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  • Mon Top 7 de François Truffaut, grand maître de l'art cinématographique

    « La vie est pleine de paradoxes et le cinéma doit refléter ces paradoxes. Dans les soi-disant films politiques, il n'y a pas de vie parce qu'il n'y a pas de paradoxes. Le metteur en scène va au travail en sachant à l'avance qui est l'inspecteur de police corrompu, qui est le promoteur malhonnête, qui est le jeune brave reporter, etc. Pendant longtemps, en France, André Cayatte était le seul metteur en scène à faire ce genre de film. Depuis 1968, il y a eu une vogue de ce que j'appelle le "néo-cayattisme", qu'en tant que spectateur je refuse absolument de voir, et qu'en tant que metteur en scène je refuse absolument de pratiquer. » (François Truffaut, textes réunis par Anne Gillain, éd. Flammarion, 1992).


     

     
     


    La réalisateur français François Truffaut est mort il y a quarante ans, le 21 octobre 1984, à l'hôpital américain de Paris à Neuilly-sur-Seine. Il avait, à 52 ans. Une tumeur au cerveau, soignée sans doute trop tardivement, qui ne lui a guère laissé le choix, malgré encore sa trentaine d'idées de film. Jeune cinéaste pionnier de la Nouvelle Vague, François Truffaut est, selon moi, l'un des meilleurs réalisateurs, voire le meilleur. Sa finesse et sa douceur se ressentent dans les chefs-d'œuvre qu'il a tournés. Amour, ambiguïté, complexité... Rien n'est simple dans la vie, et c'est ce qu'a tenté de retranscrire Truffaut dans ses œuvres.

    Autodidacte, il s'est beaucoup inspiré de Jean Renoir (son maître absolu), Orson Welles, Roberto Rossellini qu'il a assisté pour trois films qui ne sont finalement pas sortis (en 1956), et surtout, Alfred Hitchcock qu'il a interviewé en 1955 en qualité de critique cinéma aux "Cahiers du cinéma", son métier d'origine. Son intérêt pour Hitchcock, il l'a précisé en 1975 : « Alfred Hitchcock (…) s’est appliqué toute sa vie à faire coïncider ses goûts avec ceux du public, forçant sur l’humour dans sa période anglaise, forçant sur le suspense dans sa période américaine. C’est ce dosage de suspense et d’humour qui a fait de AH [Hitchcock] un des metteurs en scène le plus commerciaux au monde (…) mais c’est sa grande exigence vis-à-vis de lui-même et de son art qui fait de lui, également, un grand metteur en scène. (…) Hitchcock a acquis une telle science du récit cinématographique qu’il est devenu en trente ans beaucoup plus qu’un bon conteur d’histoires. Comme il aime passionnément son métier, qu’il n’arrête pas de tourner et qu’il a résolu depuis longtemps les problèmes de la mise en scène, il doit, sous peine de s’ennuyer et se répéter, s’inventer des difficultés supplémentaires, se créer des disciplines nouvelles, d’où l’accumulation dans ses films récents de contraintes passionnantes et toujours brillamment surmontées. ».

    François Truffaut a amorcé la vague du cinéma d'auteurs, en France, cette si fameuse Nouvelle Vague qui a commencé avec "Les Quatre Cents Coups" de lui-même (sorti le 3 juin 1959), en guise de vague autobiographie (Truffaut s'en est défendu : « Contrairement à ce qui a été souvent publié dans la presse depuis le festival de Cannes, "Les Quatre Cents Coups" n'est pas un film autobiographique. ») avec son personnage récurrent Antoine Doinel joué par Jean-Pierre Léaud (qui s'est poursuivie avec quatre autres films), et qui a continué avec "À bout de souffle" de
    Jean-Luc Godard (sorti le 16 mars 1960), dont il a participé au scénario, avec Jean-Paul Belmondo et Jean Seberg.

    La Nouvelle Vague, selon l'expression de
    François Giroud (citée le 3 octobre 1957 dans "L'Express"), a rassemblé aussi d'autres réalisateurs comme Éric Rohmer, Claude Chabrol, Louis Malle, Agnès Varga, Jacques Demy, Jacques Rivette, Alain Resnais, etc. Comme Truffaut, certains étaient d'abord critiques de cinéma et ils dénigraient le cinéma de divertissement, qui devait être avant tout commercial et plaire au plus grand nombre, au profit d'un cinéma d'auteur, visant à révolutionner la narration cinématographique par des narrations autobiographiques, des mises en abyme, des voix off, etc. Les héros sont capables de s'affranchir de la loi voire de la morale, le happy end n'est plus systématique, etc. Et, non sans prétention, elle visait aussi à hisser le cinéma au statut d'art. Les réalisateurs de la Nouvelle Vague furent également soutenus par le Ministre des Affaires culturelles André Malraux. Beaucoup de réalisateurs, à la suite de cette période de la Nouvelle Vague (années 1960), s'en sont inspirés (parfois ou tout le temps), comme Claude Lelouch, André Téchiné, Jean Eustache, Jacques Doillon, etc. ...et même Jean-Pierre Mocky.

    Le seul véritable essai que François Truffaut a publié a été "Le Cinéma selon Alfred Hitchcock" (éd. Robert Laffont) en 1966, dont la réédition en 1983 (chez Gallimard) lui a valu une invitation le 13 avril 1984 à l'émission "Apostrophes" sur Antenne 2 (sa dernière apparition publique, semble-t-il). Sur le plateau de
    Bernard Pivot (qui est hélas mort de la même méchante maladie), il y avait alors aussi l'acteur Marcello Mastroianni, le réalisateur Roman Polanski et la productrice Caterina D'Amico.

    François Truffaut a été invité auparavant à une autre émission "Apostrophes", celle du 8 avril 1983, pour présenter la biographie de Dudley Andrew consacrée au critique de cinéma André Bazin (1918-1958) qui fut pour lui un maître à penser mais aussi un maître à agir et à tourner, fondateur des "Cahiers du cinéma" et théoricien du cinéma (voir dernière vidéo en fin d'article).


    En tout, sur une (courte) carrière qui n'a duré que vingt-cinq ans, il a tourné vingt-deux films longs-métrages et la plupart sont devenus "culte", comme on dit. Il a été parfois également acteur dans ses propres films, mais aussi dans un excellent film de Steven Spielberg, lui-même grand admirateur des films de Tuffaut, qui lui a offert le rôle du scientifique dans l'extraordinaire "Rencontre du Troisième type" ["Close Encounters of the Third Kind"] (sorti le 16 novembre 1977), avec Richard Dreyfuss, Teri Garr et Melinda Dillon (il a été doublé en anglais parce que son anglais laissait à désirer) : « Je me suis habitué, dis-je à Steven, à l'idée qu'il n'y aura jamais un film intitulé "Close Encounters" mais que vous êtes un type qui fait croire qu'il tourne un film et qui réussit à grouper beaucoup de gens autour de sa caméra pour accréditer cette immense blague. Je suis content de faire partie de cette blague et je suis prêt à vous rejoindre de temps à autre n'importe où dans le monde pour "faire semblant" de faire un film avec vous. ».
     

     
     


    Les professionnels (français et étrangers) ne sont pas restés indifférents à François Truffaut, lui qui a obtenu deux Prix au Festival de Cannes en 1959 (mise en scène et prix du jury œcuménique) pour "Les Quatre Cents Coups" (et deux nominations pour la Palme d'or), un triple César en 1981 (meilleur film, meilleur réalisateur et meilleur scénario) pour "Le Dernier Métro" (et trois autres nominations), un Oscar en 1974 pour "La Nuit américaine" (et cinq autres nominations), deux BAFTA en 1974 (quatre autres nominations), cinq Prix du Syndicat français de la critique de cinéma, ex-Prix Méliès (meilleur film français) en 1959, 1968, 1970, 1973 et 1976, enfin, quatre nominations aux Golden Globes et quatre nominations pour l'Ours d'or aux Berlinales.

    La plupart des films de Truffaut ont connu le succès commercial, ce qui n'était pourtant pas l'objectif de leur auteur. Près de la moitié de ses films ont dépassé le million d'entrées en salles et deux ont fait sauté les compteurs, "Les Quatre Cents Coups" avec 4,2 millions entrées et "Le Dernier Métro" avec 3,4 millions d'entrées. Et à part trois films (dont celui que je préfère qui a été le moins apprécié des spectateurs de cinéma), tous ont eu au moins 700 000 entrées.

    Pour tout dire, tous ses films sont excellents. Néanmoins, certains sont encore plus excellents que d'autres ! Alors, je propose mon petit Top 7 qui est très personnel et très arbitraire, donné par ordre décroissant de préférence selon moi (pourquoi les 7 meilleurs et pas les 5 ou les 10 ? pourquoi pas ? un tiers ?).

    1. Le premier est, pour moi, incontestablement "La Chambre verte" (sorti le 5 avril 1978), avec François Truffaut et Nathalie Baye parmi les acteurs (avec également, entre autres, Antoine Vitez). Le personnage principal (joué par Truffaut) est effondré par le deuil de sa femme et la solitude. Il a aménagé chez lui une chambre dédiée à la disparue dans une sorte de véritable culte des morts (et d'amour). L'idée principale de ce film, adaptation personnelle de plusieurs nouvelles d'Henry James avec quelques inspirations de l'œuvre de
    Georges Bernanos, se retrouve dans plusieurs fictions ultérieures.

    2. "La Femme d'à côté" (sorti le 30 septembre 1981), avec l'éclatante
    Fanny Ardant (son meilleur film à mon avis), Gérard Depardieu, Henri Garcin et Michèle Baumgartner. L'histoire se déroule dans une région que je connais bien, la région grenobloise (à Bernin) dont l'atmosphère provinciale est très bien ressentie. Un couple bien installé dans leur maison (joué par Gérard Depardieu et Michèle Baumgarner) voit l'arrivée de nouveaux voisins, un autre couple, dont la femme (jouée par Fanny Ardant) est son ancienne amante d'une passion très forte. Les anciens amoureux se retrouvent en secret, jusqu'à ce que cette relation soit révélée et s'interrompe. Dépression de l'amoureuse et ...et je ne continue pas pour ne pas spoiler, sinon cette conclusion finale : « Ni avec toi, ni sans toi ». Pas d'effet de scène et neutralité très déconcertante de la narration (cela commence même par une voix off). Fanny Ardant y a joué de manière exceptionnelle, elle était alors la dernière compagne de François Truffaut. Michèle Baumgartner est morte quelques années après le tournage d'un accident de la circulation à l'âge de 31 ans (avec son mari).

    3. "L'Homme qui aimait les femmes" (sorti le 27 avril 1977), avec
    Charles Denner (son seul véritable film où il a la vedette), Brigitte Fossey, Nathalie Baye, Leslie Caron, Geneviève Fontanel, Nelly Borgeaud, Valérie Bonnier, etc. Le personnage vaguement autobiographique joué par Charles Denner est un amoureux des femmes et même de "la" femme en général. Pas aimé ni par sa mère et ni par sa compagne qui a rompu, il va alors collectionner (les relations avec) les femmes au point d'en faire un répertoire détaillé. C'est là où il prononce cette phrase "truffaldienne" bien connue : « Les jambes des femmes sont des compas qui arpentent le globe terrestre en tous sens, lui donnant son équilibre et son harmonie. ».

    4. "Le Dernier métro" (sorti le 17 septembre 1980), avec
    Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, Jean Poiret, Andréa Ferréol, Paulette Dubost, Maurice Risch et Heinz Bennent. Ce film a fait un triomphe à la cérémonie des Césars en 1981 en remportant dix prix dont les cinq plus prestigieux (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur scénario, meilleur acteur, meilleure actrice), ce qui est unique pour les Césars (et encore, il y avait deux autres nominations dont le second rôle féminin pour Andréa Ferréol qui a été battue par une actrice fétiche de Truffaut, Nathalie Baye ; 1981 au cinéma était l'année Truffaut). L'histoire (qui s'est inspirée d'œuvres antérieures) se passe pendant l'Occupation nazie à Paris, la vie d'un théâtre parisien. Son directeur d'origine juive (joué par Heinz Bennent) est officiellement parti aux États-Unis mais en fait, vit encore dans la cave du théâtre et continue clandestinement à diriger le théâtre et la troupe par l'intermédiaire du metteur en scène (joué par Jean Poiret) et de sa femme également comédienne (jouée par Catherine Deneuve) qui lui parle d'un jeune comédien plein d'avenir (joué par Gérard Depardieu) qui souhaite s'engager dans la Résistance.
     

     
     


    5. "Fahrenheit 451" (sorti le 15 septembre 1966), avec Oskar Werner et Julie Christie (film entièrement en anglais), adaptation de la célèbre œuvre de Ray Bradbury. Le personnage principal (joué par Oskar Werner) est un pompier chargé de détruire par le feu tous les livres qu'il peut repérer (car trop dangereux pour le pouvoir en place et officiellement ils empêchent d'être heureux). La température d'auto-inflammation du papier est de 232,8°C, soit 451°F. La rencontre avec une jeune fille dite asociale car lettrée (jouée par Julie Christie) remet en cause son métier. Sur l'histoire elle-même, il y aurait beaucoup à dire aujourd'hui avec le livre remplacé par le smartphone et les réseaux sociaux.

    Dans une interview avec la journaliste Aline Desjardins diffusée en décembre 1971 par Radio-Canada (et publiée en 1973 chez Ramsay), François Truffaut a raconté sa relation avec les livres : « Ayant envie de faire un film sur les livres, j'ai tourné "Fahrenheit" qui est un film sur tous les livres en général. D'autres de mes films comme "Jules et Jim" ou "La Mariée était en noir" sont des films tirés de livres que j'aimais et j'ai essayé non seulement d'en tirer un bon film, mais aussi de faire aimer le livre. Lorsqu'un de mes films peut éveiller la curiosité pour un livre, comme pour le roman "Jules et Jim" qui était passé inaperçu, ou "Deux Anglaises et le Continent", je suis très content ; je dois dire que si un jour j'ai l'occasion de faire un film qui serait toute l'histoire d'un livre, depuis le moment où il est à l'état de manuscrit jusqu'au moment où il est publié et diffusé chez les libraires, si je trouve une histoire qui se prête à cela, je suis sûr que je le ferai avec un grand enthousiasme. ».

    6. "La Mariée était en noir" (sorti le 17 avril 1968), avec
    Jeanne Moreau, Claude Rich, Michel Bouquet, Michael Lonsdale, Charles Denner, Jean-Claude Brialy, etc. dans une adaptation du roman de William Irish. Le jour de son mariage, la mariée (jouée par Jeanne Moreau) voit son mari se faire assassiner sur le parvis de l'église. Elle se venge, les uns après les autres, de tous ceux qui l'ont tué. L'atmosphère du film est très hitchcockienne. Mais dans "L'Express", Truffaut a regretté d'avoir tourné ce film : « Le seul que je regrette d'avoir fait, c'est "La Mariée était en noir". Je voulais offrir à Jeanne Moreau quelque chose qui ne ressemble à aucun de ses autres films, mais c'était mal pensé. (…) Le thème manque d'intérêt: l'apologie de la vengeance idéaliste, cela me choque en réalité. ».

    7. "L'Enfant sauvage" (sorti le 26 février 1970), avec François Truffaut, Jean-Pierre Cargol, Françoise Seigner et Jean Dasté. C'est l'adaptation d'une histoire vraie de l'enfant sauvage appelé Victor de l'Aveyron (1785-1828), enfant sauvage trouvé en 1797, et pris en charge et instruit par le docteur Jean Itard (joué par Truffaut). Ce film est devenu un classique, parodié d'ailleurs par
    Gotlib. Jean-François Stévenin a repéré Jean-Pierre Cargol (12 ans) pour le rôle de l'enfant sauvage, dans un camp de gitans (il est le neveu du musicien Manitas de Plata). Choix tout de suite approuvé par le réalisateur-acteur : « Jean-Pierre, le petit gitan que j'ai finalement choisi pour jouer ce rôle, est un enfant très beau mais je crois qu'il a bien l'air de sortir des bois. ».

    J'ai bien sûr conscience de l'arbitraire et je sais que j'ai "oublié" d'autres films majeurs de Truffaut comme "Jules et Jim" (sorti le 24 janvier 1962), avec Jeanne Moreau, Oskar Werner,
    Marie Dubois et Henri Serre ; "La Sirène du Mississipi" (sorti le 18 juin 1969), avec Jean-Paul Belmondo, Catherine Deneuve et Michel Bouquet (dans "Le Figaro" du 10 octobre 2014, Bertrand Guyard a écrit : « Faire du "Magnifique" un homme soumis à la passion amoureuse, l'idée était osée. On se souviendra du charme vénéneux et candide à la fois de Catherine Deneuve. L'obstination de Michel Bouquet dans son rôle de détective est parfaite. Comme toujours. ») ; ou encore, "La Nuit américaine" (sorti le 24 mai 1973), avec Jacqueline Bisset, Jean-Pierre Léaud, Nathalie Baye, Valentina Cortese, Dani, Jean-Pierre Aumont, Alexandra Stewart, etc. ; mais comme je l'ai indiqué plus haut, tout est beau dans le Truffaut ! J'accroche un peu moins avec la saga Antoine Doinel parce que j'ai un peu de mal à m'identifier personnellement au personnage.

    Dans l'émission "Apostrophes" du 13 avril 1984, François Truffaut a expliqué, à propos d'Hitchcock : « Ses scènes d'amour sont filmées comme des scènes de meurtres et ses scènes de meurtres comme des scènes d'amour. C'est la même chose, c'est un déversement qui arrive là et qui est très puissant. Mais je pense que c'est ça aussi qui fait que les films sont forts, qu'ils sont beaux et qu'ils traversent les années. Vous voyez, un film d'Hitchcock de 1940, vous allez le voir aujourd'hui, vous n'avez pas l'impression de voir un film de 1940, vous voyez un film qui a une forme très pure, très serrée, et qui est, s'il était poignant quand il est sorti, il est encore poignant aujourd'hui [1984].
     Ça, c'est ce que j'aime ! ».

    Nous sommes maintenant encore quarante ans plus tard : les films d'Hitchcock ont un peu vieilli, mais à peine (surtout à cause du noir et blanc), ...en revanche, ceux de Truffaut n'ont pas pris une ride. En quelque sorte, sa postérité plaide pour lui. Il a réussi son pari, mettre en action ce qu'il disait être ses rêves d'adolescent : « Je fais des films pour réaliser mes rêves d'adolescent, pour me faire du bien et, si possible, faire du bien aux autres. ».


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (19 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    François Truffaut.
    Daniel Prévost.
    Michel Blanc.
    Brigitte Bardot.
    Marcello Mastroianni.
    Jean Piat.
    Sophia Loren.
    Lauren Bacall.
    Micheline Presle.
    Sarah Bernhardt.
    Jacques Tati.
    Sandrine Bonnaire.
    Shailene Woodley.
    Gérard Jugnot.
    Marlène Jobert.
    Alfred Hitchcock.
    Les jeunes stars ont-elles le droit de vieillir ?
    Charlie Chaplin.




















    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241021-francois-truffaut.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/mon-top-7-de-francois-truffaut-255974

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/20/article-sr-20241021-francois-truffaut.html


     

  • L'acteur Daniel Prévost fête son 85e anniversaire ce dimanche 20 octobre 2024

    « Je n’ai jamais été à la mode, comment voulez-vous que je devienne ringard ? Tandis que vous, vous êtes pour l’instant à la mode, donc vous deviendrez ringard ! » (Daniel Prévost à Marc-Olivier Fogiel, "On ne peut pas plaire à tout le monde" sur France 3, le 19 octobre 2001).


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    L’humoriste Daniel Prévost a fêté son 85e anniversaire le 20 octobre 2024. Quatre-vingt-cinq ans, c’est quasiment un vieillard ! Il paraît que les humoristes font rarement de vieux os. J’espère que Daniel Prévost démentira cette (fausse) rumeur aussi longtemps que possible. Daniel Prévost est un touche-à-tout du spectacle, un peu comme Sim, il est un acteur au cinéma et à la télévision, un comédien au théâtre, à l’occasion un chroniqueur à la télévision, un chanteur et même un écrivain puisqu’il a sorti une quinzaine de livres, certains qui racontent son enfance, son origine familiale, ses deuils…

    Daniel Prévost a le don pour faire les personnages plutôt négatifs, petits, lâches, les rôles de petit chef prêt aux mesquineries, capable d’abuser de son petit pouvoir, avec le petit rictus pour bien montrer sa joie d’être sadique. Tendre sadique au grand cœur, car finalement, cette face si réussie du sadique, il ne l’assume évidemment pas dans la vie civile. Pour lui, c’est la manière d’user et d’abuser de l’humour et de l’esprit comique. Pourquoi réussit-il si bien à faire ce bas sadique ? Sûrement grâce à son sourire inimitable, son petit grincement de dents (les héhéhé des méchants dans les  bandes dessinées) et, bien sûr, à sa grande présence scénique.

    Dans "Moustique", Yannic Duchesne dit le 14 janvier 2018 pour le décrire : « Prévost, c’est à la fois un homme mûr (…) et un enfant qui ne renonce jamais devant une farce. Il a la bouclette rieuse, les yeux vifs, la silhouette gainée et une propension à faire de tout tout le temps. (…) On honore trop peu les comiques au cœur chaud. ». Je suis évidemment de cet avis. Honorons-le !

    Ses participations au cinéma sont très nombreuses, mais rarement avec le premier rôle. C’est le propre du second rôle, être connu par endurance, à force d’être présent un peu partout, surtout lorsque le partout, ce sont des films à grand succès commercial. En fait, Daniel Prévost a été connu très rapidement. S’il a commencé en 1961 (à 22 ans) au théâtre et en 1968 au cinéma, il a vite gagné en notoriété dès le début des années 1970 avec "Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil" de Jean Yanne (sorti le 5 mai 1972) avec Jean Yanne, Michel Serrault, Bernard Blier et Jacques François. D’ailleurs, il est yannique, le Prévost, il a commencé sur les planches avec Michel Serrault et Jean Yanne, ce qui était pour lui une excellente école de l’art comique et absurde, du loufoque féroce, de l’humour vache et coriace, de l’esthétique caustique.

    Daniel Prévost a ensuite gagné en notoriété avec sa participation dans l’émission satirique dominicale "Le Petit Rapporteur" animée par Jacques Martin de janvier 1975 à juin 1976 sur TF1 : il était l’un des chroniqueurs aux côtés de Pierre Bonte, Stéphane Collaro, Pierre Desproges et Piem, entre autres, et s’était particulièrement fait remarquer lors de son reportage dans le village de Montcuq en interrogeant son maire et en faisant beaucoup de plaisanteries avec le nom de ce village du Lot. Daniel Prévost et Pierre Desproges étaient à l’époque de sacrés complices dans leur audace. C’était l’époque (et l’émission) où Pierre Desproges, qui jouissait encore de l’anonymat, interviewait une Françoise Sagan très polie et patiente sur sa santé et ses vacances (la santé et les vacances de Desproges !).

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    La voix de Daniel Prévost est également très connue car il l’a "prêtée" depuis une trentaine d’années à une marque de supermarché, Super U, pour des spots publicitaires tant à la télévision qu’à la radio. Je croyais que c’était un imitateur, mais ce n’est en fait pas le cas (d’ailleurs, je me demande quelles sont les conditions juridiques pour faire l’imitation d’un personnage célèbre pour un but publicitaire, au point peut-être de ternir la réputation dudit personnage). Daniel Prévost a utilisé sa voix aussi pour d’autres marques, comme Rivoire et Carret (avec Pierre Desproges), la MAAF, etc.

    À ce jour, Daniel Prévost a joué dans quatre-vingt-sept films au cinéma et trente-trois téléfilms, ainsi que dans une trentaine de pièces de théâtre. L’un des rôles les plus dramatiques, ce fut dans le téléfilm "René Bousquet ou le Grand Arrangement", de Laurent Heynemann, diffusé sur Arte le 16 novembre 2007, où il était René Bousquet lui-même.

    Restons au cinéma. Les vingt et un films qui ont obtenu le plus de succès, et dans lesquels il a participé, ont eu 65 millions d’entrées rien qu’en France ! Difficile de passer inaperçu, même dans un rôle mineur et discret.

    Et le premier d’entre eux (12,3 millions d’entrées dans le monde, dont 9 en France), le film qui lui a fait d’ailleurs obtenir à juste titre le César du meilleur acteur pour le second rôle masculin en 1999, ce fut "Le Dîner de cons", excellent film-pièce de Francis Veber (sorti le 15 avril 1998) où Daniel Prévost a été au sommet de son art de montrer son sourire sadique tout en ne "punissant" pas. Il est en effet l’inspecteur des impôts, vantard mais cocu, venu aider un copain chez un grand bourgeois, et qui détecte tout de suite, dans le grand appartement, les tableaux rangés, les meubles luxueux cachés, mais qui est trop déprimé pour prendre plaisir à sévir… Dans son rôle de véritable "enfoiré", il est vraiment excellent, plus que les autres personnages, je trouve, même que Jacques Villeret qui a lui aussi obtenu un César pour son premier rôle dans ce film.

    Voici quelques autres rôles intéressants de Daniel Prévost dans le cinéma français…

    Dans "Uranus" de Claude Berri (sorti le 12 décembre 1990), avec Gérard Depardieu, Jean-Pierre Marielle, Michel Blanc, Philippe Noiret, Michel Galabru, Fabrice Luchini, etc., film pour lequel il a été sélection à la cérémonie des Césars, Daniel Prévost joue le cheminot communiste qui dénonce (injustement) un cafetier de cacher un ancien collabo après la Libération.

    Dans "Astérix et Obélix contre César" de Claude Zidi (sorti le 3 février 1999), qui est la première adaptation cinématographique de la célèbre bande dessinée Astérix, Daniel Prévost joue Prolix, le charlatan qui se fait passer pour un devin, exploitant la crédulité des villageois.

    Dans "La vérité si je mens ! 2" de Thomas Gilou (sorti le 2001), Daniel Prévost est le méchant directeur des achats d’une grande surface qui tente de profiter de sa position dominante pour étouffer les petits producteurs (et qui se fait finalement duper par eux, la morale est sauve).

    Dans "Les Petits Ruisseaux" de Paul Rabaté (sorti le 23 juin 2010), avec Gilbert Melki, Gad Elmaleh, Bruno Solo, Richard Anconina et José Garcia, Daniel Prévost, qui a le rôle principal, joue un vieux pépère veuf qui se réveille à la vie grâce à un voisin et qui finit par fréquenter des hippies.

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    Dans "Je sais rien, mais je dirai tout" de Pierre Richard (sorti le 6 décembre 1973), satire antimilitariste avec Pierre Richard, Bernard Blier et Luis Rego, Daniel Prévost joue un policier (dont le patron est Pierre Tornade).

    Dans "La Maison du bonheur" de Dany Boon (sorti le 7 juin 2006), avec Michèle Laroque, Line Renaud, Laurent Gamelon et Michel Vuillermoz, Daniel Prévost joue un rôle ordinaire pour lui, celui ici de l’escroc cynique, un agent immobilier véreux qui cherche à duper un acquéreur de maison surendetté.

    Dans "Le Petit Nicolas" (sorti le 30 septembre 2009) et "Les Vacances du Petit Nicolas" (sorti le 9 juillet 2014), tous les deux de Laurent Tirard, adaptation du célèbre personnage de René Goscinny et Sempé, avec Valérie Lemercier, Kad Merad, Sandrine Kiberlain, Anémone, etc., Daniel Prévost joue le rôle de Mouchebourne, le patron du père du Petit Nicolas.

    Dans "Le plus beau métier du monde" de Gérard Lauzier (sorti le 11 décembre 1996), Daniel Prévost campe le voisin épieur et lâche, dans une cité HLM, de Gérard Depardieu, devenu prof de banlieue difficile après un divorce.

    Enfin, je termine par "Musée haut, musée bas" de Jean-Michel Rives (sorti le 19 novembre 2008), avec Isabelle Carré, Pierre Arditi, Michel Blanc et Gérard Jugnot, film assez déconcertant et intéressant, composé de beaucoup de sketchs, où Daniel Prévost est à la recherche d’une place de parking.

    Dans "On est pas couché" le 28 avril 2018 sur France 2, Daniel Prévost faisait de l’amour son hymne à la vie en disant à Laurent Ruquier : « Depuis le début de la vie, tout le monde cherche l’amour (…). Le chien, l’homme, la femme, tout le monde cherche quelque chose. Pourquoi ? Parce que je pense que sans amour, on s’emmerde. Sans amour, il n’y a rien, il n’y a pas de vie (…). Je ne peux pas croire une fois que quelqu’un qui est seul soit heureux, tu vois ce que je veux dire… ».

    Paroles d’autant plus fortes qu’il est lui-même veuf. Paroles qui accompagnent son dernier livre qui parle de la mort de sa femme ("Tu ne sauras jamais combien je t’aime" éd. Le Cherche Midi, 2018) : « Je rumine des pensées, des points de vue : après tout, c’est un chagrin ordinaire, chaque être humain est passé par là, moi-même n’ai-je pas déjà éprouvé des deuils dans ma famille, parmi mes proches (…) ? Et tous ces morts autour, tous les morts du monde que je ne connais pas ? C’est trop ! J’arrête. Non ! Pas elle, pas Kirsten ! Pas besoin d’être raisonnable. Cela ne m’est d’aucun secours. »


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (27 octobre 2019)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Daniel Prévost.
    Coluche.
    Sim.
    Élie Kakou.
    Pierre Desproges.
    Thierry Le Luron.
    Pierre Dac.

    _yartiPrevostDaniel03



    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241020-daniel-prevost.html

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/20/article-sr-20241020-daniel-prevost.html





  • Doliprane : souveraineté sanitaire, patriotisme économique, considérations sociales, logique industrielle, intérêt national et impéritie politique

    « De toute façon, il n'y a pas de risque de délocalisation de l'emploi puisqu'à 97%, le Doliprane est consommé en France. Le Doliprane qui est fabriqué en France pour des consommateurs français. On est des gros consommateurs de paracétamol (…) et ce qui n'est pas le cas dans d'autres pays. » (Roselyne Bachelot, le 16 octobre 2024 sur BFMTV).



     

     
     


    Depuis près d'une semaine, la classe politique est agitée par une information économique importante : le groupe français Sanofi ("fleuron de l'industrie pharmaceutique") a annoncé le vendredi 11 octobre 2024 qu'il s'apprêtait à vendre sa filiale Opella, son pôle activité Santé Grand Public, au fonds d'investissement américain CD&R (Clayton Dubilier & Rice). Parmi les médicaments produits et commercialisés par Opella, il y a le très connu et très consommé analgésique, le Doliprane, du paracétamol qui est un anti-douleur et un anti-fièvre. Émotion chez les Français et émoi dans la classe politique.

    Dans ce dossier, je suis déconcerté par l'impéritie terrible du monde politique, qu'elle vienne du gouvernement ou de l'opposition. On pourrait croire à du populisme économique, voire du
    populisme médicamenteur (Didier Raoult avait inauguré le genre), mais j'ai bien peur que ce soit sincère, ce qui serait pire à mon sens car cela signifierait une méconnaissance totale du monde économique, celui des entreprises, et du monde de la recherche et de l'innovation. Heureusement, quelques éditorialistes, quelques chroniqueurs se montrent un peu plus connaisseurs et surtout, rationnels sur ce sujet.

    Mais avant d'être rationnels, ne rejetons pas l'émotion. J'ai la chance de ne pas consommer beaucoup de Doliprane parce qu'il m'arrive rarement d'avoir mal à la tête, mais ce n'est pas le cas autour de moi, et je connais beaucoup de personnes proches pour qui le Doliprane fait partie d'éléments nécessaires à leur vie ordinaire. En termes de consommation, les Français avalent dix boîtes de Doliprane par an pour chacun d'eux, bébés compris (et bien sûr, les bébés ne doivent pas en prendre aux doses pour adultes), ce qui montre à quel point ce médicament est familier des Français.


    Donc, que les Français en général s'inquiètent que l'entreprise qui produit le Doliprane soit revendue à un groupe américain, qui en plus est un groupe financier et pas un groupe industriel dans le domaine de la santé, c'est tout à fait normal. Ce qui l'est moins, c'est que le monde politique, censé apporter des solutions pratiques et concrètes aux inquiétudes des Français, dise n'importe quoi sur le sujet, jusqu'à vouloir nationaliser (pour le groupe FI) le groupe Sanofi qui, je le rappelle, représente un capital de quelque 127 milliards d'euros, une somme dont dispose bien évidemment l'État qui n'a "que" 3 500 milliards d'euros de dette publique ! À les écouter, il faudrait tout nationaliser, tout planifier, comme dans l'épopée soviétique dont les résultats économiques ont pourtant montré leurs ...non-preuves !

    Ceux qui se croient les plus malins, par antimacronisme primaire que je dirais aujourd'hui anachronique (plus la peine de tirer sur
    Emmanuel Macron, il ne sera pas candidat à la prochaine élection présidentielle), évoquent les désastreuses conséquences de la politique industrielle du Président de la République. À cela rappelons que l'État n'est pas tout (on ne prête qu'aux riches) et que nous sommes (encore ?) dans une société de liberté d'entreprise, que la décision de Sanofi de vendre une partie de sa production est une décision privée d'une entreprise privée, et qu'elle a le droit de définir comme elle l'entend sa propre stratégie industrielle (et heureusement que l'État ne commence pas à s'ingérer dans les stratégies de toutes les entreprises françaises, quand on voit sa capacité à gérer déjà ses propres comptes publics).

    Il faut déjà indiquer quelques précisions. Par exemple, quel est le projet de Sanofi ? C'est de vendre 50% du capital de sa filiale Opella au fonds d'investissement américain CD&R pour la somme d'environ 7 milliards d'euros (la capitalisation d'Opella est évaluée à 15 milliards d'euros). Ce fonds n'a pas d'objectif industriel mais un objectif de rentabilité financière, probablement sur cinq ans. Ensuite, il revendra ses actions d'Opella. Il serait déjà plus intéressant de connaître la nationalité de ce futur acquéreur que la nationalité du fonds acquéreur d'aujourd'hui.


    Précisons aussi qu'Opella fabrique et commercialise 115 marques de médicaments, dont certains très connus du grand public qu'on peut acheter sans ordonnance, comme le Doliprane, bien sûr, mais aussi l'Aspégic, le Phosphalugel, la Lysopaïne, etc. Le chiffre d'affaires d'Opella (5,2 milliards d'euros) correspond à 12% du CA de Sanofi. La filiale, qui emploie 11 000 salariés, possède treize usines dans le monde dont deux en France, à Compiègne et à Lisieux, et la transaction avec CD&R a été négociée sur la base d'une valeur autour de 15 milliards d'euros (16,41 milliards de dollars). Sanofi garderait la moitié du capital d'Opella pour avoir un droit de veto sur les orientations stratégiques.

    Cette vente est conforme à la stratégie de Sanofi annoncée dès octobre 2023. Dans "Les Échos" du 15 octobre 2024, Frédéric Oudéa, le président de Sanofi, a affirmé qu'il n'était donc pas question de délocalisation de deux usines françaises : « Cela fait dix ans que l'on ne cesse d'investir à Lisieux, un investissement de 20 millions d'euros est par ailleurs en cours pour augmenter de 40% les capacités de production et de stockage du Doliprane. ».

    En outre, si le fonds était français, y aurait-il la même destinée avec l'entreprise ? Probablement. On peut d'ailleurs regretter l'absence de fonds d'investissement français, et surtout, de fonds de pension qui permettrait de préserver les entreprises françaises de leur nationalités et les start-up françaises de recueillir des fonds français. Ces fonds de pension seraient issus d'un inévitable complément de la retraite par répartition par la retraite par capitalisation (un mot qui fait peur en France mais pourtant, ce tabou favorise les plus aisés puisque ceux-là savent investir et capitaliser depuis longtemps pour avoir des compléments de retraite, mais c'est un tout autre sujet...).
     

     
     


    Dans ce dossier, les politiques laissent croire qu'ils découvrent la situation alors qu'on peut voir, par exemple, une chronique économique de BFMTV l'annoncer déjà le 17 juillet 2024. C'est vrai que la nomination du futur Premier Ministre et les Jeux olympiques et paralympiques avaient beaucoup occupé les esprits politiques. Mais, comme je l'ai rappelé plus haut, la stratégie de Sanofi avait déjà été communiquée l'an dernier. Ce qui est regrettable, c'est que par démagogie, la classe politique confond allègrement plusieurs notions que j'énumère ici pêle-mêle : la souveraineté sanitaire, le patriotisme économique, les considérations sociales, la logique industrielle et l'intérêt national.

    1. La souveraineté sanitaire d'abord. Elle doit être au niveau européen et pas seulement français, c'est l'échelle qui est la meilleure. Or, qu'en est-il de la souveraineté sanitaire avec le Doliprane, médicament le plus consommé en France et à ce titre, faisant partie des médicaments "stratégiques" ? Actuellement, cette souveraineté sanitaire est inexistante pour le Doliprane ! En effet, si l'usine qui fabrique ce médicament est en France, le principe actif, la molécule cruciale qui fait l'effet du médicament, n'est pas fabriquée en France ni en Europe, mais en Chine.

    Or, justement, avec la prise en compte de l'importance de la souveraineté sanitaire après la
    crise du covid-19, une usine va être mise en route près de Toulouse pour produire ce principe actif, et Sanofi y a même investi 500 millions d'euros. Cela signifie que la souveraineté sanitaire sera plus assurée demain, même avec l'achat de la moitié d'Opella par un fonds d'investissement américain, qu'aujourd'hui où le principe actif dépend du bon vouloir des usines chinoises. Pour rappel, je précise que la souveraineté sanitaire n'a pas d'intérêt en période ordinaire, mais seulement en période de crise sanitaire, or, dans une telle période, si la crise est mondiale, comme celle du covid, les tensions de production en Chine seront très fortes et si on peut l'imaginer aussi en Europe, les pays européens pourront cependant avoir la garantie d'être prioritaires.

    Invitée de BFMTV, l'ancienne Ministre de la Santé (et ancienne pharmacienne)
    Roselyne Bachelot, qui connaît un peu le sujet, a déclaré le 16 octobre 2024 : « Il n'y a pas de risque sur notre souveraineté avec un produit qui est, je ne voudrais pas dire en fin de vie, mais enfin, qui est, pour parler pudiquement, mâture, qui n'est protégé par aucun brevet... ». Effectivement, déjà aujourd'hui, rien n'empêche une entreprise étrangère de venir produire et vendre en France du Doliprane (avec des coûts de production moindre qu'actuellement s'il veut conquérir des parts de marché). En revanche, le prix des médicaments est régulé en France, et donc, il n'y a pas de risque d'augmentation du prix avec un changement de propriétaires du producteur.

    2. Le patriotisme économique. Là aussi, cette notion paraît bien incertaine. Aujourd'hui, l'économie est ouverte et mondialisée. La compétition est forte partout dans le monde. On le voit pour les GAFAM (et pas seulement elles), les multinationales n'ont pas de nationalité. La seule patrie d'une grande entreprise, c'est celle de l'argent. Est-ce une catastrophe ? Non, heureusement ! C'est le principe de toute entreprise, faire des bénéfices, elles assurent ainsi, par ses bénéfices, sa pérennité pour employer ses nombreux salariés (et faire vivre leurs familles), proposer aux consommateurs leurs produits et attirer les investisseurs dans leur capital, sans compter financer le ou les États où elles sont établies par l'impôt direct (IS), indirect (TVA) et les cotisations sociales (salaires).

    Deux exemples permettent de montrer que l'intérêt des Français n'a plus grand-chose à voir avec le patriotisme économique, ce qui peut attrister mais ce sont les faits. Exemple positif (grâce à Jean-Louis Borloo, qui fut maire de Valenciennes) : lorsque les Français achètent des voitures Toyota, ils engraissent des capitaux japonais, certes... mais ils favorisent des emplois français, puisque l'usine de Valenciennes a fait renaître un nouveau dynamisme économique. Exemple négatif, toujours dans le secteur automobile : le patron de Stellantis Carlo Tavares a déjà averti qu'il n'excluait pas la fermeture d'une usine en France (4 500 emplois à la clef). On peut aussi rappeler les délocalisations européennes de Renault (à Novo Mesto, en Slovénie pour la Twingo ; quand je me suis rendu près de Trieste, j'ai été très impressionné par le nombre de véhicules qui attendaient d'être livrés ; la future Twingo 100% électrique commercialisée en 2026 sera fabriquée à Novo Mesto, selon une information du 24 juillet 2024).

    Bref, la nationalité d'une entreprise ne signifie plus rien, d'autant plus que les nombreuses participations au capital proviennent de multiples pays (multinationalité des capitaux, multinationaux des sites de recherche et de production, multinationalité des composants et matières premières, multinationalité des clients). En clair, le patriotisme économique n'est pas un patriotisme de nations, c'est un patriotisme d'entreprises. L'entreprise, lorsqu'elle est géante, est devenue un État, avec la même puissance financière. C'est le cas des GAFAM, mais pas seulement.

    3. Les considérations sociales. Elles sont importantes dans un pays qui a perdu des millions d'emplois industriels en quatre décennies. Depuis 2017, la politique économique et fiscale d'Emmanuel Macron a justement permis de redresser l'emploi et surtout, l'emploi industriel, et réduire le chômage durablement. 2024 est d'ailleurs une année politique cruciale et tout le monde, du moins les sérieux, espèrent que le choc de la
    dissolution et celui du déficit à réduire ne contreviendraient pas à l'attractivité économique de la France (malgré les perspectives "négatives" sur le redressement des finances publiques de la France, l'agence de notation Fitch Rating a tout de même maintenu la note de AA–, l'équivalent de 17/20, pour la France pour cette raison économique : la France a une économie saine, il faut le répéter !).

    Une fois écrit cela, je reviens au Doliprane : même vendue à un fonds américain, il n'y a aucune raison que l'usine française qui fabrique le Doliprane soit délocalisée alors qu'elle fournit les Français pour 97% de se production. Les Américains ont eux-même leur paracétamol déjà commercialisé avec sa marque. Il y a donc découplage, comme c'est le cas pour Toyota ou Renault, entre nationalité des capitaux et implantation géographie des usines.


    4. Logique industrielle. C'est le plus important à mon sens. Une bonne entreprise, celle qui évite le dépôt de bilan et qui s'agrandit au fil des années, c'est une entreprise qui prend les bonnes décisions au bon moment sur sa stratégie à long terme. Or, quel est l'intérêt de Sanofi à continuer à produire le Doliprane ? Pas grand-chose. En effet, le principe actif est dans le domaine public depuis longtemps. Je précise ce que cela signifie : cela veut dire qu'un brevet qui a protégé la molécule pendant une durée déterminée (généralement vingt ans, peut-être un peu plus pour le secteur pharmaceutique à cause de la durée des tests cliniques), ne la protège plus aujourd'hui (et depuis longtemps). En somme, c'est comme les droits d'auteur : soixante-dix ans après la mort de l'auteur, ses écrits tombent dans le domaine public et n'importe qui, n'importe quelle entreprise peut fabriquer et vendre des œuvres de cet auteur sans verser de droits d'auteur. Pour les inventions qui sont dans le domaine public, cela signifie que tout le monde est autorisé à produire et vendre ces inventions sans verser de royalties. C'est le principe des médicaments génériques, beaucoup moins coûteux que les médicaments d'origine parce que leurs coûts ne viennent que de la fabrication et pas de la recherche et développement en amont (qui justifie les royalties).

    En clair, pour produire et vendre du Doliprane, c'est comme vendre n'importe quel produit sans valeur ajoutée, c'est un travail d'industriel et pas de pharmacien, pour réduire les coûts, par exemple. Le Doliprane est un produit stable, peut-être pas en fin de vie (sauf si on trouve mieux) mais en fin d'intérêt pour un grand groupe d'innovation comme Sanofi. En récupérant 7 milliards d'euros, Sanofi a ainsi la possibilité d'investir encore plus massivement qu'auparavant dans la recherche et développement pour trouver d'autres médicaments pour demain, assurer une rente par la protection de ses futurs brevets et aller de l'avant. Tout euro misé dans la R&D (recherche et développement) est un espoir supplémentaire de guérir des maladies aujourd'hui incurables (en particulier le cancer). Il faut aussi bien comprendre que les résultats de la recherche sont proportionnels aux investissement de recherche alloués. On le voit par exemple avec
    SpaceX d'Elon Musk qui, dans le domaine spatial, a réussi le 13 octobre 2024 un véritable exploit technologique (et probablement économique), simplement parce qu'il a su investir à bon escient son argent.

    Économiste à la Sorbonne, Nathalie Coutinet a affirmé le 24 septembre 2024 sur France Culture que l'évolution de l'industrie pharmaceutique était la même aussi chez les concurrents de Sanofi, à savoir Johnson & Johnson, GSK, Pfizer, Novartis et Servier : « Tous les grands laboratoires pharmaceutiques se séparent de ces branches [médicaments dans le domaine public] pour se concentrer sur des médicaments innovants, beaucoup plus chers et rentables. ».


    Dans une société de liberté, il ne convient pas à l'État de dire aux entreprises ce qui est bon ou pas pour leur stratégie, et c'est intérêt de tout le monde, entreprises, capitaux, employés, consommateurs et États, que les grands groupes prennent les bonnes décisions pour leur stratégie.

    5. L'intérêt national. Terminons par cet intérêt national si galvaudé. L'intérêt à moyen et long terme, c'est à la fois de préserver dans son giron une grande entreprise capable d'investir dans l'avenir, et dans le secteur de la santé, il y a encore beaucoup de travail de recherche, et c'est d'être capable de répondre correctement aux demandes de médicaments selon les besoins.

    La manière dont s'organisent les entreprises n'a pas beaucoup d'intérêt, dans les faits. L'État n'a rien à faire dans certains capitaux, et on voit bien que l'État a été capable de faire d'énormes erreurs stratégiques dans le passé en matière industrielle. En revanche, il doit permettre, quel que soit le type d'entreprises (entreprises françaises, étrangères, ou même publiques), de donner la possibilité de continuer le développement de l'innovation. En ce sens, contrairement à ce que disent souvent certains responsables politiques (cela fait dix ans que certains râlent), le crédit impôt recherche (CIR) a fait beaucoup pour inciter les grandes entreprises à investir massivement en France dans la recherche et développement.

    On comprend bien que l'hypothèse d'une nationalisation de Sanofi (financièrement impossible à imaginer pour l'État français), si elle pourrait répondre de manière particulièrement démagogique et coûteuse à la réelle inquiétude des Français sur cette annonce de vente d'Opella, ne répond pas du tout ni à la logique industrielle ni à l'intérêt national. Cela fait longtemps qu'on sait bien que la nationalité des véritables propriétaires des entreprises, en particulier la nationalité française, n'assure aucune éthique particulière (cf le scandale des EHPAD, par exemple).
     

     
     


    Écoutons encore Roselyne Bachelot : « Et vraiment, le cirque qu'il y a autour de ça me paraît complètement... Je comprends les salariés du site qui ont peur et qui ont besoin d'être rassurés, mais que des responsables politiques connaissent aussi peu l'industrie et le marché pharmaceutiques, c'est quand même un peu grave ! ». Le consultant financier et essayiste Alexis Karklins-Marchay, sur Twitter le 16 octobre 2024, a également dit la même chose, en termes plus crûs : « Immense lassitude de tant de bêtises et de démagogie de la part de ces élus qui ne connaissent rien au monde de l'entreprise (Panot confondait par exemple chiffre d'affaires et bénéfices...) ! (…) Nous nous noyons dans ce marécage d'idiotie. ». En réaction aux déclarations du groupe FI, le journaliste Claude Weill, le 15 octobre 2024 sur Twitter, faisait état de son incompréhension : « Nationaliser un groupe transnational qui pèse 120 milliards d'euros, avec un capital déjà étranger à plus de 70% (dont US 44%) et 5,5% de son CA en France, pour “sauver” un médoc qui est dans le domaine public et dont il existe une bonne dizaine d’équivalents… Plus débile, je cherche, je trouve pas. ».

    Sur BFMTV le 14 octobre 2024, le professeur
    Philippe Juvin, député LR, était lui aussi en colère : « C'est révélateur de notre modèle économique. C'est révélateur d'une hypocrisie de la classe politique. Et c'est révélateur d'une certaine ignorance du sujet. D'abord, l'hypocrisie. Quand je vois qu'un certain nombre de mes collègues du parti socialiste sont en train de signer une tribune en disant : "surtout, il ne faut pas qu'il parte !". Dans ce cas-là, arrêtez d'augmenter des impôts sur les entreprises (…). Donc, ils se plaignent des maux qu'eux-mêmes créent. Deuxièmement, c'est une affaire d'ignorance absolue. Le fait qu'il y ait cette vente ne signifie pas que demain, on n'aura pas de Doliprane en France. Imaginez même que l'usine ne bouge pas. Ce n'est pas parce que vous fabriquez un médicament en France, et d'ailleurs, on ne le fabrique pas, je vais y revenir, que ce médicament est disponible pour la France. L'usine, elle fabrique des médicaments, elle les vend au monde entier. (…) Qu'est-ce qui fait en revanche qu'il y ait des pénuries ? Ce qui fait qu'il y ait des pénuries en France, de paracétamol et d'autres médicaments, c'est que le prix du médicament est trop faible. Quand une usine, où qu'elle soit, en France ou ailleurs, fabrique du paracétamol, elle a plutôt intérêt à le vendre en Allemagne qu'en France, parce qu'en Allemagne, c'est 25% plus cher. Enfin, troisièmement, dans cette affaire, c'est extrêmement révélateur de nos politiques économiques, parce que d'abord, il n'y a pas un seul gramme du principe actif qui est fabriqué en France (…), la molécule, le médicament, est formée en Asie à 100%, dont 80% en Chine. ».

    Quant à la "blogueuse libérale" Nathalie MP Meyer, dans
    son billet du 17 octobre 2024 (qu'il faut lire !), elle est également choquée (comme on pouvait s'y attendre) : « Voilà qui est fort de café. On sort tout juste d’une séquence budgétaire qui n’a pas masqué combien les marges de manœuvre de nos finances publiques s’étaient évanouies dans des niveaux de déficit et de dette alarmants, mais on pourrait s’endetter encore un peu plus pour investir dans la fabrication du Doliprane ? Et ce faisant, devenir juge et partie en entrant en concurrence avec d’autres acteurs de ce marché comme UPSA par exemple ? Ridicule, bien sûr, et typique des gesticulations aussi incohérentes que surjouées qui accompagnent chaque évocation du mot "souveraineté". ». Elle a rappelé en outre l'énorme coût de la conception des nouveaux médicaments : « Gardons à l’esprit qu’il faut en moyenne 11,5 ans pour la mise au point d’un médicament et que seuls 7% des médicaments entrant dans un essai clinique de phase 1 accéderont au marché (chiffres du LEEM, syndicat des entreprises du médicament en France). ».

    Il serait temps que les Français puissent recevoir une instruction ou une culture économique non idéologisée. Cela permettrait de valoriser notre véritable excellence, celle de la recherche et de l'innovation, par des réussites industrielles qui attendent d'être majeures.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (17 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    L’aspirine, même destin que les lasagnes ?
    Doliprane : l'impéritie politique.
    François Guizot à Matignon ?
    Gilberte Beaux.
    Standard & Poor's moins indulgente pour la France que les autres agences de notation.
    Assurance-chômage : durcissement pour plus d'emplois ?
    Les 10 mesures de Gabriel Attal insuffisantes pour éteindre la crise agricole.
    Le Tunnel sous la Manche.
    Agences de notation Moody's et Fitch : la France n'est pas dégradée !
    Der Spiegel : "La France, c'est l'Allemagne en mieux".

     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241011-doliprane.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/doliprane-souverainete-patriotisme-257203

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/14/article-sr-20241011-doliprane.html



     

  • 40 ans de confusions dans l'Affaire Grégory

    « On a beaucoup parlé du juge Lambert. Ce n'est pas le fiasco d'un seul homme, hein, c'est le fiasco de tout le monde, cette histoire-là, y compris des journalistes, d'ailleurs. (…) C'est aussi pour ça qu'on en parle autant d'années après. Parce que cette affaire, au-delà de tous les ingrédients qu'elle regroupe, d'un petit enfant qui disparaît, d'une histoire familiale hors normes, d'un lieu hors normes, et d'un raté global de tout le monde, c'est pour ça qu'elle continue aujourd'hui à passionner aussi. » (Damien Delseny, rédacteur en chef adjoint du "Parisien", le 20 avril 2024 sur France 5).



     

     
     


    Sinistre anniversaire. Il faut l'imaginer aujourd'hui. Il aurait pu être un homme déjà bien accompli, quadragénaire à la quarantaine déjà bien entamée, un contre-maître comme son père, ou un avocat pour défendre les causes perdues, un juge pour bien faire la justice, ou encore un journaliste, mais avec une vraie déontologie, ou encore un romancier, celui de polars qui se lisent avec passion, fascination, interrogation... Hélas, il n'est pas tout cela.

    Au lieu de quoi, ce triste mardi 16 octobre 1984, dans la soirée, on a retrouvé le corps du petit
    Grégory, 4 ans (né le 24 août 1980 à Saint-Dié), dans son anorak, ligoté des poignets et des chevilles, le visage caché par son bonnet, sorti de l'eau de la Vologne, une rivière vosgienne, dont les journalistes charognards se sont emparé tout de suite de la photographie en toute indécence. Entre sa disparition (entre 17h05 et 17h30) et son assassinat (17h50), il n'y a eu que l'instant d'une haine, d'une horreur, d'une jalousie savamment entretenue par des secrets familiaux et la réussite sociale de ses parents.

    Est-ce la médiatisation, dès les premières heures, de ce drame sans nom, l'assassinat d'un gosse de 4 ans, plein de vie, plein de sourire, plein de soleil, qui n'a jamais rien fait de mal à personne, sinon jouer quelques minutes dans le jardin pendant que sa mère faisait du repassage en écoutant les
    Grosses Têtes à la radio, qui m'a embarqué, comme tant d'autres, dans cette folie de l'émotion ? Ou peut-être ma proximité géographique ? À l'époque, j'étais lorrain, et quand j'entendais certains protagonistes vosgiens, je croyais entendre certains membres de ma famille. Je me sentais concerné, je crois même que j'avais dû me baigner dans la Vologne quand j'étais petit (ou peut-être pas, c'était peut-être la rivière voisine ?).
     

     
     


    Quand je lisais le déroulé de "l'affaire" dans Wikipédia, il y a une petite rubrique chiffrée également présente dans les sujets guerriers ou les attentats : "Nombre de victimes". Et c'est indiqué : 1. Quelle erreur ! C'est la limite de la rédaction par des encyclopédistes citoyens. Moi, hélas, j'en ai déjà compté trois, voire quatre victimes.
     

     
     


    Il y a l'enfant, oui, bien sûr, mais aussi le cousin de son père, Bernard Laroche, accusé, inculpé, écroué le 5 novembre 1984, puis relâché le 4 février 1985, et finalement tué le 29 mars 1985 par le père de Grégory, Jean-Marie Villemin, d'un coup de fusil, croyant faire justice lui-même alors qu'en fait, par cet acte irréversible, il a empêché toute enquête possible sur ce potentiel suspect. Bernard Laroche, coupable ou pas, complice (auteur de l'enlèvement) ou pas, on ne le saura certainement jamais. Jean-Marie Villemin, qui a été condamné le 16 décembre 1993 à cinq ans de prison dont un avec sursis par la cour d'assises de la Côte-d'Or, a beaucoup regretté son geste, comme il l'a affirmé plus tard, le 3 octobre 2024, dans la préface d'une bande dessinée sur l'affaire : « J'ai craqué. J'ai pris la vie de mon cousin. Je resterai à jamais un assassin. Je le regrette tant. La vengeance n'est pas une solution. » ("Gregory" par Pat Perna et Christophe Gaultier, éd. Les Arènes).
     

     
     


    La troisième victime, c'est ce petit juge d'instruction Jean-Michel Lambert, trop jeune, trop immature, trop occupé (il n'avait pas qu'une seule affaire), trop inconscient de la gravité des choses, avec des décisions très déconcertantes, et son lynchage médiatique continu, plus, la goutte d'eau, la publication d'extraits des carnets de son successeur, le juge Maurice Simon, ancien résistant et président de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Dijon, qui l'aurait probablement conduit à se suicider le 11 juillet 2017, quelques heures après leur diffusion par BFMTV. C'était l'humiliation de trop, comme l'a affirmé plus tard sa veuve : « Les médias l'ont quelque part poussé au suicide, notamment un, qui a divulgué un extrait des carnets intimes du juge Simon [où mon époux est durement critiqué]. La presse, c'est une chose. Mais qu'un magistrat, un collègue l'attaque ainsi, c'était pour lui inconcevable. Quand vous voyez ça tourner en boucle toute la journée… S'il avait su, comme on l'a vu par la suite, que ce magistrat critiquait en réalité un peu tout le monde, ça lui aurait sans doute sauvé la vie. ».
     

     
     


    Dans ses carnets (dont il ne prévoyait certainement pas la publication et remis par son fils à la justice le 28 janvier 2016), Maurice Simon (qui est mort le 23 mai 1994), a décrit son prédécesseur ainsi : « On reste confondu devant les carences, les irrégularités, les fautes (…) ou le désordre intellectuel du juge Lambert. Je suis en présence de l'erreur judiciaire dans toute son horreur. » (14 septembre 1988). Dans une lettre juste avant son suicide, le juge Lambert a écrit : « Si j'ai parfois failli, j'ai cependant la conscience parfaitement tranquille quant aux décisions que j'ai ét amené à prendre. ». Dans cette lettre, également : « J’ai décidé de me donner la mort car je sais que je n’aurai plus la force désormais de me battre dans la dernière épreuve qui m’attendrait. ». Et d'insister : « Je proclame une dernière fois que Bernard Laroche est innocent. ».

    L'enquête s'était orientée vers la mère de l'enfant, Christine Villemin, qui a vécu une tragédie supplémentaire jusqu'à son non-lieu le 3 février 1993, rendu par la cour d'appel de Dijon, plus de sept années plus tard, écrouée pendant onze jours, perdant l'un des jumeaux qu'elle attendait parce qu'elle était enceinte à cette époque. Pour ajouter à la confusion, l'écrivaine Marguerite Duras a publié un article jugé délirant le 17 juillet 1985 dans "Libération" qui chargeait Christine Villemin et la justifiait d'être une mère infanticide ("Sublime, forcément sublime Christine V."). La veuve du juge, Nicole Lambert, a voulu préciser dans "Le Parisien" du 22 octobre 2019, que ce n'était pas son mari mais la cour d'appel de Dijon qui a pris la décision incompréhensible du renvoi de Christine Villemin devant la cour d'assises.(Le juge Lambert a pourtant effectivement demandé le renvoi de Christine Villemin devant la cour d'assises des Vosges, ce qui a eu lieu le 9 décembre 1986 par un arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Nancy qui a été cassé le 17 mars 1987).

    La quatrième victime, cela pourrait donc être l'enfant à naître, parmi les deux jumeaux, que Christine Villemin attendait en 1985 et qu'elle a perdu après avoir été mise en prison. On pourrait même parler d'une cinquième victime, puisque le juge Maurice Simon, qui avait retardé son départ à la retraite pour s'occuper de cette "affaire" (il avait une très bonne réputation de compétence et on lui avait demandé de reprendre l'enquête après sa délocalisation à Dijon par la Cour de Cassation le 17 mars 1987), n'a pas vraiment survécu à son enquête.

     

     
     


    Menacé de mort pendant son instruction, Maurice Simon a comparu en janvier 1990 devant la cour d'appel de Dijon (accusé par des protagonistes de l'affaire). Sa réaction le 25 janvier 1990 : « Toujours aucun signe de vie du premier président ni du procureur général. Cela s’appelle le soutien de la hiérarchie. ». Il a en effet été très affecté par cette comparution alors qu'il se disait près du but, ce qui a précipité une crise cardiaque le 28 janvier 1990 entraînant un coma de trois jours et une amnésie totale sur son enquête. Le 30 octobre 1987, il avait écrit : « Je pense aussi que je laisserai ma vie dans cette affaire. Peut-être que oui, peut-être que non ! En tout cas je porte Grégory dans mon cœur et dans mon âme. ». Le 5 septembre 1988 : « Je sens en effet que, contre toute apparence, les jours me sont comptés car les troubles se multiplient alors je réfléchis, je pense et je me prépare. J’ai d’ailleurs le sentiment que, d’une manière ou d’une autre, je ne verrai pas la fin de l’affaire de l’assassinat du petit Grégory Villemin. ». En son hommage, les époux villemin ont donné à leur quatrième enfant le prénom Simon (né en 1998).

    Du reste, Maurice Simon allait très loin dans ses réflexions puisqu'en juillet 1988, il a indiqué ses soupçons de manière très claire : « Il paraît certain que Bernard Laroche a bien enlevé le petit Grégory Villemin. Il me reste à trouver (…) qui a tué ce superbe enfant. (…) C'est clair, il ne faut pas découvrir le ou les vrais coupables parce que ce sont Laroche et consorts et qu'il y a derrière eux le parti communiste et des élus socialistes. Je m'explique mieux, dès lors, le culot des Bolle qui se croient tout permis. (…) Il existe une volonté absolue de ce côté-là de faire de l'obstruction. (…) Il est clair que c'est la panique et que l'on veut à tout prix m'empêcher d'entendre Murielle Bolle parce qu'on a peur qu'elle craque. ». Il faut rappeler que Bernard Laroche, lui aussi contre-maître (ce qui supprimerait la motivation de la jalousie du statut social), était délégué syndical CGT tandis que son cousin avait refusé, dans son entreprise, se syndiquer à la CGT. Une partie de la famille aurait été syndiquée à la CGT.

    Tout depuis le début, dans cette affaire, a été mauvais : les investigateurs de la gendarmerie, la justice incohérente, et surtout, les journalistes qui ont été abominables dans leur surenchère pour faire de l'audience. De très nombreuses erreurs ont eu lieu dès le début de l'enquête, par la perte de nombreuses indices etc. à tel point que la procédure judiciaire a été améliorée après les leçons de cette affaire. À cela, il faut aussi ajouter l'idéologie, car il y a eu un avocat ou des journalistes qui militaient pour le rétablissement de la
    peine de mort (abolie quelques années auparavant).
     

     
     


    La connaissance de la famille, plongée dans la jalousie, l'envie, des secrets qui remontent parfois à trois générations (un inceste qui a donné naissance à un enfant, et aussi un enfant de 4 ans tué par la violence de ses parents et le suicide du père dix ans plus tard par l'abandon de sa femme, la mort de Bernard Laroche à sa naissance et sa proximité comme frère de lait d'un frère de Jean-Marie Villemin, etc.). Dès 1981, la famille Villemin a été victime de nombreuses lettres anonymes et d'appels téléphoniques anonymes (de ceux qu'on a appelés les corbeaux, qui étaient plusieurs), parce que Jean-Marie Villemin a bien réussi dans sa vie professionnelle (il a rapidement été nommé contre-maître) et que le couple a pu s'acheter un pavillon avec jardin, etc. dans une campagne vosgienne à l'esprit rural encore très marqué.

    L'hypothèse de complicités, de plusieurs coupables, un qui aurait enlevé, un autre qui aurait tué, était envisageable. Le colonel Étienne Sesmat, le gendarme en charge de l'enquête au début (capitaine, il commandait la compagnie de gendarmerie d'Épinal), est toutefois convaincu du contraire, que l'auteur de l'enlèvement et de l'assassinat est le même, parce que cela s'est déroulé de manière très rapide, entre 17h05 et 17h45, que c'était imprévu (l'occasion de pouvoir enlever l'enfant dans le jardin chez lui), et qu'il n'y avait pas de téléphone mobile. Le courrier annonçant la mort de l'enfant par vengeance a été posté vers 17h50 au bureau de poste (arrivée le lendemain chez les Villemin). Le gendarme croit encore en 2024 en la culpabilité de Bernard Laroche, alors que sa veuve Marie-Ange Larouche, qui a maintenant un petit-fils de 14 ans, crie toujours à l'innocence de son mari mais n'espère plus de nouveaux rebondissements de "l'affaire".

     

     
     


    Le dernier rebondissement est récent puisqu'il a eu lieu le 20 mars 2024 quand la chambre d'instruction de la cour d'appel de Dijon a ordonné de nouvelles comparaisons d'ADN et d'autres expertises vocales sur les enregistrements des corbeaux (on peut maintenant déterminer scientifiquement l'identité vocale de chacun), selon les demandes des époux Villemin. Les preuves matérielles sont les cordelettes qui ont servi à attacher le malheureux enfant, l'écriture des courriers anonymes et la voix des appels anonymes, en sachant qu'il y a eu plusieurs corbeaux et qu'ils ne sont pas nécessairement les auteurs de l'assassinat.

    La seule chose positive dans cette affaire judiciaire, au contraire de celle liée au supposé suicide (et probable assassinat) du ministre
    Robert Boulin, c'est qu'elle n'est pas classée car il y a encore des investigations et des actes judiciaires, ce qui laisse encore l'espoir qu'on puisse connaître un jour la vérité. Repose bien aux cieux, petit Grégory !


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (12 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Le juge Jean-Michel Lambert.
    La relance judiciaire de l’affaire Grégory.
    Histoire encore à suivre.
    Documents sur l’affaire Grégory.
    40 ans de confusions dans l'Affaire Grégory.
    Philippine : émotion nationale, récupérations politiques, dysfonctionnements de l'État ?
    Viols de Mazan : quelques réflexions sur Pélicot et compagnie...
    Violence scolaire : quand une enseignante s'y met...
    Création du délit d'homicide routier : seulement cosmétique ?
    La France criminelle ?
    La nuit bleue de Lina.
    La nuit de Célya.
    La nuit d'Émile Soleil.
    Affaire Grégory : la vérité sans la boue ?
    Alexandra Sonac et sa fille adolescente.
    Harcèlement scolaire et refus d'obtempérer.
    Alisha, victime d’un engrenage infernal.
    À propos de la tragique disparition de Karine Esquivillon...
    Meurtre de Lola.
    Nos enseignants sont des héros.
    La sécurité des personnes face aux dangers.






















    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241016-affaire-gregory.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/40-ans-de-confusions-dans-l-256282

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/15/article-sr-20241016-affaire-gregory.html



     

  • La bienveillante sagesse d'Hubert Reeves : Tâche d'être à la hauteur de ta destinée !

    « Sache que, dans ce monde, il y a de la compassion et de l’amitié. Mais il y a aussi de la méchanceté, de la cruauté, de l’horreur. Tu y seras peut-être confronté. Refuse obstinément d’y participer. II en va de ta dignité d’être humain. » (Hubert Reeves, le 14 mai 2020).



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    L'astrophysicien
    Hubert Reeves, directeur de recherches au CNRS de 1965 à 1999, est mort à Paris il y a un an, le vendredi 13 octobre 2023, à l'âge de 91 ans. Sa disparition a ému largement au-delà du cercle très fermé de la "communauté scientifique" parce qu'il a été l'un des rares scientifiques très médiatisés. Avec son petit accent québécois très reconnaissable et son excellent talent de vulgarisateur, Hubert Reeves était connu du grand public par ses participations à la télévision, à la radio, dans la presse grand public. Il était même un succulent vulgarisateur, pas un qui simplifiait trop, voire qui infantilisait, mais un qui tentait de transmettre à la fois la complexité de l'univers et sa passion d'homme de science.

    Hubert Reeves aurait adoré vivre encore une année de plus, ne serait-ce que pour admirer ces aurores boréales qui se sont montrées en France (entre autres) dans la nuit du 10 au 11 octobre 2024 (on peut voir de très beaux clichés sur Internet),
    comme au mois de mai 2024.

    Sa caractéristique, qui a fait sa popularité, c'était une immense bienveillance. On ne sentait pas chez lui de la haine ni de l'agacement même face à des contradicteurs. Il avait ses idées, les autres avaient les leurs, et cela ne méritait pas de s'en faire une guerre. Il était un écologiste scientifique, à l'opposé d'un écologiste idéologue pour qui contraindre, punir, imposer, interdire sont la méthode de persuasion.

    Par exemple, cette chronique publiée en février 2007. C'est récent et en même temps, très ancien. Il voulait sensibiliser ses contemporains à la très grande richesse de l'eau : « À l'échelle cosmique, l'eau liquide est plus rare que l'or. Pour la vie, elle est infiniment plus précieuse. ». Et de compléter : « L'eau est un bien précieux. L'eau, c'est la vie. Toute personne assoiffée donnerait tout l'or du monde pour un verre d'eau. Mais pour que cette eau soit favorable à l'organisme humain, elle doit être potable. Une eau potable est celle qui peut être bue sans risque pour la santé. Donc les matières polluantes qu'elle contient doivent avoir une concentration ne mettant pas en danger la santé du consommateur. ».


    Puis, il a donné quelques chiffres, issus de l'OMS : « Plus d'un milliard de personnes sont privées d'approvisionnement en eau propre tandis que 2,6 milliards vivent dans des conditions d'assainissement qui ne sont pas satisfaisantes. ». Les exemples sont nombreux, et les pays les plus pauvres n'ont pas l'eau potable courante pour toute la populaire. À Madagascar, par exemple, certains doivent encore faire des kilomètres pour chercher de l'eau potable. Cela freine le développement d'une société. Hubert Reeves enfonçait donc une porte ouverte en disant : « L'eau potable est trop précieuse pour être gaspillée. ».

    Mais il croyait trop à la responsabilité individuelle pour s'arrêter à ce constant larmoyant, et aussi pour imaginer des mesures gouvernementales contraignantes (rationnement d'eau, taxation accrue proportionnellement à sa rareté, etc.). Les récentes trombes d'eau et crues ne doivent pas faire oublier que l'eau potable reste rare et précieuse. Ainsi, Hubert Reeves proposait à ses lecteurs de faire un petit quelque chose, une changement d'habitude pour les habitants d'une maison individuelle : « Évitons d'arroser nos pots de fleurs du balcon, et les plates-bandes des jardins, ou de laver la voiture avec l'eau du robinet. ». Le moyen ? Pas très compliqué : « Quand il pleut, l'eau coule sur les toits, rejoint les gouttières. Un récupérateur fixé sur le tuyau de descente de l'une d'elles dirigera le flot vers un récipient de collecte... ». Bref, il n'infantilisait pas disant par exemple de couper l'eau du robinet en se brossant les dents (une évidence) mais il suggérait quelques petits progrès, chacun à son niveau, à son échelle. Il n'a même pas évoqué l'idée de ne pas mettre d'eau potable pour la chasse d'eau des toilettes (c'est pourtant une hérésie de dilapider de l'eau potable pour simplement éjecter nos déjections !), parce que cela nécessiterait un gros investissement dans l'habitation, un doubleau réseau d'eau (potable, non potable) qui pourrait être très coûteux, au contraire d'un simplement récupérateur d'eaux pluviales pour l'arrosage du jardin.

    Cela dit, sa bienveillance n'empêchait pas les ronchons et les jaloux d'exister. Ainsi, on peut encore lire sur le site de Jean-Pierre Petit (à l'origine scientifique), cette petite phrase sibylline qui date du 21 septembre 2002 : « Le discours scientifique est en fait un discours de type religieux. La science a ses prêtres, ses Pangloss, comme Hubert Reeves, grand dispensateur de poussière d'étoiles, tel un moderne marchand de sable. Ses phrases commencent par "on pense que..." et pour qui sait suivre des discours sur de long laps de temps, elles évoluent, elles aussi. Vous avez sans doute entendu le scientifique dire "que le mythe de l'Atlantide" était simplement lié à l'explosion du volcan de Santorin, dans les îles Grecques. Je suis allé là-bas. Effectivement ça a du être quelque chose. Le ras-de-marée qui en a résulté a peut-être pulvérisé quelques civilisations côtières. Platon a peut-être aussi simplement fabulé, à moins qu'il ne s'agisse de l'effet du passage de cet astéroïde ferreux évoqué plus haut. ». Remarque malveillante d'autant plus incongrue et gratuite qu'elle ne démontrait rien, si ce n'était que même consensuelle, une personnalité bienveillante avait toujours des détracteurs (selon l'adage : on ne peut pas plaire à tout le monde).

     
     


    Hubert Reeves s'en moquait et préférait parler aux générations futures. Lors du choc terrible, psychologique, social, du premier confinement au printemps 2020, à cause du covid-19, France Inter a demandé à l'astrophysicien, comme à plein d'autres personnalités, d'écrire une lettre depuis chez eux, où ils étaient confinés, qui serait lue par le producteur Augustin Trapenard.

    La
    lettre d'Hubert Reeves a été écrite le jeudi 14 mai 2020 et sa lecture a été faite le lendemain, vendredi 15. Dans sa lettre, il s'adressait à un petit enfant à naître. On aurait pu croire que c'était juste un exercice de style, mais pas du tout, l'enfant existait bien, encore dans le ventre de sa mère, qu'il avait croisée à la Maison de la Radio où elle travaillait. Son message n'en a été que plus fort.

    Le chercheur avait le talent de replacer cette future naissance dans le contexte cosmique réel : « Quelque part dans l’immensité de l’univers, à la périphérie d’une galaxie appelée la Voie Lactée, près de l’étoile Soleil, sur la troisième planète de son système, la Terre, tu vas naître. Des myriades de petits spermatozoïdes vont monter à l’assaut dans le ventre obscur de ta mère. Le gagnant pénétrera son ovule et tu vas entrer dans l’existence. Tu es le fruit d’une longue gestation qui se poursuit depuis près de quatorze milliards d’années. Tout a commencé dans la lumière éblouissante d’un gigantesque et torride espace. Ne me demande pas ce qu’il y avait avant, je n’en sais rien. ».

    Car le scientifique a toujours été un poète et s'il citait
    Louis Aragon dans le catastrophisme, c'était aussi pour mieux insister sur le trésor de la culture humaine : « La durée de ton existence sera, au mieux, de l’ordre d’un siècle, une durée infime par rapport à celle de l’univers. Pendant ce temps il te sera possible d’explorer le monde et de prendre conscience de tes devoirs et de tes responsabilités. Tu auras à affronter le cycle de la vie humaine avec ses moments de grâces et ses crises. "De temps en temps la terre tremble", écrit le poète Louis Aragon. (…) Tu auras l’immense chance d’entrer en contact avec le grand trésor de la culture humaine. Accumulé depuis des millénaires, les œuvres d’art, musique, peinture, littérature qui ont contribué à embellir nos vies. Les réflexions des penseurs de toutes les cultures, qui se sont penchés sur les mystères de notre existence. Tu pourras t’approprier ce riche patrimoine, en faire ton profit, aider à le préserver contre l’oubli et peut-être y contribuer toi-même. Tu laisseras en héritage les fruits de ton activité pour que ceux qui viendront après toi poursuivent la grande aventure de l’univers. ».

    Et il a terminé par une citation d'un écrivain qui m'est cher,
    Albert Camus : « Fais en sorte qu’on dise de toi ces mots d’Albert Camus : "il y a des êtres qui justifient le monde, qui aident à vivre par leur seule présence". Tâche d’être à la hauteur de ta destinée. Ta vie y prendra son sens. Tu y trouveras ton bonheur. ».
     

     
     


    Ce qui était rassurant, c'est qu'Hubert Reeves, bien que plutôt pessimiste, depuis cinquante ans, sur les capacités des êtres humains à prendre en charge collectivement la sauvegarde de la planète, de leur planète (et de l'humanité par voie de conséquence), n'avait pas du tout un ton de Cassandre, ou du prophète Philippulus, ce ton de promesse de cataclysmes à venir et d'annonce d'apocalypse. Au contraire, il faisait confiance aux générations futures, leur demandait d'être des citoyens éveillés, instruits, fiers de ce qu'ils sont et guidant leurs congénères vers un progrès humain qui n'est pas seulement technologique mais aussi social. Ça nous change des vendeurs de désastres à la mauvaise foi débordante.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (12 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Lettre d'intérieur d'Hubert Reeves lue par Augustin Trapenard le 15 mai 2020 sur France Inter (audio et texte intégral).
    Poussières sur l'autre Reeves.
    La bienveillante sagesse d'Hubert Reeves.
    L'intelligence artificielle récompensée par les Nobel 2024 de Physique et de Chimie.
    Didier Raoult interdit d'exercer !
    2e rentrée scolaire contre les papillomavirus humains.
    Variole du singe (mpox) : "ils" nous refont le coup ?
    Covid : attention au flirt !
    Papillomavirus humains, cancers et prévention.
    Publications sur le papillomavirus, le cancer du col de l'utérus et l'effet de la vaccination anti-HPV (à télécharger).
    Émission "Le Téléphone Sonne" sur la vaccination contre les papillomavirus, sur France Inter le 3 mars 2023 (à télécharger).
    Le cancer sans tabou.
    Qu'est-ce qu'un AVC ?
    Lulu la Pilule.
    La victoire des impressionnistes.
    Science et beauté : des aurores boréales en France !
    Le Tunnel sous la Manche.
    Peter Higgs.
    Georges Charpak.
    Gustave Eiffel.
    Prix Nobel de Chimie 2023 : la boîte quantique ...et encore la France !
    Katalin Kariko et Drew Weissman Prix Nobel de Médecine 2023 : le vaccin à ARN messager récompensé !
    Covid : la contre-offensive du variant Eris.
    Prix Nobel de Physique 2023 : les lasers ultrarapides, la physique attoseconde... et la France récompensée !
    John Wheeler.
    La Science, la Recherche et le Doute.
    L'espoir nouveau de guérir du sida...
    Louis Pasteur.
    Howard Carter.
    Alain Aspect.
    Svante Pääbo.
    Frank Drake.
    Roland Omnès.
    Marie Curie.

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    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241013-hubert-reeves.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/la-bienveillante-sagesse-d-hubert-256970

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/11/article-sr-20241013-hubert-reeves.html




     

  • Anatole France, figure marquante de la Troisième République

    « Son œuvre ne surprit que doucement et agréablement par le contraste rafraîchissant d’une manière si mesurée avec les styles éclatants ou fort complexes qui s’élaboraient de toutes parts. Il sembla que l’aisance, la clarté, la simplicité, revenaient sur la Terre. Ce sont des déesses qui plaisent à la plupart. On aima tout de suite un langage qu’on pouvait goûter sans y trop penser, qui séduisait par une apparence si naturelle, et de qui la limpidité, sans doute, laissait transparaître parfois une arrière-pensée, mais non mystérieuse ; mais au contraire, toujours bien lisible, sinon toujours toute rassurante. Il y avait dans ses livres un art consommé de l’effleurement des idées et des problèmes les plus graves. Rien n’y arrêtait le regard, si ce n’est la merveille même de n’y trouver nulle résistance. Quoi de plus précieux que l’illusion délicieuse de la clarté qui nous donne le sentiment de nous enrichir sans effort, de goûter du plaisir sans peine, de comprendre sans attention, de jouir du spectacle sans payer ? Heureux les écrivains qui nous ôtent le poids de la pensée et qui tissent d’un doigt léger un lumineux déguisement de la complexité des choses ! » (Paul Valéry sur Anatole France, le 23 juin 1927 à l'Académie française).


     

     
     


    Avant-hier, c'était l'attribution du Prix Nobel de Littérature 2024 (à l'écrivaine sud-coréenne Han Kang). Un de ses lointains prédécesseurs, celui de 1921, était Anatole France. Il est mort il y a exactement cent ans, le 12 octobre 1924 à l'âge de 80 ans (il est né le 16 avril 1844 ; les hasards des nombres s'entrechoquent avec l'actualité, car Michel Blanc est né aussi un 16 avril). À l'annonce de sa mort, l'ancien et futur Président du Conseil Paul Painlevé, alors Président de la Chambre des députés, a exprimé ainsi son émotion : « Le niveau de l'intelligence humaine a baissé cette nuit-là. ».

    Pour son 80e anniversaire, le Cartel des gauches, qui venait de gagner les élections, a célébré le 24 mai 1924 le grand écrivain place du Trocadéro à Paris. À la mort, son corps, embaumé, fut exposé au public (reçut la visite du Président du Conseil Édouard Herriot et du Président de la République Gaston Doumergue le 17 octobre 1924) et il bénéficia d'obsèques quasi-nationales à Paris.

    Anatole France, également membre de l'Académie française, a marqué son temps avec ses œuvres littéraires, principalement des romans, mais aussi de la poésie et du théâtre ; il était aussi critique littéraire et journaliste (il a travaillé pour "Temps", "L'Union", "L'Humanité" et "Le Figaro"), et aussi collectionneur d'art. Il faut rappeler que la France est le pays qui compte le plus de Prix Nobel de Littérature (le dernier Français en date est la Française Annie Ernaux).

    Le bien nommé écrivain de langue française Anatole France m'a toujours fasciné, ne serait-ce que parce qu'on avait baptisé de son nom l'avenue la plus large de mon quartier quand j'étais enfant. Je la traversais souvent. Quand vous êtes petit et que vous comprenez peu les choses des grandes personnes, l'univers des noms de rue qui vous entourent est essentiel dans votre éveil intellectuel. Évoluer aux côtés d'Anatole France, Verlaine, Coriolis, Hoche, Gambetta, Charlemagne, Thiers, La Fayette, les Goncourt, etc., ça peut vous donner des envies de vous cultiver, même à 7-8 ans. Il faut dire que la plupart des noms de rues honorent des personnalités de la Troisième République, et Anatole France fut un de ces grands maîtres de la République-là.

    France n'était pas vraiment un patronyme. Son père s'appelait Noël Thibault (1805-1890), analphabète à 20 ans mais ensuite, propriétaire d'une librairie parisienne (appelée France-Thibault puis France) que fréquentaient de nombreux érudits, écrivains, journalistes, etc. notamment les frères Goncourt, parce qu'elle proposait des documents historiques de la période révolutionnaire.

    À l'origine, Anatole France aurait dû reprendre l'affaire paternelle et faire une belle carrière de libraire. Son père ne croyait pas du tout en l'avenir de ses premiers écrits. Ses premiers métiers furent néanmoins libraire et bibliothécaire et il a commencé dans la littérature en rédigeant des poèmes par amour pour une femme inaccessible (une jeune et belle actrice).

    Sa notoriété littéraire a débuté avec son roman "Le Crime de Sylvestre Bonnard" en 1881 (il a eu un prix de l'Académie française pour l'occasion). L'encyclopédie
    Wikipédia explique doctement que cette « œuvre [fut] remarquée pour son style optimiste et parfois féerique, tranchant avec le naturalisme qui [régnait] alors ». Il fut alors un écrivain prolifique (le site de l'Académie française a inventorié plus de 90 livres publiés entre 1859 et 1922 !), riche, très influent car devenu également critique littéraire, aux idées politiques plus ou moins vagues, plus ou moins conservatrices, d'abord opposé au général Boulanger, puis séduit par lui puis enfin déçu par lui.
     

     
     


    Pourrait-on même dire qu'il était l'équivalent de Jean-Paul Sartre ? C'est difficile de faire des comparaisons hors contexte, qui sont toujours foireuses, mais Anatole France n'était pas seulement un grand écrivain, il était un homme engagé, surtout, une conscience républicaine, comme la Troisième République savait en sécréter et savait les aimer et les honorer. Il était certes contemporain de Victor Hugo (inégalable écrivain du XIXe siècle), mais sans lui les quasiment trente dernières années de sa vie (Victor Hugo est mort en 1885). Ainsi, Anatole France a été membre de la Ligue des droits de l'homme, premier président du PEN Club français de 1921 à 1924 (son successeur est un autre écrivain emblématique de la Troisième République, Paul Valéry), une société savante international qui, depuis la fin de la guerre, promeut la liberté d'expression et les intérêts des écrivains, éditeurs, traducteurs, journalistes (élargi à blogueurs de nos jours), etc. (PEN signifie Poètes Essayistes Nouvellistes).

    Il a rejoint Émile Zola durant
    l'Affaire Dreyfus (il a déposé devant le tribunal le 19 février 1898 comme témoin de moralité d'Émile Zola, a rendu sa Légion d'honneur lorsqu'on a retiré à Émile Zola la sienne, etc.), a dénoncé le génocide arménien, et, plus généralement, a soutenu de nombreuses causes politiques au fil de son existence (il s'est rapproché de Jean Jaurès, a promu la laïcité, les droits syndicaux, s'est opposé à la politique coloniale, etc.).

    Comme signalé au début, Anatole France a été élu à l'Académie française le 23 janvier 1896 au fauteuil 38. Il a succédé à Ferdinand de Lesseps qui venait de mourir le 7 décembre 1894, mais aussi à Adolphe Thiers et Henri Martin. Il a été reçu sous la Coupole le 24 décembre 1896 par le pédagogue Octave Gréard, futur vice-recteur de Paris. Son successeur direct fut Paul Valéry, puis Henri Mondor, et l'avant-dernier,
    François Jacob. Il a rendu un hommage remarqué à Émile Zola et à Ernest Renan.

    Longtemps parmi les "candidats" potentiels aux Nobels (cité en 1904, 1909, 1910, 1911, 1912, 1913, 1915 et 1916), Anatole France fut désigné Prix Nobel de Littérature en 1921 « en reconnaissance de ses brillantes œuvres littéraires, caractérisées par une noblesse de style, une profonde sympathie humaine, de la grâce et un véritable tempérament gaulois ».


    Parmi les adjectifs qui peuvent le mieux qualifier Anatole France, il y a bien sûr indépendant, intellectuellement indépendant. Lorsqu'il l'a reçu à l'Académie française le 24 décembre 1896, Octave Gréard lui a déclaré entre autres : « L’œuvre de la raison humaine, quelques fins qu’elle poursuive, est pour vous inviolable. Vous n’y souffrez ni limites ni entraves. Que si certaines philosophies ne peuvent entrer dans l’ordre des faits que sous une forme dangereuse pour la société, il faut les châtier, dès qu’elles se traduisent en actes : la vie doit s’appuyer sur une morale simple et précise. Mais les droits de la pensée n’en demeurent pas moins intangibles. La pensée porte en elle-même sa légitimité. Ne disons jamais qu’elle est immorale. Elle plane au-dessus de toutes les morales. L’homme ne serait pas l’homme, s’il ne pensait librement. Cette indépendance sans réserve que vous revendiquez pour tous, vous la pratiquez pour vous. À vingt ans, vous vous plaigniez naïvement de n’avoir pas trouvé une explication du monde, en une matinée, sous les platanes du Luxembourg. Et la joie vous transporte, quand, quelques années après, à la lumière des idées de Darwin, vous croyez avoir surpris le plan divin. Ce n’était qu’une étape vers la religion d’Épicure, où votre esprit a trouvé l’apaisement, sinon le repos. Le monde n’est qu’un assemblage de phénomènes, la vie un perpétuel écoulement. Mesurée, discrète, sans aucun sacrifice de sincérité, mais toujours élevée dans l’expression, partout où vous la prenez directement à votre compte, l’apologie de la doctrine, lorsque vous la confiez à l’abbé Jérôme Coignard, se donne carrière sans ménagement ni scrupule. ».
     

     
     


    Dans les faits, Anatole France a eu une sorte de consécration inversée : le 31 mai 1922, l'ensemble de son œuvre a été frappée d'une condamnation papale. De même, le mouvement surréaliste a beaucoup critiqué l'œuvre d'Anatole France, en particulier Louis Aragon : « Je tiens tout admirateur d'Anatole France pour un être dégradé. ». Selon l'agrégé de lettres classiques Claude Aziza : « La réputation de France devient ainsi celle d’un écrivain officiel au style classique et superficiel, auteur raisonnable et conciliant, complaisant et satisfait, voire niais, toutes qualités médiocres que semble incarner le personnage de M. Bergeret. Mais nombre de spécialistes de l’œuvre de France considèrent que ces jugements sont excessifs et injustes, ou qu’ils sont même le fruit de l’ignorance, car ils en négligent les éléments magiques, déraisonnables, bouffons, noirs ou païens. Pour eux, l’œuvre de France a souffert et souffre encore d’une image fallacieuse. D'ailleurs M. Bergeret est tout le contraire d'un conformiste. On lui reproche toujours de ne rien faire comme tout le monde, il soumet tout à l'esprit d'examen, s'oppose fermement, malgré sa timidité, aux notables de province au milieu desquels il vit, il est l'un des deux seuls dreyfusistes de sa petite ville… » (Wikipédia). M. Bergeret est le personnage central de "Monsieur Bergeret à Paris" (sorti en 1901).

    Dans son hommage à Anatole France, Paul Valéry a jugé son œuvre littéraire ainsi : « C’est qu’il y avait en lui une souplesse et une diversité essentielles. Il y avait du spirituel et du sensuel, du détachement et du désir, une grande et ardente curiosité traversée de profonds dégoûts, une certaine complaisance dans la paresse ; mais paresse songeuse, paresse aux immenses lectures et qui se distingue mal de l’étude, paresse tout apparente, pareille au repos d’une liqueur trop enrichie de substance et qui, dans ce calme, se fait mère de cristaux aux formes parfaites. Tant de connaissances accumulées, tant d’idées qu’il avait acquises n’étaient pas quelquefois sans lui nuire extérieurement. Il étonnait, il scandalisait sans effort des personnes moins variées. Il concevait une quantité de doctrines qui se réfutaient l’une dans l’autre dans son esprit. Il ne se fixait que dans les choses qu’il trouvait belles ou délicieuses, et il ne retenait en soi que des certitudes d’artiste. Ses habitudes, ses pensées, ses opinions, la politique enfin qu’il a suivie se composaient dans une harmonie assez complexe qui n’a pas laissé d’émerveiller ou d’embarrasser quelques-uns. Mais qu’est-ce qu’un esprit de qui les pensées ne s’opposent aux pensées, et qui ne place son pouvoir de penser au-dessus de toute pensée ? Un esprit qui ne se déjoue, et ne s’évade vivement de ses jugements à peine formés, et ne les déconcerte de ses traits, mérite-t-il le nom d’esprit ? Tout homme qui vaut quelque chose dans l’ordre de la compréhension, ne vaut que par un trésor de sentiments contradictoires, ou que nous croyons contradictoires. Nous exprimons si grossièrement ce qui nous apparaît des autres humains qu’à peine nous semblent-ils plus divers et plus libres que nous-mêmes, aussitôt, nos paroles qui essayent de les décrire, se contrarient et nous attribuons à des êtres vivants, une monstrueuse nature que nos faibles expressions viennent de nous construire. Admirons au contraire cette grande capacité de contrastes. Il faut considérer avec une attention curieuse, cette nature d’oisif, ce liseur infini, produire une œuvre considérable ; ce tempérament assez voluptueux s’astreindre à l’ennui d’une tâche constante ; cet hésitant, qui s’avance comme à tâtons dans la vie, procéder de sa modestie première, s’élever au sommet par des mouvements indécis ; ce balbutiant, en venir à déclarer même violemment les choses les plus hardies ; cet homme d’esprit, et d’un esprit si nuancé, s’accommoder d’être simplifié par la gloire et de revêtir dans l’opinion des couleurs assez crues ; ce modéré et ce tempéré par excellence, prendre parti, avec une si grande et étonnante vigueur dans les dissensions de son temps ; cet amateur si délicat faire figure d’ami du peuple, et davantage, l’être de cœur et tout à fait sincèrement. ».


    Et d'ajouter : « Sceptique et satirique devait être un esprit que distinguait son extrême avidité de tout connaître. Son immense culture lui fournissait abondamment les moyens de désenchanter. Il rendait aisément mythique et barbare toute forme sociale. Nos usages les plus respectables, nos convictions les plus sacrées, nos ornements les plus dignes, tout était invité, par l’esprit érudit et ingénieux, à se placer dans une collection ethnographique, à se ranger avec les taboos, les talismans, les amulettes des tribus ; parmi les oripeaux et les dépouilles des civilisations déjà surmontées et tombées au pouvoir de la curiosité. Ce sont des armes invincibles que l’esprit de satire trouve dans les collections et les vestiges. Il n’est de doctrine, d’institution, de sociétés ni de régimes sur qui ne pèse une somme de gênants souvenirs, de fautes incontestables, d’erreurs, de variations embarrassantes, et parfois des commencements injustes ou des origines peu glorieuses que n’aiment point les grandeurs et les prétentions ultérieures. Les lois, les mœurs, les institutions sont l’ordinaire et délectable proie des critiques du genre humain. Ce n’est qu’un jeu que de tourmenter ces entités considérables et imparfaites que poursuit d’âge en âge la tradition de les harceler. Il est doux, il est facile, périlleux quelquefois, de les obséder d’ironies. Le plaisir de ne rien respecter est le plus enivrant pour certaines âmes. Un écrivain qui le dispense aux amateurs de son esprit les associe et les ravit à sa lucidité impitoyable, et il les rend avec délices semblables à des dieux, méprisant le bien et le mal. ».
     

     
     


    Je propose ici quelques extraits de l'œuvre d'Anatole France.

    Sur la vie humaine : « Plus je songe à la vie humaine, plus je crois qu'il faut lui donner pour témoins et pour juges l'Ironie et la Pitié. L'Ironie et la Pitié sont deux bonnes conseillères; l'une, en souriant, nous rend la vie aimable, l'autre, qui pleure, nous la rend sacrée. L'Ironie que j'invoque n'est point cruelle. Elle ne raille ni l'amour ni la beauté. Elle est douce et bienveillante. Son rire calme la colère, et c'est elle qui nous enseigne à nous moquer des méchants et des sots que nous pourrions, sans elle, avoir la faiblesse de haïr. ».

    Sur la pensée par soi-même : « À mesure qu'on avance dans la vie, on s'aperçoit que le courage le plus rare est celui de penser. ».

    Sur la curiosité : « Pour digérer le savoir, il faut l’avoir avalé avec appétit. ».

    Sur l'enseignement : « Tout l'art d'enseigner se résume à éveiller la curiosité naturelle des jeunes esprits pour la satisfaire ensuite. ».

    Sur l'action politique : « Il est dans la nature humaine de penser sagement et d'agir d'une façon absurde. ».

    Sur la guerre : « On croit mourir pour la patrie, on meurt pour des industriels. ».

    Clivage : « J'ai toujours préféré la folie des passions à la sagesse de l'indifférence. ».

    Dans "Jocaste et le Chat maigre" (1879) : « Il n'aimait pas ces courses au vent et à la pluie. Pour s'en dispenser, il se faisait admettre par ses grimaces à l'infirmerie, où il se pelotonnait sous ses couvertures comme un boa dans une vitrine de muséum. ».

    Dans "La Rôtisserie de la reine Pétauque" (1892), des prémices véganes : « Un honnête homme ne peut sans dégoût manger la chair des animaux et les peuples ne peuvent se dire polis tant qu'ils auront dans leurs villes des abattoirs et des boucheries. Mais nous saurons un jour nous débarrasser de ces industries barbares. ».

    Dans "Le Jardin d'Épicure" (1894) : « Nous appelons dangereux ceux qui ont l'esprit fait autrement que le nôtre et immoraux ceux qui n'ont point notre morale. Nous appelons sceptiques ceux qui n'ont point nos propres illusions, sans même nous inquiéter s'ils en ont d'autres. ». Et aussi : « L'espèce humaine n'est pas susceptible d'un progrès indéfini. Il a fallu pour qu'elle se développât que la terre fût dans de certaines conditions physiques et chimiques qui ne sont point stables. Il fut un temps où notre planète ne convenait pas à l'homme : elle était trop chaude et trop humide. Il viendra un temps où elle ne lui conviendra plus : elle sera trop froide et trop sèche. Quand le soleil s'éteindra, ce qui ne peut manquer, les hommes auront disparu depuis longtemps. Les derniers seront aussi dénués et stupides qu'étaient les premiers. Ils auront oublié tous les arts et toutes les sciences, ils s'étendront misérablement dans des cavernes, au bord des glaciers qui rouleront alors leurs blocs transparents sur les ruines effacées des villes où maintenant on pense, on aime, on souffre, on espère. ».

    Dans "Crainquebille" (1904), apologie pour le président Bourriche : « Ce dont il faut louer le président Bourriche, lui dit-il, c’est d’avoir su se défendre des vaines curiosités de l’esprit et se garder de cet orgueil intellectuel qui veut tout connaître. En opposant l’une à l’autre les dépositions contradictoires de l’agent Matra et du docteur David Matthieu, le juge serait entré dans une voie où l’on ne rencontre que le doute et l’incertitude. La méthode qui consiste à examiner les faits selon les règles de la critique est inconciliable avec la bonne administration de la justice. Si le magistrat avait l’imprudence de suivre cette méthode, ses jugements dépendraient de sa sagacité personnelle, qui le plus souvent est petite, et de l’infirmité humaine, qui est constante. Quelle en serait l’autorité ? On ne peut nier que la méthode historique est tout à fait impropre à lui procurer les certitudes dont il a besoin. ».

    Dans "L'Île des pingouins" (1908) : « Sans doute les raisons scientifiques de préférer un témoignage à un autre sont parfois très fortes. Elles ne le sont jamais assez pour l'emporter sur nos passions, nos préjugés, nos intérêts, ni pour vaincre cette légèreté d'esprit commune à tous les hommes graves. En sorte que nous présentons constamment les faits d'une manière intéressée ou frivole. ». Compétence politique : « Il a déjà trahi son parti pour un plat de riz. C’est l’homme qu’il nous faut ! » (On dirait de nos jours "pour un plat de lentilles", cf
    Olivier Faure vendu à Jean-Luc Mélenchon).

    Dans "Les Dieux ont soif" (1912), sur le vivre ensemble : « La nature nous enseigne à nous entre-dévorer et elle nous donne l'exemple de tous les crimes et de tous les vices que l'état social corrige ou dissimule. On doit aimer la vertu ; mais il est bon de savoir que c'est un simple expédient imaginé par les hommes pour vivre commodément ensemble. Ce que nous appelons la morale est une entreprise désespérée de nos semblables contre l'ordre universel, qui est la lutte, le carnage et l'aveugle jeu de forces contraires. Elle se détruit elle-même et plus j'y pense, plus je me persuade que l'univers est enragé. ».


    Dans "La Révolte des anges" (1914) : « Il faut aimer qui nous aime. La souffrance nous aime et s'attache à nous. Il faut l'aimer si l'on veut supporter la vie ; et c'est la force et la bonté du christianisme de l'avoir compris... Hélas! je n'ai pas la foi, et c'est ce qui me désespère. ».

    Et je conclus par l'amour de la langue. Dans "Les Matinées de la Villa Saïd" (sorti en 1921 chez Grasset), Anatole France a déclaré son amour au français (un tantinet sexiste !) : « La langue française est une femme. Et cette femme est si belle, si fière, si modeste, si hardie, touchante, voluptueuse, chaste, noble, familière, folle, sage, qu'on l'aime de toute son âme, et qu'on n'est jamais tenté de lui être infidèle. ». Anatole a aussi écrit : « Un dictionnaire, c'est l'univers par ordre alphabétique. ». Qu'il puisse faire des émules, qu'on puisse toujours chérir la langue française et surtout la respecter sans trop l'estropier !



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (12 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Anatole France.
    Alexandre Dumas fils.
    François Guizot.
    Laura Blajma-kadar.
    Jean-Pierre Elkabbach.
    Jean-Louis Debré.
    Brigitte Bardot.
    Édouard Philippe.
    Edgar Morin.
    Bernard Pivot.
    Yves Duteil.
    Pierre Perret.
    Françoise Hardy.
    Paul Auster.
    Christine Ockrent.
    Dominique Baudis.
    Racine.
    Molière.
    Frédéric Dard.
    Alfred Sauvy.
    George Steiner.
    Françoise Sagan.
    Jean d’Ormesson.
    Les 90 ans de Jean d’O.

     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241012-anatole-france.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/anatole-france-figure-marquante-de-257035

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/12/article-sr-20241012-anatole-france.html



     

  • Motion de censure : le quart d'heure de gloire d'Olivier Faure

    « Je me sens bien parmi vous. Vous ne m’en voudrez pas de dire quelques mots au député Olivier Faure, que j’ai écouté avec attention, même si ce n’était pas facile jusqu’au bout ! » (Michel Barnier, le 8 octobre 2024 dans l'hémicycle).



     

     
     


    La journée du mardi 8 octobre 2024 a été pour le gouvernement de Michel Barnier l'épreuve du feu, la double épreuve du feu, et il ne s'en est pas mal tiré. L'épreuve du feu, c'est d'abord l'examen de la première motion de censure de la législature, déposée par les 192 députés de la nouvelle farce populaire (NFP) le 4 octobre 2024. En difficulté avec ses camarades socialistes qui réclament avec bruit et fracas un nouveau congrès du PS pour se désolidariser de Jean-Luc Mélenchon, le premier secrétaire du PS Olivier Faure a obtenu de ses donneurs d'ordre insoumis son quart d'heure de gloire : c'était à lui de défendre cette première motion de censure.

    Malheureusement pour lui, ce quart d'heure, qui, en fait, n'était que de treize minutes, n'aurait dû durer que dix minutes, mais dans son "envolée lyrique", le "leader" socialiste, qui s'était présenté il y a quelques jours comme un social-démocrate mélenchonien pour faire taire toutes les velléités de congrès de ses camarades du PS, n'a pas su terminer en beauté ses tirades, la conclusion flanchant dans la coupure de micro (au grand dam des députés du NFP) parce qu'il était trop long, d'où cette sortie spontanée de la présidente de séance,
    Yaël Braun-Pivet un peu désolée de sa tolérance et de son laxisme, avec un joli tutoiement : « Vous n'avez plus le micro, vous n'avez plus la parole ! Monsieur le député, je vous demande de quitter la tribune, s'il vous plaît... Non, mais tu as débordé de plus de deux minutes, ça va ! ».

    Tutoiement qui n'a pas été retranscrit dans le compte rendu intégral du Journal officiel. Cette coupure de micro lui a valu la petite vacherie du début de la réponse de Michel Barnier qui, décidément, a adopté un style très caustique et britannique : du fiel balancé comme de l'huile bouillante mais avec courtoisie et éducation, ce qui change un peu des insultes et des débordements habituels des députés du NFP/Nupes depuis 2022.


    Il faut dire que l'hémicycle était assez clairsemé. Certes, à gauche, quasiment tous les bancs était occupés, mais à part les orateurs des autres groupes, c'était quasiment vide. Normal pour une motion de censure : soit on la vote, soit on ne vote pas, et dans ce cas-là, pas la peine d'être présent.

    Reconnaissons que le discours d'Olivier Faure était bien tourné sur la forme. Bien sûr, il pêchait sur le fond du péché originel de cette législature en faisant croire que le NFP avait gagné les élections : « Jamais, monsieur le Premier Ministre, vous n’auriez dû vous tenir devant moi et siéger sur ces bancs avec un gouvernement qui, lui non plus, n’aurait jamais dû être nommé. (…) Je vous le demande sans détour, monsieur le Premier Ministre : si nous ne parlions pas de vous et si nous étions dans un autre pays que la France, comment qualifieriez-vous votre propre nomination ? Vous seriez le premier à dénoncer un hold-up électoral et sans doute à décrire un régime illibéral. (…) Vous avez appelé au compromis. Alors chiche ! Vous avez contracté une dette démocratique en acceptant la fonction de Premier Ministre alors que votre parti était arrivé en cinquième position aux législatives. Vous avez un moyen de l’honorer en acceptant d’avancer sur la base de nos amendements. Nous jugerons alors si vous êtes sincère ou si, derrière vos professions de foi, vous entendez vous limiter à tout votre programme, rien que votre programme. ».
     

     
     


    La réponse du Premier Ministre était, une fois pour toutes, la démonstration que non, ce n'était pas parce que Jean-Luc Mélenchon le proclamait que c'était vrai, le NFP n'a pas gagné les élections : « Par cette motion de censure, c’est son premier motif, vous intentez à nouveau une sorte de procès en illégitimité au gouvernement. Vous avez de la suite dans les idées ! Je n’ai pas besoin que l’on rappelle au gouvernement, à présent au travail, qu’il est minoritaire dans cette enceinte. Je le sais. Dans cet hémicycle, il n’existe d’ailleurs de majorité absolue pour personne ! Il se trouve ici 577 députés qui sont tous et chacun élus de la République et méritent à ce titre qu’on les respecte de la même manière. C’est mon cas. Il n’y a de majorité absolue pour personne ; il y a simplement des majorités relatives. C’est le choix du peuple français. Parmi ces majorités, la moins relative est celle qui accompagne le gouvernement. La participation au gouvernement de femmes et d’hommes issus des différents groupes composant cette majorité permet d’en faire le constat. Je ne veux pas perdre de temps dans des polémiques. Vous pouvez dire ce que vous voulez : c’est la réalité ! La majorité relative qui soutient le gouvernement fait preuve à son égard de vigilance. Je sais qu’elle est relative et qu’elle ne se montre pas toujours complaisante ; je ne le lui demande d’ailleurs pas. Elle est en tout état de cause composée de plusieurs groupes et elle est la moins relative, quoi que vous racontiez, monsieur Faure ! C’est la vérité ! ».

    Au-delà de sa motion de censure préventive (elle a été annoncée avant même la nomination de Michel Barnier à Matignon, c'est dire qu'elle était réfléchie !), Olivier Faure a également évoqué d'autres sujets de contrariété, notamment, bien entendu, le projet de loi de finances même si celui-ci n'a pas encore été déposé, donc, là aussi, par procès d'intention : « Au sein de votre attelage baroque, dois-je encore mentionner le musée des horreurs proposé par votre propre parti, qui suggère de faire 50 milliards d’économies directement tirées du vestiaire de l’extrême droite ? Ce serait la fin de l’aide médicale de l’État et des coupes claires dans l’hébergement d’urgence et dans l’aide publique au développement ? Monsieur le Premier Ministre, vous nous avez dit vouloir "faire beaucoup avec peu, en partant de presque rien". Dans les faits, vous voulez faire beaucoup avec les gens de peu et presque rien avec ceux qui ont tout. ». Dans l'assistance, le député LR Pierre Cordier a lancé cette pique vacharde : « Il a passé tout le week-end sur cette [dernière] phrase ! ». Insignifiante car excessive.

    La réponse de Michel Barnier : « La réalité, que nous devons dire aux Français dans toutes les circonscriptions, est que nous dépensons trop, que nous dépensons de l’argent que nous n’avons pas et que nous empruntons à des taux qui s’éloignent désormais de ceux qui s’appliquent à nos voisins européens. De ce fait, les intérêts de la dette s’élèvent chaque année à 55 milliards d’euros, soit 800 euros par Français, qu’il s’agisse d’un bébé d’un mois ou d’une personne âgée de 80 ans. Cela ne peut pas continuer ! Sauf à susciter, tout autour de nous comme sur notre territoire, de la défiance s’agissant de notre capacité à gérer les finances publiques dans le souci des générations futures, au détriment desquelles je crois que nous n’avons pas le droit de signer des chèques en blanc ou en bois. Si cette défiance s’installait, elle nous exposerait tous très gravement, à commencer par les Français les plus modestes et les plus faibles. Pour l’éviter, nous devons redresser nos comptes, réduire les dépenses publiques, dépenser moins et mieux, de manière plus efficace. Nous demanderons, au titre de ce que j’ai appelé la justice fiscale, une contribution exceptionnelle à un nombre limité de grandes entreprises et aux Français les plus fortunés, après avoir consacré l’essentiel de notre effort à la réduction et à la maîtrise de la dépense publique. Dans la discussion qui va s’ouvrir, je compte sur les propositions constructives des uns et des autres afin que, dans le cadre qui nous contraint, nous coconstruisions le budget. Chacun prendra ses responsabilités. Je prendrai les miennes avec la conviction qu’il vaut toujours mieux essayer d’être responsable que de chercher à être populaire. Cette logique de responsabilité vaut également sur la question des retraites, que vous avez mentionnée. Notre système de retraite par répartition est un atout. Nous voulons en préserver dans la durée l’équilibre financier issu de la réforme. Si les partenaires sociaux le souhaitent, nous pouvons toutefois corriger, améliorer la loi du 14 avril 2023, qui présente certaines limites. Je pense aux retraites progressives, à l’usure professionnelle, à l’égalité entre les hommes et les femmes face à la retraite. D’autres champs sont et seront ouverts au dialogue social. Je suis depuis longtemps convaincu que la cohésion sociale au sein des entreprises, quelle que soit leur taille, et dans la société constitue un facteur de compétitivité pour notre pays. (…) Qu’il s’agisse de ces importantes questions environnementales ou de toutes les autres, l’attractivité de la France, le combat pour l’emploi, qui se poursuivra pour continuer de réduire le chômage, dont vous n’avez pratiquement pas parlé, les finances publiques, la sécurité ou l’immigration, je vous demande simplement de juger le gouvernement sur ses actes. ».

    Autre argument fort (et particulièrement stupide), le RN serait l'allié du gouvernement : « En l’absence de vrais compromis avec la gauche, vous ne demeurerez à Matignon que par le consentement de l’extrême droite à laquelle vous devrez donner des gages. Votre ministre de l’intérieur, qui a déjà fait ce choix, multiplie les déclarations pour complaire au RN, passant du front républicain à l’affront républicain. ». Dans l'assistance, le député LR Philippe Gosselin a balancé : « Ce n'est qu'un florilège de formules ! ».

    Et l'orateur socialiste mélenchonisé de poursuivre : « En légitimant chaque jour l’extrême droite, votre gouvernement finira par n’être qu’un simple ascenseur pour l’échafaud. Le front républicain n’est certes pas un programme commun mais il crée, au minimum, pour ceux qui ont la République en héritage, une obligation commune : celle de répondre à ces millions de femmes et d’hommes qui n’ont que leur travail pour vivre et qui en vivent si mal. (…) Ce n’est pas la France qu’il faut rendre aux Français, ils ne l’ont jamais perdue. C’est un avenir qu’il faut leur rendre. (…) Votre gouvernement porte en lui les germes d’une contre-révolution conservatrice. ».

    Il a été ensuite sèchement coupé par la Présidente de l'Assemblée Nationale parce qu'il ne respectait pas la règle du temps de parole. Ce qui fait que son discours aux formules savamment recherchées a fait un peu l'impression d'un bide par manque de conclusion, il ne suffit pas de pondre quelques belles formules, il faut pouvoir les dire dans le temps donné.


    Le Premier Ministre Michel Barnier a esquissé un petit sourire de jubilation lorsqu'il a pris la parole pour répondre à Olivier Faure : « Monsieur Faure, je vous ai écouté présenter cette motion de censure, qui, très franchement, ne constitue pas une surprise. En effet, lors des conversations que nous avons eues au lendemain de ma nomination et qui ne sont pas secrètes, vous m’indiquiez, avant même que j’ouvre la bouche, que je constitue le gouvernement, que je fasse ma déclaration de politique générale, que vous alliez me censurer. C’est en quelque sorte une motion de censure a priori. ».


    Au-delà des réponses du Michel Barnier, cette journée du 8 octobre 2024 était bel et bien une troisième étape pour le Premier Ministre, après la (délicate) désignation du gouvernement et la déclaration de politique générale.

    Le résultat du vote sur la motion de censure a été annoncé par Yaël Braun-Pivet à 19 heures 40 : « Voici le résultat du scrutin. Majorité requise pour l’adoption de la motion de censure, soit la majorité absolue des membres composant l’Assemblée : 289. Pour l’adoption : 197. La majorité requise n’étant pas atteinte, la motion de censure n’est pas adoptée. ».

    La motion de censure n'a pas été adoptée : pour le coup, cela doit clore définitivement le débat sur
    Lucie Castets à Matignon. Le NFP a été incapable de démontrer qu'il avait gagné dans l'hémicycle puisqu'il n'est même pas capable de renverser un gouvernement. Et il faut aussi en finir sur la supposée alliance avec le RN : Olivier Faure a fait dans sa présentation une faute de logique grave ! En effet, il a renversé la charge de la preuve : ce n'est pas au gouvernement de démontrer qu'il a une majorité, ce qu'il n'a pas et Michel Barnier l'a bien rappelé, d'où l'absence d'un vote de confiance le 1er octobre 2024, qui aurait été probablement négatif, mais c'est au NFP de démontrer que leurs arguments étaient majoritaires. Or, ce mardi soir, clairement, ce n'était pas le cas. Pendant trois mois, la gauche ultradicalisée a pollué le débat politique sur cette réalité alternative d'avoir gagné les élections. Ce soir, cette réalité alternative s'est définitivement heurtée contre le mur de la réalité des chiffres : seulement 197 députés sur 289 ont voté pour cette (première) motion de censure.

    Parmi les 197 députés, il faut compter 4 députés LIOT (dont Olivier Serva) et 1 député non-inscrit. En revanche, parmi les groupes du NFP, il a manqué à l'appel la voix du député communiste Emmanuel Tjibaou (fils de
    Jean-Marie Tjibaou), absent et probablement retenu dans sa circonscription en Nouvelle-Calédonie. Contrairement à ce que certains commentateurs supputaient, aucun député du socle gouvernemental (comme on l'appelle maintenant, à savoir LR, EPR, Horizons et MoDem) n'a voté pour la motion de censure. Ce qui était cohérent.

    Donc, on peut dire que si l'échec de cette motion de censure était prévisible puisque le RN avait déjà annoncé qu'il ne la voterait pas (et pour cause : le RN refusait d'approuver la double idée que le NFP était vainqueur des élections et que le RN était allié au gouvernement !), c'était néanmoins un échec encore plus important que prévu. Car il faut comparer ce score, 197 députés, avec le score du candidat au perchoir André Chassaigne le 18 juillet 2024, qui avait réussi à recueillir 206 voix et pas seulement 197. C'est donc pour la gauche mélenchoniste un désaveu plus important que prévu de la part de l'Assemblée Nationale.

    Ce mardi 8 octobre 2024 fut une journée doublement noire pour le NFP, comme j'ai évoqué au début la double épreuve du gouvernement de cette journée, même si cela ne concerne pas directement le Premier Ministre mais le Président de la République. Tenue dans la matinée à l'Hôtel de Lassay, la conférence des présidents qui rassemble l'ensemble des leaders qui comptent dans l'Assemblée (vice-présidents, présidents de groupe et présidents de commissions permanentes), ayant pour but de fixer les ordres du jour avec la participation du gouvernement, a rejeté l'examen de la stupide
    motion de destitution déposée contre Emmanuel Macron par Mathilde Panot.

    Le compte rendu affirme : « Proposition de résolution visant à réunir le Parlement en Haute Cour : la conférence des présidents a refusé l’inscription à l’ordre du jour de la proposition de résolution de Mme Mathilde Panot et plusieurs de ses collègues visant à réunir le Parlement en Haute Cour, en vue d’engager la procédure de destitution à l’encontre du Président de la République, prévue à l’article 68 de la Constitution et à la loi organique n° 2014-1392 du 24 novembre 2014 portant application de l’article 68 de la Constitution. ».

    Les socialistes avaient accepté de laisser passer cette motion lors de la réunion du
    bureau de l'Assemblée le 17 septembre 2024, mais elle a été rejetée très largement lors de la réunion de la commission des lois le 2 octobre 2024 dans la matinée par 54 voix contre, 15 voix pour sur 69 présents.

    Il est bon de rappeler les arguments. Lors de cette réunion de la commission présidée par Florent Boudié (EPR), le rapporteur de la motion de destitution Jérémie Iordanoff (EELV) a expliqué : « Que l’on s’attache à la lettre de la Constitution ou à la pratique, au regard des prérogatives du Président de la République, sa fonction doit être protégée, "y compris contre son titulaire", comme l’indiquait la commission Avril. C’est tout le sens de la procédure prévue à l’article 68 de la Constitution. En effet, la protection du Président de la République a des contreparties logiques, notamment la nécessité pour le Président de la République de respecter ses devoirs constitutionnels, ainsi que le vote des électeurs lorsqu’il s’exprime. Le non-respect de ces devoirs doit d’une manière ou d’une autre être sanctionné. (…) Aux termes de la présente proposition de résolution, le manquement de l’actuel Président de la République résulterait de "l’absence de nomination d’un Premier Ministre issu de la force politique arrivé en tête aux élections législatives du 30 juin au 7 juillet 2024, et ce alors que la démission officielle du gouvernement date du 16 juillet 2024". (…) Il est certain que le respect du résultat des élections législatives est un devoir du Président de la République. Pour autant, force est de constater qu’en l’absence de majorité absolue et faute d’avoir pu négocier une coalition plus large atteignant le nombre de 289 députés, aucune force politique n’a remporté les élections. Arriver en tête est une chose, gagner en est une autre. Nous pouvons bien entendu regretter que le chef de l’État n’ait pas choisi de donner sa chance à un membre de la coalition arrivée en tête au second tour des élections législatives. Cependant l’article 8 de la Constitution ne lui imposait pas de nommer une personne issue de cette force politique. Cela ne peut donc raisonnablement être qualifié de manquement. (…) Il importe de rechercher plus généralement si, dans la situation politique et institutionnelle inédite de notre pays, le chef de l’État a manqué à ses devoirs. La dissolution elle-même était incompréhensible et, en réalité, absurde. Alors qu’une dissolution sert normalement à régler des crises, celle-ci en a provoqué une ; c’est une première. Est-ce un manquement ? À tout le moins, c’est une faute politique. Quant au délai de nomination du Premier Ministre, le problème n’est pas en soi qu’il ait été trop long, mais qu’il ait été injustifié. Deux mois ont été perdus. C’est autant de temps en moins pour rechercher une coalition ou diriger l’État. Chacun voit aujourd’hui, avec les retards accumulés dans la préparation du budget, comme ce délai fut inconséquent. Le Premier Ministre a été nommé en contradiction flagrante avec le barrage républicain qui fut pourtant l’événement politique majeur du second tour. Est-ce un manquement ? À tout le moins, c’est une faute politique. (…) À titre personnel, je considère que le doute est permis, que ces fautes politiques, compte tenu de leur accumulation et de leurs répercussions, peuvent constituer un manquement. Mais s’ils en constituent bien un, encore faudrait-il qu’il soit manifeste, c’est-à-dire, comme l’indique le rapport Avril et comme les auditions l’ont confirmé, que sa reconnaissance "transcende les clivages partisans". Or cette condition ne semble pas satisfaite. Un autre mécanisme existe pour placer l’exécutif au sens large devant ses responsabilités : la motion de censure. ».


    Ce double échec parlementaire du NFP a donc été très instructif sur la prétendue "victoire" électorale du NFP : échec dans la procédure stupide de destitution du Président de la République, et échec dans la motion de censure dont le dépôt, en revanche, avait toute sa légitimité institutionnelle puisqu'elle concourt à la responsabilité politique du gouvernement devant le Parlement.


    Heureusement pour les enragés insoumis, ils auront le droit de redéposer une nouvelle motion de censure et une nouvelle motion de destitution. Reste à savoir quelle en sera la fréquence, car les parlementaires ont d'autres choses à faire que s'occuper de ces enfantillages politiciens, par exemple, construire le budget de l'année prochaine et s'occuper des Français.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (08 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Motion de censure : le quart d'heure de gloire d'Olivier Faure.
    Budget 2025 : l'impossible mission de Michel Barnier.
    Claude Malhuret : du vol des élections aux chefs d'escadrille...
    Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
    La quadrature du cercle de Michel Barnier.
     

     
     

     

  • Budget 2025 : l'impossible mission de Michel Barnier

    « La véritable épée de Damoclès, c’est notre dette financière colossale : 3 228 milliards d’euros. Si l’on n’y prend garde, elle placera notre pays au bord du précipice. Cette année, notre déficit public, celui de toutes les collectivités publiques, devrait dépasser 6% de notre richesse nationale. En 2025, si rien n’est fait, il sera plus élevé encore. Pourquoi est-ce grave ? Pas seulement (…) parce que cette situation nous affaiblit autour de nous en Europe. Mais d’abord parce que la charge de cette dette, 51 milliards d’euros, est aujourd’hui le deuxième poste de dépenses de l’État, derrière l’école. Est-il acceptable que nous dépensions plus pour payer des intérêts à d’autres, que pour notre défense et notre recherche ? Ma réponse (…) est non. Face à nos défis qui sont immenses, nous n’avons pas le choix. Notre responsabilité, c’est d’alléger le fardeau et de retrouver des marges de manœuvre budgétaires. Aussi notre volonté est de ramener le déficit de notre pays à 5% en 2025. Notre objectif est de remettre notre pays sur la bonne trajectoire pour revenir sous le plafond de 3% en 2029, dans le respect de nos engagements européens. Comment faire ? Ne nous racontons pas d’histoires, je ne raconterai pas d’histoires. (…) Le premier remède contre la dette, c’est la réduction des dépenses. En 2025, les deux tiers de l’effort de redressement viendront donc de la réduction des dépenses. Réduire les dépenses, c’est renoncer à l’argent magique, à l’illusion du tout gratuit, à la tentation de tout subventionner. » (Michel Barnier, le 1er octobre 2024 dans l'hémicycle).




     

     
     


    Cette semaine, le Premier Ministre Michel Barnier présentera au conseil des ministres le projet de loi de finances (PLF) pour l'année 2025. Tant qu'il n'est pas officiellement présenté, tout reste possible, ce qui explique les postures médiatiques des uns et des autres avant cette rapide échéance.

    Les grandes orientations de la politique budgétaire ont toutefois été déjà adressées le 2 octobre 2024 au Haut Conseil des finances publiques. Selon les prévisions du futur projet de loi de finances qui sera présenté le 10 octobre 2024, les dépenses prévues en 2025 seront de 1 700 milliards d'euros, soit 56,3% du PIB (contre 56,8% en 2024), et les recettes attendues en 2025 seront de 1 560 milliards d'euros.


    Qu'on le veuille ou pas, l'État dépense plus qu'il ne gagne depuis une cinquantaine d'années. Le problème, c'est que les déficits s'accumulent et chaque année, la dette s'accroît. Elle représente plus que la production de richesse du pays pendant une année. Autant dire que si l'État était monsieur Toutlemonde, il serait déjà interdit bancaire, interdit de gérer, interdit de quoi que ce soit.

    Il y a plusieurs causes à faire un déficit sur une année. Il y a d'abord les crises, et cela a commencé avec le premier et surtout le second chocs pétroliers dans les années 1970. Mais les crises (
    Emmanuel Macron en a eu beaucoup depuis 2017, et Nicolas Sarkozy en a eu deux), c'est a priori temporaire. Des dépenses exceptionnelles en cas de crise (toute collectivité qui gère bien prévoit un poste imprévus dans son budget, mais l'État est déjà tellement déficitaire que rajouter un poste Imprévus serait faire de la dette supplémentaire inutilement).

    Il y a aussi les investissements d'avenir, des investissements massifs de production, d'innovation pour faire l'industrie de demain, l'économie du futur. Là encore, il n'y a pas de honte à s'endetter pour l'avenir : c'est le principe, chez monsieur et madame Toutlemonde, du prêt immobilier. À la fin, on a un actif et plus aucune dette (qu'on rembourse). Attention toutefois au type d'emprunt, car pour l'État, c'est l'équivalent du prix relais : on ne paie jamais la dette mais les intérêts de la dette (qui commencent à devenir monstrueux), et si on rembourse la dette, c'est parce qu'on la rachète sur le marché international avec un taux réactualisé.

    Mais les déficits depuis 1981 ne sont pas pour des investissements et rarement à cause de crises ponctuelles, mais pour financer du fonctionnement de l'année en cours. En 2024, on doit encore rembourser le train de vie de l'État de 1981 ! Car c'est bien à partir de l'élection de
    François Mitterrand que le déficit budgétaire a été institutionnalisé, arbitrairement limité "moralement" à 3% du PIB. C'était l'époque où l'âge légal de départ à la retraite est passé de 65 ans à 60 ans. C'est particulièrement cette mesure, plus que la cinquième semaine de congés payés, qui a plombé pour un demi-siècle au moins les finances publiques.

    Dès la campagne présidentielle de 2002,
    François Bayrou a pointé du doigt l'extrême danger d'un endettement excessif, et à l'époque, c'était beaucoup moins qu'aujourd'hui. Les deux partis gouvernementaux hégémoniques, le PS et l'UMP (devenue LR), s'en moquaient puisque, pour faire élire leurs candidats, il leur fallait promettre, acheter certains électeurs : on appelle cela l'électoralisme ou le clientélisme, le contraire d'un discours pour l'intérêt national.
     

     
     


    L'objectif de ne pas dépasser un déficit de 3% du PIB est inscrit dans les tables du Traité de Maastricht, mais cet objectif de vertu doit être d'abord vu comme d'un intérêt national : on ne peut pas dépenser plus qu'on ne gagne ! Et si on n'impose pas 0% et qu'on se permet une latitude de 3%, c'est parce qu'on considère qu'avec une croissance de 3%, ce déficit est vite compensé (la réalité, c'est que la croissance n'est jamais à 3% et c'est d'ailleurs un peu plus compliqué que cela !).

    Dans tous les cas, en 2024, le déficit devrait atteindre 6,1% du PIB, soit plus du double, et Michel Barnier a déjà fixé l'objectif de réduire le déficit de 60 milliards d'euros. Car si on ne prend pas en % mais en valeur absolue, sonnante et trébuchante, ces 60 milliards d'euros, c'est énorme ! Pour le gouvernement, ce sera 1/3 augmentation de la fiscalité 2/3 réduction des dépenses publiques.

    Pour le coup, aucun parti ne semble vraiment s'opposer à cet objectif de redresser les finances publiques, mais personne n'est vraiment cohérent : tous ceux qui ont rejeté la
    réforme des retraites, tous ceux qui veulent augmenter telle prestation, tel nombre de fonctionnaires, etc. se montrent particulièrement incohérents. Les mêmes, qui aujourd'hui fustigent les précédents gouvernements pour l'endettement excessif, les fustigeaient à l'époque parce qu'ils ne dépensaient pas assez lors des crises : gilets jaunes, crise sanitaire, guerre en Ukraine, inflation et crise de l'énergie... La démagogie et la facilité n'ont jamais fait dans la cohérence ni dans la responsabilité.

    Paradoxalement, je n'ai pas entendu beaucoup de contestation sur cette réduction de 60 milliards d'euros de déficit. Tant mieux. Alors, où les prendre ?



    Dans les recettes de l'État : 20 milliards d'euros de plus d'impôts

    Toute la politique budgétaire sera basée sur des injonctions paradoxales. Ce qu'a réussi parfaitement Emmanuel Macron, c'est d'avoir stabilisé la France fiscalement et de devenir le premier pays européen le plus attractif pour les investisseurs étrangers. Cela a eu pour conséquence une baisse continue du chômage (autour de 7%) et un fait notable, unique depuis 1981 : on ne parle plus du problème du chômage mais de celui du pouvoir d'achat.

    Revenir à la politique facile d'augmentation des impôts, alors que la pression fiscale est déjà monstrueuse, c'est risquer de perdre cette indispensable attractivité de la France. Il faut donc le faire d'une main tremblante car il faut savoir quelle fiscalité réduirait l'attractivité de la France ? Celle des plus riches (capables d'investir) et celle des entreprises.
     

     
     


    Qu'en est-il de la justice fiscale ? Il y a dans cette expression une certaine moralité qui n'a rien à faire avec l'efficacité d'un État. On ne fait pas payer des impôts pour réduire les inégalités, voire égaliser tout le monde : on fait payer des impôts pour financer les dépenses de l'État. Si l'État ne dépensait rien, il n'y aurait pas besoin d'impôts. Très globalement, on dit à juste titre que l'impôt est redistributif : ceux des riches qui paient des impôts pourraient se payer les mêmes services s'ils étaient privatisés, ce qui n'est pas le cas des plus pauvres. Là encore, contrairement au sentiment habituellement entendu, la France est l'un des pays voire le pays le plus redistributif au monde ! C'est ce modèle social (que tout le monde veut garder) qui coûte cher et d'autant plus cher que la natalité baisse.

    Donc, la justice fiscale, à laquelle je suis évidemment favorable, ce n'est pas de dire : les riches doivent payer ! C'est de se dire : combien faut-il pour équilibrer les dépenses, et que chaque contribuable puisse avoir sa juste contribution en fonction de ses moyens.


    Michel Barnier a insisté pour parler des contribuables les plus fortunés et pas des contribuables les plus riches, car tout est relatif et pour François Hollande, un ménage était riche à partir de 4 000 euros par mois. Pour Michel Barnier, être fortuné signifie gagner 500 000 euros par an (40 000 euros par mois), ce qui correspond à 0,3% des ménages (voir plus loin).

    Le problème de ne cibler que les contribuables fortunés, c'est que ça rapporte peu car ils ne sont pas nombreux, ce n'est pas efficace. C'est juste, mais pas efficace. Pour être efficace, il faudrait descendre le seuil de fortune afin de multiplier les contributions, ce qui fait que les classes moyennes ont toujours été les vaches à lait de l'État providence (en particulier les classes moyennes supérieures).

    Donc, lever un impôt supplémentaire pour les plus riches serait plutôt une mesure politique et pas financière, celle de dire que les plus riches doivent participer aussi, à leur niveau, à l'effort national. Pour faire passer les autres pilules. Mais on sait déjà que cela ne rapportera pas grand-chose.

    Quant à lever un nouvel impôt pour les très grandes entreprises, tout le monde est d'accord, même certaines de ces entreprises qui ont fait beaucoup de profit parfois sans mérite (comme les entreprises du secteur énergétique qui ont bénéficié de l'augmentation du prix du kWh sans rapport avec leurs frais de production). Encore faut-il s'assurer que ces grandes entreprises ne comptent pas quitter la France pour des pays plus cléments fiscalement (à cet égard, il faudra surveiller l'évolution de Lactalis, par exemple).

    Si on prend l'effet levier du nombre (si ça impacte des millions de contribuables ou de consommateurs, c'est efficace et l'effort est réparti sur le nombre), la tentation est grande de proposer d'augmenter quelques taxes à la consommation (sur l'énergie, par exemple, ou plus simplement la TVA comme l'avait fait Nicolas Sarkozy à la fin de son quinquennat, une mesure quasi-suicidaire !).

    Enfin, la tarte à la crème, bien sûr, c'est la lutte contre la fraude fiscale et sociale. L'État a toujours lutté contre la fraude des resquilleurs et sa lutte est de plus en plus efficace, et le déficit prend déjà en compte cette lutte. De plus, il y a une différence entre fraude et optimisation fiscale, d'une part, aux pouvoirs publics peut-être de limiter les possibilité de cette optimisation fiscale, et une différence entre fraude et évasion fiscale, d'autre part, même si je préfère l'expression fuite fiscale à évasion fiscale, qui est, elle, légale et est en rapport avec l'attractivité du pays.

    Ce qui est connu, c'est que trop d'impôt tue l'impôt, c'est l'illustration du dernier choc fiscal de 40 milliards d'euros, sous
    François Hollande. Les recettes fiscales étaient rentrées moins bien que prévu car la consommation n'avait pas progressé.


    Dans les dépenses de l'État : 40 milliards d'euros de moins de fonctionnement

    Là aussi, c'était une autre tarte à la crème, mise en évidence pendant la campagne présidentielle de 2017 durant laquelle
    François Fillon a proposé la suppression de 500 000 postes de la fonction publique, tandis qu'Emmanuel Macron 100 000. La réalité, c'est qu'il y a eu une progression des effectifs de la fonction publique depuis 2017.
     

     
     


    La proposition de supprimer des fonctionnaires ne risque pas d'être très efficace en matière de déficit. En effet, s'il s'agit de ne pas remplacer certains postes de fonctionnaires partant à la retraite, au mieux, on supprimerait 30 000 postes par an, ce qui ne fait même pas 2 milliards d'euros d'économie alors qu'on parle de 40 milliards. On est loin du compte. Et le problème, c'est quels postes puisqu'on parle déjà d'un manque d'effectifs parmi les enseignants, les soignants, les forces de l'ordre, les professionnels de la justice... Faut-il rappeler aussi qu'on ne peut pas se passer des travailleurs des voiries, des espaces verts, etc. dans les collectivités locales qui ont d'ailleurs beaucoup de postes vacants par manque d'attrait des postes ? Michel Barnier, qui connaît très bien le point de vue des collectivités locales (il a longtemps présidé le conseil général de Savoie), sait qu'il est aussi très difficile de faire des économies sur le nombre de postes dans la fonction publique territoriale, et dans tous les cas, ce type de réponse est très long pour en voir l'effet sur le déficit.

    Ce qu'on peut en revanche, imaginer, c'est une augmentation de la productivité, qui peut passer par une réduction de l'absentéisme, par exemple (j'ai vu certaines collectivités qui se sont donné les moyens de réduire ce taux parfois important par des moyens assez simples qui consistent, par exemple, à revoir les conditions d'attribution de certaines primes).

    Des solutions de vente par tranche du patrimoine public ne sont pas non plus très efficaces car ce sont des pistolets à un coup. C'est le cas du patrimoine foncier qui mérite, c'est vrai, une meilleure gestion (on parle de créer une régie foncière de l'État et que tous les ministères deviendraient locataires de celle-ci, avec des professionnels du secteur, ce qui éviterait la vente aux enchères de mobiliers très chers à des prix défiant toute concurrence par manque de connaissance de la valeur des meubles, etc.).

    Une autre tarte à la crème consiste à couper dans les (nombreuses) niches fiscales, mais là encore, c'est une hérésie, à moins de faire des frappes chirurgicales. Je m'explique : chaque niche fiscale a un intérêt, ou, du moins, a eu un intérêt, comme l'exonération obtenue pour un don à une œuvre de charité etc. Cela fait partie de la politique de l'État d'encourager, d'aider certains secteurs. Certes, le problème a été qu'on n'a fait que des strates et des strates sans remettre en cause les anciennes. Il serait donc intéressant d'évaluer chaque niche fiscale (vaste tâche), connaître leur objectifs et évaluer s'ils ont été atteints ou pas. S'ils ont été atteints, il faut la garder ; si la niche fiscale n'était pas efficace, il faut la supprimer. Mais dans tous les cas, chaque suppression de niche fiscale aurait une incidence sur un secteur économique donné, et on imagine bien les protestations catégorielles qui en découleraient et que le gouvernement devrait assumer.

    Bref, comme dirait La Palisse, rien n'est simple. C'est pour cela qu'aucun gouvernement ne s'est réellement attaqué à la réforme de l'État pour réduire structurellement le déficit. C'est le principe de l'acquis social : aucun acquis ne serait négociable, dans l'esprit des Français. Si, parfois, des déficits ont pu être réduits, les gouvernements concernés l'ont dû à la chance d'une conjoncture extérieure favorable créatrice de croissance, plus en tout cas qu'à leur propre politique économique.


    Ce que va proposer le gouvernement

    Selon le document reçu par le Haut Conseil des finances publiques, le gouvernement propose plusieurs choses. Pour la réduction de 40 milliards d'euros des dépenses publiques, 15 milliards d'euros ont déjà été obtenus dans les lettres de cadrage au mois d'août (qui consistent surtout à ne pas suivre l'inflation à budget constant), 5 milliards d'euros d'économies supplémentaires n'ont pas encore été proposés (par manque de temps, ce sera fait par amendements ultérieurs), 13 milliards d'euros de réduction des dépenses sociales (dont 4 milliards d'euros pour le retard de la revalorisation d'environ 1,8% des pensions de retraite de janvier à juillet 2025), le reste en réduction des dépenses d'assurance maladie et en limitation des dépenses des collectivités locales.

    La principale mesure indiquée en réduction des dépenses est donc le retard de six mois de la revalorisation des pensions de retraite, qui touche tout le monde, mais proportionnellement plus les moins aisés. Même si l'effort reste relativement faible : pour une pension de 1 500 euros par mois, cela devrait correspondre à un manque à gagner d'environ 15 euros par mois pendant six mois.
     

     
     


    Quant aux augmentations d'impôts, le Ministre du Budget Laurent Saint-Martin, qui est directement rattaché à Matignon et pas à Bercy (ce qui est rare et montre que le pouvoir se trouve effectivement à Matignon), a affirmé le 2 octobre 2024 que l'effort sur les ménages portera uniquement sur 0,3% des ménages, ce qui signifiera par exemple pour un couple sans enfants avec « des revenus d'à peu près 500 000 euros par an ». Et pour les entreprises, la contribution sera « exceptionnelle » et seulement pour les entreprises qui réalisent plus d'un milliard d'euros de bénéfice : « Il faut que toutes les grandes entreprises, chacune comme elles le peuvent, et par rapport à leur secteur d’activité, contribuent. ». Comme cela touche peu de ménages et peu d'entreprises, ces mesures seront certainement approuvées largement (les députés qui s'y opposeraient le justifieraient par le manque d'audace).

    Au-delà de ces mesures, il y aura aussi des mesures de réduction de dépenses publiques de l'ordre de 1,5 milliard d'euros pour compenser des mesures fiscales en faveur de la transition écologique, qui seront également proposées par voie d'amendements.

    Ensuite, il restera à Michel Barnier de faire adopter ces lois de finances (il y en a deux, projet de loi de finances et projet de loi de financement de la sécurité sociale), soit par un vote solennel (mais je doute qu'une majorité soit obtenue, car l'acte politique par excellence de l'appartenance à l'opposition, c'est de voter contre le budget) soit par
    l'article 49 alinéa 3 de la Constitution, auquel cas une motion de censure, voire plusieurs pourront être déposées. Mais je doute que la gauche NFP et le RN puissent voter un même texte ensemble sur les finances publiques. C'est la seule chance de Michel Barnier (avec la popularité le cas échéant) pour durer.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (06 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Budget 2025 : l'impossible mission de Michel Barnier.
    Claude Malhuret : du vol des élections aux chefs d'escadrille...
    Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
    La quadrature du cercle de Michel Barnier.
     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241006-budget-2025.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/budget-2025-l-impossible-mission-257113

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/07/article-sr-20241006-budget-2025-html.html




     

  • Claude Malhuret : du vol des élections aux chefs d'escadrille...

    « Les Français sont fatigués de la révolution permanente ; ils sont fatigués de la ZAD qui s’est reconstituée hier à l’Assemblée dès l’ouverture de la session ; ils sont fatigués des démagogues qui promettent la lune et sèment la ruine partout où ils sont au pouvoir. Votre programme, avec humilité et responsabilité, en est l’exact contraire. C’est une raison supplémentaire pour que nous le soutenions. » (Claude Malhuret, le 2 octobre 2024 au Sénat).



     

     
     


    ZAD, comprendre zone à délirer ! Voici une petite démonstration de près de dix minutes sur le mythe des élections volées. Comme depuis quelques années c'est la tradition, chaque intervention en séance publique du sénateur Claude Malhuret est un condensé d'humour et de lucidité sur la vie politique. À un moment pressenti par le nouveau Premier Ministre pour faire partie de son gouvernement (il était déjà membre du gouvernement entre 1986 et 1988), le président du groupe Les Indépendants, République et Territoires au Sénat (regroupant les sénateurs Horizons) n'a pas déçu ses collègues lorsqu'il a fallu participer au débat qui a suivi la déclaration de politique générale de Michel Barnier au Sénat le mercredi 2 octobre 2024. Il réagissait surtout aux propos tenus quelques minutes auparavant par son collègue Patrice Kanner, président du groupe socialiste, qui s'enferrait dans la légende urbaine d'une victoire de la nouvelle farce populaire (NFP) aux dernières élections législatives.

    Alors, le sénateur a commencé comme
    Martin Luther King (mais en négatif : ce n'est pas un rêve qu'il a fait) : « Mes chers collègues, en écoutant il y a quelques instants l’analyse de la situation politique par le président du groupe socialiste, j’ai brusquement fait une sorte de cauchemar éveillé. ». Et il a découvert un nouveau gouvernement : « Je me tenais ici, à cette tribune, et en face de moi, à la place où vous vous trouvez, monsieur le Premier Ministre, ce n’était pas vous : c’était Lucie Castets. À ses côtés se tenaient Sandrine Rousseau, ministre des finances et de la décroissance ; Sophia Chikirou, garde des sceaux ; Aymeric Caron, ministre de l’écologie et des insectes ; Sébastien Delogu, ministre de la mémoire et des anciens combattants ; Louis Boyard, ministre du développement durable du cannabis et Jean-Luc Mélenchon, ministre des affaires étrangères et de l’amitié avec la Russie, le Hezbollah et l’Alliance bolivarienne ! ».

    Retour à la réalité et à l'imposture du NFP : « Lorsque j’ai rouvert les yeux, je me suis aperçu que j’étais en train de tomber de mon siège. Les propos du président du groupe socialiste montrent que l’on ne peut aborder ce débat sans faire d’abord table rase de l’invraisemblable campagne qui est menée depuis des semaines par le nouveau front populaire pour convaincre les Français que l’élection leur a été volée, que votre gouvernement est illégitime et que vous êtes l’otage du Rassemblement national. Cette campagne va se poursuivre, plus virulente que jamais, comme le prouve le discours de fureur et de haine que
    Mme Panot a prononcé hier à l’Assemblée Nationale. Le soir des élections, le 7 juillet dernier, à vingt heures zéro une, à la télévision, tous les chefs de partis ont été priés de passer leur tour pour permettre à celui de LFI de prononcer cette phrase : "Nous sommes arrivés les premiers, nous devons former le gouvernement". L’échec huit jours plus tard du candidat du NFP à l’élection pour la Présidence de l’Assemblée Nationale a démontré de manière évidente que cette intox constitutionnelle était une imposture. Mais la vague médiatique et les ragots sociaux se sont transformés en tsunami et le mensonge s’est changé en vérité. Il faut donc le répéter : l’élection n’a été volée à personne ! Et si elle a été volée, c’est aux électeurs de gauche par les dirigeants de l’extrême gauche, qui ont joué une invraisemblable partie de poker menteur avec leurs partenaires. ».
     

     
     


    D'où la recherche laborieuse d'un Premier Ministre qui oscillait entre le vaudeville et la tragédie (je ne sais pas trop s'il a été le plus féroce contre Lucie Castets ou contre Ségolène Royal !) : « Pendant les quinze jours qui ont suivi le 7 juillet, le mot d’ordre fut : "Macron doit nommer immédiatement un Premier Ministre du NFP". Question des journalistes : "Qui est votre candidat ?". Réponse : "On ne sait pas, on n’arrive pas à se mettre d’accord". Après deux semaines de bras de fer et de crises de nerfs, une inconnue tombe enfin du ciel : pendant vingt-quatre heures, Huguette Bello devient le nouveau dalaï-lama, jusqu’à ce qu’on découvre qu’elle n’est pas woke, mais alors pas woke du tout : elle est anti-mariage pour tous et tout le tralala. Panique au NFP ; exit Huguette ! Quelqu’un propose alors Laurence Tubiana, organisatrice de la COP21. Horreur, on s’aperçoit que Macron l’a nommée à l’UNESCO. Une macroniste Première Ministre du NFP ? La "fisha" absolue… Exit Laurence ! Au bord du gouffre, alors qu’il n’allait plus rester que Ségolène Royal, on finit par débusquer dans les combles de la mairie de Paris une sémillante fonctionnaire jamais élue nulle part et coanimatrice de l’incroyable dette de 10 milliards d’euros de la capitale. Par miracle, cet Annapurna de la pensée politique, auprès de qui les Bertrand, Cazeneuve ou Barnier ne sont que des billes, accepte de faire bénéficier les Français de son inexpérience. Le NFP tient sa Première Ministre. Du moins, c’est ce que croient les socialistes, les écolos et les communistes. Ce qu’ils n’ont pas compris, et l’on s’étonne d’une telle naïveté, c’est que jamais Mélenchon n’a envisagé un Premier Ministre de gauche. Jamais ! Au moment même où le nom de Lucie Castets est prononcé, une fatwa vient la faucher en quelques mots : "Le programme, rien que le programme, mais tout le programme !". En bon français, cela veut dire que Mme Castets disposerait de 193 voix à l’Assemblée, et pas une de plus ! Exit donc Lucie… En un mot, si vous avez compris le NFP, c’est qu’on vous a mal expliqué ! ». Cette dernière phrase restera sans doute "culte" ! On est en plein dans un film comique avec le regretté Michel Blanc.

    Claude Malhuret a ainsi expliqué l'échec de
    Bernard Cazeneuve : « La gauche responsable, celle qui est largement représentée dans cet hémicycle, du moins c’est ce que je pensais jusqu’à il y a quelques minutes, fait une tentative désespérée en proposant le nom de Bernard Cazeneuve. Cette fois, Mélenchon n’a même pas besoin de lever le petit doigt, Faure le socialiste se charge lui-même du sale boulot en déclarant que nommer un Premier Ministre socialiste serait une "anomalie". Cazeneuve est des nôtres, il sera censuré comme les autres ! Exit Bernard ! Un jour, dans les manuels de sciences politiques, on expliquera dans un long chapitre comment, en 2024, la gauche s’est vendue pour un plat de lentilles à une secte gauchiste en pleine dérive islamiste et antisémite, dirigée par un ancien du lambertisme, que les communistes eux-mêmes qualifiaient il y a quelques années encore d’hitléro-trotskisme ! ».

    Il n'y a pas eu que la gauche islamo-gauchiste à avoir crié au vol des élections,
    l'extrême droite a hurlé pareil : « Quant à l’extrême droite, qui prétend elle aussi qu’on a volé l’élection à ses 11 millions d’électeurs, elle oublie de dire que 20 millions d’autres ont décidé d’associer leurs voix au second tour pour lui faire barrage devant la radicalité de ses positions, un programme économique qui nous mènerait droit vers l’abîme et une flopée de candidats imprésentables, entre les casquettes nazies et les propos antisémites sur les réseaux asociaux. Elle n’est pas plus légitime à gouverner et elle le sait très bien. Elle attend son heure, et si cette heure vient un jour, elle aura été soigneusement préparée par la folie de l’extrême gauche et la capitulation du premier secrétaire du parti socialiste, l’homme-caoutchouc. ».

    Quant à la
    motion de censure, voici pourquoi ses chances de succès sont faibles : « Vient enfin le dernier mensonge, monsieur le Premier Ministre : vous seriez l’otage du Rassemblement national. L’extrême droite compte 142 députés. Ils ne peuvent faire tomber votre gouvernement qu’en bande organisée avec le NFP. J’attends avec impatience qu’ils expliquent cela à leurs électeurs, et surtout qu’ils expliquent comment ils comptent composer, pour vous succéder, un gouvernement lepéno-mélenchoniste. Mélenchon ne veut pas de Premier Ministre de gauche et Le Pen sait que son parti est incapable pour l’heure de gouverner. Ce n’est pas une assurance-vie, mais votre gouvernement est loin d’être condamné d’avance. ».

    D'où le soutien fort du groupe présidé par Claude Malhuret au gouvernement de Michel Barnier : « Vous êtes légitime. Vous n’avez pas de majorité absolue, mais vous rassemblez tous ceux, de la droite républicaine au centre et à la gauche modérée, qui ont fait le choix de la responsabilité. Ils sont le camp de la raison que notre groupe Les Indépendants appelle de ses vœux depuis des mois. Et vous êtes, après deux ans d’Assemblée Nationale transformée en zone à délirer, le Premier Ministre de l’apaisement. Quelles sont les priorités ? Mais il n’y a que des priorités : le budget, le déficit, la dette, la
    Nouvelle-Calédonie, le logement, l’agriculture, l’immigration, la transition écologique, sans oublier l’Ukraine, le Moyen-Orient et toutes les crises dans le monde que la France ne peut ignorer. Ces priorités étaient au cœur de votre discours et de ceux de tous mes collègues ; je n’y reviendrai pas à mon tour. Qu’il me soit seulement permis de dire que nous soutenons votre engagement dans cette démarche difficile et courageuse. Vous disposerez d’une large majorité au Sénat, qui tentera de compenser l’absence de majorité absolue à l’Assemblée Nationale et de combattre les tentatives des populistes pour saper notre démocratie. ».
     

     
     


    Les savoureuses envolées lyriques du sénateur Malhuret apportent toujours un peu de fraîcheur, de légèreté, mais aussi de lucidité à une classe politique tendue et rageuse. Il a le mérite de faire mal car il cible juste. Depuis 2022, il s'inquiète régulièrement de la perspective de l'élection présidentielle de 2027 et de la nécessité de rassembler toutes les forces non-populistes, ce qu'il a appelé ce 2 octobre 2024 les forces raisonnables, le "camp de la raison", du centre droit au centre gauche, "qui ont fait le choix de la responsabilité". Les deux anciens grands partis gouvernementaux, LR et le PS, n'ont pas voulu jouer le jeu en 2022, chacun pris par une surenchère populiste. LR s'est finalement résolu à faire le choix de la raison et de la responsabilité, au contraire du PS qui s'enferme toujours dans un mélencho-islamisme qui l'asphyxiera à court terme. Surtout, Claude Malhuret, continuez à nous délecter ainsi !


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (05 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Claude Malhuret : du vol des élections aux chefs d'escadrille...
    Claude Malhuret au Sénat : le spectacle continue !
    Ukraine : Claude Malhuret se gausse de Jordan Selfie !
    Claude Malhuret sur l'inscription de l'IVG dans la Constitution le 4 mars 2024 à Versailles.
    Claude Malhuret s'en prend à "la pression permanente et déprimante des extrêmes" !
    Claude Malhuret dénonce la "mauvaise république" du guide suprême !
    L'Iran et les femmes : Claude Malhuret contre la mollarchie.
    Passe vaccinal : Claude Malhuret charge lourdement les antivax.
    Covid-19 : les trois inepties du docteur Claude Malhuret.







    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241002-malhuret.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/claude-malhuret-du-vol-des-257033

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/02/article-sr-20241002-malhuret.html



     

  • Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier

    « Par patriotisme, par égard pour nos compatriotes qui souffrent, par respect envers nos institutions, et compte tenu de la tâche ingrate qui vous incombe en ces circonstances, ramasser l’action publique que certains ont laissé choir, je vous le dis, monsieur le Premier Ministre : le mouvement national n’entend pas entraîner le pays vers le chaos, vers cette politique du pire qui est la pire des politiques. Voilà pourquoi le Rassemblement national a fait un choix responsable : refuser de censurer a priori votre gouvernement pour lui donner une chance, si infime soit-elle, d’engager enfin les mesures de redressement nécessaires. » (Marine Le Pen, le 1er octobre 2024 dans l'hémicycle).



     

     
     


    Contrairement à la rumeur publique, Michel Barnier et ses ministres ne sont pas les otages de Marine Le Pen et de son groupe RN à l'Assemblée Nationale. Le groupe RN et ses alliés ne comptent que 142 députés sur 577 et pour faire adopter une motion de censure, il en faut au moins le double, 289. Illustration par l'absurde : les premiers à tirer, c'est la gauche.

    En effet, les 192 membres des partis de la
    nouvelle farce populaire (NFP) ont déposé ce vendredi 4 octobre 2024 une motion de censure contre le gouvernement. Sa rédaction semble quasiment sortie d'une école primaire, sur le fond et même sur la forme, puisqu'on y relève quelques fautes d'orthographe (c'est vrai que, dans une sorte de comble de l'idéologie gauchiste, certains de ces députés considèrent que la connaissance de la langue française dépendrait du niveau de son compte en banque ; cela pourrait bien s'appliquer au gourou Jean-Luc Mélenchon).

    Les motivations de cette motion de censure reprennent la fable urbaine selon laquelle le NFP aurait gagné les élections : eh bien, non, 192 députés ne constituent pas une majorité, pas même relative. Si cela avait été le cas, le candidat du NFP André Chassaigne aurait été élu au perchoir puisqu'il suffisait, au troisième tour, de n'avoir qu'une majorité relative. Si
    Yaël Braun-Pivet a été brillamment réélue, c'est parce qu'une autre coalition, plus importante que le NFP, soutient aujourd'hui le gouvernement, avec une majorité relative très faible, certes, de 213 députés, mais supérieure aux troupes du NFP.

    On n'insistera pas sur les nombreux exemples de mauvaise foi politicienne dont est truffé le texte de cette motion de censure, comme le fait que le Président de la République
    Emmanuel Macron n'a pas voulu nommer l'inconnue de la dette abyssale de la ville de Paris Lucie Castets à Matignon : « Le Président de la République aurait dû nommer à Matignon la personnalité proposée par le nouveau front populaire. ». Truffé aussi de procès d'intention comme celui-ci : « Michel Barnier semble se contenter de vaines paroles sur la défense de l’environnement et du climat. Ainsi, le ministère de la Transition écologique a par exemple hérité d’un périmètre d’action fortement rogné. ». Ce qui est très maigre pour donner une raison de tuer le gouvernement.

    Sur le sujet environnemental, Michel Barnier a déjà répondu à Cyrielle Chatalain, la présidente du groupe écologiste à l'Assemblée : « Madame la présidente Chatelain, vous avez parlé d’effets de manche mais je ne vois pas où vous en avez trouvé dans mon discours. Je n’en ai pas fait et je n’en ferai pas, on dit d’ailleurs souvent de moi, je le sais bien, que je suis trop sérieux et pas marrant. Je me suis exprimé sincèrement et sobrement et je continuerai ainsi. Je suis attentif, vous le savez, à la transition écologique. J’étais même engagé avant vous sur ces questions. (…) Je rappellerai ici que j’ai la fierté d’avoir créé, il y a trente ans, le fonds Barnier, dont il est beaucoup question. Je continue à suivre son développement et je vais avec la ministre compétente augmenter les moyens dont il est doté. J’estime en effet que la prévention coûte toujours moins cher que la réparation et qu’une réparation anticipée et organisée est plus efficace et moins coûteuse qu’une réparation improvisée. ».

    Ce qui est désolant avec cette motion de censure, c'est que ceux des députés socialistes supposés s'être opposés à la mainmise des insoumis sur la gauche ont finalement tous signé ce texte de censure, en particulier Jérôme Guedj, Aurélien Rousseau, ancien ministre d'
    Élisabeth Borne, et même François Hollande, ancien Président de la République, qui n'a vraiment pas peur de l'humiliation publique. Tous ceux-là viennent de montrer, en s'associant aux délires mélenchonesques, qu'ils ne souhaitent plus gouverner la France, ils ne souhaitent plus être responsables ni crédibles.

    Incontestablement, ceux qui risquent de faire sauter le gouvernement Barnier ne sont pas d'extrême droite mais de la gauche ultradicalisée. Si cette gauche ne voulait pas censurer le gouvernement, le RN n'aurait aucun poids politique, ne pourrait rien exiger, puisqu'il serait dans l'incapacité de réunir 289 voix pour faire adopter une motion de censure.


    D'ailleurs, il était très instructif (et risible) de voir Manuel Bompard, le représentant des insoumis, sur France 2 le soir du 3 octobre 2024, faire la danse du ventre devant la représentante du RN, la suppliant de voter pour sa motion de censure, alors qu'il se prétend la locomotive du combat contre le RN (sauf quand il a besoin de lui). La réponse a été très claire. Laure Lavalette, députée RN, a rejeté les appels du pied des insoumis : « Je pense que la situation est suffisamment grave pour ne pas censurer en amont déjà ce gouvernement. On va, j'allais dire, donner la chance au produit (…). On ne peut pas ajouter du chaos comme vous le faites. ». Le RN en situation d'être responsable alors que François Hollande joue au pyromane de la République : postures improbables.

    Cette motion de censure sera examinée en séance publique l'après-midi du mardi 8 octobre 2024, après l'hommage solennel à
    Louis Mermaz, ancien Président de l'Assemblée Nationale, et les questions au gouvernement. Son issue prévisible est le rejet, faute d'avoir convaincu les députés RN de se joindre à la gauche (pour une collusion des non, mais certainement pas pour un gouvernement commun).
     

     
     


    Mais revenons sur la position du RN qui peut étonner. Marine Le Pen, dans un discours très grandiloquent, écrit avant d'avoir écouté la déclaration de politique générale de Michel Barnier, en a donné quelques éléments de compréhension le 1er octobre 2024.

    La chose principale, qui ne coûte pas un rond, c'est d'avoir de la considération : représentante de millions d'électeurs, Marine Le Pen veut que les 142 députés RN et alliés soient reconnus comme tels, comme des élus de la République et soient ainsi respectés comme tels, puissent participer aux concertation, puissent aussi participer à la gestion de l'Assemblée (le 19 juillet 2024, ils ont été exclu du
    bureau de l'Assemblée au contraire de la législature précédente qui comptait deux vice-présidents RN de l'Assemblée). Sa revendication a été ainsi formulée : « Je le dis ici de manière solennelle, à l’intention de chacun des ministres, de tout détenteur de l’autorité publique issue de ce gouvernement : nous entendons que les 11 millions de patriotes qui ont voté pour notre coalition d’union nationale soient respectés, que cessent ces attaques inutiles et injustes qui procèdent tant du mépris de classe que de l’intolérance caractéristique des totalitarismes. Ces attitudes n’honorent ni surtout ne servent le pays, son unité, son modèle démocratique. ». Devant les députés, Michel Barnier n'a pas arrêté d'annoncer qu'il écouterait tous les groupes, qu'il n'exclurait aucun groupe politique. Il a donc tout bon !

    Sans s'empêcher de fustiger le Président de la République à de nombreuses reprises, Marine Le Pen a voulu se montrer responsable et annoncé qu'elle ne s'opposerait pas pour s'opposer. C'est vrai qu'en procès depuis le 30 septembre 2024, avec vingt-six autres dirigeants du RN, sur une suspicion de fraude de 7 millions d'euros, pour une durée très longue de deux mois, la potentielle candidate du RN préférerait attendre que cette affaire soit oubliée avant un prochain scrutin.

    Elle a ainsi interpellé Michel Barnier : « Ma première demande, monsieur le Premier Ministre, est simple : faites preuve de volontarisme dans tous les domaines, et pas seulement dans celui des finances. Il ne s’agit pas de vous concilier votre "aile gauche", votre "aile droite" ou vos "partenaires exigeants", bref, toutes ces périphrases qui vous permettraient de justifier votre inaction par le respect de médiocres équilibres partisans : il s’agit de produire un impact rapidement perceptible par tous les Français. Or, en vous écoutant, j’entends des constats, mais tout de même bien peu de solutions. ».

    Voulant montrer sa bonne volonté, Marine Le Pen a encouragé le gouvernement à faire preuve de courage : « Vous avez sur ce point, monsieur le Premier Ministre, une possibilité considérable : sans mandat électif à défendre aujourd’hui ou demain, vous pouvez faire preuve de courage en réalisant les économies dont le gisement a été identifié depuis des années, dans les observations de la Cour des Comptes comme dans d’autres rapports publics portant sur le sujet. Une étude américaine publiée fin 2023 évalue à quatre points de PIB les pertes causées en France par la suradministration. ». Il faudra donc rappeler à ses éventuels électeurs venant de la gauche que le RN est pour restreindre l'intervention de l'État, comme le souhaite également son allié ultralibéral
    Éric Ciotti. Ce qui est tout à fait dans la tradition du FN dont le fondateur, son père Jean-Marie Le Pen, voulait supprimer l'impôt sur le revenu.

    Elle a même proposé à Michel Barnier les clefs de sa popularité : « Vous le savez, nous avons trois priorités, au sujet desquelles notre vigilance s’exercera de manière accrue : le pouvoir d’achat, l’immigration et la sécurité. Ce faisant, nous vous rendrons service, puisqu’elles correspondent aux exigences des Français et que vos mesures en la matière, peut-être, vous rendront populaire ; la France aussi y trouvera son intérêt, puisque ces urgences, trop longtemps négligées, ne peuvent plus l’être davantage. ».

    La dirigeante du RN a donc donné sa règle du jeu très clairement, les trois « lignes rouges sur lesquelles notre groupe pourrait, demain, fonder un vote de censure ». C'est habile : elle n'a réduit sa "surveillance" que sur trois sujets et pas plus, parce qu'elle veut obtenir des avancées concrètes sur les mesures que proposera le gouvernement. En cela, elle joue le jeu de l'écoute et de la coconstruction de la loi quand la gauche joue l'opposition systématique et l'obstruction (jusqu'à vouloir
    destituer le Président de la République pour des raisons de cour de récréation).


    La première ligne rouge : baisser la pression fiscale


    Le choix des priorités du RN est intéressant : « La première d’entre elles réside dans l’évolution de la pression fiscale, déjà insupportable, qui s’exerce sur les Français, en particulier sur les classes populaires et moyennes. Toute hausse d’impôt touchant les plus fortunés, entreprises ou ménages, devra être compensée par du pouvoir d’achat rendu à nos concitoyens modestes, qui travaillent et ont vu leur reste à vivre fondre depuis trois ans. ».

    Le meilleur moyen de réduire le déficit, pour le RN, est donc de s'attaquer aux dépenses publiques, ce qui, pour de nombreux membre de la majorité, est du bon sens (mais n'est pas facile à pratiquer). Elle a même apporté son soutien à venir pour toutes les décisions courageuses de réduction des dépenses : « Soyez-en sûr : dans cette mission, nos députés ne vous seront pas des obstacles, mais des soutiens, si vous savez faire preuve de courage. ». Le gouvernement n'en demandait pas tant !


    La deuxième ligne rouge : baisser la pression migratoire

    Sans surprise, après le pouvoir d'achat, l'immigration est le thème par excellence du RN pour racoler des électeurs (et il y parvient !) : « Notre deuxième ligne rouge serait l’absence du sursaut migratoire, sécuritaire et pénal qu’attendent des millions de Français. Nous vous demandons, à vous qui teniez il y a quelques années un discours si ferme à ce sujet, de remettre à votre agenda, dès le premier trimestre de 2025, un projet de loi "immigration" restrictif, reprenant au minimum les
    dispositions censurées en janvier par le Conseil Constitutionnel. De plus, puisqu’une tragique actualité a encore une fois mis en lumière la question des obligations de quitter le territoire français (OQTF) et des laisser-passer consulaires, je vous suggère une règle simple : en l’absence de laissez-passer, zéro visa. ».
     

     
     


    Notons quand même que cette dernière règle n'aura aucune efficacité, et l'ancien Ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin est bien placé pour le savoir car il avait essayé et il se trouve que les ressortissants des pays en question, faute de visa français, demandent un visa espagnol et avec Schengen, peuvent arriver en France en toute légalité. En clair, ces pays se moquent bien d'une politique de zéro visa. Il faut trouver autre chose pour être efficace.

    Comme on le dit généralement, les solutions les plus simplistes sont les moins efficaces (sinon, on les aurait mises à l'œuvre depuis longtemps). Les responsables politiques ont toujours cette tentation prétentieux qu'avant eux, la lumière était éteinte et qu'avec eux, tout va réussir, alors que, ici, les idées du RN ne sont pas vraiment innovantes, c'est le moins qu'on puisse dire.


    Marine Le Pen a réclamé d'autres mesures sur le plan sécuritaire et pénal, qui semblent recevoir un écho favorable pour la majorité des députés (et ne devraient donc pas être la cause d'un renversement possible du gouvernement).


    La troisième ligne rouge : le scrutin proportionnel

    Je cite cette troisième et dernière condition pour ne pas censurer le gouvernement Barnier, qui est le
    mode de scrutin. J'y reviendrai très prochainement plus en détails.

    Quand on analyse les deux premières conditions, elles ne sont pas insurmontables. En quelque sorte, Marine Le Pen a choisi d'emballer convenablement son choix de ne pas censurer le gouvernement et de tenter d'y donner son influence. Tout ce tralala pour garder la face. C'est sans doute une stratégie payante à moyen terme, sauf si le gouvernement réussit trop bien.


    Ainsi, Marine Le Pen s'est positionnée totalement à l'opposé de l'affrontement permanent voulu par la gauche : « Si je prends l’engagement aujourd’hui de ne jamais céder, un seul instant, aux médiocres sirènes de la comédie des menaces de censure qui seraient fondées sur autre chose que l’observation impartiale de vos actes, c’est parce que c’est à vous, et à vous seul, qu’il appartient, par la juste prise en considération des mesures que je viens d’évoquer, de faire de cette période, autant que possible, un temps de construction et de service de l’intérêt général. Cet esprit d’ouverture ne doit pas être interprété comme un blanc-seing, pas plus que notre esprit républicain ne doit être assimilé à de la faiblesse, de l’irrésolution, voire une forme d’allégeance à un gouvernement que nous considérons davantage de circonstances que de convenance. ».

    Elle a même donné un argument patriotique à sa non-censure : « L’absence de direction gouvernementale signifierait mécaniquement, pour notre pays et pour les Français, une double servitude technocratique, française et surtout bruxelloise. Or le pays a besoin de décisions politiques, parfois fortes et exigeantes, qui ne peuvent émaner que de politiques et non d’administratifs, aussi dévoués soient-ils, ni, encore moins, d’instances supranationales, acquises à d’autres intérêts. ».

    À la fin de son discours, Marine Le Pen a été ovationnée, tous les membres de son groupe et de celui d'Éric Ciotti se sont levés, montrant aussi une manifestation de force dans l'hémicycle face à un Premier Ministre qui, à la fin de sa déclaration de politique générale, n'a eu que les membres du groupe LR (Droite républicaine) pour se lever et le saluer, les membres de l'ancienne majorité macroniste étant restés ostensiblement assis (ce qui, à mon sens, n'est politiquement pas très malin).

    Comme celui qui tombait du haut d'un immeuble, dans le film "La Haine" (de Mathieu Kassovitz, sorti le 31 mai 1995), Michel Barnier peut se dire à la veille du délicat débat budgétaire : "Jusqu'ici, tout va bien !". Mais, ne soyons pas trop rapide, regardons d'abord précisément qui votera (ou ne votera) pas la motion de censure ce mardi 8 octobre 2024. La première motion de censure, évidemment, car la gauche n'hésitera pas à en déposer régulièrement.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (05 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
    La quadrature du cercle de Michel Barnier.
     

     
     




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    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/02/article-sr-20241001-marine-le-pen.html