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  • Alain Bombard : l'aventure, c'est l'aventure !

    « Naufragés des légendes, victimes raides et hâtives, je sais que vous n'êtes pas morts de la mer, que vous n'êtes pas morts de la faim, que vous n'êtes pas morts de la soif, car, ballottés sous le cri des mouettes, vous êtes morts d'épouvante. Ainsi ce fut bientôt pour moi une certitude : beaucoup de naufragés meurent bien avant que les conditions physiques ou physiologiques ne soient devenues, par elles-mêmes, mortelles. Comment combattre le désespoir, meurtrier plus efficace et plus rapide que n'importe quel facteur physique ? » (Alain Bombard, 1953).


     

     
     


    Le médecin et biologiste français Alain Bombard est né il y a 100 ans, le 27 octobre 1924, à Paris. Il est difficile de présenter Alain Bombard qui a aussi goûté à la vie politique avec l'arrivée au pouvoir de la gauche, parce qu'il fait partie des héros des temps modernes, de ces explorateurs de la mer qui ont apporté quelque chose au monde, notamment sur la capacité de survivre en pleine mer. Son intuition de départ, c'est que c'est d'abord l'esprit qui flanche quand le naufrage s'effondre. Avant le corps. Et il a tenté de le prouver.


    On pourrait dire comme La Palice qu'avant d'être vieux et de ressembler, avec sa barbichette, aux savants comme les représentaient Hergé dans Tintin voire Franquin dans Spirou ou Morris dans Lucky Luke, un look très représentatif avant même de voir ses cheveux blanchir, il était jeune. Et c'est bien le jeune, très jeune, avant les 30 ans, qui a fait l'exploit qui a marqué son époque et son destin.

    Et d'abord, un contexte, ses années d'études au lycée Henri-IV et à l'École alsacienne, puis à Saint-Brieuc. Pendant ses vacances en Bretagne, il a découvert sa passion de la voile, sur une plage fréquentée depuis des décennies par de grandes familles de scientifiques, Jean Perrin,
    Marie Curie, et il a connu Frédéric Joliot-Curie qui a été son moniteur de voile. Pour terminer ses études de médecine, il s'est installé à Boulogne-sur-Mer.

    Dans un livre autobiographique, il a raconté un événement déclencheur qui n'a pas été exactement ce qu'il a raconté, à savoir qu'au printemps 1951, il a dû s'occuper des corps de 43 marins morts dans le naufrage de leur chalutier. En fait, le naufrage aurait fait plutôt une dizaine de morts, mais qu'importe, les statistiques étaient monstrueuses : il y a 200 000 morts en mer chaque année, dont 50 000 dans des bateaux de sauvetage. Son objectif, c'était de trouver des moyens de survivre à un naufrage en pleine mer : résistance à la soif, à la faim, à la fatigue, à l'hypothermie, etc.. et surtout, au moral et à la dépression.


    Alain Bombard a traversé la Manche à la nage, ce qui relevait déjà d'un exploit sportif exceptionnel : il fallait beaucoup de préparation, s'enduire le corps de graisse pour résister au froid de la mer, etc. Cet événement a notamment permis à la romancière Marie Vareille d'écrire son excellent roman "Désenchantées" sorti en 2022 (éd. Charleston). À l'époque, cet exploit a été déterminant pour Alain Bombard qui a pu ainsi trouver des sponsors et financer son propre laboratoire intégré à l'Institut océanographique de Monaco. Il voulait montrer qu'on pouvait éviter la déshydratation en buvant de l'eau de mer et de l'eau de pluie, ainsi que se prémunir de la faim en mangeant des planctons.

    Petit rappel : les naufragés qui n'ont pas d'eau potable refusent généralement de boire l'eau de mer car elle est beaucoup trop salée ce qui flingue les reins et accélère la déshydratation du corps. Alain Bombard voulait montrer qu'en prenant une quantité raisonnable d'eau de mer (un demi-litre par jour), on pouvait survivre à un absence d'eau potable, mais cette ration était insuffisante et on devait quand même trouver de l'eau ailleurs, en pressant les poissons pêchés (sauf la raie) ou en récupérant l'eau de pluie (cet aspect essentiel de survie reste encore en débat, notamment sur l'eau présente dans les poissons).
     

     
     


    Après quelques traversées seul ou accompagné, Alain Bombard a effectué en solitaire la traversée de l'Atlantique. Son périple est allé de Tanger le 13 août 1952 à La Barbade le 23 décembre 1952 (avec une étape à Las Palmas le 19 octobre 1952), à bord de L'Hérétique, son petit Zodiac, se laissant dériver volontairement sans nourriture ni eau (avec seulement une voile, deux avirons, quelques instruments de navigation, un couteau et quelques livres) pendant cent treize jours pour montrer qu'on pouvait en survivre, mais il a bien cru qu'il allait en mourir. Il a perdu vingt-cinq kilogrammes et a été hospitalisé à son arrivée (il a fêté son 28e anniversaire seul en pleine mer). Il a survécu grâce au croisement avec un cargo qui lui a permis de prendre un repas et de corriger son orientation. Il a survécu aussi en pêchant des poissons, en attrapant des oiseaux, qu'il mangeait crûs faute de pouvoir les cuire, etc. Il relevait quotidiennement sa tension artérielle (les faibles tensions étant une alerte des moments de désespoir).
     

     
     


    Cette traversée a montré par l'exemple qu'on pouvait survivre en pleine mer sans rien avec de soi. Sa thèse, c'était que les naufragés mouraient plus de désespoir que de faim et de soif, ou, plus exactement, qu'ils mouraient d'abord de désespoir avant de mourir de faim et de soif. Il a raconté sa terrible traversée dans "Naufragé volontaire" sorti en 1953 (Éditions de Paris), premier des onze essais ou récits qu'il allait publier jusqu'à la fin de sa vie. Cela a inspiré, entre autres, le film "All Is Lost" de J. C. Chandor (sorti le 18 octobre 2013) avec pour seul acteur Robert Redford au dialogue très léger (inexistant : il est naufragé tout seul). Considéré comme un chef-d'œuvre, j'ai quand même trouvé ce film un peu ennuyeux !

    En tout cas, la notoriété d'Alain Bombard était faite, et il l'utilisa tant pour la construction d'équipements de navigation que pour des combats pour l'environnement et la protection de la mer, en particulier en 1963 contre le déversement des boues rouges dans la Méditerranée par une usine de Péchiney à Gardanne. Il a donc été parmi les premiers lanceurs d'alerte écologique à une époque où on ne s'en préoccupait pas vraiment.


    Alain Bombard a participé à la conception de radeaux de sauvetage dont la présence sur les embarcations était devenue obligatoire par la réglementation à partir des années 1950. Notamment, on l'appelle désormais par son nom, un Bombard, un radeau de sauvetage pneumatique à gonflage rapide conçu en 1972. Il a milité pour le caoutchouc au détriment du bois dont étaient constituées traditionnellement les chaloupes de sauvetage. Les travaux d'Alain Bombard ont toutefois provoqué un tragique drame accidentel le 3 octobre 1958 dans la baie d'Étel où le navigateur a profité d'une alerte météorologique de forte tempête pour justement tester son canot de sauvetage. Très rapidement, les sept occupants du canot ont été éjectés dans la mer, et le bateau chargé de les secourir a lui-même eu un accident et a chaviré, ce qui a fini par un bilan très lourd, neuf morts, dont quatre occupants du canots et cinq marins sauveteurs.

    L'enquête a mis hors de cause Alain Bombard dans la responsabilité de cet accident mais il en est toutefois ressorti un amer goût de faute. Cela l'a entraîné dans une dépression dans les années 1960 dont il est sorti grâce à sa rencontre avec l'entrepreneur Paul Ricard, fondateur du célèbre pastis et maire d'une commune du Var dans les années 1970, Signes, près du circuit de Castellet qu'il a contribué à financer et qui a pris son nom, et mécène d'Alain Bombard, Alain Colas et Éric Tabarly.

    Remis en état de travailler avec ce nouveau laboratoire financé par Paul Ricard, Alain Bombard a adhéré au PS dans sa lancée, en 1974, s'est fait élire conseiller général de Six-Fours-les-Plages (dans le Var) de 1979 à 1985 (pour un mandat de six ans), et, présent sur la liste du PS aux élections européennes de 1979, 1984 et 1989, il a été député européen de septembre 1981 à juillet 1994. Entre-temps, François Mitterrand l'a nommé Secrétaire d'État auprès du Ministre de l'Environnement dans le premier gouvernement de Pierre Mauroy du 22 mai 1981 au 23 juin 1981, mas il n'a pas été reconduit après les élections législatives de juin 1981 en raison de ses déclarations souhaitant l'interdiction de la chasse à courre. Il a donc fait partie de ces ministres météores, à l'instar de Jean-Jacques Servan-Schreiber en 1974 et de Léon Schwartzenberg en 1988, qui n'ont pas beaucoup duré pour la raison que fondamentalement, leur personnalité n'était pas compatible avec les responsabilités politiques qui imposent nécessairement d'avaler quelques couleuvres (Nicolas Hulot, c'est différent car il a avalé quelques couleuvres avant de démissionner).
     

     
     


    La vie d'Alain Bombard est très riche et déconcertante car son esprit a toujours été hors des sentiers battus. Médecin, il a pris la mer pour passion : « Nous devons quitter la Méditerranée pour rentrer dans quelque chose de beaucoup plus grand, qui me semble démesuré. L'Atlantique, cet océan qui a englouti un continent pour lui prendre son nom, que serait-ce pour lui de submerger notre frêle esquif ! » (1953).

    Dans "Au-delà de l'horizon" sorti en 1978 aux Presses de la Cité, le célèbre naufragé volontaire a expliqué en particulier ceci : « On me pose souvent la question : comment avez-vous fait pour traverser l'Atlantique, sur un bateau qui faisait quatre mètres cinquante de long ? C'est relativement simple. Sur un grand océan, deux vagues sont séparées par deux cents mètres, il y a deux cents mètres de longueur d'onde ; avec un petit bateau de quatre mètres cinquante, on épouse sans difficulté les différents reliefs de la mer. Tandis qu'un navire de cent mètres de long aura l'avant dans le creux, le cul sur le sommet de la vague, et c'est ce qui provoque roulis et tangage qui mettent à mal les gros bateaux. D'où l'idée orgueilleuse des hommes née au XVIe et XVIIe siècles : "construisons des navires incoulables, des navires qui ne feront jamais naufrage". Tous, sauf un, seront vaincus par ma mer... ».

    Alain Bombard était également passionné par la musique au point d'envisager de devenir compositeur ou chef d'orchestre : « J’ai un grand besoin de ressentir la filiation des œuvres les unes avec les autres. Pour moi, il n’y a pas de rupture entre cette petite phrase pensive dans L’Estro Armonico de Vivaldi, et cette grande pensée triste de Beethoven dans son quatuor à cordes n°10. Il y a une continuité… » avait-il confié sur France Musique en 1980. Il était l'ami d'Igor Stravinsky, de Fernandel, de physiciens, de vendeurs d'alcool, de François Mitterrand, etc., bref, de personnalités de domaines et d'univers très différents. Volontiers cabotin, il était conteur ; il adorait depuis toujours raconter de belles histoires, au risque de les embellir. En somme, Bombard et Bobard, il n'y a qu'un m qui sépare ces mots, celui d'aimer l'aventure, les aventures.

    Homme de médias depuis les années 1950, Alain Bombard a participé à de nombreuses émissions de radio et de télévision, en particulier l'émission "Radioscopie" produite par Jacques Chancel le 5 mai 1980 sur France Inter. Alain Bombard est mort à Toulon il y a un peu moins de vingt ans, le 19 juillet 2005 à l'âge de 80 ans, inscrit depuis longtemps dans tous les livres d'histoire comme une légende de la navigation en mer.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (26 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
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    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241027-alain-bombard.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/sports/article/alain-bombard-l-aventure-c-est-l-256736

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/25/article-sr-20241027-alain-bombard.html