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france - Page 18

  • 40 ans de confusions dans l'Affaire Grégory

    « On a beaucoup parlé du juge Lambert. Ce n'est pas le fiasco d'un seul homme, hein, c'est le fiasco de tout le monde, cette histoire-là, y compris des journalistes, d'ailleurs. (…) C'est aussi pour ça qu'on en parle autant d'années après. Parce que cette affaire, au-delà de tous les ingrédients qu'elle regroupe, d'un petit enfant qui disparaît, d'une histoire familiale hors normes, d'un lieu hors normes, et d'un raté global de tout le monde, c'est pour ça qu'elle continue aujourd'hui à passionner aussi. » (Damien Delseny, rédacteur en chef adjoint du "Parisien", le 20 avril 2024 sur France 5).



     

     
     


    Sinistre anniversaire. Il faut l'imaginer aujourd'hui. Il aurait pu être un homme déjà bien accompli, quadragénaire à la quarantaine déjà bien entamée, un contre-maître comme son père, ou un avocat pour défendre les causes perdues, un juge pour bien faire la justice, ou encore un journaliste, mais avec une vraie déontologie, ou encore un romancier, celui de polars qui se lisent avec passion, fascination, interrogation... Hélas, il n'est pas tout cela.

    Au lieu de quoi, ce triste mardi 16 octobre 1984, dans la soirée, on a retrouvé le corps du petit
    Grégory, 4 ans (né le 24 août 1980 à Saint-Dié), dans son anorak, ligoté des poignets et des chevilles, le visage caché par son bonnet, sorti de l'eau de la Vologne, une rivière vosgienne, dont les journalistes charognards se sont emparé tout de suite de la photographie en toute indécence. Entre sa disparition (entre 17h05 et 17h30) et son assassinat (17h50), il n'y a eu que l'instant d'une haine, d'une horreur, d'une jalousie savamment entretenue par des secrets familiaux et la réussite sociale de ses parents.

    Est-ce la médiatisation, dès les premières heures, de ce drame sans nom, l'assassinat d'un gosse de 4 ans, plein de vie, plein de sourire, plein de soleil, qui n'a jamais rien fait de mal à personne, sinon jouer quelques minutes dans le jardin pendant que sa mère faisait du repassage en écoutant les
    Grosses Têtes à la radio, qui m'a embarqué, comme tant d'autres, dans cette folie de l'émotion ? Ou peut-être ma proximité géographique ? À l'époque, j'étais lorrain, et quand j'entendais certains protagonistes vosgiens, je croyais entendre certains membres de ma famille. Je me sentais concerné, je crois même que j'avais dû me baigner dans la Vologne quand j'étais petit (ou peut-être pas, c'était peut-être la rivière voisine ?).
     

     
     


    Quand je lisais le déroulé de "l'affaire" dans Wikipédia, il y a une petite rubrique chiffrée également présente dans les sujets guerriers ou les attentats : "Nombre de victimes". Et c'est indiqué : 1. Quelle erreur ! C'est la limite de la rédaction par des encyclopédistes citoyens. Moi, hélas, j'en ai déjà compté trois, voire quatre victimes.
     

     
     


    Il y a l'enfant, oui, bien sûr, mais aussi le cousin de son père, Bernard Laroche, accusé, inculpé, écroué le 5 novembre 1984, puis relâché le 4 février 1985, et finalement tué le 29 mars 1985 par le père de Grégory, Jean-Marie Villemin, d'un coup de fusil, croyant faire justice lui-même alors qu'en fait, par cet acte irréversible, il a empêché toute enquête possible sur ce potentiel suspect. Bernard Laroche, coupable ou pas, complice (auteur de l'enlèvement) ou pas, on ne le saura certainement jamais. Jean-Marie Villemin, qui a été condamné le 16 décembre 1993 à cinq ans de prison dont un avec sursis par la cour d'assises de la Côte-d'Or, a beaucoup regretté son geste, comme il l'a affirmé plus tard, le 3 octobre 2024, dans la préface d'une bande dessinée sur l'affaire : « J'ai craqué. J'ai pris la vie de mon cousin. Je resterai à jamais un assassin. Je le regrette tant. La vengeance n'est pas une solution. » ("Gregory" par Pat Perna et Christophe Gaultier, éd. Les Arènes).
     

     
     


    La troisième victime, c'est ce petit juge d'instruction Jean-Michel Lambert, trop jeune, trop immature, trop occupé (il n'avait pas qu'une seule affaire), trop inconscient de la gravité des choses, avec des décisions très déconcertantes, et son lynchage médiatique continu, plus, la goutte d'eau, la publication d'extraits des carnets de son successeur, le juge Maurice Simon, ancien résistant et président de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Dijon, qui l'aurait probablement conduit à se suicider le 11 juillet 2017, quelques heures après leur diffusion par BFMTV. C'était l'humiliation de trop, comme l'a affirmé plus tard sa veuve : « Les médias l'ont quelque part poussé au suicide, notamment un, qui a divulgué un extrait des carnets intimes du juge Simon [où mon époux est durement critiqué]. La presse, c'est une chose. Mais qu'un magistrat, un collègue l'attaque ainsi, c'était pour lui inconcevable. Quand vous voyez ça tourner en boucle toute la journée… S'il avait su, comme on l'a vu par la suite, que ce magistrat critiquait en réalité un peu tout le monde, ça lui aurait sans doute sauvé la vie. ».
     

     
     


    Dans ses carnets (dont il ne prévoyait certainement pas la publication et remis par son fils à la justice le 28 janvier 2016), Maurice Simon (qui est mort le 23 mai 1994), a décrit son prédécesseur ainsi : « On reste confondu devant les carences, les irrégularités, les fautes (…) ou le désordre intellectuel du juge Lambert. Je suis en présence de l'erreur judiciaire dans toute son horreur. » (14 septembre 1988). Dans une lettre juste avant son suicide, le juge Lambert a écrit : « Si j'ai parfois failli, j'ai cependant la conscience parfaitement tranquille quant aux décisions que j'ai ét amené à prendre. ». Dans cette lettre, également : « J’ai décidé de me donner la mort car je sais que je n’aurai plus la force désormais de me battre dans la dernière épreuve qui m’attendrait. ». Et d'insister : « Je proclame une dernière fois que Bernard Laroche est innocent. ».

    L'enquête s'était orientée vers la mère de l'enfant, Christine Villemin, qui a vécu une tragédie supplémentaire jusqu'à son non-lieu le 3 février 1993, rendu par la cour d'appel de Dijon, plus de sept années plus tard, écrouée pendant onze jours, perdant l'un des jumeaux qu'elle attendait parce qu'elle était enceinte à cette époque. Pour ajouter à la confusion, l'écrivaine Marguerite Duras a publié un article jugé délirant le 17 juillet 1985 dans "Libération" qui chargeait Christine Villemin et la justifiait d'être une mère infanticide ("Sublime, forcément sublime Christine V."). La veuve du juge, Nicole Lambert, a voulu préciser dans "Le Parisien" du 22 octobre 2019, que ce n'était pas son mari mais la cour d'appel de Dijon qui a pris la décision incompréhensible du renvoi de Christine Villemin devant la cour d'assises.(Le juge Lambert a pourtant effectivement demandé le renvoi de Christine Villemin devant la cour d'assises des Vosges, ce qui a eu lieu le 9 décembre 1986 par un arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Nancy qui a été cassé le 17 mars 1987).

    La quatrième victime, cela pourrait donc être l'enfant à naître, parmi les deux jumeaux, que Christine Villemin attendait en 1985 et qu'elle a perdu après avoir été mise en prison. On pourrait même parler d'une cinquième victime, puisque le juge Maurice Simon, qui avait retardé son départ à la retraite pour s'occuper de cette "affaire" (il avait une très bonne réputation de compétence et on lui avait demandé de reprendre l'enquête après sa délocalisation à Dijon par la Cour de Cassation le 17 mars 1987), n'a pas vraiment survécu à son enquête.

     

     
     


    Menacé de mort pendant son instruction, Maurice Simon a comparu en janvier 1990 devant la cour d'appel de Dijon (accusé par des protagonistes de l'affaire). Sa réaction le 25 janvier 1990 : « Toujours aucun signe de vie du premier président ni du procureur général. Cela s’appelle le soutien de la hiérarchie. ». Il a en effet été très affecté par cette comparution alors qu'il se disait près du but, ce qui a précipité une crise cardiaque le 28 janvier 1990 entraînant un coma de trois jours et une amnésie totale sur son enquête. Le 30 octobre 1987, il avait écrit : « Je pense aussi que je laisserai ma vie dans cette affaire. Peut-être que oui, peut-être que non ! En tout cas je porte Grégory dans mon cœur et dans mon âme. ». Le 5 septembre 1988 : « Je sens en effet que, contre toute apparence, les jours me sont comptés car les troubles se multiplient alors je réfléchis, je pense et je me prépare. J’ai d’ailleurs le sentiment que, d’une manière ou d’une autre, je ne verrai pas la fin de l’affaire de l’assassinat du petit Grégory Villemin. ». En son hommage, les époux villemin ont donné à leur quatrième enfant le prénom Simon (né en 1998).

    Du reste, Maurice Simon allait très loin dans ses réflexions puisqu'en juillet 1988, il a indiqué ses soupçons de manière très claire : « Il paraît certain que Bernard Laroche a bien enlevé le petit Grégory Villemin. Il me reste à trouver (…) qui a tué ce superbe enfant. (…) C'est clair, il ne faut pas découvrir le ou les vrais coupables parce que ce sont Laroche et consorts et qu'il y a derrière eux le parti communiste et des élus socialistes. Je m'explique mieux, dès lors, le culot des Bolle qui se croient tout permis. (…) Il existe une volonté absolue de ce côté-là de faire de l'obstruction. (…) Il est clair que c'est la panique et que l'on veut à tout prix m'empêcher d'entendre Murielle Bolle parce qu'on a peur qu'elle craque. ». Il faut rappeler que Bernard Laroche, lui aussi contre-maître (ce qui supprimerait la motivation de la jalousie du statut social), était délégué syndical CGT tandis que son cousin avait refusé, dans son entreprise, se syndiquer à la CGT. Une partie de la famille aurait été syndiquée à la CGT.

    Tout depuis le début, dans cette affaire, a été mauvais : les investigateurs de la gendarmerie, la justice incohérente, et surtout, les journalistes qui ont été abominables dans leur surenchère pour faire de l'audience. De très nombreuses erreurs ont eu lieu dès le début de l'enquête, par la perte de nombreuses indices etc. à tel point que la procédure judiciaire a été améliorée après les leçons de cette affaire. À cela, il faut aussi ajouter l'idéologie, car il y a eu un avocat ou des journalistes qui militaient pour le rétablissement de la
    peine de mort (abolie quelques années auparavant).
     

     
     


    La connaissance de la famille, plongée dans la jalousie, l'envie, des secrets qui remontent parfois à trois générations (un inceste qui a donné naissance à un enfant, et aussi un enfant de 4 ans tué par la violence de ses parents et le suicide du père dix ans plus tard par l'abandon de sa femme, la mort de Bernard Laroche à sa naissance et sa proximité comme frère de lait d'un frère de Jean-Marie Villemin, etc.). Dès 1981, la famille Villemin a été victime de nombreuses lettres anonymes et d'appels téléphoniques anonymes (de ceux qu'on a appelés les corbeaux, qui étaient plusieurs), parce que Jean-Marie Villemin a bien réussi dans sa vie professionnelle (il a rapidement été nommé contre-maître) et que le couple a pu s'acheter un pavillon avec jardin, etc. dans une campagne vosgienne à l'esprit rural encore très marqué.

    L'hypothèse de complicités, de plusieurs coupables, un qui aurait enlevé, un autre qui aurait tué, était envisageable. Le colonel Étienne Sesmat, le gendarme en charge de l'enquête au début (capitaine, il commandait la compagnie de gendarmerie d'Épinal), est toutefois convaincu du contraire, que l'auteur de l'enlèvement et de l'assassinat est le même, parce que cela s'est déroulé de manière très rapide, entre 17h05 et 17h45, que c'était imprévu (l'occasion de pouvoir enlever l'enfant dans le jardin chez lui), et qu'il n'y avait pas de téléphone mobile. Le courrier annonçant la mort de l'enfant par vengeance a été posté vers 17h50 au bureau de poste (arrivée le lendemain chez les Villemin). Le gendarme croit encore en 2024 en la culpabilité de Bernard Laroche, alors que sa veuve Marie-Ange Larouche, qui a maintenant un petit-fils de 14 ans, crie toujours à l'innocence de son mari mais n'espère plus de nouveaux rebondissements de "l'affaire".

     

     
     


    Le dernier rebondissement est récent puisqu'il a eu lieu le 20 mars 2024 quand la chambre d'instruction de la cour d'appel de Dijon a ordonné de nouvelles comparaisons d'ADN et d'autres expertises vocales sur les enregistrements des corbeaux (on peut maintenant déterminer scientifiquement l'identité vocale de chacun), selon les demandes des époux Villemin. Les preuves matérielles sont les cordelettes qui ont servi à attacher le malheureux enfant, l'écriture des courriers anonymes et la voix des appels anonymes, en sachant qu'il y a eu plusieurs corbeaux et qu'ils ne sont pas nécessairement les auteurs de l'assassinat.

    La seule chose positive dans cette affaire judiciaire, au contraire de celle liée au supposé suicide (et probable assassinat) du ministre
    Robert Boulin, c'est qu'elle n'est pas classée car il y a encore des investigations et des actes judiciaires, ce qui laisse encore l'espoir qu'on puisse connaître un jour la vérité. Repose bien aux cieux, petit Grégory !


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (12 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Le juge Jean-Michel Lambert.
    La relance judiciaire de l’affaire Grégory.
    Histoire encore à suivre.
    Documents sur l’affaire Grégory.
    40 ans de confusions dans l'Affaire Grégory.
    Philippine : émotion nationale, récupérations politiques, dysfonctionnements de l'État ?
    Viols de Mazan : quelques réflexions sur Pélicot et compagnie...
    Violence scolaire : quand une enseignante s'y met...
    Création du délit d'homicide routier : seulement cosmétique ?
    La France criminelle ?
    La nuit bleue de Lina.
    La nuit de Célya.
    La nuit d'Émile Soleil.
    Affaire Grégory : la vérité sans la boue ?
    Alexandra Sonac et sa fille adolescente.
    Harcèlement scolaire et refus d'obtempérer.
    Alisha, victime d’un engrenage infernal.
    À propos de la tragique disparition de Karine Esquivillon...
    Meurtre de Lola.
    Nos enseignants sont des héros.
    La sécurité des personnes face aux dangers.






















    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241016-affaire-gregory.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/40-ans-de-confusions-dans-l-256282

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/15/article-sr-20241016-affaire-gregory.html



     

  • La bienveillante sagesse d'Hubert Reeves : Tâche d'être à la hauteur de ta destinée !

    « Sache que, dans ce monde, il y a de la compassion et de l’amitié. Mais il y a aussi de la méchanceté, de la cruauté, de l’horreur. Tu y seras peut-être confronté. Refuse obstinément d’y participer. II en va de ta dignité d’être humain. » (Hubert Reeves, le 14 mai 2020).



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    L'astrophysicien
    Hubert Reeves, directeur de recherches au CNRS de 1965 à 1999, est mort à Paris il y a un an, le vendredi 13 octobre 2023, à l'âge de 91 ans. Sa disparition a ému largement au-delà du cercle très fermé de la "communauté scientifique" parce qu'il a été l'un des rares scientifiques très médiatisés. Avec son petit accent québécois très reconnaissable et son excellent talent de vulgarisateur, Hubert Reeves était connu du grand public par ses participations à la télévision, à la radio, dans la presse grand public. Il était même un succulent vulgarisateur, pas un qui simplifiait trop, voire qui infantilisait, mais un qui tentait de transmettre à la fois la complexité de l'univers et sa passion d'homme de science.

    Hubert Reeves aurait adoré vivre encore une année de plus, ne serait-ce que pour admirer ces aurores boréales qui se sont montrées en France (entre autres) dans la nuit du 10 au 11 octobre 2024 (on peut voir de très beaux clichés sur Internet),
    comme au mois de mai 2024.

    Sa caractéristique, qui a fait sa popularité, c'était une immense bienveillance. On ne sentait pas chez lui de la haine ni de l'agacement même face à des contradicteurs. Il avait ses idées, les autres avaient les leurs, et cela ne méritait pas de s'en faire une guerre. Il était un écologiste scientifique, à l'opposé d'un écologiste idéologue pour qui contraindre, punir, imposer, interdire sont la méthode de persuasion.

    Par exemple, cette chronique publiée en février 2007. C'est récent et en même temps, très ancien. Il voulait sensibiliser ses contemporains à la très grande richesse de l'eau : « À l'échelle cosmique, l'eau liquide est plus rare que l'or. Pour la vie, elle est infiniment plus précieuse. ». Et de compléter : « L'eau est un bien précieux. L'eau, c'est la vie. Toute personne assoiffée donnerait tout l'or du monde pour un verre d'eau. Mais pour que cette eau soit favorable à l'organisme humain, elle doit être potable. Une eau potable est celle qui peut être bue sans risque pour la santé. Donc les matières polluantes qu'elle contient doivent avoir une concentration ne mettant pas en danger la santé du consommateur. ».


    Puis, il a donné quelques chiffres, issus de l'OMS : « Plus d'un milliard de personnes sont privées d'approvisionnement en eau propre tandis que 2,6 milliards vivent dans des conditions d'assainissement qui ne sont pas satisfaisantes. ». Les exemples sont nombreux, et les pays les plus pauvres n'ont pas l'eau potable courante pour toute la populaire. À Madagascar, par exemple, certains doivent encore faire des kilomètres pour chercher de l'eau potable. Cela freine le développement d'une société. Hubert Reeves enfonçait donc une porte ouverte en disant : « L'eau potable est trop précieuse pour être gaspillée. ».

    Mais il croyait trop à la responsabilité individuelle pour s'arrêter à ce constant larmoyant, et aussi pour imaginer des mesures gouvernementales contraignantes (rationnement d'eau, taxation accrue proportionnellement à sa rareté, etc.). Les récentes trombes d'eau et crues ne doivent pas faire oublier que l'eau potable reste rare et précieuse. Ainsi, Hubert Reeves proposait à ses lecteurs de faire un petit quelque chose, une changement d'habitude pour les habitants d'une maison individuelle : « Évitons d'arroser nos pots de fleurs du balcon, et les plates-bandes des jardins, ou de laver la voiture avec l'eau du robinet. ». Le moyen ? Pas très compliqué : « Quand il pleut, l'eau coule sur les toits, rejoint les gouttières. Un récupérateur fixé sur le tuyau de descente de l'une d'elles dirigera le flot vers un récipient de collecte... ». Bref, il n'infantilisait pas disant par exemple de couper l'eau du robinet en se brossant les dents (une évidence) mais il suggérait quelques petits progrès, chacun à son niveau, à son échelle. Il n'a même pas évoqué l'idée de ne pas mettre d'eau potable pour la chasse d'eau des toilettes (c'est pourtant une hérésie de dilapider de l'eau potable pour simplement éjecter nos déjections !), parce que cela nécessiterait un gros investissement dans l'habitation, un doubleau réseau d'eau (potable, non potable) qui pourrait être très coûteux, au contraire d'un simplement récupérateur d'eaux pluviales pour l'arrosage du jardin.

    Cela dit, sa bienveillance n'empêchait pas les ronchons et les jaloux d'exister. Ainsi, on peut encore lire sur le site de Jean-Pierre Petit (à l'origine scientifique), cette petite phrase sibylline qui date du 21 septembre 2002 : « Le discours scientifique est en fait un discours de type religieux. La science a ses prêtres, ses Pangloss, comme Hubert Reeves, grand dispensateur de poussière d'étoiles, tel un moderne marchand de sable. Ses phrases commencent par "on pense que..." et pour qui sait suivre des discours sur de long laps de temps, elles évoluent, elles aussi. Vous avez sans doute entendu le scientifique dire "que le mythe de l'Atlantide" était simplement lié à l'explosion du volcan de Santorin, dans les îles Grecques. Je suis allé là-bas. Effectivement ça a du être quelque chose. Le ras-de-marée qui en a résulté a peut-être pulvérisé quelques civilisations côtières. Platon a peut-être aussi simplement fabulé, à moins qu'il ne s'agisse de l'effet du passage de cet astéroïde ferreux évoqué plus haut. ». Remarque malveillante d'autant plus incongrue et gratuite qu'elle ne démontrait rien, si ce n'était que même consensuelle, une personnalité bienveillante avait toujours des détracteurs (selon l'adage : on ne peut pas plaire à tout le monde).

     
     


    Hubert Reeves s'en moquait et préférait parler aux générations futures. Lors du choc terrible, psychologique, social, du premier confinement au printemps 2020, à cause du covid-19, France Inter a demandé à l'astrophysicien, comme à plein d'autres personnalités, d'écrire une lettre depuis chez eux, où ils étaient confinés, qui serait lue par le producteur Augustin Trapenard.

    La
    lettre d'Hubert Reeves a été écrite le jeudi 14 mai 2020 et sa lecture a été faite le lendemain, vendredi 15. Dans sa lettre, il s'adressait à un petit enfant à naître. On aurait pu croire que c'était juste un exercice de style, mais pas du tout, l'enfant existait bien, encore dans le ventre de sa mère, qu'il avait croisée à la Maison de la Radio où elle travaillait. Son message n'en a été que plus fort.

    Le chercheur avait le talent de replacer cette future naissance dans le contexte cosmique réel : « Quelque part dans l’immensité de l’univers, à la périphérie d’une galaxie appelée la Voie Lactée, près de l’étoile Soleil, sur la troisième planète de son système, la Terre, tu vas naître. Des myriades de petits spermatozoïdes vont monter à l’assaut dans le ventre obscur de ta mère. Le gagnant pénétrera son ovule et tu vas entrer dans l’existence. Tu es le fruit d’une longue gestation qui se poursuit depuis près de quatorze milliards d’années. Tout a commencé dans la lumière éblouissante d’un gigantesque et torride espace. Ne me demande pas ce qu’il y avait avant, je n’en sais rien. ».

    Car le scientifique a toujours été un poète et s'il citait
    Louis Aragon dans le catastrophisme, c'était aussi pour mieux insister sur le trésor de la culture humaine : « La durée de ton existence sera, au mieux, de l’ordre d’un siècle, une durée infime par rapport à celle de l’univers. Pendant ce temps il te sera possible d’explorer le monde et de prendre conscience de tes devoirs et de tes responsabilités. Tu auras à affronter le cycle de la vie humaine avec ses moments de grâces et ses crises. "De temps en temps la terre tremble", écrit le poète Louis Aragon. (…) Tu auras l’immense chance d’entrer en contact avec le grand trésor de la culture humaine. Accumulé depuis des millénaires, les œuvres d’art, musique, peinture, littérature qui ont contribué à embellir nos vies. Les réflexions des penseurs de toutes les cultures, qui se sont penchés sur les mystères de notre existence. Tu pourras t’approprier ce riche patrimoine, en faire ton profit, aider à le préserver contre l’oubli et peut-être y contribuer toi-même. Tu laisseras en héritage les fruits de ton activité pour que ceux qui viendront après toi poursuivent la grande aventure de l’univers. ».

    Et il a terminé par une citation d'un écrivain qui m'est cher,
    Albert Camus : « Fais en sorte qu’on dise de toi ces mots d’Albert Camus : "il y a des êtres qui justifient le monde, qui aident à vivre par leur seule présence". Tâche d’être à la hauteur de ta destinée. Ta vie y prendra son sens. Tu y trouveras ton bonheur. ».
     

     
     


    Ce qui était rassurant, c'est qu'Hubert Reeves, bien que plutôt pessimiste, depuis cinquante ans, sur les capacités des êtres humains à prendre en charge collectivement la sauvegarde de la planète, de leur planète (et de l'humanité par voie de conséquence), n'avait pas du tout un ton de Cassandre, ou du prophète Philippulus, ce ton de promesse de cataclysmes à venir et d'annonce d'apocalypse. Au contraire, il faisait confiance aux générations futures, leur demandait d'être des citoyens éveillés, instruits, fiers de ce qu'ils sont et guidant leurs congénères vers un progrès humain qui n'est pas seulement technologique mais aussi social. Ça nous change des vendeurs de désastres à la mauvaise foi débordante.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (12 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Lettre d'intérieur d'Hubert Reeves lue par Augustin Trapenard le 15 mai 2020 sur France Inter (audio et texte intégral).
    Poussières sur l'autre Reeves.
    La bienveillante sagesse d'Hubert Reeves.
    L'intelligence artificielle récompensée par les Nobel 2024 de Physique et de Chimie.
    Didier Raoult interdit d'exercer !
    2e rentrée scolaire contre les papillomavirus humains.
    Variole du singe (mpox) : "ils" nous refont le coup ?
    Covid : attention au flirt !
    Papillomavirus humains, cancers et prévention.
    Publications sur le papillomavirus, le cancer du col de l'utérus et l'effet de la vaccination anti-HPV (à télécharger).
    Émission "Le Téléphone Sonne" sur la vaccination contre les papillomavirus, sur France Inter le 3 mars 2023 (à télécharger).
    Le cancer sans tabou.
    Qu'est-ce qu'un AVC ?
    Lulu la Pilule.
    La victoire des impressionnistes.
    Science et beauté : des aurores boréales en France !
    Le Tunnel sous la Manche.
    Peter Higgs.
    Georges Charpak.
    Gustave Eiffel.
    Prix Nobel de Chimie 2023 : la boîte quantique ...et encore la France !
    Katalin Kariko et Drew Weissman Prix Nobel de Médecine 2023 : le vaccin à ARN messager récompensé !
    Covid : la contre-offensive du variant Eris.
    Prix Nobel de Physique 2023 : les lasers ultrarapides, la physique attoseconde... et la France récompensée !
    John Wheeler.
    La Science, la Recherche et le Doute.
    L'espoir nouveau de guérir du sida...
    Louis Pasteur.
    Howard Carter.
    Alain Aspect.
    Svante Pääbo.
    Frank Drake.
    Roland Omnès.
    Marie Curie.

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    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241013-hubert-reeves.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/la-bienveillante-sagesse-d-hubert-256970

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/11/article-sr-20241013-hubert-reeves.html




     

  • Anatole France, figure marquante de la Troisième République

    « Son œuvre ne surprit que doucement et agréablement par le contraste rafraîchissant d’une manière si mesurée avec les styles éclatants ou fort complexes qui s’élaboraient de toutes parts. Il sembla que l’aisance, la clarté, la simplicité, revenaient sur la Terre. Ce sont des déesses qui plaisent à la plupart. On aima tout de suite un langage qu’on pouvait goûter sans y trop penser, qui séduisait par une apparence si naturelle, et de qui la limpidité, sans doute, laissait transparaître parfois une arrière-pensée, mais non mystérieuse ; mais au contraire, toujours bien lisible, sinon toujours toute rassurante. Il y avait dans ses livres un art consommé de l’effleurement des idées et des problèmes les plus graves. Rien n’y arrêtait le regard, si ce n’est la merveille même de n’y trouver nulle résistance. Quoi de plus précieux que l’illusion délicieuse de la clarté qui nous donne le sentiment de nous enrichir sans effort, de goûter du plaisir sans peine, de comprendre sans attention, de jouir du spectacle sans payer ? Heureux les écrivains qui nous ôtent le poids de la pensée et qui tissent d’un doigt léger un lumineux déguisement de la complexité des choses ! » (Paul Valéry sur Anatole France, le 23 juin 1927 à l'Académie française).


     

     
     


    Avant-hier, c'était l'attribution du Prix Nobel de Littérature 2024 (à l'écrivaine sud-coréenne Han Kang). Un de ses lointains prédécesseurs, celui de 1921, était Anatole France. Il est mort il y a exactement cent ans, le 12 octobre 1924 à l'âge de 80 ans (il est né le 16 avril 1844 ; les hasards des nombres s'entrechoquent avec l'actualité, car Michel Blanc est né aussi un 16 avril). À l'annonce de sa mort, l'ancien et futur Président du Conseil Paul Painlevé, alors Président de la Chambre des députés, a exprimé ainsi son émotion : « Le niveau de l'intelligence humaine a baissé cette nuit-là. ».

    Pour son 80e anniversaire, le Cartel des gauches, qui venait de gagner les élections, a célébré le 24 mai 1924 le grand écrivain place du Trocadéro à Paris. À la mort, son corps, embaumé, fut exposé au public (reçut la visite du Président du Conseil Édouard Herriot et du Président de la République Gaston Doumergue le 17 octobre 1924) et il bénéficia d'obsèques quasi-nationales à Paris.

    Anatole France, également membre de l'Académie française, a marqué son temps avec ses œuvres littéraires, principalement des romans, mais aussi de la poésie et du théâtre ; il était aussi critique littéraire et journaliste (il a travaillé pour "Temps", "L'Union", "L'Humanité" et "Le Figaro"), et aussi collectionneur d'art. Il faut rappeler que la France est le pays qui compte le plus de Prix Nobel de Littérature (le dernier Français en date est la Française Annie Ernaux).

    Le bien nommé écrivain de langue française Anatole France m'a toujours fasciné, ne serait-ce que parce qu'on avait baptisé de son nom l'avenue la plus large de mon quartier quand j'étais enfant. Je la traversais souvent. Quand vous êtes petit et que vous comprenez peu les choses des grandes personnes, l'univers des noms de rue qui vous entourent est essentiel dans votre éveil intellectuel. Évoluer aux côtés d'Anatole France, Verlaine, Coriolis, Hoche, Gambetta, Charlemagne, Thiers, La Fayette, les Goncourt, etc., ça peut vous donner des envies de vous cultiver, même à 7-8 ans. Il faut dire que la plupart des noms de rues honorent des personnalités de la Troisième République, et Anatole France fut un de ces grands maîtres de la République-là.

    France n'était pas vraiment un patronyme. Son père s'appelait Noël Thibault (1805-1890), analphabète à 20 ans mais ensuite, propriétaire d'une librairie parisienne (appelée France-Thibault puis France) que fréquentaient de nombreux érudits, écrivains, journalistes, etc. notamment les frères Goncourt, parce qu'elle proposait des documents historiques de la période révolutionnaire.

    À l'origine, Anatole France aurait dû reprendre l'affaire paternelle et faire une belle carrière de libraire. Son père ne croyait pas du tout en l'avenir de ses premiers écrits. Ses premiers métiers furent néanmoins libraire et bibliothécaire et il a commencé dans la littérature en rédigeant des poèmes par amour pour une femme inaccessible (une jeune et belle actrice).

    Sa notoriété littéraire a débuté avec son roman "Le Crime de Sylvestre Bonnard" en 1881 (il a eu un prix de l'Académie française pour l'occasion). L'encyclopédie
    Wikipédia explique doctement que cette « œuvre [fut] remarquée pour son style optimiste et parfois féerique, tranchant avec le naturalisme qui [régnait] alors ». Il fut alors un écrivain prolifique (le site de l'Académie française a inventorié plus de 90 livres publiés entre 1859 et 1922 !), riche, très influent car devenu également critique littéraire, aux idées politiques plus ou moins vagues, plus ou moins conservatrices, d'abord opposé au général Boulanger, puis séduit par lui puis enfin déçu par lui.
     

     
     


    Pourrait-on même dire qu'il était l'équivalent de Jean-Paul Sartre ? C'est difficile de faire des comparaisons hors contexte, qui sont toujours foireuses, mais Anatole France n'était pas seulement un grand écrivain, il était un homme engagé, surtout, une conscience républicaine, comme la Troisième République savait en sécréter et savait les aimer et les honorer. Il était certes contemporain de Victor Hugo (inégalable écrivain du XIXe siècle), mais sans lui les quasiment trente dernières années de sa vie (Victor Hugo est mort en 1885). Ainsi, Anatole France a été membre de la Ligue des droits de l'homme, premier président du PEN Club français de 1921 à 1924 (son successeur est un autre écrivain emblématique de la Troisième République, Paul Valéry), une société savante international qui, depuis la fin de la guerre, promeut la liberté d'expression et les intérêts des écrivains, éditeurs, traducteurs, journalistes (élargi à blogueurs de nos jours), etc. (PEN signifie Poètes Essayistes Nouvellistes).

    Il a rejoint Émile Zola durant
    l'Affaire Dreyfus (il a déposé devant le tribunal le 19 février 1898 comme témoin de moralité d'Émile Zola, a rendu sa Légion d'honneur lorsqu'on a retiré à Émile Zola la sienne, etc.), a dénoncé le génocide arménien, et, plus généralement, a soutenu de nombreuses causes politiques au fil de son existence (il s'est rapproché de Jean Jaurès, a promu la laïcité, les droits syndicaux, s'est opposé à la politique coloniale, etc.).

    Comme signalé au début, Anatole France a été élu à l'Académie française le 23 janvier 1896 au fauteuil 38. Il a succédé à Ferdinand de Lesseps qui venait de mourir le 7 décembre 1894, mais aussi à Adolphe Thiers et Henri Martin. Il a été reçu sous la Coupole le 24 décembre 1896 par le pédagogue Octave Gréard, futur vice-recteur de Paris. Son successeur direct fut Paul Valéry, puis Henri Mondor, et l'avant-dernier,
    François Jacob. Il a rendu un hommage remarqué à Émile Zola et à Ernest Renan.

    Longtemps parmi les "candidats" potentiels aux Nobels (cité en 1904, 1909, 1910, 1911, 1912, 1913, 1915 et 1916), Anatole France fut désigné Prix Nobel de Littérature en 1921 « en reconnaissance de ses brillantes œuvres littéraires, caractérisées par une noblesse de style, une profonde sympathie humaine, de la grâce et un véritable tempérament gaulois ».


    Parmi les adjectifs qui peuvent le mieux qualifier Anatole France, il y a bien sûr indépendant, intellectuellement indépendant. Lorsqu'il l'a reçu à l'Académie française le 24 décembre 1896, Octave Gréard lui a déclaré entre autres : « L’œuvre de la raison humaine, quelques fins qu’elle poursuive, est pour vous inviolable. Vous n’y souffrez ni limites ni entraves. Que si certaines philosophies ne peuvent entrer dans l’ordre des faits que sous une forme dangereuse pour la société, il faut les châtier, dès qu’elles se traduisent en actes : la vie doit s’appuyer sur une morale simple et précise. Mais les droits de la pensée n’en demeurent pas moins intangibles. La pensée porte en elle-même sa légitimité. Ne disons jamais qu’elle est immorale. Elle plane au-dessus de toutes les morales. L’homme ne serait pas l’homme, s’il ne pensait librement. Cette indépendance sans réserve que vous revendiquez pour tous, vous la pratiquez pour vous. À vingt ans, vous vous plaigniez naïvement de n’avoir pas trouvé une explication du monde, en une matinée, sous les platanes du Luxembourg. Et la joie vous transporte, quand, quelques années après, à la lumière des idées de Darwin, vous croyez avoir surpris le plan divin. Ce n’était qu’une étape vers la religion d’Épicure, où votre esprit a trouvé l’apaisement, sinon le repos. Le monde n’est qu’un assemblage de phénomènes, la vie un perpétuel écoulement. Mesurée, discrète, sans aucun sacrifice de sincérité, mais toujours élevée dans l’expression, partout où vous la prenez directement à votre compte, l’apologie de la doctrine, lorsque vous la confiez à l’abbé Jérôme Coignard, se donne carrière sans ménagement ni scrupule. ».
     

     
     


    Dans les faits, Anatole France a eu une sorte de consécration inversée : le 31 mai 1922, l'ensemble de son œuvre a été frappée d'une condamnation papale. De même, le mouvement surréaliste a beaucoup critiqué l'œuvre d'Anatole France, en particulier Louis Aragon : « Je tiens tout admirateur d'Anatole France pour un être dégradé. ». Selon l'agrégé de lettres classiques Claude Aziza : « La réputation de France devient ainsi celle d’un écrivain officiel au style classique et superficiel, auteur raisonnable et conciliant, complaisant et satisfait, voire niais, toutes qualités médiocres que semble incarner le personnage de M. Bergeret. Mais nombre de spécialistes de l’œuvre de France considèrent que ces jugements sont excessifs et injustes, ou qu’ils sont même le fruit de l’ignorance, car ils en négligent les éléments magiques, déraisonnables, bouffons, noirs ou païens. Pour eux, l’œuvre de France a souffert et souffre encore d’une image fallacieuse. D'ailleurs M. Bergeret est tout le contraire d'un conformiste. On lui reproche toujours de ne rien faire comme tout le monde, il soumet tout à l'esprit d'examen, s'oppose fermement, malgré sa timidité, aux notables de province au milieu desquels il vit, il est l'un des deux seuls dreyfusistes de sa petite ville… » (Wikipédia). M. Bergeret est le personnage central de "Monsieur Bergeret à Paris" (sorti en 1901).

    Dans son hommage à Anatole France, Paul Valéry a jugé son œuvre littéraire ainsi : « C’est qu’il y avait en lui une souplesse et une diversité essentielles. Il y avait du spirituel et du sensuel, du détachement et du désir, une grande et ardente curiosité traversée de profonds dégoûts, une certaine complaisance dans la paresse ; mais paresse songeuse, paresse aux immenses lectures et qui se distingue mal de l’étude, paresse tout apparente, pareille au repos d’une liqueur trop enrichie de substance et qui, dans ce calme, se fait mère de cristaux aux formes parfaites. Tant de connaissances accumulées, tant d’idées qu’il avait acquises n’étaient pas quelquefois sans lui nuire extérieurement. Il étonnait, il scandalisait sans effort des personnes moins variées. Il concevait une quantité de doctrines qui se réfutaient l’une dans l’autre dans son esprit. Il ne se fixait que dans les choses qu’il trouvait belles ou délicieuses, et il ne retenait en soi que des certitudes d’artiste. Ses habitudes, ses pensées, ses opinions, la politique enfin qu’il a suivie se composaient dans une harmonie assez complexe qui n’a pas laissé d’émerveiller ou d’embarrasser quelques-uns. Mais qu’est-ce qu’un esprit de qui les pensées ne s’opposent aux pensées, et qui ne place son pouvoir de penser au-dessus de toute pensée ? Un esprit qui ne se déjoue, et ne s’évade vivement de ses jugements à peine formés, et ne les déconcerte de ses traits, mérite-t-il le nom d’esprit ? Tout homme qui vaut quelque chose dans l’ordre de la compréhension, ne vaut que par un trésor de sentiments contradictoires, ou que nous croyons contradictoires. Nous exprimons si grossièrement ce qui nous apparaît des autres humains qu’à peine nous semblent-ils plus divers et plus libres que nous-mêmes, aussitôt, nos paroles qui essayent de les décrire, se contrarient et nous attribuons à des êtres vivants, une monstrueuse nature que nos faibles expressions viennent de nous construire. Admirons au contraire cette grande capacité de contrastes. Il faut considérer avec une attention curieuse, cette nature d’oisif, ce liseur infini, produire une œuvre considérable ; ce tempérament assez voluptueux s’astreindre à l’ennui d’une tâche constante ; cet hésitant, qui s’avance comme à tâtons dans la vie, procéder de sa modestie première, s’élever au sommet par des mouvements indécis ; ce balbutiant, en venir à déclarer même violemment les choses les plus hardies ; cet homme d’esprit, et d’un esprit si nuancé, s’accommoder d’être simplifié par la gloire et de revêtir dans l’opinion des couleurs assez crues ; ce modéré et ce tempéré par excellence, prendre parti, avec une si grande et étonnante vigueur dans les dissensions de son temps ; cet amateur si délicat faire figure d’ami du peuple, et davantage, l’être de cœur et tout à fait sincèrement. ».


    Et d'ajouter : « Sceptique et satirique devait être un esprit que distinguait son extrême avidité de tout connaître. Son immense culture lui fournissait abondamment les moyens de désenchanter. Il rendait aisément mythique et barbare toute forme sociale. Nos usages les plus respectables, nos convictions les plus sacrées, nos ornements les plus dignes, tout était invité, par l’esprit érudit et ingénieux, à se placer dans une collection ethnographique, à se ranger avec les taboos, les talismans, les amulettes des tribus ; parmi les oripeaux et les dépouilles des civilisations déjà surmontées et tombées au pouvoir de la curiosité. Ce sont des armes invincibles que l’esprit de satire trouve dans les collections et les vestiges. Il n’est de doctrine, d’institution, de sociétés ni de régimes sur qui ne pèse une somme de gênants souvenirs, de fautes incontestables, d’erreurs, de variations embarrassantes, et parfois des commencements injustes ou des origines peu glorieuses que n’aiment point les grandeurs et les prétentions ultérieures. Les lois, les mœurs, les institutions sont l’ordinaire et délectable proie des critiques du genre humain. Ce n’est qu’un jeu que de tourmenter ces entités considérables et imparfaites que poursuit d’âge en âge la tradition de les harceler. Il est doux, il est facile, périlleux quelquefois, de les obséder d’ironies. Le plaisir de ne rien respecter est le plus enivrant pour certaines âmes. Un écrivain qui le dispense aux amateurs de son esprit les associe et les ravit à sa lucidité impitoyable, et il les rend avec délices semblables à des dieux, méprisant le bien et le mal. ».
     

     
     


    Je propose ici quelques extraits de l'œuvre d'Anatole France.

    Sur la vie humaine : « Plus je songe à la vie humaine, plus je crois qu'il faut lui donner pour témoins et pour juges l'Ironie et la Pitié. L'Ironie et la Pitié sont deux bonnes conseillères; l'une, en souriant, nous rend la vie aimable, l'autre, qui pleure, nous la rend sacrée. L'Ironie que j'invoque n'est point cruelle. Elle ne raille ni l'amour ni la beauté. Elle est douce et bienveillante. Son rire calme la colère, et c'est elle qui nous enseigne à nous moquer des méchants et des sots que nous pourrions, sans elle, avoir la faiblesse de haïr. ».

    Sur la pensée par soi-même : « À mesure qu'on avance dans la vie, on s'aperçoit que le courage le plus rare est celui de penser. ».

    Sur la curiosité : « Pour digérer le savoir, il faut l’avoir avalé avec appétit. ».

    Sur l'enseignement : « Tout l'art d'enseigner se résume à éveiller la curiosité naturelle des jeunes esprits pour la satisfaire ensuite. ».

    Sur l'action politique : « Il est dans la nature humaine de penser sagement et d'agir d'une façon absurde. ».

    Sur la guerre : « On croit mourir pour la patrie, on meurt pour des industriels. ».

    Clivage : « J'ai toujours préféré la folie des passions à la sagesse de l'indifférence. ».

    Dans "Jocaste et le Chat maigre" (1879) : « Il n'aimait pas ces courses au vent et à la pluie. Pour s'en dispenser, il se faisait admettre par ses grimaces à l'infirmerie, où il se pelotonnait sous ses couvertures comme un boa dans une vitrine de muséum. ».

    Dans "La Rôtisserie de la reine Pétauque" (1892), des prémices véganes : « Un honnête homme ne peut sans dégoût manger la chair des animaux et les peuples ne peuvent se dire polis tant qu'ils auront dans leurs villes des abattoirs et des boucheries. Mais nous saurons un jour nous débarrasser de ces industries barbares. ».

    Dans "Le Jardin d'Épicure" (1894) : « Nous appelons dangereux ceux qui ont l'esprit fait autrement que le nôtre et immoraux ceux qui n'ont point notre morale. Nous appelons sceptiques ceux qui n'ont point nos propres illusions, sans même nous inquiéter s'ils en ont d'autres. ». Et aussi : « L'espèce humaine n'est pas susceptible d'un progrès indéfini. Il a fallu pour qu'elle se développât que la terre fût dans de certaines conditions physiques et chimiques qui ne sont point stables. Il fut un temps où notre planète ne convenait pas à l'homme : elle était trop chaude et trop humide. Il viendra un temps où elle ne lui conviendra plus : elle sera trop froide et trop sèche. Quand le soleil s'éteindra, ce qui ne peut manquer, les hommes auront disparu depuis longtemps. Les derniers seront aussi dénués et stupides qu'étaient les premiers. Ils auront oublié tous les arts et toutes les sciences, ils s'étendront misérablement dans des cavernes, au bord des glaciers qui rouleront alors leurs blocs transparents sur les ruines effacées des villes où maintenant on pense, on aime, on souffre, on espère. ».

    Dans "Crainquebille" (1904), apologie pour le président Bourriche : « Ce dont il faut louer le président Bourriche, lui dit-il, c’est d’avoir su se défendre des vaines curiosités de l’esprit et se garder de cet orgueil intellectuel qui veut tout connaître. En opposant l’une à l’autre les dépositions contradictoires de l’agent Matra et du docteur David Matthieu, le juge serait entré dans une voie où l’on ne rencontre que le doute et l’incertitude. La méthode qui consiste à examiner les faits selon les règles de la critique est inconciliable avec la bonne administration de la justice. Si le magistrat avait l’imprudence de suivre cette méthode, ses jugements dépendraient de sa sagacité personnelle, qui le plus souvent est petite, et de l’infirmité humaine, qui est constante. Quelle en serait l’autorité ? On ne peut nier que la méthode historique est tout à fait impropre à lui procurer les certitudes dont il a besoin. ».

    Dans "L'Île des pingouins" (1908) : « Sans doute les raisons scientifiques de préférer un témoignage à un autre sont parfois très fortes. Elles ne le sont jamais assez pour l'emporter sur nos passions, nos préjugés, nos intérêts, ni pour vaincre cette légèreté d'esprit commune à tous les hommes graves. En sorte que nous présentons constamment les faits d'une manière intéressée ou frivole. ». Compétence politique : « Il a déjà trahi son parti pour un plat de riz. C’est l’homme qu’il nous faut ! » (On dirait de nos jours "pour un plat de lentilles", cf
    Olivier Faure vendu à Jean-Luc Mélenchon).

    Dans "Les Dieux ont soif" (1912), sur le vivre ensemble : « La nature nous enseigne à nous entre-dévorer et elle nous donne l'exemple de tous les crimes et de tous les vices que l'état social corrige ou dissimule. On doit aimer la vertu ; mais il est bon de savoir que c'est un simple expédient imaginé par les hommes pour vivre commodément ensemble. Ce que nous appelons la morale est une entreprise désespérée de nos semblables contre l'ordre universel, qui est la lutte, le carnage et l'aveugle jeu de forces contraires. Elle se détruit elle-même et plus j'y pense, plus je me persuade que l'univers est enragé. ».


    Dans "La Révolte des anges" (1914) : « Il faut aimer qui nous aime. La souffrance nous aime et s'attache à nous. Il faut l'aimer si l'on veut supporter la vie ; et c'est la force et la bonté du christianisme de l'avoir compris... Hélas! je n'ai pas la foi, et c'est ce qui me désespère. ».

    Et je conclus par l'amour de la langue. Dans "Les Matinées de la Villa Saïd" (sorti en 1921 chez Grasset), Anatole France a déclaré son amour au français (un tantinet sexiste !) : « La langue française est une femme. Et cette femme est si belle, si fière, si modeste, si hardie, touchante, voluptueuse, chaste, noble, familière, folle, sage, qu'on l'aime de toute son âme, et qu'on n'est jamais tenté de lui être infidèle. ». Anatole a aussi écrit : « Un dictionnaire, c'est l'univers par ordre alphabétique. ». Qu'il puisse faire des émules, qu'on puisse toujours chérir la langue française et surtout la respecter sans trop l'estropier !



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (12 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Anatole France.
    Alexandre Dumas fils.
    François Guizot.
    Laura Blajma-kadar.
    Jean-Pierre Elkabbach.
    Jean-Louis Debré.
    Brigitte Bardot.
    Édouard Philippe.
    Edgar Morin.
    Bernard Pivot.
    Yves Duteil.
    Pierre Perret.
    Françoise Hardy.
    Paul Auster.
    Christine Ockrent.
    Dominique Baudis.
    Racine.
    Molière.
    Frédéric Dard.
    Alfred Sauvy.
    George Steiner.
    Françoise Sagan.
    Jean d’Ormesson.
    Les 90 ans de Jean d’O.

     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241012-anatole-france.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/anatole-france-figure-marquante-de-257035

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/12/article-sr-20241012-anatole-france.html



     

  • Motion de censure : le quart d'heure de gloire d'Olivier Faure

    « Je me sens bien parmi vous. Vous ne m’en voudrez pas de dire quelques mots au député Olivier Faure, que j’ai écouté avec attention, même si ce n’était pas facile jusqu’au bout ! » (Michel Barnier, le 8 octobre 2024 dans l'hémicycle).



     

     
     


    La journée du mardi 8 octobre 2024 a été pour le gouvernement de Michel Barnier l'épreuve du feu, la double épreuve du feu, et il ne s'en est pas mal tiré. L'épreuve du feu, c'est d'abord l'examen de la première motion de censure de la législature, déposée par les 192 députés de la nouvelle farce populaire (NFP) le 4 octobre 2024. En difficulté avec ses camarades socialistes qui réclament avec bruit et fracas un nouveau congrès du PS pour se désolidariser de Jean-Luc Mélenchon, le premier secrétaire du PS Olivier Faure a obtenu de ses donneurs d'ordre insoumis son quart d'heure de gloire : c'était à lui de défendre cette première motion de censure.

    Malheureusement pour lui, ce quart d'heure, qui, en fait, n'était que de treize minutes, n'aurait dû durer que dix minutes, mais dans son "envolée lyrique", le "leader" socialiste, qui s'était présenté il y a quelques jours comme un social-démocrate mélenchonien pour faire taire toutes les velléités de congrès de ses camarades du PS, n'a pas su terminer en beauté ses tirades, la conclusion flanchant dans la coupure de micro (au grand dam des députés du NFP) parce qu'il était trop long, d'où cette sortie spontanée de la présidente de séance,
    Yaël Braun-Pivet un peu désolée de sa tolérance et de son laxisme, avec un joli tutoiement : « Vous n'avez plus le micro, vous n'avez plus la parole ! Monsieur le député, je vous demande de quitter la tribune, s'il vous plaît... Non, mais tu as débordé de plus de deux minutes, ça va ! ».

    Tutoiement qui n'a pas été retranscrit dans le compte rendu intégral du Journal officiel. Cette coupure de micro lui a valu la petite vacherie du début de la réponse de Michel Barnier qui, décidément, a adopté un style très caustique et britannique : du fiel balancé comme de l'huile bouillante mais avec courtoisie et éducation, ce qui change un peu des insultes et des débordements habituels des députés du NFP/Nupes depuis 2022.


    Il faut dire que l'hémicycle était assez clairsemé. Certes, à gauche, quasiment tous les bancs était occupés, mais à part les orateurs des autres groupes, c'était quasiment vide. Normal pour une motion de censure : soit on la vote, soit on ne vote pas, et dans ce cas-là, pas la peine d'être présent.

    Reconnaissons que le discours d'Olivier Faure était bien tourné sur la forme. Bien sûr, il pêchait sur le fond du péché originel de cette législature en faisant croire que le NFP avait gagné les élections : « Jamais, monsieur le Premier Ministre, vous n’auriez dû vous tenir devant moi et siéger sur ces bancs avec un gouvernement qui, lui non plus, n’aurait jamais dû être nommé. (…) Je vous le demande sans détour, monsieur le Premier Ministre : si nous ne parlions pas de vous et si nous étions dans un autre pays que la France, comment qualifieriez-vous votre propre nomination ? Vous seriez le premier à dénoncer un hold-up électoral et sans doute à décrire un régime illibéral. (…) Vous avez appelé au compromis. Alors chiche ! Vous avez contracté une dette démocratique en acceptant la fonction de Premier Ministre alors que votre parti était arrivé en cinquième position aux législatives. Vous avez un moyen de l’honorer en acceptant d’avancer sur la base de nos amendements. Nous jugerons alors si vous êtes sincère ou si, derrière vos professions de foi, vous entendez vous limiter à tout votre programme, rien que votre programme. ».
     

     
     


    La réponse du Premier Ministre était, une fois pour toutes, la démonstration que non, ce n'était pas parce que Jean-Luc Mélenchon le proclamait que c'était vrai, le NFP n'a pas gagné les élections : « Par cette motion de censure, c’est son premier motif, vous intentez à nouveau une sorte de procès en illégitimité au gouvernement. Vous avez de la suite dans les idées ! Je n’ai pas besoin que l’on rappelle au gouvernement, à présent au travail, qu’il est minoritaire dans cette enceinte. Je le sais. Dans cet hémicycle, il n’existe d’ailleurs de majorité absolue pour personne ! Il se trouve ici 577 députés qui sont tous et chacun élus de la République et méritent à ce titre qu’on les respecte de la même manière. C’est mon cas. Il n’y a de majorité absolue pour personne ; il y a simplement des majorités relatives. C’est le choix du peuple français. Parmi ces majorités, la moins relative est celle qui accompagne le gouvernement. La participation au gouvernement de femmes et d’hommes issus des différents groupes composant cette majorité permet d’en faire le constat. Je ne veux pas perdre de temps dans des polémiques. Vous pouvez dire ce que vous voulez : c’est la réalité ! La majorité relative qui soutient le gouvernement fait preuve à son égard de vigilance. Je sais qu’elle est relative et qu’elle ne se montre pas toujours complaisante ; je ne le lui demande d’ailleurs pas. Elle est en tout état de cause composée de plusieurs groupes et elle est la moins relative, quoi que vous racontiez, monsieur Faure ! C’est la vérité ! ».

    Au-delà de sa motion de censure préventive (elle a été annoncée avant même la nomination de Michel Barnier à Matignon, c'est dire qu'elle était réfléchie !), Olivier Faure a également évoqué d'autres sujets de contrariété, notamment, bien entendu, le projet de loi de finances même si celui-ci n'a pas encore été déposé, donc, là aussi, par procès d'intention : « Au sein de votre attelage baroque, dois-je encore mentionner le musée des horreurs proposé par votre propre parti, qui suggère de faire 50 milliards d’économies directement tirées du vestiaire de l’extrême droite ? Ce serait la fin de l’aide médicale de l’État et des coupes claires dans l’hébergement d’urgence et dans l’aide publique au développement ? Monsieur le Premier Ministre, vous nous avez dit vouloir "faire beaucoup avec peu, en partant de presque rien". Dans les faits, vous voulez faire beaucoup avec les gens de peu et presque rien avec ceux qui ont tout. ». Dans l'assistance, le député LR Pierre Cordier a lancé cette pique vacharde : « Il a passé tout le week-end sur cette [dernière] phrase ! ». Insignifiante car excessive.

    La réponse de Michel Barnier : « La réalité, que nous devons dire aux Français dans toutes les circonscriptions, est que nous dépensons trop, que nous dépensons de l’argent que nous n’avons pas et que nous empruntons à des taux qui s’éloignent désormais de ceux qui s’appliquent à nos voisins européens. De ce fait, les intérêts de la dette s’élèvent chaque année à 55 milliards d’euros, soit 800 euros par Français, qu’il s’agisse d’un bébé d’un mois ou d’une personne âgée de 80 ans. Cela ne peut pas continuer ! Sauf à susciter, tout autour de nous comme sur notre territoire, de la défiance s’agissant de notre capacité à gérer les finances publiques dans le souci des générations futures, au détriment desquelles je crois que nous n’avons pas le droit de signer des chèques en blanc ou en bois. Si cette défiance s’installait, elle nous exposerait tous très gravement, à commencer par les Français les plus modestes et les plus faibles. Pour l’éviter, nous devons redresser nos comptes, réduire les dépenses publiques, dépenser moins et mieux, de manière plus efficace. Nous demanderons, au titre de ce que j’ai appelé la justice fiscale, une contribution exceptionnelle à un nombre limité de grandes entreprises et aux Français les plus fortunés, après avoir consacré l’essentiel de notre effort à la réduction et à la maîtrise de la dépense publique. Dans la discussion qui va s’ouvrir, je compte sur les propositions constructives des uns et des autres afin que, dans le cadre qui nous contraint, nous coconstruisions le budget. Chacun prendra ses responsabilités. Je prendrai les miennes avec la conviction qu’il vaut toujours mieux essayer d’être responsable que de chercher à être populaire. Cette logique de responsabilité vaut également sur la question des retraites, que vous avez mentionnée. Notre système de retraite par répartition est un atout. Nous voulons en préserver dans la durée l’équilibre financier issu de la réforme. Si les partenaires sociaux le souhaitent, nous pouvons toutefois corriger, améliorer la loi du 14 avril 2023, qui présente certaines limites. Je pense aux retraites progressives, à l’usure professionnelle, à l’égalité entre les hommes et les femmes face à la retraite. D’autres champs sont et seront ouverts au dialogue social. Je suis depuis longtemps convaincu que la cohésion sociale au sein des entreprises, quelle que soit leur taille, et dans la société constitue un facteur de compétitivité pour notre pays. (…) Qu’il s’agisse de ces importantes questions environnementales ou de toutes les autres, l’attractivité de la France, le combat pour l’emploi, qui se poursuivra pour continuer de réduire le chômage, dont vous n’avez pratiquement pas parlé, les finances publiques, la sécurité ou l’immigration, je vous demande simplement de juger le gouvernement sur ses actes. ».

    Autre argument fort (et particulièrement stupide), le RN serait l'allié du gouvernement : « En l’absence de vrais compromis avec la gauche, vous ne demeurerez à Matignon que par le consentement de l’extrême droite à laquelle vous devrez donner des gages. Votre ministre de l’intérieur, qui a déjà fait ce choix, multiplie les déclarations pour complaire au RN, passant du front républicain à l’affront républicain. ». Dans l'assistance, le député LR Philippe Gosselin a balancé : « Ce n'est qu'un florilège de formules ! ».

    Et l'orateur socialiste mélenchonisé de poursuivre : « En légitimant chaque jour l’extrême droite, votre gouvernement finira par n’être qu’un simple ascenseur pour l’échafaud. Le front républicain n’est certes pas un programme commun mais il crée, au minimum, pour ceux qui ont la République en héritage, une obligation commune : celle de répondre à ces millions de femmes et d’hommes qui n’ont que leur travail pour vivre et qui en vivent si mal. (…) Ce n’est pas la France qu’il faut rendre aux Français, ils ne l’ont jamais perdue. C’est un avenir qu’il faut leur rendre. (…) Votre gouvernement porte en lui les germes d’une contre-révolution conservatrice. ».

    Il a été ensuite sèchement coupé par la Présidente de l'Assemblée Nationale parce qu'il ne respectait pas la règle du temps de parole. Ce qui fait que son discours aux formules savamment recherchées a fait un peu l'impression d'un bide par manque de conclusion, il ne suffit pas de pondre quelques belles formules, il faut pouvoir les dire dans le temps donné.


    Le Premier Ministre Michel Barnier a esquissé un petit sourire de jubilation lorsqu'il a pris la parole pour répondre à Olivier Faure : « Monsieur Faure, je vous ai écouté présenter cette motion de censure, qui, très franchement, ne constitue pas une surprise. En effet, lors des conversations que nous avons eues au lendemain de ma nomination et qui ne sont pas secrètes, vous m’indiquiez, avant même que j’ouvre la bouche, que je constitue le gouvernement, que je fasse ma déclaration de politique générale, que vous alliez me censurer. C’est en quelque sorte une motion de censure a priori. ».


    Au-delà des réponses du Michel Barnier, cette journée du 8 octobre 2024 était bel et bien une troisième étape pour le Premier Ministre, après la (délicate) désignation du gouvernement et la déclaration de politique générale.

    Le résultat du vote sur la motion de censure a été annoncé par Yaël Braun-Pivet à 19 heures 40 : « Voici le résultat du scrutin. Majorité requise pour l’adoption de la motion de censure, soit la majorité absolue des membres composant l’Assemblée : 289. Pour l’adoption : 197. La majorité requise n’étant pas atteinte, la motion de censure n’est pas adoptée. ».

    La motion de censure n'a pas été adoptée : pour le coup, cela doit clore définitivement le débat sur
    Lucie Castets à Matignon. Le NFP a été incapable de démontrer qu'il avait gagné dans l'hémicycle puisqu'il n'est même pas capable de renverser un gouvernement. Et il faut aussi en finir sur la supposée alliance avec le RN : Olivier Faure a fait dans sa présentation une faute de logique grave ! En effet, il a renversé la charge de la preuve : ce n'est pas au gouvernement de démontrer qu'il a une majorité, ce qu'il n'a pas et Michel Barnier l'a bien rappelé, d'où l'absence d'un vote de confiance le 1er octobre 2024, qui aurait été probablement négatif, mais c'est au NFP de démontrer que leurs arguments étaient majoritaires. Or, ce mardi soir, clairement, ce n'était pas le cas. Pendant trois mois, la gauche ultradicalisée a pollué le débat politique sur cette réalité alternative d'avoir gagné les élections. Ce soir, cette réalité alternative s'est définitivement heurtée contre le mur de la réalité des chiffres : seulement 197 députés sur 289 ont voté pour cette (première) motion de censure.

    Parmi les 197 députés, il faut compter 4 députés LIOT (dont Olivier Serva) et 1 député non-inscrit. En revanche, parmi les groupes du NFP, il a manqué à l'appel la voix du député communiste Emmanuel Tjibaou (fils de
    Jean-Marie Tjibaou), absent et probablement retenu dans sa circonscription en Nouvelle-Calédonie. Contrairement à ce que certains commentateurs supputaient, aucun député du socle gouvernemental (comme on l'appelle maintenant, à savoir LR, EPR, Horizons et MoDem) n'a voté pour la motion de censure. Ce qui était cohérent.

    Donc, on peut dire que si l'échec de cette motion de censure était prévisible puisque le RN avait déjà annoncé qu'il ne la voterait pas (et pour cause : le RN refusait d'approuver la double idée que le NFP était vainqueur des élections et que le RN était allié au gouvernement !), c'était néanmoins un échec encore plus important que prévu. Car il faut comparer ce score, 197 députés, avec le score du candidat au perchoir André Chassaigne le 18 juillet 2024, qui avait réussi à recueillir 206 voix et pas seulement 197. C'est donc pour la gauche mélenchoniste un désaveu plus important que prévu de la part de l'Assemblée Nationale.

    Ce mardi 8 octobre 2024 fut une journée doublement noire pour le NFP, comme j'ai évoqué au début la double épreuve du gouvernement de cette journée, même si cela ne concerne pas directement le Premier Ministre mais le Président de la République. Tenue dans la matinée à l'Hôtel de Lassay, la conférence des présidents qui rassemble l'ensemble des leaders qui comptent dans l'Assemblée (vice-présidents, présidents de groupe et présidents de commissions permanentes), ayant pour but de fixer les ordres du jour avec la participation du gouvernement, a rejeté l'examen de la stupide
    motion de destitution déposée contre Emmanuel Macron par Mathilde Panot.

    Le compte rendu affirme : « Proposition de résolution visant à réunir le Parlement en Haute Cour : la conférence des présidents a refusé l’inscription à l’ordre du jour de la proposition de résolution de Mme Mathilde Panot et plusieurs de ses collègues visant à réunir le Parlement en Haute Cour, en vue d’engager la procédure de destitution à l’encontre du Président de la République, prévue à l’article 68 de la Constitution et à la loi organique n° 2014-1392 du 24 novembre 2014 portant application de l’article 68 de la Constitution. ».

    Les socialistes avaient accepté de laisser passer cette motion lors de la réunion du
    bureau de l'Assemblée le 17 septembre 2024, mais elle a été rejetée très largement lors de la réunion de la commission des lois le 2 octobre 2024 dans la matinée par 54 voix contre, 15 voix pour sur 69 présents.

    Il est bon de rappeler les arguments. Lors de cette réunion de la commission présidée par Florent Boudié (EPR), le rapporteur de la motion de destitution Jérémie Iordanoff (EELV) a expliqué : « Que l’on s’attache à la lettre de la Constitution ou à la pratique, au regard des prérogatives du Président de la République, sa fonction doit être protégée, "y compris contre son titulaire", comme l’indiquait la commission Avril. C’est tout le sens de la procédure prévue à l’article 68 de la Constitution. En effet, la protection du Président de la République a des contreparties logiques, notamment la nécessité pour le Président de la République de respecter ses devoirs constitutionnels, ainsi que le vote des électeurs lorsqu’il s’exprime. Le non-respect de ces devoirs doit d’une manière ou d’une autre être sanctionné. (…) Aux termes de la présente proposition de résolution, le manquement de l’actuel Président de la République résulterait de "l’absence de nomination d’un Premier Ministre issu de la force politique arrivé en tête aux élections législatives du 30 juin au 7 juillet 2024, et ce alors que la démission officielle du gouvernement date du 16 juillet 2024". (…) Il est certain que le respect du résultat des élections législatives est un devoir du Président de la République. Pour autant, force est de constater qu’en l’absence de majorité absolue et faute d’avoir pu négocier une coalition plus large atteignant le nombre de 289 députés, aucune force politique n’a remporté les élections. Arriver en tête est une chose, gagner en est une autre. Nous pouvons bien entendu regretter que le chef de l’État n’ait pas choisi de donner sa chance à un membre de la coalition arrivée en tête au second tour des élections législatives. Cependant l’article 8 de la Constitution ne lui imposait pas de nommer une personne issue de cette force politique. Cela ne peut donc raisonnablement être qualifié de manquement. (…) Il importe de rechercher plus généralement si, dans la situation politique et institutionnelle inédite de notre pays, le chef de l’État a manqué à ses devoirs. La dissolution elle-même était incompréhensible et, en réalité, absurde. Alors qu’une dissolution sert normalement à régler des crises, celle-ci en a provoqué une ; c’est une première. Est-ce un manquement ? À tout le moins, c’est une faute politique. Quant au délai de nomination du Premier Ministre, le problème n’est pas en soi qu’il ait été trop long, mais qu’il ait été injustifié. Deux mois ont été perdus. C’est autant de temps en moins pour rechercher une coalition ou diriger l’État. Chacun voit aujourd’hui, avec les retards accumulés dans la préparation du budget, comme ce délai fut inconséquent. Le Premier Ministre a été nommé en contradiction flagrante avec le barrage républicain qui fut pourtant l’événement politique majeur du second tour. Est-ce un manquement ? À tout le moins, c’est une faute politique. (…) À titre personnel, je considère que le doute est permis, que ces fautes politiques, compte tenu de leur accumulation et de leurs répercussions, peuvent constituer un manquement. Mais s’ils en constituent bien un, encore faudrait-il qu’il soit manifeste, c’est-à-dire, comme l’indique le rapport Avril et comme les auditions l’ont confirmé, que sa reconnaissance "transcende les clivages partisans". Or cette condition ne semble pas satisfaite. Un autre mécanisme existe pour placer l’exécutif au sens large devant ses responsabilités : la motion de censure. ».


    Ce double échec parlementaire du NFP a donc été très instructif sur la prétendue "victoire" électorale du NFP : échec dans la procédure stupide de destitution du Président de la République, et échec dans la motion de censure dont le dépôt, en revanche, avait toute sa légitimité institutionnelle puisqu'elle concourt à la responsabilité politique du gouvernement devant le Parlement.


    Heureusement pour les enragés insoumis, ils auront le droit de redéposer une nouvelle motion de censure et une nouvelle motion de destitution. Reste à savoir quelle en sera la fréquence, car les parlementaires ont d'autres choses à faire que s'occuper de ces enfantillages politiciens, par exemple, construire le budget de l'année prochaine et s'occuper des Français.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (08 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Motion de censure : le quart d'heure de gloire d'Olivier Faure.
    Budget 2025 : l'impossible mission de Michel Barnier.
    Claude Malhuret : du vol des élections aux chefs d'escadrille...
    Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
    La quadrature du cercle de Michel Barnier.
     

     
     

     

  • Budget 2025 : l'impossible mission de Michel Barnier

    « La véritable épée de Damoclès, c’est notre dette financière colossale : 3 228 milliards d’euros. Si l’on n’y prend garde, elle placera notre pays au bord du précipice. Cette année, notre déficit public, celui de toutes les collectivités publiques, devrait dépasser 6% de notre richesse nationale. En 2025, si rien n’est fait, il sera plus élevé encore. Pourquoi est-ce grave ? Pas seulement (…) parce que cette situation nous affaiblit autour de nous en Europe. Mais d’abord parce que la charge de cette dette, 51 milliards d’euros, est aujourd’hui le deuxième poste de dépenses de l’État, derrière l’école. Est-il acceptable que nous dépensions plus pour payer des intérêts à d’autres, que pour notre défense et notre recherche ? Ma réponse (…) est non. Face à nos défis qui sont immenses, nous n’avons pas le choix. Notre responsabilité, c’est d’alléger le fardeau et de retrouver des marges de manœuvre budgétaires. Aussi notre volonté est de ramener le déficit de notre pays à 5% en 2025. Notre objectif est de remettre notre pays sur la bonne trajectoire pour revenir sous le plafond de 3% en 2029, dans le respect de nos engagements européens. Comment faire ? Ne nous racontons pas d’histoires, je ne raconterai pas d’histoires. (…) Le premier remède contre la dette, c’est la réduction des dépenses. En 2025, les deux tiers de l’effort de redressement viendront donc de la réduction des dépenses. Réduire les dépenses, c’est renoncer à l’argent magique, à l’illusion du tout gratuit, à la tentation de tout subventionner. » (Michel Barnier, le 1er octobre 2024 dans l'hémicycle).




     

     
     


    Cette semaine, le Premier Ministre Michel Barnier présentera au conseil des ministres le projet de loi de finances (PLF) pour l'année 2025. Tant qu'il n'est pas officiellement présenté, tout reste possible, ce qui explique les postures médiatiques des uns et des autres avant cette rapide échéance.

    Les grandes orientations de la politique budgétaire ont toutefois été déjà adressées le 2 octobre 2024 au Haut Conseil des finances publiques. Selon les prévisions du futur projet de loi de finances qui sera présenté le 10 octobre 2024, les dépenses prévues en 2025 seront de 1 700 milliards d'euros, soit 56,3% du PIB (contre 56,8% en 2024), et les recettes attendues en 2025 seront de 1 560 milliards d'euros.


    Qu'on le veuille ou pas, l'État dépense plus qu'il ne gagne depuis une cinquantaine d'années. Le problème, c'est que les déficits s'accumulent et chaque année, la dette s'accroît. Elle représente plus que la production de richesse du pays pendant une année. Autant dire que si l'État était monsieur Toutlemonde, il serait déjà interdit bancaire, interdit de gérer, interdit de quoi que ce soit.

    Il y a plusieurs causes à faire un déficit sur une année. Il y a d'abord les crises, et cela a commencé avec le premier et surtout le second chocs pétroliers dans les années 1970. Mais les crises (
    Emmanuel Macron en a eu beaucoup depuis 2017, et Nicolas Sarkozy en a eu deux), c'est a priori temporaire. Des dépenses exceptionnelles en cas de crise (toute collectivité qui gère bien prévoit un poste imprévus dans son budget, mais l'État est déjà tellement déficitaire que rajouter un poste Imprévus serait faire de la dette supplémentaire inutilement).

    Il y a aussi les investissements d'avenir, des investissements massifs de production, d'innovation pour faire l'industrie de demain, l'économie du futur. Là encore, il n'y a pas de honte à s'endetter pour l'avenir : c'est le principe, chez monsieur et madame Toutlemonde, du prêt immobilier. À la fin, on a un actif et plus aucune dette (qu'on rembourse). Attention toutefois au type d'emprunt, car pour l'État, c'est l'équivalent du prix relais : on ne paie jamais la dette mais les intérêts de la dette (qui commencent à devenir monstrueux), et si on rembourse la dette, c'est parce qu'on la rachète sur le marché international avec un taux réactualisé.

    Mais les déficits depuis 1981 ne sont pas pour des investissements et rarement à cause de crises ponctuelles, mais pour financer du fonctionnement de l'année en cours. En 2024, on doit encore rembourser le train de vie de l'État de 1981 ! Car c'est bien à partir de l'élection de
    François Mitterrand que le déficit budgétaire a été institutionnalisé, arbitrairement limité "moralement" à 3% du PIB. C'était l'époque où l'âge légal de départ à la retraite est passé de 65 ans à 60 ans. C'est particulièrement cette mesure, plus que la cinquième semaine de congés payés, qui a plombé pour un demi-siècle au moins les finances publiques.

    Dès la campagne présidentielle de 2002,
    François Bayrou a pointé du doigt l'extrême danger d'un endettement excessif, et à l'époque, c'était beaucoup moins qu'aujourd'hui. Les deux partis gouvernementaux hégémoniques, le PS et l'UMP (devenue LR), s'en moquaient puisque, pour faire élire leurs candidats, il leur fallait promettre, acheter certains électeurs : on appelle cela l'électoralisme ou le clientélisme, le contraire d'un discours pour l'intérêt national.
     

     
     


    L'objectif de ne pas dépasser un déficit de 3% du PIB est inscrit dans les tables du Traité de Maastricht, mais cet objectif de vertu doit être d'abord vu comme d'un intérêt national : on ne peut pas dépenser plus qu'on ne gagne ! Et si on n'impose pas 0% et qu'on se permet une latitude de 3%, c'est parce qu'on considère qu'avec une croissance de 3%, ce déficit est vite compensé (la réalité, c'est que la croissance n'est jamais à 3% et c'est d'ailleurs un peu plus compliqué que cela !).

    Dans tous les cas, en 2024, le déficit devrait atteindre 6,1% du PIB, soit plus du double, et Michel Barnier a déjà fixé l'objectif de réduire le déficit de 60 milliards d'euros. Car si on ne prend pas en % mais en valeur absolue, sonnante et trébuchante, ces 60 milliards d'euros, c'est énorme ! Pour le gouvernement, ce sera 1/3 augmentation de la fiscalité 2/3 réduction des dépenses publiques.

    Pour le coup, aucun parti ne semble vraiment s'opposer à cet objectif de redresser les finances publiques, mais personne n'est vraiment cohérent : tous ceux qui ont rejeté la
    réforme des retraites, tous ceux qui veulent augmenter telle prestation, tel nombre de fonctionnaires, etc. se montrent particulièrement incohérents. Les mêmes, qui aujourd'hui fustigent les précédents gouvernements pour l'endettement excessif, les fustigeaient à l'époque parce qu'ils ne dépensaient pas assez lors des crises : gilets jaunes, crise sanitaire, guerre en Ukraine, inflation et crise de l'énergie... La démagogie et la facilité n'ont jamais fait dans la cohérence ni dans la responsabilité.

    Paradoxalement, je n'ai pas entendu beaucoup de contestation sur cette réduction de 60 milliards d'euros de déficit. Tant mieux. Alors, où les prendre ?



    Dans les recettes de l'État : 20 milliards d'euros de plus d'impôts

    Toute la politique budgétaire sera basée sur des injonctions paradoxales. Ce qu'a réussi parfaitement Emmanuel Macron, c'est d'avoir stabilisé la France fiscalement et de devenir le premier pays européen le plus attractif pour les investisseurs étrangers. Cela a eu pour conséquence une baisse continue du chômage (autour de 7%) et un fait notable, unique depuis 1981 : on ne parle plus du problème du chômage mais de celui du pouvoir d'achat.

    Revenir à la politique facile d'augmentation des impôts, alors que la pression fiscale est déjà monstrueuse, c'est risquer de perdre cette indispensable attractivité de la France. Il faut donc le faire d'une main tremblante car il faut savoir quelle fiscalité réduirait l'attractivité de la France ? Celle des plus riches (capables d'investir) et celle des entreprises.
     

     
     


    Qu'en est-il de la justice fiscale ? Il y a dans cette expression une certaine moralité qui n'a rien à faire avec l'efficacité d'un État. On ne fait pas payer des impôts pour réduire les inégalités, voire égaliser tout le monde : on fait payer des impôts pour financer les dépenses de l'État. Si l'État ne dépensait rien, il n'y aurait pas besoin d'impôts. Très globalement, on dit à juste titre que l'impôt est redistributif : ceux des riches qui paient des impôts pourraient se payer les mêmes services s'ils étaient privatisés, ce qui n'est pas le cas des plus pauvres. Là encore, contrairement au sentiment habituellement entendu, la France est l'un des pays voire le pays le plus redistributif au monde ! C'est ce modèle social (que tout le monde veut garder) qui coûte cher et d'autant plus cher que la natalité baisse.

    Donc, la justice fiscale, à laquelle je suis évidemment favorable, ce n'est pas de dire : les riches doivent payer ! C'est de se dire : combien faut-il pour équilibrer les dépenses, et que chaque contribuable puisse avoir sa juste contribution en fonction de ses moyens.


    Michel Barnier a insisté pour parler des contribuables les plus fortunés et pas des contribuables les plus riches, car tout est relatif et pour François Hollande, un ménage était riche à partir de 4 000 euros par mois. Pour Michel Barnier, être fortuné signifie gagner 500 000 euros par an (40 000 euros par mois), ce qui correspond à 0,3% des ménages (voir plus loin).

    Le problème de ne cibler que les contribuables fortunés, c'est que ça rapporte peu car ils ne sont pas nombreux, ce n'est pas efficace. C'est juste, mais pas efficace. Pour être efficace, il faudrait descendre le seuil de fortune afin de multiplier les contributions, ce qui fait que les classes moyennes ont toujours été les vaches à lait de l'État providence (en particulier les classes moyennes supérieures).

    Donc, lever un impôt supplémentaire pour les plus riches serait plutôt une mesure politique et pas financière, celle de dire que les plus riches doivent participer aussi, à leur niveau, à l'effort national. Pour faire passer les autres pilules. Mais on sait déjà que cela ne rapportera pas grand-chose.

    Quant à lever un nouvel impôt pour les très grandes entreprises, tout le monde est d'accord, même certaines de ces entreprises qui ont fait beaucoup de profit parfois sans mérite (comme les entreprises du secteur énergétique qui ont bénéficié de l'augmentation du prix du kWh sans rapport avec leurs frais de production). Encore faut-il s'assurer que ces grandes entreprises ne comptent pas quitter la France pour des pays plus cléments fiscalement (à cet égard, il faudra surveiller l'évolution de Lactalis, par exemple).

    Si on prend l'effet levier du nombre (si ça impacte des millions de contribuables ou de consommateurs, c'est efficace et l'effort est réparti sur le nombre), la tentation est grande de proposer d'augmenter quelques taxes à la consommation (sur l'énergie, par exemple, ou plus simplement la TVA comme l'avait fait Nicolas Sarkozy à la fin de son quinquennat, une mesure quasi-suicidaire !).

    Enfin, la tarte à la crème, bien sûr, c'est la lutte contre la fraude fiscale et sociale. L'État a toujours lutté contre la fraude des resquilleurs et sa lutte est de plus en plus efficace, et le déficit prend déjà en compte cette lutte. De plus, il y a une différence entre fraude et optimisation fiscale, d'une part, aux pouvoirs publics peut-être de limiter les possibilité de cette optimisation fiscale, et une différence entre fraude et évasion fiscale, d'autre part, même si je préfère l'expression fuite fiscale à évasion fiscale, qui est, elle, légale et est en rapport avec l'attractivité du pays.

    Ce qui est connu, c'est que trop d'impôt tue l'impôt, c'est l'illustration du dernier choc fiscal de 40 milliards d'euros, sous
    François Hollande. Les recettes fiscales étaient rentrées moins bien que prévu car la consommation n'avait pas progressé.


    Dans les dépenses de l'État : 40 milliards d'euros de moins de fonctionnement

    Là aussi, c'était une autre tarte à la crème, mise en évidence pendant la campagne présidentielle de 2017 durant laquelle
    François Fillon a proposé la suppression de 500 000 postes de la fonction publique, tandis qu'Emmanuel Macron 100 000. La réalité, c'est qu'il y a eu une progression des effectifs de la fonction publique depuis 2017.
     

     
     


    La proposition de supprimer des fonctionnaires ne risque pas d'être très efficace en matière de déficit. En effet, s'il s'agit de ne pas remplacer certains postes de fonctionnaires partant à la retraite, au mieux, on supprimerait 30 000 postes par an, ce qui ne fait même pas 2 milliards d'euros d'économie alors qu'on parle de 40 milliards. On est loin du compte. Et le problème, c'est quels postes puisqu'on parle déjà d'un manque d'effectifs parmi les enseignants, les soignants, les forces de l'ordre, les professionnels de la justice... Faut-il rappeler aussi qu'on ne peut pas se passer des travailleurs des voiries, des espaces verts, etc. dans les collectivités locales qui ont d'ailleurs beaucoup de postes vacants par manque d'attrait des postes ? Michel Barnier, qui connaît très bien le point de vue des collectivités locales (il a longtemps présidé le conseil général de Savoie), sait qu'il est aussi très difficile de faire des économies sur le nombre de postes dans la fonction publique territoriale, et dans tous les cas, ce type de réponse est très long pour en voir l'effet sur le déficit.

    Ce qu'on peut en revanche, imaginer, c'est une augmentation de la productivité, qui peut passer par une réduction de l'absentéisme, par exemple (j'ai vu certaines collectivités qui se sont donné les moyens de réduire ce taux parfois important par des moyens assez simples qui consistent, par exemple, à revoir les conditions d'attribution de certaines primes).

    Des solutions de vente par tranche du patrimoine public ne sont pas non plus très efficaces car ce sont des pistolets à un coup. C'est le cas du patrimoine foncier qui mérite, c'est vrai, une meilleure gestion (on parle de créer une régie foncière de l'État et que tous les ministères deviendraient locataires de celle-ci, avec des professionnels du secteur, ce qui éviterait la vente aux enchères de mobiliers très chers à des prix défiant toute concurrence par manque de connaissance de la valeur des meubles, etc.).

    Une autre tarte à la crème consiste à couper dans les (nombreuses) niches fiscales, mais là encore, c'est une hérésie, à moins de faire des frappes chirurgicales. Je m'explique : chaque niche fiscale a un intérêt, ou, du moins, a eu un intérêt, comme l'exonération obtenue pour un don à une œuvre de charité etc. Cela fait partie de la politique de l'État d'encourager, d'aider certains secteurs. Certes, le problème a été qu'on n'a fait que des strates et des strates sans remettre en cause les anciennes. Il serait donc intéressant d'évaluer chaque niche fiscale (vaste tâche), connaître leur objectifs et évaluer s'ils ont été atteints ou pas. S'ils ont été atteints, il faut la garder ; si la niche fiscale n'était pas efficace, il faut la supprimer. Mais dans tous les cas, chaque suppression de niche fiscale aurait une incidence sur un secteur économique donné, et on imagine bien les protestations catégorielles qui en découleraient et que le gouvernement devrait assumer.

    Bref, comme dirait La Palisse, rien n'est simple. C'est pour cela qu'aucun gouvernement ne s'est réellement attaqué à la réforme de l'État pour réduire structurellement le déficit. C'est le principe de l'acquis social : aucun acquis ne serait négociable, dans l'esprit des Français. Si, parfois, des déficits ont pu être réduits, les gouvernements concernés l'ont dû à la chance d'une conjoncture extérieure favorable créatrice de croissance, plus en tout cas qu'à leur propre politique économique.


    Ce que va proposer le gouvernement

    Selon le document reçu par le Haut Conseil des finances publiques, le gouvernement propose plusieurs choses. Pour la réduction de 40 milliards d'euros des dépenses publiques, 15 milliards d'euros ont déjà été obtenus dans les lettres de cadrage au mois d'août (qui consistent surtout à ne pas suivre l'inflation à budget constant), 5 milliards d'euros d'économies supplémentaires n'ont pas encore été proposés (par manque de temps, ce sera fait par amendements ultérieurs), 13 milliards d'euros de réduction des dépenses sociales (dont 4 milliards d'euros pour le retard de la revalorisation d'environ 1,8% des pensions de retraite de janvier à juillet 2025), le reste en réduction des dépenses d'assurance maladie et en limitation des dépenses des collectivités locales.

    La principale mesure indiquée en réduction des dépenses est donc le retard de six mois de la revalorisation des pensions de retraite, qui touche tout le monde, mais proportionnellement plus les moins aisés. Même si l'effort reste relativement faible : pour une pension de 1 500 euros par mois, cela devrait correspondre à un manque à gagner d'environ 15 euros par mois pendant six mois.
     

     
     


    Quant aux augmentations d'impôts, le Ministre du Budget Laurent Saint-Martin, qui est directement rattaché à Matignon et pas à Bercy (ce qui est rare et montre que le pouvoir se trouve effectivement à Matignon), a affirmé le 2 octobre 2024 que l'effort sur les ménages portera uniquement sur 0,3% des ménages, ce qui signifiera par exemple pour un couple sans enfants avec « des revenus d'à peu près 500 000 euros par an ». Et pour les entreprises, la contribution sera « exceptionnelle » et seulement pour les entreprises qui réalisent plus d'un milliard d'euros de bénéfice : « Il faut que toutes les grandes entreprises, chacune comme elles le peuvent, et par rapport à leur secteur d’activité, contribuent. ». Comme cela touche peu de ménages et peu d'entreprises, ces mesures seront certainement approuvées largement (les députés qui s'y opposeraient le justifieraient par le manque d'audace).

    Au-delà de ces mesures, il y aura aussi des mesures de réduction de dépenses publiques de l'ordre de 1,5 milliard d'euros pour compenser des mesures fiscales en faveur de la transition écologique, qui seront également proposées par voie d'amendements.

    Ensuite, il restera à Michel Barnier de faire adopter ces lois de finances (il y en a deux, projet de loi de finances et projet de loi de financement de la sécurité sociale), soit par un vote solennel (mais je doute qu'une majorité soit obtenue, car l'acte politique par excellence de l'appartenance à l'opposition, c'est de voter contre le budget) soit par
    l'article 49 alinéa 3 de la Constitution, auquel cas une motion de censure, voire plusieurs pourront être déposées. Mais je doute que la gauche NFP et le RN puissent voter un même texte ensemble sur les finances publiques. C'est la seule chance de Michel Barnier (avec la popularité le cas échéant) pour durer.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (06 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Budget 2025 : l'impossible mission de Michel Barnier.
    Claude Malhuret : du vol des élections aux chefs d'escadrille...
    Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
    La quadrature du cercle de Michel Barnier.
     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241006-budget-2025.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/budget-2025-l-impossible-mission-257113

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/07/article-sr-20241006-budget-2025-html.html




     

  • Claude Malhuret : du vol des élections aux chefs d'escadrille...

    « Les Français sont fatigués de la révolution permanente ; ils sont fatigués de la ZAD qui s’est reconstituée hier à l’Assemblée dès l’ouverture de la session ; ils sont fatigués des démagogues qui promettent la lune et sèment la ruine partout où ils sont au pouvoir. Votre programme, avec humilité et responsabilité, en est l’exact contraire. C’est une raison supplémentaire pour que nous le soutenions. » (Claude Malhuret, le 2 octobre 2024 au Sénat).



     

     
     


    ZAD, comprendre zone à délirer ! Voici une petite démonstration de près de dix minutes sur le mythe des élections volées. Comme depuis quelques années c'est la tradition, chaque intervention en séance publique du sénateur Claude Malhuret est un condensé d'humour et de lucidité sur la vie politique. À un moment pressenti par le nouveau Premier Ministre pour faire partie de son gouvernement (il était déjà membre du gouvernement entre 1986 et 1988), le président du groupe Les Indépendants, République et Territoires au Sénat (regroupant les sénateurs Horizons) n'a pas déçu ses collègues lorsqu'il a fallu participer au débat qui a suivi la déclaration de politique générale de Michel Barnier au Sénat le mercredi 2 octobre 2024. Il réagissait surtout aux propos tenus quelques minutes auparavant par son collègue Patrice Kanner, président du groupe socialiste, qui s'enferrait dans la légende urbaine d'une victoire de la nouvelle farce populaire (NFP) aux dernières élections législatives.

    Alors, le sénateur a commencé comme
    Martin Luther King (mais en négatif : ce n'est pas un rêve qu'il a fait) : « Mes chers collègues, en écoutant il y a quelques instants l’analyse de la situation politique par le président du groupe socialiste, j’ai brusquement fait une sorte de cauchemar éveillé. ». Et il a découvert un nouveau gouvernement : « Je me tenais ici, à cette tribune, et en face de moi, à la place où vous vous trouvez, monsieur le Premier Ministre, ce n’était pas vous : c’était Lucie Castets. À ses côtés se tenaient Sandrine Rousseau, ministre des finances et de la décroissance ; Sophia Chikirou, garde des sceaux ; Aymeric Caron, ministre de l’écologie et des insectes ; Sébastien Delogu, ministre de la mémoire et des anciens combattants ; Louis Boyard, ministre du développement durable du cannabis et Jean-Luc Mélenchon, ministre des affaires étrangères et de l’amitié avec la Russie, le Hezbollah et l’Alliance bolivarienne ! ».

    Retour à la réalité et à l'imposture du NFP : « Lorsque j’ai rouvert les yeux, je me suis aperçu que j’étais en train de tomber de mon siège. Les propos du président du groupe socialiste montrent que l’on ne peut aborder ce débat sans faire d’abord table rase de l’invraisemblable campagne qui est menée depuis des semaines par le nouveau front populaire pour convaincre les Français que l’élection leur a été volée, que votre gouvernement est illégitime et que vous êtes l’otage du Rassemblement national. Cette campagne va se poursuivre, plus virulente que jamais, comme le prouve le discours de fureur et de haine que
    Mme Panot a prononcé hier à l’Assemblée Nationale. Le soir des élections, le 7 juillet dernier, à vingt heures zéro une, à la télévision, tous les chefs de partis ont été priés de passer leur tour pour permettre à celui de LFI de prononcer cette phrase : "Nous sommes arrivés les premiers, nous devons former le gouvernement". L’échec huit jours plus tard du candidat du NFP à l’élection pour la Présidence de l’Assemblée Nationale a démontré de manière évidente que cette intox constitutionnelle était une imposture. Mais la vague médiatique et les ragots sociaux se sont transformés en tsunami et le mensonge s’est changé en vérité. Il faut donc le répéter : l’élection n’a été volée à personne ! Et si elle a été volée, c’est aux électeurs de gauche par les dirigeants de l’extrême gauche, qui ont joué une invraisemblable partie de poker menteur avec leurs partenaires. ».
     

     
     


    D'où la recherche laborieuse d'un Premier Ministre qui oscillait entre le vaudeville et la tragédie (je ne sais pas trop s'il a été le plus féroce contre Lucie Castets ou contre Ségolène Royal !) : « Pendant les quinze jours qui ont suivi le 7 juillet, le mot d’ordre fut : "Macron doit nommer immédiatement un Premier Ministre du NFP". Question des journalistes : "Qui est votre candidat ?". Réponse : "On ne sait pas, on n’arrive pas à se mettre d’accord". Après deux semaines de bras de fer et de crises de nerfs, une inconnue tombe enfin du ciel : pendant vingt-quatre heures, Huguette Bello devient le nouveau dalaï-lama, jusqu’à ce qu’on découvre qu’elle n’est pas woke, mais alors pas woke du tout : elle est anti-mariage pour tous et tout le tralala. Panique au NFP ; exit Huguette ! Quelqu’un propose alors Laurence Tubiana, organisatrice de la COP21. Horreur, on s’aperçoit que Macron l’a nommée à l’UNESCO. Une macroniste Première Ministre du NFP ? La "fisha" absolue… Exit Laurence ! Au bord du gouffre, alors qu’il n’allait plus rester que Ségolène Royal, on finit par débusquer dans les combles de la mairie de Paris une sémillante fonctionnaire jamais élue nulle part et coanimatrice de l’incroyable dette de 10 milliards d’euros de la capitale. Par miracle, cet Annapurna de la pensée politique, auprès de qui les Bertrand, Cazeneuve ou Barnier ne sont que des billes, accepte de faire bénéficier les Français de son inexpérience. Le NFP tient sa Première Ministre. Du moins, c’est ce que croient les socialistes, les écolos et les communistes. Ce qu’ils n’ont pas compris, et l’on s’étonne d’une telle naïveté, c’est que jamais Mélenchon n’a envisagé un Premier Ministre de gauche. Jamais ! Au moment même où le nom de Lucie Castets est prononcé, une fatwa vient la faucher en quelques mots : "Le programme, rien que le programme, mais tout le programme !". En bon français, cela veut dire que Mme Castets disposerait de 193 voix à l’Assemblée, et pas une de plus ! Exit donc Lucie… En un mot, si vous avez compris le NFP, c’est qu’on vous a mal expliqué ! ». Cette dernière phrase restera sans doute "culte" ! On est en plein dans un film comique avec le regretté Michel Blanc.

    Claude Malhuret a ainsi expliqué l'échec de
    Bernard Cazeneuve : « La gauche responsable, celle qui est largement représentée dans cet hémicycle, du moins c’est ce que je pensais jusqu’à il y a quelques minutes, fait une tentative désespérée en proposant le nom de Bernard Cazeneuve. Cette fois, Mélenchon n’a même pas besoin de lever le petit doigt, Faure le socialiste se charge lui-même du sale boulot en déclarant que nommer un Premier Ministre socialiste serait une "anomalie". Cazeneuve est des nôtres, il sera censuré comme les autres ! Exit Bernard ! Un jour, dans les manuels de sciences politiques, on expliquera dans un long chapitre comment, en 2024, la gauche s’est vendue pour un plat de lentilles à une secte gauchiste en pleine dérive islamiste et antisémite, dirigée par un ancien du lambertisme, que les communistes eux-mêmes qualifiaient il y a quelques années encore d’hitléro-trotskisme ! ».

    Il n'y a pas eu que la gauche islamo-gauchiste à avoir crié au vol des élections,
    l'extrême droite a hurlé pareil : « Quant à l’extrême droite, qui prétend elle aussi qu’on a volé l’élection à ses 11 millions d’électeurs, elle oublie de dire que 20 millions d’autres ont décidé d’associer leurs voix au second tour pour lui faire barrage devant la radicalité de ses positions, un programme économique qui nous mènerait droit vers l’abîme et une flopée de candidats imprésentables, entre les casquettes nazies et les propos antisémites sur les réseaux asociaux. Elle n’est pas plus légitime à gouverner et elle le sait très bien. Elle attend son heure, et si cette heure vient un jour, elle aura été soigneusement préparée par la folie de l’extrême gauche et la capitulation du premier secrétaire du parti socialiste, l’homme-caoutchouc. ».

    Quant à la
    motion de censure, voici pourquoi ses chances de succès sont faibles : « Vient enfin le dernier mensonge, monsieur le Premier Ministre : vous seriez l’otage du Rassemblement national. L’extrême droite compte 142 députés. Ils ne peuvent faire tomber votre gouvernement qu’en bande organisée avec le NFP. J’attends avec impatience qu’ils expliquent cela à leurs électeurs, et surtout qu’ils expliquent comment ils comptent composer, pour vous succéder, un gouvernement lepéno-mélenchoniste. Mélenchon ne veut pas de Premier Ministre de gauche et Le Pen sait que son parti est incapable pour l’heure de gouverner. Ce n’est pas une assurance-vie, mais votre gouvernement est loin d’être condamné d’avance. ».

    D'où le soutien fort du groupe présidé par Claude Malhuret au gouvernement de Michel Barnier : « Vous êtes légitime. Vous n’avez pas de majorité absolue, mais vous rassemblez tous ceux, de la droite républicaine au centre et à la gauche modérée, qui ont fait le choix de la responsabilité. Ils sont le camp de la raison que notre groupe Les Indépendants appelle de ses vœux depuis des mois. Et vous êtes, après deux ans d’Assemblée Nationale transformée en zone à délirer, le Premier Ministre de l’apaisement. Quelles sont les priorités ? Mais il n’y a que des priorités : le budget, le déficit, la dette, la
    Nouvelle-Calédonie, le logement, l’agriculture, l’immigration, la transition écologique, sans oublier l’Ukraine, le Moyen-Orient et toutes les crises dans le monde que la France ne peut ignorer. Ces priorités étaient au cœur de votre discours et de ceux de tous mes collègues ; je n’y reviendrai pas à mon tour. Qu’il me soit seulement permis de dire que nous soutenons votre engagement dans cette démarche difficile et courageuse. Vous disposerez d’une large majorité au Sénat, qui tentera de compenser l’absence de majorité absolue à l’Assemblée Nationale et de combattre les tentatives des populistes pour saper notre démocratie. ».
     

     
     


    Les savoureuses envolées lyriques du sénateur Malhuret apportent toujours un peu de fraîcheur, de légèreté, mais aussi de lucidité à une classe politique tendue et rageuse. Il a le mérite de faire mal car il cible juste. Depuis 2022, il s'inquiète régulièrement de la perspective de l'élection présidentielle de 2027 et de la nécessité de rassembler toutes les forces non-populistes, ce qu'il a appelé ce 2 octobre 2024 les forces raisonnables, le "camp de la raison", du centre droit au centre gauche, "qui ont fait le choix de la responsabilité". Les deux anciens grands partis gouvernementaux, LR et le PS, n'ont pas voulu jouer le jeu en 2022, chacun pris par une surenchère populiste. LR s'est finalement résolu à faire le choix de la raison et de la responsabilité, au contraire du PS qui s'enferme toujours dans un mélencho-islamisme qui l'asphyxiera à court terme. Surtout, Claude Malhuret, continuez à nous délecter ainsi !


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (05 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Claude Malhuret : du vol des élections aux chefs d'escadrille...
    Claude Malhuret au Sénat : le spectacle continue !
    Ukraine : Claude Malhuret se gausse de Jordan Selfie !
    Claude Malhuret sur l'inscription de l'IVG dans la Constitution le 4 mars 2024 à Versailles.
    Claude Malhuret s'en prend à "la pression permanente et déprimante des extrêmes" !
    Claude Malhuret dénonce la "mauvaise république" du guide suprême !
    L'Iran et les femmes : Claude Malhuret contre la mollarchie.
    Passe vaccinal : Claude Malhuret charge lourdement les antivax.
    Covid-19 : les trois inepties du docteur Claude Malhuret.







    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241002-malhuret.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/claude-malhuret-du-vol-des-257033

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/02/article-sr-20241002-malhuret.html



     

  • Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier

    « Par patriotisme, par égard pour nos compatriotes qui souffrent, par respect envers nos institutions, et compte tenu de la tâche ingrate qui vous incombe en ces circonstances, ramasser l’action publique que certains ont laissé choir, je vous le dis, monsieur le Premier Ministre : le mouvement national n’entend pas entraîner le pays vers le chaos, vers cette politique du pire qui est la pire des politiques. Voilà pourquoi le Rassemblement national a fait un choix responsable : refuser de censurer a priori votre gouvernement pour lui donner une chance, si infime soit-elle, d’engager enfin les mesures de redressement nécessaires. » (Marine Le Pen, le 1er octobre 2024 dans l'hémicycle).



     

     
     


    Contrairement à la rumeur publique, Michel Barnier et ses ministres ne sont pas les otages de Marine Le Pen et de son groupe RN à l'Assemblée Nationale. Le groupe RN et ses alliés ne comptent que 142 députés sur 577 et pour faire adopter une motion de censure, il en faut au moins le double, 289. Illustration par l'absurde : les premiers à tirer, c'est la gauche.

    En effet, les 192 membres des partis de la
    nouvelle farce populaire (NFP) ont déposé ce vendredi 4 octobre 2024 une motion de censure contre le gouvernement. Sa rédaction semble quasiment sortie d'une école primaire, sur le fond et même sur la forme, puisqu'on y relève quelques fautes d'orthographe (c'est vrai que, dans une sorte de comble de l'idéologie gauchiste, certains de ces députés considèrent que la connaissance de la langue française dépendrait du niveau de son compte en banque ; cela pourrait bien s'appliquer au gourou Jean-Luc Mélenchon).

    Les motivations de cette motion de censure reprennent la fable urbaine selon laquelle le NFP aurait gagné les élections : eh bien, non, 192 députés ne constituent pas une majorité, pas même relative. Si cela avait été le cas, le candidat du NFP André Chassaigne aurait été élu au perchoir puisqu'il suffisait, au troisième tour, de n'avoir qu'une majorité relative. Si
    Yaël Braun-Pivet a été brillamment réélue, c'est parce qu'une autre coalition, plus importante que le NFP, soutient aujourd'hui le gouvernement, avec une majorité relative très faible, certes, de 213 députés, mais supérieure aux troupes du NFP.

    On n'insistera pas sur les nombreux exemples de mauvaise foi politicienne dont est truffé le texte de cette motion de censure, comme le fait que le Président de la République
    Emmanuel Macron n'a pas voulu nommer l'inconnue de la dette abyssale de la ville de Paris Lucie Castets à Matignon : « Le Président de la République aurait dû nommer à Matignon la personnalité proposée par le nouveau front populaire. ». Truffé aussi de procès d'intention comme celui-ci : « Michel Barnier semble se contenter de vaines paroles sur la défense de l’environnement et du climat. Ainsi, le ministère de la Transition écologique a par exemple hérité d’un périmètre d’action fortement rogné. ». Ce qui est très maigre pour donner une raison de tuer le gouvernement.

    Sur le sujet environnemental, Michel Barnier a déjà répondu à Cyrielle Chatalain, la présidente du groupe écologiste à l'Assemblée : « Madame la présidente Chatelain, vous avez parlé d’effets de manche mais je ne vois pas où vous en avez trouvé dans mon discours. Je n’en ai pas fait et je n’en ferai pas, on dit d’ailleurs souvent de moi, je le sais bien, que je suis trop sérieux et pas marrant. Je me suis exprimé sincèrement et sobrement et je continuerai ainsi. Je suis attentif, vous le savez, à la transition écologique. J’étais même engagé avant vous sur ces questions. (…) Je rappellerai ici que j’ai la fierté d’avoir créé, il y a trente ans, le fonds Barnier, dont il est beaucoup question. Je continue à suivre son développement et je vais avec la ministre compétente augmenter les moyens dont il est doté. J’estime en effet que la prévention coûte toujours moins cher que la réparation et qu’une réparation anticipée et organisée est plus efficace et moins coûteuse qu’une réparation improvisée. ».

    Ce qui est désolant avec cette motion de censure, c'est que ceux des députés socialistes supposés s'être opposés à la mainmise des insoumis sur la gauche ont finalement tous signé ce texte de censure, en particulier Jérôme Guedj, Aurélien Rousseau, ancien ministre d'
    Élisabeth Borne, et même François Hollande, ancien Président de la République, qui n'a vraiment pas peur de l'humiliation publique. Tous ceux-là viennent de montrer, en s'associant aux délires mélenchonesques, qu'ils ne souhaitent plus gouverner la France, ils ne souhaitent plus être responsables ni crédibles.

    Incontestablement, ceux qui risquent de faire sauter le gouvernement Barnier ne sont pas d'extrême droite mais de la gauche ultradicalisée. Si cette gauche ne voulait pas censurer le gouvernement, le RN n'aurait aucun poids politique, ne pourrait rien exiger, puisqu'il serait dans l'incapacité de réunir 289 voix pour faire adopter une motion de censure.


    D'ailleurs, il était très instructif (et risible) de voir Manuel Bompard, le représentant des insoumis, sur France 2 le soir du 3 octobre 2024, faire la danse du ventre devant la représentante du RN, la suppliant de voter pour sa motion de censure, alors qu'il se prétend la locomotive du combat contre le RN (sauf quand il a besoin de lui). La réponse a été très claire. Laure Lavalette, députée RN, a rejeté les appels du pied des insoumis : « Je pense que la situation est suffisamment grave pour ne pas censurer en amont déjà ce gouvernement. On va, j'allais dire, donner la chance au produit (…). On ne peut pas ajouter du chaos comme vous le faites. ». Le RN en situation d'être responsable alors que François Hollande joue au pyromane de la République : postures improbables.

    Cette motion de censure sera examinée en séance publique l'après-midi du mardi 8 octobre 2024, après l'hommage solennel à
    Louis Mermaz, ancien Président de l'Assemblée Nationale, et les questions au gouvernement. Son issue prévisible est le rejet, faute d'avoir convaincu les députés RN de se joindre à la gauche (pour une collusion des non, mais certainement pas pour un gouvernement commun).
     

     
     


    Mais revenons sur la position du RN qui peut étonner. Marine Le Pen, dans un discours très grandiloquent, écrit avant d'avoir écouté la déclaration de politique générale de Michel Barnier, en a donné quelques éléments de compréhension le 1er octobre 2024.

    La chose principale, qui ne coûte pas un rond, c'est d'avoir de la considération : représentante de millions d'électeurs, Marine Le Pen veut que les 142 députés RN et alliés soient reconnus comme tels, comme des élus de la République et soient ainsi respectés comme tels, puissent participer aux concertation, puissent aussi participer à la gestion de l'Assemblée (le 19 juillet 2024, ils ont été exclu du
    bureau de l'Assemblée au contraire de la législature précédente qui comptait deux vice-présidents RN de l'Assemblée). Sa revendication a été ainsi formulée : « Je le dis ici de manière solennelle, à l’intention de chacun des ministres, de tout détenteur de l’autorité publique issue de ce gouvernement : nous entendons que les 11 millions de patriotes qui ont voté pour notre coalition d’union nationale soient respectés, que cessent ces attaques inutiles et injustes qui procèdent tant du mépris de classe que de l’intolérance caractéristique des totalitarismes. Ces attitudes n’honorent ni surtout ne servent le pays, son unité, son modèle démocratique. ». Devant les députés, Michel Barnier n'a pas arrêté d'annoncer qu'il écouterait tous les groupes, qu'il n'exclurait aucun groupe politique. Il a donc tout bon !

    Sans s'empêcher de fustiger le Président de la République à de nombreuses reprises, Marine Le Pen a voulu se montrer responsable et annoncé qu'elle ne s'opposerait pas pour s'opposer. C'est vrai qu'en procès depuis le 30 septembre 2024, avec vingt-six autres dirigeants du RN, sur une suspicion de fraude de 7 millions d'euros, pour une durée très longue de deux mois, la potentielle candidate du RN préférerait attendre que cette affaire soit oubliée avant un prochain scrutin.

    Elle a ainsi interpellé Michel Barnier : « Ma première demande, monsieur le Premier Ministre, est simple : faites preuve de volontarisme dans tous les domaines, et pas seulement dans celui des finances. Il ne s’agit pas de vous concilier votre "aile gauche", votre "aile droite" ou vos "partenaires exigeants", bref, toutes ces périphrases qui vous permettraient de justifier votre inaction par le respect de médiocres équilibres partisans : il s’agit de produire un impact rapidement perceptible par tous les Français. Or, en vous écoutant, j’entends des constats, mais tout de même bien peu de solutions. ».

    Voulant montrer sa bonne volonté, Marine Le Pen a encouragé le gouvernement à faire preuve de courage : « Vous avez sur ce point, monsieur le Premier Ministre, une possibilité considérable : sans mandat électif à défendre aujourd’hui ou demain, vous pouvez faire preuve de courage en réalisant les économies dont le gisement a été identifié depuis des années, dans les observations de la Cour des Comptes comme dans d’autres rapports publics portant sur le sujet. Une étude américaine publiée fin 2023 évalue à quatre points de PIB les pertes causées en France par la suradministration. ». Il faudra donc rappeler à ses éventuels électeurs venant de la gauche que le RN est pour restreindre l'intervention de l'État, comme le souhaite également son allié ultralibéral
    Éric Ciotti. Ce qui est tout à fait dans la tradition du FN dont le fondateur, son père Jean-Marie Le Pen, voulait supprimer l'impôt sur le revenu.

    Elle a même proposé à Michel Barnier les clefs de sa popularité : « Vous le savez, nous avons trois priorités, au sujet desquelles notre vigilance s’exercera de manière accrue : le pouvoir d’achat, l’immigration et la sécurité. Ce faisant, nous vous rendrons service, puisqu’elles correspondent aux exigences des Français et que vos mesures en la matière, peut-être, vous rendront populaire ; la France aussi y trouvera son intérêt, puisque ces urgences, trop longtemps négligées, ne peuvent plus l’être davantage. ».

    La dirigeante du RN a donc donné sa règle du jeu très clairement, les trois « lignes rouges sur lesquelles notre groupe pourrait, demain, fonder un vote de censure ». C'est habile : elle n'a réduit sa "surveillance" que sur trois sujets et pas plus, parce qu'elle veut obtenir des avancées concrètes sur les mesures que proposera le gouvernement. En cela, elle joue le jeu de l'écoute et de la coconstruction de la loi quand la gauche joue l'opposition systématique et l'obstruction (jusqu'à vouloir
    destituer le Président de la République pour des raisons de cour de récréation).


    La première ligne rouge : baisser la pression fiscale


    Le choix des priorités du RN est intéressant : « La première d’entre elles réside dans l’évolution de la pression fiscale, déjà insupportable, qui s’exerce sur les Français, en particulier sur les classes populaires et moyennes. Toute hausse d’impôt touchant les plus fortunés, entreprises ou ménages, devra être compensée par du pouvoir d’achat rendu à nos concitoyens modestes, qui travaillent et ont vu leur reste à vivre fondre depuis trois ans. ».

    Le meilleur moyen de réduire le déficit, pour le RN, est donc de s'attaquer aux dépenses publiques, ce qui, pour de nombreux membre de la majorité, est du bon sens (mais n'est pas facile à pratiquer). Elle a même apporté son soutien à venir pour toutes les décisions courageuses de réduction des dépenses : « Soyez-en sûr : dans cette mission, nos députés ne vous seront pas des obstacles, mais des soutiens, si vous savez faire preuve de courage. ». Le gouvernement n'en demandait pas tant !


    La deuxième ligne rouge : baisser la pression migratoire

    Sans surprise, après le pouvoir d'achat, l'immigration est le thème par excellence du RN pour racoler des électeurs (et il y parvient !) : « Notre deuxième ligne rouge serait l’absence du sursaut migratoire, sécuritaire et pénal qu’attendent des millions de Français. Nous vous demandons, à vous qui teniez il y a quelques années un discours si ferme à ce sujet, de remettre à votre agenda, dès le premier trimestre de 2025, un projet de loi "immigration" restrictif, reprenant au minimum les
    dispositions censurées en janvier par le Conseil Constitutionnel. De plus, puisqu’une tragique actualité a encore une fois mis en lumière la question des obligations de quitter le territoire français (OQTF) et des laisser-passer consulaires, je vous suggère une règle simple : en l’absence de laissez-passer, zéro visa. ».
     

     
     


    Notons quand même que cette dernière règle n'aura aucune efficacité, et l'ancien Ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin est bien placé pour le savoir car il avait essayé et il se trouve que les ressortissants des pays en question, faute de visa français, demandent un visa espagnol et avec Schengen, peuvent arriver en France en toute légalité. En clair, ces pays se moquent bien d'une politique de zéro visa. Il faut trouver autre chose pour être efficace.

    Comme on le dit généralement, les solutions les plus simplistes sont les moins efficaces (sinon, on les aurait mises à l'œuvre depuis longtemps). Les responsables politiques ont toujours cette tentation prétentieux qu'avant eux, la lumière était éteinte et qu'avec eux, tout va réussir, alors que, ici, les idées du RN ne sont pas vraiment innovantes, c'est le moins qu'on puisse dire.


    Marine Le Pen a réclamé d'autres mesures sur le plan sécuritaire et pénal, qui semblent recevoir un écho favorable pour la majorité des députés (et ne devraient donc pas être la cause d'un renversement possible du gouvernement).


    La troisième ligne rouge : le scrutin proportionnel

    Je cite cette troisième et dernière condition pour ne pas censurer le gouvernement Barnier, qui est le
    mode de scrutin. J'y reviendrai très prochainement plus en détails.

    Quand on analyse les deux premières conditions, elles ne sont pas insurmontables. En quelque sorte, Marine Le Pen a choisi d'emballer convenablement son choix de ne pas censurer le gouvernement et de tenter d'y donner son influence. Tout ce tralala pour garder la face. C'est sans doute une stratégie payante à moyen terme, sauf si le gouvernement réussit trop bien.


    Ainsi, Marine Le Pen s'est positionnée totalement à l'opposé de l'affrontement permanent voulu par la gauche : « Si je prends l’engagement aujourd’hui de ne jamais céder, un seul instant, aux médiocres sirènes de la comédie des menaces de censure qui seraient fondées sur autre chose que l’observation impartiale de vos actes, c’est parce que c’est à vous, et à vous seul, qu’il appartient, par la juste prise en considération des mesures que je viens d’évoquer, de faire de cette période, autant que possible, un temps de construction et de service de l’intérêt général. Cet esprit d’ouverture ne doit pas être interprété comme un blanc-seing, pas plus que notre esprit républicain ne doit être assimilé à de la faiblesse, de l’irrésolution, voire une forme d’allégeance à un gouvernement que nous considérons davantage de circonstances que de convenance. ».

    Elle a même donné un argument patriotique à sa non-censure : « L’absence de direction gouvernementale signifierait mécaniquement, pour notre pays et pour les Français, une double servitude technocratique, française et surtout bruxelloise. Or le pays a besoin de décisions politiques, parfois fortes et exigeantes, qui ne peuvent émaner que de politiques et non d’administratifs, aussi dévoués soient-ils, ni, encore moins, d’instances supranationales, acquises à d’autres intérêts. ».

    À la fin de son discours, Marine Le Pen a été ovationnée, tous les membres de son groupe et de celui d'Éric Ciotti se sont levés, montrant aussi une manifestation de force dans l'hémicycle face à un Premier Ministre qui, à la fin de sa déclaration de politique générale, n'a eu que les membres du groupe LR (Droite républicaine) pour se lever et le saluer, les membres de l'ancienne majorité macroniste étant restés ostensiblement assis (ce qui, à mon sens, n'est politiquement pas très malin).

    Comme celui qui tombait du haut d'un immeuble, dans le film "La Haine" (de Mathieu Kassovitz, sorti le 31 mai 1995), Michel Barnier peut se dire à la veille du délicat débat budgétaire : "Jusqu'ici, tout va bien !". Mais, ne soyons pas trop rapide, regardons d'abord précisément qui votera (ou ne votera) pas la motion de censure ce mardi 8 octobre 2024. La première motion de censure, évidemment, car la gauche n'hésitera pas à en déposer régulièrement.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (05 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
    La quadrature du cercle de Michel Barnier.
     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241001-marine-le-pen.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/les-3-lignes-rouges-de-marine-le-257018

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/02/article-sr-20241001-marine-le-pen.html



     

  • Taisez-vous, Elkabbach !

    « Un homme (…), qui voit toute sa vie à demeurer l'exact contemporain de son époque. Jean-Pierre Elkabbach voulait en être. En être de son époque, pleinement. En être des vedettes, des gens qui comptent, des princes du temps. En être, surtout, de l'histoire qui s'écrit et se raconte, se transmet et demeure. » (Emmanuel Macron, le 9 octobre 2023 à Paris).


     

     
     


    Et il s'est tu. À la suite d'un accident et d'une maladie. Le journaliste Jean-Pierre Elkabbach est mort il y a un an, le 3 octobre 2023 à l'âge de 86 ans. Il représente pour beaucoup la compétence du journaliste, mais aussi sa trop grande proximité avec le pouvoir, quel que soit le pouvoir.

    Jean-Pierre Elkabbach était un excellent journaliste dans le genre intervieweur, celui qui accouche les esprits, celui va chercher jusqu'à des personnalités improbables, peu connues du grand public mais qui ont beaucoup de choses intéressantes à raconter, en politique mais aussi en culture, en science, etc., et il était aussi un patron de presse très gourmand, voire un peu trop ! Sa notoriété, elle lui est venue d'avoir présenté le journal télévisé de la première chaîne de 1970 à 1972 puis de la seconde chaîne de 1972 à 1974, ce qui assurait une rapide célébrité, mais, au contraire de Christine Ockrent, Jean-Pierre Pernaut, Patrick Poivre d'Arvor, Yves Mourousi, Claire Chazal et quelques autres, ce n'était pas le cœur de ses passions audiovisuelles.

    Patron de presse : il a été (entre autres) président de France Télévisions de 1993 à 1996, puis président de Public Sénat de 1999 à 2009 et président d'Europe 1 de 2005 à 2008. Intervieweur de talent : (entre autres) avec l'émission "Carte sur table" aux côtés du brillant politologue
    Alain Duhamel sur Antenne 2 de 1977 à 1981 (d'où est née l'expression "Taisez-vous Elkabbach !" que n'aurait pas hurlé directement Georges Marchais, mais simplement son génial imitateur Thierry Le Luron), l'émission "Découvertes" sur Europe 1 de 1981 à 1987 (une émission quotidienne de 18h à 19h, assez longue pour comprendre en profondeur le message de son invité), la matinale d'Europe 1 de 1997 à 2017 ainsi que l'excellente émission culturelle "Bibliothèque Médicis" sur Public Sénat de 1999 à 2018.

    Il a par ailleurs été la "vedette" de trois événements audiovisuels : c'est lui, aux côtés d'Étienne Mougeotte, qui a annoncé à la France entière la victoire de
    François Mitterrand le 10 mai 1981 à 20 heures sur Antenne 2, une séquence de télévision qui a été très fréquemment reprise pour évoquer la victoire socialiste, avec sa disgrâce audiovisuelle, Jean-Pierre Elkabbach ayant été trop associé au septennat de Valéry Giscard d'Estaing ; ce qui ne l'a pas empêché de devenir un confident très particulier du successeur, François Mitterrand qui lui a accordé l'émission sans doute la plus importante de sa carrière, une interview à l'Élysée le 12 septembre 1994 sur France 2 pour évoquer son passé pendant la guerre, ses amitiés troublantes et sa fille Mazarine ; enfin, il a été beaucoup critiqué dans son mode de gestion sur France Télévisions, permettant à des producteurs-animateurs de s'enrichir énormément avec de l'argent public, ce qui l'a conduit à démissionner.

    Tout cela, le Président de la République, dans un
    hommage prononcé le 9 octobre 2023 dans les locaux même France Télévisions à Paris, l'a rappelé. Emmanuel Macron s'est souvenu de cette émission mémorable du 12 septembre 1994 avec son lointain prédécesseur socialiste : « Ainsi, les téléspectateurs virent deux hommes, deux vies françaises, deux rapports au pouvoir et au destin. Un Président frappé par la maladie, défendant son parcours à travers une époque de clair-obscur. Un journaliste se hissant à la hauteur du moment, implacable et subtil, intraitable et concentré. Ce moment dit tout du journaliste qu’était Jean-Pierre Elkabbach. Un journaliste qui voulait porter la plume, le Nagra, la caméra dans les plaies de l'époque. Un homme de presse avec ce que son métier, selon lui, supposait de proximité, de chaleur, de voisinage, avec les grands de France et du monde. Un patron qui avait le génie de fomenter, d'obtenir, d'organiser des coups naturellement, spontanément, instinctivement. ».

    Le chef de l'État a aussi rappelé son professionnalisme : « Jean-Pierre Elkabbach, à force de vouloir écrire l'Histoire, s'y brûla parfois. Sa participation au
    mai 68 de l'ORTF lui valut d'un court bannissement, mais parce qu'il exigeait, selon ses propres mots "du rythme et des idées", qu'il travaillait jour et nuit, obsédé et possédé par son métier, Jean-Pierre Elkabbach revint et reprit sa marche vers les sommets. ».
     

     
     


    Pour montrer sa puissance d'innovation, Emmanuel Macron a cité son émission "Actuel 2" sur Antenne 2 en 1974 : « Le titre était un hommage à Albert Camus. Il était aussi comme sa devise personnelle, demeurer actuel. Dans cette émission profondément novatrice, on put voir alors ce qu’on ne voyait pas ailleurs : Brigitte Bardot interrogée par Nathalie Sarraute sur son manque de solidarité avec la cause des femmes. Jean-Edern Hallier, chroniqueur social des luttes de Lip face à François Mitterrand. René Dumont défendant un mot alors presqu’inconnu, celui d’écologie. Ou Delphine Seyrig racontant le procès de Bobigny. ».

    Et d'ajouter : « Toujours, le journaliste voulait être de son temps. Cela supposait de bousculer, comme de faire émerger les talents, tels Gérard Holtz, Hervé Claude, Claude Sérillon, Nicole Cornu-Langlois, Noël Mamère, Daniel Bilalian, Patrick Poivre d'Arvor, et tant d’autres, d’inventer la rubrique Météo avec Alain Gillot-Pétré. Il fallait être toujours sur la brèche, transgressif et travailleur. ».

    Marqué aussi par l'émission "Découvertes" sur Europe 1 : « Avec
    Philippe Gildas, le directeur d’antenne, avec Béatrice Schönberg, tous les après-midis, Jean-Pierre Elkabbach se remit à faire ce qu’il savait faire de mieux : capturer l’esprit du temps, lire la modernité artistique, sociale, culturelle, sociologique et en déduire des émissions. La sienne s’appelait logiquement "Découvertes" et naviguait de Raymond Aron à Thierry Le Luron, des spectacles parisiens aux reportages en région. ».

    Emmanuel Macron insista sur le talent d'intervieweur dont il fut l'une des victimes : « Ce serait une litote de dire que Jean-Pierre Elkabbach était un intervieweur redoutable, sans doute l'un des plus travailleurs, des plus rusés, le plus théâtral, le plus aguerri. Combien s'y sont fait prendre ? "Celui-là, la prochaine fois qu'il reviendra me voir, il aura appris la messe par cœur" concluait le journaliste après avoir terrassé un impétrant. N’hésitant pas à voler les invités à la concurrence, il cherchait à repérer les visages de demain en même temps que les valeurs du moment. Beaucoup, j’en suis, y accomplirent une sorte de baptême du feu. Les interviews de Jean-Pierre Elkabbach sur Europe 1, puis brièvement sur CNews, entrèrent dans la légende, entrèrent même dans la liturgie de notre République. Il y avait les mardis et les mercredis, les questions au gouvernement et tous les matins, les questions de Jean-Pierre Elkabbach. Ses interviews se jouaient cartes sur table, opéraient toujours de vraies découvertes, ambitionnaient d'être actuelles, comme un résumé de toute sa carrière. ».

     

     
     


    Paradoxalement, l'homme de cultures et de lectures qu'était Jean-Pierre Elkabbach n'a pas laissé beaucoup d'écrits. Il était un homme de l'audiovisuel, avec sa voix agréable et reconnaissable parmi toutes, mais pas une plume très prolifique. S'il a publié quatre ouvrages, il n'en a véritablement sorti qu'un seul exposant sa vie, un an avant sa mort, le 27 octobre 2022, son autobiographie (avec l'aide de Martin Veber), "Les Rives de la mémoire" dont les premiers mots évoquent son origine : « Je suis un enfant de la Méditerranée, de son soleil, de ses rivages arides, de la mer. J'ai quitté Oran, la ville où je suis né, à l'aube de ma vie d'adulte. C'était le début de la guerre d'indépendance. L'Algérie que je laissais derrière moi était devenue un pays de violence et de mort. Je suis parti sans regret. Pendant toute mon adolescence, je ne pensais qu'à cela : fuir Oran, cette ville sans horizon, rejoindre la France et surtout Paris, où tout me semblait possible. ».

    Le professionnalisme de Jean-Pierre Elkabbach a transpiré pendant toute sa carrière, et il y a mille et un exemples. J'en prends un car il est très intéressant. Depuis qu'il fait de la politique,
    Laurent Fabius n'est pas vraiment ma tasse de thé. Je n'ai jamais apprécié sa condescendance et son esprit partisan. Néanmoins, j'étais très étonné qu'on lui reprochât d'avoir été mêlé au scandale du sang contaminé car j'avais le souvenir, au contraire, qu'il avait, en tant que Premier Ministre, eu le courage d'anticiper les risques avec le sida. Je suis donc très heureux de lire dans l'autobiographie de Jean-Pierre Elkabbach le même genre de réflexion.

    Il a eu de très mauvaises relations avec Laurent Fabius dont il a pourtant été le premier intervieweur en 1975 sur France Inter (invité avec
    Jacques Attali pour promouvoir son premier livre). En effet, pendant la campagne présidentielle de 1981, Laurent Fabius, directeur de campagne de François Mitterrand, ne voulait pas que Jean-Pierre Elkabbach invitât Michel Rocard à la télévision. Il lui a téléphoné ainsi : « Il en est hors de question. Je suis le directeur de campagne, je ne veux pas de lui à l'antenne. ». Réponse immédiate : « Oui, mais le directeur de l'information, c'est moi, et c'est ma décision. ». Réplique et menace à peine voilée : « Si nous gagnons, vous allez voir ce que nous ferons des gens comme vous ! ». Mais il ne s'est pas laissé intimider : « Écoutez, faites ce que vous voulez. Ce soir, moi, je vous emm@rde ! ». Cela donne une idée du caractère bien trempé.

    Évidemment, la gauche est arrivée au pouvoir et les relations entre Jean-Pierre Elkabbach et Laurent Fabius furent exécrables. Jusqu'à l'affaire du sang contaminé : « Pendant des années, il me poursuivit de sa rancune. Nos relations s'apaisèrent dans la tourmente de l'affaire du sang contaminé. Partout, on entendait que Fabius n'avait rien vu et avait failli. Or j'avais suivi les débats et je fis remarquer lors d'une émission qu'on lui faisait subir un mauvais procès. En effet, l'ancien Premier Ministre avait été le premier haut responsable à réagir aux alertes. Dès le 19 juin 1985, il avait prononcé devant une Assemblée Nationale indifférente le dépistage obligatoire des donneurs de sang afin d'éviter les contaminations lors des transfusions. Mon intervention n'était que justice et simple rappel des faits. Je n'aimais pas l'acharnement dont il était l'objet. Il m'appela pour me remercier et nous nous revîmes. J'étais l'un des rares à avoir publiquement pris sa défense. ».

    Et de commenter sa relation jusqu'à sa mort : « Par la suite, nos rencontres furent empreintes d'une amabilité courtoise dont ni l'un ni l'autre n'était dupe. Aujourd'hui, la Présidence du Conseil Constitutionnel lui va bien. Il applique avec les huit sages la même méthode qu'avec moi : distance et parole rare. ». Un exemple : « Quand je le conviais aux matins d'Europe 1, il répondait avec parcimonie à mes invitations, mais il venait. Généralement, après l'entretien, les journalistes de la rédaction se pressaient autour de l'invité pour poursuivre les échanges plus librement, en quête de révélations. Leurs coqueluches étaient
    Nicolas Sarkozy, Emmanuel Macron, Bernard Arnault, François Hollande et Arnaud Montebourg. Laurent Fabius, lui, faisait salle vide, victime de sa condescendance. ». Le journaliste conclut sur sa rancœur de ne pas avoir pu être Président de la République, dépassé par Michel Rocard, Lionel Jospin, Dominique Strauss-Kahn, François Hollande... : « Un Président de la République vit la solitude du pouvoir. Laurent Fabius est un solitaire sans pouvoir. ».

    Dans ce livre, qui rapporte une soixantaine d'années de carrière de journaliste politique, Jean-Pierre Elkabbach a bien sûr brossé bien des portraits de responsables politiques, dans sa franchise crûe de son point de vue.

    Jean-Pierre Elkabbach a fait aussi état de l'une de ses dernières conversations avec Emmanuel Macron qui l'avait invité à un déjeuner en tête-à-tête en septembre 2022. Question de l'intervieweur professionnel sur l'accomplissement majeur du second quinquennat : « Cela se révélera après, comme dans un
    tableau impressionniste. Sur le moment, on ne perçoit que des taches de lumières et c'est en prenant du recul que l'image apparaît dans sa force et sa clarté. Je veux réformer pour assurer notre indépendance nationale. Notre victoire serait que nos enfants puissent encore choisir leur destinée. ».

    Et le journaliste a compris la grande frayeur du Président : « En 2027, Emmanuel Macron devra passer la main. Par-dessus tout, il redoute de transmettre sa charge à
    Marine Le Pen et à l'extrême droite, qui croient leur heure arrivée. Pour l'éviter, il lui faut réussir son second quinquennat. Ensuite, rien ne l'empêchera de poursuivre son engagement politique et d'incarner l'Europe. Ce n'est pas à lui de régler sa succession, mais il doit promouvoir la génération qui a émergé grâce à lui, Élisabeth Borne, Julien Denormandie, Gabriel Attal, Sébastien Lecornu et surtout Jean Castex, qui quitta Matignon populaire, malgré la crise du covid. Il est l'un des rares à ne pas penser encore au rôle qu'il pourrait tenir en 2027. Avec sa simplicité, sa liberté, il est proche des Français et sait trouver les mots. Pourquoi me fait-il penser à Georges Pompidou à ses débuts ? Si aucune figure du "nouveau monde" ne se détache, le macronisme restera une parenthèse, refermée dès le départ de l'Élysée de son inspirateur, il est le premier à le savoir. La lutte pour le pouvoir, son exercice, les alliances qui se nouent et se dénouent, les opportunités que l'on saisit, les reniements, les ruptures laissent peu de place aux sentiments. La vie politique est impitoyable et requiert un sens aigu de la dissimulation. ».

    Dans cette réflexion, comme figures du macronisme, Jean-Pierre Elkabbach a toutefois oublié
    Édouard Philippe, Gérald Darmanin et Bruno Le Maire (il en a parlé un peu avant : « Il s'est révélé être un des piliers des deux quinquennats, utile pour faire face aux conséquences de la guerre en Ukraine. Toutes les grandes décisions, il les discute directement avec le chef de l'État. Pourquoi, pense-t-il, ne pourrait-il pas lui succéder à l'Élysée ? »). En revanche, il avait bien vu pour Gabriel Attal dont il n'a pas su qu'il allait être nommé à Matignon.

    Son livre se referme sur ces phrases : « Ma soif de connaissance, d'exploration, ne procède pas du journalisme. Elle était là dès l'enfance et c'est elle qui m'a conduit à mon métier. Pendant longtemps, elle s'est confondue avec lui. Désormais, peu à peu, elle s'en détache et reprend sa liberté. Elle oriente le cours de mes jours, nourrit de nouveaux projets et me mène vers de nouvelles causes. Tout bien réfléchi, ai-je tant changé ? Je n'ai pas guéri de ma curiosité. ». Point final.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (28 septembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Vous n'avez pas honte ?
    Boulimique.
    Hommage du Président Emmanuel Macron à Jean-Pierre Elkabbach le 9 octobre 2023.
    Jean-Pierre Elkabbach.
    Patrick Cohen.
    Fake news : la scandaleuse manipulation politique du RN.
    Bernard Pivot.
    Christine Ockrent.
    Vive la crise !
    Yves Montand.
    Jean Lacouture.
    Marc Ferro.
    Dominique Baudis.
    Frédéric Mitterrand.
    Jean-Jacques Servan-Schreiber.
    Christine Angot.
    Jean-François Revel.
    Philippe Alexandre.
    Alain Duhamel.







    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241003-elkabbach.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/medias/article/taisez-vous-elkabbach-256892

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/02/article-sr-20241003-elkabbach.html



     

  • Législatives 2024 (51) : la quadrature du cercle de Michel Barnier

    « Je pars, avec le gouvernement, d’un vote populaire par lequel vous avez été élus, mesdames, messieurs les députés et qui traduit des attentes fortes, urgentes et justifiées pour des services publics efficaces, pour une sécurité au quotidien, mais aussi, j’en suis convaincu, pour que notre pays retrouve le chemin de l’apaisement, de la fraternité, de l’espérance. (…) Écoute et respect à l’égard de toutes les forces politiques et de toutes les sensibilités politiques représentées à l’Assemblée Nationale et au Sénat. Je l’ai dit dès le premier jour : nous écouterons et respecterons chacune et chacun d’entre vous, même si ce respect n’est pas toujours réciproque. » (Michel Barnier, le 1er octobre 2024, dans l'hémicycle).



     

     
     


    Ce mardi 1er octobre 2024 à 15 heures a eu lieu, au Palais-Bourbon, l'ouverture de la première session ordinaire de la XVIIe Législature qu'on n'hésitera pas à qualifier d'ingouvernable ou d'impossible ("on" = sans doute les livres d'histoire plus tard). Elle est la troisième journée de séances publiques, après l'installation de la nouvelle Assemblée Nationale les 18 et 19 juillet 2024. Il n'a pas attendu une seule journée : le nouveau Premier Ministre Michel Barnier y a prononcé sa déclaration de politique générale devant des députés au mieux réticents au pire hurleurs (dont on peut lire le texte dans son intégralité ici).

    En effet, la base parlementaire de son gouvernement est très étroite, et Michel Barnier a dû essuyer pendant toute la durée de son discours les vociférations des insoumis qui montraient un irrespect total des institutions (notons que ces mêmes députés ont été très calmes pendant le discours de
    Marine Le Pen !). Mais même au sein de la majorité, l'attitude est à l'attentisme. Le groupe EPR (Ensemble pour la République, ex-Renaissance) avait pour consigne de ne pas faire d'ovation pour le Premier Ministre afin de se montrer comme des alliés responsables mais exigeants, ce qui ne va pas beaucoup aider le gouvernement.

    C'est son grand oral, probablement le moment le plus important de sa carrière politique, le plus important et le plus improbable, car à 73 ans, il ne s'attendait pas à reprendre du service. Même sa candidature à la
    primaire LR en 2021, il l'a présentée comme un baroud d'honneur avant de quitter la scène politique.

    Après un hommage à
    Philippine, lâchement violée et assassinée, Michel Barnier a rempli son objectif de la déclaration de politique générale : ne pas faire un catalogue à la Prévert de mesures qu'il ne pourra pas prendre à cause du manque de majorité, mais une synthèse de ce qu'il compte faire, sur le fond (peu de textes) et sur la forme (beaucoup de concertation, d'écoute). Sa méthode : « Pour répondre à ces questions dans le contexte politique particulier où nous sommes, nous avons besoin d’une nouvelle méthode. Nous avons besoin d’écoute, de respect et de dialogue. Écoute, respect et dialogue entre le gouvernement et le Parlement. Je demanderai à mon gouvernement de s’appuyer davantage sur le travail parlementaire : propositions de lois, amendements, recommandations des commissions d’enquête ou d’information, évaluation des politiques publiques. Cela vaut évidemment pour les groupes parlementaires de l’Assemblée Nationale ou du Sénat dont certains membres font désormais partie du gouvernement et que je remercie pour leur soutien, mais aussi pour tous les autres groupes. Je souhaite qu’il y ait moins de textes et qu’il y ait plus de temps pour en débattre. ».

    Pour autant, le Premier Ministre n'entend pas rester immobile. Il compte bien s'appuyer sur l'Assemblée pour faire passer des mesures difficiles, celles qui réduiront le déficit de l'État qui sera en 2024 à plus de 6% du PIB. Il a proposé la trajectoire suivante : déficit ramené à 5% en 2025, 3% en 2029. Il a souhaité placer son action dans le cadre d'une durée de deux ans et demi, jusqu'à l'élection présidentielle, même si durer, pour lui, va être un véritable calvaire, surtout après la première année où le Président de la République pourra débloquer la situation en dissolvant à nouveau.


    Sa priorité est notre dette : « Une exigence d’abord : la réduction de notre double dette, budgétaire et écologique. (…) Ces deux réalités budgétaire et climatique certains veulent les nier ou les ignorer. D’autres les subissent ou se contentent de les commenter. Mettre la tête dans le sable ou se lamenter n’a jamais permis d’avancer. Il n’y a pas de fatalité tant qu’il n’y a pas de fatalisme ! Je pense que les hommes et les femmes politiques que nous sommes n’ont pas le droit en ce moment d’être fatalistes. Je suis convaincu que nous pouvons trouver un chemin de réalisme et d’action qui passe partout par le contrat plutôt que par la contrainte et qui nous permette pas à pas de reconstruire la confiance. ».
     

     
     


    Comme réduire le déficit ? Plusieurs axes de réponse.

    Réduire les dépenses publiques : « Comment faire ? Ne nous racontons pas d’histoires, je ne raconterai pas d’histoires. Nos dépenses publiques atteignent 57% de la richesse nationale, contre 49% dans le reste de l’Europe. Elles ont augmenté de plus de 300 milliards depuis 2019, ce qui représente 5 000 euros de dépenses publiques supplémentaires chaque année par Français, quel que soit son âge. Le premier remède contre la dette, c’est la réduction des dépenses. En 2025, les deux tiers de l’effort de redressement viendront donc de la réduction des dépenses. Réduire les dépenses, c’est renoncer à l’argent magique, à l’illusion du tout gratuit, à la tentation de tout subventionner. ».

    Ensuite, rendre plus efficace l'argent public : « Le deuxième remède, c’est l’efficacité de la dépense publique. Nous sommes champions des dépenses publiques, mais pour quel résultat ? Est-il normal que le coût de l’éducation d’un élève français soit supérieur à celui de nos voisins, alors que nos professeurs sont souvent moins bien payés ? Est-il acceptable que les services de l’État louent à prix d’or des locaux au cœur de Paris quand un déménagement dans des départements limitrophes permettrait de faire des économies et de participer à la rénovation urbaine comme l’organisation des Jeux olympiques l’a prouvé en Seine-Saint-Denis ? Trop souvent, nos concitoyens ont l’impression, et vous les entendez, mesdames et messieurs les députés, de ne pas en avoir pour leurs impôts. Nous ferons donc la chasse aux doublons, aux inefficacités, aux fraudes, aux abus du système et aux rentes injustifiées. ».
     

     
     


    Puis, de nouveaux impôts très ciblés : « Le troisième remède est d’ordre fiscal. Nos impôts sont parmi les plus élevés du monde. Les baisses d’impôts décidées depuis sept ans et les mesures prises pendant la crise du covid ont aidé beaucoup de Français et beaucoup d’entreprises, c’est la vérité, et ont redonné de l’oxygène dans une situation inédite et grave. Mais la situation de nos comptes demande aujourd’hui un effort ciblé, limité dans le temps et partagé dans une exigence de justice fiscale. Ce partage de l’effort nous conduira à demander une participation au redressement collectif aux grandes et très grandes entreprises qui réalisent des profits importants. Nous le ferons sans remettre en cause notre compétitivité. Il n’y a ni partage ni redistribution possible s’il n’existe pas en amont de l’activité et de la production sur notre territoire. Cette exigence nous conduira également à demander une contribution exceptionnelle aux Français les plus fortunés afin d’éviter les stratégies de défiscalisation des plus gros contribuables. ».
     

     
     


    Quatrième piste, qui est, il faut bien le dire, la tarte à la crème de tous les nouveaux gouvernements (on ne voit pas pourquoi l'État ne lutterait pas en permanence contre la fraude) : « Enfin, nous lutterons résolument et dans la durée contre la fraude fiscale et la fraude sociale, y compris en sécurisant les cartes Vitale pour éviter le versement indu d’allocations. ».

    Un mot sur les épées de Damoclès : « J’ai entendu parler d’une épée de Damoclès qui pèserait sur la tête du gouvernement mais la véritable épée de Damoclès, est dès aujourd’hui là sur la tête de la France et des Français et faute d’actions, faute de courage maintenant, je suis sûr d’une chose : elle pèsera beaucoup plus gravement demain sur nos enfants et nos petits-enfants. La véritable épée de Damoclès, c’est notre dette financière colossale : 3 228 milliards d’euros. Si l’on n’y prend garde, elle placera notre pays au bord du précipice. (…) Il y a une autre épée de Damoclès, tout aussi redoutable, celle de la dette écologique. Nous n’héritons pas la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants. Cette priorité m’a accompagné tout au long de ma vie publique, depuis mon tout premier engagement aux côtés du tout premier ministre français de l’environnement, dans mon pays de Savoie, à l’Assemblée Nationale et au Sénat où j’ai eu l’honneur de siéger, au ministère de l’environnement puis au ministère de l’agriculture et de la pêche, à la Commission Européenne enfin. Elle sera au cœur de notre action, parce que j’ai en mémoire la recommandation d’un homme d’État que je respectais et admirais,
    Pierre Mendès France : ne jamais "sacrifier l’avenir au présent". ».

    Effectivement, l'autre dette, écologique, fait partie des préoccupations majeures de Michel Barnier : « J’entends bien ceux qui disent : à quoi bon ? Que peut faire la France seule, face à un problème qui concerne l’ensemble de l’humanité ? Je pense qu’on peut faire beaucoup. Nos émissions de gaz à effet de serre ont à nouveau diminué de 3,6% au premier semestre de 2024 : c’est la preuve que les efforts paient. Nous pouvons et devons faire plus pour lutter contre le changement climatique et prévenir tous les risques de plus en plus nombreux et violents qu’il porte en lui, préserver la biodiversité et encourager l’économie circulaire. Nous devons agir plus concrètement au sein de l’Union Européenne et dans le cadre des Accords de Paris, et valoriser les initiatives des communes, de nos régions, des départements, de tant d’entreprises et d’associations. La transition écologique doit être l’un des moteurs de notre politique industrielle. Décarbonation des usines, encouragement à l’innovation, implantation de nouvelles industries de la transition, renforcement de nos filières de recyclage : je crois depuis longtemps à une écologie des solutions. Ensemble, nous allons agir aussi sur l’offre énergétique, en poursuivant résolument le développement du nucléaire, notamment des nouveaux réacteurs, mais aussi des énergies renouvelables en mesurant mieux tous leurs impacts, je pense en particulier aux éoliennes, en valorisant la biomasse pour décarboner efficacement la production de chaleur et de gaz, en développant la filière française des biocarburants pour l’aviation. Enfin, dans les outre-mer, engagés vers un objectif de 100% d’électricité renouvelable en 2030, seront développés des laboratoires d’innovation pour le solaire et la géothermie. Ensemble, nous devons maîtriser nos besoins d’énergie, en poursuivant les efforts engagés et en faisant preuve de sobriété et d’efficacité. Nous allons mieux cibler l’accompagnement des particuliers et des entreprises, notamment pour la rénovation thermique des bâtiments. En attendant, le diagnostic de performance énergétique sera simplifié et son calendrier adapté. ».

    Et de faire de l'État le premier acteur de la transition écologique : « L’État qui est avec ses opérateurs le plus gros propriétaire immobilier foncier du pays doit aussi être exemplaire et réduira sa consommation d’énergie en isolant les surfaces qu’il gère. Pour tout cela, les travaux de planification vont reprendre immédiatement, avec les outils dont nous disposons : la stratégie française pour l’énergie et le climat, le troisième plan national d’adaptation au changement climatique, la nouvelle programmation pluriannuelle de l’énergie. Je voudrais dire un dernier mot sur la question de l’eau. Sécheresses ou inondations, conflit des usages, pollution des nappes phréatiques, envolée des prix : soixante ans après la toute première loi sur l’eau de 1963, le moment est venu, en prenant en compte les travaux et les réflexions engagées ces dernières années, de consacrer aux enjeux stratégiques liés à l’eau une grande conférence nationale pour agir. ».

     

     
     


    Pour rassurer son aile gauche, Michel Barnier a indiqué ses propres lignes rouges : « Madame la Présidente, mesdames et messieurs les députés, j’ai entendu que certains ont des lignes rouges, parfois très rouges. On préfère les lignes bleues aux lignes rouges ! Depuis que j’ai accepté la proposition du Président de la République d’être le Premier Ministre de notre pays, j’ai gardé en mémoire mes propres lignes rouges, qui sont celles de tout le gouvernement. Il n’y aura aucune tolérance à l’égard du racisme et de l’antisémitisme. Il n’y aura aucune tolérance à l’égard des violences faites aux femmes. Il n’y aura aucune tolérance à l’égard du communautarisme. Il n’y aura aucun accommodement en ce qui concerne la défense de la laïcité, aucun. Nous n’accepterons aucune discrimination. Nous n’accepterons aucune remise en cause des libertés conquises au fil des ans. Je pense à la loi sur l’interruption volontaire de grossesse défendue par Simone Veil. Pour tout vous dire, avoir siégé dans le même gouvernement que Simone Veil reste un des grands honneurs de ma vie. Il n’y aura donc aucune remise en cause de cette loi désormais protégée par la Constitution. De même, il n’y aura aucune remise en cause de la loi sur le mariage pour tous ni des dispositions législatives sur la procréation médicalement assistée. ». Ça va mieux en le disant.
     

     
     


    Et pour un clin d'œil à Emmanuel Macron, il a évoqué MacKinsey (sans le citer) : « Pour conserver ou reconstruire une vraie capacité de prospective, j’ai toujours pensé que les acteurs publics tels que les députés ou les membres du gouvernement en avaient besoin, nous fusionnerons France Stratégie avec le Haut-commissariat au plan. Il y a dans les services de l’État de l’intelligence et de l’expertise ; elles peuvent être mieux utilisées, sans avoir recours à des cabinets de conseil privés. ».

    L'action du gouvernement aura cinq grands chantiers : le niveau de vie des Français ; l'accès à des services publics de qualité ; la sécurité au quotidien ; la maîtrise de l'immigration ; plus de fraternité.



    1. Niveau de vie des Français

    Pouvoir d'achat : « Nous avons besoin d’une économie vigoureuse où chacun puisse bien vivre des fruits de son travail. Il y a dans notre pays de nombreuses créations d’emplois et de plus en plus de personnes au travail grâce à l’attractivité de la France pour les investissements internationaux, qui est depuis sept ans une priorité du Président de la République, et grâce à la réussite des entrepreneurs et des entreprises, qu’elles soient grandes, petites ou intermédiaires, des artisans et des commerçants qui travaillent et produisent en France dans de nombreux secteurs, y compris le numérique et l’intelligence artificielle. Notre pays doit et veut amplifier son ambition industrielle. Le gouvernement encouragera une meilleure mobilisation de l’épargne des Français pour soutenir cette dynamique, par exemple à travers un nouveau livret d’épargne dédié à l’industrie. ».

    Renforcer l'emploi : « Nous n’avons pas encore atteint le plein emploi. Le
    RSA ne doit pas être uniquement un filet de sécurité. Nous devons en faire un tremplin vers l’insertion, un nouveau contrat social fait du droit d’être aidé et du devoir de chercher, vraiment, un travail. Cela passe notamment, mais pas seulement, par l’action de France Travail, qui accompagnera désormais progressivement, en lien avec les départements et l’ensemble des acteurs de l’emploi, tous les allocataires du RSA et toutes les entreprises qui ont besoin de recruter. Là où la réforme du RSA a été engagée, ça marche, comme à Marseille où, après six mois d’accompagnement, une personne sur trois est sortie du RSA. Enfin, nous avons de nombreux dispositifs d’insertion par l’activité économique, auxquels je suis attentif, notamment le travail adapté pour les personnes en situation de handicap, ou des expérimentations que je connais assez bien comme Territoires zéro chômeur de longue durée, qui donnent des résultats et doivent être encouragés. ».

    Augmenter le SMIC et autres rémunérations des salariés : « Encore faut-il que le travail paie. Nous revaloriserons le SMIC de 2% dès le 1er novembre 2024, anticipant ainsi l’augmentation prévue le 1er janvier 2025. (…) Nous relancerons la participation, l’intéressement et l’actionnariat salarié, et cela pas seulement dans les grandes entreprises. ».

     

     
     


    Assouplir les contraintes qui affectent le logement : « Nous devons faire évoluer de manière pragmatique et différenciée la réglementation zéro artificialisation nette pour répondre aux besoins essentiels de l’industrie et du logement. Dans un contexte de crise du secteur de la construction, des mesures rapides sont nécessaires pour relancer l’investissement locatif et l’accession à la propriété, notamment chez les primo-accédants, pour lesquels le gouvernement est favorable à l’extension du prêt à taux zéro, sur tout le territoire. En outre, nous devons simplifier au maximum les normes qui pèsent sur la construction des logements neufs ou la réhabilitation des logements anciens. Quant au logement social, il ne devrait être qu’une étape. Les bailleurs doivent pouvoir réexaminer régulièrement la situation de leurs locataires afin d’adapter les loyers à leurs ressources. C’est aussi une mesure de justice sociale. Pour faciliter l’accession sociale à la propriété, il y a, j’en suis sûr, des mesures innovantes à trouver avec les offices HLM ; nous y sommes prêts. Il faut également donner plus de pouvoir aux maires dans l’attribution et la priorisation des logements sociaux sur leur territoire. Faisons-leur confiance pour permettre une vraie mobilité dans le parc social. ».


    2. Accès aux services publics de qualité

    Un constat : « Les Français sont attachés à leurs services publics dans tous les territoires. Je comprends leur colère et leur désarroi, que vous connaissez vous aussi, quand il faut attendre de longues semaines pour obtenir une pièce d’identité ou quand des professeurs absents ne sont pas remplacés. ». Michel Barnier a évoqué notamment l'école (qui sera sa priorité, comme pour tout gouvernement), l'hôpital, et il a insisté sur la santé mentale.
     

     
     



    3. Sécurité au quotidien

    Michel Barnier a annoncé la création de nouvelles brigades de gendarmerie : « Tous les Français ont besoin d’être rassurés par la présence de nos forces, qui seront encore plus visibles et présentes sur la voie publique, ainsi que dans les villes et les villages de France. ». Rendre plus rapide l'application des peines : « Les Français s’attendent à des sanctions rapides, quand elles sont justifiées. Nous devons nous attaquer de manière volontariste à la réduction des délais de jugement, en particulier pour les mineurs. Nous reprendrons la discussion sur la création d’une procédure de comparution immédiate pour les mineurs délinquants de plus de 16 ans déjà connus de la justice et poursuivis pour des actes graves d’atteinte à l’intégrité physique des personnes. Nous poursuivrons la réflexion sur les atténuations de l’excuse de minorité. Il faut stopper la montée continue de la violence des mineurs, qui rend impossible la vie dans de nombreux quartiers. Enfin, les Français demandent que les peines soient réellement exécutées. Il est nécessaire que les jugements soient respectés et que les peines soient exécutées sans être transformées, au risque, si ce n’est pas le cas, de faire perdre toute crédibilité à la réponse pénale. C’est pourquoi nous proposons des peines de prison courtes et immédiatement exécutées pour certains délits. Il nous faut également réviser les conditions d’octroi du sursis et limiter les possibilités de réduction ou d’aménagement de peine. ».


    Il faut construire de nouvelles prisons : « Pour réaffirmer le rôle dissuasif de la sanction, nous devons construire des places de prison. La France compte actuellement 80 000 détenus pour environ 62 000 places. Ce nombre est très insuffisant. J’ajoute, parce que ce sujet m’intéresse, qu’il nuit à la dignité des conditions de détention. Il est donc urgent de construire de nouvelles places de prison, effort qu’ont déjà engagé les gouvernements précédents. Devant l’ampleur du chantier, il faut aussi diversifier les solutions d’enfermement ou de surveillance effective en fonction du profil de la personne détenue et de la peine prononcée, notamment pour les mineurs délinquants. À ce titre, je suis favorable à la création de nouveaux établissements pour les courtes peines. ».

    État de droit (en réponse à
    Bruno Retailleau) : « D’une manière générale, la fermeté de la politique pénale demandée par les Français est indissociable du respect de l’État de droit et des principes d’indépendance et d’impartialité de la justice, auxquels je suis profondément et définitivement attaché. ».


    4. Maîtrise de l'immigration


    Chantier dont il ne pouvait pas se passer face aux demandes populaires et parlementaires. Mais avec un réel flou car le Premier Ministre veut à la fois plus de fermeté et plus d'humanité : « Il est urgent de sortir l’immigration de l’impasse idéologique où l’ont mise les uns et les autres. Un jour, dans un moment d’utopie, j’ai même imaginé qu’on pouvait en faire un sujet d’intelligence nationale. Ce sujet, qui ne laisse personne indifférent, doit être traité avec dignité et gravité, au lieu d’être instrumentalisé dans des controverses inutiles. Nous devons regarder la question de l’immigration avec lucidité et l’affronter avec pragmatisme. (…) C’est en appliquant ces mesures strictes de maîtrise de l’immigration que nous serons mieux en mesure d’atteindre notre objectif : intégrer dignement celles et ceux que nous choisissons d’accueillir, en leur ouvrant plus rapidement l’accès à un titre de séjour, à l’apprentissage du français, à un logement et à un emploi. ».
     

     
     



    5. « Notre pays a besoin de plus de fraternité. »

    La leçon des
    Jeux olympiques et paralympiques : « La formidable réussite des Jeux olympiques et paralympiques de Paris a encouragé la pratique sportive, qui est une des clés pour soutenir le moral individuel et collectif des Français, l’apprentissage des règles du jeu, l’acceptation de l’autre ainsi que pour améliorer la santé de nos concitoyens. Au-delà des belles cérémonies et des médailles françaises, la plus grande réussite de ces Jeux a été aussi de changer notre regard sur le handicap. Tous ces athlètes paralympiques nous ont rendus fiers. L’une des priorités du gouvernement sera de maintenir cet élan pour résoudre les inégalités qui demeurent, pour renforcer la scolarisation, l’accessibilité des transports et de l’espace public, et combattre les discriminations à l’embauche. La fraternité, c’est renouer avec une politique familiale, soutenir toutes les familles, en particulier les familles monoparentales, combattre aux côtés de tant d’associations, avec la plus grande énergie, la pauvreté qui progresse à nouveau dans nos villes et dans nos campagnes. La fraternité, c’est encourager le bénévolat et la vie associative qui font reculer l’isolement et la solitude, et apportent tant de générosité à notre pays. (…) La fraternité, c’est aussi développer une politique culturelle accessible à tous, notamment aux jeunes, dans tout le territoire : l’accès à la culture est à la fois un facteur essentiel d’ouverture personnelle, une condition pour faire progresser l’égalité des chances et l’un des ciments de notre lien social. (…) La fraternité, c’est aussi tisser davantage de liens entre les générations. La cohabitation intergénérationnelle, qui aide beaucoup de jeunes à se loger tout en aidant les plus âgés à vivre chez eux le plus longtemps possible, doit être développée. ».

    Je n'ai pas tout évoquer, notamment les sujets de politique étrangère et aussi les urgences en outre-mer (notamment en Nouvelle-Calédonie), ni certains sujets politiques et sociaux importants, j'y reviendrai spécifiquement le cas échéant.


    Le mot de la fin de Michel Barnier était le suivant : « Devant l’urgence de la situation, et pour l’avenir, recherchons des chemins communs, dégageons des compromis, relevons la ligne d’horizon. Un dernier mot : prenons soin de la République, elle est fragile. Prenons soin de l’Europe : elle est nécessaire. Prenons soin ensemble de la France et des Français : ils nous demandent, je l’entends tous les jours sur le terrain, de dépasser nos divisions, nos querelles, d’agir dans l’intérêt supérieur du pays. Les Français méritent notre engagement. ».

    À la suite de cette déclaration de politique générale qui était de bonne tenue, au contraire des hurlements de certains députés (à gauche), l'ensemble des groupes politiques se sont exprimés par la voix de leur président. Aucun vote n'a été prévu puisque le gouvernement n'a pas demandé la confiance à l'Assemblée, mais une motion de censure sera prochainement examinée.

    Dans ses réponses aux groupes politiques, je retiens, s'il n'en faut retenir qu'une, son dialogue avec
    Mathilde Panot, avec un petit chuintement grand-bourgeois qui n'est pas sans rappeler Valéry Giscard d'Estaing : « J’ai du mal à comprendre votre ton et votre agressivité. J’ai du mal à comprendre la manière dont vous attaquez personnellement et de manière systématique le chef de l’État. Je vais vous dire une chose, madame la présidente : plus vous serez agressive, plus je serai respectueux. ».
     

     
     


    Michel Barnier restera toujours sur la ligne de crête. En prônant l'écoute permanente de tous les groupes politiques, il se montre humble mais aussi indécis, laissant les groupes lui apporter les idées. Il faut dire qu'il marche sur des œufs. Mais il faudra bien trancher, et donc, faire des mécontents. Le premier exercice, celui de la déclaration de politique générale, a été accompli de manière satisfaisante. Le deuxième sera autrement plus délicat : le mercredi 9 octobre 2024, il présentera le projet de loi de finances pour 2025. Ce sera le premier PLF (projet de loi de finances) qui aura été préparé en si peu de temps (il a été nommé à Matignon le 5 septembre 2024). Ce texte aura de quoi énerver tous les groupes politiques à la fois !

    Son expérience et sa prudence sont ses deux atouts, ceux qui ont fait du négociateur en chef du
    Brexit pour l'Union Européenne un redoutable interlocuteur des Britanniques. Pour l'instant, son gouvernement a la vie sauve. Prochaine séance à l'Assemblée : ce mercredi 2 octobre 2024 pour la première séance des questions au gouvernement (qui promet d'être ardue) et l'examen de la stupide motion de destitution du Président de la République soutenue par les insoumis et acceptée par les socialistes. Haut les cœurs !


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (01er octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Législatives 2024 (51) : la quadrature du cercle de Michel Barnier.
    Déclaration de politique générale du Premier Ministre Michel Barnier le 1er octobre 2024 au Palais-Bourbon (vidéo et texte intégral).
    Législatives 2024 (50) : les premiers pas du gouvernement Barnier.
    Composition du Gouvernement Michel Barnier I nommé le 21 septembre 2024.
    Législatives 2024 (49) : les socialistes crient au secours la droite revient !
    Législatives 2024 (48) : les adieux de Bruno Le Maire à Bercy.
    Législatives 2024 (47) : le dur accouchement du gouvernement Barnier.
    Législatives 2024 (46) : les socialistes entraînés dans la destitution...
    Gérard Larcher, protecteur des institutions.
    "À vendre" Lucie Castets 9 000 €/mois !
    Législatives 2024 (45) : Michel Barnier, le choix de l'apaisement.
    Législatives 2024 (44) : l'introuvable Premier Ministre.
    Édouard Philippe massivement candidat.
    Législatives 2024 (43) : Haro sur le Beaudet !
    Législatives 2024 (42) : Bernard Cazeneuve et le retour à la case départ ?
    Législatives 2024 (41) : intérêt national et mode de scrutin.
    Législatives 2024 (40) : Patrick Cohen a raison !
    Législatives 2024 (39) : Consultations et mains tendues !
    Législatives 2024 (38) : la coconstruction du Premier Ministre.
    Législatives 2024 (37) : stupide chantage à la destitution !
    Législatives 2024 (36) : Gérald Darmanin plaide pour un Premier Ministre non macroniste !
    François Hollande sera-t-il le Premier Ministre de son ancien Ministre de l'Économie ?
    Législatives 2024 (35) : Vers une cohabitation du troisième type ?
    Législatives 2024 (34) : Lucie Castets noyée dans une réalité alternative !
    Législatives 2024 (33) : Le grain de sel du Sénat !
    Législatives 2024 (32) : Le casse-tête de Lucie Castets.
    Législatives 2024 (31) : Emmanuel Macron et les joyeux JO.
    Interview du Président Emmanuel Macron le 23 juillet 2024 sur France 2 (vidéo intégrale).
    Claude Malhuret au Sénat : le spectacle continue !
    Législatives 2024 (30) : coalition ou pacte ?
    Législatives 2024 (29) : le staff de l'Assemblée Nationale.
    Législatives 2024 (28) : la stratégie du chaos institutionnel de Jean-Luc Mélenchon.
    Législatives 2024 (27) : l'émotion de Yaël Braun-Pivet.
    Législatives 2024 (26) : les larmes de Marine Tondelier.
    Législatives 2024 (25) : faut-il ostraciser le RN à l'Assemblée Nationale ?
    Législatives 2024 (24) : Huguette Bello, mélenchonette en peau de lapin.
    Législatives 2024 (23) : grand pays recherche son gouvernement.
    Législatives 2024 (22) : qui au perchoir ?
    Législatives 2024 (21) : marche sur Matignon ?
    Lettre aux Français par Emmanuel Macron le 10 juillet 2024 (texte intégral).
    Législatives 2024 (20) : le poison du scrutin proportionnel.
    Législatives 2024 (19) : quel possible Premier Ministre pour une impossible majorité ?
    Législatives 2024 (18) : la fin du cauchemar Bardella (pour le moment).
    Résultats du second tour des élections législatives du 7 juillet 2024.
    Fake news : la scandaleuse manipulation politique du RN.
    Législatives 2024 (17) : rien n'est joué dimanche prochain !
    Législatives 2024 (16) : la question de dimanche prochain.
    Législatives 2024 (15) : les promesses n'engagent que ceux qui y croient !
    Législatives 2024 (14) : la revanche des gilets jaunes ?
    Législatives 2024 (13) : fortes mobilisations au premier tour.
    Résultats du premier tour des élections législatives du 30 juin 2024.
    Appel aux sociaux-démocrates.
    Éric Le Boucher : la France va plutôt bien (27 juin 2024).
    Législatives 2024 (12) : un isoloir, ce n'est pas un cabine d'essayage !
    Législatives 2024 (11) : front, rassemblement, union nationale, barrage, consignes de vote...
    Législatives 2024 (10) : il était une fois Jordan Bardella, Gabriel Attal et Manuel Bompard.
    Législatives 2024 (9) : Emmanuel Macron et son n'ayez-pas-peur !
    Interview d'Emmanuel Macron à Génération Do It Yourself le 24 juin 2024 (podcast intégral).
    Lettre aux Français d'Emmanuel Macron le 23 juin 2024 (texte intégral).
    Législatives 2024 (8) : la bataille de Matignon.
    Le programme aux élections législatives du 30 juin 2024 d'Ensemble pour la République (document à télécharger).
    Législatives 2024 (7) : Ensemble pour la République.
    Législatives 2024 (6) : Nicolas Sarkozy et François Fillon bougent encore !
    Législatives 2024 (5) : le trouble de Lionel Jospin.
    Législatives 2024 (4) : l'angoisse de Manuel Valls.
    Législatives 2024 (3) : François Hollande dans l'irresponsabilité totale !
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Sidération institutionnelle.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Résultats des élections européennes du dimanche 9 juin 2024.






    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241001-barnier.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/legislatives-2024-51-la-quadrature-257017

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/01/article-sr-20241001-barnier.html



     

  • Jean-Louis Debré, enfant de la République (la Cinquième)

    « Aujourd'hui, à mon âge, être un jeune comédien, c'est fantastique. Apprendre un nouveau métier, voir des nouveaux gens, avoir une nouvelle ambition. C'est ça qui est fantastique dans la vie ! » (Jean-Louis Debré, le 28 janvier 2023 sur France Culture).



     

     
     


    Enfant de la République. La Cinquième. Pas de Beethoven, mais de De Gaulle, bien sûr. Jean-Louis Debré fête ses 80 ans ce lundi 30 septembre 2024. Il les fête seul, je veux dire, il les fête sans son frère jumeau Bernard Debré qui est parti il y a quatre ans. Cela doit faire quelque chose d'être amputé d'un frère si proche (et en même temps qui était si différent).

    Au regard de sa carrière politique, on peut dire que Jean-Louis Debré a eu une belle trajectoire, il est un baron de la République, il a eu des postes prestigieux, dont trois qui ont dû faire honneur à son père premier Premier Ministre de De Gaulle (qui n'en a vu qu'un de son vivant) : Ministre de l'Intérieur de 1995 à 1997 (prime au fidèle et loyal, mais un ministre peu convaincant), Président de l'Assemblée Nationale de 2002 à 2007 (beaucoup plus convaincant), enfin Président du Conseil Constitutionnel de 2007 à 2016 (très convaincant).

    Il ne faut pas croire que c'était parce qu'il est issu d'une très grande famille républicaine, de médecins et de responsables politiques, qu'il a eu tout tout cuit sur un plateau d'argent. J'ai déjà évoqué longuement sa carrière ici. Né à Toulouse, diplômé de l'IEP Paris, il a fait un doctorat spécialisé en droit constitutionnel (son directeur de thèse était Roger-Gérard Schwartzenberg, à peine plus âgé que lui). Sa future fonction à la tête du Conseil Constitutionnel est donc non seulement la consécration de son engagement politique mais aussi celle de sa carrière de juriste. Après ses études, il fut membre de cabinets ministériels, juge d'instruction, député, maire d'Évreux, etc.

    Sans doute que, plus que son lien de filiation avec Michel Debré, sa relation faite d'amitié et de loyauté absolue envers Jacques Chirac dans une époque de trahisons (balladuriennes) a quelque peu encouragé sa carrière. Amitié avec Jacques Chirac dont il est devenu un confident jusqu'au bout de la nuit, quand tout s'effaçait, tout s'oubliait. Amitié aussi avec Pierre Mazeaud, son prédécesseur immédiat au Conseil Constitutionnel, qui date des années 1960, une amitié familiale surtout.


    Il a commencé à se présenter aux élections en mars 1973, à l'époque, il avait 28 ans. Dans un reportage dans le journal d'Antenne 2 le 11 février 1973, on le voit ainsi faire campagne assez timidement pour les élections législatives, sans succès. L'une de ses paroles, c'était de dire que s'il s'était servi de sa famille, il aurait choisi une circonscription plus facile.





    C'est un peu cela, Jean-Louis Debré, un homme qui, faute de s'être fait un nom (l'ascendance familiale était trop lourde), a su se faire un prénom. Ayant travaillé pour Jacques Chirac dans les années 1970, il lui était resté fidèle malgré les relations parfois orageuses entre le futur Président de la République et son propre père (ils étaient concurrents à l'élection présidentielle de 1981). Cette fidélité s'est renforcée au moment de la grande rivalité avec Édouard Balladur, et il s'est retrouvé dans le camp des vainqueurs en 1995 : peu de leaders du RPR avaient su soutenir Jacques Chirac, les plus ambitieux préféraient le trahir sur l'autel de leur carriérisme.

    À cette époque, j'appréciais peu Jean-Louis Debré : il n'était qu'un second couteau et montrait un aspect très militant et politicien, avec ses éléments de langage, sa langue de bois, sa mauvaise foi. C'est assez commun et on a pu l'observer chez de nombreux dirigeants politiques, au RPR notamment, de Nicolas Sarkozy à Alain Juppé en passant par Jean-François Copé. L'exercice de son ministère Place Beauvau a été un désastre pour la lutte antiterroriste. Il n'était visiblement pas à sa place.

    Heureusement, il a eu une seconde chance ! Il a donné sa mesure personnelle quand il a été élu au perchoir. D'abord, il l'a été sur son propre mérite et avait un adversaire de taille en 2002 : Édouard Balladur, ancien Premier Ministre, et ancien favori d'une élection présidentielle sept ans auparavant. C'est la victoire du passionné sur le plus médaillé, un peu comme la victoire de Gérard Larcher sur Jean-Pierre Raffarin en 2008, au Plateau (Présidence du Sénat).

    Jean-Louis Debré a été effectivement un excellent Président de l'Assemblée Nationale, ouvrant l'institution sur le monde extérieur, modernisant les procédures, etc. Et sa Présidence n'était pas partisane, il défendait désormais les institutions, l'Assemblée Nationale, avant de défendre son camp politique, son parti, surtout lorsque celui-ci est tombé sous la tutelle de Nicolas Sarkozy qu'il n'a jamais apprécié (au point de voter pour François Hollande en 2012 !).

    Au fur et à mesure qu'il est devenu une autorité de référence dans une République en perte de référence, Jean-Louis Debré se permettait de prendre plus de distance. Tant de ses anciens amis gaullistes que des autres. Sa prise de distance n'était pas nouvelle et pas seulement sous Nicolas Sarkozy. Il s'était émancipé de Jacques Chirac dès 1997 lorsqu'il a pris à l'arraché la présidence du groupe RPR à l'Assemblée Nationale, en opposition au gouvernement de cohabitation de Lionel Jospin, malgré les réticences de Jacques Chirac lui-même, puis le perchoir en 2002 malgré les appétits de deux Premiers Ministres, Alain Juppé et Édouard Balladur (et les mêmes réticences de Jacques Chirac).

     

     
     


    En 2017, il n'hésitait pas à annoncer qu'il voterait Emmanuel Macron aux deux tours de l'élection présidentielle (s'opposant à François Fillon), mais plusieurs années plus tard, il ne s'interdisait pas de critiquer ouvertement le jeune Président de la République, proposant, dans "Le Parisien" du 15 juillet 2023, une dissolution ou un référendum pour rompre avec la crise politique (considérant que les Français se moqueraient d'un changement de gouvernement ou d'un remaniement) : « Vous ne pouvez pas passer des textes aussi importants que la réforme des retraites sans avoir une consultation populaire. (…) Les Français n’ont rien à fiche des changements de ministres. D’ailleurs, on n’en connaît que quatre ou cinq. ».

    Sa Présidence du Conseil Constitutionnel (2007-2016) a été également cruciale pour cette instance suprême car Jean-Louis Debré a dû adapter l'institution à la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui comporte une innovation majeure : le contrôle de constitutionnalité des lois a posteriori (après leur promulgation et leur application) sur saisine des citoyens eux-mêmes (s'ils sont justiciables). Ce sont les fameuses QPC (questions prioritaires de constitutionnalité) qui ont bouleversé les missions du Conseil Constitutionnel en lui donnant beaucoup plus de travail qu'auparavant (ses missions d'origine étant la constitutionnalité des projets de loi avant promulgation seulement sur saisine des parlementaires et la validation des élections nationales).

    Le 13 novembre 2015, il confiait d'ailleurs à Capucine Coquand pour le journal "Décideurs Magazine" que sans ce défi de la QPC, il aurait quitté ses fonctions car cela l'aurait ennuyé : « Sans cela, je ne serais probablement pas resté Président du Conseil Constitutionnel. C’est une avancée significative pour la Ve République et les justiciables, pour notre État de droit. (…) L’institution n’est plus la même que celle que j’ai trouvée en arrivant avec plus de décisions en cinq ans qu’en quarante-neuf ans, le nombre inchangé de fonctionnaires mais de très grand professionnalisme ou la construction d’une nouvelle salle d’audience qui marque la juridictionnalisation de cette institution, un greffe performant, des audiences publiques, des avocats qui plaident... Jamais la maison n’a été aussi ouverte sur l’extérieur notamment vers les étudiants en droit, concours de plaidoiries, salon du livre juridique… (…) [Les dépenses] ont été réduites de 23% alors que nous travaillons beaucoup plus. ».


    Sa plus grande fierté demeure l'indépendance du Conseil Constitutionnel : « Car nous n’avons pas hésité à annuler les comptes de campagne d’un candidat à la Présidence, là où l’un de mes prédécesseurs avait préféré faire la sourde oreille. Nous ne craignons pas un instant de retoquer une surtaxe de 75%, figurant pourtant parmi les promesses d’un candidat à la présidentielle. C’est ça l’indépendance ! Et elle s’illustre symboliquement. Aujourd’hui, il n’y a plus un seul portrait des anciens Présidents de la République : ils ont tous été remplacés par des Marianne. (…) Mon plus grand souvenir, c’est lorsque nous avons annulé la loi de 1838 sur l’hospitalisation sans consentement. Ce jour-là, j’ai pensé à Camille Claudel hospitalisée contre son gré pendant trente ans. On l’a laissée mourir dans un hospice. C’est aussi ça la QPC : rétablir la justice. ».
     

     
     


    Le 5 juin 2023, répondant à l'invitation de l'Association pour l'histoire des Caisses d'Épargne, Jean-Louis Debré donnait sa définition du vivre ensemble dans la République : « "Un rêve d’un avenir partagé" comme le formulait Ernest Renan. La République n’est pas un modèle figé ; c’est une volonté de vivre ensemble. Aspirer à un destin commun suppose des mutations et des ruptures, des compromis et des anticipations. La société est en perpétuelle évolution, des attentes nouvelles apparaissent. Plus que jamais nous avons besoin d’une République audacieuse. ».

    C'est sans doute cette audace et ce besoin de se renouveler qui l'ont fait changer de vie. Jean-Louis Debré a définitivement quitté la vie politique, il n'est plus acteur mais observateur politique, publiant des livres de souvenirs, de témoignages, d'anecdotes... qui pourraient presque s'apparenter à de l'antiparlementarisme primaire si on ne connaissait pas son auteur ! De la taquinerie faite de tendresse et de passion plus que de la haine du système politique dont il défend les principes essentiels. Et certainement aucune rancœur nostalgique.

    Jugeons-en avec ses paroles du 28 janvier 2023 sur France Culture : « Aujourd'hui, le système politique ne génère plus de grands personnages comme jadis. Et la politique est devenue un métier du spectacle. Et peu importe ce que l'on dit, c'est la manière de le dire. Je suis sidéré de voir comment, comme les concitoyens, nous vivons tous dans l'immédiateté. Comment on peut dire tout et son contraire en quelques jours. (…) Le monde politique d'aujourd'hui n’est plus mon monde. Je ne le comprends pas. Je regarde ça avec un très grand détachement. (…) Quand je regarde les discours aujourd'hui des responsables politiques, il n'y a rien, il n'y a aucune ambition, il n'y a aucune foi et aucune passion. Ce sont des mots que l'on a alignés. On lit une note faite par ses collaborateurs. ». Et de conclure : « Je pense qu'il doit y avoir un Président qui assure l'unité nationale et qui est une personnalité importante. Et face à cela, un Parlement qui discute et qui modifie. ».

    Après les élections législatives anticipées, Jean-Louis Debré n'était guère plus tendre avec la classe politique, disant à Francis Brochet le 24 juillet 2024 pour "Le Dauphiné libéré" : « [Les Français] ressentent de l’angoisse pour l’avenir, de la tristesse pour le présent. Ils ont eu une mobilisation extraordinaire pour les législatives, ils voulaient de la sérénité, qu’on se remette au travail pour régler les problèmes économiques et sociaux et le problème de l’insécurité. Les politiques n’ont rien compris, ils chipotent et se font des croche-pieds. (…) La responsabilité incombe à l'ensemble du personnel politique. ».
     

     
     


    Il n'est plus acteur politique, je dois préciser, mais il est devenu acteur tout court, jeune acteur, jeune comédien. En 2022, il a donc radicalement changé de vie car le voici sur les planches avec sa compagne Valérie Bochenek pour honorer les femmes qui ont fait la France (il s'est même produit au Liban), avec ce titre : "Ces femmes qui ont réveillé la France", titre du livre qu'il avait coécrit avec sa compagne dix ans auparavant. Cela fait deux ans qu'il parcourt la France pour évoquer ces femmes françaises : le voici maintenant octogénaire. Amoureux de la France et des femmes.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (28 septembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Bernard Debré.
    Haut perché.
    Michel Debré.
    Jean-Louis Debré.
    Yaël Braun-Pivet.
    Richard Ferrand.
    Il faut une femme au perchoir !
    François de Rugy.
    Claude Bartolone.
    Patrick Ollier.
    Raymond Forni.
    Laurent Fabius.
    Philippe Séguin.
    Henri Emmanuelli.
    Louis Mermaz.
    Jacques Chaban-Delmas.
    Edgar Faure.
    Édouard Herriot.
    Vincent Auriol.
    Paul Painlevé.
    Léon Gambetta.










    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240930-jean-louis-debre.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/jean-louis-debre-enfant-de-la-256647

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/09/28/article-sr-20240930-jean-louis-debre.html