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  • Laurence Vichnievsky, nouvelle membre du Constitutionnel

    « Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de les exercer en toute impartialité dans le respect de la Constitution. » (Richard Ferrand, le 7 mars 2025 à l'Élysée).




     

     
     


    Petite phrase courte et claire prononcée à l'Élysée le vendredi 7 mars 2025. L'ancien Président de l'Assemblée Nationale Richard Ferrand a prêté serment devant le Président de la République Emmanuel Macron pour devenir le onzième Président du Conseil Constitutionnel depuis le début de la Cinquième République. Nommé pour un mandat de neuf ans, Richard Ferrand, à 62 ans, est le plus jeune membre de ce nouveau Conseil Constitutionnel (mais pas le plus jeune Président depuis 1959, car "battu" par Jean-Louis Debré de quelques mois, Robert Badinter et Roger Frey).

    La désignation de Richard Ferrand à la tête de cette instance juridictionnelle suprême n'était pas une surprise dès lors qu'il avait franchi l'étape de sa double audition parlementaire le 19 février, devant les commissions des lois des deux assemblées. Sa candidature n'avait pas été bloquée par les parlementaires, mais c'était très serré, à une voix près, ce qui en fait, depuis la réforme de 2008, le membre du Conseil Constitutionnel le moins bien accepté (bien que relevant de l'exclusive prérogative constitutionnelle du Président de la République).

     
     


    Certains considèrent que l'abstention des députés RN ont permis la nomination de Richard Ferrand. L'avis favorable, défavorable ou rien du tout, ne doit pas dépendre des options politiques mais d'un jugement sur la capacité de la personne proposée à la désignation, d'exercer la fonction pour laquelle on la désigne. Les accusations de contre-partie entre une bienveillante neutralité (abstention) du RN et la conclusion d'une décision future du Conseil Constitutionnel qui pourrait ensuite s'appliquer, par jurisprudence de QPC, à la présidente du RN, paraissent très minces et peu crédibles (tout en étant très graves) car le Président du Conseil Constitutionnel n'emporte pas forcément la décision d'une instance qui compte neuf membres (et sans doute aucun prêt à être bienveillant avec le RN). Sa voix prépondérante n'a de sens que lorsqu'ils sont réunis avec un nombre pair, ce qui est très rare. D'ailleurs, si ça devait influer, cela influerait probablement dans l'autre sens, c'est-à-dire dans le sens d'une mauvaise jurisprudence pour Marine Le Pen (il s'agit de la constitutionnalité de l'exécution provisoire d'une peine d'inéligibilité en première instance, donc avant d'autres recours, comme l'appel et la cassation), pour la simple raison que cela permettrait au nouveau Conseil Constitutionnel de bien marquer sa totale indépendance (et son devoir d'ingratitude, comme l'ont rappelé certains membres du Conseil Constitutionnel, en particulier Alain Juppé ; l'expression provient du doyen Georges Vedel).

     
     


    Le 20 février 2025, Emmanuel Macron a donc pris deux décisions, celle de confirmer la nomination de Richard Ferrand comme membre du Conseil Constitutionnel (puisqu'il l'avait déjà proposé aux assemblées) et aussi celle de le nommer pour succéder à Laurent Fabius à la Présidence du Conseil Constitutionnel.
     

     
     
     
     


    En fait, Richard Ferrand a prêté serment pour être avant tout (simple) membre du Conseil Constitutionnel. Les deux autres nouveaux membres nommés respectivement par la Présidente de l'Assemblée Nationale Yaël Braun-Pivet et le Président du Sénat Gérard Larcher, à savoir Laurence Vichnievsky et Philippe Bas, ont également prêté serment le 7 mars 2025 avant de prendre leur fonction pour un mandat de neuf ans. Je me propose de présenter ces deux nouveaux membres. Ces derniers avaient été également auditionnés le 19 février 2025, mais seulement par la commission des lois de l'assemblée dont a émané leur nomination (on peut écouter leur audition en fin d'article) et leur décret de nomination est daté du 19 février 2025.


    Laurence Vichnievsky (70 ans) nommée par Yaël Braun-Pivet


    Elle a eu 70 ans le 5 février 2025. Laurence Vichnievsky a eu deux activités principales : elle est juge de profession, et elle est femme politique. Pour ces deux activités, elle a eu des contestations.

    Elle a commencé sa carrière de magistrate en 1977. Juge d'instance en 1979, elle a été nommée juge d'instruction à Paris en 1991. Elle est connue et très critiquée pour avoir prétendument étudié le (très gros) dossier de l'affaire de la mort de Robert Boulin et prononcé seulement neuf jours plus tard, le 20 septembre 1991, un non-lieu (ce qui relève de l'exploit pour la lecture rapide). Juge d'instruction au pôle financier du tribunal de Paris, travaillant avec sa collègue Eva Joly, autre juge et femme politique, elle s'est retrouvée au cœur d'affaires politiques ou économiques très sensibles (ce qui l'a fait connaître du grand public), en particulier dans l'affaire Elf, l'affaire Roland Dumas, les emplois fictifs de la ville de Paris, l'affaire des frégates de Taïwan, le financement occulte du parti communiste français (elle a mis en examen Robert Hue, le secrétaire général du PCF), etc. En 2001, elle a ensuite présidé le tribunal de grande instance de Chartres avant de retourner en 2007 dans la capitale comme avocate générale près la cour d'appel de Paris, où elle devait siéger pour l'affaire de la marée noire de l'Erika.

    Mais elle n'a pas siégé dans cette affaire car elle s'est engagée dans la vie politique sous les couleurs des écologistes. Elle s'est présentée tête de liste EELV aux élections régionales de mars 2010 en Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA), recueillant 10,9% au premier tour, ce qui lui a permis de fusionner sa liste avec celle du PS et du front de gauche. Elle a été élue conseillère régionale de PACA de mars 2020 à décembre 2015.


    Pendant l'été 2011, Laurence Vichnievsky était porte-parole du parti écologiste mais ses prises de position furent critiquées tant par la secrétaire nationale Cécile Duflot que par la candidate à l'élection présidentielle Eva Joly, si bien qu'elle a quitté cette fonction pour reprendre sa liberté de parole (elle a notamment publié deux tribunes dans "Libération", une le 18 août 2011 où elle a soutenu Daniel Cohn-Bendit, et une le 26 octobre 2011 où elle a soutenu les propositions de François Hollande sur le nucléaire).

    En juin 2012, elle s'est présentée aux élections législatives à Marseille contre Valérie Boyer (UMP) et Christophe Masse (PS), sans succès puisqu'elle n'a obtenu que 2,6%. Elle a perdu aussi aux élections municipales à Marseille en mars 2014 où elle était la numéro deux du socialiste Patrick Mennucci (elle aurait été sa première adjointe), mais la liste a échoué face à Jean-Claude Gaudin. Aux élections départementales de mars 2015, elle s'est présentée contre le président PS du conseil général des Bouches-du-Rhône Jean-Noël Guérini et n'a obtenu que 7,4%.

    Proche de Chantal Jouanno (UDI), Laurence Vichnievsky a quitté EELV en 2015 et s'est présentée sous l'étiquette du MoDem, plus porteuse, aux élections régionales d'Auvergne-Rhône-Alpes en décembre 2015. Elle a été élue conseillère régionale de cette nouvelle région de décembre 2015 à juin 2021 sur les listes de Laurent Wauquiez.

    Candidate du MoDem soutenue par les macronistes en juin 2017, elle a été élue députée du Puy-de-Dôme contre Louis Giscard d'Estaing (UDI). Elle a siégé à la commission des lois dont elle a été vice-présidente, puis elle a été réélue en juin 2022, mais elle a échoué face au candidat écologiste en juillet 2024. C'est donc une ancienne députée expérimentée de sept ans, qui a échoué dernièrement, l'été dernier, à reprendre son siège, qui est entrée au Conseil Constitutionnel. Ses compétences et son expérience de droit sont sans contestation (juge puis députée).


    Lors de son audition le 19 février 2025, Laurence Vichnievsky a donné son point de vue sur la nomination des membres du Conseil Constitutionnel : « Certains considèrent que les membres devraient être désignés par un collège d’experts, issus des plus hautes juridictions ou encore des universités. J’estime pour ma part que les autorités de nomination doivent, de manière directe ou indirecte, être issues du suffrage universel, comme c’est le cas en France. Ce fonctionnement se justifie par l’office du Conseil qui, comme vous l’avez rappelé, est notamment de réguler l’activité des pouvoirs publics. Dans ces conditions, il m’apparaît absolument indispensable que les autorités de nomination ne soient pas exclusivement techniciennes. Par ailleurs, faut-il imposer des critères pour la désignation des candidats ? Je n’en suis pas certaine, à l’exception d’une absence de condamnation inscrite au casier judiciaire. La proposition de loi constitutionnelle de Stéphane Peu est intéressante et prévoit un critère de compétence juridique et qu’au moins trois membres aient exercé au moins dix ans dans les juridictions administratives ou judiciaires. Il me semble toutefois qu’un tel fonctionnement serait complexe, étant donné que trois autorités devraient se mettre d’accord. Et, surtout, la France a, d’une manière générale, tendance à multiplier les règles et les critères, au risque d’en omettre certains et de se priver des compétences issues d’autres secteurs. Peut-être intégrerons-nous un jour de tels critères, mais je crois que les auditions par les commissions des chambres parlementaires sont préférables. Rappelons qu’elles ont précisément pour objet de permettre à la représentation nationale d’apprécier le parcours, la compétence et la légitimité des candidats. (…) Vous m’avez demandé si je concevais [le Conseil Constitutionnel] comme un contre-pouvoir : lui-même se définit comme un régulateur de l’activité des pouvoirs publics et se juridictionnalise de plus en plus. ».
     

     
     


    Elle a voulu rassurer les députés sur son indépendance : « Au cours de mes dix années passées au pôle financier comme juge d’instruction, j’ai connu des situations extrêmement tendues. (…) J’ai fait l’expérience des pressions et des environnements hostiles ; j’ai même dû être protégée pendant plus de deux ans. Évidemment, les affaires soumises au Conseil Constitutionnel ne sont pas de cette nature, mais cette expérience me permet de prétendre à une certaine capacité de résistance aux pressions, y compris, et c’est peut-être le plus difficile, lorsqu’elles sont amicales. ».

    En particulier sur son impartialité : « M. le rapporteur m’a interrogée sur mon impartialité et ma légitimité (…). De nombreux mécanismes bien connus des magistrats permettent d’assurer leur impartialité, je pense notamment au déport, que j’ai moi-même pratiqué. Lorsque j’étais avocate générale et conseillère régionale Europe Écologie, j’ai demandé à la cour d’appel devant laquelle je requérais de renvoyer une affaire mettant en cause un collectif antipublicité, dont je ne connaissais aucun protagoniste, car il me semblait qu’en apparence au moins, mon impartialité aurait pu être contestée. Cela répond à votre question sur la théorie des apparences : il ne suffit pas que la femme de César soit innocente, il faut que chacun en soit convaincu ! Citons aussi les mécanismes de récusation ou de publicité des saisines et des audiences, garants d’impartialité. J’espère que mon parcours professionnel vous aura convaincus de ma légitimité. ».

    Dans le jeu des questions et réponses, il y a eu quelques questions intéressantes, certaines empoisonnées, que je propose d'aborder ici.

    Question de Sophie Blanc (RN) : « Le Conseil Constitutionnel a pris des décisions qui, pour beaucoup de Français, ont paru aller au-delà de ses compétences, vérifier la conformité des textes à la Constitution, à tel point qu’il a pu devenir un véritable constituant. Je pense à sa décision du 6 juillet 2018 consacrant la valeur constitutionnelle du principe de fraternité, dont la portée a véritablement créé du droit constitutionnel sans l’aval du peuple français ni de ses représentants. Je n’imagine pas un seul instant que lorsque le peuple français a approuvé la Constitution le 28 septembre 1958, il imaginait une telle interprétation d’un des mots de la devise républicaine. Considérez-vous que seuls le peuple et le Congrès détiennent le pouvoir constituant ? ».

    Réponse de Laurence Vichnievsky : « J’en viens au concept de fraternité, madame Blanc : il me paraît très large et difficile à manier, à tel point qu’on peut s’interroger sur le domaine qu’il recouvre et la prédictibilité des décisions qui en découlent. Je le répète, le constituant, c’est vous, dans le respect de l’article 89 de la Constitution. ».

    Questions d'Olivier Marleix (LR) : « Quant à votre engagement politique, il traduit indiscutablement une forme d’indépendance d’esprit à l’égard des différentes formations. Pour avoir siégé avec vous à la commission des lois, je peux témoigner de l’indépendance qui vous animait dans nos travaux législatifs. Vous vous êtes engagée dans la lutte contre la corruption, la prévention des conflits d’intérêts ou encore le renforcement des obligations de transparence. À ce sujet, la loi Sapin 2 a omis, à l’article 25, de citer les membres du Conseil Constitutionnel parmi les cibles possibles de lobbying. Faut-il les y inclure ? Les règles de déport et de prévention des conflits d’intérêts semblent manquer de transparence au sein du Conseil. Vous paraissent-elles suffisantes ? Enfin, un membre du Conseil Constitutionnel dont la nomination aurait été validée à une voix grâce à l’abstention massive d’un groupe parlementaire, et qui aurait à juger d’une QPC sur l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité décisive pour le chef dudit groupe, devrait-il prendre part à la délibération ? ».

    Réponse de Laurence Vichnievsky : « Je m’exprime devant vous autant que je pense pouvoir le faire, mais je ne pourrai pas me prononcer, par exemple, sur une QPC pendante devant le Conseil Constitutionnel. (…) On peut ne pas se satisfaire d’une décision du Conseil constitutionnel, mais comme M. Marleix a lancé un jour dans l’hémicycle : "Le constituant, c’est nous !". C’est vrai. Si le constituant estime qu’il y a matière à réviser la Constitution, pourquoi pas, mais ce n’est pas à moi de le dire. (…) Faut-il étendre les règles concernant le lobbying aux membres du Conseil Constitutionnel ? J’y suis favorable, de même que je suis favorable à ce que ses membres remplissent le même type de déclarations que les parlementaires à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Aucune raison ne justifie cette exclusion, le Conseil Constitutionnel n’ayant écarté cette obligation de déclaration que pour une raison de forme et non de fond. Les règles de déport et de prévention des conflits d’intérêts vous semblent manquer de transparence et de clarté au sein du Conseil Constitutionnel. Elles sont les mêmes dans toutes les juridictions. À défaut de fixer des critères positifs, on peut prévoir un critère négatif comme le fait d’ailleurs le règlement du Conseil Constitutionnel puisqu’il dit que la seule circonstance d’avoir participé à l’élaboration d’une loi n’impose pas le déport systématique du membre concerné. (…) J’avais indiqué que l’appréciation devait se faire in concreto, de préférence dans le cadre d’une discussion avec le président et, le cas échéant, avec les autres membres du conseil, on peut manquer d’objectivité quand on décide seul. ».

    Questions de Jérémie Iordanoff (EELV) : « Pensez-vous que le Conseil Constitutionnel doive contrôler au fond les questions soumises à référendum au titre de l’article 11 de la Constitution, ou considérez-vous, comme Richard Ferrand, que la décision Hauchemaille et Meyet du 24 mars 2005 a une portée nulle ? En d’autres termes, rechercherez-vous, comme M. Ferrand, la bienveillance du Rassemblement national ? Le Conseil d’État et le Conseil Constitutionnel se sont dits incompétents pour statuer sur le décret de dissolution de l’Assemblée Nationale. Si à l’avenir, un Président procédait à une nouvelle dissolution sans respecter le délai d’un an prévu à l’article 12 de la Constitution, Conseil Constitutionnel devrait-il pouvoir censurer le décret ? ».

    Réponse de Laurence Vichnievsky : « L’une portant sur le contrôle au fond des questions soumises à référendum au titre de l’article 11. On pourrait en effet déduire de la jurisprudence Hauchemaille qu’un contrôle est possible, ce n’est que mon interprétation et je ne suis pas membre du Conseil Constitutionnel. Si vous me faites confiance et si je suis nommée, nous aurons à statuer sur ce point. Il me semble y avoir matière à contrôle, sinon le vide créé pourrait permettre des consultations très critiquées comme les deux référendums du Général De Gaulle. ».

    Question d'
    Émeline K/Bidi (PCF) : « (…) Nous préconisons enfin que des opinions séparées puissent être jointes aux décisions. En tant que magistrate attachée à l’indépendance de la justice, vous y serez probablement sensible. Que pensez-vous de ces propositions ? ».

    Réponse de Laurence Vichnievsky : « Quant à la possibilité d’exprimer des opinions dissidentes, j’ai un point de vue un peu différent de celui de la majorité des membres actuels et anciens du Conseil Constitutionnel, ainsi que, sans doute, de la majorité de la doctrine. En ma qualité d’ancien juge, j’estime qu’il n’est pas possible de publier des opinions dissidentes au sein des juridictions françaises, en dehors du Conseil Constitutionnel, car les décisions rendues concernent des personnes. Les décisions du juge constitutionnel portent, quant à elles, sur des principes, même si, du fait de la QPC, elles concernent aussi, de manière croissante, des personnes, ma position est donc susceptible d’évoluer. L’argument de la confidentialité ne me paraît pas pertinent. La publication d’une opinion dissidente présenterait à mes yeux l’intérêt de favoriser la transparence du délibéré, de permettre des évolutions jurisprudentielles, car cela susciterait un débat, notamment au sein de la doctrine, et, surtout, de montrer que le Conseil Constitutionnel statue en droit et non en fonction de considérations politiques, ce qui mettrait un terme à beaucoup de critiques dirigées contre l’institution. En même temps, j’entends la position de ceux qui estiment que la collégialité et le secret du délibéré vont ensemble et que cela protège les juges. On entend dire aussi que, dans le cadre du contrôle a priori, l’expression d’opinions dissidentes s’apparenterait à une troisième chambre de discussion, ce qui n’est pas possible. La réflexion sur le sujet n’est pas mûre. Il faut être prudent et continuer à en discuter. ».
     

     
     


    Question de Brigitte Barèges (ciottiste) : « Accepteriez-vous le poste de Présidente du Conseil constitutionnel ? Cela introduirait de la parité dans une institution qui en a bien besoin. » (le Président du Conseil Constitutionnel n'a été désigné que le lendemain de cette audition).

    Réponse de Laurene Vichnievsky : « Je ne suis pas opposée par principe à l’élection du Président du Conseil Constitutionnel par ses pairs mais cette procédure n’appartient pas à notre tradition juridique. Elle a cours dans les juridictions internationales car c’est la seule manière possible d’en désigner le président parmi les candidats présentés par les États. ».

    Question de Jean-François Coulomme (FI), sur le projet de loi agricole : « Ce texte met en opposition plusieurs droits fondamentaux : le droit d’entreprendre, le droit de propriété, le droit de l’environnement, le droit à la libre expression, le droit de manifester, le droit à vivre dans un environnement sain. Si vous deviez vous pencher sur ce texte, à quels principes donneriez-vous la priorité ? ».

    Réponse de Laurence Vichnievsky : « La tâche du juge, qu’il s’agisse du juge judiciaire ou du juge constitutionnel, consiste souvent à concilier des intérêts légitimes, juridiquement protégés mais souvent opposés. Le Conseil Constitutionnel, à l’instar du Conseil d’État, prend ses décisions en respectant trois principes : la nécessité, la proportionnalité et l’adéquation. ».

    Sur l'indépendance politique et le devoir de réserve, Laurence Vichnievsky a aussi précisé à ses interlocuteurs : « Je pense avoir aussi apporté la preuve de mon indépendance dans ma carrière politique qui a commencé aux côtés de Daniel Cohn-Bendit au sein du parti Europe Écologie-Les Verts (EELV). Alors que j’étais l’un des deux porte-parole nationaux, j’avais écrit une tribune sur la nécessité de payer la dette et sur l’âge de la retraite. Cela n’avait pas du tout plu, et j’avais quitté mes fonctions de porte-parole puis la direction d’EELV quelques mois plus tard. Que j’aie eu tort ou raison, je n’ai pas renié mes convictions et j’ai pris mes distances avec ce parti. En tant que députée, je pense avoir été loyale à mon groupe, mais je n’ai jamais voté contre mes convictions, il faut dire qu’au sein du mouvement auquel j’appartiens encore, il y a un grand respect du vote et de la liberté de vote. L’indépendance n’est pas une compétence mais un état d’esprit qui ne rend pas toujours la vie facile sur le plan personnel, qui peut être source de mauvaises surprises et de désagréments. Le statut peut aider à garder cet état d’esprit. S’agissant des membres du Conseil constitutionnel, j’observe qu’ils sont nommés pour un long mandat unique. À part être membre du Conseil Constitutionnel, ils ne peuvent rien faire d’autre que d’éventuelles études universitaires, ce qui est très bien. À cet égard, la situation me serait très familière puisqu’elle s’apparente à celle que j’ai connue en tant que magistrat. À mon avis, le devoir de réserve est une obligation majeure à respecter. Je revendique de l’avoir fait lorsque j’étais magistrat, et, si vous me faites confiance, je le respecterai en tant que membre du Conseil Constitutionnel car c’est aussi une manière de répondre aux critiques d’appartenance partisane. (…) À quelle distance le Conseil Constitutionnel doit-il se tenir des débats politiques ? Comme déjà indiqué, j’estime que l’obligation de réserve est le meilleur moyen d’établir cette distance. Si vous confirmez cette proposition de nomination, il est évident que je quitterai mes amis du Modem et les fonctions que j’exerce au bureau exécutif. Si je ne l’ai pas encore fait, c’est que je ne veux pas préjuger de votre décision. En ce qui concerne le réseau X, je pourrais évoquer d’autres raisons. J’ai toujours fait un usage très modéré de ce réseau, et il y a longtemps que je ne m’y suis pas exprimée. Si cette proposition se concrétisait, je ne m’exprimerais plus sur les réseaux sociaux et je m’astreindrais à un silence médiatique total. Pour moi, c’est une évidence. ».
     

     
     


    À l'issue de son audition devant la commission des lois de l'Assemblée, Laurence Vichnievsky a recueilli pour sa désignation 28 avis favorables et 22 avis défavorables sur 65 votants.


    Philippe Bas (66 ans) nommé par Gérard Larcher


    S'il y avait un seul sénateur qui peuit se déclarer fait pour être membre du Conseil Constitutionnel, ce serait lui, Philippe Bas, qui a été président de la commission des lois du Sénat du 9 octobre 2014 au 30 septembre 2020 (il aurai souhaité poursuivre à la commission des lois en 2020 mais les statuts du groupe LR lui interdisaient de rester à cette présidence plus de six ans de suite). Il a connu la notoriété comme président de la commission d'enquête sur l'affaire Benalla, menant les auditions du Sénat en 2018 avec fermeté et courtoisie, refusant de se laisser intimider par l'Élysée. Cet exercice l'avait placé en bonne position pour devenir un jour le successeur de Gérard Larcher à la Présidence du Sénat.

     

     
     


    Mais reprenons depuis le début. Philippe Bas n'était pas, à l'origine, un homme politique mais un haut fonctionnaire avec une trajectoire relativement classique : IEP Paris, ENA (dans la même promotion que Pierre Moscovici, Philippe Wahl, Guillaume Pepy et François Villeroy de Galhau), Conseil d'État. De 1988 à 1997, Philippe Bas a été membre de plusieurs cabinets ministériels auprès de Jean-Pierre Soisson (Travail), Philippe Douste-Blazy (Santé), Simone Veil (Santé et Affaires sociales) comme directeur adjoint de cabinet et Jacques Barrot (Travail et Affaires sociales) comme directeur de cabinet. Il a été également de 1989 à 1992 conseiller d'Abdou Diouf, Président du Sénégal.

    Après l'échec de la dissolution de 1997, le Président Jacques Chirac a fait venir Philippe Bas auprès de lui à l'Élysée, d'abord comme conseiller social, puis Secrétaire Général adjoint de l'Élysée le 13 septembre 2000, enfin Secrétaire Général de l'Élysée du 8 mai 2002 au 2 juin 2005 (il a succédé à Dominique de Villepin nommé au Quai d'Orsay).

    Après une carrière dans les coulisses, Philippe Bas s'est exposé en acceptant d'être membre du gouvernement de Dominique de Villepin : Ministre délégué à la Sécurité sociale, aux Personnes âgées, aux Personnes handicapées et à la Famille du 2 juin 2005 au 26 mars 2007 et Ministre de la Santé et des Solidarités du 26 mars 2007 au 15 mai 2007 après la démission de Xavier Bertrand pour se consacrer totalement à la campagne présidentielle en faveur de Nicolas Sarkozy.

    À la fin de la Présidence de Jacques Chirac, Philippe Bas a voulu s'implanter dans la Manche. Candidat malheureux dans la Manche, il a échoué aux élections législatives de juin 2007 malgré son investiture UMP, battu par un candidat UMP dissident très implanté localement (le député UMP sortant avait été nommé à la Cour des Comptes pour "libérer" la circonscription).


    En mars 2008, Philippe Bas a toutefois réussi à se faire élire, puis réélire jusqu'à maintenant, conseiller général puis conseiller départemental de la Manche, d'abord vice-président du conseil général de mars 2008 à mars 2015, puis président du conseil départemental de mars 2015 à octobre 2017 (il a quitté l'assemblée départementale de novembre 2015 à janvier 2016 en raison de l'invalidation de son élection de mars 2015 mais il s'est fait réélire dès le premier tour le 6 décembre 2015). En 2017, en raison de la loi contre le cumul, il a préféré le Sénat à la présidence du conseil départemental.

    Après son échec aux législatives, il a aussi réintégré le Conseil d'État et a été nommé président de l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrants, devenu l'Office français de l'immigration et de l'intégration, du 29 novembre 2007 au 23 janvier 2011, puis président de l'Agence nationale de sécurité alimentaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail jusqu'à son élection au Sénat en septembre 2011.

    Car en septembre 2011, Philippe Bas s'est fait aussi élire sénateur de la Manche, réélu en septembre 2017 et en septembre 2023 (il vient de démissionner pour entrer au Conseil Constitutionnel). Président de la commission des lois du 9 octobre 2014 au 30 septembre 2023, il a aussi exercé les fonctions de questeur du Sénat (chargé de gérer le Sénat) du 6 octobre 2020 au 3 octobre 2023.

    Spécialisé dans le droit du travail, Philippe Bas a réalisé notamment, lorsqu'il travaillait à l'Élysée, la mise en œuvre du régime social des indépendants (ordonnance n°2005-299 du 31 mars 2005 et décret n°2005-362 du 27 mai 2005). Comme ministre, il a installé l'Agence française de l'adoption, il a appliqué la loi Handicap, le plan Petite enfance et le plan Solidarité grand âge.

     

     
     


    Philippe Bas a eu aussi une grande influence sur le gouvernement lorsqu'il était au Sénat puisque c'est grâce à lui que l'IVG a été inscrite dans la Constitution. Il a en effet réussi à convaincre la majorité sénatoriale conservatrice d'accepter cette révision constitutionnelle avec la formulation qu'il a lui-même proposée : au lieu de parler d'un "droit" à l'IVG, la Constitution évoque ainsi la « liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse ».

    Philippe Bas a aussi co-organisé un colloque le jeudi 17 octobre 2024 au Sénat pour célébrer les 50 ans de saisine parlementaire du Conseil Constitutionnel, la révision voulue par le Président Valéry Giscard d'Estaing qui a étendu la saisine à 60 parlementaires, permettant ainsi aux parlementaires de l'opposition de faire invalider une disposition d'un texte législatif en cas de non-conformité à la Constitution.

    Dans son allocution d'introduction à l'une des tables rondes du colloque, Philippe Bas a affirmé : « Progressivement, à partir de sa fonction d’auxiliaire de la rationalisation du parlementarisme, le Conseil Constitutionnel est devenu la clef de voûte de l’État de droit. Cette évolution s’est opérée à partir d’une révolution juridique considérable, avec une audace extraordinaire dans l’histoire de la République. Le Conseil a agi de sa propre initiative, alors que la Constitution ne lui conférait pas cette fonction et que ni la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ni le préambule de la Constitution de 1946, ni les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ne s’imposaient aux législateurs. La révision de 1974 a non seulement donné un fondement constitutionnel à cette évolution prétorienne, mais a aussi permis au Conseil Constitutionnel d’exercer sa fonction de garant de l’État de droit en multipliant les occasions de sa saisine. ».

     

     
     


    Philippe Bas a insisté aussi sur le fait que le Conseil Constitutionnel n'est pas qu'une instance juridique mais elle est aussi une instance politique : « Le Conseil Constitutionnel reste une institution originale dont l’action a une dimension politique dans le cadre de la séparation des pouvoirs. Notre colloque rend aussi hommage à la vision personnelle de Valéry Giscard d’Estaing, animée par une tradition philosophique libérale. Lecteur de Montesquieu et de Tocqueville, il arrive au pouvoir dans un système de bipolarisation et de fait majoritaire à son apogée. Pourtant, par sa première initiative politique d’envergure, il agit en faveur d’un meilleur équilibre des pouvoirs. Cette alchimie historique a permis d’instaurer un contre-pouvoir qui s’exerce au nom du droit et des libertés, face au pôle majoritaire unissant Président, gouvernement et majorité parlementaire. Il le fait en attribuant à l’opposition la capacité de déclencher ce contre-pouvoir pour limiter le pouvoir exorbitant de la majorité. Le Conseil Constitutionnel a ainsi été créé pour atténuer les effets potentiels sur les libertés, en incorporant les principes fondamentaux du droit et de la liberté au bloc de constitutionnalité. ».

    Philippe Bas a aussi rendu hommage à Alain Poher, Président du Sénat de 1968 à 1992, en rappelant que sur les (seulement) dix saisine du Conseil Constitutionnel entre 1959 et 1974, « trois émanaient du Président du Sénat, dont celles ayant permis au Conseil Constitutionnel de se prononcer sur l’incorporation des droits fondamentaux au bloc de constitutionnalité ».

    De plus, l'ancien président de la commission des lois du Sénat a rejeté le risque de connivence entre le gouvernement et le Conseil Constitutionnel car les membres du Conseil sont très soucieux de leur indépendance : « Les politiques, désireux de faire aboutir leurs réformes, ont de plus en plus de mal à accepter ces décisions. Je ne constate pas de connivence entre le politique et le Conseil Constitutionnel, mais plutôt l’inverse. Les membres nommés, qu’ils soient politiques ou non, font preuve d’indépendance et de conscience dans l’exercice de leur mission. Les législateurs maintiennent une relation frictionnelle avec le Conseil, ce qui atteste d’une indépendance mutuelle. ».

     

     
     


    Philippe Bas, au-delà de son expérience de haut fonctionnaire, de ministre et de sénateur, est ainsi un véritable expert de la Constitution. Ce n'est donc pas étonnant que les sénateurs de la commission des lois aient plébiscité sa désignation au Conseil Constitutionnel, en apportant 36 avis favorables et 2 avis défavorables sur 41 votants à l'issue de son audition le 19 février 2025.

    Les trois nouveaux membres du Conseil Constitutionnel Richard Ferrand, Laurence Vichnievsky et Philippe Bas ont pris leur fonction le 7 mars 2025.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (08 mars 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    L'installation du nouveau Conseil Constitutionnel présidé par Richard Ferrand.
    Laurence Vichnievsky.
    Philippe Bas.
    Richard Ferrand validé de justesse par le Parlement.
    Alain Juppé à la rescousse de Richard Ferrand ?
    Richard Ferrand bientôt proposé rue de Montpensier ?
    Laurent Fabius.
    Nominations au Conseil Constitutionnel en février 2010.
    Les nominations présidentielles.
    Jean-Louis Debré.
    Pierre Mazeaud.
    Yves Guéna.
    Roland Dumas.
    Robert Badinter.
    Daniel Mayer.









    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250307-laurence-vichnievsky.html

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/02/26/article-sr-20250307-laurence-vichnievsky.html



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  • Jean-Louis Debré, l'un des derniers gardiens du Temple

    « Chirac doit être à 13% dans les sondages, Balladur est à 30 ou 40%. Personne ne veut vraiment nous recevoir. Et je lui dis : comment voyez-vous les choses ? (…) Ce n'est pas très bon. Et je lui dis : qu'est-ce qu'on va faire après ? Il me dit : on va ouvrir une agence de voyage. Tu la tiendras et je voyagerai. Et dix secondes après : non, on va gagner ! On est à 13%. » (Jean-Louis Debré sur Jacques Chirac).




     

     
     


    Une anecdote parmi de très nombreuses autres qu'il aimait raconter, lui le mécanicien de la Cinquième République, celui qui était dans le moteur institutionnel de père en fils. C'est avec beaucoup de tristesse que j'ai appris la mort de Jean-Louis Debré dans la nuit du 3 au 4 mars 2025. Il avait 80 ans. Il nous manquera, "nous", tous les Français, car il était un visage et un regard irremplaçable d'une certaine idée de la vie politique.

    Il rejoint son frère jumeau, médecin et également homme politique, Bernard Debré mort le 13 septembre 2020 à 75 ans, quelques heures avant leur grand frère François Debré, journaliste, à 78 ans. De la fratrie, il ne reste plus que Vincent, l'aîné, 86 ans.

    Incontestablement, Jean-Louis Debré était issu d'une grande famille exceptionnelle, certains diront dynastie, mais en République, chaque membre n'a brillé que par son mérite personnel, et on l'a bien compris en observant les deux frères jumeaux, l'un était un homme politique, tandis que l'autre était bien plus que cela, un homme d'État (c'est d'ailleurs ainsi que le présente Wikipédia, ce dont je me réjouis), comme leur père, Michel Debré, auteur de la Constitution de la Cinquième République et premier Premier Ministre de cette République et du Général De Gaulle.

    Cette famille, qui était déjà bien installée depuis plusieurs générations, a donné de nombreux grands médecins (dont Robert Debré, présenté comme le père de la pédiatrie moderne, le grand-père de Jean-Louis Debré), de grandes personnalités politiques, de grands scientifiques et universitaires (Michel Debré était le cousin germain du grand mathématicien Laurent Schwartz récompensé par la Médaille Field, son frère Bernard Schwartz a été le directeur de l'École des Mines de Nancy, etc.), aussi un grand-rabbin (Simon Debré, l'arrière-grand-père de Jean-Louis Debré), aussi de grands artistes (son oncle Olivier Debré était un peintre de l'abstrait), sept académiciens, etc.

     

     
     


    Jean-Louis Debré était adolescent quand son père était à Matignon, il connaissait les De Gaulle, leur face publique mais aussi privée. Il ne pouvait être que passionné par la politique, car il a baigné dans la marmite étant petit (comme Obélix), d'autant plus que son père était un passionné qui a retransmis le virus de la politique à ses enfants. En 1986, les deux frères jumeaux ont été élus députés et ils ont siégé avec le père qui a pris sa retraite en 1988. Pendant deux ans, il y a eu trois Debré pour le prix d'un au Palais-Bourbon !

    Mais c'est bien avant qu'il a vraiment fait la connaissance de Jacques Chirac, en 1973, à une époque où, jeune homme de 28 ans, il s'était présenté aux élections législatives et avait perdu : on ne lui avait pas donné une circonscription en or, il s'est démené par son mérite pour arriver à la politique. Jacques Chirac l'a épaulé, l'a coaché, il était son mentor, en quelque sorte. Et au fil des années et des décennies, au fil des fidélités et des vilenies, Jean-Louis Debré est resté le chiraquien fidèle, l'un des rares jusqu'au bout de la route, l'un de ses rares visiteurs quand il était malade.

     

     
     


    Docteur en droit public, juge d'instruction, Jean-Louis Debré, au-delà de ses mandats de député (son successeur dans sa circonscription fut Bruno Le Maire) et de maire d'Évreux, a assumé trois grands mandats dans sa carrière politique.

    Le premier n'était pas une joie et son autorité y était souvent remise en cause : Ministre de l'Intérieur du 18 mai 1995 au 2 juin 1997, je pourrais même dire le premier Ministre de l'Intérieur de Jacques Chirac Président de la République, mais il aurait sans doute été plus utile au Ministère de la Justice. Jacques Chirac avait besoin d'une personne fiable et fidèle à l'Intérieur, et Jean-Louis Debré, qui n'a jamais tutoyé le Président, n'a jamais trahi Jacques Chirac, notamment pendant la campagne présidentielle de 1995, voir l'anecdote en introduction (alors que son frère Bernard Debré soutenait Édouard Balladur).

    Sa deuxième grande responsabilité a été d'être Président de l'Assemblée Nationale du 25 juin 2002 au 4 mars 2007. Là encore, rien n'était évident pour lui et il a réussi à convaincre la majorité des députés UMP de l'élire, alors que d'autres noms, parfois prestigieux (Édouard Balladur), circulaient pour le perchoir. Ce fut, comme l'a rappelé sa lointaine successeure Yaël Braun-Pivet, « l'honneur d'une vie » et « cinq ans de bonheur absolu ». Sa passion de la chose politique et son respect des institutions ont conduit Jean-Louis Debré à profondément marquer l'Assemblée Nationale par sa fonction. Depuis 1958, il n'y a pas eu beaucoup de Présidents de l'Assemblée à s'être autant distingué : Jacques Chaban-Delmas, Philippe Séguin, et lui (et je pourrais rajouter Yaël Braun-Pivet et Louis Mermaz). Les autres, c'était juste une ligne de plus sur leur CV et leurs gratifications ; pour Jean-Louis Debré, c'était faire vivre la représentation nationale, la moderniser, l'incarner, en particulier à l'étranger.

     

     
     


    Enfin, sa troisième grande responsabilité, il a exercé le mandat de Président du Conseil Constitutionnel du 5 mars 2007 au 5 mars 2016, de manière passionnée mais neutre et impartiale, d'autant plus que son gaullisme originel l'incitait à détester Nicolas Sarkozy et ses attitudes peu gaulliennes (par la suite, après 2016, il n'a pas caché qu'il avait voté pour François Hollande en 2012 !). Laurent Fabius lui a succédé et ce mandat s'achève dans quelques jours au profit de Richard Ferrand.

    Son père Michel Debré avait d'ailleurs refusé la proposition du Président Georges Pompidou de le nommer Président du Conseil Constitutionnel en début 1974, il était pourtant sans doute le plus apte à assumer cette fonction, mais il se méfiait de Georges Pompidou et pensait qu'il voulait se débarrasser (politiquement) de lui, alors que lui-même voulait garder sa liberté, sa partialité, son besoin d'influer sur le cours des choses.

    Retiré de la vie politique en mars 2016, Jean-Louis Debré a fréquenté régulièrement le Salon du Livre mais aussi le théâtre. Il a publié quelques livres de témoignages et d'anecdotes parfois croustillantes, devenu observateur après acteur, et quelques exposés sur des sujets qui l'intéressaient, comme les femmes qui ont réveillé la France, un spectacle au théâtre dans une nouvelle vie, culturelle cette fois-ci, commencée en 2022. Son amour pour l'histoire l'a conduit aussi à présider le Conseil supérieur des archives de 2016 à 2025, après deux prédécesseurs prestigieux, les historiens René Rémond (1988 à 2007) et Georgette Elgey (2007 à 2016).


     

     
     


    Je reviens sur la relation de Jean-Louis Debré avec Jacques Chirac qui l'a pris sous son aile en 1973 en le nommant conseiller technique au Ministère de l'Agriculture (leur première rencontre a eu lieu à l'aéroport d'Orly en juillet 1967, il avait 22 ans et accompagnait Michel Debré pour accueillir De Gaulle de retour de sa visite officielle au Québec, le fameux "vive le Québec libre !"). Soutenant comme son père la candidature de Jacques Chaban-Delmas, il a quitté le cabinet de Jacques Chirac (qui soutenait VGE) mais l'a réintégré à Matignon après l'élection de Valéry Giscard d'Estaing, jusqu'en été 1976. À partir de 1988, Jacques Chirac s'est beaucoup reposé sur la loyauté de Jean-Louis Debré pour maintenir unies ses troupes du RPR, après des tentatives de "rébellion" interne de Charles Pasqua, Philippe Séguin, puis Édouard Balladur.

    Sa liberté de ton, sa passion et son engagement ont fait de Jean-Louis Debré l'une des personnalités politiques les plus respectées de France, à qui même Mathilde Panot a rendu hommage ce matin, un hommage à « un des représentants majeurs d'une droite républicaine qui défendait encore les usages démocratiques ». Il manquera à la République.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (04 mars 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Jean-Louis Debré.
    Enfant de la République (la Cinquième).
    Haut perché.
    Bernard Debré.
    Michel Debré.

     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250304-jean-louis-debre.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/jean-louis-debre-l-un-des-derniers-259679

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/03/04/article-sr-20250304-jean-louis-debre.html




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  • François-Xavier Ortoli, le Plan Calcul et l'Europe

    « François-Xavier Ortoli (1925–2007) représente une personnalité profondément originale au sein des élites politiques françaises de la deuxième moitié du XXe siècle. » (Éric Bussière et Pauline Massis Desmarest, 2016).




     

     
     


    Il y a 100 ans est né François-Xavier Ortoli à Ajaccio. Qui était-il ? Il était l'un des nombreux "barons" du gaullisme, très proche du Président Georges Pompidou. Haut fonctionnaire, député, ministre, chef d'entreprise, il a eu également une action très influente, pendant treize ans, en Europe.

    En raison de la profession de son père, François-Xavier Ortoli a passé toute son enfance en Indochine. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1944-1945, il s'est engagé dans la résistance contre les Japonais en Indochine, ce qui lui valu, entre autre, la croix de guerre et la médaille de la Résistance. Il a fait partie de la génération des derniers qui ont combattu pendant la guerre, Valéry Giscard d'Estaing s'est également engagé in extremis, bien qu'encore plus jeune d'un an (né le 2 février 1926).

    À la sortie de la guerre, François-Xavier Ortoli a suivi l'ENA (il a fait partie de la première promotion de l'ENA, aux côtés de Jacques Duhamel, Simon Nora, Yves Guéna et Alain Peyrefitte). Il en est sorti inspecteur des finances en avril 1948 et s'est destiné à la modernisation économique de la France d'après-guerre et à son insertion internationale (après l'ENA, il est entré à la DREE, Direction des relations économiques extérieures).

    Ce fut donc une carrière toute tracée de haut fonctionnaire qui l'attendait. Il a fait partie de ces jeunes résistants et technocrates qui ont accompagné le retour au pouvoir de De Gaulle dans les années 1960, sur lesquels le pouvoir gaulliste savait compter pour redresser la France dans son économie et son influence internationale. Comme beaucoup d'entre eux, François-Xavier Ortoli a franchi le pas du haut fonctionnaire à l'homme politique.

    Sous la Quatrième République, François-Xavier Ortoli a intégré plusieurs cabinets ministériels. En 1957, il a participé aux négociations qui aboutirent au Traité de Rome. Très brièvement, en janvier 1958, il a été chef de cabinet du commissaire européen Robert Lemaignen. Puis, de 1958 à 1961, il a été nommé par Robert Marjolin, Vice-Président de la Commission Européenne chargé de l'Économie et des Finances de 1958 à 1967, au sein de la technocratie européenne pour le début de l'application du Traité de Rome, en tant qu'influent directeur général du marché intérieur de la CEE. Il est devenu « l'un des chefs de file des hauts fonctionnaires européens de la Commission ».

    Au printemps 1961, il est retourné dans la haute administration française pour coordonner à l'échelon interministériel l'élaboration et le suivi de la politique européenne de la France, en tant que secrétaire général du comité interministériel pour les questions de coopération économique européenne (le même sujet mais vu du côté français) dépendant directement du Premier Ministre (à l'époque Michel Debré).

    Le point culminant de sa carrière administrative a été sans aucun doute les longues années où il travailla pour Georges Pompidou en étant son directeur de cabinet à Matignon de 1962 à 1966 (tout en cumulant son ancienne responsabilité, ce qui montrait l'importance qu'accordait Georges Pompidou aux questions européennes). Un poste stratégique, au cœur du pouvoir, et étonnamment stable pour une fonction hyperinstable. Cela a été à l'origine de sa transformation de technocrate (collaborateur, conseiller) en politique (acteur, décideur).


    À l'époque, se réunissaient tous les matins à Matignon, autour de Georges Pompidou : François-Xavier Ortoli (dircab), Olivier Guichard (chargé de mission), Simone Servais (attaché de presse), Pierre Juillet (conseiller technique), Alain Peyrefitte (Ministre de l'Information), puis, un peu plus tard, ont rejoint Michel Jobert (directeur adjoint de cabinet, dircab après François-Xavier Ortoli), Jean Donnedieu de Vabres (secrétaire général du gouvernement, le prédécesseur de François-Xavier Ortoli).

    Après l'élection présidentielle de décembre 1965, François-Xavier Ortoli a été nommé Commissaire général au Plan de janvier 1966 à avril 1967. Au conseil des ministres du 2 mars 1966, le Premier Ministre Georges Pompidou a présenté les trois comités chargés d'éclairer l'exécution du Plan : un premier comité dirigé par François-Xavier Ortoli chargé du développement industriel, un deuxième dirigé par Simon Nora (inspecteur des finances) chargé des entreprises publiques et un troisième dirigé par Claude Lasry (du Conseil d'État) chargé des coûts et du rendement des services publics (on se préoccupait déjà de l'efficacité de la dépense publique, des missions, programmes et actions de l'État, LOLF et RGPP avant l'heure !).

    Après notamment celui de Marcel Boiteux (futur patron d'EDF), François-Xavier Ortoli a été l'auteur de l'un des nombreux rapports d'industriels et de hauts fonctionnaires qui demandaient de lancer le Plan Calcul (finalement lancé le 13 avril 1967), à savoir un investissement massif pour l'informatique, afin de préserver la souveraineté nationale dans ce domaine (ce qui est fait aussi, actuellement, pour l'intelligence artificielle et la physique quantique). Le constat était que la France disposait de trente fois moins de calculateurs que les États-Unis (et deux fois moins que l'Allemagne) et qu'elle avait besoin d'automatiser ses tâches industrielles, en particulier sur les risques technologiques et naturels liés à la production d'énergie (hydraulique, nucléaire, pétrole, etc.).

    Ce plan a été présenté par François-Xavier Ortoli au conseil des ministres du 19 juillet 1966. Après un « débat nourri », De Gaulle a conclu : « Le rapport présenter par le Commissaire général au Plan est approuvé. Les grandes lignes du Plan Calcul sont arrêtées. Il sera institué auprès du Premier Ministre une délégué interministériel. Il sera le seul habilité à traiter avec les industriels au nom du gouvernement. Il coordonnera les achats des administrations et du secteur parapublic. Il harmonisera les efforts de recherche. Il mettra au point un "recyclage" des ingénieurs. En fait, nous allons créer cette industrie de l'informatique, puisque l'initiative privée n'en a pas été capable. Le délégué, il faut qu'il ait un titre autre d'électronique. Il aura un rôle vis-à-vis des groupes industriels, un rôle dans la formation des hommes. Il devra veiller sur la commission des équipements administratifs. Il faudra que cet homme connaisse le commerce et l'industrie. Il aura aussi pour tâche de développer l'enseignement des disciplines scientifiques nécessaires à la fabrication et à l'utilisation des calculateurs. Un Institution d'informatique et d'automatique sera créé et placé sous sa présidence. ».


    François-Xavier Ortoli, dont le rapport a été approuvé par l'Assemblée le 16 juillet 1966, a réclamé le développement d'une réelle industrie informatique française et européenne, ce qui a abouti, parallèlement au constructeur Bull (deuxième mondial dont les actions se sont écroulées au début des années 1960), à la création de la CII (Compagnie internationale pour l'informatique) au sein d'Unidata, un consortium européen pour bâtir les innovations informatiques à l'échelle européenne (on parlait déjà de créer "l'Airbus de l'informatique"). Le plan a aussi créé des filières informatiques dans l'informatique, notamment des diplômes délivrés par les IUT qui venaient d'être créés le 7 janvier 1966, ainsi que l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA), créé le 30 novembre 1966 (initialement IRIA).

    Ce volontarisme politique est venu de De Gaulle lui-même, très conscient des enjeux pour l'avenir, capable d'anticiper une situation ultérieure et prêt à ce que l'État prît toutes ses responsabilités : « À ce jour, l'industrie étrangère du calcul, favorisée à la fois par la dimension de ses entreprises et par d'énormes programmes publics, a pris une position dominante sur le marché mondial. Disposant d'un triple atout : avance technique considérable, réseau commercial présent partout, et moyens financiers très puissants, elle paraît en mesure d'empêcher toute création d'une industrie concurrente par des entreprises livrées à leurs seules forces (…). Il est donc nécessaire que l'État apporte son aide. ».

    Le 8 octobre 1966, l'ancien résistant et centralien Robert Galley, patron de l'usine de Pierrelatte, a été nommé délégué à l'informatique auprès du Premier Ministre et président du conseil d'administration de l'INRIA (Robert Galley allait aussi avoir un brillante carrière politique, ministre et député-maire de Troyes à partir de 1968, à l'instar de François-Xavier Ortoli ou Albin Chalandon ; Robert Galley était même parmi les candidats potentiels à Matignon en 1968, ce qui donnait l'importance de l'informatique dans l'esprit du Général).

     

     
     


    Le 28 avril 1967, ce fut la consécration politique quand François-Xavier Ortoli a été nommé Ministre de l'Équipement et du Logement dans le gouvernement de Georges Pompidou. Il a succédé à Edgard Pisani et s'est choisi Georges Pébereau (frère du futur patron de BNP Paribas) comme directeur de cabinet. Il y est resté jusqu'au 31 mai 1968 (son successeur fut Robert Galley) et, à cause de la révolte étudiante de mai 68, a été bombardé Ministre de l'Éducation nationale (succédant à Alain Peyrefitte) du 31 mai 1968 au 10 juillet 1968 (ce qui donnait un aperçu de la confiance qu'il inspirait).

    En tant que ministre, François-Xavier Ortoli a participé à tous les débats de politique nationale. Ainsi, selon les notes d'Alain Peyrefitte, il a pris part à la discussion engagée par De Gaulle sur la pilule contraceptive au conseil des ministres du 7 juin 1967. L'avis de François-Xavier Ortoli, comme beaucoup d'autres ministres, a été en faveur du principe de réalité : « La décision est inévitable, mais je la regrette. N'oublions pas que le redémarrage de l'économie après la guerre a été liée au redressement de notre démographie. ». Cela a donné la loi Neuwirth promulguée le 29 décembre 1967. Au conseil des ministres du 23 mai 1968, en pleine "chienlit" de mai 68, François-Xavier Ortoli était favorable au référendum que De Gaulle s'apprêtait à annoncer pour rebondir face aux événements : « Nous ne devons pas demander les pleins pouvoirs, mais la confiance. Il faut engager ce référendum dans un esprit de dialogue. ».

    Dans sa lancée, François-Xavier Ortoli a été élu député de Lille en juin 1968 dans la grande vague gaulliste puis conseiller général de Lille-Ouest de 1969 à 1975. Il ne resta pas longtemps député car sa présence au gouvernement a été confirmée par le nouveau Premier Ministre Maurice Couve de Murville, à un poste stratégique puisqu'il a été nommé Ministre de l'Économie et des Finances du 12 juillet 1968 au 16 juin 1969 (succédant à Maurice Couve de Murville lui-même). Après l'élection du Président Georges Pompidou, après avoir transmis l'Économie et les Finances à Valéry Giscard d'Estaing, de retour rue de Rivoli, François-Xavier Ortoli a poursuivi sa tâche ministérielle comme Ministre du Développement industriel et de la Recherche scientifique du 22 juin 1969 au 5 juillet 1972 dans le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas (il a succédé à André Bettencourt et a repassé son ministère à Jean Charbonnel).

    Ensuite, François-Xavier Ortoli allait être à Georges Pompidou ce qu'allait être Jacques Delors à François Mitterrand, l'économiste et l'Européen de service. En effet, il a été désigné, au Sommet européen de Paris du 21 octobre 1972, le premier Président français de la Commission Européenne du 6 janvier 1973 au 5 janvier 1977, juste après l'intégration du Royaume-Uni, de l'Irlande et du Danemark. Pendant ces quatre années, il a dû faire face au premier choc pétrolier consécutif à la guerre du Kippour et à l'invasion turque de Chypre. Dans la Commission Ortoli ont siégé deux Français, Jean-François Deniau (RI) et Claude Cheysson (PS), chargés de la politique de développement et de coopération, du Budget et du Contrôle financier. Par ailleurs, siégeait aussi, entre autres, chargé de la politique industrielle et technologique, l'Italien Altiero Spinelli, fédéraliste européen important dans la construction européenne, futur auteur du rapport qui allait proposer ce qui deviendrait le Traité de Maastricht, rapport approuvé par le Parlement Européenne le 14 février 1984. Ainsi que les premiers commissaires britanniques, en l'occurrence le conservateur Christopher Soames (Vice-Président chargé des relations extérieures) et le travailliste George Thomson (chargé de la politique régionale).

    Après le premier élargissement, la situation européenne en 1973 demandait une redynamisation du processus d'intégration (encouragée encore plus avec l'élection de Valéry Giscard d'Estaing à la Présidence de la République française en 1974), autour de plusieurs priorités : union économique et monétaire, politique régionale, industrielle et sociale, coopération. Mais la conjoncture économique était difficile en raison du premier choc pétrolier, ce qui rendait l'action de François-Xavier Ortoli difficile. De plus, la création du Conseil Européen le 10 décembre 1974 (voulue par VGE afin, déjà, de débureaucratiser la vie européenne) a réduit mécaniquement le rôle de la Commission Européenne.


    François-Xavier Ortoli a fait son premier discours de Président de la Commission Européenne le 16 janvier 1973 et a présenté ses objectifs le 13 février 1973 « avec le souci particulier des respecter, de renforcer la collégialité ». Au Conseil Européen des 1er et 2 avril 1976, la Commission Ortoli a proposé de réduire les conditions d'entrée ou de maintien au sein du serpent monétaire européen, considérant qu'il valait mieux être moins ambitieux sur les contraintes mais qu'il y en eût, ce qu'avait proposé dès 1974 le Ministre français de l'Économie et des Finances Jean-Pierre Fourcade.

    À la fin de l'année 1976, François-Xavier Ortoli a fait un bilan de l'action de sa Commission pendant ses quatre années d'exercice, dans un contexte difficile d'augmentation de l'inflation et d'effondrement du système monétaire international. Cela a provoqué l'abandon ou le retard de politiques d'intégration plus forte (en particulier l'union économique et monétaire). Voici les principales avancées de la Commission Ortoli : élargissement au Royaume-Uni, Irlande et Danemark ; début des négociations avec la Grèce ; poursuite de la politique agricole commune (PAC) ; développement du Fonds social et création du Fonds régional ; mise en œuvre d'une politique de coopération avec le Tiers-monde ; capacité de la Communauté à s'exprimer d'une seule voix dans les instances internationales ; accord sur l'élection du Parlement Européen au suffrage universel direct ; accroissement du rôle politique de la Commission pour remplir son rôle d'inspirateur de la construction européenne, etc.


    Sur les institutions européennes, la Commission Ortoli a prôné plus de démocratie : « Des progrès fondamentaux ont (…) été réalisés en matière institutionnelle. Les chefs de gouvernement, réunis dans le Conseil Européen, participent désormais directement à la marche des affaires communautaires. La Communauté a dès lors gagné en autorité et en efficacité. Cette présence active des chefs de gouvernement au sein de l'exécutif communautaire constitue aussi une des raisons pour lesquelles nous devons également traduire plus réellement dans nos institutions la démocratie qui constitue le fondement même de l'union entre nos pays et nos peuples. Sur bien des points, les propositions de la Commission ont été suivies par le Conseil et les actions indispensables ont été lancées. ». Et François-Xavier Ortoli de conclure : « J'avais dit, en au début de 1974, que le destin de l'Europe balançait et que c'était à nous de faire en sorte qu'il penche, une fois de plus, du bon côté. Aujourd'hui, rien n'est sans doute gagné, car, dans la Communauté, aucun progrès ne peut être considérer comme définitivement acquis. En revanche, des chemins ont été tracés, et la Communauté s'y est résolument engagée. Ils mènent déjà vers une solidarité plus forte, vers une résolution en commun de nos problèmes internes et vers l'affirmation de notre rôle dans le monde. ».

    À la fin de son mandat à la tête de la Commission Européenne, François-Xavier Ortoli est resté encore plusieurs années membre de cette Commission, représentant de la France, comme Vice-Président de la Commission Européenne chargé des Affaires économiques et financières, du Crédit et des Investissements, du 6 janvier 1977 au 5 janvier 1985, servant deux Commissions, celle présidée par le Britannique travailliste Roy Jenkins puis celle présidée par le Luxembourgeois centriste Gaston Thorn (à partir du 6 janvier 1981). Son rôle a été déterminant dans la mise en œuvre du Système monétaire européen (SME). Par ailleurs, François-Xavier Ortoli a contribué de manière essentielle à l'inflexion de la politique économique de la France en 1982-1983 (le fameux tournant de la rigueur).

    Le mandat de la Commission Européenne était à l'époque d'une durée de quatre ans et pas cinq, sans rapport avec les échéances de renouvellement du Parlement Européen. En janvier 1985 a succédé la Commission Européenne présidée par Jacques Delors pendant dix ans, le Traité de Maastricht, à la fin de cette période, ayant fait coïncidé les mandats de la Commission avec les mandats du Parlement Européen (de cinq ans) et l'instance est devenue plus politique que technocratique.

    À l'occasion de la sortie d'un livre publié par Éric Bussière et Pauline Massis Desmarest qui a rassemblé un ensemble de discours et textes de François-Xavier Ortoli sur son action comme Président de la Commission Européenne (éd. Peter Lang), l'Institut Georges-Pompidou a organisé un colloque le 22 mars 2007 à Paris pour exposer le témoignage de Bernard Ésambert, ancien conseiller industriel de Georges Pompidou. Un autre colloque organisé toujours par l'Institut Georges-Pompidou, sous le haut patronage du Président Emmanuel Macron, a été organisé les 9 et 10 octobre 2024 à l'occasion du centenaire de François-Xavier Ortoli où sont intervenus, entre autres, Bernard Ésambert, Éric Bussière, Emmanuelle Ortoli, Yves Thibault de Silguy (futur commissaire européen, qui fut membre du cabinet de François-Xavier Ortoli entre 1981 et 1984 lorsqu'il était Vice-Président de la Commission), et José Manuel Barroso, qui fut Président de la Commission Européenne de 2004 à 2014 après avoir dirigé le gouvernement portugais.

    Les propos introductifs de ce second colloque étaient ainsi : « François-Xavier Ortoli est l’une des personnalités qui illustre le mieux les mutations du cadre politique dans lequel la France s’est insérée depuis les années 1950 et le rôle que quelques grands acteurs ont joué dans ce processus. Le processus d’intégration européenne a en effet déterminé la quasi-totalité de sa carrière depuis les années 1950, une carrière partagée entre les responsabilités exercées dans le cadre national et dans le cadre européen. Celles d’un des principaux collaborateurs de Georges Pompidou, Premier Ministre puis Président de la République d’un côté, celles de Président puis de Vice-Président de la Commission Européenne de l’autre. ».


    Après cinq ans dans les gouvernements français (dont le Ministère de l'Économie et les Finances) et dix ans à la Commission Européenne (dont la Présidence), François-Xavier Ortoli aurait pu prétendre à un leadership politique chez les gaullistes. Mais en 1985, en France, gouvernait un gouvernement socialo-communiste, et l'homme politique s'est effacé derrière le haut fonctionnaire. À l'instar d'Albin Chalandon, la carrière de François-Xavier Ortoli a pris un tournant industriel en étant nommé patron de la Compagnie françaises des pétrole, futur Total, de 1985 à 1990 (nommé par le Président François Mitterrand en octobre1984). Il a pris part à la création d'organisations patronales internationales qu'il a dirigées, comme l'ERT (European roundtable of industrialists), l'AUME (Association pour l'union monétaire de l'Europe), et, en tant que président du CNPF International (Medef International), il a cofondé l'ASEM (Asia-Europe meeting) en 1996.

    Attaché au développement économie et international de la France et de l'Europe depuis la fin de la guerre, François-Xavier Ortoli a donc été essentiel dans la politique européenne de la France dans les années 1960, 1970 et même 1980, et il a participé, avec Jacques Delors, à la puissante influence de la France dans la construction européenne de 1973 à 1995, sous les Présidences de Georges Pompidou, Valéry Giscard d'Estaing et François Mitterrand. Il a été, comme beaucoup d'autres de sa génération, un responsable politique qui, à l'époque, attachait bien plus d'importance à l'intérêt national qu'aux simples intérêts partisans. Qu'il puisse être encore un modèle au service des citoyens.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (15 février 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    François-Xavier Ortoli.
    Bruno Retailleau.
    Jean Tiberi.
    Édouard Philippe.
    Nicolas Sarkozy.
    Laurent Wauquiez.
    Aurore Bergé.
    Alain Peyrefitte.
    La sagesse inattendue de Jean-François Copé.
    Yvon Bourges.
    Christian Poncelet.
    René Capitant.
    Patrick Devedjian.

     
     
     



    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250216-francois-xavier-ortoli.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/francois-xavier-ortoli-le-plan-258861

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/02/15/article-sr-20250216-francois-xavier-ortoli.html



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  • LR : Bruno Retailleau lance l'offensive !

    « La politique de la majorité nationale, avec trois priorités, vous les retiendrez facilement. La première, rétablir l'ordre. La deuxième, rétablir l'ordre. La troisième, rétablir l'ordre. Parce que je crois à l'ordre, l'ordre comme condition de la liberté. Quand il n'y a pas d'ordre, c'est la liberté d'abord qui est menacée. Je crois à l'ordre comme la condition de l'égalité. La loi du plus fort s'exerce contre le plus faible. Je crois à l'ordre comme la condition de la fraternité, comme une possibilité de la concorde civile. » (Bruno Retailleau, le 23 septembre 2024, Place Beauvau).




     

     
     


    S'il y a bien eu une révélation politique depuis le début de la XVIIe législature, celle qui a suivi la dissolution de l'Assemblée, c'est bien Bruno Retailleau, nommé Ministre de l'Intérieur le 23 septembre 2024 dans le gouvernement Barnier et confirmé le 23 décembre 2024 par François Bayrou comme Ministre d'État, Ministre de l'Intérieur.

    Considéré comme un représentant de l'aile droite de son parti Les Républicains, avec son petit air anachronique de vieux conservateur, l'ancien président du puissant groupe LR au Sénat s'est distingué des autres nouveaux ministres par sa personnalité et son dynamisme. Sans doute le seul nom connu des Français parmi les ministres qui ont siégé aux côtés de Michel Barnier, il a rejoint les poids lourds de la politique dans le gouvernement Bayrou aux côtés d'anciens Premiers Ministres.

    La classe politico-médiatique a certainement sous-estimé les possibilités de Bruno Retailleau, qui a fait ses débuts auprès du seigneur de la Vendée, Philippe de Villiers. Pourtant, François Fillon, devenu le candidat incontournable de LR à l'élection présidentielle de 2017, donné même le favori des sondages avant "son affaire", avait largement laissé entendre qu'il nommerait à Matignon ce sénateur, clair dans des positions clivantes mais courtois dans ses relations.

    Il avait surpris certains Français lorsqu'il s'était présenté contre Éric Ciotti à la présidence de LR en décembre 2022 (et contre Aurélien Pradié). À l'époque, personne n'imaginait qu'Éric Ciotti allait trahir son parti pour se vendre au RN, mais les grands élus avaient soutenu Bruno Retailleau qui rassurait et était capable d'unité. Éric Ciotti, très apprécié des militants LR, a finalement été élu, ce qui a mis LR dans la mouise après la dissolution.

    Au contraire de Laurent Wauquiez, pourtant revenu à l'Assemblée en prenant même la présidence du groupe LR, Bruno Retailleau a accepté de prendre ses responsabilités et de devenir ministre même si c'était dans un contexte politique très difficile (sans majorité absolue). Il a fait preuve de courage pendant que l'ancien président du conseil régional d'Auvergne-Rhône-Alpes a préféré se planquer dans le confortable rôle d'observateur.





    Les premières déclarations de Bruno Retailleau lors de son installation au Ministère de l'Intérieur, en répétant trois fois "ordre", semblaient des incantations au dieu sécuritaire et m'ont fait évidemment penser à Louis de Funès, dans l'excellent film "La Zizanie" de Claude Zidi (sorti le 16 mars 1978), maire et patron en confrontation avec Annie Girardot, sa femme maltraitée, lorsqu'il évoque son programme : « Mon programme, trois points : premièrement, le plein emploi ; deuxièmement, le plein emploi ; et troisièmement, le plein emploi ! ».





    Ses débuts Place Beauvau ont été chaotiques, avec des déclarations intempestives (comme vouloir renoncer à l'État de droit, le dire est une profonde erreur quand on est membre d'un gouvernement), mais à la longue, il était à peu près le seul ministre du gouvernement Barnier à être visible, lisible, audible, à remuer ciel et terre pour renforcer la sécurité des citoyens. Le contraste avec son collègue de la Justice, Didier Migaud, était frappant, moins depuis que Gérald Darmanin s'est installé Place Vendôme. Les deux hommes semblent désormais entrer dans une saine émulation, dans une saine concurrence à celui qui en fera le plus.
     

     
     


    Pour François Bayrou, très occupé jusqu'à maintenant sur les questions budgétaires, il laisse ses deux ministres s'occuper du régalien. Parfois, François Bayrou remet le débat en route, comme le vendredi 7 février 2025 sur RMC en proposant imprudemment d'ouvrir un large débat public sur ce que signifie être Français, qui n'est d'ailleurs pas sans faire penser à un autre débat ouvert tout aussi imprudemment en 2009 par un ancien grand rival, Nicolas Sarkozy, sur l'identité nationale.

    Depuis près de cinq mois, son activisme lui a plutôt réussi : il semble de plus en plus apprécié par les sondés dans les enquêtes d'opinion, et on pense désormais à lui comme possible candidat LR à l'élection présidentielle.
     

     
     


    Présent sur de nombreux fronts, dans les médias et sur le terrain, à l'Assemblée et au Sénat également, Bruno Retailleau était l'invité ce mercredi 12 février 2025 dans la matinale de France Inter où il a refusé d'exprimer ses intentions pour le prochain congrès de LR, un congrès de la refondation. Laurent Wauquiez, inquiet de la tournure des événements, avait envoyé il y a quelques jours une première salve d'avertissements contre son ancien ami pour rappeler un deal qui n'a pourtant jamais eu lieu : à moi le parti, à toi le gouvernement !

    C'est à peine une ou deux heures après son interview sur France Inter qu'a été rendue publique la lettre que Bruno Retailleau a envoyée à tous les adhérents de LR : « J'ai décidé de me porter candidat à la présidence des Républicains. (…) Je veux faire pour mon parti ce que je fais à la tête de mon ministère : parler vrai et agir vite. ». Au moins, cela a le mérite d'être clair.

    "L'entourage" de Laurent Wauquiez, également candidat à la présidence de LR (qu'il avait quittée en 2019), a répliqué immédiatement à l'AFP en affirmant que le Ministre de l'Intérieur « prend la lourde responsabilité d'ouvrir une guerre des chefs ». Comme si la présidence de LR était une chasse gardée !
     

     
     


    Ce qui est surprenant, c'est que Laurent Wauquiez croit qu'il se place au même niveau que Bruno Retailleau dans une éventuelle course présidentielle. Et pourtant, il n'y a pas photo ! Laurent Wauquiez n'est pas apprécié des Français, et aucun frémissement n'a jamais eu lieu depuis toujours à son avantage, même il y a quinze ans. Parmi les handicaps qu'on lui colle à la peau, il y a celui de l'insincérité qui contraste réellement avec la sincérité de Bruno Retailleau qui n'a jamais eu d'arrière-pensée car il a toujours dit ce qu'il pensait et depuis cinq mois, il tente de faire ce qu'il disait (ce qui est beaucoup moins facile). Bruno Retailleau, au pire, on critiquera son impuissance, mais certainement pas son insincérité.

    On ne s'étonnera pas que beaucoup d'anciens dirigeants de LR vont soutenir Bruno Retailleau, et parmi les premiers, un ancien président de l'UMP, Jean-François Copé, replié dans "sa" ville de Meaux, qui voit en Bruno Retailleau le candidat idéal non seulement à la présidence de LR mais aussi à la Présidence de la République. Son avantage, c'est qu'il capte un électorat tenté par le RN. Remettre Laurent Wauquiez à la tête de LR serait d'ailleurs le meilleur moyen de transformer ce grand parti d'élus (encore) en une secte crépusculaire. Si ce dernier ne veut pas de guerre des chefs, il y a une solution très simple, il lui suffit de s'effacer derrière Bruno Retailleau.
     

     
     


    De toute façon, il y a des trains à ne pas rater. Aujourd'hui, il y a un moment Retailleau, et le principal concerné en est bien conscient. Pour François Bayrou, cela lui permet de renforcer la solidarité gouvernementale. L'objectif du Premier Ministre, lorsqu'il a constitué son gouvernement, c'était d'impliquer tous les chefs de parti pour éviter le désordre entre les partis gouvernementaux qui avait pourri l'action du gouvernement Barnier. Et puis, il faut bien le dire, Bruno Retailleau, c'est le seul dirigeant de LR qui reste encore audible par les Français. Les autres ont fait leur temps.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (12 février 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    L'analyse de Bruno Retailleau après les élections de 2024.
    Le candidat de l'unité ?
    Bruno Retailleau.
    Jean Tiberi.
    Édouard Philippe.
    Nicolas Sarkozy.
    Laurent Wauquiez.
    Aurore Bergé.
    Alain Peyrefitte.
    La sagesse inattendue de Jean-François Copé.
    Yvon Bourges.
    Christian Poncelet.
    René Capitant.
    Patrick Devedjian.

     


     

     
     



    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250212-retailleau.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/lr-bruno-retailleau-lance-l-259265

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/02/12/article-sr-20250212-retailleau.html



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  • Un nouveau bijou pour Nicolas Sarkozy ?

    « Il y a d’abord l’humiliation, dont il faut mesurer la violence et l’ampleur : Nicolas Sarkozy n’ira pas en prison mais il ne sera plus libre de ses mouvements. Sous écrou, c’est-à-dire enfermé chez lui, et contraint de négocier toute sortie avec un juge. » (Patrick Cohen, le 19 décembre 2024 sur France Inter).




     

     
     


    Fallait-il donc que le mot bracelet soit désormais associé à un ancien Président de la République, en l'occurrence Nicolas Sarkozy ? Il se pourrait bien. L'information a été confirmée officiellement par la personne concernée le lendemain : Nicolas Sarkozy porte désormais, depuis le vendredi 7 février 2025, un bracelet électronique à la cheville qui a pour fonction de restreindre ses mouvements.

    Ce n'est pas la première fois qu'une personnalité politique a été mise en prison en France. On peut en citer quelques-unes, sans être exhaustif : Alain Carignon, Bernard Tapie, Jean-Michel Boucheron (ex-député-maire d'Angoulême né en 1946), Patrick Balkany, Claude Guéant, Jean-Christophe Mitterrand, etc.

    Mais c'est la première fois qu'un ancien Président de la République française est écroué. Quelqu'un qui a consacré plus de cinquante ans de sa vie au service des autres (oui, tous les responsables politiques se sont consacrés au service des autres, sinon, ils pourraient lézarder au soleil d'un île paradisiaque... tout le temps). Il ne fait pas de prison ferme, mais la pose d'un bracelet électronique est une humiliation particulière. Il a annoncé, par nécessité, qu'il se retirait de la vie publique. Par nécessité car il ne pourra plus être présent physiquement à d'éventuelles rencontres, réunions publiques, etc., mais aussi moralement car que pourrait-il dire, quels conseils donner lorsque lui-même n'est pas un modèle du genre ?

     

     
     


    Cette mesure correspond à l'application de sa peine de un an de prison ferme, devenue définitive le 18 décembre 2024 après le rejet par la Cour de Cassation de son ultime recours, son pourvoi en cassation. Il a été condamné dans l'affaire dite Bismuth, d'une suspicion de pacte de corruption dont les seules preuves sont des écoutes téléphoniques illégales d'une conversation confidentielle entre une personne mise en examen et son avocat.

    Je ne reviendrai pas sur le fond de l'affaire, n'étant ni juge ni juge de juge, même si je n'en pense pas moins, parce que la justice est la justice et si on ne la respecte pas, on ne respectera alors plus les institutions.

     

     
     


    Avant l'application de sa peine, Nicolas Sarkozy, accompagné de sa femme et de sa fille, est allé passer quelques jours de vacances aux Seychelles, un déplacement de loisirs qu'il n'aura sans doute plus l'occasion, ou plutôt, le droit de faire avant une année au moins. Enfin, sauf autorisation du juge d'application des peines.

    Du reste, il était de nouveau à la barre dans le très long procès du possible financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007 qui a commencé le 6 janvier 2025 et qui devrait s'achever le 10 avril 2025 au tribunal de Paris.


    C'est le 28 janvier 2025, c'est-à-dire à son 70e anniversaire, que l'ancien Président a été convoqué par le juge d'application des peines pour préciser les modalités de sa peine : pose du bracelet électronique le 7 février 2025 en début d'après-midi, autorisation de sortie du domicile entre 8 heures et 20 heures, étendue jusqu'à 21 heures 30 les lundis, mercredis et jeudis pour lui permettre d'assister à son procès sur les soupçons de financement libyen (trois après-midis par semaine). Finies les sorties du week-end ou les soirées au restaurant.

     

     
     


    Ce qui est notable, c'est qu'au cours de cet entretien, Nicolas Sarkozy n'aurait pas demandé au juge de bénéficier immédiatement d'une libération conditionnelle. Pourtant, la loi permet aux personnes condamnées de plus de 70 ans de pouvoir sans délai bénéficier d'une libération conditionnelle sous certains conditions. Ses avocats comptent en faire la demande, mais pas immédiatement. Pour quelle raison ? Montrer qu'il respecte la justice de notre pays ? Ou alors provoquer un sentiment de compassion voire de pitié ?

    Il est vrai que ces temps trumpiens donnent son lot d'informations exceptionnelles chaque jour... mais la mise sous écrou d'un ancien Président de la République est quand même une information exceptionnelle, sans précédent dans l'histoire de la France, d'autant plus que Nicolas Sarkozy, s'il accepte la chose jugée définitivement, « continue à contester le bien-fondé de la condamnation », selon les déclarations de son avocate, Jacqueline Laffont le 7 février 2025 à l'AFP. Ce qui explique qu'il saisira « avant à la fin du mois » la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).

    Dans sa chronique du 19 décembre 2024 sur France Inter, l'éditorialiste Patrick Cohen a bien analysé la gravité de l'événement : « En citoyen déchu : lui qui a voué sa vie à la politique ne peut plus se présenter à une élection, privé trois ans de droits civiques. Et il ne pourra même pas voter à la prochaine présidentielle. Il va perdre sa Grand-Croix de la Légion d’honneur, c’est la règle, ce qui n’est arrivé à aucun autre de son rang depuis Philippe Pétain. Il sera enfin le premier ex-Président à porter plainte contre la France, en demandant à la Cour européenne des droits de l’homme de la condamner pour ce procès selon lui, inéquitable. ».


     

     
     


    Ce dernier a rappelé opportunément ce qui était en jeu : « Il y a dans ce dossier un point sensible, qui touche aux libertés, pas seulement celles de Sarkozy, les nôtres, à propos du secret des conversations entre l’avocat et son client. ».

    Et la condamnation définitive pour corruption pourrait étonner : « Rien n’a marché : personne n’est intervenu, aucun service n’a été rendu, ni poste, ni argent, ni agenda. Mais en matière de corruption, l’intention suffit, c’est la loi. Or, ces intentions n’existent que dans les échanges privés entre Nicolas Sarkozy et son avocat et ami Thierry Herzog. Ce sont les seuls éléments à charge. Et le secret professionnel est un principe fondateur du métier d’avocat, et de l’organisation de la justice dans une société démocratique. (…) Il y a depuis le début de cette affaire un trouble que la Cour de Cassation n’a pas complètement dissipé (…). À noter, que dans notre code de procédure pénale, c’est le même article qui protège le secret des correspondances de l’avocat et le secret des sources du journaliste. ».

    C'est pourquoi la décision de la Cour européenne des droits de l'homme, qui sera probablement annoncée bien après la fin de la peine de Nicolas Sarkozy, sera importante, tant pour l'honneur de Nicolas Sarkozy (mais qui s'en préoccupe politiquement aujourd'hui ?) que pour la garantie des justiciables que nous sommes tous susceptibles d'être un jour, à avoir une défense équitable.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (08 février 2025)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    Un nouveau bijou pour Nicolas Sarkozy ?
    Le doyen Nicolas Sarkozy.
    L'honneur perdu de Nicolas Sarkozy.
    Nicolas Sarkozy réagit à la dissolution dans le JDD (15 juin 2024).
    Il y a 15 ans : Nicolas Sarkozy, l'Europe et les crises (déjà).
    Discours du Président Nicolas Sarkozy le 16 décembre 2008 au Parlement Européen de Strasbourg (texte intégral).
    Discours du Président Nicolas Sarkozy le 10 juillet 2008 au Parlement Européen de Strasbourg (texte intégral).

    Sale temps pour Nicolas Sarkozy !
    La justice harcèle-t-elle la classe politique ?
    Carla Bruni.
    La sagesse de Nicolas Sarkozy.
    Pour qui votera Nicolas Sarkozy au premier tour ?
    Bygmalion : Éric Zemmour soutient Nicolas Sarkozy.
    Injustice pour Nicolas Sarkozy ?
    Sarko et ses frères...
     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250207-sarkozy.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/un-nouveau-bijou-pour-nicolas-259202

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/02/10/article-sr-20250207-sarkozy.html




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  • Jean Tiberi a eu 90 ans le 30 janvier 2025

    « Le clan Tiberi réuni autour de lui à l'hôpital, c'est la chapelle Cystite ! » (Laurent Ruquier).



     

     
     

     


    L'ancien maire de Paris Jean Tiberi est mort ce mardi 27 mai 2025 dans la matinée, selon une annonce de la mairie du cinquième arrondissement qu'il affectionnait tant. Il avait fêté son 90e anniversaire il y a quelques mois, le 30 janvier dernier.

    La carrière de Jean Tiberi a été 100% parisienne. Avec les quelques affaires judiciaires, certaines classées, une autre qui a été jugée définitivement, celle des faux électeurs du cinquième arrondissement qui aurait pu influer sur le résultat des élections municipales de 1995 et des élections législatives de 1997, sans oublier l'affaire du pseudo-rapport d'études de son épouse Xavière, on pouvait imaginer Jean Tiberi comme un vieux schnoque pestiféré dont la seule légitimité était sa fidélité à Jacques Chirac.

    En fait, c'était un peu subtil que cela. Il y a eu d'abord les Corses de la ville de Paris, si Jean Tiberi est né à Paris, il est bien d'origine corse, son épouse est née en Corse, et il y a eu d'autres élus parisiens ainsi, comme Jacques Dominati (premier adjoint en 1995), etc. Ce côté clanique était réel au point de vouloir voir son fils Dominique lui succéder à la mairie du cinquième arrondissement en 2014 (finalement, c'est l'actuelle maire, aujourd'hui Horizons, Florence Berthout, investie par l'UMP, qui a été élue, notamment contre le dissident Dominique Tiberi).


    Il y a eu surtout un jeune homme, adolescent après la guerre, qui était gaulliste par adhésion au sauveur de la patrie. Il a adhéré au RPF en 1950. Il était, après le retour de De Gaulle au pouvoir, ce qu'on appelait un gaulliste de gauche (UDT). Plus tard parlementaire, il a voté en faveur de la loi Veil le 28 novembre 1974, gage d'une certaine ouverture vers la société qui a évolué.

    Rappelons aussi que Jean Tiberi a fait des études de droit qui l'ont amené à entrer dans la magistrature. Il était donc juge dans ses premières années de vie active, affecté à Metz, Meaux, Beauvais. Mais il a très vite bifurqué dans la vie politique parisienne. En mars 1965, il a été élu conseiller de Paris pour la première fois (il avait 30 ans) et en mars 1967 et en juin 1968, il s'est retrouvé le suppléant du député gaulliste de gauche René Capitant, élu du cinquième arrondissement.

    Lorsque ce dernier a été nommé le 30 juin 1968 Ministre de la Justice dans le gouvernement de Maurice Couve de Murville, le jeune homme de 33 ans fut alors bombardé député de Paris. Il le resta jusqu'en juin 2012 sauf pendant les quelques mois où il fut nommé Secrétaire d'État chargé des Industries alimentaires du 12 janvier 1976 au 25 août 1976 à la fin du premier gouvernement de Jacques Chirac (il a été réélu député en novembre 1976 après la démission de sa suppléante. Il faut préciser que René Capitant, mort en 1970, n'a pas repris sa circonscription lorsqu'il a démissionné du gouvernement en avril 1969, la laissant à Jean Tiberi qui a donc été réélu sur son propre nom aux élections législatives suivantes : mars 1973, novembre 1976 (partielle pour revenir à l'Assemblée), mars 1978, juin 1981, mars 1986 (à la proportionnelle, troisième de la liste RPR à Paris), juin 1988, mars 1993, juin 1997, juin 2002 et juin 2007 (près de quarante-quatre ans de mandat parlementaire).

    Pour les petites anecdotes électorales, Jean Tiberi a été confronté en mars 1973 à Georges Bidault (3,5%), en novembre 1976 à Pierre Guidoni (19;7%) pour le PS, Jean Elleinstein (11,0%) pour le PCF, Brice Lalonde (6,6%) et Henri Weber (0,6%) pour LCR, en mars 1978 à Jean Elleinstein (11,7%) et Brice Lalonde (8,7%), en juin 1981 à Brice Lalonde (8,2%), en mars 1993 à Jacques Cheminade (0,3%), en juin 1997 à Lyne Cohen-Solal (27,9% puis 46,5%), Yves Frémion pour les Verts (4,9%), Pierre Jolivet (1,9%) et Marie-Françoise Bechtel pour les chevènementistes (1,6%), en juin 2002 à Lyne Cohen-Solal (29,0% puis 44,5%) et Aurélie Filippetti pour les Verts (6,6%), enfin, en juin 2007 à Lyne Cohen-Solal (27,7% puis 47,3%) et Christian Saint-Étienne pour le MoDem (16,2%). À l'origine, cette circonscription a eu pour premier député, entre 1958 et 1962, un certain Jean-Marie Le Pen, élu au second tour d'un scrutin majoritaire, mais avec seulement 45,2% des voix dans une sexangulaire (contre notamment des candidats PCF et UNR).

    En juin 2012, sur demande du Premier Ministre François Fillon, Jean Tiberi lui a laissé sa circonscription pour permettre au futur candidat à l'élection présidentielle d'être un élu de Paris.

     

     
     


    Jacques Chirac, dont il a été le fidèle depuis le début des années 1970 (et qui n'était pourtant pas un gaulliste de gauche), et qu'il a suivi lors de la création du RPR en décembre 1976, a fait partie bien sûr de la victoire municipale de Jacques Chirac en mars 1977 à Paris, puis du grand chelem de 1983 (tous les arrondissements gagnés par les listes RPR-UDF). De mars 1983 à juin 1995, Jean Tiberi fut le premier adjoint de la Ville de Paris et, à ce titre, le dauphin désigné de Jacques Chirac à Paris (préféré à Jacques Toubon qui a tenté de s'y opposer). Par ailleurs, il fut élu maire du cinquième arrondissement pendant près d'un quart de siècle, de mars 1983 à juin 1995 et de mars 2001 à mars 2014.

    Jean Tiberi fut d'ailleurs l'un des rares dauphins de maire de grande ville à avoir succédé effectivement à son mentor, au contraire de Jacques Valade à Bordeaux (Jacques Chaban-Delmas), Michel Pezet à Marseille (Gaston Defferre), Bernard Roman à Lille (Pierre Mauroy), etc.

    Ce fut le cas lorsque Jacques Chirac a été élu Président de la République. Aux élections municipales qui ont suivi un mois plus tard, en juin 1995, Jean Tiberi, candidat investi par le RPR, a été élu maire de Paris. Il a donc exercé un mandat de 1995 à 2001. Son bilan est plutôt positif, avec une réduction de l'endettement de la ville (au contraire d'aujourd'hui) et une révision à la baisse de certains projets d'urbanisme.

     

     
     

     


    En raison des poursuites judiciaires déjà engagées contre Jean Tiberi, le RPR a organisé une sélection pour la candidature municipale de 2001. Édouard Balladur était dans la course, ainsi que Philippe Séguin qui a obtenu l'investiture. Toutefois, fort de son implantation, Jean Tiberi n'a pas renoncé à un second mandat et s'est présenté avec des listes dissidentes dans tous les arrondissements (il a été exclu du RPR pour cette raison par la présidente du RPR Michèle Alliot-Marie). Résultat, au premier tour, Jean Tiberi a été largement devancé par Philippe Séguin mais l'absence d'union et de fusion au second tour a favorisé Bertrand Delanoë qui a gagné sans obtenir la majorité absolue. Jean Tiberi a néanmoins conservé le cinquième arrondissement et aussi le premier arrondissement avec Jean-François Legaret, ainsi que 12 conseillers de Paris. Il a réussi à maintenir son leadership sur le cinquième arrondissement en 2008 malgré une triangulaire au second tour qui l'a confronté à une candidate socialiste Lyne Cohen-Solal et un candidat investi par le MoDem, le célèbre journaliste Philippe Meyer.

    Cette division de 2001 a fait perdre à la droite la ville de Paris durablement (depuis quatre mandats, un quart de siècle) au profit d'une gauche boboïsante qui a considérablement transformé (en mal) la capitale, la rendant insupportable pour la voiture, tant pour la circulation que pour le stationnement. Ni Françoise de Panafieu en 2008, ni Nathalie Kosciusko-Morizet en 2014, ni Rachida Dati en 2020, n'ont réussi à battre le candidat ou la candidate socialiste. Toutefois, les derniers sondages donneraient Rachida Dati favorite pour les élections municipales de 2026 à Paris.

    Le 3 mars 2015, Jean Tiberi a été définitivement condamné à dix mois de prison avec sursis, 10 000 euros d'amende et trois ans d'inéligibilité pour l'affaire des faux électeurs du cinquième arrondissement (un système organisé apparemment dans les années 1990 pour transférer le surplus d'électeurs de droite d'arrondissements largement à droite vers les arrondissements tangents susceptibles de basculer à gauche). D'autres scandales ont touché les Tiberi, dont l'attribution d'un logement social (à loyer modéré) à Dominique Tiberi alors que ce dernier, propriétaire d'appartements, aurait touché des loyers (non modérés) par ailleurs.


    Dans un communiqué à l'AFP, l'actuelle maire PS de Paris Anne Hidalgo a salué son prédécesseur Jean Tiberi avec qui elle avait travaillé entre 2008 et 2014 (elle maire de Paris et lui maire du cinquième arrondissement) : « Paris, sa ville, lui rendra hommage. (…) Je veux saluer la mémoire de cet homme qui a consacré une part immense de sa vie à Paris et au cinquième arrondissement, qui perd l'un des siens. Je garderai le souvenir d'un homme chaleureux, avec qui j'avais tissé des relations cordiales et respectueuses. ». Il rejoins maintenant Jacques Chirac dans l'Olympe parisien.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (27 mai 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Jean Tiberi.
    La nouvelle direction de LR : cap vers 2027 ?
    Bruno Retailleau.
    LR : plébiscite pour Bruno Retailleau !
    Congrès LR : les jeux sont-ils faits ?
    De Gaulle.
    Philippe Bas.
    Xavier Bertrand.
    L'offensive de Bruno Retailleau.
    Nicolas Sarkozy.
    Jean-Louis Debré.
    Claude Malhuret.
    Philippe De Gaulle.
    François-Xavier Ortoli.
    Alain Juppé.

    Jean Tiberi a 90 ans.
    Édouard Philippe.
    Laurent Wauquiez.
    Aurore Bergé.
    Alain Peyrefitte.
    La sagesse inattendue de Jean-François Copé.
    Yvon Bourges.
    Christian Poncelet.
    René Capitant.
    Patrick Devedjian.

     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250130-jean-tiberi.html

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/01/27/article-sr-20250130-jean-tiberi.html




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  • L'honneur perdu de Nicolas Sarkozy

    « Nicolas Sarkozy se conformera évidemment à la sanction prononcée qui est désormais définitive. Parallèlement, il saisira dans les semaines à venir la Cour européenne, comme il est désormais en droit de le faire, pour obtenir la garantie des droits que les juges français lui ont déniée. » (Me Patrice Spinosi, avocat de Nicolas Sarkozy, communiqué à l'AFP le 18 décembre 2024).


     

     
     


    Tempête historique pour un ancien Président de la République. À la suite de son audience le 6 novembre 2024 où elle a examiné les vingt arguments soulevés par la défense, la Cour de Cassation a confirmé ce mercredi 18 décembre 2024 à 14 heures la condamnation en appel le 17 mai 2023 de l'ancien Président Nicolas Sarkozy à trois ans de prison dont un an ferme et trois ans d'inéligibilité pour corruption et trafic d'influence dans l'affaire Paul Bismuth. La peine est immédiatement exécutoire puisqu'il s'agit de la condamnation définitive de l'ancien Président de la République.

    C'est la première fois qu'un ancien Président de la République est condamné définitivement à une peine de prison ferme. Avant lui, Jacques Chirac, dans l'affaire des emplois fictifs de Paris, avait été condamné à une peine de prison avec sursis, ce qui avait fait de lui le premier ancien Président de la République à avoir été condamné tout court. C'est la preuve que la justice est rendue de la même manière pour tout le monde, que l'on soit puissant ou pas, contredisant la célèbre formule de La Fontaine. C'est aussi un signal de sévérité sur le verdict qui sera rendu pour Marine Le Pen et ses proches du RN.

    Dans la courant de l'année 2025, la Cour de Cassation se prononcera aussi sur la condamnation de Nicolas Sarkozy le 14 février 2024 à un an de prison dont six mois ferme par la cour d'appel de Paris dans l'affaire Bygmalion.

    Concrètement, dans quelques jours, Nicolas Sarkozy sera amené à porter un bracelet électronique à son domicile avec des horaires aménagés (restreints) de sortie, notamment pour poursuivre son travail à son bureau rue de Miromesnil à Paris où il rencontre (encore) beaucoup de personnalités politiques, ainsi qu'à l'étranger pour des conférences, etc. et aussi pour comparaître devant le tribunal de Paris pour une autre affaire (dont le procès commence le 6 janvier 2025 pour quatre mois), celle des soupçons de financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007.


    C'est à partir de cette dernière affaire qu'il a été mis sous écoute pour ses communications avec un téléphone où il se faisait passer pour Paul Bismuth. Un « pacte de corruption » aurait ainsi été découvert par le juge : il aurait souhaité, en 2014, influer sur un recours dans l'affaire Bettencourt (pour laquelle on ne lui a rien reproché, il voulait seulement récupérer ses agendas), en échange de quoi il aurait promis d'aider (de donner un « coup de pouce » à) un haut magistrat de la Cour de Cassation, Gilbert Azibert, pour un poste honorifique à Monaco qu'il n'a pas obtenu. Ces écoutes ont ainsi constitué une nouvelle affaire pour corruption et trafic d'influence. Son interlocuteur au téléphone était son avocat Thierry Herzog et toute la défense de Nicolas Sarkozy dans l'affaire Bismuth consistait à faire prévaloir les droits de la défense à ne pas être écoutée dans les conversations entre l'avocat et son client.

    Maître Patrice Spinosi, l'avocat de l'ancien chef de l'État, va saisir la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH), mais cette saisie n'est pas suspensive de la peine définitive. Il s'agit ici de faire condamner la France car sa justice ne respecte pas les droits de la défense. En effet, le juge n'a pas à écouter les conversations entre un avocat et son client. C'est une bataille juridique qui peut durer longtemps et qui n'aura certainement pas d'influence sur l'exécution de la peine. La base du recours est une décision ancienne de la CEDH, l'arrêt du 16 juin 2016, qui précise : « Nicolas Sarkozy ne peut pas être pénalement condamné sur le fondement d’échanges qu’il a eus avec son avocat. ».

     

     
     


    C'est ce que dit le communiqué de presse de l'avocat : « La Cour de Cassation vient de rendre une décision contraire à la jurisprudence de la CEDH sur les droits de la défense et le secret professionnel. Pour la première fois en France, une personne est pénalement condamnée sur le seul fondement de propos qui ont été surpris alors qu'il s'entretenait avec son avocat. Au-delà du cas personnel de Nicolas Sarkozy, c'est un sujet d'inquiétude pour les libertés de tous. (…) C'est un triste jour, celui où un ancien Président de la République est tenu d'engager une action devant des juges européens pour faire condamner un État aux destinées duquel il a présidé. ».

    En outre, son avocat pourrait solliciter une demande de libération conditionnelle en raison de son âge (il a presque 70 ans) auprès du juge d'application des peines relevant de son domicile.


    Pour Nicolas Sarkozy, au-delà de l'inconfort de l'exécution de la peine, la décision de la Cour de Cassation ce mercredi constitue un véritable choc de déshonneur,un choc également historique dans les annales judiciaires, d'autant plus qu'il avait placé cette décision sur le plan de son honneur et de son intégrité qu'il voulait retrouver.

    Toujours assez influent dans la vie politique, et même de retour d'influence avec la nomination de Michel Barnier à Matignon parce qu'il prônait depuis juin 2022 un gouvernement avec le bloc central et LR, même s'il n'a pu éviter la nomination de François Bayrou qu'il déteste depuis 2007 à cause de ses positions antisarkozystes, Nicolas Sarkozy subit l'indignité d'être condamné pour corruption et pas pour de quelconques affaires financières vaguement assumées, assez fréquentes dans la classe politique. C'est son intégrité qui est directement touchée et Nicolas Sarkozy aura du mal à user de son statut d'ancien Président de la République ou d'homme politique expérimenté pour donner des leçons de politiques à ses prochains visiteurs. Acharnement, vous avez dit ?


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (18 décembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    L'honneur perdu de Nicolas Sarkozy.
    Nicolas Sarkozy réagit à la dissolution dans le JDD (15 juin 2024).
    Il y a 15 ans : Nicolas Sarkozy, l'Europe et les crises (déjà).
    Discours du Président Nicolas Sarkozy le 16 décembre 2008 au Parlement Européen de Strasbourg (texte intégral).
    Discours du Président Nicolas Sarkozy le 10 juillet 2008 au Parlement Européen de Strasbourg (texte intégral).

    Sale temps pour Nicolas Sarkozy !
    La justice harcèle-t-elle la classe politique ?
    Carla Bruni.
    La sagesse de Nicolas Sarkozy.
    Pour qui votera Nicolas Sarkozy au premier tour ?
    Bygmalion : Éric Zemmour soutient Nicolas Sarkozy.
    Injustice pour Nicolas Sarkozy ?
    Sarko et ses frères...

     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241218-sarkozy.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/l-honneur-perdu-de-nicolas-sarkozy-258229

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/12/18/article-sr-20241218-sarkozy.html



     

  • Alain Peyrefitte, la Chine et De Gaulle

    « On ne saurait admettre le succès, et encore moins la suprématie, d'un empire qui récuse nos leçons de morale politique. » (Alain Peyrefitte, 1994).



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    L'ancien ministre gaulliste Alain Peyrefitte est mort il y a exactement vingt-cinq ans, le 27 novembre 1999, de maladie (à l'âge de 74 ans). Celui qui aurait pu être nommé Premier Ministre deux fois, en 1979 et en 1986, pouvait être considéré comme un "vieux schnoque" parmi les barons gaullistes vieillissants des années 1970 et 1980, mais c'était une vision déformée de la réalité. Il a d'abord été un jeune loup d'une très grande ouverture intellectuelle et d'une brillante intelligence.

    Certes, les diplômes ne sont pas tout, mais suivre des cours à Normale Sup. et à l'ENA, c'est déjà quelque chose. En faire plus qu'une simple base initiale pour construire une très riche existence intellectuelle, c'est encore autre chose. Alain Peyrefitte a été chargé de recherches au CNRS, maître de conférences à l'ENA, anthropologue, diplomate, docteur d'État (sur "la phénoménologie de la confiance") et évidemment homme politique, éditorialiste au journal "Le Figaro" et grand écrivain (vendant des essais issus d'une pensée originale avec succès). Il a été consul général en Pologne, député gaulliste à 33 ans, sénateur, député européen, maire de Provins, conseiller général (et même vice-président du conseil général de Seine-et-Marne), secrétaire général de l'UDR, de nombreuses fois ministre sous trois Présidences de la République entre 1962 et 1981 (entre autres : Information, Recherche, Éducation nationale, Culture, Environnement, Justice). Enfin, auteur d'une trentaine d'ouvrages, principalement des essais, il a été élu membre de l'Académie française le 10 février 1977 (reçu le 13 octobre 1977 par un autre anthropologue, Claude Lévi-Strauss). On peut relire en détail sa trajectoire ici.

    Parmi les livres majeurs d'Alain Peyrefitte, trois se détachent nettement : "Quand la Chine s'éveillera... le monde tremblera" publié en 1973 (éd. Fayard), une réflexion très visionnaire sur la Chine et son avenir (suivi d'autres essais complémentaires), "Le Mal français" publié en 1976 (éd. Plon), une réflexion sur le fonctionnement administratif de la France (centralisation excessive, manque de confiance aux entrepreneurs, hyperbureaucratie, etc.), et "C'était De Gaulle" publié en 1994 (éd. Gallimard), premier tome d'une série très volumineuse de confidences qu'il a eues avec De Gaulle pendant sa Présidence (il a attendu un quart de siècle avant d'en publier quelques extraits d'une masse exceptionnelle et non publiée). J'ajouterai aussi pour la cerise sur le gâteau ce petit essai politique "Encore un effort, Monsieur le Président" publié le 25 septembre 1985 (éd. Jean-Claude Lattès), sorte de longue supplique à François Mitterrand et plaidoyer pour le nommer Premier Ministre de cohabitation en mars 1986.

    Dans cet article, je souhaite proposer quelques extraits de deux livres, "Quand la Chine s'éveillera" et "C'était De Gaulle". Si ce dernier livre a été publié bien plus tard (près de vingt ans) après le premier, il faut comprendre que les propos de De Gaulle rapportés dans "C'était De Gaulle" ont été bien sûr prononcés avant la fin de la Présidence de De Gaulle en 1969 et sont donc antérieurs à l'essai sur la Chine issu de son voyage parlementaire en Chine effectué en 1971.



    1. Dans "C'était De Gaulle" (Gallimard, 1994)

    Pour replacer dans le contexte historique, le mieux est de relire Wikipédia : « La position de De Gaulle face au monde communiste est sans ambiguïté : il est totalement anticommuniste. Il prône la normalisation des relations avec ces régimes "transitoires" aux yeux de l'Histoire de façon à jouer le rôle de pivot entre les deux blocs. La reconnaissance de la République populaire de Chine dès le 27 janvier 1964 va dans ce sens. De même sa visite officielle en République populaire de Pologne (6-11 septembre 1967) fut un geste qui montre que le président français considère le peuple polonais dans son ancrage historique. ». Il faut donc bien retenir cette date du 27 janvier 1964, et regarder la date des propos de De Gaulle rapportés par Alain Peyrefitte sur la Chine. Ce qui est entre parenthèses est donc de De Gaulle, au contraire des autres livres où c'est Alain Peyrefitte qui s'exprime.

    Confidences du 6 juin 1962 (parlant de sa convesation avec Harold MacMillan, Premier Ministre britannique, le 3 juin 1962) : « Bien sûr, [les Chinois] pourront un jour faire des bombes atomiques, mais ce ne sont pas elles qui les feront manger. Ils ne pourront s'en sortir que s'ils s'ouvrent au monde entier, et que le monde entier vienne les aider. (…) L'intérêt du monde, un jour ou l'autre, sera de parler avec eux, de s'entendre avec eux, de faire des échanges commerciaux avec eux pour leur permettre de sortir de leurs murailles. La politique du cordon sanitaire n'a jamais eu qu'un résultat, c'est de rendre dangereux le pays qui en est entouré ; ses dirigeants cherchent des diversions à leurs difficultés, en dénonçant le complot impérialiste, capitaliste, colonialiste, etc. Ne laissons pas les Chinois mijoter dans leur jus. Sinon, ils finiraient par devenir venimeux. Il se pourrait bien qu'un jour ou l'autre, nous soyons amenés à les reconnaître et à donner l'exemple au monde. Naturellement, pas un mot de tout ça. » [en note, Alain Peyrefitte remarquait à quel point De Gaulle pensait à l'avenir alors que la France était embourbée en plein problème algérien].


    Conseil des ministres du 7 novembre 1962 : « Nous assistons à l'affrontement de deux énormes masses, la Russie et la Chine, qui vont se séparer de plus en plus. Les Russes seront dans une position de plus en plus difficile. De deux choses l'une. Ou ils restent avec la Chine, mais elle les boulottera quand elle sera la plus forte. Ou ils sont contre, mais alors c'est la fin des Rouges et le camp communiste s'effondrera. C'est peut-être déjà fait. ».

    Confidences du 24 janvier 1963 : « [Adenauer] considère, lui aussi, que la Chine va tout faire, dorénavant, pour accroître sa puissance et pour peser tant sur les Occidentaux que sur la Russie. Raison de plus pour ne plus la laisser s'enrager dans l'isolement. ».

    Confidences du 13 mars 1963 : « Un jour ou l'autre, [les Chinois] chercheront à retrouver leurs frontières de jadis, à la grande époque de la dynastie mandchoue. (…) Ils commenceront par faire retomber dans leur mouvance Hong Kong, Macao et Formose. Nehru, quand il a voulu mettre la main sur nos établissements de l'Inde et sur les comptoirs portugais, n'y est pas allé par quatre chemins. Il a envoyé ses chars et un ultimatum. Fatalement, un jour ou l'autre, les Chinois en feront autant. Puis, viendra le moment où ils se sentiront assez fort pour exiger le retour des régions concédées à la Russie. Mais ils ont l'éternité devant eux, puisqu'ils l'ont derrière eux. (…) Il y a quelque chose d'anormal dans le fait que nous n'avons pas de relations avec le pays le plus peuplé du monde, sous prétexte que son régime ne plaît pas aux Américains et que ça les dérangerait si nous y faisions notre entrée. (…) Je n'ai jamais rien lu ni entendu [sur la Chine] qui ne fût ou totalement pour, ou totalement contre... (…) De toute façon, si nous reprenons un jour des relations avec Pékin, nous ne reconnaîtrons pas un régime politique en tant que tel. Nous ne nous inclinons pas devant le communisme. Nous reconnaissons un fait évident, c'est qu'il y a un État qui gouverne la Chine. Il la gouverne depuis quatorze ans. Bien ou mal, selon nos préférences ou pas, ce n'est pas notre affaire. Ce qui est sûr, c'est qu'il la gouverne. ». Rappel : Formose est une autre appellation de Taïwan.


    Et de poursuivre : « Il faut toujours des alliés de revers. Ça a toujours été la politique de la France. Nos rois ont fait alliance avec le Grand Turc contre le Saint Empire romain germanique. Ils ont fait alliance avec la Pologne contre la Prusse. Moi, j'ai fait alliance avec la Russie pour nous renforcer en face de l'Allemagne. Et un jour, je ferai alliance avec la Chine pour nous renforcer face à la Russie. Enfin, alliance, nous n'en sommes pas là. Il s'agira d'abord de renouer des relations. (…) Il est probable qu'après nous, il y aura des moutons de Panurge ; tout le monde voudra reconnaître la Chine et se trouver dans les premiers à la reconnaître. Et vous allez voir que les États-Unis vont être obligés de nous suivre. Avouez que ça vaudra la peine d'être vu ! ».

    Conseil des ministres du 8 janvier 1964 (quelques jours avant la reconnaissance officielle) : « La Chine est une énorme chose, elle est là, elle existe. Vivre comme si elle n'existait pas, c'est irréaliste. (…) L'ONU ? De toute façon, la Chine y entrera. Peu à peu, l'ONU votera pour elle. Elle ne déparera pas la collection. Si elle y est, il n'est pas sûr qu'elle n'en tirera pas avantage pour troubler l'eau. (…) Le fait chinois est là. C'est un pays énorme. Son avenir est à la dimension de ses moyens. Le temps qu'il mettra à les développer, nous ne le connaissons pas. Ce qui est sûr, c'est qu'un jour ou l'autre, peut-être plus proche qu'on ne croit, la Chine sera une grande réalité politique, économique et même militaire. C'est un fait et la France doit en tenir compte. (…) Nous avons des alliés. Nous conservons ces alliances. (…) Que fera le gouvernement de Formose ? Ça le regarde, mais nous ne prendrons aucune initiative hostile contre lui. ».

    Confidences du 8 janvier 1964 : « L'option se réduit à un constat simple : la reconnaissance de la Chine par le monde occidental est quelque chose d'inéluctable. Ne nous laissons pas confisquer le bénéfice d'être les premiers. Mais du fait que nous prenons les devants, nous recevrons des coups. ».

    Conseil des ministres du 22 janvier 1964 (l'intention de la France de reconnaître la Chine a fuité après que la France en a informé ses partenaires) : « Quel qu'eût été le moment, on aurait dit : "le moment est mal choisi". (…) Notre exemple sera suivi. Ça ne changera rien au fait que la Chine communiste est communiste à sa façon. Avant d'être communiste, la Chine est la Chine. ».

    Confidences du 22 janvier 1964 : « [Lester Pearson, Premier Ministre canadien,] m'a quand même dit une chose qui n'est pas sotte. C'est qu'il serait grave que nous reconnaissions la souveraineté de la Chine continentale sur Formose. Je l'ai rassuré en lui précisant bien que nous ne souhaitons pas que les communistes s'installent à Formose et que nous n'accepterions pas que Pékin exige que nous rompions avec Tchang Kaï-Chek. (…) Le rétablissement des relations avec la Chine, ça veut dire que nous allons tourner la page coloniale, celle de nos Concessions en Chine, celle de l'Indochine française. Ça veut dire que la France revient en tant qu'amie, respectueuse de l'indépendance des nations. (…) Les moyens de la Chine sont virtuellement immenses. Il n'est pas exclu qu'elle redevienne au siècle prochain ce qu'elle fut pendant tant de siècles, la plus grande puissance de l'univers. ».


    2. Dans "Quand la Chine s'éveillera..." (Fayard, 1973)

    Une tentative de compréhension de la Chine communiste : « Comment comprendre le maoïsme sans mesurer, d’abord, la somme de souffrance et de deuils que Mao et les siens ont endurée ? ».

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    Changer l'histoire : « La Révolution culturelle a été pendant quatre ans la grande lessive de la société, le grand décapage des cerveaux. Puisqu’on ne pouvait pas changer les choses, il fallait changer la façon dont les Chinois les voyaient. La Révolution culturelle est une révolution du regard. ».

    Le pragmatisme politique et la répartition des rôles entre Mao Tsé-Toung et Zhou Enlai : « Dans les vagues successives et tourmentées de la révolution chinoise, Mao et Zhou, ce couple contradictoire et indissociable, souvent cachés par le creux de la vague, ont toujours réapparu au sommet : le paysan prophétique et le mandarin subtil, l'incantatoire et l'opérationnel. Dans ce système dont la description appelle si naturellement le vocabulaire religieux, Mao, tel un Esprit Saint de la révolution, s'est contenté, hors quelques manifestations foudroyantes, d'agir à travers le pontificat très romain de Zhou Enlai. ».

    Clef pour réussir une révolution : « Parmi les diverses méthodes que les sociétés ont inventées pour entraîner les hommes à l'effort, les dirigeants chinois semblent avoir compris que la moins efficace était l'obligation autoritairement imposée à des sujets passifs : elle provoque un énorme gaspillage, à cause des freinages dus à l'inertie, à l'indifférence, à la malveillance, au sabotage larvé. Ils ont constaté que la méthode la plus positive était l'enthousiasme, qui recule au loin les barrières du supportable, grâce au don volontaire que font de leur force les esprits portés à l'incandescence. ».



    3. "La Chine s'est éveillée" (Fayard, 1996)

    Sous-titré : "Carnets de route de l'ère Deng Xiaoping".

    Le totalitarisme : « Dans les systèmes totalitaires, la libéralisation s'arrête là où les dirigeants croient l'équilibre du régime menacé ; si ces dirigeants, du moins, en conservent les moyens et gardent en eux la certitude d'avoir raison. La Chine devient semblable à une huître qui s’entrebâillerait vers le grand large, mais demeurerait inébranlablement fixée du rocher par sa dure coquille totalitaire. ».


    Deux puissances mondiales : « Depuis l'effondrement de l'URSS, voici deux ans, on va répétant qu'il n'y a plus qu'une superpuissance. C'est une erreur. Il y en a désormais deux. Et la deuxième a de bonnes chances de dépasser la première dans le nouveau siècle, du moins en production ; peut-être, même, beaucoup plus tôt qu'on ne pense - non à la fin, mais au milieu ; voire dans les premières décennies du XXIe siècle. Toutefois, en France, on ne l'a pas encore compris. On ne saurait admettre le succès, et encore moins la suprématie, d'un empire qui récuse nos leçons de morale politique. Pourtant, il suffit d'ouvrir les yeux. ».

    Comme on le lit avec ces extraits, tant Alain Peyrefitte que De Gaulle étaient de grands visionnaires, indépendants l'un de l'autre, sur le développement de la Chine moderne.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (23 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Les 75 ans de la Chine communiste.
    De Gaulle et les communistes.
    Le diplomate académicien du gaullisme triomphant.
    Alain Peyrefitte.
    Michel Barnier.

    Roger Karoutchi.
    Jean-Louis Debré.
    Jacques Chirac.
    Bruno Le Maire.

    Édouard Philippe.
    Gérard Larcher.
    Gérald Darmanin.
    Bruno Retailleau au Sénat.
    François Fillon.

    Nicolas Sarkozy.
    Éric Ciotti.
    Vaudeville chez Les Républicains.
    Marie-France Garaud.

    Valéry Giscard d'Estaing.
    Lucien Neuwirth.
    Édouard Balladur.
    Georges Pompidou.
    Philippe De Gaulle.
    Catherine Vautrin.
    Rachida Dati.

    Dominique de Villepin.
    Laurent Wauquiez.
    Vincent Jeanbrun.
    Bernadette Chirac.
    Carla Bruni.
    La présidence de LR en décembre 2022.
    Patrick Balkany.
    Xavier Bertrand.
    Bruno Retailleau à LR.

    Caroline Cayeux.
    Christophe Béchu.
    Aurélien Pradié.
    Valérie Pécresse.

    François Baroin.
    Christian Jacob.
    François-Xavier Bellamy.

    Guillaume Larrivé.
    Nadine Morano.
    Philippe Juvin.
    Frédéric Péchenard.
    Christine Lagarde.

    Damien Abad.
    Roselyne Bachelot.
    Jean Castex.
    Jean-Paul Delevoye.
    Thierry Breton.
    Franck Riester.
    Christian Estrosi.
    Renaud Muselier.
    Éric Woerth.

    De Gaulle, l’Europe et le volapük intégré.
    Bernard Pons.
    Le naufrage du parti Les Républicains.
    La sagesse inattendue de Jean-François Copé.
    Yvon Bourges.
    Christian Poncelet.
    René Capitant.
    Patrick Devedjian.

    _yartiPeyrefitteAlainB02


    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241127-alain-peyrefitte.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/alain-peyrefitte-la-chine-et-de-256969

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/26/article-sr-20241127-alain-peyrefitte.html


  • Proche-Orient : l'incompréhension de Roger Karoutchi

    « Israël n’est pas un très grand pays, mais c’est un pays qui regarde beaucoup la France et les Israéliens se demandent aujourd’hui, au plus profond d’eux-mêmes : où est la France ? Est-ce que la France sait encore où elle habite par rapport à nous ? Faites en sorte, monsieur le ministre, que les Israéliens retrouvent l’adresse de la France ! » (Roger Karoutchi, le 9 octobre 2024 au Sénat).


     

     
     


    Je soutiens toujours Emmanuel Macron, mais j'avoue que j'ai été très choqué par sa déclaration du 5 octobre 2024 sur Israël (et je ne suis heureusement pas le seul). Très choqué et même très en colère, car on n'abandonne pas un pays ami lorsqu'il est attaqué de toutes parts par des centaines de missiles.

    Et le fait que ce sont des députés insoumis qui ont applaudi les propos présidentiels (pour une fois) me donne la chair de poule ! Quand Mathilde Panot a fustigé le Premier Ministre israélien Benyamin Netanyahou qui, dans une allocution télévisée dans la soirée, a mal pris les choses (de toute façon, avec ou sans la France, on continue, a-t-il dit en substance), et qu'elle a réclamé un peu de respect pour notre chef de l'État, j'ai même cru rêver alors qu'elle avait déposé une motion de destitution contre le Président de la République, se moquant complètement du respect de l'institution présidentielle !

    On peut avoir l'impression qu'à l'Élysée, deux tendances s'affrontent en permanence, ce qui peut laisser à l'extérieur un arrière-goût de confusion. C'est sans doute le cas pour la position de la France vis-à-vis d'Israël. Depuis des dizaines d'années, le Quai d'Orsay a souvent prôné une politique pro-arabe.

    D'un côté, Emmanuel Macron a régulièrement réaffirmé le soutien indéfectible de la France à la sécurité d'Israël. Lors de l'hommage rendu dans la cour d'honneur des Invalides le 7 février 2024 aux 42 victimes françaises des massacres antisémites du 7 octobre 2023, le Président de la République a été très clair dans son discours : « Leurs destins ne sont pas les seuls que le déchirement du Moyen-Orient continue de broyer dans cette tornade de souffrance qu'est la guerre. Et toutes les vies se valent, inestimables aux yeux de la France. Et les vies que nous honorons aujourd'hui sont tombées, victimes d'un terrorisme que nous combattons sous toutes ses formes et qui nous a frappés en plein cœur. La France, recueillant ses enfants, parmi d'autres de ses enfants, dont elle n'oublie aucun, refusant les séparations, comme les divisions, refusant l'esprit de mort, de chaos et de clivages que nourrissent précisément les terroristes. Jamais en nous, nous ne laisserons prospérer l'esprit de revanche. (…) Ceux qui tuent par haine trouveront toujours face à eux ceux qui sont prêts à mourir par amour. Et toujours, ils verront s'élever contre eux notre pays qui, ce 7 octobre, a été touché dans sa chair. (…) Nous avons, dès lors, à habiter ce deuil, non pas comme une victoire de la mort mais comme une invitation à leur trouver une place dans nos vies. Et ils sont là, chacune et chacun, pour nous rappeler que nos vies, leurs vies, méritent sans relâche de nous battre contre les idées de haine, de ne rien céder à un antisémitisme rampant, désinhibé, ici comme là-bas. Car rien ne le justifie, rien. Car rien ne saurait justifier, ni excuser ce terrorisme, rien. Alors, nous nous tenons là, quatre mois après, devant ces visages et ces chaises vides, bouleversés de tristesse, aux côtés des familles de ceux qui ne sont plus, chargés d'affection aux côtés de ceux qui soignent leurs blessures et ne cédant rien pour ramener ceux qui sont encore là-bas. Sentiments mêlés que nous vivons ensemble, debout. ».

    De l'autre côté, Emmanuel Macron est capable, pour le moins, d'étonner voire de révolter les Israéliens quand, à quelques jours de la commémoration du 7 octobre, il a déclaré qu'il fallait ne plus livrer d'armes à Israël pour Gaza. L'argument apporté, c'est qu'on ne peut pas vouloir un cessez-le-feu et livrer des armes à la fois. Une phrase incompréhensible alors qu'Israël, tous les jours, est victime de centaines de tirs de roquettes de la part de ses trois ennemis, le Hamas depuis Gaza, le Hezbollah depuis le Sud-Liban et la République islamique d'Iran.

    Une telle affirmation, enregistrée le 1er octobre 2024 en ouverture du Sommet de la Francophonie, était peu pertinente et très maladroite, d'autant plus que la France ne livre pas d'armes à Israël (en revanche, elle en livre beaucoup au Qatar). Le principal pourvoyeur d'armes à Israël est les États-Unis, et bien après, l'Allemagne. Il ne faut pas oublier qu'avant la Guerre des Six Jours, c'était la France le principal fournisseur d'armes à Israël, mais le Général De Gaulle a décidé d'un embargo le 2 juin 1967 (la conférence de presse du 27 novembre 1967 a provoqué une vive polémique par l'évocation d'un « peuple d'élite, sûr de lui-même et dominateur ») car la France refusait l'occupation de territoires palestiniens.

    Parmi tous les réactions d'indignation ou d'incompréhension provenant de personnalités françaises à propos de la petite phrase d'Emmanuel Macron, la réaction de Roger Karoutchi m'a paru sans doute la plus emblématique.

     
     


    Agrégé d'histoire, Roger Karoutchi est un vieux routard de la politique française : à 73 ans, il est sénateur des Hauts-de-Seine depuis 1999 (il a remplacé Charles Pasqua élu député européen), sauf pendant ses fonctions gouvernementales, Secrétaire d'État chargé des Relations avec le Parlement du 18 mai 2007 au 23 juin 2009, puis Représentant permanent de la France auprès de l'OCDE du 3 juillet 2009 au 24 août 2011.

    Apparatchik dans l'appareil gaulliste, UDR, RPR, UMP puis LR, Roger Karoutchi était un proche de
    Philippe Séguin, soutien de Jacques Chirac en 1995, de Jean-François Copé en 2012, puis de Nicolas Sarkozy en 2016 et de Laurent Wauquiez en 2017. Il a été élu conseiller régional d'Île-de-France de 1992 à 2015 (il s'est présenté à une primaire contre Valérie Pécresse pour prendre d'assaut le conseil régional en 2010) et député européen de 1997 à 1999 (il a succédé à Michel Debatisse décédé), par ailleurs élu municipal à Nanterre, Boulogne-Billancourt, puis Villeneuve-la-Garenne.

    Roger Karoutchi a profité de la séance des questions au gouvernement au Sénat, celle du mercredi 9 octobre 2024, pour exprimer son inquiétude face aux propos présidentiels. Évidemment, il ne s'agissait pas d'interroger directement le Président de la République. Les sénateurs ont maintenant un droit de réplique après la réponse du ministre, s'ils n'ont pas usé de leur temps de parole pour leur question. Roger Karoutchi a eu l'habileté de poser sa question en quelques secondes pour ensuite, en droit de réplique, pouvoir exprimer son opinion sur les propos présidentiels.


    La question du sénateur était simple mais sournoise : « Monsieur le ministre, il y a trois jours, l’Élysée a publié un communiqué réaffirmant l’amitié "indéfectible" de la France à l’égard d’Israël. Pourriez-vous nous décoder cette formule ? ».

    C'est Jean-Noël Barrot, nouveau Ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, ancien député du MoDem des Hauts-de-Seine, qui lui a répondu, sans chercher à se faire le porte-parole de l'Élysée : « [Votre question] me permet de rappeler que la France se tient aux côtés d’Israël, pays auquel l’attachent des liens nombreux et anciens, pays dans lequel vivent 180 000 de nos compatriotes. La France est attachée de manière indéfectible à la sécurité d’Israël. Et ce ne sont pas que des mots, ce sont des actes. (…) Lorsque l’Iran prend pour cible Israël ou déclenche contre ce pays une attaque balistique d’ampleur, la France mobilise ses moyens militaires pour lui faire échec. Ce fut le cas en avril comme il y a encore quelques jours. ».

    Mais il a repris l'argument explicité plus haut : « Nous considérons aujourd’hui que la force seule ne peut suffire à garantir la sécurité d’Israël et des Israéliens et que le recours à la force doit désormais céder la place au dialogue et à la diplomatie. C’est pourquoi la France, comme la plupart des pays dans le monde, appelle aujourd’hui au cessez-le-feu, à ce que la force cède la place à la diplomatie et au dialogue, à Gaza comme au Liban. Et lorsque l’on appelle à un cessez-le-feu, on ne peut pas en même temps fournir des armes offensives aux belligérants, quels qu’ils soient. La position de la France est constante sur ce sujet. C’est une question de cohérence. ».
     

     
     


    Le ministre n'a rien apporté de nouveau mais là n'était pas l'essentiel, car l'essentiel, c'était dans la réplique, écrite avant cette réponse, de Roger Karoutchi, loin de vouloir blâmer le nouveau ministre : « Monsieur le ministre, être amis, c’est se dire des vérités, c’est dire comment la France voit l’avenir de Gaza ou du Liban, mais ce n’est sûrement pas dire à Israël, deux jours avant la commémoration du 7 octobre, que le pays ne doit plus recevoir d’armes, surtout quand la France ne lui en livre pas, mais continue à en livrer à certains pays comme le Qatar. ».

    Et d'ajouter : « Vous n’y êtes pour rien, monsieur le ministre, mais que dire quand on demande à Israël de ne pas réagir trop fortement, lorsque deux cents missiles balistiques iraniens sont envoyés contre son territoire, afin de ne pas provoquer d’embrasement régional ? Quel pays au monde accepterait de s’entendre dire "S’il vous plaît, ne réagissez pas !" après avoir reçu deux cents missiles ? Quel pays au monde accepterait cela ? La guerre au Liban est un crève-cœur, en particulier au regard des liens de la France avec ce pays. Mais en même temps, il faut rappeler, vous le faites, monsieur le ministre, ce qui n’est pas le cas de tout le monde…, que, depuis le 8 octobre de l’année dernière, le Hezbollah bombarde tous les jours les villes du nord d’Israël, et cela dans une indifférence quasi générale. C’est inacceptable ! Quel pays au monde accepterait que ses villes soient bombardées tous les jours et qu’on lui dise : "Surtout, ne réagissez pas". ».

    Il faut dire les choses franchement, Israël fait le
    sale boulot pour les autres, et en particulier pour la France qui a été une victime multiple des attentats terroristes du Hezbollah tant au Liban que sur le sol français et aussi victime du pogrom du 7 octobre 2023 en raison des dizaines de Français qui y ont été massacrés ou enlevés. La responsabilité de la France, c'est de limiter l'ardeur belliqueuse d'Israël pour rappeler que les civils n'ont pas à être des victimes collatérales de la guerre justifiée contre les organisations terroristes, qu'elles soient à Gaza ou au Liban. Mais la France ne doit pas donner de leçon à Israël qui, aujourd'hui, lutte courageusement pour sa survie.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (09 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Proche-Orient : l'incompréhension de Roger Karoutchi.
    7 octobre 2023 : un an qu'Israël se bat pour sa survie.
    Laura Blajman-Kadar.
    7 octobre 2023 : l'hommage aux victimes françaises.
    Discours du Président Emmanuel Macron en hommage aux victimes du 7 octobre 2023 aux Invalides le 7 février 2024 (texte intégral et vidéo).
    L'avenir de la France se joue aussi à Gaza !
    La naissance de l’État d’Israël.
    David Ben Gourion.
    Eden Golan.
    Walid Daqqa.
    Gaza : quel est l'accord entre Israël et le Hamas ?
    Le rappel très ferme d'Emmanuel Macron contre l'antisémitisme.
    Conflit israélo-palestinien : la France est-elle concernée ?
    Dominique de Villepin toujours pro-palestinien ?
    Emmanuel Macron participera-t-il à la grande marche contre l'antisémitisme du 12 novembre 2023 ?
    Gaza, victime avant tout du Hamas ?
    Quel est le bilan de la visite d'Emmanuel Macron au Proche-Orient ?
    Proche-Orient : l'analyse crue de Jean-Louis Bourlanges.
    Pourquoi Emmanuel Macron se rend-il en Israël ce mardi 24 octobre 2023 ?
    Hôpital à Gaza : la vérité aveuglée par la colère ?
    Hamas : tirs groupés contre les insoumis.
    Horreur en Israël : les points sur les i de Gérard Larcher et Emmanuel Macron.
    Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron le 12 octobre 2023 (vidéo et texte intégral).
    Allocution du Président du Sénat Gérard Larcher le 11 octobre 2023 (texte intégral).
    Horreur totale en Israël ; émotion et clarification politique en France.
    Israël en guerre contre son agresseur terroriste, le Hamas.
    Les Accords d'Oslo.

     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241009-karoutchi.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/proche-orient-l-incomprehension-de-257161

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/10/article-sr-20241009-karoutchi.html