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  • L'avenir de l'Europe s'ouvre avec Friedrich Merz

    « Tous les signaux que nous recevons en provenance des États-Unis indiquent que l'intérêt pour l'Europe y faiblit de manière significative. » (Friedrich Merz, le 24 février 2025).



     

     
     


    Je comprends que l'élection du nouveau pape et les moindres gestes de Donald Trump, qui peuvent faire basculer la planète, sont des sujets très importants de la politique internationale, mais je m'étonne que la presse française évoquent assez peu la situation politique de l'Allemagne et la future investiture du nouveau Chancelier d'Allemagne fédérale, le chrétien-démocrate Friedrich Merz (69 ans) qui prendra ses fonctions le mardi 6 mai 2025 après son élection attendue au Bundestag. Car tout ce qui concerne notre voisin et partenaire allemand nous concerne, nous la France, et concerne l'Europe.

    Friedrich Merz a franchi le dernier obstacle à sa conquête du pouvoir, l'approbation par 84,6% des adhérents (avec une participation de 56%) du SPD, le parti social-démocrate (celui de son futur prédécesseur Olaf Scholz), le 30 avril 2025 en faveur du contrat de la grande coalition SPD-CDU/CSU construite à l'issue des élections fédérales du 23 février 2025. Deux jours après l'approbation des adhérents de la CDU (le 28 avril 2025 à une « majorité écrasante ») et vingt jours après celle de la CSU bavaroise (le 10 avril 2025 à l'unanimité).

    La configuration parlementaire au Bundestag est telle qu'aucun gouvernement n'aurait pu être nommé sans cette alliance des deux grands partis gouvernementaux, après la bonne performance de l'extrême droite (AfD) qui a dépassé le SPD.


    Les négociations ont donc duré un peu plus de deux mois (à peu près le temps qu'a mis le gouvernement de Michel Barnier pour se mettre en place en automne 2024). Le 8 mars 2025, le principe de la grande coalition avait été acquis et pendant un mois, un texte long de 146 pages, le contrat de coalition, a été négocié durement, à huis clos, par 192 émissaires des deux partis politiques pour aboutir à un véritable contrat de gouvernement le 9 avril 2025, ce qui a conduit Friedrich Merz à dire, à l'instar de Ronald Reagan en 1980 : « L'Allemagne est de retour ! ».

    Et finalement, la France l'attendait depuis vingt ans. La France attendait que l'Allemagne redevienne une puissance politique qui, avec la elle, réussirait à relancer l'Union Européenne. Or, Angela Merkel, malgré ses bonnes paroles, n'a jamais voulu vraiment rendre l'Europe indépendante, autonome, au contraire de la France dont c'est l'ADN depuis la fin de la guerre (et même avant). J'attends toujours l'initiative d'une initiative européenne commune de François Hollande et Angela Merkel annoncée dans les années 2010 ! Quant à Olaf Scholz, son faible leadership et la fragilité confirmée de sa coalition tricolore n'ont jamais permis aucune avancée européenne.

    La prise de contrôle du parti d'opposition, la CDU, ainsi que la victoire électorale de Friedrich Merz auraient pu inquiéter la France. Politique mais aussi homme d'affaires, Friedrich Merz a toujours été considéré comme un très grand atlantiste. Mais la réalité, c'est que les amis des États-Unis ne peuvent plus se fier à leur grand ami et doivent faire avec... ou plutôt, sans. Ce qui a fait dire par le journaliste Emmanuel Grasland le 25 février 2025 dans "Les Échos" : « Atlantiste convaincu, Friedrich Merz juge désormais nécessaire pour l'Europe de développer des capacités de défense propres. ».


    Il faut dire que pendant les négociations du contrat de gouvernement, l'Allemagne, l'Europe et le monde ont été secoué par les stupides décisions de Donald Trump sur les taxes douanières, ses allers et retours, qui ont fait chuter l'économie américaine (et mondiale).

    Il y a donc un énorme changement, un double changement : celui de l'option européenne et celui de leadership. Friedrich Merz entend bien rendre présente l'Allemagne sur le plan politique, et ce leadership ne peut se concevoir qu'avec un couple franco-allemand enfin efficace après le couple Jacques Chirac/Gerhard Schröder de la fin des années 1990 et début des années 2000.

    Ce nouveau couple Emmanuel Macron/Friedrich Merz aura certainement quelques difficulté car les deux personnalités sont fortes et si c'est un besoin pour l'Europe, cela peut aussi être une concurrence entre les deux hommes d'État sur certains sujets. L'important, c'est que le nouveau chef du gouvernement allemand a considéré le 9 avril 2025 que « l'amitié franco-allemande reste d'une importance capitale pour toute l'Europe ». D'ailleurs, le premier voyage extérieur de Friedrich Merz fut pour rencontrer Emmanuel Macron le mercredi 26 février 2025 à l'Élysée : « Ensemble, nos pays peuvent accomplir de grandes choses pour l'Europe. Merci beaucoup, cher Emmanuel Macron pour ton amitié et la confiance que tu accordes aux relations franco-allemandes. » (sans surprise : il est de tradition que le nouvel élu de l'un des deux pays fasse son premier voyage extérieur chez l'autre).

     

     
     


    L'essentiel, c'est que le principal sujet sera un sujet de concorde encore la France et l'Allemagne, la défense européenne. Emmanuel Macron prône depuis qu'il est Président de la République française la construction d'une véritable défense européenne, solide et sérieuse, qui puisse être une véritable protection autonome de l'Europe. Jusqu'à l'arrivée de Donald Trump II, beaucoup de pays européens, dont l'Allemagne, avaient approuvé poliment cette idée... mais sans rien faire de réellement concret. Désormais, Emmanuel Macron est pris au sérieux dès lors que Donald Trump a fait comprendre que la protection américaine n'était pas certaine en cas d'attaque agressive contre l'Europe. La guerre en Ukraine montre à l'évidence que le besoin d'une défense européenne autonome est d'autant plus indispensable que les États-Unis se désengagent du continent.

    Ainsi, c'est une véritable révolution du paradigme allemand à laquelle on assiste : les Allemands préféraient la garantie américaine qu'ils estimaient solide et sûre (et pas chère !), à une hypothétique défense européenne qui restait encore tout à construire. Friedrich Merz, dans son programme de gouvernement, prévoit ainsi d'investir 500 milliards d'euros dans la défense, ce n'est pas rien. Dès février 2025, le futur Chancelier constatait : « Nous devons nous préparer au fait que Donald Trump ne respectera plus inconditionnellement l’engagement de défense mutuelle de l’OTAN. ».

    Le professeur Sylvain Kahn, agrégé en histoire et docteur en géographie, chercheur au Centre d'histoire de Science Po, a expliqué le 2 mars 2025 sur France Culture que ce changement n'était pas facile et allait provoquer de nombreuses discussions dans la société allemande : « Traditionnellement, depuis 1949, la CDU est très atlantiste. Mais elle est également très européiste. Pendant 80 ans, c'était finalement les deux jambes d'une même politique étrangère allemande. Aujourd'hui, cette alliance atlantique est en train de voler en éclats. Il y a une période de 80 années qui se clôt. Et c'était un peu miraculeux que la plus grande puissance mondiale accepte de garantir la défense du territoire européen. Et ça ne coûtait pas grand-chose aux Européens, finalement. Mais cela s’arrête. Et donc, il faut que les Allemands choisissent entre leur atlantisme, qui de toute façon n'existe plus, ou bien leur politique pro-européenne. Mais, il faut aussi prendre en compte la société allemande. Parce qu'il ne faut pas imaginer qu'au sein de la société allemande, tout le monde va dire "Ah ben oui, c'est formidable, Friedrich Merz a raison, on le suit". Il y a 20% des électeurs qui ont voté pour l'AfD et 9% qui ont voté pour Die Linke, la gauche radicale allemande, qui est traditionnellement pacifiste et qui, je pense, ne va pas du tout être favorable à l'idée d'une Allemagne sous parapluie nucléaire britannico-français. Et il y a une réticence de la société allemande au nucléaire, qui est très très profonde et très ancrée, et pas seulement au nucléaire civil, mais au nucléaire militaire. Donc là aussi, ça va poser des énormes débats. ».

     

     
     


    Par ailleurs, Friedrich Merz a assuré le peuple ukrainien que l'Allemagne poursuivra et renforcera son aide militaire à l'Ukraine contre l'agression de Vladimir Poutine, alors que son prédécesseur réagissait assez mollement dans ce dossier. Il l'a rappelé lors du congrès extraordinaire de la CDU le 28 avril 2025 à Berlin : « Le combat de l'Ukraine contre l'agression de la Russie est aussi un combat pour le maintien de la paix et la liberté dans notre pays. ».

    Autre verrou levé, celui de l'endettement public. L'Europe a décidé que les dépenses de défense ne seront pas comptabilisées dans le taux d'endettement public (Pacte de stabilité). Ce verrou était aussi constitutionnel en Allemagne et il a été déjà levé dès le 25 mars 2025, avant même le changement de gouvernement.


    Car l'autre priorité de Friedrich Merz (il en a trois), c'est le redressement économique de l'Allemagne. Le Ministre de l'Économie et du Climat sortant, l'écologiste Robert Habeck, a revu le 24 avril 2025 les perspectives économiques à la baisse : 0% de croissance pour 2025, et cela après deux années de récession (-0,3% en 2023 et -0,2% en 2024). Une telle dégringolade de l'économie allemande est inédite depuis 1949. Selon une étude de l'agence Creditreform publiée le 24 avril 2025, 20% des PME seraient engagées dans la réduction de leurs effectifs, ce qui n'est jamais arrivé depuis quinze ans.

    Pour la redresser, le nouveau Chancelier entend encourager massivement les investissements pour faire redémarrer le secteur industriel. Cette revue à la baisse provient directement des décisions douanières de Donald Trump et de l'effondrement de l'économie américaine.

    Ainsi, l'impôt sur les sociétés sera réduit par un amortissement annuel de 30% sur les investissements en équipement au cours des trois prochaines années, 2025, 2026 et 2027. Par ailleurs, 1 000 milliards d'euros d'argent public seront injectés par l'Allemagne, 500 milliards pour les infrastructures à moderniser et 500 milliards pour l'effort de défense (ce "paquet" de 1 000 milliards d'euros a déjà été adopté le 18 mars 2025 par le Bundestag). Ces investissements massifs devraient accélérer le redressement du PIB allemand (+1% est prévu pour 2026).

    Enfin, la troisième priorité de Friedrich Merz, qui est important dans le climat politique allemand actuel, où l'AfD capitalise beaucoup sur les peurs, c'est la lutte contre l'immigration illégale. Le SPD a accepté un renforcement de la sévérité avec le refoulement des demandeurs d'asile à la frontière, en concertation avec les voisins européens de l'Allemagne. "Der Spiegel" s'attendait d'ailleurs, le 9 avril 2025, à plus de fermeté : « On s'attendait à ce que la politique migratoire soit plus sévère, mais elle ne le sera pas autant que la CDU/CSU l'a annoncé durant la campagne électorale. ». Quant à l'intégration des étrangers sur le marché du travail, il est prévu la création d'une agence Travail et Séjour pour simplifier les procédures administratives des employeurs et des employés.

    Le 28 avril 2025, Friedrich Merz a dévoilé les noms des ministres CDU/CSU. Il n'a pas participé à l'enterrement du pape pour finaliser la composition de son gouvernement. Les deux poids lourds Jens Spahn et Carsten Linnemann n'en feront pas partie. Parmi les ministres chrétiens-démocrates (CDU/CSU), il y aura Katherina Reiche à l'Économie et à l'Énergie, Alexander Dobrindt (CSU) à l'Intérieur, Johann Wadephul (62 ans), un proche de Friedrich Merz, aux Affaires étrangères, Alois Rainer (CSU) à l'Alimentation, Agriculture et Patrie, Karin Prien à l'Éducation, Famille, Personnes âgées, Femmes et Jeunesse, Nina Warken à la Santé, Patrick Schnieder aux Transports, Dorotee Bär (CSU) à la Recherche, Technologie et Espace et Thorsten Frei directeur de la Chancellerie fédérale. Au final, beaucoup de femmes alors que le futur Chancelier avait exclu la parité à l'origine (probablement que Casten Linnemann, proche de Friedrich Merz et promis à l'Économie, a fait les frais d'une pression médiatique pour plus de représentativité, tant féminine que géographique).

    Toutefois, Friedrich Merz a préféré l'efficacité à la représentativité politique en nommant aux Affaires étrangères un proche et pas ses anciens rivaux Armin Laschet ou Norbert Röttgen (ancien président de la commission des affaires étrangères au Bundestag). C'est la première fois depuis 1966 qu'une personnalité issue du CDU occupe de nouveau ce poste important pour la diplomatie européenne. Alexander Dobrindt, seul ancien ministre fédéral, a été, selon Elsa Conesa, la correspondante du journal "Le Monde" à Berlin le 29 avril 2025, un « facilitateur » dans les négociations avec le SPD et les Verts pour réviser la Loi fondamentale (sur le seuil de l'endettement public possible). Friedrich Merz a concédé à Jens Spahn (44 ans), ancien ministre de la santé d'Angela Merkel, la stratégique présidence du groupe CDU au Bundestag alors qu'il avait provoqué une vive polémique en proposant des relations rapprochées avec l'AfD.

    Quant aux ministres SPD, ils ne sont pas encore connus et devraient être annoncés par le SPD très prochainement. Son coprésident Lars Kingbeil sera Vice-Chancelier et Ministre des Finances et il devra notamment nommer six de ses membres à la Justice, au Travail, à la Défense, à l'Environnement, à la Coopération et au Logement. Boris Pistorius, ardent soutien à l'Ukraine, devrait rester à la Défense.


    Ce qui est clair, c'est que l'exercice du pouvoir ne sera pas de tout repos pour Friedrich Merz : alors que son parti CDU/CSU avait devancé de 8 points l'extrême droite, deux mois plus tard, l'AfD se retrouve avec 26% d'intentions de vote et la CDU/CSU seulement 25%. Donc pas d'état de grâce pour le nouveau gouvernement allemand. Il devra donc aller vite dans ses réformes pour redresser l'économie allemande et convaincre son peuple qu'il va dans la bonne voie. C'est le gouvernement de la dernière chance.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (03 mai 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    L'avenir de l'Europe s'ouvre avec Friedrich Merz.
    Maréchal Paul von Hindenburg.
    Allemagne 2025 : Feu vert pour la grande coalition CDU-SPD.
    Allemagne 2025 : victoire de Friedrich Merz (CDU).
    Marché de Noël de Magdebourg : le retour du risque terroriste.
    L'éclatement de la coalition Rouge Jaune Vert en Allemagne.
    Friedrich Merz, futur Chancelier.
    Olaf Scholz.
    Les 80 ans du Débarquement en Normandie.
    Élections européennes 2024 (7) : Ursula von der Leyen et ses trois priorités, la défense, le logement et la compétitivité.
    Élections européennes 2024 (6) : le casting pour la dixième législature du Parlement Européen.
    Élections européennes 2024 (5) : la victoire de... Ursula von der Leyen !
    Der Spiegel : "La France, c'est l'Allemagne en mieux".
    Konrad Adenauer.
    Daniel Cohn-Bendit.
    Volkswagen.
    Hans Modrow.
    Dmitri Vrubel.

    Le mur de Berlin.
    La chute du mur de Berlin.
    La Réunification allemande.
    Berlin 1989 : le 9/11 avant le 11/9.
    Maus.
    Le massacre d'Oradour-sur-Glane.
    Le 60e anniversaire du Traité de l'Élysée le 22 janvier 2023.
    Le testament de Benoît XVI.
    Hommage au pape émérite Benoît XVI (1927-2022).
    Les 95 ans du pape émérite Benoît XVI.
    L’Église de Benoît XVI.
    L'Ukraine à l'Europe : donnez-nous des ailes !
    6 mois de guerre en Ukraine en 7 dates.
    Kiev le 16 juin 2022 : une journée d’unité européenne historique !
    Nous Européens, nous sommes tous des Ukrainiens !
    Couvrez ces seins que je ne saurais voir !
    Olaf Scholz, l’étincelle du feu tricolore.
    Législatives allemandes 2021 (2) : Olaf Scholz bientôt Chancelier.
    Bonne retraite, Frau Merkel !
    Législatives allemandes 2021 (1) : INCERTITUDE !
    L’Allemagne en pleine fièvre extrémiste ?


     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250430-merz.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/l-avenir-de-l-europe-s-ouvre-avec-260804

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/05/03/article-sr-20250430-merz.html


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  • L'élection du vieux maréchal von Hindenburg

    « Il ne faut pas imaginer qu'un parti me donnera d'une quelconque manière des instructions, même pas ceux qui m'ont aidé dans la compétition électorale. Cependant, je tends la main à l'ancien adversaire qui veut se mettre avec moi au travail. » (Paul von Hindenburg, le 10 mai 1925).





     

     
     


    Il y a 100 ans, le 26 avril 1925, le vieux maréchal Paul von Hindenburg a été élu Président du Reich au second tour par 14,7 millions de citoyens allemands. Il avait alors déjà 77 ans (né le 2 octobre 1847), et toute une réputation prestigieuse de militaire héroïque, ayant servi pour l'Empire allemand de 1866 à 1919. À ce titre, il est l'une des personnalités marquantes de l'histoire (assez courte, depuis 1871) de l'Allemagne.

    Contrairement à la tentation qu'on pourrait avoir, le maréchal von Hindenburg n'était pas à l'Allemagne ce qu'a été le maréchal Pétain à la France. Certes, les deux étaient plutôt conservateurs (quoique Pétain fut beaucoup plus "libéral" dans les mœurs sociales qu'on pourrait l'imaginer), et les deux ont eu des "relations" avec Hitler, mais cela s'arrête là. L'appel d'un homme providentiel, souvent vieux en raison du temps qu'il faut pour être présenté comme providentiel, est une constante dans les sociétés humaines. En France, on en a usé et abusé depuis plus de cent cinquante ans : Thiers en 1871, Clemenceau en 1917, Pétain en 1940 et De Gaulle en 1958. Personnalités très différentes mais qui ont eu cette particularité d'un retour au pouvoir, ou d'une prise de pouvoir (pour la première fois) aidée par une réputation historique exceptionnelle.

    Si toutefois on voulait vraiment faire une analogie avec une personnalité politique française, il faudrait plutôt chercher du côté d'un autre maréchal, Patrice de Mac Mahon, militaire de bonne réputation sous l'Empire malgré la défaite de Sedan en 1870 (battu par les forces prussiennes), qui, bien que monarchiste, fut appelé par la République, alors dominée à la Chambre par des députés monarchistes, pour devenir Président de la République du 24 mai 1873 au 30 janvier 1879, en attendant la fin annoncée des légitimistes et la victoire improbable des orléanistes.


    Hindenburg (je parle ainsi de la personne et pas du dirigeable baptisé de son nom) a été un militaire de toutes les grandes batailles prussiennes et allemandes : guerre austro-prussienne, guerre franco-prussienne qui a abouti à l'Unification de l'Allemagne (sous l'égide de la Prusse, associée à de nombreuses principautés allemandes), et aussi la Première Guerre mondiale, où il fut, de novembre 1916 au 25 juin 1919, le chef du grand état-major allemand de l'Empire allemand, secondé par le général Erich Ludendorff. Comme Pétain, il était à la retraite avant le début de la Première Guerre mondiale mais remobilisé pour l'occasion.

    Le 18 novembre 1919, devant la commission d'enquête parlementaire visant à comprendre la défaite allemande, Hindenburg et Ludendorff, salués avec beaucoup d'honneurs par les parlementaires, ont répandu la (fausse) rumeur du "coup de poignard dans le dos", à savoir qu'à l'arrière garde, des forces anti-allemandes s'étaient activées contre l'armée allemande en Allemagne, mêlant socialistes, communistes et Juifs comme boucs émissaires. Cette thèse fut reprise plus tard par les nazis pour justifier et renforcer le sentiment de vengeance. C'était d'autant plus commode que cela dédouanait l'armée allemande de sa responsabilité dans la défaite.


    L'Allemagne à la fin de la Première Guerre mondiale était dans un piteux état : dans le camp des vaincus, l'empereur Guillaume II s'est exilé, laissant l'empire sans empereur, des mouvements révolutionnaires étaient très actifs aussi en Allemagne (Rosa Luxembourg, etc.), et finalement, le régime a accouché d'une frêle République de Weimar, dominée par les sociaux-démocrates et le Zentrum (centre droit catholique), qui était une sorte d'empire sans empereur, à tel point que le gouvernement était celui du Reich, le Chancelier celui du Reich et le chef de l'État appelé Président du Reich. Ce nouveau régime était pourtant loin d'être fort, englué dans une instabilité politique typique des régimes parlementaires comme la Quatrième République en France. Mais à la différence de cette dernière, le Président avait un certain nombre de pouvoirs pour faire contre-poids, en particulier le droit de dissolution.

    Le premier Président du Reich a été élu par les parlementaires le 11 février 1919 pour un mandat de sept ans, Friedrich Ebert, Chancelier social-démocrate depuis le 9 novembre 1918, mais ce dernier est mort le 28 février 1925 à 54 ans des suites d'une appendicite soignée trop tardivement. Le mode d'élection du Président était différent pour la suite puisqu'il devait être élu au suffrage universel direct pour faire participer l'ensemble du peuple allemand, seul moyen de retrouver une légitimité impériale.


    Le premier tour de l'élection présidentielle a eu lieu le 29 mars 1925. Parmi les sept candidats, deux personnalités se détachaient, susceptibles d'être élues (à l'époque, il n'y avait pas de sondages) : Otto Braun, du SPD (social-démocrate) et Wilhelm Marx, du DZP, le Zentrum (centriste catholique ; rappelons que l'Allemagne est majoritairement protestante). Tous les deux étaient les représentants du nouveau régime politique, parlementaire, assez impuissant, Wilhelm Marx était alors un ancien Chancelier du Reich du 30 novembre 1923 au 15 janvier 1925.

    Face à ces deux représentants du régime, le bloc national avait bien du mal à proposer une candidature de rassemblement. Personnalité très populaire à droite, l'ancien Vice-Chancelier et Ministre de l'Intérieur Karl Jarres, du DVP (parti populaire allemand, national-libéral), avait pris le leadership de la campagne électorale. D'autres petits candidats étaient présents, dont le communiste Ernst Thälmann, et aussi l'ancien général en chef limogé par l'empereur le 26 octobre 1918, Erich Ludendorff, ce qui avait mis en colère Hindenburg qui lui avait demandé dans un courrier de se retirer pour ne pas diviser le camp de la droite : « Retirez votre candidature immédiatement. Au lieu de vous unir (…), vous vous dispersez avec les cercles nationaux en cette heure décisive. Dans ce camp, votre élection est désespérée. Vous vous compromettez ainsi… de votre faute, la patrie est en danger. Acceptez donc cette demande qui pourrait être la dernière de ma vie. ». Il avait raison.

    Les résultats du premier tour furent assez attendus, avec une participation de 68,9% : Karl Jarres a obtenu la première place avec 38,8% des suffrages exprimés, suivi d'Otto Braun 29,0% et Wilhelm Marx 14,5%... et Erich Ludendorff est arrivé septième avec seulement 1,1%, une gifle électorale (un militaire n'est pas forcément un bon politique). La nécessité d'un second tour rendait très incertaine son issue.
     

     
     


    D'un côté, le SPD et le Zentrum se sont mis d'accord avec une seule candidature, celle de Wilhelm Marx, qui devenait donc le favori de l'élection, avec, en contrepartie, Otto Braun (que le Zentrum ne voulait pas soutenir) était destiné à devenir le ministre-président de la Prusse. De l'autre côté, le score de Karl Jarres avait peu de chance de s'améliorer, faute de voix de réserve, et fut remplacé, à la demande d'un certain nombre de dirigeants du DVP, en particulier Gustav Stresemann, ancien Chancelier, mais aussi du camp nationaliste (en particulier le NSDAP, le parti nazi), par le maréchal von Hindenburg (retiré à Hanovre) qui, malgré des réticences initiales, a bien accepté d'être présent au second tour (il n'était pas nécessaire d'être candidat au premier tour, et au second tour, l'élection était acquise à la majorité relative, ce qui nécessitait des alliances entre les forces politiques).

    Finalement, Hindenburg a gagné, mais avec un score serré, avec 900 000 voix d'avance sur son concurrent Wilhelm Marx qui a eu deux handicaps, un religieux (il était catholique et la majorité était protestante) et un politique en raison du maintien du candidat communiste qui lui a privé de 1,9 million de suffrages. Hindenburg a donc été élu Président du Reich avec 48,3% des voix pour une participation encore plus élevée de 77,6%. L'historien britannique Ian Kershaw commentait ainsi ce résultat en 2001 : « La démocratie de Weimar était désormais entre les mains de l'un des piliers de l'ordre ancien. La droite nationale et conservatrice n'était pas la seule à avoir voté pour lui. (…) En 1933, le prix à payer sera lourd. ». Pour les conservateurs, l'élection d'un maréchal voulant un pouvoir fort permettait de contrebalancer le régime d'assemblée instable et de retrouver avec lui l'aura perdue de l'empereur.
     

     
     


    Wikipédia a fait un résumé de la description de l'historien français Johann Chapoutot, spécialiste du nazisme, publiée dans un livre en 2025 chez Gallimard : « [Il] décrit Hindenburg, lors de son élection à la Présidence en 1925, comme une figure profondément conservatrice, attachée aux vertus prussiennes telles que l'honneur, le devoir et le sacrifice. Il souligne son hostilité aux sociaux-démocrates, aux communistes et aux syndicats, ainsi que sa méfiance envers les catholiques du Zentrum, à l'exception de ceux qu'il jugeait suffisamment conservateurs ou ayant un passé militaire. Chapoutot note également l’aversion de Hindenburg pour les évolutions sociales de la République de Weimar et son indifférence aux questions sociales, ou un possible État-providence allemand. ».

    En fait de pouvoir fort, le premier mandat de Hindenburg était caractérisé par la poursuite de l'instabilité gouvernementale, avec cinq gouvernements centristes ou de gauche. Hindenburg a dissous quatre fois l'assemblée. La crise de 1929 a fait monter le nazisme électoralement : le NSDAP est passé de 2,6% en 1928 à 18,3% en 1931. Les nazis n'avaient donc plus besoin de l'aide de Hindenburg pour conquérir le pouvoir, d'autant plus qu'ils avaient une très mauvaise opinion du vieux maréchal. Ainsi, le 19 octobre 1929, Joseph Goebbels le qualifiait dans son Journal de « vieille ruine », ce qui fait penser à ce que disaient les trumpistes de Joe Biden, et en octobre 1931, Hitler le qualifiait de « vieux fou ». C'était d'ailleurs réciproque, car Hindenburg prenait les nazis pour ce qu'ils étaient d'abord, à savoir de dangereux socialistes (nationaux-socialistes) et considérait Hitler comme un « caporal bohémien » qui n'avait pas l'étoffe pour diriger le gouvernement. Le 10 août 1932, Hindenburg se refusait à toute nomination de nazis au gouvernement : « Faire d'un caporal bohémien le Chancelier du Reich, ce serait du propre ! ».

    À l'élection présidentielle de 1932, la situation économique et sociale de l'Allemagne était catastrophique : chômage de masse, inflation en flèche, pouvoir d'achat en berne, hausse des impôts... Le gouvernement centriste de Heinrich Brüning était très impopulaire. Son parti, le DZP, ainsi que l'ensemble du bloc populaire (coalition de Weimar : Zentrum, SPD, etc.) ont voulu que Hindenburg se représentât pour sa succession malgré ses 84 ans ! L'un des dirigeants du DZP, Franz von Papen (qui allait devenir le successeur de Heinrich Brüning le 1er juin 1932) a même souhaité réviser la Constitution pour rendre l'élection présidentielle aux parlementaires sans passer par le peuple, mais, en raison du refus des députés nazis, il ne pouvait pas convaincre une majorité qualifiée.


    Autrement dit, les rivaux de 1925 (gauche et centre droit catholique), qui craignaient une dérive autoritaire du maréchal, sont devenus les principaux soutiens de Hindenburg en 1932, toujours candidat indépendant, face à un autre candidat, celui des nazis, Adolf Hitler, qui avait hésité à s'opposer frontalement au prestigieux maréchal. Ian Kershaw analysait effectivement cette drôle de situation (cité par Wikipédia) : « [Hindenburg] était tributaire du soutien des socialistes et des catholiques, qui avaient été ses principaux opposants au cours des sept années passées et formaient de bien étranges et fâcheux compagnons de route pour le doyen loyalement protestant et ultra-conservateur. ».

    Au premier tour du 13 mars 1932, avec 86,2% de très forte participation, Hindenburg a raté sa réélection dès le premier tour en recueillant plus de 18,6 millions de suffrages, soit 49,5%, face à Hitler 30,1%. Au second tour du 10 avril 1932, avec une participation de 83,5%, Hindenburg a été réélu avec 53,1% des voix, ayant pris une large avance de 7,3 millions de voix sur Hitler, grâce aux milieux économiques qui étaient plutôt rassurés par Franz von Papen (futur Chancelier du 1er juin 1932 au 17 novembre 1932).

    Franz von Papen était préféré par Hindenburg à Kurt von Scleicher (futur Chancelier du 4 décembre 1932 au 28 janvier 1933). André François-Poncet, l'ambassadeur de France à Berlin et père du ministre Jean François-Poncet, expliquait ainsi : « C'est [Papen] le préféré, le favori du maréchal ; il détourne le vieil homme par sa vivacité, son espièglerie ; il le flatte en lui montrant du respect et de la dévotion. Il le séduit par son audace ; il est [aux] yeux [de Hindenburg] l'homme parfait. ».

    Toutefois, Hitler a finalement gagné la partie : le 30 janvier 1933, Hindenburg l'a nommé Chancelier du Reich (et Papen Vice-Chancelier) et dès les premiers mois, le chef des nazis a consolidé, par la force et la propagande, son pouvoir, devenant même le Führer, c'est-à-dire le Guide en allemand. Hindenburg est mort le 2 août 1934 d'un cancer du poumon à l'âge de 86 ans et demi. Par le plébiscite du 19 août 1934, Hitler a plus ou moins supprimé la fonction en devenant à la fois Chancelier, Président du Reich et Führer, bref, le maître absolu d'une Allemagne puissante.

    Plus précisément, Hindenburg est mort le lendemain de la promulgation, le 1er août 1934, de la loi qui précisait deux articles. Article 1er : « La fonction de Président du Reich est réunie à celle du chancelier du Reich. Par conséquent, les pouvoirs exercés jusqu'ici par le Président du Reich passent au Führer et Chancelier du Reich Adolf Hitler. Il désigne son suppléant. ». Article 2 : « Cette loi entrera en vigueur à partir du décès du Président du Reich von Hindenburg. ». C'était très cavalier de la part de Hitler qui considérait que Hindenburg n'allait pas finir son second mandat (en raison de sa grave maladie) et cela montrait aussi que le maréchal n'avait plus aucune influence sur le cours des événements (retiré en Prusse-Orientale depuis avril 1934).


    Pour légitimer cette loi, Hitler l'a fait plébisciter : avec une participation officielle de 95,7%, le oui l'a largement emporté avec, officiellement, 89,9% des votants. Rappelons que les Allemands vivaient alors sous la terreur des nazis, que la Nuit des longs couteaux venait de survenir, du 29 juin 1934 au 2 juillet 1934 (crimes que Hindenburg aurait approuvés voire suggérés à Hitler ; à ce sujet, il faudrait des études complémentaires d'historiens pour avoir une idée précise de la position du maréchal).

    On aurait donc tort de comparer Hindenburg à Pétain. Au contraire, il était dès le début un opposant au nazisme qu'il considérait comme dangereux. Il a présidé la République de Weimar fidèlement avec le sens de l'État et surtout de l'intérêt général. Et dès lors que Hitler bénéficiait d'une majorité à l'assemblée, il ne pouvait que l'appeler à la Chancellerie. Du moins, c'est ce qu'on pourrait penser, mais ce n'est pas l'avis de l'historien Ian Kershaw en 1999 : « Hindenburg lui-même et ceux qui étaient en position de l'influencer étaient si occupés à chercher une solution à droite qu'ils ne prirent pas la peine d'envisager une issue parlementaire. (…) L’accession d’Hitler au pouvoir n’était aucunement inéluctable. Hindenburg eût-il concédé à Schleicher la dissolution qu’il avait si volontiers accordée à Papen et décidé une prorogation au-delà des soixante jours prévus par la Constitution, que la nomination de Hitler à la Chancellerie aurait sans doute pu être évitée. (…) Hindenburg se laissa persuader d'accorder à Hitler ce qu'il avait refusé à Schleicher à peine quatre jours plus tôt : la dissolution du Reichstag. ». L'historien français Gilbert Badia, en 1975, n'était pas plus tendre : « Il a suffi d'un exposé dramatique de Hitler (…) pour que le vieillard réactionnaire confie les pleins pouvoirs au "caporal autrichien" naguère méprisé. ».

    Trop âgé, trop malade, le maréchal n'a pas pu vraiment s'opposer avec toutes les armes que la Constitution lui donnait contre un Hitler qui le trouvait encombrant mais également nécessaire, profitant de son prestige militaire pour sa propre entreprise. Quant à Erich Ludendorff, qui allait mourir le 20 décembre 1937, il a refusé de participer aux grandes funérailles de son vieux chef de Hindenburg le 7 août 1934 pour ne pas s'afficher à côté de Hitler. Certains glorieux militaires avaient tout de même conservé le sens de la dignité, même dans ces temps troublés.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (26 avril 2025)
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    Pour aller plus loin :
    Maréchal Paul von Hindenburg.
    Allemagne 2025 : Feu vert pour la grande coalition CDU-SPD.
    Allemagne 2025 : victoire de Friedrich Merz (CDU).
    Marché de Noël de Magdebourg : le retour du risque terroriste.
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    Élections européennes 2024 (7) : Ursula von der Leyen et ses trois priorités, la défense, le logement et la compétitivité.
    Élections européennes 2024 (6) : le casting pour la dixième législature du Parlement Européen.
    Élections européennes 2024 (5) : la victoire de... Ursula von der Leyen !
    Der Spiegel : "La France, c'est l'Allemagne en mieux".
    Konrad Adenauer.
    Daniel Cohn-Bendit.
    Volkswagen.
    Hans Modrow.
    Dmitri Vrubel.

    Le mur de Berlin.
    La chute du mur de Berlin.
    La Réunification allemande.
    Berlin 1989 : le 9/11 avant le 11/9.
    Maus.
    Le massacre d'Oradour-sur-Glane.
    Le 60e anniversaire du Traité de l'Élysée le 22 janvier 2023.
    Le testament de Benoît XVI.
    Hommage au pape émérite Benoît XVI (1927-2022).
    Les 95 ans du pape émérite Benoît XVI.
    L’Église de Benoît XVI.
    L'Ukraine à l'Europe : donnez-nous des ailes !
    6 mois de guerre en Ukraine en 7 dates.
    Kiev le 16 juin 2022 : une journée d’unité européenne historique !
    Nous Européens, nous sommes tous des Ukrainiens !
    Couvrez ces seins que je ne saurais voir !
    Olaf Scholz, l’étincelle du feu tricolore.
    Législatives allemandes 2021 (2) : Olaf Scholz bientôt Chancelier.
    Bonne retraite, Frau Merkel !
    Législatives allemandes 2021 (1) : INCERTITUDE !
    L’Allemagne en pleine fièvre extrémiste ?


     

     
     





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  • Allemagne 2025 : Feu vert pour la grande coalition CDU-SPD

    « La protection de notre liberté et de la paix ne tolère aucun retard. » (Pré-accord entre la CDU et le SPD du 8 mars 2025).






     

     
     


    Même pas deux semaines, c'est probablement un record de négociation quand il n'y a pas de majorité absolue au Bundestag, ce qui est le cas souvent et en particulier pour l'Assemblée sortie des urnes du dimanche 23 février 2025 en Allemagne. En effet, un pré-accord, c'est-à-dire, un accord de principe a été conclu le samedi 8 mars 2025 entre les deux principaux partis de gouvernement, la CDU (qui a gagné les élections avec son associée bavaroise, la CSU que je ne citerai pas par la suite) et le SPD, le parti du Chancelier sortant Olaf Scholz.

    Revenons très rapidement en arrière. Les électeurs allemands ont voté le 23 février 2025 pour élire leurs nouveaux députés qui vont siéger au Bundestag. Ces élections fédérales ont été anticipées par le Chancelier social-démocrate Olaf Scholz après l'éclatement de la coalition du feu tricolore (vert écologiste, jaune libéral démocrate, rouge social-démocrate) après une divergence de vue entre Olaf Scholz et son ministre des finances par ailleurs président du parti libéral démocrate (FDP).

    Le résultat des courses après une campagne très difficile, sur fond d'attentats et d'ingérences américaines (Elon Musk soutenant activement le parti d'extrême droite AfD), ce fut, d'une part, une forte participation par rapport aux élections précédentes (82,5% des inscrits, soit un bond de plus de 6 points par rapport aux élections fédérales du 26 septembre 2021, avec une participation de 76,4%) ; d'autre part, l'effondrement du parti au pouvoir, le SPD (social-démocrate) qui a été relégué seulement en troisième position avec 16,4% des voix et 120 sièges sur 630.


     

     
     


    Devant lui, deux grands gagnants : politiquement, l'AfD n'est pas parvenue au pouvoir mais s'est installée en confortable numéro deux du paysage politique allemand avec 20,8% des voix (il a doublé son score) et 152 sièges, devenant le premier parti d'opposition, arrivant en tête dans toutes les régions de l'ancienne Allemagne de l'Est ; institutionnellement, la CDU a gagné aussi puisqu'elle est arrivée en tête avec 28,5% des voix et 208 sièges. Les électeurs allemands ont vu en Friedrich Merz le dirigeant politique de l'Allemagne qui leur manquait depuis le retrait de la démocrate chrétienne Angela Merkel. Les Verts se sont également effondrés à 11,6% des voix et 85 sièges.

     

     
     


    Le cinquième et dernier parti représenté au Bundestag (pour être représenté, il faut au moins atteindre 5% des voix), l'autre parti populiste d'Allemagne de l'Est, Die Linke (un équivalent des insoumis) qui a amélioré son score à 8,8% des voix (soit un gain de 4 points) et 64 sièges. L'autre parti frère de la gauche populiste, la nouvelle BSW, créée le 8 janvier 2024 par d'anciens dirigeants de Die Linke, a raté de peu la marche des 5% avec 4,97% des voix, ce qui ne lui a donné aucun siège. Quant au parti libéral démocrate (FDP), finalement le fauteur de l'éclatement de la coalition de centre gauche et de ces élections anticipées, il a été lourdement et sévèrement sanctionné par ses électeurs en ne recueillant que 4,3% des voix, soit 7,1 points de moins qu'en 2021 (et la perte de ses 92 sièges !), un désastre qui le fait disparaître du Bundestag pour cette nouvelle législature.

    La CDU a donc gagné les élections du 23 février 2025, mais ne dispose d'aucun allié, généralement le FDP, pour atteindre la majorité absolue au Bundestag. Avec 208 sièges, il lui manque en effet 108 sièges pour rassembler 316 députés (sur 630). Deux solutions s'offraient à Friedrich Merz dont le leadership n'a jamais été contesté et qui a pris une certaine revanche historique dans l'après-Helmut Kohl (à partir de 2000). La CDU aurait pu faire alliance avec l'AfD pour un gouvernement axé très à droite, dont le thème de la lutte contre l'immigration serait l'un des objectifs communs. L'AfD était partante mais les dirigeants de la CDU ont toujours refusé toute alliance contre-nature avec l'AfD dans un pays qui a vécu le nazisme, la période la plus effroyable.

     

     
     


    Il n'y avait donc pas d'autres possibilités : la CDU et le SPD se sont mis d'accord pour gouverner ensemble, malgré leurs nombreuses divergences. C'est l'objet des négociations actuelles qui ne font que débuter. En effet, le 8 mars 2025 a eu lieu un pré-accord, mais il reste encore à définir précisément un programme de gouvernement ainsi que la composition du gouvernement (pour la coalition sortante, l'accord de gouvernement de 2021 comptait 177 pages !). C'est ce qu'on a appelé historiquement la "grande coalition" (la « GroKo »), qui n'est pas nouvelle puisque Angela Merkel a gouverné trois mandats sur quatre ainsi. La CDU et le SPD, à eux deux, représentent 328 sièges sur 630, donc une majorité absolue.

    Dans ce texte du pré-accord, intitulé "Sondierungspapier" [document exploratoire], beaucoup d'éléments ont été exprimés, présentés lors d'une conférence de presse commune de Friedrich Merz (président de la CDU), Markus Soder (président de la CSU et ministre-président de Bavière), Lars Klingbeil et Saskia Esken (les deux coprésidents du SPD), tenue au Bundestag. Ce pré-accord préconise des contrôles renforcés aux frontières contre l'immigration illégale (« en accord avec les partenaires européens ») et l'expulsion des étrangers en situation irrégulière. En contre-partie, le SPD a fait prévaloir sa mesure d'augmentation du salaire minimum à 15,00 euros par heure d'ici à 2026 
    (actuellement, c'est 12,82 euros par heure) et la prolongation de deux ans de l'encadrement des loyers.

    À cette conférence de presse, Friedrich Merz a notamment déclaré : « Nous avons rédigé un document commun et nous sommes parvenus à un accord sur toute une série de questions. (…) Nous sommes tous convaincus que nous avons une grande tâche à accomplir face aux défis auxquels l'Europe entière est confrontée. (…) Le monde n'attend pas ! ».
     

     
     


    Après deux ans de récession, des difficultés économiques et énergétiques, l'Allemagne avait besoin d'une relance massive, ce qui sera le cas avec le plan d'investissement de 500 milliards d'euros. Le document commence ainsi, réaffirmant d'ailleurs très fermement le soutien à l'Ukraine : « L’Allemagne fait face à des défis historiques. La situation économique est tendue, les développements politiques mondiaux nous mettent au défi, des investissements massifs sont nécessaires pour améliorer le quotidien des habitants de ce pays. Notre exigence est claire : l’Allemagne a besoin de stabilité et de renouveau, pour un avenir sûr, pour la force économique et pour la cohésion sociale. Dans une période d’incertitude croissante en Europe et dans le monde, nous prenons nos responsabilités. La protection de la liberté et de la paix, le maintien de notre prospérité et la modernisation de notre pays ne tolèrent aucun retard. Notre but est de renforcer la capacité de défense intérieure et extérieure de l’Allemagne, d’investir massivement dans notre infrastructure et de poser les bases d’une croissance durable et soutenue. Nous voulons prendre nos responsabilités en Europe, et renforcer ensemble avec nos partenaires la capacité de défense et la compétitivité de l’Europe. Une chose est claire : L’Allemagne reste aux côtés de l’Ukraine. La fondation d’un gouvernement stable est un financement solide. C’est pourquoi nous nous sommes mis d’accord pour donner la priorité aux questions centrales d’investissement et de financement. Avec un fonds spécial de 500 milliards d’euros, nous remettons notre pays en forme et investissons dans les routes, les rails, l’éducation, la numérisation, l’énergie et la santé. En même temps, nous garantissons la capacité de défense de l’Allemagne et de l’Europe avec des moyens supplémentaires, car la protection de notre liberté est indispensable. Une chose est claire : nous voulons continuer à soutenir l’Ukraine. Nous sommes unis par la volonté de recréer de la confiance. Nous voulons consolider la cohésion sociale, en soulageant les familles, en renforçant la sécurité sociale et en reconnaissant les efforts de la classe moyenne qui travaille dur. Nous améliorer et simplifier la vie des habitants de ce pays. ».

     

     
     


    Huit points sont énumérés qui précisent surtout les conditions financières du plan d'investissement de 500 milliards d'euros et la prise en compte du frein à la dette. En effet, le problème en Allemagne est que la loi fondamentale (la Constitution) oblige un équilibre budgétaire, et pour la réviser, il faut une majorité des deux tiers. Mais les écologistes ont accepté de s'accorder sur ce sujet, dès lors que l'emprunt spécial ne finance pas une baisse des impôts mais bien une augmentation de la dépense publique. Il faut dire que les équipements publics et les infrastructures en Allemagne sont en très mauvais état et ont besoin de ce réinvestissement massif, parallèlement à l'effort de défense.

    En outre, seulement le premier % de PIB du budget de la défense sera comptabilité dans le frein à l'endettement, pas les autres % des dépenses de défense, conformément à la nouvelle règle de la Commission Européenne.

    La conséquence immédiate de cet accord, c'est que le Bundestag a voté ce mardi 18 mars 2025 en session extraordinaire le principe de ce fonds d'investissement massif de 500 milliards d'euros (dont 100 milliards seront alloués aux communes) : « Ce fonds spécial doit servir à des investissements dans les infrastructures. Cela comprend la protection civile et de la population, l’infrastructure de transport, les investissements dans les hôpitaux, l’infrastructure énergétique, dans l’infrastructure d’éducation, de soins, et les installations scientifiques, dans la recherche et développement et dans la numérisation. ».
     

     
     


    L'objectif était que cette réforme, qui nécessitait les deux tiers des voix, fût votée avant l'installation du nouveau Bundestag le 25 mars 2025, car la CDU, le SPD et les Verts n'y représenteront que 413 sièges, moins que les 420 nécessaires (majorité des deux tiers), alors qu'actuellement, dans la configuration de 2021, les trois partis représentent 521 sièges (voire 613 avec le FDP) sur 736 au total (les deux tiers imposent au moins 491 voix).

    On le voit bien, l'arrivée de Friedrich Merz à la tête du gouvernement allemand va être le point de départ d'une nouvelle période pour l'Allemagne qui va être plus dépensière, plus endettée, afin d'assurer des services publics qui sont actuellement dans une situation pire qu'en France. Le Président français Emmanuel Macron, qui avait déjà reçu à l'Élysée Friedrich Merz le 26 février 2025, juste après les élections, l'a rencontré à nouveau ce mardi 18 mars 2025 à Berlin. Le couple franco-allemand semble redevenir une nouvelle force de l'Europe, avec deux poids lourds politiques sur la scène internationale, Friedrich Merz et, bien sûr, Emmanuel Macron. Il faut bien cela pour faire face à la collusion Donald Trump et Vladimir Poutine.


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    Sylvain Rakotoarison (18 mars 2025)
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    Pour aller plus loin :
    Allemagne 2025 : Feu vert pour la grande coalition CDU-SPD.
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