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politique - Page 19

  • Sondage secret : le tour de chauffe de François Ruffin !

    « L’équipe du député de la Somme a fait réaliser une enquête d’opinion dans laquelle il apparaît plus fort que Mélenchon si la gauche s’unit pour 2027. » ("Libération", le 21 avril 2024).


     

     
     


    Décidément, la campagne des élections européennes parle de tout sauf de l'Europe, et plus préférentiellement, parle de l'élection présidentielle de 2027. C'est le problème avec la course aux petits chevaux de la Cinquième République, la campagne présidentielle démarre dès la fin de la précédente. Avec le quinquennat, inutile de dire qu'on ne vit que des supputations préprésidentielles, mais même avec le septennat, c'était pareil !

    L'information provient d'un article de Charlotte Belaïch publié dans "Libération" la matinée du dimanche 21 avril 2024 et a valeur de coup de tonnerre : François Ruffin pourrait se qualifier au second tour d'une élection présidentielle et ferait jeu égal avec Marine Le Pen.

    Avec cette information, il y a de quoi disserter sur beaucoup de sujets mais il faut bien rappeler que, hors contexte, les sondages d'intentions de vote à des élections ne valent quasiment rien : il y a d'abord l'identité de tous les candidats qui n'est pas connue (une élection, c'est avant tout une compétition entre plusieurs personnalités), et ensuite, il y a une campagne, avec des candidats qui tentent de montrer qu'ils seraient les meilleurs, et qui peuvent même convaincre des indécis et des hésitants.

    La seule réelle information du sondage est un enfonçage de porte ouverte : les Français de gauche aimeraient mieux François Ruffin que Jean-Luc Mélenchon. À part cette très grande découverte, il n'y a pas trop à supputer sur ce sondage même si je vais en proposer quelques commentaires.

    La première chose à savoir, c'est que c'est un sondage secret, ce qui veut dire que c'est un sondage qu'un candidat finance dans le but de connaître la faisabilité d'une candidature. C'est fréquent dans la perspective d'une élection municipale dans une grande ville (ne serait-ce que pour sonder déjà la notoriété du candidat potentiel). Autant que ça vaille le coup. Il n'y a que des exceptions comme Anne Hidalgo pour, après des premiers tests catastrophiques, se convaincre qu'on ferait un bon candidat. Les autres y renoncent sauf s'ils veulent faire du témoignage (comme les trotskistes). Mais avant l'élection de 2017, on trouvait déjà ce genre de résultats avec Benoît Hamon préféré à Jean-Luc Mélenchon, puis avant l'élection de 2022, avec Yannick Jadot préféré à Jean-Luc Mélenchon, et dans les dernières semaines de campagne, Jean-Luc Mélenchon a explosé et dépassé tous ses concurrents de gauche dans les urnes parce qu'il reste excellent tribun.

    Pour le dire franchement, François Ruffin, certes, a l'air sympa, mais est-ce suffisant pour diriger la sixième (ou septième) première puissance mondiale ? Quelle est sa doctrine militaire ? Sa vision à long terme de l'Europe ? Sa stratégie industrielle ? À part : il faut faire payer les riches ? Il y a le contenu du programme politique, mais il y a aussi le tempérament, et, ma foi, je ne le vois pas du tout dans le rôle du candidat. Oui, dans le rôle du candide, mais dans le rôle du candidat, celui qui doit promettre, faire rêver, avoir de l'aplomb et à la fin (et aucun grand candidat n'y échappe), dire n'importe quoi car réussir à convaincre la majorité absolue des électeurs d'une France si éclatée à voter sur son nom, forcément, il y aura des malentendus, voire de la tromperie (on se souvient de la guerre contre la finance internationale en 2012 !). Je ne le vois pas sombrer dans une surenchère de démagogie, et cela plus par naïveté que par bonne conscience morale.

    L'institut de sondages sollicité par les proches de François Ruffin est Cluster17. Il a proposé aux sondés deux hypothèses de premier tour : l'une avec François Ruffin comme unique candidat de la gauche, l'autre avec Jean-Luc Mélenchon à sa place. Le reste est inchangé, à savoir Marine Le Pen candidate de RN, Édouard Philippe représentant les couleurs macronistes, Laurent Wauquiez pour LR, sans oublier Éric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan. Le sondage a été réalisé sur Internet du 2 au 5 avril 2024.

    Dans l'hypothèse Ruffin, c'est un coup de tonnerre : il se qualifierait pour le second tour en dépassant Édouard Philippe de 4 points avec 29% d'intentions de vote, à 1 point derrière Marine Le Pen. Le coup de tonnerre n'est pas interne à la gauche mais laisserait entendre que le candidat macroniste pourrait être éjecté dès le premier tour de la compétition. Ce serait une douche froide pour tous les électeurs modérés favorables à la construction européenne et aux valeurs républicaines de progrès.

     

     
     


    Dans l'hypothèse Mélenchon, on retrouverait le rapport de forces de l'élection présidentielle de 2022 : Jean-Luc Mélenchon serait exclu du second tour avec seulement 18%, derrière Édouard Philippe 31% et Marine Le Pen 32%.
     

     
     


    La comparaison des deux hypothèses de premier tour se suffisent à elles-mêmes et ce qu'il fallait démontrer serait ainsi démontré : François Ruffin obtiendrait 11 points de plus que Jean-Luc Mélenchon et dans le package, pourrait concourir pour le second tour face à Marine Le Pen. Et pourrait même être élu !

    Deux hypothèses de second tour ont été testées, mais pas celle la plus probable, Marine Le Pen versus Édouard Philippe, ce qui aurait été intéressant (mais l'association de François Ruffin n'avait sans doute pas assez d'argent pour faire ce troisième test).

    La première hypothèse est Marine Le Pen versus François Ruffin, et ils seraient tous les deux avec le même niveau de voix, à 50% (ce qui fait qu'on ne peut pas conclure).
     

     
     


    Dans la seconde hypothèse, Marine Le Pen versus Jean-Luc Mélenchon, ce dernier s'effondrerait à 35% face à 65% pour la leader du RN. Là encore, la démonstration serait faite que François Ruffin tiendrait bien mieux face à Marine Le Pen que le gourou vieillissant des insoumis.
     

     
     


    Si on osait aller plus loin dans l'analyse, on dirait qu'il y aurait une réelle incohérence entre ces deux hypothèses. En gros, 30% (15%/50%) des électeurs qui auraient voté pour François Ruffin au second tour voteraient pour Marine Le Pen si elle était opposée à Jean-Luc Mélenchon. De même, en comparant les deux hypothèses du premier tour, 38% (11%/29%) des électeurs qui auraient voté pour François Ruffin au premier tour ne voteraient pas pour Jean-Luc Mélenchon si c'était le candidat de la gauche et se reporteraient majoritairement sur Édouard Philippe (6 points sur les 11 points perdus par Jean-Luc Mélenchon), également sur Marine Le Pen (2 points), Nicolas Dupont-Aignan (1 point) et 1 point seulement à gauche (Philippe Poutou).

    Cela montre que le sondage est foireux car il ne prend pas en compte les programmes. Or, que ce soit François Ruffin ou Jean-Luc Mélenchon, c'est bien le programme des insoumis qui serait identique et en vitrine et qui paraît assez incompatible avec un vote Édouard Philippe (par exemple).


    Bien entendu, l'analyse devrait tenir compte de l'abstention, car dans l'hypothèse d'un second tour RN versus FI, beaucoup d'électeurs (ceux du pôle central) n'y retrouveraient plus leurs petits (ce serait mon cas). Mais ce serait aussi le cas entre les deux hypothèses du second tour adoptées : ainsi, 33% des sondés s'abstiendraient dans le cas d'un duel Marine Le Pen versus François Ruffin, tandis que 42% des sondés s'abstiendraient dans le cas d'un duel Marine Le Pen versus Jean-Luc Mélenchon. Cela montrerait surtout que François Ruffin est capable de mieux rassembler la gauche que Jean-Luc Mélenchon, réussissant à préserver l'électorat extrémiste insoumis tout en séduisant la partie plus modérée de la gauche non macroniste, à savoir écologiste et socialiste.
     

     
     


    L'abstention observée au premier tour serait nettement moindre, ce qui est logique dans la mesure où l'offre politique serait plus large : dans le cas d'une candidature de François Ruffin, 23% seraient abstentionnistes, et dans le cas d'une candidature de Jean-Luc Mélenchon, 27% seraient abstentionnistes, ce qui confirmerait qu'une partie des électeurs de gauche rejetteraient absolument Jean-Luc Mélenchon mais seraient prêts à voter François Ruffin. L'ordre de grandeur de l'abstention est compatible avec l'abstention habituellement constatée dans la réalité des élections présidentielles passées.
     

     
     


    Cependant, deux biais gigantesques remettent en question l'intérêt et les conclusions d'un tel sondage (sauf, je le répète, de conclure que les électeurs de gauche, dans leur globalité, préféreraient François Ruffin à Jean-Luc Mélenchon).

    Le premier biais est valable dans tous les sondages, et c'est pour cela qu'au-delà de la simple mesure photographique d'un état de l'opinion qui pourrait évoluer au cours du temps, il y a aussi la marge d'erreur, très importante lorsque les scores se rapprochent de 50%. Dans les mentions officielles, il est dit et répété (notamment sur les slides des résultats) que le sondage est réalisé par Cluster17
    « auprès d'un échantillon de 1 713 personnes représentatif de la population française ». 1 713, c'est déjà pas mal quand souvent d'autres prennent à peine 1 000 personnes.

    Mais il faut aussi lire le détail technique de ce sondage, qui est pourtant clairement expliqué à qui veut le lire précisément. Et ce nombre de 1 713 n'est pas celui qu'il faut prendre pour calculer les intervalles d'incertitude : il est en fait bien plus faible. En effet, il faut prendre en compte ceux, parmi les 1 713 personnes, qui ne sont pas inscrits sur une liste électorale et par conséquent, qui ne voteront de toute façon pas, puis retrancher encore ceux qui n'ont aucune intention de voter, puis pondérer par ceux qui hésiteraient à voter (dont la probabilité de vote est entre 0 et 1).
     

     
     


    Et cela donne nettement moins : seulement 1 238 personnes pour l'hypothèse Ruffin du premier tour. Et 1 063 personnes pour l'hypothèse Marine Le Pen versu François Ruffin au second tour. Inutile d'évoquer les deux hypothèses avec Jean-Luc Mélenchon car la différence des résultats obtenus est trop grande (relativement aux insoumis ou par rapport aux autres candidats) pour que le calcul de la marge d'erreur puisse avoir un intérêt (même si cette marge est plus grande car les personnes sont moins nombreuses à vouloir se plier à ces choix).

    Pour le premier tour avec François Ruffin, l'intérêt est de connaître le niveau d'avance avec Édouard Philippe, 29% par rapport à 25%, c'est important puisque cela préfigurerait le second tour. Cela donnerait ainsi Édouard Philippe à 25% +/- 2,45%, tandis que François Ruffin serait à 29% +/- 2,6% soit : Édouard Philippe entre 22,5% et 27,5% tandis que François Ruffin entre 26,4% et 31,6%. Donc conclure avec ce sondage que François Ruffin dépasserait Édouard Philippe est une grossière erreur puisque les intervalles d'incertitude se chevauchent, d'où, avec les mêmes résultats, la possibilité que le score soit en fait inversé, avec une avance de 1 point, par exemple, de l'ancien Premier Ministre. Mais dans cette même logique, Marine Le Pen, qui serait à 30% +/- 2,6%, c'est-à-dire entre 27,4% et 32,6%, pourrait donc être dépassée par François Ruffin (dans l'incertitude haute pour les insoumis), ce qui reviendrait à dire que le candidat FI serait premier du premier tour (résultat qui, politiquement, a tout de même peu de chance de survenir). Je n'ai pas fait le calcul pour l'hypothèse Mélenchon du premier tour, car ce n'était pas l'objet du sondage, mais il est clair que Marine Le Pen et Édouard Philippe seraient au coude-à-coude et cela pourrait bien sûr être Édouard Philippe au premier rang, dépassant la candidate du RN.
     

     
     


    Dans l'hypothèse du second tour avec François Ruffin, comme les scores seraient de 50% chacun, l'intervalle donné par la fiche technique explique qu'en fait, ils seraient compris entre 47% et 53%. Bref, à peu près l'écart de tous les candidats au second tour sauf en 1965, 1969, 2002, 2017 et 2022. Bref, le sondage dit surtout que tout est possible, nous voilà bien avancés !

    Mais au-delà de ces calculs d'apothicaires de la vie électorale, le sondage de Cluster17 commandé par François Ruffin pêche par un second biais bien plus grave, celui de figer l'ensemble des candidats du premier tour. Si Marine Le Pen, Éric Zemmour, et, dans une moindre mesure, Laurent Wauquiez, ont une forte probabilité de participer au scrutin de 2027, il n'en est pas de même pour les autres. La présence de Nicolas Dupont-Aignan devient moins évidente depuis qu'il s'est retiré des élections européennes (ce qui avantagerait l'extrême droite). De même, le candidat du camp macroniste est loin d'être connu et Gabriel Attal pourrait aussi créer la surprise.

    Toutefois, de toutes ces hypothèses, le biais principal reste l'hypothèse que le candidat insoumis soit le candidat unique de la gauche, de Lutte ouvrière aux radicaux de gauche, en passant par le PS, le PCF, EELV, et FI, ce qui n'est absolument pas crédible alors qu'ils ne s'entendent sur rien ! D'autant plus que l'hypothèse de garder un candidat du NPA, avec Philippe Poutou, est plutôt fantaisiste car ce parti est ruiné (par l'effet attractif de FI) et plutôt unitaire, alors que LO a toujours été autonomiste (refusant même de voter lors du second tour en 2002).


    Toute cette mousse médiatique sur ce sondage est donc assez stérile mais elle prouve deux choses : François Ruffin a envie d'y aller, à la présidentielle de 2027, et il aura des soutiens, de ceux qui veulent que Jean-Luc Mélenchon prennent définitivement sa retraite. L'autre chose est moins agréable pour la gauche : les électeurs de gauche modérés, qui ne supportent pas Jean-Luc Mélenchon et pensent trouver dans le vote pour Raphaël Glucksmann aux élections européennes une voie raisonnable, se trompent complètement : voter Glucksmann, c'est voter PS et donc, à terme, voter pour FI lors des choses sérieuses, en 2027.

    Car si j'explique juste avant que la réunion de toute la gauche à l'élection présidentielle n'est pas crédible dans la situation actuelle, et c'est vrai surtout dans le cas d'une candidature de Jean-Luc Mélenchon (il suffit de voir en 2017 et 2022), ce genre de sondages pourrait, par leur fonction autoréalisatrice, conduire les appareils partisans de gauche à renoncer à se présenter à la présidentielle derrière une figure incontestée parce que peu politique comme celle de François Ruffin, mais, je le répète, derrière François Ruffin restera toujours le programme de FI qui est anti-européen, pro-Poutine, pro-palestinien et qui considère le Hamas comme faisant des actes de résistance légitimes.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (21 avril 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :

    Sondage secret : le tour de chauffe de François Ruffin !
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    Marine Le Pen en tête dans un sondage : attention au buzz !

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240421-francois-ruffin.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/sondage-secret-le-tour-de-chauffe-254289

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/22/article-sr-20240421-francois-ruffin.html




     

  • Le vote des femmes en France depuis 80 ans

    « De même que nous prétendons rendre la France seule et unique maîtresse chez elle, ainsi ferons-nous en sorte que le peuple français soit seul et unique maître chez lui. En même temps que les Français seront libérés de l'oppression ennemie, toutes leurs libertés intérieures devront leur être rendues. Une fois l'ennemi chassé du territoire, tous les hommes et toutes les femmes de chez nous éliront l'Assemblée Nationale qui décidera souverainement des destinées du pays. » (De Gaulle, le 23 juin 1942).


     

     
     


    Cela fait quatre-vingts ans que les femmes ont le droit de voter en France, le 21 avril 1944. Quatre-vingts ans, c'est beaucoup, et en même temps, c'était hier ! La République a deux cent trente ans, la France plus de mille ans, alors quatre-vingts ans, la vie d'un homme, enfin, d'une femme. J'y songe maintenant : ma grand-mère n'a pas pu voter quelques jours après son mariage, au printemps 1936. Elle avait pourtant 19 ans mais elle n'en avait pas le droit (certes, la majorité électorale était de 21 ans). Elle a dû attendre encore neuf ans ! Ce qui est bizarre, c'est que Léon Blum avait quand même nommé trois femmes dès 1936 dans son gouvernement (dont la chimiste Irène Joliot-Curie).$

    Les femmes françaises (de métropole, précisons-le !) ont le droit de voter à toutes les élections depuis que De Gaulle, chef de la France libre, a signé (promulgué) l'ordonnance du 21 avril 1944 portant organisation des pouvoirs publics en France après la Libération. Dans son article 17, il est donc proclamé : « Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes. ». Mais en fait d'éligibilité, elles étaient déjà éligibles peu avant, dès novembre 1943, puisque plusieurs femmes ont été désignées membres de l'Assemblée consultative provisoire, l'équivalent d'une chambre parlementaire avant les premières élections en 1945. En particulier, en furent membres Marthe Simard, Lucie Aubrac, Marie-Claude Vaillant-Couturier, etc. Cette ordonnance du 21 avril 1944 a été complétée (et le vote des femmes confirmé) le 4 octobre 1944, après la formation du Gouvernement provisoire de la République française. La première application de ce droit a eu lieu le 29 avril 1945 lors des premières élections après le début de la guerre, le premier tour des élections municipales.

    Quant aux scrutins nationaux, les femmes ont pu commencer à voter aux élections pour désigner l'Assemblée Nationale Constituante le 21 octobre 1945 à l'issue desquelles 33 femmes ont été élues députées (17 PCF, 9 MRP, 6 SFIO et 1 PSL/CNIP, aucune radicale !). Madeleine Braun a été la première femme vice-présidente de l'Assemblée Nationale en 1946, Marie-Madeleine Dienesch a été la première femme présidente de commission en 1967 et Denise Cacheux la première femme questeure en 1986. C'était un début qui n'a guère évolué pendant une cinquantaine d'années. Et il faudra attendre 2022 pour voir élire la première femme au perchoir, Yaël Braun-Pivet. Et 1991 et 2022 pour les deux premières femmes Premières Ministres : Édith Cresson et Élisabeth Borne.

    L'histoire a retenu que c'est De Gaulle qui a permis aux femmes de voter. C'est à la fois vrai (et la légende gaulliste n'en est que plus magnifique) et c'est aussi incomplet. Historiquement, beaucoup de personnes, avant De Gaulle, ont contribué à permettre l'aboutissement de ce droit qui, insistons-le !, est arrivé beaucoup trop tardivement en France. Alors que dans l'Ancien Régime, les femmes avaient le droit de vote aux États Généraux quand elles étaient des veuves dotées d'un fief ou des mères abbesses, les révolutionnaires ont complètement oublié les femmes dans leurs belles idées de liberté et d'égalité (et de fraternité, on ne parlait pas de sororité !).

    Pourtant, il y avait déjà des penseurs du vote des femmes. Ainsi, Condorcet a proposé le vote des femmes le 3 juillet 1790 dans un article, et Olympe de Gouges militait pour ce droit en septembre 1791, considérant ceci, fort logiquement : « La femme a le droit de monter sur l'échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la tribune. ». Elle a connu une triste fin, sous la froide lame de la guillotine, mais elle n'aura jamais fréquenté d'isoloir. Les belles âmes républicaines du XIXe siècle ont toujours exclu les femmes de leur universalisme. À la fin de ce siècle-là, des mouvements féministes réclamant ce droit se sont créés un peu partout dans le monde, y compris en France, ce furent les suffragettes, dont fut Louise Weiss (voir première photo en mai 1935). Louise Weiss fut la doyenne du Parlement Européen de 1979 à sa mort, en 1983, et à ce titre, la première femme à avoir présidé le Parlement Européen, avant l'élection de Simone Veil.

    Après la Première Guerre mondiale, l'affaire était pliée intellectuellement : les femmes avaient joué un rôle considérable pendant la guerre et leur citoyenneté devait nécessairement être reconnue. Entre mai 1919 et juillet 1936, pas moins de six propositions de loi allant dans ce sens (reconnaissance du droit de vote des femmes) ont été votées à la Chambre des députés, mais n'ont jamais abouti faute du vote du Sénat, soit parce que la proposition n'a pas été mise à l'ordre du jour, soit par simple "négligence". La cause des femmes était totalement entendue puisque les forces progressistes y étaient évidemment favorables, mais aussi les forces conservatrices, notamment depuis que le pape Benoît XV a approuvé un tel droit le 15 juillet 1919. Il faut aussi rappeler que Maurice Barrès, député pendant la guerre, a proposé en 1916 un texte de loi visant à permettre aux veuves et aux mères de soldats tués à la guerre de voter à leur place.

    La réalité crue, c'est que le vote des femmes a toujours pâti des considérations politiciennes des radicaux, dont le parti dominait le Sénat. Les radicaux s'inquiétaient de la nature du vote des femmes qu'ils pensaient plus proches des conservateurs et des catholiques que de la gauche anticléricale (surtout depuis que le pape a approuvé ce droit). Les députés radicaux votaient ces propositions de loi tandis que les sénateurs radicaux les refusaient, et même, certains députés, qui avaient voté une telle proposition, devenus sénateurs, changeaient leur position, ce qui indiquait que les radicaux faisaient tout pour éviter le vote des femmes sans pour autant le montrer trop ostensiblement (car ce n'était pas très populaire de s'y opposer).

    Paradoxalement, les radicaux qui étaient des républicains ultras en quelque sorte, dépositaires de l'espérance révolutionnaire, ont donc tout fait, sous la Troisième République, pour retarder le vote des femmes et ils en étaient donc les principaux responsables.
     

     
     


    Il faut aussi revoir précisément la construction de cette ordonnance du 21 avril 1944. De Gaulle était favorable au vote des femmes, cela ne fait aucun doute (le 18 mars 1944, il a répété encore à l'Assemblée consultative provisoire : « Le régime nouveau doit comporter une représentation élue par tous les hommes et toutes les femmes de chez nous. »), mais pour autant, il lui fallait convaincre une classe politique qu'il avait tenté de reconstituer avec le CNR avant la Libération. L'Assemblée consultative provisoire n'était pas unanime pour cette mesure pourtant d'égalité. Le député communiste Fernand Grenier (maire de Saint-Denis) présidait la commission de législation et de réforme de l'État et présenta son amendement pour inclure dans le texte de l'ordonnance le droit de vote et surtout l'éligibilité des femmes.

    À l'origine, la commission avait déjà adopté le principe du vote des femmes, mais elle avait néanmoins exclu qu'il fût appliqué dès les élections provisoires qui auraient lieu pendant la Libération (allez savoir pourquoi ! toujours cette idée de freiner et retarder sans cesse). Dans la discussion au sein de l'Assemblée, le député corse Paul Giacobbi a donné un argument récurrent : « Il est établi qu'en temps normal les femmes sont déjà plus nombreuses que les hommes. Que sera-ce à un moment où prisonniers et déportés ne seront pas encore rentrés ? ». Et de conclure : « Pensez-vous qu'il soit très sage dans une période aussi troublée (…) de nous lancer ex-abrupto dans cette aventure ? ». Une "aventure" ! Le résistant Ernest Bissagnet a complété la question : « L'amendement Grenier amènera un déséquilibre très net, car il y aura deux fois plus de femmes que d'hommes qui prendront part au vote. Aurons-nous une image vraie de l'idée du pays ? En raison de ce déséquilibre, je préfère que le suffrage des femmes soit ajourné. ».

    La réponse de Fernand Grenier était alors très simple : « L'éloignement de leur foyer de nombreux prisonniers et déportés qui ont été remplacés dans leurs tâches par leurs femmes confère à ces dernières un droit encore plus fort de voter dès les premières élections. ». Et d'ajouter : « Dans le domaine de la lutte contre l'ennemi, les femmes se sont révélées les égales des hommes, ainsi ces femmes qui, dans tous les domaines, font preuve d'un courage admirable, n'auraient pas le droit de vote ? ». Quant au député SFIO anti-munichois Louis Vallon (futur gaulliste du RPF puis de l'UDT), il retrouvait dans cette discussion les poisons et délices de la Troisième République : « À maintes reprises, le Parlement s'est prononcé à la quasi-unanimité pour le principe du vote des femmes mais, chaque fois, l'on s'est arrangé par des arguments de procédure pour que la réforme n'aboutisse pas. » (cité par Wikipédia).

    L'amendement de Fernand Grenier a été adopté le 24 mars 1944 à Alger par 51 voix pour et 16 contre. Parmi les pour : Paul Antier, Jules Moch, Fernand Grenier, Louis Vallon, Ernest Claudius-Petit, Raymond Aubrac, Emmanuel d'Astier de La Vigerie, Vincent Auriol, Ambroise Croizat, François Billoux, Albert Gazier, Robert Prigent, etc. Parmi les contre : Paul Giacobbi, mais aussi René Cassin, etc. N'ont pas pris part au vote : Félix Gouin (parce qu'il présidait la séance), Pierre Cot, Ernest Bissagnet, Léon Morandat, Albert Guérin, etc.

    Fernand Grenier a ainsi écrit dans ses mémoires : « C'est de cette séance du 24 mars 1944 que date en fait le vote des femmes en France. », se donnant ainsi le beau rôle (c'est l'histoire que racontent encore aujourd'hui le parti communiste). Néanmoins, le site de l'Assemblée Nationale précise l'importance de De Gaulle dans cette évolution en mettant ce bémol : « Mais l'impulsion était venue d'ailleurs. Et cette conclusion semi-parlementaire n'effaçait pas 40 ans d'enlisement du législateur. ».


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    Sylvain Rakotoarison (21 avril 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


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    Le vote des femmes en France.
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    La convocation du Parlement en Congrès pour l'IVG.
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    Six ans plus tard.
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    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/le-vote-des-femmes-en-france-254042

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/21/article-sr-20240421-vote-des-femmes.html


     

  • Les Cent jours de Gabriel Attal à Matignon

    « Moi, je pense que la politique et que ma responsabilité en tout cas, ce n'est pas seulement de faire des grands récits, c'est aussi de répondre à des petits problèmes et de faire des progrès dans la vie quotidienne des Français. » (Gabriel Attal, le 18 avril 2024 sur BFMTV).



     

     
     


    Journée importante pour le Premier Ministre Gabriel Attal que ce jeudi 18 avril 2024 censé "fêter" (façon de parler) ses 100 jours à Matignon. Et pas n'importe comment : le matin, un discours important à Viry-Châtillon sur le retour à l'autorité chez les enfants et adolescents, et le soir, une émission politique importante sur BFMTV.

    Comme pour tous les Premiers Ministres, le job est un contrat à durée déterminée indéterminée. Le Premier Ministre peut être remplacé du jour au lendemain. Ce qui fait que chaque journée, chaque minute compte, bien évidemment. Pas étonnant qu'au bout de six mois, ils sont d'office décoré de l'ordre national du Mérite. C'est sans doute la fonction la plus épuisante de France, de toutes les fonctions, privées et publiques confondues.


    Sur l'autorité à l'école, Gabriel Attal a tenté de répondre aux faits-divers qui ont endeuillé plusieurs famille pour avoir touché la vie de plusieurs collégiens, en particulier à Viry-Châtillon où un adolescent est mort après avoir été battu près de son collège. Pour le chef du gouvernement, la violence des mineurs provient d'un manque de respect à l'autorité. Gabriel Attal a énuméré un certain nombre de mesures comme l'inscription dans Parcoursup des protestations et des contestations de l'autorité de l'école, ce qui pourra handicaper des élèves violents dans la poursuite de leurs études supérieures, de la signature d'un contrat d'engagement à respecter l'autorité et les valeurs de la République chaque année entre les parents, les établissements et les élèves, la généralisation à l'école primaire des cours d'empathie, la possibilité d'une place en internat pour les jeunes violents pour les éloigner de leurs mauvaises fréquentations, le contrôle de l'âge réel des jeunes qui s'inscrivent dans les réseaux sociaux (il doit être supérieur à 15 ans), avec la possibilité d'une vérification entre l'opérateur et le fichier des inscriptions dans un établissement scolaire, une responsabilisation accrue des parents, en particulier la responsabilité solidaire des réparations financières des deux parents, même s'ils sont séparés, en cas de dégâts provoqués par leur enfant, etc. Pour Alain Duhamel, Gabriel Attal est très crédible dans ce domaine qui a été son leitmotiv quand il a été Ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse.

    L'émission du jeudi soir sur BFMTV était un exercice beaucoup plus périlleux pour le Premier Ministre. Cinq journalistes l'ont interrogé selon des thèmes précis. Gabriel Attal s'est montré à la fois humble et modeste face à sa tâche, et aussi factuel, concret, précis sur les mesures qu'il a prises, souvent en corrigeant les fake-news ou les mauvaises interprétations. Un exemple parmi d'autres : la suppression d'une prime spéciale pour l'alternance. Depuis 2017, il y a eu une forte augmentation des formations en alternance, voulue par le Président de la République. Pendant la crise du covid-19, le gouvernement avait mis en place une prime spéciale pour soutenir l'alternance. La crise étant finie, le gouvernement vient de la supprimer. Ce n'était pas cette prime qui avait permis la progression de l'alternance en France et il faut savoir si on critique le déficit budgétaire (en s'aidant de la Cour des Comptes en passant) ou si on critique le fait de réduire les dépenses publiques (en particulier, la suppression de cette prime spéciale était une mesure préconisée par la Cour des Comptes).

    Toutefois, on pourra regretter que les journalistes qui l'ont interrogé ne l'écoutaient pas et l'interrompaient sans cesse, histoire de montrer qu'ils ne seraient pas allégeants. Comme le veut leur profession, ils essayaient avant tout de faire sortir "la" petite phrase qui ferait le buzz dans les prochains jours, tout en faisant la promotion de leur employeur (en l'occurrence BFMTV). Déviation professionnelle particulièrement néfaste pour avoir une vue éclairée de la vie politique, puisque ce qui compte, à leurs yeux, n'est que de vaines polémiques anecdotiques. Évidemment, pour le professionnel de la communication qu'est Gabriel Attal, il y avait peu de chance qu'il tombât dans les nombreux pièges parfois subtils de ses interviewers, et même de ce côté : tout est de la com' ! En effet, Gabriel Attal a répondu en disant que si tout ce qu'il faisait était de la communication, on ne l'attaquerait pas sur des mesures concrètes, il n'y aurait pas de débat, sur l'assurance-chômage, sur le RSA, etc.

     

     
     


    Parmi les pièges, Ulysse Gosset a beaucoup interrogé Gabriel Attal sur la situation en Ukraine et au Proche-Orient (on note au passage que le Premier Ministre était assez convaincant sur ces sujets qu'ils connaissaient pourtant assez mal par son expérience gouvernementale, même si le Premier Ministre est responsable de la défense nationale et qu'à ce titre, il est membre du conseil de défense).

    Ulysse Gosset lui a demandé quelle serait la position de la France, qui soutiendrait-elle ?, en cas d'escalade et de guerre directe entre Israël et l'Iran. Malgré l'insistance du questionneur chevronné, Gabriel Attal s'est bien gardé de répondre à cette question qui se base sur une hypothèse dans laquelle il refuse de se placer puisque la France fait tout diplomatiquement pour éviter une telle escalade et une telle guerre. En se plaçant dans ces conditions de guerre, cela signifierait que la France les aurait déjà tenues pour acquises.

    Mais la palme revient à Benjamin Duhamel pour les questions de politique politicienne particulièrement sans intérêt. Gabriel Attal a sans doute peu convaincu lorsqu'il a dit qu'il ne songeait pas à l'élection présidentielle de 2027 (contrairement à certains rivaux dans la majorité comme Édouard Philippe, Bruno Le Maire et Gérald Darmanin), mais finalement, on peut imaginer sa sincérité. Il est Premier Ministre, donc, comme le disait Georges Pompidou, dès qu'il a posé le pied à Matignon, l'hypothèse de l'Élysée se diffuse, mais d'un autre côté, cette fonction étant terriblement à court terme, où il doit éteindre des incendies, répondre à des urgences, qu'il n'a même pas le temps de voir un horizon à trois mois, alors, à trois ans, c'est très loin et personne ne pourra dire où il sera à cette date. En revanche, lui se voit mal encore dans la vie politique dans vingt ou trente ans.

     

     
     


    La question de Benjamin Duhamel sur le vote d'une éventuelle motion de censure cet automne contre le projet de loi de finance, comme le menace le groupe LR, paraît aussi fantaisiste qu'une guerre réelle entre Israël et l'Iran : pourquoi dire ce que ferait le gouvernement dans un tel cas alors qu'il pourrait ne jamais survenir ? Il faut noter qu'en cas de vote d'une motion de censure, Gabriel Attal le considérerait comme un événement politique majeur (il n'a pas tort). Et la réaction à un tel événement n'est d'ailleurs pas du ressort du Premier Ministre mais du Président de la République (changement de Premier Ministre, dissolution, référendum...).

    Pas de réponse satisfaisante pour les porteurs d'audience non plus à propos de la petite phrase de Laurent Fabius évoquée de manière très imprécise par Benjamin Duhamel. À l'époque, c'était son oncle Alain Duhamel qui avait posé la question le 5 septembre 1984 dans "L'Heure de vérité" sur Antenne 2 au tout jeune Premier Ministre Laurent Fabius : « Vous avez tout appris de la politique auprès de François Mitterrand. Peut-on être un chef de gouvernement autonome lorsque l’on devient le premier collaborateur de celui dont on a toujours été le collaborateur ? ». Et Laurent Fabius de répondre : « Je vais vous faire une révélation, lui, c’est lui, moi c’est moi ! ». Benjamin Duhamel aurait rêvé d'une telle nouvelle petite phrase qui resterait dans les annales de l'histoire audiovisuelle. Mais il faut pour cela être un peu plus malin ! Démentant les éventuels désaccords entre Emmanuel Macron et lui-même, Gabriel Attal a insisté pour dire que ces rumeurs existent depuis qu'existe le couple Président/Premier Ministre et que, de toute façon, ils sont deux personnes différentes, donc forcément il y a des nuances.

    Gabriel Attal a voulu montrer d'abord l'image d'un Premier Ministre qui allait au charbon, qui travaillait, qui s'occupait des gens, qui ne pensait pas en se rasant ce qu'il deviendrait plus tard mais qui se demandait ce qu'il pourrait faire tout de suite pour servir le pays et les Français. S'il a été très pugnace dans ses critiques contre le RN (en particulier, leur vulgarité de langage qui n'est pas sans faire penser aussi aux comportements violents à l'école), il n'a pas montré beaucoup d'arrogance et a même laissé entendre qu'il restait impressionné par ses fonctions. Il a refusé de parler d'enfer de Matignon alors que c'est une mission exaltante et qu'on peut toujours quitter si c'est trop difficile. À la question sur : à qui demandez-vous conseil pour certaines questions difficiles ?, le Premier Ministre a été étonnamment sincère : il en parle avec ses conseillers (qui en douterait ?), ses ministres concernés ...et sa famille. Mais il ne consulte pas des personnalités comme François Bayrou ou Édouard Philippe, par exemple. Sa réponse franche montre surtout à quel point, au sommet de l'État, le pouvoir est excessivement solitaire.

    Quant à la campagne des élections européennes, Gabriel Attal a estimé qu'elle n'avait pas encore vraiment commencé et que la question sur l'avenir de l'Europe n'intéressait pas les journalistes ni l'opposition qui ne pensent qu'à en faire une étape nationale sur le chemin de la prochaine présidentielle. Seule la liste menée par Valérie Hayer pense réellement à l'Europe, avec des projets concrets. En somme, Gabriel Attal devrait tout être : chef du gouvernement, ministre de tout... et tête de liste aux européennes. En tout cas, il a expliqué que son adversaire n'était pas Jordan Bardella, député européen, mais Marine Le Pen puisqu'en tant que Premier Ministre, il est avant tout responsable devant le Parlement et que Marine Le Pen est la présidente du plus grand groupe d'opposition. C'est donc un débat avec Marine Le Pen, qu'elle refuse, qu'il a proposé à nouveau pour faire comprendre aux Français les différences (majeures) de l'offre politique.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (18 avril 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Les Cent jours de Gabriel Attal à Matignon.
    Ukraine : Gabriel Attal attaque durement le RN et Marine Le Pen !
    Séminaire gouvernemental, conseil de cabinet et conseil des ministres.
    Les souris du gouvernement de Gabriel Attal.
    Liste complète de tous membres du premier gouvernement de Gabriel Attal au 8 février 2024.
    Mais quelle mouche a donc piqué François Bayrou ?!
    Le capitaine Gabriel Attal fixe le cap du réarmement de la France.
    Discours de politique générale du Premier Ministre Gabriel Attal le 30 janvier 2024 à l'Assemblée Nationale (texte intégral et vidéo).
    Les 10 mesures de Gabriel Attal insuffisantes pour éteindre la crise agricole.
    Gabriel Attal répond à Patrick Kanner sur les crédits pour l'hôpital.
    Pour que la France reste la France !

    Conférence de presse du Président Emmanuel Macron le 16 janvier 2024 à 20 heures 15 à l'Élysée (texte intégral et vidéo).
    Gabriel Macron.
    Tribune du Président Emmanuel Macron dans "Le Monde" du 29 décembre 2023.

    Le gouvernement de Gabriel Attal sarkozysé.
    Liste complète des membres du premier gouvernement de Gabriel Attal.
    Cérémonie de passation des pouvoirs à Matignon le 9 janvier 2024 (texte intégral et vidéo).
    Gabriel Attal plongé dans l'enfer de Matignon.
    Élisabeth Borne remerciée !
    Macron 2024 : bientôt le grand remplacement ...à Matignon ?
    Vœux 2024 d'Emmanuel Macron : mes chers compatriotes, l’action n’est pas une option !












    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240418-gabriel-attal.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/les-cent-jours-de-gabriel-attal-a-254233

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  • Olivier Besancenot et le facteur temps

    « La plupart des gens ont intériorisé qu’ils ne pouvaient se représenter eux-mêmes. Qu’il fallait des intermédiaires. Que la politique est affaire de gens sérieux. Quand nous présentons un facteur ou un ouvrier de l’automobile à la présidentielle, ils disent que c’est formidable… mais pas crédible. (…) Prendre la parole, aujourd’hui, est le premier acte de résistance. Refuser que d’autres la prenne pour nous, c’est le premier geste d’émancipation. » (Olivier Besancenot, le 13 novembre 2017).



     

     
     


    Prendre la parole, c'est ce que sait faire avec talent l'ancien candidat trotskiste à l'élection présidentielle Olivier Besancenot qui fête son 50e anniversaire ce jeudi 18 avril 2024. Malgré cet âge seuil, l'homme garde son visage d'adolescent.

    Comme l'expliquait en effet Nicolas Domenach le 26 mars 2018 dans "Challenges", et c'est encore d'actualité, le (jeune) homme a « un talent "d’affranchi" qui en fait "un bon client" des hauts plateaux médiatiques. Il a toujours son visage poupin, ses joues rebondies d’écureuil de la poste pleines de noisettes et de punchlines qu’il distribue allègrement. (…) Il bénéficie du mythe positif de l’employé des postes qui fait du lien social avec ses lettres et ses sourires. C’est le facteur des Jours heureux de Jacques Tati… Mais ce non-sectaire appartient aussi à une famille politique frappée de scissiparité sectaire aiguë. Vous mettez deux trotskystes ensemble et ça finit par faire trois tendances. Au moins… ».

    Des deux principales formations trotskistes, le NPA (Nouveau parti anticapitaliste), issu de la LCR (Ligue communiste révolutionnaire), créé le 5 février 2009, n'a pas toujours été au rendez-vous des élections présidentielles, tandis que LO (Lutte ouvrière) a montré une très grande assiduité avec ses deux porte-parole historiques, Arlette Laguiller et Nathalie Arthaud. En revanche, le mouvement d'Olivier Besancenot (LCR puis NPA) a fait souvent de la jeunesse un tremplin ou un argument. Alain Krivine avait 27 ans (à un mois de ses 28 ans) quand il s'est présenté à l'élection présidentielle de 1969 (il était même en train d'effectuer son service militaire quand il s'est présenté !).

    Olivier Besancenot n'a donc pas battu ce record de jeunesse, mais n'en était pas loin en 2002 à 28 ans et quelques jours. Normalement, il était prévu une candidature commune de LO et de la LCR, pour confirmer le succès de cette union électorale réalisée aux élections européennes de 1999 (pour la première fois, les trotskistes avaient gagné cinq sièges au Parlement Européen dont Arlette Laguiller, Alain Krivine et Roseline Vachetta). Toutefois, les négociations n'ont pas abouti et il y a eu ...trois candidats trotskistes à l'élection présidentielle de 2002 dont Olivier Besancenot, inconnu du grand public, qui a fait très bonne impression par sa jeunesse, sa spontanéité, mais aussi son habileté à sortir ses éléments de langage de militant d'extrême gauche.


    Car c'est bien cela qui prime dans la communication politique : une bonne tête d'honnête homme, un homme sympa, à qui on confierait ses enfants comme à un jeune oncle. Pourtant, il est redoutable, tant dans les interviews que dans les débats. Il a appris toutes ses leçons excellemment et il les répète avec l'aisance d'un bon acteur de théâtre. Son slogan simpliste de 2002 était imparable : « Nos vies valent plus que leurs profits ! ». Cette séparation entre "nous" et "eux" est propre aux extrémismes, à gauche contre les riches, à droite contre les personnes d'origine étrangères, mais à la fin, ça revient au même, c'est séparer le peuple dont tout le monde fait partie.

    Beaucoup d'électeurs de gauche un peu déprimés par Lionel Jospin ont été séduits par cette facilité d'argumentation. Résultat, au lieu du 1% habituellement obtenu par la LCR, Olivier Besancenot a recueilli 4,2% des suffrages exprimés, soit 1,2 million de voix ! Et cet exploit s'est réalisé dans un contexte où Arlette Laguiller a obtenu, elle aussi, un bon score, 5,7% des voix (1,6 million de voix), ce qui fait, en rajoutant le troisième larron d'extrême gauche Daniel Gluckstein du Parti des travailleurs, 10,4% des suffrages exprimés (près de 3 millions de voix !). Cette élection était particulière puisque Jean-Marie Le Pen venait d'être qualifié au second tour.

    Après avoir mené une liste aux élections européennes de 2004 (où il a obtenu 2,8%), Olivier Besancenot s'est présenté à nouveau à l'élection présidentielle de 2007 (il a réuni 4 000 personnes dans un meeting électoral le 18 avril 2007 à la Mutualité de Paris, ce qui est un record pour la LCR) avec le même succès qu'en 2002 (il a obtenu 1,5 million de voix, soit 4,1%) tandis qu'Arlette Laguiller avait terminé son temps avec seulement 1,3% des voix. Olivier Besancenot a montré qu'il avait une grand capacité à être le porte-parole des trotskistes. Après lui, en 2012, en 2017 et en 2022, Philippe Poutou, candidat du NPA, n'allait faire qu'autour de 1% des suffrages (et Nathalie Arthaud, candidate de LO, seulement la moitié).

    Dans les années 2000, Olivier Besancenot a donc été placé sous les projecteurs et sa stratégie unitaire a porté quelques fruits. Il est favorable à des mouvements sociaux unitaires contre Nicolas Sarkozy, puis contre François Hollande, puis contre Emmanuel Macron. Pour lui, c'est simple, les gouvernements sont vendus au méchant patronat qui ne fait qu'exploiter les pauvres ouvriers (en oubliant d'ailleurs que beaucoup ne sont plus ouvriers mais demandeurs d'emploi). Cette ode à l'unité a même failli griller la priorité à Jean-Luc Mélenchon qui, cependant, a un talent de tribun inégalable, au point d'avoir su recueillir cette part électorale de l'extrême gauche en 2017 et 2022.

    Facteur, Olivier Besancenot pouvait compter sur la popularité d'un tel métier, ciment relationnel entre les habitants. Après avoir longtemps distribué le courrier, il s'est retrouvé ensuite derrière un guichet dans Paris intra muros. Ce qui est notable, c'est qu'il a une licence d'histoire, qui n'était probablement pas un diplôme nécessaire pour avoir son concours de la Poste (il est l'auteur de douze livres). Même si son salaire est de misère (parce qu'il travaille à temps partiel), il n'est pas issu d'un milieu ouvrier et sa liaison avec une éditrice qui a bien réussi professionnellement relativise sa précarité matérielle (de plus, il a été collaborateur parlementaire d'Alain Krivine de 1999 à 2000 à Strasbourg). Dans le rôle de l'ouvrier, Philippe Poutou est beaucoup plus convaincant, tellement sa spontanéité rejaillit de ses paroles.


    Fils d'un prof et d'une psychologue scolaire, il a passé son enfance à Louviers, ville dont Pierre Mendès France fut le maire il y a très longtemps. Il a commencé son militantisme à l'âge de 14 ans avec SOS Racisme et la JCR (jeunesse LCR), puis l'UNEF quand il était étudiant, puis la CGT et enfin Sud-PTT. On peut comprendre à quel point il est un militant exemplaire et appliqué de l'extrême gauche (ou gauche antilibérale). Très médiatique, sa participation dans des émissions de divertissement a aussi été très critiquée, même s'il faut saluer son exploit d'avoir réuni 2,7 millions de téléspectateurs (beaucoup plus que d'électeurs !) lors de son passage chez Michel Drucker le 11 mai 2008.
     

     
     


    C'était sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy qu'Olivier Besancenot a eu le plus de visibilité médiatique. Il faut dire que le Président de la République (le dernier issu des rangs gaullistes) avait voulu le promouvoir malgré leurs différences politiques évidentes. En effet, pour Nicolas Sarkozy, Olivier Besancenot, qui pourrait atteindre 10% des voix, devait être au parti socialiste ce que la famille Le Pen est pour la droite modérée, un extrémisme qui les empêcherait durablement d'atteindre une majorité absolue. Mais cette manœuvre n'a pas fonctionné par manque d'audience électorale de porte-parole du NPA.

    Candidat aux élections régionales de mars 2010 en Île-de-France (où il a recueilli 3,1% des voix), Olivier Besancenot s'est représenté aux élections européennes de 2014 mais n'a obtenu que 0,8% des voix. Reflux. En novembre 2018, il a fait son retour politique pour soutenir les gilets jaunes et les mouvements sociaux contre les réformes du gouvernement.

    Olivier Besancenot constatait sur France Inter le 12 septembre 2017 que les résultats électoraux pouvaient beaucoup fluctuer, sans position acquise : « En politique, la fortune est capricieuse (...) On vit une crise politique telle qu'il y a des forces politiques qui peuvent être propulsées sur le devant de la scène en quelques mois (...) et d'autres balayées en quelques mois . ».


    Le 13 novembre 2017 devant des militants d'extrême gauche, après avoir reconnu l'échec du NPA (« Nous avons fait l’erreur de croire que nous pouvions rassembler seuls toute la gauche de la gauche française. Or celle-ci est bien trop diverse et attachée à ses bannières pour se rassembler de cette façon. »), Olivier Besancenot faisait état de la situation politique, en évoquant Jean-Luc Mélenchon : « La FI a une responsabilité particulière car elle a fait 19% et réuni des foules considérables, dont énormément de militants prêts à en découdre. Une nouvelle radicalité est en train de surgir du mouvement social. On le voit dans l’écologie, dans les luttes des migrants, des antinucléaire, même dans le milieu syndical. Mais la FI ne pourra pas tous les représenter. Impossible. Moi, je ne pourrais jamais. Chanter la Marseillaise ? Faut pas me le demander, je pourrais pas ! Mais c’est pas grave, on pourra quand même faire de grandes choses ensemble ! (…) France insoumise est en train de réaliser à son tour qu’elle est incapable d’unifier la gauche. De plus, son comportement très directif sur le mouvement social a été catastrophique. Au NPA, nous nous refusons à hiérarchiser le politique et le social, nous aspirons à une fusion de ces thématiques mais dans le respect de la liberté syndicale. (…) Nous devons trouver un espace commun d’action, alliant démocratie et maintien de notre autonomie, de nos identités. Ni la France insoumise ni le NPA ne peuvent réaliser cela, il va falloir inventer autre chose. » (source : NPA).

    Issus de traditions politiques très différentes, Olivier Besancenot et Jean-Luc Mélenchon ont en commun le talent du verbe et de l'argumentation dans le combat contre l'ordre capitaliste : le premier ne serait-il donc pas l'héritier le plus efficace du second ?


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (17 avril 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Olivier Besancenot.
    Arlette Laguiller.
    Alain Krivine.
    Pierre Juquin.
    Romain Goupil.
    50 ans de mai 1968.
    Daniel Cohn-Bendit.
    Nathalie Arthaud.
    Philippe Poutou.
    Rencontre surréaliste avec Trotski.
    Trotski.
    Les 200 ans de Karl Marx.
    Le Capital de Karl Marx.
    Totalitarismologie du XXe siècle.
    La Révolution russe.
     

     
     




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    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/olivier-besancenot-et-le-facteur-253907

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/12/article-sr-20240418-olivier-besancenot.html




     

  • La convergence des centres ?

    « Pour le scrutin européen du 9 juin, il est indispensable de nous rapprocher des formations politiques pour lesquelles l'idéal européen demeure une boussole. » (Motion de l'UDI, le 23 mars 2024).



     

     
     


    La vie politique est parsemée de petits événements, de réactions, de rebondissements, de polémiques inutiles, de malentendus, de mauvaise foi, et tout s'en va aussi vite que ça arrive. Pourtant, il y a des décisions qui restent plus longtemps que d'autres. C'est peut-être passé inaperçu, mais le conseil national de l'UDI réuni à Paris le samedi 23 mars 2024 a (un peu) marqué l'histoire du centrisme en France.

    L'UDI est un petit parti centriste créé en 2012. J'écris "petit" car il est le résultat d'une situation explosée du centre en France. Avant 2002, c'était assez facile, les centristes des nombreuses obédiences historiques (radicaux, démocrates chrétiens, libéraux, indépendants, etc.) étaient regroupés au sein d'une confédération créée par Valéry Giscard d'Estaing en 1978 (dans l'optique des législatives qui avaient lieu quelques semaines plus tard) sous l'appellation UDF, un nom qui reprenait le titre de son livre ("Démocratie française") et qui ressemblait à l'UDR, la formation gaulliste enterrée en 1976 avec le lancement du RPR.

    Jacques Chirac et Alain Juppé ont profité de la sidération politique provoquée par la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour de l'élection présidentielle de 2002 pour imposer à marche forcée le regroupement de l'UDF et du RPR en UMP (à l'époque, Nicolas Sarkozy y était opposé). Depuis 1981, l'UDF et le RPR avaient presque toujours des candidats uniques aux élections législatives, avaient toujours gouverné ensemble et leurs différences étaient plus de l'ordre de la tradition philosophique que du projet politique.

    Beaucoup d'élus UDF ont alors rejoint l'UMP, craignant pour leur réélection. Pourtant, il n'était pas besoin d'être un devin pour imaginer que c'était le RPR qui allait manger l'UDF et pas l'inverse ! Parmi deux élus de poids qui ont rejoint l'UMP, Pierre Méhaignerie (vice-président de l'UMP) et Philippe Douste-Blazy (secrétaire général de l'UMP) qui ont tous les deux regretté de s'être fait berner et qui ont quitté l'UMP en 2012 pour soutenir François Bayrou.

    Quelques rares élus UDF (et la plupart des militants) ont en effet refusé la fusion dans l'UMP. Ils étaient menés par François Bayrou, le président en titre de l'UDF à l'époque, et aussi par Gilles de Robien, le représentant de la composante libérale. Même si l'UMP était bien plus importante que le RPR en 2002, le résultat restait le même dans l'électorat de droite et du centre, une rivalité UMP-UDF. À celle-ci, il faut ajouter aussi que le choix de nommer un ancien jeune giscardien Jean-Pierre Raffarin à Matignon à 2002 a achevé de perturber tout le jeu politique au centre.

    L'élection présidentielle de 2007 a renforcé l'éclatement des centres car François Bayrou, qui a atteint 18% des voix, un sommet historique pour le centre, comptait capitaliser (à tort) ces voix dans l'antisarkozysme. La plupart de ses soutiens, de centre droit, ont préféré rejoindre Nicolas Sarkozy au second tour, ce qui a fait le schisme du Nouveau Centre derrière Hervé Morin (à la tête d'un groupe parlementaire, puis bombardé Ministre de la Défense), tandis que l'UDF canal historique, transformé en MoDem (surnom du Mouvement démocrate que n'a jamais apprécié son leader), se retrouvait avec seulement deux députés, François Bayrou et Jean Lassalle (oui, le même que le futur candidat aux deux dernières élections présidentielles).

    L'élection présidentielle de 2012 aurait pu conduire les centristes à se retrouver. Le Parti radical, fondu à l'UMP, avait retrouvé sa liberté et son autonomie car il refusait le discours dangereusement sécuritaire de l'UMP. Mais non seulement François Bayrou a perdu la moitié de ses voix de 2007 (9%), mais par antisarkozysme, il a décidé de soutenir François Hollande au second tour. Faute politique pour lui puisqu'il a même été battu dans sa circonscription législative. Et François Hollande a été d'une grande ingratitude puisqu'il n'a jamais cherché à l'inclure dans la nouvelle majorité, gardant son logiciel archaïque de la gauche plurielle, PS, radicaux de gauche et éventuellement écologistes, sans même d'ouverture politique comme cela avait été le cas en 1988.

    À la fin de l'année 2012, le rassemblement a toutefois lieu avec la création de l'UDI, un sigle pas loin de l'UDF et beaucoup croyaient à la renaissance de cette UDF si regrettée. Le MoDem de François Bayrou restait ce qu'il était, son écurie personnelle, mais observait d'un œil attentif et bienveillant la création de l'UDI sous la houlette de Jean-Louis Borloo, véritable fédérateur, et on revoyait un peu tout le monde, des anciens CDS, des anciens PR, des anciens radicaux (qui n'avaient pas formellement disparu), même le Nouveau Centre d'Hervé Morin l'a rejoint.

    Bref, les ego étaient restés au vestiaire et ce nouveau mouvement apportait un peu plus d'espoir, confirmé dans la perspective des élections européennes de 2014 : en automne 2013, l'impensable arriva, l'alliance entre le MoDem de François Bayrou et l'UDI de Jean-Louis Borloo. L'objectif était une liste commune aux élections européennes de 2014 (qui ont été assez bonnes pour cette alliance dite "L'Alternative" : 9,9% ; les centrisme fait habituellement autour de 10% dans son noyau électoral et le MoDem avait fait 8,5% en 2009), et l'idée d'envisager une candidature de cette alliance à l'élection présidentielle de 2017 faisait son chemin (mais qui, à part François Bayrou ?).


    Malheureusement, la santé de Jean-Louis Borloo a vacillé (on craignait le pire) et il a quitté la vie politique au printemps 2014. Les rivalités anciennes ont repris le dessus, le Parti radical a quitté l'UDI pour tenter de vivre la réunification des radicaux (avec les radicaux de gauche ; ils étaient séparés depuis 1971), mais la réunification a finalement échoué, tandis qu'Hervé Morin, soucieux de son alliance avec l'UMP (et de son indépendance), a fait quitter le Nouveau Centre (devenu Les Centristes) de l'UDI. Pour autant, l'UDI résista à ses problèmes existentiels et est probablement le parti le plus souvent cité lorsqu'on parle des centristes (grâce en particulier à son groupe pléthorique au Sénat). Il tenta une liste autonome aux élections européennes de 2019 (conduite avec un certain courage par Jean-Christophe Lagarde) et si elle n'a pas obtenu de siège et que c'était décevant, son score de 2,5% n'était pas un trop mauvais résultat vu le contexte.

    Entre 2014 et 2019, il y a eu 2017. Bien évidemment, le centrisme a été bousculé par l'arrivée d'un nouveau-venu dans la vie politique, Emmanuel Macron et son mouvement créé il y a huit ans, LREM (En marche, puis Renaissance). Emmanuel Macron n'avait rien d'un centriste, même s'il est très pro-européen. Les centristes, c'est d'abord la décentralisation, les territoires, et Emmanuel Macron serait plutôt dans la reprise en main par l'État des responsabilités des collectivités locales. Emmanuel Macron, c'est "et la droite, et la gauche", alors que le centrisme, c'est "ni droite ni gauche". Ce qui est très différent.

    En fait, les centristes auraient été réunis en 2017 s'il n'y avait pas eu cette affaire Pénélope. En effet, François Bayrou soutenait la candidature d'Alain Juppé, si bien que tous les centristes se prêtaient au jeu de la primaire LR de novembre 2016. L'idée était d'éviter une nouvelle candidature de Nicolas Sarkozy. Finalement, Alain Juppé a échoué, mais la victoire de François Fillon était compatible avec le projet politique des centristes, d'autant plus que l'ancien Premier Ministre a porté beaucoup d'attention aux parlementaires, y compris centristes (et qu'il avait quelques centristes parmi ses collaborateurs de campagne). La victoire annoncée de François Fillon (qui aurait parié autre chose ?) laissait entendre une réunification des centristes autour d'un même candidat puis du futur Président de la République.

    L'effondrement de François Fillon à cause de son "affaire" a convaincu François Bayrou de quitter rapidement ce navire amiral pour rejoindre Emmanuel Macron, tandis que les militants et sympathisants centristes avaient déjà massivement rejoint ceux des socialistes modérés qui avaient quitté l'autre navire amiral, le PS. Aux élections législatives, le MoDem est devenu un groupe important (et incontournable) à l'Assemblée Nationale et, pour la première fois depuis 1981, les centristes étaient au pouvoir par eux-mêmes, sans être la cinquième roue de LR ou du PS.


    Le centrisme entre 2017 et 2024 s'apparente donc à une sorte d'auberge espagnole : il y a les centristes collés à LR, que sont encore Les Centristes d'Hervé Morin, candidats ensemble aux élections européennes de 2019 ; il y a les centristes de l'UDI, dans l'opposition au macronisme, parfois très forte, mais qui veulent garder une certaine indépendance vis-à-vis de LR qui n'apporte même plus l'avantage d'une perspective de victoire ; en enfin, il y a des centristes au sein de la majorité macroniste, le MoDem et le Parti radical, bien sûr, mais aussi d'autres issus de LR avant 2017, comme Horizons, le mouvement créé par Édouard Philippe. Quant aux membres de Renaissance, le parti macroniste, on ne sait pas trop bien si ce sont des centristes ou pas, rares sont ceux qui le revendiquent, en tout cas.

    Pourtant, cette situation est assez stupide, car il n'y a pas la place pour tout ce monde. Depuis 2017, le marché électoral est divisé en trois : un grand ensemble central autour du macronisme, l'extrême droite fédérée autour du RN et l'extrême gauche fédérée autour de FI. LR et le PS se retrouvent donc en frontière autour du macronisme et pensent que pour exister, ils préfèrent prendre les positions des extrémismes respectifs pour s'opposer à Emmanuel Macron à garder un semblant de raison. Une double faute historique, à mon sens.


    Le projet européen, heureusement, est une valeur sûre du centrisme et c'est aussi un point commun essentiel avec le macronisme. Ce n'est donc pas une surprise même si c'est remarquable que le conseil national de l'UDI a largement approuvé le 23 mars 2024 la motion présentée par le sénateur du Nord Olivier Henno et le sénateur des Hauts-de-Seine Hervé Marseille, par ailleurs président de l'UDI et président du groupe UDI au Sénat.

    Que dit cette motion ? D'abord, elle fait le constat que l'Europe nous protège et réussit à le faire : les crises récentes ont montré l'importance et la nécessité de l'Europe (vaccins contre le covid, soutien à l'Ukraine, maîtrise du pouvoir d'achat lors de la crise inflationniste en remettant en cause sa doctrine monétaire, etc.). Mais parallèlement, jamais l'Europe n'a été autant critiquée : « Les discours populistes qui affirment que l'Europe serait la cause des maux qu'elle combat, comme un médecin serait coupable des maladies qu'il soigne, trouvent malheureusement un écho parmi nos concitoyens qui attendent impatiemment des solutions répondant à leurs préoccupations. ».

    De plus, l'Europe n'a jamais été autant menacée à l'extérieur : « Menaces terroristes, crises migratoires amenées à s'intensifier sous la pression climatique et des conflits géographiques, agressions économiques et diplomatiques contre nos intérêts, déstabilisation de nos démocraties par la prolifération d'attaques cyber et informationnelles. Nous n'ignorons pas que les extrêmes qui protestent de leur patriotisme sont aussi ceux qui sont prompts à justifier les agressions des puissances extérieures, à commencer par celles de la Russie. ».


    D'où la conclusion de l'UDI en forme de credo : « Ce n'est pas moins d'Europe qu'il faut. C'est mieux d'Europe dont nous avons besoin. Pour une France forte, nous avons besoin d'une Europe puissance. (…) Nous avons besoin de fédérer les Européens sur de grands projets stratégiques. (…) Pour nous, l'identité européenne se conjugue avec notre identité nationale. ».

    Et d'ajouter : « Notre contribution politique n'a de sens dans ce contexte que si elle participe au renforcement de la sensibilité centriste au Parlement Européen. (…) Il est vital de rassembler les énergies pour combattre et s'opposer, pour préparer l'Europe aux défis internes et aux menaces externes qu'elle va affronter. ».

    Bref, l'UDI a décidé de faire alliance avec la Macronie et à rejoindre la liste Renaissance de la majorité présidentielle. Il n'était pas difficile pour l'UDI de se mettre sous la direction de la tête de liste Valérie Hayer car, avant 2019, elle était adhérente de l'UDI et avait commencé son engagement politique en faisant campagne aux élections européennes de 2014. De son côté, Renaissance a accueilli avec une grande joie l'UDI pour renforcer la liste et la campagne.

    Dans sa défense de cette stratégie, Olivier Henno a proposé aussi un concept de différenciation (auquel je ne crois pas du tout !) : « J'ajoute qu'il y a quelque chose qui est aussi important pour nous, c'est la notion de différenciation (…). C'est la différenciation stratégique selon les élections. Ce n'est pas forcément l'ADN de la Cinquième République, ça. Mais c'est l'ADN des centristes. On n'est pas obligés, sur toutes les élections, d'avoir toujours les mêmes alliances, les mêmes partenaires. Suivant les élections, ajuster nos alliances, c'est tout à fait intelligent, pertinent, (…) c'est ce qui se pratique dans un certain nombre de pays européens, et ça n'a rien de choquant. ».

     

     
     


    Je me permettrais de répondre à Olivier que si, c'est choquant, car il faut être clairs devant les électeurs. Le MoDem et François Bayrou, entre 2007 et 2017, avait agi ainsi (avec des majorités municipales très différentes, à droite ou à gauche en 2008), et sa stratégie était devenue illisible. On sait très bien que ces élections européennes sont le dernier scrutin avant l'élection présidentielle de 2027, et l'enjeu sera crucial alors que le RN est aujourd'hui donné favori : soit une alliance avec les macronistes, soit une alliance à droite qui, forcément, d'une manière ou d'une autre, fera la courte échelle à l'extrême droite. La clarté, ce n'est pas de faire la gazelle effarouchée pour aller jusque dans la majorité présidentielle dans un seul scrutin, c'est de s'y engager pleinement pour soutenir son projet national qui ne peut s'inscrire que dans son projet européen.

    Quant au dernier bataillon centriste arimé solidement à LR, à savoir Les Centristes, on s'interroge réellement sur la possibilité ou pas de repartir avec la liste menée par François-Xavier Bellamy. L'unique députée européenne sortante de ce parti, Nathalie Colin-Oesterlé, s'inquiète de la place qu'elle occuperait dans cette liste. Elle est prévue à la huitième place (avec Nadine Morano qui resterait toujours à la quatrième place), ce qui rendrait sa réélection plus qu'improbable (en 2019, elle était à la sixième place). Les Centristes pourraient donc être prêts, eux aussi, à quitter LR pour ces élections européennes et, pourquoi pas, à rejoindre la liste Renaissance de Valérie Hayer.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (14 avril 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    La convergence des centres ?
    Élections européennes 2024 (1) : cote d'alerte pour Renaissance.
    Valérie Hayer, tête de la liste Renaissance.
    Charles Michel et Viktor Orban : l'Europe victime d'une histoire belge !
    Jacques Delors : il nous a juste passé le relais !
    Il y a 15 ans : Nicolas Sarkozy, l'Europe et les crises (déjà).
    La Méditerranée, mère de désolation et cimetière de nos valeurs ?
    Le 8 mai, l'émotion et la politique.
    Ukraine, un an après : "Chaque jour de guerre est le choix de Poutine".
    Le 60e anniversaire du Traité de l'Élysée le 22 janvier 2023.
    De Gaulle, l’Europe et le volapük intégré.
    L’inlassable pèlerin européen Emmanuel Macron.
    Valéry Giscard d’Estaing, le rêveur d’Europe.
    Enfin, une vision européenne !
    Relance européenne : le 21 juillet 2020, une étape historique !
     

     
     






    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240323-centrisme.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/la-convergence-des-centres-253810

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/17/article-sr-20240323-centrisme.html




     

  • Élections européennes 2024 (1) : cote d'alerte pour Renaissance

    « La naïveté européenne n’a que trop duré. Nous avons lancé un changement culturel au cœur de l’Union. Nous voulons réindustrialiser notre Europe et nous nous battons pour cela. » (Valérie Hayer, le 6 avril 2024 à Besançon).



     

     
     


    Les sondages ne bougent désespérément pas ! Pour la majorité présidentielle, l'heure est grave : à moins de deux mois du scrutin européen (on vote le 9 juin 2024), le tremblement de terre qu'aurait dû être la nomination de Gabriel Attal à Matignon n'a pas eu lieu, du moins pour bousculer les rapports de force dans les sondages d'intentions de vote.

    Pourtant, le lancement sur orbite de Gabriel Attal avait pour objectif de réduire la popularité d'un autre "jeune" de la politique, Jordan Bardella, la tête de la liste du RN, député sortant (n'ayant pas fait grand-chose de son mandat, classé parmi les moins actifs du Parlement Européen). Au lieu du tsunami électoral, on a eu un étonnement poli. Mais rien pour faire bouger les lignes.

    Il faut dire que depuis trois mois, il y a eu beaucoup d'eau qui a coulé sous les ponts du monde, un attentat islamiste à Moscou, toujours la guerre en Ukraine, et maintenant, une agression de l'Iran contre Israël qui pourrait entraîner une nouvelle guerre au Moyen-Orient.

    Désespérément, la liste conduite par Valérie Hayer ne dépasse quasiment pas les 20% d'intentions de vote, et ce n'est pourtant pas de sa faute, car elle se démène, fait campagne, se rend partout, plein d'enthousiasme et de dynamisme, emploie des arguments intelligents, rationnels, politiques, rappelle son action à Strasbourg, présidente du groupe centriste, décrit l'Europe comme une facilitatrice et pas comme une contrainte, avec des conséquences concrètes sur la vie de tous les jours. Valérie Hayer n'était certes pas beaucoup connue du grand public avant février 2024 et c'est un handicap électoral évident par rapport à ses concurrents, mais elle rattrape cette notoriété, c'est le principe d'une campagne.

     

     
     


    Toutefois, dans ce début de campagne électorale, les médias se moquent un peu de l'Europe, qui est pourtant à un moment crucial de son histoire, crucial pour sa défense, crucial pour faire le point sur son élargissement de 2004 (il y a vingt ans), et des futurs élargissements prévus. Dans les rares débats télévisés plutôt ennuyeux, on parle d'insécurité, d'immigration, de faits-divers aussi sordides les uns que les autres, mais de politique, de souveraineté européenne, de politique agricole commune, d'innovation, des emplois du futurs, de défense européennes... non, rien de tout cela.
     

     
     


    Alors, cela devient simplement une course de petits chevaux, où les effets de communication, les émotions, les réparties dans les réseaux sociaux font mine de remplacer les projets et les convictions, les valeurs et les râleurs. La liste Jordan Bardella est toujours dans les 30% des intentions de vote, très au-dessus de la liste Renaissance, et pourtant, si l'on en croit les premiers noms de la liste, une arriviste (qui pleurait auprès de l'Élysée pour être nommée ministre encore en janvier !), un haut fonctionnaire de Frontex qui n'avait visiblement rien compris à ce qu'il faisait, un syndicaliste policier militant qui s'est enfin démasqué, etc. Jordan Bardella ne s'effondre pas dans les sondages alors qu'il montre chaque jour son incompétence et son inconsistance, ses contradictions et ses trous de mémoire, et même une certaine trahison des intérêts français (avec le Russian gate le guette : le RN a-t-il été acheté ou pas par Vladimir Poutine ?).

    La seule réelle évolution des dernières semaines est une mauvaise nouvelle pour la majorité : la liste socialiste conduite par Raphaël Glucksmann prend de l'ampleur et dépasse allègrement les 10%. De là à imaginer qu'elle puisse dépasser celle de la majorité est encore un peu osé, mais une dynamique est là (un sondage donne même Raphaël Glucksmann à 13% et Valérie Hayer à 16% !), et si les écologistes, qui piétinent, refont le coup de la présidentielle de 2017 en se fusionnant avec le PS, tout est possible. Cette dynamique est basée principalement sur un malentendu : Raphaël Glucksmann est pour soutenir l'Ukraine, mais il avait souhaité Jean-Luc Mélenchon à Matignon en 2022 et il n'hésite pas à dire qu'il faut encore faire l'union avec les insoumis en 2027, ce qui rend ses positions internationales complètement schizophrène. C'est un faux drapeau socialiste. Et au Parlement Européen aussi cette schizophrénie existe puisque, inscrits au groupe S&D (des sociaux-démocrates), les députés européens socialistes français ne votent pas comme la très grande majorité de leur groupe (il suffit de voir les analyses de scrutins), ce qui montrent que les socialistes français n'ont aucune influence sur leur courant au niveau européen puisqu'ils y sont ultraminoritaires avec des positions différentes.

    On peut dire d'ailleurs la même chose du côté de LR prenant des positions minoritaires au sein du groupe du PPE. Le PS et LR n'ont aucune influence à Strasbourg car ils ne sont pas écoutés dans leur groupe respectif, alors que Valérie Hayer a une influence importante au sein de son groupe Renew (Renaissance, le troisième du Parlement Européen) puisqu'elle le préside !


     

     
     


    Selon certains sondages assez précis, la liste de Raphaël Glucksmann ne mordrait pas l'électorat macroniste mais plutôt l'électorat mélenchoniste. Et c'est vrai qu'il y a une réelle incertitude pour les insoumis conduits par Manon Aubry à obtenir des sièges, flirtant avec les 6% d'intentions de vote (il faut au moins 5% des voix pour être représenté). De l'autre côté de l'échiquier, la liste de François-Xavier Bellamy a du mal à se distinguer de la liste RN alors qu'il prend à peu près les mêmes positions sur tout, et lui aussi risque de ne pas franchir les 5%, les sondages le donnent à égalité avec la liste Reconquête de Marion Maréchal, qui est la véritable concurrente du parti Les Républicains.

    Cela dit, j'ajouterais aussi, pour expliquer le difficile démarrage de la campagne de Valérie Hayer, la responsabilité de certains ministres et députés de la majorité de qui semblent vouloir tout faire foirer aux élections européennes par une sorte de naïveté suicidaire. En effet, en pleine campagne, de nombreuses mesures ont été proposées plus ou moins sérieusement qui sont toutes anxiogènes : un dit qu'il faut plus taxer les retraités qui gagnent plus que les actifs (en oubliant que les retraités aident souvent leurs enfants), un autre veut réformer une quatrième fois l'assurance-chômage en réduisant encore plus la durée d'indemnisation, comme si la précarité plus rapide pouvait redonner un emploi à des personnes sorties du système, un autre encore voudrait licencier les fonctionnaires, ajoutant inutilement du stress au stress (ce qui coûterait cher en plus), jusqu'à cette idée du Président de la République lui-même de vouloir taxer le livre d'occasion qui, selon lui, contournerait le prix unique du livre, comme si les pauvres n'avaient plus le droit de lire au nom du confort des auteurs. Il faut dire que c'est Bruno Le Maire lui-même qui a ouvert la boîte de Pandore en disant qu'il avait très mal géré le pays (quel est son intérêt à dire cela ?). Bref, depuis quelques semaines, il y a une surenchère de maladresses, de provocations, de sondes, et, pour le dire simplement, d'anti-démagogie purement masochiste qui pourrait coûter très cher à la majorité le 9 juin 2024.

    À deux mois d'une élection, c'est vrai que les sondages sont rarement prédictifs. En février 2022, on parlait encore d'un second tour entre Emmanuel Macron et Valérie Pécresse, on imaginait Marine Le Pen à égalité avec Éric Zemmour autour de 15% et Anne Hidalgo faisait quand même 3% des intentions de vote. Il reste que pour faire décoller la liste de Valérie Hayer, il manque encore un moteur puissant... ou des vents extérieurs plus favorables.



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    Sylvain Rakotoarison (14 avril 2024)
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    Charles Michel et Viktor Orban : l'Europe victime d'une histoire belge !
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    De Gaulle, l’Europe et le volapük intégré.
    L’inlassable pèlerin européen Emmanuel Macron.
    Valéry Giscard d’Estaing, le rêveur d’Europe.
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  • Mon Raymond Barre à moi !

    « Les porteurs de pancartes, ceux qui scribouillent, jacassent et babillent, le chœur des pleureuses et le cortège des beaux esprits, des milieux qui ne vivent que de manœuvres, d’intrigues et de ragots. » (Raymond Barre, le 26 septembre 1978).



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    Pourquoi ne suis-je pas étonné que le centenaire de Raymond Barre semble laisser complètement indifférente la classe médiatico-politique actuelle ? En effet, l'ancien Premier Ministre est né il y a 100 ans, le 12 avril 1924, à Saint-Denis, à La Réunion. Très malade et hospitalisé depuis plusieurs mois, il est mort d'une crise cardiaque à 83 ans le 25 août 2007 au Val-de-Grâce, l'hôpital parisien des grands politiques (aujourd'hui fermé). Ève Hegedüs, d'origine hongroise, qu'il a épousée en novembre 1954, est morte à 97 ans au début du mois de novembre 2017 à Genève. Je ne suis pas étonné de cet oubli généralisé parce que Raymond Barre était un homme d'État qui, aujourd'hui, fait figure de passé révolu (on n'en fait plus comme ça !). Et probablement aussi parce qu'il y a eu quelques révélations posthumes qui n'étaient pas du meilleur effet pour sa postérité (lire plus loin).

    J'ai toujours claironné mon barrisme et je le claironne encore aujourd'hui ("quoi qu'il en coûte" !), même si c'est un peu vain et même s'il devient très difficile d'expliquer ce qu'est le barrisme en 2024. Comme avec De Gaulle, il n'est pas question d'imaginer ce qu'aurait pu penser, dire, faire une personnalité qui, aujourd'hui, a disparu, mais ses leçons de vie ont toujours été très instructives.

    Si je me suis engagé en politique, c'était pour le soutenir, lui, Raymond Barre, candidat à l'élection présidentielle de 1988. Je notais d'ailleurs frénétiquement les noms de ceux qui le soutenaient aussi, en puisant dans les nombreuses notes confidentielles des journaux, des soutiens clairs et publics et des soutiens plus flous, qui n'osaient pas trop de le dire en raison de leurs attaches partisanes à droite mais aussi à gauche. D'ailleurs, certains de ces soutiens ont pu décevoir par la suite (c'était le cas de Philippe de Villiers, Christine Boutin, Charles Millon, etc.). J'étais même content d'avoir pu convaincre quelques électeurs socialistes modérés déçus par le cynisme de François Mitterrand.

    Ce qui est terrible lorsqu'on s'engage pour une personne, c'est qu'on risque de penser que seule sa pensée est la bonne. Le problème, c'est qu'elle n'est pas immortelle, au-delà de ne pas être infaillible, et que la pensée politique ne peut pas se référer qu'à une seule personne pour l'incarner. C'était longtemps le problème du gaullisme, mais De Gaulle avait pour lui non seulement son mythe de l'homme du 18 juin, mais aussi celui du fondateur de la Cinquième République. C'est aussi le problème de l'actuel Président Emmanuel Macron que je soutiens : sur quels fondements de philosophie politique agissent les responsables politiques ?

    C'est donc mon engagement auprès de Raymond Barre qui m'a permis d'affiner mes convictions politiques et philosophiques et pas l'inverse. Très globalement, la philosophie générale du centre droit, on pourrait parler du parti bourgeois ou orléaniste, c'est le pragmatisme économique, à savoir la paix par la prospérité. Avec un zeste de social et d'humanisme. Mais dans notre monde complexe, c'est très réducteur et surtout, très incomplet.

    Pour autant, Raymond Barre n'était pas mon gourou et, heureusement, contrairement à d'autres leaders politiques (comme chez les insoumis par exemple), il n'a créé aucune secte ! Raymond Barre était un humain avec ses failles. Il en avait beaucoup : il n'a pas participé à la Résistance alors que des plus jeunes que lui l'ont fait (il avait 20 ans en avril 1944 ; il a fait son service militaire en 1945 à Madagascar), il a été parfois maladroit (avec des phrases franchement limite comme celle-ci, lors de l'attentat de la rue Copernic le 3 octobre 1980 : « Je rentre de Lyon plein d'indignation à l'égard de cet attentat odieux qui voulait frapper des Israélites qui se rendaient à la synagogue et qui a frappé des Français innocents qui traversaient la rue Copernic. C'est un acte qui mérite d'être sévèrement sanctionné. », laissant croire, sémantiquement, que les Juifs n'auraient pas été innocents), et à la fin de la vie, plus par entêtement narcissique qu'autre chose, il a tenu des propos proches de l'antisémitisme qui pourraient illustrer le naufrage de la vieillesse. Enfin, après sa mort, le 3 juillet 2019, une enquête journalistique a dévoilé qu'il avait gardé en Suisse quelques millions cachés au fisc, j'avais l'intention d'écrire sur ce sujet mais je ne l'ai pas encore fait (à l'époque, tous les grands candidats avaient des relations troubles avec l'argent, car une campagne présidentielle coûte cher et il n'y avait pas encore de financement public de la vie politique).

    Si j'appréciais Raymond Barre, c'était parce qu'il synthétisait à lui seul deux amours, l'amour de la France et l'amour de l'Europe. Il synthétisait aussi deux courants politiques qui, souvent, se sont combattus : le gaullisme, et la démocratie chrétienne. J'utilise l'expression "démocratie chrétienne" à défaut d'une meilleure expression, qui pourrait être aussi "catholicisme social" mais ce serait encore plus réducteur, car la France est un pays laïque, et c'est très bien, mais ce courant se retrouve dans le reste de l'Europe et aussi en Amérique latine. On pourrait l'appeler le courant démocrate social à condition de ne pas le confondre avec le courant social-démocrate. Aujourd'hui, il pourrait être appelé le courant démocrate européen.

    Le gaullisme comme un serviteur de l'État. Lors du conseil des ministres du 21 juin 1967, Georges Pompidou, alors Premier Ministre, a proposé le nom de Raymond Barre pour la prochaine Commission Européenne. Il était déjà très réputé en économie, auteur à 35 ans des deux tomes "Économie politique" de la collection Thémis des PUF (Presses Universitaires de France) que des générations d'étudiants ont potassés (sortis en 1959 et réédités plus d'une quinzaine de fois, traduit en anglais, allemand, espagnol, russe, arabe, etc.), « le premier manuel moderne d'économie des facultés de droit » selon Jean-Claude Casanova, ancien élève et futur collaborateur. De Gaulle n'y a vu aucune objection, et son Ministre des Affaires sociales Jean-Marcel Jeanneney a approuvé dans la même instance, selon les notes d'Alain Peyrefitte : « Je me félicite du choix de Raymond Barre. C'est un gaulliste sûr et un économiste de premier ordre. Je suis convaincu qu'il aura dans la Commission autant d'autorité morale que Marjolin [auquel il allait succéder]. ». Jean-Marcel Jeanneney le connaissait bien car Raymond Barre avait travaillé dans son cabinet lorsqu'il était Ministre de l'Industrie entre 1959 et 1962, en tant que son chef de cabinet et ils ont été amené à mettre en application le Traité de Rome dans les secteurs industriels.

    Raymond Barre, lui, aurait voulu être nommé en 1967 Commissaire général au Plan, mais De Gaulle préférait bénéficier de son expertise à Bruxelles, ce qui montrait que De Gaulle ne négligeait pas du tout les instances européennes. Raymond Barre avait démarré sa carrière d'universitaire à Tunis (en tant que professeur agrégé de droit et de sciences économiques), où il a rencontré sa future épouse, et aussi un de ses étudiants, Jean-Claude Paye qui a dit plus tard : « Ce qui nous frappait le plus : son aptitude à établir des liens entre l'économie, la politique et l'histoire. ». Observateur et transmetteur, il est devenu rapidement acteur comme Vice-Président de la Commission Européenne chargé de l'Économie et des Finances du 7 juillet 1967 au 5 janvier 1973. Il a en particulier conçu la future Union économique et monétaire qui allait conduire au Serpent monétaire européen (SME), lui-même débouchant sur la future monnaie unique de l'Europe, l'euro (le SME consistait à encadrer le cours des monnaies européennes entre une cote maximale et une cote minimale, si bien que cela stabilisait les monnaies européennes et réduisait les risques de spéculations).

    Plus gaulliste que son prédécesseur Roberd Marjolin (porté par un certain supranationalisme) à la Commission, Raymond Barre a tout de suite suscité, malgré la méfiance initiale, la sympathie de ses partenaires européens pour son réalisme, son pragmatisme, son professionnalisme et sa convivialité (il était un bon vivant, comme sa silhouette pouvait en témoigner), ce qui a agrandi sa crédibilité internationale. Et aussi sa crédibilité auprès de De Gaulle qu'il a convaincu de ne pas dévaluer le franc en décembre 1968 malgré des spéculations consécutives à mai 68. Pour autant, le franc a été de nouveau attaqué en raison de l'incertitude créée par le référendum d'avril 1969 dont l'échec était prévisible, si bien qu'arrivé à l'Élysée, Georges Pompidou a pris la décision finalement de dévaluer le franc en août 1969. Pour Raymond Barre, c'était le point de départ d'une longue période d'inflation (toutes les années 1970 et première moitié des années 1980).

    Valéry Giscard d'Estaing l'a bien compris et l'a choisi pour diriger ensuite la France : Président, il l'a nommé Ministre du Commerce extérieur du gouvernement de Jacques Chirac le 12 janvier 1976, puis, alors qu'il était encore inconnu du grand public, Premier Ministre le 25 août 1976 (cumulant le Ministère de l'Économie et des Finances jusqu'au 31 mars 1978), et il est resté à Matignon jusqu'au 21 mai 1981, à la fin du septennat, malgré des périodes de surmenage (comme en octobre 1979). L'économiste s'est plu à faire de la politique (et c'était difficile avec, dans sa majorité, les empêcheurs de gouverner en rond qu'étaient les députés RPR),

    C'est la raison pour laquelle j'ai évoqué la synthèse Europe et France. Europe, car l'Européen convaincu a construit l'union économique et monétaire, seule la puissance européenne pourrait rivaliser économiquement avec les autres grands ensembles régionaux, mais aussi France, car il était un gardien pointilleux des institutions de la Cinquième République, et c'est d'ailleurs étonnant qu'il le fût plus que des gaullistes qui s'autoproclamaient du Général De Gaulle. Ainsi, il a soutenu le septennat et a toujours rejeté le quinquennat, il a aussi rejeté le principe de la cohabitation, considérant qu'un Président de la République qui n'avait plus de majorité à l'Assemblée Nationale, avait perdu la confiance du peuple et qu'il fallait relégitimer cette confiance d'une manière ou d'une autre. Le 7 octobre 1984, il affirmait : « Il y a là [avec l'idée de cohabitation] une trahison du principe fondamental de la Cinquième République et derrière cela, se profile le retour à un Président qui inaugure les chrysanthèmes avec un Premier Ministre et un gouvernement entre les mains des rivalités des partis. ».

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    Raymond Barre était contre le régime des partis, et d'ailleurs, il était contre le principe des partis, refusant de se faire enrégimenter par un appareil de parti, beaucoup trop électron libre pour suivre des consignes partisanes (ou en donner, d'ailleurs). Mais cet état d'esprit fut aussi sa perte car au moment de se présenter à l'élection présidentielle, il lui manquait une machine de guerre électorale efficace face au RPR (Jacques Chirac) et au PS (François Mitterrand). Lui ne pouvait se reposer que sur ses propres réseaux politiques (REEL, dirigés par Charles Millon) et sur l'UDF, une confédération de partis d'élus et pas de militants, eux-mêmes composés de nombreux électrons libres, souvent jaloux de leur indépendance politique et qui, souvent, monnayaient leur soutien au candidat le plus offrant.

    J'appréciais en effet beaucoup son indépendance d'esprit, sa capacité de réfléchir par lui-même, indépendamment des modes et des sondages, quitte à soutenir des dispositions impopulaires le cas échéant (il proclamait à Matignon : « Je préfère être impopulaire qu'irresponsable ! »). J'appréciais également son ton professoral (très peu électoraliste !), qui lui donnait une réelle autorité. J'étais d'ailleurs très étonné par sa grande popularité après 1981, qu'on pouvait sans doute expliquer par le besoin d'avoir un peu de sérieux dans l'économie alors que le gouvernement socialo-communiste faisait dans la surenchère des dépenses publiques (qu'on paie encore aujourd'hui, quarante-trois ans plus tard). Cela n'a pas suffi à le faire élire à l'Élysée en 1988 parce qu'il avait été un candidat assez médiocre, incapable de faire rêver, une campagne très peu dynamique (mal-menée d'abord par Philippe Mestre), il aurait dû être présent partout, réagir à tout, initier trente-six mille débats sur des sujets importants ou anecdotiques. Bref, dans la compétence de candidat, Jacques Chirac et François Mitterrand était nettement meilleurs que lui.

    Au lieu de se retirer de la vie politique après son échec de 1988, Raymond Barre s'est finalement prêté au jeu politique classique. Député de Lyon depuis 1978 (André Santini, député UDF, s'amusait à témoigner : « Barre, c'est mon compagnon de chambre : il dort à côté de moi à l'Assemblée ! »), il a été élu maire de Lyon de juin 1995 à mars 2001, et à ce jour, les Lyonnais le considèrent comme le meilleur maire qu'ils ont eu. Il faut dire qu'il a poursuivi avec succès le projet de Michel Noir d'ouvrir la ville traditionnellement très repliée sur elle-même pour la faire rayonner internationalement, ce que savait faire Raymond Barre par sa grande expérience du pouvoir. Une ville lumière !

    Parmi les défauts de Raymond Barre, on pourrait bien sûr affirmer qu'il manquait un peu d'anticipation sur la réalité des dangers politiques de l'avenir. Il restait très anticommuniste, et il était très prudent sur la politique d'ouverture de l'URSS de Mikhaïl Gorbatchev, ne tombant pas dans la gorbamania comme la plupart des dirigeants ouest-européens. En revanche, il n'avait pas vu venir, malgré le développement de l'audience électorale de Jean-Marie Le Pen, la menace durable et inquiétante d'une extrême droite populiste non seulement en France, mais aussi en Europe voire dans le monde entier (en particulier sur le continent américain). Sans doute était-ce sa génération qui voulait cela, puisqu'il est né quand l'Union Soviétique avait un an. Toutefois, son humanisme l'encourageait à prôner des idées que rejette l'extrême droite, en particulier sur le respect des immigrés. En 1988, Raymond Barre disait ainsi : « La France a été dans le passé et sera dans l'avenir une société composée de communautés de provenances diverses et de cultures variées. La France, comme les États-Unis, est un creuset. Aucun autre pays, à l'exception de la Yougoslavie, n'a une composition ethnique si hétérogène. (…) L'unité française s'est construite sur, et contre, une extraordinaire diversité ethnique et culturelle. ».

    J'expliquais que l'UDF l'avait soutenu à l'élection présidentielle de 1988 et pas le RPR. Il était gaulliste et démocrate chrétien, un courant qui a existé avec le MRP, des résistants gaullistes et centristes (comme Edmond Michelet, Maurice Schumann), mais Raymond Barre n'était pas un ancien résistant. Les gaullistes étaient totalement polarisés par Jacques Chirac et le RPR, et seul le courant centriste a soutenu Raymond Barre, le CDS (Centre des démocrates sociaux) d'ailleurs nettement plus sincèrement que le Parti républicain (ex-RI, parti de VGE), ce qui a justifié mon engagement au CDS à l'époque.

    Malheureusement, il n'existe plus de Raymond Barre dans la classe politique d'aujourd'hui. Les centristes, dont le courant est aujourd'hui représenté par Emmanuel Macron, même si c'est très différent historiquement, car les centristes, c'est l'Europe et la décentralisation (la subsidiarité), or, le macronisme est certes européen mais plutôt jacobin, les centristes restent avec ce péché originel de vouloir revenir à la Quatrième République (avec le MoDem, le Parti radical, l'UDI, etc.). Ce n'est pas exactement cela, mais leur propension à soutenir par exemple le scrutin proportionnel en est un symptôme. Au contraire, Raymond Barre défendait les institutions gaulliennes avec le scrutin majoritaire qui permettent d'avoir un gouvernement fort, efficace et démocratique, avec une majorité solide (pas toujours !), alors que les centristes aiment rarement la figure de l'homme providentiel (ou de la femme providentielle).

    À ma connaissance, seulement quatre grandes biographies ont été publiées sur Raymond Barre : "Un certain Raymond Barre" de Pierre Pélissier (éd. Hachette, 1977), "Monsieur Barre" d'Henri Amouroux (éd. Robert Laffont, 1986), "Raymond Barre" de Christiane Rimbaud (éd. Perrin, 2015) et "Raymond Barre aujourd'hui" de Jacques Bille (éd. Temporis, 2020). Nul doute qu'on le découvrira plus tard, après une traversée du désert...


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    Sylvain Rakotoarison (07 avril 2024)
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    Pour aller plus loin :
    Mon Raymond Barre à moi !
    Un véritable homme d’État (25 août 2017).
    Disparition de Raymond Barre (25 août 2007).
    Raymond Barre absent de l’élection présidentielle (12 avril 2007).
    La dernière interview de Raymond Barre le 1er mars 2007 sur France Culture (texte intégral).
    Triste vieillesse (8 mars 2007).

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    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240412-raymond-barre.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/mon-raymond-barre-a-moi-253864

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  • Dominique Baudis, dix ans plus tard

    « Il y a toujours eu chez lui un mélange de discrétion et de timidité, d'autorité et de charisme. (…). Dominique avait une éthique très forte, la volonté de séparer le fait du commentaire, à l'anglo-saxonne. » (Patrice Duhamel, le 13 avril 2014 dans le JDD).


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    J'ai une petite pensée pour Dominique Baudis qui s'est éteint il y a dix ans, le 10 avril 2014 d'une très cruelle maladie. J'allais écrire, les bottes aux pieds, ou plutôt, le costume de Défenseur des droits, premier titulaire de la fonction constitutionnalisée. Il a pu appliquer concrètement son humanisme et son empathie pendant près de trois ans auprès des citoyens en conflit, parfois kafkaïen (comme cette homonyme d'une personne décédée qui a perdu ses allocations, sa retraite, tous ses droits sociaux), avec l'administration. Il manque des personnalités de cette envergure aujourd'hui dans la classe politique, même si on a changé d'époque.

    Journaliste passionné par la vie politique (il a commenté les séances des questions au gouvernement à l'Assemblée Nationale le mercredi après-midi sur FR3 au début des années 1980), homme engagé très jeune dans la démocratie chrétienne (par tradition familiale), il a fait la campagne de Jean Lecanuet en 1965 (et s'est fait élire conseiller municipal de Boulogne-Billancourt en 1971 sur la liste du maire Georges Gorse), Dominique Baudis est devenu en trois ans un homme politique national incontournable de l'opposition au gouvernement socialo-communiste, devenant de 1983 à 1986 : maire de Toulouse (élu en mars 1983 à la succession de son père Pierre Baudis qui a fait deux mandats), député européen (élu en juin 1984), conseiller général de Haute-Garonne (élu en mars 1985), député de Haute-Garonne (élu en mars 1986) et président du conseil régional de Midi-Pyrénées (élu en mars 1986, à une époque où on n'avait pas encore commencé à limiter les mandats).

    Il a fait beaucoup d'allers et retours entre les médias et la politique, avec aussi un intérêt pour l'Orient. Journaliste, il a été correspondant de TF1 pendant plusieurs années au Liban, très attentif au sort des chrétiens d'Orient, ce qui a pu expliquer le choix de Jacques Chirac de le nommer à la présidence de l'Institut du monde arabe entre 2007 et 2011.

    Journaliste très charismatique, il remplaçait Yves Mourousi et Roger Gicquel aux journaux télévisés de TF1 entre 1977 et 1980, puis, il a assuré la présentation du Soir 3 sur FR3 entre 1980 à 1982. Un de ses collègues, Patrice Duhamel, se rappelait, pour le JDD ("Journal du dimanche"), le 13 avril 2014 : « L'époque était joyeuse, nous étions une bande de jeunes journalistes célibataires, Patrick de Carolis, Bruno Masure, Dominique et moi-même… Sa flamme s'est imposée à la rédaction. ». Dominique Baudis a quitté l'audiovisuel public pour se présenter à la mairie de Toulouse et faire de la politique à 100%. Il a toutefois succédé à Alain Peyrefitte à la présidence du comité éditorial du journal "Le Figaro" en mai 2000 (jusqu'en 2001). Son bâton de maréchal de journaliste, il l'a reçu de Jacques Chirac avec sa nomination à la présidence du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (CSA, futur Arcom), entre 2001 et 2007. À cette tâche, il a introduit la TNT (télévision numérique terrestre) et a lutté (sans beaucoup de succès) contre la pornographie.

    Bien sûr, c'est l'homme politique qui a le plus marqué les Français. Mais Dominique Baudis, très soucieux de sa liberté, a refusé toutes les offres de ministre qu'on lui proposait. Il a marqué surtout par son action pour Toulouse et celle en faveur de l'Europe, mais il a souvent flirté avec les sommets de la scène nationale. Patrice Duhamel : « Il aurait pu faire une grande carrière politique, il avait l'étoffe d'un Premier Ministre ! Mais il a refusé trois ou quatre fois d'entrer dans un gouvernement pour se consacrer à son mandat de maire de Toulouse. ».

    En fait, on pourrait même aller plus loin : Dominique Baudis avait l'étoffe d'un Président de la République. Au-delà de convictions très fortes, il avait un charisme qu'il avait gagné par son métier de journaliste mais aussi par son tempérament, un sourire irrésistible et pourtant, il mettait aussi de la distance dans les relations personnelles. Il faisait partie de ces gens qui ont une autorité naturelle et qui peuvent impressionner naturellement.

    Malgré sa grande prudence qui l'amenait plutôt à préférer les discours consensuels aux propos tranchés, il a pris la tête de la "fronde" des jeunes députés (et jeunes maires) de l'opposition UDF-RPR après l'échec présidentiel de mai 1988 et après les municipales de mars 1989 pour renouveler la classe politique dans l'optique des européennes de juin 1989 : c'étaient les Rénovateurs. Lui qui était un habitué des journaux télévisés, comme présentateur, il a marqué aussi l'histoire politique comme invité, à deux journaux télévisé, dont l'un en avril 1989, où il demandait à Valéry Giscard d'Estaing, "les yeux dans les yeux", de quitter la présidence de l'UDF qu'il venait de reprendre en 1988 (l'autre JT en 2003, voir plus loin).

    Il y a eu des rendez-vous politiques manqués, comme l'abandon, au dernier moment, de l'idée de conquérir la présidence du CDS au congrès d'Angoulême en octobre 1991, trop démocrate-chrétien pour "tuer le père" Pierre Méhaignerie (finalement, la guerre de succession a eu lieu en décembre 1994 entre Bernard Bosson et François Bayrou). Au cours de ce second septennat de François Mitterrand, Dominique Baudis avait montré quelques ambitions, il a ainsi rivalisé avec Philippe Séguin (un ancien rénovateur, lui aussi) en mars 1993, lui disputant le perchoir (il l'a manqué de quelques voix).

    Son combat national, Dominique Baudis l'a quand même obtenu. Soutenu par VGE et Alain Juppé et préféré à Jean-François Deniau, il fut désigné par l'UDF et le RPR tête de liste aux élections européennes de juin 1994, de nouveau réunis dans cette campagne. Rassemblant plus du quart des électeurs, sa liste était la première, et de loin puis qu'il avait près du double de la deuxième liste, celle menée par Michel Rocard, premier secrétaire du PS, ancien Premier Ministre, pour qui ce fut l'enterrement de ses ambitions présidentielles. Il retourna au combat électoral des européennes (pour la troisième fois) en juin 2009 (avec un scrutin cette fois-ci régional).

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    Ses réalisations les plus marquantes restent Toulouse, avec trois mandats (1983 à 2001). À la mort du maire emblématique, France 3 avait fait un rapide bilan : d'abord, l'implantation du métro à Toulouse, mais aussi la transformation des abattoirs en musée d'art contemporain, la construction de la Cité de l'Espace pour faire de la Ville rose la ville du spatial français par excellence, la construction de la médiathèque Marengo et d'un des plus grands Zénith de France. Mais l'essentiel n'était pas seulement dans le "quoi", aussi dans le "comment". Dominique Baudis voulait gérer comme un bon père de famille, c'est-à-dire en respectant l'argent des contribuables. Ainsi, il a refusé d'endetter sa ville à une époque où beaucoup d'édiles municipaux, départementaux et régionaux dépensaient à tort et à travers avec des hôtels du département, etc. parfois mégalomaniaques.

    Il aurait sans doute été réélu s'il avait sollicité un quatrième mandat municipal, mais il souhaitait changer radicalement (en présidant le CSA et en quittant la vie politique active). Il retourna à la vie politique dans une dernière excursion entre 2009 et 2011 (comme député européen).

    Entre-temps, il y a eu l'affaire Alègre qui l'a traumatisé au printemps 2003 : deux prostituées l'ont accusé des pires crimes, les plus abominables : proxénétisme, viol, acte de barbarie, pédophilie voire meurtre. "La Dépêche du midi" (dirigée par un rival régional, Jean-Michel Baylet), "Le Monde" (avec un journaliste d'investigation à moustaches devenu fondateur et star d'un site Internet très couru), et les médias en général ont été abominables avec la rumeur en le chargeant sans vérification, si ce n'est le témoignage assez léger des deux prostituées. Dominique Baudis s'est invité au journal télévisé de 20 heures sur TF1 le 18 mai 2003 pour évoquer l'affaire et démentir toutes les accusations, mais cela a eu l'effet inverse, celui de nourrir la rumeur et même son émotion devenait un signe de culpabilité. La justice l'a blanchi définitivement plusieurs années plus tard, mais cette histoire est restée une blessure très vive. Il a imaginé qu'on l'avait accusé parce qu'il avait combattu la pornographie à la télévision, ce qui dérangeait ce genre de milieu glauque. C'était aussi un moyen de connaître ses véritables amis... Sa veuve s'est exprimée en 2016 à ce sujet en y voyant une guerre entre deux familles (Baylet, centre gauche, et Baudis, centre droit) avec la fin des arrangements qui existaient entre la mairie de Toulouse et "La Dépêche du midi" quand Dominique Baudis est devenu maire avec l'idée de mieux gérer les deniers publics.

    La dernière mission de Dominique Baudis fut à sa hauteur : Nicolas Sarkozy l'a nommé en juin 2011 Défenseur des droits, un nouveau poste prévu par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 et la loi organique du 29 mars 2011. Cette fonction reprenait celle du Médiateur de la République avec beaucoup plus de champs d'action, de responsabilités et surtout de moyens. Il était alors le digne héritier de, notamment, Antoine Pinay, Robert Fabre, Jacques Pelletier et aussi Bernard Stasi, des hommes modérés au contact avec la réalité humaine qui ont joué le rôle de David contre le Goliath de l'administration française. Ses successeurs furent Jacques Toubon en 2014 puis Claire Hédon en 2020, l'actuelle Défenseure des droits.

    Le très bon score des européennes de 1994 aurait pu intégrer Dominique Baudis dans le cercle très restreint des présidentiables français. Il ne voulait sans doute pas s'y astreindre. Dans un livre biographique publié en 2001, Stéphane Baumont précisait : « Pourquoi l’une des figures les plus symboliques de la République de la Province comme de la démocratie d’opinion n’a-t-elle pas plus encore marqué notre histoire contemporaine ? Autant de questions qui reflètent le mystère et l’énigme Baudis : un homme faisant de la politique autrement, charismatique mais atypique, rigoureux mais sensible, homme d’action autant que de réflexion, acteur contemporain autant qu’écrivain. Dominique Baudis, un cas unique dans le paysage politique français… au-delà des partis, loin des idéologies, une forme de conquête du bonheur, un destin inachevé. ». Écrivain, en effet, car, au cours de son existence, il a publié dix livres (principalement historiques).

    Un Prix Dominique Baudis Science Po a été créé au début des années 2020 pour récompenser chaque année « trois courtes productions vidéo non-professionnelles produites à l’aide d’outils du quotidien (téléphone portable, ordinateur personnel, logiciels grand public, etc.) et visant à mettre en valeur un engagement dans les domaines cités ci-dessus (engagement public, défense des droits, rapprochement des peuples, information publique) » avec ces trois critères en particulier : « lien avec les engagements de Dominique Baudis ; caractère impactant de l’engagement mis en valeur (fond) ; angle original dans la présentation et clarté du narratif (forme) ».


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    Sylvain Rakotoarison (06 avril 2024)
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    Pour aller plus loin :
    Hommage d'État (16 avril 2014).
    Homme d’État (10 avril 2014).
    Premier Défenseur des Droits (4 juin 2011).
    Ex-jeune loup de la politique française (15 juin 2011).
    La rumeur dans le milieu politique.
    Les Rénovateurs (1).
    Les Rénovateurs (2).
    La famille centriste.
    Dominique Baudis.
    Valérie Hayer.
    François Bayrou.
    Henri Grouès.
    Jean-Jacques Servan-Schreiber.
    Jean-Marie Rausch.
    René Monory.
    René Pleven.
    Simone Veil.
    Bruno Millienne.
    Jean-Louis Bourlanges.
    Jean Faure.
    Joseph Fontanet.
    Marc Sangnier.
    Bernard Stasi.
    Jean-Louis Borloo.
    Sylvie Goulard.
    André Rossinot.
    Laurent Hénart.
    Hervé Morin.
    Olivier Stirn.
    Marielle de Sarnez.

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  • Ursula von der Leyen rend hommage à Jacques Delors

    « L'Union Européenne qu'il construisait ne se substitue pas aux nations. Et nous retrouvons cette philosophie dans la devise actuelle de notre Union, qui est : "Unie dans la diversité". Cet idéal européen, comme Jacques Delors aimait à le nommer, n'était pas un simple exercice intellectuel ou une simple profession de foi. Il était le moteur d'incroyables initiatives, dont nous ressentons encore les effets. » (Ursula von der Leyen, le 31 janvier 2024 à Bruxelles).




     

     
     

    L'ancien Ministre de l'Économie et des Finances Jacques Delors est mort le 27 décembre 2023 à l'âge de 98 ans. Sa disparition a provoqué une grande émotion et de nombreux hommages pour celui qui est désormais considéré comme l'un des pères de l'Europe moderne, aux côtés de Valéry Giscard d'Estaing de Helmut Kohl.

    Car ce qui a marqué l'histoire n'est pas d'avoir été pendant trois ans l'impossible grand argentier de la gauche socialo-communiste qui jouait dans la surenchère dépensière (en considérant que l'argent public venait du ciel et pas de la poche des contribuables), trois ans marqués par de nombreux épisodes de chantage à la démission (c'est pour cela que Matignon lui était interdit), mais d'avoir passé dix années très utiles et très actives à la Présidence de la Commission Européenne, de janvier 1985 à janvier 1995, une fonction qu'il a sublimée (comme Simone Veil a sublimé la Présidence du Parlement Européen), en en faisant un dirigeant international à part entière, invité aux G7, G8, G20, et à différents sommets internationaux.

    Les hommages officiels et autres ont eu lieu après le Nouvel An, car mourir entre Noël et le Nouvel An n'assure pas une très forte écoute et participation à des hommages. Il y a eu l'hommage solennel de la France à Jacques Delors le 5 janvier 2024 aux Invalides, à Paris, présidé par le Président de la République française Emmanuel Macron et auquel a assisté celui de sa lointaine successeure, Ursula von der Leyen. Et il y a eu l'hommage de l'Europe à Jacques Delors le 31 janvier 2024 à Bruxelles dont le discours principal fut prononcé par Ursula von der Leyen. Au cours de cette cérémonie du 31 janvier 2024, il y a eu de nombreux témoignages et des interludes musicaux.

    La Présidente de la Commission Européenne avait déjà fait deux déclaration en hommage à Jacques Delors. Une première en réaction à l'annonce de sa disparition, le 27 décembre 2023 : « Nous sommes tous les héritiers de l'œuvre de la vie de Jacques Delors : une Union Européenne dynamique et prospère. Jacques Delors a forgé sa vision d'une Europe unie et son engagement pour la paix durant les heures sombres de la Seconde Guerre mondiale. D'une intelligence remarquable et d'une humanité incomparable, il a toute sa vie été le défenseur infatigable de la coopération entre les nations européennes, puis du développement de l'identité européenne. Une idée à laquelle il a donné vie grâce, entre autres, à la mise en place du Marché unique, du programme Erasmus et des prémices d'une monnaie unique, façonnant ainsi un bloc européen prospère et influent. Sa Présidence de la Commission Européenne a été caractérisée par un engagement profond pour la liberté, la justice sociale et la solidarité, des valeurs désormais ancrées dans notre Union. Jacques Delors était un visionnaire qui a rendu l'Europe plus forte. Son œuvre a eu un impact profond sur la vie de générations d'Européens, dont la mienne. Nous lui sommes infiniment reconnaissants. Honorons son héritage en renouvelant et redynamisant sans cesse notre Europe. ».

    Le soir du 5 janvier 2024, au Palais des Beaux-Arts à Bruxelles, alors qu'elle avait participé à l'hommage national à Paris aux Invalides le matin aux côtés d'Emmanuel Macron, Ursula von der Leyen est revenue sur l'héritage de Jacques Delors devant, entre autre, le roi des Belges, le Président du Conseil de Belgique et le Président du Conseil Européen (qui est également belge), à l'occasion du début de la Présidence belge du Conseil de l'Union, en insistant sur le fait qu'elle parlait dans les lieux même du dernier discours de Jacques Delors comme Président de la Commission Européenne il y a vingt-neuf ans (le 19 janvier 1995) : « Nous devons tant à Jacques Delors. Il a fait d'une Communauté économique une Union des personnes et des nations. L'une de ses formules m'accompagne depuis le tout premier jour de mon mandat. Il a dit : "C'est le moment de donner une âme à l'Europe". Il l'a prononcée au début des années 1990. La chute du Rideau de fer avait suscité de grands troubles sur le plan géopolitique, mais aussi de grands espoirs de voir l'Europe enfin réunie sous le signe de la paix et de la démocratie. Jacques Delors a été le premier à comprendre qu'il ne fallait pas seulement élargir la Communauté, mais unifier l'Europe. Et pour cela, il fallait que l'Europe redécouvre son âme. Nous devions retourner à nos origines, aux valeurs fondatrices de notre Union, afin d'être à même de forger notre avenir (…) Ce soir, je veux parler non seulement de tout ce que Jacques Delors a fait pour nous, mais aussi de la façon dont il peut nous inspirer. Jacques Delors a présidé la Commission dans une période marquée par des défis géopolitiques colossaux (…). Alors que nous faisons face à de nombreux défis semblables aujourd'hui, inspirons-nous de ses convictions. (…) Quelles que soient nos difficultés, aussi insurmontables puissent-elles paraître, nous devons toujours garder à l'esprit son conseil aux générations futures : "La Grande Europe a son avenir devant elle. N'ayez pas peur, nous y arriverons". ».

     
     


    Ursula von der Leyen a présidé la cérémonie d'hommage européen à Jacques Delors le 31 janvier 2024 à Bruxelles. Si Emmanuel Macron était absent, en revanche, les membres de sa famille y étaient, dont Martine Aubry, ainsi que François Hollande (sauf erreur de ma part), et de très nombreux chefs d'État et de gouvernement européens, notamment le Président roumain Klaus Werner Iohannis, le Président lituanien Gitanas Nauséda, le Président chypriote Nikos Christodoulides, le Premier Ministre polonais Donald Tusk (qui fut aussi Président du Conseil Européen), le Chancelier allemand Olaf Scholz, la Première Ministre estonienne Kaja Kallas, le Premier Ministre néerlandais Mark Rutte, le Premier Ministre portugais Antonio Costa, le Premier Ministre espagnol Pedro Sanchez, le Premier Ministre croate Andrej Plenkovic, le Premier Ministre grec Kyriakos Mitsotakis, le Premier Ministre belge Alexander De Croo, le Premier Ministre danois Mette Frederiksen, le Premier Ministre maltais Robert Abela, le Premier Ministre irlandais Leo Varadkar, le Premier Ministre bulgare Nikolaï Denkov, le Premier Ministre finlandais Petteri Orpo et le Premier Ministre du Luxembourg Luc Frieden.
     

     
     

    La chef de l'exécutif européen a commencé par la foi en l'Europe de Jacques Delors : « Trop peu a été dit sur sa foi en l'Europe comme communauté de destin. On le sait, Jacques Delors était croyant. Un homme de foi, justement. C'était aussi un homme convaincu que l'être humain s'accomplit en étant engagé dans la société, au profit de son prochain. Et enfin, c'était un témoin de première main de la douloureuse histoire européenne et de ses conséquences humaines si tragiques. De tout cela découle sa conviction que notre horizon devait être une union sans cesse plus étroite entre les nations européennes et les peuples qui la composent. Dans un cadre de paix, de liberté et de solidarité. Un horizon moral et historique en somme, autant que la solution pragmatique à nos défis. Comme il l'a dit lui-même dans un discours devant le Parlement Européen : "L'Europe, menacée d'être malade de ses divisions, demeure formidablement riche de ses diversités. Il convient de les préserver, mieux, de les faire fructifier pour le bien commun". Et pour Jacques Delors, cette communauté de destin devait avoir pour socle le principe de subsidiarité. "Principe de respect du pluralisme, et donc des diversités" disait-il. L'Union Européenne qu'il construisait ne se substitue pas aux nations. Et nous retrouvons cette philosophie dans la devise actuelle de notre Union, qui est : "Unie dans la diversité". Cet idéal européen, comme Jacques Delors aimait à le nommer, n'était pas un simple exercice intellectuel ou une simple profession de foi. Il était le moteur d'incroyables initiatives, dont nous ressentons encore les effets. »

    À son actif pour faire renaître l'idéal européen, il y a eu le Marché unique : « C'est l'objectif 1992 : un vaste projet pour créer un marché unique réunissant plus de 300 millions d'habitants. Un véritable espace sans frontières. Un espace de liberté de circulation. Pour les marchandises, bien sûr, mais aussi les capitaux, les services et, non moins important, les personnes. Donc un levier pour relancer l'économie européenne et la rendre plus compétitive. Mais aussi un appel aux citoyens à s'approprier l'espace européen. En faisant cela, Jacques Delors a accompli l'exploit de relancer l'Europe en s'appuyant sur l'économie. De créer de l'optimisme en pleine crise économique. ».

    Il y a eu aussi l'Acte Unique européen pour confirmer le Marché unique de 1992 en s'en donnant les moyens : « En élargissant le champ des décisions à la majorité qualifiée, avancée fondamentale ; en étendant les compétences européennes dans les domaines de la politique industrielle, de la recherche et encore de l'environnement. Et enfin et surtout, en plaçant la cohésion sociale et régionale au cœur des priorités européennes. (…) La cohésion territoriale pour réduire les différences entre États membres et entre régions, bien sûr. Et la cohésion sociale, pour lutter contre les inégalités. Cette dimension était chère à Jacques Delors, partisan du dialogue social. ».

     
     


    Il y a eu encore le Traité de Maastricht : « Le Traité qui a lancé l'union économique et monétaire et l'introduction de l'Euro. L'Euro, cette grande étape poursuivie par Jacques Delors, était clairement à la fois le symbole de cette union plus étroite, et l'outil d'une plus grande efficacité et souveraineté économique. ».

    L'une des grandes préoccupations de Jacques Delors fut le rôle de l'Europe dans le monde : « Il comprenait qu'elle ne pourrait le faire qu'avec des instruments de souveraineté partagée. Comme la monnaie unique justement, qu'il contribua à créer et une défense commune. (…) Liberté et solidarité comme valeurs humanistes à promouvoir face aux bouleversements du monde. (…) En tant qu'Allemande qui a vécu dans un pays divisé, je suis très reconnaissante à Jacques Delors pour son engagement pour la réunification de l'Allemagne et sa conviction que l'Europe serait à terme réunifiée. En effet, dès l'automne 1989, Jacques Delors n'hésitait pas à se montrer confiant dans la force de l'intégration européenne. Aux journalistes allemands qui l'interrogeaient le 12 novembre 1989, il disait : "La Communauté Européenne est le centre de gravité de l'histoire de l'Europe. C'est vers elle que regardent les habitants de la RDA, de la Pologne et de la Hongrie. Nous ne devons pas les décevoir, nous devons leur offrir notre aide et notre coopération". (…) Son regard sur le rôle de l'Europe dans le monde allait bien plus loin. C'est en effet la Commission présidée par Jacques Delors qui s'est engagée dans les grands forums internationaux. Tels que le G7 et le G20, la Conférence de Rio, ancêtres de nos COP. J'ai souri en lisant un article de journal, relatant une rencontre entre Jacques Delors et Bill Clinton à la Maison-Blanche en 1993. De quoi ont-ils parlé ? De menaces de tarifs américains sur les importations d'acier européen. Certains combats sont éternels. ».
     

     
     


    Ursula von der Leyen a pris l'exemple de la mission impossible de Jacques Delors pour faire accepter l'euro aux Allemands : « Jacques Delors, chacun s'accorde à le dire, était un maître tacticien et un négociateur patient. Pratique sans doute affûtée pendant ses années de syndicalisme, et bien utile dans le contexte européen. (…) Patience, rigueur, travail. (…) Jacques Delors était un travailleur acharné. Mais toujours, avec pour ambition une avancée significative pour l'Europe et ses citoyens. ».

    La conclusion d'Ursula von der Leyen s'est tourné vers les générations à venir : « Plus qu'un héritage patrimonial, je crois qu'il faut en garder la flamme. Celle de la jeunesse et du programme Erasmus. Celle de la solidarité des fonds structurels et du dialogue social. Celle de la volonté, de l'ambition et du pragmatisme. Car enfin le chemin de notre Europe se réinvente chaque jour. Jacque Delors disait que notre Union européenne était un "OPNI" pour "Objet Politique Non Identifié". Au fond, il nous a appris que l'important est de s'adapter aux nouvelles nécessités. L'important est d'agir avec ambition et réalisme pour affronter les nouveaux défis. L'important est de garder chevillé au corps l'idéal européen. ».

    Ursula von der Leyen est candidate à sa propre succession à la Présidence de la Commission Européenne dans la perspective des élection européennes du 9 juin 2024. Elle est la candidate du PPE, représenté en France par LR dirigé sur le plan européenne par François-Xavier Bellamy (qui s'est opposé paradoxalement à cette candidature). Elle comme tous ses adversaires ont beaucoup de leçons à apprendre de l'expérience de Jacques Delors, véritable ordonnateur de la relance de l'Europe après des années 1970 secouées par une crise économique durable. Il manque aujourd'hui de personnalités providentielles pour poursuivre avec ambition la construction de l'Europe aujourd'hui plongée dans un climat d'euroscepticisme d'extrême droite. Seule, la France d'Emmanuel Macron apporte des propositions pour la faire redémarrer. Mais le volontarisme n'est rien sans la négociation patiente. Telle est la principale leçon de Jacques Delors. Pas sûr qu'elle soit bien apprise.


    Aussi sur le blog.


    Sylvain Rakotoarison (03 février 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Ursula von der Leyen.
    L'hommage de l'Europe à Jacques Delors.
    Discours de Présidente de la Commission Européenne Ursula von der Leyen en hommage à Jacques Delors le 31 janvier 2024 (texte intégral).
    L'hommage d'Emmanuel Macron à Jacques Delors : il nous a juste passé le relais !
    Discours du Président Emmanuel Macron en hommage à Jacques Delors dans la cour d'honneur des Invalides à Paris le 5 janvier 2024 (texte intégral et vidéo).
    Jacques Delors, l'un des pères de l'Europe moderne.
    Jacques Delors votera-t-il pour Emmanuel Macron ?
    Jacques Delors aurait-il pu être le précurseur d’Emmanuel Macron ?
    Jacques Delors, l’honneur de la France et de l’Europe.
    Institut Jacques-Delors (créé en 1996).
    Qui peut remplacer Jacques Delors en 2014 ?
    L’occasion ratée de 1995.
    Martine Aubry.

     

     
     




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