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  • Alain Peyrefitte, la Chine et De Gaulle

    « On ne saurait admettre le succès, et encore moins la suprématie, d'un empire qui récuse nos leçons de morale politique. » (Alain Peyrefitte, 1994).



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    L'ancien ministre gaulliste Alain Peyrefitte est mort il y a exactement vingt-cinq ans, le 27 novembre 1999, de maladie (à l'âge de 74 ans). Celui qui aurait pu être nommé Premier Ministre deux fois, en 1979 et en 1986, pouvait être considéré comme un "vieux schnoque" parmi les barons gaullistes vieillissants des années 1970 et 1980, mais c'était une vision déformée de la réalité. Il a d'abord été un jeune loup d'une très grande ouverture intellectuelle et d'une brillante intelligence.

    Certes, les diplômes ne sont pas tout, mais suivre des cours à Normale Sup. et à l'ENA, c'est déjà quelque chose. En faire plus qu'une simple base initiale pour construire une très riche existence intellectuelle, c'est encore autre chose. Alain Peyrefitte a été chargé de recherches au CNRS, maître de conférences à l'ENA, anthropologue, diplomate, docteur d'État (sur "la phénoménologie de la confiance") et évidemment homme politique, éditorialiste au journal "Le Figaro" et grand écrivain (vendant des essais issus d'une pensée originale avec succès). Il a été consul général en Pologne, député gaulliste à 33 ans, sénateur, député européen, maire de Provins, conseiller général (et même vice-président du conseil général de Seine-et-Marne), secrétaire général de l'UDR, de nombreuses fois ministre sous trois Présidences de la République entre 1962 et 1981 (entre autres : Information, Recherche, Éducation nationale, Culture, Environnement, Justice). Enfin, auteur d'une trentaine d'ouvrages, principalement des essais, il a été élu membre de l'Académie française le 10 février 1977 (reçu le 13 octobre 1977 par un autre anthropologue, Claude Lévi-Strauss). On peut relire en détail sa trajectoire ici.

    Parmi les livres majeurs d'Alain Peyrefitte, trois se détachent nettement : "Quand la Chine s'éveillera... le monde tremblera" publié en 1973 (éd. Fayard), une réflexion très visionnaire sur la Chine et son avenir (suivi d'autres essais complémentaires), "Le Mal français" publié en 1976 (éd. Plon), une réflexion sur le fonctionnement administratif de la France (centralisation excessive, manque de confiance aux entrepreneurs, hyperbureaucratie, etc.), et "C'était De Gaulle" publié en 1994 (éd. Gallimard), premier tome d'une série très volumineuse de confidences qu'il a eues avec De Gaulle pendant sa Présidence (il a attendu un quart de siècle avant d'en publier quelques extraits d'une masse exceptionnelle et non publiée). J'ajouterai aussi pour la cerise sur le gâteau ce petit essai politique "Encore un effort, Monsieur le Président" publié le 25 septembre 1985 (éd. Jean-Claude Lattès), sorte de longue supplique à François Mitterrand et plaidoyer pour le nommer Premier Ministre de cohabitation en mars 1986.

    Dans cet article, je souhaite proposer quelques extraits de deux livres, "Quand la Chine s'éveillera" et "C'était De Gaulle". Si ce dernier livre a été publié bien plus tard (près de vingt ans) après le premier, il faut comprendre que les propos de De Gaulle rapportés dans "C'était De Gaulle" ont été bien sûr prononcés avant la fin de la Présidence de De Gaulle en 1969 et sont donc antérieurs à l'essai sur la Chine issu de son voyage parlementaire en Chine effectué en 1971.



    1. Dans "C'était De Gaulle" (Gallimard, 1994)

    Pour replacer dans le contexte historique, le mieux est de relire Wikipédia : « La position de De Gaulle face au monde communiste est sans ambiguïté : il est totalement anticommuniste. Il prône la normalisation des relations avec ces régimes "transitoires" aux yeux de l'Histoire de façon à jouer le rôle de pivot entre les deux blocs. La reconnaissance de la République populaire de Chine dès le 27 janvier 1964 va dans ce sens. De même sa visite officielle en République populaire de Pologne (6-11 septembre 1967) fut un geste qui montre que le président français considère le peuple polonais dans son ancrage historique. ». Il faut donc bien retenir cette date du 27 janvier 1964, et regarder la date des propos de De Gaulle rapportés par Alain Peyrefitte sur la Chine. Ce qui est entre parenthèses est donc de De Gaulle, au contraire des autres livres où c'est Alain Peyrefitte qui s'exprime.

    Confidences du 6 juin 1962 (parlant de sa convesation avec Harold MacMillan, Premier Ministre britannique, le 3 juin 1962) : « Bien sûr, [les Chinois] pourront un jour faire des bombes atomiques, mais ce ne sont pas elles qui les feront manger. Ils ne pourront s'en sortir que s'ils s'ouvrent au monde entier, et que le monde entier vienne les aider. (…) L'intérêt du monde, un jour ou l'autre, sera de parler avec eux, de s'entendre avec eux, de faire des échanges commerciaux avec eux pour leur permettre de sortir de leurs murailles. La politique du cordon sanitaire n'a jamais eu qu'un résultat, c'est de rendre dangereux le pays qui en est entouré ; ses dirigeants cherchent des diversions à leurs difficultés, en dénonçant le complot impérialiste, capitaliste, colonialiste, etc. Ne laissons pas les Chinois mijoter dans leur jus. Sinon, ils finiraient par devenir venimeux. Il se pourrait bien qu'un jour ou l'autre, nous soyons amenés à les reconnaître et à donner l'exemple au monde. Naturellement, pas un mot de tout ça. » [en note, Alain Peyrefitte remarquait à quel point De Gaulle pensait à l'avenir alors que la France était embourbée en plein problème algérien].


    Conseil des ministres du 7 novembre 1962 : « Nous assistons à l'affrontement de deux énormes masses, la Russie et la Chine, qui vont se séparer de plus en plus. Les Russes seront dans une position de plus en plus difficile. De deux choses l'une. Ou ils restent avec la Chine, mais elle les boulottera quand elle sera la plus forte. Ou ils sont contre, mais alors c'est la fin des Rouges et le camp communiste s'effondrera. C'est peut-être déjà fait. ».

    Confidences du 24 janvier 1963 : « [Adenauer] considère, lui aussi, que la Chine va tout faire, dorénavant, pour accroître sa puissance et pour peser tant sur les Occidentaux que sur la Russie. Raison de plus pour ne plus la laisser s'enrager dans l'isolement. ».

    Confidences du 13 mars 1963 : « Un jour ou l'autre, [les Chinois] chercheront à retrouver leurs frontières de jadis, à la grande époque de la dynastie mandchoue. (…) Ils commenceront par faire retomber dans leur mouvance Hong Kong, Macao et Formose. Nehru, quand il a voulu mettre la main sur nos établissements de l'Inde et sur les comptoirs portugais, n'y est pas allé par quatre chemins. Il a envoyé ses chars et un ultimatum. Fatalement, un jour ou l'autre, les Chinois en feront autant. Puis, viendra le moment où ils se sentiront assez fort pour exiger le retour des régions concédées à la Russie. Mais ils ont l'éternité devant eux, puisqu'ils l'ont derrière eux. (…) Il y a quelque chose d'anormal dans le fait que nous n'avons pas de relations avec le pays le plus peuplé du monde, sous prétexte que son régime ne plaît pas aux Américains et que ça les dérangerait si nous y faisions notre entrée. (…) Je n'ai jamais rien lu ni entendu [sur la Chine] qui ne fût ou totalement pour, ou totalement contre... (…) De toute façon, si nous reprenons un jour des relations avec Pékin, nous ne reconnaîtrons pas un régime politique en tant que tel. Nous ne nous inclinons pas devant le communisme. Nous reconnaissons un fait évident, c'est qu'il y a un État qui gouverne la Chine. Il la gouverne depuis quatorze ans. Bien ou mal, selon nos préférences ou pas, ce n'est pas notre affaire. Ce qui est sûr, c'est qu'il la gouverne. ». Rappel : Formose est une autre appellation de Taïwan.


    Et de poursuivre : « Il faut toujours des alliés de revers. Ça a toujours été la politique de la France. Nos rois ont fait alliance avec le Grand Turc contre le Saint Empire romain germanique. Ils ont fait alliance avec la Pologne contre la Prusse. Moi, j'ai fait alliance avec la Russie pour nous renforcer en face de l'Allemagne. Et un jour, je ferai alliance avec la Chine pour nous renforcer face à la Russie. Enfin, alliance, nous n'en sommes pas là. Il s'agira d'abord de renouer des relations. (…) Il est probable qu'après nous, il y aura des moutons de Panurge ; tout le monde voudra reconnaître la Chine et se trouver dans les premiers à la reconnaître. Et vous allez voir que les États-Unis vont être obligés de nous suivre. Avouez que ça vaudra la peine d'être vu ! ».

    Conseil des ministres du 8 janvier 1964 (quelques jours avant la reconnaissance officielle) : « La Chine est une énorme chose, elle est là, elle existe. Vivre comme si elle n'existait pas, c'est irréaliste. (…) L'ONU ? De toute façon, la Chine y entrera. Peu à peu, l'ONU votera pour elle. Elle ne déparera pas la collection. Si elle y est, il n'est pas sûr qu'elle n'en tirera pas avantage pour troubler l'eau. (…) Le fait chinois est là. C'est un pays énorme. Son avenir est à la dimension de ses moyens. Le temps qu'il mettra à les développer, nous ne le connaissons pas. Ce qui est sûr, c'est qu'un jour ou l'autre, peut-être plus proche qu'on ne croit, la Chine sera une grande réalité politique, économique et même militaire. C'est un fait et la France doit en tenir compte. (…) Nous avons des alliés. Nous conservons ces alliances. (…) Que fera le gouvernement de Formose ? Ça le regarde, mais nous ne prendrons aucune initiative hostile contre lui. ».

    Confidences du 8 janvier 1964 : « L'option se réduit à un constat simple : la reconnaissance de la Chine par le monde occidental est quelque chose d'inéluctable. Ne nous laissons pas confisquer le bénéfice d'être les premiers. Mais du fait que nous prenons les devants, nous recevrons des coups. ».

    Conseil des ministres du 22 janvier 1964 (l'intention de la France de reconnaître la Chine a fuité après que la France en a informé ses partenaires) : « Quel qu'eût été le moment, on aurait dit : "le moment est mal choisi". (…) Notre exemple sera suivi. Ça ne changera rien au fait que la Chine communiste est communiste à sa façon. Avant d'être communiste, la Chine est la Chine. ».

    Confidences du 22 janvier 1964 : « [Lester Pearson, Premier Ministre canadien,] m'a quand même dit une chose qui n'est pas sotte. C'est qu'il serait grave que nous reconnaissions la souveraineté de la Chine continentale sur Formose. Je l'ai rassuré en lui précisant bien que nous ne souhaitons pas que les communistes s'installent à Formose et que nous n'accepterions pas que Pékin exige que nous rompions avec Tchang Kaï-Chek. (…) Le rétablissement des relations avec la Chine, ça veut dire que nous allons tourner la page coloniale, celle de nos Concessions en Chine, celle de l'Indochine française. Ça veut dire que la France revient en tant qu'amie, respectueuse de l'indépendance des nations. (…) Les moyens de la Chine sont virtuellement immenses. Il n'est pas exclu qu'elle redevienne au siècle prochain ce qu'elle fut pendant tant de siècles, la plus grande puissance de l'univers. ».


    2. Dans "Quand la Chine s'éveillera..." (Fayard, 1973)

    Une tentative de compréhension de la Chine communiste : « Comment comprendre le maoïsme sans mesurer, d’abord, la somme de souffrance et de deuils que Mao et les siens ont endurée ? ».

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    Changer l'histoire : « La Révolution culturelle a été pendant quatre ans la grande lessive de la société, le grand décapage des cerveaux. Puisqu’on ne pouvait pas changer les choses, il fallait changer la façon dont les Chinois les voyaient. La Révolution culturelle est une révolution du regard. ».

    Le pragmatisme politique et la répartition des rôles entre Mao Tsé-Toung et Zhou Enlai : « Dans les vagues successives et tourmentées de la révolution chinoise, Mao et Zhou, ce couple contradictoire et indissociable, souvent cachés par le creux de la vague, ont toujours réapparu au sommet : le paysan prophétique et le mandarin subtil, l'incantatoire et l'opérationnel. Dans ce système dont la description appelle si naturellement le vocabulaire religieux, Mao, tel un Esprit Saint de la révolution, s'est contenté, hors quelques manifestations foudroyantes, d'agir à travers le pontificat très romain de Zhou Enlai. ».

    Clef pour réussir une révolution : « Parmi les diverses méthodes que les sociétés ont inventées pour entraîner les hommes à l'effort, les dirigeants chinois semblent avoir compris que la moins efficace était l'obligation autoritairement imposée à des sujets passifs : elle provoque un énorme gaspillage, à cause des freinages dus à l'inertie, à l'indifférence, à la malveillance, au sabotage larvé. Ils ont constaté que la méthode la plus positive était l'enthousiasme, qui recule au loin les barrières du supportable, grâce au don volontaire que font de leur force les esprits portés à l'incandescence. ».



    3. "La Chine s'est éveillée" (Fayard, 1996)

    Sous-titré : "Carnets de route de l'ère Deng Xiaoping".

    Le totalitarisme : « Dans les systèmes totalitaires, la libéralisation s'arrête là où les dirigeants croient l'équilibre du régime menacé ; si ces dirigeants, du moins, en conservent les moyens et gardent en eux la certitude d'avoir raison. La Chine devient semblable à une huître qui s’entrebâillerait vers le grand large, mais demeurerait inébranlablement fixée du rocher par sa dure coquille totalitaire. ».


    Deux puissances mondiales : « Depuis l'effondrement de l'URSS, voici deux ans, on va répétant qu'il n'y a plus qu'une superpuissance. C'est une erreur. Il y en a désormais deux. Et la deuxième a de bonnes chances de dépasser la première dans le nouveau siècle, du moins en production ; peut-être, même, beaucoup plus tôt qu'on ne pense - non à la fin, mais au milieu ; voire dans les premières décennies du XXIe siècle. Toutefois, en France, on ne l'a pas encore compris. On ne saurait admettre le succès, et encore moins la suprématie, d'un empire qui récuse nos leçons de morale politique. Pourtant, il suffit d'ouvrir les yeux. ».

    Comme on le lit avec ces extraits, tant Alain Peyrefitte que De Gaulle étaient de grands visionnaires, indépendants l'un de l'autre, sur le développement de la Chine moderne.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (23 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Les 75 ans de la Chine communiste.
    De Gaulle et les communistes.
    Le diplomate académicien du gaullisme triomphant.
    Alain Peyrefitte.
    Michel Barnier.

    Roger Karoutchi.
    Jean-Louis Debré.
    Jacques Chirac.
    Bruno Le Maire.

    Édouard Philippe.
    Gérard Larcher.
    Gérald Darmanin.
    Bruno Retailleau au Sénat.
    François Fillon.

    Nicolas Sarkozy.
    Éric Ciotti.
    Vaudeville chez Les Républicains.
    Marie-France Garaud.

    Valéry Giscard d'Estaing.
    Lucien Neuwirth.
    Édouard Balladur.
    Georges Pompidou.
    Philippe De Gaulle.
    Catherine Vautrin.
    Rachida Dati.

    Dominique de Villepin.
    Laurent Wauquiez.
    Vincent Jeanbrun.
    Bernadette Chirac.
    Carla Bruni.
    La présidence de LR en décembre 2022.
    Patrick Balkany.
    Xavier Bertrand.
    Bruno Retailleau à LR.

    Caroline Cayeux.
    Christophe Béchu.
    Aurélien Pradié.
    Valérie Pécresse.

    François Baroin.
    Christian Jacob.
    François-Xavier Bellamy.

    Guillaume Larrivé.
    Nadine Morano.
    Philippe Juvin.
    Frédéric Péchenard.
    Christine Lagarde.

    Damien Abad.
    Roselyne Bachelot.
    Jean Castex.
    Jean-Paul Delevoye.
    Thierry Breton.
    Franck Riester.
    Christian Estrosi.
    Renaud Muselier.
    Éric Woerth.

    De Gaulle, l’Europe et le volapük intégré.
    Bernard Pons.
    Le naufrage du parti Les Républicains.
    La sagesse inattendue de Jean-François Copé.
    Yvon Bourges.
    Christian Poncelet.
    René Capitant.
    Patrick Devedjian.

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    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241127-alain-peyrefitte.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/alain-peyrefitte-la-chine-et-de-256969

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/26/article-sr-20241127-alain-peyrefitte.html


  • Les 75 ans de la Chine communiste

    « Nous devons considérer la situation économique actuelle de manière globale, objectivement et sereinement, affronter les difficultés sans détour et renforcer la confiance. » (26 septembre 2024).


     

     
     


    C'est le 1er octobre 1949, il y a soixante-quinze ans exactement, que les forces communistes ont gagné sur les forces nationalistes : la République populaire de Chine, autrement dite, la Chine communiste a été proclamée par Mao Tsé-Toung au balcon de la Cité interdite, à la Porte céleste de la Place Tiananmen, au cœur de Pékin. Événement historique qui dure encore.

    Car le régime communiste chinois est celui qui a duré le plus longtemps dans l'histoire récente. L'Union Soviétique, effectivement, n'aura duré que soixante-quatorze ans (1917-1991). Le régime chinois dure et est conçu pour encore durer longtemps avec son leader Xi Jinping qui revendique l'héritage des deux grands fondateurs, Mao Tsé-Toung et Deng Xiaoping.

    Cette Chine-là est très difficile à comprendre. Rien n'est simple et une vision simpliste resterait toujours erronée. Je m'amusais à entendre ma (regrettée) grand-mère, férue d'actualités, qui ressortait des pays qu'elle n'avait jamais visités comme la Russie ou la Chine des clichés éculés qui ont la vie dure. Au contraire de la Russie (que j'ai connue un petit peu pour avoir travaillé avec des scientifiques russes fort sympathiques et de haute performance), je ne suis jamais allé en Chine, mais j'ai eu quelques amis chinois très sympathiques aussi qui m'ont beaucoup appris.


    Il serait illusoire de croire que la Chine soit un ennemi pour le monde dit occidental. D'une part, la Chine n'a jamais cherché à s'étendre comme la France, l'Italie, l'Allemagne, la Russie, mais en revanche, elle a toujours considéré que ses territoires devaient être réunifiés (d'où la bombe à retardement de Taïwan). D'autre part, malgré des différences culturelles très fortes, il y a quelques points communs comme un élitisme très fort. La France a ses classes préparatoires et ses écoles à haute valeur ajoutée en système parallèle au système universitaire classique. La Chine aussi fait des concours très sélectifs pour permettre aux meilleurs d'atteindre les plus hauts postes.
     

     
     


    Ainsi, il faut comprendre l'acceptabilité de l'absence de démocratie par des personnes culturellement et scientifiquement éclairées ainsi : la démocratie, c'est-à-dire les élections pluralistes avec vote secret, libre, sincère, cela aboutit à des pertes de temps et parfois à des blocages politiques ; le système chinois (un système cryptocommuniste à la sauce chinoise) fonctionne bien parce que ce sont les meilleurs qui sont au pouvoir. En somme, le régime communiste depuis 1949 serait le fameux despotisme éclairé cher aux philosophes des Lumières. Le système de cooptation pourrait être apparenté à une sorte de grand concours général pour les postes au pouvoir. L'intérêt, c'est qu'il n'y aurait pas d'incompétents aux postes à responsabilité. Bon, bien sûr, c'est la théorie, et le régime de Mao a même été particulièrement désordonné entre le Grand Bond en avant et la Révolution culturelle. La corruption reste encore très présente et si régulièrement, des potentats sont disgraciés pour raison de corruption, c'est plus un prétexte pour purger politiquement et asseoir un nouveau pouvoir que pour réellement sortir de la corruption.

    C'est évident que la liberté d'expression laisse à désirer en Chine. La moindre manifestation est interdite et la moindre critique envers le régime est une crime de haute trahison. Et pourtant, d'où le fait que rien n'est simple, il y a parfois des choses étranges, des tolérances qui n'existeraient pas en France, par exemple. Ainsi, on voit une petite maison toute seule au milieu d'un énorme boulevard au milieu d'un nouveau quartier bétonné. C'est impressionnant. Le propriétaire refusait de quitter sa maison. En France, l'expropriation aurait été décidée. Il suffit de revoir l'excellent film "Le Chat" de Pierre Granier-Deferre (sorti le 24 avril 1971) avec Jean Gabin et Simone Signoret (et Annie Cordy), qui se passe sur fond de construction du nouveau quartier de La Défense. Une maison à Courbevoie (je crois), celle des héros, va être immanquablement détruite, sans prendre en compte l'avis des propriétaires et des habitants.

    Pendant trop longtemps, on a considéré que la Chine n'était que l'usine du monde, que c'étaient les petites mains de la planète en ne voyant pas que chaque année, des dizaines de milliers de Chinois sortent diplômés de leurs écoles d'ingénieur, qu'ils sont aussi dans la capacité à faire de la haute valeur ajoutée, tant technologique que culturelle (la Chine est présente dans le secteur de la haute couture, par exemple, ou du cinéma de grande qualité).

    Pays de paradoxes incontestablement quand on imagine que ce pays communiste fabrique le plus de nouveaux millionnaires chaque année dans le monde. Sorte de nation au capitalisme étatique, à la mort de Mao, Deng Xiaoping a tout misé sur l'économie au contraire de la Russie. Mikhaïl Gorbatchev, pour réformer un système sclérosé, a voulu ouvrir progressivement sur les libertés politiques avec la perestroïka et la glasnost, mais son économie a été reconfisquée par toute une nouvelle nomenklatura appelée oligarchie. C'est le cas aussi en Chine où les dignitaires communistes sont très riches et leur famille aussi. Mais sans ouverture politique. Ce choix a été formellement pris au printemps 1989, en ordonnant la répression de la Place Tiananmen.

    L'objectif de la Chine est la paix parce qu'on ne fait pas beaucoup d'affaires en période de guerres, d'instabilités politiques, de désastres économiques. J'ai eu l'occasion de mesurer le niveau d'agressivité commerciale de certaines entreprises chinoises, très impressionnant. Impression et efficace. La Chine est fascinante.

     

     

     

     
     


    Dans le compte rendu publié par l'Agence Chine Nouvelle à l'occasion de la réunion du bureau politique du parti communiste chinois le 26 septembre 2024, une critique a été reconnue : la Chine va mal, son économie est terne, et les objectifs sont loin d'être atteints. En cause, la crise de l'immobilier. L'État va devoir injecter des ressources supplémentaires dans ce secteur en crise. Cette reconnaissance de l'imperfection sort de la langue de bois habituelle où tout va toujours bien madame la marquise.

    Dès 1973, ministre et écrivain, Alain Peyrefitte avait pressenti le surgissement de la Chine comme acteur économique mondial incontournable (dans "Quand la Chine s'éveillera... le monde tremblera"), et à l'époque, ce n'était pas évident de l'anticiper tant le niveau de pauvreté était énorme et l'économie peu développée (épuisée et détruite par l'ère Mao). Il est coutume d'expliquer que la Chine a connu un siècle d'humiliation (1842-1949), elle à la culture millénaire, devenu une sous-culture par un monde dit occidental qui se croyait tout permis, depuis la première guerre de l'opium. La fin de l'empire en 1912 et la guerre civile entre communistes et nationalistes (1927-1949) ont fini d'achever le délitement de la société, sur fond d'invasion japonaise en Mandchourie.

    La période Mao (1949-1976) a été un nouveau calvaire chinois par la répression et des décisions économiques complètement stupides. Mais Deng a su redresser la Chine vers une modernité que les dirigeants des trente dernières années ont choyée et encouragée.


    Jean-Luc Domenach, interviewé par la revue "Histoire" de juillet 2005, a raconté ainsi : « Les communistes n’ont pas seulement su se maintenir puis vaincre militairement, ils ont fait leurs classes dans les zones de guérilla, puis dans les zones libérées ; ils ont appris à établir leur pouvoir en s’appuyant sur les élites locales, avant de liquider celles-ci progressivement. Et les dirigeants, Mao en tête, se sont révélés d’une extrême lucidité stratégique et habileté tactique. Excellent stratège, Mao s’est solidement installé à la tête du parti dans les années 1938-1945, à la faveur d’une manipulation cynique du pouvoir. Très tôt, par exemple, il prend le contrôle de la communication avec Staline. ». Et de compléter : « En revanche, l’inexpérience économique des dirigeants communistes et leur absence de programme précis les contraignent à se tourner exclusivement vers le modèle soviétique. Ce qui rend les choses très dangereuses, c’est qu’ils arrivent au pouvoir portés par un enthousiasme populaire inimaginable. La majorité de la population va suivre les yeux fermés ce pouvoir qui ne sait pas très bien où il va... ».
     

     
     


    Les années après Mao ont vu la population se consacrer totalement dans le développement économique : « Bien des cadres locaux ont cherché à soulager les populations, des habitudes aussi se sont prises. Bien souvent, l’horreur du totalitarisme a été quelque peu étouffée par le désir commun de survivre et de s’en sortir. À mon avis, on ne comprend pas la violence avec laquelle cette société s’est jetée, après 1978, dans un développement brutal et inégal si on ne tient pas compte du sentiment, largement partagé, que l’on a trop longtemps souffert, qu’il faut créer l’irréversible. Au fond, l’idée d’une sorte de deuxième Grand Bond pour que les horreurs du temps de Mao ne soient plus possibles. ».

    Petit à petit, la Chine a imité les sociétés capitalistes avec leur propre système, et depuis plus de dix ans, voici la Chine communiste classée au deuxième rang mondial pour le PIB (produit intérieur brut), derrière les États-Unis (la première place sera très difficile à atteindre), acteur majeur de l'économie mondiale, renonçant à développer une classe moyenne au profit des millionnaires et de la course en avant de la croissance (5% comme objectif pour l'année 2024), avec des enjeux puissants, l'ambition de devenir durablement une puissance militaire et diplomatique (ce qu'elle est déjà avec l'arme nucléaire et le droit de veto au Conseil de Sécurité de l'ONU) et consolidant son dynamisme par une démographie que seule l'Inde est en mesure d'égaler.

    Le Président chinois actuel Xi Jinping l'a d'ailleurs bien formulé lors de son intervention au Forum de Davos le 17 janvier 2017 : « La Chine est devenue la deuxième plus grande puissance économique du monde grâce à trente-huit années de réformes et d’ouverture. Un chemin droit mène à un avenir brillant. La Chine est arrivée à ce niveau parce que le peuple chinois, sous la direction du parti communiste chinois, a ouvert une voie de développement qui correspond aux conditions réelles de la Chine (…). La Chine a, ces dernières années, réussi à s’engager dans une voie de développement qui lui convient, en s’appuyant à la fois sur la sagesse de sa civilisation et sur les pratiques des autres pays de l’Est et de l’Ouest. En explorant ce chemin, la Chine refuse de rester insensible à l’évolution des temps ou de suivre aveuglément les pas des autres. ».

    C'est cette constante réorientation qui a permis au régime communiste de durer aussi longtemps. La question maintenant est la suivante : l'avenir permettra-t-il un assouplissement politique sur les libertés individuelles, l'ouverture démocratique, la défense des droits humains, le respect de la vie et la protection des minorités ? Pour l'heure, l'enjeu est autre : il est dans l'hypersurveillance de la société chinoise par des moyens technologiques ultraévolués (reconnaissance faciale, système de points du comportement individuel, etc.). Cette société, au fond, se projette bien plus rapidement que le monde dit occidental dans une société décrite par exemple dans "Le Cinquième élément", le film de science-fiction de Luc Besson (sorti le 7 mai 1997) avec Bruce Willis et Milla Jovovich, où la surveillance devient massive et totale (comme aussi dans "Bienvenue à Gattaca" d'Andrew Niccol, sorti le 24 octobre 1997, avec Ethan Hawke, Uma Thurman et Jude Law).



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (28 septembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Les 75 ans de la Chine communiste.
    Xi Jinping, le nouveau maître du monde ?
    Covid-19 : de bonnes nouvelles de Chine (et de moins bonnes nouvelles).
    Jiang Zemin.
    Xi Jinping confirmé empereur de Chine.
    Xi Jinping sort renforcé du 20congrès du PCC.
    À la veille du 20e congrès du parti communiste chinois...
    Ieoh Ming Pei.
    Zao Wou-Ki.
    Laisser jaillir l'émotion intérieure.
    Chu Teh-Chun.
    De la théocratie à la démocratie laïque.
    Les frontières arrêteront-elles le coronavirus ?
    Le docteur Li Wenliang, lanceur d’alerte de l’épidémie de coronavirus.
    Li Peng, de Tiananmen à Hongkong.
    Manifestations à Hongkong.
    La Paix céleste selon la Chine.
    La Chine au cinéma : une fidélité à soi-même, dans le film "Les Éternels".
    La Chine communiste peut-elle devenir une grande démocratie ?
    Li Rui.
    Li Peng a 90 ans.
    La maoïsation de Xi Jinping.
    Zhou Enlai.
    La diplomatie du panda.
    Xi Jinping et la mondialisation.
    La Chine à Davos.
    Deng Xiaoping.
    Wang Guangmei.
    Mao Tsé-Toung.
    Tiananmen.
    Hu Yaobang.
    Le 14e dalaï-lama.
    Chine, de l'émergence à l'émargement.
    Bilan du décennat de Hu Jintao (2002-2012).
    Xi Jinping, Président de la République populaire de Chine.
    Xi Jinping, chef du parti.
    La Chine me fascine.
    La Chine et le Tibet.
    Les J.O. de Pékin.
    Qui dirige la Chine populaire ?
    La justice chinoise.
     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241001-chine-communiste.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/les-75-ans-de-la-chine-communiste-256582

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/09/30/article-sr-20241001-chine-communiste.html