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  • Bernard Kouchner, un tiers-mondiste, deux tiers mondain

    « Je suis communiste et Rastignac. Paradoxe ? Détrompez-vous ; le mélange n'est pas détonnant. Il est même étonnamment efficace. Vous riez ? Je vous attends... » (Bernard Kouchner, en 1963).


     

     
     


    Le médiatique médecin Bernard Kouchner fête son 85e anniversaire ce vendredi 1er novembre 2024. Plus médiatique que médecin (gastro-entérologue). Il est aussi une personnalité politique qui a toujours ses entrées dans les médias et qui continue à exprimer ses positions politiques. L'une d'entre elles était le soutien aux États-Unis pour leur intervention militaire en Irak en 2003, une initiative inutile et surtout particulièrement meurtrière (entre 100 000 et 1 million de morts) à laquelle la France, heureusement, s'était vivement opposée.

    Mais comment le qualifier ? Il est un médecin d'abord, et il a fait partie des cofondateurs de Médecins sans frontières (MSF) en décembre 1971 et lorsque sa présence n'y était plus souhaitable en 1979, il a cocréé Médecins du monde en mars 1980. Le désaccord entre MSF et Bernard Kouchner portait sur sa volonté de faire une opération Un bateau pour le Vietnam, l'idée était d'envoyer des médecins et des journalistes pour alerter sur les droits de l'homme au Vietnam. Déjà, l'écho médiatique prenait le pas sur les soins.

    Parmi les présidents de MSF, on peut citer Bernard Kouchner de 1976 à 1977,
    Claude Malhuret de 1978 à 1980, Xavier Emmanuelli en 1982 et Rony Brauman de 1982 à 1994 (les trois premiers ont été par la suite ministres). On pourrait dire que Bernard Kouchner était un agitateur politique, un médecin et un agitateur politique. Déjà étudiant, il militait au sein de l'UEC, le syndicat étudiant communiste (il y a écrit dans un périodique qui lui a fait rencontrer des auteurs comme Claude Roy, Jacques Monod et Louis Aragon), puis a été par la suite alternativement socialiste ou radical de gauche selon l'opportunité du moment. Car agitateur, oui, mais avant tout opportuniste.

    Il faut aussi regarder sa famille, et sa jeunesse, pour tenter de mieux le cerner. Du côté paternel, une origine lettone juive ; du côté maternel, une origine protestante. Les grand-parents paternels de Bernard Kouchner sont morts assassinés dans le
    camp d'Auschwitz après avoir été arrêtés et déportés (convoi n°76 du 30 juin 1944). Quand on a 5 ans, ça marque, évidemment.

    Dans le cadre de ses activités militantes communistes, Bernard Kouchner est parti visiter Cuba en 1964 (il avait alors 24 ans). Il y a rencontré sa future femme Évelyne Pisier (la grande sœur de Marie-France Pisier) qui était alors en cours d'une relation avec...
    Fidel Castro lui-même ! Bernard Kouchner et Évelyne Pisier se sont mariés en 1970 et ont divorcé en 1984, après avoir fait trois enfants. Évelyne Pisier, qui n'en pouvait plus des missions humanitaires lointaines et dangereuses de son mari, a refait sa vie avec le politologue Olivier Duhamel alors que Bernard Kouchner l'a refaite avec la journaliste Christine Ockrent. Ces derniers étaient encore jeunes, très ambitieux, et prêts à beaucoup de sacrifices.

    On peut être foudroyé par la différence de personnalité entre
    Hubert Curien et Bernard Kouchner (mais pourquoi donc ai-je la sottise de faire une telle comparaison ?!) : le premier voulait agir, construire, bâtir, et il se moquait bien du service après-vente médiatique, tant que ça agissait, construisait et bâtissait. Bernard Kouchner, c'est le contraire, à l'école de BHL. Hubert Curien laissait volontiers la paternité de projets réussis à d'autres alors qu'il en était le vrai père, tandis que d'autres préfèrent au contraire s'attribuer les mérites de leur inaction et de l'action des autres. Refaire l'histoire.

    Soyons honnêtes : agiter les médias a des avantages pour sensibiliser les gens, au risque de les émouvoir, et surtout, influencer les décideurs politiques. Cela a donc son utilité mais un peu comme celle de l'ARC de Jacques Crozemarie : une bonne cause, une mauvaise conséquence.

    Bernard Kouchner a fait un grand nombre de voyages plus ou moins utiles, entre voyages humanitaires et voyages politiques, il a même défendu le principe du devoir d'ingérence, un principe qui pourrait être déconstructeur du droit international et qu'il faut manier avec précaution. Intervenir militairement conduit toujours à des drames.

    Et tout pour sa bobine : il a souvent été ministre, ou sous-ministre, et pas le moins voyant des gouvernements qu'il a honorés de sa présence, ceux de
    Michel Rocard, Édith Cresson, Pierre Bérégovoy, Lionel Jospin ! C'était une sorte de carte inoxydable de la gauche au pouvoir, celle de François Mitterrand et celle de Lionel Jospin. Bernard Kouchner a été nommé Secrétaire d'État chargé de l'Insertion sociale du 13 mai 1988 au 28 juin 1988, puis chargé de l'Action humanitaire du 28 juin 1988 au 4 avril 1992, Ministre de la Santé et de l'Action humanitaire du 4 avril 1992 au 30 mars 1993, Secrétaire d'État chargé de la Santé du 4 juin 1997 au 28 juillet 1999, puis Ministre de la Santé du 6 février 2001 au 7 mai 2002.

    Enfin, le bâton de maréchal, la meilleure pioche de l'ouverture selon le nouveau Président
    Nicolas Sarkozy : Bernard Kouchner est devenu Ministre des Affaires étrangères et de l'Europe du 18 mai 2007 au 13 novembre 2010, dans les deux premiers gouvernements de François Fillon ! Une surprise qui a fait dire à Patrick Devedjian que ce serait bien d'élargir l'ouverture sarkozyenne... aux sarkozystes ! Il était en concurrence avec Hubert Védrine. Sa nomination au Quai d'Orsay l'a définitivement banni des cercles socialistes. Et pourtant, à part sa communication, il ne maîtrisait rien, c'était l'Élysée qui tirait toutes les ficelles. Par orgueil, il n'a jamais claqué la porte.

     
     


    Il comptait convaincre ses anciens amis de gauche dans un tribune publiée le 20 mai 2007 dans "Le Monde" : « En près de quarante ans d'action humanitaire et de batailles politiques pour les Droits de l'Homme, nous avons fait bouger le monde dans les domaines de la diplomatie, de la santé ou de la protection des minorités. (…) La politique extérieure de notre pays n'est ni de droite ni de gauche. Elle défend les intérêts de la France dans un monde qui se réinvente chaque jour. Elle doit être déterminée et novatrice. (…) Je sais que certains de mes amis me reprochent ce nouvel engagement. À ceux-là, je réclame crédit : mes idées et ma volonté restent les mêmes. S'ils me prennent un jour en flagrant délit de renoncement, je leur demande de me réveiller. Je garantis que ce temps n'est pas venu. N'ayons pas peur de l'avenir ; regardons au-delà des cloisons partisanes. ». À ma connaissance, personne n'a tenté de réveiller le ministre parce que personne ne s'y intéressait.

    Nicolas Sarkozy était heureux de ce débauchage, et pourtant, il n'y avait aucun mérite, le ministre était arriviste et opportuniste, c'était facile de le débaucher. C'est comme si
    Michel Barnier avait demandé à Ségolène Royal ou à Manuel Valls de faire partie de son gouvernement il y a quelques semaines, il aurait été sûr de leur réponse positive. Mais dans quel but ? Ils ne représentent politiquement plus rien. C'était le cas aussi de Bernard Kouchner qui n'a jamais été élu sur son nom ; à de nombreux moments, aux élections législatives voire municipales, on évoquait son parachutage, dans le Nord, en Lorraine, dans le Dauphiné, dans les Bouches-du-Rhône, un peu partout en France pour conquérir une circonscription ou une mairie (mais ce fut chaque fois soit un acte manqué soit un échec cinglant). Le seul mandat qu'il a eu, c'est quand il est devenu socialiste pour être sur la liste du PS aux élections européennes de 1994, ainsi bombardé au Parlement Européen de juin 1994 à juin 1997, date de sa renomination au gouvernement. En tout, il a été plus de onze ans au gouvernement, et faites le compte, peu de personnalités politiques chevronnées peuvent s'enorgueillir d'une telle longévité ministérielle !

    Il faut se rappeler l'année 2007 : Bernard Kouchner, après avoir espéré devenir le candidat de la gauche, puis soutenu Ségolène Royal, a appelé à faire une alliance avec
    François Bayrou dans le "Journal du dimanche" du 15 avril 2007, peu avant le premier tour de l'élection présidentielle, et après l'élection présidentielle, il se retrouvait ministre important... du troisième larron, le rival et vainqueur des deux premiers ! C'est même plus que cela puisque, dans la foulée, a été nommé aussi au gouvernement son ancien directeur de cabinet de l'époque où il était Ministre de la Santé, Emmanuel Hirsch, Haut commissaire aux Solidarités actives et à la Jeunesse jusqu'au 22 mars 2010.

    Le ministre multirécidiviste a eu aussi beaucoup de responsabilités internationales, celle de Représentant spécial du Secrétaire Général de l'ONU au Kosovo de juillet 1999 à janvier 2001 (entre deux missions gouvernementales), celle de Représentant de l'Union Européenne sur le Sri Lanka en août 2005, etc. On parlait aussi de lui pour remplacer le Haut représentant de l'ONU pour la reconstruction de Haïti en janvier 2011. Il s'ennuyait et a flanché en créant son propre cabinet de conseil, apparemment très juteux selon certaines investigations journalistiques.

    Bernard Kouchner est un touche-à-tout : il est capable d'inspirer des séries télévisées comme "Médecins de nuit" (diffusée en 1978 sur Antenne 2), de publier des dizaines de livres plus ou moins fouillés, d'intervenir partout dans le monde sur de nombreuses causes plus ou moins bien comprises. On lui a reproché de s'être fait beaucoup d'argent avec des activités de conseil auprès de chefs d'État africains, ou de grands groupes, etc. Il a soutenu
    Roman Polanski lorsqu'il était décrié, il a probablement été accusé de mille et unes choses car il énerve autant qu'il laisse croire qu'il agit... Si on regarde d'un œil discret sa notice sur Wikipédia, on s'étonne de tant d'affaires, tant de choses dans lesquelles il s'est impliqué, et chaque initiative pourrait faire l'objet d'un chapitre détaillé.

    Capable même de lucidité tout en se mettant lui-même en scène, comme en 1987 lorsqu'il racontait ses voyages humanitaires (entre autres pour les
    enfants du Biafra) : « Bien des fois, au Kurdistan, au Liban, j'ai éprouvé cet étrange sentiment qui pousse à aller jusqu'au bout de l'aventure, à courir les plus grands risques, à goûter le délicieux frisson du danger, à frôler le grand saut. Des années après, j'ai saisi que l'aide humanitaire, j'en faisais d'abord pour moi-même... ».
     

     
     


    Il devrait savoir qu'affichage médiatique et prospérité pourraient faire mauvais ménage car cela suscite de la jalousie. Cet affichage médiatique était pourtant indispensable pour cultiver une belle cote de popularité dans les sondages, ce qui aguichait les dirigeants politiques de gauche et, aussi, de droite. Mais il y a beaucoup de choses étranges dans sa carrière, ou gênante, entre autres la nomination de Christine Ockrent, dont la compétence journalistique n'a jamais été remise en cause, comme directrice générale de RFI alors que son compagnon était Ministre des Affaires étrangères, le ministère de tutelle de la station de radio. On a connu des couples moins imbriqués.

    Je me restreindrai à trois faits, un positif et deux très négatifs pour lui.

    Parlons d'abord du positif qui montre que malgré l'agitation égotique, il y a aussi des convictions. À la Santé sous Lionel Jospin, il a fait adopter une loi importante, la loi n°2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. C'est à mon sens ce qu'il a fait de mieux de sa carrière politique. Cette loi introduit le concept juridique de droit des malades avec notamment le droit des malades à accéder à leur dossier médical. Elle impose que l'acte médical ou le traitement soient faits avec un consentement libre et éclairé du patient, ce qui signifie la fin de l'acharnement thérapeutique. Elle oblige aussi les médecins à déclarer tous les liens d'intérêt avec des groupes pharmaceutiques ou autre. C'est dans la lancée de cette loi qu'ont été par la suite adoptées la
    loi Leonetti (loi n°2005-370 du 22 avril 2005) et la loi Claeys-Leonetti (loi n°2016-87 du 2 février 2016) sur la fin de vie. Auparavant, Bernard Kouchner avait fait adopter une première loi, la loi n°99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit d'accès aux soins palliatifs qui était aussi une forte avancée dans l'accompagnement de la fin de vie (même si l'essentiel est d'abord d'ordre budgétaire afin de permettre à tous les patients qui en ont besoin d'en bénéficier).

    Passons maintenant à deux sujets qui ont de quoi écœurer. Deux dates.

     

     
     


    J'aurais pu donner comme titre ici : Le docteur sac de riz ! En effet, la première date est le 5 décembre 1992, sur une plage, à côté du port de Mogadiscio, la capitale de la Somalie. Bernard Kouchner s'est fait photographier en train de porter des sacs de riz pour les enfants affamés de Somalie, victimes de la guerre civile (qui faisait rage depuis la chute du dictateur communiste Mohamed Siad Barre au pouvoir du 21 octobre 1969 au 26 janvier 1991). Ce qui était gênant, c'est que le gentil ministre médecin a refait plusieurs fois le trajet avec le même sac de riz, pour faire la meilleure prise devant les caméras. Il se moquait des enfants et c'était sa trombine qui importait. Il aurait beau dire qu'il faut de la promotion médiatique pour émouvoir le chaland, l'opération était là beaucoup trop visible pour être sincère.

    À l'origine, il avait fait une campagne de publicité assez formidable avec son collègue de l'Éducation nationale,
    Jack Lang, pour proposer aux écoliers d'apporter chacun un paquet de riz (un kilogramme) à sa classe le 20 octobre 1992. Formidable car très efficace. En tout, 9 300 tonnes de riz ont été collectées, et acheminées gratuitement par La Poste et la SNCF au port de Marseille où deux gros cargos les attendaient. Où est passé le riz ? Dans les pellicules photos ? Ce qui est sûr, c'est qu'apporter du riz n'apporte pas grand-chose aux enfants (surtout quand c'est du riz très hétérogène avec des durées de cuisson différentes) car c'est leur enlever la cause de la famine qui est le plus nécessaire. Cela n'empêche qu'aider à nourrir des populations affamées a pu les aider à très court terme. Mais c'est aussi l'idée d'avoir bonne conscience à bon compte qui est assez gênante et malsaine. Mais c'est la mécanique de tous les dons caritatifs, de ceux qui n'ont fait que signer un chèque, sans s'investir eux-mêmes sur le terrain. La motivation de Bernard Kouchner était peut-être sincère, sans doute sincère. Mais ce qu'il en a fait était franchement limite. Les humoristes ont rapidement utilisé cette image à fin comique. Les Inconnus, par exemple, au détour d'un sketch (à 3:53 dans la vidéo) et aussi Les Guignols de l'Info.





    Bernard Kouchner avait senti la gravité de la situation avec les effets cumulés de la guerre civile, de la sécheresse, de la destruction de grandes infrastructures rendant impossibles les secours, etc. Il voulait l'intervention militaire de la France dans le cadre de l'ONU pour répondre aux urgences humanitaires, mais son collègue de la Défense
    Pierre Joxe ne voulait absolument pas engager la France dans ce conflit. Finalement, après l'échec de cette opération sac de riz, l'armée américaine est intervenue, sous l'égide de l'ONU : 1 800 marines US ont débarqué sur les côtes somaliennes le 10 décembre 1992 sous les yeux de nombreux journalistes venus par anticipation, car prévenus. C'est la première application du droit d'ingérence humanitaire que prônait Bernard Kouchner. Au début de 1993, cette opération appelée Restore Hope a fait participer 28 870 soldats de l'ONU dont 20 515 soldats américains et 2 454 soldats français. Les casques bleus sont repartis complètement le 2 mars 1995 (les soldats américains ont quitté la Somalie le mars 1994). Sans avoir vraiment stabilisé politiquement la région.
     

     
     


    L'autre date est encore plus grave, car cela a impacté sur la vie de ses enfants. C'est le 7 janvier 2021 qu'est sorti le livre de Camille Kouchner, "La Familia grande". Ce fut un coup de tonnerre. Camille est née en 1975, elle est jumelle avec Antoine, et ce sont les deux derniers des trois enfants que Bernard a eus avec Évelyne qui s'en est totalement occupée. Camille a attendu la mort de leur mère, le 9 février 2017 (des suites d'un cancer) pour rendre public ce qui l'a traumatisé pendant trente ans : lors des étés festoyant dans la propriété familiale du Var, où le tout Paris socialiste et bobo se montrait, Camille a été témoin du viol par inceste de son frère avec le beau-père Olivier Duhamel (qui n'a jamais démenti les faits). Ce dernier imposait à la fratrie le silence par le chantage affectif : leur mère aurait des tendances suicidaires (dont les parents venaient de se suicider) et il fallait la ménager.

    Je ne veux ici pas trop insister sur cette histoire glauque (je pourrai éventuellement revenir sur le livre de Camille très bien écrit), sinon pour faire un parallèle. Bien entendu, enfin, sauf autres révélations, Bernard Kouchner n'a commis rien de grave et ce qu'on pourrait lui reprocher, du moins, pas le "on" mais ses enfants, c'est de ne pas s'en être occupé, de les avoir laissés dans leur adolescence seuls avec leur mère et surtout, le beau-père, le prédateur, et cela surtout pour des considérations de carriérisme. Mais ce qu'on pourrait lui reprocher, justement, de ne rien avoir vu, de ne pas avoir su écouter les traumatismes, les drames qui se nouaient, c'est en fin de compte un peu ce qu'on a reproché à certains évêques français qui ont passé sous silence les agressions sexuelles voire les viols commis par certains prêtres de leur diocèse. Cette passivité, cette indifférence, cette inaction, ce silence sont, en eux-mêmes, une source de scandale. Bernard Kouchner n'était pas le seul au courant, tout le petit monde autour d'eux, au fil du temps, l'a été, et rien n'a filtré. Mais quand même, lui, c'était le père de la victime, pas une simple connaissance vaguement concernée ! Qu'est-ce que vous, lecteurs, vous feriez si votre enfant de 13 ans était violé par le nouveau mari de votre ancienne femme ?

    Maintenant, à 85 ans, le French doctor reste toujours présent dans les médias, , même si ses idées sont parfois un peu confuses. Exemple sur Radio J le 20 octobre 2024 ; il s'est aussi exprimé plus récemment sur d'autres chaînes de télévision. Il ne peut pas s'en empêcher. Alors que son petit intérêt serait aujourd'hui de se faire plus discret, de se faire oublier. Ce carriérisme, pourquoi faire, on aurait tendance à dire ? Ou plutôt, tant d'énergie dissipée pour si peu ? Si peu de résultats. Durant la semaine du 5 novembre 2018, Bernard Kouchner était l'invité de l'émission "À voix nue" produite par Annelise Signoret et Martin Quenehen sur France Culture. L'émission commence ainsi : « "Tout bien considéré, il y a deux sortes d’hommes dans le monde : ceux qui restent chez eux et les autres", écrivait Kipling. Et Bernard Kouchner a (tôt) choisi à quelle catégorie il appartenait, pour devenir aventurier de l'humanitaire, du droit d'ingérence et de la politique… ». Il a toujours choisi d'être en dehors. Tant pis pour les enfants...


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (26 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Christine Ockrent.
    Bernard Kouchner.
    Quai d'Orsay.
    Jean-Yves Le Drian.
    Jean-Marc Ayrault.
    Laurent Fabius.
    Alain Juppé.
    Michèle Alliot-Marie.
    Philippe Douste-Blazy.
    Michel Barnier.
    Dominique de Villepin.
    Hubert Védrine.
    Roland Dumas.
    Claude Cheysson.
    Jean François-Poncet.
    Michel Jobert.
    Maurice Schumann.
    Michel Debré.
    Maurice Couve de Murville.
    René Pleven.
    Antoine Pinay.
    Edgar Faure.
    Pierre Mendès France.
    Georges Bidault.
    Robert Schuman.
    Léon Blum.
    Édouard Daladier.
    Joseph Paul-Boncour.
    Pierre Laval.
    Édouard Herriot.
    André Tardieu.
    Aristide Briand.
    Raymond Poincaré.
    Alexandre Millerand.
    Jules Ferry.
    Léon Gambetta.
    François Guizot.
    Adolphe Thiers.
     

     
     










    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241101-bernard-kouchner.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/bernard-kouchner-un-tiers-mondiste-256543

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/26/article-sr-20241101-bernard-kouchner.html



     

  • Hubert Curien, le père de l'Europe de la Science

    « Michel Barnier [alors Ministre des Affaires étrangères] aurait souhaité se trouver parmi nous aujourd’hui, il m’a chargée de vous transmettre à vous, Madame, et à ceux ici rassemblés, les marques de son plus profond respect pour la personnalité et l’œuvre du Professeur Curien. » (Claudie Haigneré à Anne Perrine Dumézil-Curien, le 14 mars 2005 à Paris).


     

     
     


    Le père de l'Europe spatiale, c'est ainsi qu'on le qualifie en général et avec raison. Mais ce serait encore plus complet de l'appeler le père de l'Europe de la Science. En somme, un Père de l'Europe ! Le physicien Hubert Curien est né il y a 100 ans, le 30 octobre 1924 dans la commune vosgienne de Cornimont. Hubert Curien était ce que j'appellerais un grand administrateur de la recherche française et européenne, tout en étant un mandarin de l'université, et la gauche au pouvoir en a fait aussi un homme politique. C'est donc une trajectoire hors du commun qu'a suivie Hubert Curien. Avec ses sourcils très broussailleux et très pompidoliens, sa voix très grave mais bienveillante, Hubert Curien était ce qu'on aurait pu aussi appeler un capitaine de recherche, comme on parle de capitaine d'industrie. Un grand commis de la recherche.

    Mais avant d'avoir été un scientifique, Hubert Curien a été un résistant. À l'âge de 19 ans, quittant ses études parisiennes, il a rejoint le maquis de la Piquante Pierre, dans les Vosges, près de La Bresse et pas loin de sa ville natale. En 1945, il a intégré l'École normale supérieur et en est ressorti agrégé de physique. Il a également soutenu une thèse de doctorat en physique spécialisée en cristallographie (l'étude de la structure de la matière). À 28 ans, sa thèse d'État portait sur « l'étude des ondes élastiques et de la diffusion thermique des rayons X dans un réseau cubique centré : application au fer alpha ». Ses travaux de recherche ont commencé au sein du laboratoire de minéralogie de Jean Wiart, il a étudié l'effet Compton, les défauts des cristaux par irradiation, etc. Il a étudié et déterminé des structures de minéraux complexes, a découvert une nouvelle forme cristallographique du gallium, a étudié aussi des matériaux biologiques, etc. et même la curiénite, un minérau baptisé de son nom (pas par lui !) qu'il avait découvert au Gabon.

    À la fin des années 1940, il a épousé Anne Perrine, astrophysicienne et fille du grand linguiste et académicien Georges Dumézil chez qui il se rendait souvent à Vernon pour suivre le programme spatial dans les années 1970. Anne Perrin Dumézil-Curien est morte cette année 2024, à l'âge de 98 ans. Ils ont eu trois enfants, Nicolas Curien, polytechnicien et docteur en mathématiques appliquées, membre de l'Académie de la Technologie, professeur au CNAM (Centre national des arts et métiers), ancien membre du CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel) de 2015 à 2021 (il a présidé le CSA par intérim quelques semaines au printemps 2018), Christophe Curien, artiste peintre, et Pierre-Louis Curien, mathématicien, directeur de recherches au CNRS et spécialisé en informatique théorique. Hubert Curien était en outre le petit frère de l'ambassadeur Gilles Curien, membre voire directeur de plusieurs cabinets ministériels dans les années 1960.

    Maître de conférences de minéralogie-cristallographie à la faculté des sciences de Paris en 1953, à 28 ans, puis professeur des universités à la future Université Pierre-et-Marie-Curie Paris-6 en 1958 à 33 ans (ce qui est très jeune), il a enseigné aussi à l'École normale supérieure, Hubert Curien a intégré également le CNRS (Centre national de la recherche scientifique) en 1966 à un haut niveau puisqu'il a été bombardé (jeune) premier directeur scientifique du département science physique et mathématiques (le titre était directeur scientifique pour la physique au CNRS).

    À partir de ce moment-là, Hubert Curien a travaillé moins sur les paillasses et plus derrière un bureau classique de manager avec des responsabilités administratives et organisationnelles très larges et nombreuses. Ainsi, il est devenu directeur général du CNRS de 1969 à 1973, puis Délégué général à la recherche scientifique et technique de 1973 à 1976.

    Le CNES (Centre national d'études spatiales) était alors en pleine crise existentielle. Hubert Curien a été alors nommé président du CNES de 1976 à 1984 pour redresser cet organisme de recherche, redonner de la motivation aux chercheurs et préparer le premier vol de la fusée Ariane le 24 décembre 1979, nommé en outre président du conseil d'administration du Palais de la Découverte de 1977 à 1984. Il est nommé dans sa lancée premier président de l'Agence spatiale européenne (ESA) de 1979 à 1984, et aussi premier président de l'Association des musées et centres de culture scientifique et industrielle en 1982. Il fut également le président du CERN de 1994 à 1996, président de l'Académie des sciences de 2001 à 2003 (membre élu le 8 novembre 1993 dans la section de sciences de l'univers), directeur de l'École supérieure Chimie Physique Électronique de Lyon (CPE Lyon) de 1993 à 2005, et président de la Fondation de France de 1998 à 2000.

    C'est son action au sein du CNES qui a été probablement la plus importante pour la recherche française (et européenne) en lançant le programme Ariane, en créant Arianespace, la société de commercialisation d'Ariane, en lançant aussi la mission de Jean-Loup Chrétien, premier spationaute français, en lançant le programme SPOT (satellites de télédétection français civils d'observation de la Terre), ainsi qu'en lançant les participation françaises aux projets de l'ESA qu'il a créée et présidée. C'est la raison pour laquelle on l'a souvent qualifié de père de l'Europe spatiale qui n'a plus grand-chose à voir avec sa spécialité d'origine, la cristallographie. Il était en quelque sorte un grand ordonnateur de la recherche française et européenne, tant dans le domaine physique (au CNRS) que spatial (au CNES, à l'ESA, etc.).
     

     
     


    En été 1984, la venue de Laurent Fabius à Matignon a précipité la carrière d'Hubert Curien appelé à siéger au gouvernement : il fut nommé Ministre de la Recherche et de la Technologie du 19 juillet 1984 au 20 mars 1986, puis, après la réélection de François Mitterrand, renommé au même ministère du 12 mai 1988 au 29 mars 1993 dans les gouvernements de Michel Rocard, Édith Cresson et Pierre Bérégovoy. Loin de prendre cela comme un honneur, ce fut pour lui une aubaine pour faire avancer de nombreuses idées et intuitions.

    À ce poste, sa principale action a été de mettre la science à disposition du peuple, la rendre accessible à l'ensemble des gens, ce qui est difficile car la science étudie souvent des choses complexes. Son idée de génie a été d'organiser en mai 1991 une journée portes ouvertes de son ministère à l'occasion du dixième anniversaire de sa création, ce qui est devenu très rapidement la Fête de la Science dès l'année suivante, en juin 1992 et qui, chaque année, fait rencontrer les chercheurs avec les citoyens, chaque chercheur ouvrant son laboratoire et montrant son travail aux gens, en leur donnant les enjeux, les objectifs, les applications.

    Cette manifestation scientifique et culturelle, qui a le rôle de propagateur de la science, a lieu désormais en octobre de chaque année et est très suivie des chercheurs, ravis d'exposer leurs travaux aux profanes (d'autant plus qu'en France, les sciences dures jouissent d'un très faible intérêt médiatique, à part quelques excellents documentaires sur Arte ; il y a beaucoup trop peu d'attrait des journalistes pour les sciences, disciplines jugées trop compliquées et pas assez sexy). C'est bien pour les citoyens qui peuvent comprendre un peu mieux l'époque technologique dans laquelle nous vivons, et ses perspectives, mais aussi pour les chercheurs eux-mêmes qui doivent synthétiser, vulgariser, résumer leurs travaux dans un travail pédagogique très utile également pour la science (dans la mise en forme des connaissances).

    D'un côté, il y a des scientifiques, beaucoup trop rares, qui font de la vulgarisation scientifique et qui ont acquis un peu de notoriété médiatique (Hubert Reeves, par exemple), et de l'autre côté, il y a des structures, c'était le rôle d'Hubert Curien, qui a joué surtout sur les structures, qui a été un grand organisateur de la recherche scientifique et de son accessibilité aux profanes.

    La conclusion d'une étude sur le personnel dirigeant du CNRS entre 1937 et 1966 réalisée par l'historien Christophe Charle, de l'Institut d'histoire moderne et contemporaine du CNRS), publiée par les "Cahiers pour l'histoire du CNRS" en 1989 est intéressante dans son contraste : « L'étude du personnel dirigeant du CNRS permet de voir la naissance progressive d'un nouveau type d'élite, issue de l'Université scientifique mais de plus en plus distincte d'elle, dans la mesure où l'accès aux responsabilités administratives se fait de plus en plus tôt. Les initiateurs de l'institution, dreyfusards et socialistes hostiles à l'État napoléonien seraient certainement surpris du résultat historique de leur entreprise : accumulation de niveaux écrans au sein de la hiérarchie universitaire, groupes de pression, etc. La république de la science dont ils rêvaient tend ainsi à nourrir des oligarchies qui se neutralisent ou à devenir un nouvel enjeu de pouvoir pour des élites extérieures. ».

    Hubert Curien est mort le 6 février 2005 à l'âge de 80 ans. Depuis cette date, il est honoré par de nombreux organismes ou lieux qui ont pris son nom, des collèges, des écoles, des rues, des laboratoires, etc. Sa mémoire reste vivante. Le site de l'Académie des sciences lui a rendu hommage en février 2005 par ces quelques phrases : « Les qualités unanimement reconnues de ce très grand serviteur de l'État, sa clarté, sa précision, alliées à son écoute et à sa bienveillance, ont fait de lui non seulement un professeur exceptionnel et un modèle pour tous ses étudiants, mais également un scientifique, un collaborateur, un homme aimé, estimé, respecté de tous. ».
     

     
     


    Une grande cérémonie a été organisée en son honneur le 14 mars 2005 à la Maison de la Chimie à Paris sous l'égide de l'Académie des sciences : scientifiques et politiques se sont succédé pour évoquer la personnalité attachantes d'Hubert Curien, en particulier Claude Allègre (membre de l'Académie des sciences et ancien Ministre de l'Éducation nationale), Claudie Haigneré (spationaute et Ministre déléguée aux Affaires européennes), Philippe Busquin (ancien Commissaire européen pour la Recherche), Laurent Fabius (ancien Premier Ministre), François Loos (Ministre délégué au Commerce extérieur), Christophe Desprez (ancien dircab d'Hubert Curien), Anne Lauvergeon (présidente d'Areva et surtout, ancienne Secrétaire Générale adjointe de l'Élysée), Édouard Brézin (président de l'Académie des sciences) et François d'Aubert (Ministre délégué à la Recherche). En tout, quinze personnalités se sont exprimées pendant cette après-midi d'hommages.

    Petits extraits d'hommage à Hubert Curien durant cette journée-là.

    Claude Allègre : « Je connaissais Hubert Curien depuis quarante-cinq ans. Il fut mon professeur de cristallographie à la faculté des sciences et je me souviens qu’il nous enseignait l’usage des rayons X et des neutrons pour déterminer les structures des cristaux. C’était un professeur lumineux. (…) Quelques années plus tard, alors que nous commencions à mettre en place le premier enseignement de géochimie à Paris, au niveau du troisième cycle, nous étions quatre jeunes scientifiques et nous n’avions pas encore terminé notre thèse d’État, Hubert Curien avec René Dars, Jacques Faucherre et Yves Rocard avec qui il gardait des liens d’amitié anciens, nous donna son patronage administratif pour créer un laboratoire dans une usine désaffectée (l’Université de Jussieu n’était pas construite) et un enseignement de 3e cycle dans lequel il enseigna la thermodynamique pour géologues. Je me souviens d’Hubert Curien participant à une excursion en Galice où il surprit tout le monde par ses connaissances géologiques et ses questions judicieuses, montrant qu’il appréciait les problèmes tectoniques pourtant bien éloignés de la minéralogie. Tout naturellement, il fut le rapporteur de ma thèse d’état car il y avait peu de monde qui s’intéressait de manière compétente alors à l’utilisation des isotopes en Sciences de la Terre. (…) Et puis, comme on le sait, il commença alors une carrière dans l’administration de la science qui allait être brillante. (…) Au risque de dévoiler quelques secrets, je crois que ce choix a résulté de deux circonstances. D’une part, il voyait l’émergence de la physique du solide que développaient en France ses amis Pierre Aigrain et Jacques Friedel vers laquelle il aurait voulu engager plus nettement le laboratoire de cristallographie et minéralogie de Paris, mais il sentait des résistances internes et non des moindres. D’autre part, Pierre Jacquinot, en réponse à une menace de dissolution du CNRS, avait créé des Directions scientifiques et réorganisé l’organisme. Il avait proposé la Direction de la physique à Hubert Curien. C’était une opportunité exaltante, reconstruire le CNRS, qu’il ne pouvait refuser dans une période de crise pour la recherche française. ».

    Claudie Haigneré : « Je ne peux manquer de vous dire quelques mots sur les circonstances qui m'ont amenée à rencontrer Hubert Curien à de très nombreuses reprises pour l'espace, l'Europe, la Russie, la recherche et je dirais plutôt la Science. Hubert Curien et l’espace, c’est d’abord l’histoire d’une rencontre passionnée. L’espace a probablement donné à Hubert Curien quelques-unes de ses plus grandes satisfactions professionnelles, ainsi que ses soucis les plus tenaces. Il n’était pas possible de le rencontrer, qu’il soit Ministre, Président de l’Académie des sciences, ou simple citoyen, sans que la conversation vienne sur le spatial et qu’il vous fasse part de ses soucis sur cette Ariane qui, décidément, aura pris beaucoup de place dans sa vie. (…) L'Europe, une autre grande affaire pour Hubert Curien. Vous comprendrez que j’y sois particulièrement sensible et que je commence par là. Avant d’être ministre, ses responsabilités de président du CNES l’avaient conduit à prendre la présidence du Conseil de l’Agence Spatiale Européenne. En tant que Ministre chargé de l’espace, il vécut deux Conseils ministériels de l’ESA : à Rome en 1985, et à Grenade en 1992. Nous savons tous, et Jean-Marie Luton le premier, qui en a été si proche et avec lequel il avait une relation privilégiée, que sa priorité absolue dans chacune de ces occasions consistait à préserver la dynamique européenne, à éviter que les divergences d’appréciations entre pays ne l’emportent sur la nécessité d’une œuvre commune, quand bien même cette œuvre commune ne répondrait que partiellement aux souhaits purement français, comme ce fut le cas avec les décisions si difficiles à prendre sur Hermès. Au sein de l’Europe, c’est bien sûr à la qualité du dialogue franco-allemand qu’il était le plus sensible, et il a, directement et personnellement, beaucoup œuvré pour que soient pris en compte les points de vue et contraintes réelles de l’Allemagne nouvellement réunifiée dans les décisions spatiales de l’Europe. Si l’ESA porte aujourd’hui encore l’ambition spatiale de l’Europe, elle le doit en particulier à Hubert Curien qui l’a aidée à traverser la période de grande difficulté qui a suivi la réunification allemande et qui coïncidait, d’une part avec de sérieuses contraintes budgétaires en Allemagne, et d’autre part avec une dangereuse accumulation de programmes spatiaux européens demandant des moyens quasi-impossibles à mobiliser. ».

    Philippe Busquin : « Dans un article paru il y a quelques années, intitulé "Hubert Curien et l'Europe des chercheurs", l'ancien directeur général de la Commission Européenne, Paolo Fasella disait que Hubert Curien a joué un rôle clef dans la plupart des initiatives de coopérations scientifiques européennes prises ces dernières années. Hubert Curien, lui-même, faisait remarquer dans un article paru dans "La Recherche" à l'époque, que "construire pour l'Europe des programmes de recherche et rassembler l'Europe des chercheurs sont deux démarches qui doivent aller de pair en parfaite harmonie". Et cela reste d'une brûlante actualité. Comment concilier la dimension humaine des chercheurs à l'échelle européenne, élargie d'ailleurs, et cette conception de travailler ensemble dans un avenir commun ? Hubert Curien a été de tous les rendez-vous. (…) Et des initiatives, il y en a eu dès les années 80. En fait, l'histoire de la recherche européenne date des années 80 avec les premiers programmes-cadres et Hubert Curien était déjà un des six fondateurs du programme "Esprit" qui a joué un rôle essentiel à l'époque pour redonner à l'Europe une dimension dans la société de l'information. Il était avec le commissaire Davignon, Ilya Prigogine et quatre autres personnes à la base du programme "Esprit", qui a d'ailleurs été continué par un programme qui s'appelait "Brain" et qui a permis de donner des avancées dans l'Europe dans ce domaine. Il a été comme on l'a dit fondateur de la Fondation Européenne de la Science, premier Président de cette fondation, qui a joué aussi un rôle très important dans la mise en commun des capacités des chercheurs européens. Mais il n'a jamais négligé non plus le rôle de l'industrie. Je pense qu'il faut rappeler qu'il y avait les programmes "Brite Euram" qui ont été des programmes dans les années 80 qui ont permis d'associer à l'échelle européenne l'industrie et les milieux de la recherche. Et de la même manière, vous le savez comme moi, il a été un peu aussi à la base du programme "Eureka" qui vise aussi à donner à l'Europe des structures industrielles plus novatrices, plus liées à une recherche et à une innovation. Mais il n'a jamais négligé le facteur humain et dans le même temps qu'il y avait ces programmes industriels, on lançait les premiers programmes dits "Capital humain, mobilité". Ces programmes ont été lancés dans les années 80 et aujourd'hui ils sont certainement une des réussites à l'échelle européenne, avec les bourses Marie Curie, qui permettent à des chercheurs de l'Europe d'aller dans d'autres laboratoires et constituer cette communauté de la recherche européenne. À coté du facteur humain, il était évidemment très sensible aux infrastructures indispensables à l'échelle européenne. Ayant été président du CERN, il a été aussi initiateur avec d'autres présents ici dans la salle, du Synchrotron de Grenoble, qui était une des grandes réalisations à l'échelle européenne. Dans le domaine de l'espace européen de la recherche, j'ai eu de nombreuses occasions d'en discuter avec lui, il insistait aussi sur cette nécessité d'organiser, à l'échelle européenne, la discussion sur les infrastructures d'avenir. À cet égard, des progrès sont réalisés, puisque maintenant nous avons un forum des infrastructures qui aide les ministres de la science dans le choix des prochaines infrastructures, entre autres les lasers à électrons libres qui seront redistribués un peu partout dans l'Europe. ».

    Laurent Fabius : « C’est en tant que chargé moi-même de la Recherche que j’avais appris à le connaître (…). Tout naturellement, je lui proposais de devenir ministre lorsque j’eus l’honneur ensuite d’être appelé par François Mitterrand à diriger le gouvernement. Ce choix me paraissait naturel, tant Hubert Curien symbolisait pour toute la communauté scientifique la réflexion et l’action dans le domaine de la science et tant il était apprécié des chercheurs. La recherche était tout simplement sa vie. Je me souviens d’une conversation avec lui et avec Jacques-Louis Lions, d’où une expression avait jailli, sans que je me rappelle exactement qui d’entre nous l’avait lancée : "l’horizon de la recherche, c’est l’horizon du forestier". Cette vision longue était chez lui une idée maîtresse, particulièrement précieuse lorsqu’on doit décider pour la collectivité. Éviter les à-coups, les fausses habilités de l’urgence, penser et agir à long terme : Hubert Curien, qui aimait tant ses forêts des Vosges, était, pour la recherche aussi, un forestier. Long terme et recherche fondamentale. Il savait par expérience et il professait, comme le Général De Gaulle et Pierre Mendès France qu’il admirait, qu’il n’y a pas de grand pays sans recherche puissante et pas de recherche puissante sans priorité à la recherche fondamentale, laquelle requiert évidemment des moyens et ne doit pas être subordonnée à l’aval. L’évaluation, devenue depuis une évidence, était une autre de ses idées pionnières. Il considérait qu’une sécurité matérielle des chercheurs, sans ostentation car tel n’était pas son genre, est nécessaire pour accomplir une bonne recherche, mais il soulignait que cette sécurité n’est pas contradictoire avec les évaluations nationales et internationales indispensables, ni avec les remises en cause qu’elles entraînent. (…) Il y a quelques mois, à l’issue d’une réunion au sein d’un groupe où nous aimions nous retrouver, déambulant nous plaisantions ensemble en pensant à ce temps où, ministre, il se voyait proposer régulièrement d’aller conquérir, en Île-de-France, en Isère ou dans ses Vosges natales, le suffrage universel. Chaque fois, il déclinait poliment, avec un bon sourire, ces sollicitations. Et il ajoutait : "ma circonscription, c’est mon laboratoire de l’Université Paris-6". ».
     

     
     


    Christophe Desprez : « Hubert Curien était un homme bon, qui incitait ses collaborateurs à la patience et à la modestie. Quand, après un exposé argumenté de notre part [ses conseillers au ministère], il concluait "Vous avez raison, avançons dans ce sens", nous savions que nous étions dans la bonne direction. Quand il fronçait l’un de ses sourcils broussailleux et nous disait "Vous croyez ?", nous comprenions que nous n’avions pas convaincu ; alors, il consultait ; il recevait énormément de chercheurs, de patrons de laboratoires ou d’organismes ; il écoutait, et peu à peu se forgeait une opinion ; c’était sa façon de travailler, à l’écoute en permanence de la science en marche. Il était toujours au contact de la science, en visite en France ou à l’étranger. Il était passionné par la science, par toutes les sciences, et par les hommes et les femmes qui la font. (…) Je me souviens d’une sortie d’un conseil des ministres, où Jack Lang et Hubert Curien venaient de faire une communication sur la culture scientifique et technique. Les journalistes se précipitent sur le tapis rouge disposé au début de la cour de l’Élysée pour les prendre en photos. Et là, Hubert Curien se recule, pour que le Ministre de la Culture, ou était-ce déjà de l’Éducation ? , apparaisse mieux sur les photos. Comme je m’en étonnais à la lecture de la presse du lendemain, puisque c’était Hubert Curien qui était le principal artisan de cette communication, je m’entendis répondre "Mais Christophe, cela n’a aucune importance, et, en plus, cela fait tellement plaisir à Jack"… ».

    Anne Lauvergeon : « Il est vrai qu'au moment du bouclage des budgets, quand on est à l'Élysée, on reçoit un certain nombre de coups de fil de ministres pas contents de leur sort. En général, le mode est toujours le même : "j'e n'ai pas assez" ; bien sûr, personne ne téléphone pour dire qu'il a trop de budget. C’est souvent sur un ton ou agressif ou du moins montrant qu'il y a un grave problème. Hubert Curien quand il m'appelait, s'excusait d'abord de m'appeler. Ensuite il me disait, il me l'a dit à plusieurs reprises, "qu'il était très très ennuyé… qu'il y avait un petit problème… que certainement il y avait une mauvaise compréhension… que les objectifs qui avaient été fixés n'étaient pas complètement remplis par l'aboutissement des discussions budgétaires. Mais, ce n'était pas la faute du Ministère du Budget, ce n'était pas la faute du Ministre du Budget, non, non… Ils avaient vraiment fait des efforts, ils avaient fait beaucoup de choses… mais …. est-ce qu'on ne pourrait pas néanmoins….", et à ce moment là, effectivement, on rentrait dans le problème qui se posait. Jamais aucune espèce d'acrimonie, aucune espèce de volonté de pouvoir, de volonté de revanche, de volonté de puissance. Uniquement faire aboutir, et faire aboutir non pas pour soi, pour son ministère, mais pour les gens, les chercheurs qui allaient effectivement pouvoir profiter de tout cela. Et je dois dire que cette espèce de calme, toujours, cette espèce de réserve en même temps, de souci de ne pas déranger, mais en même temps d'agir… ce mélange des deux était absolument, incroyablement efficace. Je dois dire que c'était également quelqu'un qui inspirait confiance à des gens très différents.(...) À la Renaissance, on aurait dit que c'était un humaniste. Je crois que Hubert Curien était assurément un humaniste. Curieux de tout et curieux de tous. Il était à l'écoute, il voulait comprendre, comprendre ce qu'étaient les gens. Cette volonté de compréhension qui est assez fréquente chez les scientifiques et qui s'applique souvent à la matière, il la portait aussi aux hommes. Je crois que tout au long de sa vie, il s'y est employé avec toujours le respect immense qu'il manifestait pour les autres, pour ne pas être trop pesant, pour ne pas surtout donner le sentiment qu'il cherchait à entrer dans un domaine ou un territoire que l'autre ne lui aurait pas laissé franchir. ».

    François d'Aubert : « Fils d’un receveur municipal et d’une institutrice, il fut admis au prestigieux lycée Saint-Louis en classes préparatoires, puis il fut reçu aux concours de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, qu’il intégra, et de l’École polytechnique. Exemplaire, Hubert Curien le fut aussi par ses qualités humaines. Son statut de scientifique éminent, et bientôt de grand commis de l’État, ne retrancha jamais rien à sa simplicité, qu’il attribuait à ses origines de montagnard vosgien, ni à son humour et son franc parler. Il déclarait ainsi avec lucidité et clairvoyance à propos de la recherche fondamentale : "la recherche fondamentale, c’est un peu comme Christophe Colomb découvrant l’Amérique ; quand il est parti, il ne savait pas où il allait ; quand il arrivait, il ne savait pas où il était et cependant il a découvert l’Amérique… Il n’est pas possible de dire à quelqu’un qui se consacre à la recherche fondamentale : n’allez pas par là, c’est ridicule, vous ne trouverez rien". (…) Pleinement conscient du lien si nécessaire entre la recherche et l’innovation, il fonda également le RDT, Réseau de développement technologique, destiné à diffuser la technologie vers des PME peu familiarisées avec le processus d’innovation, préfigurant ainsi les RRIT. C’est sur cette même voie que nous nous employons aujourd’hui à relancer la Recherche, à travers le redressement de l’effort financier national, le soutien à la recherche fondamentale et le renforcement de ses applications. ».

    Et le Ministre délégué de la Recherche de l'époque de terminer sur cette petite citation qu'Hubert Curien aimait répéter : « Je voudrais revenir sur Terre, un instant, dans mille ans, juste le temps de voir ce que trente générations de savants auront su découvrir, et entendre ce que les hommes de science seront alors en humeur de dire. ». Ok Professeur Curien, rendez-vous en l'an 3005 !


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (26 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


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    Svante Pääbo.
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  • Alain Bombard : l'aventure, c'est l'aventure !

    « Naufragés des légendes, victimes raides et hâtives, je sais que vous n'êtes pas morts de la mer, que vous n'êtes pas morts de la faim, que vous n'êtes pas morts de la soif, car, ballottés sous le cri des mouettes, vous êtes morts d'épouvante. Ainsi ce fut bientôt pour moi une certitude : beaucoup de naufragés meurent bien avant que les conditions physiques ou physiologiques ne soient devenues, par elles-mêmes, mortelles. Comment combattre le désespoir, meurtrier plus efficace et plus rapide que n'importe quel facteur physique ? » (Alain Bombard, 1953).


     

     
     


    Le médecin et biologiste français Alain Bombard est né il y a 100 ans, le 27 octobre 1924, à Paris. Il est difficile de présenter Alain Bombard qui a aussi goûté à la vie politique avec l'arrivée au pouvoir de la gauche, parce qu'il fait partie des héros des temps modernes, de ces explorateurs de la mer qui ont apporté quelque chose au monde, notamment sur la capacité de survivre en pleine mer. Son intuition de départ, c'est que c'est d'abord l'esprit qui flanche quand le naufrage s'effondre. Avant le corps. Et il a tenté de le prouver.


    On pourrait dire comme La Palice qu'avant d'être vieux et de ressembler, avec sa barbichette, aux savants comme les représentaient Hergé dans Tintin voire Franquin dans Spirou ou Morris dans Lucky Luke, un look très représentatif avant même de voir ses cheveux blanchir, il était jeune. Et c'est bien le jeune, très jeune, avant les 30 ans, qui a fait l'exploit qui a marqué son époque et son destin.

    Et d'abord, un contexte, ses années d'études au lycée Henri-IV et à l'École alsacienne, puis à Saint-Brieuc. Pendant ses vacances en Bretagne, il a découvert sa passion de la voile, sur une plage fréquentée depuis des décennies par de grandes familles de scientifiques, Jean Perrin,
    Marie Curie, et il a connu Frédéric Joliot-Curie qui a été son moniteur de voile. Pour terminer ses études de médecine, il s'est installé à Boulogne-sur-Mer.

    Dans un livre autobiographique, il a raconté un événement déclencheur qui n'a pas été exactement ce qu'il a raconté, à savoir qu'au printemps 1951, il a dû s'occuper des corps de 43 marins morts dans le naufrage de leur chalutier. En fait, le naufrage aurait fait plutôt une dizaine de morts, mais qu'importe, les statistiques étaient monstrueuses : il y a 200 000 morts en mer chaque année, dont 50 000 dans des bateaux de sauvetage. Son objectif, c'était de trouver des moyens de survivre à un naufrage en pleine mer : résistance à la soif, à la faim, à la fatigue, à l'hypothermie, etc.. et surtout, au moral et à la dépression.


    Alain Bombard a traversé la Manche à la nage, ce qui relevait déjà d'un exploit sportif exceptionnel : il fallait beaucoup de préparation, s'enduire le corps de graisse pour résister au froid de la mer, etc. Cet événement a notamment permis à la romancière Marie Vareille d'écrire son excellent roman "Désenchantées" sorti en 2022 (éd. Charleston). À l'époque, cet exploit a été déterminant pour Alain Bombard qui a pu ainsi trouver des sponsors et financer son propre laboratoire intégré à l'Institut océanographique de Monaco. Il voulait montrer qu'on pouvait éviter la déshydratation en buvant de l'eau de mer et de l'eau de pluie, ainsi que se prémunir de la faim en mangeant des planctons.

    Petit rappel : les naufragés qui n'ont pas d'eau potable refusent généralement de boire l'eau de mer car elle est beaucoup trop salée ce qui flingue les reins et accélère la déshydratation du corps. Alain Bombard voulait montrer qu'en prenant une quantité raisonnable d'eau de mer (un demi-litre par jour), on pouvait survivre à un absence d'eau potable, mais cette ration était insuffisante et on devait quand même trouver de l'eau ailleurs, en pressant les poissons pêchés (sauf la raie) ou en récupérant l'eau de pluie (cet aspect essentiel de survie reste encore en débat, notamment sur l'eau présente dans les poissons).
     

     
     


    Après quelques traversées seul ou accompagné, Alain Bombard a effectué en solitaire la traversée de l'Atlantique. Son périple est allé de Tanger le 13 août 1952 à La Barbade le 23 décembre 1952 (avec une étape à Las Palmas le 19 octobre 1952), à bord de L'Hérétique, son petit Zodiac, se laissant dériver volontairement sans nourriture ni eau (avec seulement une voile, deux avirons, quelques instruments de navigation, un couteau et quelques livres) pendant cent treize jours pour montrer qu'on pouvait en survivre, mais il a bien cru qu'il allait en mourir. Il a perdu vingt-cinq kilogrammes et a été hospitalisé à son arrivée (il a fêté son 28e anniversaire seul en pleine mer). Il a survécu grâce au croisement avec un cargo qui lui a permis de prendre un repas et de corriger son orientation. Il a survécu aussi en pêchant des poissons, en attrapant des oiseaux, qu'il mangeait crûs faute de pouvoir les cuire, etc. Il relevait quotidiennement sa tension artérielle (les faibles tensions étant une alerte des moments de désespoir).
     

     
     


    Cette traversée a montré par l'exemple qu'on pouvait survivre en pleine mer sans rien avec de soi. Sa thèse, c'était que les naufragés mouraient plus de désespoir que de faim et de soif, ou, plus exactement, qu'ils mouraient d'abord de désespoir avant de mourir de faim et de soif. Il a raconté sa terrible traversée dans "Naufragé volontaire" sorti en 1953 (Éditions de Paris), premier des onze essais ou récits qu'il allait publier jusqu'à la fin de sa vie. Cela a inspiré, entre autres, le film "All Is Lost" de J. C. Chandor (sorti le 18 octobre 2013) avec pour seul acteur Robert Redford au dialogue très léger (inexistant : il est naufragé tout seul). Considéré comme un chef-d'œuvre, j'ai quand même trouvé ce film un peu ennuyeux !

    En tout cas, la notoriété d'Alain Bombard était faite, et il l'utilisa tant pour la construction d'équipements de navigation que pour des combats pour l'environnement et la protection de la mer, en particulier en 1963 contre le déversement des boues rouges dans la Méditerranée par une usine de Péchiney à Gardanne. Il a donc été parmi les premiers lanceurs d'alerte écologique à une époque où on ne s'en préoccupait pas vraiment.


    Alain Bombard a participé à la conception de radeaux de sauvetage dont la présence sur les embarcations était devenue obligatoire par la réglementation à partir des années 1950. Notamment, on l'appelle désormais par son nom, un Bombard, un radeau de sauvetage pneumatique à gonflage rapide conçu en 1972. Il a milité pour le caoutchouc au détriment du bois dont étaient constituées traditionnellement les chaloupes de sauvetage. Les travaux d'Alain Bombard ont toutefois provoqué un tragique drame accidentel le 3 octobre 1958 dans la baie d'Étel où le navigateur a profité d'une alerte météorologique de forte tempête pour justement tester son canot de sauvetage. Très rapidement, les sept occupants du canot ont été éjectés dans la mer, et le bateau chargé de les secourir a lui-même eu un accident et a chaviré, ce qui a fini par un bilan très lourd, neuf morts, dont quatre occupants du canots et cinq marins sauveteurs.

    L'enquête a mis hors de cause Alain Bombard dans la responsabilité de cet accident mais il en est toutefois ressorti un amer goût de faute. Cela l'a entraîné dans une dépression dans les années 1960 dont il est sorti grâce à sa rencontre avec l'entrepreneur Paul Ricard, fondateur du célèbre pastis et maire d'une commune du Var dans les années 1970, Signes, près du circuit de Castellet qu'il a contribué à financer et qui a pris son nom, et mécène d'Alain Bombard, Alain Colas et Éric Tabarly.

    Remis en état de travailler avec ce nouveau laboratoire financé par Paul Ricard, Alain Bombard a adhéré au PS dans sa lancée, en 1974, s'est fait élire conseiller général de Six-Fours-les-Plages (dans le Var) de 1979 à 1985 (pour un mandat de six ans), et, présent sur la liste du PS aux élections européennes de 1979, 1984 et 1989, il a été député européen de septembre 1981 à juillet 1994. Entre-temps, François Mitterrand l'a nommé Secrétaire d'État auprès du Ministre de l'Environnement dans le premier gouvernement de Pierre Mauroy du 22 mai 1981 au 23 juin 1981, mas il n'a pas été reconduit après les élections législatives de juin 1981 en raison de ses déclarations souhaitant l'interdiction de la chasse à courre. Il a donc fait partie de ces ministres météores, à l'instar de Jean-Jacques Servan-Schreiber en 1974 et de Léon Schwartzenberg en 1988, qui n'ont pas beaucoup duré pour la raison que fondamentalement, leur personnalité n'était pas compatible avec les responsabilités politiques qui imposent nécessairement d'avaler quelques couleuvres (Nicolas Hulot, c'est différent car il a avalé quelques couleuvres avant de démissionner).
     

     
     


    La vie d'Alain Bombard est très riche et déconcertante car son esprit a toujours été hors des sentiers battus. Médecin, il a pris la mer pour passion : « Nous devons quitter la Méditerranée pour rentrer dans quelque chose de beaucoup plus grand, qui me semble démesuré. L'Atlantique, cet océan qui a englouti un continent pour lui prendre son nom, que serait-ce pour lui de submerger notre frêle esquif ! » (1953).

    Dans "Au-delà de l'horizon" sorti en 1978 aux Presses de la Cité, le célèbre naufragé volontaire a expliqué en particulier ceci : « On me pose souvent la question : comment avez-vous fait pour traverser l'Atlantique, sur un bateau qui faisait quatre mètres cinquante de long ? C'est relativement simple. Sur un grand océan, deux vagues sont séparées par deux cents mètres, il y a deux cents mètres de longueur d'onde ; avec un petit bateau de quatre mètres cinquante, on épouse sans difficulté les différents reliefs de la mer. Tandis qu'un navire de cent mètres de long aura l'avant dans le creux, le cul sur le sommet de la vague, et c'est ce qui provoque roulis et tangage qui mettent à mal les gros bateaux. D'où l'idée orgueilleuse des hommes née au XVIe et XVIIe siècles : "construisons des navires incoulables, des navires qui ne feront jamais naufrage". Tous, sauf un, seront vaincus par ma mer... ».

    Alain Bombard était également passionné par la musique au point d'envisager de devenir compositeur ou chef d'orchestre : « J’ai un grand besoin de ressentir la filiation des œuvres les unes avec les autres. Pour moi, il n’y a pas de rupture entre cette petite phrase pensive dans L’Estro Armonico de Vivaldi, et cette grande pensée triste de Beethoven dans son quatuor à cordes n°10. Il y a une continuité… » avait-il confié sur France Musique en 1980. Il était l'ami d'Igor Stravinsky, de Fernandel, de physiciens, de vendeurs d'alcool, de François Mitterrand, etc., bref, de personnalités de domaines et d'univers très différents. Volontiers cabotin, il était conteur ; il adorait depuis toujours raconter de belles histoires, au risque de les embellir. En somme, Bombard et Bobard, il n'y a qu'un m qui sépare ces mots, celui d'aimer l'aventure, les aventures.

    Homme de médias depuis les années 1950, Alain Bombard a participé à de nombreuses émissions de radio et de télévision, en particulier l'émission "Radioscopie" produite par Jacques Chancel le 5 mai 1980 sur France Inter. Alain Bombard est mort à Toulon il y a un peu moins de vingt ans, le 19 juillet 2005 à l'âge de 80 ans, inscrit depuis longtemps dans tous les livres d'histoire comme une légende de la navigation en mer.


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    Sylvain Rakotoarison (26 octobre 2024)
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