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candidat à l'élection présidentielle

  • Qui se souvient de la candidate Huguette Bouchardeau ?

    « Je crois que beaucoup de gens peuvent se reconnaître sur les projets du PSU, et que par ailleurs, les voix des femmes, dans cette campagne, eh bien, elles ne seront pas trop représentées et que je pense que si ma candidature n'avait que ce rôle-là, ça vaudrait déjà la peine ! » (Huguette Bouchardeau, le 13 avril 1981 sur RTL).



     

     
     


    Candidate à l'élection présidentielle de 1981, Huguette Bouchardeau a fêté son 90e anniversaire ce dimanche 1er juin 2025. Née à Saint-Étienne, cette dame assez curieuse de la vie politique a marqué le début des années 1980. Qui s'en souvient ?

    La candidate bossait encore en pleine campagne présidentielle car elle n'était pas payée autrement : elle enseignait à Lyon, elle était mère de ses enfants (dont la plus jeune avait 13 ans) et femme de son mari à Saint-Étienne, et elle faisait campagne à Paris (où on lui avait loué un petit appartement) et partout en France (des meetings dans 160 villes !).

    Huguette Bouchardeau était alors la secrétaire nationale du PSU, le parti socialiste unifié, et s'était présentée à l'élection présidentielle pour mettre les femmes à l'affiche, l'écologie et le partage du temps de travail. Elle allait bientôt avoir 46 ans. Elle n'était pas la première femme à s'être présentée puisque la porte-parole de Lutte ouvrière Arlette Laguiller était déjà candidate en 1974, et avec cette dernière et la gaulliste Marie-France Garaud (qui s'est éteinte l'an dernier), elle faisait partie des trois femmes capables de participer à la compétition.

    Et rien que cela, c'était déjà un exploit, car la nouvelle règle à partir de 1976, c'était d'être parrainée par 500 maires ou parlementaires, élus régionaux et départementaux... au lieu de 100. Cette règle avait empêché (momentanément pour l'un) à deux candidats de 1974 de se représenter en 1981, Jean-Marie Le Pen, pour le Front national, et Alain Krivine, pour la LCR (ces deux anciens candidats se sont éteints également récemment).

    La trajectoire de la dame du PSU pourrait se résumer très grossièrement à cette phrase : Huguette Bouchardeau est passée d'une Arlette Laguiller un peu plus intellectuelle (aux cheveux ébouriffés) à une Marie-France Garaud un peu plus à gauche (au chignon bien mis), de militante rebelle à ministre écoutée !


    Parlons d'abord du PSU. J'éviterai de préciser l'histoire précise du PSU car c'est très compliqué, aussi compliqué que l'histoire des groupuscules d'extrême gauche ou d'extrême droite, à cela près que, ici, le PSU n'était pas à l'extrême gauche, mais à une deuxième gauche toujours très difficile à définir, une gauche "alternative", une gauche déjà soucieuse d'écologie et une gauche clairement antimilitariste et pacifiste.

    En novembre 1999, Huguette Bouchardeau expliquait ainsi le fonctionnement des partis : « Autour de 1968, avec toutes les batailles qui ont eu lieu au PSU autour de Rocard, contre Rocard, quand je voyais le PSU se déchirer en multiples tendances, j'éprouvais une sorte d'horreur devant ce type de débat. (…) C'est très simple : les tendances dans les partis politiques n'ont jamais été organisées autour de programmes différents mais toujours autour d'hommes qui cherchaient le drapeau avant le parti. Ce n'était pas des tendances mais des écuries. Beaucoup de femmes refusaient cette lutte pour le pouvoir qui était l'essentiel de la vie politique. Elles ont été peu intéressées par ces luttes politiques. ».

    Le retour de De Gaulle au pouvoir a secoué considérablement l'échiquier politique : le centre droit (les indépendants) a rejoint les gaullistes, une partie du centre démocrate (MRP) aussi, l'autre moitié est restée dans l'opposition, et la gauche, SFIO et PCF, est entrée dans l'opposition. L'un des grands partis d'avant-guerre, le parti radical, a été laminé par le gaullisme, en raison du légitimisme : le légitimisme de la Troisième République se trouvait au sein du parti radical avant la guerre, mais désormais, celui de la Cinquième République se trouvait chez les gaullistes, naturellement.

    L'histoire des formations politiques est indissociable de l'histoire des personnalités politiques, bien sûr. Le PSU a été fondé le 3 avril 1960 sous la présidence du grand mathématicien Laurent Schwartz au terme de l'unification de trois forces groupusculaires : le PSA (parti socialiste autonome) qui provenait de socialistes dissidents de la SFIO en 1958 (Édouard Depreux, Daniel Mayer, François Tanguy-Prigent, André Philip) et d'anciens radicaux anti-gaullistes (dont le plus illustre Pierre Mendès France) ; l'UGS (Union de la gauche socialiste) issue de la fusion d'autres formations minusculaires en 1957 et qui se voulait à la fois marxiste et chrétien (Gilles Martinet) ; enfin, des communistes dissidents rejetant le PCF dès 1952 (Jean Poperen, François Furet).

    Les deux points de convergence des fondateurs du PSU furent l'opposition à la guerre d'Algérie (au contraire de Guy Mollet, chef de la SFIO), et l'opposition au retour du Général De Gaulle (au contraire de la SFIO). Édouard Depreux a été le premier secrétaire national du PSU d'avril 1960 à juin 1967.


    Le PSU voulait se positionner politiquement entre la SFIO (puis le PS) et le PCF, et il était proche aussi du CERES créé par Jean-Pierre Chevènement en 1966 (future aile gauche du PS). En fait, ce parti pourrait aussi être qualifié de parti utopiste en ce sens que ses propositions étaient complètement indépendantes de la réalité du pays. Ou encore autogestionnaire, surtout lors de l'affaire Lip. Le PSU était très proche de la CFDT. Curieusement, beaucoup de personnalités politiques de gauche ont traversé ce parti, souvent pour rejoindre ensuite le PS de François Mitterrand, à des moments différents.

    Le plus connu fut Michel Rocard, secrétaire national du PSU de juin 1967 à novembre 1973, candidat du PSU à l'élection présidentielle de 1969, qui a rallié François Mitterrand au PS en 1974 avec toute la direction (rocardienne) du PSU, créant ainsi le courant rocardien au sein du PS.

    Citons rapidement quelques personnalités qui se sont retrouvées adhérentes du PSU à un moment ou l'autre : Édouard Depreux, Michel Rocard, Pierre Mendès France, Robert Verdier, Alain Savary, Daniel Mayer, Pierre Bérégovoy, Charles Hernu, Gilles Martinet, Jean Verlhac, Jean Poperen, Claude Bourdet, Alain Badiou, André Philip, François Tanguy-Prigent, Pierre Dreyfus-Schmidt, Serge Mallet, Roland Florian, Marcel Debarge, Laurent Schwartz, Robert Chapuis, Henri Leclerc, Bernard Lambert, Jean Le Garrec, Pierre Brana, Pierre Bourguignon, Bernard Ravenel, Jean-Pierre Mignard, Michel Destot, Tony Dreyfus, Alain Richard, Bernard Langlois, Serge Depaquit, Charles Piaget, Victor Leduc, Huguette Bouchardeau.

    Engagée dès 1957 au sein de l'UGS, Huguette Bouchardeau est devenue secrétaire nationale du PSU de janvier 1979 à juin 1983. Serge Depaquit (un proche), lui a succédé. L'histoire chaotique du PSU est terrifiante puisqu'à chaque congrès, il y avait plusieurs courants jusqu'à cinq ou six, qui se disputaient les places de direction, avec des alliances, des scissions de courant, etc. Finalement, le PSU a disparu par encéphalogramme plat officiellement le 7 avril 1990 mais bien avant dans les faits.


    Comme je l'ai écrit, il serait donc très injuste et inexact de réduire le PSU à uniquement Michel Rocard et Huguette Bouchardeau, mais l'histoire n'a retenu que les deux seuls candidats à l'élection présidentielle (de même que l'histoire ne retiendra de LCR/NPA ses seuls candidats à l'élection présidentielle, Alain Krivine, Olivier Besancenot et Philippe Poutou, ainsi que LO ses seules candidats à l'élection présidentielle Arlette Laguiller et Nathalie Arthaud).
     

     
     


    Revenons à Huguette Bouchardeau qui est avant tout une brillante intellectuelle : quand elle s'est présentée, elle était une agrégée de philosophie (c'est rare en politique), elle a défendu une thèse de doctorat sur l'enseignement de la philosophie de 1900 à 1972 en France et elle était maître de conférence à l'Université de Lyon-2, poste qu'elle n'avait pas quitté en campagne.

    Parallèlement, elle a eu une forte action militante dès sa jeunesse : responsable syndicale à l'UNEF, puis à la FEN, à la CFDT, et militante politique à l'UGS puis au PSU. Elle était alors basée à Saint-Étienne (elle enseignait à Lyon) et a été plusieurs fois candidate du PSU localement. Huguette Bouchardeau a milité aussi, à l'époque, avec les Amis de la Terre, préfiguration du mouvement écologiste.

    Lorsqu'elle a été élue secrétaire nationale du PSU en janvier 1979, Huguette Bouchardeau a été la première femme à diriger un parti politique en France (à l'époque, Margaret Thatcher dirigeait le parti conservateur en Grande-Bretagne). Elle a mené la tête de liste du PSU aux premières élections européennes le 10 juin 1979 et sa liste s'est retrouvée dernière, avec 332 voix, oui, j'ai bien écrit 332 et pas 337 000 voix, donc, 0,00%. En fait, son parti n'avait pas l'argent pour payer le matériel de campagne (entre autres, les bulletins de vote) et lors de son meeting de campagne le 11 mai 1979 à Rouen, elle s'en est pris à cette règle électorale qui favoriserait les riches (à cause du seuil de 5% pour pouvoir être remboursé). Ainsi, elle a fait campagne pour faire voter nul, faute de bulletins du PSU à distribuer.

    Cette campagne nationale, sa première, ne l'a pas fait vraiment connaître. C'est en 1981 qu'elle a eu droit aux projecteurs de l'actualité. C'était la première fois qu'il y a eu autant de candidats à l'élection présidentielle, dix en 1981 dont six à gauche. L'élection de François Mitterrand a eu lieu au second tour malgré cette division au premier tour. Huguette Bouchardeau ne lui a certes pas fait beaucoup d'ombre avec seulement 1,1% des suffrages exprimés le 26 avril 1981, soit au dernier rang avec 321 353 voix. Pourtant, avec Michel Crépeau (du MRG), elle aurait pu apporter 3,3% aux 25,9% du candidat du PS, ce qui lui aurait donné un résultat supérieur au score du Président sortant Valéry Giscard d'Estaing (28,3%). Finalement, ce ne fut qu'en différé, puisque les candidats du MRG et du PSU ont apporté immédiatement leur soutien au second tour à François Mitterrand. Michel Crépeau allait être récompensé par un porte-feuille (l'Environnement, puis le Commerce, enfin la Justice) entre 1981 et 1986.

    C'était parce qu'Huguette Bouchardeau avait déjà un nom dans le militantisme féministe qu'elle a été hissée à la tête du PSU en 1979. Vingt ans plus tard, en novembre 1999, elle en rigolait encore : « Dans les meetings, je disais, en provoquant, que quand une profession commence à se féminiser, elle est en voie de dévalorisation. J'ai toujours dit ce que je pensais sur ce sujet-là. Pendant quelques mois, j'ai mal vécu ce début de secrétariat national du PSU, j'avais le sentiment qu'ils m'avaient mise là parce que c'était bien qu'un parti qui se disait féministe, écolo, etc., ait une femme à sa tête, mais ils se disaient quand même que j'étais là comme simple porte-parole. D'ailleurs, un membre du bureau national me l’a déclaré un jour : "Rocard 'pensait' la théorie du PSU et puis il en parlait, maintenant, on peut très bien avoir une porte-parole". Nous, on pense, et toi, tu causes… Vraiment, j'en ai entendu des vertes et des pas mûres, et tout ça dans la plus grande gentillesse, car vraiment ils m'aimaient bien, je crois. C'est vrai que si je ne leur avais pas paru capable de faire ça, ils ne m'auraient pas poussée, ou sinon ils auraient pris quelqu'un qui présentait bien, qui était mignonne. Ce n'est pas ce qu'ils ont cherché. Ils se sont vraiment dit que faire une place à une femme à la tête d'un parti, c'était la bonne position. (…) Ils voulaient une femme à la tête du parti et une candidate aux élections présidentielles. Ce qui fait qu'en treize ans (la première fois que j'ai été candidate aux législatives, c'était en 1968), tout s'était inversé. En 1968, les gens disaient : "ils sont fous de la présenter, elle leur fait perdre des points". En 1981, on en était venu à se dire qu’une femme peut en faire gagner. Mais cette expérience a été pénible… J'ai été nommée à la tête du PSU en janvier 79, et en juillet, j'ai écrit en trois semaines un bouquin qui s'appelle "Un coin dans leur monde" où je règle leur compte à mes amis politiques, parce que je supportais très mal qu'on m'ait mise là pour autre chose. ».


    Les militants du PSU avaient été sidérés par la tribune que la candidature à l'élection présidentielle avait offerte à Arlette Larguiller en 1974. Ils voulaient donc l'imiter avec aussi une femme. Huguette Bouchardeau, candidate du PSU, a eu aussi le soutien du parti communiste révolutionnaire (PCR) et de la fédération de la gauche alternative (FGA).
     

     
     


    Un mot sur la campagne dont je propose en fin d'article quatre interventions orales, une interview et trois prestations de campagne officielle. À la différence d'Arlette Laguiller qui parlait très vite pour mettre le maximum de phrases en un temps donné, Huguette Bouchardeau était très lente en diction, presque trop lente, comme un enseignant faisant une dictée dans une école primaire. Mais à la différence de François Bayrou (par exemple), le débit n'était pas saccadé mais très lisse (elle n'était pas pédagogue pour rien ; vous me direz, François Bayrou non plus, mais la différence, c'est qu'il avait une infirmité, le bégaiement). On sentait ainsi l'intellectuelle fluide qui savait manier concepts et idées (bien que femme, oserais-je écrire, pour reprendre le machisme au sein même du PSU !).

    Mais des concepts et idées totalement irréalistes. Par exemple, elle s'est opposée très fermement à la dissuasion nucléaire et a proposé que dès son élection, la France se mît à poils sur le plan de la défense. C'est terrible de réécouter ses mots à une époque où l'on considère que justement, la France n'a pas suffisamment concentré son effort de défense. Elle était encore dans la lignée du "faites l'amour, pas la guerre" en pensant qu'il n'y avait que de gentils dans le monde et aucun méchant qui voudrait s'en prendre aux territoires des autres (quelle erreur !).


    Elle était aussi pour la réduction du temps de travail, les 35 heures et même les 30 heures par semaine, en pensant que les Français vivraient mieux en travaillant moins (c'était encore l'époque du : on rase gratis !). À l'instar de Michel Rocard et Edmond Maire (secrétaire général de la CFDT), elle croyait aussi à l'autogestion des entreprises (à la suite de l'expérience Lip).

    Neuf propositions ont été inscrites sur son tract de campagne : 1. « La loi des 30 heures et les 35 heures tout de suite » ; 2. « Vivre, travailler et décider au pays » ; 3. « L'abandon de l'arme atomique » ; 4. « Des énergies alternatives au nucléaire » ; 5. « La prise de parole des femmes et la défense de leurs droits » ; 6. « La fin des privilèges et des inégalités » ; 7. « La révision de la Constitution de 58 » ; 8. « L'abolition de la peine de mort, de la loi Peyrefitte, et des tribunaux d'exception » ; 9. « Un plan d'urgence contre la faim dans le monde ».

    Mais la candidature d'Huguette Bouchardeau était d'abord un moyen de mettre les femmes à l'avant-scène de la politique, et en ce sens, elle y est parvenue par sa notoriété naissante. L'une des meilleures illustrations de l'effet présidentiel sur sa notoriété, c'était ses multiples candidatures aux élections législatives dans la première circonscription de la Loire (ville de Saint-Étienne) : en juin 1968, elle n'a eu que 8,3% ; en mars 1973, que 4,5% ; en mars 1978, que 1,2%... (dans ces scrutins, Michel Durafour a été élu) et en juin 1981, elle est arrivée en troisième position avec 24,2%, ce qui était pas mal, mais insuffisant car elle a été devancée par le candidat communiste Paul Chomat qui était en avance de 126 voix sur elle, si bien qu'elle s'est désistée au second tour pour Paul Chomat qui a battu Michel Durafour avec moins de 500 voix d'avance.

    Huguette Bouchardeau ne l'a pas vraiment utilisée car sa célébrité est partie aussi vite qu'elle n'est venue. Pourtant, ce n'était pas faute de poursuivre une carrière politique, chose qu'elle a pu faire en rejoignant la majorité socialo-communiste (au grand dam de la majorité du PSU qu'elle allait quitter en 1986).

     

     
     


    Ainsi, Huguette Bouchardeau est entrée au gouvernement, nommée Secrétaire d'État auprès du Premier Ministre chargée de l'Environnement et de la Qualité de la vie du 22 mars 1983 au 17 juillet 1984 dans le dernier gouvernement de Pierre Mauroy, puis Ministre de l'Environnement du 17 juillet 1984 au 20 mars 1986 dans le gouvernement de Laurent Fabius. Elle a été à l'origine de la loi n°83-630 du 12 juillet 1983 relative à la démocratisation des enquêtes publiques et à la protection de l'environnement (dite loi Bouchardeau) qui dit dans son article premier : « La réalisation d'aménagements, d'ouvrages ou de travaux, exécutés par des personnes publiques ou privées, est précédée d'une enquête publique soumise aux prescriptions de la présente loi, lorsqu'en raison de leur nature, de leur consistance ou du caractère des zones concernées, ces opérations sont susceptibles d'affecter l'environnement. (…) Les travaux qui sont exécutées en vue de prévenir un danger grave et immédiat sont exclus du champ d'application de la présente loi. ».
     

     
     


    Huguette Bouchardeau s'est aussi battue sur le plan européen pour réduire la pollution automobile contre l'industrie automobile française (on sait aujourd'hui que ce combat a eu un bénéficiaire industriel, les États-Unis, et que la réglementation motivée par l'écologie a toujours eu en France des intérêts économiques qui ne sont ni nationaux ni européens).

    L'ancienne ministre a été ensuite élue députée du Doubs en mars 1986, sur la liste socialiste (elle était en deuxième place et la liste, avec 35,5% des voix, a gagné deux sièges, à la proportionnelle), elle a donc siégé à l'Assemblée comme députée apparentée au groupe socialiste. Candidate de la France unie (mouvement rassemblant les débauchés du mitterrandisme), elle a été réélue en juin 1988 dans la quatrième circonscription du Doubs (Sochaux) au second tour avec 56,8% des voix face à un candidat UDF-CDS.
     

     
     


    Après la démission de Laurent Fabius, devenu premier secrétaire du PS, du perchoir, Huguette Bouchardeau a été candidate aux deux tours de l'élection du nouveau Président de l'Assemblée Nationale le 22 janvier 1992. Au premier tour, à 17 heures 10, elle a obtenu 44 voix sur 541 votants et 534 exprimés (256 à Henri Emmanuelli, 207 à Jacques Chaban-Delmas et 27 au communiste Georges Hage).

    Elle a expliqué qu'elle se maintenait au second tour, contrairement à son collègue communiste, avec ces paroles : « Monsieur le président, les applaudissements que nous venons d'entendre comme le résultat que je viens d'obtenir me paraissent significatifs. J'ai voulu, par ma candidature, mes chers collègues, donner un signe. Notre assemblée devrait travailler dans une plus grande indépendance à l'égard du gouvernement et des partis politiques. Je veux affirmer encore cette option et je maintiens donc ma candidature, en souhaitant qu'une fois faite la démonstration par les uns ou les autres de leur fidélité à leur famille d'origine, le plus grand nombre d'entre nous se retrouve sur une candidature en faveur d'une véritable indépendance de notre assemblée. ». Au second tour, à 18 heures 50, elle a reçu moins de voix qu'au premier tour, seulement 32 sur 550 votants et 546 exprimés (289 à Henri Emmanuelli, élu, et 225 à Jacques Chaban-Delmas).


    Parfois opposée aux décisions des gouvernements socialistes, elle ne s'est pas représentée en 1993 (la circonscription allait revenir à Pierre Moscovici en 1997), mais elle a été élue maire d'Aigues-Vives, commune de 2 300 habitants près de Lunel, dans la Gard, de juin 1995 à mars 2001 et s'est ensuite retirée de la vie politique locale.

    Parallèlement à ses activités politiques, Huguette Bouchardeau a mené une activité éditoriale intense. Elle a été directrice de collection aux éditions Syros de 1978 à 1984, puis a créé HB éditions en 1995 (sa maison d'édition a disparu en juin 2002 après la publication d'environ 150 ouvrages). Elle est surtout l'auteure de plus d'une vingtaine de livres, surtout des essais, en particulier centrés sur certaines femmes qu'elle admire, en particulier : George Sand (1990), Rose Noël (1992), Simone Weil (1995), Agatha Christie (1998), Elsa Triolet (2000), Nathalie Sarraute (2003), Simone Signoret (2005) et Simone de Beauvoir (2007).

    Pour finir, écoutons Huguette Bouchardeau dire à Margaret Maruani et Chantal Rogerat, en novembre 1999, sa conception d'être une femme engagée : « Quand j'étais petite fille, je me disais : “est-ce que je travaillerai ou est-ce que je me marierai ?”. Qui se pose encore ces questions-là ? Cela ne veut pas dire que les tâches ménagères soient partagées parfaitement, que les filles aillent moins dans les professions du soin, de secrétariat. Mais il faut voir les classes scientifiques, les classes d'ingénieurs. Il y en a beaucoup plus… Il faut voir dans la vie politique, les femmes comme Aubry, Buffet, Guigou, Royal, Voynet. Nous avons été, nous, une génération intermédiaire à dire que nous nous situions hors du pouvoir… Maintenant elles font le même type de carrière politique que les hommes. L'histoire des femmes ne se fait pas simplement au moment où il y a des grandes manifestations, où il y a une sorte de théorisation de lutte des femmes. Les conquêtes des femmes se prolongent dans le silence, et individu par individu presque, avec quelques femmes qui théorisent, quelques femmes qui font avancer, quelques femmes qui disent “attention, il y a un piège…” » (publié dans la revue "Travail, genre et sociétés" 1999/2 n°2).



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (31 mai 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Huguette Bouchardeau.
    François Mitterrand.
    Valéry Giscard d'Estaing.
    Jacques Chirac.
    Georges Marchais.
    Michel Debré.
    Brice Lalonde.
    Marie-France Garaud.
    Arlette Laguiller.




















    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250601-huguette-bouchardeau.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/qui-se-souvient-de-la-candidate-260929

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/06/01/article-sr-20250601-huguette-bouchardeau.html



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  • André Lajoinie, l'incarnation de la branche agricole du parti communiste français

    « Il y a André Lajoinie : la cinquantaine, épais, la poignée de main ferme, placide, il a été l'un des principaux orateurs communistes pendant la campagne des législatives en 1978. » (Michèle Cotta, 8 janvier 1980).



     

     
     


    Il aurait eu 95 ans dans exactement un mois. André Lajoinie est mort ce mardi 26 novembre 2024. Qu'il repose en paix. Son importance politique a été telle qu'à l'Assemblée Nationale, la séance des questions au gouvernement a été brièvement interrompue par la Présidente de l'Assemblée, Yaël Braun-Pivet, juste avant de donner la parole à l'oratrice communiste : « Avant de donner la parole à Mme Elsa Faucillon, qui va intervenir au nom du groupe GDR [PCF], je souhaitais rendre hommage à André Lajoinie, qui nous a quittés aujourd’hui. Député de l’Allier pendant près de vingt ans, président du groupe communiste de 1981 à 1993, président de la commission de la production et des échanges de 1997 à 2002, André Lajoinie fut une figure de notre vie politique et je voulais saluer sa mémoire avec vous. ». Elsa Faucillon elle-même, avant de poser sa question, a rajouté : « Merci, madame la Présidente : le groupe GDR, en particulier ses membres communistes, est très sensible à votre hommage. ».

    Oui, les mandats électifs d'André Lajoinie, dirigeant du parti communiste français (PCF) à partir de 1957, étaient effectivement bien énumérés par la présidente de séance : député de la troisième circonscription de l'Allier de mars 1978 à mars 1993 (il a échoué en mars 1993) et de juin 1997 à juin 2002, il était le très important président du groupe communiste à l'Assemblée de juin 1981 à mars 1993, notamment pendant les deux législatures où la gauche était au pouvoir (1981-1986 et 1988-1993), dont la dernière où il manquait la majorité absolue, ce qui a conduit les gouvernements socialistes à s'unir dans les votes soit avec les députés communistes, soit avec les députés centristes (de l'UDC). Dans sa vie parlementaire, André Lajoinie a reçu son bâton de maréchal lors de la troisième législature où la gauche était au pouvoir (la fameuse gauche plurielle menée par Lionel Jospin), en se faisant élire président de la commission de la production et des échanges de juin 1997 à juin 2002 (la commission s'appelle désormais des affaires économiques). André Lajoinie a pris sa retraite en 2002. Il a été par ailleurs élu conseiller régional d'Auvergne de 1978 à 1988 et de 1992 à 1998.
     

     
     


    À ce titre de parlementaire, André Lajoinie a défendu les positions habituelles des communistes, en particulier en s'opposant à l'apartheid en Afrique du Sud, en s'opposant systématiquement à la construction européenne, mais aussi à la politique agricole commune. Il a fermement soutenu la loi n°90-615 du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe (dite loi Gayssot, du nom de son rapporteur communiste Jean-Claude Gayssot, qui réprime notamment la contestation de l'existence des crimes contre l'humanité).

    André Lajoinie s'est aussi opposé (très mollement) à la loi d'auto-amnistie déposée par les socialistes pour s'autoblanchir. À la journaliste Michèle Cotta, il confia le 25 avril 1990 : « Tous les partis sont certes responsables de leur "auto-amnistie", mais la faute en revient en premier lieu aux socialistes. Les hommes politiques seront amnistiés s'ils ont mis la main sur des fonds publics. Il y a là-dedans une complicité totale de toute le monde avec tout le monde... à l'exception du parti communiste qui n'a jamais trempé dans des magouilles de ce genre. S'il ne tenait qu'au PC, personne ne serait amnistié pour avoir mis la main dans la caisse. ». Mais il y a les paroles et il y a les actes : le 9 mai 1990, la droite a déposé une motion de censure contre le gouvernement de Michel Rocard pour s'opposer à ce texte scandaleux d'auto-amnistie et les communistes auraient pu ajouter leurs voix et renverser le gouvernement (alors que Michel Rocard était opposé à cette amnistie, mais il était sous la pression des autres éléphants du PS dont Pierre Mauroy). Résultat, par peur d'une dissolution, les communistes ont condamné l'initiative de la droite et ont sauvé le gouvernement... et la loi d'auto-amnistie !

    Mais ces mandats, principalement parlementaires, étaient la face la moins exposée au grand public de la vie politique d'André Lajoinie car il était surtout connu pour avoir été le candidat du PCF à l'élection présidentielle de 1988. Au premier tour du 24 avril 1988, il n'a réuni que 6,8% des voix, incapable d'enrayer la chute du PCF depuis une dizaine d'années (une chute de plus de 8 points par rapport au score de Georges Marchais en 1981). Il s'agit du plus mauvais score depuis la victoire du Cartel des gauches en mai 1924 ! À sa décharge, André Lajoinie a pâti de la concurrence d'un autre candidat communiste dissident Pierre Juquin, exclu du PCF le 13 octobre 1987, soutenu par l'ancien ministre communiste Marcel Rigout, qui a recueilli 2,1% des voix. Lors de sa première candidature en 1995, Robert Hue, qui a succédé à Georges Marchais à la tête du PCF, allait faire 8,6% (mais ce fut le désastre en 2002 avec 3,4%).
     

     
     


    C'est Georges Marchais, secrétaire général du PCF, qui a annoncé à la télévision, le 14 janvier 1987, qu'il ne se représenterait pas à l'élection présidentielle (déjà annoncé en 1986) et qu'il laisserait cette démarche à André Lajoinie dont le comité central du PCF a approuvé la candidature le 20 mai 1987. Les Français ont alors découvert un candidat communiste bonhomme, placide, souriant et parlant avec un accent chantant du Sud, laissant entendre les cigales.

    Il faut dire qu'André Lajoinie, né en Corrèze, était assez particulier, une sorte de nouveau Jacques Duclos. Il était à l'origine agriculteur, comme sa famille, n'ayant pas pu faire d'études car il devait reprendre l'exploitation familiale. À ce titre, il a pris des responsabilités à la FNSEA tout en adhérant en 1946 au PCF. À partir de 1957, il a gravi les marches des responsabilités, d'abord locales puis nationales, introduit par Gaston Plissionnier qui lui a proposé en 1963 d'être permanent et responsable des questions agricoles. C'était un peu une originalité au PCF qui s'occupait plutôt des ouvriers et des habitants des zones urbaines. André Lajoinie est devenu membre du comité central en 1976 (suppléant en 1972), membre du bureau politique en 1979 (suppléant en 1976) et membre du secrétariat en 1982. Dans les années 1960, il avait fait quelques tentatives électorales infructueuses en Corrèze et a commencé à connaître le succès électif en changeant de département et en s'implantant dans l'Allier.
     

     
     


    Si la campagne présidentielle d'André Lajoinie a eu si peu d'échos populaires, c'est aussi parce qu'il ressassait des arguments simplistes et démagogiques classiques, très utilisés du PCF, sans beaucoup d'originalité, des faukon et des yaka à la pelle. On peut s'en faire une idée avec les deux vidéos mises en fin d'article, qui correspondent à des spots de la campagne officielle diffusés respectivement le 12 avril 1988 et le 20 avril 1988.

    Dans son document de campagne de 1988 (tract électoral), on peut lire entre autres : « Tout au long de ma campagne, je vous ai rencontrés par milliers. Je vous ai écoutés. Je connais bien vos problèmes : chômage, baisse du pouvoir d'achat, insécurité de l'emploi, de la vie, de l'avenir des enfants, discriminations, injustices de toutes sortes. Et pour beaucoup, la pauvreté. Pendant ce temps, tout va toujours mieux pour les grandes fortunes, mais c'est le déclin de la France, son "américanisation", la mainmise de l'argent sur l'école, la santé, le logement, la télévision, la recherche, la culture. Je vous le redis : rien de tout cela n'est dû à la fatalité. C'est le résultat des choix faits par ceux qui ont dirigé le pays depuis près de vingt ans. ». C'est curieux car entre 1969 et 1988, il y a la période de 1981 à 1984 où quatre ministres communistes officiait au gouvernement !
     

     
     


    La tactique électorale était d'ailleurs très simple : laissez le choix du Président au seul second tour de l'élection et faites pression au premier tour pour se faire entendre. Un argument qui montrait que le candidat communiste partait battu à l'avance : « Au premier tour, vous pouvez dire ce que vous avez sur le cœur, vous faire entendre, en votant pour le candidat du parti communiste. Tout autre vote, lors de ce premier tour, reviendrait à approuver ce qui s'est passé ces dernières années et ce qui se prépare. ».

    Le programme est un catalogue de surenchères démagogiques et d'incantations dans le vide : « Nous voulons le SMIC à 6 000 francs, le revenu minimum de 3 000 francs, l'augmentation des salaires, des retraites et des revenus paysans, la défense de la Sécurité sociale. Nous voulons des emplois stables pour les jeunes, la baisse des loyers, 40 milliards de moins pour les bombes et davantage d'argent pour l'école et pour l'amélioration de la vie des gens, la justice et l'égalité dans les DOM, le respect des libertés. ».

    Et en regardant plus en détails les mesures, c'était on-rase-gratis ou l'utopie naïve : « Toutes les prestations sociales doivent progresser ; les loyers et charges diminuer. (…) Interdiction des saisies, coupures EDF et expulsions pour les familles en détresse. (…) Plus aucun licenciement sans reclassement préalable, transformation des emplois précaires et des "TUC" en emplois stables. (…) Moins d'argent pour le budget militaire, et davantage pour la formation. (…) Suppression des droits d'inscription à l'université. (…) Une radio et une télévision de qualité (pas de coupure des films par la publicité !) et pluraliste. (…) La France doit soutenir les initiatives en cours pour le désarmement, œuvrer pour la disparition de toutes les armes nucléaires d'ici l'an 2000 ; refuser l'armement de l'espace et toute armée européenne. ».

    Le pire, c'est qu'en 2024, on en est encore là dans certains partis...


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (26 novembre 2024)
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    Pour aller plus loin :
    André Lajoinie.
    Huguette Bello.
    Mélinée et Missak Manouchian.
    Henri Krasucki.
    Louis Aragon.
    Jean Jaurès.
    Léon Blum.
    Staline.

    Fabien Roussel.
    Programme 2022 du candidat Fabien Roussel.
    Robert Hue.


     

     

     










    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241126-lajoinie.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/andre-lajoinie-l-incarnation-de-la-257846

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/26/article-sr-20241126-lajoinie.html




     

     

     

     

  • La vision européenne décevante d'Édouard Balladur

    « Mon engagement dans cette action est total. Seul son succès m'importe. Je m'y dévouerai exclusivement. (…) Ce sera difficile ? A coup sûr. Périlleux ? Peut-être. Indispensable ? Évidemment. (…) N'ayons pas peur du risque. Ensemble, nous allons bâtir le nouvel exemple français. » (Édouard Balladur, le 8 avril 1993 dans l'hémicycle).


     

     
     


    95 ans. C'est l'âge qu'atteint Édouard Balladur ce jeudi 2 mai 2024. Un âge canonique qui le fait intégrer dans le petit cercle des potentiels centenaires de la vie politique, comme l'est déjà Roland Dumas, et que n'ont pas été Jacques Delors et Robert Badinter (à quelques années près).

    S'il n'a pas été le premier des princes, à savoir Président de la République (il a raté la première marche le 23 avril 1995 avec seulement 18,6% des suffrages exprimés), Édouard Balladur, auteur de vingt-deux essais, a cependant eu deux rôles très importants dans la Cinquième République, celui de Premier Ministre entre 1993 et 1995, et celui de candidat à l'élection présidentielle, grand candidat, c'est-à-dire potentiellement gagnant. Et j'ajouterai aussi un rôle de théoricien, celui de la cohabitation par un article publié le 16 septembre 1983, cohabitation dont il fut doublement acteur.

    Édouard Balladur a bénéficié de sondages étonnamment flatteurs pendant sa période d'exercice du pouvoir. En général, quand on gouverne, on est impopulaire. Mais il a gouverné de manière à ne mécontenter personne. En ce sens, il a été peu courageux dans les réformes économiques et sociales (dont on ne retiendra pas ni les privatisations, loi n°93-923 du 19 juillet 1993, ni la réformette sur les retraites, loi n°93-936 du 22 juillet 1993, une des premières), les remettant après l'élection présidentielle. De plus, un jeu d'écriture comptable a allègrement faussé la réalité des finances publiques.

    En 1995, tous les leaders de l'UDF soutenaient le Premier Ministre Édouard Balladur dans son aventure électorale. Pour la confédération des partis centristes, il était l'homme idéal pour dégager définitivement Jacques Chirac de la vie politique. Membre moi-même de l'UDF, j'avais une analyse très différente. À l'origine, j'appréciais peu Jacques Chirac parce que j'avais fait campagne pour Raymond Barre en 1988 et j'ai vu le bull-doser chiraquien avec sa mauvaise foi, ses éléments de langage et sa machine électorale redoutable. Toutefois, dès lors que l'UDF serait absente directement de l'échéance présidentielle de 1995, ma réflexion se posait sur le choix entre Édouard Balladur et Jacques Chirac.

    Pour moi, en dehors de la personnalité qui leur est propre, aucune différence notable dans le programme politique n'existait, ce qui était d'autant plus vrai que c'était Jacques Chirac qui avait proposé Édouard Balladur à Matignon (du 29 mars 1993 au 17 mai 1995) après la vaste victoire de l'union UDF-RPR en mars 1993. De plus, Édouard Balladur, très proche du Président Georges Pompidou (il a été le Secrétaire Général adjoint, puis Secrétaire Général de l'Élysée du 5 avril 1973 au 2 avril 1974), et Jacques Chirac était lui-même le poulain de Georges Pompidou, ils provenaient donc de la même branche du gaullisme historique, celle du conservatisme social et libéral de la bourgeoisie de province. En outre, les supputations pour Matignon restaient les mêmes quelle que fût la victoire, Alain Juppé aurait été probablement nommé dans tous les cas, par Jacques Chirac qu'il avait soutenu loyalement sans plus trop y croire comme par Édouard Balladur qui aurait besoin de raccommoder sa majorité (à l'époque, on parlait aussi de Charles Pasqua puis de Nicolas Sarkozy à Matignon en cas d'élection d'Édouard Balladur).

     

     
     


    Donc, dans ma réflexion, mon choix devait partager des personnalités et pas des programmes politiques. Or, Jacques Chirac avait pour une fois la position de recul que n'avait pas Édouard Balladur. Ce dernier montrait une réelle distance avec le "vrai peuple", une distance assez méprisante voire arrogante, bien plus grande encore que Valéry Giscard d'Estaing sans son intelligence et son niveau d'analyse. Édouard Balladur était un rond-de-cuir de la politique qui a saisi une occasion improbable, celle d'être au pouvoir et de gérer le pays un peu par hasard et certainement pas pour faire l'histoire. Son thème de campagne était de « croire en la France » mais il fallait d'abord croire en Balladur.

    Jacques Chirac, dans le rôle du trahi et plus du traître qu'il a souvent été (Jacques Chaban-Delmas en 1974, Valéry Giscard d'Estaing en 1981, Raymond Barre en 1988, etc.), a fait d'ailleurs une excellente campagne présidentielle, partant justement du peuple, rencontrant toutes les forces vives du pays sans caméras, pour mieux comprendre la France et les Français. Son thème de la fracture sociale, suggéré par Philippe Séguin, était excellent, à tel point qu'il a réussi à rassembler également des suffrages d'électeurs de gauche déboussolés par l'effondrement du PS et les révélations sur le passé de François Mitterrand.


    Mon vote Chirac a donc été par défaut mais dès le premier tour, et je ne l'ai pas regretté en 2007, à la fin de ses deux mandats, même si j'étais fermement opposé à deux de ses décisions présidentielles importantes, la dissolution de 1997 et le référendum sur le quinquennat de 2000. Que reste-t-il de la période d'Édouard Balladur ? Rien. Alors que son successeur, Alain Juppé, est resté dans les mémoires, comme celui qui a tenté de réformer la Sécurité sociale. Quant à Jacques Chirac, il aurait sans doute été plus cohérent en nommant Philippe Séguin en mai 1995 et Nicolas Sakorzy en mai 2002 à Matignon. Mais il a laissé des discours mémorables, et historiquement essentiels, celui de la reconnaissance de la France dans la rafle du Vel' d'hiv' (en juillet 1995), de la mort de François Mitterrand (en janvier 1996) et aussi de son départ où il avouait, malgré sa pudeur, l'amour qu'il vouait aux Français et à la France (en mars 2007). D'autres ont retenu sa position contre l'intervention américaine en Irak, mais cette position n'était pas évidente et pas nécessairement sa première position spontanée.

    Et Édouard Balladur dans l'affaire ? Il a continué comme un "vulgaire" homme politique, ordinaire, cherchant en vain à conquérir un petit Graal, comme la présidence du conseil régional d'Île-de-France en mars 1998, puis la mairie de Paris en mars 2001, cette dernière bataille après une rivalité primaire contre Philippe Séguin. Député de Paris de mars 1986 à juin 2007, dans une circonscription imprenable à partir de 1988, et conseiller de Paris de 1989 à 2008, il n'a pas eu à batailler ferme pour maintenir ses propres mandats parisiens.

     

     
     


    Bien qu'à l'origine, il était spécialisé dans l'économie et le social (il a présidé des groupes industriels dans les années 1970), ce qui l'a bombardé Ministre d'État, Ministre de l'Économie et des Finances du 20 mars 1986 au 10 mai 1988, souvent appelé Vice-Premier Ministre, Édouard Balladur, comme tous les hommes d'État en retrait, s'est préoccupé surtout des institutions et des affaires étrangères. Ainsi, il a présidé la commission des affaires étrangères de l'Assemblée Nationale du 27 juin 2002 au 19 juin 2007 lors de son dernier mandat parlementaire (faute d'être élu Président de l'Assemblée Nationale le 25 juin 2002, recueillant seulement 163 voix sur 541, battu par Jean-Louis Debré avec 217 voix, puis unique candidat de droite au second tour), et il a présidé deux Comités Balladur, le Comité de réflexion sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions (nommé du 18 juillet 2007 au 29 octobre 2007), et le Comité pour la réforme des collectivités locales (nommé du 22 octobre 2008 au 25 février 2009), tous les deux issus de la volonté de Nicolas Sarkozy élu Président de la République et, en quelque sorte, faisant gagner Édouard Balladur à l'Élysée par procuration.

    Malgré la proposition de Nicolas Sarkozy de le nommer en février 2010 au Conseil Constitutionnel, le conseiller honoraire du Conseil d'État (diplômé de l'IEP Paris et de l'ENA) a décliné l'offre pour se consacrer à sa retraite. Au sein de l'UMP puis de LR, Édouard Balladur a soutenu François Fillon en novembre 2012, Nicolas Sarkozy en novembre 2016, François Fillon en avril 2017, Laurent Wauquiez en décembre 2017 et Valérie Pécresse en avril 2022. Il n'a jamais apporté son soutien à Emmanuel Macron et a même émis une appréciation très sévère contre ce dernier sur sa politique européenne.

    Auteur d'une note politique pour la fondation Fondapol publiée le 27 juin 2023, l'ancien Premier Ministre affirmait un certain euroscepticisme, assez étonnant de sa part : « Depuis trente ans, le monde a changé au détriment de l’Europe. La France a changé davantage encore et paraît atteinte dans ses forces vitales. L’Europe peut-elle contribuer à son redressement ? Rien n’est moins sûr. Des progrès ont été recherchés, mais dans un désordre qui a permis à la technostructure européenne d’accroître encore son pouvoir. (…) Il faut sortir de l’ambiguïté, la France doit demeurer souveraine dans certains domaines essentiels. L’Union n’est pas une organisation fédérale et ne doit pas le devenir. ». À croire que toutes ses belles paroles européennes des années 1990 étaient de l'hypocrisie électorale...

    Par cette analyse très décevante et sans innovation, il est revenu à son dada des cercles concentriques : « Avant tout élargissement, définir clairement la construction de l’Europe en cercles à compétences et à compositions variables, en faire un principe de base. ». Mais il n'a porté aucune proposition concrète sinon les yaka fonkon habituels, très stériles et très communs : « La France doit sortir du déclin qui la menace. La lutte contre les déficits, l’endettement, l’insécurité, et pour l’amélioration de la compétitivité, du système éducatif, hospitalier, pour la régulation effective de l’immigration, demeurent des compétences nationales. (…) Si la France veut survivre, l’Europe doit être réorganisée et la France doit demeurer responsable de son propre destin. ». On ne peut pas demander à une personne qui a eu 15 ans en 1944 d'imaginer le monde de 2030, encore moins de 2050. Ni être le vieux sage de la politique des années 2020 comme l'a si élégamment été Antoine Pinay entre 1974 et 1994.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (01er mai 2024)
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    Pour aller plus loin :
    Édouard Balladur.
    Le théoricien de la cohabitation.
    Le Comité Balladur de 2007.
    La cohabitation de 1986.

     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240502-balladur.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/la-vision-europeenne-decevante-d-254304

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/27/article-sr-20240502-balladur.html




     

  • Olivier Besancenot et le facteur temps

    « La plupart des gens ont intériorisé qu’ils ne pouvaient se représenter eux-mêmes. Qu’il fallait des intermédiaires. Que la politique est affaire de gens sérieux. Quand nous présentons un facteur ou un ouvrier de l’automobile à la présidentielle, ils disent que c’est formidable… mais pas crédible. (…) Prendre la parole, aujourd’hui, est le premier acte de résistance. Refuser que d’autres la prenne pour nous, c’est le premier geste d’émancipation. » (Olivier Besancenot, le 13 novembre 2017).



     

     
     


    Prendre la parole, c'est ce que sait faire avec talent l'ancien candidat trotskiste à l'élection présidentielle Olivier Besancenot qui fête son 50e anniversaire ce jeudi 18 avril 2024. Malgré cet âge seuil, l'homme garde son visage d'adolescent.

    Comme l'expliquait en effet Nicolas Domenach le 26 mars 2018 dans "Challenges", et c'est encore d'actualité, le (jeune) homme a « un talent "d’affranchi" qui en fait "un bon client" des hauts plateaux médiatiques. Il a toujours son visage poupin, ses joues rebondies d’écureuil de la poste pleines de noisettes et de punchlines qu’il distribue allègrement. (…) Il bénéficie du mythe positif de l’employé des postes qui fait du lien social avec ses lettres et ses sourires. C’est le facteur des Jours heureux de Jacques Tati… Mais ce non-sectaire appartient aussi à une famille politique frappée de scissiparité sectaire aiguë. Vous mettez deux trotskystes ensemble et ça finit par faire trois tendances. Au moins… ».

    Des deux principales formations trotskistes, le NPA (Nouveau parti anticapitaliste), issu de la LCR (Ligue communiste révolutionnaire), créé le 5 février 2009, n'a pas toujours été au rendez-vous des élections présidentielles, tandis que LO (Lutte ouvrière) a montré une très grande assiduité avec ses deux porte-parole historiques, Arlette Laguiller et Nathalie Arthaud. En revanche, le mouvement d'Olivier Besancenot (LCR puis NPA) a fait souvent de la jeunesse un tremplin ou un argument. Alain Krivine avait 27 ans (à un mois de ses 28 ans) quand il s'est présenté à l'élection présidentielle de 1969 (il était même en train d'effectuer son service militaire quand il s'est présenté !).

    Olivier Besancenot n'a donc pas battu ce record de jeunesse, mais n'en était pas loin en 2002 à 28 ans et quelques jours. Normalement, il était prévu une candidature commune de LO et de la LCR, pour confirmer le succès de cette union électorale réalisée aux élections européennes de 1999 (pour la première fois, les trotskistes avaient gagné cinq sièges au Parlement Européen dont Arlette Laguiller, Alain Krivine et Roseline Vachetta). Toutefois, les négociations n'ont pas abouti et il y a eu ...trois candidats trotskistes à l'élection présidentielle de 2002 dont Olivier Besancenot, inconnu du grand public, qui a fait très bonne impression par sa jeunesse, sa spontanéité, mais aussi son habileté à sortir ses éléments de langage de militant d'extrême gauche.


    Car c'est bien cela qui prime dans la communication politique : une bonne tête d'honnête homme, un homme sympa, à qui on confierait ses enfants comme à un jeune oncle. Pourtant, il est redoutable, tant dans les interviews que dans les débats. Il a appris toutes ses leçons excellemment et il les répète avec l'aisance d'un bon acteur de théâtre. Son slogan simpliste de 2002 était imparable : « Nos vies valent plus que leurs profits ! ». Cette séparation entre "nous" et "eux" est propre aux extrémismes, à gauche contre les riches, à droite contre les personnes d'origine étrangères, mais à la fin, ça revient au même, c'est séparer le peuple dont tout le monde fait partie.

    Beaucoup d'électeurs de gauche un peu déprimés par Lionel Jospin ont été séduits par cette facilité d'argumentation. Résultat, au lieu du 1% habituellement obtenu par la LCR, Olivier Besancenot a recueilli 4,2% des suffrages exprimés, soit 1,2 million de voix ! Et cet exploit s'est réalisé dans un contexte où Arlette Laguiller a obtenu, elle aussi, un bon score, 5,7% des voix (1,6 million de voix), ce qui fait, en rajoutant le troisième larron d'extrême gauche Daniel Gluckstein du Parti des travailleurs, 10,4% des suffrages exprimés (près de 3 millions de voix !). Cette élection était particulière puisque Jean-Marie Le Pen venait d'être qualifié au second tour.

    Après avoir mené une liste aux élections européennes de 2004 (où il a obtenu 2,8%), Olivier Besancenot s'est présenté à nouveau à l'élection présidentielle de 2007 (il a réuni 4 000 personnes dans un meeting électoral le 18 avril 2007 à la Mutualité de Paris, ce qui est un record pour la LCR) avec le même succès qu'en 2002 (il a obtenu 1,5 million de voix, soit 4,1%) tandis qu'Arlette Laguiller avait terminé son temps avec seulement 1,3% des voix. Olivier Besancenot a montré qu'il avait une grand capacité à être le porte-parole des trotskistes. Après lui, en 2012, en 2017 et en 2022, Philippe Poutou, candidat du NPA, n'allait faire qu'autour de 1% des suffrages (et Nathalie Arthaud, candidate de LO, seulement la moitié).

    Dans les années 2000, Olivier Besancenot a donc été placé sous les projecteurs et sa stratégie unitaire a porté quelques fruits. Il est favorable à des mouvements sociaux unitaires contre Nicolas Sarkozy, puis contre François Hollande, puis contre Emmanuel Macron. Pour lui, c'est simple, les gouvernements sont vendus au méchant patronat qui ne fait qu'exploiter les pauvres ouvriers (en oubliant d'ailleurs que beaucoup ne sont plus ouvriers mais demandeurs d'emploi). Cette ode à l'unité a même failli griller la priorité à Jean-Luc Mélenchon qui, cependant, a un talent de tribun inégalable, au point d'avoir su recueillir cette part électorale de l'extrême gauche en 2017 et 2022.

    Facteur, Olivier Besancenot pouvait compter sur la popularité d'un tel métier, ciment relationnel entre les habitants. Après avoir longtemps distribué le courrier, il s'est retrouvé ensuite derrière un guichet dans Paris intra muros. Ce qui est notable, c'est qu'il a une licence d'histoire, qui n'était probablement pas un diplôme nécessaire pour avoir son concours de la Poste (il est l'auteur de douze livres). Même si son salaire est de misère (parce qu'il travaille à temps partiel), il n'est pas issu d'un milieu ouvrier et sa liaison avec une éditrice qui a bien réussi professionnellement relativise sa précarité matérielle (de plus, il a été collaborateur parlementaire d'Alain Krivine de 1999 à 2000 à Strasbourg). Dans le rôle de l'ouvrier, Philippe Poutou est beaucoup plus convaincant, tellement sa spontanéité rejaillit de ses paroles.


    Fils d'un prof et d'une psychologue scolaire, il a passé son enfance à Louviers, ville dont Pierre Mendès France fut le maire il y a très longtemps. Il a commencé son militantisme à l'âge de 14 ans avec SOS Racisme et la JCR (jeunesse LCR), puis l'UNEF quand il était étudiant, puis la CGT et enfin Sud-PTT. On peut comprendre à quel point il est un militant exemplaire et appliqué de l'extrême gauche (ou gauche antilibérale). Très médiatique, sa participation dans des émissions de divertissement a aussi été très critiquée, même s'il faut saluer son exploit d'avoir réuni 2,7 millions de téléspectateurs (beaucoup plus que d'électeurs !) lors de son passage chez Michel Drucker le 11 mai 2008.
     

     
     


    C'était sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy qu'Olivier Besancenot a eu le plus de visibilité médiatique. Il faut dire que le Président de la République (le dernier issu des rangs gaullistes) avait voulu le promouvoir malgré leurs différences politiques évidentes. En effet, pour Nicolas Sarkozy, Olivier Besancenot, qui pourrait atteindre 10% des voix, devait être au parti socialiste ce que la famille Le Pen est pour la droite modérée, un extrémisme qui les empêcherait durablement d'atteindre une majorité absolue. Mais cette manœuvre n'a pas fonctionné par manque d'audience électorale de porte-parole du NPA.

    Candidat aux élections régionales de mars 2010 en Île-de-France (où il a recueilli 3,1% des voix), Olivier Besancenot s'est représenté aux élections européennes de 2014 mais n'a obtenu que 0,8% des voix. Reflux. En novembre 2018, il a fait son retour politique pour soutenir les gilets jaunes et les mouvements sociaux contre les réformes du gouvernement.

    Olivier Besancenot constatait sur France Inter le 12 septembre 2017 que les résultats électoraux pouvaient beaucoup fluctuer, sans position acquise : « En politique, la fortune est capricieuse (...) On vit une crise politique telle qu'il y a des forces politiques qui peuvent être propulsées sur le devant de la scène en quelques mois (...) et d'autres balayées en quelques mois . ».


    Le 13 novembre 2017 devant des militants d'extrême gauche, après avoir reconnu l'échec du NPA (« Nous avons fait l’erreur de croire que nous pouvions rassembler seuls toute la gauche de la gauche française. Or celle-ci est bien trop diverse et attachée à ses bannières pour se rassembler de cette façon. »), Olivier Besancenot faisait état de la situation politique, en évoquant Jean-Luc Mélenchon : « La FI a une responsabilité particulière car elle a fait 19% et réuni des foules considérables, dont énormément de militants prêts à en découdre. Une nouvelle radicalité est en train de surgir du mouvement social. On le voit dans l’écologie, dans les luttes des migrants, des antinucléaire, même dans le milieu syndical. Mais la FI ne pourra pas tous les représenter. Impossible. Moi, je ne pourrais jamais. Chanter la Marseillaise ? Faut pas me le demander, je pourrais pas ! Mais c’est pas grave, on pourra quand même faire de grandes choses ensemble ! (…) France insoumise est en train de réaliser à son tour qu’elle est incapable d’unifier la gauche. De plus, son comportement très directif sur le mouvement social a été catastrophique. Au NPA, nous nous refusons à hiérarchiser le politique et le social, nous aspirons à une fusion de ces thématiques mais dans le respect de la liberté syndicale. (…) Nous devons trouver un espace commun d’action, alliant démocratie et maintien de notre autonomie, de nos identités. Ni la France insoumise ni le NPA ne peuvent réaliser cela, il va falloir inventer autre chose. » (source : NPA).

    Issus de traditions politiques très différentes, Olivier Besancenot et Jean-Luc Mélenchon ont en commun le talent du verbe et de l'argumentation dans le combat contre l'ordre capitaliste : le premier ne serait-il donc pas l'héritier le plus efficace du second ?


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (17 avril 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Olivier Besancenot.
    Arlette Laguiller.
    Alain Krivine.
    Pierre Juquin.
    Romain Goupil.
    50 ans de mai 1968.
    Daniel Cohn-Bendit.
    Nathalie Arthaud.
    Philippe Poutou.
    Rencontre surréaliste avec Trotski.
    Trotski.
    Les 200 ans de Karl Marx.
    Le Capital de Karl Marx.
    Totalitarismologie du XXe siècle.
    La Révolution russe.
     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240418-olivier-besancenot.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/olivier-besancenot-et-le-facteur-253907

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/12/article-sr-20240418-olivier-besancenot.html




     

  • Mon Raymond Barre à moi !

    « Les porteurs de pancartes, ceux qui scribouillent, jacassent et babillent, le chœur des pleureuses et le cortège des beaux esprits, des milieux qui ne vivent que de manœuvres, d’intrigues et de ragots. » (Raymond Barre, le 26 septembre 1978).



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    Pourquoi ne suis-je pas étonné que le centenaire de Raymond Barre semble laisser complètement indifférente la classe médiatico-politique actuelle ? En effet, l'ancien Premier Ministre est né il y a 100 ans, le 12 avril 1924, à Saint-Denis, à La Réunion. Très malade et hospitalisé depuis plusieurs mois, il est mort d'une crise cardiaque à 83 ans le 25 août 2007 au Val-de-Grâce, l'hôpital parisien des grands politiques (aujourd'hui fermé). Ève Hegedüs, d'origine hongroise, qu'il a épousée en novembre 1954, est morte à 97 ans au début du mois de novembre 2017 à Genève. Je ne suis pas étonné de cet oubli généralisé parce que Raymond Barre était un homme d'État qui, aujourd'hui, fait figure de passé révolu (on n'en fait plus comme ça !). Et probablement aussi parce qu'il y a eu quelques révélations posthumes qui n'étaient pas du meilleur effet pour sa postérité (lire plus loin).

    J'ai toujours claironné mon barrisme et je le claironne encore aujourd'hui ("quoi qu'il en coûte" !), même si c'est un peu vain et même s'il devient très difficile d'expliquer ce qu'est le barrisme en 2024. Comme avec De Gaulle, il n'est pas question d'imaginer ce qu'aurait pu penser, dire, faire une personnalité qui, aujourd'hui, a disparu, mais ses leçons de vie ont toujours été très instructives.

    Si je me suis engagé en politique, c'était pour le soutenir, lui, Raymond Barre, candidat à l'élection présidentielle de 1988. Je notais d'ailleurs frénétiquement les noms de ceux qui le soutenaient aussi, en puisant dans les nombreuses notes confidentielles des journaux, des soutiens clairs et publics et des soutiens plus flous, qui n'osaient pas trop de le dire en raison de leurs attaches partisanes à droite mais aussi à gauche. D'ailleurs, certains de ces soutiens ont pu décevoir par la suite (c'était le cas de Philippe de Villiers, Christine Boutin, Charles Millon, etc.). J'étais même content d'avoir pu convaincre quelques électeurs socialistes modérés déçus par le cynisme de François Mitterrand.

    Ce qui est terrible lorsqu'on s'engage pour une personne, c'est qu'on risque de penser que seule sa pensée est la bonne. Le problème, c'est qu'elle n'est pas immortelle, au-delà de ne pas être infaillible, et que la pensée politique ne peut pas se référer qu'à une seule personne pour l'incarner. C'était longtemps le problème du gaullisme, mais De Gaulle avait pour lui non seulement son mythe de l'homme du 18 juin, mais aussi celui du fondateur de la Cinquième République. C'est aussi le problème de l'actuel Président Emmanuel Macron que je soutiens : sur quels fondements de philosophie politique agissent les responsables politiques ?

    C'est donc mon engagement auprès de Raymond Barre qui m'a permis d'affiner mes convictions politiques et philosophiques et pas l'inverse. Très globalement, la philosophie générale du centre droit, on pourrait parler du parti bourgeois ou orléaniste, c'est le pragmatisme économique, à savoir la paix par la prospérité. Avec un zeste de social et d'humanisme. Mais dans notre monde complexe, c'est très réducteur et surtout, très incomplet.

    Pour autant, Raymond Barre n'était pas mon gourou et, heureusement, contrairement à d'autres leaders politiques (comme chez les insoumis par exemple), il n'a créé aucune secte ! Raymond Barre était un humain avec ses failles. Il en avait beaucoup : il n'a pas participé à la Résistance alors que des plus jeunes que lui l'ont fait (il avait 20 ans en avril 1944 ; il a fait son service militaire en 1945 à Madagascar), il a été parfois maladroit (avec des phrases franchement limite comme celle-ci, lors de l'attentat de la rue Copernic le 3 octobre 1980 : « Je rentre de Lyon plein d'indignation à l'égard de cet attentat odieux qui voulait frapper des Israélites qui se rendaient à la synagogue et qui a frappé des Français innocents qui traversaient la rue Copernic. C'est un acte qui mérite d'être sévèrement sanctionné. », laissant croire, sémantiquement, que les Juifs n'auraient pas été innocents), et à la fin de la vie, plus par entêtement narcissique qu'autre chose, il a tenu des propos proches de l'antisémitisme qui pourraient illustrer le naufrage de la vieillesse. Enfin, après sa mort, le 3 juillet 2019, une enquête journalistique a dévoilé qu'il avait gardé en Suisse quelques millions cachés au fisc, j'avais l'intention d'écrire sur ce sujet mais je ne l'ai pas encore fait (à l'époque, tous les grands candidats avaient des relations troubles avec l'argent, car une campagne présidentielle coûte cher et il n'y avait pas encore de financement public de la vie politique).

    Si j'appréciais Raymond Barre, c'était parce qu'il synthétisait à lui seul deux amours, l'amour de la France et l'amour de l'Europe. Il synthétisait aussi deux courants politiques qui, souvent, se sont combattus : le gaullisme, et la démocratie chrétienne. J'utilise l'expression "démocratie chrétienne" à défaut d'une meilleure expression, qui pourrait être aussi "catholicisme social" mais ce serait encore plus réducteur, car la France est un pays laïque, et c'est très bien, mais ce courant se retrouve dans le reste de l'Europe et aussi en Amérique latine. On pourrait l'appeler le courant démocrate social à condition de ne pas le confondre avec le courant social-démocrate. Aujourd'hui, il pourrait être appelé le courant démocrate européen.

    Le gaullisme comme un serviteur de l'État. Lors du conseil des ministres du 21 juin 1967, Georges Pompidou, alors Premier Ministre, a proposé le nom de Raymond Barre pour la prochaine Commission Européenne. Il était déjà très réputé en économie, auteur à 35 ans des deux tomes "Économie politique" de la collection Thémis des PUF (Presses Universitaires de France) que des générations d'étudiants ont potassés (sortis en 1959 et réédités plus d'une quinzaine de fois, traduit en anglais, allemand, espagnol, russe, arabe, etc.), « le premier manuel moderne d'économie des facultés de droit » selon Jean-Claude Casanova, ancien élève et futur collaborateur. De Gaulle n'y a vu aucune objection, et son Ministre des Affaires sociales Jean-Marcel Jeanneney a approuvé dans la même instance, selon les notes d'Alain Peyrefitte : « Je me félicite du choix de Raymond Barre. C'est un gaulliste sûr et un économiste de premier ordre. Je suis convaincu qu'il aura dans la Commission autant d'autorité morale que Marjolin [auquel il allait succéder]. ». Jean-Marcel Jeanneney le connaissait bien car Raymond Barre avait travaillé dans son cabinet lorsqu'il était Ministre de l'Industrie entre 1959 et 1962, en tant que son chef de cabinet et ils ont été amené à mettre en application le Traité de Rome dans les secteurs industriels.

    Raymond Barre, lui, aurait voulu être nommé en 1967 Commissaire général au Plan, mais De Gaulle préférait bénéficier de son expertise à Bruxelles, ce qui montrait que De Gaulle ne négligeait pas du tout les instances européennes. Raymond Barre avait démarré sa carrière d'universitaire à Tunis (en tant que professeur agrégé de droit et de sciences économiques), où il a rencontré sa future épouse, et aussi un de ses étudiants, Jean-Claude Paye qui a dit plus tard : « Ce qui nous frappait le plus : son aptitude à établir des liens entre l'économie, la politique et l'histoire. ». Observateur et transmetteur, il est devenu rapidement acteur comme Vice-Président de la Commission Européenne chargé de l'Économie et des Finances du 7 juillet 1967 au 5 janvier 1973. Il a en particulier conçu la future Union économique et monétaire qui allait conduire au Serpent monétaire européen (SME), lui-même débouchant sur la future monnaie unique de l'Europe, l'euro (le SME consistait à encadrer le cours des monnaies européennes entre une cote maximale et une cote minimale, si bien que cela stabilisait les monnaies européennes et réduisait les risques de spéculations).

    Plus gaulliste que son prédécesseur Roberd Marjolin (porté par un certain supranationalisme) à la Commission, Raymond Barre a tout de suite suscité, malgré la méfiance initiale, la sympathie de ses partenaires européens pour son réalisme, son pragmatisme, son professionnalisme et sa convivialité (il était un bon vivant, comme sa silhouette pouvait en témoigner), ce qui a agrandi sa crédibilité internationale. Et aussi sa crédibilité auprès de De Gaulle qu'il a convaincu de ne pas dévaluer le franc en décembre 1968 malgré des spéculations consécutives à mai 68. Pour autant, le franc a été de nouveau attaqué en raison de l'incertitude créée par le référendum d'avril 1969 dont l'échec était prévisible, si bien qu'arrivé à l'Élysée, Georges Pompidou a pris la décision finalement de dévaluer le franc en août 1969. Pour Raymond Barre, c'était le point de départ d'une longue période d'inflation (toutes les années 1970 et première moitié des années 1980).

    Valéry Giscard d'Estaing l'a bien compris et l'a choisi pour diriger ensuite la France : Président, il l'a nommé Ministre du Commerce extérieur du gouvernement de Jacques Chirac le 12 janvier 1976, puis, alors qu'il était encore inconnu du grand public, Premier Ministre le 25 août 1976 (cumulant le Ministère de l'Économie et des Finances jusqu'au 31 mars 1978), et il est resté à Matignon jusqu'au 21 mai 1981, à la fin du septennat, malgré des périodes de surmenage (comme en octobre 1979). L'économiste s'est plu à faire de la politique (et c'était difficile avec, dans sa majorité, les empêcheurs de gouverner en rond qu'étaient les députés RPR),

    C'est la raison pour laquelle j'ai évoqué la synthèse Europe et France. Europe, car l'Européen convaincu a construit l'union économique et monétaire, seule la puissance européenne pourrait rivaliser économiquement avec les autres grands ensembles régionaux, mais aussi France, car il était un gardien pointilleux des institutions de la Cinquième République, et c'est d'ailleurs étonnant qu'il le fût plus que des gaullistes qui s'autoproclamaient du Général De Gaulle. Ainsi, il a soutenu le septennat et a toujours rejeté le quinquennat, il a aussi rejeté le principe de la cohabitation, considérant qu'un Président de la République qui n'avait plus de majorité à l'Assemblée Nationale, avait perdu la confiance du peuple et qu'il fallait relégitimer cette confiance d'une manière ou d'une autre. Le 7 octobre 1984, il affirmait : « Il y a là [avec l'idée de cohabitation] une trahison du principe fondamental de la Cinquième République et derrière cela, se profile le retour à un Président qui inaugure les chrysanthèmes avec un Premier Ministre et un gouvernement entre les mains des rivalités des partis. ».

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    Raymond Barre était contre le régime des partis, et d'ailleurs, il était contre le principe des partis, refusant de se faire enrégimenter par un appareil de parti, beaucoup trop électron libre pour suivre des consignes partisanes (ou en donner, d'ailleurs). Mais cet état d'esprit fut aussi sa perte car au moment de se présenter à l'élection présidentielle, il lui manquait une machine de guerre électorale efficace face au RPR (Jacques Chirac) et au PS (François Mitterrand). Lui ne pouvait se reposer que sur ses propres réseaux politiques (REEL, dirigés par Charles Millon) et sur l'UDF, une confédération de partis d'élus et pas de militants, eux-mêmes composés de nombreux électrons libres, souvent jaloux de leur indépendance politique et qui, souvent, monnayaient leur soutien au candidat le plus offrant.

    J'appréciais en effet beaucoup son indépendance d'esprit, sa capacité de réfléchir par lui-même, indépendamment des modes et des sondages, quitte à soutenir des dispositions impopulaires le cas échéant (il proclamait à Matignon : « Je préfère être impopulaire qu'irresponsable ! »). J'appréciais également son ton professoral (très peu électoraliste !), qui lui donnait une réelle autorité. J'étais d'ailleurs très étonné par sa grande popularité après 1981, qu'on pouvait sans doute expliquer par le besoin d'avoir un peu de sérieux dans l'économie alors que le gouvernement socialo-communiste faisait dans la surenchère des dépenses publiques (qu'on paie encore aujourd'hui, quarante-trois ans plus tard). Cela n'a pas suffi à le faire élire à l'Élysée en 1988 parce qu'il avait été un candidat assez médiocre, incapable de faire rêver, une campagne très peu dynamique (mal-menée d'abord par Philippe Mestre), il aurait dû être présent partout, réagir à tout, initier trente-six mille débats sur des sujets importants ou anecdotiques. Bref, dans la compétence de candidat, Jacques Chirac et François Mitterrand était nettement meilleurs que lui.

    Au lieu de se retirer de la vie politique après son échec de 1988, Raymond Barre s'est finalement prêté au jeu politique classique. Député de Lyon depuis 1978 (André Santini, député UDF, s'amusait à témoigner : « Barre, c'est mon compagnon de chambre : il dort à côté de moi à l'Assemblée ! »), il a été élu maire de Lyon de juin 1995 à mars 2001, et à ce jour, les Lyonnais le considèrent comme le meilleur maire qu'ils ont eu. Il faut dire qu'il a poursuivi avec succès le projet de Michel Noir d'ouvrir la ville traditionnellement très repliée sur elle-même pour la faire rayonner internationalement, ce que savait faire Raymond Barre par sa grande expérience du pouvoir. Une ville lumière !

    Parmi les défauts de Raymond Barre, on pourrait bien sûr affirmer qu'il manquait un peu d'anticipation sur la réalité des dangers politiques de l'avenir. Il restait très anticommuniste, et il était très prudent sur la politique d'ouverture de l'URSS de Mikhaïl Gorbatchev, ne tombant pas dans la gorbamania comme la plupart des dirigeants ouest-européens. En revanche, il n'avait pas vu venir, malgré le développement de l'audience électorale de Jean-Marie Le Pen, la menace durable et inquiétante d'une extrême droite populiste non seulement en France, mais aussi en Europe voire dans le monde entier (en particulier sur le continent américain). Sans doute était-ce sa génération qui voulait cela, puisqu'il est né quand l'Union Soviétique avait un an. Toutefois, son humanisme l'encourageait à prôner des idées que rejette l'extrême droite, en particulier sur le respect des immigrés. En 1988, Raymond Barre disait ainsi : « La France a été dans le passé et sera dans l'avenir une société composée de communautés de provenances diverses et de cultures variées. La France, comme les États-Unis, est un creuset. Aucun autre pays, à l'exception de la Yougoslavie, n'a une composition ethnique si hétérogène. (…) L'unité française s'est construite sur, et contre, une extraordinaire diversité ethnique et culturelle. ».

    J'expliquais que l'UDF l'avait soutenu à l'élection présidentielle de 1988 et pas le RPR. Il était gaulliste et démocrate chrétien, un courant qui a existé avec le MRP, des résistants gaullistes et centristes (comme Edmond Michelet, Maurice Schumann), mais Raymond Barre n'était pas un ancien résistant. Les gaullistes étaient totalement polarisés par Jacques Chirac et le RPR, et seul le courant centriste a soutenu Raymond Barre, le CDS (Centre des démocrates sociaux) d'ailleurs nettement plus sincèrement que le Parti républicain (ex-RI, parti de VGE), ce qui a justifié mon engagement au CDS à l'époque.

    Malheureusement, il n'existe plus de Raymond Barre dans la classe politique d'aujourd'hui. Les centristes, dont le courant est aujourd'hui représenté par Emmanuel Macron, même si c'est très différent historiquement, car les centristes, c'est l'Europe et la décentralisation (la subsidiarité), or, le macronisme est certes européen mais plutôt jacobin, les centristes restent avec ce péché originel de vouloir revenir à la Quatrième République (avec le MoDem, le Parti radical, l'UDI, etc.). Ce n'est pas exactement cela, mais leur propension à soutenir par exemple le scrutin proportionnel en est un symptôme. Au contraire, Raymond Barre défendait les institutions gaulliennes avec le scrutin majoritaire qui permettent d'avoir un gouvernement fort, efficace et démocratique, avec une majorité solide (pas toujours !), alors que les centristes aiment rarement la figure de l'homme providentiel (ou de la femme providentielle).

    À ma connaissance, seulement quatre grandes biographies ont été publiées sur Raymond Barre : "Un certain Raymond Barre" de Pierre Pélissier (éd. Hachette, 1977), "Monsieur Barre" d'Henri Amouroux (éd. Robert Laffont, 1986), "Raymond Barre" de Christiane Rimbaud (éd. Perrin, 2015) et "Raymond Barre aujourd'hui" de Jacques Bille (éd. Temporis, 2020). Nul doute qu'on le découvrira plus tard, après une traversée du désert...


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (07 avril 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Mon Raymond Barre à moi !
    Un véritable homme d’État (25 août 2017).
    Disparition de Raymond Barre (25 août 2007).
    Raymond Barre absent de l’élection présidentielle (12 avril 2007).
    La dernière interview de Raymond Barre le 1er mars 2007 sur France Culture (texte intégral).
    Triste vieillesse (8 mars 2007).

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    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240412-raymond-barre.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/mon-raymond-barre-a-moi-253864

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/12/article-sr-20240412-raymond-barre.html