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  • Naissance de la conscience politique d'Edgar Morin

    « L'improbable s'est très souvent produit dans l'Histoire. Athènes, petite bourgade minable, a deux fois résisté à l'énorme empire perse et, grâce à cette résistance, la philosophie et la démocratie sont nées. » (Edgar Morin, 2014).




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    L'improbable dans l'Histoire, c'est par exemple d'éviter un gouvernement RN alors que tous les médias et les sondages le donnait inéluctable. Mais c'est aussi d'atteindre son 103e anniversaire comme c'est le cas du philosophe Edgar Morin ce lundi 8 juillet 2024. 103 ans ! Happy birthday ! Militant antifranquiste, ancien résistant, ancien communiste, Edgar Morin a accueilli son éveil politique avec la même complexité que celle de l'époque troublée qu'il vivait.

    En relisant un de ses livres de mémoires ou plutôt, de souvenirs, "Les souvenirs viennent à ma rencontre" publié le 20 janvier 2021 chez Fayard, je m'aperçois que l'analogie de notre époque politique avec celle d'il y a quatre-vingt-dix ans n'est peut-être pas si erronée que cela. Après les émeutes du 6 février 1934 à Paris, la France s'est hystérisée entre, d'un côté, des ligues d'extrême droite et, de l'autre côté, un parti communiste français qui a accepté d'intégrer le front populaire. Au milieu, le nouveau gouvernement d'union nationale dirigé par un ancien Président de la République Gaston Doumergue, regroupant plusieurs anciens Présidents du Conseil et impliquant à la fois des radicaux (qui étaient de gauche) et des républicains modérés (de centre droit).

    Edgar Morin raconte que c'était son premier souvenir de la politique, il avait 12 ans : « C'est alors que la politique est entrée en coup de vent dans ma classe du lycée Rollin et continua à l'agiter. Insultes et empoignades se multiplièrent entre fils de parents de gauche et de droite. J'avais 13 ans, et ce fut le premier événement politique qui me marqua. Comme j'avais dévoré les romans d'Anatole France dont j'avais fait mien le "scepticisme souriant", je contemplais de haut l'agitation de mes camarades de droite et de gauche. Par contre, plus tard, je fus transporté, ému, par la formidable grève de juin 1936. ».


    Il relève d'ailleurs que parallèlement à ces événements intérieurs, Hitler avait pris le pouvoir en Allemagne : « Je ne me souviens nullement de l'accession de Hitler au pouvoir en Allemagne, le 30 janvier 1933, alors que j'avais 12 ans [en fait, 11 ans], mais j'avais dû être frappé dès cette époque par ses apparitions hurlantes, quasi possédées, aux actualités cinématographiques. ». Il écrit plus loin, en insistant : « Je ne peux qu'avoir horreur du nazisme, avec cette fascination terrifiée d'assister, par écran interposé des actualités cinématographiques, aux discours hallucinés, hallucinants, ivres de frénésie, de fureur ou d'exaltation d'Adolf Hitler. ».

    Il ajoute très rapidement à la suite : « Je ne peux qu'avoir horreur du communisme stalinien. Mes lectures des textes d'anciens communistes désabusés, notamment du "Staline" de Boris Souvarine, publié en 1935, les comptes rendus dantesques des procès de Moscou qui, de 1936 à 1938, condamnent presque tous les dirigeants bolcheviks, compagnons de Lénine, lesquels, ignoblement insultés par le procureur Vychinski, avouent avoir été des traîtres et des espions, m'avaient éclairé, croyais-je à jamais, sur l'URSS. ».

    Et de conclure : « Les deux menaces terrifiantes sont là : nazisme et stalinisme, le capitalisme porte en lui la guerre, comme la nuée porte l'orage selon l'expression de Jaurès et, effectivement, c'est la montée vers la guerre, avec le réarmement allemand, l'exigence d'espace vital par Hitler. Il faut une nouvelle voie qui sauve et transforme. J'oscille entre révolution et réforme : la transformation radicale nécessaire me fait pencher du côté de la révolution, mais je crains l'aventure violente, la guerre civile. La prudence me fait pencher du côté d'un processus progressif des réformes, mais l'exemple de la SFIO montre que le réformisme s'essouffle très vite et capitule devant le "mur de l'argent". Que faire ? ».

    Son premier engagement politique, Edgar Morin l'a eu à l'âge de 15 ans pour soutenir les républicains espagnols dans la guerre civile en Espagne. Il a fait des colis d'aide aux républicains. Il a vite compris que les républicains espagnols n'étaient pas si unis que cela, car l'un des responsables a été tué en novembre 1936 « d'une balle non franquiste » : « Tout en étant désabusé de la mythologie de l'unanimisme républicain, la guerre d'Espagne me travaille au cœur. Le roman de Malraux "L'Espoir" me relance dans la participation psychique aux batailles de Teruel et de l'Ebre, et l'angoisse de la défaite républicaine demeure présente en moi. ». La chute de Barcelone, le 26 janvier 1939 : « Je suis secoué de sanglots. Les réfugiés par milliers se dirigent vers la France où ils vont être parqués et enfermés dans des camps. Le 10 février, toute la Catalogne est occupée. L'Espagne devient totalement franquiste le 1er avril. ».

    D'où son interrogation : « Très ému par les sévices et meurtres qui frappèrent trotskistes, poumistes, libertaires, je ne pouvais cependant croire en leurs espoirs révolutionnaires. Même si l'idée ou plutôt le mythe de la révolution suscitait en moi une sentiment mystique, je ne pouvais y adhérer après tant d'échecs, de défaites, de déviations et détournements. Mais je participais sentimentalement à l'aspiration révolutionnaire. (…) Toute révolution me semblant impossible ou vouée à l'échec, je me mis à suivre les chercheurs d'une troisième voie. (…) Elle cherchait ce que la révolution tchèque de 1968 appellerait le "socialisme à visage humain" : sauver les libertés, développer les solidarités et communautés, échapper à l'hégémonie du profit. Confluaient vers la troisième voie le courant personnaliste d'Emmanuel Mounier et sa revue "Esprit", Robert Aron et Arnaud Dandieu (l'Ordre nouveau), Alexandre Marc, Simone Weil. ».


    La première esquisse d'engagement : « Je crus trouver cette troisième voie et ma propre voie dans le frontisme, mouvement créé par Gaston Bergery en 1936, et qui s'exprimait dans l'hebdomadaire "Le Flèche". (…) Le frontisme s'annonçait comme une lutte contre le fascisme et contre le communisme stalinien. On prétendait régénérer la République en inscrivant un socialisme réformateur dans la nation. (…) Je dis (…) dans "Autocritique" [écrit en 1959] : "Le frontisme m'était apparu comme l'adaptation la plus humaine aux nécessités du siècle". ».

    Mais la guerre s'annonçait en 1939. Edgar Morin rappelle : « En 1939, apparaissait une grande nation expansionniste, guidée non seulement par une exigence d'espace vital, mais par un mythe légitimant la domination de la race aryenne des seigneurs sur les peuples inférieurs, notamment les Slaves et les Français, ceux-ci dégénérés par "les Juifs" et "les Nègres". En 1939, le danger n'était pas tant la revanche de l'Allemagne que la domination du totalitarisme nazi sur l'Europe. ».

    Et pourtant, il était à l'époque pacifiste, pour deux raisons : « La première : l'annexion de l'Autriche, peuple germanique applaudissant cette action, était conforme au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. La revendication des Sudètes, partie de la Tchécoslovaquie habitée par une population allemande, était conforme au droit des peuples. La revendication de Dantzig, ville allemande donnée à la Pologne après la Première Guerre mondiale, était conforme au droit des peuples. La seconde : la France n'était pas prête et n'était plus de taille à lutter contre l'Allemagne surarmée de 1938. Aussi Bergery approuva-t-il les Accords de Munich le 29 septembre 1938 (…). ».

    Toujours dans son livre de souvenirs, Edgar Morin propose un extrait d'une lettre qu'il a retrouvée de Simone Weil adressée à Georges Bergery après les Accords de Munich : « On peut contester, pour des raisons d'honneur, les Accords de Munich, mais la vérité oblige à dire que le principe des nationalités, cher à Napoléon III et aux démocrates-libéraux du XIXe siècle (…), penchait largement en faveur de l'Allemagne, nazie ou pas. L'Anschluss était justifié, de même que la rétrocession des Sud-tes au Reich. » (Cela fait penser amèrement à la Crimée et au Donbass). Simone Weil poursuivait : « Dois-je dire toute ma pensée ? Une guerre en Europe serait un malheur certain, dans tous les cas, pour tous, à tous les points de vue. Une hégémonie de l'Allemagne, si amère qu'en soit la perspective, peut en fin de compte n'être pas un malheur pour l'Europe. Si l'on tient compte que le national-socialisme, sous la forme actuelle d'extrême tension, n'est peut-être pas durable, on peut concevoir à une semblable hégémonie, dans le cours prochain de l'histoire, plusieurs conséquences possibles qui ne sont pas toutes funestes. ».

    Et Edgar Morin de commenter : « Simone Weil estime qu'en cas de domination sans guerre de l'Allemagne sur l'Europe, le nazisme, idéologie de tension et de guerre, s'adoucirait puis se décomposerait au profit d'une Europe libéralisée et enfin unie. Les Munichois ont cru que l'Allemagne nazie pouvait s'assagir, ils n'ont pas vu la formidable force d'expansion de cette Allemagne hitlérisée, aussi puissante en ce siècle que dans le passé l'expansion coloniale anglaise, mais pour s'imposer dans et sur l'Europe. Ils n'ont pas vu que leur capitulation allait inciter Staline à renverser ses alliances et à se protéger de l'Allemagne nazie en pactisant avec elle. ». Ainsi le Pacte germano-soviétique signé à Moscou le 23 août 1939 : « Bien après la guerre, j'ai appris que, pendant que Ribbentrop et Molotov signaient le pacte, Staline, debout, s'était rapproché de l'ambassadeur d'Allemagne et lui avait dit : "Faites savoir à votre Führer que j'approuve pleinement sa politique à l'égard des Juifs". L'ambassadeur du Japon, tout proche, avait capté ces paroles et les rapporta longtemps après dans ses Mémoires. ».

    Après l'invasion de la Pologne : « Bergery a voté seul avec Pierre Laval contre la déclaration de guerre à l'Allemagne. Rétrospectivement, cela ne m'apparaît pas tant comme un acte pacifiste de principe, mais comme un vote qui aurait évité la défaite. Toutefois, l'absence de déclaration de guerre aurait été une capitulation qui n'aurait pas évité qu'avec ou sans guerre, la France subisse l'hégémonie allemande et devienne un protectorat. Le seul espoir, transporté dans un futur incertain, avait été formulé par Simone Weil : le nazisme aurait dépéri tôt ou tard. ». Mais Edgar Morin explique ensuite que Georges Bergery a voté les pleins pouvoir à Pétain, et a même rédigé certains de ses premiers discours jusqu'à ce qu'il fût écarté par lui et Pierre Laval : « Il s'est converti de façon irréductible à la fatalité historique de la défaite, à la constitution d'un régime autoritaire et à la nécessité de la collaboration avec l'Allemagne. Il est toutefois écarté de Vichy, monopolisé par la droite, et ne reçoit que l'aumône de l'ambassade de France à Moscou, qu'il rejoint en avril 1941, soit deux mois avant l'attaque allemande contre l'URSS, ce qui l'oblige à rentrer presque aussitôt en France. ».

    Edgar Morin a fait partie de ces gens qui ont cru en Georges Bergery : « Alors que Simone Weil entre en résistance en 1941 et remet en cause son diagnostic, Bergery, pour sa part, devient et reste vichyste et collaborationniste. Du reste, il participe après la guerre à la fondation de l'Association pour défendre la mémoire du maréchal Pétain. Aujourd'hui, Bergery est ignoré, voire tombé dans l'oubli. Yves Pourchet l'évoque dans un beau texte de 2013 : "Qui donc se souvient de lui ? Sa vie semble définitivement perdue. Il fait partie de ce petit groupe d'hommes brillants, auxquels certains ont tant cru et qui ont chu dans l'oubli de l'histoire". ».

    Dans la résidence secondaire de Maurice Clavel, en été 1963 ou 1964, Edgar Morin s'est retrouvé, très ému, face à Georges Bergery : « Je lui ai dit que j'avais été membre des étudiants frontistes et que je me souvenais de ses réunions (…). "Et nous avions raison", m'affirma-t-il, je ne peux dire si c'était avec assurance ou autorité. J'aurais voulu parler avec lui, discuter, essayer de comprendre. Je n'ai pas osé. Il est mort en 1974. Les dérives ! Les dérives ! »
    .

    C'est sans doute une obsession politique d'Edgar Morin de penser aux risques de dérives des idéaux à l'origine vertueux : « Les tournants et les tourments dans la vie des sociétés et des personnes, et surtout les tsunamis historiques, comme le désastre de 1940, provoquent des dérives : on s'éloigne insensiblement de sa croyance pour en arriver à une autre, parfois diamétralement opposée. (…) J'ai adhéré à ce que je condamnais : le communisme soviétique. Dans un premier temps, après la défaite, j'avais pensé, conformément à l'argument de Simone Weil, que l'empire allemand hitlérisé s'humaniserait dans la pax germana. Puis, après décembre 1941, j'avais reporté sur l'URSS l'argument de Simone Weil, avec une modification de départ. Certes, le communisme de l'URSS avait été implacablement cruel, mais je me suis alors convaincu que cette carence était due à une psychologie obsidionale due à l'encerclement de l'URSS par le monde capitaliste, conjointement à l'arriération de la Russie tsariste. Le culte du chef génial répondait à la nécessité d'unir par une idole concrète les peuples si divers de l'Union Soviétique. Une véritable civilisation socialiste s'épanouirait en URSS après la victoire et rayonnerait sur le monde. ». Et il ajoute juste après : « Mais j'ai très tôt compris que mes espoirs étaient vains, l'URSS redevenait stalinienne, et j'ai pu échapper à la dérive qui en a emporté tant d'autres. ».


    Ainsi, Edgar Morin raconte un peu plus tard sa participation à la revue "Parallèle 50", fondée par Artur London et financée par l'ambassade de Tchécoslovaquie en France. Il n'avait alors pas pris conscience de ce que signifiait le coup de Prague du 25 février 1948 qui fit de la Tchécoslovaquie une "démocratie populaire". Son rédacteur en chef était Henri Thimonnier, gendre de Claude Morgan, directeur des "Lettres françaises", un hebdomadaire issu de la Résistance et contrôlé par le parti communiste français : « En fait, Thimonnier m'avait soutenu habilement au cours de ma fronde culturelle (…). [Il] me propose de collaborer [à la revue] et de m'occuper de théâtre. ».

    Puis il explique son clash à cause de Louis Aragon et Maurice Barrès : « Tout se passe sans encombre jusqu'à la publication dans les "Lettres françaises" d'un retentissant article d'Aragon faisant l'éloge de Maurice Barrès et exaltant son nationalisme. Certes, le PC condamnait alors américanisme et "cosmopolitisme", mais l'éloge par un communiste d'un réactionnaire xénophobe, antidreyfusard, antisémite, grotesquement chauvin durant la guerre de 1914-1918 m'incitait à faire un article critique sur lui dans "Parallèle 50". C'était de ma part une ultime poussée de fronde. L'article suscite la fureur d'Aragon qui saisit la direction du parti communiste français, lequel intervient auprès de l'ambassade tchèque pour protester contre la publication de cet article. Or, me voici protégé par le dogmatisme du parti communiste tchèque contre celui du parti français. Réponse : "Nous, communistes tchèques, n'avons pas de leçons à recevoir des communistes français". Mon exclusion du PC m'a fait cesser ma collaboration à "Parallèle 50". (…) [Mon départ de "Parallèle 50"] se passa au cours d'une réunion administrative glaciale. ».


    Cette genèse de la conscience politique d'Edgar Morin est très intéressante à suivre car elle indique, comme dans toute chose de la vie, l'extrême complexité des engagements. Et de leurs improbables dérives.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (07 juillet 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Naissance de la conscience politique d'Edgar Morin.
    Edgar Morin : "Nous allons vers de probables catastrophes" !
    Edgar Morin, 102 ans et toute sa vie !
    Edgar Morin sur France Inter (à télécharger).
    Les 100 ans d’Edgar Morin.
    Le dernier intellectuel ?
    La complexité face au mystère de la réalité.
    97 ans.
    Introducteur de la pensée complexe.
    "Droit de réponse" du 12 décembre 1981 (vidéo INA).
    Université d’été d’Arc-et-Senans avec Edgar Morin le 9 septembre 1990 (vidéo INA).

     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240708-edgar-morin.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/naissance-de-la-conscience-255562

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/07/08/article-sr-20240708-edgar-morin.html









     

  • Législatives 2024 (18) : la fin du cauchemar Bardella (pour le moment)

    « À l’issue du second tour des élections législatives, le Président de la République va nommer un Premier Ministre sans qu’un délai précis ne lui soit imposé. Constitutionnellement, le Président de la République peut choisir de nommer qui il veut à Matignon, mais Emmanuel Macron doit s’assurer que la personne qu’il choisit sera soutenue par une majorité, comme le veut le régime parlementaire dans lequel nous sommes, qui résultent des articles 20 et 49 de la Constitution. » (Jean-Philippe Derosier, constitutionnaliste, le 5 juillet 2024 dans "Libération").



     

     
     


    On l'avait cauchemardé, et ce cauchemar vient de s'échouer sur le mur de la réalité électorale et populaire : l'hypothèse d'un gouvernement RN a été exclue par les électeurs aujourd'hui, ce dimanche 7 juillet 2024, au second tour des élections législatives anticipées, malgré les tentatives de déstabilisation particulièrement scandaleuses. La vague anti-RN est telle que les dirigeants n'ont même pas osé dire qu'on leur avait volé la victoire. Il faudrait surtout demander aux médias comment, pendant quatre semaines, ils nous ont mitraillé sur l'arrivée inéluctable d'un gouvernement RN. Comment ils nous ont électrochoqués, stressés, hystérisés. Comme si la méthode Coué répétée matin midi et soir par Jordan Bardella, un gars de 28 ans qui n'a jamais rien fait de sa vie, sans expérience professionnelle, seulement payé au RN par la famille Le Pen comme apparatchik, aurait dû fonctionner pour l'amener à diriger le gouvernement de la sixième puissance mondiale sous prétexte qu'il multipliait les likes dans tiktok. Le mirage est passé, ouf.

    Les journalistes et les sondeurs, trop aveuglés par leurs projections à la noix qui ne prennent jamais en compte la réalité du terrain des circonscriptions, donnaient une évidence qui n'en était pas une. Depuis plus de vingt-cinq ans, jamais la participation du second tour des élections législatives avait été aussi forte qu'au premier tour. Cette participation a dépassé quelques records. Et cette mobilisation du second tour, au contraire du premier tour, a été exclusivement focalisée pour faire battre le RN. Cela a permis de récupérer des candidats irrattrapables comme François Ruffin mais n'a pas pu sauver par exemple Caroline Fiat en Meurthe-et-Moselle.

    Grâce aux désistements réciproques, la fièvre RN a limité les dégâts et les Français ont clairement dit qu'ils ne voulaient pas de gouvernement RN. Nous voilà rassurés. J'étais en fait dans une confiance relative et prudente dès jeudi et vendredi derniers à partir du moment où j'ai vu l'absence des candidats RN sur le terrain, leur absence de campagne, et leur réalité, leur CV peu attractif. J'ai été soulagé à 20 heures ce dimanche quand la surprise a éclaté : le RN s'est retrouvé relégué en troisième place parmi les trois blocs que composent la classe politique.

    L'incendie est éteint, et il y a eu comme la fin d'une sorte de mauvaise aventure pendant un mois, entre la dissolution et ce second tour, comme si Emmanuel Macron avait fait deux électrochocs, le premier la dissolution et le second la perspective de l'arrivée au pouvoir du RN pour de vrai.

    Pour autant, rien n'est encore joué. Le 18 juillet 2024, les nouveaux députés feront leur entrée dans l'hémicycle et la première opération sera d'élire un Président de l'Assemblée Nationale. Au troisième tour, la majorité relative suffit, en principe. Mais ce n'est pas là la difficulté.

    La difficulté, c'est qu'il faut passer d'une convergence des non, non à Marine Le Pen, non à Emmanuel Macron et non à Jean-Luc Mélenchon, à une construction d'un oui. Un oui pour gouverner la France, au moins pour l'année qui vient (sans possibilité de dissolution) voire jusqu'à l'élection présidentielle en 2027. De la réussite de cette situation inédite dépendra l'avenir de la France et la capacité du RN à s'accroître encore, ou pas.

    Alors que la nouvelle farce populaire a à peine plus de députés que le bloc central d'Ensemble pour la République, et que Les Républicains gagnent même des sièges par rapport à 2022, il faut se souvenir que la plupart des élus hors RN doivent leur élection par le désistement d'un concurrent de l'autre bord. Or, oublier cela, c'est faire encore prospérer le RN.

    À mon sens, les déclarations de la soirée électorale vont dans le mauvais sens : Jean-Luc Mélenchon et ses sbires revendiquent Matignon, Olivier Faure insiste pour dire qu'il refuse tout programme autre que celui irréalisable du NFP, et même LR, non contents d'avoir eu chaud, refusent obstinément à faire alliance avec Ensemble pour construire un gouvernement de raison et continuent dans le stérile Macron bashing. Ils sont encore dans l'ancien temps sans comprendre que le danger du RN reste encore palpable car malgré sa défaite, large défaite, le RN a nettement amélioré sa situation d'avant 2024, notamment en augmentant de moitié son groupe, ce qui lui permet d'augmenter massivement son financement public et sa force de frappe médiatique et politique.

    Seuls, Jérôme Guedj et Raphaël Glucksmann ont un discours de raison dans une gauche qui s'y croit déjà avec le grand soir. Mais non, il n'y a pas de grand soir, juste l'effet mécanique d'un front républicain qui a été très efficace (alors qu'on le disait fini) mais qui n'apporte aucune solution simple à l'élaboration d'un gouvernement : le NFP n'a aucune capacité à gouverner seul, il lui manque environ une centaine de députés, c'est beaucoup trop. Seul, le bloc central peut prétendre rassembler une majorité parlementaire. C'est clair en tout cas que ni Olivier Faure qui est totalement irresponsable et incompréhensible, ni les insoumis ni même Les Républicains sont aujourd'hui prêts à quitter leur rive commode mais inconséquente pour tenter la synthèse d'une coalition qui puisse gouverner durablement la France.

    Comme dans chaque élection, le scrutin a perturbé les destins de centaines de personnalités, soit par leur élection soit par leur défaite. D'un point de vue plus personnel, nous les verrons un peu plus tard lorsque tous les résultats seront connus. Au sein de la majorité, deux personnalités se dégagent, parce qu'elles ont été réélues avec beaucoup de voix : Gérald Darmanin et aussi Gabriel Attal, le Premier Ministre qui s'est émancipé d'Emmanuel Macron. Quant aux vieux partis traditionnels, LR et le PS, il faudra surveiller le retour à l'Assemblée Nationale de l'ancien ministre Laurent Wauquiez et de l'ancien Président de la République François Hollande, très mal élu en Corrèze.

    Les insoumis font après le second tour ce que les dirigeants du RN ont fait avant le premier tour : faire croire aux médias qu'ils occuperont Matignon alors que les Français n'en veulent pas. Les prochains jours promettent de belles joutes politiques. La robustesse des responsables politique sera mesurée. Et avant tout, leur esprit de responsabilité et d'ouverture. Aucun bloc n'a la majorité absolue et ne pourra gouverner sans faire des concessions avec un autre bloc.


    Voici l'idée des rapports de forces avec les élus des premier et second tour, susceptibles de ne pas être définitifs et surtout susceptibles de se décliner différemment dans la répartition des groupes politiques.

    NFP : 178 sièges.

    Ensemble pour la République, UDI et divers centre : 165 sièges.
    RN, ciottistes et divers extrême droite : 153 sièges.
    LR et divers droite : 66 sièges.
    Autres : 25 sièges (dont régionalistes).
    Sur un total de 577 sièges, soit 289 en majorité absolue.

    C'est rassurant aussi que le peuple refuse la fatalité. Il y avait une sorte de fait accompli, comme si la victoire du RN était acquise avant le scrutin, ce qui était absolument méprisant vis-à-vis des électeurs qui ne s'étaient pas encore prononcés. Chaque chose en son temps : que le peuple parle avant de commenter les sondages. Les instituts de sondages vont devoir réviser leurs modèles pour proposer des prospectives un peu plus réalistes que ce qu'ils ont imposé à "l'opinion publique", même s'ils ont pressenti l'effondrement venir.

    Jamais les jours qui suivent seront aussi incertains sur le plan des institutions que depuis 1958. Une chose est claire, c'est qu'il faut sauvegarder les institutions actuelles qui ont assuré l'expression de la volonté populaire. Une petite musique fait déjà entrevoir la volonté de réformer le mode de scrutin comme si ce serait plus facile avec la proportionnelle : au contraire, elle empêcherait définitivement toute formation de majorité absolue dans le paysage politique particulièrement éclaté d'aujourd'hui. Et finalement si l'on regarde bien, la représentation en nombre de sièges est à peu près similaire à la représentation en nombre de voix dans cette nouvelle Assemblée Nationale.

    La difficulté, ce sera d'abord le vote du budget, la décision politique de la plus grande importance pour le Parlement. Y aura-t-il une majorité pour un budget, et lequel, de budget, ou plutôt, laquelle, de majorité ? Pour l'instant, c'est la grande confusion. À l'évidence, tous les regards se tournent vers le parti socialiste : tant qu'il sera mélenchonisé par Olivier Faure, tout restera bloqué et le RN aura de beaux jours devant lui. Esprit de parti ou esprit de responsabilité, intérêt d'appareil ou intérêt de la nation, plat de lentilles ou vision historique : c'est le choix que devra faire chaque député socialiste, un à un, gardant toutes ses convictions mais bien conscient qu'il doit son élection, pour la plupart d'entre eux, par le désistement voire le soutien d'un candidat macroniste. Ne pas comprendre cela, c'est laisser prospérer une extrême droite encore plus excitée d'avoir loupé son hold-up du siècle.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (07 juillet 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Législatives 2024 (18) : la fin du cauchemar Bardella (pour le moment).
    Résultats du second tour des élections législatives du 7 juillet 2024.
    Fake news : la scandaleuse manipulation politique du RN.
    Législatives 2024 (17) : rien n'est joué dimanche prochain !
    Législatives 2024 (16) : la question de dimanche prochain.
    Législatives 2024 (15) : les promesses n'engagent que ceux qui y croient !
    Législatives 2024 (14) : la revanche des gilets jaunes ?
    Législatives 2024 (13) : fortes mobilisations au premier tour.
    Résultats du premier tour des élections législatives du 30 juin 2024.
    Appel aux sociaux-démocrates.
    Éric Le Boucher : la France va plutôt bien (27 juin 2024).
    Législatives 2024 (12) : un isoloir, ce n'est pas un cabine d'essayage !
    Législatives 2024 (11) : front, rassemblement, union nationale, barrage, consignes de vote...
    Législatives 2024 (10) : il était une fois Jordan Bardella, Gabriel Attal et Manuel Bompard.
    Législatives 2024 (9) : Emmanuel Macron et son n'ayez-pas-peur !
    Interview d'Emmanuel Macron à Génération Do It Yourself le 24 juin 2024 (podcast intégral).
    Lettre aux Français d'Emmanuel Macron le 23 juin 2024 (texte intégral).
    Législatives 2024 (8) : la bataille de Matignon.
    Le programme aux élections législatives du 30 juin 2024 d'Ensemble pour la République (document à télécharger).
    Législatives 2024 (7) : Ensemble pour la République.
    Législatives 2024 (6) : Nicolas Sarkozy et François Fillon bougent encore !
    Législatives 2024 (5) : le trouble de Lionel Jospin.
    Législatives 2024 (4) : l'angoisse de Manuel Valls.
    Législatives 2024 (3) : François Hollande dans l'irresponsabilité totale !
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Sidération institutionnelle.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Résultats des élections européennes du dimanche 9 juin 2024.
     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240707-legislatives.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/legislatives-2024-18-la-fin-du-255681

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/07/07/article-sr-20240707-legislatives.html



     

  • Tristesse

    « Mais vivre en silence
    En pensant aux souffrances
    De la Terre et se dire
    Qu’on n’est pas les plus malheureux »




     

     
     


    7 juillet. Cela pourrait un jour heureux. Cela pourrait être le jour le meilleur, surtout pour qui considère le chiffre sept comme le préféré, à la fois pointu et singulier, diversifié selon qu'on lui laisse cette petite dague à la taille ou pas. Le chiffre lui-même a l'aspect d'une petite hache, c'est le côté tranchant de la chose. Septième jour du septième mois. Nombre premier, chiffre particulier qui se distingue au point d'en avoir entraîné le septennat. Amorce de l'été. Le soleil jaune, le ciel bleu, la prairie verte. La douceur de la nuit, l'éclat du jour.

    Et puis, c'est maintenant le plus pourri. La descente au fond du précipice. L'effondrement sans appel, sans préavis. Le gouffre de la noirceur existentielle. La prison de l'enfer.

    J'ai su le lendemain.
    Le téléphone, l'incompréhension.
    L'insupportable réalité.
    Une réalité tellement fréquente, tellement commune.
    Il faudra vivre avec.

    « Mais vivre en silence
    En pensant aux souffrances
    De la Terre et se dire
    Qu’on n’est pas les plus malheureux »


    Rétroprojection de la veille, au jour J.
    J'étais sur les quais du métro parisien. J'essayais le métro-boulot-dodo. Le provincial que j'étais comprenais les envies suicidaires des travailleurs du matin, de cette France de la banlieue qui se lève tôt pour pas grand-chose à la fin du mois. Sentiment aigu de l'irréversible. Les prisonniers de leur sort. Au bout de cinq jours seulement. C'était un vendredi matin. Dire que là-bas, à plusieurs centaines de kilomètres, tu venais de t'achever. Le soupçon mortuaire aurait-il une raison ? Ai-je été prévenu immédiatement ? Ai-je senti, ai-je pressenti ? Rationalité et grands esprits.

    Mardi suivant. À peine dix jours de travail et déjà un congé sans solde. Autoroute. Voiture remplie. Grand soleil. Saine camaraderie avant l'émotion. À l'approche du lieu, silence, recueillement. Pensée malsaine de vouloir regarder l'endroit exact. Sans savoir. Et puis cette scène : nous étions une dizaine, en avance. Nous nous sommes mis chacun comme un pilier juste dehors, au soleil, à l'entrée de l'église. Une petite église. Les gens sont arrivés. La famille. Nous fermions le ban. Nous étions au chœur. Au cœur. Place privilégiée. Émue. Merci.

    Pendant des années, j'ai roulé dans la nuit. Des heures et des heures. Pendant des années, j'ai écouté ces morceaux, j'ai ruminé ma foi, ma bonne foi et ma mauvaise foi, j'ai "nostalgié", j'ai pleuré, j'ai communié. Pendant des années, je me suis arrêté à ce 7 juillet. Pendant des années, je me suis repassé les films, les photographies, les couleurs, les sons, ta voix, ton sourire, ta vivacité. Les moments si courts. Une sorte d'idéalisation, de mythification, de sanctuarisation, de sanctification. Pendant des années, j'ai compté les jours, les mois, les années. Je les compte encore.

    C'est si loin maintenant.
    Tu étais tout seul. Le matin. Peut-être vers sept heures.
    Route de campagne. Personne. L'été doux. La vie qui s'ouvrait.

    C'était un vendredi matin.
    C'était il y a trente-cinq ans
    Tu étais mon ami.
    Parmi d'autres, plus que d'autres.

    Une distraction. La joie éclipsée par la distraction.
    Un arbre. Un stupide arbre.
    Un don d'organes.
    Tu avais 21 ans.
    Et tu vis encore.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (07 juillet 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Tristesse.
    Au revoir les enfants.












    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240707-7-juillet.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/tristesse-255670

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/07/07/article-sr-20240707-7-juillet.html



     

  • Fake news : la scandaleuse manipulation politique du RN

    « Les Français méritent mieux que ces méthodes trumpistes. Alors dimanche, ils trancheront démocratiquement, dans les urnes. » (Gabriel Attal, le 5 juillet 2024 sur Twitter).



     

     
     


    L'extrême droite, c'est la plus basse manipulation politique. On pouvait croire que cette période était révolue, que nous étions entre personnes civilisées. Eh bien, pas du tout ! La campagne électorale du second tour des élections législatives se terminait ce vendredi 5 juillet 2024 à minuit. Mais deux heures avant, nous avons eu droit à une honteuse manipulation politique.

    Je l'ai moi-même constaté par hasard en zappant et en tombant à 22 heures 08 sur la chaîne Bolloré CNews qui affichait ce curieux bandeau (avec une faute d'orthographe que je retranscris, on est patriote mais on est nul en français) : « L'éxécutif va suspendre la loi immigration (JDD) ».

    Cette information n'était pas anodine : le Premier Ministre Gabriel Attal avait annoncé le 1er juillet 2024 sur TF1 que, dans un souci d'apaisement, il reportait la réforme de l'assurance-chômage dont il devait signer le décret le même jour. Donc, cette possibilité de suspension de la loi Immigration était crédible dès lors que des désistements réciproques avaient eu lieu pour faire barrage à l'extrême droite.

     

     
     


    De plus, sur le fond, une telle information, si elle était vraie, donnerait une illustration éclatante de l'équation (évidemment fausse) Emmanuel Macron = Jean-Luc Mélenchon.

    Une telle information était politiquement très importante pour le choix des électeurs. Et pourtant, aucun autre média ne l'a relayée : ni LCI, ni BFMTV, seulement CNews qui, bizarrement, a désormais le même propriétaire que la source de l'information, à savoir le "Journal du dimanche" (apparemment, Europe 1 a aussi relayé). Il faut savoir que depuis près d'un an, le JDD est un journal d'extrême droite qui n'est plus fiable. C'est ainsi. Comme "France-Soir", comme tant d'autres médias qui ont eu leur heure de gloire et qui ne sont plus qu'une marque qui trompe désormais par son ancienne réputation.

    Le JDD titrait exactement : « Info JDD : le gouvernement s'apprête à suspendre la loi Immigration ». L'article mis en ligne vendredi soir mais les lecteurs de JDD l'ont découvert le samedi matin, expliquait : « L'exécutif pourrait envisager de retarder, de suspendre ou même de ne pas promulguer ces dispositions. ». Ce qui est faux puisque la loi a déjà été promulguée, le 26 janvier 2024.

     

     
     


    Tout s'est passé deux heures avant minuit. Dès 22 heures, très au courant de l'information immédiate (!), le président du RN Jordan Bardella a retweeté l'information du JDD, ce qui est une très grossière manipulation vu la rapidité de la diffusion : « Alors qu'une immense majorité de Français souhaite maîtriser l'immigration, le gouvernement s'apprête à suspendre les quelques maigres mesures de fermeté de la Loi immigration. On peut empêcher cette coalition Macron-Mélenchon sous le contrôle de l'extrême gauche : mobilisation ! ».
     

     
     


    Comme on le voit, l'extrême droite ne fait pas dans la sophistication, mais dans le gros bourrinage : plus c'est gros, plus ça passe. Mais le gouvernement a immédiatement démenti cette fausse information. Les autres médias ne s'étaient pas donné la peine d'en donner crédit.

    À 22 heures 31, Gabriel Attal a réagi, sur le même média, Twitter : « Opérations bien huilée ! Juste avant la fin de campagne, une fausse information reprise immédiatement par le RN dans l'espoir que nous n'ayons pas le temps de répondre, et influer sur le vote. Belle coordination, mais dommage pour vous : information sitôt démentie. Cela ne montre qu'une chose : votre fébrilité. On l'a vue tout au long de cette semaine, où vous avez renoncé à faire campagne. On ne vous a pas vu sur le terrain. Vous avez refusé tous les débats qui vous étaient proposés avec moi cette semaine. Vos candidats eux-mêmes, par centaines, ont déclaré forfait pour les débats de la presse locale et ont joué la chaise vide, espérant masquer leur impréparation. Vous avez paniqué devant le voile levé sur votre programme catastrophique et certains de vos candidats aux propos racistes, antisémites et homophobes. ».
     

     
     


    Certains militants du RN ont d'ailleurs refusé de croire aux démentis du gouvernement en montrant qu'aucun décret d'application n'avait encore été signé pour la loi Immigration. Sauf que certaines dispositions de la loi peuvent s'appliquer sans avoir besoin de décret d'application.
     

     
     


    Ce n'est pas nouveau. Une manipulation de même type, c'est-à-dire grossière, de cour de récréation, a eu lieu dans la cinquième circonscription du Maine-et-Loire où le candidat soutenu RN Gilles Bourdouleix avait faussement annoncé qu'il se retirait, laissant ainsi ses deux concurrents Ensemble et NFP déposer leur candidature, et à une heure avant la fin du dépôt de candidature, il s'était finalement représenté, croyant éviter ainsi un désistement en sa défaveur (c'est bien une opération de cour de récréation car la candidate NFP a annoncé finalement qu'elle n'imprimerait pas ses bulletins de vote).

    Le Ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a aussi immédiatement démenti : « C'est bien sûr totalement faux. ». Le Ministre des Affaires étrangères Stéphane Séjourné, par ailleurs secrétaire général de Renaissance, a réagi pour sa part : « Fake news et manipulation grossière à vingt-quatre heures du scrutin. Le JDD, CNews et Europe 1 s'emploient dans une opération coordonnée avec un parti politique à tromper les électeurs. ». Il comptait saisir le tribunal judiciaire de Paris d'une action anti-fake news.

     
     


    Le JDD a modifié son article et supprimé le tweet en question dans la journée du samedi. En revanche, Jordan Bardella n'avait toujours pas retiré son tweet.
     

     
     


    Citoyen parmi d'autres, le docteur Jérôme Marty, président d'un syndicat de médecins, était ulcéré par cette basse manipulation : « Je ne sais pas si l'on mesure bien ce que nous avons vu hier soir (…). Nous avons donc quelqu'un qui prétend aux plus hautes fonctions de l'État qui sciemment participe (organise ?) à un mensonge national électoral. Il faut réaliser l'importance de ce scandale et ce que cela augure des années à venir si l'extrême droite était au pouvoir. Jamais dans notre histoire républicaine une telle manœuvre n'avait été organisée. La proximité entre le groupe Bolloré et le RN est connue. Nous avons donc assisté hier soir à une déstabilisation orchestrée des législatives, une tentative de vol d'une élection par voie de presse. C'est gravissime. Cela pourrait-il casser ces élections. ».

    La démocratie est toujours trop faible quand elle ne réagit pas aux attaques qu'elle subit sans arrêt. Heureusement, il y a un moyen simple et clair pour réaffirmer l'attachement aux valeurs républicaines et démocratiques, cela s'appelle le vote et c'est dimanche.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (06 juillet 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Fake news : la scandaleuse manipulation politique du RN.
    Loi Immigration.
    Le nouveau JDD.
    Le nouveau patron du JDD.
     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240705-manipulation-jdd.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/medias/article/fake-news-la-scandaleuse-255668

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/07/06/article-sr-20240705-manipulation-jdd.html



     

  • Royaume-Uni : victoire historique des travaillistes de Keir Starmer

    « On peut dire ce que l’on veut sur vouloir sauver le monde, mais si nous ne gagnons pas d’élections, il n’y a rien que nous puissions faire ! » (Keir Starmer, le 4 avril 2020).


     

     
     


    L'actuel Premier Ministre britannique Rishi Sunak, du parti conservateur, a dissous les Communes le 22 mai 2024 (comme en France le 9 juin 2024). Les citoyens britanniques sont allés voter ce jeudi 4 juillet 2024. Le renouvellement des parlementaires aurait dû avoir lieu en décembre prochain, leur mandat étant de cinq ans. 4 515 candidats ont fait campagne pour les 650 sièges de députés. Ce sont les premières élections législatives sous le règne de Charles III. Ces élections closent une période de quatorze ans de gouvernements conservateurs ponctuée par le Brexit et l'hystérisation du débat politique.

    En effet, la promesse d'organiser un référendum sur le Brexit par David Cameron n'avait qu'une finalité très démagogique, gagner les élections législatives du 7 mai 2015 et le pari fut réussi. Sauf que David Cameron, qui ne souhaitait pas le départ du Royaume-Uni de l'Union Européenne, a dû organiser ce fameux référendum (qui a eu lieu le 23 juin 2016) et la campagne fut extrêmement démagogique et populiste (avec probablement des ingérences russes comme c'est désormais courant) et les conservateurs étaient eux-mêmes très divisés sur la question. Après la victoire du oui au Brexit, David Cameron a démissionné et les gouvernements se sont succédé, ceux de Theresa May, Boris Johnson, Liz Truss et Rishi Sunak (ainsi que les élections : le 8 juin 2017 et le 12 décembre 2019) pour mettre en œuvre techniquement (et avec beaucoup de difficultés) le Brexit.

    Si les conservateurs, pourtant profondément divisés sur le Brexit, ont pu gagner les élections de 2017 et 2019, c'est parce que leurs adversaires travaillistes s'étaient donné comme leader Jeremy Corbyn, un homme très à gauche, ami de Jean-Luc Mélenchon et considéré comme le Mélenchon britannique. C'est même plus que cela puisque Jeremy Corbyn a démissionné de la tête du parti travailliste en raison des suspicions d'antisémitisme (et de ses échecs électoraux répétés).

    Son successeur désigné le 4 avril 2020 est Keir Starmer (61 ans), une personnalité beaucoup plus recentrée, avocat, procureur général, député depuis 2015. Il a gagné sa notoriété auprès du grand public comme défenseur des écologistes dans l'affaire McLibel (un groupe de militants écologistes a fait campagne contre les méthodes de McDonald's, une affaire judiciaire qui a duré très longtemps) dans un documentaire de Ken Loach en 1997. Favorable au maintien de son pays dans l'Union Européenne, Keir Starmer avait demandé l'organisation d'un second référendum sur le Brexit mais Jeremy Corbyn s'y était opposé.


    La situation économique se dégradant et les conservateurs étant très divisés, la défaite du gouvernement sortant était attendue, mais peut-être pas d'une telle ampleur. Le mode de scrutin pour la Chambre des Communes est le scrutin majoritaire à un tour, ce qui a pour effet une amplification des victoires et des défaites, d'autant plus que le système politique britanniques n'est pas binaire, puisque quatre partis principaux ont fait campagne, les conservateurs, les travaillistes, mais aussi les centristes libéraux-démocrates et les populistes de Nigel Farage qui avait efficacement fait campagne en faveur du Brexit. Malgré une audience électorale non négligeable (il n'y a pas encore les résultats en voix mais probablement une dizaine de pourcents), le nombre de sièges se comptera sur les doigts d'une main (dans les résultats provisoires, son parti est crédité de 4 sièges, ce qui est beaucoup plus que ce que les sondages avaient pronostiqué).

    Sur 648 sièges connus (sur les 650 au total) dans les résultats provisoires, les travaillistes ont obtenu (au moins) 412 sièges, soit 210 de plus qu'en 2019. Les travaillistes ont donc largement atteint la majorité absolue (326 sièges). Inversement, c'est un désastre électoral pour les conservateurs qui ont perdu 244 sièges avec 121 députés élus. Selon certains spécialistes, la victoire des travaillistes est historique est dépasse celle des libéraux aux élections du 12 janvier au 8 février 1906 où ils avaient obtenu 397 sièges sur 670 avec 48,9% des voix (pour une participation de 83,2%), soit un gain de sièges de 214 alors que leurs adversaires conservateurs avaient perdu 246 sièges avec 156 sièges gagnés (pour 43,4% des voix).
     

     
     


    Ce jeudi, les libéraux-démocrates ont fait également un très beau score avec le gain de 60 sièges, ils ont atteint (au moins) 71 sièges, tandis que le parti national écossais (indépendantistes écossais) a au contraire énormément chuté à 9 sièges (perdant 39 sièges), accusant sa plus grande défaite depuis 2010. Pour les conservateurs, c'est une défaite historique puisque jamais ils n'ont eu aussi peu de députés depuis la fondation des Tories en 1834 !

    Si les travaillistes ont gagné, c'est aussi parce que Keir Starmer a profondément changé le programme de son parti depuis la démission de Jeremy Corbyn, ce dernier voulait même se désengager de l'OTAN. Keir Starmer a tenu une ligne très claire de lutte contre l'antisémitisme, a rejeté les mesures fiscales démagogiques en renonçant à des augmentations d'impôts, en prônant une politique pro-entreprises, en soutenant un programme nucléaire de long terme, en défendant une régulation de l'immigration, etc.

    C'est assez amusant de voir des gens de gauche en France qui se sont alliés avec les insoumis se féliciter de la victoire de Keir Starmer, car si l'on veut se permettre de faire un parallèle, on peut dire que les travaillistes britanniques ont pu gagner (très largement) les élections parce que justement, ils ont viré leur Jean-Luc Mélenchon et l'ont remplacé par leur Emmanuel Macron ! Nul doute qu'une ère nouvelle commence au Royaume-Uni. Celle du retour à la modération.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (05 juillet 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Royaume-Uni : victoire historique des travaillistes de Keir Starmer.
    Les 80 ans du Débarquement en Normandie.
    Le Tunnel sous la Manche.
    Il y a 20 ans, l'élargissement de l'Union Européenne.
    Peter Higgs.
    Les 120 ans de l'Entente cordiale.
    75 ans de l'OTAN.
    Le souverain cancer de Charles III.
    Le retour surprise de David Cameron.
    Charles III en France : oublié le Brexit, vive l'Entente cordiale !
    David Hockney.
    Richard Attenborough.
    Jane Birkin.
    Kim Wilde.
    Couronnement plus vieux, couronnement heureux !
    Tony Blair.
    Discours de Tony Blair à l'Assemblée Nationale le 24 mars 1998 à Paris (texte intégral et vidéo).
    Êtes-vous invité au couronnement ?

    Margaret Thatcher.
    John Major.
    Michael Heseltine.

    Audrey Hepburn.
    Anthony Hopkins.
    Alireza Akbari.
    Ukraine, un an après : "Chaque jour de guerre est le choix de Poutine".
    L'Ukraine à l'Europe : donnez-nous des ailes !
    Élisabeth II, la reine des Français ?
    Howard Carter.
    La BBC fête son centenaire.
    Rishi Sunak.
    Qui succédera à Liz Truss ?
    Liz Truss.
    Le temps du roi Charles III.
    Je vous salue Élisabeth, pleine de grâce…
    Archie Battersbee.
    Diana Spencer.
    Theresa May.

     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240704-starmer.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/royaume-uni-victoire-historique-255611

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/07/04/article-sr-20240704-starmer.html




     

  • Législatives 2024 (17) : rien n'est joué dimanche prochain !

    « Ce qui est sûr, c'est que nous, on a une ligne qui est de ne pas augmenter les impôts ni sur les entreprises ni sur les Français. (…) Et je vais vous dire : je pense que, économiquement, on a mis le pays sur le bon rail. Moi, je fais partie d'une génération qui a grandi en entendant en permanence que le chômage de masse, c'était une fatalité, qu'on n'arriverait jamais en France de sortir du chômage de masse, qu'on resterait toujours collés à 10% de chômage. Qu'est-ce que je vois aujourd'hui ? On a fait la moitié du chemin vers le plein emploi. On a le taux de chômage le plus bas depuis 25 ans, le taux de chômage des jeunes le plus bas depuis 40 ans. On a créé 2,5 millions d'emplois ces dernières années. Il y a 1 million d'apprentis chaque année dans les entreprises. Ça, c'est positif ! » (Gabriel Attal, le 3 juillet 2024 sur BFMTV).



     

     
     


    Ces élections législatives anticipées auront fait éclater tous les records, et d'abord, la brièveté de la campagne électorale. Vu le côté malsain du genre, ce n'est peut-être pas mal d'en finir le plus vite, mais cela signifie aussi que les débats sur l'avenir de la France ont été bâclés. Ce qu'a fait Emmanuel Macron avec la dissolution, qui restera incompréhensible pendant encore longtemps, est ce qu'on appellerait en métallurgie une trempe, et pas une trempe dans un bain d'huile, mais plutôt dans de l'eau glacée. C'est-à-dire que la cristallisation s'arrête nette avec la dissolution, la cristallisation des intentions de vote, et c'était facile de les connaître puisque ce sont les mêmes que les résultats des élections européennes, là est certainement l'erreur de l'Élysée alors que le pays allait mieux économiquement.

    Ce n'est pas un mal d'en finir, mais peut-être comme l'agonie d'une maladie sans retour ? Au-delà de la violence verbale, observée notamment sur les réseaux sociaux, voici de la vraie violence, physique, brutale, comme mercredi avec l'agression contre la ministre Prisca Thevenot et son équipe de campagne à Meudon-la-Forêt ou encore à Grenoble, violence contre un élu de La Tronche signalée par Olivier Véran.

    Les sondages qui font des projections en sièges pour le second tour sont toujours à prendre avec des pincettes. Cependant, tous les instituts de sondages ont bien remarqué qu'entre le soir du premier tour et ce milieu de semaine, après le dépôt des candidatures, l'estimation pour le RN a fortement baissé et laisserait croire que le spectre d'une majorité absolue de députés RN s'éloignerait de manière irrévocable.

    C'est vrai que cette baisse pourrait s'expliquer par deux phénomènes. Le premier vient directement des désistements et de la transformation des triangulaires en des duels. Là où le candidat RN arrivé en tête pouvait se faire élire avec moins de 50% dans une triangulaire doit atteindre les 50% dans un duel. Mais le précédent des élections législatives de juin 2022 a montré que le RN pouvait se faire élire dans les duels, puisque les 89 députés RN élus en 2022 l'ont été dans la quasi-totalité des cas dans des duels. Il n'y a plus de plafond de verre depuis longtemps, et le 30 juin 2024, 37 candidats RN ont même été élus dès le premier tour en présence de cinq, six, sept, etc. candidats.


    Le second phénomène est plus intéressant et plus remarquable : les sondés se mettent, pour certains, à changer les perspectives de leur vote. En effet, lorsque des députés sortants voire des ministres actuels se sont retirés de la compétition parce qu'ils étaient en troisième position dans une triangulaire, même s'ils pouvaient imaginer bénéficier de bons rapports de voix au second tour et envisager leur réélection, ils ont prouvé qu'ils sacrifiaient leur carrière, du moins leur situation à court terme, au nom du front républicain afin d'éviter un gouvernement RN. Cet exemple va donc encourager les électeurs à faire de même, cet acte difficile de devoir peut-être voter pour un candidat qui ne pense pas comme eux mais dans le but urgent et salutaire d'empêcher l'arrivée de l'extrême droite au pouvoir.

    C'est le principe de l'urgence électorale proposée par Raphaël Glucksmann. Or, curieusement, le front républicain fonctionne beaucoup mieux que prévu parce qu'il reste une majorité de Français opposés fermement à un gouvernement RN, même s'ils ne sont pas d'accord pour savoir par quoi le remplacer. En cela, ce vote de barrage n'a rien d'antidémocratique, au contraire, c'est bien le jeu démocratique et si les victimes de ce barrage, en l'occurrence ici le RN, perdent des sièges à cause de cela, c'est au contraire par le jeu de la démocratie parce qu'ils sont (encore) minoritaires dans le pays (33% n'a jamais été égal à 50% : un tiers ne vaut pas une moitié).
     

     
     


    Pour autant, il y a des mécanismes qui sont particulièrement redoutables : un parti qui atteint la première place à plus de 30% des voix au premier tour des élections législatives remporte généralement la majorité absolue des sièges au second tour par l'effet majoritaire. Les sondeurs sont aujourd'hui dans la difficulté : certes, ils ont excellemment bien évalué les audiences électorales en nombre de voix des partis au niveau national, tant pour les élections européennes que pour le premier tour de ces législatives (il faut le leur reconnaître). Mais leurs projections en sièges sont basées sur des modèles inédits et une configuration de trois pôles politiques de force à peu près équivalente.

    Or, le principe du front républicain, du barrage contre l'extrême droite, ne peut fonctionner qu'avec une forte mobilisation électorale : l'abstention ou le vote nul ou blanc ne sont pas des options si l'on veut absolument empêcher l'extrême droite d'arriver au pouvoir. Il faut pour cela voter pour le candidat opposé au RN, qu'il soit d'un bord politique proche comme d'un bord politique très différent.

    Le risque de démobilisation est grand car si les électeurs se disent qu'ils peuvent ne pas aller voter car le second tour est déjà joué, que le RN n'obtiendrait pas la majorité absolue dimanche prochain, ils se trompent car la condition nécessaire pour l'efficacité de ce barrage, c'est justement qu'ils se déplacent en masse et votent pour le candidat opposé, même si cela fait mal, car cela fera moins mal que de se réveiller avec le RN et le clan Le Pen au pouvoir.

    De plus, l'argument selon lequel la formation politique du candidat opposé au RN ne pourra pas atteindre la majorité absolue signifie que son programme, même en votant pour lui, ne pourra pas s'appliquer, du moins en l'état. Et cet argument est valable avant le second tour en connaissant la situation de chaque circonscription après le premier tour et après les désistements : le NFP ne pourra pas obtenir de majorité absolue ni d'ailleurs le bloc central.


    Cela ne dira pas quel sera le prochain gouvernement car l'Assemblée Nationale a un grand risque d'être éclatée. La question qui se posera alors d'un gouvernement de "grande coalition" concernera une situation totalement inédite sous la Cinquième République. Notre Constitution est stable, solide et souple, elle a pu s'adapter à de nombreuses situations institutionnelles inédites : d'abord, avec un Président qui n'était plus gaulliste, en mai 1974, puis avec une véritable alternance politique, socialo-communiste, en mai 1981, ensuite avec une cohabitation entre une majorité parlementaire de bord opposé à celui du Président de la République.

    La situation sans majorité absolue était en fait conçue comme la plus probable dans l'esprit des constituants de 1958 (parce que la situation d'un parti hégémonique n'avait jamais été observée dans le passé), et ce fut le cas en novembre 1958, en juin 1988 et en juin 2022, mais cette situation de majorité relative était à quelques dizaines de voix près que le pouvoir pouvait trouver auprès de formations proches politiquement (centristes en 1958 et en 1988, socialistes ou LR, selon les textes, en 2022).


    Si le RN ne parvient pas à obtenir la majorité absolue, la situation parlementaire sera inédite parce qu'aucune coalition n'aura de majorité absolue et sera loin de celle-ci. Or, deux partis déjà rejettent a priori le principe de "grande coalition" : le RN, bien sûr, qui souhaite gouverner tout seul, quitte à attendre encore son tour, et les insoumis prêts à tout pour créer la crise de régime (ce qui est fort peu responsable). Donc, on surveillera avec attention le total de ces deux partis extrémistes pour savoir si, à eux deux, ils possèdent une majorité absolue de destruction, à savoir s'ils peuvent renverser un gouvernement à eux deux, dans une sorte de collusion du pire. Rappelons qu'en 2022, la majorité présidentielle bénéficiait de cette absence de majorité absolue des extrêmes (RN+FI) en raison du groupe LR dans l'opposition mais responsable et constructive (pour certains de ses membres, du moins).

    Candidats Premiers Ministres et ministres se pressent sur les plateaux de télévision pour la "grande coalition", mais à mon sens, c'est beaucoup trop tôt. Xavier Bertrand a proposé une méthode aux formations politiques responsables qui accepteraient de relever le défi d'une "grande coalition" : se réunir pour se mettre d'accord sur tous les désaccords (réunion très facile à conclure !)... puis énumérer les possibles points d'accord (aide à l'Ukraine, transition écologique, construction de l'Europe, etc.) et construire un gouvernement sur ces points-là uniquement.

    La méthode serait inédite sous la Cinquième République car elle proposerait deux innovations : parler d'abord de programme d'action avant de parler des personnalités qui l'incarneraient (c'est l'erreur aussi du RN : les dirigeants du RN ont misé sur la seule personnalité de Jordan Bardella avec une absence totale de programme revu à la baisse chaque jour pour éviter les polémiques) ; ensuite, choisir les personnalités sans l'initiative du Président de la République, comme dans une cohabitation, y compris pour les ministres qui pourraient appartenir à la coalition Ensemble pour la République.

    Le nouveau Premier Ministre devra donc incarner cette nouvelle coalition, il devra être expérimenté, connaître les joutes parlementaires, être consensuel, et permettre à chaque formation qui la composerait de rester crédible auprès de son propre électorat. Inutile de citer quelques noms avant le second tour car cela se ferait au mépris de la volonté des électeurs qui doivent d'abord se prononcer.

    Dans tous les cas, majorité absolue pour le RN ou pas majorité absolue, ce parti d'extrême droite sortira extrêmement renforcé dimanche soir à l'issue de ces élections législatives anticipées. Avec au moins 200 sièges (au moins le double ou le triple de l'actuel groupe RN de 2022), le RN va être le parti le plus riche de France, au financement massif, avec une pléthore de collaborateurs parlementaires, une caisse de résonance dans l'hémicycle et cette perspective d'une élection présidentielle prochaine dont il sera le favori.


    Sans majorité absolue, le RN aura beau jeu de crier à la victoire volée, laissant apparaître sa vraie nature, celle de contester la volonté démocratique et de se victimiser, à l'instar des trumpistes de 2020, en criant au complot, au coup d'État par le système. Et pourtant, s'il y a bien aujourd'hui un parti qui représente le système par excellence, c'est bien le RN/FN, présent massivement depuis 1984 (quarante ans) et que le système a financé massivement, au point que certains en ont un peu trop abusé (d'où le procès contre des dirigeants du RN fixé le 30 septembre 2024). L'extrémisme se caractérise par cette particularité qu'on n'est démocrate que dans le cas où l'on gagne.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (05 juillet 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Législatives 2024 (17) : rien n'est joué dimanche prochain !
    Législatives 2024 (16) : la question de dimanche prochain.
    Législatives 2024 (15) : les promesses n'engagent que ceux qui y croient !
    Législatives 2024 (14) : la revanche des gilets jaunes ?
    Législatives 2024 (13) : fortes mobilisations au premier tour.
    Résultats du premier tour des élections législatives du 30 juin 2024.
    Appel aux sociaux-démocrates.
    Éric Le Boucher : la France va plutôt bien (27 juin 2024).
    Législatives 2024 (12) : un isoloir, ce n'est pas un cabine d'essayage !
    Législatives 2024 (11) : front, rassemblement, union nationale, barrage, consignes de vote...
    Législatives 2024 (10) : il était une fois Jordan Bardella, Gabriel Attal et Manuel Bompard.
    Législatives 2024 (9) : Emmanuel Macron et son n'ayez-pas-peur !
    Interview d'Emmanuel Macron à Génération Do It Yourself le 24 juin 2024 (podcast intégral).
    Lettre aux Français d'Emmanuel Macron le 23 juin 2024 (texte intégral).
    Législatives 2024 (8) : la bataille de Matignon.
    Le programme aux élections législatives du 30 juin 2024 d'Ensemble pour la République (document à télécharger).
    Législatives 2024 (7) : Ensemble pour la République.
    Législatives 2024 (6) : Nicolas Sarkozy et François Fillon bougent encore !
    Législatives 2024 (5) : le trouble de Lionel Jospin.
    Législatives 2024 (4) : l'angoisse de Manuel Valls.
    Législatives 2024 (3) : François Hollande dans l'irresponsabilité totale !
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Sidération institutionnelle.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Résultats des élections européennes du dimanche 9 juin 2024.













    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240704-legislatives.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/legislatives-2024-17-rien-n-est-255610

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/07/04/article-sr-20240704-legislatives.html



     

  • Législatives 2024 (16) : la question de l'extrême urgence

    « Je pense que nous sommes dans une situation vertigineuse. La France est au bord d'une falaise et on ne sait pas si on va sauter, en fait, du haut de la falaise. Il y a une forme de gouffre qui s'est ouvert depuis le 9 juin à 21 heures, une atmosphère extrêmement tendue dans le pays, et la conscience que le choix qu'on va faire, là, est un choix qui va redessiner le visage du pays. » (Raphaël Glucksmann, le 4 juillet 2024 sur France Inter).



     

     
     


    Invité de la matinale de France Inter ce jeudi 4 juillet 2024, l'ancienne tête de liste socialiste aux élections européennes Raphaël Glucksmann a exprimé son inquiétude pour l'avenir de la France et a redit l'enjeu de ces élections législatives : « Je suis dans l'inquiétude (…). Depuis le début, moi, je vois ces élections comme un référendum. Et encore plus depuis le premier tour. Un référendum avec une question simple : est-ce que nous voulons que l'extrême droite prenne le pouvoir en France ? Est-ce que nous voulons que la famille Le Pen s'empare de ce pays ? Est-ce que nous voulons avoir au gouvernement les dirigeants de l'extrême droite française dans ce moment-là de notre histoire ? Alors que la guerre fait rage en Europe, alors que notre démocratie est déjà fragile, alors que notre société est déjà extrêmement polarisée, est-ce que nous voulons prendre ce risque, oui ou non ? Et depuis ce 9 juin, je vis avec cette inquiétude en moi. ».

    Et de répéter : « La vérité, c'est que, là, nous sommes dans une morale de l'extrême urgence. Et nous sommes dans une morale de l'extrême urgence en réalité depuis le 9 juin, depuis la décision insensée du Président de la République. Cette morale de l'extrême urgence, elle commande quoi ? D'empêcher la victoire du Rassemblement national ce dimanche. C'est ça qui conduit à une union des contraires dans les urnes, au fait que quand vous êtes de droite, vous serez amené à prendre une décision extrêmement difficile, c'est-à-dire de mettre un bulletin de gauche dans l'urne, et quand vous êtes de gauche, vous serez amené à voter pour des gens aussi loin de vos idées que Monsieur Darmanin. ».

     

     
     


    Un premier sondage a été publié dans la soirée du mercredi 3 juillet 2024 avec une enquête commencée après la fin du dépôt des candidatures du second tour et la connaissance des désistements et maintiens des candidats. Il s'agit du sondage réalisé par Harris-Interactive et Toluna pour M6, "Challenges" et RTL sur un échantillon de 3 383 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus dont 3 008 sont inscrites sur les listes électorales françaises, interrogées du 2 juillet 2024 au soir au 3 juillet 2024.

    C'est un sondage qui indique la projection en nombre de sièges et pas en nombre de voix (ce dernier beaucoup plus facile pour les sondeurs). Déjà pour un sondage normal, il faut être extrêmement prudent, mais pour les projections en sièges, encore plus car le résultat dépend de la répartition des votes dans les 501 circonscriptions restant en lice (76 députés ont déjà été élus dès le premier tour).

    Voici ce que donnerait le sondage (majorité absolue à 289 sièges) : 190 à 220 sièges pour le RN et alliés ciottistes (extrême droite), 159 à 183 sièges pour le NFP (gauche et extrême gauche), 110 à 135 sièges pour Ensemble la République (majorité présidentielle) et 30 à 50 sièges pour LR. Je le répète, il faut être extrêmement prudent avec ces données, même elles sont logiques par rapport aux projections données au soir du premier tour qui ne prenaient pas en compte les désistements : la représentation parlementaire du RN s'en trouverait affectée.
     

     
     


    Si on reprend la répartition par blocs, en rassemblant Ensemble et LR dans le bloc central, on se retrouve avec un bloc RN le plus nombreux et suivi de très près des deux autres blocs (gauche et central) qui sont à peu près d'égale importance. Cela confirme cette tripolarisation du paysage politique observée depuis 2022, mais jusqu'à son paroxysme. Trois blocs à peu près égaux mais toujours avec un avantage pour le RN. Dans tous les cas, le germe d'une ingouvernabilité durable du pays.

    Je le répète, attention, ce type de sondage n'est pas prédictif. Pour preuve justement les élections législatives de juin 2022 où les sondages avaient prévu entre 20 et 50 sièges pour le RN et celui-ci a fini avec 89 députés élus. Il est donc très compliqué, dans cette situation inédite, autant pour les Français que pour les sondeurs, de savoir si ces projections minorent ou majorent les forces en présence.

    Plus intéressantes dans ce sondage sont les questions plus qualitatives.

    On parle de trois blocs dont l'adhésion des Français est autour de 30 à 35% de l'électorat. Mais qu'en est-il de la répulsion ? Et là aussi, une quasi-égalité de détestation, avec malgré tout un avantage pour le RN, et cela de l'ordre de 40 à 45% de l'électorat. Dans le comportement de vote des sondés, 44% le feraient pour s'opposer à un candidat du NFP, 44% autres le feraient pour s'opposer à un candidat de la majorité présidentielle, enfin, 40% autres le feraient pour s'opposer à un candidat du RN. On voit bien que le petit avantage pour le RN revient à conclure qu'il y a plus de vote d'adhésion pour le RN que pour les deux autres blocs. Et la partie de ces sondés qui votent contre et qui sont très sûrs d'eux, l'avantage est pour Ensemble : 33% voudraient beaucoup s'opposer au NFP, 33% autres voudraient beaucoup s'opposer au RN et seulement 26% autres voudraient s'opposer à Ensemble.
     

     
     


    Dans les prévisions de victoire des uns et des autres, il y aurait 37% des électeurs du NFP au premier tour qui croiraient (encore) à la possibilité d'une majorité absolue du NFP à l'issue du second tour, 69% des électeurs du RN au premier tour qui croiraient à la possibilité d'une majorité absolue du RN. En revanche, pour le bloc central, 59% des électeurs de la majorité présidentielle au premier tour et 52% des électeurs de LR au premier tour penseraient que ces élections n'apporteraient aucune majorité absolue à l'un ou l'autre des blocs. Il faut bien insister sur le fait que certaines réponses sont fantaisistes ou au moins irréalistes. Par exemple, il existerait encore 24% des électeurs de LR au premier tour qui penseraient que LR obtiendrait la majorité absolue à l'issue du second tour alors qu'il ne reste qu'une cinquantaine de candidats LR en lice !
     

     
     


    Enfin, le sondage a testé deux hypothèses, une majorité absolue de députés RN et une majorité absolue de députés NFP, et selon leur vote au premier tour, est-ce que les sondés considèrent que la situation de la France s'améliorerait ou se détériorait, d'une part, et que leur situation personnelle s'améliorait ou se détériorait, d'autre part ? Là encore, on voit un avantage donné au RN qui serait 10% de moins pire que le NFP. Et instructif : les électeurs de LR seraient plus partagés que les électeurs des autres partis.
     

     
     


    La perspective d'une majorité absolue de députés RN s'éloignerait-elle pour autant dimanche prochain ? Non ! Car ce ne sont que des sondages et des projections et on sait par expérience que ces projections ne sont jamais fiables. C'est aussi la crainte de Raphaël Glucksmann sur France Inter : « Non, je n'en suis pas sûr. C'est pour ça que la petite musique qui s'installe dans les commentateurs, dans les politiques eux-mêmes, dans les élites parisiennes, une petite musique de déni, de... finalement, le boulet n'est pas passé très loin mais nous avons sauvé les choses, cette musique-là est extrêmement dangereuse, et moi, je viens ici pour lancer un cri d'alarme. En fait, ce n'est pas parce qu'il y a eu des désistements républicains que les reports seront automatiques. Ce n'est pas parce que les appareils politiques ont décidé d'empêcher la victoire du Rassemblement national que ça se traduira dans les urnes. Moi, je crois que la vague, la lame de fond est encore extrêmement puissante. Et que finalement, dans ce déni-là, il y a un truc traditionnel qui habite les élites et qui est : finalement, on sera sûr toujours à bon compte. On a voulu croire qu'on n'aurait pas de claque dimanche dernier. On a eu la claque. Pendant 48 heures, il y a eu une sorte de stupéfaction qui a conduit justement à des gestes politiques. Mais là, je sens déjà le sentiment d'urgence disparaître. Mais moi, je veux dire : il n'y a rien de fait. Le Rassemblement national peut ce dimanche avoir une majorité absolue et être aux commandes de notre pays. Parce que les gestes qui vont être demandés à chacune et à chacun, c'est des gestes extrêmement compliqués. Moi, j'ai fait toute une campagne aux européennes en demandant aux gens de voter avec leur cœur, pour leurs convictions, en cohérence avec les principes qu'ils entendaient défendre. Eh bien là, on leur demande une chose complètement inverse, complètement inverse. On leur demande de mettre finalement sous le boisseau leurs envies pour hiérarchiser les périls et voter pour des gens dont ils ne partagent pas les idées. C'est un geste extrêmement difficile, il ne faut pas le sous-estimer, ce n'est pas parce qu'il y a des consignes de vote que ça se traduira dans l'isoloir. ».

    C'est pour cela qu'il est aussi indécent d'envisager une situation de "grande coalition" (de LR au NFP, de Xavier Bertrand à Marine Tondelier) que d'envisager un gouvernement RN (de Jordan Bardella) dès maintenant. Il faut d'abord laisser le peuple s'exprimer dimanche prochain et c'est seulement après, selon la situation réelle, qu'il faudra trouver d'une manière ou d'une autre la méthode pour former un nouveau gouvernement. C'est indécent quand François Ruffin (qui a annoncé qu'il quitterait le groupe FI s'il était réélu) ou même Olivier Faure veulent imposer à l'hypothèse de "grande coalition" les conditions d'abrogation de la réforme des retraites, de rétablissement de l'ISF, etc. Ce n'est pas ainsi qu'on combat efficacement le RN en nourrissant la peur de l'extrême gauche comme l'agite comme un épouvantail les dirigeants du RN.

    C'est dans cette perspective que la position de Raphaël Glucksmann est la meilleure : l'extrême urgence reste d'empêcher le RN de gouverner la France dans quatre jours. Après, on verra ! Dans l'intérêt de la Nation et de la République.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (04 juillet 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Raphaël Glucksmann.
    Législatives 2024 (16) : la question de dimanche prochain.
    Législatives 2024 (15) : les promesses n'engagent que ceux qui y croient !
    Législatives 2024 (14) : la revanche des gilets jaunes ?
    Législatives 2024 (13) : fortes mobilisations au premier tour.
    Résultats du premier tour des élections législatives du 30 juin 2024.
    Appel aux sociaux-démocrates.
    Éric Le Boucher : la France va plutôt bien (27 juin 2024).
    Législatives 2024 (12) : un isoloir, ce n'est pas un cabine d'essayage !
    Législatives 2024 (11) : front, rassemblement, union nationale, barrage, consignes de vote...
    Législatives 2024 (10) : il était une fois Jordan Bardella, Gabriel Attal et Manuel Bompard.
    Législatives 2024 (9) : Emmanuel Macron et son n'ayez-pas-peur !
    Interview d'Emmanuel Macron à Génération Do It Yourself le 24 juin 2024 (podcast intégral).
    Lettre aux Français d'Emmanuel Macron le 23 juin 2024 (texte intégral).
    Législatives 2024 (8) : la bataille de Matignon.
    Le programme aux élections législatives du 30 juin 2024 d'Ensemble pour la République (document à télécharger).
    Législatives 2024 (7) : Ensemble pour la République.
    Législatives 2024 (6) : Nicolas Sarkozy et François Fillon bougent encore !
    Législatives 2024 (5) : le trouble de Lionel Jospin.
    Législatives 2024 (4) : l'angoisse de Manuel Valls.
    Législatives 2024 (3) : François Hollande dans l'irresponsabilité totale !
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Sidération institutionnelle.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Résultats des élections européennes du dimanche 9 juin 2024.







    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240703-legislatives.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/legislatives-2024-16-la-question-255606

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/07/04/article-sr-20240703-legislatives.html




     

  • L'urgence absolue de Raphaël Glucksmann

    « Je pense que nous sommes dans une situation vertigineuse. La France est au bord d'une falaise et on ne sait pas si on va sauter, en fait, du haut de la falaise. Il y a une forme de gouffre qui s'est ouvert depuis le 9 juin à 21 heures, une atmosphère extrêmement tendue dans le pays, et la conscience que le choix qu'on va faire, là, est un choix qui va redessiner le visage du pays. » (Raphaël Glucksmann, le 4 juillet 2024 sur France Inter).



     

     
     

    Invité de la matinale de France Inter ce jeudi 4 juillet 2024, l'ancienne tête de liste socialiste aux élections européennes Raphaël Glucksmann a exprimé son inquiétude pour l'avenir de la France et a redit l'enjeu de ces élections législatives : « Je suis dans l'inquiétude (…). Depuis le début, moi, je vois ces élections comme un référendum. Et encore plus depuis le premier tour. Un référendum avec une question simple : est-ce que nous voulons que l'extrême droite prenne le pouvoir en France ? Est-ce que nous voulons que la famille Le Pen s'empare de ce pays ? Est-ce que nous voulons avoir au gouvernement les dirigeants de l'extrême droite française dans ce moment-là de notre histoire ? Alors que la guerre fait rage en Europe, alors que notre démocratie est déjà fragile, alors que notre société est déjà extrêmement polarisée, est-ce que nous voulons prendre ce risque, oui ou non ? Et depuis ce 9 juin, je vis avec cette inquiétude en moi. ».

    Et de répéter : « La vérité, c'est que, là, nous sommes dans une morale de l'extrême urgence. Et nous sommes dans une morale de l'extrême urgence en réalité depuis le 9 juin, depuis la décision insensée du Président de la République. Cette morale de l'extrême urgence, elle commande quoi ? D'empêcher la victoire du Rassemblement national ce dimanche. C'est ça qui conduit à une union des contraires dans les urnes, au fait que quand vous êtes de droite, vous serez amené à prendre une décision extrêmement difficile, c'est-à-dire de mettre un bulletin de gauche dans l'urne, et quand vous êtes de gauche, vous serez amené à voter pour des gens aussi loin de vos idées que Monsieur Darmanin. ».

     
     

    Un premier sondage a été publié dans la soirée du mercredi 3 juillet 2024 avec une enquête commencée après la fin du dépôt des candidatures du second tour et la connaissance des désistements et maintiens des candidats. Il s'agit du sondage réalisé par Harris-Interactive et Toluna pour M6, "Challenges" et RTL sur un échantillon de 3 383 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus dont 3 008 sont inscrites sur les listes électorales françaises, interrogées du 2 juillet 2024 au soir au 3 juillet 2024.

    C'est un sondage qui indique la projection en nombre de sièges et pas en nombre de voix (ce dernier beaucoup plus facile pour les sondeurs). Déjà pour un sondage normal, il faut être extrêmement prudent, mais pour les projections en sièges, encore plus car le résultat dépend de la répartition des votes dans les 501 circonscriptions restant en lice (76 députés ont déjà été élus dès le premier tour).

    Voici ce que donnerait le sondage (majorité absolue à 289 sièges) : 190 à 220 sièges pour le RN et alliés ciottistes (extrême droite), 159 à 183 sièges pour le NFP (gauche et extrême gauche), 110 à 135 sièges pour Ensemble la République (majorité présidentielle) et 30 à 50 sièges pour LR. Je le répète, il faut être extrêmement prudent avec ces données, même elles sont logiques par rapport aux projections données au soir du premier tour qui ne prenaient pas en compte les désistements : la représentation parlementaire du RN s'en trouverait affectée.

     
     


    Si on reprend la répartition par blocs, en rassemblant Ensemble et LR dans le bloc central, on se retrouve avec un bloc RN le plus nombreux et suivi de très près des deux autres blocs (gauche et central) qui sont à peu près d'égale importance. Cela confirme cette tripolarisation du paysage politique observée depuis 2022, mais jusqu'à son paroxysme. Trois blocs à peu près égaux mais toujours avec un avantage pour le RN. Dans tous les cas, le germe d'une ingouvernabilité durable du pays.

    Je le répète, attention, ce type de sondage n'est pas prédictif. Pour preuve justement les élections législatives de juin 2022 où les sondages avaient prévu entre 20 et 50 sièges pour le RN et celui-ci a fini avec 89 députés élus. Il est donc très compliqué, dans cette situation inédite, autant pour les Français que pour les sondeurs, de savoir si ces projections minorent ou majorent les forces en présence.

    Plus intéressantes dans ce sondage sont les questions plus qualitatives.

    On parle de trois blocs dont l'adhésion des Français est autour de 30 à 35% de l'électorat. Mais qu'en est-il de la répulsion ? Et là aussi, une quasi-égalité de détestation, avec malgré tout un avantage pour le RN, et cela de l'ordre de 40 à 45% de l'électorat. Dans le comportement de vote des sondés, 44% le feraient pour s'opposer à un candidat du NFP, 44% autres le feraient pour s'opposer à un candidat de la majorité présidentielle, enfin, 40% autres le feraient pour s'opposer à un candidat du RN. On voit bien que le petit avantage pour le RN revient à conclure qu'il y a plus de vote d'adhésion pour le RN que pour les deux autres blocs. Et la partie de ces sondés qui votent contre et qui sont très sûrs d'eux, l'avantage est pour Ensemble : 33% voudraient beaucoup s'opposer au NFP, 33% autres voudraient beaucoup s'opposer au RN et seulement 26% autres voudraient s'opposer à Ensemble.
     

     
     


    Dans les prévisions de victoire des uns et des autres, il y aurait 37% des électeurs du NFP au premier tour qui croiraient (encore) à la possibilité d'une majorité absolue du NFP à l'issue du second tour, 69% des électeurs du RN au premier tour qui croiraient à la possibilité d'une majorité absolue du RN. En revanche, pour le bloc central, 59% des électeurs de la majorité présidentielle au premier tour et 52% des électeurs de LR au premier tour penseraient que ces élections n'apporteraient aucune majorité absolue à l'un ou l'autre des blocs. Il faut bien insister sur le fait que certaines réponses sont fantaisistes ou au moins irréalistes. Par exemple, il existerait encore 24% des électeurs de LR au premier tour qui penseraient que LR obtiendrait la majorité absolue à l'issue du second tour alors qu'il ne reste qu'une cinquantaine de candidats LR en lice !
     

     
     


    Enfin, le sondage a testé deux hypothèses, une majorité absolue de députés RN et une majorité absolue de députés NFP, et selon leur vote au premier tour, est-ce que les sondés considèrent que la situation de la France s'améliorerait ou se détériorait, d'une part, et que leur situation personnelle s'améliorait ou se détériorait, d'autre part ? Là encore, on voit un avantage donné au RN qui serait 10% de moins pire que le NFP. Et instructif : les électeurs de LR seraient plus partagés que les électeurs des autres partis.
     

     
     


    La perspective d'une majorité absolue de députés RN s'éloignerait-elle pour autant dimanche prochain ? Non ! Car ce ne sont que des sondages et des projections et on sait par expérience que ces projections ne sont jamais fiables. C'est aussi la crainte de Raphaël Glucksmann sur France Inter : « Non, je n'en suis pas sûr. C'est pour ça que la petite musique qui s'installe dans les commentateurs, dans les politiques eux-mêmes, dans les élites parisiennes, une petite musique de déni, de... finalement, le boulet n'est pas passé très loin mais nous avons sauvé les choses, cette musique-là est extrêmement dangereuse, et moi, je viens ici pour lancer un cri d'alarme. En fait, ce n'est pas parce qu'il y a eu des désistements républicains que les reports seront automatiques. Ce n'est pas parce que les appareils politiques ont décidé d'empêcher la victoire du Rassemblement national que ça se traduira dans les urnes. Moi, je crois que la vague, la lame de fond est encore extrêmement puissante. Et que finalement, dans ce déni-là, il y a un truc traditionnel qui habite les élites et qui est : finalement, on sera sûr toujours à bon compte. On a voulu croire qu'on n'aurait pas de claque dimanche dernier. On a eu la claque. Pendant 48 heures, il y a eu une sorte de stupéfaction qui a conduit justement à des gestes politiques. Mais là, je sens déjà le sentiment d'urgence disparaître. Mais moi, je veux dire : il n'y a rien de fait. Le Rassemblement national peut ce dimanche avoir une majorité absolue et être aux commandes de notre pays. Parce que les gestes qui vont être demandés à chacune et à chacun, c'est des gestes extrêmement compliqués. Moi, j'ai fait toute une campagne aux européennes en demandant aux gens de voter avec leur cœur, pour leurs convictions, en cohérence avec les principes qu'ils entendaient défendre. Eh bien là, on leur demande une chose complètement inverse, complètement inverse. On leur demande de mettre finalement sous le boisseau leurs envies pour hiérarchiser les périls et voter pour des gens dont ils ne partagent pas les idées. C'est un geste extrêmement difficile, il ne faut pas le sous-estimer, ce n'est pas parce qu'il y a des consignes de vote que ça se traduira dans l'isoloir. ».

    C'est pour cela qu'il est aussi indécent d'envisager une situation de "grande coalition" (de LR au NFP, de Xavier Bertrand à Marine Tondelier) que d'envisager un gouvernement RN (de Jordan Bardella) dès maintenant. Il faut d'abord laisser le peuple s'exprimer dimanche prochain et c'est seulement après, selon la situation réelle, qu'il faudra trouver d'une manière ou d'une autre la méthode pour former un nouveau gouvernement. C'est indécent quand François Ruffin (qui a annoncé qu'il quitterait le groupe FI s'il était réélu) ou même Olivier Faure veulent imposer à l'hypothèse de "grande coalition" les conditions d'abrogation de la réforme des retraites, de rétablissement de l'ISF, etc. Ce n'est pas ainsi qu'on combat efficacement le RN en nourrissant la peur de l'extrême gauche comme l'agite comme un épouvantail les dirigeants du RN.

    C'est dans cette perspective que la position de Raphaël Glucksmann est la meilleure : l'extrême urgence reste d'empêcher le RN de gouverner la France dans quatre jours. Après, on verra ! Dans l'intérêt de la Nation et de la République.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (04 juillet 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Raphaël Glucksmann.
    Législatives 2024 (16) : la question de dimanche prochain.
    Législatives 2024 (15) : les promesses n'engagent que ceux qui y croient !
    Législatives 2024 (14) : la revanche des gilets jaunes ?
    Législatives 2024 (13) : fortes mobilisations au premier tour.
    Résultats du premier tour des élections législatives du 30 juin 2024.
    Appel aux sociaux-démocrates.
    Éric Le Boucher : la France va plutôt bien (27 juin 2024).
    Législatives 2024 (12) : un isoloir, ce n'est pas un cabine d'essayage !
    Législatives 2024 (11) : front, rassemblement, union nationale, barrage, consignes de vote...
    Législatives 2024 (10) : il était une fois Jordan Bardella, Gabriel Attal et Manuel Bompard.
    Législatives 2024 (9) : Emmanuel Macron et son n'ayez-pas-peur !
    Interview d'Emmanuel Macron à Génération Do It Yourself le 24 juin 2024 (podcast intégral).
    Lettre aux Français d'Emmanuel Macron le 23 juin 2024 (texte intégral).
    Législatives 2024 (8) : la bataille de Matignon.
    Le programme aux élections législatives du 30 juin 2024 d'Ensemble pour la République (document à télécharger).
    Législatives 2024 (7) : Ensemble pour la République.
    Législatives 2024 (6) : Nicolas Sarkozy et François Fillon bougent encore !
    Législatives 2024 (5) : le trouble de Lionel Jospin.
    Législatives 2024 (4) : l'angoisse de Manuel Valls.
    Législatives 2024 (3) : François Hollande dans l'irresponsabilité totale !
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Sidération institutionnelle.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Résultats des élections européennes du dimanche 9 juin 2024.






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    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/07/04/article-sr-20240704-raphael-glucksmann.html




     

  • Roland Dumas, prince de l'entourloupe !

    « Roland Dumas ne voulait pas faire de vagues. Il mesurait les conséquences politiques avant l’application du droit. (…) Il a habilement louvoyé, comme toujours. Nous étions dans une situation impossible. » (Jacques Robert, le 23 février 2012).



     

     
     


    L'ancien proche de François Mitterrand, son Ministre des Affaires étrangères pendant sept ans (1984-1986 et 1987-1993) et ancien Président du Conseil Constitutionnel Roland Dumas est mort ce mercredi 3 juillet 2024 à quelques semaines de ses 102 ans. Il était un homme politique de premier plan dans les années 1980 et 1990, grâce à son ami François Mitterrand, et il avait eu une influence importante sur la diplomatie française et sur l'histoire constitutionnelle du pays. Il n'était pas sans responsabilité dans le ressenti de beaucoup de Français que le monde politique serait pourri.

    Cette année 2024 aura donc connu la disparition des deux avocats de très grande réputation et emblématique des années Mitterrand : Robert Badinter, pour le droit, et Roland Dumas, pour le tordu, se plaisait à dire celui qui fut Président de la République pendant quatorze années. Nul doute que Roland Dumas n'aura pas forcément droit à des honneurs de la République au moment même où celle-ci vacille entre les deux tours d'élections législatives anticipées un peu hâtivement.

    Le tordu, cela signifiait que Roland Dumas était toujours dans les combines et les manœuvres. Un exemple parmi d'autres : alors que l'Assemblée Nationale était majoritairement de centre droit depuis mars 1986, Roland Dumas, pourtant socialiste et dans l'opposition, est parvenu à se faire élire président de la commission des affaires étrangères le 9 octobre 1986 pour succéder à Jean Lecanuet passé au Sénat... contre le centriste Bernard Stasi grâce aux voix des 36 députés FN-RN qui vouaient une haine insoluble contre Bernard Stasi (le 6 avril 1987, il céda cette place à Valéry Giscard d'Estaing). Né à Limoges, député de la Haute-Vienne à l'âge de 33 ans (élu en janvier 1956), tombeur du ministre Jean Charbonnel en 1967 en Corrèze, rival malheureux de Jacques Chaban-Delmas en 1977 aux municipales à Bordeaux, il fut finalement élu député de Dordogne de 1981 à 1993.

    Le tordu était à la fois sur les affaires nombreuses (il était l'exécuteur testamentaire du sculpteur Alberto Giacometti, connaissait et aimait l'art contemporain, etc.) et sur les affaires politiques. Il était proche de certains milieux d'extrême droite (ce qui peut expliquer a posteriori son élection de président de commission en 1986) et des milieux complotistes, proche de Dieudonné, d'Alain Soral, et il a même rédigé une lettre de recommandation pour son entrée au barreau à l'actuel maire RN de Perpignan, Louis Aliot, qu'on voit en ce moment beaucoup sur les plateaux de télévision.

    Un homme politique de premier plan qui meurt centenaire, c'est rare, très rare, mais il n'est pas unique. Trente ans avant lui, Antoine Pinay aussi était le retraité centenaire de Saint-Chamond, très connu pour ses analyses politiques au-delà des 100 ans (il est mort à presque 103 ans il y a près de trente ans). Mais à la différence d'Antoine Pinay, Roland Dumas n'était pas un observateur et restait encore un acteur engagé de la vie politique (et aussi de la vie personnelle : il aimait encore séduire malgré son âge !).

    Je l'avais rencontré un jour de l'automne 2016, je m'étais inséré dans une réunion des anciens de la CIR (Convention des institutions républicaines), un micro-club politique dirigé par François Mitterrand dans les années 1960 avant de se fondre dans le parti socialiste en 1971. Ils fêtaient le centenaire de François Mitterrand, et il y avait aussi Édith Cresson et quelques autres, sauf Louis Mermaz pourtant prévu au programme mais qui était souffrant. Roland Dumas n'était pas le moins dynamique pour raconter ses souvenirs personnels, et c'était bien là le politique, la politique qui se confondait avec son incarnation, la personne du leader, typique de la Cinquième République.

    À l'instar de son mentor du parti socialiste, Roland Dumas, qui faisait partie des premiers-ministrables au début des années 1990 et même des possibles candidats du PS en 1995, a vécu une vie riche d'un véritable roman, politique, professionnel et personnel. Je ne retiendrai ce mercredi qu'un seul fait qui a fait scandale, parallèlement à l'homme sulfureux qui fut condamné dans quelques affaires d'importance majeure (Elf, frégates de Taïwan, etc.).


    À l'époque, il venait d'être nommé Président du Conseil Constitutionnel par François Mitterrand en février 1995. Le Président quittait l'Élysée en mai 1995, et quelques semaines auparavant, après avoir nommé trois ans Daniel Mayer puis neuf ans Robert Badinter, avait nommé pour neuf ans supplémentaires Roland Dumas à la tête de la plus haute juridiction de la République. Roland Dumas devait donc rester jusqu'en 2004 mais les affaires politico-financières qui l'ont rattrapé ont provoqué son retrait en mars 1999 puis sa démission du Conseil Constitutionnel en février 2000. Destin farceur : celui qui lui a succédé à la Présidence du Conseil Constitutionnel n'était autre que le gaulliste qu'il avait battu dans la première circonscription de Dordogne en juin 1981, à savoir Yves Guéna.

    Curieusement, dans l'affaire d'État qui va suivre, il a beaucoup aidé... le successeur (et ancien grand rival) de François Mitterrand, à savoir le Président Jacques Chirac. De quoi s'agit-il ? D'une des attributions les plus sensibles du Conseil Constitutionnel : valider l'élection présidentielle. Quand on sait que l'élection présidentielle polarise toute la vie politique, cette compétence est cruciale dans notre démocratie.

     

     
     


    L'affaire fut d'abord révélée par un ancien membre du Conseil Constitutionnel, le professeur agrégé de droit Jacques Robert, le 1er décembre 2011 dans "Le Parisien", puis dans d'autres périodiques comme "Les Inrockuptibles" du 23 février 2012. C'est d'ailleurs la première fois qu'un membre du Conseil Constitutionnel trahit la nécessaire réserve et le silence sur les délibérations de cette instance. Qu'a déclaré Jacques Robert ? Que lors de la séance du 11 octobre 1995, le Président du Conseil Constitutionnel Roland Dumas a tenté de convaincre ses autres collègues d'approuver les comptes de campagne de Jacques Chirac et Édouard Balladur. Le problème, c'est qu'aucun de ces deux comptes n'était conforme à la réglementation : dépassements de plafond, recettes sans justificatifs, etc.

    Roland Dumas ne se sentait pas autorisé à invalider l'élection de Jacques Chirac à la Présidence de la République pour des raisons de comptes de campagne alors qu'il avait été élu par une large majorité des Français et aussi parce qu'il avait déjà pris ses fonctions depuis près de cinq mois. Le Conseil Constitutionnel a ainsi validé ses comptes de campagne pour ne pas faire un coup d'État juridique qui n'aurait pas été compris (dans un climat de montée des manifestations contre le plan d'Alain Juppé de la réforme de la sécurité sociale). Roland Dumas a confirmé de façon laconique dans "Le Monde" du 28 janvier 2015 : « En 1995, les comptes de campagne de Balladur et Chirac étaient manifestement irréguliers. ».

    Le Conseil Constitutionnel aurait pu invalider les comptes de campagne d'Édouard Balladur sans conséquence sur les institutions, puisque l'ancien Premier Ministre n'a pas été élu, mais dans un souci d'équité, il les a validés aussi. En revanche, les comptes de campagne d'un petit candidat, Jacques Cheminade, ont été invalidés pour une petite irrégularité, ce qui signifiait surtout l'absence de tout cofinancement public de cette campagne, ce qui a mis en grande difficulté matérielle ce petit candidat.


    Dans "Le Parisien" du 1er décembre 2011, Jacques Robert a reconnu : « Nous n'étions pas très fiers. La raison d'État l'avait emporté sur le droit. Nous avons servi de caution à une belle entourloupe. ». Il a poursuivi dans "Les Inrockuptibles" du 23 février 2012 : « Pour moi, cela a été un déchirement intérieur. J’ai eu l’impression qu’on me prenait en otage dans une affaire politique. Nous avons présenté devant la nation des comptes réguliers alors que nous savions tous qu’ils étaient irréguliers : une tache sur l’indépendance du Conseil Constitutionnel. L’institution s’est fait manœuvrer. S’il n’y avait eu que des professeurs de droit autour de la table, ils auraient tous annulé l’élection. ».

    Les comptes de campagne de Jacques Chirac et Édouard Balladur n'étaient pas conformes à la loi. Et Jacques Robert de poursuivre : « Les membres du Conseil étaient affreusement gênés (…). Il a immédiatement dit que si les comptes de Balladur et Chirac étaient irréguliers, il fallait les modifier. L’idée qui s’est imposée, c’est que l’on ne pouvait pas provoquer une crise de régime pour une affaire financière. ».

    Pour cela, Roland Dumas voulait que les pas-si-Sages-que-ça acceptassent de « fermer les yeux sur les anomalies des comptes de Balladur » : « Chirac et Balladur avaient commis tous les deux des irrégularités. Mais l’un était élu et pas l’autre. On ne pouvait pas invalider les comptes de Balladur, le ruiner et laisser gambader Chirac à l’Élysée ! Roland Dumas ne voulait pas faire de vagues. Il mesurait les conséquences politiques avant l’application du droit. Il disait que nous n’étions pas là pour mettre des bâtons dans les roues du gouvernement [d'Alain Juppé]. Il a habilement louvoyé, comme toujours. Nous étions dans une situation impossible. Si nous avions annulé l’élection, tout le monde aurait hurlé. Il n’y avait que deux solutions : aller au clash ou maquiller les comptes. ».

    L'ancien Ministre de la Justice et ancien résistant Maurice Faure, également membre du Conseil Constitutionnel pendant cette période, a confirmé : « Nous ne voulions pas provoquer une révolution ! Si nous avions invalidé les comptes de Chirac, comment aurait réagi l’opinion ? Certains auraient peut-être pensé que nous étions courageux. Mais d’autres se seraient demandé si nous avions vraiment appliqué le droit. ».

    La question était donc celle-ci : si le Conseil Constitutionnel avait invalidé les comptes de campagne de Jacques Chirac, que se serait-il passé ? Certainement pas la destitution de Jacques Chirac, mais le remboursement des frais de campagne et le remboursement de son financement public. Donc, les Sages auraient pu rester sages et invalider les comptes de campagne.


    Pour Jacques Robert : « A priori, vous ne pouvez pas accepter que soit élu Président un candidat qui a commis une irrégularité dans ses comptes de campagne. Impensable ! C’est pourtant ce qui s’est passé. Il fallait donc maquiller les comptes. ». Cette décision, plus politique que juridique, du Conseil Constitutionnel a donc insinué le soupçon dans ses décisions ultérieures, notamment sur la loi Immigration adoptée le 19 décembre 2023 par le Parlemnet mais détricotée par le Conseil Constitutionnel le 25 janvier 2024.

    Mais une autre conséquence aussi grave de cette décision a eu lieu bien plus tard : le flou de l'origine d'une partie de l'argent destiné à la campagne d'Édouard Balladur a été intégré dans l'enquête sur le volets financier de l'attentat de Karachi qui a fait 14 morts dont 11 Français le 8 mai 2002. L'affaire est revenue en pleine figure en octobre 2010 lorsque les deux juges d'instruction chargés de l'affaire, Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire ont soupçonné que l'argent des balladuriens proviendrait en partie des rétrocommissions touchées sur des contrats d'armement entre la France et le Pakistan et l'Arabie Saoudite (arrivé à l'Élysée, Jacques Chirac a demandé d'interrompre le règlement des commissions prévues par les balladuriens). Pour cela, les deux juges ont saisi des archives au Conseil Constitutionnel, notamment des délibérations de l'instance, le rapport des trois rapporteurs (du Conseil d'État e de la Cour des Comptes) qui concluait au rejet des comptes de campagne d'Édouard Balladur.


    Dans sa campagne présidentielle, Édouard Balladur aurait dépensé 97 millions de francs, et pas les 83 millions de francs déclarés, soit au-dessus du plafond fixé à 90 millions de francs, et 14 millions de francs ne sont justifiés par aucune facture ni dons personnels. Sur le compte bancaire de l'Association de financement de la campagne d'Édouard Balladur, un versement louche de 10 millions de francs en grosses coupures a eu lieu le 26 avril 1995 (trois jours après le premier tour), et ce versement serait provenu de « ventes diverses de gadgets et de T-shirts (…), collectes au drapeau ». Évidemment, aucun membre du Conseil Constitutionnel n'y a cru : « On a tous rigolé. Balladur nous a pris pour des imbéciles ! » pour Jacques Robert toujours sur "Les Inrockuptibles". Et selon ce dernier, Roland Dumas se serait adressé aux trois rapporteurs en leur disant : « Non ! Ce n’est pas possible. Puis-je vous demander de revoir vos comptes, en minorant certaines dépenses ? Je suis sûr que vous allez trouver une solution. ». Jacques Robert : « Ils sont revenus nous voir une dernière fois avec les comptes qui dépassaient symboliquement de 1 franc ! Ils nous signifiaient ainsi qu’ils n’étaient pas dupes. Moi, à leur place, j’aurais balancé le dossier à la figure de Dumas ! ».

    Selon les journalistes Raphaëlle Bacqué et Pascale Robert-Diart dans "Le Monde" du 26 novembre 2010, quatre membres du Conseil auraient accepté le maquillage des comptes et quatre autres membres se seraient opposés, ce qui signifierait que la voix de Roland Dumas fut prépondérante dans la validation des comptes de campagne. Il y a eu cependant une victime, Jacques Cheminade, selon Jacques Robert : « Pour montrer que nous étions indépendants, nous avons invalidé Jacques Cheminade, alors qu’il n’avait commis que de légères erreurs. Pour lui, nous n’avons eu aucun problème de conscience : il a eu tous ses biens hypothéqués. ».


    Pour compléter son article, le périodique "Les Inrockuptibles" a retranscrit une partie du débat télévisé de second tour qui a eu lieu le 2 mai 1995.

    Lionel Jospin, lançant la vacherie : « En ce qui concerne le train de vie de l’État, je suis un peu inquiet quand je vois celui de la campagne de Jacques Chirac. Il ne donne pas l’exemple ! Il a été affirmé à plusieurs reprises, y compris par des gens qui vous soutiennent, que vous aviez dépassé largement, et même très largement, votre plafond de dépenses de campagne qui est fixé à 90 millions. Vous l’avez vous-même évalué à 87 millions. Je n’en ai dépensé que 42. C’est un vrai problème parce qu’on sait que le Conseil Constitutionnel doit vérifier ensuite les comptes de campagne. J’ai de bonnes raisons de penser que votre compte de campagne, Monsieur Chirac, est très largement dépassé. Donc vous avez un train de vie, en campagne en tout cas, qui ne laisse pas bien augurer de l’avenir. ».

    Jacques Chirac, répondant goguenard : « Pour le train de vie de ma campagne, Monsieur Jospin, je puis vous dire que conformément à la loi, mes comptes sont et seront publics. C’est la loi. Et que, par conséquent, le Conseil Constitutionnel pourra juger, de même qu’il jugera les vôtres. N’accusez pas sans savoir, ou à partir de on-dit. ».

    La grande assurance affichée ce jour-là par Jacques Chirac laisserait supposer qu'il s'était mis d'accord avec Roland Dumas pour fausser ses comptes de campagne. Les deux hommes ont démenti cette version, même si le deal était évident, puisque Roland Dumas allait de son côté être poursuivi par la justice dans d'autres affaires. Jacques Chirac est mort le 26 septembre 2019 et Roland Dumas vient de s'éteindre mercredi avec ce secret... de Polichinelle.

    En tout cas, dans sa séance du 4 juillet 2013, le Conseil Constitutionnel présidé par Jean-Louis Debré ne s'est pas privé de reprendre sa revanche d'indépendance en rejetant les comptes de campagne de Nicolas Sarkozy en 2012 (Décision n°2013-156 PDR du 4 juillet 2013). Ce dernier allait devoir rembourser l'ensemble des avances de l'État en raison du dépassement de ses dépenses de campagne estimées le 19 décembre 2012 par la Commission nationale des comptes de campagnes et des financements politiques (CNCCFP) à 22 872 615 euros pour un plafond de 22 509 000 euros (soit un dépassement de 363 615 euros). Il faut dire que c'était plus facile pour les Sages : Nicolas Sarkozy avait été battu. Il n'en restait pas moins que Nicolas Sarkozy, en tant qu'ancien Président de la République, était membre de droit de cette instance, mais celui-ci a annoncé immédiatement qu'il ne participerait plus aux travaux du Conseil (la démission étant constitutionnellement impossible).



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (03 juillet 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    "Campagnes de Chirac et de Balladur en 1995 : souvenir d'une arnaque" de Benoît Collombat et David Servenay, publié le 23 février 2012 dans "Les Inrockuptibles".
    Roland Dumas.
    Le sulfureux centenaire Roland Dumas soutient-il vraiment Poutine ?
    Roland Dumas, le sauveur de la République ?
    Roland Dumas à deux pas du centenaire !
    Roland Dumas, l'avocat sulfureux de la Mitterrandie triomphante.
     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240703-roland-dumas.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/roland-dumas-prince-de-l-255589

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/07/03/article-sr-20240703-roland-dumas.html
     

  • Législatives 2024 (15) : les promesses n'engagent que ceux qui y croient !

    « N’acceptez jamais que s’impose à vous une chape de plomb conservatrice et pessimiste, fondée sur le postulat que ce qui a été fait, bâti, créé hier serait nécessairement meilleur que ce qui pourrait être fait, bâti, créé demain. La France est le pays de la querelle des anciens et des modernes. Elle a vocation à bousculer les idées, les mœurs, les habitudes, les prétendues certitudes. » (Jacques Chirac, 2011).



     

     
     



    Dans un article publié le 24 septembre 2021, j'introduisais ces propos chiraquiens avec la remarque suivante : « Tous ceux qui passent leur temps à dénigrer la France, à cracher et à chier sur ce beau pays, à verser matin midi et soir leur bile sur la France, sur les Français, sur le peuple français, sur les dirigeants de la France (quels qu’ils soient), sur l’avenir de la France, ce ne sont pas des patriotes, contrairement à ce qu’ils prétendent être, ce sont des ennemis de la France. » (désolé pour l'auto-citation). Aujourd'hui, on semble revenus, dans les débats politiques, à un siècle en arrière, avec de la violence verbale et aucune frontière sur la bienveillance de son adversaire et surtout, sur la convenance des propos.

    Malheureusement dans cette campagne législative ultra-courte, la raison est absolument inaudible. La France est-elle en ruines ? Pas du tout, au contraire, mais qu'importe ! Il faut qu'elle soit en ruines si on veut être choisi pour sa reconstruction. Le problème, ce sont les formulations autoréalisatrices : à force de croire que la France est en ruines, on choisit les futurs gouvernants qui vont effectivement ruiner la France. Paradoxal.

    La petite phrase du titre est très connue et est fréquemment attribuée à Charles Pasqua ou à Jacques Chirac (on ne prête qu'aux riches !). Elle proviendrait en fait d'un barbier malin qui, devant sa boutique, avait affiché : "Demain, on rase gratis !". L'astuce, c'est qu'il laissait cette affiche tous les jours, et donc, tous les jours, c'était gratuit le lendemain ! Avec le programme du RN, on a un peu cela, et malheureusement, comme pour les clients du barbier, beaucoup d'électeurs y croient et risquent de voter pour un candidat du RN au second tour des élections législatives. Leur sincérité n'est pas en cause : les Français ont toujours voulu croire au Père Noël et celui-ci a eu plusieurs noms : Thiers, Clemenceau, Raymond Poincaré, Pétain, Pierre Mendès France, De Gaulle, François Mitterrand, Nicolas Sarkozy, Emmanuel Macron... et maintenant, le Père Bardella ?

     

     
     


    Que ce soit à la campagne des élections européennes comme à celle des élections législatives, ce que dit Jordan Bardella est absolument faux. Quand il déclare qu'il est pour l'Ukraine, les faits le démentent : tous ses votes au Parlement Européen entre 2019 et 2024 montrent le contraire, refusant les sanctions économiques contre la Russie ou les motions soutenant l'Ukraine. Jordan Bardella peut même considéré comme un troll de Vladimir Poutine à Strasbourg, comme, du reste, la plupart des autres députés RN. Bravo le patriotisme de pacotille ! Ça craint pour mon pays !

    Le dessin assez connu du loup qui promet d'être végétarien (trouvé sur le site L'Actu citoyenne, le titre en rouge a été rajouté par votre serviteur) fait beaucoup penser à Jordan Bardella. Tout dans la communication : bien habillé, poli, respectable (j'avoue que c'est un soulagement relatif par comparaison quand on regarde de l'autre côté de l'échiquier), un bureau où aucune note ne dépasse (pour une fois), un fauteuil, et puis ce discours robotisé, une leçon bien apprise, du plagiat systématique qui ne fait même pas rire et pourtant, quelle parodie de bras cassés, par exemple, dans un échange avant le premier tour, jeudi 27 juin 2024 sur France 2, Jordan Bardella s'est obligé de dire « Vous n'avez pas le monopole du cœur ! » sans se rendre compte du ridicule de la situation (n'est pas De Gaulle qui veut, mais n'est pas Valéry Giscard d'Estaing qui veut non plus !).

    Le ridicule, à la rigueur, mais l'ignominie, sans réaction de part et d'autre, c'est véritablement scandaleux ; quand Jordan Bardella a lancé après quelques « Ben voyons ! » un : « Revoilà Jean Moulin ! » au premier secrétaire du PS Olivier Faure (par ailleurs complètement mélenchonisé). Ce cynisme montre bien le double langage qu'on retrouve aussi sur différents points de programme (et pas des points de détail !), par exemple sur la binationalité (j'y reviendrai).


    La contre-attaque du RN face à cette campagne de désistement des candidatures pour renforcer un front républicain dont on ne connaîtra réellement l'efficacité que dimanche soir prochain, c'est de dire que c'est de la cuisine, de la manœuvre politicienne. Il n'y a pourtant aucune cuisine nulle part : un candidat arrivé en troisième position qui, selon les cas, voit bien que son élection au second tour est compromise (pas toujours : il peut agréger des reports de voix des candidats non qualifiés, mais c'est assez rare car les électeurs ont voté en bloc pour les trois pôles à 90-95% si bien qu'aucun des candidats restants en lice, dans une triangulaire, n'a véritablement de réserves de voix, sauf dans quelques circonscriptions exceptionnelles), ce candidat n'a aucune raison de s'accrocher à une candidature vouée à l'échec certain.

    D'ailleurs, en matière de manœuvres et de cuisine électorales, le RN et ses alliés ne sont pas non plus absents. Ainsi, dans la cinquième circonscription du Maine-et-Loire, le candidat ciottiste soutenu par le RN Gilles Bourdouleix, maire de Cholet depuis 1995, qui avait obtenu 30,5%, avait annoncé lundi qu'il se désistait parce qu'il en avait marre de ces élections nauséabondes. Du coup, les deux autres candidats, le député sortant de la majorité présidentielle Denis Masseglia (qui l'avait battu en 2017 et 2022), arrivé en tête au premier tour avec 33,7% et la candidate insoumise France Moreau, en troisième position avec 21,3%, se sont tous les deux maintenus, croyant avoir affaire à duel Ensemble vs FI (le quatrième candidat, Jacquelin Ligot, de LR, avec seulement 10,2%, n'a pas pu se qualifier pour le second tour). Mais le suppléant de Gilles Bourdouleix a quand même déposé discrètement leur candidature au second tour à la préfecture à la dernière heure avant les 18 heures fatidiques. Résultat, il a manœuvré pour rester dans une configuration de triangulaire qui pourrait l'avantager. Il faut se rappeler que Gilles Bourdouleix, successeur du sénateur Maurice Ligot (dont il était le directeur de cabinet) à la mairie de Cholet, était aussi le député de la circonscription de 2002 à 2017 et qu'il a appartenu successivement au PPDF (parti giscardien d'Hervé de Charette), à l'UDF, à l'UMP, à l'UDI, à LR, et maintenant au RN-ciottiste, et il a même présidé le CNIP de 2009 à 2015 (résidu non giscardien du parti d'Antoine Pinay). Bref, le RN semble finalement bien connaître des recettes de cuisine électorale, bien mieux que ses adversaires, qu'il dénonce pourtant avec véhémence !

    Ce qui est plus étrange, c'est que certains éditorialistes reprennent cette petite musique très populiste de la supposée magouille des désistements alors qu'il n'y a aucune magouille, au contraire, cela clarifie le jeu. Ces éditorialistes (que je ne citerais pas mais dont certains étaient pourtant, anciennement, les cibles privilégiés du RN) seraient-ils en train de préparer une reconversion idéologique pour se retrouver à l'aise dans un supposé nouveau régime ?

    Car c'est bien cela l'enjeu : quand on donne le pouvoir à l'extrême droite, on ne sait jamais quand on pourra le reprendre. Toujours l'histoire du loup et des moutons. Il y a un côté irréversible qui pourrait angoisser tous les passionnés de Jankélévitch. Dans les pays illibéraux (un terme très mal assorti), la liberté de la presse, des médias, les contre-pouvoirs, la justice, beaucoup d'institutions sont attaquées par le pouvoir en place avec ce risque du point de non-retour.

    La consigne du front républicain, à savoir celle par exemple (il n'est pas le seul) de Gabriel Attal : pas une seule voix à un candidat du RN, est malheureusement le résultat d'un profond aveuglément, mais je la soutiens car je ne vois pas quoi faire d'autre. L'aveuglément, c'est qu'une grande partie de la population, de celle qui vote RN (10,6 millions dimanche dernier) ne croit pas que le RN est un parti d'extrême droite mais simplement un parti de droite comme les autres. Pour eux, Emmanuel Macron est un dangereux gauchiste, ce qui en fait le gauchiste le plus détesté des gauchistes, si l'on en juge par le jugement de l'extrême gauche qui considère qu'Emmanuel Macron est un dangereux homme de droite vendu aux sales capitalistes apatrides... Si on était dans les années 1970, on dirait d'Emmanuel Macron : ni Pinochet, ni Brejnev ! Et le peuple a compris : et Pinochet, et Brejnev !

    Que peut penser de ce front républicain un ancien électeur modéré qui vote aujourd'hui pour le RN en pensant que c'est un parti de simple droite et en croyant les discours démagogiques et aseptisés de ses quelques porte-parole ? Que c'est une opération qui tendrait à prouver que tous ceux qui ne sont pas du RN sont de gauche. Dans une logique manichéenne du vieux retour du clivage gauche/droite.


    Pourtant, les déclarations de Marine Le Pen pour préparer le terrain d'une cohabitation affrontement ont de quoi inquiéter : avant le premier tour, elle évoquait le chef de l'État qui serait « chef des armées à titre honorifique » ! Et maintenant, ce mardi, elle évoquait un « coup d'État administratif » alors qu'il y a chaque semaine au conseil des ministres des nominations à des emplois publics (c'est classique), et parler de "coup d'État" (qui est très fort) alors que c'est la loi et la Constitution qui l'imposent, c'est avant-coureur d'un véritable déni de démocratie et de déni de Constitution.

    Pourtant aussi, les échappées solitaires qui font polémiques parmi de candidats RN mal étudiés, mal investis, ne sont pas des exceptions. Ceux qui risquent de venir occuper (et j'emploie à dessein ce verbe) les bancs de l'hémicycle ne sont pas tous de gentils démocrates la main sur le cœur (on parlait de monopole du cœur). Je propose d'aller lire le coup de gueule d'un élu local de l'Essonne, Christian Schoettl, maire de Janvry, petite ville mais ambition folle, allez visiter son marché de Noël (plusieurs dizaines de milliers de visiteurs !), allez participer au salon mondial du chameau (et du dromadaire) avec des invités internationaux de prestige, allez profiter du bar de la plage (même s'il n'y a pas de mer, il n'y a pas que Paris Plage, qui a ouvert ses portes samedi dernier), pour vous rendre compte de ce qu'un élu local est capable de faire avec peu de moyens mais une détermination folle. Cet élu détestait la députée de sa circonscription par son absence sur le terrain, mais il demande aujourd'hui de ne pas trembler ni hésiter à voter pour elle car en face, il y a un candidat du RN qui a vite effacé ses écrits particulièrement puants publiés dans un blog, mais le maire en avait gardé des traces.


    J'y mets un extrait de son billet : « Alors voilà les propos du candidat Rassemblement national, vous noterez que, s'il a tout supprimé, c'est qu'il a, au fond de sa conscience, l'idée que ses idées qu'il défend avec sa plume ne lui vaudront pas que des voix, qu'il faut travestir et avancer masqué.
    "de nos aïeux Francs et Aryens". "Les descendants des Aryens, eux possèdent un génie pour le courage", écrit Jérôme Carbriand, en janvier 2014.
    "On comprend aisément pourquoi aujourd’hui les représentants de la communauté juive (…) s’emploient à appliquer à l’humanité tout entière leur mode de vie nomade."
    "Quant aux 'pédérastes' (dixit le candidat), l’homosexualité est une forme de pathologie, l’homosexuel cherche souvent à imiter la femme, il n’est pas excessivement courageux, se laisse corrompre par tout ce qui est propre à son monde, par le matérialisme et la débauche, sa féminisation venant du fait qu’il s’identifie à sa mère."
    Cet individu [le candidat RN en question] a eu le culot de m'appeler ce matin pour s'expliquer...
    Il commence par me demander si j'ai lu son "droit de réponse".
    Je lui demande : "Monsieur, je veux savoir si vous avez écrit oui ou non cela ?"
    Il me réponds : "Mais c'est au milieu de 15 articles".
    "Avez-vous écrit cela, oui ou non ?"
    "Mais cela a été sorti du contexte" (vous imaginez le contexte qui permettrait de justifier ce vomi).
    À la quatrième ou cinquième interrogation, il finit par dire "oui".
    Du coup, j'ai raccroché en lui disant que je n'avais plus rien à lui dire.
    Il faut vraiment que personne ne nous dise "je ne savais pas", "ils ont changé", "il faut bien essayer".
    Maintenant chacun sait.
    Ils n'ont pas changé.
    Quant à "essayer", cela s'est déjà fait à Vichy.
    Cela s'est vu quand ils cherchaient à assassiner le Général De Gaulle.

    Cela s'est vu lors de leur participation aux festivités néo-nazies en Autriche (ah les bals de Vienne auxquels participait Marine Le Pen au milieu des néo-nazis autrichiens le jour anniversaire de l'Holocauste)... ».

    "Le Monde" a fait son dernier décompte à la limite du dépôt des candidatures du second tour ce mardi 2 juillet 2024 à 18 heures. Au départ, il y avait le 30 juin 2024 au soir la possibilité de 306 triangulaires et 5 quadrangulaires. Selon le quotidien du soir, qui s'est basé sur les déclarations des personnes concernées (il restera à ce que ce soit confirmé par la publication des candidatures le 3 juillet 2024), 218 candidats de triangulaire se sont désistés, dont 131 issus de la gauche et extrême gauche, 82 de la majorité présidentielle (Ensemble pour la République), 2 de LR et 2 du RN (même des candidats du RN se désistent ! C'est dire s'ils croient à leurs déclarations sur la supposée cuisine électorale qu'ils prétendent fustiger).


    Ces désistements ne réduiront peut-être pas la victoire annoncée du RN puisqu'en 2022, le RN avait gagné 89 sièges dans des duels, montrant ainsi qu'il avait fait éclater le plafond de verre. En anticipant à longueur de journée la victoire du RN, avec les nouveaux Évangiles que sont les sacro-saints sondages, les médias se trouvent finalement être beaucoup plus complices, de fait, de la montée du RN que la classe politique elle-même. Étonnant, non ?


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (02 juillet 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    (Les trois illustrations ont été diffusées sur Twitter, d'auteurs inconnus).

    Pour aller plus loin :
    Législatives 2024 (15) : les promesses n'engagent que ceux qui y croient !
    Législatives 2024 (14) : la revanche des gilets jaunes ?
    Législatives 2024 (13) : fortes mobilisations au premier tour.
    Résultats du premier tour des élections législatives du 30 juin 2024.
    Appel aux sociaux-démocrates.
    Éric Le Boucher : la France va plutôt bien (27 juin 2024).
    Législatives 2024 (12) : un isoloir, ce n'est pas un cabine d'essayage !
    Législatives 2024 (11) : front, rassemblement, union nationale, barrage, consignes de vote...
    Législatives 2024 (10) : il était une fois Jordan Bardella, Gabriel Attal et Manuel Bompard.
    Législatives 2024 (9) : Emmanuel Macron et son n'ayez-pas-peur !
    Interview d'Emmanuel Macron à Génération Do It Yourself le 24 juin 2024 (podcast intégral).
    Lettre aux Français d'Emmanuel Macron le 23 juin 2024 (texte intégral).
    Législatives 2024 (8) : la bataille de Matignon.
    Le programme aux élections législatives du 30 juin 2024 d'Ensemble pour la République (document à télécharger).
    Législatives 2024 (7) : Ensemble pour la République.
    Législatives 2024 (6) : Nicolas Sarkozy et François Fillon bougent encore !
    Législatives 2024 (5) : le trouble de Lionel Jospin.
    Législatives 2024 (4) : l'angoisse de Manuel Valls.
    Législatives 2024 (3) : François Hollande dans l'irresponsabilité totale !
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Sidération institutionnelle.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Résultats des élections européennes du dimanche 9 juin 2024.

     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240702-legislatives.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/legislatives-2024-15-les-promesses-255560

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/07/02/article-sr-20240702-legislatives.html