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Florence Arthaud, chacun prend feu comme il peut

« À Pointe-à-Pitre, Florence Arthaud, à bout de forces et après avoir été privée d’électronique et de communication depuis les Açores, entrera dans la légende du Rhum en étant la première femme à s’imposer sur une course au large en solitaire. » (Site officiel de la Route du Rhum).




 

 
 


Le 8 mars, c'est la fête des femmes. Cela devrait être tous les jours, tant les femmes éclairent de leur beauté, de leur sagacité et de leur intelligence la vie des hommes. Mais n'en faisons pas trop, et cette année, s'il y a une femme à fêter (c'est très arbitraire), je voudrais le faire pour Florence Arthaud, qui est morte accidentellement il y a dix ans, le 9 mars 2015 à l'âge de 57 ans. On pourrait aussi fêter Violette Dorange, mais j'y reviendrai.

Effectivement, il y a dix ans, c'était le choc. Dix personnes ont péri lors de l'accident aérien du 9 mars 2015 près de Villa Castelli, dans la Quebrada del Yeso, dans la province de La Rioja, en Argentine. Ce fut la collision de deux hélicoptères qui transportaient les participants au tournage d'une émission de téléréalité appelée "Dropped" produite pour le compte de TF1. La conséquence probablement d'une erreur de pilotage (angle mort, soleil éblouissant, caméra qui gêne, etc.). L'un des hélicoptères était parti en premier pour les prises de vue et le second transportait trois concurrents du jeu et ils se sont trop rapproché l'un de l'autre. Les deux appareils se sont écrasés et se sont enflammés.

Comme chaque vie se vaut, bien sûr, citons le nom des dix victimes dont huit françaises : la navigatrice Florence Arthaud, la jeune nageuse niçoise Camille Muffat (25 ans), championne olympique de natation (le 29 juillet 2012 à Londres en 400 mètres nage libre), le jeune boxeur Alexis Vastine (28 ans), champion du monde militaire de boxe en 2008, 2010, 2011 et 2014 (et sa sœur était morte dans un accident en janvier 2015, triste hiver pour la famille), c'étaient les trois concurrents du jeu, avec aussi des employés de la société de production, le réalisateur Laurent Sbasnik (40 ans), la journaliste Lucie Mei-Dalby, le chef de projet Volodia Guinard (36 ans), le cameraman Brice Guilbert (32 ans), l'ingénieur du son Édouard Gilles, et, enfin, les deux pilotes argentins Juan Carlos Castillo et César Roberto Abate.
 

 
 


D'autres concurrents, présents au sol à quelques centaines de mètres, attendaient leur tour, pour prendre aussi l'hélicoptère, notamment le patineur artistique Philippe Candeloro, la cycliste Jeannie Longo, et quelques autres (en tout, huit sportifs de haut niveau participaient à l'émission de téléréalité, dont un avait déjà été "éliminé" du jeu et était rentré en France). On peut imaginer leur traumatisme.

Parmi les dix victimes, une m'a particulièrement beaucoup ému, c'était Florence Arthaud qui fait partie de ces héroïnes dont la France peut être fière. Elle a été la première femme à gagner la Route du Rhum (entre Saint-Malo et Pointe-à-Pitre) le 18 novembre 1990 en 14 jours et 10 heures avec son trimaran Pierre 1er, après un parcours en solidaire de près de 6 500 kilomètres (le record actuel a été battu le 16 novembre 2022 par Charles Caudrelier en 9 jours et 20 heures, mais avec un type de bateau différent). Une seule autre femme a remporté la Route du Rhum, en 2002, dans une autre catégorie de bateau (monocoque), la navigatrice britannique Ellen MacArthur.
 

 
 


Et cette victoire de 1990, Florence Arthaud l'a due à sa très forte ténacité. Elle a participé à la première édition en 1978 alors qu'elle n'avait que 21 ans, puis aux deux autres éditions de 1982 et 1986 avant de gagner la quatrième édition. En novembre 1986, elle a fait un détour pour tenter de secourir, hélas en vain, Loïc Cadarec qui avait chaviré. Elle est arrivée à la onzième position et ne s'avouait pas vaincue : « Ce qui m'intéresse, ce n'est pas d'arriver. Si je fais de la compétition, ce n'est pas pour participer, c'est pour gagner ! Ben, c'est raté, encore une fois ! Il faudra que je recommence dans quatre ans ! ». Et pourtant, malade, elle n'en menait pas très large en 1990 : « J’ai failli abandonner et puis je me suis dit, non je n’abandonnerai pas. Je n'ai jamais abandonné, ce n'est pas aujourd'hui que je vais commencer ! ».
 

 
 


Cette victoire a troublé jusqu'aux académiciens puisque, le 10 décembre 1992, dans sa réponse au discours de réception du nouveau membre de l'Académie française Jean-François Deniau, lui aussi infatigable navigateur (en même temps qu'ancien ministre), Alain Peyrefitte a déclaré : « Au détour d’une page, j’ai découvert un trait qui n’est pas sans rapport avec notre cérémonie. Vous estimez que la navigation de plaisance est une affaire d’hommes (comme nous l’estimions, jusqu’à une date récente, de l’Académie). C’était avant que Florence Arthaud ne confirmât la règle par son exception. Cependant, vous admettez qu’ "une femme à bord qui aime la mer est une vraie bénédiction !". Vous le voyez, il y a, sur la participation du beau sexe, une analogie frappante entre la plaisance et l’Académie. Votre livre suggère d’autres rapprochements. Ainsi, quand vous affirmez que "la meilleure façon de survivre est quand même de rester à bord", votre maxime s’appliquerait parfaitement à la vie politique. Vous avez toujours su éviter d’être jeté par-dessus bord. ».

Elle a chanté la célèbre chanson qui lui a été consacrée "Flo" en raison de ses exploits, en duo avec Pierre Bachelet en 1989. Beaucoup plus tard, le Président Nicolas Sarkozy lui a même proposé le poste de Ministre des Sports, qu'elle a refusé dans sa grande sagesse (elle avait d'autres trucs à faire), même si naviguer dans un gouvernement suppose toujours quelques exploits.


Incontestablement, Florence Arthaud était une passionnée enragée. Son père, patron de la plus grande librairie de Grenoble (j'y ai passé des heures entières certains jours anciens), avait édité des récits d’Éric Tabarly, ce qui l’avait mise dans le bain de la navigation assez vite. Libraire et éditeur, Jacques Arthaud a sorti une nouvelle collection avec des livres sur la mer qui ont eu beaucoup de succès, avec aussi Loïck Peyron, Alain Colas, Philippe Jeantot, Yvan Bourgnon, Bernard Moitessier, Isabelle Autissier, etc.

 

 
 


Adolescente, elle a commencé à faire de la navigation avec ses deux frères Jean-Marie et Hubert dans la Méditerranée (dont l'un allait se suicider sur le bateau familial). Elle voulait faire des études de médecine, mais un premier coup dur l'en a empêchée : un accident grave l'a plongée dans le coma avec des séquelles supposées irréversibles de paralysie partielle... qu'elle a réussi à contredire au bout de deux ans en se rétablissant complètement par la force de l'esprit et du corps. Elle a passé sa convalescence à traverser l'Atlantique, cette première traversée s'est faite à l'âge de 18 ans. Trois ans plus tard, elle a pris part à la première édition de la Route du Rhum qu'elle a mis un peu moins de 28 jours à parcourir (classée onzième)s. Elle était lancée. La mer resterait son obsession.

Elle a participé à au moins une vingtaine de courses maritimes, en particulier la Route du Rhum, mais aussi la Twostar, la Transat AG2R, la Transat Jacques-Vabre, la Route de l'Équateur (arrivée 2e), la Transpacifique, la Solitaire du Figaro, etc. L'un de ses objectifs était de battre le record du tour du monde en solitaire.

Mourir dans le ciel alors qu'elle a failli perdre la vie plusieurs fois dans la mer, c'était ce drôle de destin de Florence Arthaud qui avait la baraka. Car ses exploits sportifs étaient une chose (elle était aussi une bonne skieuse, entre autres), mais se sortir de situations impossibles, c'en était une autre.

 

 
 


L'une des dernières tuiles aurait pu lui être fatale. Le 29 octobre 2011, elle est tombée de son bateau en pleine nuit. Elle naviguait alors au large du Cap Corse. Heureusement, elle avait sur elle une torche frontale et un téléphone mobile étanche. Elle a pu appeler sa mère et les secours sont arrivés à elle trois heures et vingt minutes plus tard, elle était en état d'hypothermie et a été hospitalisée à Bastia. Sans ce téléphone, elle serait morte.

Florence Arthaud a publié sa première autobiographie en 2009, "Un Vent de liberté" (préfacé par son mentor Olivier de Kersauson) aux éditions Arthaud. Elle en a sorti une seconde terminée juste avant sa mort et qui est parue le 19 mars 2015, "Cette nuit, la mer est noire" aux éditions Arthaud. Mais il ne s'agissait plus de mer. Le ciel était beau, elle aurait pu titrer : Ce jour, le ciel était noir. Noir de tristesse pour sa disparition. Dix ans plus tard, son souvenir est toujours présent, dans de nombreuses villes qui ont baptisé une voie ou un bâtiment de son nom.

Aux premières pages de ce dernier livre, elle livrait : « La beauté de cette solitude ne peut être décrite que par ceux qui la vivent. Beauté de ce décor sauvage, beauté de la liberté goûtée ici sans entraves, beauté de cet univers mystique et fascinant, beauté de ces moments magiques où le temps n'existe plus et où les rêves peuvent devenir réalité. (…) Les solitudes marines sont inaccessibles aux crispations humaines. ».


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (08 mars 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Florence Arthaud.
Marie Marvingt.
Usain Bolt.








https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250309-florence-arthaud.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/sports/article/florence-arthaud-chacun-prend-feu-259098

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/03/07/article-sr-20250309-florence-arthaud.html



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