente avec la naissance de Mazarine le 18 décembre 1974 (qu'il a reconnue le 25 janvier 1984 et dont l'existence a été rendue publique le 10 novembre 1994 par la publication acceptée mais non voulue de photos par "Paris Match").
Elle était la femme restée stoïquement auprès de son mari, acceptant le rôle qu'il lui avait donné pendant les années d'opposition mais aussi de pouvoir, malgré cette relation et les relations extraconjugales notoires de son mari (à ce titre, François Mitterrand, comme Valéry Giscard d'Estaing et Jacques Chirac, a fait partie des grands fauves sexuels de la vie politique, il y aurait beaucoup à en dire, au contraire de De Gaulle, Georges Pompidou et Emmanuel Macron). Elle a même eu la grandeur d'âme d'accepter la présence de la seconde famille pourtant un peu concurrente aux obsèques de François Mitterrand à Jarnac.
Rappelons que François Mitterrand avait l'habitude de dire à ses amis, notamment Roland Dumas, que dans la vie, un homme devait avoir plusieurs femmes : une femme pour l'apparat, une femme pour être la mère de ses enfants, une femme pour la passion sexuelle, une femme pour se cultiver, etc. Le concept pouvait se décliner à l'infini et justifier intellectuellement, et sans doute a posteriori, son infidélité maladive. Danielle Mitterrand, dans ce cadre étroit, avait le plus mauvais rôle mais l'a accepté pour ne pas défavoriser politiquement et électoralement son mari.
En ce sens, malgré cette soumission d'apparence, elle était moderne. En écrivant ces lignes, je repense à ma grand-mère, née au milieu de la Première Guerre mondiale (et donc un peu plus âgée que Danielle Mitterrand ; en fait à quelques semaines près, ma grand-mère avait le même âge que François Mitterrand et elle n'en était pas peu fière !). Mes grands-parents faisaient semblant mais c'était connu qu'ils ne s'aimaient plus vraiment. Mais que faire quand la femme, avec ses quatre enfants, n'avait pas de travail ? Elle était bien obligée de rester dans le foyer avec l'argent (chichement) donné par le mari. Cela ne l'a pas empêchée, dans les années 1960 (à un âge déjà avancé pour l'occasion), de passer le permis de conduire et même d'acheter une voiture à l'insu complet de mon grand-père, grâce à la complicité de ses fistons et gendres. C'est cette dichotomie femme soumise/femme indépendante qui a caractérisé beaucoup de femmes de cette génération et qu'a illustrée avec beaucoup de grandeur d'âme (je le répète) Danielle Mitterrand.
Et elle était là, la modernité de Danielle Mitterrand, celle de vouloir agir pour des causes qui lui étaient chères. Elle n'épousait certainement pas les causes que j'aurais soutenues, mais je l'ai beaucoup admirée pour cette détermination à vouloir agir pour celles-ci, malgré toutes les barrières qui se dressaient contre elle, et en particulier le Quai d'Orsay.
Ce que j'indiquais plus haut, c'est que son moteur, sa motivation était les injustices. Et c'est dès l'âge de 6 ans qu'elle a senti sur sa famille cette injustice. Sa famille allait là où son père était affecté comme principal de collège, d'où sa naissance à Verdun (sa mère aussi était enseignante). À Dinan, la famille avait été mal reçue à cause de leur défense de la laïcité et de la gauche en général, si bien qu'il y a eu un accueil très négatif entre 1930 et 1936, du dénigrement contre la petite fille de 6 ans par sa maîtresse alors qu'elle était brillante élève, jusqu'à un incendie dans le bâtiment où vivait la famille. Elle avait 12 ans quand la famille est partie à Villefranche-sur-Saône, au nord de Lyon, soulagée de quitter cette Bretagne bien impénétrable.
Dès le début de l'Occupation, en 1940, le père de Danielle (André Gouze) a refusé les directives du régime de Pétain, ce qui l'a conduit à être révoqué. La famille s'est installée à Cluny et Danielle, à 16 ans, terminait sa Seconde à Mâcon : « J'avais 16 ans. J'ai dû sortir de l'insouciance et mesurer ma capacité de révolte devant l'injustice, celle que subissaient ces enfants, celle que subissait mon père. ». La maison de Cluny est devenue un haut lieu de refuge pour les résistants. Dans son livre autobiographique ("Le Livre de ma mémoire", sorti en 2007), elle racontait : « Très vite la maison Gouze fut un refuge pour les réseaux clandestins. Jusqu’au jour où un monsieur accompagné d’une jolie dame se présenta au portail de la cour et demande à rencontrer les hôtes de ces lieux. C’est ainsi que "Madame et Monsieur Moulin" furent les locataires de l’un des appartements aménagés dans la Maison Grise, ancienne dépendance de ROMADA (Roger, Madeleine, Danielle), notre maison d’habitation. Sous leur fausse identité, Henri Fresnay et Bertie Albrecht sont entrés dans ma vie, avec le mouvement combat. » (cité par Wikipédia).
Engagée donc dans la Résistance en aidant sa famille avec des petits actes (notamment en prévenant les uns et les autres de l'arrivée des nazis, etc.), Danielle Mitterrand a eu la plus grande frayeur de sa vie le 28 mai 1943 quand la gestapo a débarqué chez eux et qu'heureusement, elle en est ressortie sans avoir rien trouvé. Mais elle avait appris que le jour même, Bertie Albrecht, devenue son amie, avait été arrêtée à Mâcon par la gestapo qui avait retrouvé une enveloppe avec l'adresse de la maison de Cluny où la résistante avait été hébergée la nuit précédente. Bertie Albrecht est morte le 31 mai 1943 à la prison de Fresnes après avoir été torturée par Klaus Barbie à Mâcon. Pour Danielle Mitterrand, c'était l'horreur : « Lorsque j’essaie de me remémorer le cheminement de mes pensées à cet instant, l’alternative se présentait sans échappatoire possible : c’était le peloton d’exécution, là dans notre cour, l’arrestation et les camps …ou la vie. » (2007).
Le 14 février 1944, autre coup dur : Danielle et sa sœur (aînée) Christine (future femme de Roger Hanin) ont quitté la veille au soir un bal, mais plus tard dans la nuit, la gestapo a arrêté de nombreux jeunes qui furent déportés dans les camps. La question de Danielle Gouze était alors : pourquoi eux, pourquoi pas moi ? (la question que se posaient tous les rescapés des camps). C'est en avril 1944 à Paris qu'elle a fait la connaissance de François Mitterrand par sa sœur qui était sa "boîte aux lettres" de son mouvement des anciens prisonniers résistants.
Dans "Le Livre de ma mémoire", Danielle Mitterrand a livré sa version du premier rendez-vous avec l'ambitieux jeune homme politique : « Une soirée au restaurant Beulemans, boulevard Saint-Germain (…). Il joue de son charme comme il sait bien le faire auprès des femmes. Mais je n’étais pas encore une femme… À vrai dire, cela n’a pas vraiment bien marché ; son registre de séduction n’a pas opéré. Je n’étais pas préparée à ces jeux-là. Il a bien compris que mon adolescente simplicité dans les relations entre les êtres s’accordait mal aux exercices de son charme caustique. – Alors qu’en penses-tu, Danielle ? me dit Christine (…) – Je ne sais pas… – Ce n’est pas le coup de foudre ? – C’est un homme… – Bien sûr, c’est un homme ! – Je ne suis pas sûre de peser lourd dans ses préoccupations. Pourtant, il ne m’est pas indifférent… Mais je ne vois pas où je me situe dans le rôle que vous semblez me voir jouer. ».
Un peu plus tard, selon les consignes de dirigeants de la Résistance, François et Danielle ont voyagé ensemble par le train de Paris à Cluny sous la couverture d'un couple (sa présence servait d'alibi). Ce n'était pas usurpé puisque les deux jeunes s'étaient fiancés (Danielle s'était engagée à 19 ans dans le maquis de Bourgogne comme agente de liaison) et qu'ils se sont mariés le 28 octobre 1944 à Paris, après la Libération de Paris. Les témoins du mariage étaient prestigieux : Henri Fresnay, Jean Munier, Patrice Pelat, et la sœur, Christine.
La légende voudrait que quelques mois auparavant, François Mitterrand, voyant la photo de Danielle que lui tendait Christine Gouze, lui ait dit : "Je l'épouserai !". Cette histoire a été notamment retranscrite par le journaliste politique Robert Schneider (qui a travaillé pour "L'Express", France Inter et "Le Nouvel Observateur") dans sa biographie documentée sur l'ancien Président, "Les Mitterrand", publiée le 7 avril 2011 (chez Tempus Perrin) : « Dans sa lettre du 24 juin 1944, écrite de Bourgogne où il se cache, François Mitterrand confie à Marie-Claire Sarrazin "être en compagnie d'une jolie fille dont les yeux de chat admirables restent fixés sur un au-delà dont j'ignore les bornes et les accidents"... Exceptionnellement, le propos n'est pas assorti de ses habituelles considérations sur le vide, l'inculture, la sottise des jeunes filles qu'il est amené à fréquenter. François, le beau ténébreux, le romantique, encore marqué par son échec avec Marie-Louise, agacé par les réticences d'une cousine à la fois séduite et méfiante, serait-il amoureux ? À son retour de Londres, il a fait la connaissance d'une jeune femme, Madeleine Gouze, dont la beauté l'attire [Madeleine se faisait appeler Christine, c'était la sœur aînée de Danielle]. Mais elle est déjà l'amie de son ami Patrice Pelat. Au domicile parisien de Madeleine, François aperçoit sur le piano la photographie de la jeune fille aux yeux de chat. – Qui est-ce ? demande-t-il. – Ma sœur. – Elle est ravissante, je l'épouse. Madeleine écrit à sa sœur : "J'ai un fiancé pour toi...". Pendant les vacances de Pâques qui, en 1944, tombent en avril, Danielle monte à Paris. Elle n'a pas 20 ans. Elle fait beaucoup plus jeune lorsqu'elle débarque gare de Lyon, vêtue d'une jupe plissée et de chaussettes blanches. Madeleine la force à mettre des bas pour être plus présentable ! La rencontre a lieu chez Beulemans, un restaurant du boulevard Saint-Germain. Les deux sœurs arrivent les premières. Madeleine dit à Danielle : "Si c'est le coup de foudre, tu me fais un petit signe d'approbation ; s'il ne te plaît pas, une moue". ».
Militante, Danielle Mitterrand a ainsi fondé le 4 mars 1986 sa propre fondation (comme toutes les Premières Dames depuis De Gaulle, et même avant, car la première à créer sa fondation fut Élise Thiers, l'épouse d'Adolphe Thiers), appelée Fondation France Libertés, baptisée maintenant Fondation Danielle-Mitterrand (depuis son décès), dont le but est : « défendre les droits humains et les biens communs du vivant. Elle contribue à la construction d'un monde plus solidaire. ». En fait de création, c'est la réunion de trois associations militantes qu'elle avait déjà créées un peu plus tôt. En 1992, elle a écrit : « J’ai imaginé la Fondation avant tout comme un lieu de rencontres, croisement de messages et de langages, aire de confrontation des cultures, plate-forme d’échanges, carrefour d’expression sous toutes ses formes, tremplin pour un XXIe siècle de compréhension et de reconnaissance de l’autre ». Reconnue d'utilité publique, elle a obtenu en 1991 le statut d'organisation consultative auprès des Nations Unies, et selon sa fondatrice en 2011 : « France Libertés est essentiellement un maillon actif d’un réseau mondial qui aspire à organiser l’alternative à la mondialisation du commerce et de la finance pour une société qui donne toutes ses chances à la vie. ». Sur le site de la fondation, il est d'ailleurs précisé que son statut de Première Dame « n’a pas éteint la flamme d’insoumission qui brûlait dans son cœur et qui la poussait à prêter l’oreille aux violences du monde ! ». Parmi ses généreux soutiens financiers, on comptait Pierre Bergé, l'artiste Philippe Starck et la styliste Agnès Troublé.
Comme elle avait ses idées et ne se sentait pas gênée pour les exprimer malgré la proximité d'un Président de la République, Danielle Mitterrand a fait de nombreuses déclarations parfois polémiques et a rencontré de très nombreuses personnalités françaises et internationales pour son activité de présidente de France Libertés.
Parmi les prises de position qui ont scandalisé une partie du pays, il y a celle du 20 octobre 1989 où elle voulait dédramatiser (à tort) l'affaire du voile islamique au collège de Creil : « Si aujourd'hui deux cents ans après la Révolution, la laïcité ne pouvait accueillir toutes les religions, toutes les expressions en France, c'est qu'il y aurait un recul. Si le voile est l'expression d'une religion, nous devons accepter les traditions quelles qu'elles soient. ». On a vu à quel point cette polémique emblématique, qui a été initiée le 18 septembre 1989 par trois adolescentes en mal d'identité, a pourri le débat public et la gestion de l'enseignement scolaire pendant une quinzaine d'années et il a fallu la loi n°2004-228 du 15 mars 2004 sur les signes religieux dans les écoles publiques pour régler enfin ce problème.
Danielle Mitterrand a aussi beaucoup milité contre les lois sur l'immigration présentées par Charles Pasqua sous les deux premières cohabitations, en particulier en 1993, elle a fait des actions médiatiques pour venir soutenir des sans-papiers ni expulsables ni régularisables (des parents étrangers d'enfants français), au point que Pierre Mazeaud, avec d'autres collègues députés agacés, a publié une tribune au titre évocateur : « Qui veut faire taire Danielle ? ».
Mais elle se moquait de microcosme parisien. Dans "Le Printemps des insoumis" sorti en 1998 (chez Ramsay), Danielle Mitterrand concevait ainsi le racisme : « Le racisme, à l'évidence, concerne moins l'origine des êtres que l'épaisseur de leur portefeuille. Mais il a une fonction bien commode : tandis que les pauvres, étrangers ou non, s'entre-déchirent dans leur misère, ils ne se posent pas de question sur la logique qui les broie. La xénophobie, cette gangrène, nourrie par des démagogues en quête de pouvoir, gagne les esprits jusqu'au sein de l'État. ».
On lui a souvent reproché son amitié pour Fidel Castro qu'elle appréciait beaucoup et avait embrassé (notamment le 13 mars 1995 à Paris), elle refusait d'admettre qu'il était un dictateur. Elle a aussi pris position en faveur du front Polisario pour l'indépendance du Sahara occidental (au grand dam du roi du Maroc Hassan II, ami de François Mitterrand), soutenait Bernard Kouchner en 1992, et son dernier combat était pour l'accès à l'eau dans le monde, au point d'en faire la raison de son vote non au référendum du 29 mai 2005. Elle s'en est expliquée dans le "Journal du dimanche" en mars 2005 : « Si nous ne réagissons pas, cette Constitution libérale donnera définitivement le statut de marchandise à l’eau (…). Nous avons la responsabilité de nous élever contre une telle conception. ».
Parmi les très nombreuses rencontres de Danielle Mitterrand, citons le dalaï-lama, le sous-commandant Marcos, Abou Diouf, Nelson Mandela, Thabo Mbeki, Massoud Barzani, Rigoberta Menchu, Mumia Abu-Jamal, Leonard Peltier, etc. Dans leur détermination à avoir un État indépendant, elle a soutenu les Tibétains, les Sahraouis, les Kurdes, les Palestiniens (mais aussi les Israéliens), etc. En plus du droit des peuples à s'autodéterminer, Danielle Mitterrand tenait aussi à l'abolition de la peine de mort et elle faisait évidemment campagne pour cela aux États-Unis. Dans une préface d'une biographie sur elle publiée en 2012, l'historien Jean Lacouture a synthétisé ainsi : « Toujours en avance de deux pas sur notre temps. ». Elle-même disait : « Je savais que mon chemin me conduirait inéluctablement à dénoncer les atteintes à l’intégrité de la vie et à la dignité. ». En quelque sorte, comme militante internationale, Danielle Mitterrand tenait le même rôle que, pendant longtemps, Jimmy Carter, qui ont tous les deux le même âge.
Je propose deux vidéos ci-dessous, la première très hagiographique dont l'intérêt est de connaître plus précisément ses activités de militante, la seconde plus intéressante qui est une interview de près d'une heure accordée à la chaîne catholique KTO le 12 avril 2008.
Danielle Mitterrand a survécu plus d'une quinzaine d'années à son époux de Président, partant sur la pointe des pieds le matin du 22 novembre 2011 à l'hôpital Georges-Pompidou de Paris, à l'âge de 87 ans. Cette nouvelle a ému beaucoup de personnalités étrangères avec qui elle avait tissé des liens profonds. Elle n'a pas rejoint François Mitterrand à Jarnac mais sa sœur Christine au cimetière de Cluny.
Le 27 octobre 2011 à son domicile parisien (rue de Bièvre), Danielle Mitterrand avait accordé sa dernière interview aux journalistes Corine Chabaud et Élisabeth Marshall pour l'hebdomadaire catholique "La Vie" (l'entretien a été publié dans son intégralité le 24 novembre 2011, donc après sa mort). Fatiguée mais sereine, elle y donnait en guise de testament politique cette réflexion personnelle : « La vie est la valeur la plus importante. Le XXe siècle a apporté beaucoup de progrès en matière de technologies. Mais elles doivent être au service de la vie. J’attends que l’on sorte de la croissance, qui amplifie la pauvreté et les inégalités. Je milite pour une société nouvelle. L’argent rend fou. Il n’est pourtant qu’un outil. Il faut que les valeurs marchandes ne comptent que ce pour quoi elles doivent compter. Il faut que la peur recule. Aujourd’hui, on a peur de perdre sa maison, son travail, sa santé, d’aller dans la rue, de rencontrer son voisin. On a peur de vivre. À tort. Il faut bâtir un monde solidaire. ». L'Insoumise en Utopie ! Utopie un jour, Utopie toujours.
« Naufragés des légendes, victimes raides et hâtives, je sais que vous n'êtes pas morts de la mer, que vous n'êtes pas morts de la faim, que vous n'êtes pas morts de la soif, car, ballottés sous le cri des mouettes, vous êtes morts d'épouvante. Ainsi ce fut bientôt pour moi une certitude : beaucoup de naufragés meurent bien avant que les conditions physiques ou physiologiques ne soient devenues, par elles-mêmes, mortelles. Comment combattre le désespoir, meurtrier plus efficace et plus rapide que n'importe quel facteur physique ? » (Alain Bombard, 1953).
Le médecin et biologiste français Alain Bombard est né il y a 100 ans, le 27 octobre 1924, à Paris. Il est difficile de présenter Alain Bombard qui a aussi goûté à la vie politique avec l'arrivée au pouvoir de la gauche, parce qu'il fait partie des héros des temps modernes, de ces explorateurs de la mer qui ont apporté quelque chose au monde, notamment sur la capacité de survivre en pleine mer. Son intuition de départ, c'est que c'est d'abord l'esprit qui flanche quand le naufrage s'effondre. Avant le corps. Et il a tenté de le prouver.
On pourrait dire comme La Palice qu'avant d'être vieux et de ressembler, avec sa barbichette, aux savants comme les représentaient Hergé dans Tintin voire Franquin dans Spirou ou Morris dans Lucky Luke, un look très représentatif avant même de voir ses cheveux blanchir, il était jeune. Et c'est bien le jeune, très jeune, avant les 30 ans, qui a fait l'exploit qui a marqué son époque et son destin.
Et d'abord, un contexte, ses années d'études au lycée Henri-IV et à l'École alsacienne, puis à Saint-Brieuc. Pendant ses vacances en Bretagne, il a découvert sa passion de la voile, sur une plage fréquentée depuis des décennies par de grandes familles de scientifiques, Jean Perrin, Marie Curie, et il a connu Frédéric Joliot-Curie qui a été son moniteur de voile. Pour terminer ses études de médecine, il s'est installé à Boulogne-sur-Mer.
Dans un livre autobiographique, il a raconté un événement déclencheur qui n'a pas été exactement ce qu'il a raconté, à savoir qu'au printemps 1951, il a dû s'occuper des corps de 43 marins morts dans le naufrage de leur chalutier. En fait, le naufrage aurait fait plutôt une dizaine de morts, mais qu'importe, les statistiques étaient monstrueuses : il y a 200 000 morts en mer chaque année, dont 50 000 dans des bateaux de sauvetage. Son objectif, c'était de trouver des moyens de survivre à un naufrage en pleine mer : résistance à la soif, à la faim, à la fatigue, à l'hypothermie, etc.. et surtout, au moral et à la dépression.
Alain Bombard a traversé la Manche à la nage, ce qui relevait déjà d'un exploit sportif exceptionnel : il fallait beaucoup de préparation, s'enduire le corps de graisse pour résister au froid de la mer, etc. Cet événement a notamment permis à la romancière Marie Vareille d'écrire son excellent roman "Désenchantées" sorti en 2022 (éd. Charleston). À l'époque, cet exploit a été déterminant pour Alain Bombard qui a pu ainsi trouver des sponsors et financer son propre laboratoire intégré à l'Institut océanographique de Monaco. Il voulait montrer qu'on pouvait éviter la déshydratation en buvant de l'eau de mer et de l'eau de pluie, ainsi que se prémunir de la faim en mangeant des planctons.
Petit rappel : les naufragés qui n'ont pas d'eau potable refusent généralement de boire l'eau de mer car elle est beaucoup trop salée ce qui flingue les reins et accélère la déshydratation du corps. Alain Bombard voulait montrer qu'en prenant une quantité raisonnable d'eau de mer (un demi-litre par jour), on pouvait survivre à un absence d'eau potable, mais cette ration était insuffisante et on devait quand même trouver de l'eau ailleurs, en pressant les poissons pêchés (sauf la raie) ou en récupérant l'eau de pluie (cet aspect essentiel de survie reste encore en débat, notamment sur l'eau présente dans les poissons).
Après quelques traversées seul ou accompagné, Alain Bombard a effectué en solitaire la traversée de l'Atlantique. Son périple est allé de Tanger le 13 août 1952 à La Barbade le 23 décembre 1952 (avec une étape à Las Palmas le 19 octobre 1952), à bord de L'Hérétique, son petit Zodiac, se laissant dériver volontairement sans nourriture ni eau (avec seulement une voile, deux avirons, quelques instruments de navigation, un couteau et quelques livres) pendant cent treize jours pour montrer qu'on pouvait en survivre, mais il a bien cru qu'il allait en mourir. Il a perdu vingt-cinq kilogrammes et a été hospitalisé à son arrivée (il a fêté son 28e anniversaire seul en pleine mer). Il a survécu grâce au croisement avec un cargo qui lui a permis de prendre un repas et de corriger son orientation. Il a survécu aussi en pêchant des poissons, en attrapant des oiseaux, qu'il mangeait crûs faute de pouvoir les cuire, etc. Il relevait quotidiennement sa tension artérielle (les faibles tensions étant une alerte des moments de désespoir).
Cette traversée a montré par l'exemple qu'on pouvait survivre en pleine mer sans rien avec de soi. Sa thèse, c'était que les naufragés mouraient plus de désespoir que de faim et de soif, ou, plus exactement, qu'ils mouraient d'abord de désespoir avant de mourir de faim et de soif. Il a raconté sa terrible traversée dans "Naufragé volontaire" sorti en 1953 (Éditions de Paris), premier des onze essais ou récits qu'il allait publier jusqu'à la fin de sa vie. Cela a inspiré, entre autres, le film "All Is Lost" de J. C. Chandor (sorti le 18 octobre 2013) avec pour seul acteur Robert Redford au dialogue très léger (inexistant : il est naufragé tout seul). Considéré comme un chef-d'œuvre, j'ai quand même trouvé ce film un peu ennuyeux !
En tout cas, la notoriété d'Alain Bombard était faite, et il l'utilisa tant pour la construction d'équipements de navigation que pour des combats pour l'environnement et la protection de la mer, en particulier en 1963 contre le déversement des boues rouges dans la Méditerranée par une usine de Péchiney à Gardanne. Il a donc été parmi les premiers lanceurs d'alerte écologique à une époque où on ne s'en préoccupait pas vraiment.
Alain Bombard a participé à la conception de radeaux de sauvetage dont la présence sur les embarcations était devenue obligatoire par la réglementation à partir des années 1950. Notamment, on l'appelle désormais par son nom, un Bombard, un radeau de sauvetage pneumatique à gonflage rapide conçu en 1972. Il a milité pour le caoutchouc au détriment du bois dont étaient constituées traditionnellement les chaloupes de sauvetage. Les travaux d'Alain Bombard ont toutefois provoqué un tragique drame accidentel le 3 octobre 1958 dans la baie d'Étel où le navigateur a profité d'une alerte météorologique de forte tempête pour justement tester son canot de sauvetage. Très rapidement, les sept occupants du canot ont été éjectés dans la mer, et le bateau chargé de les secourir a lui-même eu un accident et a chaviré, ce qui a fini par un bilan très lourd, neuf morts, dont quatre occupants du canots et cinq marins sauveteurs.
L'enquête a mis hors de cause Alain Bombard dans la responsabilité de cet accident mais il en est toutefois ressorti un amer goût de faute. Cela l'a entraîné dans une dépression dans les années 1960 dont il est sorti grâce à sa rencontre avec l'entrepreneur Paul Ricard, fondateur du célèbre pastis et maire d'une commune du Var dans les années 1970, Signes, près du circuit de Castellet qu'il a contribué à financer et qui a pris son nom, et mécène d'Alain Bombard, Alain Colas et Éric Tabarly.
Remis en état de travailler avec ce nouveau laboratoire financé par Paul Ricard, Alain Bombard a adhéré au PS dans sa lancée, en 1974, s'est fait élire conseiller général de Six-Fours-les-Plages (dans le Var) de 1979 à 1985 (pour un mandat de six ans), et, présent sur la liste du PS aux élections européennes de 1979, 1984 et 1989, il a été député européen de septembre 1981 à juillet 1994. Entre-temps, François Mitterrand l'a nommé Secrétaire d'État auprès du Ministre de l'Environnement dans le premier gouvernement de Pierre Mauroy du 22 mai 1981 au 23 juin 1981, mas il n'a pas été reconduit après les élections législatives de juin 1981 en raison de ses déclarations souhaitant l'interdiction de la chasse à courre. Il a donc fait partie de ces ministres météores, à l'instar de Jean-Jacques Servan-Schreiber en 1974 et de Léon Schwartzenberg en 1988, qui n'ont pas beaucoup duré pour la raison que fondamentalement, leur personnalité n'était pas compatible avec les responsabilités politiques qui imposent nécessairement d'avaler quelques couleuvres (Nicolas Hulot, c'est différent car il a avalé quelques couleuvres avant de démissionner).
La vie d'Alain Bombard est très riche et déconcertante car son esprit a toujours été hors des sentiers battus. Médecin, il a pris la mer pour passion : « Nous devons quitter la Méditerranée pour rentrer dans quelque chose de beaucoup plus grand, qui me semble démesuré. L'Atlantique, cet océan qui a englouti un continent pour lui prendre son nom, que serait-ce pour lui de submerger notre frêle esquif ! » (1953).
Dans "Au-delà de l'horizon" sorti en 1978 aux Presses de la Cité, le célèbre naufragé volontaire a expliqué en particulier ceci : « On me pose souvent la question : comment avez-vous fait pour traverser l'Atlantique, sur un bateau qui faisait quatre mètres cinquante de long ? C'est relativement simple. Sur un grand océan, deux vagues sont séparées par deux cents mètres, il y a deux cents mètres de longueur d'onde ; avec un petit bateau de quatre mètres cinquante, on épouse sans difficulté les différents reliefs de la mer. Tandis qu'un navire de cent mètres de long aura l'avant dans le creux, le cul sur le sommet de la vague, et c'est ce qui provoque roulis et tangage qui mettent à mal les gros bateaux. D'où l'idée orgueilleuse des hommes née au XVIe et XVIIe siècles : "construisons des navires incoulables, des navires qui ne feront jamais naufrage". Tous, sauf un, seront vaincus par ma mer... ».
Alain Bombard était également passionné par la musique au point d'envisager de devenir compositeur ou chef d'orchestre : « J’ai un grand besoin de ressentir la filiation des œuvres les unes avec les autres. Pour moi, il n’y a pas de rupture entre cette petite phrase pensive dans L’Estro Armonico de Vivaldi, et cette grande pensée triste de Beethoven dans son quatuor à cordes n°10. Il y a une continuité… » avait-il confié sur France Musique en 1980. Il était l'ami d'Igor Stravinsky, de Fernandel, de physiciens, de vendeurs d'alcool, de François Mitterrand, etc., bref, de personnalités de domaines et d'univers très différents. Volontiers cabotin, il était conteur ; il adorait depuis toujours raconter de belles histoires, au risque de les embellir. En somme, Bombard et Bobard, il n'y a qu'un m qui sépare ces mots, celui d'aimer l'aventure, les aventures.
Homme de médias depuis les années 1950, Alain Bombard a participé à de nombreuses émissions de radio et de télévision, en particulier l'émission "Radioscopie" produite par Jacques Chancel le 5 mai 1980 sur France Inter. Alain Bombard est mort à Toulon il y a un peu moins de vingt ans, le 19 juillet 2005 à l'âge de 80 ans, inscrit depuis longtemps dans tous les livres d'histoire comme une légende de la navigation en mer.
« Quelque chose se passe en Amérique ! Vous pouvez le sentir, quelque chose pour lequel nous avons travaillé et dont nous rêvons depuis longtemps ! » (Hillary Clinton, le 19 août 2024 à Chicago).
Le vote des femmes sera déterminant. Le thème de l'avortement est très présent dans la campagne électorale. Mais dans quel sens ? Laissons Claude Chabrol aux salles obscures et traversons l'Atlantique... Les élections présidentielles du 5 novembre 2024 aux États-Unis sont particulièrement incertaines. Après un départ en fanfare, la candidature de Kamala Harris s'est essoufflée et son adversaire Donald Trump a repris un léger avantage dans les sondages, malgré son échec au premier et unique débat télévisé entre les deux candidats qui a eu lieu le 10 septembre 2024.
Je souhaite revenir au début de la Convention nationale des démocrates à Chicago. La première soirée, celle du 19 août 2024, le Président Joe Biden y a fait un grand discours, peut-être même un discours d'adieu, remercié par les nombreux participants démocrates qui l'ont ovationné. Mais une autre personnalité importante du parti démocrate a pris la parole dans la même soirée, l'ancienne candidate Hillary Clinton, celle-là même qui a été battue par Donald Trump en novembre 2016. Après tout, ils sont rares les moments où l'ancienne première dame s'exprime publiquement et ouvertement, et elle l'a fait deux jours avant son mari Bill Clinton.
Ce samedi 26 octobre 2024, Hillary Clinton fête son "seulement" 77e anniversaire (elle est née à Chicago). Un an et demi de moins que Donald Trump ou Bill Clinton. Elle a été la première dame des États-Unis du 20 janvier 1993 au 20 janvier 2001, puis sénatrice élue en 2000 puis en 2006, et après son échec aux primaires démocrates de 2008, elle a été nommée Secrétaire d'État (équivalent de Ministre des Affaires étrangères et premier des ministres) par Barack Obama du 21 janvier 2009 au 1er février 2013 (précédant un autre candidat battu des présidentielles, John Kerry).
Non seulement Hillary Clinton compte dans la vie politique américaine, mais elle a sans doute l'impression que la bataille de Kamala Harris est une sorte de revanche sur 2016, tandis que le combat de Donald Trump se veut être une revanche sur 2020. Il y a eu un goût d'inachevé dans la candidature d'Hillary Clinton dont la trajectoire présidentielle a été très laborieuse malgré l'étiquette de favorite collée à la peau pendant longtemps : elle a échoué lamentablement aux primaires contre Barack Obama puis à l'élection contre Donald Trump. A-t-elle un conseil à donner à Kamala Harris ? Sans doute d'être combative et d'être aussi péremptoire que son rival. Dans un combat de boxe, il faut savoir encaisser des coups, mais il faut aussi en donner. Kamala Harris a en 2024 environ dix ans de moins qu'Hillary Clinton en 2016 : ça compte, à ce stade. L'âge devient un argument de vente important, d'autant plus qu'ont été observées quelques "absences" du candidat républicain.
L'ancienne Secrétaire d'État est arrivée à la tribune de la Convention démocrate avec des tonnerres d'applaudissements, à tel point qu'elle ne pouvait pas commencer à parler ! L'occasion, pour elle, de faire un bain de jouvence. Elle a réussi à obtenir le silence après un : « Wow ! Il y a beaucoup d'énergie dans cette salle, tout comme il y en a à travers le pays ! » (c'était pareil à la Convention républicaine, il y a toujours beaucoup de participation et d'enthousiasme, dans les conventions d'investiture). Ces ovations étaient pour elle surtout un hommage d'avoir ouvert la voie à une candidature féminine de première importance.
Dans un premier temps, exercice obligé de tous les orateurs de cette convention, Hillary Clinton a rendu hommage à Joe Biden, mais très mollement : « Il a été le champion de la démocratie au pays et à l'étranger. Il a ramené la dignité, la décence et la confiance à la Maison-Blanche. Il a montré ce que voulait dire être un vrai patriote. Merci Joe Biden pour votre service et votre leadership ! ».
Ensuite, elle est passée sur le mode féministe en rappelant sa mère Dorothy : « Dorothy est née ici même à Chicago, avant que les femmes n'aient le droit de vote (…) il y a 104 ans hier. (…) Le Tennessee est devenu le dernier État à ratifier le dix-neuvième amendement de la Constitution. La législature de l'État était dans l'impasse jusqu'à ce que la mère d'un législateur, une veuve qui lisait trois journaux par an, envoie une lettre à son fils : "Ne tarde plus, nous écrit-elle, donne-nous le droit de vote", et depuis ce jour, chaque génération a porté le flambeau. ». Effectivement, Dorothy Emma Rodham est née le 4 juin 1919 et le dix-neuvième amendement généralisant le droit de vote des femmes à l'ensemble des États-Unis a été intégré dans la Constitution américaine le 18 août 1920 (en France, il a fallu attendre le 21 avril 1944 !).
Et d'évoquer les premières femmes candidates à la Présidence des États-Unis : « En 1972, une Noire intrépide, Shirley Chisholm, membre du Congrès, elle s'est présentée à la Présidence, et sa détermination m'a permis, ainsi qu'à des millions de femmes, de rêver en plus grand, non seulement à cause de ce qu'elle était, mais pour qui elle s'est battue : pour les parents qui travaillaient, pour les enfants pauvres (…). En 1984, j'ai amené ma fille voir Geraldine Ferraro, la première femme nommée candidate à la Vice-Présidence. ». Geraldine Ferraro a été la première femme candidate à la Vice-Présidence en binôme avec Walter Mondale, face au Président sortant Ronald Reagan.
Hillary Clinton a poursuivi : « Si nous avons pu le faire [être candidate à la Vice-Présidence], John Kerry a dit alors que nous pouvions tout faire. Et puis, il y a eu 2016 où ce fut l'honneur de ma vie d'avoir accepté la nomination de notre parti comme candidate à la Présidence. Et près de 66 millions d'Américains ont voté pour un avenir où il n'y a pas de limite à nos rêves ! Et après, nous avons refusé d'abandonner l'Amérique. Des millions ont défilé, beaucoup se sont présentées aux élections, nous avons gardé les yeux rivés sur l'avenir. Eh bien, mes amis, l'avenir est ici ! J'aimerais que ma mère et la mère de Kamala puissent nous voir. Elles nous diraient : "Continuez !". Shirley et Jerry nous diraient : "Continuez, les femmes !". » (la mère d'Hillary est morte le 1er novembre 2011 et celle de Kamala Harris, la cancérologue Shyamala Gopalan, est morte le 11 février 2009 ; Shirley Chisholm est morte le 1er janvier 2005 et Geraldine Ferraro le 26 mars 2011).
Le discours d'Hillary Clinton était donc résolument féministe et son "nous" se rapportait souvent aux femmes : « Les femmes qui se sont battues pour les soins de la santé reproductive disent : "Continuez !". Les familles qui cherchent à construir une vie meilleure, les parents qui s'efforcent d'avoir une garde d'enfants, les jeunes qui ont du mal à payer leur loyer, ils nous demandent tous de continuer ! La foi des uns dans les autres, la joie dans nos cœurs, envoyons Kamala Harris et Tim Walz à la Maison-Blanche ! ».
Est venue la raison du vote pour Kamala Harris : « Vous connaissez l'histoire de ma vie et l'histoire de notre pays, c'est que le progrès est possible mais n'est pas garanti. Nous devons nous battre pour cela, et ne jamais abandonner. Il y a toujours le choix : avancer ou reculer. Nous rassembler en tant que peuple ou nous diviser. (…) C'est le choix auquel nous sommes confrontés dans cette élection. Kamala a le caractère, l'expérience et la vision pour nous faire avancer. Je connais son cœur et son intégrité. Nous avons toutes les deux fait nos débuts comme de jeunes avocates qui ont aidé des enfants maltraités et négligés. Ce genre de travail change une personne (…). Kamala porte avec elle les espoirs de chaque enfant qu'elle a protégé, de chaque famille qu'elle a aidée, de chaque communauté qu'elle a servie. Ainsi, Présidente, elle nous soutiendra toujours et elle sera une combattante pour nous, elle se battra pour que les employeurs ouvrent grandes les portes à des emplois bien rémunérés aux familles qui travaillent dur et, oui, elle rétablira le droit à l'avortement dans tout le pays. En tant que procureure, Kamala a enfermé des meurtriers et des trafiquants de drogue. Elle ne sera jamais au repos pour défendre notre liberté et notre sécurité. (…) Je peux vous dire qu'en tant que commandante en chef, Kamala ne manquera pas de respect à nos militaires et à nos anciens combattants. Elle vénère nos récipiendaires de la Médaille d'honneur. Elle n'enverra pas de lettres d'amour aux dictateurs. Elle défendra la démocratie et notre Constitution et protégera l'Amérique des ennemis étrangers et intérieurs. ».
Une allusion au rival Trump qui en a pris pour son grade : « Donald Trump s'est endormi lors de son propre procès et quand il s'est réveillé, il a inscrit son propre cas dans l'histoire, le premier à se présenter à la Présidence avec trente-quatre condamnations pour crimes ! (…) Pensez-y, la Constitution dit que le devoir du Président est de veiller à ce que les lois soient fidèlement appliquées, ce sont les paroles de nos fondateurs. Faites attention, regardez simplement les candidats. Qui se soucie des enfants et des familles ? Qui se soucie de l'Amérique ? Donald ne se soucie que de lui-même ! Lors de son premier jour dans un tribunal, Kamala a dit cinq mots qui ont toujours guidé sa vie : Kamala Harris pour les gens ! C'est quelque chose que Donald Trump ne comprendra jamais. (…) Nous devons travailler plus dur que jamais. Nous devons repousser les dangers que Trump et ses alliés représentent pour l'État de droit et notre mode de vie. Ne vous laissez pas distraire ou n'en parlez pas avec complaisance à vos amis et voisins. (…) Soyez fiers de défendre la vérité et le pays que nous aimons tous ! ».
Ce fameux plafond de verre d'une femme à la Maison-Blanche obsède tant l'ancienne candidate démocrate : « Peu importe ce que disent les sondages. Nous ne pouvons pas abandonner. Nous ne pouvons pas nous laisser entraîner sur le terrains des conspirateurs délirants. Nous devons nous battre pour la vérité. Nous devons nous battre pour Kamala car elle se battra pour nous ! Parce que vous savez ce qu'il faut encore au village pour élever une famille, guérir un pays et gagner une campagne ! (…) Nous ne nous contentons pas d'élire un Président, nous élevons notre nation, nous ouvrons l'espoir de l'Amérique assez largement pour que tout le monde soit ensemble, nous avons fait beaucoup de fissures dans le plafond de verre le plus dur. Et ce soir, si près de le percer, une fois pour toutes, je veux vous dire ce que je vois à travers toutes ces fissures et pourquoi c'est important pour chacun d'entre nous. Que vois-je ? Je vois la liberté, je vois la liberté de prendre nos propres décisions concernant notre santé, nos vies, nos amours, nos familles, la liberté de travailler dans la dignité et de prospérer, de pratiquer notre religion comme nous choisissons ou pas d'exprimer librement et honnêtement nos pensées. Je vois l'absence de peur, d'intimidation, de violence, d'injustice, de chaos et de corruption. Je vois la liberté de regarder nos enfants dans les yeux et de leur dire : vous pouvez aller aussi loin que votre travail acharné et votre talent vous mèneront. ».
Elle a terminé en bouquet final : « Vous savez ce qu'il y a de l'autre côté du plafond de verre ? Il y a Kamala Harris qui lève sa main et prête serment en tant que 47e Présidente des États-Unis. Parce que, mes amis, quand une barrière tombe pour l'une d'entre nous, elle tombe, elle tombe et ouvre la voie pour nous toutes ! (…) Je veux que mes petits-enfants et leurs petits-enfants sachent que j'étais ici, à ce moment, que nous étions ici et que nous étions avec Kamala Harris à chaque étape de ce processus. Notre époque, l'Amérique, c'est le moment où nous nous levons, c'est le moment où nous percevons le futur ! ».
Ce qu'on peut dire, c'est que, malgré l'âge, Hillary Clinton a encore du dynamisme à revendre et qu'elle est une oratrice exceptionnelle. Mais ce qu'on peut aussi regretter, c'est le cas pour tous les leaders politiques et c'est très étrange pour un observateur français, c'est la vacuité absolue des discours politiques aux États-Unis ! Il n'y a que des idées très générales, très vagues, qui peuvent se dire en tout temps, et il n'y a jamais rien de concret, rien dans la réalité d'un programme politique, rien dans la vision de la politique économique ou de la politique étrangère. Seulement de la gueule. Et je le dis bien sûr pour tous les leaders, et un discours de Donald Trump serait encore pire dans la vacuité et le niveau intellectuel qui pourrait se comparer à celui d'une classe d'école primaire.
Quand on prend un discours de campagne en France, quel que soit le parti du candidat, l'auditeur en a pour son argent, il aura par la suite mille sujets de conversation, d'énervement, d'accords et de désaccords, mais pas ce vide dans les campagnes américaines qui se résume finalement à la seule question électoralement utile : qui a la plus grosse ? (...gueule, bien sûr !). Très étrange pays que sont les États-Unis !
« Dans ce pays, en vertu de notre Constitution, notre Président a l'obligation particulière et solennelle d'assurer et de garantir la transition pacifique du pouvoir. Depuis le début de la République, tous les Présidents de notre histoire ont rempli ce devoir. Tous les Présidents jusqu'à Donald Trump. » (Liz Cheney, le 3 octobre 2024 à Ripon).
L'élection du futur Président des États-Unis le 5 novembre 2024 est une élection décidément exceptionnelle. Elle l'est déjà par l'extrême incertitude qui pèse sur l'identité du futur vainqueur, les deux candidats Donald Trump et Kamala Harris ayant une différence d'intentions de vote dans les sondages extrêmement faible. Elle l'est aussi parce que, pour la seconde fois, après 2016, une femme est en capacité très sérieuse de gravir la dernière marche de la Maison-Blanche, Kamala Harris avait gravi déjà l'avant-dernière marche en étant la première femme Vice-Présidente des États-Unis. Elle l'est encore par le niveau très bas des arguments, par l'âge d'un des protagonistes (à plus de 78 ans, Donald Trump est devenu le grand candidat le plus âgé de l'histoire américaine), par la remise en cause des institutions, par les tentatives d'assassinat, par la situation internationale très grave dont les tensions sont au plus fort depuis la fin de la guerre (guerre en Ukraine, tensions à Taïwan, tensions entre les deux Corée, conflits au Proche-Orient, etc.).
Mais elle l'est enfin surtout parce que les États-Unis sont complètement divisés, le peuple est profondément clivé entre des gens en perte d'identité qui veulent retrouver la fierté d'être Américains, et surtout le rêve américain, et des gens raisonnables, bien établis, qui veulent faire avancer leur pays en oubliant les laissés-pour-compte. Ainsi, les clivages politiques ont complètement éclaté une nation en proie à une nouvelle sécession, bien plus grave qu'à la fin du XIXe siècle.
D'un côté, un milliardaire narcissique qui, par populisme effréné, se prétend le défenseur des plus pauvres, et globalement, il y réussit (contre toute évidence), soutenu même par de jeunes Noirs américains qui voient par l'élection de Donald Trump le moyen de prendre l'ascenseur social. Amusante séquence de voir Donald Trump apprendre à cuire les frites dans un fast-food à la marque bien connue, l'image sera populaire car il fait le travail ordinaire d'un précaire, mais elle est bien plus profonde que cela, c'est aussi l'image de la promotion de la malbouffe, et, finalement, de la défense de ceux qui mangent sans beaucoup de moyens face aux menus équilibrés, diététiques, avec de la nourriture bio, etc. mais coûteuse (la malbouffe a encore tué un mangeur de hamburgers chez MacDonald's le 22 octobre 2024 dans le Colorado en raison d'une intoxication à la bactérie escherichia coli qui a infecté quarante-neuf personnes dont dix hospitalisées dans dix États de l'Ouest des États-Unis).
De l'autre côté, des responsables politiques parfois de premier plan très engagés au sein du parti républicain ont refusé de soutenir Donald Trump, surtout depuis l'invasion du Capitole le 6 janvier 2021 qui a provoqué cinq morts, et soutiennent désormais la candidate démocrate Kamala Harris. C'est le principe du double patriotisme : le patriotisme du pays l'emporte sur le patriotisme du parti, plus patriote que partisan. Les démocrates ont cette expression qu'ils mettent à toutes les sauces en ce moment avec raison : "PutCountry Over Party".
L'ancienne députée Liz Cheney fait partie de ces responsables républicains qui n'ont pas accepté la très grande légèreté qu'a adoptée Donald Trump avec la démocratie américaine. Il faut bien comprendre que si les Américains sont très croyants (il n'y a pas un discours politique qui ne termine par une évocation de Dieu, ce qui peut étonner en France !), leur Constitution est également chérie comme une Bible, la plus ancienne Constitution écrite au monde, d'ailleurs, ce qui signifie aussi la plus vieillotte par rapport à la société d'aujourd'hui (en particulier sur la possibilité, observée plusieurs fois et encore en 2016 et en 2000, que le Président élu n'est pas le candidat qui a reçu le plus de suffrages populaires), et la démocratie américaine n'est pas une vaine expression, la preuve, c'est par ce messianisme que les plus va-t-en-guerre ont envahi l'Irak afin de faire progresser la démocratie, ce qui était à la fois stupide, peu pertinent, prétentieux, et surtout meurtrier.
Qui est Liz Cheney ? Elle était, sous la Présidence Trump, l'une des responsables les plus importantes du parti républicain, la numéro trois des représentants républicains (équivalent de députés). Elle a été élue trois fois membre de la Chambre des représentants des États-Unis, élue dans le Wyoming, de 2016 à 2022 (le mandat est de deux ans). À 58 ans, avocate, Liz Cheney a toujours été membre du parti républicain. Son premier vote, à l'âge de 18 ans (en 1984), l'a été pour faire réélire Ronald Reagan à la Maison-Blanche. En 2002, elle travaillait au gouvernement pour assurer la sécurité et promouvoir les intérêts économiques des États-Unis au Moyen-Orient. En 2012, elle est devenue aussi une éditorialiste politique de la chaîne de télévision Fox News (l'équivalent américain de la chaîne française CNews, si l'on peut l'écrire).
À l'instar de son père, Dick Cheney, Vice-Président des États-Unis de 2001 à 2009 et Ministre de la Défense de 1989 à 1993, Liz Cheney est ce qu'on peut appeler un faucon (c'est-à-dire une néoconservatrice), à savoir une républicaine favorable à l'intervention militaire des États-Unis partout où ce serait nécessaire pour assurer la paix et la démocratie et pour confirmer la puissance américaine, politique mais aussi militaire et économique. Elle a même fondé une organisation pour attaquer en justice les avocats des personnes détenues illégalement au camp de Guantanamo pour manquement à leur patriotisme. Comme beaucoup d'Américains, elle est aussi très attachée à la démocratie américaine.
C'est la raison pour laquelle elle a franchi le pas en 2013. Elle s'est présentée à la primaire des sénatoriales dans le Wyoming (un État très conservateur), contre le sénateur républicain sortant Mike Enzi. Soutenue par de nombreux sénateurs républicains, elle s'est fait aussi connaître par une opposition familiale puisqu'elle s'est déclarée opposée au mariage homosexuel alors que sa propre petite sœur Mary est mariée à une femme. Mais pour des raisons familiales (la santé de ses enfants), elle a finalement renoncé à concourir en janvier 2014.
Ce n'était que partie remise puisqu'elle s'est présentée, cette fois-ci à la Chambre des représentants, en 2016 dans le district at-large du Wyoming (dont son père a été l'élu de 1978 à 1989). Très soutenue financièrement et politiquement (notamment par George W. Bush et son père George H.W. Bush), elle a remporté la primaire sur ses concurrents républicains, puis l'élection (62%). Elle a été réélue deux autres fois en 2018 (64%) et 2020 (69%). En 2019, alors que la Chambre des représentants est repassée à majorité démocrate, Liz Cheney a été élue "présidente de la conférence républicaine" à la Chambre des représentants ["chair of the United States House of Representatives Republican Conference"], l'équivalent de numéro trois parmi les représentants républicains, c'est dire si son importance politique s'est accrue. Après le retrait de Mike Enzi, elle aurait pu choisir d'intégrer le Sénat aux élections de 2020, mais finalement, elle a préféré rester à la Chambre des représentants.
En 2016, en même temps que sa campagne pour se faire élire représentante, Liz Cheney a soutenu la candidature de Donald Trump contre Hillary Clinton et par fidélité au parti républicain et malgré un désaccord majeur sur la politique étrangère : Donald Trump est isolationniste alors qu'elle est interventionniste.
Elle s'est radicalement démarquée du trumpisme le 13 janvier 2021 quand elle a pris position, à l'instar de neuf autres représentants républicains, en faveur de la mise en accusation de Donald Trump dans la procédure d'impeachment. Le futur ancien Président a été accusé d'incitation à l'insurrection lors de l'invasion du Capitole de 6 janvier 2021, un événement qui l'a profondément marquée, tant pour l'atteinte à la démocratie que pour l'image déplorable que les États-Unis ont montrée d'eux à la Terre entière. C'était, pour elle, impardonnable de la part d'un Président des États-Unis d'avoir encouragé une telle insurrection.
Elle a expliqué sa position très ferme la veille, le 12 janvier 2021 : « Le 6 janvier 2021, une foule violente a attaqué le Capitole des États-Unis pour entraver le processus de notre démocratie et arrêter le décompte des votes des élections présidentielles. Cette insurrection a causé des blessures, des morts et des destructions dans l'espace le plus sacré de notre République. Le Président des États-Unis a convoqué cette foule, a rassemblé la foule et a allumé la flamme de cette attaque. Tout ce qui a suivi était de son fait. Rien de tout cela ne serait arrivé sans le Président. Le Président aurait pu intervenir immédiatement et avec force pour faire cesser la violence. Il ne l'a pas fait. Il n'y a jamais eu de plus grande trahison par un président des États-Unis de sa fonction et de son serment à la Constitution. Je voterai pour mettre le président en accusation. » (citée par Wikipédia). Au même titre que la Constitution est considérée comme une Bible par la plupart des Américains, le Capitole est considéré comme le sanctuaire de la démocratie américaine, l'équivalent du Vatican pour l'Église catholique.
Le courage politique de Liz Cheney, celui de s'être opposé à Donald Trump qui attise l'antiparlementarisme et le rejet institutions américaines (pour la grande majorité d'entre eux, les Américains sont très légalistes et très légitimistes, par patriotisme), ce courage lui a coûté d'abord son poste dans la hiérarchie du parti républicain puis son siège à la Chambre des représentants en 2022, puisque Donald Trump l'a fait battre par une candidate trumpiste (l'avocate Harriet Hageman) à la primaire du 16 août 2022 pour les élections législatives (Liz Cheney a été très largement battue avec 35 points de retard).
Précisons toutefois que le 4 février 2021, elle avait reçu d'abord la confirmation de ses responsabilités au sein du groupe politique par 145 représentants républicains contre 60, mais elle a été finalement limogée le 12 mai 2021 et a très activement participé à la commission d'enquête sur l'invasion du Capitole (elle en était la vice-présidente et elle a publié un livre de documentation sur le sujet sous le titre "Oath and Honor" [Serment et Honneur]). Précisons aussi que pendant sa bataille pour la primaire des représentants en été 2022, Liz Cheney a fait appel aux électeurs démocrates pour la soutenir et a voté comme les démocrates à la Chambre des représentants pour le contrôle des armes à feu et pour la protection du mariage homosexuel.
La position actuelle de Liz Cheney n'était donc pas une surprise. Enfin, si, un peu quand même. Son antitrumpisme était connu, mais son adhésion enthousiaste à la candidature de Kamala Harris était une surprise. À la campagne présidentielle précédente, elle n'avait pas hésité à attaquer durement la future Vice-Présidente, comme le montre ce tweet du 12 août 2020 : « Kamala Harris is a radical liberal who would raise taxes, take away guns & health insurance, and explode the size and power of the federal gov’t. She wants to recreate America in the image of what’s happening on the streets of Portland & Seattle. We won’t give her the chance. » [Kamala Harris est une gauchiste radicale qui voudrait augmenter les impôts, supprimer les armes et l'assurance maladie, et faire exploser les compétences et le pouvoir du gouvernement fédéral. Elle veut recréer l'Amérique à l'image de ce qui se passe dans les rues de Portland et de Seattle. Nous ne lui en donnerons pas l'occasion].
C'est pourquoi les auditeurs de l'Université Duke ont été étonnés par l'annonce officielle du soutien de Liz Cheney à Kamala Harris. En effet, invitée à s'exprimer au cours d'une conférence à l'occasion du centenaire de cette université, le 4 septembre 2024 à Durham, en Caroline du Nord, Liz Cheney a fait son coming out : « As a conservative, as someone who believes in and cares about the Constitution, and because of the danger Donald Trump poses, I will be voting for Kamala Harris. » [Elle a dit précisément : En tant que conservatrice, en tant que personne qui croit en la Constitution et qui s’en soucie, j’ai profondément réfléchi à cela. En raison du danger que représente Donald Trump, non seulement je ne voterai pas pour lui, mais je voterai pour Kamala Harris].
La Caroline du nord est un État important et crucial dans la course présidentielle. C'était un bon "coup politique". Son père Dick soutient également la candidate démocrate, ainsi que James MacCain, le fils de l'ancien candidat républicain John MacCain (ancien sénateur de l'Arizona, un autre État clef), les anciens représentants républicains Adam Kinzinger et Denver Riggleman et de plus de deux cents anciens du gouvernement de George W. Bush et d'anciens salariés des campagnes présidentielles républicaines de John MacCain et Mitt Romney.
Le vote républicain dans les États pivots est essentiel dans la campagne de Kamala Harris avec ce thème central, la défense de la Constitution, en particulier en Pennsylvanie où plus de 150 000 électeurs républicains avaient voté pour Nikki Haley aux primaires républicaines malgré l'abandon de la candidate. Le comité d'action Haley Voters for Harris, dont la cible est les électeurs républicains de centre droit, a estimé que le nombre d'électeurs républicains ayant voté pour Nikki Haley pendant les primaires républicaines du printemps 2024 avant et après l'abandon de cette candidate serait suffisant pour faire basculer les États pivots comme l'Arizona, la Caroline du Nord et la Géorgie.
Liz Cheney a participé à son premier meeting commun avec Kamala Harris le 3 octobre 2024 à Ripon, dans le Wiscosin, dans le Wiscosin, où elle a déclaré : « Je vous le dis, je n'ai jamais voté pour un démocrate. Mais cette année, je suis fière de voter pour la Vice-Présidente Kamala Harris ! ». Depuis cette date (3 octobre 2024), Liz Cheney participe très activement à la campagne de Kamala Harris, en particulier en intervenant aux côtés de la candidate démocrate à deux talk-shows le 21 octobre 2024, l'un à Chester, en Pennsylvanie, et l'autre, le même jour, à Birmingham, dans le Michigan.
Certains évoquent déjà la possibilité qu'elle puisse être désignée Ministre des Affaires étrangères (Secrétaire d'État) ou Ministre de la Défense (Secrétaire à la Défense) en cas d'élection de Kamala Harris. Mais c'est beaucoup trop tôt pour l'envisager. L'élection du 5 septembre 2024 est encore loin d'être acquise. Mais si les femmes américaines se mobilisent, alors Kamala Harris aura sa chance car le droit à l'avortement est un thème majeur de cette campagne électorale.