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politique - Page 13

  • Bernard Kouchner, un tiers-mondiste, deux tiers mondain

    « Je suis communiste et Rastignac. Paradoxe ? Détrompez-vous ; le mélange n'est pas détonnant. Il est même étonnamment efficace. Vous riez ? Je vous attends... » (Bernard Kouchner, en 1963).


     

     
     


    Le médiatique médecin Bernard Kouchner fête son 85e anniversaire ce vendredi 1er novembre 2024. Plus médiatique que médecin (gastro-entérologue). Il est aussi une personnalité politique qui a toujours ses entrées dans les médias et qui continue à exprimer ses positions politiques. L'une d'entre elles était le soutien aux États-Unis pour leur intervention militaire en Irak en 2003, une initiative inutile et surtout particulièrement meurtrière (entre 100 000 et 1 million de morts) à laquelle la France, heureusement, s'était vivement opposée.

    Mais comment le qualifier ? Il est un médecin d'abord, et il a fait partie des cofondateurs de Médecins sans frontières (MSF) en décembre 1971 et lorsque sa présence n'y était plus souhaitable en 1979, il a cocréé Médecins du monde en mars 1980. Le désaccord entre MSF et Bernard Kouchner portait sur sa volonté de faire une opération Un bateau pour le Vietnam, l'idée était d'envoyer des médecins et des journalistes pour alerter sur les droits de l'homme au Vietnam. Déjà, l'écho médiatique prenait le pas sur les soins.

    Parmi les présidents de MSF, on peut citer Bernard Kouchner de 1976 à 1977,
    Claude Malhuret de 1978 à 1980, Xavier Emmanuelli en 1982 et Rony Brauman de 1982 à 1994 (les trois premiers ont été par la suite ministres). On pourrait dire que Bernard Kouchner était un agitateur politique, un médecin et un agitateur politique. Déjà étudiant, il militait au sein de l'UEC, le syndicat étudiant communiste (il y a écrit dans un périodique qui lui a fait rencontrer des auteurs comme Claude Roy, Jacques Monod et Louis Aragon), puis a été par la suite alternativement socialiste ou radical de gauche selon l'opportunité du moment. Car agitateur, oui, mais avant tout opportuniste.

    Il faut aussi regarder sa famille, et sa jeunesse, pour tenter de mieux le cerner. Du côté paternel, une origine lettone juive ; du côté maternel, une origine protestante. Les grand-parents paternels de Bernard Kouchner sont morts assassinés dans le
    camp d'Auschwitz après avoir été arrêtés et déportés (convoi n°76 du 30 juin 1944). Quand on a 5 ans, ça marque, évidemment.

    Dans le cadre de ses activités militantes communistes, Bernard Kouchner est parti visiter Cuba en 1964 (il avait alors 24 ans). Il y a rencontré sa future femme Évelyne Pisier (la grande sœur de Marie-France Pisier) qui était alors en cours d'une relation avec...
    Fidel Castro lui-même ! Bernard Kouchner et Évelyne Pisier se sont mariés en 1970 et ont divorcé en 1984, après avoir fait trois enfants. Évelyne Pisier, qui n'en pouvait plus des missions humanitaires lointaines et dangereuses de son mari, a refait sa vie avec le politologue Olivier Duhamel alors que Bernard Kouchner l'a refaite avec la journaliste Christine Ockrent. Ces derniers étaient encore jeunes, très ambitieux, et prêts à beaucoup de sacrifices.

    On peut être foudroyé par la différence de personnalité entre
    Hubert Curien et Bernard Kouchner (mais pourquoi donc ai-je la sottise de faire une telle comparaison ?!) : le premier voulait agir, construire, bâtir, et il se moquait bien du service après-vente médiatique, tant que ça agissait, construisait et bâtissait. Bernard Kouchner, c'est le contraire, à l'école de BHL. Hubert Curien laissait volontiers la paternité de projets réussis à d'autres alors qu'il en était le vrai père, tandis que d'autres préfèrent au contraire s'attribuer les mérites de leur inaction et de l'action des autres. Refaire l'histoire.

    Soyons honnêtes : agiter les médias a des avantages pour sensibiliser les gens, au risque de les émouvoir, et surtout, influencer les décideurs politiques. Cela a donc son utilité mais un peu comme celle de l'ARC de Jacques Crozemarie : une bonne cause, une mauvaise conséquence.

    Bernard Kouchner a fait un grand nombre de voyages plus ou moins utiles, entre voyages humanitaires et voyages politiques, il a même défendu le principe du devoir d'ingérence, un principe qui pourrait être déconstructeur du droit international et qu'il faut manier avec précaution. Intervenir militairement conduit toujours à des drames.

    Et tout pour sa bobine : il a souvent été ministre, ou sous-ministre, et pas le moins voyant des gouvernements qu'il a honorés de sa présence, ceux de
    Michel Rocard, Édith Cresson, Pierre Bérégovoy, Lionel Jospin ! C'était une sorte de carte inoxydable de la gauche au pouvoir, celle de François Mitterrand et celle de Lionel Jospin. Bernard Kouchner a été nommé Secrétaire d'État chargé de l'Insertion sociale du 13 mai 1988 au 28 juin 1988, puis chargé de l'Action humanitaire du 28 juin 1988 au 4 avril 1992, Ministre de la Santé et de l'Action humanitaire du 4 avril 1992 au 30 mars 1993, Secrétaire d'État chargé de la Santé du 4 juin 1997 au 28 juillet 1999, puis Ministre de la Santé du 6 février 2001 au 7 mai 2002.

    Enfin, le bâton de maréchal, la meilleure pioche de l'ouverture selon le nouveau Président
    Nicolas Sarkozy : Bernard Kouchner est devenu Ministre des Affaires étrangères et de l'Europe du 18 mai 2007 au 13 novembre 2010, dans les deux premiers gouvernements de François Fillon ! Une surprise qui a fait dire à Patrick Devedjian que ce serait bien d'élargir l'ouverture sarkozyenne... aux sarkozystes ! Il était en concurrence avec Hubert Védrine. Sa nomination au Quai d'Orsay l'a définitivement banni des cercles socialistes. Et pourtant, à part sa communication, il ne maîtrisait rien, c'était l'Élysée qui tirait toutes les ficelles. Par orgueil, il n'a jamais claqué la porte.

     
     


    Il comptait convaincre ses anciens amis de gauche dans un tribune publiée le 20 mai 2007 dans "Le Monde" : « En près de quarante ans d'action humanitaire et de batailles politiques pour les Droits de l'Homme, nous avons fait bouger le monde dans les domaines de la diplomatie, de la santé ou de la protection des minorités. (…) La politique extérieure de notre pays n'est ni de droite ni de gauche. Elle défend les intérêts de la France dans un monde qui se réinvente chaque jour. Elle doit être déterminée et novatrice. (…) Je sais que certains de mes amis me reprochent ce nouvel engagement. À ceux-là, je réclame crédit : mes idées et ma volonté restent les mêmes. S'ils me prennent un jour en flagrant délit de renoncement, je leur demande de me réveiller. Je garantis que ce temps n'est pas venu. N'ayons pas peur de l'avenir ; regardons au-delà des cloisons partisanes. ». À ma connaissance, personne n'a tenté de réveiller le ministre parce que personne ne s'y intéressait.

    Nicolas Sarkozy était heureux de ce débauchage, et pourtant, il n'y avait aucun mérite, le ministre était arriviste et opportuniste, c'était facile de le débaucher. C'est comme si
    Michel Barnier avait demandé à Ségolène Royal ou à Manuel Valls de faire partie de son gouvernement il y a quelques semaines, il aurait été sûr de leur réponse positive. Mais dans quel but ? Ils ne représentent politiquement plus rien. C'était le cas aussi de Bernard Kouchner qui n'a jamais été élu sur son nom ; à de nombreux moments, aux élections législatives voire municipales, on évoquait son parachutage, dans le Nord, en Lorraine, dans le Dauphiné, dans les Bouches-du-Rhône, un peu partout en France pour conquérir une circonscription ou une mairie (mais ce fut chaque fois soit un acte manqué soit un échec cinglant). Le seul mandat qu'il a eu, c'est quand il est devenu socialiste pour être sur la liste du PS aux élections européennes de 1994, ainsi bombardé au Parlement Européen de juin 1994 à juin 1997, date de sa renomination au gouvernement. En tout, il a été plus de onze ans au gouvernement, et faites le compte, peu de personnalités politiques chevronnées peuvent s'enorgueillir d'une telle longévité ministérielle !

    Il faut se rappeler l'année 2007 : Bernard Kouchner, après avoir espéré devenir le candidat de la gauche, puis soutenu Ségolène Royal, a appelé à faire une alliance avec
    François Bayrou dans le "Journal du dimanche" du 15 avril 2007, peu avant le premier tour de l'élection présidentielle, et après l'élection présidentielle, il se retrouvait ministre important... du troisième larron, le rival et vainqueur des deux premiers ! C'est même plus que cela puisque, dans la foulée, a été nommé aussi au gouvernement son ancien directeur de cabinet de l'époque où il était Ministre de la Santé, Emmanuel Hirsch, Haut commissaire aux Solidarités actives et à la Jeunesse jusqu'au 22 mars 2010.

    Le ministre multirécidiviste a eu aussi beaucoup de responsabilités internationales, celle de Représentant spécial du Secrétaire Général de l'ONU au Kosovo de juillet 1999 à janvier 2001 (entre deux missions gouvernementales), celle de Représentant de l'Union Européenne sur le Sri Lanka en août 2005, etc. On parlait aussi de lui pour remplacer le Haut représentant de l'ONU pour la reconstruction de Haïti en janvier 2011. Il s'ennuyait et a flanché en créant son propre cabinet de conseil, apparemment très juteux selon certaines investigations journalistiques.

    Bernard Kouchner est un touche-à-tout : il est capable d'inspirer des séries télévisées comme "Médecins de nuit" (diffusée en 1978 sur Antenne 2), de publier des dizaines de livres plus ou moins fouillés, d'intervenir partout dans le monde sur de nombreuses causes plus ou moins bien comprises. On lui a reproché de s'être fait beaucoup d'argent avec des activités de conseil auprès de chefs d'État africains, ou de grands groupes, etc. Il a soutenu
    Roman Polanski lorsqu'il était décrié, il a probablement été accusé de mille et unes choses car il énerve autant qu'il laisse croire qu'il agit... Si on regarde d'un œil discret sa notice sur Wikipédia, on s'étonne de tant d'affaires, tant de choses dans lesquelles il s'est impliqué, et chaque initiative pourrait faire l'objet d'un chapitre détaillé.

    Capable même de lucidité tout en se mettant lui-même en scène, comme en 1987 lorsqu'il racontait ses voyages humanitaires (entre autres pour les
    enfants du Biafra) : « Bien des fois, au Kurdistan, au Liban, j'ai éprouvé cet étrange sentiment qui pousse à aller jusqu'au bout de l'aventure, à courir les plus grands risques, à goûter le délicieux frisson du danger, à frôler le grand saut. Des années après, j'ai saisi que l'aide humanitaire, j'en faisais d'abord pour moi-même... ».
     

     
     


    Il devrait savoir qu'affichage médiatique et prospérité pourraient faire mauvais ménage car cela suscite de la jalousie. Cet affichage médiatique était pourtant indispensable pour cultiver une belle cote de popularité dans les sondages, ce qui aguichait les dirigeants politiques de gauche et, aussi, de droite. Mais il y a beaucoup de choses étranges dans sa carrière, ou gênante, entre autres la nomination de Christine Ockrent, dont la compétence journalistique n'a jamais été remise en cause, comme directrice générale de RFI alors que son compagnon était Ministre des Affaires étrangères, le ministère de tutelle de la station de radio. On a connu des couples moins imbriqués.

    Je me restreindrai à trois faits, un positif et deux très négatifs pour lui.

    Parlons d'abord du positif qui montre que malgré l'agitation égotique, il y a aussi des convictions. À la Santé sous Lionel Jospin, il a fait adopter une loi importante, la loi n°2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. C'est à mon sens ce qu'il a fait de mieux de sa carrière politique. Cette loi introduit le concept juridique de droit des malades avec notamment le droit des malades à accéder à leur dossier médical. Elle impose que l'acte médical ou le traitement soient faits avec un consentement libre et éclairé du patient, ce qui signifie la fin de l'acharnement thérapeutique. Elle oblige aussi les médecins à déclarer tous les liens d'intérêt avec des groupes pharmaceutiques ou autre. C'est dans la lancée de cette loi qu'ont été par la suite adoptées la
    loi Leonetti (loi n°2005-370 du 22 avril 2005) et la loi Claeys-Leonetti (loi n°2016-87 du 2 février 2016) sur la fin de vie. Auparavant, Bernard Kouchner avait fait adopter une première loi, la loi n°99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit d'accès aux soins palliatifs qui était aussi une forte avancée dans l'accompagnement de la fin de vie (même si l'essentiel est d'abord d'ordre budgétaire afin de permettre à tous les patients qui en ont besoin d'en bénéficier).

    Passons maintenant à deux sujets qui ont de quoi écœurer. Deux dates.

     

     
     


    J'aurais pu donner comme titre ici : Le docteur sac de riz ! En effet, la première date est le 5 décembre 1992, sur une plage, à côté du port de Mogadiscio, la capitale de la Somalie. Bernard Kouchner s'est fait photographier en train de porter des sacs de riz pour les enfants affamés de Somalie, victimes de la guerre civile (qui faisait rage depuis la chute du dictateur communiste Mohamed Siad Barre au pouvoir du 21 octobre 1969 au 26 janvier 1991). Ce qui était gênant, c'est que le gentil ministre médecin a refait plusieurs fois le trajet avec le même sac de riz, pour faire la meilleure prise devant les caméras. Il se moquait des enfants et c'était sa trombine qui importait. Il aurait beau dire qu'il faut de la promotion médiatique pour émouvoir le chaland, l'opération était là beaucoup trop visible pour être sincère.

    À l'origine, il avait fait une campagne de publicité assez formidable avec son collègue de l'Éducation nationale,
    Jack Lang, pour proposer aux écoliers d'apporter chacun un paquet de riz (un kilogramme) à sa classe le 20 octobre 1992. Formidable car très efficace. En tout, 9 300 tonnes de riz ont été collectées, et acheminées gratuitement par La Poste et la SNCF au port de Marseille où deux gros cargos les attendaient. Où est passé le riz ? Dans les pellicules photos ? Ce qui est sûr, c'est qu'apporter du riz n'apporte pas grand-chose aux enfants (surtout quand c'est du riz très hétérogène avec des durées de cuisson différentes) car c'est leur enlever la cause de la famine qui est le plus nécessaire. Cela n'empêche qu'aider à nourrir des populations affamées a pu les aider à très court terme. Mais c'est aussi l'idée d'avoir bonne conscience à bon compte qui est assez gênante et malsaine. Mais c'est la mécanique de tous les dons caritatifs, de ceux qui n'ont fait que signer un chèque, sans s'investir eux-mêmes sur le terrain. La motivation de Bernard Kouchner était peut-être sincère, sans doute sincère. Mais ce qu'il en a fait était franchement limite. Les humoristes ont rapidement utilisé cette image à fin comique. Les Inconnus, par exemple, au détour d'un sketch (à 3:53 dans la vidéo) et aussi Les Guignols de l'Info.





    Bernard Kouchner avait senti la gravité de la situation avec les effets cumulés de la guerre civile, de la sécheresse, de la destruction de grandes infrastructures rendant impossibles les secours, etc. Il voulait l'intervention militaire de la France dans le cadre de l'ONU pour répondre aux urgences humanitaires, mais son collègue de la Défense
    Pierre Joxe ne voulait absolument pas engager la France dans ce conflit. Finalement, après l'échec de cette opération sac de riz, l'armée américaine est intervenue, sous l'égide de l'ONU : 1 800 marines US ont débarqué sur les côtes somaliennes le 10 décembre 1992 sous les yeux de nombreux journalistes venus par anticipation, car prévenus. C'est la première application du droit d'ingérence humanitaire que prônait Bernard Kouchner. Au début de 1993, cette opération appelée Restore Hope a fait participer 28 870 soldats de l'ONU dont 20 515 soldats américains et 2 454 soldats français. Les casques bleus sont repartis complètement le 2 mars 1995 (les soldats américains ont quitté la Somalie le mars 1994). Sans avoir vraiment stabilisé politiquement la région.
     

     
     


    L'autre date est encore plus grave, car cela a impacté sur la vie de ses enfants. C'est le 7 janvier 2021 qu'est sorti le livre de Camille Kouchner, "La Familia grande". Ce fut un coup de tonnerre. Camille est née en 1975, elle est jumelle avec Antoine, et ce sont les deux derniers des trois enfants que Bernard a eus avec Évelyne qui s'en est totalement occupée. Camille a attendu la mort de leur mère, le 9 février 2017 (des suites d'un cancer) pour rendre public ce qui l'a traumatisé pendant trente ans : lors des étés festoyant dans la propriété familiale du Var, où le tout Paris socialiste et bobo se montrait, Camille a été témoin du viol par inceste de son frère avec le beau-père Olivier Duhamel (qui n'a jamais démenti les faits). Ce dernier imposait à la fratrie le silence par le chantage affectif : leur mère aurait des tendances suicidaires (dont les parents venaient de se suicider) et il fallait la ménager.

    Je ne veux ici pas trop insister sur cette histoire glauque (je pourrai éventuellement revenir sur le livre de Camille très bien écrit), sinon pour faire un parallèle. Bien entendu, enfin, sauf autres révélations, Bernard Kouchner n'a commis rien de grave et ce qu'on pourrait lui reprocher, du moins, pas le "on" mais ses enfants, c'est de ne pas s'en être occupé, de les avoir laissés dans leur adolescence seuls avec leur mère et surtout, le beau-père, le prédateur, et cela surtout pour des considérations de carriérisme. Mais ce qu'on pourrait lui reprocher, justement, de ne rien avoir vu, de ne pas avoir su écouter les traumatismes, les drames qui se nouaient, c'est en fin de compte un peu ce qu'on a reproché à certains évêques français qui ont passé sous silence les agressions sexuelles voire les viols commis par certains prêtres de leur diocèse. Cette passivité, cette indifférence, cette inaction, ce silence sont, en eux-mêmes, une source de scandale. Bernard Kouchner n'était pas le seul au courant, tout le petit monde autour d'eux, au fil du temps, l'a été, et rien n'a filtré. Mais quand même, lui, c'était le père de la victime, pas une simple connaissance vaguement concernée ! Qu'est-ce que vous, lecteurs, vous feriez si votre enfant de 13 ans était violé par le nouveau mari de votre ancienne femme ?

    Maintenant, à 85 ans, le French doctor reste toujours présent dans les médias, , même si ses idées sont parfois un peu confuses. Exemple sur Radio J le 20 octobre 2024 ; il s'est aussi exprimé plus récemment sur d'autres chaînes de télévision. Il ne peut pas s'en empêcher. Alors que son petit intérêt serait aujourd'hui de se faire plus discret, de se faire oublier. Ce carriérisme, pourquoi faire, on aurait tendance à dire ? Ou plutôt, tant d'énergie dissipée pour si peu ? Si peu de résultats. Durant la semaine du 5 novembre 2018, Bernard Kouchner était l'invité de l'émission "À voix nue" produite par Annelise Signoret et Martin Quenehen sur France Culture. L'émission commence ainsi : « "Tout bien considéré, il y a deux sortes d’hommes dans le monde : ceux qui restent chez eux et les autres", écrivait Kipling. Et Bernard Kouchner a (tôt) choisi à quelle catégorie il appartenait, pour devenir aventurier de l'humanitaire, du droit d'ingérence et de la politique… ». Il a toujours choisi d'être en dehors. Tant pis pour les enfants...


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (26 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Christine Ockrent.
    Bernard Kouchner.
    Quai d'Orsay.
    Jean-Yves Le Drian.
    Jean-Marc Ayrault.
    Laurent Fabius.
    Alain Juppé.
    Michèle Alliot-Marie.
    Philippe Douste-Blazy.
    Michel Barnier.
    Dominique de Villepin.
    Hubert Védrine.
    Roland Dumas.
    Claude Cheysson.
    Jean François-Poncet.
    Michel Jobert.
    Maurice Schumann.
    Michel Debré.
    Maurice Couve de Murville.
    René Pleven.
    Antoine Pinay.
    Edgar Faure.
    Pierre Mendès France.
    Georges Bidault.
    Robert Schuman.
    Léon Blum.
    Édouard Daladier.
    Joseph Paul-Boncour.
    Pierre Laval.
    Édouard Herriot.
    André Tardieu.
    Aristide Briand.
    Raymond Poincaré.
    Alexandre Millerand.
    Jules Ferry.
    Léon Gambetta.
    François Guizot.
    Adolphe Thiers.
     

     
     










    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241101-bernard-kouchner.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/bernard-kouchner-un-tiers-mondiste-256543

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/26/article-sr-20241101-bernard-kouchner.html



     

  • Hubert Curien, le père de l'Europe de la Science

    « Michel Barnier [alors Ministre des Affaires étrangères] aurait souhaité se trouver parmi nous aujourd’hui, il m’a chargée de vous transmettre à vous, Madame, et à ceux ici rassemblés, les marques de son plus profond respect pour la personnalité et l’œuvre du Professeur Curien. » (Claudie Haigneré à Anne Perrine Dumézil-Curien, le 14 mars 2005 à Paris).


     

     
     


    Le père de l'Europe spatiale, c'est ainsi qu'on le qualifie en général et avec raison. Mais ce serait encore plus complet de l'appeler le père de l'Europe de la Science. En somme, un Père de l'Europe ! Le physicien Hubert Curien est né il y a 100 ans, le 30 octobre 1924 dans la commune vosgienne de Cornimont. Hubert Curien était ce que j'appellerais un grand administrateur de la recherche française et européenne, tout en étant un mandarin de l'université, et la gauche au pouvoir en a fait aussi un homme politique. C'est donc une trajectoire hors du commun qu'a suivie Hubert Curien. Avec ses sourcils très broussailleux et très pompidoliens, sa voix très grave mais bienveillante, Hubert Curien était ce qu'on aurait pu aussi appeler un capitaine de recherche, comme on parle de capitaine d'industrie. Un grand commis de la recherche.

    Mais avant d'avoir été un scientifique, Hubert Curien a été un résistant. À l'âge de 19 ans, quittant ses études parisiennes, il a rejoint le maquis de la Piquante Pierre, dans les Vosges, près de La Bresse et pas loin de sa ville natale. En 1945, il a intégré l'École normale supérieur et en est ressorti agrégé de physique. Il a également soutenu une thèse de doctorat en physique spécialisée en cristallographie (l'étude de la structure de la matière). À 28 ans, sa thèse d'État portait sur « l'étude des ondes élastiques et de la diffusion thermique des rayons X dans un réseau cubique centré : application au fer alpha ». Ses travaux de recherche ont commencé au sein du laboratoire de minéralogie de Jean Wiart, il a étudié l'effet Compton, les défauts des cristaux par irradiation, etc. Il a étudié et déterminé des structures de minéraux complexes, a découvert une nouvelle forme cristallographique du gallium, a étudié aussi des matériaux biologiques, etc. et même la curiénite, un minérau baptisé de son nom (pas par lui !) qu'il avait découvert au Gabon.

    À la fin des années 1940, il a épousé Anne Perrine, astrophysicienne et fille du grand linguiste et académicien Georges Dumézil chez qui il se rendait souvent à Vernon pour suivre le programme spatial dans les années 1970. Anne Perrin Dumézil-Curien est morte cette année 2024, à l'âge de 98 ans. Ils ont eu trois enfants, Nicolas Curien, polytechnicien et docteur en mathématiques appliquées, membre de l'Académie de la Technologie, professeur au CNAM (Centre national des arts et métiers), ancien membre du CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel) de 2015 à 2021 (il a présidé le CSA par intérim quelques semaines au printemps 2018), Christophe Curien, artiste peintre, et Pierre-Louis Curien, mathématicien, directeur de recherches au CNRS et spécialisé en informatique théorique. Hubert Curien était en outre le petit frère de l'ambassadeur Gilles Curien, membre voire directeur de plusieurs cabinets ministériels dans les années 1960.

    Maître de conférences de minéralogie-cristallographie à la faculté des sciences de Paris en 1953, à 28 ans, puis professeur des universités à la future Université Pierre-et-Marie-Curie Paris-6 en 1958 à 33 ans (ce qui est très jeune), il a enseigné aussi à l'École normale supérieure, Hubert Curien a intégré également le CNRS (Centre national de la recherche scientifique) en 1966 à un haut niveau puisqu'il a été bombardé (jeune) premier directeur scientifique du département science physique et mathématiques (le titre était directeur scientifique pour la physique au CNRS).

    À partir de ce moment-là, Hubert Curien a travaillé moins sur les paillasses et plus derrière un bureau classique de manager avec des responsabilités administratives et organisationnelles très larges et nombreuses. Ainsi, il est devenu directeur général du CNRS de 1969 à 1973, puis Délégué général à la recherche scientifique et technique de 1973 à 1976.

    Le CNES (Centre national d'études spatiales) était alors en pleine crise existentielle. Hubert Curien a été alors nommé président du CNES de 1976 à 1984 pour redresser cet organisme de recherche, redonner de la motivation aux chercheurs et préparer le premier vol de la fusée Ariane le 24 décembre 1979, nommé en outre président du conseil d'administration du Palais de la Découverte de 1977 à 1984. Il est nommé dans sa lancée premier président de l'Agence spatiale européenne (ESA) de 1979 à 1984, et aussi premier président de l'Association des musées et centres de culture scientifique et industrielle en 1982. Il fut également le président du CERN de 1994 à 1996, président de l'Académie des sciences de 2001 à 2003 (membre élu le 8 novembre 1993 dans la section de sciences de l'univers), directeur de l'École supérieure Chimie Physique Électronique de Lyon (CPE Lyon) de 1993 à 2005, et président de la Fondation de France de 1998 à 2000.

    C'est son action au sein du CNES qui a été probablement la plus importante pour la recherche française (et européenne) en lançant le programme Ariane, en créant Arianespace, la société de commercialisation d'Ariane, en lançant aussi la mission de Jean-Loup Chrétien, premier spationaute français, en lançant le programme SPOT (satellites de télédétection français civils d'observation de la Terre), ainsi qu'en lançant les participation françaises aux projets de l'ESA qu'il a créée et présidée. C'est la raison pour laquelle on l'a souvent qualifié de père de l'Europe spatiale qui n'a plus grand-chose à voir avec sa spécialité d'origine, la cristallographie. Il était en quelque sorte un grand ordonnateur de la recherche française et européenne, tant dans le domaine physique (au CNRS) que spatial (au CNES, à l'ESA, etc.).
     

     
     


    En été 1984, la venue de Laurent Fabius à Matignon a précipité la carrière d'Hubert Curien appelé à siéger au gouvernement : il fut nommé Ministre de la Recherche et de la Technologie du 19 juillet 1984 au 20 mars 1986, puis, après la réélection de François Mitterrand, renommé au même ministère du 12 mai 1988 au 29 mars 1993 dans les gouvernements de Michel Rocard, Édith Cresson et Pierre Bérégovoy. Loin de prendre cela comme un honneur, ce fut pour lui une aubaine pour faire avancer de nombreuses idées et intuitions.

    À ce poste, sa principale action a été de mettre la science à disposition du peuple, la rendre accessible à l'ensemble des gens, ce qui est difficile car la science étudie souvent des choses complexes. Son idée de génie a été d'organiser en mai 1991 une journée portes ouvertes de son ministère à l'occasion du dixième anniversaire de sa création, ce qui est devenu très rapidement la Fête de la Science dès l'année suivante, en juin 1992 et qui, chaque année, fait rencontrer les chercheurs avec les citoyens, chaque chercheur ouvrant son laboratoire et montrant son travail aux gens, en leur donnant les enjeux, les objectifs, les applications.

    Cette manifestation scientifique et culturelle, qui a le rôle de propagateur de la science, a lieu désormais en octobre de chaque année et est très suivie des chercheurs, ravis d'exposer leurs travaux aux profanes (d'autant plus qu'en France, les sciences dures jouissent d'un très faible intérêt médiatique, à part quelques excellents documentaires sur Arte ; il y a beaucoup trop peu d'attrait des journalistes pour les sciences, disciplines jugées trop compliquées et pas assez sexy). C'est bien pour les citoyens qui peuvent comprendre un peu mieux l'époque technologique dans laquelle nous vivons, et ses perspectives, mais aussi pour les chercheurs eux-mêmes qui doivent synthétiser, vulgariser, résumer leurs travaux dans un travail pédagogique très utile également pour la science (dans la mise en forme des connaissances).

    D'un côté, il y a des scientifiques, beaucoup trop rares, qui font de la vulgarisation scientifique et qui ont acquis un peu de notoriété médiatique (Hubert Reeves, par exemple), et de l'autre côté, il y a des structures, c'était le rôle d'Hubert Curien, qui a joué surtout sur les structures, qui a été un grand organisateur de la recherche scientifique et de son accessibilité aux profanes.

    La conclusion d'une étude sur le personnel dirigeant du CNRS entre 1937 et 1966 réalisée par l'historien Christophe Charle, de l'Institut d'histoire moderne et contemporaine du CNRS), publiée par les "Cahiers pour l'histoire du CNRS" en 1989 est intéressante dans son contraste : « L'étude du personnel dirigeant du CNRS permet de voir la naissance progressive d'un nouveau type d'élite, issue de l'Université scientifique mais de plus en plus distincte d'elle, dans la mesure où l'accès aux responsabilités administratives se fait de plus en plus tôt. Les initiateurs de l'institution, dreyfusards et socialistes hostiles à l'État napoléonien seraient certainement surpris du résultat historique de leur entreprise : accumulation de niveaux écrans au sein de la hiérarchie universitaire, groupes de pression, etc. La république de la science dont ils rêvaient tend ainsi à nourrir des oligarchies qui se neutralisent ou à devenir un nouvel enjeu de pouvoir pour des élites extérieures. ».

    Hubert Curien est mort le 6 février 2005 à l'âge de 80 ans. Depuis cette date, il est honoré par de nombreux organismes ou lieux qui ont pris son nom, des collèges, des écoles, des rues, des laboratoires, etc. Sa mémoire reste vivante. Le site de l'Académie des sciences lui a rendu hommage en février 2005 par ces quelques phrases : « Les qualités unanimement reconnues de ce très grand serviteur de l'État, sa clarté, sa précision, alliées à son écoute et à sa bienveillance, ont fait de lui non seulement un professeur exceptionnel et un modèle pour tous ses étudiants, mais également un scientifique, un collaborateur, un homme aimé, estimé, respecté de tous. ».
     

     
     


    Une grande cérémonie a été organisée en son honneur le 14 mars 2005 à la Maison de la Chimie à Paris sous l'égide de l'Académie des sciences : scientifiques et politiques se sont succédé pour évoquer la personnalité attachantes d'Hubert Curien, en particulier Claude Allègre (membre de l'Académie des sciences et ancien Ministre de l'Éducation nationale), Claudie Haigneré (spationaute et Ministre déléguée aux Affaires européennes), Philippe Busquin (ancien Commissaire européen pour la Recherche), Laurent Fabius (ancien Premier Ministre), François Loos (Ministre délégué au Commerce extérieur), Christophe Desprez (ancien dircab d'Hubert Curien), Anne Lauvergeon (présidente d'Areva et surtout, ancienne Secrétaire Générale adjointe de l'Élysée), Édouard Brézin (président de l'Académie des sciences) et François d'Aubert (Ministre délégué à la Recherche). En tout, quinze personnalités se sont exprimées pendant cette après-midi d'hommages.

    Petits extraits d'hommage à Hubert Curien durant cette journée-là.

    Claude Allègre : « Je connaissais Hubert Curien depuis quarante-cinq ans. Il fut mon professeur de cristallographie à la faculté des sciences et je me souviens qu’il nous enseignait l’usage des rayons X et des neutrons pour déterminer les structures des cristaux. C’était un professeur lumineux. (…) Quelques années plus tard, alors que nous commencions à mettre en place le premier enseignement de géochimie à Paris, au niveau du troisième cycle, nous étions quatre jeunes scientifiques et nous n’avions pas encore terminé notre thèse d’État, Hubert Curien avec René Dars, Jacques Faucherre et Yves Rocard avec qui il gardait des liens d’amitié anciens, nous donna son patronage administratif pour créer un laboratoire dans une usine désaffectée (l’Université de Jussieu n’était pas construite) et un enseignement de 3e cycle dans lequel il enseigna la thermodynamique pour géologues. Je me souviens d’Hubert Curien participant à une excursion en Galice où il surprit tout le monde par ses connaissances géologiques et ses questions judicieuses, montrant qu’il appréciait les problèmes tectoniques pourtant bien éloignés de la minéralogie. Tout naturellement, il fut le rapporteur de ma thèse d’état car il y avait peu de monde qui s’intéressait de manière compétente alors à l’utilisation des isotopes en Sciences de la Terre. (…) Et puis, comme on le sait, il commença alors une carrière dans l’administration de la science qui allait être brillante. (…) Au risque de dévoiler quelques secrets, je crois que ce choix a résulté de deux circonstances. D’une part, il voyait l’émergence de la physique du solide que développaient en France ses amis Pierre Aigrain et Jacques Friedel vers laquelle il aurait voulu engager plus nettement le laboratoire de cristallographie et minéralogie de Paris, mais il sentait des résistances internes et non des moindres. D’autre part, Pierre Jacquinot, en réponse à une menace de dissolution du CNRS, avait créé des Directions scientifiques et réorganisé l’organisme. Il avait proposé la Direction de la physique à Hubert Curien. C’était une opportunité exaltante, reconstruire le CNRS, qu’il ne pouvait refuser dans une période de crise pour la recherche française. ».

    Claudie Haigneré : « Je ne peux manquer de vous dire quelques mots sur les circonstances qui m'ont amenée à rencontrer Hubert Curien à de très nombreuses reprises pour l'espace, l'Europe, la Russie, la recherche et je dirais plutôt la Science. Hubert Curien et l’espace, c’est d’abord l’histoire d’une rencontre passionnée. L’espace a probablement donné à Hubert Curien quelques-unes de ses plus grandes satisfactions professionnelles, ainsi que ses soucis les plus tenaces. Il n’était pas possible de le rencontrer, qu’il soit Ministre, Président de l’Académie des sciences, ou simple citoyen, sans que la conversation vienne sur le spatial et qu’il vous fasse part de ses soucis sur cette Ariane qui, décidément, aura pris beaucoup de place dans sa vie. (…) L'Europe, une autre grande affaire pour Hubert Curien. Vous comprendrez que j’y sois particulièrement sensible et que je commence par là. Avant d’être ministre, ses responsabilités de président du CNES l’avaient conduit à prendre la présidence du Conseil de l’Agence Spatiale Européenne. En tant que Ministre chargé de l’espace, il vécut deux Conseils ministériels de l’ESA : à Rome en 1985, et à Grenade en 1992. Nous savons tous, et Jean-Marie Luton le premier, qui en a été si proche et avec lequel il avait une relation privilégiée, que sa priorité absolue dans chacune de ces occasions consistait à préserver la dynamique européenne, à éviter que les divergences d’appréciations entre pays ne l’emportent sur la nécessité d’une œuvre commune, quand bien même cette œuvre commune ne répondrait que partiellement aux souhaits purement français, comme ce fut le cas avec les décisions si difficiles à prendre sur Hermès. Au sein de l’Europe, c’est bien sûr à la qualité du dialogue franco-allemand qu’il était le plus sensible, et il a, directement et personnellement, beaucoup œuvré pour que soient pris en compte les points de vue et contraintes réelles de l’Allemagne nouvellement réunifiée dans les décisions spatiales de l’Europe. Si l’ESA porte aujourd’hui encore l’ambition spatiale de l’Europe, elle le doit en particulier à Hubert Curien qui l’a aidée à traverser la période de grande difficulté qui a suivi la réunification allemande et qui coïncidait, d’une part avec de sérieuses contraintes budgétaires en Allemagne, et d’autre part avec une dangereuse accumulation de programmes spatiaux européens demandant des moyens quasi-impossibles à mobiliser. ».

    Philippe Busquin : « Dans un article paru il y a quelques années, intitulé "Hubert Curien et l'Europe des chercheurs", l'ancien directeur général de la Commission Européenne, Paolo Fasella disait que Hubert Curien a joué un rôle clef dans la plupart des initiatives de coopérations scientifiques européennes prises ces dernières années. Hubert Curien, lui-même, faisait remarquer dans un article paru dans "La Recherche" à l'époque, que "construire pour l'Europe des programmes de recherche et rassembler l'Europe des chercheurs sont deux démarches qui doivent aller de pair en parfaite harmonie". Et cela reste d'une brûlante actualité. Comment concilier la dimension humaine des chercheurs à l'échelle européenne, élargie d'ailleurs, et cette conception de travailler ensemble dans un avenir commun ? Hubert Curien a été de tous les rendez-vous. (…) Et des initiatives, il y en a eu dès les années 80. En fait, l'histoire de la recherche européenne date des années 80 avec les premiers programmes-cadres et Hubert Curien était déjà un des six fondateurs du programme "Esprit" qui a joué un rôle essentiel à l'époque pour redonner à l'Europe une dimension dans la société de l'information. Il était avec le commissaire Davignon, Ilya Prigogine et quatre autres personnes à la base du programme "Esprit", qui a d'ailleurs été continué par un programme qui s'appelait "Brain" et qui a permis de donner des avancées dans l'Europe dans ce domaine. Il a été comme on l'a dit fondateur de la Fondation Européenne de la Science, premier Président de cette fondation, qui a joué aussi un rôle très important dans la mise en commun des capacités des chercheurs européens. Mais il n'a jamais négligé non plus le rôle de l'industrie. Je pense qu'il faut rappeler qu'il y avait les programmes "Brite Euram" qui ont été des programmes dans les années 80 qui ont permis d'associer à l'échelle européenne l'industrie et les milieux de la recherche. Et de la même manière, vous le savez comme moi, il a été un peu aussi à la base du programme "Eureka" qui vise aussi à donner à l'Europe des structures industrielles plus novatrices, plus liées à une recherche et à une innovation. Mais il n'a jamais négligé le facteur humain et dans le même temps qu'il y avait ces programmes industriels, on lançait les premiers programmes dits "Capital humain, mobilité". Ces programmes ont été lancés dans les années 80 et aujourd'hui ils sont certainement une des réussites à l'échelle européenne, avec les bourses Marie Curie, qui permettent à des chercheurs de l'Europe d'aller dans d'autres laboratoires et constituer cette communauté de la recherche européenne. À coté du facteur humain, il était évidemment très sensible aux infrastructures indispensables à l'échelle européenne. Ayant été président du CERN, il a été aussi initiateur avec d'autres présents ici dans la salle, du Synchrotron de Grenoble, qui était une des grandes réalisations à l'échelle européenne. Dans le domaine de l'espace européen de la recherche, j'ai eu de nombreuses occasions d'en discuter avec lui, il insistait aussi sur cette nécessité d'organiser, à l'échelle européenne, la discussion sur les infrastructures d'avenir. À cet égard, des progrès sont réalisés, puisque maintenant nous avons un forum des infrastructures qui aide les ministres de la science dans le choix des prochaines infrastructures, entre autres les lasers à électrons libres qui seront redistribués un peu partout dans l'Europe. ».

    Laurent Fabius : « C’est en tant que chargé moi-même de la Recherche que j’avais appris à le connaître (…). Tout naturellement, je lui proposais de devenir ministre lorsque j’eus l’honneur ensuite d’être appelé par François Mitterrand à diriger le gouvernement. Ce choix me paraissait naturel, tant Hubert Curien symbolisait pour toute la communauté scientifique la réflexion et l’action dans le domaine de la science et tant il était apprécié des chercheurs. La recherche était tout simplement sa vie. Je me souviens d’une conversation avec lui et avec Jacques-Louis Lions, d’où une expression avait jailli, sans que je me rappelle exactement qui d’entre nous l’avait lancée : "l’horizon de la recherche, c’est l’horizon du forestier". Cette vision longue était chez lui une idée maîtresse, particulièrement précieuse lorsqu’on doit décider pour la collectivité. Éviter les à-coups, les fausses habilités de l’urgence, penser et agir à long terme : Hubert Curien, qui aimait tant ses forêts des Vosges, était, pour la recherche aussi, un forestier. Long terme et recherche fondamentale. Il savait par expérience et il professait, comme le Général De Gaulle et Pierre Mendès France qu’il admirait, qu’il n’y a pas de grand pays sans recherche puissante et pas de recherche puissante sans priorité à la recherche fondamentale, laquelle requiert évidemment des moyens et ne doit pas être subordonnée à l’aval. L’évaluation, devenue depuis une évidence, était une autre de ses idées pionnières. Il considérait qu’une sécurité matérielle des chercheurs, sans ostentation car tel n’était pas son genre, est nécessaire pour accomplir une bonne recherche, mais il soulignait que cette sécurité n’est pas contradictoire avec les évaluations nationales et internationales indispensables, ni avec les remises en cause qu’elles entraînent. (…) Il y a quelques mois, à l’issue d’une réunion au sein d’un groupe où nous aimions nous retrouver, déambulant nous plaisantions ensemble en pensant à ce temps où, ministre, il se voyait proposer régulièrement d’aller conquérir, en Île-de-France, en Isère ou dans ses Vosges natales, le suffrage universel. Chaque fois, il déclinait poliment, avec un bon sourire, ces sollicitations. Et il ajoutait : "ma circonscription, c’est mon laboratoire de l’Université Paris-6". ».
     

     
     


    Christophe Desprez : « Hubert Curien était un homme bon, qui incitait ses collaborateurs à la patience et à la modestie. Quand, après un exposé argumenté de notre part [ses conseillers au ministère], il concluait "Vous avez raison, avançons dans ce sens", nous savions que nous étions dans la bonne direction. Quand il fronçait l’un de ses sourcils broussailleux et nous disait "Vous croyez ?", nous comprenions que nous n’avions pas convaincu ; alors, il consultait ; il recevait énormément de chercheurs, de patrons de laboratoires ou d’organismes ; il écoutait, et peu à peu se forgeait une opinion ; c’était sa façon de travailler, à l’écoute en permanence de la science en marche. Il était toujours au contact de la science, en visite en France ou à l’étranger. Il était passionné par la science, par toutes les sciences, et par les hommes et les femmes qui la font. (…) Je me souviens d’une sortie d’un conseil des ministres, où Jack Lang et Hubert Curien venaient de faire une communication sur la culture scientifique et technique. Les journalistes se précipitent sur le tapis rouge disposé au début de la cour de l’Élysée pour les prendre en photos. Et là, Hubert Curien se recule, pour que le Ministre de la Culture, ou était-ce déjà de l’Éducation ? , apparaisse mieux sur les photos. Comme je m’en étonnais à la lecture de la presse du lendemain, puisque c’était Hubert Curien qui était le principal artisan de cette communication, je m’entendis répondre "Mais Christophe, cela n’a aucune importance, et, en plus, cela fait tellement plaisir à Jack"… ».

    Anne Lauvergeon : « Il est vrai qu'au moment du bouclage des budgets, quand on est à l'Élysée, on reçoit un certain nombre de coups de fil de ministres pas contents de leur sort. En général, le mode est toujours le même : "j'e n'ai pas assez" ; bien sûr, personne ne téléphone pour dire qu'il a trop de budget. C’est souvent sur un ton ou agressif ou du moins montrant qu'il y a un grave problème. Hubert Curien quand il m'appelait, s'excusait d'abord de m'appeler. Ensuite il me disait, il me l'a dit à plusieurs reprises, "qu'il était très très ennuyé… qu'il y avait un petit problème… que certainement il y avait une mauvaise compréhension… que les objectifs qui avaient été fixés n'étaient pas complètement remplis par l'aboutissement des discussions budgétaires. Mais, ce n'était pas la faute du Ministère du Budget, ce n'était pas la faute du Ministre du Budget, non, non… Ils avaient vraiment fait des efforts, ils avaient fait beaucoup de choses… mais …. est-ce qu'on ne pourrait pas néanmoins….", et à ce moment là, effectivement, on rentrait dans le problème qui se posait. Jamais aucune espèce d'acrimonie, aucune espèce de volonté de pouvoir, de volonté de revanche, de volonté de puissance. Uniquement faire aboutir, et faire aboutir non pas pour soi, pour son ministère, mais pour les gens, les chercheurs qui allaient effectivement pouvoir profiter de tout cela. Et je dois dire que cette espèce de calme, toujours, cette espèce de réserve en même temps, de souci de ne pas déranger, mais en même temps d'agir… ce mélange des deux était absolument, incroyablement efficace. Je dois dire que c'était également quelqu'un qui inspirait confiance à des gens très différents.(...) À la Renaissance, on aurait dit que c'était un humaniste. Je crois que Hubert Curien était assurément un humaniste. Curieux de tout et curieux de tous. Il était à l'écoute, il voulait comprendre, comprendre ce qu'étaient les gens. Cette volonté de compréhension qui est assez fréquente chez les scientifiques et qui s'applique souvent à la matière, il la portait aussi aux hommes. Je crois que tout au long de sa vie, il s'y est employé avec toujours le respect immense qu'il manifestait pour les autres, pour ne pas être trop pesant, pour ne pas surtout donner le sentiment qu'il cherchait à entrer dans un domaine ou un territoire que l'autre ne lui aurait pas laissé franchir. ».

    François d'Aubert : « Fils d’un receveur municipal et d’une institutrice, il fut admis au prestigieux lycée Saint-Louis en classes préparatoires, puis il fut reçu aux concours de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, qu’il intégra, et de l’École polytechnique. Exemplaire, Hubert Curien le fut aussi par ses qualités humaines. Son statut de scientifique éminent, et bientôt de grand commis de l’État, ne retrancha jamais rien à sa simplicité, qu’il attribuait à ses origines de montagnard vosgien, ni à son humour et son franc parler. Il déclarait ainsi avec lucidité et clairvoyance à propos de la recherche fondamentale : "la recherche fondamentale, c’est un peu comme Christophe Colomb découvrant l’Amérique ; quand il est parti, il ne savait pas où il allait ; quand il arrivait, il ne savait pas où il était et cependant il a découvert l’Amérique… Il n’est pas possible de dire à quelqu’un qui se consacre à la recherche fondamentale : n’allez pas par là, c’est ridicule, vous ne trouverez rien". (…) Pleinement conscient du lien si nécessaire entre la recherche et l’innovation, il fonda également le RDT, Réseau de développement technologique, destiné à diffuser la technologie vers des PME peu familiarisées avec le processus d’innovation, préfigurant ainsi les RRIT. C’est sur cette même voie que nous nous employons aujourd’hui à relancer la Recherche, à travers le redressement de l’effort financier national, le soutien à la recherche fondamentale et le renforcement de ses applications. ».

    Et le Ministre délégué de la Recherche de l'époque de terminer sur cette petite citation qu'Hubert Curien aimait répéter : « Je voudrais revenir sur Terre, un instant, dans mille ans, juste le temps de voir ce que trente générations de savants auront su découvrir, et entendre ce que les hommes de science seront alors en humeur de dire. ». Ok Professeur Curien, rendez-vous en l'an 3005 !


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (26 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Hubert Curien.
    Alain Bombard.
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    L'intelligence artificielle récompensée par les Nobel 2024 de Physique et de Chimie.
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    2e rentrée scolaire contre les papillomavirus humains.
    Variole du singe (mpox) : "ils" nous refont le coup ?
    Covid : attention au flirt !
    Papillomavirus humains, cancers et prévention.
    Publications sur le papillomavirus, le cancer du col de l'utérus et l'effet de la vaccination anti-HPV (à télécharger).
    Émission "Le Téléphone Sonne" sur la vaccination contre les papillomavirus, sur France Inter le 3 mars 2023 (à télécharger).
    Le cancer sans tabou.
    Qu'est-ce qu'un AVC ?
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    Science et beauté : des aurores boréales en France !
    Le Tunnel sous la Manche.
    Peter Higgs.
    Georges Charpak.
    Gustave Eiffel.
    Prix Nobel de Chimie 2023 : la boîte quantique ...et encore la France !
    Katalin Kariko et Drew Weissman Prix Nobel de Médecine 2023 : le vaccin à ARN messager récompensé !
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    Prix Nobel de Physique 2023 : les lasers ultrarapides, la physique attoseconde... et la France récompensée !
    John Wheeler.
    La Science, la Recherche et le Doute.
    L'espoir nouveau de guérir du sida...
    Louis Pasteur.
    Howard Carter.
    Alain Aspect.
    Svante Pääbo.
    Frank Drake.
    Roland Omnès.
    Marie Curie.







    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241030-hubert-curien.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/technologies/article/hubert-curien-le-pere-de-l-europe-256862

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/25/article-sr-20241030-hubert-curien.html




     

  • Danielle Mitterrand l'Insoumise en Utopie

    « La femme du Président de la République n’a pas de rôle. Elle a celui qu’elle veut bien se donner. » (Danielle Mitterrand).


     

     
     


    L'ancienne Première Dame Danielle Mitterrand est née il y a 100 ans, le 29 octobre 1924, à Verdun. Cette fonction, qui peut malheureusement réduire la vie de cette femme, n'est pas officielle mais occupe une place bien particulière dans l'esprit des Français, sans doute un relent résiduel de monarchie avec l'existence de la reine (on voit d'ailleurs à quel point Brigitte Macron a des détracteurs qui pourraient la comparer à la malheureuse Marie-Antoinette). Elle-même n'aimait pas du tout l'expression Première Dame et préférait simplement épouse du Président de la République.

    Malgré des détracteurs, il y en a toujours, les Français sont souvent attachés aux Premières Dames et ce n'est pas un hasard si elles reçoivent de très nombreux courriers (ce qui justifie le budget de secrétariat mis à leur disposition à l'Élysée). J'avais assisté à Nancy à une séance de dédicaces d'un de ses livres dans les années 1990, et j'avais découvert la grande ferveur que les gens avaient pour cette reine Danielle (sur une terre politiquement pas vraiment favorable à ses idées).

    Parmi ses autres... collègues (?), de femmes de Président de la République (je n'ose écrire : vivement une Présidente de la République ! car politiquement, ce qui se fait sur le marché, en ce moment et probablement jusqu'en 2027, ne me conviendrait pas du tout !), Danielle Mitterrand s'est démarquée de deux manières, une dont elle n'y pouvait rien, elle a été la Première Dame à la plus grande longévité, du 21 mai 1981 au 17 mai 1995 (pendant les deux septennats de son mari), et l'autre qui est le résultat de sa propre volonté et détermination, et sans doute contre la volonté de son mari, elle a été la seule Première Dame militante politique, voire activiste, parallèlement à l'exercice du pouvoir de son mari. À leur mariage,
    François Mitterrand ne voulait pas qu'elle fût sa secrétaire, ni jamais sa collaboratrice. Il préférait qu'elle s'occupât des enfants, ce qu'elle allait faire. Mais pas seulement !

    Et malgré son militantisme de gauche très à gauche, au point de mettre en difficulté la diplomatie française (quand, par exemple, elle cultivait des liens d'amitié avec
    Fidel Castro alors que son époux à l'Élysée fricotait avec Ronald Reagan), j'ai une grande tendresse pour Danielle Mitterrand, car elle synthétisait bien les paradigmes sociaux d'une femme de son temps : être à la fois indépendante et soumise, être à la fois dépendante et insoumise.

    Indépendante parce qu'elle a pu agir comme elle le voulait, militer pour les causes qui lui paraissaient justes, et c'est sûrement sur ce thème de l'injustice qu'elle a trouvé la motivation pour agir et militer. Mais aussi soumise parce qu'elle était une femme de son temps, que le divorce était un traumatisme social, et plus encore politique (ce qui a participé à démotiver les électeurs gaullistes conservateurs à voter pour
    Jacques Chaban-Delmas), et parce qu'elle ne voulait pas empêcher François Mitterrand d'accéder à l'Élysée, et du moins, elle ne voulais pas enrayer la dynamique d'espoir qu'il a suscitée à gauche pendant toutes les années 1970, au moment même où la relation extraconjugale de son mari devenait patente avec la naissance de Mazarine le 18 décembre 1974 (qu'il a reconnue le 25 janvier 1984 et dont l'existence a été rendue publique le 10 novembre 1994 par la publication acceptée mais non voulue de photos par "Paris Match").

    Elle était la femme restée stoïquement auprès de son mari, acceptant le rôle qu'il lui avait donné pendant les années d'opposition mais aussi de pouvoir, malgré cette relation et les relations extraconjugales notoires de son mari (à ce titre, François Mitterrand, comme
    Valéry Giscard d'Estaing et Jacques Chirac, a fait partie des grands fauves sexuels de la vie politique, il y aurait beaucoup à en dire, au contraire de De Gaulle, Georges Pompidou et Emmanuel Macron). Elle a même eu la grandeur d'âme d'accepter la présence de la seconde famille pourtant un peu concurrente aux obsèques de François Mitterrand à Jarnac.
     

     
     


    Rappelons que François Mitterrand avait l'habitude de dire à ses amis, notamment Roland Dumas, que dans la vie, un homme devait avoir plusieurs femmes : une femme pour l'apparat, une femme pour être la mère de ses enfants, une femme pour la passion sexuelle, une femme pour se cultiver, etc. Le concept pouvait se décliner à l'infini et justifier intellectuellement, et sans doute a posteriori, son infidélité maladive. Danielle Mitterrand, dans ce cadre étroit, avait le plus mauvais rôle mais l'a accepté pour ne pas défavoriser politiquement et électoralement son mari.

    En ce sens, malgré cette soumission d'apparence, elle était moderne. En écrivant ces lignes, je repense à
    ma grand-mère, née au milieu de la Première Guerre mondiale (et donc un peu plus âgée que Danielle Mitterrand ; en fait à quelques semaines près, ma grand-mère avait le même âge que François Mitterrand et elle n'en était pas peu fière !). Mes grands-parents faisaient semblant mais c'était connu qu'ils ne s'aimaient plus vraiment. Mais que faire quand la femme, avec ses quatre enfants, n'avait pas de travail ? Elle était bien obligée de rester dans le foyer avec l'argent (chichement) donné par le mari. Cela ne l'a pas empêchée, dans les années 1960 (à un âge déjà avancé pour l'occasion), de passer le permis de conduire et même d'acheter une voiture à l'insu complet de mon grand-père, grâce à la complicité de ses fistons et gendres. C'est cette dichotomie femme soumise/femme indépendante qui a caractérisé beaucoup de femmes de cette génération et qu'a illustrée avec beaucoup de grandeur d'âme (je le répète) Danielle Mitterrand.

    Et elle était là, la modernité de Danielle Mitterrand, celle de vouloir agir pour des causes qui lui étaient chères. Elle n'épousait certainement pas les causes que j'aurais soutenues, mais je l'ai beaucoup admirée pour cette détermination à vouloir agir pour celles-ci, malgré toutes les barrières qui se dressaient contre elle, et en particulier le
    Quai d'Orsay.

    Ce que j'indiquais plus haut, c'est que son moteur, sa motivation était les injustices. Et c'est dès l'âge de 6 ans qu'elle a senti sur sa famille cette injustice. Sa famille allait là où son père était affecté comme principal de collège, d'où sa naissance à Verdun (sa mère aussi était enseignante). À Dinan, la famille avait été mal reçue à cause de leur défense de la laïcité et de la gauche en général, si bien qu'il y a eu un accueil très négatif entre 1930 et 1936, du dénigrement contre la petite fille de 6 ans par sa maîtresse alors qu'elle était brillante élève, jusqu'à un incendie dans le bâtiment où vivait la famille. Elle avait 12 ans quand la famille est partie à Villefranche-sur-Saône, au nord de Lyon, soulagée de quitter cette Bretagne bien impénétrable.

    Dès le début de l'Occupation, en 1940, le père de Danielle (André Gouze) a refusé les directives du régime de
    Pétain, ce qui l'a conduit à être révoqué. La famille s'est installée à Cluny et Danielle, à 16 ans, terminait sa Seconde à Mâcon : «  J'avais 16 ans. J'ai dû sortir de l'insouciance et mesurer ma capacité de révolte devant l'injustice, celle que subissaient ces enfants, celle que subissait mon père. ». La maison de Cluny est devenue un haut lieu de refuge pour les résistants. Dans son livre autobiographique ("Le Livre de ma mémoire", sorti en 2007), elle racontait : « Très vite la maison Gouze fut un refuge pour les réseaux clandestins. Jusqu’au jour où un monsieur accompagné d’une jolie dame se présenta au portail de la cour et demande à rencontrer les hôtes de ces lieux. C’est ainsi que "Madame et Monsieur Moulin" furent les locataires de l’un des appartements aménagés dans la Maison Grise, ancienne dépendance de ROMADA (Roger, Madeleine, Danielle), notre maison d’habitation. Sous leur fausse identité, Henri Fresnay et Bertie Albrecht sont entrés dans ma vie, avec le mouvement combat. » (cité par Wikipédia).

    Engagée donc dans la Résistance en aidant sa famille avec des petits actes (notamment en prévenant les uns et les autres de l'arrivée des nazis, etc.), Danielle Mitterrand a eu la plus grande frayeur de sa vie le 28 mai 1943 quand la gestapo a débarqué chez eux et qu'heureusement, elle en est ressortie sans avoir rien trouvé. Mais elle avait appris que le jour même, Bertie Albrecht, devenue son amie, avait été arrêtée à Mâcon par la gestapo qui avait retrouvé une enveloppe avec l'adresse de la maison de Cluny où la résistante avait été hébergée la nuit précédente. Bertie Albrecht est morte le 31 mai 1943 à la prison de Fresnes après avoir été torturée par Klaus Barbie à Mâcon. Pour Danielle Mitterrand, c'était l'horreur : « Lorsque j’essaie de me remémorer le cheminement de mes pensées à cet instant, l’alternative se présentait sans échappatoire possible : c’était le peloton d’exécution, là dans notre cour, l’arrestation et les camps …ou la vie. » (2007).

    Le 14 février 1944, autre coup dur : Danielle et sa sœur (aînée) Christine (future femme de
    Roger Hanin) ont quitté la veille au soir un bal, mais plus tard dans la nuit, la gestapo a arrêté de nombreux jeunes qui furent déportés dans les camps. La question de Danielle Gouze était alors : pourquoi eux, pourquoi pas moi ? (la question que se posaient tous les rescapés des camps). C'est en avril 1944 à Paris qu'elle a fait la connaissance de François Mitterrand par sa sœur qui était sa "boîte aux lettres" de son mouvement des anciens prisonniers résistants.
     

     
     


    Dans "Le Livre de ma mémoire", Danielle Mitterrand a livré sa version du premier rendez-vous avec l'ambitieux jeune homme politique : « Une soirée au restaurant Beulemans, boulevard Saint-Germain (…). Il joue de son charme comme il sait bien le faire auprès des femmes. Mais je n’étais pas encore une femme… À vrai dire, cela n’a pas vraiment bien marché ; son registre de séduction n’a pas opéré. Je n’étais pas préparée à ces jeux-là. Il a bien compris que mon adolescente simplicité dans les relations entre les êtres s’accordait mal aux exercices de son charme caustique.
    Alors qu’en penses-tu, Danielle ? me dit Christine (…)
    Je ne sais pas…
    Ce n’est pas le coup de foudre ?
    C’est un homme…
    Bien sûr, c’est un homme !
    Je ne suis pas sûre de peser lourd dans ses préoccupations. Pourtant, il ne m’est pas indifférent… Mais je ne vois pas où je me situe dans le rôle que vous semblez me voir jouer. ».

    Un peu plus tard, selon les consignes de dirigeants de la Résistance, François et Danielle ont voyagé ensemble par le train de Paris à Cluny sous la couverture d'un couple (sa présence servait d'alibi). Ce n'était pas usurpé puisque les deux jeunes s'étaient fiancés (Danielle s'était engagée à 19 ans dans le maquis de Bourgogne comme agente de liaison) et qu'ils se sont mariés le 28 octobre 1944 à Paris, après la
    Libération de Paris. Les témoins du mariage étaient prestigieux : Henri Fresnay, Jean Munier, Patrice Pelat, et la sœur, Christine.

    La légende voudrait que quelques mois auparavant, François Mitterrand, voyant la photo de Danielle que lui tendait Christine Gouze, lui ait dit : "Je l'épouserai !". Cette histoire a été notamment retranscrite par le journaliste politique Robert Schneider (qui a travaillé pour "L'Express", France Inter et "Le Nouvel Observateur") dans sa biographie documentée sur l'ancien Président, "Les Mitterrand", publiée le 7 avril 2011 (chez Tempus Perrin) : « Dans sa lettre du 24 juin 1944, écrite de Bourgogne où il se cache, François Mitterrand confie à Marie-Claire Sarrazin "être en compagnie d'une jolie fille dont les yeux de chat admirables restent fixés sur un au-delà dont j'ignore les bornes et les accidents"... Exceptionnellement, le propos n'est pas assorti de ses habituelles considérations sur le vide, l'inculture, la sottise des jeunes filles qu'il est amené à fréquenter. François, le beau ténébreux, le romantique, encore marqué par son échec avec Marie-Louise, agacé par les réticences d'une cousine à la fois séduite et méfiante, serait-il amoureux ? À son retour de Londres, il a fait la connaissance d'une jeune femme, Madeleine Gouze, dont la beauté l'attire [Madeleine se faisait appeler Christine, c'était la sœur aînée de Danielle]. Mais elle est déjà l'amie de son ami Patrice Pelat. Au domicile parisien de Madeleine, François aperçoit sur le piano la photographie de la jeune fille aux yeux de chat.

    Qui est-ce ? demande-t-il.
    Ma sœur.
    Elle est ravissante, je l'épouse.
    Madeleine écrit à sa sœur : "J'ai un fiancé pour toi...". Pendant les vacances de Pâques qui, en 1944, tombent en avril, Danielle monte à Paris. Elle n'a pas 20 ans. Elle fait beaucoup plus jeune lorsqu'elle débarque gare de Lyon, vêtue d'une jupe plissée et de chaussettes blanches. Madeleine la force à mettre des bas pour être plus présentable ! La rencontre a lieu chez Beulemans, un restaurant du boulevard Saint-Germain. Les deux sœurs arrivent les premières. Madeleine dit à Danielle : "Si c'est le coup de foudre, tu me fais un petit signe d'approbation ; s'il ne te plaît pas, une moue". »
    .

     

     
     


    Militante, Danielle Mitterrand a ainsi fondé le 4 mars 1986 sa propre fondation (comme toutes les Premières Dames depuis De Gaulle, et même avant, car la première à créer sa fondation fut Élise Thiers, l'épouse d'Adolphe Thiers), appelée Fondation France Libertés, baptisée maintenant Fondation Danielle-Mitterrand (depuis son décès), dont le but est : « défendre les droits humains et les biens communs du vivant. Elle contribue à la construction d'un monde plus solidaire. ». En fait de création, c'est la réunion de trois associations militantes qu'elle avait déjà créées un peu plus tôt. En 1992, elle a écrit : « J’ai imaginé la Fondation avant tout comme un lieu de rencontres, croisement de messages et de langages, aire de confrontation des cultures, plate-forme d’échanges, carrefour d’expression sous toutes ses formes, tremplin pour un XXIe siècle de compréhension et de reconnaissance de l’autre ». Reconnue d'utilité publique, elle a obtenu en 1991 le statut d'organisation consultative auprès des Nations Unies, et selon sa fondatrice en 2011 : « France Libertés est essentiellement un maillon actif d’un réseau mondial qui aspire à organiser l’alternative à la mondialisation du commerce et de la finance pour une société qui donne toutes ses chances à la vie. ». Sur le site de la fondation, il est d'ailleurs précisé que son statut de Première Dame « n’a pas éteint la flamme d’insoumission qui brûlait dans son cœur et qui la poussait à prêter l’oreille aux violences du monde ! ». Parmi ses généreux soutiens financiers, on comptait Pierre Bergé, l'artiste Philippe Starck et la styliste Agnès Troublé.

    Comme elle avait ses idées et ne se sentait pas gênée pour les exprimer malgré la proximité d'un Président de la République, Danielle Mitterrand a fait de nombreuses déclarations parfois polémiques et a rencontré de très nombreuses personnalités françaises et internationales pour son activité de présidente de France Libertés.

    Parmi les prises de position qui ont scandalisé une partie du pays, il y a celle du 20 octobre 1989 où elle voulait dédramatiser (à tort) l'affaire du voile islamique au collège de Creil : « Si aujourd'hui deux cents ans après la Révolution, la laïcité ne pouvait accueillir toutes les religions, toutes les expressions en France, c'est qu'il y aurait un recul. Si le voile est l'expression d'une religion, nous devons accepter les traditions quelles qu'elles soient. ». On a vu à quel point cette polémique emblématique, qui a été initiée le 18 septembre 1989 par trois adolescentes en mal d'identité, a pourri le débat public et la gestion de l'enseignement scolaire pendant une quinzaine d'années et il a fallu la
    loi n°2004-228 du 15 mars 2004 sur les signes religieux dans les écoles publiques pour régler enfin ce problème.

    Danielle Mitterrand a aussi beaucoup milité contre les lois sur l'immigration présentées par
    Charles Pasqua sous les deux premières cohabitations, en particulier en 1993, elle a fait des actions médiatiques pour venir soutenir des sans-papiers ni expulsables ni régularisables (des parents étrangers d'enfants français), au point que Pierre Mazeaud, avec d'autres collègues députés agacés, a publié une tribune au titre évocateur : « Qui veut faire taire Danielle ? ».
     

     
     


    Mais elle se moquait de microcosme parisien. Dans "Le Printemps des insoumis" sorti en 1998 (chez Ramsay), Danielle Mitterrand concevait ainsi le racisme : « Le racisme, à l'évidence, concerne moins l'origine des êtres que l'épaisseur de leur portefeuille. Mais il a une fonction bien commode : tandis que les pauvres, étrangers ou non, s'entre-déchirent dans leur misère, ils ne se posent pas de question sur la logique qui les broie. La xénophobie, cette gangrène, nourrie par des démagogues en quête de pouvoir, gagne les esprits jusqu'au sein de l'État. ».

    On lui a souvent reproché son amitié pour Fidel Castro qu'elle appréciait beaucoup et avait embrassé (notamment le 13 mars 1995 à Paris), elle refusait d'admettre qu'il était un dictateur. Elle a aussi pris position en faveur du front Polisario pour l'indépendance du Sahara occidental (au grand dam du roi du Maroc Hassan II, ami de François Mitterrand), soutenait
    Bernard Kouchner en 1992, et son dernier combat était pour l'accès à l'eau dans le monde, au point d'en faire la raison de son vote non au référendum du 29 mai 2005. Elle s'en est expliquée dans le "Journal du dimanche" en mars 2005 : « Si nous ne réagissons pas, cette Constitution libérale donnera définitivement le statut de marchandise à l’eau (…). Nous avons la responsabilité de nous élever contre une telle conception. ».

    Parmi les très nombreuses rencontres de Danielle Mitterrand, citons le
    dalaï-lama, le sous-commandant Marcos, Abou Diouf, Nelson Mandela, Thabo Mbeki, Massoud Barzani, Rigoberta Menchu, Mumia Abu-Jamal, Leonard Peltier, etc. Dans leur détermination à avoir un État indépendant, elle a soutenu les Tibétains, les Sahraouis, les Kurdes, les Palestiniens (mais aussi les Israéliens), etc. En plus du droit des peuples à s'autodéterminer, Danielle Mitterrand tenait aussi à l'abolition de la peine de mort et elle faisait évidemment campagne pour cela aux États-Unis. Dans une préface d'une biographie sur elle publiée en 2012, l'historien Jean Lacouture a synthétisé ainsi : « Toujours en avance de deux pas sur notre temps. ». Elle-même disait : « Je savais que mon chemin me conduirait inéluctablement à dénoncer les atteintes à l’intégrité de la vie et à la dignité. ». En quelque sorte, comme militante internationale, Danielle Mitterrand tenait le même rôle que, pendant longtemps, Jimmy Carter, qui ont tous les deux le même âge.

    Je propose deux vidéos ci-dessous, la première très hagiographique dont l'intérêt est de connaître plus précisément ses activités de militante, la seconde plus intéressante qui est une interview de près d'une heure accordée à la chaîne catholique KTO le 12 avril 2008.

    Danielle Mitterrand a survécu plus d'une quinzaine d'années à son époux de Président, partant sur la pointe des pieds
    le matin du 22 novembre 2011 à l'hôpital Georges-Pompidou de Paris, à l'âge de 87 ans. Cette nouvelle a ému beaucoup de personnalités étrangères avec qui elle avait tissé des liens profonds. Elle n'a pas rejoint François Mitterrand à Jarnac mais sa sœur Christine au cimetière de Cluny.

    Le 27 octobre 2011 à son domicile parisien (rue de Bièvre), Danielle Mitterrand avait accordé sa dernière interview aux journalistes Corine Chabaud et Élisabeth Marshall pour l'hebdomadaire catholique "La Vie" (l'entretien a été publié dans son intégralité le 24 novembre 2011, donc après sa mort). Fatiguée mais sereine, elle y donnait en guise de testament politique cette réflexion personnelle : « La vie est la valeur la plus importante. Le XXe siècle a apporté beaucoup de progrès en matière de technologies. Mais elles doivent être au service de la vie. J’attends que l’on sorte de la croissance, qui amplifie la pauvreté et les inégalités. Je milite pour une société nouvelle. L’argent rend fou. Il n’est pourtant qu’un outil. Il faut que les valeurs marchandes ne comptent que ce pour quoi elles doivent compter. Il faut que la peur recule. Aujourd’hui, on a peur de perdre sa maison, son travail, sa santé, d’aller dans la rue, de rencontrer son voisin. On a peur de vivre. À tort. Il faut bâtir un monde solidaire. ». L'Insoumise en Utopie ! Utopie un jour, Utopie toujours.



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    Sylvain Rakotoarison (26 octobre 2024)
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    Pour aller plus loin :
    François Mitterrand.
    Roger Hanin.
    Mort d'une Première Dame.
    Danielle Mitterrand.
    Jacques Chirac.
    Bernadette Chirac.
    Brigitte Macron.
    Anne-Aymone Giscard d'Estaing.
    Carla Bruni.
    Ségolène Royal.
    Valérie Trierweiler.
    "Merci pour le moment".
    Julie Gayet.










    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241029-danielle-mitterrand.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/danielle-mitterrand-l-insoumise-en-256922

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/25/article-sr-20241029-danielle-mitterrand.html



     

  • Alain Bombard : l'aventure, c'est l'aventure !

    « Naufragés des légendes, victimes raides et hâtives, je sais que vous n'êtes pas morts de la mer, que vous n'êtes pas morts de la faim, que vous n'êtes pas morts de la soif, car, ballottés sous le cri des mouettes, vous êtes morts d'épouvante. Ainsi ce fut bientôt pour moi une certitude : beaucoup de naufragés meurent bien avant que les conditions physiques ou physiologiques ne soient devenues, par elles-mêmes, mortelles. Comment combattre le désespoir, meurtrier plus efficace et plus rapide que n'importe quel facteur physique ? » (Alain Bombard, 1953).


     

     
     


    Le médecin et biologiste français Alain Bombard est né il y a 100 ans, le 27 octobre 1924, à Paris. Il est difficile de présenter Alain Bombard qui a aussi goûté à la vie politique avec l'arrivée au pouvoir de la gauche, parce qu'il fait partie des héros des temps modernes, de ces explorateurs de la mer qui ont apporté quelque chose au monde, notamment sur la capacité de survivre en pleine mer. Son intuition de départ, c'est que c'est d'abord l'esprit qui flanche quand le naufrage s'effondre. Avant le corps. Et il a tenté de le prouver.


    On pourrait dire comme La Palice qu'avant d'être vieux et de ressembler, avec sa barbichette, aux savants comme les représentaient Hergé dans Tintin voire Franquin dans Spirou ou Morris dans Lucky Luke, un look très représentatif avant même de voir ses cheveux blanchir, il était jeune. Et c'est bien le jeune, très jeune, avant les 30 ans, qui a fait l'exploit qui a marqué son époque et son destin.

    Et d'abord, un contexte, ses années d'études au lycée Henri-IV et à l'École alsacienne, puis à Saint-Brieuc. Pendant ses vacances en Bretagne, il a découvert sa passion de la voile, sur une plage fréquentée depuis des décennies par de grandes familles de scientifiques, Jean Perrin,
    Marie Curie, et il a connu Frédéric Joliot-Curie qui a été son moniteur de voile. Pour terminer ses études de médecine, il s'est installé à Boulogne-sur-Mer.

    Dans un livre autobiographique, il a raconté un événement déclencheur qui n'a pas été exactement ce qu'il a raconté, à savoir qu'au printemps 1951, il a dû s'occuper des corps de 43 marins morts dans le naufrage de leur chalutier. En fait, le naufrage aurait fait plutôt une dizaine de morts, mais qu'importe, les statistiques étaient monstrueuses : il y a 200 000 morts en mer chaque année, dont 50 000 dans des bateaux de sauvetage. Son objectif, c'était de trouver des moyens de survivre à un naufrage en pleine mer : résistance à la soif, à la faim, à la fatigue, à l'hypothermie, etc.. et surtout, au moral et à la dépression.


    Alain Bombard a traversé la Manche à la nage, ce qui relevait déjà d'un exploit sportif exceptionnel : il fallait beaucoup de préparation, s'enduire le corps de graisse pour résister au froid de la mer, etc. Cet événement a notamment permis à la romancière Marie Vareille d'écrire son excellent roman "Désenchantées" sorti en 2022 (éd. Charleston). À l'époque, cet exploit a été déterminant pour Alain Bombard qui a pu ainsi trouver des sponsors et financer son propre laboratoire intégré à l'Institut océanographique de Monaco. Il voulait montrer qu'on pouvait éviter la déshydratation en buvant de l'eau de mer et de l'eau de pluie, ainsi que se prémunir de la faim en mangeant des planctons.

    Petit rappel : les naufragés qui n'ont pas d'eau potable refusent généralement de boire l'eau de mer car elle est beaucoup trop salée ce qui flingue les reins et accélère la déshydratation du corps. Alain Bombard voulait montrer qu'en prenant une quantité raisonnable d'eau de mer (un demi-litre par jour), on pouvait survivre à un absence d'eau potable, mais cette ration était insuffisante et on devait quand même trouver de l'eau ailleurs, en pressant les poissons pêchés (sauf la raie) ou en récupérant l'eau de pluie (cet aspect essentiel de survie reste encore en débat, notamment sur l'eau présente dans les poissons).
     

     
     


    Après quelques traversées seul ou accompagné, Alain Bombard a effectué en solitaire la traversée de l'Atlantique. Son périple est allé de Tanger le 13 août 1952 à La Barbade le 23 décembre 1952 (avec une étape à Las Palmas le 19 octobre 1952), à bord de L'Hérétique, son petit Zodiac, se laissant dériver volontairement sans nourriture ni eau (avec seulement une voile, deux avirons, quelques instruments de navigation, un couteau et quelques livres) pendant cent treize jours pour montrer qu'on pouvait en survivre, mais il a bien cru qu'il allait en mourir. Il a perdu vingt-cinq kilogrammes et a été hospitalisé à son arrivée (il a fêté son 28e anniversaire seul en pleine mer). Il a survécu grâce au croisement avec un cargo qui lui a permis de prendre un repas et de corriger son orientation. Il a survécu aussi en pêchant des poissons, en attrapant des oiseaux, qu'il mangeait crûs faute de pouvoir les cuire, etc. Il relevait quotidiennement sa tension artérielle (les faibles tensions étant une alerte des moments de désespoir).
     

     
     


    Cette traversée a montré par l'exemple qu'on pouvait survivre en pleine mer sans rien avec de soi. Sa thèse, c'était que les naufragés mouraient plus de désespoir que de faim et de soif, ou, plus exactement, qu'ils mouraient d'abord de désespoir avant de mourir de faim et de soif. Il a raconté sa terrible traversée dans "Naufragé volontaire" sorti en 1953 (Éditions de Paris), premier des onze essais ou récits qu'il allait publier jusqu'à la fin de sa vie. Cela a inspiré, entre autres, le film "All Is Lost" de J. C. Chandor (sorti le 18 octobre 2013) avec pour seul acteur Robert Redford au dialogue très léger (inexistant : il est naufragé tout seul). Considéré comme un chef-d'œuvre, j'ai quand même trouvé ce film un peu ennuyeux !

    En tout cas, la notoriété d'Alain Bombard était faite, et il l'utilisa tant pour la construction d'équipements de navigation que pour des combats pour l'environnement et la protection de la mer, en particulier en 1963 contre le déversement des boues rouges dans la Méditerranée par une usine de Péchiney à Gardanne. Il a donc été parmi les premiers lanceurs d'alerte écologique à une époque où on ne s'en préoccupait pas vraiment.


    Alain Bombard a participé à la conception de radeaux de sauvetage dont la présence sur les embarcations était devenue obligatoire par la réglementation à partir des années 1950. Notamment, on l'appelle désormais par son nom, un Bombard, un radeau de sauvetage pneumatique à gonflage rapide conçu en 1972. Il a milité pour le caoutchouc au détriment du bois dont étaient constituées traditionnellement les chaloupes de sauvetage. Les travaux d'Alain Bombard ont toutefois provoqué un tragique drame accidentel le 3 octobre 1958 dans la baie d'Étel où le navigateur a profité d'une alerte météorologique de forte tempête pour justement tester son canot de sauvetage. Très rapidement, les sept occupants du canot ont été éjectés dans la mer, et le bateau chargé de les secourir a lui-même eu un accident et a chaviré, ce qui a fini par un bilan très lourd, neuf morts, dont quatre occupants du canots et cinq marins sauveteurs.

    L'enquête a mis hors de cause Alain Bombard dans la responsabilité de cet accident mais il en est toutefois ressorti un amer goût de faute. Cela l'a entraîné dans une dépression dans les années 1960 dont il est sorti grâce à sa rencontre avec l'entrepreneur Paul Ricard, fondateur du célèbre pastis et maire d'une commune du Var dans les années 1970, Signes, près du circuit de Castellet qu'il a contribué à financer et qui a pris son nom, et mécène d'Alain Bombard, Alain Colas et Éric Tabarly.

    Remis en état de travailler avec ce nouveau laboratoire financé par Paul Ricard, Alain Bombard a adhéré au PS dans sa lancée, en 1974, s'est fait élire conseiller général de Six-Fours-les-Plages (dans le Var) de 1979 à 1985 (pour un mandat de six ans), et, présent sur la liste du PS aux élections européennes de 1979, 1984 et 1989, il a été député européen de septembre 1981 à juillet 1994. Entre-temps, François Mitterrand l'a nommé Secrétaire d'État auprès du Ministre de l'Environnement dans le premier gouvernement de Pierre Mauroy du 22 mai 1981 au 23 juin 1981, mas il n'a pas été reconduit après les élections législatives de juin 1981 en raison de ses déclarations souhaitant l'interdiction de la chasse à courre. Il a donc fait partie de ces ministres météores, à l'instar de Jean-Jacques Servan-Schreiber en 1974 et de Léon Schwartzenberg en 1988, qui n'ont pas beaucoup duré pour la raison que fondamentalement, leur personnalité n'était pas compatible avec les responsabilités politiques qui imposent nécessairement d'avaler quelques couleuvres (Nicolas Hulot, c'est différent car il a avalé quelques couleuvres avant de démissionner).
     

     
     


    La vie d'Alain Bombard est très riche et déconcertante car son esprit a toujours été hors des sentiers battus. Médecin, il a pris la mer pour passion : « Nous devons quitter la Méditerranée pour rentrer dans quelque chose de beaucoup plus grand, qui me semble démesuré. L'Atlantique, cet océan qui a englouti un continent pour lui prendre son nom, que serait-ce pour lui de submerger notre frêle esquif ! » (1953).

    Dans "Au-delà de l'horizon" sorti en 1978 aux Presses de la Cité, le célèbre naufragé volontaire a expliqué en particulier ceci : « On me pose souvent la question : comment avez-vous fait pour traverser l'Atlantique, sur un bateau qui faisait quatre mètres cinquante de long ? C'est relativement simple. Sur un grand océan, deux vagues sont séparées par deux cents mètres, il y a deux cents mètres de longueur d'onde ; avec un petit bateau de quatre mètres cinquante, on épouse sans difficulté les différents reliefs de la mer. Tandis qu'un navire de cent mètres de long aura l'avant dans le creux, le cul sur le sommet de la vague, et c'est ce qui provoque roulis et tangage qui mettent à mal les gros bateaux. D'où l'idée orgueilleuse des hommes née au XVIe et XVIIe siècles : "construisons des navires incoulables, des navires qui ne feront jamais naufrage". Tous, sauf un, seront vaincus par ma mer... ».

    Alain Bombard était également passionné par la musique au point d'envisager de devenir compositeur ou chef d'orchestre : « J’ai un grand besoin de ressentir la filiation des œuvres les unes avec les autres. Pour moi, il n’y a pas de rupture entre cette petite phrase pensive dans L’Estro Armonico de Vivaldi, et cette grande pensée triste de Beethoven dans son quatuor à cordes n°10. Il y a une continuité… » avait-il confié sur France Musique en 1980. Il était l'ami d'Igor Stravinsky, de Fernandel, de physiciens, de vendeurs d'alcool, de François Mitterrand, etc., bref, de personnalités de domaines et d'univers très différents. Volontiers cabotin, il était conteur ; il adorait depuis toujours raconter de belles histoires, au risque de les embellir. En somme, Bombard et Bobard, il n'y a qu'un m qui sépare ces mots, celui d'aimer l'aventure, les aventures.

    Homme de médias depuis les années 1950, Alain Bombard a participé à de nombreuses émissions de radio et de télévision, en particulier l'émission "Radioscopie" produite par Jacques Chancel le 5 mai 1980 sur France Inter. Alain Bombard est mort à Toulon il y a un peu moins de vingt ans, le 19 juillet 2005 à l'âge de 80 ans, inscrit depuis longtemps dans tous les livres d'histoire comme une légende de la navigation en mer.


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    Sylvain Rakotoarison (26 octobre 2024)
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    Pour aller plus loin :
    Alain Bombard.
    Jeux paralympiques de Paris 2024 : sport, spectacle et handicap.
    Le génie olympique français !
    Festivité !
    Ouverture des Jeux olympiques : Paris tenu !
    Amélie Oudéa-Castéra se baigne dans la Seine : Paris tenu !
    Fête de l'Europe, joies et fiertés françaises.
    Adèle Milloz.
    Éric Tabarly.

    Coupe de France de football 2023 : victoire de Toulouse ...et d'Emmanuel Macron !
    France-Argentine : l'important, c'est de participer !
    France-Maroc : mince, on a gagné !?
    Qatar 2022 : vive la France, vive le football (et le reste, tant pis) !
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    Vincent Lindon contre la coupe au Qatar.
    Neil Armstrong.
    John Glenn.
    Michael Collins.
    Thomas Pesquet.
    Youri Gagarine.
    Le burkini dans les piscines.
    Les seins nus dans les piscines.
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    Novak Djokovic.
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    Bernard Tapie.
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    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/sports/article/alain-bombard-l-aventure-c-est-l-256736

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  • Hillary Clinton, une Affaire de femmes ?

    « Quelque chose se passe en Amérique ! Vous pouvez le sentir, quelque chose pour lequel nous avons travaillé et dont nous rêvons depuis longtemps ! » (Hillary Clinton, le 19 août 2024 à Chicago).


     

     
     


    Le vote des femmes sera déterminant. Le thème de l'avortement est très présent dans la campagne électorale. Mais dans quel sens ? Laissons Claude Chabrol aux salles obscures et traversons l'Atlantique... Les élections présidentielles du 5 novembre 2024 aux États-Unis sont particulièrement incertaines. Après un départ en fanfare, la candidature de Kamala Harris s'est essoufflée et son adversaire Donald Trump a repris un léger avantage dans les sondages, malgré son échec au premier et unique débat télévisé entre les deux candidats qui a eu lieu le 10 septembre 2024.

    Je souhaite revenir au début de la Convention nationale des démocrates à Chicago. La première soirée, celle du 19 août 2024, le Président Joe Biden y a fait un grand discours, peut-être même un discours d'adieu, remercié par les nombreux participants démocrates qui l'ont ovationné. Mais une autre personnalité importante du parti démocrate a pris la parole dans la même soirée, l'ancienne candidate Hillary Clinton, celle-là même qui a été battue par Donald Trump en novembre 2016. Après tout, ils sont rares les moments où l'ancienne première dame s'exprime publiquement et ouvertement, et elle l'a fait deux jours avant son mari Bill Clinton.

    Ce samedi 26 octobre 2024, Hillary Clinton fête son "seulement" 77e anniversaire (elle est née à Chicago). Un an et demi de moins que Donald Trump ou Bill Clinton. Elle a été la première dame des États-Unis du 20 janvier 1993 au 20 janvier 2001, puis sénatrice élue en 2000 puis en 2006, et après son échec aux primaires démocrates de 2008, elle a été nommée Secrétaire d'État (équivalent de Ministre des Affaires étrangères et premier des ministres) par Barack Obama du 21 janvier 2009 au 1er février 2013 (précédant un autre candidat battu des présidentielles, John Kerry).

    Non seulement Hillary Clinton compte dans la vie politique américaine, mais elle a sans doute l'impression que la bataille de Kamala Harris est une sorte de revanche sur 2016, tandis que le combat de Donald Trump se veut être une revanche sur 2020. Il y a eu un goût d'inachevé dans la candidature d'Hillary Clinton dont la trajectoire présidentielle a été très laborieuse malgré l'étiquette de favorite collée à la peau pendant longtemps : elle a échoué lamentablement aux primaires contre Barack Obama puis à l'élection contre Donald Trump. A-t-elle un conseil à donner à Kamala Harris ? Sans doute d'être combative et d'être aussi péremptoire que son rival. Dans un combat de boxe, il faut savoir encaisser des coups, mais il faut aussi en donner. Kamala Harris a en 2024 environ dix ans de moins qu'Hillary Clinton en 2016 : ça compte, à ce stade. L'âge devient un argument de vente important, d'autant plus qu'ont été observées quelques "absences" du candidat républicain.

     

     
     


    L'ancienne Secrétaire d'État est arrivée à la tribune de la Convention démocrate avec des tonnerres d'applaudissements, à tel point qu'elle ne pouvait pas commencer à parler ! L'occasion, pour elle, de faire un bain de jouvence. Elle a réussi à obtenir le silence après un : « Wow ! Il y a beaucoup d'énergie dans cette salle, tout comme il y en a à travers le pays ! » (c'était pareil à la Convention républicaine, il y a toujours beaucoup de participation et d'enthousiasme, dans les conventions d'investiture). Ces ovations étaient pour elle surtout un hommage d'avoir ouvert la voie à une candidature féminine de première importance.

    Dans un premier temps, exercice obligé de tous les orateurs de cette convention, Hillary Clinton a rendu hommage à Joe Biden, mais très mollement : « Il a été le champion de la démocratie au pays et à l'étranger. Il a ramené la dignité, la décence et la confiance à la Maison-Blanche. Il a montré ce que voulait dire être un vrai patriote. Merci Joe Biden pour votre service et votre leadership ! ».

    Ensuite, elle est passée sur le mode féministe en rappelant sa mère Dorothy : « Dorothy est née ici même à Chicago, avant que les femmes n'aient le droit de vote (…) il y a 104 ans hier. (…) Le Tennessee est devenu le dernier État à ratifier le dix-neuvième amendement de la Constitution. La législature de l'État était dans l'impasse jusqu'à ce que la mère d'un législateur, une veuve qui lisait trois journaux par an, envoie une lettre à son fils : "Ne tarde plus, nous écrit-elle, donne-nous le droit de vote", et depuis ce jour, chaque génération a porté le flambeau. ». Effectivement, Dorothy Emma Rodham est née le 4 juin 1919 et le dix-neuvième amendement généralisant le droit de vote des femmes à l'ensemble des États-Unis a été intégré dans la Constitution américaine le 18 août 1920 (en France, il a fallu
    attendre le 21 avril 1944 !).

    Et d'évoquer les premières femmes candidates à la Présidence des États-Unis : « En 1972, une Noire intrépide, Shirley Chisholm, membre du Congrès, elle s'est présentée à la Présidence, et sa détermination m'a permis, ainsi qu'à des millions de femmes, de rêver en plus grand, non seulement à cause de ce qu'elle était, mais pour qui elle s'est battue : pour les parents qui travaillaient, pour les enfants pauvres (…). En 1984, j'ai amené ma fille voir Geraldine Ferraro, la première femme nommée candidate à la Vice-Présidence. ».
    Geraldine Ferraro a été la première femme candidate à la Vice-Présidence en binôme avec Walter Mondale, face au Président sortant Ronald Reagan.

    Hillary Clinton a poursuivi : « Si nous avons pu le faire [être candidate à la Vice-Présidence], John Kerry a dit alors que nous pouvions tout faire. Et puis, il y a eu 2016 où ce fut l'honneur de ma vie d'avoir accepté la nomination de notre parti comme candidate à la Présidence. Et près de 66 millions d'Américains ont voté pour un avenir où il n'y a pas de limite à nos rêves ! Et après, nous avons refusé d'abandonner l'Amérique. Des millions ont défilé, beaucoup se sont présentées aux élections, nous avons gardé les yeux rivés sur l'avenir. Eh bien, mes amis, l'avenir est ici ! J'aimerais que ma mère et la mère de Kamala puissent nous voir. Elles nous diraient : "Continuez !". Shirley et Jerry nous diraient : "Continuez, les femmes !". » (la mère d'Hillary est morte le 1er novembre 2011 et celle de Kamala Harris, la cancérologue Shyamala Gopalan, est morte le 11 février 2009 ; Shirley Chisholm est morte le 1er janvier 2005 et Geraldine Ferraro le 26 mars 2011).


    Le discours d'Hillary Clinton était donc résolument féministe et son "nous" se rapportait souvent aux femmes : « Les femmes qui se sont battues pour les soins de la santé reproductive disent : "Continuez !". Les familles qui cherchent à construir une vie meilleure, les parents qui s'efforcent d'avoir une garde d'enfants, les jeunes qui ont du mal à payer leur loyer, ils nous demandent tous de continuer ! La foi des uns dans les autres, la joie dans nos cœurs, envoyons Kamala Harris et Tim Walz à la Maison-Blanche ! ».
     

     
     


    Est venue la raison du vote pour Kamala Harris : « Vous connaissez l'histoire de ma vie et l'histoire de notre pays, c'est que le progrès est possible mais n'est pas garanti. Nous devons nous battre pour cela, et ne jamais abandonner. Il y a toujours le choix : avancer ou reculer. Nous rassembler en tant que peuple ou nous diviser. (…) C'est le choix auquel nous sommes confrontés dans cette élection. Kamala a le caractère, l'expérience et la vision pour nous faire avancer. Je connais son cœur et son intégrité. Nous avons toutes les deux fait nos débuts comme de jeunes avocates qui ont aidé des enfants maltraités et négligés. Ce genre de travail change une personne (…). Kamala porte avec elle les espoirs de chaque enfant qu'elle a protégé, de chaque famille qu'elle a aidée, de chaque communauté qu'elle a servie. Ainsi, Présidente, elle nous soutiendra toujours et elle sera une combattante pour nous, elle se battra pour que les employeurs ouvrent grandes les portes à des emplois bien rémunérés aux familles qui travaillent dur et, oui, elle rétablira le droit à l'avortement dans tout le pays. En tant que procureure, Kamala a enfermé des meurtriers et des trafiquants de drogue. Elle ne sera jamais au repos pour défendre notre liberté et notre sécurité. (…) Je peux vous dire qu'en tant que commandante en chef, Kamala ne manquera pas de respect à nos militaires et à nos anciens combattants. Elle vénère nos récipiendaires de la Médaille d'honneur. Elle n'enverra pas de lettres d'amour aux dictateurs. Elle défendra la démocratie et notre Constitution et protégera l'Amérique des ennemis étrangers et intérieurs. ».

    Une allusion au rival Trump qui en a pris pour son grade : « Donald Trump s'est endormi lors de son propre procès et quand il s'est réveillé, il a inscrit son propre cas dans l'histoire, le premier à se présenter à la Présidence avec trente-quatre condamnations pour crimes ! (…) Pensez-y, la Constitution dit que le devoir du Président est de veiller à ce que les lois soient fidèlement appliquées, ce sont les paroles de nos fondateurs. Faites attention, regardez simplement les candidats. Qui se soucie des enfants et des familles ? Qui se soucie de l'Amérique ? Donald ne se soucie que de lui-même ! Lors de son premier jour dans un tribunal, Kamala a dit cinq mots qui ont toujours guidé sa vie : Kamala Harris pour les gens ! C'est quelque chose que Donald Trump ne comprendra jamais. (…) Nous devons travailler plus dur que jamais. Nous devons repousser les dangers que Trump et ses alliés représentent pour l'État de droit et notre mode de vie. Ne vous laissez pas distraire ou n'en parlez pas avec complaisance à vos amis et voisins. (…) Soyez fiers de défendre la vérité et le pays que nous aimons tous ! ».

    Ce fameux plafond de verre d'une femme à la Maison-Blanche obsède tant l'ancienne candidate démocrate : « Peu importe ce que disent les sondages. Nous ne pouvons pas abandonner. Nous ne pouvons pas nous laisser entraîner sur le terrains des conspirateurs délirants. Nous devons nous battre pour la vérité. Nous devons nous battre pour Kamala car elle se battra pour nous ! Parce que vous savez ce qu'il faut encore au village pour élever une famille, guérir un pays et gagner une campagne ! (…) Nous ne nous contentons pas d'élire un Président, nous élevons notre nation, nous ouvrons l'espoir de l'Amérique assez largement pour que tout le monde soit ensemble, nous avons fait beaucoup de fissures dans le plafond de verre le plus dur. Et ce soir, si près de le percer, une fois pour toutes, je veux vous dire ce que je vois à travers toutes ces fissures et pourquoi c'est important pour chacun d'entre nous. Que vois-je ? Je vois la liberté, je vois la liberté de prendre nos propres décisions concernant notre santé, nos vies, nos amours, nos familles, la liberté de travailler dans la dignité et de prospérer, de pratiquer notre religion comme nous choisissons ou pas d'exprimer librement et honnêtement nos pensées. Je vois l'absence de peur, d'intimidation, de violence, d'injustice, de chaos et de corruption. Je vois la liberté de regarder nos enfants dans les yeux et de leur dire : vous pouvez aller aussi loin que votre travail acharné et votre talent vous mèneront. ».
     

     
     


    Elle a terminé en bouquet final : « Vous savez ce qu'il y a de l'autre côté du plafond de verre ? Il y a Kamala Harris qui lève sa main et prête serment en tant que 47e Présidente des États-Unis. Parce que, mes amis, quand une barrière tombe pour l'une d'entre nous, elle tombe, elle tombe et ouvre la voie pour nous toutes ! (…) Je veux que mes petits-enfants et leurs petits-enfants sachent que j'étais ici, à ce moment, que nous étions ici et que nous étions avec Kamala Harris à chaque étape de ce processus. Notre époque, l'Amérique, c'est le moment où nous nous levons, c'est le moment où nous percevons le futur ! ».

    Ce qu'on peut dire, c'est que, malgré l'âge, Hillary Clinton a encore du dynamisme à revendre et qu'elle est une oratrice exceptionnelle. Mais ce qu'on peut aussi regretter, c'est le cas pour tous les leaders politiques et c'est très étrange pour un observateur français, c'est la vacuité absolue des discours politiques aux États-Unis ! Il n'y a que des idées très générales, très vagues, qui peuvent se dire en tout temps, et il n'y a jamais rien de concret, rien dans la réalité d'un programme politique, rien dans la vision de la politique économique ou de la politique étrangère. Seulement de la gueule. Et je le dis bien sûr pour tous les leaders, et un discours de Donald Trump serait encore pire dans la vacuité et le niveau intellectuel qui pourrait se comparer à celui d'une classe d'école primaire.

    Quand on prend un discours de campagne en France, quel que soit le parti du candidat, l'auditeur en a pour son argent, il aura par la suite mille sujets de conversation, d'énervement, d'accords et de désaccords, mais pas ce vide dans les campagnes américaines qui se résume finalement à la seule question électoralement utile : qui a la plus grosse ? (...gueule, bien sûr !). Très étrange pays que sont les États-Unis !


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (25 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Hillary Clinton.
    Liz Cheney.
    Où en est la campagne présidentielle de Kamala Harris ?
    Jimmy Carter.
    Lauren Bacall.
    Maurice Jarre.
    Bill Clinton.
    Vera Miles.
    Les Yes-She-Can de Barack Obama !
    Kamala Harris sera-t-elle la première femme Présidente des États-Unis ?
    USA 2024 : Joe Biden se retire et soutient Kamala Harris !
    Donald Trump victime d'une tentative d'assassinat.
    Les 80 ans du Débarquement en Normandie.
    Ronald Reagan.
    Triste Trump (hic) !
    Paul Auster.
    Standard & Poor's.
    Moody's et Fitch.
    Les 75 ans de l'OTAN.
    Lee Marvin.
    Les 20 ans de Facebook.
    Bernard Madoff.
    La crise financière mondiale de 2008.

    La boîte quantique.
    Maria Callas.
    Henry Kissinger.
    Alexander Haig.
    Katalin Kariko et Drew Weissman.
    Rosalynn Carter.
    Walter Mondale.
    Marathonman.
    Bob Kennedy.






    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240819-hillary-clinton.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/hillary-clinton-une-affaire-de-256417

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/08/26/article-sr-20240819-hillary-clinton.html


     

  • Qui Liz Cheney soutient-elle ?

    « Dans ce pays, en vertu de notre Constitution, notre Président a l'obligation particulière et solennelle d'assurer et de garantir la transition pacifique du pouvoir. Depuis le début de la République, tous les Présidents de notre histoire ont rempli ce devoir. Tous les Présidents jusqu'à Donald Trump. » (Liz Cheney, le 3 octobre 2024 à Ripon).


     

     
     


    L'élection du futur Président des États-Unis le 5 novembre 2024 est une élection décidément exceptionnelle. Elle l'est déjà par l'extrême incertitude qui pèse sur l'identité du futur vainqueur, les deux candidats Donald Trump et Kamala Harris ayant une différence d'intentions de vote dans les sondages extrêmement faible. Elle l'est aussi parce que, pour la seconde fois, après 2016, une femme est en capacité très sérieuse de gravir la dernière marche de la Maison-Blanche, Kamala Harris avait gravi déjà l'avant-dernière marche en étant la première femme Vice-Présidente des États-Unis. Elle l'est encore par le niveau très bas des arguments, par l'âge d'un des protagonistes (à plus de 78 ans, Donald Trump est devenu le grand candidat le plus âgé de l'histoire américaine), par la remise en cause des institutions, par les tentatives d'assassinat, par la situation internationale très grave dont les tensions sont au plus fort depuis la fin de la guerre (guerre en Ukraine, tensions à Taïwan, tensions entre les deux Corée, conflits au Proche-Orient, etc.).

    Mais elle l'est enfin surtout parce que les États-Unis sont complètement divisés, le peuple est profondément clivé entre des gens en perte d'identité qui veulent retrouver la fierté d'être Américains, et surtout le rêve américain, et des gens raisonnables, bien établis, qui veulent faire avancer leur pays en oubliant les laissés-pour-compte. Ainsi, les clivages politiques ont complètement éclaté une nation en proie à une nouvelle sécession, bien plus grave qu'à la fin du XIXe siècle.

    D'un côté, un milliardaire narcissique qui, par populisme effréné, se prétend le défenseur des plus pauvres, et globalement, il y réussit (contre toute évidence), soutenu même par de jeunes Noirs américains qui voient par l'élection de Donald Trump le moyen de prendre l'ascenseur social. Amusante séquence de voir Donald Trump apprendre à cuire les frites dans un fast-food à la marque bien connue, l'image sera populaire car il fait le travail ordinaire d'un précaire, mais elle est bien plus profonde que cela, c'est aussi l'image de la promotion de la malbouffe, et, finalement, de la défense de ceux qui mangent sans beaucoup de moyens face aux menus équilibrés, diététiques, avec de la nourriture bio, etc. mais coûteuse (la malbouffe a encore tué un mangeur de hamburgers chez MacDonald's le 22 octobre 2024 dans le Colorado en raison d'une intoxication à la bactérie escherichia coli qui a infecté quarante-neuf personnes dont dix hospitalisées dans dix États de l'Ouest des États-Unis).

    De l'autre côté, des responsables politiques parfois de premier plan très engagés au sein du parti républicain ont refusé de soutenir Donald Trump, surtout depuis
    l'invasion du Capitole le 6 janvier 2021 qui a provoqué cinq morts, et soutiennent désormais la candidate démocrate Kamala Harris. C'est le principe du double patriotisme : le patriotisme du pays l'emporte sur le patriotisme du parti, plus patriote que partisan. Les démocrates ont cette expression qu'ils mettent à toutes les sauces en ce moment avec raison : "PutCountry Over Party".

    L'ancienne députée
    Liz Cheney fait partie de ces responsables républicains qui n'ont pas accepté la très grande légèreté qu'a adoptée Donald Trump avec la démocratie américaine. Il faut bien comprendre que si les Américains sont très croyants (il n'y a pas un discours politique qui ne termine par une évocation de Dieu, ce qui peut étonner en France !), leur Constitution est également chérie comme une Bible, la plus ancienne Constitution écrite au monde, d'ailleurs, ce qui signifie aussi la plus vieillotte par rapport à la société d'aujourd'hui (en particulier sur la possibilité, observée plusieurs fois et encore en 2016 et en 2000, que le Président élu n'est pas le candidat qui a reçu le plus de suffrages populaires), et la démocratie américaine n'est pas une vaine expression, la preuve, c'est par ce messianisme que les plus va-t-en-guerre ont envahi l'Irak afin de faire progresser la démocratie, ce qui était à la fois stupide, peu pertinent, prétentieux, et surtout meurtrier.
     

     
     


    Qui est Liz Cheney ? Elle était, sous la Présidence Trump, l'une des responsables les plus importantes du parti républicain, la numéro trois des représentants républicains (équivalent de députés). Elle a été élue trois fois membre de la Chambre des représentants des États-Unis, élue dans le Wyoming, de 2016 à 2022 (le mandat est de deux ans). À 58 ans, avocate, Liz Cheney a toujours été membre du parti républicain. Son premier vote, à l'âge de 18 ans (en 1984), l'a été pour faire réélire Ronald Reagan à la Maison-Blanche. En 2002, elle travaillait au gouvernement pour assurer la sécurité et promouvoir les intérêts économiques des États-Unis au Moyen-Orient. En 2012, elle est devenue aussi une éditorialiste politique de la chaîne de télévision Fox News (l'équivalent américain de la chaîne française CNews, si l'on peut l'écrire).

    À l'instar de son père,
    Dick Cheney, Vice-Président des États-Unis de 2001 à 2009 et Ministre de la Défense de 1989 à 1993, Liz Cheney est ce qu'on peut appeler un faucon (c'est-à-dire une néoconservatrice), à savoir une républicaine favorable à l'intervention militaire des États-Unis partout où ce serait nécessaire pour assurer la paix et la démocratie et pour confirmer la puissance américaine, politique mais aussi militaire et économique. Elle a même fondé une organisation pour attaquer en justice les avocats des personnes détenues illégalement au camp de Guantanamo pour manquement à leur patriotisme. Comme beaucoup d'Américains, elle est aussi très attachée à la démocratie américaine.
     

     
     


    C'est la raison pour laquelle elle a franchi le pas en 2013. Elle s'est présentée à la primaire des sénatoriales dans le Wyoming (un État très conservateur), contre le sénateur républicain sortant Mike Enzi. Soutenue par de nombreux sénateurs républicains, elle s'est fait aussi connaître par une opposition familiale puisqu'elle s'est déclarée opposée au mariage homosexuel alors que sa propre petite sœur Mary est mariée à une femme. Mais pour des raisons familiales (la santé de ses enfants), elle a finalement renoncé à concourir en janvier 2014.

    Ce n'était que partie remise puisqu'elle s'est présentée, cette fois-ci à la Chambre des représentants, en 2016 dans le district at-large du Wyoming (dont son père a été l'élu de 1978 à 1989). Très soutenue financièrement et politiquement (notamment par
    George W. Bush et son père George H.W. Bush), elle a remporté la primaire sur ses concurrents républicains, puis l'élection (62%). Elle a été réélue deux autres fois en 2018 (64%) et 2020 (69%). En 2019, alors que la Chambre des représentants est repassée à majorité démocrate, Liz Cheney a été élue "présidente de la conférence républicaine" à la Chambre des représentants ["chair of the United States House of Representatives Republican Conference"], l'équivalent de numéro trois parmi les représentants républicains, c'est dire si son importance politique s'est accrue. Après le retrait de Mike Enzi, elle aurait pu choisir d'intégrer le Sénat aux élections de 2020, mais finalement, elle a préféré rester à la Chambre des représentants.
     

     
     


    En 2016, en même temps que sa campagne pour se faire élire représentante, Liz Cheney a soutenu la candidature de Donald Trump contre Hillary Clinton et par fidélité au parti républicain et malgré un désaccord majeur sur la politique étrangère : Donald Trump est isolationniste alors qu'elle est interventionniste.

    Elle s'est radicalement démarquée du trumpisme le 13 janvier 2021 quand elle a pris position, à l'instar de neuf autres représentants républicains, en faveur de la mise en accusation de Donald Trump dans la procédure d'impeachment. Le futur ancien Président a été accusé d'incitation à l'insurrection lors de l'invasion du Capitole de 6 janvier 2021, un événement qui l'a profondément marquée, tant pour l'atteinte à la démocratie que pour l'image déplorable que les États-Unis ont montrée d'eux à la Terre entière. C'était, pour elle, impardonnable de la part d'un Président des États-Unis d'avoir encouragé une telle insurrection.

    Elle a expliqué sa position très ferme la veille, le 12 janvier 2021 : « Le 6 janvier 2021, une foule violente a attaqué le Capitole des États-Unis pour entraver le processus de notre démocratie et arrêter le décompte des votes des élections présidentielles. Cette insurrection a causé des blessures, des morts et des destructions dans l'espace le plus sacré de notre République. Le Président des États-Unis a convoqué cette foule, a rassemblé la foule et a allumé la flamme de cette attaque. Tout ce qui a suivi était de son fait. Rien de tout cela ne serait arrivé sans le Président. Le Président aurait pu intervenir immédiatement et avec force pour faire cesser la violence. Il ne l'a pas fait. Il n'y a jamais eu de plus grande trahison par un président des États-Unis de sa fonction et de son serment à la Constitution. Je voterai pour mettre le président en accusation. » (citée par
    Wikipédia). Au même titre que la Constitution est considérée comme une Bible par la plupart des Américains, le Capitole est considéré comme le sanctuaire de la démocratie américaine, l'équivalent du Vatican pour l'Église catholique.

    Le courage politique de Liz Cheney, celui de s'être opposé à Donald Trump qui attise l'antiparlementarisme et le rejet institutions américaines (pour la grande majorité d'entre eux, les Américains sont très légalistes et très légitimistes, par patriotisme), ce courage lui a coûté d'abord son poste dans la hiérarchie du parti républicain puis son siège à la Chambre des représentants en 2022, puisque Donald Trump l'a fait battre par une candidate trumpiste (l'avocate Harriet Hageman) à la primaire du 16 août 2022 pour les élections législatives (Liz Cheney a été très largement battue avec 35 points de retard).

    Précisons toutefois que le 4 février 2021, elle avait reçu d'abord la confirmation de ses responsabilités au sein du groupe politique par 145 représentants républicains contre 60, mais elle a été finalement limogée le 12 mai 2021 et a très activement participé à la commission d'enquête sur l'invasion du Capitole (elle en était la vice-présidente et elle a publié un livre de documentation sur le sujet sous le titre "Oath and Honor" [Serment et Honneur]). Précisons aussi que pendant sa bataille pour la primaire des représentants en été 2022, Liz Cheney a fait appel aux électeurs démocrates pour la soutenir et a voté comme les démocrates à la Chambre des représentants pour le contrôle des armes à feu et pour la protection du mariage homosexuel.

    La position actuelle de Liz Cheney n'était donc pas une surprise. Enfin, si, un peu quand même. Son antitrumpisme était connu, mais son adhésion enthousiaste à la candidature de Kamala Harris était une surprise. À la campagne présidentielle précédente, elle n'avait pas hésité à attaquer durement la future Vice-Présidente, comme le montre ce tweet du 12 août 2020 : « Kamala Harris is a radical liberal who would raise taxes, take away guns & health insurance, and explode the size and power of the federal gov’t. She wants to recreate America in the image of what’s happening on the streets of Portland & Seattle. We won’t give her the chance. » [Kamala Harris est une gauchiste radicale qui voudrait augmenter les impôts, supprimer les armes et l'assurance maladie, et faire exploser les compétences et le pouvoir du gouvernement fédéral. Elle veut recréer l'Amérique à l'image de ce qui se passe dans les rues de Portland et de Seattle. Nous ne lui en donnerons pas l'occasion].
     

     
     


    C'est pourquoi les auditeurs de l'Université Duke ont été étonnés par l'annonce officielle du soutien de Liz Cheney à Kamala Harris. En effet, invitée à s'exprimer au cours d'une conférence à l'occasion du centenaire de cette université, le 4 septembre 2024 à Durham, en Caroline du Nord, Liz Cheney a fait son coming out : « As a conservative, as someone who believes in and cares about the Constitution, and because of the danger Donald Trump poses, I will be voting for Kamala Harris. » [Elle a dit précisément : En tant que conservatrice, en tant que personne qui croit en la Constitution et qui s’en soucie, j’ai profondément réfléchi à cela. En raison du danger que représente Donald Trump, non seulement je ne voterai pas pour lui, mais je voterai pour Kamala Harris].
     

     
     


    La Caroline du nord est un État important et crucial dans la course présidentielle. C'était un bon "coup politique". Son père Dick soutient également la candidate démocrate, ainsi que James MacCain, le fils de l'ancien candidat républicain John MacCain (ancien sénateur de l'Arizona, un autre État clef), les anciens représentants républicains Adam Kinzinger et Denver Riggleman et de plus de deux cents anciens du gouvernement de George W. Bush et d'anciens salariés des campagnes présidentielles républicaines de John MacCain et Mitt Romney.

    Le vote républicain dans les États pivots est essentiel dans la campagne de Kamala Harris avec ce thème central, la défense de la Constitution, en particulier en Pennsylvanie où plus de 150 000 électeurs républicains avaient voté pour Nikki Haley aux primaires républicaines malgré l'abandon de la candidate. Le comité d'action Haley Voters for Harris, dont la cible est les électeurs républicains de centre droit, a estimé que le nombre d'électeurs républicains ayant voté pour Nikki Haley pendant les primaires républicaines du printemps 2024 avant et après l'abandon de cette candidate serait suffisant pour faire basculer les États pivots comme l'Arizona, la Caroline du Nord et la Géorgie.
     

     
     


    Liz Cheney a participé à son premier meeting commun avec Kamala Harris le 3 octobre 2024 à Ripon, dans le Wiscosin, dans le Wiscosin, où elle a déclaré : « Je vous le dis, je n'ai jamais voté pour un démocrate. Mais cette année, je suis fière de voter pour la Vice-Présidente Kamala Harris ! ». Depuis cette date (3 octobre 2024), Liz Cheney participe très activement à la campagne de Kamala Harris, en particulier en intervenant aux côtés de la candidate démocrate à deux talk-shows le 21 octobre 2024, l'un à Chester, en Pennsylvanie, et l'autre, le même jour, à Birmingham, dans le Michigan.

    Certains évoquent déjà la possibilité qu'elle puisse être désignée Ministre des Affaires étrangères (Secrétaire d'État) ou Ministre de la Défense (Secrétaire à la Défense) en cas d'élection de Kamala Harris. Mais c'est beaucoup trop tôt pour l'envisager. L'élection du 5 septembre 2024 est encore loin d'être acquise. Mais si les femmes américaines se mobilisent, alors Kamala Harris aura sa chance car le
    droit à l'avortement est un thème majeur de cette campagne électorale.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (23 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Dick Cheney.
    Liz Cheney.
    Où en est la campagne présidentielle de Kamala Harris ?
    Jimmy Carter.
    Lauren Bacall.
    Maurice Jarre.
    Bill Clinton.
    Vera Miles.
    Les Yes-She-Can de Barack Obama !
    Kamala Harris sera-t-elle la première femme Présidente des États-Unis ?
    USA 2024 : Joe Biden se retire et soutient Kamala Harris !
    Donald Trump victime d'une tentative d'assassinat.
    Les 80 ans du Débarquement en Normandie.
    Ronald Reagan.
    Triste Trump (hic) !
    Paul Auster.
    Standard & Poor's.
    Moody's et Fitch.
    Les 75 ans de l'OTAN.
    Lee Marvin.
    Les 20 ans de Facebook.
    Bernard Madoff.
    La crise financière mondiale de 2008.

    La boîte quantique.
    Maria Callas.
    Henry Kissinger.
    Alexander Haig.
    Katalin Kariko et Drew Weissman.
    Rosalynn Carter.
    Walter Mondale.
    Marathonman.
    Bob Kennedy.
















    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241021-liz-cheney.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/qui-liz-cheney-soutient-elle-257066

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/23/article-sr-20241021-liz-cheney.html



     

  • Où en est la campagne présidentielle de Kamala Harris ?

    « Kamala Harris est prête à faire le boulot ! » (Barack Obama, le 10 octobre 2024 à Pittsburgh).



     

     
     


    L'année 2024 sera-t-elle celle de Kamala Harris ? À deux semaines et demi du scrutin, le 5 novembre 2024, les sondages donnent une totale incertitude et gare aux pronostiqueurs ! Ce dimanche 20 octobre 2024, Kamala Harris fête son 60e anniversaire. Elle n'est plus toute jeune, donc, pas quadragénaire comme John Kennedy, Bill Clinton ou Barack Obama à leur élection à la Maison-Blanche, mais loin aussi d'être une vieillarde, proche d'être octogénaire comme son redoutable rival Donald Trump. La soixantaine, c'est l'expérience avec encore le dynamisme.

    Kamala Harris porte cette double ambiguïté dans sa propre candidature. D'abord, certains électeurs démocrates regrettent qu'elle n'ait pas été désignée selon des primaires normales. Elle n'est qu'un plan B après la défection de Joe Biden, si bien qu'elle n'a pas su passer cette épreuve du feu, celle des primaires pendant le premier semestre, qui épuise mais aussi qui révèle. Ensuite, celle qui est à la fois une femme, une fille de deux immigrés, une afro-asiatico-américaine (je ne sais pas comment on le dit), bref, elle présente deux caractères de la "diversité" (comme on dit un peu pompeusement) qui seraient plutôt l'apanage, chez les démocrates, de l'aile gauche... alors qu'elle, elle est plutôt de l'aile centriste, celle des raisonnables, celle qui est prête à accueillir les électeurs républicains déboussolés par un Donald Trump vraiment inclassable et impayable.

    Après l'abandon de Joe Biden, Kamala Harris a lancé
    sa candidature avec force. Elle a su faire l'union de son parti, le parti démocrate, autour de son nom et ce n'était pas gagné, mais l'urgence d'investir un candidat sérieux et son expérience de 49e Vice-Présidente des États-Unis depuis le 20 janvier 2021 ont fait la différence, la rendre incontournable. Surtout, elle qui était si discrète, elle a révélé une capacité de faire campagne inimaginable. L'apothéose fut bien sûr la Convention nationale démocrate à Chicago en août 2024, mais c'était prévisible quel que soit le candidat, c'est le rôle des conventions.
     

     
     


    Son premier (et unique) débat télévisé avec Donald Trump, le 10 septembre 2024, a montré qu'elle savait débattre, répondre par des arguments, faire à l'occasion sa procureure, son métier d'origine, pour affronter ce repris de justice qu'est le milliardaire Donald Trump qui, paradoxalement, trouve le cœur de son électorat dans les classes populaires. Kamala Harris a tellement gagné ce débat télévisé que son contradicteur, mauvais joueur comme d'habitude, a fustigé ce débat "truqué", selon lui, et a annoncé qu'il refuserait de débattre à nouveau avec elle.
     

     
     


    Cette belle mécanique de Kamala Harris, qui a réussi à rendre désormais possible et réaliste l'arrivée d'une femme à la Maison-Blanche, s'est un peu grippée depuis un mois. Certes, la fin de l'été a permis aux démocrates de rattraper leur retard sur Donald Trump, principalement basé sur l'âge de Joe Biden dont la perspective de réélection devenait de moins en moins raisonnable au fil des gaffes et des bourdes. Mais depuis un mois, la campagne s'enlise, dans les deux camps. Ni l'un ni l'autre ne s'échappe dans les sondages, et surtout, aucun événement, ni les événements extérieurs (la guerre que mène Israël contre le Hamas et le Hezbollah, par exemple), ni aucun événement intérieur (comme les tentatives d'assassinat contre Donald Trump ou les dossiers compromettant Donald Trump sur son rôle dans l'invasion du Capitole le 6 janvier 2021) ne semblent avoir de prise ou d'influence sur les intentions de vote des deux candidats. Les intentions de vote semblent figées, comme s'il s'agissait d'une guerre de positions, comme la guerre en 1939. La campagne ne consiste donc pas à vouloir changer les convictions des convaincus, mais à convaincre les hésitants.

    Alors, attention à la Bliztkrieg ! Donald Trump, qui est généreux en coups politiques de dernière minute, n'hésitera pas à faire le tout pour le tout pour gagner son ultime combat (il a déjà annoncé qu'il ne serait pas candidat en 2028, il aurait 82 ans !). Dans le camp démocrate, on a peur que Kamala Harris n'attire pas l'électorat populaire (d'où son colistier Tim Walz, d'origine populaire). Elle est de Californie, et parle aux intellos, à l'etablishment de Washington, mais c'est l'électorat populaire, les classes peu aisées, qu'il s'agit de convaincre.

     

     
     


    Comme d'habitude, Donald Trump, dont les meetings sont devenus de plus en plus n'importe quoi (il a dansé plusieurs dizaines minutes sur de la musique des années 1970 et 1980 au lieu de parler), a ironisé sur sa rivale lors du dîner annuel de la Fondation Alfred E. Smith le 17 octobre 2024 à New York en assurant que Kamala Harris « peut à peine parler et enchaîner deux phrases cohérentes » et qu'elle « a les facultés mentales d'un enfant et n'a aucune intelligence » (cela fait un peu propos de cour de récréation d'une école primaire).

    De son côté, Kamala Harris ne manie pas de meilleurs arguments. Ainsi, en campagne dans le Michigan ce vendredi 18 octobre 2024, elle a insisté sur l'âge et la fatigue de Donald Trump : « Être Président des États-Unis est probablement l’un des emplois les plus difficiles au monde et nous devons vraiment nous demander : s’il est épuisé par la campagne, est-il apte à faire ce travail ? ».

    C'est vrai aussi que Kamala Harris a raté certaines occasions de faire campagne. Ainsi, lors du passage du terrible ouragan Milton, qui a provoqué le 11 octobre 2024 en Floride la mort d'au moins seize personnes et des dégâts d'au moins 50 milliards de dollars (le gouverneur républicain Ron DeSantis a déclaré : « Nous n'avons pas connu le pire scénario, mais nous avons été touchés. »), Donald Trump s'est rendu sur place et a annoncé qu'il demanderait à son ami milliardaire
    Elon Musk de rétablir la situation en attendant que les services de l'État arrivent. Son adversaire Kamala Harris n'est même pas venue sur place, retenue à un autre endroit du pays pour sa campagne.
     

     
     


    Le système politique américain, dont l'origine est multiséculaire, et qui, à l'époque, avait ses raisons historiques, est tel que ce n'est pas le vote populaire qui fait emporter l'élection (sinon, Kamala Harris serait assurée d'être élue, et Hillary Clinton aurait été élue), mais l'élection des délégués. Ces grands électeurs sont élus par États, et à l'exception du Maine (4 grandes électeurs) et du Nebraska (5 grands électeurs), la majorité simple des voix dans un État fait remporter la totalité des délégués de cet État (le nombre de délégués dans un État est proportionnel à sa population). Cela signifie que si un candidat obtient 55% dans un des 48 autres États, il est sûr de remporter la totalité des délégués de cet État et n'a pas intérêt à avoir 70% puisqu'il a déjà 100% des délégués.
     

     
     


    Si bien que les États où le vainqueur est sans incertitude ne font pas l'objet d'une grande campagne des candidats, alors qu'il existe des États que j'appellerai tangents, qu'on appelle aussi États pivots ("Swing States"), qui, même s'ils ont peu de délégués, présentent un enjeu crucial pour l'issue de l'élection. Ces États, en 2024, sont au nombre de sept : la Pennsylvanie (16 grands électeurs), la Géorgie (16), la Caroline du Nord (16), le Michigan (15), l'Arizona (11), le Wisconsin (10) et le Nevada (6). Or, lors de l'élection précédente du 3 novembre 2020 qui a vu la victoire du démocrate Joe Biden, les démocrates étaient majoritaires dans tous ces États sauf la Caroline du Nord. Dans ces États (en particulier la Géorgie et la Caroline du Nord), il y a une véritable envolée de participation dans les votes anticipés, pour ceux qui peuvent déjà voter (cela dépend de chaque État). Au 18 octobre 2024, plus de 10,7 millions de votes ont déjà été faits dans tout le pays, selon l'Election Lab de l'Université de Floride, ce qui est énorme (pour certains États, c'était le jour ou le lendemain de l'ouverture du scrutin).
     

     
     


    Les sondages au 18 octobre 2024 donnent une grande incertitude et laisse un léger avantage à Donald Trump, avec une dynamique récente pour ces États, même si les calculs de moyenne de sondages pour ces États clefs ne donnent pas forcément les mêmes résultats (par exemple, entre "Le Monde" et le site RealClearPolitics).
     

     
     


    C'est bien entendu vers ces États que tous les efforts de campagne sont faits dans les deux camps. Ainsi, l'ancien Président Barack Obama est entré en campagne le 10 octobre 2024 à Pittsburgh, dans un gymnase plein et enthousiaste, en Pennsylvanie, pour soutenir activement Kamala Harris (sans sa présence car elle était à Las Vegas) et surtout, condamner Donald Trump qui fut son successeur direct : « Ce que je n'arrive pas à comprendre, c'est que quiconque puisse croire que Donald Trump va bouleverser les choses d'une manière qui soit bonne pour vous. (…) Nous n'avons pas besoin de quatre années supplémentaires d'arrogance, de maladresses, de fanfaronnades et de divisions. (…) Ne huez pas ! Votez ! ». Il ne faut pas croire que ses arguments volent plus haut que les autres : pour montrer qu'il ne connaissait pas la vie quotidienne des Américains, Barack Obama, père de famille, a assuré que Donald Trump n'avait jamais manié de couches-culottes... laissant à l'assistance le soin de crier : si, les siennes !
     

     
     


    Cette semaine, Barack Obama a fait campagne dans l'Arizona et le Nevada, et ira la semaine prochaine dans le Wisconsin et le Michigan. Il fera un meeting commun avec Kamala Harris le 24 octobre 2024 en Géorgie. Quant à son épouse Michelle Obama, elle sera avec Kamala Harris dans un meeting commun le 26 octobre 2024 dans le Michigan. Elle fera aussi campagne pour Kamala Harris le 29 octobre 2024 à Atlanta, en Géorgie. Le couple Obama, et en particulier Michelle Obama, est très populaire dans l'électorat démocrate et leur implication totale dans la campagne de Kamala Harris vise à mobiliser au mieux cet électorat acquis aux candidats démocrates mais qui risquerait de s'abstenir par déception, désillusion ou indifférence.

    Plus qu'en 2000, en 2016 et en 2020, jamais une élection présidentielle n'a été aussi incertaine aussi longtemps que celle de 2024. Kamala Harris pourra peut-être gagner, mais dans tous les cas, le trumpisme restera un phénomène de société insolite et, surtout, durable.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (19 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Où en est la campagne présidentielle de Kamala Harris ?
    Jimmy Carter.
    Lauren Bacall.
    Maurice Jarre.
    Bill Clinton.
    Vera Miles.
    Les Yes-She-Can de Barack Obama !
    Kamala Harris sera-t-elle la première femme Présidente des États-Unis ?
    USA 2024 : Joe Biden se retire et soutient Kamala Harris !
    Donald Trump victime d'une tentative d'assassinat.
    Les 80 ans du Débarquement en Normandie.
    Ronald Reagan.
    Triste Trump (hic) !
    Paul Auster.
    Standard & Poor's.
    Moody's et Fitch.
    Les 75 ans de l'OTAN.
    Lee Marvin.
    Les 20 ans de Facebook.
    Bernard Madoff.
    La crise financière mondiale de 2008.

    La boîte quantique.
    Maria Callas.
    Henry Kissinger.
    Alexander Haig.
    Katalin Kariko et Drew Weissman.
    Rosalynn Carter.
    Walter Mondale.
    Marathonman.
    Bob Kennedy.






    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241020-kamala-harris.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/ou-en-est-la-campagne-257267

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/18/article-sr-20241020-kamala-harris.html



     

  • Pourquoi a-t-on assassiné le père Popieluszko ?

    « Je voudrais rappeler une autre figure : celle du père Jerzy Popieluszko, prêtre et martyr, qui a été proclamé bienheureux dimanche dernier précisément, à Varsovie. Il a exercé son ministère généreux et courageux aux côtés de ceux qui s'engageaient pour la liberté, pour la défense de la vie et sa dignité. Son œuvre au service du bien et de la vérité était un signe de contradiction pour le régime qui gouvernait alors en Pologne. (…) Si nous considérons l'histoire, nous voyons combien de pages d'authentique renouveau spirituel et social ont été écrites avec l'apport décisif de prêtres catholiques, animés uniquement par la passion pour l'Évangile et pour l'homme, pour sa véritable liberté, religieuse et civile. Combien d'initiatives de promotion humaine intégrale sont parties de l'intuition d'un cœur sacerdotal ! » (Benoît XVI, le 13 juin 2010 à Saint-Pierre de Rome).




     

     
     


    Il y a quarante ans, le 19 octobre 1984, il a été enlevé et assassiné. Quelques jours plus tard, le peuple polonais découvrait avec horreur le corps torturé et assassiné du père Jerzy Popieluszko à Wloclawek. Il venait d'avoir 37 ans (il est né le 14 septembre 1947 à Okopy d'une modeste famille de paysans).

    Après des études au grand séminaire de Varsovie et un service militaire très difficile à cause des persécutions contre les prêtres, Jerzy Popieluszko a été ordonné prêtre le 28 mai 1972 par le cardinal Stefan Wyszynski, archevêque de Varsovie qu'il admirait beaucoup (et qui a failli être élu pape en 1978 à la place de l'archevêque de Cracovie, finalement préféré parce que beaucoup plus jeune).

    Après avoir eu beaucoup d'activités comme prêtre, notamment aumônier dans le secteur des personnels médicaux, le père Popieluszko, à sa demande (acceptée par Mgr Wyszynski), est parti le 31 août 1980 auprès d'ouvriers en grève et a dit la messe pour les contestataires de Solidarnosc. Après
    l'état de siège décrété le 13 décembre 1981 par le général Jaruzelski, le père Popieluszko est venu en aide auprès des personnes emprisonnées membre de Solidarnosc. Il est devenu très rapidement l'une des personnalités qui défiaient le pouvoir communiste en place. Il a organisé tout un réseau de financement d'aides qui permettaient de soigner les opposants internés.
     

     
     


    Ses homélies, ses messes entre 1981 et 1984 ont été des façons de s'opposer à la dictature. Il faisait en sorte que ses homélies puissent être comprises de tout le monde et, avant de les prononcer, les faisait relire par des ouvriers pour savoir si elles étaient compréhensibles. Avec sa notoriété nationale, il a participé au renouveau de la foi en Pologne (beaucoup de conversions et de nouvelles vocations sacerdotales). Beaucoup de gens voyaient dans l'Église catholique la seule institution capable de résister à la dictature communiste. Le 19 mai 1983, il a dit la messe très suivie de l'enterrement de l'étudiant Grzegorz Przemyk, assassiné par la milice.

    À partir de 1982, le père Popieluszko était surveillé, et aussi diffamé, persécuté, sa famille également. On demandait à sa hiérarchie catholique de le faire taire, qu'il arrêtât ses activités de soutien à l'opposition, il a été plusieurs fois interrogé par la police pour abus de la liberté du culte en période de loi martiale. Il y a eu parfois des événements graves contre lui, comme l'envoi d'engins explosifs dans son appartement, etc.

    Jerzy Popieluszko était soutenu discrètement par le pape
    Jean-Paul II par l'intermédiaire de Mgr Zbigniew Kraszewski, évêque auxiliaire de Varsovie et confesseur de Lech Walesa. Mais cela devenait de plus en plus dangereux pour lui. Ses amis ont demandé en juillet 1984 au cardinal Jozef Glemp, nouvel archevêque de Varsovie, de l'envoyer faire des études à Rome afin de l'écarter de la Pologne, mais Jerzy Popieluszko ne voulait pas quitter la Pologne et les Polonaiss et Mgr Jozef Glemp a expliqué a posteriori qu'il ne voulait pas le forcer à aller à Rome.
     

     
     


    Suivi dès le 7 octobre 1984, le père Popieluszko a failli être assassiné le 14 octobre 1984. Ce fut lors de la seconde tentative le 19 octobre 1984 qu'il a perdu la vie : sa voiture a été arrêtée par la police, son chauffeur (ancien parachutiste) a réussi à s'enfuir mais le prêtre résistant a été enlevé, placé de force dans un coffre, et amené à Wloclamek. Torturé jusqu'à la mort, Jerzy Popieluszko a été jeté dans la Vistule.

    Son corps a été retrouvé un peu plus tard, le 30 octobre 1984, grâce aux indications des trois officiers de la police politique qui ont avoué l'assassinat. L'annonce de son assassinat a provoqué une forte émotion bien au-delà des frontières polonaises. Jerzy Popieluszko a été enterré le 3 novembre 1984 à l'église Saint-Stanislas de Varsovie en présence de plus de 500 000 personnes, renforçant ainsi l'audience de Solidarnosc. Depuis lors, plus de 18 millions de Polonais ont prié devant sa tombe installé dans la même église, y compris le pape Jean-Paul II qui s'est recueilli le 14 juin 1987 lors d'une visite pastorale.
     

     
     


    L'enquête judiciaire sur l'assassinat du prêtre a été bâclée. N'ont été mis en cause que les trois officiers des services secrets qui ont participé à l'opération et leur chef, mais pas les véritables commanditaires, dont probablement Czeslaw Kiszczak, le Ministre de l'Intérieur en fonction du 31 juillet 1981 au 6 juillet 1990. Le procès s'est déroulé du 27 décembre 1984 au 7 février 1985 et a été l'occasion surtout de faire le procès politique de la victime. Le procès a quand même abouti à la condamnation des quatre agents des services secrets (à vingt-cinq, quinze et quatorze années de réclusion criminelle) qui ont toutefois été libérés très tôt, entre 1990 et 2001. On a évoqué également la responsabilité du général Jaruzelski, qui souhaitait peut-être seulement faire de l'intimidation contre le prêtre. On ne saura probablement jamais qui a eu l'idée de cet assassinat.

    Le père Popieluszko n'a pas été le seul prêtre victime de la barbarie communiste. Un autre prêtre, de 39 ans, Sylvestre Zych, lui aussi sympathisant de Solidarnosc, a été retrouvé assassiné près de Gdansk le 12 juillet 1989 (peu avant
    l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement libre). On aurait retrouvé de l'alcool dans son sang comme ce fut le cas pour Jerzy Popieluszko, ainsi que des traces de piqûres par seringue. En 1982, il avait été condamné à six ans de prison pour complicité supposée dans le meurtre d'un policier et avait été libéré en 1986 au titre d'une mesure de clémence qui avait aussi réduit la peine de trois des quatre assassins du père Popieluszko.
     

     
     


    Faisant suite au procès en béatification ouvert en 1997 par Jean-Paul II, son successeur Benoît XVI a donné son accord le 19 décembre 2009 à la béatification de Jerzy Popieluszko, considéré comme un martyr de la foi, qui a été célébrée le 6 juin 2010 à Varsovie par l'archevêque Angelo Amato au cours d'une grand-messe concélébrée par cent vingt évêques et plus de mille prêtres, en présence de 150 000 fidèles dont la mère du prêtre (90 ans), ses frères et sœur, et l'ancien Président de la République Lech Walesa.

    Au fait, pourquoi a-t-il été assassiné ? Simplement parce qu'il refusait de se soumettre à la dictature communiste. Mais on ne saura probablement jamais les conditions exactes de son assassinat. Le père Popieluszko aura été l'un des rares "héros" emblématiques qui ont soutenu activement la résistance pacifique qui a permis la libéralisation de la Pologne du joug communiste (et par là même, la libéralisation de l'Europe centrale et orientale), avec le leader du syndicat Solidarnosc Lech Walesa, le pape Jean-Paul II, le premier Premier Ministre non communiste de la Pologne d'après-guerre
    Tadeusz Masowiecki et l'intellectuel Bronislaw Geremek. Les dernières paroles publiques du père Popieluszko furent : « Prions pour être libérés de la peur, de l’intimidation, mais surtout de la soif de vengeance et de violence. ». Cette prière reste encore valable de nos jours dans beaucoup d'endroits du monde.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (12 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Pourquoi a-t-on assassiné le père Popieluszko ?
    Le proeuropéen Donald Tusk redevient chef du gouvernement polonais.
    Législatives en Pologne du 15 octobre 2023 : grande victoire de l'Europe !
    Législatives en Pologne du 18 juin 1989.
    Lech Walesa.
    Donald Tusk.
    Tragique accident d’avion près de Katyn.
    Wojciech Jaruzelski.

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241019-popieluszko.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/pourquoi-a-t-on-assassine-le-pere-256346

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/18/article-sr-20241019-popieluszko.html




     

  • Doliprane : souveraineté sanitaire, patriotisme économique, considérations sociales, logique industrielle, intérêt national et impéritie politique

    « De toute façon, il n'y a pas de risque de délocalisation de l'emploi puisqu'à 97%, le Doliprane est consommé en France. Le Doliprane qui est fabriqué en France pour des consommateurs français. On est des gros consommateurs de paracétamol (…) et ce qui n'est pas le cas dans d'autres pays. » (Roselyne Bachelot, le 16 octobre 2024 sur BFMTV).



     

     
     


    Depuis près d'une semaine, la classe politique est agitée par une information économique importante : le groupe français Sanofi ("fleuron de l'industrie pharmaceutique") a annoncé le vendredi 11 octobre 2024 qu'il s'apprêtait à vendre sa filiale Opella, son pôle activité Santé Grand Public, au fonds d'investissement américain CD&R (Clayton Dubilier & Rice). Parmi les médicaments produits et commercialisés par Opella, il y a le très connu et très consommé analgésique, le Doliprane, du paracétamol qui est un anti-douleur et un anti-fièvre. Émotion chez les Français et émoi dans la classe politique.

    Dans ce dossier, je suis déconcerté par l'impéritie terrible du monde politique, qu'elle vienne du gouvernement ou de l'opposition. On pourrait croire à du populisme économique, voire du
    populisme médicamenteur (Didier Raoult avait inauguré le genre), mais j'ai bien peur que ce soit sincère, ce qui serait pire à mon sens car cela signifierait une méconnaissance totale du monde économique, celui des entreprises, et du monde de la recherche et de l'innovation. Heureusement, quelques éditorialistes, quelques chroniqueurs se montrent un peu plus connaisseurs et surtout, rationnels sur ce sujet.

    Mais avant d'être rationnels, ne rejetons pas l'émotion. J'ai la chance de ne pas consommer beaucoup de Doliprane parce qu'il m'arrive rarement d'avoir mal à la tête, mais ce n'est pas le cas autour de moi, et je connais beaucoup de personnes proches pour qui le Doliprane fait partie d'éléments nécessaires à leur vie ordinaire. En termes de consommation, les Français avalent dix boîtes de Doliprane par an pour chacun d'eux, bébés compris (et bien sûr, les bébés ne doivent pas en prendre aux doses pour adultes), ce qui montre à quel point ce médicament est familier des Français.


    Donc, que les Français en général s'inquiètent que l'entreprise qui produit le Doliprane soit revendue à un groupe américain, qui en plus est un groupe financier et pas un groupe industriel dans le domaine de la santé, c'est tout à fait normal. Ce qui l'est moins, c'est que le monde politique, censé apporter des solutions pratiques et concrètes aux inquiétudes des Français, dise n'importe quoi sur le sujet, jusqu'à vouloir nationaliser (pour le groupe FI) le groupe Sanofi qui, je le rappelle, représente un capital de quelque 127 milliards d'euros, une somme dont dispose bien évidemment l'État qui n'a "que" 3 500 milliards d'euros de dette publique ! À les écouter, il faudrait tout nationaliser, tout planifier, comme dans l'épopée soviétique dont les résultats économiques ont pourtant montré leurs ...non-preuves !

    Ceux qui se croient les plus malins, par antimacronisme primaire que je dirais aujourd'hui anachronique (plus la peine de tirer sur
    Emmanuel Macron, il ne sera pas candidat à la prochaine élection présidentielle), évoquent les désastreuses conséquences de la politique industrielle du Président de la République. À cela rappelons que l'État n'est pas tout (on ne prête qu'aux riches) et que nous sommes (encore ?) dans une société de liberté d'entreprise, que la décision de Sanofi de vendre une partie de sa production est une décision privée d'une entreprise privée, et qu'elle a le droit de définir comme elle l'entend sa propre stratégie industrielle (et heureusement que l'État ne commence pas à s'ingérer dans les stratégies de toutes les entreprises françaises, quand on voit sa capacité à gérer déjà ses propres comptes publics).

    Il faut déjà indiquer quelques précisions. Par exemple, quel est le projet de Sanofi ? C'est de vendre 50% du capital de sa filiale Opella au fonds d'investissement américain CD&R pour la somme d'environ 7 milliards d'euros (la capitalisation d'Opella est évaluée à 15 milliards d'euros). Ce fonds n'a pas d'objectif industriel mais un objectif de rentabilité financière, probablement sur cinq ans. Ensuite, il revendra ses actions d'Opella. Il serait déjà plus intéressant de connaître la nationalité de ce futur acquéreur que la nationalité du fonds acquéreur d'aujourd'hui.


    Précisons aussi qu'Opella fabrique et commercialise 115 marques de médicaments, dont certains très connus du grand public qu'on peut acheter sans ordonnance, comme le Doliprane, bien sûr, mais aussi l'Aspégic, le Phosphalugel, la Lysopaïne, etc. Le chiffre d'affaires d'Opella (5,2 milliards d'euros) correspond à 12% du CA de Sanofi. La filiale, qui emploie 11 000 salariés, possède treize usines dans le monde dont deux en France, à Compiègne et à Lisieux, et la transaction avec CD&R a été négociée sur la base d'une valeur autour de 15 milliards d'euros (16,41 milliards de dollars). Sanofi garderait la moitié du capital d'Opella pour avoir un droit de veto sur les orientations stratégiques.

    Cette vente est conforme à la stratégie de Sanofi annoncée dès octobre 2023. Dans "Les Échos" du 15 octobre 2024, Frédéric Oudéa, le président de Sanofi, a affirmé qu'il n'était donc pas question de délocalisation de deux usines françaises : « Cela fait dix ans que l'on ne cesse d'investir à Lisieux, un investissement de 20 millions d'euros est par ailleurs en cours pour augmenter de 40% les capacités de production et de stockage du Doliprane. ».

    En outre, si le fonds était français, y aurait-il la même destinée avec l'entreprise ? Probablement. On peut d'ailleurs regretter l'absence de fonds d'investissement français, et surtout, de fonds de pension qui permettrait de préserver les entreprises françaises de leur nationalités et les start-up françaises de recueillir des fonds français. Ces fonds de pension seraient issus d'un inévitable complément de la retraite par répartition par la retraite par capitalisation (un mot qui fait peur en France mais pourtant, ce tabou favorise les plus aisés puisque ceux-là savent investir et capitaliser depuis longtemps pour avoir des compléments de retraite, mais c'est un tout autre sujet...).
     

     
     


    Dans ce dossier, les politiques laissent croire qu'ils découvrent la situation alors qu'on peut voir, par exemple, une chronique économique de BFMTV l'annoncer déjà le 17 juillet 2024. C'est vrai que la nomination du futur Premier Ministre et les Jeux olympiques et paralympiques avaient beaucoup occupé les esprits politiques. Mais, comme je l'ai rappelé plus haut, la stratégie de Sanofi avait déjà été communiquée l'an dernier. Ce qui est regrettable, c'est que par démagogie, la classe politique confond allègrement plusieurs notions que j'énumère ici pêle-mêle : la souveraineté sanitaire, le patriotisme économique, les considérations sociales, la logique industrielle et l'intérêt national.

    1. La souveraineté sanitaire d'abord. Elle doit être au niveau européen et pas seulement français, c'est l'échelle qui est la meilleure. Or, qu'en est-il de la souveraineté sanitaire avec le Doliprane, médicament le plus consommé en France et à ce titre, faisant partie des médicaments "stratégiques" ? Actuellement, cette souveraineté sanitaire est inexistante pour le Doliprane ! En effet, si l'usine qui fabrique ce médicament est en France, le principe actif, la molécule cruciale qui fait l'effet du médicament, n'est pas fabriquée en France ni en Europe, mais en Chine.

    Or, justement, avec la prise en compte de l'importance de la souveraineté sanitaire après la
    crise du covid-19, une usine va être mise en route près de Toulouse pour produire ce principe actif, et Sanofi y a même investi 500 millions d'euros. Cela signifie que la souveraineté sanitaire sera plus assurée demain, même avec l'achat de la moitié d'Opella par un fonds d'investissement américain, qu'aujourd'hui où le principe actif dépend du bon vouloir des usines chinoises. Pour rappel, je précise que la souveraineté sanitaire n'a pas d'intérêt en période ordinaire, mais seulement en période de crise sanitaire, or, dans une telle période, si la crise est mondiale, comme celle du covid, les tensions de production en Chine seront très fortes et si on peut l'imaginer aussi en Europe, les pays européens pourront cependant avoir la garantie d'être prioritaires.

    Invitée de BFMTV, l'ancienne Ministre de la Santé (et ancienne pharmacienne)
    Roselyne Bachelot, qui connaît un peu le sujet, a déclaré le 16 octobre 2024 : « Il n'y a pas de risque sur notre souveraineté avec un produit qui est, je ne voudrais pas dire en fin de vie, mais enfin, qui est, pour parler pudiquement, mâture, qui n'est protégé par aucun brevet... ». Effectivement, déjà aujourd'hui, rien n'empêche une entreprise étrangère de venir produire et vendre en France du Doliprane (avec des coûts de production moindre qu'actuellement s'il veut conquérir des parts de marché). En revanche, le prix des médicaments est régulé en France, et donc, il n'y a pas de risque d'augmentation du prix avec un changement de propriétaires du producteur.

    2. Le patriotisme économique. Là aussi, cette notion paraît bien incertaine. Aujourd'hui, l'économie est ouverte et mondialisée. La compétition est forte partout dans le monde. On le voit pour les GAFAM (et pas seulement elles), les multinationales n'ont pas de nationalité. La seule patrie d'une grande entreprise, c'est celle de l'argent. Est-ce une catastrophe ? Non, heureusement ! C'est le principe de toute entreprise, faire des bénéfices, elles assurent ainsi, par ses bénéfices, sa pérennité pour employer ses nombreux salariés (et faire vivre leurs familles), proposer aux consommateurs leurs produits et attirer les investisseurs dans leur capital, sans compter financer le ou les États où elles sont établies par l'impôt direct (IS), indirect (TVA) et les cotisations sociales (salaires).

    Deux exemples permettent de montrer que l'intérêt des Français n'a plus grand-chose à voir avec le patriotisme économique, ce qui peut attrister mais ce sont les faits. Exemple positif (grâce à Jean-Louis Borloo, qui fut maire de Valenciennes) : lorsque les Français achètent des voitures Toyota, ils engraissent des capitaux japonais, certes... mais ils favorisent des emplois français, puisque l'usine de Valenciennes a fait renaître un nouveau dynamisme économique. Exemple négatif, toujours dans le secteur automobile : le patron de Stellantis Carlo Tavares a déjà averti qu'il n'excluait pas la fermeture d'une usine en France (4 500 emplois à la clef). On peut aussi rappeler les délocalisations européennes de Renault (à Novo Mesto, en Slovénie pour la Twingo ; quand je me suis rendu près de Trieste, j'ai été très impressionné par le nombre de véhicules qui attendaient d'être livrés ; la future Twingo 100% électrique commercialisée en 2026 sera fabriquée à Novo Mesto, selon une information du 24 juillet 2024).

    Bref, la nationalité d'une entreprise ne signifie plus rien, d'autant plus que les nombreuses participations au capital proviennent de multiples pays (multinationalité des capitaux, multinationaux des sites de recherche et de production, multinationalité des composants et matières premières, multinationalité des clients). En clair, le patriotisme économique n'est pas un patriotisme de nations, c'est un patriotisme d'entreprises. L'entreprise, lorsqu'elle est géante, est devenue un État, avec la même puissance financière. C'est le cas des GAFAM, mais pas seulement.

    3. Les considérations sociales. Elles sont importantes dans un pays qui a perdu des millions d'emplois industriels en quatre décennies. Depuis 2017, la politique économique et fiscale d'Emmanuel Macron a justement permis de redresser l'emploi et surtout, l'emploi industriel, et réduire le chômage durablement. 2024 est d'ailleurs une année politique cruciale et tout le monde, du moins les sérieux, espèrent que le choc de la
    dissolution et celui du déficit à réduire ne contreviendraient pas à l'attractivité économique de la France (malgré les perspectives "négatives" sur le redressement des finances publiques de la France, l'agence de notation Fitch Rating a tout de même maintenu la note de AA–, l'équivalent de 17/20, pour la France pour cette raison économique : la France a une économie saine, il faut le répéter !).

    Une fois écrit cela, je reviens au Doliprane : même vendue à un fonds américain, il n'y a aucune raison que l'usine française qui fabrique le Doliprane soit délocalisée alors qu'elle fournit les Français pour 97% de se production. Les Américains ont eux-même leur paracétamol déjà commercialisé avec sa marque. Il y a donc découplage, comme c'est le cas pour Toyota ou Renault, entre nationalité des capitaux et implantation géographie des usines.


    4. Logique industrielle. C'est le plus important à mon sens. Une bonne entreprise, celle qui évite le dépôt de bilan et qui s'agrandit au fil des années, c'est une entreprise qui prend les bonnes décisions au bon moment sur sa stratégie à long terme. Or, quel est l'intérêt de Sanofi à continuer à produire le Doliprane ? Pas grand-chose. En effet, le principe actif est dans le domaine public depuis longtemps. Je précise ce que cela signifie : cela veut dire qu'un brevet qui a protégé la molécule pendant une durée déterminée (généralement vingt ans, peut-être un peu plus pour le secteur pharmaceutique à cause de la durée des tests cliniques), ne la protège plus aujourd'hui (et depuis longtemps). En somme, c'est comme les droits d'auteur : soixante-dix ans après la mort de l'auteur, ses écrits tombent dans le domaine public et n'importe qui, n'importe quelle entreprise peut fabriquer et vendre des œuvres de cet auteur sans verser de droits d'auteur. Pour les inventions qui sont dans le domaine public, cela signifie que tout le monde est autorisé à produire et vendre ces inventions sans verser de royalties. C'est le principe des médicaments génériques, beaucoup moins coûteux que les médicaments d'origine parce que leurs coûts ne viennent que de la fabrication et pas de la recherche et développement en amont (qui justifie les royalties).

    En clair, pour produire et vendre du Doliprane, c'est comme vendre n'importe quel produit sans valeur ajoutée, c'est un travail d'industriel et pas de pharmacien, pour réduire les coûts, par exemple. Le Doliprane est un produit stable, peut-être pas en fin de vie (sauf si on trouve mieux) mais en fin d'intérêt pour un grand groupe d'innovation comme Sanofi. En récupérant 7 milliards d'euros, Sanofi a ainsi la possibilité d'investir encore plus massivement qu'auparavant dans la recherche et développement pour trouver d'autres médicaments pour demain, assurer une rente par la protection de ses futurs brevets et aller de l'avant. Tout euro misé dans la R&D (recherche et développement) est un espoir supplémentaire de guérir des maladies aujourd'hui incurables (en particulier le cancer). Il faut aussi bien comprendre que les résultats de la recherche sont proportionnels aux investissement de recherche alloués. On le voit par exemple avec
    SpaceX d'Elon Musk qui, dans le domaine spatial, a réussi le 13 octobre 2024 un véritable exploit technologique (et probablement économique), simplement parce qu'il a su investir à bon escient son argent.

    Économiste à la Sorbonne, Nathalie Coutinet a affirmé le 24 septembre 2024 sur France Culture que l'évolution de l'industrie pharmaceutique était la même aussi chez les concurrents de Sanofi, à savoir Johnson & Johnson, GSK, Pfizer, Novartis et Servier : « Tous les grands laboratoires pharmaceutiques se séparent de ces branches [médicaments dans le domaine public] pour se concentrer sur des médicaments innovants, beaucoup plus chers et rentables. ».


    Dans une société de liberté, il ne convient pas à l'État de dire aux entreprises ce qui est bon ou pas pour leur stratégie, et c'est intérêt de tout le monde, entreprises, capitaux, employés, consommateurs et États, que les grands groupes prennent les bonnes décisions pour leur stratégie.

    5. L'intérêt national. Terminons par cet intérêt national si galvaudé. L'intérêt à moyen et long terme, c'est à la fois de préserver dans son giron une grande entreprise capable d'investir dans l'avenir, et dans le secteur de la santé, il y a encore beaucoup de travail de recherche, et c'est d'être capable de répondre correctement aux demandes de médicaments selon les besoins.

    La manière dont s'organisent les entreprises n'a pas beaucoup d'intérêt, dans les faits. L'État n'a rien à faire dans certains capitaux, et on voit bien que l'État a été capable de faire d'énormes erreurs stratégiques dans le passé en matière industrielle. En revanche, il doit permettre, quel que soit le type d'entreprises (entreprises françaises, étrangères, ou même publiques), de donner la possibilité de continuer le développement de l'innovation. En ce sens, contrairement à ce que disent souvent certains responsables politiques (cela fait dix ans que certains râlent), le crédit impôt recherche (CIR) a fait beaucoup pour inciter les grandes entreprises à investir massivement en France dans la recherche et développement.

    On comprend bien que l'hypothèse d'une nationalisation de Sanofi (financièrement impossible à imaginer pour l'État français), si elle pourrait répondre de manière particulièrement démagogique et coûteuse à la réelle inquiétude des Français sur cette annonce de vente d'Opella, ne répond pas du tout ni à la logique industrielle ni à l'intérêt national. Cela fait longtemps qu'on sait bien que la nationalité des véritables propriétaires des entreprises, en particulier la nationalité française, n'assure aucune éthique particulière (cf le scandale des EHPAD, par exemple).
     

     
     


    Écoutons encore Roselyne Bachelot : « Et vraiment, le cirque qu'il y a autour de ça me paraît complètement... Je comprends les salariés du site qui ont peur et qui ont besoin d'être rassurés, mais que des responsables politiques connaissent aussi peu l'industrie et le marché pharmaceutiques, c'est quand même un peu grave ! ». Le consultant financier et essayiste Alexis Karklins-Marchay, sur Twitter le 16 octobre 2024, a également dit la même chose, en termes plus crûs : « Immense lassitude de tant de bêtises et de démagogie de la part de ces élus qui ne connaissent rien au monde de l'entreprise (Panot confondait par exemple chiffre d'affaires et bénéfices...) ! (…) Nous nous noyons dans ce marécage d'idiotie. ». En réaction aux déclarations du groupe FI, le journaliste Claude Weill, le 15 octobre 2024 sur Twitter, faisait état de son incompréhension : « Nationaliser un groupe transnational qui pèse 120 milliards d'euros, avec un capital déjà étranger à plus de 70% (dont US 44%) et 5,5% de son CA en France, pour “sauver” un médoc qui est dans le domaine public et dont il existe une bonne dizaine d’équivalents… Plus débile, je cherche, je trouve pas. ».

    Sur BFMTV le 14 octobre 2024, le professeur
    Philippe Juvin, député LR, était lui aussi en colère : « C'est révélateur de notre modèle économique. C'est révélateur d'une hypocrisie de la classe politique. Et c'est révélateur d'une certaine ignorance du sujet. D'abord, l'hypocrisie. Quand je vois qu'un certain nombre de mes collègues du parti socialiste sont en train de signer une tribune en disant : "surtout, il ne faut pas qu'il parte !". Dans ce cas-là, arrêtez d'augmenter des impôts sur les entreprises (…). Donc, ils se plaignent des maux qu'eux-mêmes créent. Deuxièmement, c'est une affaire d'ignorance absolue. Le fait qu'il y ait cette vente ne signifie pas que demain, on n'aura pas de Doliprane en France. Imaginez même que l'usine ne bouge pas. Ce n'est pas parce que vous fabriquez un médicament en France, et d'ailleurs, on ne le fabrique pas, je vais y revenir, que ce médicament est disponible pour la France. L'usine, elle fabrique des médicaments, elle les vend au monde entier. (…) Qu'est-ce qui fait en revanche qu'il y ait des pénuries ? Ce qui fait qu'il y ait des pénuries en France, de paracétamol et d'autres médicaments, c'est que le prix du médicament est trop faible. Quand une usine, où qu'elle soit, en France ou ailleurs, fabrique du paracétamol, elle a plutôt intérêt à le vendre en Allemagne qu'en France, parce qu'en Allemagne, c'est 25% plus cher. Enfin, troisièmement, dans cette affaire, c'est extrêmement révélateur de nos politiques économiques, parce que d'abord, il n'y a pas un seul gramme du principe actif qui est fabriqué en France (…), la molécule, le médicament, est formée en Asie à 100%, dont 80% en Chine. ».

    Quant à la "blogueuse libérale" Nathalie MP Meyer, dans
    son billet du 17 octobre 2024 (qu'il faut lire !), elle est également choquée (comme on pouvait s'y attendre) : « Voilà qui est fort de café. On sort tout juste d’une séquence budgétaire qui n’a pas masqué combien les marges de manœuvre de nos finances publiques s’étaient évanouies dans des niveaux de déficit et de dette alarmants, mais on pourrait s’endetter encore un peu plus pour investir dans la fabrication du Doliprane ? Et ce faisant, devenir juge et partie en entrant en concurrence avec d’autres acteurs de ce marché comme UPSA par exemple ? Ridicule, bien sûr, et typique des gesticulations aussi incohérentes que surjouées qui accompagnent chaque évocation du mot "souveraineté". ». Elle a rappelé en outre l'énorme coût de la conception des nouveaux médicaments : « Gardons à l’esprit qu’il faut en moyenne 11,5 ans pour la mise au point d’un médicament et que seuls 7% des médicaments entrant dans un essai clinique de phase 1 accéderont au marché (chiffres du LEEM, syndicat des entreprises du médicament en France). ».

    Il serait temps que les Français puissent recevoir une instruction ou une culture économique non idéologisée. Cela permettrait de valoriser notre véritable excellence, celle de la recherche et de l'innovation, par des réussites industrielles qui attendent d'être majeures.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (17 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    L’aspirine, même destin que les lasagnes ?
    Doliprane : l'impéritie politique.
    François Guizot à Matignon ?
    Gilberte Beaux.
    Standard & Poor's moins indulgente pour la France que les autres agences de notation.
    Assurance-chômage : durcissement pour plus d'emplois ?
    Les 10 mesures de Gabriel Attal insuffisantes pour éteindre la crise agricole.
    Le Tunnel sous la Manche.
    Agences de notation Moody's et Fitch : la France n'est pas dégradée !
    Der Spiegel : "La France, c'est l'Allemagne en mieux".

     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241011-doliprane.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/doliprane-souverainete-patriotisme-257203

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/14/article-sr-20241011-doliprane.html



     

  • L'éviction de Nikita Khrouchtchev

    « Je dirais que le peuple ukrainien m'a bien traité. Je me rappelle avec enthousiasme les années que j'y ai passé. Il s'agissait d'une période pleine de responsabilités mais plaisante car elle m'apportait de la satisfaction... Mais loin de moi l'idée d'accroître mon importance. L'ensemble du peuple ukrainien a réalisé de grands efforts. J'attribue le succès de l'Ukraine au peuple ukrainien dans son ensemble. Je ne m'étendrai pas davantage sur ce thème, mais en principe, il est très facile à démontrer. Je suis moi-même Russe et je ne veux pas offenser les Russes. » (Khrouchtchev, dans ses Mémoires publiées en 1970).




     

     
     


    Il y a exactement soixante ans, le 14 octobre 1964, le dirigeant soviétique Nikita Khrouchtchev a été limogé de ses postes par une nouvelle troïka. Leonid Brejnev a pris la relève à la tête de la dictature communiste appelée URSS (Union des Républiques Socialistes Soviétiques plus simplement appelée Union Soviétique). Pour la première fois, une purge politique n'était plus associée à une élimination physique. Au contraire, pour sa retraite, on lui a attribué un appartement à Moscou et une datcha à la campagne. Il a sombré dans une grande dépression et il est mort à l'âge de 77 ans, d'une crise cardiaque le 11 septembre 1971 à Moscou, après avoir réussi à faire publier ses Mémoires en Occident en 1970.

    L'appréciation historique de Nikita Khrouchtchev est paradoxale. Il est avant tout connu pour cette journée du 25 février 1956, en séance extraordinaire du XXe congrès du PCUS (parti communiste d'Union Soviétique). Hors programme, le dirigeant soviétique a pris l'initiative de lire un long rapport aux cadres communistes en leur demandant de garder les informations confidentielles et de ne pas en débattre. Un rapport accablant sur la gestion du pays par Staline : « C'est ici que Staline a montré à de nombreuses reprises son intolérance, sa brutalité et son abus de pouvoir (…). Il a souvent choisi le chemin de la répression et de la destruction physique, pas seulement contre ses véritables ennemis mais aussi contre des individus qui n'avaient commis aucun crime contre le parti ou le gouvernement soviétique. ».

    C'était le début de la déstalinisation.
    Mikhaïl Gorbatchev, d'une autre génération, a étudié l'expérience de Khrouchtchev pour réformer lui-même l'URSS après le glacis gérontologique formé par Leonid Brejnev, Youri Andropov et Konstantin Tchernenko. Mais les réformes n'ont pas plus fonctionné. Wiliam Tompson, le biographe de Khrouchtchev, a rappelé en 1995 : « Tout au long des années Brejnev et durant le long interrègne qui suivit, la génération qui a atteint la majorité durant le “premier printemps russe” des années 1950 attendit son tour. Alors que Brejnev et ses collègues décédaient ou se retiraient, ils furent remplacés par des hommes et des femmes pour qui le discours secret [le rapport du 25 février 1956] et la première vague de déstalinisation avaient été une expérience formatrice et ces enfants du XXe Congrès prirent les rênes du pouvoir sous la direction de Mikhaïl Gorbatchev et de ses collègues. L'ère Khrouchtchev fournit à cette seconde génération de réformateurs une inspiration et une morale. ».

    Dans ses Mémoires non plus, Khrouchtchev n'était pas tendre avec Staline : « Staline appelait tous ceux qui n'étaient pas d'accord avec lui des "ennemis du peuple". Il disait qu'ils voulaient restaurer l'ordre ancien et que pour y parvenir, les "ennemis du peuple" s'étaient liés aux forces réactionnaires internationales. Par conséquent, plusieurs centaines de milliers de personnes honnêtes ont péri. Tout le monde vivait dans la peur. Tout le monde s'attendait à tout moment à être réveillé au milieu de la nuit par des coups à leur porte et à ce que cet événement leur soit fatal... Les personnes qui n'étaient pas du goût de Staline étaient supprimées, des membres honnêtes du parti, des personnes irréprochables, loyales et travaillant de tout leur cœur pour notre cause qui avaient suivi l'école de la lutte révolutionnaire sous la direction de
    Lénine. C'était l'arbitraire total et complet. Et maintenant, tout cela doit être oublié et pardonné ? Jamais ! ».
     

     
     


    Mais le déstalinisateur en chef n'était pas forcément celui qu'on pourrait croire. Il était avant tout un fidèle disciple de Staline, pas moins cruel que lui ! Khrouchtchev est né le 15 avril 1894 dans la région (oblast) de Koursk. Il a eu un rôle important auprès de Staline. Dès 1932, Khrouchtchev était un familier de Staline qui l'appréciait bien. Khrouchtchev a soutenu les grandes purges d'avant-guerre (des documents attestent de son implication dans les purges). En 1936, il déclara même : « Tous ceux qui se réjouissent des succès de notre pays, des victoires de notre parti mené par le grand Staline, ne trouveront qu'un seul mot convenable pour les mercenaires, les chiens fascistes du gang zinovievo-trotskyste. Ce mot est exécution. » (cité par William Taubman en 2003).





    En 1939, Staline l'a nommé chef du PCUS en
    Ukraine (c'est d'ailleurs en raison de son expérience en Ukraine et de son épouse ukrainienne qu'il aurait "donné", plus tard, la Crimée à l'Ukraine dans les contours des républiques à l'intérieur de l'URSS, une modification seulement symbolique, en principe, puisque le pays qui comptait, c'était l'URSS). Pendant la guerre, Khrouchtchev fut un commissaire politique de Staline, avec rang de général, et était chargé de la liaison entre ce dernier et les (vrais) généraux. Il a fait partie de la Bataille de Stalingrad et de Bataille de Koursk, et après la guerre, il a rejoint Staline à Moscou pour le conseiller.

    À la mort de Staline, ce fut une véritable lutte interne du pouvoir pour s'octroyer la succession. Très vite, Gueorgui Malenkov fut rétrogradé par ses collègues au profit de Khrouchtchev, mais les deux se sont ligués pour faire échouer les premières réformes de Lavrenti Beria après Staline (plus d'un million de prisonniers politiques furent amnistiés). Tous les dirigeants craignaient un coup d'État de Beria qui avait sous ses ordres 1,2 million d'agents.

    Le passé très stalinien de Khrouchtchev ne le présentait donc pas en 1953 comme le futur déstalinisateur. Melenkov cherchait à mettre le pouvoir dans l'appareil de l'État car il contrôlait le gouvernement, tandis que Khrouchtchev voulait maintenir le pouvoir au sein du parti qu'il contrôlait. Finalement, Khrouchtchev a gagné la lutte interne contre Beria rapidement éliminé. Soyons clairs : Beria a été éliminé le 26 juin 1953 probablement sur ordre de Khrouchtchev. Beria fut le dernier dirigeant soviétique éliminé autant physiquement que politiquement (les conditions de sa mort reste encore un mystère).

    La prise de pouvoir de Khrouchtchev a eu lieu en deux temps. Le 14 septembre 1953, il a été désigné Premier Secrétaire du comité central du PCUS, en d'autres termes, la réalité du pouvoir en URSS (comme en Chine, le contrôle du parti engendre le contrôle de l'État). À ses côtés, les deux autres de sa troïka : Nicolaï Boulganine, Président du Conseil des ministres (et avant lui, Gueorgui Malenkov) et Anastase Mikoyan, Vice-Président du Conseil des ministres (et avant lui, Lazare Kaganovitch qui l'a introduit au Politburo dans les années 1930). À partir du 27 mars 1958, comme Staline lui-même, Khrouchtchev a pris aussi la tête du gouvernement soviétique (Présidence du Conseil des ministres).
     

     
     


    La réussite du programme spatial est l'une des rares réussites de Khrouchtchev. En particulier, le premier lancement d'un satellite, celui de Spoutnik-1 le 4 octobre 1957, et le premier vol habité dans l'Espace, avec Youri Gagarine pilotant la mission Vostok-1 le 12 avril 1961, ont mis l'URSS largement devant les États-Unis dans la conquête spatiale (jusqu'à la réussite de la mission Apollo-11 le 21 juillet 1969 et le lancement des navettes spatiales dans les années 1980 qui ont redonné une avance technologique majeure aux États-Unis).

    Mais, à part cette réussite spatiale, la réputation de réformateur du système soviétique et d'ouverture politique ne convient pas non plus à la réalité de son bilan à la tête de l'URSS entre 1953 et 1964. En effet, si Khrouchtchev a tenu à nouer des relations diplomatiques avec l'Occident, en particulier avec les États-Unis (rencontre en septembre 1959 avec Dwight Eisenhower et Richard Nixon puis en juin 1961 avec John Kennedy) et avec la France (rencontre en mars 1960 avec De Gaulle), ce fut sous sa responsabilité qu'il y a eu les pires crises de la guerre en froide.
     

     
     


    En particulier, trois. La crise de Berlin avec la construction du mur de Berlin, la crise hongroise et la crise des missiles à Cuba. Cette dernière crise était particulièrement grave puisque le monde était à deux doigts d'être plongé dans une guerre thermonucléaire ! Le caractère de Khrouchtchev était très vif, si bien qu'ulcéré par des propos du délégué philippin qu'il entendait le 12 octobre 1960 à l'Assemblée Générales des Nations Unis (le Philippin fustigeait l'hypocrisie anticolonialiste de l'URSS qui avait elle-même colonisé l'Europe centrale et orientale), il a pris sa chaussure dans la main pour protester énergiquement (après avoir cassé sa montre à force de taper sur la table avec son poignet). William Tompson l'a décrit ainsi : « Il pouvait être charmant ou vulgaire, exubérant ou renfrogné ; il exposait sa rage (souvent forcée) en public avec des hyperboles explosives dans sa rhétorique. Mais quelles que soient ses actions, il était plus humain que son prédécesseur ou même que la plupart de ses homologues étrangers et pour une grande partie des gens, cela suffisait à rendre l'URSS moins mystérieuse ou dangereuse. ».

    La crise de Berlin. L'ancienne capitale du Reich était divisé en quatre zones : soviétique, américaine, britannique et française, mais concrètement, en deux zones, soviétique (RDA) et occidentale (RFA). De nombreux Allemands de l'Est ont fui la RDA vers l'Allemagne de l'Ouest par Berlin (située au centre de la RDA). Un pont aérien permettait l'acheminement des réfugiés de l'Est à l'Ouest. Avec l'autorisation de Khrouchtchev, Walter Ulbricht, Président du Conseil d'État (chef d'État) de la RDA et Premier Secrétaire du parti communiste d'Allemagne de l'Est, a fait ériger le
    mur de Berlin dans la nuit du 12 au 13 août 1961 dans le plus grand des secrets. Ce mur pollua les relations Est-Ouest pendant trente ans (jusqu'à la Réunification).

    La crise hongroise. L'année 1956 a mal commencé pour l'URSS. La Pologne, qui venait de perdre soudainement son dirigeant communiste Boreslaw Bierut (le16 mars 1956), a basculé dans des grèves avec des répressions. Mais finalement, le pouvoir communiste polonais a fait beaucoup concessions aux ouvriers (à cause du sentiment antisoviétique des Polonais) et le vent de libéralisation s'est étendu à la Hongrie avec une insurrection populaire le 23 octobre 1956 à cause de la répression d'une manifestation d'étudiants à Budapest. Pour apaiser la situation, le pouvoir communiste hongrois a installé au pouvoir le Premier Ministre réformateur Imre Nagy le 24 octobre 1956. Ce dernier a annoncé des élections libres et le retrait de la Hongrie du Pacte de Varsovie, ce qui a déclenché l'intervention militaire directe des troupes soviétiques à Budapest le 4 novembre 1956. La répression a été terrible, plusieurs milliers de personnes ont péri, les chars soviétiques dans les rues de Budapest ont donné une image très négative de l'URSS (malgré l'attention déportée vers la crise de Suez). Imre Nagy a été arrêté et a été exécuté le 16 juin 1958. Khrouchtchev s'est montré menaçant le 18 novembre 1956 lors d'une réception des diplomates occidentaux à l'ambassade de Pologne à Moscou avec son discours : « Que vous le vouliez ou non, l'histoire de notre côté. Nous vous enterrerons ! ».

     
     


    La crise des missiles à Cuba. Probablement la plus grave crise internationale. L'URSS venait d'installer des missiles nucléaire à moyenne portée à Cuba, dirigé par Fidel Castro, à moins de 140 kilomètres des côtes de Floride. Ce qui était inacceptable pour les États-Unis qui ont découvert des rampes de lancement le 16 octobre 1962. John Kennedy a prononcé une allocution télévisée le 22 octobre 1962 pour annoncer au peuple américain l'existence de cette menace et la réaction des États-Unis, un blocus contre Cuba. Khrouchtchev craignait alors une invasion de Cuba par les Américains. Les tensions diplomatiques furent extrêmes. Finalement, le 25 octobre 1962, Khrouchtchev renonça à ces missiles, les a fait démanteler, en échange d'une non invasion de Cuba par les États-Unis (et aussi d'un retrait des missiles américains de la Turquie, proche de l'URSS, ce qui n'a pas été communiqué ni réalisé, d'où la crise s'est soldée par ce qui a été considéré comme une défaite soviétique).

    Sur le plan intérieur, Khrouchtchev a effectivement fait des réformes d'ouverture politique. Il a ainsi supprimé les tribunaux spéciaux de Staline, même si, selon Roy Medvedev, « la terreur politique comme méthode journalière de gouvernement fut remplacée sous Khrouchtchev par des moyens de répression administratifs » (1978). Il voulait aussi le remplacement d'au moins un tiers de toutes les assemblées, y compris le comité central du PCUS, lors de leur renouvellement (cette mesure a été rapidement supprimée par Brejnev en 1964). Il a rendu publiques les séances du comité central, ce qui avait pour effet d'obliger les éventuels dissidents à s'expliquer publiquement, ce qui n'encourageait pas la dissidence.

    L'un des échecs des réformes sur le plan intérieur a été la politique agricole. Khrouchtchev a promu depuis longtemps la culture du maïs, mais ce fut un échec (on appelait Khrouchtchev "Mister K" mais aussi "Kukuruznik", Monsieur Maïs). Par ailleurs, il se faisait conseiller par l'imposteur agronome en chef, Trofim Lyssenko ! qui prétendait pouvoir augmenter les rendements agricoles (échec complet qui a fait énormément retarder le développement de la recherche génétique en URSS). En 1957, Khrouchtchev voulait pourtant supplanter les États-Unis pour la production de viande, de lait et de beurre. En 1962, le prix de ces produits en URSS ont augmenté de 30%, ce qui a engendré des révoltes et des grèves, vite réprimées dans le sang par l'armée. La sécheresse de 1963 ne l'aida pas non plus, avec une production de seulement 80% de celle de 1958 (l'URSS a dû importer des produits agricoles pour éviter la famine).
     

     
     


    Ces échecs répétés, tant sur le plan intérieur (politique agricole) que sur le plan international (l'humiliation de la fin de la crise de Cuba) ont convaincu certains dirigeants soviétiques qu'il fallait évincer Khrouchtchev du pouvoir. Le complot a été préparé dès le début de l'année 1964 sous la direction de Leonid Brejnev, Président du Praesidium du Soviet Suprême de l'URSS du 7 mai 1960 au 15 juillet 1964. Khrouchtchev, toujours en voyage à l'étranger, était peu souvent présent au Kremlin cette année, ce qui a aidé le complot. Khrouchtchev était en vacances dans sa datcha le 12 octobre 1964 lorsque Brejnev lui a informé d'une réunion du Praesidium le surlendemain. Khrouchtchev s'y est rendu en se doutant du piège. Mis en accusation, il ne s'est pas défendu, aurait pleuré selon des témoins et a donné sa démission.

    Selon William Taubman, le dirigeant démissionnaire-destitué aurait dit à son dernier fidèle Anastase Mikoyan, devenu le 15 juillet 1964 Président du Praesidium du Soviet Suprême (jusqu'au 9 décembre 1965), au téléphone : « Je suis vieux et fatigué. Laissons-les faire face à eux-mêmes. J'ai fait le principal. Quelqu'un aurait-il pu rêver de pouvoir dire à Staline qu'il ne nous convenait plus et lui proposer de prendre sa retraite ? Pas même une tache humide ne serait restée là où nous nous serions tenus. Aujourd'hui, tout est différent. La peur a disparu et nous pouvons parler d'égal à égal. C'est ma contribution. Je ne me battrai pas. ».

    Une nouvelle troïka lui a succédé : Leonid Brejnev, Premier Secrétaire du PCUS le 14 octobre 1964 (jusqu'à sa mort), Alexeï Kossyguine, Président du Conseil des ministres du 14 octobre 1964 au 23 octobre 1980, et Nikolaï Podgorny, Président du Praesidium du Soviet Suprême du 9 décembre 1965 au 16 juin 1977. Une dictature communiste de dix-huit ans a succédé à une dictature communiste de onze ans...


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (12 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Nikita Khrouchtchev.
    Zelensky : Poutine, c'est l'anti-Europe !
    L'aide de la France à l'Ukraine le 6 juin 2024.
    L'attentat islamiste du Crocus City Hall de Moscou.
    Le Sacre du Printemps.
    Comment rester au pouvoir après 2024 ?

     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241014-khrouchtchev.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/l-eviction-de-nikita-khrouchtchev-256445

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/13/article-sr-20241014-khrouchtchev.html