« Pour donner un gouvernement à la France, il faudra que les forces politiques hier adverses entament des discussions pour former une majorité de projets. Cet objectif implique que chaque force politique pose ses conditions mais aussi accepte celles de ses concurrents. C’est le principe même de la coalition parlementaire et le quotidien de la quasi-totalité des démocraties européennes. Pourtant, depuis dimanche, le nouveau front populaire fonce tête baissée, comme si aucune de ces réalités démocratiques n’existait. Ils veulent appliquer leur programme comme s’ils avaient une majorité pour le faire. Ils prétendent désigner le Premier Ministre, comme si celui-ci avait, de manière automatique, le soutien de la majorité de l’hémicycle sans discussion préalable sur sa feuille de route ou ses priorités. » (Stéphane Séjourné, secrétaire général de Renaissance, "Le Monde" le 9 juillet 2024).
La situation politique de la France a de quoi être inquiétante en raison de l'absence de majorité à l'Assemblée Nationale. N'hésitant pas à prendre les Français pour des imbéciles, Jean-Luc Mélenchon a tweeté ce samedi 20 juillet 2024 : « Le nouveau front populaire a la majorité. Maintenant, il faut nommer un Premier Ministre NFP sans tarder. Assez de déni du vote des Français. ». Tel un gâteux, en l'occurrence Jean-Luc Harpagon, qui répéterait en courant : Ma cassette ! Ma cassette !
Son raisonnement est complètement déficient : il considère que sous prétexte que le bureau de l'Assemblée est majoritairement à gauche (alors que le NFP aurait dû laisser quelques places au groupe RN qui méritait, tout autant que la gauche, d'être représenté au bureau), le NFP est majoritaire. Si le bureau est à gauche, c'est simplement par une magouille politicienne du NFP qui, à trois heures du matin, a profité que quelques députés macronistes étaient partis se coucher, ne résistant pas au sommeil, pour devenir hégémoniques parmi les secrétaires (neuf sur douze, plus deux LIOT élus par la gauche). Seule, une députée Horizons a sauvé son fauteuil de secrétaire parce qu'Alexis Corbière n'était pas assez soutenu par les insoumis (cela donne une idée de la grande tolérance qui règne à gauche). Les résultats de ce vote ne sont donc pas vraiment significatifs de la réalité des rapports de force dans l'hémicycle, même si l'un des impératifs évidents dans ces moments de grands votes, c'est de ne pas aller se coucher !
Mais Jean-Luc Mélenchon prend les Français pour des imbéciles aussi parce que, même si le NFP avait la majorité absolue (ce qui, je le répète, n'est pas du tout le cas puisqu'il lui manque une centaine de députés pour cela), il demande à Emmanuel Macron (sans le dire explicitement mais c'est bien cela) de nommer un Premier Ministre NFP alors que cela fait quinze jours que le NFP s'étripe pour sortir un nom. Jean-Luc Mélenchon voudrait-il déléguer à Emmanuel Macron le choix du Premier Ministre ?
Peut-être après tout, et c'est certainement ce que le Président de la République fera, comme le précise l'article 8 de la Constitution : « Le Président de la République nomme le Premier Ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du gouvernement. Sur la proposition du Premier Ministre, il nomme les autres membres du gouvernement et met fin à leurs fonctions. ». C'est même une compétence exclusive du Président de la République. L'article 8 n'est pas : « Jean-Luc Mélenchon nomme le Premier Ministre. »,heureusement !
Et il y a une forte probabilité que le Président de la République ne nomme pas un Premier Ministre NFP pour faire le programme du NFP. Pour la raison très simple, avec la démonstration du 18 juillet 2024, celle de l'élection au perchoir : le candidat du NFP André Chassaigne n'a su rassembler sur son nom que 207 députés, tandis que Yaël Braun-Pivet en a rassemblée 220. L'avance est courte, la majorité absolue très loin d'être atteinte, mais à ce petit jeu de celui-qui-a-la-plus-grande (représentation, bien sûr), incontestablement, dans cette Assemblée impossible, c'est le bloc central, à savoir l'ancienne majorité parlementaire ajoutée aux députés LR, qui ont la plus forte représentation parlementaire. Et pas le NFP.
Qu'on ne me dise pas que LR et les macronistes sont incompatibles : sur le fond, ils sont très peu éloignés, au point que les principaux leaders du macronisme, à l'exception notable de deux Premiers Ministres (Élisabeth Borne et Gabriel Attal), sont tous issus de LR : Édouard Philippe, Gérald Darmanin, Bruno Le Maire, Éric Woerth, Sébastien Lecornu, Catherine Vautrin, Rachida Dati, Christophe Béchu, Franck Riester, Aurore Bergé, etc. De fait, il y a beaucoup plus de proximité idéologique entre LR et le groupe EPR (Ensemble pour la République) qu'entre un député socialiste et un député insoumis, qu'entre Jérôme Guedj et Louis Boyard, qu'entre François Hollande et Jean-Luc Mélenchon.
L'élection du bureau de l'Assemblée Nationale a d'ailleurs montré que si le NFP était parfaitement solidaire entre ses membres, le bloc présidentiel et LR étaient aussi parfaitement solidaires entre eux. Au détriment du RN, d'ailleurs. Cette solidarité de vote est plutôt rassurante et évoque la fiabilité d'une alliance entre eux.
Sur le fond et le cheminement, les dirigeants de LR ont pour l'instant joué une partition assez pertinente. Loin de vouloir évoquer les personnes, les fauteuils, au contraire du NFP, les dirigeants de LR ont parlé de fond, de politique gouvernementale, de ce qu'ils voulaient ou pas pour le prochaine gouvernement, sur différents sujets. Les négociations sont en cours pour faire une sorte de contrat de gouvernement. Eux respectent leurs électeurs, car ils répondent à la question : que va faire le prochain gouvernement ? Alors que les dirigeants du NFP ne cherchent qu'à répondre à des questions de carrières et d'ambitions personnelles : qui va gouverner ?
Évidemment, on pourra toujours dire que pour le NFP, l'idée est d'appliquer le programme du NFP, mais le problème, et tout le monde au NFP le sait, et trompe ainsi les Français et surtout ses électeurs, le programme du NFP n'est pas applicable car il n'est ni cohérent ni sérieux dans l'intérêt de la France. Il n'était qu'un catalogue à la Prévert de mesures totalement démagogiques afin de rapporter le maximum de voix. Et les auteurs de ce programme (entre autre Clémence Guetté, qui a trouvé un beau fauteuil de première vice-présidente, élue grâce aux voix du RN et jamais n'elle aurait ce titre de première vice-présidente sans le RN, il faudra s'en souvenir le cas échéant) n'ont pas hésité à alourdir la barque car ils n'imaginaient pas une seconde qu'ils pourraient être en position de revendiquer le gouvernement, car aussi ils n'imaginaient pas que le bloc central, y compris LR, a joué parfaitement le jeu du front républicain pour empêcher l'arrivée au pouvoir du RN. Rappelons-nous l'argument spécieux de Dominique Strauss-Kahn : préférez un candidat insoumis au candidat RN car, de toute façon, les insoumis n'arriveront jamais au pouvoir et donc, vous ne craignez pas que le mauvais programme du NFP puisse être appliqué.
Plus concrètement, Laurent Wauquiez, qui a repris la main sur le groupe LR (en changeant d'appellation mais je vais rester avec le nom du parti pour rester clair), a pourtant déclaré dès le 10 juillet 2024 qu'il n'était pas question de "coalition"... mais plus tard, LR a parlé de "pacte législatif" qui sera présenté ce lundi 22 juillet 2024. Si on essaie de bien comprendre, cela voudrait dire que LR ne veut pas participer au prochain gouvernement, mais il propose un pacte, c'est-à-dire un contrat sur le fond pour ne pas censurer le futur gouvernement. La différence est assez mince car il faut bien que des personnes appliquent la feuille de route.
Or, le prochain gouvernement ne peut raisonnablement pas être dirigé par un membre du parti présidentiel. Certes, Gabriel Attal aurait toutes les compétences pour le faire, mais politiquement, cela n'aurait aucun sens, et serait anti-électoral (plus qu'antidémocratique). À mon sens, le chef du prochain gouvernement ne pourrait être que... LR. Mais un LR compatible aussi avec le centre gauche voire la gauche. À ce petit jeu, il n'y en a pas des trente-six. Surtout qui le veuillent bien. Le nom de Xavier Bertrand revient souvent parce qu'il n'y en a pas beaucoup d'autres. Il a l'originalité d'avoir battu deux fois le RN aux élections régionales dans le Nord et Picardie (les Hauts-de-France), en faisant des actions communes LR et PS. C'est d'ailleurs le seul qui a parlé de nommer un gouvernement provisoire de la République française.
C'est sûr que ce serait casse-cou d'aller à Matignon aujourd'hui, en 2024, lorsqu'on a l'élection présidentielle de 2027 à l'esprit, mais c'est si loin, 2027. Et l'expérience peut aussi réussir : après tout, Édouard Balladur a été très populaire (qui l'aurait parié avant 1993 ?). L'ennui, bien sûr, c'est que cela donnerait un nouveau rival à Laurent Wauquiez qui bénéficie, aujourd'hui, de la vacuité de leadership chez LR.
Il y a trois énormes différences pour LR entre la situation en 2022 et en 2024 : d'une part, la partie lepéniste de LR du groupe LR est partie avec Éric Ciotti chez Marine Le Pen ; d'autre part, les députés LR de 2024 sont des rescapés du front républicain et n'ont plus été élus contre un candidat macroniste comme en 2022, mais contre un candidat RN et aussi grâce aux électeurs macronistes ; enfin, et c'est peut-être le principal, Emmanuel Macron n'aura pas l'ascendant politique sur le prochain gouvernement qui proviendra principalement de l'Assemblée Nationale. Par conséquent, l'hypothèque Macron est levée, en 2024, d'autant plus facilement que le Président de la République n'a pas le droit de solliciter un troisième mandat, ce qui le place hors-jeu dans tous les cas de figure.
Ces différences devraient amener Laurent Wauquiez à évoluer sur le "pas de coalition" (c'est-à-dire, pas de ministres LR). Avec la question : comment les électeurs LR pourraient-ils comprendre que les responsables LR attendent tranquillement les mains dans leurs poches dans l'opposition sans travailler pour la France, sans remonter leurs manches, voire en laissant un gouvernement d'ultragauche détruire la France ? L'intérêt national les oblige à ne pas rester inertes et à s'engager activement au gouvernement, comme les y encourage très vivement l'ancien Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin.
Pour autant, un gouvernement EPR-LR n'aurait qu'un soutien d'environ 220 députés, ceux qui ont réélu Yaël Braun-Pivet au perchoir, loin des 289 de la majorité absolue. Certes, il aurait la bienveillance du groupe RN qui n'a pas la vocation à censurer un gouvernement du centre ou de droite car le RN le préférerait à un gouvernement d'ultragauche avec des ministres insoumis. Mais cela signifie que ce gouvernement aurait une épée de Damoclès et que du chantage politique pourrait avoir lieu régulièrement. Le RN est assez malin pour faire le jeu constructif de réussir à obtenir deux ou trois mesures spécifiques pour négocier leur bienveillance. La question sera : jusqu'à quel point cette bienveillance serait considérée, chez leurs électeurs respectifs, comme une collusion, voire une trahison.
C'est bien le problème à gauche. La crainte d'être traité de traître. Pourtant, le prochain gouvernement devra forcément bénéficier de la bienveillance, sinon plus, du groupe socialiste. Ils sont 66 députés, avec les 220 du bloc central, cela donnerait 286, soit la majorité absolue (289) car ce qu'il faut au prochain gouvernement, c'est d'éviter d'avoir une majorité absolue contre lui.
Xavier Bertrand serait, là aussi, le plus apte pour faire ce pacte républicain avec les socialistes sur des sujets très concrets. Il se revendique du gaullisme social (ce qui ne veut pas dire grand-chose, le gaullisme lui-même est d'essence sociale, mais comme les mots font tilter les cœurs, disons-le quand même). Il avait soutenu Philippe Séguin en son temps (lointain) et une alliance plus ou moins assumée entre le bloc central et le PS aurait aussi un sens électoral et politique, celui du front républicain. Xavier Bertrand serait le mieux placé pour diriger ce gouvernement de front républicain.
Je n'ai pas de sympathie particulière pour Xavier Bertrand et je ne le crois pas capable d'être un bon candidat à la Présidence de la République, mais je considère que dans la situation parlementaire actuelle, il serait le Premier Ministre idéal. Et d'ailleurs, qui d'autres ? Il faut que une personnalité qui soit à la fois dynamique (arrêtons de chercher chez les vieillards de 70 ans !), très expérimenté aussi (pas des p'tits jeunes), qui connaisse excellemment bien le fonctionnement de l'Assemblée Nationale, qui soit positionné plus à droite que le parti présidentiel car les électeurs ont montré qu'ils étaient plus à droite qu'hier, mais qui soit capable aussi de conclure un modus vivendi avec les socialistes. Et en plus, qui soit un politique, déjà connu car il faut que ce soit sa personnalité politique déjà forte qui donne autorité à un gouvernement qui va avoir une assise forcément fragile.
C'est pour cela il faut du temps pour la construction d'un tel gouvernement. D'abord, amener à convaincre LR que le seul salut, leur seul salut politique et le seul salut national du pays, c'est de participer à un gouvernement d'action. Ensuite, se tourner vers les socialistes, le temps de digérer l'éclatement probable du NFP, sur la base d'un front républicain et d'un esprit de responsabilité.
Les Français seront très attentifs au comportement des uns et des autres et décideront en 2027 en fonction de cette année cruciale. Tout est inquiétant, dans la situation actuelle, mais tout est aussi enthousiasmant : la situation nouvelle crée de nouvelles opportunités politiques. C'est à ce moment charnière qu'on voit si les acteurs politiques sont à la hauteur de l'enjeu ou pas. C'est le moment de changer les lignes. C'est le temps de l'audace.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (20 juillet 2024)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Législatives 2024 (30) : coalition ou pacte ?
Législatives 2024 (29) : le staff de l'Assemblée Nationale.
Législatives 2024 (28) : la stratégie du chaos institutionnel de Jean-Luc Mélenchon.
Législatives 2024 (27) : l'émotion de Yaël Braun-Pivet.
Législatives 2024 (26) : les larmes de Marine Tondelier.
Législatives 2024 (25) : faut-il ostraciser le RN à l'Assemblée Nationale ?
Législatives 2024 (24) : Huguette Bello, mélenchonette en peau de lapin.
Législatives 2024 (23) : grand pays recherche son gouvernement.
Législatives 2024 (22) : qui au perchoir ?
Législatives 2024 (21) : marche sur Matignon ?
Lettre aux Français par Emmanuel Macron le 10 juillet 2024 (texte intégral).
Législatives 2024 (20) : le poison du scrutin proportionnel.
Législatives 2024 (19) : quel possible Premier Ministre pour une impossible majorité ?
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Législatives 2024 (8) : la bataille de Matignon.
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Législatives 2024 (6) : Nicolas Sarkozy et François Fillon bougent encore !
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Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
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Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240720-coalition-pacte.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/legislatives-2024-30-coalition-ou-255949
http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/07/20/article-sr-20240720-coalition-pacte.html