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communisme

  • Pol Pot, l'incarnation de la cruauté

    « Pour moi, Pol Pot est synonyme de Hitler, synonyme de Staline, synonyme de Mao, synonyme de Bokassa, synonyme d’Amin Dada, synonyme de Pinochet. En fait, la liste serait certainement plus longue, mais c’étaient les noms qui revenaient régulièrement dans les années 1970. » (mon article d'août 2011).



     

     
     


    Le cruel dictateur khmer rouge Pol Pot (de son vrai nom Saloth Sâr) serait né il y a cent ans, le 19 mai 1925. Je mets au conditionnel car la part de mystère de cet homme est relativement importante. J'ai eu la chance... ou plutôt la malchance, certainement, de rencontrer dès 1978 des réfugiés cambodgiens qui ont pu m'informer sur ce qui se passait, alors, dans leur pays.

    Le terme de génocide devrait être adopté, même si c'est surprenant que des membres du même peuple aient pu contribuer à son extermination. Toujours est-il qu'entre le 17 avril 1975, il y a cinquante ans, qui correspond à la chute de Phnom Penh vaincu par les troupes khmères rouges et le 7 janvier 1979, qui correspond à l'invasion des troupes vietnamiennes au Cambodge, c'est-à-dire la période où Pol Pot et les khmers rouges avaient un pouvoir absolu de terreur, on évalue à 1,7 million voire à 3 millions le nombre de victimes cambodgiennes de ces communistes, soit 21%, pour l'option la plus faible, de la population cambodgienne de l'époque. Si on devait résumer par une image les presque quatre ans de dictature communiste au Cambodge, c'est certainement celle du bas de cet article, ou une autre du même genre, à savoir un tas de crânes et d'os, ceux des victimes irréversibles de Pol Pot.

    Ce qui est étonnant est l'histoire de cet homme. La politique cambodgienne intérieure est certes assez compliquée à comprendre. Pol Pot faisait partie d'une certaine élite qui a eu le privilège de faire ses études en France. Il est arrivé à Paris en octobre 1949, soit à peu près au même moment que Mao Tsé-Toung a pris le pouvoir en Chine. Le futur dictateur a fréquenté une école d'ingénieur parisienne (celle de radioélectricité) de 1949 à 1953. Il en est sorti sans diplôme.

    En 1952, le roi Norodom Sihanouk, mis en place par la France, refusait de mettre au pouvoir les démocrates vainqueurs des élections du 9 septembre 1951 et voulait gouverner seul. L'étudiant Pol Pot (j'écris Pol Pot mais il n'a pris ce nom qu'en 1975, c'est plus simple de garder le même nom) se trouvait alors résolument dans l'opposition et osa écrire (c'est terrifiant d'imaginer la suite) : « La démocratie est un régime auquel aspirent aujourd’hui tous les peuples du monde ; elle est aussi précieuse qu’un diamant et ne peut être comparée à aucun autre gouvernement. ». Cela dit, les démocrates étant de moins en moins influents, Pol Pot et ses camarades se sont rapprochés des communistes, au point que Jacques Duclos est devenu son parrain et Jacques Vergès son ami.

    De retour au Cambodge en 1953 (sans diplôme), Pol Pot s'intégra dans les cercles communistes, renforçant son opposition lors du départ précipité des Français en 1954, laissant Norodom Sihanouk roi du Cambodge (nommé le 25 avril 1941). Les relations entre Norodom Sihanouk et les khmers rouges furent d'ailleurs particulièrement compliquées, car s'ils se sont très opposés, ils ont su, parfois, être des alliés contre un ennemi commun (vietnamien). L'histoire du Cambodge d'après-guerre est elle-même compliquée avec une succession de gouvernements et de régimes assez bizarres (par exemple, Norodom Sihanouk fut un moment chef de l'État sans être roi mais dans une monarchie !).

     

     
     


    À partir du 22 février 1963, Pol Pot a conquis la tête du parti communiste du Kampuchéa, autrement dit, les khmers rouges (il le resta longtemps). Il batailla contre le pouvoir en place. En 1967 s'est engagée une guerre civile entre, d'une part, les khmers rouges et les nord-vietnamiens, d'autre part, le Royaume du Cambodge et les sud-vietnamiens, puis la République (régime pro-américain). Le principal ennemi de Pol Pot fut le maréchal Lon Nol, Premier Ministre cambodgien du 14 août 1960 au 11 mars 1971 puis Président de la République cambodgienne du 10 mars 1972 au 1er avril 1975. Parmi les grands alliés de Pol Pot, il y avait bien sûr Mao dont il appliqua les concepts lorsqu'il a conquis le pouvoir.

    Lon Nol a fui son pays peu avant l'arrivée des khmers rouges à Phnom Penh le 17 avril 1975. À partir de cette date, une dictature communiste de type chinoise, sans pitié, s'est mise en place, même si dans les premiers temps, ils étaient arrivés en libérateurs pour le peuple. L'objectif de Pol Pot qui contrôlait tous les pouvoirs et qui était formellement le Premier Ministre du 14 avril 1976 au 27 septembre 1976 puis du 25 octobre 1976 au 7 janvier 1979 (en automne 1976, il fut remplacé par Nuon Chea en raison d'un éloignement pour raison de santé), c'était d'éliminer tous ses ennemis politiques (ou supposés ennemis), à l'aide d'un prétexte d'antiaméricanisme. La capitale fut vidée de ses 2 millions d'habitants envoyés aux champs comme en Chine quelques années auparavant. Les intellectuels, les habitants des villes, furent pourchassés par les khmers rouges. Emprisonnements, tortures, exécutions furent nombreux. Toute idée d'Occident fut détruite : monuments, religions, modes de vie, etc.

    Pol Pot était alors un dictateur mystérieux, inexistant sur le plan diplomatique, absent sur le plan intérieur. Comme tout dictateur communiste (il a bien appris de Staline et Mao), Pol Pot a multiplié les purges au sein de son propre parti communiste. Quelques relations officielles avec la Chine a montré l'importance de l'enseignement de Mao (disparu), en particulier le 18 janvier 1978 avec la visite officielle de Deng Yingchao, la veuve de Chou En-Lai, également Vice-Présidente du comité permanent de l'Assemblée nationale populaire de Chine de 1976 à 1983.
     

     
     


    Craignant pour ses frontières, le Vietnam a envahi le Cambodge jusqu'à renverser Pol Pot le 7 janvier 1979 et installer un nouveau régime pro-vietnamien. Après une période de gouvernements d'anciens khmers rouges, Hun Sen, pro-vietnamien et ancien khmer rouge, a pris la tête du gouvernement cambodgien du 14 janvier 1985 au 22 août 2023 puis l'a laissée à son fils Hun Manet encore en fonction (je résume très grossièrement car entre 1993 et 1998, il y a eu deux Premiers Ministres avec le retour du royaume).

    Quant à Pol Pot, il a fui la capitale pour se réfugier dans les maquis (dans la jungle). Le mystère s'est poursuivi avec cet homme-là puisqu'il aurait gardé une grande influence sur les rebelles. Il aurait démissionné du commandement des forces armées khmères rouges en 1985, cédant la place à Son Sen. Ses amis politiques l'ont destituésen juin 1997 et son rival Ta Mok, considéré comme encore plus cruel que Pol Pot, l'a fait arrêter en 1998 par les troupes cambodgiennes. Condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour avoir commandité l'assassinat de Son Sen et de sa femme en juin 1997, Pol Pot est officiellement mort le 15 avril 1998 d'une crise cardiaque (donc à l'âge de 72 ans). Il souffrait aussi d'un cancer des ganglions et de la malaria. Incinéré très rapidement, son corps n'aura pas fait l'objet d'une autopsie. (Certains pensent que ce n'était pas Pol Pot et que ce dernier aurait passé des jours heureux en Thaïlande).

    Ce qui est terrible, c'est l'aveuglement idéologique des dictateurs communistes qui en sont venus à massacrer des millions de leurs contemporains. Pol Pot n'a jamais été jugé pour ses crimes pendant son gouvernement et la plupart de ses complices sont morts en cours de procès ou avant. Depuis une loi adoptée le 7 juin 2013 par le Parlement cambodgien, la mémoire des victimes est scrupuleusement respectée au point que tout individu qui minimise ou nie les crimes des khmers rouges est passible de deux ans de prison.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (17 mai 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Pol Pot.
    Norodom Sihanouk.
    La loi sur les génocides.
    Le fabuleux festin de bébé.


     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250519-pol-pot.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/pol-pot-l-incarnation-de-la-260147

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/05/17/article-sr-20250519-pol-pot.html


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  • André Lajoinie, l'incarnation de la branche agricole du parti communiste français

    « Il y a André Lajoinie : la cinquantaine, épais, la poignée de main ferme, placide, il a été l'un des principaux orateurs communistes pendant la campagne des législatives en 1978. » (Michèle Cotta, 8 janvier 1980).



     

     
     


    Il aurait eu 95 ans dans exactement un mois. André Lajoinie est mort ce mardi 26 novembre 2024. Qu'il repose en paix. Son importance politique a été telle qu'à l'Assemblée Nationale, la séance des questions au gouvernement a été brièvement interrompue par la Présidente de l'Assemblée, Yaël Braun-Pivet, juste avant de donner la parole à l'oratrice communiste : « Avant de donner la parole à Mme Elsa Faucillon, qui va intervenir au nom du groupe GDR [PCF], je souhaitais rendre hommage à André Lajoinie, qui nous a quittés aujourd’hui. Député de l’Allier pendant près de vingt ans, président du groupe communiste de 1981 à 1993, président de la commission de la production et des échanges de 1997 à 2002, André Lajoinie fut une figure de notre vie politique et je voulais saluer sa mémoire avec vous. ». Elsa Faucillon elle-même, avant de poser sa question, a rajouté : « Merci, madame la Présidente : le groupe GDR, en particulier ses membres communistes, est très sensible à votre hommage. ».

    Oui, les mandats électifs d'André Lajoinie, dirigeant du parti communiste français (PCF) à partir de 1957, étaient effectivement bien énumérés par la présidente de séance : député de la troisième circonscription de l'Allier de mars 1978 à mars 1993 (il a échoué en mars 1993) et de juin 1997 à juin 2002, il était le très important président du groupe communiste à l'Assemblée de juin 1981 à mars 1993, notamment pendant les deux législatures où la gauche était au pouvoir (1981-1986 et 1988-1993), dont la dernière où il manquait la majorité absolue, ce qui a conduit les gouvernements socialistes à s'unir dans les votes soit avec les députés communistes, soit avec les députés centristes (de l'UDC). Dans sa vie parlementaire, André Lajoinie a reçu son bâton de maréchal lors de la troisième législature où la gauche était au pouvoir (la fameuse gauche plurielle menée par Lionel Jospin), en se faisant élire président de la commission de la production et des échanges de juin 1997 à juin 2002 (la commission s'appelle désormais des affaires économiques). André Lajoinie a pris sa retraite en 2002. Il a été par ailleurs élu conseiller régional d'Auvergne de 1978 à 1988 et de 1992 à 1998.
     

     
     


    À ce titre de parlementaire, André Lajoinie a défendu les positions habituelles des communistes, en particulier en s'opposant à l'apartheid en Afrique du Sud, en s'opposant systématiquement à la construction européenne, mais aussi à la politique agricole commune. Il a fermement soutenu la loi n°90-615 du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe (dite loi Gayssot, du nom de son rapporteur communiste Jean-Claude Gayssot, qui réprime notamment la contestation de l'existence des crimes contre l'humanité).

    André Lajoinie s'est aussi opposé (très mollement) à la loi d'auto-amnistie déposée par les socialistes pour s'autoblanchir. À la journaliste Michèle Cotta, il confia le 25 avril 1990 : « Tous les partis sont certes responsables de leur "auto-amnistie", mais la faute en revient en premier lieu aux socialistes. Les hommes politiques seront amnistiés s'ils ont mis la main sur des fonds publics. Il y a là-dedans une complicité totale de toute le monde avec tout le monde... à l'exception du parti communiste qui n'a jamais trempé dans des magouilles de ce genre. S'il ne tenait qu'au PC, personne ne serait amnistié pour avoir mis la main dans la caisse. ». Mais il y a les paroles et il y a les actes : le 9 mai 1990, la droite a déposé une motion de censure contre le gouvernement de Michel Rocard pour s'opposer à ce texte scandaleux d'auto-amnistie et les communistes auraient pu ajouter leurs voix et renverser le gouvernement (alors que Michel Rocard était opposé à cette amnistie, mais il était sous la pression des autres éléphants du PS dont Pierre Mauroy). Résultat, par peur d'une dissolution, les communistes ont condamné l'initiative de la droite et ont sauvé le gouvernement... et la loi d'auto-amnistie !

    Mais ces mandats, principalement parlementaires, étaient la face la moins exposée au grand public de la vie politique d'André Lajoinie car il était surtout connu pour avoir été le candidat du PCF à l'élection présidentielle de 1988. Au premier tour du 24 avril 1988, il n'a réuni que 6,8% des voix, incapable d'enrayer la chute du PCF depuis une dizaine d'années (une chute de plus de 8 points par rapport au score de Georges Marchais en 1981). Il s'agit du plus mauvais score depuis la victoire du Cartel des gauches en mai 1924 ! À sa décharge, André Lajoinie a pâti de la concurrence d'un autre candidat communiste dissident Pierre Juquin, exclu du PCF le 13 octobre 1987, soutenu par l'ancien ministre communiste Marcel Rigout, qui a recueilli 2,1% des voix. Lors de sa première candidature en 1995, Robert Hue, qui a succédé à Georges Marchais à la tête du PCF, allait faire 8,6% (mais ce fut le désastre en 2002 avec 3,4%).
     

     
     


    C'est Georges Marchais, secrétaire général du PCF, qui a annoncé à la télévision, le 14 janvier 1987, qu'il ne se représenterait pas à l'élection présidentielle (déjà annoncé en 1986) et qu'il laisserait cette démarche à André Lajoinie dont le comité central du PCF a approuvé la candidature le 20 mai 1987. Les Français ont alors découvert un candidat communiste bonhomme, placide, souriant et parlant avec un accent chantant du Sud, laissant entendre les cigales.

    Il faut dire qu'André Lajoinie, né en Corrèze, était assez particulier, une sorte de nouveau Jacques Duclos. Il était à l'origine agriculteur, comme sa famille, n'ayant pas pu faire d'études car il devait reprendre l'exploitation familiale. À ce titre, il a pris des responsabilités à la FNSEA tout en adhérant en 1946 au PCF. À partir de 1957, il a gravi les marches des responsabilités, d'abord locales puis nationales, introduit par Gaston Plissionnier qui lui a proposé en 1963 d'être permanent et responsable des questions agricoles. C'était un peu une originalité au PCF qui s'occupait plutôt des ouvriers et des habitants des zones urbaines. André Lajoinie est devenu membre du comité central en 1976 (suppléant en 1972), membre du bureau politique en 1979 (suppléant en 1976) et membre du secrétariat en 1982. Dans les années 1960, il avait fait quelques tentatives électorales infructueuses en Corrèze et a commencé à connaître le succès électif en changeant de département et en s'implantant dans l'Allier.
     

     
     


    Si la campagne présidentielle d'André Lajoinie a eu si peu d'échos populaires, c'est aussi parce qu'il ressassait des arguments simplistes et démagogiques classiques, très utilisés du PCF, sans beaucoup d'originalité, des faukon et des yaka à la pelle. On peut s'en faire une idée avec les deux vidéos mises en fin d'article, qui correspondent à des spots de la campagne officielle diffusés respectivement le 12 avril 1988 et le 20 avril 1988.

    Dans son document de campagne de 1988 (tract électoral), on peut lire entre autres : « Tout au long de ma campagne, je vous ai rencontrés par milliers. Je vous ai écoutés. Je connais bien vos problèmes : chômage, baisse du pouvoir d'achat, insécurité de l'emploi, de la vie, de l'avenir des enfants, discriminations, injustices de toutes sortes. Et pour beaucoup, la pauvreté. Pendant ce temps, tout va toujours mieux pour les grandes fortunes, mais c'est le déclin de la France, son "américanisation", la mainmise de l'argent sur l'école, la santé, le logement, la télévision, la recherche, la culture. Je vous le redis : rien de tout cela n'est dû à la fatalité. C'est le résultat des choix faits par ceux qui ont dirigé le pays depuis près de vingt ans. ». C'est curieux car entre 1969 et 1988, il y a la période de 1981 à 1984 où quatre ministres communistes officiait au gouvernement !
     

     
     


    La tactique électorale était d'ailleurs très simple : laissez le choix du Président au seul second tour de l'élection et faites pression au premier tour pour se faire entendre. Un argument qui montrait que le candidat communiste partait battu à l'avance : « Au premier tour, vous pouvez dire ce que vous avez sur le cœur, vous faire entendre, en votant pour le candidat du parti communiste. Tout autre vote, lors de ce premier tour, reviendrait à approuver ce qui s'est passé ces dernières années et ce qui se prépare. ».

    Le programme est un catalogue de surenchères démagogiques et d'incantations dans le vide : « Nous voulons le SMIC à 6 000 francs, le revenu minimum de 3 000 francs, l'augmentation des salaires, des retraites et des revenus paysans, la défense de la Sécurité sociale. Nous voulons des emplois stables pour les jeunes, la baisse des loyers, 40 milliards de moins pour les bombes et davantage d'argent pour l'école et pour l'amélioration de la vie des gens, la justice et l'égalité dans les DOM, le respect des libertés. ».

    Et en regardant plus en détails les mesures, c'était on-rase-gratis ou l'utopie naïve : « Toutes les prestations sociales doivent progresser ; les loyers et charges diminuer. (…) Interdiction des saisies, coupures EDF et expulsions pour les familles en détresse. (…) Plus aucun licenciement sans reclassement préalable, transformation des emplois précaires et des "TUC" en emplois stables. (…) Moins d'argent pour le budget militaire, et davantage pour la formation. (…) Suppression des droits d'inscription à l'université. (…) Une radio et une télévision de qualité (pas de coupure des films par la publicité !) et pluraliste. (…) La France doit soutenir les initiatives en cours pour le désarmement, œuvrer pour la disparition de toutes les armes nucléaires d'ici l'an 2000 ; refuser l'armement de l'espace et toute armée européenne. ».

    Le pire, c'est qu'en 2024, on en est encore là dans certains partis...


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (26 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    André Lajoinie.
    Huguette Bello.
    Mélinée et Missak Manouchian.
    Henri Krasucki.
    Louis Aragon.
    Jean Jaurès.
    Léon Blum.
    Staline.

    Fabien Roussel.
    Programme 2022 du candidat Fabien Roussel.
    Robert Hue.


     

     

     










    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241126-lajoinie.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/andre-lajoinie-l-incarnation-de-la-257846

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/26/article-sr-20241126-lajoinie.html




     

     

     

     

  • Naissance de la conscience politique d'Edgar Morin

    « L'improbable s'est très souvent produit dans l'Histoire. Athènes, petite bourgade minable, a deux fois résisté à l'énorme empire perse et, grâce à cette résistance, la philosophie et la démocratie sont nées. » (Edgar Morin, 2014).




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    L'improbable dans l'Histoire, c'est par exemple d'éviter un gouvernement RN alors que tous les médias et les sondages le donnait inéluctable. Mais c'est aussi d'atteindre son 103e anniversaire comme c'est le cas du philosophe Edgar Morin ce lundi 8 juillet 2024. 103 ans ! Happy birthday ! Militant antifranquiste, ancien résistant, ancien communiste, Edgar Morin a accueilli son éveil politique avec la même complexité que celle de l'époque troublée qu'il vivait.

    En relisant un de ses livres de mémoires ou plutôt, de souvenirs, "Les souvenirs viennent à ma rencontre" publié le 20 janvier 2021 chez Fayard, je m'aperçois que l'analogie de notre époque politique avec celle d'il y a quatre-vingt-dix ans n'est peut-être pas si erronée que cela. Après les émeutes du 6 février 1934 à Paris, la France s'est hystérisée entre, d'un côté, des ligues d'extrême droite et, de l'autre côté, un parti communiste français qui a accepté d'intégrer le front populaire. Au milieu, le nouveau gouvernement d'union nationale dirigé par un ancien Président de la République Gaston Doumergue, regroupant plusieurs anciens Présidents du Conseil et impliquant à la fois des radicaux (qui étaient de gauche) et des républicains modérés (de centre droit).

    Edgar Morin raconte que c'était son premier souvenir de la politique, il avait 12 ans : « C'est alors que la politique est entrée en coup de vent dans ma classe du lycée Rollin et continua à l'agiter. Insultes et empoignades se multiplièrent entre fils de parents de gauche et de droite. J'avais 13 ans, et ce fut le premier événement politique qui me marqua. Comme j'avais dévoré les romans d'Anatole France dont j'avais fait mien le "scepticisme souriant", je contemplais de haut l'agitation de mes camarades de droite et de gauche. Par contre, plus tard, je fus transporté, ému, par la formidable grève de juin 1936. ».


    Il relève d'ailleurs que parallèlement à ces événements intérieurs, Hitler avait pris le pouvoir en Allemagne : « Je ne me souviens nullement de l'accession de Hitler au pouvoir en Allemagne, le 30 janvier 1933, alors que j'avais 12 ans [en fait, 11 ans], mais j'avais dû être frappé dès cette époque par ses apparitions hurlantes, quasi possédées, aux actualités cinématographiques. ». Il écrit plus loin, en insistant : « Je ne peux qu'avoir horreur du nazisme, avec cette fascination terrifiée d'assister, par écran interposé des actualités cinématographiques, aux discours hallucinés, hallucinants, ivres de frénésie, de fureur ou d'exaltation d'Adolf Hitler. ».

    Il ajoute très rapidement à la suite : « Je ne peux qu'avoir horreur du communisme stalinien. Mes lectures des textes d'anciens communistes désabusés, notamment du "Staline" de Boris Souvarine, publié en 1935, les comptes rendus dantesques des procès de Moscou qui, de 1936 à 1938, condamnent presque tous les dirigeants bolcheviks, compagnons de Lénine, lesquels, ignoblement insultés par le procureur Vychinski, avouent avoir été des traîtres et des espions, m'avaient éclairé, croyais-je à jamais, sur l'URSS. ».

    Et de conclure : « Les deux menaces terrifiantes sont là : nazisme et stalinisme, le capitalisme porte en lui la guerre, comme la nuée porte l'orage selon l'expression de Jaurès et, effectivement, c'est la montée vers la guerre, avec le réarmement allemand, l'exigence d'espace vital par Hitler. Il faut une nouvelle voie qui sauve et transforme. J'oscille entre révolution et réforme : la transformation radicale nécessaire me fait pencher du côté de la révolution, mais je crains l'aventure violente, la guerre civile. La prudence me fait pencher du côté d'un processus progressif des réformes, mais l'exemple de la SFIO montre que le réformisme s'essouffle très vite et capitule devant le "mur de l'argent". Que faire ? ».

    Son premier engagement politique, Edgar Morin l'a eu à l'âge de 15 ans pour soutenir les républicains espagnols dans la guerre civile en Espagne. Il a fait des colis d'aide aux républicains. Il a vite compris que les républicains espagnols n'étaient pas si unis que cela, car l'un des responsables a été tué en novembre 1936 « d'une balle non franquiste » : « Tout en étant désabusé de la mythologie de l'unanimisme républicain, la guerre d'Espagne me travaille au cœur. Le roman de Malraux "L'Espoir" me relance dans la participation psychique aux batailles de Teruel et de l'Ebre, et l'angoisse de la défaite républicaine demeure présente en moi. ». La chute de Barcelone, le 26 janvier 1939 : « Je suis secoué de sanglots. Les réfugiés par milliers se dirigent vers la France où ils vont être parqués et enfermés dans des camps. Le 10 février, toute la Catalogne est occupée. L'Espagne devient totalement franquiste le 1er avril. ».

    D'où son interrogation : « Très ému par les sévices et meurtres qui frappèrent trotskistes, poumistes, libertaires, je ne pouvais cependant croire en leurs espoirs révolutionnaires. Même si l'idée ou plutôt le mythe de la révolution suscitait en moi une sentiment mystique, je ne pouvais y adhérer après tant d'échecs, de défaites, de déviations et détournements. Mais je participais sentimentalement à l'aspiration révolutionnaire. (…) Toute révolution me semblant impossible ou vouée à l'échec, je me mis à suivre les chercheurs d'une troisième voie. (…) Elle cherchait ce que la révolution tchèque de 1968 appellerait le "socialisme à visage humain" : sauver les libertés, développer les solidarités et communautés, échapper à l'hégémonie du profit. Confluaient vers la troisième voie le courant personnaliste d'Emmanuel Mounier et sa revue "Esprit", Robert Aron et Arnaud Dandieu (l'Ordre nouveau), Alexandre Marc, Simone Weil. ».


    La première esquisse d'engagement : « Je crus trouver cette troisième voie et ma propre voie dans le frontisme, mouvement créé par Gaston Bergery en 1936, et qui s'exprimait dans l'hebdomadaire "Le Flèche". (…) Le frontisme s'annonçait comme une lutte contre le fascisme et contre le communisme stalinien. On prétendait régénérer la République en inscrivant un socialisme réformateur dans la nation. (…) Je dis (…) dans "Autocritique" [écrit en 1959] : "Le frontisme m'était apparu comme l'adaptation la plus humaine aux nécessités du siècle". ».

    Mais la guerre s'annonçait en 1939. Edgar Morin rappelle : « En 1939, apparaissait une grande nation expansionniste, guidée non seulement par une exigence d'espace vital, mais par un mythe légitimant la domination de la race aryenne des seigneurs sur les peuples inférieurs, notamment les Slaves et les Français, ceux-ci dégénérés par "les Juifs" et "les Nègres". En 1939, le danger n'était pas tant la revanche de l'Allemagne que la domination du totalitarisme nazi sur l'Europe. ».

    Et pourtant, il était à l'époque pacifiste, pour deux raisons : « La première : l'annexion de l'Autriche, peuple germanique applaudissant cette action, était conforme au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. La revendication des Sudètes, partie de la Tchécoslovaquie habitée par une population allemande, était conforme au droit des peuples. La revendication de Dantzig, ville allemande donnée à la Pologne après la Première Guerre mondiale, était conforme au droit des peuples. La seconde : la France n'était pas prête et n'était plus de taille à lutter contre l'Allemagne surarmée de 1938. Aussi Bergery approuva-t-il les Accords de Munich le 29 septembre 1938 (…). ».

    Toujours dans son livre de souvenirs, Edgar Morin propose un extrait d'une lettre qu'il a retrouvée de Simone Weil adressée à Georges Bergery après les Accords de Munich : « On peut contester, pour des raisons d'honneur, les Accords de Munich, mais la vérité oblige à dire que le principe des nationalités, cher à Napoléon III et aux démocrates-libéraux du XIXe siècle (…), penchait largement en faveur de l'Allemagne, nazie ou pas. L'Anschluss était justifié, de même que la rétrocession des Sud-tes au Reich. » (Cela fait penser amèrement à la Crimée et au Donbass). Simone Weil poursuivait : « Dois-je dire toute ma pensée ? Une guerre en Europe serait un malheur certain, dans tous les cas, pour tous, à tous les points de vue. Une hégémonie de l'Allemagne, si amère qu'en soit la perspective, peut en fin de compte n'être pas un malheur pour l'Europe. Si l'on tient compte que le national-socialisme, sous la forme actuelle d'extrême tension, n'est peut-être pas durable, on peut concevoir à une semblable hégémonie, dans le cours prochain de l'histoire, plusieurs conséquences possibles qui ne sont pas toutes funestes. ».

    Et Edgar Morin de commenter : « Simone Weil estime qu'en cas de domination sans guerre de l'Allemagne sur l'Europe, le nazisme, idéologie de tension et de guerre, s'adoucirait puis se décomposerait au profit d'une Europe libéralisée et enfin unie. Les Munichois ont cru que l'Allemagne nazie pouvait s'assagir, ils n'ont pas vu la formidable force d'expansion de cette Allemagne hitlérisée, aussi puissante en ce siècle que dans le passé l'expansion coloniale anglaise, mais pour s'imposer dans et sur l'Europe. Ils n'ont pas vu que leur capitulation allait inciter Staline à renverser ses alliances et à se protéger de l'Allemagne nazie en pactisant avec elle. ». Ainsi le Pacte germano-soviétique signé à Moscou le 23 août 1939 : « Bien après la guerre, j'ai appris que, pendant que Ribbentrop et Molotov signaient le pacte, Staline, debout, s'était rapproché de l'ambassadeur d'Allemagne et lui avait dit : "Faites savoir à votre Führer que j'approuve pleinement sa politique à l'égard des Juifs". L'ambassadeur du Japon, tout proche, avait capté ces paroles et les rapporta longtemps après dans ses Mémoires. ».

    Après l'invasion de la Pologne : « Bergery a voté seul avec Pierre Laval contre la déclaration de guerre à l'Allemagne. Rétrospectivement, cela ne m'apparaît pas tant comme un acte pacifiste de principe, mais comme un vote qui aurait évité la défaite. Toutefois, l'absence de déclaration de guerre aurait été une capitulation qui n'aurait pas évité qu'avec ou sans guerre, la France subisse l'hégémonie allemande et devienne un protectorat. Le seul espoir, transporté dans un futur incertain, avait été formulé par Simone Weil : le nazisme aurait dépéri tôt ou tard. ». Mais Edgar Morin explique ensuite que Georges Bergery a voté les pleins pouvoir à Pétain, et a même rédigé certains de ses premiers discours jusqu'à ce qu'il fût écarté par lui et Pierre Laval : « Il s'est converti de façon irréductible à la fatalité historique de la défaite, à la constitution d'un régime autoritaire et à la nécessité de la collaboration avec l'Allemagne. Il est toutefois écarté de Vichy, monopolisé par la droite, et ne reçoit que l'aumône de l'ambassade de France à Moscou, qu'il rejoint en avril 1941, soit deux mois avant l'attaque allemande contre l'URSS, ce qui l'oblige à rentrer presque aussitôt en France. ».

    Edgar Morin a fait partie de ces gens qui ont cru en Georges Bergery : « Alors que Simone Weil entre en résistance en 1941 et remet en cause son diagnostic, Bergery, pour sa part, devient et reste vichyste et collaborationniste. Du reste, il participe après la guerre à la fondation de l'Association pour défendre la mémoire du maréchal Pétain. Aujourd'hui, Bergery est ignoré, voire tombé dans l'oubli. Yves Pourchet l'évoque dans un beau texte de 2013 : "Qui donc se souvient de lui ? Sa vie semble définitivement perdue. Il fait partie de ce petit groupe d'hommes brillants, auxquels certains ont tant cru et qui ont chu dans l'oubli de l'histoire". ».

    Dans la résidence secondaire de Maurice Clavel, en été 1963 ou 1964, Edgar Morin s'est retrouvé, très ému, face à Georges Bergery : « Je lui ai dit que j'avais été membre des étudiants frontistes et que je me souvenais de ses réunions (…). "Et nous avions raison", m'affirma-t-il, je ne peux dire si c'était avec assurance ou autorité. J'aurais voulu parler avec lui, discuter, essayer de comprendre. Je n'ai pas osé. Il est mort en 1974. Les dérives ! Les dérives ! »
    .

    C'est sans doute une obsession politique d'Edgar Morin de penser aux risques de dérives des idéaux à l'origine vertueux : « Les tournants et les tourments dans la vie des sociétés et des personnes, et surtout les tsunamis historiques, comme le désastre de 1940, provoquent des dérives : on s'éloigne insensiblement de sa croyance pour en arriver à une autre, parfois diamétralement opposée. (…) J'ai adhéré à ce que je condamnais : le communisme soviétique. Dans un premier temps, après la défaite, j'avais pensé, conformément à l'argument de Simone Weil, que l'empire allemand hitlérisé s'humaniserait dans la pax germana. Puis, après décembre 1941, j'avais reporté sur l'URSS l'argument de Simone Weil, avec une modification de départ. Certes, le communisme de l'URSS avait été implacablement cruel, mais je me suis alors convaincu que cette carence était due à une psychologie obsidionale due à l'encerclement de l'URSS par le monde capitaliste, conjointement à l'arriération de la Russie tsariste. Le culte du chef génial répondait à la nécessité d'unir par une idole concrète les peuples si divers de l'Union Soviétique. Une véritable civilisation socialiste s'épanouirait en URSS après la victoire et rayonnerait sur le monde. ». Et il ajoute juste après : « Mais j'ai très tôt compris que mes espoirs étaient vains, l'URSS redevenait stalinienne, et j'ai pu échapper à la dérive qui en a emporté tant d'autres. ».


    Ainsi, Edgar Morin raconte un peu plus tard sa participation à la revue "Parallèle 50", fondée par Artur London et financée par l'ambassade de Tchécoslovaquie en France. Il n'avait alors pas pris conscience de ce que signifiait le coup de Prague du 25 février 1948 qui fit de la Tchécoslovaquie une "démocratie populaire". Son rédacteur en chef était Henri Thimonnier, gendre de Claude Morgan, directeur des "Lettres françaises", un hebdomadaire issu de la Résistance et contrôlé par le parti communiste français : « En fait, Thimonnier m'avait soutenu habilement au cours de ma fronde culturelle (…). [Il] me propose de collaborer [à la revue] et de m'occuper de théâtre. ».

    Puis il explique son clash à cause de Louis Aragon et Maurice Barrès : « Tout se passe sans encombre jusqu'à la publication dans les "Lettres françaises" d'un retentissant article d'Aragon faisant l'éloge de Maurice Barrès et exaltant son nationalisme. Certes, le PC condamnait alors américanisme et "cosmopolitisme", mais l'éloge par un communiste d'un réactionnaire xénophobe, antidreyfusard, antisémite, grotesquement chauvin durant la guerre de 1914-1918 m'incitait à faire un article critique sur lui dans "Parallèle 50". C'était de ma part une ultime poussée de fronde. L'article suscite la fureur d'Aragon qui saisit la direction du parti communiste français, lequel intervient auprès de l'ambassade tchèque pour protester contre la publication de cet article. Or, me voici protégé par le dogmatisme du parti communiste tchèque contre celui du parti français. Réponse : "Nous, communistes tchèques, n'avons pas de leçons à recevoir des communistes français". Mon exclusion du PC m'a fait cesser ma collaboration à "Parallèle 50". (…) [Mon départ de "Parallèle 50"] se passa au cours d'une réunion administrative glaciale. ».


    Cette genèse de la conscience politique d'Edgar Morin est très intéressante à suivre car elle indique, comme dans toute chose de la vie, l'extrême complexité des engagements. Et de leurs improbables dérives.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (07 juillet 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Naissance de la conscience politique d'Edgar Morin.
    Edgar Morin : "Nous allons vers de probables catastrophes" !
    Edgar Morin, 102 ans et toute sa vie !
    Edgar Morin sur France Inter (à télécharger).
    Les 100 ans d’Edgar Morin.
    Le dernier intellectuel ?
    La complexité face au mystère de la réalité.
    97 ans.
    Introducteur de la pensée complexe.
    "Droit de réponse" du 12 décembre 1981 (vidéo INA).
    Université d’été d’Arc-et-Senans avec Edgar Morin le 9 septembre 1990 (vidéo INA).

     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240708-edgar-morin.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/naissance-de-la-conscience-255562

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/07/08/article-sr-20240708-edgar-morin.html