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politique - Page 3

  • Jean Jaurès, le Panthéon et le wokisme

    « Ceux qui discutaient ses idées et qui savaient sa force sentaient aussi ce que, dans nos controverses, ils devaient à ce grand foyer de lumière. Ses adversaires sont atteints comme ses amis et s'inclinent avec tristesse devant notre tribune en deuil. Mais, que dis-je, y a-t-il encore des adversaires ? Non, il n'y a plus que des Français... des Français qui, depuis quarante-quatre ans, ont fait à la cause de la paix tous les sacrifices, et qui, aujourd'hui sont prêts à tous les sacrifices pour la plus sainte des causes : le salut de la civilisation, liberté de la France et de l'Europe. Du cercueil de l'homme qui a péri martyr, de ses idées sort une pensée d'union ! De ses lèvres glacées sort un cri d'espérance. Maintenir cette union, réaliser cette espérance, pour la patrie, pour la justice, pour la conscience humaine, n'est-ce pas le plus digne hommage que nous puissions lui rendre ? » (Paul Deschanel, le 4 août 1914 au perchoir de l'Assemblée Nationale).




     

     
     


    Il y a cent ans, le dimanche 23 novembre 1924, les cendres de Jean Jaurès ont été transférées au Panthéon (depuis sa tombe au grand cimetière d'Albi) à l'occasion d'une grande cérémonie à vocation républicaine mais aussi politique. Jaurès, comme Gambetta, Clemenceau, De Gaulle, Foch et Leclerc, fait partie des très rares personnalités de la République française à généralement ne pas avoir son prénom collé à son nom, tellement ils font partie du paysage politique et historique.

    Pour l'occasion, la ville de Carmaux (dans le Tarn), dont Jaurès était l'élu (il voulait représenter les mineurs de Carmaux), a proposé à ses administrés un voyage organisé à Paris du 22 au 24 novembre 2024 pour revivre les moments Jaurès, à l'ancienne gare d'Orsay, au café du Croissant, au Palais-Bourbon, au Palais du Luxembourg, et bien sûr, au Panthéon.

     

     
     


    Le leader du socialisme à la française, fondateur du journal "L'Humanité", est mort assassiné un peu plus de dix ans auparavant, le 31 juillet 1914, sous les balles d'un assassin d'extrême droite, alors qu'il prenait un repas dans un restaurant parisien. La mort du pacifiste coïncide aussi avec le début de la Première Guerre mondiale, déclarée le 3 août 1914 à la France par l'Allemagne à la suite d'un déchaînement d'événements provoqués par l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand d'Autriche, l'héritier de l'empire austro-hongrois (et sa femme), le 28 juin 1914 à Sarajevo par un nationaliste serbe (l'Autriche-Hongrie avait déjà déclaré la guerre à la Serbie le 28 juillet 1914).

    Pour les socialistes, l'assassinat de Jaurès et le début de la guerre ont définitivement coupé leur élan pacifiste et plongé la classe politique française dans l'Union nationale face à l'ennemi. C'est bien beau d'être pacifiste, mais si on vous déclare la guerre, il faut bien répondre, sinon, on est envahi (c'est l'objet de la résistance ukrainienne face aux troupes de Vladimir Poutine depuis plus de mille jours). C'est d'ailleurs un socialiste, René Viviani, cofondateur de "L'Humanité", qui, devenu Président du Conseil le 13 juin 1914, allait mettre en place et mener l'Union nationale au début de la guerre.

     
     


    Le 4 août 1914, après l'hommage du Président de la Chambre Paul Deschanel (futur Président de la République en 1920) à Jean Jaurès, René Viviani a d'ailleurs lu le fameux message du Président de la République Raymond Poincaré annonçant la guerre : « Aussi attentive que pacifique, [la France] s'était préparée ; et nos ennemis vont rencontrer sur leur chemin nos vaillantes troupes de couverture, qui sont à leurs postes, et à l'abri desquelles s'achèvera métho­diquement la mobilisation de toutes nos forces nationales. Notre belle et courageuse armée, que la France accompagne aujourd'hui de sa pensée maternelle, s'est levée, toute frémissante, pour défendre l'honneur du drapeau et le sol de la patrie. Le Président de la République, interprète de l'unanimité du pays, exprime à nos troupes de terre et de mer l’admiration et la confiance de tous les Français. ».

    Le message très consensuel (voir en début d'article) de Paul Deschanel, alors républicain modéré (aujourd'hui, de centre droit), en hommage à Jean Jaurès (socialiste), qui avait pour ambition de rassembler toute la classe politique derrière le seul impératif, défendre la patrie, en pleine déclaration de guerre, était aussi un premier signe de volonté de consensus des grands hommes de la République au-delà des clivages politiques.
     

     
     


    Et le transfert des cendres de Jaurès au Panthéon répondait d'abord à un objectif politique très déterminé : la gauche, revenue au pouvoir pour la première fois depuis la fin de la guerre, avec la victoire du Cartel des gauches aux élections législatives des 11 et 25 mai 1924, voulait revenir aux sources en honorant Jean Jaurès afin de montrer que le nouveau gouvernement, dirigé par le président du parti radical Édouard Herriot depuis le 14 juin 1924, n'était pas "bourgeois". Cela permettait de mobiliser les "classes populaires" derrière ce gouvernement, tout en rendant au nom de la République (et pas de la gauche) un hommage solennel à Jean Jaurès (qui, rappelons-le, n'a jamais été au pouvoir au contraire de Georges Clemenceau et Léon Blum).

    Aristide Briand, qui avait visité le Panthéon avec Jaurès, pouvait pourtant témoigner que Jaurès n'aurait jamais voulu être inhumé dans ce temple de la République, mais peut-être l'a-t-il fait savoir avec trop peu d'insistance (au contraire de De Gaulle). Voici ce qu'il disait à Aristide Briand : « Il est certain que je ne serai jamais porté ici. Mais si j’avais le sentiment qu’au lieu de me donner pour sépulture un de nos petits cimetières ensoleillés et fleuris de campagne, on dût porter ici mes cendres, je vous avoue que le reste de ma vie en serait empoisonné. ».

    Beaucoup d'élus de gauche comme Léon Blum et aussi Paul Painlevé, voulaient quand même honorer celui qui était contre l'injustice commise au capitaine Alfred Dreyfus. Un projet de loi a donc été déposé le 9 juillet 1924 pour faire ce transfert au Panthéon et il a été adopté au Sénat et à la Chambre des députés le 31 juillet 1924, au jour symbolique du dixième anniversaire de son assassinat. À cette époque, loin de faire consensus, ce transfert avait été violemment combattu tant par les députés nationalistes de l'Action française que par les communistes qui considéraient que le Cartel des gauches volaient Jaurès alors qu'ils s'en réclamaient aussi (la scission entre communistes et socialistes au congrès de Tours était encore toute fraîche).
     

     
     


    La cérémonie fut organisée minutieusement, de manière très théâtrale, selon la volonté des députés socialistes ; elle fut confiée au metteur en scène Firmin Gémier (que ceux qui y voient un parallèle avec la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques à Paris le 26 juillet 2024 confiée à Thomas Jolly gagnent un bon point !). Ce fut un grand moment de la République au même titre que les funérailles de Victor Hugo. Le cercueil de Jaurès est arrivé à la gare d'Orsay le 22 novembre 1924 accompagné par les mineurs de Carmaux, puis installé dans la salle Casimir Périer du Palais-Bourbon pour la nuit, où veillaient la famille, le gouvernement et quelques autres parlementaires.

    En 1938, Paul Nizan donna de cette veillée une version très négative, dénonçant son insincérité politique : « C'était une intolérable nuit. Dans ce grand alvéole de pierre, Laforgue et ses amis avaient l'impression d'être les complices silencieux de politiques habiles qui avaient adroitement escamoté cette bière héroïque et cette poussière d'homme assassiné, qui devaient être les pièces importantes d'un jeu dont les autres pions étaient sans doute des monuments, des hommes, des conversations, des votes, des promesses, des médailles et des affaires d'argent : ils se sentaient moins que rien parmi tous ces types calculateurs et cordiaux. Heureusement, il venait parfois à travers les murailles et la rumeur étouffée des piétinements et des musiques, comme une rafale de cris, et ils se disaient alors qu'il devait exister dans la nuit une espèce de vaste mer qui se brisait avec de la rage et de la tendresse contre les falaises aveugles de la Chambre ; ils ne distinguaient pas de quels mots ces cris étaient faits, mais ils devinaient quelquefois Jaurès au bout de ces clameurs. ».

    Le lendemain fut grandiose, raconté par un fonctionnaire de la Chambre, Georges Gatulle, cité par le site de l'Assemblée Nationale : « À midi 45, on a fait avancer le pavois destiné à recevoir le corps. Le pavois de 26 m de long, sur 5 m de haut, enveloppé de drap d'argent prolongé par une grande traîne tricolore, et surmonté d'un catafalque noir, sans ornement, a été porté à bras jusqu'au Panthéon par 70 mineurs de Carmaux en costume de travail. La levée du corps a eu lieu à 13h10 ». Environ 120 000 à 150 000 personnes auraient assisté au cortège qui s'est acheminé jusqu'au Panthéon à 14 heurs 30.

     
     


    À l'intérieur du bâtiment, 2 000 invités privilégiés, dont le gouvernement et le Président de la République Gaston Doumergue, ont écouté le discours du Président du Conseil Édouard Herriot qui n'a pas prononcé une seule fois le mot de socialisme et qui a fait de Jaurès avant tout un héraut de la République : « Ce vaste esprit (…) se hausse au-dessus de l'enfer des faits et, même dans le temps où il accorde le plus à l'influence des forces économiques, il ne cesse de proclamer sa croyance au pouvoir de la libre volonté humaine dans sa lutte contre les milieux pour construire la cité d'harmonie où le travail, affranchi de ses servitudes, fleurirait comme une joie (…). Quelles que fussent, au reste, ses opinions et ses doctrines, Jaurès les inscrivit toujours dans le cadre de l'institution républicaine. (…) Il y voit "la forme définitive de la vie française" et "le type vers lequel évoluent lentement toutes les démocraties du monde". Mais, (…) il ne fut pas moins dévoué à la France dont toutes les qualités se retrouvaient dans son génie (…). Certes, il voulut la paix. (…) "Assurer cette paix par une politique évidente de sagesse, de modération et de droiture, par la répudiation définitive des entreprises de force, par l'acceptation loyale et la pratique des moyens juridiques nouveaux qui peuvent réduire les conflits sans violence. Assurer aussi la paix, vaillamment, par la constitution d'un appareil défensif si formidable que toute pensée d'agression soit découragée chez les plus insolents et les plus rapaces". C'était son programme. ».

    Si c'était le seul discours politique, le premier bénéficiant de microphones pour élever le volume de la voix et la retransmettre à la radio, la cérémonie continuait avec la lecture d'un poème de Victor Hugo (lu par une sociétaire de la Comédie-Française) puis par un oratorio chanté par un chœur de six cents personnes, ce qui donne la mesure de cette cérémonie très fastueuse (qui a fait école, puisque la plupart des cérémonies ressemblent désormais à celle-ci).

    Comme écrit à propos de l'adoption de la loi sur le transfert au Panthéon, il n'y avait pas consensus à l'époque puisque les communistes, exclus de la cérémonie, ont tenté de faire un défilé et une cérémonie parallèle pour protester contre la récupération politicienne de Jaurès par les radicaux et les socialistes, mais aussi, de leur côté, les militants d'extrême droite de l'Action française ont organisé avec un discours de Léon Daudet une cérémonie d'hommage à un nationaliste assassiné par une militante anarchiste qui avait voulu venger Jaurès.

    Le consensus républicain sur Jaurès est arrivé bien plus tard.

    Plus ou moins sincèrement, les leaders de gauche, en particulier socialistes, se sont souvent emparé de la figure tutélaire de Jean Jaurès, en se revendiquant ses héritiers. C'était le cas de Léon Blum, bien sûr, mais aussi de Pierre Mendès France, de François Mitterrand (qui, lors de son intronisation à l'Élysée, le 21 mai 1981, est descendu au Panthéon poser une rose sur la tombe de Jaurès), Lionel Jospin, et même François Hollande. Je précise bien "plus ou moins sincèrement" puisque dès 1924, avec Édouard Herriot dans cet ancrage emblématique, la sincérité était mise au service avant tout des arrières-pensées politiques !
     

     
     


    Mais des personnalités dites de droite ont aussi rendu hommage à Jaurès d'une manière ou d'une autre, le premier Paul Deschanel le 4 août 1914 (voir au début de l'article), aussi De Gaulle qui n'hésitait pas à considérer Jaurès, en 1937, comme l'un des seuls hommes d'État valables de la Troisième République qui avait montré courage, intelligence et sens national, et même Nicolas Sarkozy, qui s'en revendiquait très étrangement en 2007 juste avant son élection à la Présidence de la République, et Alain Juppé venu participer à un colloque le 25 juin 2014 sur le centenaire de l'assassinat de Jaurès à la Sorbonne aux côtés de Robert Badinter, Henri Nallet, Laurent Fabius, Alain Richard, Christiane Taubira, Claude Bartolone, Pierre Bergé, Jean-Noël Jeanneney, etc.

    Enfin, c'est même le cas aussi de personnalités ni de gauche ni de droite, comme le Président Emmanuel Macron qui a rendu implicitement hommage à Jaurès en décidant de faire lire le 2 novembre 2020 (rentrée après les vacances de la Toussaint) sa lettre aux instituteurs et institutrices (publiée le 15 janvier 1888 dans "La Dépêche de Toulouse") aux écoliers de France à l'occasion de l'hommage national rendu à Samuel Paty qui venait d'être assassiné (le 16 octobre 2020). Jaurès avait notamment écrit : « Vous tenez en vos mains l’intelligence et l’âme des enfants ; vous êtes responsables de la patrie. (…) Ils seront hommes, et il faut qu’ils aient une idée de l’homme, il faut qu’ils sachent quelle est la racine de toutes nos misères : l’égoïsme aux formes multiples ; quel est le principe de notre grandeur : la fierté unie à la tendresse. Il faut qu’ils puissent se représenter à grands traits l’espèce humaine domptant peu à peu les brutalités de la nature et les brutalités de l’instinct, et qu’ils démêlent les éléments principaux de cette œuvre extraordinaire qui s’appelle la civilisation. Il faut leur montrer la grandeur de la pensée ; il faut leur enseigner le respect et le culte de l’âme en éveillant en eux le sentiment de l’infini qui est notre joie, et aussi notre force, car c’est par lui que nous triompherons du mal, de l’obscurité et de la mort. (…) J’en veux mortellement à ce certificat d’études primaires qui exagère encore ce vice secret des programmes. Quel système déplorable nous avons en France avec ces examens à tous les degrés qui suppriment l’initiative du maître et aussi la bonne foi de l’enseignement, en sacrifiant la réalité à l’apparence ! Mon inspection serait bientôt faite dans une école. Je ferais lire les écoliers, et c’est là-dessus seulement que je jugerais le maître. Sachant bien lire, l’écolier, qui est très curieux, aurait bien vite, avec sept ou huit livres choisis, une idée, très générale il est vrai, mais très haute de l’histoire de l’espèce humaine, de la structure du monde, de l’histoire propre de la terre dans le monde, du rôle propre de la France dans l’humanité. Le maître doit intervenir pour aider ce premier travail de l’esprit ; il n’est pas nécessaire qu’il dise beaucoup, qu’il fasse de longues leçons ; il suffit que tous les détails qu’il leur donnera concourent nettement à un tableau d’ensemble. ».

    Comme on le voit, Jaurès est devenu l'homme de tous les courants politiques, du moins, de tous les courants républicains (je doute que l'extrême droite se réfère aujourd'hui à Jaurès). En fait, toutes les grandes personnalités de la République française, qui, durant leur existence politique, ont suscité de nombreuses passions françaises et ont été très clivantes, qui ont déchaîné adhésions massives ou rejet total, sont aujourd'hui réunies au sein d'un même consensus républicain qui les honore bien au-delà de tous les partis politiques.

    C'est dans le processus républicain normal et régulier que la République "digère" (je n'ai pas d'autre verbe) ses acteurs pourtant très passionnés et très clivants (très détestés ou très admirés de leur vivant, je le répète) pour les faire aimer de toutes les générations suivantes. Les transferts au Panthéon y concourent, bien sûr, mais pour un nombre ultra-limité de personnalités politiques. D'autres moyens permettent aussi cette reconnaissance consensuelle, en particulier l'appellation des lieux, les noms de rues des villes, les noms d'établissements scolaires, les noms de différents équipements (centres culturels, salles de spectacle, aéroports, gares ou stations de métro, arrêts de bus, gymnases, etc.). Ces personnalités (souvent de la Troisième République) font désormais partie des meubles, presque au sens propre puisque parfois, les usagers de ces rues, de ces stations de métro, etc. ne connaissent plus la personne qui a donné son nom mais uniquement le lieu associé qu'ils fréquentent. Ces personnalités font partie ainsi du patrimoine commun, du patrimoine national, du patrimoine républicain.

    On peut ainsi citer d'autres personnalités qui ont divisé les Français durant leur vivant (comme Jaurès) et qui sont maintenant au patrimoine commun, j'en cite quelques-uns de manière non exhaustive, bien sûr : Clemenceau, De Gaulle, Léon Blum, Pierre Mendès France, Simone Veil, on pourrait même dire Jacques Chirac. Toutes ces personnalités n'appartiennent plus à elles-mêmes, encore moins aux partis qui les soutenaient de leur vivant, mais à l'ensemble de la Nation. Tous ont-elles vocation à avoir une postérité consensuelle ? Certainement pas, on peut déjà citer Philippe Pétain, et je doute que Jean-Marie Le Pen, même après sa mort, puisse jouir de cet unanimisme du socle républicain, que sa fille ait pu ou pas parvenir à prendre le pouvoir.

    Ce consensus républicain va bien au-delà des existences personnelles et aussi des grands sujets de fâcheries politiques, de polémiques nationales, de clivages républicains. Ainsi, il n'y a plus d'opposition entre républicains et monarchistes, la République a gagné, et on aurait tendance à avoir un œil de tendre compassion pour les rares monarchistes qui existent encore (un peu comme une espèce de voie de disparition). Pour la grande guerre française de la laïcité, les catholiques sont maintenant parmi les premiers défenseurs de la loi du 9 décembre 1905 qui impose la neutralité religieuse de l'État et qui, aujourd'hui, apparaît pour certains comme un rempart indispensable contre un risque de charia. On peut aussi citer la loi sur l'IVG, le mariage pour tous et l'abolition de la peine de mort. En d'autres termes, j'ai parlé de "digérer", je pourrais parler aussi de "dissoudre" (mais pas de l'Assemblée) : les valeurs de la République dissolvent les grands clivages politiques, les passions françaises.

    Et le wokisme alors, que vient-il faire dans ma réflexion ? Comme son nom l'indique, il réveille ! Oui ! C'est probablement la meilleure définition de ce mouvement flou particulièrement détestable et croissant qui tend à refaire le monde, à embêter le monde. Il réveille les anciens clivages, les anciennes passions, les anciennes polémiques. C'est un mouvement résolument tourné vers le passé, ce qui est complètement stupide quand il y a tant à faire pour anticiper l'avenir, prévoir les défis du futur.

    Par exemple, lorsqu'on veut détruire les statues honorant Colbert sous (mauvais) prétexte qu'il était pour l'esclavage ou le colonialisme, c'est complètement stupide. Stupide car les personnes ne sont jamais tout blanc ou tout noir, et on vient de le voir avec l'abbé Pierre (heureusement quand même que l'on ne l'a pas transféré au Panthéon, il en était question dans les années 2010 !) et Colbert a quand même été un des constructeurs majeurs de l'État et de la France.

    J'ai cité Jacques Chirac comme seul représentant (actuel) de la Cinquième République (hors De Gaulle et Simone Veil), car Jacques Chirac a su, lui aussi, par son discours sur la rafle du Vel d'hiv, le 16 juillet 1995, réunifier la France et les victimes de Pétain. Cette reconnaissance était essentielle pour refermer les plaies et tourner une page particulièrement détestable de notre histoire. Parmi les responsables politiques depuis 1958, beaucoup ont reçu des hommages appuyés de leurs adversaires politiques à leur mort (entre autres : Raymond Barre, Georges Pompidou, Valéry Giscard d'Estaing, Philippe Séguin, Jacques Delors, Robert Badinter, Michel Rocard, Dominique Baudis, etc.).

    Le pire, d'ailleurs, c'est que repassionner sur des passions réchauffées n'a pas de sens. Sur l'esclavage : plus personne n'est pour l'esclavage et les rares qui le soutiennent sont des fantaisistes (comme les monarchistes français d'aujourd'hui). Idem pour le colonialisme, personne à part des électrons libres ne soutient un nouveau colonialisme, d'autant plus qu'on a déjà assez à faire avec nos territoires actuels. Par exemple, Mayotte n'est pas du colonialisme. Si ce territoire est encore français, c'était par la volonté de sa population qui ne voulait pas de l'indépendance au contraire du reste de l'archipel des Comores.


    Ma conclusion n'étonnera donc pas : pour lutter efficacement contre le wokisme, il faut savoir commémorer ce qui nous rassemble au lieu d'attiser la haine et les divisions antérieures. Rappeler l'histoire, évoquer le passé, quitte éventuellement à l'embellir afin de rendre les valeurs républicaines plus éclatantes. Et chasser tous les diviseurs qui veulent exhumer les conflits anciens : il y a suffisamment de clivages du temps présent pour ne pas se préoccuper des passions passées. À chaque génération ses combats.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (16 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Jean Jaurès.
    Le site de l'Assemblée Nationale rend hommage à Jaurès.
    Panthéon versus wokisme !
    Centenaire du dram.
    Anatole France.
    Alexandre Dumas fils.
    Pierre Waldeck-Rousseau.
    Alexandre Millerand.
    La victoire des impressionnistes.
    Les 120 ans de l'Entente cordiale.
    Mélinée et Missak Manouchian.
    Le Débarquement en Normandie.
    La crise du 6 février 1934.
    Gustave Eiffel.

    Maurice Barrès.
    Joseph Paul-Boncour.
    G. Bruno et son Tour de France par Deux Enfants.
    Pierre Mendès France.
    Léon Blum.
    Jean Zay.
    Le général Georges Boulanger.
    Georges Clemenceau.
    Paul Déroulède.
    Seconde Guerre mondiale.
    Première Guerre mondiale.
    Le Pacte Briand-Kellogg.
    Le Traité de Versailles.
    Charles Maurras.
    L’école publique gratuite de Jules Ferry.
    La loi du 9 décembre 1905.
    Émile Combes.
    Henri Queuille.
    Rosa Luxemburg.
    La Commune de Paris.
    Le Front populaire.
    Le congrès de Tours.
    Georges Mandel.
    Les Accords de Munich.
    Édouard Daladier.
    Clemenceau a perdu.
    Au Panthéon de la République, Emmanuel Macron défend le droit au blasphème.
    L'attentat de Sarajevo.
    150 ans de traditions républicaines françaises.
     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241123-jaures.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/jean-jaures-le-pantheon-et-le-257509

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/19/article-sr-20241123-jaures.html


     

  • La mystérieuse mort du grand danseur Vladimir Shklyarov

    « Il y a un vrai problème avec les balcons en Russie. Ce danseur était opposé à la guerre... mais c’est juste un hasard. Sans doute a-t-il perdu l’équilibre en essayant de s’étirer sur son balcon... » (Samantha de Bendern, le 19 novembre 2024 sur Twitter).


     

     
     


    Le monde de la culture et des arts est en deuil en apprenant la mort du célèbre danseur étoile russe Vladimir Shklyarov à Saint-Pétersbourg ce samedi 16 novembre 2024 à l'âge de 39 ans (il est né à Saint-Pétersbourg, à l'époque encore Leningrad, le 9 février 1985 ; on peut aussi écrire son nom en français Chkliarov).

    Selon les journaux locaux, Vladimir Shklyarov est mort après être tombé du balcon de son appartement, au cinquième étage d'un immeuble de Saint-Pétersbourg (il a fait une chute fatale de 18 mètres). Il aurait pris des analgésiques dans la perspective d'une opération chirurgicale qui avait été programmée. Selon sa collègue danseuse Irina Baranovskaya, il serait sorti dans son balcon pour aller fumer et aurait perdu l'équilibre. Sa mort est considérée comme accidentelle mais, selon RIA Novosti, une enquête a été malgré tout ouverte.

    Comme l'a insinué assez malicieusement la politologue Samantha de Bendern, également chroniqueuse sur LCI, dans son tweet, il y a une véritable malédiction des balcons en Russie, vu le nombre très important de personnes en bonne santé qui chutent d'un balcon et en meurent malencontreusement. Elles avaient toutes pour point commun d'avoir émis des doutes voire des critiques sur la manière dont Vladimir Poutine conduit la Russie.

    Et en effet, Vladimir Shklyarov s'était permis, le 7 mars 2022, quelques jours après le début de la tentative d'invasion de l'Ukraine par la Russie, d'exprimer dans les réseaux sociaux son profond dégoût en écrivant son envie de paix : « Je suis contre toutes les guerres !... Je ne veux ni guerre ni frontières ! », en ajoutant : « Les responsables politiques devraient pouvoir négocier sans tirer ni tuer des civils. Pour cela, on leur a donné une langue et une tête ! ». Mais il a ensuite prudemment supprimé ces messages et n'a plus commenté ultérieurement la guerre en Ukraine dans les réseaux sociaux.

    On pourrait en effet plonger dans une sorte de complotisme mais les statistiques sont éloquentes : il y a beaucoup plus de morts par balcon que dans d'autres pays. Quant aux empoisonnements, il en a beaucoup aussi sur des citoyens russes, mais cette fois-ci, plutôt à l'étranger, très étrangement ! Par exemple, c'était le sixième étage pour l'oligarque Ravil Maganov le 1er septembre 2022 (pas de balcon, juste une fenêtre).

    Ce qui est bien surprenant, c'est que, comme danseur, Vladimir Shklyarov était un grand sportif et avait donc un grand contrôle de son corps, au contraire des maladroits qui, eux, ne sont jamais en représentation artistique. La philosophe Valérie Kokoszka a conclu le 17 novembre 2024 sur Twitter : « La Russie de Poutine efface toute beauté et toute grâce. ». C'est peut-être un peu trop rapide en réflexion. On ne saura jamais mais le doute subsistera toujours.

    Vladimir Shklyarov était un grand danseur depuis 2003, l'un des danseurs principaux du Ballet Mariinsky, la compagnie du Théâtre Mariinsky à Saint-Pétersbourg. Il était également danseur invité au Ballet de Bavière à Munich, au Royal Ballet de Londres ainsi qu'à l'American Ballet Theater. Il s'est marié en 2013 avec Maria Shirinkina, première soliste au Mariinsky, et ils ont eu deux enfants.

     
     


    Pour lui rendre hommage, voici quelques représentations trouvées sur Internet de sa vingtaine d'années de belle carrière. Les funérailles auront lieu ce jeudi 21 novembre 2024. Condoléances à la famille.


    1. XIII International Ballet Festival Mariinsky (le 10 mars 2013)






    2. Don Quichotte (le 10 mai 2014 avec Viktoria Tereshina)






    3. Roméo et Juliette (en 2013 avec Diana Vishneva)












    4. Fall in Love with dance (2 juillet 2013)






    5. Dernière vidéo de Vladimir Shklyarov






    6. Rétrospective (Guardians News)






    7. Rétrospective (Entertainment Tonight)






    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (19 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Vladimir Shklyarov.
    Les victoires européennes de la Moldavie.
    Nikita Khrouchtchev.
    Zelensky : Poutine, c'est l'anti-Europe !
    L'aide de la France à l'Ukraine le 6 juin 2024.
    L'attentat islamiste du Crocus City Hall de Moscou.
    Le Sacre du Printemps.
    Comment rester au pouvoir après 2024 ?

     
     



    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241116-shklyarov.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/la-mysterieuse-mort-du-grand-257730

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/19/article-sr-20241116-shklyarov.html




     

  • Panthéon versus wokisme !

    « Ceux qui discutaient ses idées et qui savaient sa force sentaient aussi ce que, dans nos controverses, ils devaient à ce grand foyer de lumière. Ses adversaires sont atteints comme ses amis et s'inclinent avec tristesse devant notre tribune en deuil. Mais, que dis-je, y a-t-il encore des adversaires ? Non, il n'y a plus que des Français... des Français qui, depuis quarante-quatre ans, ont fait à la cause de la paix tous les sacrifices, et qui, aujourd'hui sont prêts à tous les sacrifices pour la plus sainte des causes : le salut de la civilisation, liberté de la France et de l'Europe. Du cercueil de l'homme qui a péri martyr, de ses idées sort une pensée d'union ! De ses lèvres glacées sort un cri d'espérance. Maintenir cette union, réaliser cette espérance, pour la patrie, pour la justice, pour la conscience humaine, n'est-ce pas le plus digne hommage que nous puissions lui rendre ? » (Paul Deschanel, le 4 août 1914 au perchoir de l'Assemblée Nationale).




     

     
     


    Il y a cent ans, le dimanche 23 novembre 1924, les cendres de Jean Jaurès ont été transférées au Panthéon (depuis sa tombe au grand cimetière d'Albi) à l'occasion d'une grande cérémonie à vocation républicaine mais aussi politique. Jaurès, comme Gambetta, Clemenceau, De Gaulle, Foch et Leclerc, fait partie des très rares personnalités de la République française à généralement ne pas avoir son prénom collé à son nom, tellement ils font partie du paysage politique et historique.

    Pour l'occasion, la ville de Carmaux (dans le Tarn), dont Jaurès était l'élu (il voulait représenter les mineurs de Carmaux), a proposé à ses administrés un voyage organisé à Paris du 22 au 24 novembre 2024 pour revivre les moments Jaurès, à l'ancienne gare d'Orsay, au café du Croissant, au Palais-Bourbon, au Palais du Luxembourg, et bien sûr, au Panthéon.


    Le leader du socialisme à la française, fondateur du journal "L'Humanité", est mort assassiné un peu plus de dix ans auparavant, le 31 juillet 1914, sous les balles d'un assassin d'extrême droite, alors qu'il prenait un repas dans un restaurant parisien. La mort du pacifiste coïncide aussi avec le début de la Première Guerre mondiale, déclarée le 3 août 1914 à la France par l'Allemagne à la suite d'un déchaînement d'événements provoqués par l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand d'Autriche, l'héritier de l'empire austro-hongrois (et sa femme), le 28 juin 1914 à Sarajevo par un nationaliste serbe (l'Autriche-Hongrie avait déjà déclaré la guerre à la Serbie le 28 juillet 1914).

    Pour les socialistes, l'assassinat de Jaurès et le début de la guerre ont définitivement coupé leur élan pacifiste et plongé la classe politique française dans l'Union nationale face à l'ennemi. C'est bien beau d'être pacifiste, mais si on vous déclare la guerre, il faut bien répondre, sinon, on est envahi (c'est l'objet de la résistance ukrainienne face aux troupes de Vladimir Poutine depuis plus de mille jours). C'est d'ailleurs un socialiste, René Viviani, cofondateur de "L'Humanité", qui, devenu Président du Conseil le 13 juin 1914, allait mettre en place et mener l'Union nationale au début de la guerre.

     
     


    Le 4 août 1914, après l'hommage du Président de la Chambre Paul Deschanel (futur Président de la République en 1920) à Jean Jaurès, René Viviani a d'ailleurs lu le fameux message du Président de la République Raymond Poincaré annonçant la guerre : « Aussi attentive que pacifique, [la France] s'était préparée ; et nos ennemis vont rencontrer sur leur chemin nos vaillantes troupes de couverture, qui sont à leurs postes, et à l'abri desquelles s'achèvera métho­diquement la mobilisation de toutes nos forces nationales. Notre belle et courageuse armée, que la France accompagne aujourd'hui de sa pensée maternelle, s'est levée, toute frémissante, pour défendre l'honneur du drapeau et le sol de la patrie. Le Président de la République, interprète de l'unanimité du pays, exprime à nos troupes de terre et de mer l’admiration et la confiance de tous les Français. ».

    Le message très consensuel (voir en début d'article) de Paul Deschanel, alors républicain modéré (aujourd'hui, de centre droit), en hommage à Jean Jaurès (socialiste), qui avait pour ambition de rassembler toute la classe politique derrière le seul impératif, défendre la patrie, en pleine déclaration de guerre, était aussi un premier signe de volonté de consensus des grands hommes de la République au-delà des clivages politiques.

     
     


    Et le transfert des cendres de Jaurès au Panthéon répondait d'abord à un objectif politique très déterminé : la gauche, revenue au pouvoir pour la première fois depuis la fin de la guerre, avec la victoire du Cartel des gauches aux élections législatives des 11 et 25 mai 1924, voulait revenir aux sources en honorant Jean Jaurès afin de montrer que le nouveau gouvernement, dirigé par le président du parti radical Édouard Herriot depuis le 14 juin 1924, n'était pas "bourgeois". Cela permettait de mobiliser les "classes populaires" derrière ce gouvernement, tout en rendant au nom de la République (et pas de la gauche) un hommage solennel à Jean Jaurès (qui, rappelons-le, n'a jamais été au pouvoir au contraire de Georges Clemenceau et Léon Blum).

    Aristide Briand, qui avait visité le Panthéon avec Jaurès, pouvait pourtant témoigner que Jaurès n'aurait jamais voulu être inhumé dans ce temple de la République, mais peut-être l'a-t-il fait savoir avec trop peu d'insistance (au contraire de De Gaulle). Voici ce qu'il disait à Aristide Briand : « Il est certain que je ne serai jamais porté ici. Mais si j’avais le sentiment qu’au lieu de me donner pour sépulture un de nos petits cimetières ensoleillés et fleuris de campagne, on dût porter ici mes cendres, je vous avoue que le reste de ma vie en serait empoisonné. ».

    Beaucoup d'élus de gauche comme Léon Blum et aussi Paul Painlevé, voulaient quand même honorer celui qui était contre l'injustice commise au capitaine Alfred Dreyfus. Un projet de loi a donc été déposé le 9 juillet 1924 pour faire ce transfert au Panthéon et il a été adopté au Sénat et à la Chambre des députés le 31 juillet 1924, au jour symbolique du dixième anniversaire de son assassinat. À cette époque, loin de faire consensus, ce transfert avait été violemment combattu tant par les députés nationalistes de l'Action française que par les communistes qui considéraient que le Cartel des gauches volaient Jaurès alors qu'ils s'en réclamaient aussi (la scission entre communistes et socialistes au congrès de Tours était encore toute fraîche).
     

     
     


    La cérémonie fut organisée minutieusement, de manière très théâtrale, selon la volonté des députés socialistes ; elle fut confiée au metteur en scène Firmin Gémier (que ceux qui y voient un parallèle avec la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques à Paris le 26 juillet 2024 confiée à Thomas Jolly gagnent un bon point !). Ce fut un grand moment de la République au même titre que les funérailles de Victor Hugo. Le cercueil de Jaurès est arrivé à la gare d'Orsay le 22 novembre 1924 accompagné par les mineurs de Carmaux, puis installé dans la salle Casimir Périer du Palais-Bourbon pour la nuit, où veillaient la famille, le gouvernement et quelques autres parlementaires.

    En 1938, Paul Nizan donna de cette veillée une version très négative, dénonçant son insincérité politique : « C'était une intolérable nuit. Dans ce grand alvéole de pierre, Laforgue et ses amis avaient l'impression d'être les complices silencieux de politiques habiles qui avaient adroitement escamoté cette bière héroïque et cette poussière d'homme assassiné, qui devaient être les pièces importantes d'un jeu dont les autres pions étaient sans doute des monuments, des hommes, des conversations, des votes, des promesses, des médailles et des affaires d'argent : ils se sentaient moins que rien parmi tous ces types calculateurs et cordiaux. Heureusement, il venait parfois à travers les murailles et la rumeur étouffée des piétinements et des musiques, comme une rafale de cris, et ils se disaient alors qu'il devait exister dans la nuit une espèce de vaste mer qui se brisait avec de la rage et de la tendresse contre les falaises aveugles de la Chambre ; ils ne distinguaient pas de quels mots ces cris étaient faits, mais ils devinaient quelquefois Jaurès au bout de ces clameurs. ».

    Le lendemain fut grandiose, raconté par un fonctionnaire de la Chambre, Georges Gatulle, cité par le site de l'Assemblée Nationale : « À midi 45, on a fait avancer le pavois destiné à recevoir le corps. Le pavois de 26 m de long, sur 5 m de haut, enveloppé de drap d'argent prolongé par une grande traîne tricolore, et surmonté d'un catafalque noir, sans ornement, a été porté à bras jusqu'au Panthéon par 70 mineurs de Carmaux en costume de travail. La levée du corps a eu lieu à 13h10 ». Environ 120 000 à 150 000 personnes auraient assisté au cortège qui s'est acheminé jusqu'au Panthéon à 14 heurs 30.

     
     


    À l'intérieur du bâtiment, 2 000 invités privilégiés, dont le gouvernement et le Président de la République Gaston Doumergue, ont écouté le discours du Président du Conseil Édouard Herriot qui n'a pas prononcé une seule fois le mot de socialisme et qui a fait de Jaurès avant tout un héraut de la République : « Ce vaste esprit (…) se hausse au-dessus de l'enfer des faits et, même dans le temps où il accorde le plus à l'influence des forces économiques, il ne cesse de proclamer sa croyance au pouvoir de la libre volonté humaine dans sa lutte contre les milieux pour construire la cité d'harmonie où le travail, affranchi de ses servitudes, fleurirait comme une joie (…). Quelles que fussent, au reste, ses opinions et ses doctrines, Jaurès les inscrivit toujours dans le cadre de l'institution républicaine. (…) Il y voit "la forme définitive de la vie française" et "le type vers lequel évoluent lentement toutes les démocraties du monde". Mais, (…) il ne fut pas moins dévoué à la France dont toutes les qualités se retrouvaient dans son génie (…). Certes, il voulut la paix. (…) "Assurer cette paix par une politique évidente de sagesse, de modération et de droiture, par la répudiation définitive des entreprises de force, par l'acceptation loyale et la pratique des moyens juridiques nouveaux qui peuvent réduire les conflits sans violence. Assurer aussi la paix, vaillamment, par la constitution d'un appareil défensif si formidable que toute pensée d'agression soit découragée chez les plus insolents et les plus rapaces". C'était son programme. ».

    Si c'était le seul discours politique, le premier bénéficiant de microphones pour élever le volume de la voix et la retransmettre à la radio, la cérémonie continuait avec la lecture d'un poème de Victor Hugo (lu par une sociétaire de la Comédie-Française) puis par un oratorio chanté par un chœur de six cents personnes, ce qui donne la mesure de cette cérémonie très fastueuse (qui a fait école, puisque la plupart des cérémonies ressemblent désormais à celle-ci).
     

     
     


    Comme écrit à propos de l'adoption de la loi sur le transfert au Panthéon, il n'y avait pas consensus à l'époque puisque les communistes, exclus de la cérémonie, ont tenté de faire un défilé et une cérémonie parallèle pour protester contre la récupération politicienne de Jaurès par les radicaux et les socialistes, mais aussi, de leur côté, les militants d'extrême droite de l'Action française ont organisé avec un discours de Léon Daudet une cérémonie d'hommage à un nationaliste assassiné par une militante anarchiste qui avait voulu venger Jaurès.

    Le consensus républicain sur Jaurès est arrivé bien plus tard.

    Plus ou moins sincèrement, les leaders de gauche, en particulier socialistes, se sont souvent emparé de la figure tutélaire de Jean Jaurès, en se revendiquant ses héritiers. C'était le cas de Léon Blum, bien sûr, mais aussi de Pierre Mendès France, de François Mitterrand (qui, lors de son intronisation à l'Élysée, le 21 mai 1981, est descendu au Panthéon poser une rose sur la tombe de Jaurès), Lionel Jospin, et même François Hollande. Je précise bien "plus ou moins sincèrement" puisque dès 1924, avec Édouard Herriot dans cet ancrage emblématique, la sincérité était mise au service avant tout des arrières-pensées politiques !

     
     


    Mais des personnalités dites de droite ont aussi rendu hommage à Jaurès d'une manière ou d'une autre, le premier Paul Deschanel le 4 août 1914 (voir au début de l'article), aussi De Gaulle qui n'hésitait pas à considérer Jaurès, en 1937, comme l'un des seuls hommes d'État valables de la Troisième République qui avait montré courage, intelligence et sens national, et même Nicolas Sarkozy, qui s'en revendiquait très étrangement en 2007 juste avant son élection à la Présidence de la République, et Alain Juppé venu participer à un colloque le 25 juin 2014 sur le centenaire de l'assassinat de Jaurès à la Sorbonne aux côtés de Robert Badinter, Henri Nallet, Laurent Fabius, Alain Richard, Christiane Taubira, Claude Bartolone, Pierre Bergé, Jean-Noël Jeanneney, etc.

    Enfin, c'est même le cas aussi de personnalités ni de gauche ni de droite, comme le Président Emmanuel Macron qui a rendu implicitement hommage à Jaurès en décidant de faire lire le 2 novembre 2020 (rentrée après les vacances de la Toussaint) sa lettre aux instituteurs et institutrices (publiée le 15 janvier 1888 dans "La Dépêche de Toulouse") aux écoliers de France à l'occasion de l'hommage national rendu à Samuel Paty qui venait d'être assassiné (le 16 octobre 2020). Jaurès avait notamment écrit : « Vous tenez en vos mains l’intelligence et l’âme des enfants ; vous êtes responsables de la patrie. (…) Ils seront hommes, et il faut qu’ils aient une idée de l’homme, il faut qu’ils sachent quelle est la racine de toutes nos misères : l’égoïsme aux formes multiples ; quel est le principe de notre grandeur : la fierté unie à la tendresse. Il faut qu’ils puissent se représenter à grands traits l’espèce humaine domptant peu à peu les brutalités de la nature et les brutalités de l’instinct, et qu’ils démêlent les éléments principaux de cette œuvre extraordinaire qui s’appelle la civilisation. Il faut leur montrer la grandeur de la pensée ; il faut leur enseigner le respect et le culte de l’âme en éveillant en eux le sentiment de l’infini qui est notre joie, et aussi notre force, car c’est par lui que nous triompherons du mal, de l’obscurité et de la mort. (…) J’en veux mortellement à ce certificat d’études primaires qui exagère encore ce vice secret des programmes. Quel système déplorable nous avons en France avec ces examens à tous les degrés qui suppriment l’initiative du maître et aussi la bonne foi de l’enseignement, en sacrifiant la réalité à l’apparence ! Mon inspection serait bientôt faite dans une école. Je ferais lire les écoliers, et c’est là-dessus seulement que je jugerais le maître. Sachant bien lire, l’écolier, qui est très curieux, aurait bien vite, avec sept ou huit livres choisis, une idée, très générale il est vrai, mais très haute de l’histoire de l’espèce humaine, de la structure du monde, de l’histoire propre de la terre dans le monde, du rôle propre de la France dans l’humanité. Le maître doit intervenir pour aider ce premier travail de l’esprit ; il n’est pas nécessaire qu’il dise beaucoup, qu’il fasse de longues leçons ; il suffit que tous les détails qu’il leur donnera concourent nettement à un tableau d’ensemble. ».

    Comme on le voit, Jaurès est devenu l'homme de tous les courants politiques, du moins, de tous les courants républicains (je doute que l'extrême droite se réfère aujourd'hui à Jaurès). En fait, toutes les grandes personnalités de la République française, qui, durant leur existence politique, ont suscité de nombreuses passions françaises et ont été très clivantes, qui ont déchaîné adhésions massives ou rejet total, sont aujourd'hui réunies au sein d'un même consensus républicain qui les honore bien au-delà de tous les partis politiques.

    C'est dans le processus républicain normal et régulier que la République "digère" (je n'ai pas d'autre verbe) ses acteurs pourtant très passionnés et très clivants (très détestés ou très admirés de leur vivant, je le répète) pour les faire aimer de toutes les générations suivantes. Les transferts au Panthéon y concourent, bien sûr, mais pour un nombre ultra-limité de personnalités politiques. D'autres moyens permettent aussi cette reconnaissance consensuelle, en particulier l'appellation des lieux, les noms de rues des villes, les noms d'établissements scolaires, les noms de différents équipements (centres culturels, salles de spectacle, aéroports, gares ou stations de métro, arrêts de bus, gymnases, etc.). Ces personnalités (souvent de la Troisième République) font désormais partie des meubles, presque au sens propre puisque parfois, les usagers de ces rues, de ces stations de métro, etc. ne connaissent plus la personne qui a donné son nom mais uniquement le lieu associé qu'ils fréquentent. Ces personnalités font partie ainsi du patrimoine commun, du patrimoine national, du patrimoine républicain.

    On peut ainsi citer d'autres personnalités qui ont divisé les Français durant leur vivant (comme Jaurès) et qui sont maintenant au patrimoine commun, j'en cite quelques-uns de manière non exhaustive, bien sûr : Clemenceau, De Gaulle, Léon Blum, Pierre Mendès France, Simone Veil, on pourrait même dire Jacques Chirac. Toutes ces personnalités n'appartiennent plus à elles-mêmes, encore moins aux partis qui les soutenaient de leur vivant, mais à l'ensemble de la Nation. Tous ont-elles vocation à avoir une postérité consensuelle ? Certainement pas, on peut déjà citer Philippe Pétain, et je doute que Jean-Marie Le Pen, même après sa mort, puisse jouir de cet unanimisme du socle républicain, que sa fille ait pu ou pas parvenir à prendre le pouvoir.

    Ce consensus républicain va bien au-delà des existences personnelles et aussi des grands sujets de fâcheries politiques, de polémiques nationales, de clivages républicains. Ainsi, il n'y a plus d'opposition entre républicains et monarchistes, la République a gagné, et on aurait tendance à avoir un œil de tendre compassion pour les rares monarchistes qui existent encore (un peu comme une espèce de voie de disparition). Pour la grande guerre française de la laïcité, les catholiques sont maintenant parmi les premiers défenseurs de la loi du 9 décembre 1905 qui impose la neutralité religieuse de l'État et qui, aujourd'hui, apparaît pour certains comme un rempart indispensable contre un risque de charia. On peut aussi citer la loi sur l'IVG, le mariage pour tous et l'abolition de la peine de mort. En d'autres termes, j'ai parlé de "digérer", je pourrais parler aussi de "dissoudre" (mais pas de l'Assemblée) : les valeurs de la République dissolvent les grands clivages politiques, les passions françaises.

    Et le wokisme alors, que vient-il faire dans ma réflexion ? Comme son nom l'indique, il réveille ! Oui ! C'est probablement la meilleure définition de ce mouvement flou particulièrement détestable et croissant qui tend à refaire le monde, à embêter le monde. Il réveille les anciens clivages, les anciennes passions, les anciennes polémiques. C'est un mouvement résolument tourné vers le passé, ce qui est complètement stupide quand il y a tant à faire pour anticiper l'avenir, prévoir les défis du futur.

    Par exemple, lorsqu'on veut détruire les statues honorant Colbert sous (mauvais) prétexte qu'il était pour l'esclavage ou le colonialisme, c'est complètement stupide. Stupide car les personnes ne sont jamais tout blanc ou tout noir, et on vient de le voir avec l'abbé Pierre (heureusement quand même que l'on ne l'a pas transféré au Panthéon, il en était question dans les années 2010 !) et Colbert a quand même été un des constructeurs majeurs de l'État et de la France.

    J'ai cité Jacques Chirac comme seul représentant (actuel) de la Cinquième République (hors De Gaulle et Simone Veil), car Jacques Chirac a su, lui aussi, par son discours sur la rafle du Vel d'hiv, le 16 juillet 1995, réunifier la France et les victimes de Pétain. Cette reconnaissance était essentielle pour refermer les plaies et tourner une page particulièrement détestable de notre histoire. Parmi les responsables politiques depuis 1958, beaucoup ont reçu des hommages appuyés de leurs adversaires politiques à leur mort (entre autres : Raymond Barre, Georges Pompidou, Valéry Giscard d'Estaing, Philippe Séguin, Jacques Delors, Robert Badinter, Michel Rocard, Dominique Baudis, etc.).

    Le pire, d'ailleurs, c'est que repassionner sur des passions réchauffées n'a pas de sens. Sur l'esclavage : plus personne n'est pour l'esclavage et les rares qui le soutiennent sont des fantaisistes (comme les monarchistes français d'aujourd'hui). Idem pour le colonialisme, personne à part des électrons libres ne soutient un nouveau colonialisme, d'autant plus qu'on a déjà assez à faire avec nos territoires actuels. Par exemple, Mayotte n'est pas du colonialisme. Si ce territoire est encore français, c'était par la volonté de sa population qui ne voulait pas de l'indépendance au contraire du reste de l'archipel des Comores.


    Ma conclusion n'étonnera donc pas : pour lutter efficacement contre le wokisme, il faut savoir commémorer ce qui nous rassemble au lieu d'attiser la haine et les divisions antérieures. Rappeler l'histoire, évoquer le passé, quitte éventuellement à l'embellir afin de rendre les valeurs républicaines plus éclatantes. Et chasser tous les diviseurs qui veulent exhumer les conflits anciens : il y a suffisamment de clivages du temps présent pour ne pas se préoccuper des passions passées. À chaque génération ses combats.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (16 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Jean Jaurès.
    Le site de l'Assemblée Nationale rend hommage à Jaurès.
    Panthéon versus wokisme !
    Centenaire du dram.
    Anatole France.
    Alexandre Dumas fils.
    Pierre Waldeck-Rousseau.
    Alexandre Millerand.
    La victoire des impressionnistes.
    Les 120 ans de l'Entente cordiale.
    Mélinée et Missak Manouchian.
    Le Débarquement en Normandie.
    La crise du 6 février 1934.
    Gustave Eiffel.

    Maurice Barrès.
    Joseph Paul-Boncour.
    G. Bruno et son Tour de France par Deux Enfants.
    Pierre Mendès France.
    Léon Blum.
    Jean Zay.
    Le général Georges Boulanger.
    Georges Clemenceau.
    Paul Déroulède.
    Seconde Guerre mondiale.
    Première Guerre mondiale.
    Le Pacte Briand-Kellogg.
    Le Traité de Versailles.
    Charles Maurras.
    L’école publique gratuite de Jules Ferry.
    La loi du 9 décembre 1905.
    Émile Combes.
    Henri Queuille.
    Rosa Luxemburg.
    La Commune de Paris.
    Le Front populaire.
    Le congrès de Tours.
    Georges Mandel.
    Les Accords de Munich.
    Édouard Daladier.
    Clemenceau a perdu.
    Au Panthéon de la République, Emmanuel Macron défend le droit au blasphème.
    L'attentat de Sarajevo.
    150 ans de traditions républicaines françaises.
     

     
     



    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241123-pantheon-vs-wokisme.html

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/19/article-sr-20241123-pantheon-wokisme.html




     

  • Michel Barnier sur les pas de Pierre Mendès France

    « Il y a aussi une phrase d'un homme politique, d'un homme d'État, que moi j'ai admiré, Pierre Mendès France, qui disait, "ne jamais sacrifier l'avenir au présent". C'est dans cet état d'esprit-là, si exigeant, dans lequel je me trouve en ce moment. Je ne veux pas sacrifier l'avenir, y compris à moyen terme, au présent extrêmement difficile dans lequel je me trouve, avec vous. » (Michel Barnier, le 15 novembre 2024 à Angers).



     

     
     


    Un peu plus de deux mois, une longévité archicourte et pourtant, l'étoffe d'un grand Premier Ministre pour la France. Michel Barnier est décidément un oiseau bien particulier de la vie politique française. On le connaissait depuis une bonne quarantaine d'années, la Savoie, les Jeux olympiques d'Albertville, l'Environnement, l'Europe, le Brexit... des dizaines de dossiers majeurs qu'on lui a confiés et qui lui ont donné expérience, assurance, malgré une humilité qu'il maintient jalousement, et aussi de la sagesse. On le connaissait, mais on ne l'a pas vu surgir cet été comme l'homme majeur qu'il fallait pour une classe politique paralysée par la stupéfaction de la dissolution, détrônant probablement Gabriel Attal et Jordan Bardella dans le concours de la personnalité politique de l'année 2024 (au grand dam de Lucie Castets). En somme, un homme providentiel, comme il en surgit quelques-uns dans la vie politique.

    Loin d'être seulement épanoui, il donne toute la mesure de son rôle et marque étape après étape les conditions de l'exercice du pouvoir. Avant même de citer lui-même Pierre Mendès France, en l'écoutant parler lors de son discours pour la clôture des 93e congrès de l'Association des départements de France où étaient réunis plus d'une centaine de présidents de conseils départementaux (sous la présidence du centriste François Sauvadet, président du conseil départemental de la Côte-d'Or), je le mettais juste en parallèle avec Pierre Mendès France qui a gouverné si peu de temps mais si densément, puisqu'on en parle encore soixante-dix ans plus tard !

    Mais avant d'évoquer ce discours d'Angers qui m'a paru plus important que par sa seule portée sur ses relations avec les collectivités territoriales (en particulier les départements et les communes), revenons au matin, voire à la veille puisque les propos du Premier Ministre, interviewé par Cyril Petit, Yves-Marie Robin et Stéphane Vernay, publiés dans le journal "Ouest-France" daté du 15 novembre 2024, étaient connus dès la veille. Qu'a-t-il dit dans cette interview ? Beaucoup de choses (une page complète du journal régional) mais j'en retiendrai deux en particulier. À la question sur l'utilisation de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution à la fin de la procédure budgétaire, Michel Barnier a répondu : « Probablement. Quand je vois ce qu'il s'est passé à l'Assemblée Nationale, il me semble difficile de faire autrement au bout de la discussion. ». Son sens de l'ouverture et de la concertation n'en sera pas pour autant affecté, puisqu'il a déclaré très clairement : « C'est à nous de faire la preuve que la méthode est utile pour consolider et apaiser le pays. Nous voulons remettre du respect et du dialogue partout. ». Cette dernière phrase est sans doute la plus emblématique de cet ancien jeune gaulliste.

    Et son application directe, celle du respect et du dialogue, c'était justement sa rencontre avec les présidents des conseils départementaux. En raison de la chute de l'immobilier (les droits de mutation font partie de leurs recettes principales), les départements sont en forte difficulté financière alors qu'ils sont les premiers guichets de l'aide sociale de l'État.


    Je n'évoquerai pas les propos spécifiquement destinés aux élus départementaux pour simplement reprendre quelques déclarations politiques générales. Comme dans chaque intervention de Michel Barnier, il y a une extraordinaire maîtrise à la fois de la forme et du fond. Du fond, évidemment, avec une telle expérience politique, mais aussi de la forme, tant sa forme physique et mentale qui paraît excellente (c'est un grand sportif) que son intelligence des dossiers et de la communication politique. Avec toujours en prime cette pointe d'humour, parfois ironique, très ciblée, très dense, amenée toujours à l'improviste, par surprise, déconcertante, mais toujours bien léchée. En somme, il est redoutable, et il fallait bien cela pour évoluer dans cette situation inédite d'absence de majorité à l'Assemblée.

    De même, il est difficile de bien comprendre le personnage : a-t-il un ego fort ou pas ? À ce niveau de responsabilité, il est toujours fort, et on voit que sur certains sujets, il est déterminé et il s'accroche, mais il montre aussi une forme très intelligente, très réfléchie de modestie, d'humilité, face à ses fonctions (très temporaires, il ne cesse de le rappeler), mais aussi face aux défis. Cultive-t-il pour autant l'autodérision ? Pas forcément.

    Sur la brièveté de son parcours à Matignon, il a multiplié les incertitudes : « Au moment de commencer ce parcours, dont je ne sais pas la durée, d'ailleurs. J'espère que j'aurais le temps de dépasser l'extrême urgence dans laquelle je me trouve, nous nous trouvons, pour remonter la ligne d'horizon. Mais ce que je veux vous dire, simplement, parce que j'ai été élu conseiller départemental, conseiller général, j'avais 22 ans. J'étais, d'ailleurs, à l'époque, le plus jeune conseiller général de France. C'est un titre qu'on perd assez vite. Comme j'ai été, un peu plus tard, le plus jeune président de département, à 32 ans. Mesdames et messieurs, j'avais, à cette époque, une capacité d'enthousiasme, une capacité d'indignation. Et ce que je veux dire, c'est que cinquante et un ans plus tard, cette première élection de suffrage universel, je n'ai perdu ni l'une ni l'autre. Je viens vous voir avec de l'humilité, et tous les jours, je reçois des leçons d'humilité. ».

    Au final, il a tablé sur près de trois ans, un mandat qui finirait avec l'élection présidentielle de 2027. Très optimiste ? Pas du tout ! Michel Barnier non seulement s'est permis de citer Jean Monnet, mais en prenant soin de préciser : « un homme que je respectais, même si je n'ai pas toujours été totalement proche de ses idées » : « à qui on demandait, Monsieur Monnet, est-ce que vous êtes pessimiste ou optimiste ? Il disait, ni l'un ni l'autre, je suis déterminé. C'est l'état d'esprit dans lequel je me trouve devant vous aujourd'hui. ».

    En introduction, une petite leçon sur l'ascendance de la technocratie dans la vie politique : « J'ai appris une chose aussi, et je peux vous dire que c'est extrêmement utile à la place où je me trouve en ce moment, c'est qu'à Angers, comme à Paris, comme à Bruxelles, n'oubliez pas Bruxelles, quand les hauts fonctionnaires, les bureaucrates prennent le pouvoir, c'est que les hommes ou les femmes politiques leur ont laissé le pouvoir. ».


    Et le premier message aux départements, c'était de dire qu'il réduirait l'effort budgétaire des collectivités locales : « Je suis là pour vous dire, en tenant compte de votre situation très spécifique et qui n'a peut-être pas été bien vue dans les premiers scénarios budgétaires, que nous allons réduire très significativement l'effort qui vous est demandé par le projet de loi de finances. ». Cela reste vague mais signifierait qu'au lieu de 5 milliards d'euros d'économies, il en demanderait apparemment seulement 2. Message assorti un peu plus tard de cette déclaration d'amour de l'ancien président du conseil général de Savoie : « La place où je me trouve, je n'accepte pas que les départements aient le sentiment de devenir de simples opérateurs de l'État. Ce n'est pas ce que nous avons voulu collectivement avec les lois de décentralisation, et je les ai bien connues. Parce que j'ai eu l'honneur de devenir président de département en mars 82, au moment même où la loi Defferre, qui reste, je le pense, personnellement, avec l'abolition de la peine de mort, l'une des deux grandes réformes fondamentales, d'une nature différente, évidemment, du premier septennat de François Mitterrand. ».

    Autre message, l'absolue nécessité d'une simplification administrative : « Tout à l'heure, je discutais dans le train avec Michel Cadot, que vous connaissez, un grand préfet qui est à mes côtés et qui est votre interlocuteur aussi, si vous avez besoin de me faire passer des messages très directs sur le bénéfice que notre pays trouverait à réduire ce carcan de normes, cette simplification qui va être une tâche. Je crois que c'est 2 à 3% du PIB qu'on pourrait gagner collectivement, sans parler de l'efficacité et de la relance. ».


    Puis, toujours à destination de l'ensemble des politiques et des Français, Michel Barnier a rappelé qu'il n'était pas Lucie Castets : « À la place où je me trouve, Mesdames et Messieurs les présidents, et je m'y trouve pour un temps que je ne connais pas. Est-ce que j'ai besoin de rappeler que je ne me suis pas roulé par terre pour être Premier Ministre ? J'étais prêt, j'étais disponible, j'avais obtenu, acquis cette expérience que donne la collectivité territoriale pendant dix-sept ans, j'ai eu quatre fois l'honneur d'être membre de gouvernement avec François Mitterrand, avec Nicolas Sarkozy, avec Jacques Chirac évidemment, et puis j'ai eu cette opportunité, cette chance d'apprendre comment renforcer l'influence française au plan européen et d'être, pendant quinze ans à Bruxelles, comme commissaire ou comme négociateur du Brexit. J'étais prêt à utiliser cette expérience. Si je vous disais le contraire, je vous raconterais des histoires. On a tous des ambitions, elles sont légitimes. Mais je n'étais pas demandeur. Je n'étais pas demandeur. Et j'ai accepté de servir, comme vous servez, Mesdames et messieurs les présidents, je le dis à tous les élus, et d'utiliser tout ce que j'ai appris pour notre pays. ».

    Cette expression, "roulé par terre", il l'a également utilisée dans son interview dans "Ouest-France" : « Je ne me suis pas roulé par terre pour être Premier Ministre. J'étais prêt, disponible, mais je n'étais pas demandeur. J'ai accepté en me disant que je pouvais être utile. J'essaie de remettre du calme, du respect partout. ».


    Et sa situation fait aussi qu'il est complètement libre, le confirmant en poursuivant son discours ainsi : « Mais je suis aussi prêt à partir demain matin. Il faut que vous le sachiez. Si les conditions ne sont plus réunies pour changer, faire face à l'urgence ou à l'extrême urgence, et puis réformer ce pays pendant le temps que j'aurais. C'est ça, mon seul objectif. ». Il ne fait pas un chantage à la démission, mais il veut pouvoir exercer la plénitude de ses responsabilités que personne d'autre, il faut bien l'avouer, ne voulait (surtout pas un parlementaire ou élu de la nouvelle farce populaire).

    Il s'est même amusé de son âge : « Je n'ai pas d'agenda pour après. J'ai 73 ans aujourd'hui. J'en aurai 76 en 2027. Je n'ai pas besoin qu'on me rappelle mon âge. Je sais ce qui est raisonnable et ce qui ne serait pas raisonnable. J'ai simplement envie que, pour tout vous dire, à la fin de ce mandat, j'espère deux ans et demi, 2027, puisqu’à ça, c’est qu’on se dise, tiens, Barnier avec toute l'équipe qui l'entoure (…)... J’ai envie qu’on dise que cette équipe a créé du progrès, ce qui est l'essence même de la politique, mesdames et messieurs, créer du progrès. Qu'est-ce qu'on fait avec un mandat de cinq ans ou de six ans, des lois, des règlements, des projets avec des valeurs et des convictions aussi, c'est mieux d'en avoir. On doit créer du progrès collectif. C'est ce que vous faites chacune et chacun dans vos départements. C'est ça notre honneur. C'est de se dire qu'à la fin de notre mandat, la situation est meilleure, sans faire de miracle, meilleure, un peu meilleure que celle qu'on a trouvée en arrivant. C'est ça dont j'ai envie. Et je n'ai pas d'autres ambitions, il faut que vous le sachiez. ».


    Lucide avec lui-même : « Je le sais, avec cette conviction, cet objectif chevillé au corps, nous allons procéder méthodiquement et par étapes, comme c'est mon tempérament. C'est pour ça que je ne suis pas considéré comme quelqu'un de très marrant, mais je vais être très méthodique avec le gouvernement. Et nous allons attacher, mesdames et messieurs les présidents, autant, sinon plus, d'importance à l'effet de suivi qu'aux effets d'annonce. ».
     

     
     


    Ses contraintes se résument à un seul mot d'ordre, réduire le déficit : « Je suis, avec ces deux lettres et ces deux notes sur mon bureau, avec un objectif qui ne m'amuse pas, qui ne me fait pas plaisir. Ça veut dire 60 milliards d'une année à l'autre, ramené à 5% de déficit, ça veut dire 60 milliards de moins de dépenses ou de plus de recettes. Et pourquoi je pense que c'est l'intérêt national de faire ça ? Parce que je pense, mesdames et messieurs, qu'on ne peut pas continuer à avoir une dette qui monte comme ça tous les ans. (…) Est-ce que cet argent des intérêts de l'emprunt, 60 milliards, ne serait pas mieux utilisé autrement ? Ça fait presque 870 euros par Français, qu'il ait un mois de vie ou 80 ans, soit 870. Voilà. (…) Mais moi aussi, je pourrais demander des comptes. Je pourrais distribuer des bons et des mauvais points. Je ne suis pas dans cet état d'esprit de faire des polémiques. Je n'ai pas de temps pour ça. La seule chose que je veux dire, c'est que je trouve une situation telle qu'elle est, telle que je viens de vous la dire, je ne trouve en effet pas normal (…) qu'on ne soit pas capable, ou foutu, dans ce pays, d'être d'accord sur les chiffres. Ce n'est pas normal. J'en ai parlé hier soir, d'ailleurs, avant de venir vous voir avec le Premier Président de la Cour des Comptes, et on va essayer de trouver le moyen, entre les services de l'État, de Bercy, de l'Assemblée Nationale et du Sénat, de la Cour des Comptes, peut-être d'autres experts, de trouver un moyen de mettre sur la table, et devant les Français, quels qu'ils soient, les vrais chiffres qu'il n'y ait pas des polémiques, parce qu'il y a parfois des raisons, il y a des dépassements, il y a moins de recettes, mais il faut qu'on se mette d'accord. ».

    Après avoir annoncé quelques mesures financières très techniques qui ont pour objectif de desserrer l'asphyxie financière des départements, Michel Barnier, après avoir cité Pierre Mendès France, a cité l'un de ses disciples, Gaston Defferre qui disait le 21 juillet 1981 dans l'hémicycle (l'actuel Premier Ministre y était) : « Il faut que les décisions soient prises là où elles devront s'appliquer sur le terrain par des hommes, j'ajouterais d'ailleurs des femmes, en contact direct avec les problèmes. ».


    Et Michel Barnier de commenter la phrase de Gaston Defferre : « Voilà. Et je n'ai pas oublié cette phrase ou cette promesse qui n'a été que partiellement tenue par tous les gouvernements de droite, de gauche ou du centre depuis. Quarante ans plus tard, je pense que l'exigence de proximité est encore plus là qu'avant. On voit bien le besoin de garder ses racines, de les retrouver, son identité, ses traditions, sa culture, son patrimoine, je suis très attaché au patrimoine, dans un monde où les réseaux sociaux, la télévision, font que l'inquiétude est importée dans chaque maison, dans chaque iPhone, dans chaque téléphone. L'inquiétude, l'angoisse, qui sont parfois justifiées par ce qui passe en Ukraine, à côté de nous, au Proche-Orient, aux États-Unis. Donc, je pense que c'est aussi pour cette raison politique et démocratique fondamentale que je partage votre discours sur l'exigence que portent les départements et les communes de cette cohésion, de cette unité sociale. Je n'ai pas besoin d'être convaincu davantage de ça. Pour moi, le département, c'est l'échelle du concret, c'est l'échelle où se prennent les décisions qui comptent pour les gens, les services publics, l'aménagement du territoire pour l'aide sociale, le sport, la culture, la transition écologique, la prévention des risques. La prévention des risques. (…) Tout cela nous paraît naturel dans cette enceinte, mesdames et messieurs à Angers, et pourtant, je dois vous dire, chaque jour, depuis que je suis Premier Ministre, combien ce n'est pas évident pour tout le monde, ce que je viens de vous dire. Parfois même dans nos administrations et nos agences. ».

    Au détour d'une phrase, Michel Barnier était fier d'une première réussite à la tête du gouvernement, l'accord sur l'assurance-chômage : « Si vous voulez une preuve de cette méthode dite Barnier, enfin du Premier Ministre ou du gouvernement, vous en avez eu une, ce matin encore sur deux sujets importants, que sont l'assurance chômage, et l'emploi des seniors, où j'ai décidé qu'on ferait confiance aux syndicats et au patronat, plutôt que d'imposer par la loi, même si la loi avait été votée pour l'assurance-chômage. J'ai décidé de remettre ce chantier sur la table des syndicats et du patronat. Et cette nuit, ils ont abouti, en deux mois, à un accord, par le dialogue social. Je crois aussi que la cohésion sociale, c'est une des conditions de la compétitivité des entreprises et donc nous allons amplifier ce dialogue. ».

    Parmi les mesures qu'il va proposer, il y a quelques mesures pour les élus. Comme « la proposition de loi qui va venir début 2025 sur le statut de l'élu local ». Mais ce qui sera important concernera le mille-feuilles territorial et le cumul des mandats : « Je serais intéressé (…), mesdames et messieurs les présidents, de vos réflexions, de vos idées sur deux sujets qui ont une dimension politique et sur lesquels nous sommes prêts à ouvrir la discussion. Je n'engage pas à ce stade. Le premier est celui d'une idée qui a été contestée par beaucoup de départements, qui est celle du conseiller territorial. Dites-moi votre sentiment actualisé sur cette question. Voilà. Non, mais juste, je vous écoute, et puis après... Je suis aussi intéressé, mesdames et messieurs les présidents, mesdames et messieurs les élus, sur votre avis concernant le cumul des mandats. Et je suis ouvert à une réflexion pluraliste pour évaluer et remettre à plat le cas échéant l'interdiction actuelle du cumul des mandats avec l'objectif de rapprocher les élus nationaux, aussi les élus européens, des citoyens. ».


    C'est ainsi qu'en s'exprimant aux présidents de conseils départementaux, le Premier Ministre s'est exprimé finalement à toute la classe politique et à l'ensemble des Français. Petit à petit, Michel Barnier crée sa légende. Il se moque de savoir s'il durera, il sait qu'il fait du hors piste et que le vide de la falaise n'est pas loin, mais il est déterminé et se sent investi enfin d'une mission à la mesure de ses ambitions. Même s'il est renversé demain par une conjonction certes improbable mais possible, on peut dire déjà qu'il aura marqué son temps politique. Sur sa longévité, il a dit à Angers, au détour d'une réflexion : « Nous allons, avec cet objectif-là, pendant le temps que nous aurons, deux ans et demi, j'espère... Ça dépend de l'Assemblée Nationale, vous l'avez bien compris. C'est une conjonction qui peut paraître improbable, mais qui peut toujours se produire. » (à "Ouest-France", il disait de même : « Nous savons que la durée de vie du gouvernement dépend d'une conjonction entre l'extrême gauche et le Rassemblement national. »).

    Lui qui a été un jeune loup à plusieurs égards, voici qu'il lui a fallu attendre ses 73 ans pour qu'il imprime son style, le style Barnier. Au contraire de Petit Gibus dans "La Guerre des boutons" (film d'Yves Robert, adaptation du roman de Louis Pergaud), il a pu dire (au tout début de son intervention à Angers) : « Eh bien, j'ai bien fait de venir, hein ! Je ne regrette pas du tout d'être venu, depuis le début d'ailleurs. ». La question restera évidemment : qu'en pensent les Français ? La bataille de "l'opinion publique" sera déterminante pour la survie du gouvernement de Michel Barnier. Mais aussi du Président Emmanuel Macron.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (15 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Michel Barnier sur les pas de Pierre Mendès France.
    Discours du Premier Ministre Michel Barnier le 15 novembre 2024 à Angers (vidéo et texte intégral).
    PLF 2025 : la majorité de rejet !
    Michel Barnier : déjà deux mois !
    François Guizot à Matignon ?
    5 euros pour visiter Notre-Dame de Paris ?
    Achats dans la fonction publique : des économies à faire ?
    Doliprane : l'impéritie politique.
    Proche-Orient : l'incompréhension de Roger Karoutchi.
    Motion de censure : le quart d'heure de gloire d'Olivier Faure.
    Budget 2025 : l'impossible mission de Michel Barnier.
    Claude Malhuret : du vol des élections aux chefs d'escadrille...
    Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
    La quadrature du cercle de Michel Barnier.
     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241115-barnier.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/michel-barnier-sur-les-pas-de-257679

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/15/article-sr-20241115-barnier.html



     

  • Procès de Marine Le Pen : surprise de gazelles et cynisme de vieux loups

    « On a vu une véritable machine de guerre pour détourner systématiquement le montant des enveloppes (…). Le Parlement Européen était leur vache à lait. » (Louise Neyton, procureure de la République, le 13 novembre 2024).



     

     
     


    Voilà, c'était à prévoir : la surprise vaguement feinte des journalistes et de la classe politique en général après le réquisitoire très sévère du parquet contre Marine Le Pen dans l'affaire des assistants parlementaires du FN/RN. Il faut dire que le procès a commencé le 30 septembre 2024 et que si les journalistes avaient fait correctement leur boulot, il y aurait eu chaque jour, comme dans chaque affaire judiciaire importante, et celle-ci l'est puisqu'elle concerne une personnalité politique de premier plan, des comptes rendus détaillés des audiences, le témoignage des uns, des autres, etc.

    Au lieu de cela, rien ! Le procès va se terminer dans les jours prochains, le 27 novembre 2024 (le verdict sera probablement prononcé en février ou mars 2025) sans aucune couverture médiatique, sinon ces jérémiades de l'extrême droite qui crie au viol de la démocratie ! Et pourtant, cette sévérité ne vient pas par hasard, ne vient pas de nulle part, ne vient pas du ciel, ne vient pas de la politisation des juges supposés de gauche, ne vient pas du gouvernement qui vient à peine de s'installer et qui peine déjà assez pour faire adopter le projet de loi de finances. Non, les faits sont simples très graves. Les réquisitions des procureurs ont duré plus de huit heures, c'est dire qu'il y avait matière à dire !

    Il s'agit selon le parquet d'un détournement de 4,5 millions d'euros de 2004 à 2016 (fin décembre 2016), un système mis en place par Jean-Marie Le Pen et industrialisé, optimisé par Marine Le Pen lorsqu'elle est arrivée à la présidence du FN en 2011. Il s'agissait d'occuper les assistants parlementaires rémunérés par le Parlement Européen à faire de la politique nationale au sein du parti lepéniste, à tel point qu'un certain assistant (actuellement député, ne citons pas son nom) a envoyé un email à la présidente de l'époque pour lui demander de faire le voyage à Bruxelles afin de connaître quand même le député européen supposé l'employer !

    Au contraire de François Bayrou dont la complicité n'a pas été établie et dont l'existence d'un système n'a pas été démontrée, et son affaire portait sur des montants nettement inférieurs, Marine Le Pen aurait, selon la justice, supervisé ce système de détournement d'argent public, car détourner de l'argent du Parlement Européen, c'est se moquer des contribuables français qui participent au budget européen par leur contributions nationales. Pire, ce sont ceux qui sont les plus anti-européens qui ont le mieux profité de la tirelire européenne, c'est fort de café !

    Toutes ces audiences jamais rendues compte quotidiennement par les médias auraient permis de comprendre (si on en avait parlé) que la sévérité de la procureure avait ses raisons qui n'ont rien à voir avec une quelconque politisation. D'autant plus que contrairement à l'affaire Fillon, nous ne sommes pas en campagne présidentielle (l'élection n'aura lieu que dans deux ans et demi, en avril 2027) et donc, il n'existe aucun candidat ni aucun favori car c'est beaucoup trop tôt (rappelons-nous les projections présidentielles de 2017 publiées en novembre 2014 !).


    C'est vrai que la réquisition du parquet ce mercredi 13 novembre 2024 pour Marine Le Pen était sévère, puisque la peine de cinq ans de prison dont deux ans ferme a été requise, avec 300 000 euros d'amendes et cinq ans d'inéligibilité, peine assortie d'un détail : l'inéligibilité ne sera pas suspensive en cas d'appel, il faudra qu'une cour d'appel supprime cette peine d'inéligibilité pour qu'elle ne court plus.

    Précisons les choses, même s'il faut bien rappeler qu'il s'agit d'une réquisition et pas d'un jugement, le tribunal peut donc proposer un verdict moins sévère, voire plus sévère que celui requis par le parquet. L'inéligibilité, dans ce cas, courrait dès le jour du verdict en début 2025 et durerait cinq ans, donc jusqu'en 2030 (c'est-à-dire au-delà de l'élection présidentielle de 2027). Marine Le Pen, dans ce cas, pourrait rester députée (en revanche, si elle était maire, elle devrait démissionner), rester même présidente du groupe RN, mais ne pourrait pas se représenter en cas de dissolution. D'où sa réticence à provoquer une dissolution par le vote d'une motion de censure. Et pourtant, ses amis sont favorables à faire chuter le gouvernement, imaginant alors la démission du Président Emmanuel Macron et une élection présidentielle anticipée avant le prononcé du verdict (et de l'éventuelle inéligibilité). Sauf que c'est un scénario un peu foireux car Emmanuel Macron ne ferait pas le cadeau au RN de sa démission. Au contraire, de nouvelles élections dans un contexte de procès pour détournement de millions d'euros pourraient faire perdre quelques électeurs...

    C'est la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin II, qui a rendu semi-automatique une peine d'inéligibilité en cas d'infractions financières, notamment dans son article 19 qui précise : « Par dérogation au 1° du présent article, le prononcé de la peine complémentaire d'inéligibilité mentionnée au 2° de l'article 131-26 et à l'article 131-26-1 est obligatoire à l'encontre de toute personne coupable de l'une des infractions définies à la section 3 du présent chapitre. ».


    Cependant, cette peine est semi-automatique et pas automatique, en raison de la non automaticité de principe, on ne juge que des individus spécifiquement : « Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer cette peine, en considération des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur. ».

    Cet élément est essentiel dans la philosophie politique : Marine Le Pen n'a cessé, depuis des dizaines d'années, de réclamer la sévérité des lois, et l'automaticité des peines afin d'obliger les juges à sévir et ne pas leur laisser la liberté d'être laxistes dans leurs décisions. La loi Sapin II a justement introduit une option d'automaticité avec cette peine complémentaire d'inéligibilité, mais avec la possibilité exceptionnelle de ne pas la prononcer si le juge en donne la raison. Autrement dit, comme le formule un rapport parlementaire de février 2019, ce que la loi Sapin II a introduit est essentiel : « Alors que l’inéligibilité d’un responsable politique fautif était auparavant prononcée par le juge s’il l’estimait pertinente, la loi pose désormais cette sanction pour principe et exige du juge une décision spéciale s’il souhaite l’écarter. ». La réquisition du 13 novembre 2024 était donc tout à fait dans l'esprit de la loi Sapin II voulu par les parlementaires.

    Une proposition de loi déposée par la députée socialiste Fanny Dombre Coste examinée lors de la séance publique du 1er février 2017 visait à « instaurer une obligation de casier judiciaire vierge pour les candidats à une élection ». Cette proposition avait reçu un accueil positif de toute la classe politique (mais n'a pas abouti à cause de la fin de la législature).

    À l'instar du gaulliste Pierre Mazeaud qui déclarait en novembre 1971 : « L’incompatibilité devrait être établie entre le mandat et la malhonnêteté de l’homme, et les électeurs devraient pouvoir choisir des hommes de toutes les professions pourvu qu’ils soient honnêtes. », Fanny Dombre Coste a expliqué ce 1er février 2017 : « L’état actuel du droit exige des infirmières, des policiers, des taxis, des journalistes et de près de 400 autres métiers un casier judiciaire vierge. Comment pouvons-nous justifier auprès des Français que ces professionnels soient soumis à cette condition et que nous-mêmes, élus, n’y soyons pas assujettis ? L’opinion publique s’est largement mobilisée sur cette question. Les propositions de loi bénéficient d’un soutien quasi absolu de la part de nos concitoyens, une pétition recueillant près de 150 000 signatures circule en ce moment sur internet. Ces propositions de loi visent donc à instaurer une nouvelle condition d’éligibilité, liée à la présence ou non de la mention de certaines condamnations sur le bulletin n°2 du casier judiciaire. Cette suggestion, j’en ai conscience, bouleverse les habitudes de pensée. En matière de probité, l’inéligibilité est habituellement conçue comme une peine, prononcée par le juge en répression d’un comportement fautif. Elle est donc tournée vers le passé et doit se conformer aux règles constitutionnelles en matière pénale. Nous proposons ici d’inverser cette logique, en prévoyant non pas une peine d’inéligibilité automatique, qui subirait une censure constitutionnelle, mais bien une nouvelle condition d’éligibilité. L’objectif n’est nullement de sanctionner un coupable : il est de garantir l’éthique des candidats aux fonctions publiques. Cet élément est primordial, puisqu’il signifie que le processus n’est pas direct. La condamnation est inscrite au bulletin n°2 du casier judiciaire, et cette mention fait, ensuite, obstacle à l’éligibilité. Cette inscription n’a aucun caractère punitif et ne soulève d’ailleurs, je souhaite le rappeler, aucune difficulté lorsqu’elle induit l’impossibilité d’accéder à un ensemble de professions, au premier rang desquelles la fonction publique, alors même que la liberté d’y entrer se fonde sur l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le même que celui qui garantit l’éligibilité. ».

    À l'époque, Bruno Le Roux, qui avait cosigné cette proposition de loi, était devenu Ministre de l'Intérieur et avait répondu à son ancienne collègue socialiste ainsi : « Les deux propositions de loi prévoient que les personnes dont le bulletin n°2 du casier judiciaire porte la mention d’une condamnation incompatible avec l’exercice d’un mandat électif ne puissent faire acte de candidature à aucun mandat électif. Ces condamnations concernent les crimes, les délits sexuels, les manquements au devoir de probité, la fraude fiscale, ainsi qu’un certain nombre d’infractions électorales définies par le code électoral. La proposition de loi organique organise ce régime pour l’élection des députés et des sénateurs, ainsi que pour les candidats à l’élection présidentielle. La proposition de loi ordinaire, quant à elle, adapte ce dispositif pour les élections locales. Chacun d’entre nous est conscient que la défiance envers les élus mine le principe même de notre démocratie. Elle jette en effert, et injustement, l’opprobre sur des personnes sincèrement dévouées au service de l’intérêt général, et qui, pour la totalité d’entre elles, exercent leurs mandats avec un engagement et une honnêteté irréprochables. Pour renforcer la confiance, nous devons donc nous doter de règles toujours plus rigoureuses. ». Rappelons pour la petite histoire que Bruno Le Roux a dû démissionner de la Place Beauvau le 21 mars 2017 après avoir été accusé des mêmes « turpitudes » que François Fillon, à savoir le recrutement de ses deux filles comme collaboratrices parlementaires, soupçonnées d'emplois fictifs, alors qu'il avait fustigé lui-même François Fillon sur l'emploi de la femme de celui-ci.

    À la même époque, Marine Le Pen voulait être le meilleur lave-linge qui lavait plus blanc que blanc. Ainsi, le 13 avril 2017 sur France 2, elle disait : « Je ferai appliquer la loi, ce qui n'a pas été fait depuis des années, car la justice a reçu des instructions d'un laxisme absolu. ». En novembre 2024, elle devrait donc être satisfaite : la justice va s'appliquer.

     

     
     


    Car il faut être cohérent avec soi-même. Déjà dans l'émission "Mots croisés", le 9 février 2004 sur France 2, Marine Le Pen, devant Jean-François Copé et Malek Boutih, débordait d'indignation à la suite de la condamnation de l'ancien Premier Ministre Alain Juppé le 30 janvier 2004 à dix-huit mois de prison avec sursis, peine assortie d'une peine d'inéligibilité de dix ans. À l'époque, elle défendait les honnêtes gens et fustigeait les délinquants politiques condamnés et autres repris de justice : « Tout le monde a piqué dans la caisse sauf le Front national. Et on trouve ça normal ? (…) Les Français n'en ont pas marre d'entendre parler des affaires. Ils en ont marre qu'il y ait des affaires. Ils en ont marre de voir des élus, je suis navrée de vous le dire, qui détourne de l'argent, c'est scandaleux ! Parce que je vais vous dire, avec tout cet argent, ce qu'on aurait fait, hein ?, en termes de Restos du cœur, en termes d'opérations Pièces jaunes. C'est combien d'opérations Pièces jaunes, tout l'argent qui a été détourné par les élus ? ».

    On a compris que toute la communication de Marine Le Pen depuis plus de vingt ans n'était que du vent, de l'hypocrisie voire du mensonge ! Pourtant, ce n'était pas faute d'avoir tenté de reporter sans cesse le procès. En effet, le RN a fait quarante-cinq recours et l'instruction a duré presque dix années. C'est en 2015 que le Président social-démocrate du Parlement Européen de l'époque, l'Allemand Martin Schulz, avait signalé le détournement. Pour la procureure Louise Neyton, c'est bien un système sans précédent de détournement de fonds qui a été mis en place pour récupérer l'argent du Parlement Européen au profit du FN/RN mais aussi de ses dirigeants. Le maire d'une grande ville du Sud est également dans le box des accusés.

    C'est le propre système de défense de Marine Le Pen qui l'a fait couler : en affirmant à la fois qu'elle n'en savait rien (bien qu'à la fois présidente du FN/RN et députée européenne entre 2011 et 2017) mais aussi qu'il n'y avait rien de mal à ce que les assistants parlementaires aient travaillé pour le parti de leur député européen (alors que le Parlement Européen interdit strictement ce genre de pratique), elle a implicitement justifié ce système et donc avoué qu'elle le connaissait et même l'a initié.


    La réaction de l'extrême droite à ces réquisitions était prévisible : ce serait un déni de démocratie ! Petits extraits. Marine Le Pen : « Le parquet essaie de priver les Français de la capacité de voter pour qui ils souhaitent. ». Jordan Bardella : « Le parquet n'est pas dans la justice : il est dans l'acharnement et la vengeance à l'égard de Marine Le Pen. Ses réquisitions scandaleuses visent à priver des millions de Français de leur vote en 2027. C'est une atteinte à la démocratie. ». Éric Zemmour : « Si Marine Le Pen était déclarée inéligible, on atteindrait alors un niveau sans précédent dans le gouvernement des juges. ». Marion Maréchal : « François Fillon hier, Marine Le Pen aujourd'hui (…), un nouveau déni de démocratie. ».

    Plus curieusement, des personnalités d'autres bords politiques ont émis le même genre de réactions. Ainsi, sur des terres nordistes, on peut comprendre l'arrière-pensée électorale de Gérald Darmanin lorsqu'il a dit : « Il serait profondément choquant que Marine Le Pen soit jugée inéligible et, ainsi, ne puisse pas se présenter devant le suffrage des Français. (…) Combattre Madame Le Pen se fait dans les urnes, pas ailleurs. (…) N'ayons pas peur de la démocratie. ». Son mentor Xavier Bertrand a été plus cohérent et mieux inspiré en estimant que la loi s'appliquait à tous et qu'il n'y avait aucune raison de faire des exceptions.

    Mais que penser du député MoDem Richard Ramos ? du député EPR Karl Olive ? Ou encore de l'ancien député LR Julien Aubert : « La question n'est pas de savoir si Marine Le Pen a détourné oui ou non pour un autre usage que celui prévu les postes d'assistants au Parlement Européen. La vraie question est : est-ce que c'est suffisamment grave pour priver des millions de gens de leur porte-parole ? ». Jean-Luc Mélenchon aussi est venu à la rescousse : « Une peine d'inéligibilité ne doit pas être appliquée avant expiration de tous les recours prévus par la loi. ».

    À tous ceux-là, la procureure Louise Neyton avait répondu par avance : « Oui, la décision judiciaire est légitime à produire ses effets sur la vie démocratique, légitime, car ce rôle lui a été imposé par le législateur. ». C'était en effet de la volonté du législateur que les délinquants politiques soient sévèrement sanctionnés, pour redonner un peu de crédit à une classe politique complètement discréditée par les affaires et l'impuissance (après le scandale de Jérôme Cahuzac).

    Personnellement, je répondrais plus fortement sur le déni de démocratie : la démocratie, c'est d'abord de respecter la loi, de respecter les Français, ceux qui contribuent à l'effort financier de l'Union Européenne, de ne pas profiter de l'argent facile en dehors du cadre de la loi. On ne peut pas prétendre dicter la loi (en tant que parlementaire) et refuser de l'appliquer. De plus, il n'y a aucun risque démocratique de voir l'élection présidentielle sans un représentant du RN, qui est un parti important (le plus important de l'Assemblée) et qui mérite effectivement d'avoir un candidat. Car le RN a déjà un autre candidat tout désigné pour remplacer Marine Le Pen, en la personne de Jordan Bardella qui, à sa façon, sourit de la situation actuelle.


    Même le Premier Ministre hongrois Viktor Orban est venu au secours de Marine Le Pen : « Marine, n'oubliez pas que nous sommes avec vous dans cette bataille ! Être harcelé par la justice a été une étape cruciale de la victoire du Président [Trump]. ». Eh oui, Donald Trump a été condamné et cela ne l'a pas empêché d'être élu, et même largement élu. Parler de trumpisation à la française pour Marine Le Pen serait lui faire trop d'honneur. La réalité, c'est que le favori de l'élection de 2017, François Fillon, a été balayé par son affaire qui représentait un détournement bien plus faible d'argent public (seulement 700 000 euros à comparer à 4,5 millions d'euros), et cela bien avant sa condamnation (définitivement le 24 avril 2024). Les électeurs français seraient-ils peut-être plus exigeants que les électeurs américains ? (question très audacieuse à laquelle je ne répondrai pas, bien sûr !).

    En tout cas, les militants RN convaincus ne changeront pas d'opinion avec une condamnation de leur leader : au contraire, ils seront renforcés dans leur choix de candidate que la justice, le système, prétendument harcèle. Et puis, profiter de l'argent européen quand on est anti-européen, c'est la revanche des frexiters. Sauf que Marine Le Pen souhaitait la normalisation de son parti, sa banalisation pour faire preuve de respectabilité auprès des personnes qui comptent en France et à l'étranger. Ce très long procès (presque deux mois) remet en cause toute cette stratégie amorcée en 2011 : si le tribunal suit les procureurs, les gens pourront se dire que décidément, le RN/FN n'est qu'une association de malfaiteurs. Pour le Ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau, la situation est critique : lui veut l'application la plus sévère de la loi. Chiche !



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (13 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Procès de Marine Le Pen : surprise de gazelles et cynisme de vieux loups.
    Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
    Législatives 2024 (18) : la fin du cauchemar Bardella (pour le moment).
    Fake news : la scandaleuse manipulation politique du RN.
    Législatives 2024 (12) : un isoloir, ce n'est pas un cabine d'essayage !
    Législatives 2024 (11) : front, rassemblement, union nationale, barrage, consignes de vote...
    Législatives 2024 (10) : il était une fois Jordan Bardella, Gabriel Attal et Manuel Bompard.
    Législatives 2024 (9) : Emmanuel Macron et son n'ayez-pas-peur !
    Jean-Marie Le Pen, retour aux sources du RN.
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Le débat Gabriel Attal vs Jordan Bardella du 23 mai 2024.
    Débat Valérie Hayer vs Jordan Bardella : l'imposture démasquée de Coquille vide.
    Ukraine : Claude Malhuret se gausse de Jordan Selfie !
    Ukraine : Gabriel Attal attaque durement le RN et Marine Le Pen !
    Sondage secret : en cas de législatives anticipées, une victoire du RN ?
    FN/RN : fais-moi peur ! (27 octobre 2015).
    Marine Le Pen en tête dans un sondage : attention au buzz !
    Christine Boutin.
    André Figueras.
    Patrick Buisson.

    Rassemblement national : objectif 2027... ou avant !
    Jordan Bardella.
    Le nouveau JDD et la récupération des Enzo...
    Geoffroy Lejeune.
    Attention, un train de violence peut en cacher un autre...
    Éric Caliméro Zemmour.
    Jean-Marie Le Pen et sa marque dans l'histoire.
    La tactique politicienne du RN.
    La sanction disciplinaire la plus lourde de la Cinquième.

    Louis Aliot.
    Le congrès du RN.
    Grégoire de Fournas.
    Incident raciste : 89 nuances de haine à la veille du congrès du RN ?

    Le Front national des Le Pen, 50 ans plus tard...






    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241113-marine-le-pen.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/proces-de-marine-le-pen-surprise-257664

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/14/article-sr-20241113-marine-le-pen.html


     

  • PLF 2025 : la majorité de rejet !

    « Loin du compromis, c’est à une guerre de positions que nous avons assisté. L’examen dans notre assemblée a conduit à une forme de concours des outrances entre les deux extrémités de l’hémicycle, qui se soutiennent et se renforcent. L’une a fait adopter un Frexit de fait, l’autre près de 40 milliards de hausses d’impôts. » (Jean-Paul Mattei, député MoDem, le 12 novembre 2024 dans l'hémicycle).




     

     
     


    Fronts renversés dans l'hémicycle du Palais-Bourbon ce mardi 12 novembre 2024 après-midi. Après trois semaines d'intenses débats pour l'examen du projet de loi de finances pour 2025 (PLF 2025), les députés devaient se prononcer en vote solennel sur la première partie du texte, le volet des recettes (fiscalité, taxation, etc.) avant de se prononcer sur le second volet, le volet dépenses.

    Et ce vote solennel a été à fronts renversés : les députés du socle gouvernemental ont voté contre l'adoption de ce projet qui a été profondément remanié par rapport à la version gouvernementale. Le député Jean-Paul Mattei (MoDem) a évoqué un « concours des outrances » et c'était bien cela, c'était la foire à la saucisse, la fête au slip, à celui qui proposait la meilleure taxe ! En tout, 65 milliards d'euros supplémentaires seraient prélevés des portefeuilles des Français si ce projet de loi avait été adopté en l'état. Le Ministre du Budget et des Comptes publics Laurent Saint-Martin l'a dit calmement : « La copie présentée par le NFP avec la complicité du Rassemblement national nous paraît inacceptable. ». Et il l'a expliqué simplement : « Plus de 35 milliards d’impôts supplémentaires ont été votés. Inutile de croire qu’ils concerneront uniquement quelques millionnaires ou quelques grandes entreprises : ils pèseront sur l’ensemble du pays. ».


    Paradoxalement, l'ultragauche est pour ce budget, et la majorité gouvernementale est contre ce budget. Pourquoi ? Parce qu'il a été tellement modifié par les extrêmes que ce texte est devenu complètement loufoque, anticonstitutionnel voire irréalisable techniquement.

    Prenant sa casquette d'orateur du groupe LIOT, le rapporteur général du budget
    Charles de Courson, dont on ne peut soupçonner de s'accommoder de combines politiciennes diverses et variées, qui est dans l'opposition et qui est sans doute un bon étalon de l'orthodoxie budgétaire, à savoir bien gérer les comptes de l'État, a expliqué pourquoi ce texte amendé est complètement fou et qu'il doit être rejeté pour trois raisons : « La première est la suppression du prélèvement au profit de l’Union Européenne. L’article 40 du projet de loi de finances pour 2025 prévoyait un prélèvement sur recettes à destination de l’Union Européenne à hauteur de 23,3 milliards. Il a été supprimé en séance. Voulez-vous le Frexit, mes chers collègues ? N’oublions pas que l’Europe a permis d’assurer depuis soixante-quinze ans la paix et la prospérité entre les États membres. L’environnement géopolitique actuel nécessite plus d’Europe, afin de protéger nos concitoyens, notre économie et notre modèle culturel. Notre groupe croit pour sa part profondément au projet européen. Rejeter la contribution à l’Europe serait un trompe-l’œil ; cela ne nous exonérerait pas d’assurer à l’Europe un budget en équilibre. Adopter la partie recettes du budget sans prélèvement européen enverrait un signal très négatif à nos partenaires européens. Ce n’est pas acceptable. Deuxième raison : les amendements à la première partie adoptés en séance accentuent gravement la dérive des comptes publics. Ils entraîneraient, apparemment, une hausse nette d’impôts de près de 64,8 milliards. Néanmoins, nombre d’entre eux, à hauteur de 50 milliards, ne respectent pas le droit constitutionnel ou le droit européen, voire sont inapplicables ; et si l’on tient compte de la suppression du prélèvement sur recettes au profit de l’Union Européenne (PSR-UE), qui correspond à 23,3 milliards, ce que l’on enregistre, ce ne sont pas 65 milliards de recettes en plus, mais une perte sèche de plus de 6 milliards d’euros. S’y ajoute le coût des amendements adoptés en commission des finances sur la partie dépenses et dont le montant représente environ 57 milliards. En l’état, notre discussion conduirait donc à dégrader les comptes publics de 63 milliards et nous éloignerait de plus en plus du respect de nos engagements budgétaires. Dans ces conditions, je ne peux me résoudre, en tant que rapporteur général, à voter pour la partie recettes du budget. Je crains que ce chaos n’entraîne tout simplement le rejet par nos concitoyens de notre système parlementaire. La troisième raison de notre opposition à ce texte est que nous avons rejeté l’article d’équilibre dans la nuit de vendredi à samedi : il serait incohérent d’adopter la partie recettes après avoir voté contre en commission puis contre l’article d’équilibre en séance, d’autant plus que cela entraînerait un risque d’inconstitutionnalité : l’adoption de l’article d’équilibre est en effet un prérequis pour examiner la partie dépenses sous peine d’une censure par le Conseil Constitutionnel. Dès lors, nous devons rejeter l’ensemble de la première partie. ».

    Écoutons aussi la plupart des autres explications de vote des différents groupes.

    L'orateur insoumis Aurélien Le Coq ne s'est pas embarrassé de considérations d'intérêt général. Il a tout de suite plongé dans le cloaque politicien. Il est revenu sur la fausse affirmation que la
    nouvelle farce populaire (NFP) serait majoritaire à l'Assemblée, ce que le rejet de la motion de censure le 8 octobre 2024 a démenti complètement et factuellement : « Jamais, monsieur le ministre, vous n’auriez dû être assis aujourd’hui au banc, face à moi. Vous avez volé les élections. Pourquoi ? Par soif du pouvoir ? Par mégalomanie présidentielle ? Non ! Pour empêcher le Nouveau Front populaire, arrivé en tête des élections, de rétablir dans ce pays la justice sociale et fiscale et pour protéger une petite poignée d’ultrariches. Après les avoir gavés sept années durant, vous voulez leur permettre de continuer à exploiter la grande masse des Français qui continuent à se battre pour leur survie dans la pauvreté. Vous aviez si bien commencé, en vidant les caisses de l’État par dizaines de milliards au profit des ultrariches et des multinationales ! Tant et si bien que le patrimoine de 500 familles a doublé, pour atteindre 1 228 milliards. Et vous vous apprêtiez, par ce budget, à saigner les classes populaires, dans ce qui pourrait être la plus grande boucherie sociale de notre siècle. Alors qu’aux prémices de l’hiver 2024, les Français ont froid et faim, vous vouliez une fois de plus leur faire cracher du sang ! Pour compenser les cadeaux aux plus riches, vous souhaitiez 60 milliards d’effort budgétaire. (…) L’examen de ce budget a permis le retour fracassant de la vérité : la Macronie est morte ! Vous avez perdu, et ce ne sont pas les travées vides de vos groupes parlementaires, abandonnant leur ministre illégitime au milieu de la bataille, qui auraient pu la faire revivre. (…) L’Assemblée Nationale a voté (…), amendement après amendement, 75 milliards de recettes nouvelles proposées par le nouveau front populaire et La France insoumise, pour un excédent de 58 milliards. ». L'orateur insoumis a ainsi reconnu qu'il avait participé à ce matraquage fiscal de 75 milliards d'euros de nouveaux impôts, et il en était fier ! Les Français apprécieront.

    Par ailleurs, Aurélien Le Coq a reproché au RN de ne pas voter avec la gauche populiste alors que celle-ci a fait front républicain aux élections contre le RN : « Une fois de plus, le Rassemblement national s’apprête à accomplir ce qu’il sait faire de mieux : sauver Emmanuel Macron et les plus riches ! C’est ce qu’il a déjà fait en refusant de voter la censure et en s’opposant à la destitution. Assumez ce que vous êtes : les larbins de la Macronie et des ultrariches. Honte à vous ! ». Honte plutôt aux insoumis de continuer à répandre cette fable du « vol démocratique en bande organisée », fable qui contribue une fois encore au discrédit de tout le Parlement lui-même par ses excès de langage.

     

     
     


    Au contraire, l'oratrice du groupe LR, Véronique Louwagie, a voulu rappeler l'esprit de responsabilité du gouvernement : « Le gouvernement de Michel Barnier s’emploie désormais à restaurer le crédit de la France s’agissant de sa capacité à soutenir durablement sa dette, ainsi que la confiance de nos partenaires européens : nous le soutenons et l’accompagnerons dans cette direction. Je nous mets tout de même en garde contre la facilité qui consisterait à préférer systématiquement l’augmentation des impôts à la diminution de la dépense publique. Plus que jamais, l’État doit donner l’exemple : nous l’invitons à prendre rapidement des mesures en vue de rationaliser son fonctionnement, ce à quoi nous resterons attentifs. Certes, le caractère inédit du déficit abyssal de 2024 peut faire admettre la nécessité, dans l’urgence, de nouvelles recettes ; il s’agit néanmoins d’y recourir de manière extrêmement précautionneuse et à titre temporaire, sous peine d’affecter l’activité économique. C’est la raison pour laquelle nous dénonçons avec la plus grande vigueur l’irresponsabilité budgétaire et le matraquage fiscal auxquels se sont adonnés, main dans la main, Rassemblement national et nouveau front populaire. Nous avons assisté à un déluge de taxes, vu s’élever des montagnes de nouvelles dépenses. À l’issue de neuf jours d’examen, l’addition est pour le moins salée : plus de 35 milliards d’impôts supplémentaires selon les estimations du gouvernement, près de 60 milliards d’après les calculs du président de la commission des finances. Comme si la pression fiscale n’était pas assez forte dans notre pays, qui détient le record mondial des prélèvements obligatoires, le NFP et le RN sont parvenus à un alourdissement sans précédent de la fiscalité des ménages comme de celle des entreprises : pérennisation de la contribution différentielle sur les hauts revenus, remise en cause du pacte Dutreil pour les entreprises familiales, taxation des dividendes, principe d’un impôt universel. Lorsque le courage politique leur faisait défaut, c’est l’abstention de l’un des camps qui permettait à l’autre de faire adopter une taxe sur les prétendus superprofits ou l’augmentation de 10 points du taux d’imposition minimal des multinationales ! Je retiendrai deux choses : d’une part, l’irresponsabilité du nouveau front populaire, qui, en même temps que de nouveaux impôts en séance publique, votait en commission quasiment 60 milliards de nouvelles dépenses parfois démesurées au regard des enjeux ; d’autre part, les incohérences du Rassemblement national, qui dépose des amendements visant à réduire les crédits des opérateurs et vote contre les amendements gouvernementaux allant dans le même sens. Chers collègues, c’est notre souveraineté que votre inconséquence met en péril. À l’heure où nous parlons, nous n’avons même plus de contribution au budget de l’Union Européenne : comment prétendre œuvrer au redressement de la France, à sa compétitivité, avec une telle offre politique ? Ce n’est pas en se repliant sur elle-même que la France renouera avec la prospérité ; l’actualité outre-Atlantique nous invite au contraire à davantage de discernement. La version du texte issue de nos débats, totalement dénaturée, ne correspond en rien à la proposition initiale souhaitée par Michel Barnier. ».

    Pour le groupe MoDem, Jean-Paul Mattei a redit son opposition au texte : « Je voudrais d’ailleurs souligner que la réduction du déficit à 2,9% du PIB, dont certains ici se gargarisent, n’est que faciale : près de la moitié de cette diminution est en effet imputable au rejet du prélèvement sur recettes au profit de l’Union Européenne, prélèvement déjà fortement écorné par l’adoption d’un amendement du Rassemblement national. Nous, députés du groupe Les Démocrates, qui avons depuis le départ placé la construction européenne au cœur de notre engagement politique, ne pouvons accepter ce Frexit de fait. Plus de la moitié de la baisse restante est soit euro-incompatible, soit anticonstitutionnelle, soit inopérante du fait des rédactions adoptées, comme l’institution de l’impôt Zucman. D’ailleurs, chers collègues du NFP, si vous aviez remporté les élections, auriez-vous déposé et adopté de tels amendements ? C’est peu probable. Nous voterons donc contre cette première partie. ». L'impôt Zucman est ce dispositif proposé par l'économiste Gabriel Zucman, par ailleurs militant insoumis et ancien thésard de Thomas Piketty, qui vise à créer une taxation des multinationales basée sur leur chiffre d'affaires.

    La députée Félicie Gérard, pour son groupe Horizons, a regretté, elle aussi, ce texte dénaturé : « Sans surprise, comme lors de l’examen en commission, le texte initial et équilibré du gouvernement a été fortement dénaturé. Plus de 35 milliards d’euros de taxes et impôts supplémentaires ont été adoptés. Ce budget est devenu irréaliste et irresponsable. Le projet de loi de finances, tel qu’amendé en séance publique, s’éloigne dangereusement des principes de responsabilité et de cohérence budgétaires (…). En voulez-vous une preuve ? Allez sur les réseaux sociaux et observez l’expression de la joie des députés de la France insoumise. Rien ne fait plus plaisir à un député LFI que d’augmenter de 35 milliards d’euros les impôts des Français ! Taxation des multinationales, des grandes entreprises, des entreprises pétrolières et gazières, des concessionnaires autoroutiers, des sociétés du transport maritime, des dividendes, du numérique… C’est à se demander quel secteur d’activité échappe à cet enfer fiscal ! Et quels effets dévastateurs cela aurait sur notre économie ! Les grandes entreprises fuiraient, car elles le peuvent ; ces mesures toucheraient les salariés et les petits épargnants, qui, eux, ne peuvent pas fuir. Voilà la politique de la France insoumise ! Quant à vous, collègues du Rassemblement national, vous avez retrouvé vos vieilles positions politiques, celles que vous prétendiez avoir abandonnées. En supprimant l’article 40, vous organisez purement et simplement le Frexit ! Certes, l’Europe est imparfaite, elle semble parfois trop éloignée, trop technique, mais allez dire à nos agriculteurs que vous voulez leur enlever les 9 milliards d’euros de la politique agricole commune (PAC), dont ils bénéficient ! Allez dire à nos PME, à nos ETI, à nos grandes entreprises qu’elles ne pourront plus accéder aux marchés européens aussi facilement, alors que notre pays exporte ! Allez dire aux salariés qu’ils perdront leur emploi, car ils subiront directement la compétition avec la Chine et les États-Unis ! Qui peut encore croire qu’en restant entre nous, sans l’Europe, nous pouvons rivaliser dans la compétition économique mondiale ? Toutes ces mesures déraisonnables composent le projet de loi de finances tel qu’il est soumis à notre vote : des hausses massives d’impôts et la sortie de la France de l’Union Européenne. Voici la triste image que renvoie notre assemblée au terme de ce débat : celle de l’irresponsabilité ! ».

     

     
     


    Le député David Amiel (EPR) a constaté : « Quelque 80% des hausses d’impôts qui ont été votées dans cet hémicycle nécessiteraient de sortir de l’Union Européenne, de violer des traités internationaux ou de mettre à bas notre ordre constitutionnel et juridique. Ces chiffres ont été établis par le rapporteur général du budget, qui ne fait pas partie de notre majorité. Si la première partie du budget était adoptée en l’état, la France n’appartiendrait plus à l’Europe, elle ne disposerait plus de moyens pour éviter des coupures de courant électrique après 2026, c’est vous dire le degré que nous avons atteint dans l’absurde !, et elle ne réglementerait plus les prix de l’électricité, exposant les Français à la spéculation des marchés. Il faut se rendre compte de ce que cela signifie que de produire un tel texte à l’Assemblée Nationale. Certains me répondent que ce budget n’est pas fait pour s’appliquer, qu’il s’agit d’envoyer des "signaux politiques", le terme est revenu souvent dans la discussion. Mais c’est encore plus grave : cela veut dire que l’on se moque des conséquences de ce que l’on vote dans cet hémicycle. Ceux qui disent vouloir envoyer des signaux admettent qu’ils votent un budget pour rire, sans se soucier des conséquences pour les Français. Quand on se comporte ainsi, le seul signal politique que l’on envoie, c’est celui du cynisme et de l’irresponsabilité. Le résultat, ce n’est pas un projet économique alternatif ! C’est un barbouillis budgétaire sans queue ni tête, qui n’a aucune cohérence interne, est à 80% inapplicable et est donc indigne du respect que l’on doit aux Français et à l’Assemblée. Nous en sommes arrivés là parce qu’à plusieurs reprises, l’extrême droite et l’extrême gauche se sont donné la main pour voter une véritable explosion fiscale, acceptant de mettre à terre notre économie, le pouvoir d’achat des Français et des travailleurs ainsi que la compétitivité de nos industries. Une fois dans l’hémicycle, ceux qui, sur les plateaux de télévision, se réclament de la souveraineté, conspirent avec La France insoumise pour mettre à bas notre souveraineté économique : quelle ironie ! Nous en sommes arrivés là, ensuite, parce que l’extrême droite et l’extrême gauche se sont donné la main pour s’opposer à l’Europe. (…) Ce gâchis parlementaire affaiblit notre pays à l’heure de la bataille économique mondiale. La Chine s’apprête à déverser ses surcapacités industrielles sur notre continent. Aux États-Unis, Donald Trump prépare une nouvelle guerre commerciale. Partout en Europe, nos voisins se préparent ; au Royaume-Uni, les travaillistes viennent d’ailleurs de lancer un plan d’investissement massif pour soutenir l’économie. La France, elle, après des années de redressement de sa compétitivité, court le risque d’un désarmement industriel unilatéral. (…) Vous connaissez notre opposition aux hausses de charges, alors que la baisse du coût du travail faisait l’objet, depuis des années, d’un consensus transpartisan, approuvée aussi bien par la gauche, je vois le Président François Hollande parmi nous, que par la droite et le centre ! Cette politique donnait des résultats. ».

    Quant au RN, Mattias Renault a confirmé son opposition au texte soumis au vote : « La copie initiale du gouvernement était déjà lourde en impôts, mais vous avez chargé la barque jusqu’à l’absurde ; le groupe RN ne peut pas voter en faveur d’une partie recettes qui mènerait notre pays au chaos. Nous avons certes obtenu quelques victoires symboliques, comme la suppression de l’augmentation de la taxe sur l’électricité ou la réduction de la contribution de la France à l’Union Européenne. Le fait est d’ailleurs nouveau : par notre présence massive et constante dans l’hémicycle, nous arrivons à y remporter des victoires politiques, en faveur de nos propositions. Cela étant, le groupe Rassemblement national ne peut cautionner ni le budget initial du gouvernement ni le budget absurde du NFP. ».

    Au final, à ce vote solennel (scrutin n°438), tous les députés LR, MoDem, Horizons, RN ont voté contre, la très grande majorité des députés EPR également (87 sur 94 ; une seule députée EPR a voté pour), tandis que tout le NFP a voté pour (PS, FI, PCF, EELV), il ne manquait à l'appel que l'ex-ministre PS devenue EELV
    Delphine Batho (qui s'est abstenue). Au total : sur 573 votants, 192 députés ont voté pour, 362 ont voté contre et 19 se sont abstenus. Les socialistes se sont totalement discrédités en votant pour un budget qui a refusé la contribution financière à l'Union Européenne. Ils remettent en cause leur ADN propre. Ce vote a montré une nouvelle fois, de façon éloquente, que le NFP ne détient aucune majorité, même relative.

     
     


    Conséquence : le volet recettes n'ayant pas été adopté, le volet dépenses ne peut être mis aux voix dans la mesure où les parlementaires n'ont constitutionnellement pas le droit de proposer des dépenses sans les financer par des recettes équivalentes. N'ayant plus de recettes, l'État ne peut plus faire de dépenses. C'est donc tout le projet de loi de finances (très modifié) qui a donc été rejeté par l'Assemblée Nationale ce 12 novembre 2024, mais la procédure législative n'est pas terminée pour autant : le texte originel, reproposé par le gouvernement avec éventuellement les amendements qu'il aurait gardé, va être en discussion au Sénat avant de revenir en seconde lecture à l'Assemblée Nationale.

    Est-ce à dire que ces trois semaines de discussion n'ont servi à rien ? Oui et non. Certes, cela donne une image déplorable du Parlement. Certes, les députés du socle commun (qui participent au gouvernement) n'ont pas été présents de manière aussi assidue que nécessaire, et ont laissé le NFP et le RN adopter, de manière complice, des amendements qui ont dénaturé complètement non seulement le texte du gouvernement mais aussi l'idée qu'on peut se faire de la France (par exemple, en refusant d'accepter de contribuer financièrement à l'Union Européenne, ce qui est, il me semble, je peux me tromper, sans précédent dans l'histoire parlementaire française depuis le
    Traité de Rome).
     

     
     


    Le Premier Ministre Michel Barnier a en revanche réussi ce que sa prédécesseure Élisabeth Borne n'avait pas réussi pour les lois de finances pour 2023 et 2024 : il n'a pas utilisé l'article 49 alinéa 3 de la Constitution qui aurait mis fin à la discussion. Du moins, il ne l'a pas encore utilisé (il ne l'a pas utilisé pour la première lecture). Cela reste conforme à ce qu'il avait annoncé, à savoir qu'il écouterait tous les députés, les respecterait.

    On peut évidemment comprendre que le texte qui sortira du Sénat sera plus conforme aux idées du gouvernement qui, du reste, n'avait pas finalisé son budget en raison de la rapidité à le préparer (quinze jours). En revanche, pour qu'il soit adopté en seconde lecture, je ne vois pas comment il n'utiliserait pas l'article 49 alinéa 3 dans la mesure où il n'existe aucune majorité de construction (le rejet est plus facilement majoritaire que l'adoption).

    En annonçant la marche en arrière du gouvernement sur la revalorisation des retraites (finalement au 1er janvier 2025 au lieu du 1er juillet 2025, avec une petite astuce pour économiser un peu), Michel Barnier a ôté un argument du RN pour voter une motion de censure. Car faire adopter la loi de finances par un article 49 aliéna 3, c'est prendre
    le risque d'une motion de censure adoptée et d'un renversement de gouvernement.

    On pourra par ailleurs aussi disserter sur la manière d'annoncer ce recul sur la revalorisation des retraites : c'est
    Laurent Wauquiez, chef de groupe mais pas ministre, qui l'a annoncé dans un journal de 20 heures le 10 novembre 2024 alors que cela aurait dû être un membre du gouvernement. Cette annonce a d'autant plus agacé les autres groupes du socle commun qu'ils n'étaient pas averti de ces tractations. Car pour certains de ces députés, le report de la revalorisation des retraites (qu'on ne pourrait appliquer qu'à partir d'un certain seuil de rémunération), si elle affaiblit le pouvoir d'achat, n'affaiblit pas globalement l'économie française au contraire de mesures fiscales tant sur les ménages que sur les entreprises qui pourraient freiner la compétitivité et surtout l'attractivité de notre économie, principale réussite du Président Emmanuel Macron depuis 2017. Le taux de chômage remonte légèrement (à 7,4%), il ne faudrait pas donner le signal qu'il n'est plus bon d'investir en France.

    Dans leur grande sagesse, les sénateurs vont revoir la copie du gouvernement (composé de beaucoup de sénateurs ou d'anciens sénateurs, comme l'a été Michel Barnier lui-même), et proposé aux députés un texte plus cohérent qui ne pourrait alors pas échappé à l'article 49 alinéa 3 de la Constitution.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (12 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    PLF 2025 : la majorité de rejet !
    Michel Barnier : déjà deux mois !
    François Guizot à Matignon ?
    5 euros pour visiter Notre-Dame de Paris ?
    Achats dans la fonction publique : des économies à faire ?
    Doliprane : l'impéritie politique.
    Proche-Orient : l'incompréhension de Roger Karoutchi.
    Motion de censure : le quart d'heure de gloire d'Olivier Faure.
    Budget 2025 : l'impossible mission de Michel Barnier.
    Claude Malhuret : du vol des élections aux chefs d'escadrille...
    Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
    La quadrature du cercle de Michel Barnier.

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241112-budget-2025.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/plf-2025-la-majorite-de-rejet-257638

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/12/article-sr-20241112-budget-2025.html






     

  • L'éclatement de la coalition Rouge Jaune Vert en Allemagne

    « Trahir, qu'on dit, c'est vite dit. Faut encore saisir l'occasion. C'est comme d'ouvrir une fenêtre dans une prison, trahir. Tout le monde en a envie, mais c'est rare qu'on puisse. » (Céline, 1932).



     

     
     


    Ce mercredi 6 novembre 2024, alors que l'actualité était monopolisée par la seconde élection de Donald Trump, un événement à mon avis aussi important dans ses conséquences pour l'Europe a eu lieu à Berlin : la coalition au pouvoir en Allemagne a éclaté. Et cela trois jours avant le trente-cinquième anniversaire de la chute du mur de Berlin !

    Les élections fédérales du 26 septembre 2021, c'est-à-dire les élections législatives, le renouvellement du Bundestag, la Chambre basse de la République fédérale d'Allemagne, ont donné des résultats mitigés à cause du scrutin proportionnel. Premières élections en l'absence de la Chancelière sortante Angela Merkel, la CDU (parti chrétien démocrate) a perdu son pari de se maintenir au pouvoir. Mais pour autant, le SPD (parti social-démocrate) n'a pas obtenu une majorité franche et massive.

    La CDU/CSU (quand j'évoque la CDU, c'est toujours en incluant l'allié bavarois CSU) a perdu 49 sièges avec 197 sièges sur 736 sièges au total (avec 24,1% des voix), tandis que son adversaire, le SPD, a à peine gagné plus de voix que la CDU, avec 25,7% des voix, lui permettant d'avoir 206 sièges au Bundestag (soit 53 de plus), loin d'obtenir une majorité absolue (il faut pour cela 369 sièges).


    Dans ces élections, les Verts ont fait un bond en doublant leur représentation avec 118 sièges (51 en plus) avec 14,8% des voix. Les libéraux démocrates (FDP), anciens alliés traditionnels de la CDU, ont eu un gain de 12 sièges avec 92 sièges (11,5% des voix), alors que les extrêmes ont régressé : l'extrême droite AfD a perdu 11 sièges avec 83 sièges (10,3% des voix) et Die Linke (l'extrême gauche de type mélenchoniste) a perdu la moitié de sa représentation avec 39 sièges (30 de moins) pour 4,9% des voix.
     

     
     


    Après plus de deux mois d'hésitations, d'incertitudes et de négociations (ce qui est plus longtemps qu'en France cet été 2024), le 7 décembre 2021, un accord de gouvernement a été conclu entre trois partis : les sociaux-démocrates, les libéraux démocrates et les écologistes, apportant dans le panier de la mariée 416 sièges sur 736, ce qui a donné une coalition dite feu tricolore, par ses couleurs : rouge (SPD), jaune (FDP) et vert (Die Grünen), après un premier accord préliminaire annoncé le 15 octobre 2021. Olaf Scholz, Vice-Chancelier sortant et Ministre des Finances sortant d'Angela Merkel, est devenu, le 8 décembre 2021, à 63 ans, le neuvième Chancelier de l'Allemagne fédérale.

    Malgré sa bouille souriante, Olaf Scholz s'est montré le chef de gouvernement le plus inconsistant de l'histoire récente de l'Allemagne. Il faut dire que le principe de cette coalition était de conception peu stable puisque d'un côté, le SPD et les Verts voulaient miser sur une hausse du salaire minimum à 12 euros brut par heure, un rétablissement de l'impôt sur la fortune, un assouplissement des lois Hartz (votées entre 2003 et 2005, sous gouvernement SPD pourtant, qui ont permis la compétitivité de l'économie allemande en Europe), tandis que le FDP souhaitait la poursuite de l'orthodoxie budgétaire.


    Les divergences ne pouvaient apparaître qu'une saison à l'autre, et l'impopularité du gouvernement aidant, ce fut moins facile de préserver l'unité. En effet, les élections de 2024 furent catastrophiques pour le Chancelier allemand. Revoyons le film des derniers mois.

    Le 9 juin 2024, c'étaient les
    élections européennes. Ce fut un coup de semonce sévère contre le SPD. En effet, non seulement le premier rival, la CDU, a gagné haut la main la première place, avec 30,0% des voix, mais le SPD s'est fait doubler de près de deux points par l'extrême droite. En effet, l'AfD a recueilli 15,9% des voix tandis que le SPD seulement 13,9% (en 2019, le SPD, qui avait déjà dévissé aux européennes, n'avait que 15,8% des voix, à l'époque doublé par les Verts à 20,5% !). Ensuite, les Verts à 11,9%, l'extrême gauche (BSW, populistes de gauche, parti fondé le 8 janvier 2024 à partir d'une scission de Die Linke) à 6,2% et le FDP à 5,2%. La coalition du feu tricolore ne représentait donc, en juin dernier, que 31,0% de l'électorat allemand.

    Mais plus encore, les élections régionales du 1er septembre 2024 dans deux régions de l'ancienne Allemagne de l'Est ont été encore plus catastrophiques pour les sociaux-démocrates.


    En Saxe (capitale : Dresde), le SPD a été en voie de disparition confirmée avec seulement 7,3% des voix (comme aux précédentes élections), derrière le CDU (qui dirigeait la région), à 31,9% des voix, l'AfD qui a failli dépasser la CDU avec 30,6% des voix et l'extrême gauche (BSW) avec 11,8% des voix. Seuls, les Verts à 5,1% et Die Linke (extrême gauche) à 4,5% ont fait pire que le SPD. La coalition sortante (CDU, SPD, Verts) a perdu la majorité absolue (seulement 58 sièges sur 120) et va avoir du mal à se frayer un passage entre une forte extrême droite (40 sièges) et une forte extrême gauche (21 sièges).

    Configuration électorale presque équivalente en Thuringe (capitale : Erfurt) où l'AfD a même conquis la première place avec 32,8% des voix (première victoire d'un parti d'extrême droite à une élection allemande depuis la fin de la guerre), loin devant la CDU à 23,6%. La gauche a été liquéfiée : 15,8% pour l'extrême gauche BSW, 13,1% pour Die Linke et seulement 6,1% pour le SPD (en perte encore de 2 points).

    Dans ces deux régions, le président fédéral de la CDU Friedrich Merz a soutenu la poursuite du refus absolu d'alliance avec l'AfD, et a prôné une coalition avec l'extrême gauche qui s'avère très difficile. Une coalition CDU-SPD avec la BSW était en cours d'évaluation, mais la BSW est sortie définitivement des négociations le 5 novembre 2024 en raison de positions irréconciliables (notamment sur l'immigration et l'aide à l'Ukraine), ce qui devrait provoquer le 1er février 2025 probablement une dissolution du Landtag (conseil régional) et de nouvelles élections régionales.

    En revanche, les élections régionales du 22 septembre 2024 en Brandebourg (capitale : Potsdam, où vivait Olaf Scholz) sont restées favorables au SPD avec 30,9% des voix, mais de justesse devant l'AfD à 29,2% des voix, l'extrême gauche (BSW) à 13,5% des voix et a CDU à 12,1% des voix.

    Ces situations électorales, régionales (à l'Allemagne de l'Est) et fédérales (aux européennes), montrent que la classe politique allemande (comme c'est le cas en France et dans de nombreux autres pays européens) est tiraillée par des populismes d'extrême droite et parfois d'extrême gauche désormais assez fortement ancrés dans l'électorat.

     

     
     


    Parmi les désaccords internes à la coalition Rouge Jaune Vert, la politique économique, notamment dans le secteur automobile. Le FDP préconisait de réduire les dépenses publiques et les impôts sur les entreprises et la classe moyenne supérieure. Au contraire, le SPD et les Verts voulaient stimuler l'industrie en augmentant les investissements, notamment dans l'automobile (Volkswagen est en pleine crise). Mais le FDP a fait une offensive en proposant son programme et en insistant pour ne pas dépasser le déficit à 3,5% du PIB (la gauche voudrait atteindre 5%).

    Olaf Scholz a tranché (pour une fois) en limogeant le 6 novembre 2024 son Ministre des Finances Christian Lindner, également président du FDP depuis le 7 décembre 2013. Cette éviction a provoqué dès le lendemain, 7 novembre 2024, le départ des autres ministres FDP du gouvernement : le Ministre de la Justice Marco Buschmann et la Ministre de l'Éducation et de la Recherche Bettina Stark-Watzinger. Seul Volker Wissing, Ministre FDP des Transports et du Numérique, a quitté le FDP pour rester au gouvernement avec ses prérogatives sortantes et en cumulant avec la Justice en tant que politiquement indépendant. Christian Lindner a été acclamé par son groupe après son départ du gouvernement.

    En se retirant de la coalition, le FDP la rend minoritaire puisqu'elle ne peut plus compter sur ses 92 sièges, d'où seulement 324 sièges sur 736. Olaf Scholz a cependant choisi de continuer à gouverner jusqu'à un vote de confiance qu'il a planifié le 15 janvier 2025, date à laquelle son gouvernement sera probablement renversé et le Bundestag dissous. Qu'importe, Olaf Scholz a déjà annoncé qu'il serait candidat à sa reconduction.


    En quelque sorte, Olaf Scholz a fait le 6 novembre 2024 ce que le Président français Emmanuel Macron a fait le 9 juin 2024, c'est-à-dire prononcer la dissolution de l'Assemblée, ou plutôt, prononcer son auto-dissolution. Bref, appuyer sur le bouton rouge et faire tout exploser.

    De nouvelles élections fédérales allemandes sont donc à prévoir à brève échéance (en principe, elles auraient dû avoir lieu le 28 septembre 2025), plutôt en février ou mars 2025. Et Olaf Scholz, probablement, disparaîtra de la vie politique allemande aussi discrètement qu'il est apparu. Rien n'est vraiment prévisible avec de forts mouvements populistes (comme en France), mais la situation à concevoir la plus probable est le retour au pouvoir de la CDU, mais par l'aile dure, forte.
     

     
     


    En effet, Friedrich Merz (69 ans) attend depuis une vingtaine d'années sa consécration et il pense bien l'obtenir dans quelques mois. Il est un peu le Bruno Retailleau allemand. Avocat d'affaires, avec une ascendance maternelle française, il a été élu député européen CDU de 1989 à 1994 puis député fédéral de 1994 à 2009. Entre le 29 février 2000 et le 24 septembre 2002, il a présidé le groupe CDU au Bundestag et prévoyait de devenir l'héritier du Chancelier Helmut Kohl (en l'honneur de qui un lieu de Berlin, une avenue ou une place, sera bientôt baptisé), mais sa rivale directe Angela Merkel lui a pris la présidence du groupe en 2002 après avoir conquis la présidence fédérale de la CDU en 2000. Après l'élection d'Angela Merkel à la tête du gouvernement en 2005, Friedrich Merz s'est éloigné de la vie politique et l'a complètement quittée en 2009 pour diriger des entreprises et des fonds d'investissement. Mais après l'annonce du retrait d'Angela Merkel le 29 octobre 2018, notamment de quitter la présidence de la CDU, il est revenu immédiatement dans la bataille interne pour se présenter comme candidat à la Chancellerie en 2021.

    Battu pour la présidence de la CDU par
    Annegret Kramp-Karrenbauer le 7 décembre 2018 (au 31e congrès de la CDU) avec 48,2%, puis par Armin Laschet le 16 janvier 2021 (au 33e congrès de la CDU) avec un score aussi serré, Friedrich Merz a été finalement élu président de la CDU le 16 décembre 2021 (au 34e congrès de la CDU, après la défaite électorale de la CDU en septembre 2024) avec 62,1%. Il a pris ses fonctions de président de la CDU le 31 janvier 2022 et a pris aussi la présidence du groupe CDU au Bundestag le 15 février 2022 (il a été réélu député en septembre 2021), cumulant ainsi les pouvoirs au sein de la CDU en vue des élections fédérales de 2025.

    C'est pour cela que Friedrich Merz sera le probable prochain Chancelier allemand, dans un retour politique aussi improbable que celui de Donald Trump ou de
    Michel Barnier, avec la ferme volonté de changer la politique allemande, tant celle de la coalition du feu tricolore (la feue coalition tricolore) que celles dirigées par Angela Merkel (qui n'a dirigé seulement avec la CDU que pendant un mandat sur ses quatre mandats). En particulier, il devrait prendre des mesures très fortes contre l'immigration mais aussi pour renouer avec l'énergie nucléaire dont il était un ferme partisan (pour lui, la décision allemande de sortir du nucléaire a été une faute historique majeure). En revanche, avec le départ de Joe Biden en janvier 2025, il n'aura plus d'allié à la Maison-Blanche pour une ligne d'aide massive à l'Ukraine comme il le souhaiterait.

    Rien n'est encore écrit, mais la chute du gouvernement Scholz est une question de semaines, et sa défaite devant les électeurs une quasi-certitude. En revanche, le prochain vainqueur est moins sûr avec la forte audience électorale de l'AfD et, dans une moindre mesure, de celle de la BSW (qui prend surtout sur l'électorat du SPD, des Verts et de Die Linke). Une coalition dirigée par la CDU, avec Friedrich Merz comme chef du gouvernement, reste néanmoins la favorite.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (09 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    L'éclatement de la coalition Rouge Jaune Vert en Allemagne.
    Friedrich Merz.
    Olaf Scholz.
    Les 80 ans du Débarquement en Normandie.
    Élections européennes 2024 (7) : Ursula von der Leyen et ses trois priorités, la défense, le logement et la compétitivité.
    Élections européennes 2024 (6) : le casting pour la dixième législature du Parlement Européen.
    Élections européennes 2024 (5) : la victoire de... Ursula von der Leyen !
    Der Spiegel : "La France, c'est l'Allemagne en mieux".
    Konrad Adenauer.
    Daniel Cohn-Bendit.
    Volkswagen.
    Hans Modrow.
    Dmitri Vrubel.

    Le mur de Berlin.
    La chute du mur de Berlin.
    La Réunification allemande.
    Berlin 1989 : le 9/11 avant le 11/9.
    Maus.
    Le massacre d'Oradour-sur-Glane.
    Le 60e anniversaire du Traité de l'Élysée le 22 janvier 2023.
    Le testament de Benoît XVI.
    Hommage au pape émérite Benoît XVI (1927-2022).
    Les 95 ans du pape émérite Benoît XVI.
    L’Église de Benoît XVI.
    L'Ukraine à l'Europe : donnez-nous des ailes !
    6 mois de guerre en Ukraine en 7 dates.
    Kiev le 16 juin 2022 : une journée d’unité européenne historique !
    Nous Européens, nous sommes tous des Ukrainiens !
    Couvrez ces seins que je ne saurais voir !
    Olaf Scholz, l’étincelle du feu tricolore.
    Législatives allemandes 2021 (2) : Olaf Scholz bientôt Chancelier.
    Bonne retraite, Frau Merkel !
    Législatives allemandes 2021 (1) : INCERTITUDE !
    L’Allemagne en pleine fièvre extrémiste ?
     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241106-coalition-allemagne.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/l-eclatement-de-la-coalition-rouge-257560

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/07/article-sr-20241106-coalition-allemagne.html




     

  • Olaf Scholz a appuyé sur le bouton rouge !

    « Trahir, qu'on dit, c'est vite dit. Faut encore saisir l'occasion. C'est comme d'ouvrir une fenêtre dans une prison, trahir. Tout le monde en a envie, mais c'est rare qu'on puisse. » (Céline, 1932).



     

     
     


    Ce mercredi 6 novembre 2024, alors que l'actualité était monopolisée par la seconde élection de Donald Trump, un événement à mon avis aussi important dans ses conséquences pour l'Europe a eu lieu à Berlin : la coalition au pouvoir en Allemagne a éclaté. Et cela trois jours avant le trente-cinquième anniversaire de la chute du mur de Berlin !

    Les élections fédérales du 26 septembre 2021, c'est-à-dire les élections législatives, le renouvellement du Bundestag, la Chambre basse de la République fédérale d'Allemagne, ont donné des résultats mitigés à cause du scrutin proportionnel. Premières élections en l'absence de la Chancelière sortante Angela Merkel, la CDU (parti chrétien démocrate) a perdu son pari de se maintenir au pouvoir. Mais pour autant, le SPD (parti social-démocrate) n'a pas obtenu une majorité franche et massive.

    La CDU/CSU (quand j'évoque la CDU, c'est toujours en incluant l'allié bavarois CSU) a perdu 49 sièges avec 197 sièges sur 736 sièges au total (avec 24,1% des voix), tandis que son adversaire, le SPD, a à peine gagné plus de voix que la CDU, avec 25,7% des voix, lui permettant d'avoir 206 sièges au Bundestag (soit 53 de plus), loin d'obtenir une majorité absolue (il faut pour cela 369 sièges).


    Dans ces élections, les Verts ont fait un bond en doublant leur représentation avec 118 sièges (51 en plus) avec 14,8% des voix. Les libéraux démocrates (FDP), anciens alliés traditionnels de la CDU, ont eu un gain de 12 sièges avec 92 sièges (11,5% des voix), alors que les extrêmes ont régressé : l'extrême droite AfD a perdu 11 sièges avec 83 sièges (10,3% des voix) et Die Linke (l'extrême gauche de type mélenchoniste) a perdu la moitié de sa représentation avec 39 sièges (30 de moins) pour 4,9% des voix.

     
     


    Après plus de deux mois d'hésitations, d'incertitudes et de négociations (ce qui est plus longtemps qu'en France cet été 2024), le 7 décembre 2021, un accord de gouvernement a été conclu entre trois partis : les sociaux-démocrates, les libéraux démocrates et les écologistes, apportant dans le panier de la mariée 416 sièges sur 736, ce qui a donné une coalition dite feu tricolore, par ses couleurs : rouge (SPD), jaune (FDP) et vert (Die Grünen), après un premier accord préliminaire annoncé le 15 octobre 2021. Olaf Scholz, Vice-Chancelier sortant et Ministre des Finances sortant d'Angela Merkel, est devenu, le 8 décembre 2021, à 63 ans, le neuvième Chancelier de l'Allemagne fédérale.

    Malgré sa bouille souriante, Olaf Scholz s'est montré le chef de gouvernement le plus inconsistant de l'histoire récente de l'Allemagne. Il faut dire que le principe de cette coalition était de conception peu stable puisque d'un côté, le SPD et les Verts voulaient miser sur une hausse du salaire minimum à 12 euros brut par heure, un rétablissement de l'impôt sur la fortune, un assouplissement des lois Hartz (votées entre 2003 et 2005, sous gouvernement SPD pourtant, qui ont permis la compétitivité de l'économie allemande en Europe), tandis que le FDP souhaitait la poursuite de l'orthodoxie budgétaire.


    Les divergences ne pouvaient apparaître qu'une saison à l'autre, et l'impopularité du gouvernement aidant, ce fut moins facile de préserver l'unité. En effet, les élections de 2024 furent catastrophiques pour le Chancelier allemand. Revoyons le film des derniers mois.

    Le 9 juin 2024, c'étaient les
    élections européennes. Ce fut un coup de semonce sévère contre le SPD. En effet, non seulement le premier rival, la CDU, a gagné haut la main la première place, avec 30,0% des voix, mais le SPD s'est fait doubler de près de deux points par l'extrême droite. En effet, l'AfD a recueilli 15,9% des voix tandis que le SPD seulement 13,9% (en 2019, le SPD, qui avait déjà dévissé aux européennes, n'avait que 15,8% des voix, à l'époque doublé par les Verts à 20,5% !). Ensuite, les Verts à 11,9%, l'extrême gauche (BSW, populistes de gauche, parti fondé le 8 janvier 2024 à partir d'une scission de Die Linke) à 6,2% et le FDP à 5,2%. La coalition du feu tricolore ne représentait donc, en juin dernier, que 31,0% de l'électorat allemand.

    Mais plus encore, les élections régionales du 1er septembre 2024 dans deux régions de l'ancienne Allemagne de l'Est ont été encore plus catastrophiques pour les sociaux-démocrates.


    En Saxe (capitale : Dresde), le SPD a été en voie de disparition confirmée avec seulement 7,3% des voix (comme aux précédentes élections), derrière le CDU (qui dirigeait la région), à 31,9% des voix, l'AfD qui a failli dépasser la CDU avec 30,6% des voix et l'extrême gauche (BSW) avec 11,8% des voix. Seuls, les Verts à 5,1% et Die Linke (extrême gauche) à 4,5% ont fait pire que le SPD. La coalition sortante (CDU, SPD, Verts) a perdu la majorité absolue (seulement 58 sièges sur 120) et va avoir du mal à se frayer un passage entre une forte extrême droite (40 sièges) et une forte extrême gauche (21 sièges).

    Configuration électorale presque équivalente en Thuringe (capitale : Erfurt) où l'AfD a même conquis la première place avec 32,8% des voix (première victoire d'un parti d'extrême droite à une élection allemande depuis la fin de la guerre), loin devant la CDU à 23,6%. La gauche a été liquéfiée : 15,8% pour l'extrême gauche BSW, 13,1% pour Die Linke et seulement 6,1% pour le SPD (en perte encore de 2 points).

    Dans ces deux régions, le président fédéral de la CDU Friedrich Merz a soutenu la poursuite du refus absolu d'alliance avec l'AfD, et a prôné une coalition avec l'extrême gauche qui s'avère très difficile. Une coalition CDU-SPD avec la BSW était en cours d'évaluation, mais la BSW est sortie définitivement des négociations le 5 novembre 2024 en raison de positions irréconciliables (notamment sur l'immigration et l'aide à l'Ukraine), ce qui devrait provoquer le 1er février 2025 probablement une dissolution du Landtag (conseil régional) et de nouvelles élections régionales.

    En revanche, les élections régionales du 22 septembre 2024 en Brandebourg (capitale : Potsdam, où vivait Olaf Scholz) sont restées favorables au SPD avec 30,9% des voix, mais de justesse devant l'AfD à 29,2% des voix, l'extrême gauche (BSW) à 13,5% des voix et a CDU à 12,1% des voix.

    Ces situations électorales, régionales (à l'Allemagne de l'Est) et fédérales (aux européennes), montrent que la classe politique allemande (comme c'est le cas en France et dans de nombreux autres pays européens) est tiraillée par des populismes d'extrême droite et parfois d'extrême gauche désormais assez fortement ancrés dans l'électorat.

     

     
     


    Parmi les désaccords internes à la coalition Rouge Jaune Vert, la politique économique, notamment dans le secteur automobile. Le FDP préconisait de réduire les dépenses publiques et les impôts sur les entreprises et la classe moyenne supérieure. Au contraire, le SPD et les Verts voulaient stimuler l'industrie en augmentant les investissements, notamment dans l'automobile (Volkswagen est en pleine crise). Mais le FDP a fait une offensive en proposant son programme et en insistant pour ne pas dépasser le déficit à 3,5% du PIB (la gauche voudrait atteindre 5%).

    Olaf Scholz a tranché (pour une fois) en limogeant le 6 novembre 2024 son Ministre des Finances Christian Lindner, également président du FDP depuis le 7 décembre 2013. Cette éviction a provoqué dès le lendemain, 7 novembre 2024, le départ des autres ministres FDP du gouvernement : le Ministre de la Justice Marco Buschmann et la Ministre de l'Éducation et de la Recherche Bettina Stark-Watzinger. Seul Volker Wissing, Ministre FDP des Transports et du Numérique, a quitté le FDP pour rester au gouvernement avec ses prérogatives sortantes et en cumulant avec la Justice en tant que politiquement indépendant. Christian Lindner a été acclamé par son groupe après son départ du gouvernement.

    En se retirant de la coalition, le FDP la rend minoritaire puisqu'elle ne peut plus compter sur ses 92 sièges, d'où seulement 324 sièges sur 736. Olaf Scholz a cependant choisi de continuer à gouverner jusqu'à un vote de confiance qu'il a planifié le 15 janvier 2025, date à laquelle son gouvernement sera probablement renversé et le Bundestag dissous. Qu'importe, Olaf Scholz a déjà annoncé qu'il serait candidat à sa reconduction.


    En quelque sorte, Olaf Scholz a fait le 6 novembre 2024 ce que le Président français Emmanuel Macron a fait le 9 juin 2024, c'est-à-dire prononcer la dissolution de l'Assemblée, ou plutôt, prononcer son auto-dissolution. Bref, appuyer sur le bouton rouge et faire tout exploser.

    De nouvelles élections fédérales allemandes sont donc à prévoir à brève échéance (en principe, elles auraient dû avoir lieu le 28 septembre 2025), plutôt en février ou mars 2025. Et Olaf Scholz, probablement, disparaîtra de la vie politique allemande aussi discrètement qu'il est apparu. Rien n'est vraiment prévisible avec de forts mouvements populistes (comme en France), mais la situation à concevoir la plus probable est le retour au pouvoir de la CDU, mais par l'aile dure, forte.

     
     


    En effet, Friedrich Merz (69 ans) attend depuis une vingtaine d'années sa consécration et il pense bien l'obtenir dans quelques mois. Il est un peu le Bruno Retailleau allemand. Avocat d'affaires, avec une ascendance maternelle française, il a été élu député européen CDU de 1989 à 1994 puis député fédéral de 1994 à 2009. Entre le 29 février 2000 et le 24 septembre 2002, il a présidé le groupe CDU au Bundestag et prévoyait de devenir l'héritier du Chancelier Helmut Kohl (en l'honneur de qui un lieu de Berlin, une avenue ou une place, sera bientôt baptisé), mais sa rivale directe Angela Merkel lui a pris la présidence du groupe en 2002 après avoir conquis la présidence fédérale de la CDU en 2000. Après l'élection d'Angela Merkel à la tête du gouvernement en 2005, Friedrich Merz s'est éloigné de la vie politique et l'a complètement quittée en 2009 pour diriger des entreprises et des fonds d'investissement. Mais après l'annonce du retrait d'Angela Merkel le 29 octobre 2018, notamment de quitter la présidence de la CDU, il est revenu immédiatement dans la bataille interne pour se présenter comme candidat à la Chancellerie en 2021.

    Battu pour la présidence de la CDU par
    Annegret Kramp-Karrenbauer le 7 décembre 2018 (au 31e congrès de la CDU) avec 48,2%, puis par Armin Laschet le 16 janvier 2021 (au 33e congrès de la CDU) avec un score aussi serré, Friedrich Merz a été finalement élu président de la CDU le 16 décembre 2021 (au 34e congrès de la CDU, après la défaite électorale de la CDU en septembre 2024) avec 62,1%. Il a pris ses fonctions de président de la CDU le 31 janvier 2022 et a pris aussi la présidence du groupe CDU au Bundestag le 15 février 2022 (il a été réélu député en septembre 2021), cumulant ainsi les pouvoirs au sein de la CDU en vue des élections fédérales de 2025.

    C'est pour cela que Friedrich Merz sera le probable prochain Chancelier allemand, dans un retour politique aussi improbable que celui de Donald Trump ou de
    Michel Barnier, avec la ferme volonté de changer la politique allemande, tant celle de la coalition du feu tricolore (la feue coalition tricolore) que celles dirigées par Angela Merkel (qui n'a dirigé seulement avec la CDU que pendant un mandat sur ses quatre mandats). En particulier, il devrait prendre des mesures très fortes contre l'immigration mais aussi pour renouer avec l'énergie nucléaire dont il était un ferme partisan (pour lui, la décision allemande de sortir du nucléaire a été une faute historique majeure). En revanche, avec le départ de Joe Biden en janvier 2025, il n'aura plus d'allié à la Maison-Blanche pour une ligne d'aide massive à l'Ukraine comme il le souhaiterait.

    Rien n'est encore écrit, mais la chute du gouvernement Scholz est une question de semaines, et sa défaite devant les électeurs une quasi-certitude. En revanche, le prochain vainqueur est moins sûr avec la forte audience électorale de l'AfD et, dans une moindre mesure, de celle de la BSW (qui prend surtout sur l'électorat du SPD, des Verts et de Die Linke). Une coalition dirigée par la CDU, avec Friedrich Merz comme chef du gouvernement, reste néanmoins la favorite.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (09 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    L'éclatement de la coalition Rouge Jaune Vert en Allemagne.
    Friedrich Merz.
    Olaf Scholz.
    Les 80 ans du Débarquement en Normandie.
    Élections européennes 2024 (7) : Ursula von der Leyen et ses trois priorités, la défense, le logement et la compétitivité.
    Élections européennes 2024 (6) : le casting pour la dixième législature du Parlement Européen.
    Élections européennes 2024 (5) : la victoire de... Ursula von der Leyen !
    Der Spiegel : "La France, c'est l'Allemagne en mieux".
    Konrad Adenauer.
    Daniel Cohn-Bendit.
    Volkswagen.
    Hans Modrow.
    Dmitri Vrubel.

    Le mur de Berlin.
    La chute du mur de Berlin.
    La Réunification allemande.
    Berlin 1989 : le 9/11 avant le 11/9.
    Maus.
    Le massacre d'Oradour-sur-Glane.
    Le 60e anniversaire du Traité de l'Élysée le 22 janvier 2023.
    Le testament de Benoît XVI.
    Hommage au pape émérite Benoît XVI (1927-2022).
    Les 95 ans du pape émérite Benoît XVI.
    L’Église de Benoît XVI.
    L'Ukraine à l'Europe : donnez-nous des ailes !
    6 mois de guerre en Ukraine en 7 dates.
    Kiev le 16 juin 2022 : une journée d’unité européenne historique !
    Nous Européens, nous sommes tous des Ukrainiens !
    Couvrez ces seins que je ne saurais voir !
    Olaf Scholz, l’étincelle du feu tricolore.
    Législatives allemandes 2021 (2) : Olaf Scholz bientôt Chancelier.
    Bonne retraite, Frau Merkel !
    Législatives allemandes 2021 (1) : INCERTITUDE !
    L’Allemagne en pleine fièvre extrémiste ?

     
     



     



    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241106-scholz.html

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/11/article-sr-20241106-scholz.html


     


     

  • Friedrich Merz, futur Chancelier allemand en 2025 ?

    « Trahir, qu'on dit, c'est vite dit. Faut encore saisir l'occasion. C'est comme d'ouvrir une fenêtre dans une prison, trahir. Tout le monde en a envie, mais c'est rare qu'on puisse. » (Céline, 1932).

     

     
     


    Ce mercredi 6 novembre 2024, alors que l'actualité était monopolisée par la seconde élection de Donald Trump, un événement à mon avis aussi important dans ses conséquences pour l'Europe a eu lieu à Berlin : la coalition au pouvoir en Allemagne a éclaté. Et cela trois jours avant le trente-cinquième anniversaire de la chute du mur de Berlin !

    Les élections fédérales du 26 septembre 2021, c'est-à-dire les élections législatives, le renouvellement du Bundestag, la Chambre basse de la République fédérale d'Allemagne, ont donné des résultats mitigés à cause du scrutin proportionnel. Premières élections en l'absence de la Chancelière sortante Angela Merkel, la CDU (parti chrétien démocrate) a perdu son pari de se maintenir au pouvoir. Mais pour autant, le SPD (parti social-démocrate) n'a pas obtenu une majorité franche et massive.

    La CDU/CSU (quand j'évoque la CDU, c'est toujours en incluant l'allié bavarois CSU) a perdu 49 sièges avec 197 sièges sur 736 sièges au total (avec 24,1% des voix), tandis que son adversaire, le SPD, a à peine gagné plus de voix que la CDU, avec 25,7% des voix, lui permettant d'avoir 206 sièges au Bundestag (soit 53 de plus), loin d'obtenir une majorité absolue (il faut pour cela 369 sièges).


    Dans ces élections, les Verts ont fait un bond en doublant leur représentation avec 118 sièges (51 en plus) avec 14,8% des voix. Les libéraux démocrates (FDP), anciens alliés traditionnels de la CDU, ont eu un gain de 12 sièges avec 92 sièges (11,5% des voix), alors que les extrêmes ont régressé : l'extrême droite AfD a perdu 11 sièges avec 83 sièges (10,3% des voix) et Die Linke (l'extrême gauche de type mélenchoniste) a perdu la moitié de sa représentation avec 39 sièges (30 de moins) pour 4,9% des voix.

     
     


    Après plus de deux mois d'hésitations, d'incertitudes et de négociations (ce qui est plus longtemps qu'en France cet été 2024), le 7 décembre 2021, un accord de gouvernement a été conclu entre trois partis : les sociaux-démocrates, les libéraux démocrates et les écologistes, apportant dans le panier de la mariée 416 sièges sur 736, ce qui a donné une coalition dite feu tricolore, par ses couleurs : rouge (SPD), jaune (FDP) et vert (Die Grünen), après un premier accord préliminaire annoncé le 15 octobre 2021. Olaf Scholz, Vice-Chancelier sortant et Ministre des Finances sortant d'Angela Merkel, est devenu, le 8 décembre 2021, à 63 ans, le neuvième Chancelier de l'Allemagne fédérale.

    Malgré sa bouille souriante, Olaf Scholz s'est montré le chef de gouvernement le plus inconsistant de l'histoire récente de l'Allemagne. Il faut dire que le principe de cette coalition était de conception peu stable puisque d'un côté, le SPD et les Verts voulaient miser sur une hausse du salaire minimum à 12 euros brut par heure, un rétablissement de l'impôt sur la fortune, un assouplissement des lois Hartz (votées entre 2003 et 2005, sous gouvernement SPD pourtant, qui ont permis la compétitivité de l'économie allemande en Europe), tandis que le FDP souhaitait la poursuite de l'orthodoxie budgétaire.


    Les divergences ne pouvaient apparaître qu'une saison à l'autre, et l'impopularité du gouvernement aidant, ce fut moins facile de préserver l'unité. En effet, les élections de 2024 furent catastrophiques pour le Chancelier allemand. Revoyons le film des derniers mois.

    Le 9 juin 2024, c'étaient les
    élections européennes. Ce fut un coup de semonce sévère contre le SPD. En effet, non seulement le premier rival, la CDU, a gagné haut la main la première place, avec 30,0% des voix, mais le SPD s'est fait doubler de près de deux points par l'extrême droite. En effet, l'AfD a recueilli 15,9% des voix tandis que le SPD seulement 13,9% (en 2019, le SPD, qui avait déjà dévissé aux européennes, n'avait que 15,8% des voix, à l'époque doublé par les Verts à 20,5% !). Ensuite, les Verts à 11,9%, l'extrême gauche (BSW, populistes de gauche, parti fondé le 8 janvier 2024 à partir d'une scission de Die Linke) à 6,2% et le FDP à 5,2%. La coalition du feu tricolore ne représentait donc, en juin dernier, que 31,0% de l'électorat allemand.

    Mais plus encore, les élections régionales du 1er septembre 2024 dans deux régions de l'ancienne Allemagne de l'Est ont été encore plus catastrophiques pour les sociaux-démocrates.


    En Saxe (capitale : Dresde), le SPD a été en voie de disparition confirmée avec seulement 7,3% des voix (comme aux précédentes élections), derrière le CDU (qui dirigeait la région), à 31,9% des voix, l'AfD qui a failli dépasser la CDU avec 30,6% des voix et l'extrême gauche (BSW) avec 11,8% des voix. Seuls, les Verts à 5,1% et Die Linke (extrême gauche) à 4,5% ont fait pire que le SPD. La coalition sortante (CDU, SPD, Verts) a perdu la majorité absolue (seulement 58 sièges sur 120) et va avoir du mal à se frayer un passage entre une forte extrême droite (40 sièges) et une forte extrême gauche (21 sièges).

    Configuration électorale presque équivalente en Thuringe (capitale : Erfurt) où l'AfD a même conquis la première place avec 32,8% des voix (première victoire d'un parti d'extrême droite à une élection allemande depuis la fin de la guerre), loin devant la CDU à 23,6%. La gauche a été liquéfiée : 15,8% pour l'extrême gauche BSW, 13,1% pour Die Linke et seulement 6,1% pour le SPD (en perte encore de 2 points).

    Dans ces deux régions, le président fédéral de la CDU Friedrich Merz a soutenu la poursuite du refus absolu d'alliance avec l'AfD, et a prôné une coalition avec l'extrême gauche qui s'avère très difficile. Une coalition CDU-SPD avec la BSW était en cours d'évaluation, mais la BSW est sortie définitivement des négociations le 5 novembre 2024 en raison de positions irréconciliables (notamment sur l'immigration et l'aide à l'Ukraine), ce qui devrait provoquer le 1er février 2025 probablement une dissolution du Landtag (conseil régional) et de nouvelles élections régionales.

    En revanche, les élections régionales du 22 septembre 2024 en Brandebourg (capitale : Potsdam, où vivait Olaf Scholz) sont restées favorables au SPD avec 30,9% des voix, mais de justesse devant l'AfD à 29,2% des voix, l'extrême gauche (BSW) à 13,5% des voix et a CDU à 12,1% des voix.

    Ces situations électorales, régionales (à l'Allemagne de l'Est) et fédérales (aux européennes), montrent que la classe politique allemande (comme c'est le cas en France et dans de nombreux autres pays européens) est tiraillée par des populismes d'extrême droite et parfois d'extrême gauche désormais assez fortement ancrés dans l'électorat.

     

     
     


    Parmi les désaccords internes à la coalition Rouge Jaune Vert, la politique économique, notamment dans le secteur automobile. Le FDP préconisait de réduire les dépenses publiques et les impôts sur les entreprises et la classe moyenne supérieure. Au contraire, le SPD et les Verts voulaient stimuler l'industrie en augmentant les investissements, notamment dans l'automobile (Volkswagen est en pleine crise). Mais le FDP a fait une offensive en proposant son programme et en insistant pour ne pas dépasser le déficit à 3,5% du PIB (la gauche voudrait atteindre 5%).

    Olaf Scholz a tranché (pour une fois) en limogeant le 6 novembre 2024 son Ministre des Finances Christian Lindner, également président du FDP depuis le 7 décembre 2013. Cette éviction a provoqué dès le lendemain, 7 novembre 2024, le départ des autres ministres FDP du gouvernement : le Ministre de la Justice Marco Buschmann et la Ministre de l'Éducation et de la Recherche Bettina Stark-Watzinger. Seul Volker Wissing, Ministre FDP des Transports et du Numérique, a quitté le FDP pour rester au gouvernement avec ses prérogatives sortantes et en cumulant avec la Justice en tant que politiquement indépendant. Christian Lindner a été acclamé par son groupe après son départ du gouvernement.

    En se retirant de la coalition, le FDP la rend minoritaire puisqu'elle ne peut plus compter sur ses 92 sièges, d'où seulement 324 sièges sur 736. Olaf Scholz a cependant choisi de continuer à gouverner jusqu'à un vote de confiance qu'il a planifié le 15 janvier 2025, date à laquelle son gouvernement sera probablement renversé et le Bundestag dissous. Qu'importe, Olaf Scholz a déjà annoncé qu'il serait candidat à sa reconduction.


    En quelque sorte, Olaf Scholz a fait le 6 novembre 2024 ce que le Président français Emmanuel Macron a fait le 9 juin 2024, c'est-à-dire prononcer la dissolution de l'Assemblée, ou plutôt, prononcer son auto-dissolution. Bref, appuyer sur le bouton rouge et faire tout exploser.

    De nouvelles élections fédérales allemandes sont donc à prévoir à brève échéance (en principe, elles auraient dû avoir lieu le 28 septembre 2025), plutôt en février ou mars 2025. Et Olaf Scholz, probablement, disparaîtra de la vie politique allemande aussi discrètement qu'il est apparu. Rien n'est vraiment prévisible avec de forts mouvements populistes (comme en France), mais la situation à concevoir la plus probable est le retour au pouvoir de la CDU, mais par l'aile dure, forte.
     

     
     


    En effet, Friedrich Merz (69 ans) attend depuis une vingtaine d'années sa consécration et il pense bien l'obtenir dans quelques mois. Il est un peu le Bruno Retailleau allemand. Avocat d'affaires, avec une ascendance maternelle française, il a été élu député européen CDU de 1989 à 1994 puis député fédéral de 1994 à 2009. Entre le 29 février 2000 et le 24 septembre 2002, il a présidé le groupe CDU au Bundestag et prévoyait de devenir l'héritier du Chancelier Helmut Kohl (en l'honneur de qui un lieu de Berlin, une avenue ou une place, sera bientôt baptisé), mais sa rivale directe Angela Merkel lui a pris la présidence du groupe en 2002 après avoir conquis la présidence fédérale de la CDU en 2000. Après l'élection d'Angela Merkel à la tête du gouvernement en 2005, Friedrich Merz s'est éloigné de la vie politique et l'a complètement quittée en 2009 pour diriger des entreprises et des fonds d'investissement. Mais après l'annonce du retrait d'Angela Merkel le 29 octobre 2018, notamment de quitter la présidence de la CDU, il est revenu immédiatement dans la bataille interne pour se présenter comme candidat à la Chancellerie en 2021.

    Battu pour la présidence de la CDU par
    Annegret Kramp-Karrenbauer le 7 décembre 2018 (au 31e congrès de la CDU) avec 48,2%, puis par Armin Laschet le 16 janvier 2021 (au 33e congrès de la CDU) avec un score aussi serré, Friedrich Merz a été finalement élu président de la CDU le 16 décembre 2021 (au 34e congrès de la CDU, après la défaite électorale de la CDU en septembre 2024) avec 62,1%. Il a pris ses fonctions de président de la CDU le 31 janvier 2022 et a pris aussi la présidence du groupe CDU au Bundestag le 15 février 2022 (il a été réélu député en septembre 2021), cumulant ainsi les pouvoirs au sein de la CDU en vue des élections fédérales de 2025.

    C'est pour cela que Friedrich Merz sera le probable prochain Chancelier allemand, dans un retour politique aussi improbable que celui de Donald Trump ou de
    Michel Barnier, avec la ferme volonté de changer la politique allemande, tant celle de la coalition du feu tricolore (la feue coalition tricolore) que celles dirigées par Angela Merkel (qui n'a dirigé seulement avec la CDU que pendant un mandat sur ses quatre mandats). En particulier, il devrait prendre des mesures très fortes contre l'immigration mais aussi pour renouer avec l'énergie nucléaire dont il était un ferme partisan (pour lui, la décision allemande de sortir du nucléaire a été une faute historique majeure). En revanche, avec le départ de Joe Biden en janvier 2025, il n'aura plus d'allié à la Maison-Blanche pour une ligne d'aide massive à l'Ukraine comme il le souhaiterait.

    Rien n'est encore écrit, mais la chute du gouvernement Scholz est une question de semaines, et sa défaite devant les électeurs une quasi-certitude. En revanche, le prochain vainqueur est moins sûr avec la forte audience électorale de l'AfD et, dans une moindre mesure, de celle de la BSW (qui prend surtout sur l'électorat du SPD, des Verts et de Die Linke). Une coalition dirigée par la CDU, avec Friedrich Merz comme chef du gouvernement, reste néanmoins la favorite.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (09 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    L'éclatement de la coalition Rouge Jaune Vert en Allemagne.
    Friedrich Merz.
    Olaf Scholz.
    Les 80 ans du Débarquement en Normandie.
    Élections européennes 2024 (7) : Ursula von der Leyen et ses trois priorités, la défense, le logement et la compétitivité.
    Élections européennes 2024 (6) : le casting pour la dixième législature du Parlement Européen.
    Élections européennes 2024 (5) : la victoire de... Ursula von der Leyen !
    Der Spiegel : "La France, c'est l'Allemagne en mieux".
    Konrad Adenauer.
    Daniel Cohn-Bendit.
    Volkswagen.
    Hans Modrow.
    Dmitri Vrubel.

    Le mur de Berlin.
    La chute du mur de Berlin.
    La Réunification allemande.
    Berlin 1989 : le 9/11 avant le 11/9.
    Maus.
    Le massacre d'Oradour-sur-Glane.
    Le 60e anniversaire du Traité de l'Élysée le 22 janvier 2023.
    Le testament de Benoît XVI.
    Hommage au pape émérite Benoît XVI (1927-2022).
    Les 95 ans du pape émérite Benoît XVI.
    L’Église de Benoît XVI.
    L'Ukraine à l'Europe : donnez-nous des ailes !
    6 mois de guerre en Ukraine en 7 dates.
    Kiev le 16 juin 2022 : une journée d’unité européenne historique !
    Nous Européens, nous sommes tous des Ukrainiens !
    Couvrez ces seins que je ne saurais voir !
    Olaf Scholz, l’étincelle du feu tricolore.
    Législatives allemandes 2021 (2) : Olaf Scholz bientôt Chancelier.
    Bonne retraite, Frau Merkel !
    Législatives allemandes 2021 (1) : INCERTITUDE !
    L’Allemagne en pleine fièvre extrémiste ?

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241106-merz.html

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/11/article-sr-20241106-merz.html



     

  • Les victoires européennes de la Moldavie

    « Aujourd'hui, chers Moldaves, vous avez donné une leçon de démocratie digne de figurer dans les livres d'histoire ! » (Maia Sandu, le 3 novembre 2024 à Chisinau).




     

     
     


    On ne peut pas perdre à tous les coups ! La réélection de Donald Trump n'est pas une bonne nouvelle pour la sécurité de l'Europe. Mais le vieux continent européen avait enregistré deux jours auparavant une belle victoire électorale avec la réélection de Maia Sandu (52 ans) à la Présidence de la République de Moldavie. Maia Sandu a en effet obtenu 42,5% des voix au premier tour du 20 octobre 2024 et 55,4% des voix au second tour du 3 novembre 2024. C'était même une double victoire européenne.

    La Moldavie est un petit pays agricole de 2,7 millions d'habitants situé à l'est de l'Europe, coincée entre la Roumanie et l'Ukraine. La population est principalement roumaine (à très forte majorité, 82,1%) mais il y a aussi de fortes minorités ukrainienne (6,6%) et russe (4,1%), et également gagaouze, c'est-à-dire turque orthodoxe, (4,6%) et bulgare (1,9%).

    La Moldavie a acquis son indépendance le 27 août 1991. Comme l'Ukraine, la Moldavie a fait partie de
    l'URSS et à ce titre, la Russie a un œil vigilant voire influent sur son évolution politique, d'autant plus qu'une région pro-russe a fait sécession. Cette région séparatiste s'appelle la Transnistrie, au-delà du fleuve Dniestr, qui a proclamé son indépendance unilatéralement le 2 septembre 1990 (avant l'indépendance de la Moldavie). Ce petit bout de terre, coincé entre la Moldavie et l'Ukraine, représente 4 000 kilomètres carrés et environ 500 000 habitants. La Transnistrie n'est reconnue que par d'autres États sécessionnistes, l'Abkhasie et l'Ossétie du Sud (régions pro-russes de Géorgie). Jusqu'au 22 février 2023, elle n'était même pas reconnue par la Russie, mais depuis lors, Vladimir Poutine a reconnu à la fois la Transnistrie et les deux États géorgiens cités.

    La Moldavie vit donc avec des élans paradoxaux, certains voudraient l'unification avec la Roumanie, d'autres avec l'Ukraine, d'autres encore avec la Russie, mais pas plus que la Wallonie voudrait le rattachement à la France. Depuis plus de trente ans, comme les autres pays d'Europe centrale et orientale sous le joug soviétique, elle aspire à se moderniser en paix et en indépendance, à prospérer, à bénéficier des apports de l'Europe en général. La question de l'adhésion de la Moldavie à l'Union Européenne n'est pas nouvelle mais souvent remise à plus tard. Elle a obtenu le statut d'association avec l'Union Européen le 1er juillet 2016.

    La déclaration de guerre de Vladimir Poutine à l'Ukraine le 24 février 2022 a remis en cause l'ordre européen, car en cas de réussite de la tentative d'invasion de l'Ukraine (les régions séparatistes pro-russes du Donbass ont été unilatéralement annexées par la Russie comme la Crimée en mars 2014), les prochaines étapes nationales de Vladimir Poutine seront à l'évidence la Moldavie, la Géorgie et les Pays baltes. L'Estonie, la Lettonie et la Lituanie faisant partie de l'Union Européenne et de
    l'OTAN craignent par conséquent moins pour leur intégrité territoriale que la Moldavie et la Géorgie qui, désormais, cherchent à adhérer le plus rapidement possible à l'Union Européenne et surtout à l'OTAN afin de bénéficier de la garantie de défense réciproque (le fameux article 5 du Traité atlantique nord).

    La présence russe en Moldavie est cruciale pour la Russie puisqu'elle permet de prendre en tenaille l'Ukraine par son flanc ouest, notamment du côté d'Odessa. C'est pour cela que l'élection présidentielle moldave dont le premier tour a eu lieu le 20 octobre 2024 et le second tour le 3 novembre 2024 a subi des influences très fortes de la Russie.


    La Présidente de la République sortante était Maia Sandu, économiste et ancienne haut fonctionnaire, qui a été Ministre de l'Éducation du 24 juillet 2012 au 30 juillet 2015 (elle a réduit de 50% la corruption pour acheter des diplômes en mettant des caméras dans les salles d'examen) et Première Ministre du 8 juin 2019 au 14 novembre 2019. Elle s'est présentée à l'élection présidentielle une première fois il y a huit ans après avoir fondé et présidé le Parti action et solidarité (PAS) le 15 mai 2016, un parti de centre droit, pro-européen, indépendantiste (c'est-à-dire contre l'union avec la Roumanie et pour sortir de la tutelle de la Russie).
     

     
     


    Arrivée à la deuxième place au premier tour du 30 octobre 2016 avec 38,7% des voix, elle a été battue avec 47,9% par le candidat socialiste pro-russe Igor Dodon au second tour le 13 novembre 2016. Maia Sandu a fait néanmoins alliance avec les socialistes contre les démocrates au sein d'un Parlement ingouvernable depuis les élections législatives du 24 février 2019 qui avait abouti à une assemblée tripartite : 35 sièges sur 101 au total pour les socialistes (31,2% des voix), 30 sièges pour les démocrates (23,6% des voix) et 26 sièges pour le Bloc électoral ACUM pro-européen et anti-oligarchie (dont faisait partie le PAS) mené par Maia Sandu (26,8% des voix). À ceux-ci s'ajoutaient 7 députés issus du parti conservateur pro-russe Égalité d'Ilan Sor, oligarque israélo-moldave, maire d'Orhei (une ville moldave de 21 000 habitants) entre 2015 et 2019, qui avait obtenu 8,3% des voix. Maia Sandu a été désignée Première Ministre avec l'appui des députés socialistes et des députés ACUM qui se sont accordé le 8 juin 2019, mais son gouvernement a été renversé le 12 novembre 2019 par le vote d'une motion de censure en raison d'un désaccord sur le mode de scrutin des prochaines élections législatives.

    La formation du gouvernement de Maia Sandu a été l'occasion d'une crise constitutionnelle provoquée par la Cour constitutionnelle (qui a même retiré provisoirement les pouvoirs du Président de la République) qui a finalement reculé et est revenue en arrière, justifiant sa position par de fortes pressions (le dénouement de la crise s'est soldée par la fuite à l'étranger de Vladimir Plahotniuc, le leader du parti démocrate, et du milliardaire Ilan Sor dont les biens personnels ont été saisis en raison de fraude d'un montant de 1 milliard de dollars).

    La situation politique s'est clarifiée démocratiquement un an et demi plus tard. Au premier tour de l'élection présidentielle du 1er novembre 2020, Maia Sandu, de nouveau candidate, a surpris les observateurs en obtenant la première place avec 36,2% des voix, devançant le Président sortant Igor Dodon qui sollicitait un second mandat (32,6%). Au second tour du 15 novembre 2020, Maia Sandu l'a emporté très largement avec 57,7% des voix contre Igor Dodon, en confortant nettement la participation électorale de 45,7% des inscrits au premier tour à 55,8% au second tour. Maia Sandu a commencé son premier mandat présidentiel le 24 décembre 2020. Son élection, basée sur sa réputation d'incorruptible, a marqué historiquement la perte d'influence de la Russie en Moldavie.

    Pour éviter la poursuite d'un Parlement ingouvernable, elle a nommé une ancienne collaboratrice Natalia Gavrilita le 27 janvier 2021 à la tête du gouvernement en demandant aux députés de sa coalition de ne pas voter pour elle afin de pouvoir dissoudre le Parlement (il faut un constat d'impossibilité de gouverner), tandis que les socialistes et les députés du parti Sor, qui ne souhaitaient pas d'élections anticipées, étaient prêts à soutenir ce gouvernement. La nomination de Natalia Gavrilita a été invalidée le 23 février 2021 par la Cour constitutionnelle, et après quelques autres péripéties politiciennes, Maia Sandu a prononcé la dissolution du Parlement le 28 avril 2021, en organisant de nouvelles élections législatives le 11 juillet 2021 qui lui ont apporté une large majorité absolue : son parti PAS a obtenu en effet 63 sièges sur 101 avec 52,8% des voix, ce qui lui a permis de ne plus avoir besoin de nouer de coalition pour gouverner pendant quatre ans. Les démocrates ont été laminés (aucun siège), et les socialistes et communistes ont obtenu 32 sièges. Natalia Gavrilita a alors été nommée officiellement Première Ministre le 6 août 2021 (jusqu'au 16 février 2023).

     

     
     


    Deux axes pour la politique de Maia Sandu, au-delà de la crise du covid-19 : la lutte anti-corruption et le rapprochement avec l'Union Européenne, renforcée par la tentative d'invasion de l'Ukraine par les troupes russes. La Moldavie a subi une crise énergétique majeure en raison de la baisse de 30% de la fourniture de Gazprom. Parmi ses premiers déplacements, a eu lieu la visite le 12 janvier 2021 à Kiev pour rencontrer son homologue Volodymyr Zelensky (alors encore en costume cravate très chic).

    Après le début de la guerre en Ukraine, Maia Sandu a annoncé ouvrir les frontières de la Moldavie pour permettre aux réfugiés ukrainiens de passer vers l'Ouest, et le 3 mars 2022, elle a signé officiellement la demande d'adhésion de son pays à l'Union Européenne. Le Conseil Européen du 23 juin 2022 a entériné le statut de candidate de la Moldavie à l'unanimité des Vingt-sept chefs d'État et de gouvernement. Les négociations d'adhésion ont été amorcées le 25 juin 2024 à Bruxelles.

    La consécration internationale de Maia Sandu et de la Moldavie a eu lieu le 1er juin 2023 où Chisinau a accueilli le 2e Sommet de la Communauté politique européenne réunissant 47 chefs d'État et de gouvernement européens (la Communauté politique européenne a été lancée le 6 octobre 2022 à Prague à l'initiative du Président français
    Emmanuel Macron ; son 5e Sommet a eu lieu ce jeudi 7 novembre 2024 à Budapest).
     

     
     


    Maia Sandu était la favorite de l'élection présidentielle de 2024 dans les sondages. Elle a gagné encore largement (55,4% des voix avec 54,3% de participation) face au candidat socialiste pro-russe Alexandr Stoianoglo (25,9% au premier tour et 44,6% au second tour), ancien procureur général de Moldavie démis de ses fonctions en septembre 2023 à cause des accusations de corruption portées contre lui.

    Cette belle réélection de Maia Sandu est le symbole de l'ancrage européen de la Moldavie, ratifié doublement par le peuple moldave, et cela malgré les nombreuses pressions, « tentatives de déstabilisation », propagandes et fraudes opérées par le camp pro-russe, notamment par Ilan Sor qui aurait acheté de nombreuses voix en faveur du candidat pro-russe (environ 150 000 voix auraient ainsi été achetées au profit du candidat pro-russe, qui a obtenu en tout 401 215 voix au premier tour et 750 370 voix au second tour).

    J'ai indiqué dès le début de l'article qu'il s'agissait d'une double victoire car Maia Sandu a réussi à mettre à l'ordre du jour des électeurs, en même temps que le premier tour de l'élection présidentielle, le 20 octobre 2024, un référendum inscrivant dans la Constitution moldave l'objectif de l'adhésion de la Moldavie à l'Union Européenne. Cette inscription a été acceptée par 50,4% des voix pour une participation de 50,7%. La victoire est donc très serrée, avec seulement près de 10 600 voix d'avance du oui sur le non, dans le même contexte de propagande et d'achats de voix (Ilan Sor, réfugié à Moscou, était un ferme partisan du non, mais le Kremlin a démenti toute tentative d'ingérence de la Russie). Alors qu'en raison du scrutin serré, les pro-russes ont parlé d'un échec, la Cour constitutionnelle a au contraire validé l'approbation populaire de la réforme le 31 octobre 2024 (dans un référendum où la réponse est oui ou non, même à une voix près, la victoire est à ceux qui ont eu le plus de voix).

     

     
     


    Pour "Courrier international", le 21 octobre 2024 : « Concrètement, les Moldaves devaient décider s'ils souhaitaient ou non inscrire l'objectif européen dans la Constitution du pays, protégeant ainsi le processus d'adhésion, entamé en 2022, des aléas du pouvoir politique. ». Objectif donc atteint !
     

     
     


    La réélection de Maia Sandu a été accueillie avec satisfaction et joie par les pays de l'Union Européenne. Emmanuel Macron a salué la « démocratie [qui a] triomphé de toutes les interférences et de toutes les manœuvres » tandis que la Présidente de la Commission Européenne Ursula von der Leyen s'est réjouie de pouvoir « continuer à travailler » avec la Présidente moldave pour un « avenir européen ».

    Le politologue moldave Andrei Curararu, cofondateur du think tank WatchDog basé en Moldavie, a déclaré pour TV5 Monde : « Malgré tout, la Moldavie a démontré à deux reprises que sa volonté d'intégrer l'Union Européenne était plus forte que la pression de Moscou. ». Il n'en demeure pas moins que le pays reste très divisé entre les tenants de l'ouverture à l'Ouest et la proximité du grand frère de l'Est, notamment en Transnistrie dont Maia Sandu voudrait régler le problème avec Moscou. Le prochain rendez-vous électoral sera également crucial puisqu'il s'agira des élections législatives qui auront lieu au plus tard en juillet 2025.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (07 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Maia Sandu.
    Les victoires européennes de la Moldavie.
    Ukraine.
    Russie.
    Roumanie.
     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241103-moldavie.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/les-victoires-europeennes-de-la-257510

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/04/article-sr-20241103-moldavie.html