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politique - Page 14

  • Législatives 2024 (9) : Emmanuel Macron et son n'ayez-pas-peur !

    « L’élection qui vient est un rendez-vous de confiance, grave, sérieux, à l’occasion duquel nous devons clarifier le choix pour notre pays et pour nos vies. Car cette élection n’est pas l’élection d’une femme ou d’un homme, ce n’est ni une élection présidentielle, ni un vote de confiance envers le Président de la République. C’est celle de 577 députés. C’est celle d’une majorité de gouvernement. C’est celle d’une seule question : qui pour gouverner la France ? » (Emmanuel Macron, le 23 juin 2024).




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    Avec la lettre qu'il a adressé aux Français ce dimanche 23 juin 2024, le Président de la République Emmanuel Macron a repris la méthode de François Mitterrand le 7 avril 1988 pour sa campagne présidentielle, imité par Nicolas Sarkozy le 5 avril 2012 pour sa campagne présidentielle ; il avait déjà adressé deux lettres aux Français, une le 13 janvier 2019 pour annoncer le grand débat, et une autre le 3 mars 2022 pour sa campagne présidentielle. Mais c'est sans doute De Gaulle qui a été le modèle de sa communication politique du moment en disant en quelque sorte : moi ou le chaos.

    Dans cette lettre, Emmanuel Macron a justifié sa décision de dissolution par le besoin de renouveler l'Assemblée Nationale : « Le désordre des derniers mois ne pouvaient plus durer. Les oppositions s’apprêtaient à renverser le gouvernement à l’automne, ce qui aurait plongé notre pays dans une crise au moment même du budget. ». L'autre raison, c'est la débâcle électorale de la majorité aux élections européennes du 9 juin 2024 : « J’aurais pu ne pas en tenir compte. C’était, croyez-moi, la solution du confort à laquelle je n'ai pas cédé. J’aurais pu changer de Premier Ministre et de gouvernement et tirer là les leçons d’une élection où le chef du gouvernement à ma demande s’était engagé. Nombre de mes prédécesseurs ont fait ainsi. C’eut été facile pour moi. Mais cela ne réglait aucun problème. ».

    Le Président a bien sûr entendu l'inquiétude de ses propres partisans : « Je sais que, pour beaucoup d’entre vous, cela a été une surprise qui suscite de l’inquiétude, du rejet, parfois même une colère tournée contre moi. Je la comprends et je l’entends. (…) Vous demander de choisir, vous faire confiance, n’est-ce pas là le sens-même de la démocratie et de notre République ? ». Également sur le fond : « Je ne suis pas aveugle : je mesure le malaise démocratique. Cette fracture entre le peuple et ceux qui dirigent le pays que nous n’avons pas réussi à résorber. Oui, la manière de gouverner doit changer profondément. Le gouvernement à venir, qui reflétera nécessairement votre vote, rassemblera, je le souhaite, les républicains de sensibilités diverses qui auront su par leur courage s'opposer aux extrêmes. ».

    Car Emmanuel Macron a fait de ces élections un choix entre trois pôles, dont deux extrémismes. L'extrême droite autour du RN : « Elle divise la Nation en opposant ceux qu’elle nomme de vrais Français et des Français de papier. Elle ignore le changement climatique et ses conséquences. Elle prétend vous rendre du pouvoir d’achat mais en revenant sur les réformes des retraites ou en faisant des promesses sur le prix de l’énergie, elle augmentera vos impôts. ». France insoumise : « Elle refuse la clarté sur la laïcité et l’antisémitisme. Elle est divisée sur la réponse à apporter au changement climatique. Elle prétend répondre aux injustices de notre société par une augmentation massive des impôts pour tous, et pas seulement pour les plus riches. ».

    Et enfin, Ensemble pour la République : « Elle est portée par un Premier Ministre et des responsables politiques que vous connaissez, et propose de continuer les réformes pour le travail, la réindustrialisation, une écologie des résultats, pour investir dans les services publics sans impôts ni dette supplémentaire et de défendre une laïcité assumée et une autorité restaurée depuis l’école jusqu’à la justice. Elle défend des choix clairs sur Israël et Gaza comme sur l’Ukraine et a bâti depuis sept ans une armée plus forte dont nous aurons doublé le budget. Cette troisième voie est la meilleure pour notre pays. Non seulement parce qu'elle protège les Français et prépare l'avenir. Mais parce qu'elle est la seule à pouvoir à coup sûr faire barrage à l'extrême droite comme à l'extrême gauche au second tour. ».

    Si le bilan est, au contraire de ce qui se dit, très flatteur (demandez aux Allemands ce qu'ils pensent de la situation économique de la France), le problème, c'est que le dernier argument, faire barrage aux extrémismes, ne paraît plus crédible lorsque les sondages indiquent que Ensemble serait le pôle le moins fort électoralement des trois.

    Le bilan décrit par le chef de l'État : « Depuis sept ans, beaucoup a été fait : l’attractivité retrouvée, les usines rouvertes, les plus de 2 millions d’emplois créés, les baisses d’impôts, les hausses de salaires notamment pour nos soignants et nos professeurs, l’écologie à la française qui permet de faire baisser les émissions six fois plus vite, le renforcement de nos services publics en Hexagone comme en outre-mer, l’action pour l’égalité entre les femmes et les hommes, l’accompagnement et l'inclusion des personnes en situation de handicap, la protection face aux crises comme le covid, la guerre en Ukraine ou l’inflation. ». Mais une élection n'a jamais été gagnée sur un bilan, même excellent.

    Malgré les sondages, et tablant sur une forte participation, Emmanuel Macron reste un indécrottable optimiste. La conclusion de sa lettre est en effet digne du pape Jean-Paul II : « Cette élection est la nôtre. C’est vous qui la ferez. Alors n’ayez pas peur, ne vous résignez pas. Votez. Choisissez le respect, l’ambition et la justice pour notre Nation. Nous le méritons. La France le mérite. ».

    Le moi-ou-le-chaos, Emmanuel Macron l'a refait aussi dans une autre communication beaucoup moins conventionnelle : le Président de la République a en effet répondu pendant près de deux heures à une interview de Matthieu Stefani sur Génération Do It Yourself dont on pourra écouter le podcast ici. Il ne s'agit pas ici d'évoquer tous les sujets, mais de revenir à l'argument choc qui inspire peur et colère, la montée des extrêmes et le risque d'être gouverné, dans quelques jours, par ceux-ci.

     

     
     


    Beaucoup de députés sortants de la majorité présidentielle, candidats à leur réélection, ont rejeté le terme qu'Emmanuel Macron a employé plusieurs fois dans cette interview, à savoir le risque de « guerre civile », l'expression est très forte et son choix est réfléchi et assumé. Et cette expression s'intègre dans une analyse politique et sociologique plus générale.

    Dans un premier temps, Emmanuel Macron a évoqué l'effet des réseaux sociaux dans le débat politique : « Nos sociétés se polarisent. Beaucoup à cause du fonctionnement du rapport à l'information par rapport à l'opinion publique et aux réseaux. ». Il y voit deux raisons. La première raison : « Avec les réseaux sociaux, l'émotion est plus forte que l'argument. Et l'émotion négative est plus forte que l'émotion positive. (…) Structurellement, vous êtes dans un espace où les extrêmes sont meilleurs parce qu'ils jouent mieux sur les émotions négatives. ». Et la seconde raison : « Les réseaux, la manière de fonctionner des gens qui utilisent les réseaux et tous ces canaux pour s'informer, les enferment de plus en plus dans des bulles cognitives. (…) Dans ces bulles cognitives, c'est celui qui est le plus radical qui tire les autres. Et donc, ça accroît le premier phénomène. ».

    Pour le Président, l'enjeu est donc de refaire de l'information factuelle : « La question, c'est comment vous arrivez à remettre de l'argument, du fait et de l'émotion positive dans tout ça, parce que sinon, c'est les extrêmes qui gagnent, qui vous écrasent. (…) On a besoin de retrouver, dans cet espace, (…) des médiateurs positifs (…) et on a besoin aussi de retrouver des tiers de confiance. (…) Si les gens choisissent sur des émotions plus que sur des informations, alors peut-être qu'ils choisissent le pire. ».

    Dans un deuxième temps, il a évoqué les extrêmes, à droite et à gauche : « Beaucoup de gens qui votent aujourd'hui avec les extrêmes n'ont pas le sentiment d'être aux extrêmes. ». Le RN : « C'est un parti (…) qui a attiré des gens qui sont en colère mais qui ne sont pas du tout des gens qui se vivent aux extrêmes et qui n'ont pas des idées extrêmes. ». Et FI : « C'est une extrême gauche (…) et d'autres s'y associent, qui ne sont pas d'extrême gauche. Mais quand le cœur du programme est défini par cette extrême gauche, qui, dans ses rapports avec l'antisémitisme, assume de ne pas être claire, quand elle ne fait pas pire, qui ont des pratiques antiparlementaristes (…), c'est un extrême. ».

    Face à ces extrêmes, Emmanuel Macron veut promouvoir le bloc central : « Ce qu'il faut clarifier, c'est est-ce que vous êtes dans le champ de la République pour exprimer ces différences (…) ou est-ce que vous voulez, pour gagner, vous associer aux extrêmes, quitte à assumer des incohérences ? ».

    Et au constat d'un véritable fossé communautaire, le Président a répondu : « Si on va au bout de votre raisonnement, le pays explose ou c'est la guerre civile !  Et c'est ça mon grand désaccord avec les deux extrêmes et ceux qui les suivent. (…) La réponse de l'extrême droite, principalement, idéologiquement, c'est (...) : la République ne vous protège pas bien. ». En stigmatisant une catégorie de la population, cela créée du séparatisme : « Ils mettent les Français les uns contre les autres (…). Si la réponse passe par la stigmatisation et par la division, on est foutus. (...) C'est juste de dire : on doit régler le problème de sécurité. Je me fiche de savoir le prénom, la religion de la personne qui a fait ça. C'est juste qu'il faut réapprendre les règles, la partie éducative, réaccompagner les familles, la partie sociale d'investissement, et réprimer de manière beaucoup plus claire et rapide, c'est la partie répressive. Et moi, je pense que c'est hors sujet, la réponse de l'extrême droite, parce qu'elle renvoie les gens ou une religion ou à une origine. Et c'est en cela qu'elle divise et qu'elle pousse à la guerre civile. ».

    De même, le discours d'extrême gauche se nourrit d'un manque de reconnaissance de certains citoyens : « Il y a beaucoup de nos compatriotes qui sont de confession musulmane ou issus de l'immigration, parce que l'un ne va pas avec l'autre (…), qui se disent : je ne suis pas bien défendu, qui ont peur de l'extrême droite, qui disent : la République ne me donne pas bien ma place, et qui vont vers une offre qui est une forme de communautarisme, puisqu'elle n'assume plus du tout le cadre de la laïcité, c'est-à-dire une République neutre et bienveillante pour les religions, et elle les enferme dans un communautarisme, qui est un peu électoral, mais ça, c'est aussi la guerre civile derrière, parce que c'est d'abord renvoyer des gens exclusivement à leur appartenance, ou religieuse ou communautaire, c'est de justifier leur écartement en quelque sorte de la communauté nationale, et c'est la guerre civile avec ceux qui ne partagent pas ces valeurs, et puis, c'est mettre le voile sur des gens qui en même temps fragilisent notre République dans beaucoup de quartiers. (…) Dans la conception aujourd'hui de la France insoumise, il y a ça, et moi, je pense que c'est un danger. ».

    Pour résumer : « Et le Rassemblement national, et la France insoumise, elles répondent à des vrais problèmes, je veux dire, elles répondent à de vraies colères, à de vraies angoisses, celles de la personne qui se dit : on ne répond pas à mon problème de sécurité, celles qui se dit : je ne suis pas reconnu parce que je suis musulman. Mais elle y répond mal à mes yeux parce qu'elle y répond, en quelque sorte, en accroissant la conflictualité et la guerre civile. Moi, je crois qu'il y a une réponse par plus d'efficacité, mais dans la République. ».

    Ainsi, le double thème de campagne d'Emmanuel Macron, c'est d'être plus efficace pour la sécurité et d'être plus à l'écoute de l'égalité des chances, en rappelant avant tout la diversité française mais aussi le creuset républicain :« La France est un fleuve, il y a plein d'affluents, mais c'est un grand fleuve. Il vient de très loin. ».

    Dans un troisième temps, il a répété son opposition aux extrêmes : « Moi, je ne crois pas du tout, et je combattrai de toutes mes forces, les théories de la guerre civile. ». Et a repris la présentation de l'offre électorale de sa lettre aux Français : « Il y a trois offres. Il y a un bloc avec l'extrême gauche et une partie de la gauche. Moi, je pense que ce n'est pas la bonne réponse. Je respecte tous les gens qui votent pour ces personnes, mais je pense que ce n'est pas la bonne réponse et je pense aussi que sur le plan économique, c'est un programme qui est pour le coup dangereux pour le pays, qui nous ferait reculer, parce que c'est un programme d'impôts cachés. Et puis, il y a l'extrême droite et ses associés, le RN. Et pareil, je respecte profondément les gens qui rejoignent ce vote et qui l'ont fait, mais je pense que ce n'est pas la bonne réponse pour le pays, parce qu'elle mène à la guerre civile, et surtout parce que c'est aussi un programme d'appauvrissement, parce que c'est plusieurs milliers d'euros d'impôts cachés chaque jour et l'impossibilité de payer les retraites et de bien payer les salariés. Voilà. Et au milieu, il y a cette troisième offre, qui est Ensemble pour la République, qui, en plus je le crois, a la possibilité d'agréger des gens raisonnables des deux rives qui sont prêts à travailler ensemble. ».

    Ce discours sur les gens raisonnables et ceux qui sont soumis aux émotions, la peur et la colère, est assez bien rodé et très macronien. Il a refusé l'idée qu'il était lui-même créateur du désordre par la dissolution. Au contraire, il veut y mettre fin.

    Car voici sa justification de la dissolution : « Et qu'est-ce qui était en train de se préparer ? Une motion de censure pour faire tomber le gouvernement. C'est ça, la réalité. Ils l'avaient dit. Plusieurs fois, l'extrême gauche qui veut nous faire croire aujourd'hui qu'elle serait le rempart à l'extrême droite, mais l'extrême gauche, elle a voté plusieurs motions de censure de l'extrême droite contre le gouvernement. Elle allait voter celle-ci sur le budget. Et la droite, dite républicaine à l'époque, de monsieur Ciotti, elle nous disait : on va essayer de faire une alliance, mettez-vous d'accord. On l'a fait plein de fois, jamais ! Pourquoi ? Parce qu'il préparait son coup avec le Rassemblement national. Donc, ça allait arriver, dans un chaos complet (…). Il n'y a rien de plus grand et de plus juste dans une démocratie que la confiance dans le peuple. ».

    Refusant de se focaliser sur le thermomètre, et préférant évoquer la température, Emmanuel Macron a déclaré : « Ce ne sera la faute de personne, le soir du deuxième tour, ce sera la responsabilité des Français. ».


    Ses propos peuvent être critiquables et paradoxaux, car d'un côté, il dit qu'il respecte les gens qui votent pour les extrêmes, de l'autre, il dit que les gens ne sont pas fous, ils ne vont quand même pas voter pour les extrêmes. Et si on peut s'étonner qu'il dise "je ne fais pas de pari" (celui de la dissolution), puis qu'il fasse finalement le "pari" de l'intelligence des Français (ce n'est pas le même pari mais ce vocabulaire pollue un peu sa réflexion), son analyse de fond peut cependant se concevoir : « Et moi, ce n'est pas un pari, c'est une confiance. C'est que je dis : les gens ne sont pas des idiots. Tout le système pense que les gens sont idiots. C'est ça, la réalité. (…) Vous pensez que les gens sont fous et veulent ou le blocage ou les extrêmes si on explique calmement quels sont les projets ? Moi, je ne crois pas. J'ai toujours fait ce pari-là : les gens sont intelligents. Les gens, ils ont des coups de colère, et qui sont parfois justes. Ils ont des vies qui sont difficiles. Et est-ce qu'on a tout bien fait ? Non. Et au bout de sept ans, est-ce que les gens n'ont pas envie de vous mettre un coup de pied aux fesses ? Oui. Et qu'est-ce qu'ils ont fait de neuf ? Ça. Mais je leur dis : ok, message reçu ! Maintenant, le 30 juin, quel projet pour gouverner le pays vous voulez ? Quel projet tient la route ou pas ? Et moi, je leur dis : j'ai besoin d'une majorité d'action, j'ai besoin, pour que notre pays avance, que les femmes et les hommes qui croient dans les idées de progrès, de respect, qui ont de l'ambition pour le pays, puissent se mettre d'accord. Et ma responsabilité comme Président, ce sera de choisir à la lumière de ce choix que feront les Français, les personnes pour mener cette politique et m'assurer qu'elle permet au pays d'avancer. Donc, c'est tout sauf le désordre. C'est parce qu'il y avait la chienlit, si je peux m'exprimer ainsi, que je devais dissoudre. Sinon, la colère serait sortie. ».

    Incontestablement, il y a dans ce discours une double ambiguïté. Celle de s'opposer aux extrêmes tout en leur offrant, objectivement, l'occasion de conquérir le pouvoir sur un plateau d'argent, et cela, c'est surtout ses propres partisans qui peuvent ressentir ce paradoxe. Mais aussi celle de la guerre civile. Si le Président de la République veut défendre l'intérêt national et empêcher la guerre civile, qui est un réel risque (les quartiers de banlieue seraient très chauds en cas de victoire du RN), la question légitime est : pourquoi a-t-il donné l'occasion de ce risque de victoire ? Et sa réponse reste : on m'aurait reproché de ne rien avoir écouté du scrutin des élections européennes et la colère se serait exprimée d'une autre manière. Et de toute façon, la majorité relative allait exploser à l'automne avec l'adoption d'une motion de censure. Donc rien de plus beau qu'un retour aux urnes.

    Tout le raisonnement du Président de la République se tient intellectuellement, mais ce n'est pas de la politique. La politique a un besoin d'incarnation très fort et depuis la dissolution, la cote de popularité d'Emmanuel Macron a chuté de 6 points, principalement par ses propres soutiens mis en état de sidération avec la dissolution. Emmanuel Macron a eu l'expérience des bains de foule pendant les commémorations du Débarquement de Normandie qui lui a faussé la lucidité sur sa propre image dans "l'opinion publique". Dans sa majorité, l'histoire tourne plutôt au "sauve-qui-peut" général. Mais peut-être Emmanuel Macron aura-t-il eu raison, contre les sondages, contre ses troupes et contre l'opposition ? Réponse dimanche. Tout ce qu'on peut espérer, c'est qu'il n'aura pas eu raison contre les Français eux-mêmes.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (24 juin 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    Législatives 2024 (9) : Emmanuel Macron et son n'ayez-pas-peur !
    Interview d'Emmanuel Macron à Génération Do It Yourself le 24 juin 2024 (podcast intégral).
    Lettre aux Français d'Emmanuel Macron le 23 juin 2024 (texte intégral).
    Législatives 2024 (8) : la bataille de Matignon.
    Le programme aux élections législatives du 30 juin 2024 d'Ensemble pour la République (document à télécharger).
    Législatives 2024 (7) : Ensemble pour la République.
    Législatives 2024 (6) : Nicolas Sarkozy et François Fillon bougent encore !
    Législatives 2024 (5) : le trouble de Lionel Jospin.
    Législatives 2024 (4) : l'angoisse de Manuel Valls.
    Législatives 2024 (3) : François Hollande dans l'irresponsabilité totale !
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Sidération institutionnelle.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Résultats des élections européennes du dimanche 9 juin 2024.

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    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240624-macron.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/legislatives-2024-9-emmanuel-255404

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/06/24/article-sr-20240624-macron.html




     

  • Il y a 40 ans, l'énorme manifestation pour l'école libre

    « 90. Un grand service public, unifié et laïque de l’éducation nationale sera constitué. Sa mise en place sera négociée sans spoliation ni monopole. Les contrats d’association d’établissements privés, conclus par les municipalités, seront respectés. Des conseils de gestion démocratiques seront créés aux différents niveaux. » (Extrait des 110 propositions du candidat François Mitterrand, 1981).



     

     
     


    Il y a quarante ans, une énorme manifestation en faveur de l'enseignement libre a eu lieu à Paris, place de la République, qui a rassemblé 2 millions de personnes (800 000 selon la police), l'une des plus grandes manifestations dans l'histoire de la République. Il faut revoir le contexte à la fois politique et social.

    Depuis deux ans et demi, le Ministre de l'Éducation nationale, le socialiste Alain Savary, Compagnon de la Libération et ayant fait ses études au lycée Stanislas (catholique), travaillait dans la concertation pour appliquer la proposition numéro 90 des 110 propositions du candidat François Mitterrand à l'élection présidentielle (François Mitterrand est aussi passé par l'école catholique dans sa jeunesse). L'idée était d'en finir avec l'enseignement catholique en reprenant le combat anticlérical d'Émile Combes.

    Pour cela, l'interlocuteur du gouvernement fut d'abord le chanoine Paul Guiberteau, le secrétaire général de l'enseignement catholique français, puis Pierre Daniel, le président de la fédération des parents d'élèves de l'enseignement libre (UNAPEL). Des points d'accord ont été trouvés mais très rapidement, l'inquiétude s'est répandue au sein de l'enseignement catholique mais aussi des Français hors appartenance religieuse. En s'en prenant à l'école privée, le gouvernement empêchait toute possibilité, pour un parent d'élève, de changer l'école de leur enfant.

    La contestation a commencé le 22 janvier 1984 avec une manifestation de 60 000 personnes à Bordeaux, et elle a vite "contaminé" le pays : 150 000 manifestants le 29 janvier 1984 à Lyon, 250 000 manifestants le 18 février 1984 à Rennes, 300 000 manifestants le 25 février 1984 à Lille. La première manifestation nationale a eu lieu le 4 mars 1984 à Versailles avec 800 000 participants devant le château (avec Pierre Bellemare sur un podium).

     

     
     


    Il faut bien comprendre que ce mouvement n'avait rien de politique, ses organisateurs ont toujours voulu écarter les responsables politiques même si certains, dans l'opposition, n'ont pas hésité à exploiter cette aubaine. Il venait avant tout de la base, des parents, qui voulaient garder cette liberté de mettre leurs enfants dans l'école qu'ils voulaient.

    Le 18 avril 1984, la réforme Savary est passée au conseil des ministres. François Mitterrand avait de toute façon compris que le projet de loi était compromis, non seulement par cette contestation dans la rue, mais aussi par les ultras de son propre camp, car le groupe socialiste s'opposait aux concessions du gouvernement faites à l'enseignement catholique. La guerre scolaire était donc bien présente. François Mitterrand a fait un tour de table des différents ministres pour connaître leur réflexion sur ce sujet.

    Le 25 avril 1984, pour faire pression sur le gouvernement, le camp des laïcards a fait une grande contre-manifestation rassemblant des dizaines de milliers de personnes voulant la suppression de l'enseignement privé, sa fusion dans un grand service public. Lionel Jospin, premier secrétaire du PS, et Pierre Joxe, président du groupe PS à l'Assemblée Nationale, participaient à cette manifestation, aussi Georges Marchais, Pierre Juquin et André Laignel.

    André Laignel, à l'époque jeune député-maire d'Issoudun, et considéré comme un ultra de l'aile gauche du PS, présidait la commission spéciale à l'Assemblée Nationale sur cette réforme. Poussé par Pierre Joxe et Jean Poperen, il est allé voir le Premier Ministre Pierre Mauroy pour imposer ses amendements, sans la présence d'Alain Savary. Et effectivement, lors de l'examen du projet de loi en séance publique, le 22 mai 1984, André Laignel, soutenu par la grande majorité du pléthorique groupe socialiste, a pu faire adopter ses amendements, en particulier l'impossibilité de créer une école privée sans qu'une école publique n'existe au préalable et la condition que plus de la moitié des enseignants soient titularisés fonctionnaires pour permettre à leur école privée de recevoir des subventions publiques.

    Ces modifications ont mis le feu politique. Parallèlement se déroulait la deuxième campagne des élections européennes qui ont eu lieu le 17 juin 1984 avec un désastre (ce n'est pas nouveau !) pour le gouvernement : la liste UDF-RPR menée par Simone Veil a obtenu 43,0% des voix (du jamais vu !), suivie de la liste du PS menée par Lionel Jospin avec moins de la moitié, 20,7% des voix, et autre coup de tonnerre, la liste du FN menée par Jean-Marie Le Pen, avec 11,0%, a fait quasiment jeu égal avec la liste du PCF menée par Georges Marchais, 11,2% ! Les autres listes ont fait moins de 4% des voix. La liste de Simone Veil s'appelait d'ailleurs très officiellement : « Union de l'opposition pour l'Europe et la défense des libertés ». Cette "défense des libertés" reprenait évidemment le mouvement pour la liberté de l'enseignement.

     

     
     


    Dès le 22 mai 1984, ce mouvement a organisé une énorme manifestation nationale le dimanche après les élections, le dimanche 24 juin 1984 à Paris, veille des épreuves du baccalauréat de français. Là encore, c'était la base qui était à l'origine de la mobilisation, et 2 millions de personnes sont venues de toute la France, arborant leur origine géographique sur les pancartes. Il faut noter que le service d'ordre était très efficace et que, malgré le nombre, il n'y a eu aucun dérapage (ce n'était pas évident et les forces de l'ordre étaient sur le qui-vive). Trois évêques, entre autres, étaient présents, Mgr Jean Vilnet, le président de la Conférence des évêques de France, Mgr Jean-Marie Lustiger, archevêque de Paris, et Mgr Jean Honoré, archevêque de Tours. En général, les évêques n'étaient pas très chauds pour défiler et prendre part au débat public, mais l'enjeu était très important dans ce cas-là.

    Il y a eu quatre cortèges et les responsables politiques ont évidemment participé à cette manifestation, en particulier les grands ténors de l'opposition : Jacques Chirac, Bernadette Chirac, Valéry Giscard d'Estaing, Jean Lecanuet, Simone Veil, Jacques Chaban-Delmas, Michel Debré, Claude Labbé, Charles Pasqua, Bernard Pons, Jean-Claude Gaudin, etc. Parmi les personnalités, il y avait également, près de Simone Veil, une (jeune) avocate, Nicole Fontaine, secrétaire générale adjointe puis déléguée de l'enseignement catholique, nouvellement élue députée européenne en 1984 et qui allait devenir en 1999 Présidente du Parlement Européen avant d'être nommée Ministre de l'Industrie par Jean-Pierre Raffarin.

     

     
     


    Le Front national, qui venait de gagner dix sièges au Parlement Européen, a manifesté un peu à part, notamment Jean-Marie Le Pen et Jean-Pierre Stirbois, et les autres manifestants ne voulaient surtout pas se mélanger à eux.

    Pour donner une idée de l'état d'esprit de François Mitterrand, cette petite histoire racontée par le (jeune) sénateur Josselin de Rohan (nouvellement élu en septembre 1983) : le jour même, François Mitterrand a demandé au sénateur RPR de la Sarthe Jacques Chaumont s'il comptait se rendre à la manifestation de l'après-midi, le sénateur lui a dit bien sûr et le Président lui a répondu qu'il allait certainement y croiser la moitié de sa famille !

    Même le pape Jean-Paul II y est allé de son grain de sel en déclarant le 29 juin 1984 : « Les catholiques ont le droit et le devoir de défendre leur école. ». Le texte de la réforme Savary est allée au Sénat et, après une vaine tentative de conciliation du Président (centriste) du Sénat Alain Poher auprès de François Mitterrand, Charles Pasqua, président du groupe RPR au Sénat, a convaincu l'ensemble de la majorité sénatoriale de voter le 5 juillet 1984 une motion de référendum, si bien que le texte n'a pas été discuté par la Haute Assemblée, simplement renvoyé pour un référendum improbable. C'était très habile politiquement : en réclamant un référendum sur la réforme Savary, l'opposition avait gagné la bataille de l'opinion puisque rien n'était plus démocratique que de demander au peuple son avis. S'opposer à cela était difficile.

    Le même jour (5 juillet 1984), François Mitterrand, en déplacement au Puy-en-Velay, a assuré qu'il ne céderait pas, mais les jeux étaient déjà faits : avec le désastre électoral des européennes et l'énorme manifestation du 24 juin, il ne pouvait pas ne pas prendre une initiative majeure. Il n'y en a que trois pour un Président de la République : dissolution, changement de Premier Ministre et référendum. Au contraire du Président Emmanuel Macron en juin 2024, François Mitterrand a utilisé les deux autres outils d'une manière assez habile.

     

     
     


    En effet, pour mettre fin à l'incendie de la guerre scolaire, avant la fête nationale, François Mitterrand a annoncé dans une allocution télévisée le 12 juillet 1984 qu'il renonçait au projet Savary et qu'il proposait un référendum sur le référendum. Ce qui allait devenir le vaudeville politique de l'été 1984 était une fumeuse et néanmoins géniale de François Mitterrand (qui allait faire papoter les constitutionnalistes pendant tout l'été). Puisque l'opposition voulait un référendum, alors chiche ! Mais comme l'article 11 de la Constitution n'autorisait pas à faire un référendum sur l'éducation, alors il fallait d'abord réviser cet article de la Constitution, et il voulait que cette révision fût approuvée par référendum. Dans sa traditionnelle interview du 14 juillet 1984 sur TF1, François Mitterrand a couvert de fleurs le ministre Alain Savary, ce qui faisait sentir le sapin, et ce dernier, ulcéré par l'abandon du projet de loi qu'il avait appris comme les Français devant sa télévision, a présenté sa démission le 17 juillet 1984. Pierre Mauroy, choqué aussi par l'initiative présidentielle, a donné le même jour la démission de son gouvernement.

    Laurent Fabius, "le plus jeune Premier Ministre donné à la France", fut nommé quelques heures plus tard à Matignon, Jean-Pierre Chevènement nommé au Ministère de l'Éducation nationale, les communistes ont refusé de poursuivre leur participation au gouvernement et le Sénat a rejeté le texte de révision adopté au conseil des ministres du 18 juillet 1984 sur l'article 11, faisant échouer l'initiative présidentielle, mais ce n'était plus important puisque l'essentiel était de désamorcer la crise de l'école.

    Celle-ci est revenue sporadiquement lors du gouvernement d'Édouard Balladur lorsque son Ministre de l'Éducation nationale, un certain François Bayrou, a voulu réformer la loi Falloux sur le financement de l'enseignement privé (projet de loi adopté le 14 décembre 1993 par le Parlement, grèves spontanées, grande manifestation laïque le 16 janvier 1994 malgré l'annulation des dispositions contestées le 13 janvier 1994 par le Conseil Constitutionnel). Des stigmates de cette guerre scolaire, on les a encore ressentis lors de la polémique avec Amélie Oudéa-Castéra, nommée Ministre de l'Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, qui s'est maladroitement enlisée médiatiquement sur ses enfants qu'elle avait placés dans l'enseignement privé (ce qui était son droit le plus absolu). Ce sujet, on le voit, est resté très sensible auprès des Français et il faut aussi comprendre que ce mouvement pour l'école libre, très populaire, n'a pas grand-chose à voir avec la Manif pour tous qui, en 2013, s'est beaucoup mobilisée pour s'opposer au mariage pour tous.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (22 juin 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    Il y a 40 ans, l'énorme manifestation pour l'école libre.
    Amélie Oudéa-Castéra.
    Journée de lutte contre le harcèlement scolaire : est-elle utile ?
    Harcèlement scolaire et refus d'obtempérer.
    L'assassinat de Dominique Bernard au lycée Gambetta d'Arras.
    G. Bruno.
    Gabriel Attal, nouveau ministre de l'éducation nationale.
    Pap Ndiaye.
    Les vacances scolaires sont-elles trop longues ?
    Nos enseignants sont des héros !
    Prime à l'assiduité : faut-il être choqué ?
    Violence contre une prof et vidéo dans les réseaux sociaux.
    Transgression à Marseille : recruter des profs plus "librement" ?
    Samuel Paty : faire des républicains.
    Samuel Paty : les enseignants sont nos héros.
    La sécurité des personnes.
    Lycée Toulouse-Lautrec.
    Transgression à Marseille : recruter des profs plus "librement" ?
    L’école publique gratuite de Jules Ferry.
    Alisha, victime d’un engrenage infernal.
    Genrer la part du Lyon ?
    Daniel Pennac, ministre de l'éducation nationale.
    René Haby.
    Le handicap et l'école.
    La féminisation des noms de métiers et de fonctions.
    Les écoles ne sont pas des casernes.
    La laïcité.
    La réforme du baccalauréat.
    Prime à l’assiduité.
    Notation des ministres.
    Les internats d’excellence.
    L’écriture inclusive.
    La réforme de l’orthographe.
    La dictée à  l’école.
    La réforme du collège.
    Le réforme des programmes scolaires.
    Le français et l’anglais.
    Le patriotisme français.
    Jean-Michel Blanquer.
    Jean Zay.
    Vincent Peillon.
    Alain Devaquet.
    Alain Savary.













    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240624-manifestation-ecole-libre.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/il-y-a-40-ans-l-enorme-255286

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/06/23/article-sr-20240624-manifestation-ecole-libre.html



     

  • Législatives 2024 (8) : la bataille de Matignon entre Jean-Luc Mélenchon, Jordan Bardella et Gabriel Attal

    « Elle songea qu'ils se trompaient probablement tous les uns les autres et qu'ils vivaient dans une illusion. » (Marie Vareille, "Ma vie, mon ex et autres calamités", éd. Charleston, 2019).




     

     
     


    L'enjeu qu'a voulu placer le Premier Ministre Gabriel Attal dans ces élections législatives, c'est le choix du Premier Ministre le 8 juillet 2024. C'est aussi l'enjeu de Jordan Bardella, le président du RN, et également, mais de façon un peu plus confus, de la nouvelle farce populaire. Pourtant, je l'ai déjà écrit, la nomination du Premier Ministre est une prérogative exclusive du Président de la République. En d'autres termes, sur le principe, on n'est jamais candidat à Matignon. Ce serait presque un crime de lèse-Président, voire un manière très peu constitutionnelle d'appréhender les institutions.

    Toutefois, dans la pratique, il est bien autrement. On a pu découvrir et se convaincre, avec les trois expériences de la cohabitation (1986-1988, 1993-1995 et 1997-2002), que le pouvoir se trouvait réellement, en pratique, je répète, à Matignon et pas à l'Élysée. Sans pour autant perdre de l'efficacité des institutions de la Cinquième République puisque pendant ces trois périodes de cohabitation, la France a été gouvernée pas moins efficacement que dans les autres périodes.

    Faire un enjeu du choix du Premier Ministre dans une campagne d'élections législatives, c'est le cas en fait quand celles-ci ne suivent pas directement une élection présidentielle, au contraire de juin 1981, juin 1988, juin 2002, juin 2007, juin 2012, juin 2017 et juin 2022. Ces cas sont rares depuis vingt-cinq ans, mais ils étaient auparavant le cas général. Pour les quatre derniers cas, il fut toujours question de la cohabitation : en mars 1978, en mars 1986, en mars 1993 et en juin 1997. Et c'était bien un enjeu personnel (qui serait le Premier Ministre ?) qui était associé à un enjeu politique (quelle politique serait appliquée ?).

    En 1978, les sondages donnaient la gauche gagnante et le Président Valéry Giscard d'Estaing avait mis en garde : il ne pourrait nommer qu'un Premier Ministre de gauche si elle gagnait les élections. Le terrain de campagne s'est donc porté sur le duel entre le Premier Ministre sortant Raymond Barre et le premier secrétaire du PS François Mitterrand. Ce dernier a finalement perdu et a dû attendre 1981 pour arriver au pouvoir par la grande porte de l'Élysée.

    En 1986, les sondages donnaient gagnante l'union UDF-RPR et ils ont eu raison, de justesse. Au-delà de l'alternance politique, le débat est devenu le duel entre le Premier Ministre sortant Laurent Fabius et son probable successeur, président du RPR, Jacques Chirac. À l'époque, d'autres hypothèses de Premier Ministre avaient germé pour la première cohabitation avec Alain Peyrefitte, Jacques Chaban-Delmas, René Monory, Simone Veil (43,0% aux élections européennes de juin 1984) et même Valéry Giscard d'Estaing, mais aucune de celles-là n'était politiquement crédible en raison de l'hégémonie du chiraquisme.

    En 1993, rebelote pour la deuxième cohabitation. Jacques Chirac ayant échoué à l'élection présidentielle de 1988 a préféré se réserver pour l'élection présidentielle de 1995. Édouard Balladur était le candidat désigné bien avant les élections législatives pour devenir ce Premier Ministre de cohabitation, adoubé autant par l'UDF que le RPR. En face lui, il n'avait aucun adversaire, tant la défaite du PS était attendue.

    En 1997, le cas historique le plus proche de 2024 avec la dissolution, le débat politique continuait à donner le clivage traditionnel entre le RPR (au pouvoir) et le PS (le principal parti d'opposition). À la tête du PS, son premier secrétaire Lionel Jospin (premier au premier tour de l'élection présidentielle de 1995), face au Premier Ministre sortant Alain Juppé, a priori candidat à sa succession, si ce n'est qu'après un premier tour désastreux, la majorité a présenté pour Matignon la perspective de la nomination de Philippe Séguin, plus populaire. C'était trop tard et, grâce à de nombreuses triangulaires où le FN a perturbé le jeu entre UDF-RPR et PS, la gauche a gagné et Lionel Jospin est resté au pouvoir pendant cinq ans, jusqu'à la fin du septennat de Jacques Chirac.


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    On conçoit, à ces évocations historiques, que les élections législatives de 2024 qui donnent aussi un enjeu de personnes à Matignon, répondent à la classique envie des Français de personnaliser le débat publique comme il a toujours aimé le faire avec les élections présidentielles depuis 1965. Ces élections législatives, qui sortent des clous de la présidentielle, sont donc, comme dans les quatre cas présentés en introduction, une mini-présidentielle en attendant la grande échéance de 2027... ou avant.

    Les dernières élections qui sont consécutives à une dissolution, en 1997, si la France était majoritairement à droite, elles ont donné un gouvernement de la gauche plurielle pendant cinq ans dans une sorte de bipolarisation troublée par le FN. En 2024, la tripolarisation est réelle, même si elle n'est pas nouvelle puisqu'elle structure la vie politique française depuis 2017 dans le choc de trois (fortes) personnalités Emmanuel Macron, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon qui, en 2017 et en 2022, ont représenté autour d'un cinquième (voire un quart) de l'électorat.

    Avec l'union obtenue à gauche, qui fait de cette coalition hétéroclite du NFP un étrange attelage assez hypocrite voire mensonger (à l'instar de Danièle Obono, aucun membre du NFP n'est capable de dire si le seuil fixé du SMIC dans ce programme est net ou brut, par exemple !), un simple cartel électoral, puisqu'ils ne sont d'accord sur rien, trois "blocs" s'opposent : le RN, le NFP et la majorité présidentielle, Ensemble pour la République. Au-delà des programmes dont ceux des deux extrémismes populistes (de droite et de gauche) sont tellement n'importe-quoi qu'ils ne sont pas crédibles dans leur forme (et les électeurs, apparemment, s'en fichent), le débat s'est aussi déplacé sur le plan personnel entre ces trois personnalités marquantes de la vie politique.


    1. Jean-Luc Mélenchon, le candidat à Matignon du NFP/Nupes

    C'est sans doute la coalition qui est la plus confuse sur le choix du Premier Ministre, preuve qu'elle n'a aucun but de gouverner un jour la France puisqu'ils n'ont ni programme cohérent ni chef. Jean-Luc Mélenchon a été le premier à annoncer son ambition de Matignon, mais on l'a vite fait taire. Comme Emmanuel Macron au centre, Marine Le Pen à l'extrême droite, l'évocation de Jean-Luc Mélenchon est un repoussoir et discrédite son camp.

    Mais son (pseudo-)silence ne signifie pas qu'il a renoncé, car les purges qu'il a provoquées dans les investitures des candidats insoumis le prouvent (Raquel Garrido, Alexis Corbière, Danièle Simonnet, etc.), ainsi que les investitures attribuées sur le bout des lèvres en se bouchant son nez (Clémentine Autain, François Ruffin, etc.), et même celles qui, finalement, ont échoué parce que c'était (vraiment) "trop" mélenchonesque (Adrien Quatennens). Sans compter l'investiture de Philippe Poutou, du NPA, avec ses slogans anti-force de l'ordre, dans la circonscription même où le colonel Beltrame a donné la vie.

    Ainsi, comme à la foire au slip, tout le monde, à la Nupes, était candidat à Matignon : Laurent Berger, Valérie Rabault, Carole Delga, François Ruffin, Clémentine Autain, Fabien Roussel, Olivier Faure, François Hollande (ou alors il veut le perchoir ?), et j'en oublie certainement (qu'ils me pardonnent !), mais finalement, cette multiplicité fait bien le jeu de Jean-Luc Mélenchon dont la candidature, quoi qu'on en dise, est évidente car il n'a, en interne, personne face à lui, et Gabriel Attal l'a bien observé le 20 juin 2024 : « Dissimulation sur le programme dont chacun conteste le chiffrage et dissimulation en maintenant un écran de fumée sur l'identité du locataire de Matignon en cas de victoire de la Nupes. Ils semblent ne pas s'entendre sur un nom, en tout cas, faire mine de ne pas s'entendre sur un nom, et pourtant, le résultat est couru d'avance : ils l'ont dit eux-mêmes, le plus grand groupe de la Nupes choisira le Premier Ministre. Le groupe qui a le plus de candidats et le plus sortants, c'est la France insoumise. C'est elle qui a d'ores et déjà imposé son programme aux autres partis de gauche,et donc, en cas de victoire de la Nupes, le Premier Ministre, ce serait nécessairement Jean-Luc Mélenchon. ».

    Car c'est la différence avec 1936 et 1981, puisque ces références historiques sont utilisées par les protagonistes : en 1936, les radicaux dominaient le Front populaire et le PCF était très minoritaire au sein de l'alliance, et en 1981, la gauche a pu venir au pouvoir justement parce que le PS avait pris l'ascendant sur le PCF. En 2024, au contraire, les insoumis restent très majoritaires au sein de la Nupes.


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    Du reste, Jean-Luc Mélenchon, qui avait fait sa campagne aux élections législatives de 2022 sur le thème "moi Premier Ministre", est « bien évidemment » prêt à Matignon. Le samedi 22 juin 2024 sur France 5, le gourou des insoumis l'a confirmé pour ceux qui auraient mal compris : « J'ai l'intention de gouverner le pays (…). Je ne suis pas en retrait (…). Je ne m'élimine pas ! », même si, selon lui, il ne voudrait pas « s'imposer » ! Au moins, ça a le mérite de la clarté.

    La question lorsqu'on veut voter NFP est donc bien celle-ci, et seulement celle-ci : veut-on avoir Jean-Luc Mélenchon à Matignon ? Veut-on un "je-suis-la-République" au pouvoir avec une conception très castriste et bolivarienne de la démocratie (dont les purges aux investitures ont donné un avant-goût), avec le communautarisme élevé au rang de valeur suprême, en encourageant le stupide wokisme, en scandant le slogan scandaleux "la police tue", et, même, en flirtant plus ou moins habilement avec l'antisémitisme ? Les sociaux-démocrates, les électeurs trahis de Raphaël Glucksmann en 2024, et même ceux de Fabien Roussel en 2022, devraient réfléchir à deux fois avant de se ligoter l'esprit sur l'autel des valeurs républicaines.



    2. Jordan Bardella, le candidat à Matignon du RN

    Le cas de Jordan Bardella est très différent de Jean-Luc Mélenchon. Loin d'être un repoussoir, c'est une personnalité (étrangement) attractive. Il faut le reconnaître, il est populaire et ce jeune homme très lisse est loin d'être un repoussoir pour les électeurs susceptibles de voter pour le RN. Le diable ne se présente jamais dans un apparat affreux, sinon, ce serait trop facile. Marine Le Pen a commencé à "l'utiliser" (j'emploie ce verbe à dessein) en 2019 (il avait 23 ans) pour concurrencer sa jeune nièce Marion Maréchal (mais moins jeune que le "gendre Jordan" qu'il était dans la famille Le Pen, compagnon d'une autre nièce de Marine Le Pen).


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    La question n'est pas encore là, mais si jamais Jordan Bardella accédait à Matignon, la question se poserait véritablement d'une rivalité de fait entre lui et Marine Le Pen, à l'instar du couple formé en 1993 par Édouard Balladur et Jacques Chirac. J'espère qu'on n'en sera pas là, mais connaissant les institutions de la Cinquième République, je me pose vraiment la question de l'intérêt de Marine Le Pen qui a tout à y perdre : soit l'expérience Bardella est un échec et alors, il rejaillira sur le RN et sur elle à l'élection présidentielle, soit au contraire, c'est un succès et la candidature de Jordan Bardella à l'élection présidentielle s'imposera naturellement au clan Le Pen.

    On reste étonné par l'efficacité d'une campagne de communication qui laisse croire que cet individu à peine fini, à 28 ans, sans diplôme universitaire (il n'a pas fini ses études, a-t-il achevé au moins quelque chose ?), sans qu'il n'ait d'autres expériences que deux mandats très peu assidus de député européen et de conseiller régional d'Île-de-France, sans même avoir été élu à l'Assemblée Nationale, sans avoir géré un seul exécutif local, même la mairie d'un petit village, puisse se retrouver à la tête du gouvernement de la sixième puissance mondiale ! Tout dans son image lisse et dans ses propos creux montre une grande incompétence et un bluff formidable, comme s'il n'était qu'un acteur qui ne tiendrait que par les oreillettes et les prompteurs. Est-ce dans l'intérêt de la France, grand pays d'innovations technologiques et politiques ?

    Dans son clip bien ficelé de la campagne officielle, on voit Jordan Bardella dans son fauteuil de président (du RN !), rien sur le bureau, et derrière le fauteuil, un seul drapeau, le drapeau tricolore de la France. Et cette petite question à ses électeurs potentiels : cela ne vous ferait-il rien si le drapeau européen était systématiquement supprimé de toutes les tribunes, de Matignon, des ministères, de l'hémicycle ? Eh bien moi, si, je le regretterais beaucoup, je le vivrais comme un retour en arrière profondément malsain alors que le monde bouge et s'accélère (on le voit avec la guerre en Ukraine voulue par Vladimir Poutine qui soutient le RN dans ces élections, ravi des sondages actuels).

    De plus, sa campagne aujourd'hui se base sur des inversions accusatoires extraordinaires. Jordan Bardella se présente comme le meilleur redresseur de l'ordre, comme le meilleur combattant de l'antisémitisme, comme le meilleur meneur de l'union nationale : « Moi, je veux réconcilier les Français et être le Premier Ministre de tous les Français, dans aucune distinction. Une fois devenu chef de la majorité, je serai le Premier Ministre de tous, y compris de ceux qui n'auront pas voté pour moi. Mon objectif est de recréer du consensus dans le pays. ».


    Du blabla d'autant plus déconnecté du réel que c'est un discours de Président (qui est celui de tous les Français) et pas de Premier Ministre qui est, comme il le dit paradoxalement d'ailleurs en même, de chef de majorité, donc, nécessairement très partisan. Mais ce gloubi-boulga sert à attirer les indécis et surtout, les ignorants des mécanismes institutionnels et politiques, en reprenant des phrases dites par d'autres dans le passé. Dans son débat face à Gabriel Attal, Jordan Bardella avait répété des phrases d'Emmanuel Macron dans son face-à-face avec Marine Le Pen, un vrai plagiat ! Bardella, paresseux et imitateur. Acteur.

    De plus, au contraire de ce qu'ils prétendent, les dirigeants du RN ont été pris de court par la dissolution. La preuve, ils ont bâclé leurs candidatures en investissant certains candidats pas très politiquement corrects notamment à cause des appels à la haine ou l'antisémitisme (en particulier, dans leur passé sur les réseaux sociaux), au point de retirer leur investiture a posteriori, sans que cela n'ait d'ailleurs de conséquence puisqu'ils ne peuvent plus mettre d'autres candidats.

    Dans une situation plutôt favorable de favori, Jordan Bardella se permet même d'enfoncer le clou en laissant planer le risque d'une crise institutionnelle s'il n'y a pas de majorité absolue. Il l'a confirmé au JDD le 22 juin 2024 : « Sans majorité absolue, je serais à la merci d'une motion de censure et je partirais naturellement au bout de quelques jours. J'accepterai d'être nommé à Matignon seulement si j'ai le pouvoir d'agir et la légitimité démocratique et institutionnelle. ». Pas d'inquiétude, même avec une majorité relative, ils ne prendront pas le risque de voir le pouvoir passer devant eux. En revanche, c'est un discours électoraliste qui veut mobiliser tout son électorat nationaliste, ceux qui pourraient être tentés par des candidats de Reconquête et même LR ciottistes, seront amenés à voter utile en faveur du RN. Un discours qui peut en effet être assez efficace.


    3. Gabriel Attal, le candidat à Matignon d'Ensemble pour la République

    Nommé il y a à peine six mois (le 9 janvier 2024), le Premier Ministre Gabriel Attal, après deux jours de sidération, a su prendre le leadership de la majorité présidentielle dans cette courte campagne des élections législatives. Son dynamisme et sa popularité sont deux grands atouts pour la majorité, j'aurais tendance à écrire, pour tenter d'éviter la débâcle. Ce n'est donc pas étonnant que, contrairement à la Nupes, il ait mis au cœur de la campagne le choix de la personnalité pour Matignon.


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    L'avantage du sortant est qu'il a fait ses preuves : malgré son très jeune âge (35 ans maintenant), il a déjà derrière lui une carrière politique prestigieuse. Expérience et compétence : deux fois élu député, membre du gouvernement sans discontinuer depuis plus de cinq ans (depuis le 16 octobre 2018), porte-parole du gouvernement pendant la difficile crise du covid-19, Ministre du Budget (délégué aux Comptes publics), Ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse adulé et Premier Ministre.

    À l'écoute des Français, Gabriel Attal a montré depuis longtemps qu'il l'était, sur le terrain comme dans les ministères. En présentant le programme de la majorité le 20 juin 2024, il a apporté une clarification sur ce que pouvaient espérer les Français sans mettre en danger tant la crédibilité financière de la France que sa politique économique qui a montré ses fruits avec la baisse continue du chômage depuis 2017 et la réindustralisation du territoire, politique qui fait désormais des jaloux en Allemagne.


    Dans quelques jours...


    La dédiabolisation (terme assez médiocre) qui signifie une certaine normalisation de l'extrême droite ainsi que le fatalisme qui accompagne la forte popularité de Jordan Bardella donnent tous les atouts du côté du RN. Le fatalisme, c'est aussi une certaine passivité sur les événements programmés par les sondages.

    Je passe sur l'argument stupide "on-n'a-pas-essayé" qui ouvre sur le n'importe-quoi (on n'a pas essayé de se jeter du haut d'un précipice, on n'a pas essayé de lutter contre un crocodile, on n'a pas essayé de déclencher une guerre thermonucléaire, etc.), mais l'argument de la levée de l'hypothèque RN reste encore assez bon marché dans l'esprit d'un certain nombre d'électeurs, y compris d'opposants au RN.

    En gros, il signifie ceci : laissons-les gouverner, et très rapidement, ils vont être impopulaires et on n'en reparlera plus. Je crains d'ailleurs que ce fût l'idée d'origine du Président Emmanuel Macron en dissolvant : montrons au peuple qu'ils sont incapables lorsqu'ils sont en situation et retournons le paradigme. Sauf qu'aujourd'hui, Giorgia Meloni, après un peu moins de deux ans au pouvoir, s'est hissée à la tête du paysage politique italien à ces élections européennes. Même Donald Trump, les Américains en redemandent après quatre années passées à la Maison-Blanche (2017-2021).

    Et je ne doute pas que l'efficacité de l'effet Bardella depuis deux ans se poursuivra même une fois au pouvoir. Le RN sera suffisamment habile (et démagogique) pour prendre des mesures qui vont plaire ; c'est très facile de plaire quand on gouverne, c'est beaucoup moins facile d'être responsable et de penser à l'intérêt national. En revanche, au pouvoir dès dans deux semaines, cela permettrait de démontrer que le RN serait un parti démocratique comme les autres, capables de gouverner et cela le renforcerait dans la perspective de la prochaine élection présidentielle en levant non pas l'hypothèque du RN mais l'hypothèque de l'équivalence RN = fascisme.


    C'est pour cela que la seule voie possible de s'opposer aux matraquages électoraux actuels du RN, ce n'est pas de laisser faire, ce n'est pas de parler de barrage plein de moraline qui n'a plus rien d'efficace, c'est d'abord d'aller sur le terrain des idées, de ses idées, de ses propositions (ou non-propositions), et de leurs conséquences sur l'avenir de la France, pour sa sécurité, sa prospérité, sa crédibilité internationale et sa cohésion sociale.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (22 juin 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    Législatives 2024 (8) : la bataille de Matignon.
    Le programme aux élections législatives du 30 juin 2024 d'Ensemble pour la République (document à télécharger).
    Législatives 2024 (7) : Ensemble pour la République.
    Législatives 2024 (6) : Nicolas Sarkozy et François Fillon bougent encore !
    Législatives 2024 (5) : le trouble de Lionel Jospin.
    Législatives 2024 (4) : l'angoisse de Manuel Valls.
    Législatives 2024 (3) : François Hollande dans l'irresponsabilité totale !
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Sidération institutionnelle.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Résultats des élections européennes du dimanche 9 juin 2024.


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    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240622-matignon.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/legislatives-2024-8-la-bataille-de-255349

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/06/22/article-sr-20240622-matignon.html






     

  • Législatives 2024 (7) : le Jour d'après avec Ensemble pour la République

    « Nous respecterons une règle d'or anti-hausse d'impôt pour les Français afin de les protéger du matraquage fiscal voulu par le RN et la Nupes. Ces deux blocs veulent augmenter les taxes et impôts de tous les Français qui travaillent ou qui ont acquis un petit patrimoine. Nous y ferons barrage. » (Programme d'Ensemble pour la République, le 20 juin 2024).



     

     
     


    La campagne des élections législatives de 2024 sera la plus courte de la Cinquième République, et peut-être même de toutes les républiques, à l'exception d'une. Je n'ai pas vérifié précisément, c'est juste de mémoire, mais je pense qu'il faut remonter aux élections législatives du 8 février 1871 pour avoir une campagne encore plus éclair (encore plus "Blitzkrieg" !), puisqu'elles ont été organisées à la suite de la convention d'armistice entre l'Allemagne et la France signée le... 28 janvier 1871 ! À l'époque, victorieux, Bismarck (le Chancelier allemand) voulait pérenniser juridiquement l'accord d'armistice en le faisant ratifier par une assemblée représentative du peuple français (démocratique !) et c'est donc lui qui imposa à la France de les organiser aussi rapidement. Paradoxalement, le peuple majoritairement rural et peu instruit a envoyé une large majorité monarchiste à l'Assemblée alors que la République venait d'être proclamée le 4 septembre 1870.

    Mais revenons à 2024. Parmi ceux qui n'ont pas compris la dissolution, il y a Gabriel Attal, le Premier Ministre. Il n'était pas partant pour engager la France dans une campagne aussi rapide et avait proposé à Emmanuel Macron sa démission, qui a été refusée. Silencieux pendant 48 heures, Gabriel Attal est revenu dans le jeu électoral et sa position s'est renforcée dans la majorité comme le chef de la campagne de la majorité. Populaire, beaucoup des candidats Ensemble pour la République veulent avoir sa photo sur leurs affiches, tandis qu'Emmanuel Macron a été prié de se faire plus discret à cause de son impopularité (alors qu'en 2017, les candidats macronistes s'étaient fait élire sur la seule base de la photo d'Emmanuel Macron sur leurs affiches !). Et la campagne de Gabriel Attal fonctionne : passer de 14% (vote aux européennes) à 22% en une semaine dans les sondages, c'est sa marque et cela prouve qu'une campagne dynamique peut faire déplacer des montagnes. Il s'est déplacé environ une quinzaine de fois sur le terrain en une semaine et ne lésine pas sur les initiatives.

    Gabriel Attal, nommé à Matignon il y a moins de six mois, a bien compris que la campagne se jouait d'abord sur les images, et les images de la personnalisation. Alors que le poste de Premier Ministre ne se proclame pas, Jordan Bardella fait exactement aujourd'hui ce que Jean-Luc Mélenchon a fait en juin 2022, à savoir s'autoproclamer Premier Ministre. J'y reviendrai plus précisément, mais Gabriel Attal, face à ces deux premiers-ministrables populo-extrémistes, a bien dû se prendre au jeu et s'autoproclamer lui-même Premier Ministre bientôt reconduit si la majorité présidentielle préserve sa force de 2022 (au risque d'être désavoué par le Président de la République). Toujours est-il que cela semble un véritable plus dans la campagne d'Ensemble pour la République. Il n'a pas besoin de faire ses preuves, il est, tout simplement.

    Pièce maîtresse de toute campagne aux élections législatives, le programme. Celui d'Ensemble pour la République pour Gabriel Attal. Il est un peu étrange de demander à tous les candidats de "pondre" (car il s'agit de cela) un programme de législature, en principe sur cinq ans, au moins sur deux ans et demi (jusqu'en 2027), en un temps record de quelques jours. On comprendra donc que ces programmes mal finis ne seront pas à l'origine de la motivation du vote, mais bien entendu, il faut quand même un programme. Et celui que la majorité présidentielle est le plus sérieux parce qu'il est le moins dépensier et respecte le plus les électeurs contribuables : la coalition présidentielle promet qu'il n'y aura pas d'augmentation d'impôts, ce que se gardent bien de dire le RN ou le NFP dans la mesure où le coût de leur programme (de 100 à 300 milliards d'euros !) imposera nécessairement une augmentation fiscale d'une manière ou d'une autre (assumée à l'extrême gauche, tue à l'extrême droite).

    Le Premier Ministre Gabriel Attal a donc tenu une conférence de presse le jeudi 20 juin 2024 pour présenter le programme de la majorité présidentielle (on peut le lire ici ou revoir la vidéo au bas de cet article).

    Ce programme est sans doute le plus crédible car il est un programme de gouvernement... du gouvernement actuel. Il se nourrit par le sérieux budgétaire (trajectoire de 3% du PIB de déficit en 2027 qu'aucun autre programme ne propose), du refus d'augmenter la pression fiscale déjà énorme, mais au-delà des mesures économiques, par les seuls candidats qui rompent avec le choc de deux extrémismes, de deux populismes, de droite, édulcoré, bien cravaté, du RN, et de gauche, beaucoup moins courtois, plus haineux presque, de FI et de la nouvelle farce populaire. Du reste, pour les programmes de ces deux partis ou coalitions, on peut se rassurer sur le fait qu'ils sont tellement démagogiques et irréalistes qu'ils ne seront pas appliqués et ce seront les électeurs qui ont (une fois encore) cru au père Noël qui en seront pour leurs frais.

    Le programme commence comme le spot de la campagne officielle : avec l'unique image de Gabriel Attal. Pas d'Emmanuel Macron, comme écrit au début. Le programme s'ordonne autour du mot Ensemble, nom de la coalition de la majorité présidentielle qui regroupe les mêmes alliés qu'aux élections européennes, Renaissance, le MoDem, Horizons, le Parti radical, et aussi l'UDI qui, pourtant, ne s'était à l'origine engagé auprès de la Macronie que sur la question européenne. Avec la confusion provoquée par l'alliance assumée du président de LR Éric Ciotti avec le RN (qui n'en rêvait pas tant), les centristes de l'UDI n'avaient plus d'autre choix, face aux deux grossiers populismes, bardellesque et mélenchonesque, que de continuer à faire alliance avec ceux qui représentent le mieux leurs idées.

    Le programme d'Ensemble est composé de neuf parties.



    1. Ensemble pour protéger votre pouvoir d'achat

    La formulation est maladroite car arrogante. "Protéger NOTRE pouvoir d'achat" aurait été plus adapté. Là, c'est le lointain de l'élite qui voudrait s'adresser à la France d'en-bas. Le "nous" aurait fait sens avec "Ensemble". Mais qu'importe la formulation, on a bien compris qu'avec la brièveté de la campagne, un programme ne peut pas se maturer, se peaufiner.

    Quelles sont les mesures ? Avec la perpétuelle question posée à tous les sortants : pourquoi ne l'avez-vous pas fait auparavant, quand vous aviez le pouvoir ? L'introduction du programme y répond : à cause des multiples crises, dont la crise du covid-19 qui n'a pas empêché, malgré tout, de poursuivre la baisse du chômage. Et c'est une éclatante réussite des gouvernements depuis 2017 alors que depuis 1981, la France se mourait dans un chômage de masse. On l'oublie beaucoup trop mais c'est Emmanuel Macron qui a libéré l'économie française et permis durablement la réindustrialisation, l'économie française est enviée par les Allemands, la France est le premier pays européen pour son attractivité auprès des investisseurs... L'enjeu, il est d'abord là : faudrait-il que tout ce travail fût inutile pour qu'il soit stupidement cassé par des démagogues extrémistes, à droite ou à gauche, assoiffés de pouvoir, qui ont montré leur incompétence totale, soit par inexpérience soit par des résultats très décevants (quinquennat de François Hollande pour la gauche) ? Le "stupidement" ne reprend bien sûr pas la volonté des électeurs qui, pour tout démocrate, est sacrée, il peut reprendre la décision un peu précipitée de la dissolution, et la surenchère à la démagogie des deux blocs extrémistes (RN et NFP).

     

     
     


    En outre, Gabriel Attal a rappelé dans sa conférence de presse : « Depuis 2017, nous, les impôts, nous les baissons. Nous avons supprimé la taxe d'habitation. Nous avons supprimé la redevance télé. Nous avons baissé l'impôt sur le revenu sur les tranches les plus basses, c'est-à-dire sur les classes moyennes. Depuis 2017, nous avons aussi revalorisé les salaires des femmes et des hommes de nos services publics : nos enseignants, nos soignants, nos policiers, nos gendarmes. ». Les électeurs doivent-ils être toujours ingrats ? Ce sera une question peut-être dans les années à venir.

    Alors, les mesures ? Le gouvernement encouragera les augmentations de salaire pour les salaires en dessous de 2 500 euros nets. Dès l'hiver, la facture d'électricité des ménages baissera de 15% (soir 200 euros sur une année) : c'est le résultat de la réforme du marché européen de l'électricité négociée par la France et pas encore mise en œuvre. La prime d'activité, qui a été versée à 6 millions de bénéficiaires en 2023, sera augmentée jusqu'à 10 000 euros, sans charge ni impôt. Les pensions de retraite de 17 millions de personnes seront revalorisées pour suivre l'inflation (mais pas indexées). Dès cet été, des achats groupés de fournitures scolaires permettra de baisser de 15% le prix de la rentrée scolaire dans les familles.


    2. Ensemble pour l'accès à la santé

    Grâce à la suppression du numerus clausus, le nombre de médecins formés va doubler, 16 000 en 2027 contre 8 000 en 2017. Chaque Français aura un médecin de garde à moins de 30 minutes de son domicile. En permettant aux sages-femmes, pharmaciens, infirmiers, opticiens et orthophonistes de réaliser une vingtaine d'actes médicaux, on libérera 20 millions de rendez-vous médicaux supplémentaires par an. Pour les 3 millions de Français sans mutuelle, une offre de mutuelle publique sera créée à 1 euro par jour. Les fauteuils roulants seront remboursés intégralement dès la fin de l'année. Une facture informative sera envoyée à partir de 2025 après chaque passage à l'hôpital ou en médecine de ville afin de connaître le coût réel des soins et de détecter d'éventuelles fraudes dont l'assuré social n'aurait pas eu connaissance.


    3. Ensemble pour l'accès au logement

    La garantie de loyers sera étendue pour faciliter la location tout en rassurant les propriétaires. Une taxe sur les rachats d'actions financera le fonds de rénovation énergétique des logements des classes moyennes et populaires, pour rénover 300 000 logements supplémentaires d'ici à 2027. Les droits de mutation pour l'achat du premier logement jusqu'à 250 000 euros seront exonérés pour faciliter l'accession à la propriété de 1 million de jeunes de classes moyennes et populaires.


    4. Ensemble pour le travail et le mérite

    Depuis 2017, 300 nouvelles usines ont été ouvertes et ont créé 150 000 emplois. D'ici à 2027, 400 usines nouvelles seront créées avec 200 000 emplois à la clef. Le plan France 2030 sera poursuivi pour favoriser la recherche et l'innovation. 17 milliards d'euros ont été mis en redressement pour fraude en 2023 et cette lutte implacable sera poursuivie contre toutes les fraudes sociales et fiscales. Aucun droit de succession ou de donation ne sera demandé jusqu'à 150 000 euros par enfant et 100 000 euros par petit-enfant. La retraite des agriculteurs sera revalorisée à hauteur de 100 euros par mois pour la moitié des futur retraités. Les TPE et PME seront de nouveau soutenues sur le plan financier et administratif.


    5. Ensemble pour les valeurs de la République

    Laïcité à l'école et dans tous les services publics, interdiction de l'abaya à l'école. Généralisation du testing pour lutter contre les discriminations à l'embauche, lutte contre le racisme, l'antisémitisme, le sexisme, l'homophobie et toutes les haines. Sanction immédiate avec comparution immédiate dans les cas les plus graves pour les jeunes délinquants en revoyant l'excuse de minorité. Depuis 2017, 12 000 personnes ont été expulsées. La délivrance d'une carte de séjour longue durée sera conditionnée à la maîtrise de la langue française et au respect des valeurs républicaines.
     

     
     



    6. Ensemble contre les inégalités de destin

    La formation des professeurs sera renforcée, l'école inclusive aussi pour les élèves en situation de handicap. D'ici à 2027, 100% des résidences universitaires auront été rénovées (elles sont déjà 90% à avoir été rénovées entre 2017 et 2024), et 35 000 nouveaux logements étudiants seront construits dont 10 000 en résidences universitaires. Le repas des étudiants boursiers sera maintenu à 1 euro et leur bourse revalorisée de 37 euros par mois. Un droit de congé de naissance durant trois mois sera mieux indemnisé que le congé parental actuel. Sera instaurée la solidarité à la source avec le versement automatique des aides sociales dès 2025.


    7. Ensemble pour la cohésion de nos territoires

    Le soutien de l'État aux collectivités locales sera poursuivi à l'investissement local pour la transition écologique avec le Fonds vert. Les dotations de fonctionnement ne baisseront pas. Plus de 300 maisons France Services seront ouvertes d'ici à 2027, l'objectif est d'avoir une maison France Services à moins de 20 minutes de chez soi (il y en a déjà 2 700).
     

     
     



    8. Ensemble pour protéger l'environnement

    Après une baisse inédite de 6% des émission de gaz à effet de serre en 2023, l'objectif sera, d'ici à 2030, de baisser de 55% des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990, dont 20% entre 2024 et 2027. 100 000 véhicules électriques seront proposés chaque année en leasing social. Quatorze nouveaux réacteurs nucléaires seront mis en chantier pour assurer l'indépendance énergétique de la France et la décarbonation de son économie. Le plastique jetable sera progressivement supprimé et l'économie circulaire encouragée.


    9. Ensemble pour que la France rayonne dans le monde

    Appartenance à l'OTAN, dissuasion nucléaire, la France gardera tout ce qui garantit sa souveraineté. Son budget militaire sera doublé d'ici à 2030, selon la trajectoire de la loi de programmation militaire.
     

     
     



    Bloc contre bloc contre bloc

    Dans son propos introductif, Gabriel Attal s'en est beaucoup pris au RN et au NFP : « Cette élection, c'est le choix de votre gouvernement. C'est le choix de votre Premier Ministre. C'est le choix du projet de société que vous souhaitez. Aujourd'hui, ce choix est très clair. Il n'y a que trois blocs, trois alternatives claires : l'extrême droite menée par Jordan Bardella, la Nupes menée par Jean-Luc Mélenchon, ou alors Ensemble pour la République, la majorité que je mène. (…) Le choix entre ces trois blocs se jouera dès le premier tour, dès le 30 juin. (…) Ma majorité, mes candidats sont les seuls à faire preuve de cohérence et à avoir une ligne claire dans cette campagne. (…) L'extrême droite est devenue le camp du reniement national. Depuis le début de cette campagne, ça a été un jour, une reculade. Le programme, c'est un grand effeuillage. Il ne reste à la fin qu'une feuille blanche, et en plus, ils vous demandent de signer en bas. Quant à Jordan Bardella, il a affirmé qu'il n'était pas prêt à gouverner, en tout cas, qu'il n'était prêt à gouverner que si la situation était facile (…). Quand on fuit les difficultés, on n'est pas prêt à gouverner. Le Rassemblement national, c'est l'impréparation, c'est le brouillon et le brouillard. L'extrême droite, c'est faire un saut dans le vide pour les Français. De l'autre, la Nupes, unie derrière la France insoumise, est le camp de la compromission et de la dissimulation. Compromission avec l'extrême gauche et ses outrances, avec lesquelles une partie de la gauche avait pourtant juré, la main sur le cœur, ces dernières semaines, de couper. Compromission sur les valeurs, en s'alliant sur un projet irréaliste et dévastateur pour notre économie. Dissimulation sur le programme dont chacun conteste le chiffrage et dissimulation en maintenant un écran de fumée sur l'identité du locataire de Matignon en cas de victoire de la Nupes. Ils semblent ne pas s'entendre sur un nom, en tout cas, faire mine de ne pas s'entendre sur un nom, et pourtant, le résultat est couru d'avance : ils l'ont dit eux-mêmes, le plus grand groupe de la Nupes choisira le Premier Ministre. Le groupe qui a le plus de candidats et le plus sortants, c'est la France insoumise. C'est elle qui a d'ores et déjà imposé son programme aux autres partis de gauche,et donc, en cas de victoire de la Nupes, le Premier Ministre, ce serait nécessairement Jean-Luc Mélenchon. ».

    Choix par adhésion aux mesures proposées, choix par défaut en opposition aux deux blocs extrémistes et populistes qui jouent sur les peurs, la colère et la démagogie, le choix du 30 juin 2024 sera crucial pour la France car il dira si la France continue à prétendre au meilleur ou y renonce pour se fourvoyer dans une impasse électorale, dans une instabilité économique, financière et politique. Emmanuel Macron annonçait le 18 juin 2024 qu'il avait confiance en l'intelligence des Français. Gabriel Attal n'a pas cité le Président de la République et s'est autoproclamé chef de la campagne en insistant, avec l'emploi de la première personne, à son autorité : "ma" majorité, "mes" candidats, "mon" programme. Et son programme se caractérise d'abord par son sérieux, son réalisme et surtout sa cohérence. En ce sens, il est unique car il est bien le seul à les conforter.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (20 juin 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    Gabriel Attal.
    Éric Ciotti.
    Le programme aux élections législatives du 30 juin 2024 d'Ensemble pour la République (document à télécharger).
    Législatives 2024 (7) : Ensemble pour la République.
    Législatives 2024 (6) : Nicolas Sarkozy et François Fillon bougent encore !
    Législatives 2024 (5) : le trouble de Lionel Jospin.
    Législatives 2024 (4) : l'angoisse de Manuel Valls.
    Législatives 2024 (3) : François Hollande dans l'irresponsabilité totale !
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Sidération institutionnelle.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Résultats des élections européennes du dimanche 9 juin 2024.








    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240620-ensemble.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/legislatives-2024-7-le-jour-d-255341

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/06/20/article-sr-20240620-ensemble.html




     

  • Législatives 2024 (6) : Nicolas Sarkozy et François Fillon bougent encore !

    « Moi, j'ai confiance dans le peuple ! C'est le geste le plus démocratique et républicain qu'il soit, celui que j'ai fait. C'est de dire à vous toutes et tous : il y a une colère qui s'exprime, moi, je l'entends. Et je vous dis, quel que soit le résultat, de toute façon, il y aura un jour d'après. (…) Moi, j'ai confiance dans le bon sens. Je pense qu'il y a une majorité silencieuse qui, comme vous, ne veut pas les extrêmes et qui, comme vous, ne veut pas que ce soit le désordre. » (Emmanuel Macron, le 18 juin 2024 après la commémoration de l'Appel du 18 Juin).





     

     
     


    J'ai écrit que la dissolution de l'Assemblée Nationale et la campagne éclair des élections législatives faisaient ressortir les vieux dinosaures de la vie politique. C'est le cas de François Hollande (qui se présente dans une coalition de gouvernement avec le NPA et FI !), c'est aussi le cas de Lionel Jospin qui, tous les deux, aveuglés par la peur d'un gouvernement RN, sont prêts à s'allier avec ce qu'il y a de plus abject à l'extrême gauche (l'histoire le rappellera un jour très sévèrement). C'est le cas aussi de Manuel Valls qui, au nom de la même gauche que celle des deux précédents (Manuel Valls était le conseiller à Matignon de Lionel Jospin et le Premier Ministre de François Hollande), a condamné avec force la nouvelle farce populaire autant que l'extrême droite pour soutenir le camp présidentiel.

    Mais c'est bien sûr aussi le cas à droite et au centre droite. Du trio des ténors de l'UMP puis de LR qui ont dominé la droite républicaine pendant deux décennies, seul Alain Juppé est soumis à son obligation de réserve en raison de son appartenance au Conseil Constitutionnel (qui statue sur la régularité des élections législatives), mais les deux autres ont réagi aux événements politiques accélérés de ces derniers jours, l'ancien Président de la République Nicolas Sarkozy le 15 juin 2024 dans une interview au "Journal du dimanche" (interrogé par Geoffroy Lejeune et Antonin André), et l'ancien Premier Ministre François Fillon, qui avait pourtant tourné la page de la politique, le 18 juin 2024 dans une tribune au journal "Le Figaro". Ces deux ténors majeurs de LR ne disent d'ailleurs pas tout à fait la même chose.

     

     
     


    Pour les deux, comme pour Lionel Jospin et comme pour beaucoup de Français, il y a une incompréhension de cette dissolution. L'effet d'une douche froide. Mais après tout, De Gaulle avait fait la même chose deux fois en dix ans. Lire à la fin de l'article la justification présidentielle.
     

     
     


    Nicolas Sarkozy ne comprend pas cet appel aux urnes quelques heures seulement après les élections européennes qui étaient déjà une écoute du peuple : « Donner la parole au peuple français pour justifier la dissolution est un argument curieux puisque c’est précisément ce que venaient de faire plus de 25 millions de Français dans les urnes ! On donne la parole aux Français quand ils ne se sont pas exprimés depuis plusieurs années, pas juste après une consultation électorale. ».

    Et d'ajouter qu'il est peu probable que les Français ne disent pas la même chose en trois semaines d'intervalle : « Le risque est plus grand qu’ils confirment leur colère plutôt qu’ils ne l’infirment. ». Mais cela n'a pas beaucoup de sens de commenter la pertinence de la dissolution, car elle s'impose à tous.


    D'où cette sentence contre la décision présidentielle : « Cette dissolution constitue un risque majeur. Pour le pays, déjà fracturé, parce que cela peut le replonger dans un chaos. Et pour le Président, à qui il restait trois ans de mandat, et dont j'aurais préféré qu'il les utilisât pour accomplir ce que les Français souhaitent. ». Ces propos sont un tantinet démagogiques, mais il faut remarquer l'emploi de l'imparfait du subjonctif, très rare dans la classe politique et chasse généralement gardée de Raymond Barre et de Jean-Marie Le Pen).

    L'ancien Président de la République a notamment regretté de ne pas avoir assez influencé Emmanuel Macron sur les thèmes de la droite nationale : « C'est le plus important, je n'ai pas réussi à le convaincre que la matrice politique de la France s'incarnait dans ces trois mots : identité, sécurité, autorité. ». Ce à quoi Lionel Jospin a répondu : « Liberté, égalité fraternité » !

     

     
     


    Sur l'éviction du président de LR Éric Ciotti, Nicolas Sarkozy ne partage pas son point de vue d'une alliance LR-RN parce qu'il considère que cela serait suicidaire pour LR dans la situation actuelle. Il s'est opposé à la fois sur le fond (pas d'alliance avec le RN) et sur la forme (il n'avait pas à prendre la décision arbitrairement tout seul) : « Je suis attaché à mes convictions. Je ne partage pas les siennes, mais pourquoi ne pourrait-il les défendre ? En revanche, il a eu le tort de trancher un débat avant qu'il ait pu prospérer. ». Du reste, des personnalités comme Gérard Larcher et Bruno Retailleau se sont senties trahies personnellement par Éric Ciotti alors qu'ils l'avaient eu au téléphone très peu de temps avant sa déclaration d'alliance.

    Pour autant, Nicolas Sarkozy rejette toute diabolisation du RN car cela ferait son jeu. Il faut le combattre politiquement, pour les mesures qu'il défend, et pas moralement : « Le RN a fait un travail sur lui-même qui est indéniable. Combattre le Rassemblement national comme s'il n'avait pas changé, comme s'il y avait toujours le Jean-Marie Le Pen "du détail", serait une erreur grossière... ».


    En revanche, l'ancien locataire de l'Élysée veut diaboliser la nouvelle farce populaire avec ses partis extrémistes : « LFI par son communautarisme, ses propos aux limites de l'antisémitisme, son engagement militant auprès du Hamas, est beaucoup plus problématique aux regards des règles républicaines que le risque fantasmé de peste brune. ». Ainsi, entre la peste RN et le choléra NFP, il a probablement déjà choisi même s'il ne le dit pas explicitement.

    Quant à l'union des gauches, Nicolas Sarkozy l'a toujours envisagée et c'est probablement l'erreur politique d'Emmanuel Macron, elle s'est faite en juin 2022 malgré plusieurs candidats à l'élection présidentielle. Et il a rappelé : « Je n'ai jamais douté que la gauche referait son unité. Déjà en 2012, Jean-Luc Mélenchon s'était précipité dans les bras de François Hollande en dix minutes. Parce que quand le pouvoir est à portée de main, la gauche se rassemble. ».

    Nicolas Sarkozy s'est fait également directeur des ressources humaines et a commenté l'ambition démesurée de Jordan Bardella : « [Il] a du talent (…). Il lui reste, et c'est une grande question, à combler un manque d'expérience puisqu'il n'a jamais été en situation de gérer quoi que ce soit, et qu'il a moins de 30 ans. ».

    Lui qui avait tenté de convaincre Emmanuel Macron de faire un véritable contrat de gouvernement entre LR et la majorité présidentielle en 2022, il reste donc sur une position intenable : ni NFP, ni RN, ni Macron. Aujourd'hui, LR n'existe plus parce que ce parti a implosé par le ciottisme. Il lui faudra effectivement choisir entre ces trois "blocs" (terme que je n'aime pas du tout car cela fait comme si on bétonnait la vie politique, même s'il y a une belle référence historique avec le Bloc national de Clemenceau en novembre 1919).

     

     
     


    Parlons maintenant de la tribune de François Fillon. La position de l'ancien candidat à l'élection présidentielle de 2017 est un peu différente même s'il rejette à la fois le RN et le NFP. Lui-même au soir du premier tour de l'élection présidentielle de 2017 avait été très clair : il avait appelé sans hésitation à soutenir Emmanuel Macron au second tour pour empêcher l'éventualité de l'élection de Marine Le Pen (beaucoup au sein de LR avaient été bien moins clairs à l'époque).

    Toutefois, il faut aussi se souvenir qu'Éric Ciotti est un bon ami de François Fillon. Dans sa querelle fratricide contre Jean-François Copé au sein de l'UMP en 2012-2013, François Fillon avait pu compter sur le soutien indéfectible d'Éric Ciotti.

    Comme pour l'ancien chef de l'État, l'ancien Premier Ministre a d'abord sérieusement attaqué l'alliance à gauche : « Le nouveau programme commun de la gauche fait apparaître celui de 1981 comme une bluette social-démocrate. Le comportement de LFI depuis son irruption à l'Assemblée est incompatible avec notre pacte républicain. ».

     

     
     


    Mais il a aussi critiqué très vertement les idées du RN : « Je persiste à penser que l'extrême droit, malgré sa mue, n'est pas en mesure de redresser notre pays. Mais, pire encore, l'extrême gauche qui menace l'unité nationale doit être implacablement sanctionnée par les urnes. ». Le "pire encore" donne une idée de sa position s'il devait choisir entre les deux extrémismes.

    Enfin, troisième pôle de refus politique, ne pas se soumettre à Emmanuel Macron : « Il faudra beaucoup d'efforts au chef de l'État pour éteindre le feu électoral qu'il a sciemment allumé. ». Toute l'opposition à Emmanuel Macron réside dans ce "sciemment".

    Faut-il retourner aux sources de la Cinquième République ? Je rappelle donc qu'après la décision de dissoudre l'Assemblée prise par De Gaulle le 9 octobre 1962 (à la suite de l'adoption d'une motion de censure contre le gouvernement de Georges Pompidou), la plupart des députés gaullistes étaient sidérés et considéraient cette initiative de la dissolution comme un suicide collectif (on parle aussi de suicide politique pour le référendum du 27 avril 1969). Les ministres sortants se préparaient à la défaite électorale, retrouvaient un emploi à leurs conseillers et se disaient que c'était déjà pas mal d'avoir gouverné quatre ans en résistance au régime des partis.
     

     
     


    La réponse d'Emmanuel Macron est très claire, puisque beaucoup de Français l'ont interrogé sur le sujet. Ainsi, le 18 juin 2024, sur l'île de Sein, il répondait à une dame très inquiète (et pas du tout impressionnée) : « Quelle a été la conviction du Général De Gaulle en 1940, puisque vous faites référence à cette mémoire ? Une confiance dans les Françaises et les Français, forte. Le chaos, il est lié à quoi ? À certains élus de la République qui, chaque semaine, au Parlement, font le désordre et donnent un spectacle qui n'est pas celui que vous voulez et que je ne veux non plus. Vous ne pouvez pas continuer comme ça. Il faut regarder les choses en face. Et qu'il y ait eu un coup de colère, vous savez, je suis le premier à qui ça a fait mal le 9 juin. Les résultats. Je l'ai pris vraiment pour moi, ça m'a fait mal. Et donc, en mon âme et conscience, c'est une des décisions les plus lourdes que j'ai eu à prendre, Madame. Si je pensais à moi, vous savez, je serais resté à mon bureau et j'aurais dit : on va continuer comme si de rien n'était. Mais on doit ouvrir les yeux. On ne peut pas laisser monter les extrêmes et la colère en disant : c'est comme si de rien n'était. Et donc, moi, j'ai confiance dans le peuple ! C'est le geste le plus démocratique et républicain qu'il soit, celui que j'ai fait. C'est de dire à vous toutes et tous : il y a une colère qui s'exprime, moi, je l'entends. Et je vous dis, quel que soit le résultat, de toute façon, il y aura un jour d'après. Sur les sujets de sécurité, de fin de mois, on devra aller beaucoup plus vite et plus fort parce qu'il y a une partie de cette colère qui est liée à cela. Mais je dois redemander un vote de confiance aux Françaises et aux Français. Mais moi j'ai confiance dans le bon sens. Je pense qu'il y a une majorité silencieuse qui, comme vous, ne veut pas les extrêmes et qui, comme vous, ne veut pas que ce soit le désordre. Donc, je ne l'ai pas fait pour moi, je ne l'ai pas fait sur un coup de sang, ce n'est pas un coup de dés, c'est un geste de confiance républicain. On ne peut pas craindre le peuple dans une démocratie. (…) Mais pourquoi vous voudriez qu'il y ait le chaos ? Il y a le chaos quand les choses se bloquent. On a connu tous ensemble les gilets jaunes, et on l'a connu pourquoi ? Parce que les gens n'adhéraient plus aux réformes, la vie était dure. Il y a quelque chose qui a émergé, d'ailleurs qu'on a eu du mal à anticiper, il a fallu le régler, ça a mis quelques mois. Mais pour les élections, ce n'est pas le chaos, c'est la démocratie. Et donc, elle suppose le respect. Encore une fois, moi, j'ai confiance en l'intelligence des Françaises et des Français. ».

    Cet esprit de la pratique des institutions, c'est celui de De Gaulle en 1962, en 1968 et en 1969, c'est aussi celui de François Mitterrand en 1992 et c'est celui de Jacques Chirac en 2005. Aller aux urnes pour écouter le peuple, même quand le peuple est en colère, surtout quand le peuple est en colère. Au moins, on ne pourra pas le reprocher à Emmanuel Macron. Il ne reste plus qu'à mobiliser la "majorité silencieuse" ! Vaste affaire en si peu de temps.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (18 juin 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    Nicolas Sarkozy.
    François Fillon.
    Législatives 2024 (6) : Nicolas Sarkozy et François Fillon bougent encore !
    Législatives 2024 (5) : le trouble de Lionel Jospin.
    Législatives 2024 (4) : l'angoisse de Manuel Valls.
    Législatives 2024 (3) : François Hollande dans l'irresponsabilité totale !
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Sidération institutionnelle.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Résultats des élections européennes du dimanche 9 juin 2024.

     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240618-sarkozy-fillon.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/legislatives-2024-6-nicolas-255311

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/06/20/article-sr-20240618-sarkozy-fillon.html


     

  • Gabriel Attal mène la campagne de la majorité

    « Nous respecterons une règle d'or anti-hausse d'impôt pour les Français afin de les protéger du matraquage fiscal voulu par le RN et la Nupes. Ces deux blocs veulent augmenter les taxes et impôts de tous les Français qui travaillent ou qui ont acquis un petit patrimoine. Nous y ferons barrage. » (Programme d'Ensemble pour la République, le 20 juin 2024).



     

     
     


    La campagne des élections législatives de 2024 sera la plus courte de la Cinquième République, et peut-être même de toutes les républiques, à l'exception d'une. Je n'ai pas vérifié précisément, c'est juste de mémoire, mais je pense qu'il faut remonter aux élections législatives du 8 février 1871 pour avoir une campagne encore plus éclair (encore plus "Blitzkrieg" !), puisqu'elles ont été organisées à la suite de la convention d'armistice entre l'Allemagne et la France signée le... 28 janvier 1871 ! À l'époque, victorieux, Bismarck (le Chancelier allemand) voulait pérenniser juridiquement l'accord d'armistice en le faisant ratifier par une assemblée représentative du peuple français (démocratique !) et c'est donc lui qui imposa à la France de les organiser aussi rapidement. Paradoxalement, le peuple majoritairement rural et peu instruit a envoyé une large majorité monarchiste à l'Assemblée alors que la République venait d'être proclamée le 4 septembre 1870.

    Mais revenons à 2024. Parmi ceux qui n'ont pas compris la dissolution, il y a Gabriel Attal, le Premier Ministre. Il n'était pas partant pour engager la France dans une campagne aussi rapide et avait proposé à Emmanuel Macron sa démission, qui a été refusée. Silencieux pendant 48 heures, Gabriel Attal est revenu dans le jeu électoral et sa position s'est renforcée dans la majorité comme le chef de la campagne de la majorité. Populaire, beaucoup des candidats Ensemble pour la République veulent avoir sa photo sur leurs affiches, tandis qu'Emmanuel Macron a été prié de se faire plus discret à cause de son impopularité (alors qu'en 2017, les candidats macronistes s'étaient fait élire sur la seule base de la photo d'Emmanuel Macron sur leurs affiches !). Et la campagne de Gabriel Attal fonctionne : passer de 14% (vote aux européennes) à 22% en une semaine dans les sondages, c'est sa marque et cela prouve qu'une campagne dynamique peut faire déplacer des montagnes. Il s'est déplacé environ une quinzaine de fois sur le terrain en une semaine et ne lésine pas sur les initiatives.

    Gabriel Attal, nommé à Matignon il y a moins de six mois, a bien compris que la campagne se jouait d'abord sur les images, et les images de la personnalisation. Alors que le poste de Premier Ministre ne se proclame pas, Jordan Bardella fait exactement aujourd'hui ce que Jean-Luc Mélenchon a fait en juin 2022, à savoir s'autoproclamer Premier Ministre. J'y reviendrai plus précisément, mais Gabriel Attal, face à ces deux premiers-ministrables populo-extrémistes, a bien dû se prendre au jeu et s'autoproclamer lui-même Premier Ministre bientôt reconduit si la majorité présidentielle préserve sa force de 2022 (au risque d'être désavoué par le Président de la République). Toujours est-il que cela semble un véritable plus dans la campagne d'Ensemble pour la République. Il n'a pas besoin de faire ses preuves, il est, tout simplement.

    Pièce maîtresse de toute campagne aux élections législatives, le programme. Celui d'Ensemble pour la République pour Gabriel Attal. Il est un peu étrange de demander à tous les candidats de "pondre" (car il s'agit de cela) un programme de législature, en principe sur cinq ans, au moins sur deux ans et demi (jusqu'en 2027), en un temps record de quelques jours. On comprendra donc que ces programmes mal finis ne seront pas à l'origine de la motivation du vote, mais bien entendu, il faut quand même un programme. Et celui que la majorité présidentielle est le plus sérieux parce qu'il est le moins dépensier et respecte le plus les électeurs contribuables : la coalition présidentielle promet qu'il n'y aura pas d'augmentation d'impôts, ce que se gardent bien de dire le RN ou le NFP dans la mesure où le coût de leur programme (de 100 à 300 milliards d'euros !) imposera nécessairement une augmentation fiscale d'une manière ou d'une autre (assumée à l'extrême gauche, tue à l'extrême droite).

    Le Premier Ministre Gabriel Attal a donc tenu une conférence de presse le jeudi 20 juin 2024 pour présenter le programme de la majorité présidentielle (on peut le lire ici ou revoir la vidéo au bas de cet article).

    Ce programme est sans doute le plus crédible car il est un programme de gouvernement... du gouvernement actuel. Il se nourrit par le sérieux budgétaire (trajectoire de 3% du PIB de déficit en 2027 qu'aucun autre programme ne propose), du refus d'augmenter la pression fiscale déjà énorme, mais au-delà des mesures économiques, par les seuls candidats qui rompent avec le choc de deux extrémismes, de deux populismes, de droite, édulcoré, bien cravaté, du RN, et de gauche, beaucoup moins courtois, plus haineux presque, de FI et de la nouvelle farce populaire. Du reste, pour les programmes de ces deux partis ou coalitions, on peut se rassurer sur le fait qu'ils sont tellement démagogiques et irréalistes qu'ils ne seront pas appliqués et ce seront les électeurs qui ont (une fois encore) cru au père Noël qui en seront pour leurs frais.

    Le programme commence comme le spot de la campagne officielle : avec l'unique image de Gabriel Attal. Pas d'Emmanuel Macron, comme écrit au début. Le programme s'ordonne autour du mot Ensemble, nom de la coalition de la majorité présidentielle qui regroupe les mêmes alliés qu'aux élections européennes, Renaissance, le MoDem, Horizons, le Parti radical, et aussi l'UDI qui, pourtant, ne s'était à l'origine engagé auprès de la Macronie que sur la question européenne. Avec la confusion provoquée par l'alliance assumée du président de LR Éric Ciotti avec le RN (qui n'en rêvait pas tant), les centristes de l'UDI n'avaient plus d'autre choix, face aux deux grossiers populismes, bardellesque et mélenchonesque, que de continuer à faire alliance avec ceux qui représentent le mieux leurs idées.

    Le programme d'Ensemble est composé de neuf parties.



    1. Ensemble pour protéger votre pouvoir d'achat

    La formulation est maladroite car arrogante. "Protéger NOTRE pouvoir d'achat" aurait été plus adapté. Là, c'est le lointain de l'élite qui voudrait s'adresser à la France d'en-bas. Le "nous" aurait fait sens avec "Ensemble". Mais qu'importe la formulation, on a bien compris qu'avec la brièveté de la campagne, un programme ne peut pas se maturer, se peaufiner.

    Quelles sont les mesures ? Avec la perpétuelle question posée à tous les sortants : pourquoi ne l'avez-vous pas fait auparavant, quand vous aviez le pouvoir ? L'introduction du programme y répond : à cause des multiples crises, dont la crise du covid-19 qui n'a pas empêché, malgré tout, de poursuivre la baisse du chômage. Et c'est une éclatante réussite des gouvernements depuis 2017 alors que depuis 1981, la France se mourait dans un chômage de masse. On l'oublie beaucoup trop mais c'est Emmanuel Macron qui a libéré l'économie française et permis durablement la réindustrialisation, l'économie française est enviée par les Allemands, la France est le premier pays européen pour son attractivité auprès des investisseurs... L'enjeu, il est d'abord là : faudrait-il que tout ce travail fût inutile pour qu'il soit stupidement cassé par des démagogues extrémistes, à droite ou à gauche, assoiffés de pouvoir, qui ont montré leur incompétence totale, soit par inexpérience soit par des résultats très décevants (quinquennat de François Hollande pour la gauche) ? Le "stupidement" ne reprend bien sûr pas la volonté des électeurs qui, pour tout démocrate, est sacrée, il peut reprendre la décision un peu précipitée de la dissolution, et la surenchère à la démagogie des deux blocs extrémistes (RN et NFP).

     
     


    En outre, Gabriel Attal a rappelé dans sa conférence de presse : « Depuis 2017, nous, les impôts, nous les baissons. Nous avons supprimé la taxe d'habitation. Nous avons supprimé la redevance télé. Nous avons baissé l'impôt sur le revenu sur les tranches les plus basses, c'est-à-dire sur les classes moyennes. Depuis 2017, nous avons aussi revalorisé les salaires des femmes et des hommes de nos services publics : nos enseignants, nos soignants, nos policiers, nos gendarmes. ». Les électeurs doivent-ils être toujours ingrats ? Ce sera une question peut-être dans les années à venir.

    Alors, les mesures ? Le gouvernement encouragera les augmentations de salaire pour les salaires en dessous de 2 500 euros nets. Dès l'hiver, la facture d'électricité des ménages baissera de 15% (soir 200 euros sur une année) : c'est le résultat de la réforme du marché européen de l'électricité négociée par la France et pas encore mise en œuvre. La prime d'activité, qui a été versée à 6 millions de bénéficiaires en 2023, sera augmentée jusqu'à 10 000 euros, sans charge ni impôt. Les pensions de retraite de 17 millions de personnes seront revalorisées pour suivre l'inflation (mais pas indexées). Dès cet été, des achats groupés de fournitures scolaires permettra de baisser de 15% le prix de la rentrée scolaire dans les familles.


    2. Ensemble pour l'accès à la santé

    Grâce à la suppression du numerus clausus, le nombre de médecins formés va doubler, 16 000 en 2027 contre 8 000 en 2017. Chaque Français aura un médecin de garde à moins de 30 minutes de son domicile. En permettant aux sages-femmes, pharmaciens, infirmiers, opticiens et orthophonistes de réaliser une vingtaine d'actes médicaux, on libérera 20 millions de rendez-vous médicaux supplémentaires par an. Pour les 3 millions de Français sans mutuelle, une offre de mutuelle publique sera créée à 1 euro par jour. Les fauteuils roulants seront remboursés intégralement dès la fin de l'année. Une facture informative sera envoyée à partir de 2025 après chaque passage à l'hôpital ou en médecine de ville afin de connaître le coût réel des soins et de détecter d'éventuelles fraudes dont l'assuré social n'aurait pas eu connaissance.


    3. Ensemble pour l'accès au logement

    La garantie de loyers sera étendue pour faciliter la location tout en rassurant les propriétaires. Une taxe sur les rachats d'actions financera le fonds de rénovation énergétique des logements des classes moyennes et populaires, pour rénover 300 000 logements supplémentaires d'ici à 2027. Les droits de mutation pour l'achat du premier logement jusqu'à 250 000 euros seront exonérés pour faciliter l'accession à la propriété de 1 million de jeunes de classes moyennes et populaires.


    4. Ensemble pour le travail et le mérite

    Depuis 2017, 300 nouvelles usines ont été ouvertes et ont créé 150 000 emplois. D'ici à 2027, 400 usines nouvelles seront créées avec 200 000 emplois à la clef. Le plan France 2030 sera poursuivi pour favoriser la recherche et l'innovation. 17 milliards d'euros ont été mis en redressement pour fraude en 2023 et cette lutte implacable sera poursuivie contre toutes les fraudes sociales et fiscales. Aucun droit de succession ou de donation ne sera demandé jusqu'à 150 000 euros par enfant et 100 000 euros par petit-enfant. La retraite des agriculteurs sera revalorisée à hauteur de 100 euros par mois pour la moitié des futur retraités. Les TPE et PME seront de nouveau soutenues sur le plan financier et administratif.


    5. Ensemble pour les valeurs de la République

    Laïcité à l'école et dans tous les services publics, interdiction de l'abaya à l'école. Généralisation du testing pour lutter contre les discriminations à l'embauche, lutte contre le racisme, l'antisémitisme, le sexisme, l'homophobie et toutes les haines. Sanction immédiate avec comparution immédiate dans les cas les plus graves pour les jeunes délinquants en revoyant l'excuse de minorité. Depuis 2017, 12 000 personnes ont été expulsées. La délivrance d'une carte de séjour longue durée sera conditionnée à la maîtrise de la langue française et au respect des valeurs républicaines.
     

     
     



    6. Ensemble contre les inégalités de destin

    La formation des professeurs sera renforcée, l'école inclusive aussi pour les élèves en situation de handicap. D'ici à 2027, 100% des résidences universitaires auront été rénovées (elles sont déjà 90% à avoir été rénovées entre 2017 et 2024), et 35 000 nouveaux logements étudiants seront construits dont 10 000 en résidences universitaires. Le repas des étudiants boursiers sera maintenu à 1 euro et leur bourse revalorisée de 37 euros par mois. Un droit de congé de naissance durant trois mois sera mieux indemnisé que le congé parental actuel. Sera instaurée la solidarité à la source avec le versement automatique des aides sociales dès 2025.


    7. Ensemble pour la cohésion de nos territoires

    Le soutien de l'État aux collectivités locales sera poursuivi à l'investissement local pour la transition écologique avec le Fonds vert. Les dotations de fonctionnement ne baisseront pas. Plus de 300 maisons France Services seront ouvertes d'ici à 2027, l'objectif est d'avoir une maison France Services à moins de 20 minutes de chez soi (il y en a déjà 2 700).
     

     
     



    8. Ensemble pour protéger l'environnement

    Après une baisse inédite de 6% des émission de gaz à effet de serre en 2023, l'objectif sera, d'ici à 2030, de baisser de 55% des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990, dont 20% entre 2024 et 2027. 100 000 véhicules électriques seront proposés chaque année en leasing social. Quatorze nouveaux réacteurs nucléaires seront mis en chantier pour assurer l'indépendance énergétique de la France et la décarbonation de son économie. Le plastique jetable sera progressivement supprimé et l'économie circulaire encouragée.


    9. Ensemble pour que la France rayonne dans le monde

    Appartenance à l'OTAN, dissuasion nucléaire, la France gardera tout ce qui garantit sa souveraineté. Son budget militaire sera doublé d'ici à 2030, selon la trajectoire de la loi de programmation militaire.
     

     
     


    Bloc contre bloc contre bloc

    Dans son propos introductif, Gabriel Attal s'en est beaucoup pris au RN et au NFP : « Cette élection, c'est le choix de votre gouvernement. C'est le choix de votre Premier Ministre. C'est le choix du projet de société que vous souhaitez. Aujourd'hui, ce choix est très clair. Il n'y a que trois blocs, trois alternatives claires : l'extrême droite menée par Jordan Bardella, la Nupes menée par Jean-Luc Mélenchon, ou alors Ensemble pour la République, la majorité que je mène. (…) Le choix entre ces trois blocs se jouera dès le premier tour, dès le 30 juin. (…) Ma majorité, mes candidats sont les seuls à faire preuve de cohérence et à avoir une ligne claire dans cette campagne. (…) L'extrême droite est devenue le camp du reniement national. Depuis le début de cette campagne, ça a été un jour, une reculade. Le programme, c'est un grand effeuillage. Il ne reste à la fin qu'une feuille blanche, et en plus, ils vous demandent de signer en bas. Quant à Jordan Bardella, il a affirmé qu'il n'était pas prêt à gouverner, en tout cas, qu'il n'était prêt à gouverner que si la situation était facile (…). Quand on fuit les difficultés, on n'est pas prêt à gouverner. Le Rassemblement national, c'est l'impréparation, c'est le brouillon et le brouillard. L'extrême droite, c'est faire un saut dans le vide pour les Français. De l'autre, la Nupes, unie derrière la France insoumise, est le camp de la compromission et de la dissimulation. Compromission avec l'extrême gauche et ses outrances, avec lesquelles une partie de la gauche avait pourtant juré, la main sur le cœur, ces dernières semaines, de couper. Compromission sur les valeurs, en s'alliant sur un projet irréaliste et dévastateur pour notre économie. Dissimulation sur le programme dont chacun conteste le chiffrage et dissimulation en maintenant un écran de fumée sur l'identité du locataire de Matignon en cas de victoire de la Nupes. Ils semblent ne pas s'entendre sur un nom, en tout cas, faire mine de ne pas s'entendre sur un nom, et pourtant, le résultat est couru d'avance : ils l'ont dit eux-mêmes, le plus grand groupe de la Nupes choisira le Premier Ministre. Le groupe qui a le plus de candidats et le plus sortants, c'est la France insoumise. C'est elle qui a d'ores et déjà imposé son programme aux autres partis de gauche,et donc, en cas de victoire de la Nupes, le Premier Ministre, ce serait nécessairement Jean-Luc Mélenchon. ».

    Choix par adhésion aux mesures proposées, choix par défaut en opposition aux deux blocs extrémistes et populistes qui jouent sur les peurs, la colère et la démagogie, le choix du 30 juin 2024 sera crucial pour la France car il dira si la France continue à prétendre au meilleur ou y renonce pour se fourvoyer dans une impasse électorale, dans une instabilité économique, financière et politique. Emmanuel Macron annonçait le 18 juin 2024 qu'il avait confiance en l'intelligence des Français. Gabriel Attal n'a pas cité le Président de la République et s'est autoproclamé chef de la campagne en insistant, avec l'emploi de la première personne, à son autorité : "ma" majorité, "mes" candidats, "mon" programme. Et son programme se caractérise d'abord par son sérieux, son réalisme et surtout sa cohérence. En ce sens, il est unique car il est bien le seul à les conforter.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (20 juin 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    Gabriel Attal.
    Éric Ciotti.
    Le programme aux élections législatives du 30 juin 2024 d'Ensemble pour la République (document à télécharger).
    Législatives 2024 (7) : Ensemble pour la République.
    Législatives 2024 (6) : Nicolas Sarkozy et François Fillon bougent encore !
    Législatives 2024 (5) : le trouble de Lionel Jospin.
    Législatives 2024 (4) : l'angoisse de Manuel Valls.
    Législatives 2024 (3) : François Hollande dans l'irresponsabilité totale !
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Sidération institutionnelle.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Résultats des élections européennes du dimanche 9 juin 2024.







    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240620-gabriel-attal.html

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/06/21/article-sr-20240620-gabriel-attal.html




     

  • Jean-Marie Le Pen, retour aux sources du Rassemblement national...

    « En me présentant à vos suffrages, je mesure toute la gravité du débat national majeur qui s'ouvre devant vous. Je suis convaincu qu'il doit permettre de créer le grand courant national et populaire capable de faire face à une crise nationale et internationale qui motive l'inquiétude grandissante de notre peuple. » (Jean-Marie Le Pen, avril 1974).



     

     
     


    Le fondateur du Front national devenu le Rassemblement national Jean-Marie Le Pen fête son 96e anniversaire ce jeudi 20 juin 2024. J'allais écrire l'âge de la reine d'Angleterre, comme on dirait l'âge du Christ. L'âge à la mort de la reine d'Angleterre. Un anniversaire particulier pour une raison bien simple.

    Pas parce que le vieux Menhir a été placé « sous régime de protection juridique » au milieu du mois de février 2024 (confirmé par Louis Aliot le 3 avril 2024), une disposition civile apparentée à la tutelle, sur demande de la famille (de ses trois filles dont Marine Le Pen) auprès du tribunal de Puteaux en raison de l'inaptitude de Jean-Marie Le Pen. Il devait pourtant être jugé, avec sa fille Marine Le Pen, du 30 septembre 2024 au 27 novembre 2024 par le tribunal correctionnel de Paris pour détournement de fonds européens dans l'affaire des assistants parlementaires des députés européens du FN, mais la justice devrait annoncer son inaptitude à comparaître au tribunal dans quelques jours (le 3 juillet 2024). Louis Aliot a précisé le 3 avril 2024 sur RMC : « C’est un homme qui a son âge, qui est fatigué. Il est maintenant sous un régime de protection juridique et ce sont ses enfants qui participent à la gestion de ses affaires. ».

    Particulier parce que le mouvement d'extrême droite qu'il a contribué à fonder en 1972 avec d'autres militants extrémistes d'Ordre nouveau pourrait bien conquérir le pouvoir national dans quelques jours. Le Rassemblement national est en tout cas le favori des sondages des élections législatives des 30 juin et 7 juillet 2024 à la suite de la dissolution du 9 juin 2024.

    Jean-Marie Le Pen en est-il encore conscient ou pas ? Je ne connais pas son état de santé, mais après soixante-dix ans de batailles électorales, au soir de sa vie, il pourrait trouver un nouveau sens à son combat. Quand il s'était lancé en se présentant à l'élection présidentielle de 1974, elle aussi soudaine provoquée par le décès du Président Georges Pompidou il y a cinquante ans, il n'avait obtenu que 0,7% des suffrages exprimés, mais il avait déjà placé les jalons qui allaient lui être favorables. Dans sa profession de foi, dont l'introduction est indiquée en tête d'article, on constate qu'on pourrait encore la dire aujourd'hui. C'est commun à tous les discours populistes, ils sont invariablement balancés à toutes les époques, ça marche à tous les coups. Il y a toujours une crise et des peurs dans une société imparfaite mais libre.

    Quand il évoquait en 1974 « un grand courant national et populaire », il a toujours affiché le « national » (avec le Front national, le Rassemblement national dont l'appellation n'est pas nouvelle et ne date pas de 2018 mais bien de 1986 à l'époque où il avait fait élire 36 députés FN), rarement le « populaire » alors que les deux grands courants de droite et du gauche se sont targués d'être populaires, à droite avec l'UMP (Union pour un mouvement populaire) et à gauche, avec la Nupes (Nouvelle union populaire écologiste et socialiste) ou la nouvelle farce populaire (NFP). Il faut bien reconnaître que depuis au moins une dizaine d'années, le mouvement le plus populaire dans le sens le plus proche des petites gens, c'est bien le FN/RN et c'est pour cela qu'il serait au seuil du pouvoir.

     

     
     


    Parti à incarnation très personnelle, il y avait les limites de l'âge. La dynastie Le Pen est là pour y suppléer : la fille Marine Le Pen, la petit-fille Marion Maréchal (élue députée à 22 ans), et maintenant, le gendre (ex-gendre) Jordan Bardella venu soudain dans la vie politique en dirigeant la liste RN aux élections européennes de 2019 à seulement 23 ans. Jean-Marie Le Pen n'aurait pas été surpris, lui qui a été élu député à 27 ans. Sa fille a tenté de délepéniser le parti en excluant son père en 2015 après une énième provocation à caractère ressenti antisémite. Depuis 2022, le parti est présidé par Jordan Bardella qui a poursuivi l'œuvre d'aseptisation de ce parti afin de lever les dernières plafonds de verre dans l'esprit des électeurs.

    L'élection de 88 députés RN en juin 2022 a montré que ce parti avait la capacité d'arriver au pouvoir avec une majorité à l'Assemblée Nationale. Jamais, à ces 96 ans du patriarche revenu en grâce, son parti d'extrême droite n'a été aussi proche du pouvoir. Jordan Bardella serait-il la Giorgia Meloni française ? En tout cas, depuis quelque temps, Jean-Marie Le Pen n'a plus la capacité de casser cette dynamique électorale par un jeu de mots vaseux et autres provocations dont je présente les principales et qui ont systématiquement soulevé des polémiques et parfois des décisions de justice. J'en avais déjà relevé quelques-unes il y a déjà dix ans.

     

     
     


    Le 14 mars 1984, au meeting du FN à la Mutualité de Paris, il a harangué ses militants en provoquant la haine et même, de véritables appels au meurtre. Quand il a dit : « Badinter ? », la salle a répondu : « Juif ! ». Le Pen : « Lustiger ? », la salle : « À morts les Juifs ! ». Le Pen : « Madame Veil ? », la salle : « Au four crématoire ! ».

    Le 26 octobre 1985 à la fête bleu blanc rouge au Bourget : « Je dédie votre accueil à Jean-François Kahn, à Jean Daniel, à Ivan Levaï, à Elkabbach, à tous les menteurs de la presse de ce pays. Ces gens-là sont la honte de leur profession. Monsieur Lustiger me pardonnera ce moment de colère, puisque même Jésus le connut lorsqu’il chassa les marchands du temple, ce que nous allons faire pour notre pays. ».

    Le 6 mai 1987 dans "L'Heure de Vérité" sur Antenne 2 : « Les sidaïques, en respirant du virus par tous les pores, mettent en cause l’équilibre de la Nation. (…) En revanche, je crois que le "sidaïque", c'est un néologisme, il n'est pas très beau, mais je n'en connais pas d'autres, celui-là, il faut bien le dire, est contagieux par sa transpiration, ses larmes, sa salive, son contact. C'est une espèce de lépreux, si vous voulez. » (on rapprochera l'expression d'hébraïque).


    Le 2 juin 1987 dans l'hémicycle de l'Assemblée Nationale : « Madame Barzach ramasse les plumes et se les plante où je pense. » (grand "respect" pour les femmes, en particulier pour la jeune ministre).

    Le 13 septembre 1987 au "Grand Jury" de RTL et "Le Monde" : « Je me pose un certain nombre de questions. Je ne dis pas que les chambres à gaz n’ont pas existé. Je n'ai pas étudié spécialement la question, mais je crois que c'est un point de détail de l'histoire de la Deuxième Guerre mondiale. ».

    Le 18 septembre 1987 sur l'explosion de la bombe nucléaire sur Hiroshima : « Un détail de l'histoire aérienne de la guerre. ».

    Le 20 janvier 1988 dans le Journal du FN du Var, calomniant une victime innocente de la police : « Des Français comme les Oussekine, on peut s’en passer (…). On se souvient de la mort du petit casseur gauchiste nommé Malik Oussekine. Malgré son état de santé lamentable, il n’avait pas hésité à attaquer en pleine nuit les forces de police chargées du maintien de l’ordre. ».


    Le 1er juin 1988 dans un meeting à Marseille : « Voter socialiste, cela signifie que d’ici dix à quinze ans, la mairie de Marseille sera dirigée par un Maghrébin. » (remarquons que Jean-Claude Gaudin n'était pas maghrébin).

    Le 2 septembre 1988 à l'université d'été du FN au Cap d'Agde : « Monsieur Durafour et Dumoulin, obscur ministre de l'ouverture dans laquelle il a d'ailleurs immédiatement disparu, a déclaré : "Nous devons nous allier aux élections municipales, y compris avec le Parti communiste, car le Parti communiste, lui, perd des voix tandis que l'extrême droite ne cesse d'en gagner"… M. Durafour-crématoire, merci de cet aveu ! ».

    Le ministre Lionel Stoléru fut interpellé par Jean-Marie Le Pen le 5 décembre 1989 au cours d’un duel télévisé sur la Cinq animé par Jean-Claude Bourret. Le leader du FN lui a demandé s’il avait la « double nationalité ». Lionel Stoléru lui a alors répondu : « Laquelle ? » et Jean-Marie Le Pen de répondre : « Je ne sais pas, je vous demande. ». Stoléru : « Non, je suis Français. » en précisant : « Être Juif, ce n’est pas une nationalité. Jusqu’à présent, c’est une religion. ». Le Pen : « Parfait, sinon j’aurais été un peu gêné. ». Peu avant, Lionel Stoléru lui avait expliqué que pour réprimer le travail clandestin, il avait organisé des descentes de police : « Sur ce problème du travail au noir, j’ai moi-même organisé des descentes dans le Sentier, des opérations coup de poing. », et Jean-Marie Le Pen lui a répondu : « Vraiment ? Vous pourriez faire une rafle, c’est le cas de le dire ! ».

    En janvier 1990 dans le mensuel "Identité" : « L’établissement, qu’il s’agit de renverser par une révolution de salut public, désigne la classe politique qui impose aujourd’hui son pouvoir. Les droits de l’Homme sont les tables de la Loi. Il a ses évangiles selon saint Freud et saint Marx. Il a son clergé, ses architectes et ses maçons. Son lieu de culte, le Panthéon républicain, ses rites, il prêche la morale. Le Front national a pour devoir d’assurer le retour des vraies élites, après avoir dépouillé la société française des corps parasitaires qui l’enserrent et l’asphyxient. (…) Ainsi advient-il, dans l’histoire des sociétés, des élites décadentes, des oligarchies coupées du peuple qu’elles avaient pour mission de servir et qu’elles ont trahi au bénéfice de leurs privilèges. (…) Nous nous proposons de dépouiller la société française des corps parasitaires qui l’enserrent et l’asphyxient. Il est logique que, de ce fait, les mass media du système veuillent étouffer le cri du peuple que nous exprimons contre l’établissement. La claque est au service de qui la paie. ».

    Le 2 décembre 1990 dans une conférence de presse pour lancer une nouvelle campagne d’affichage du FN (qui fut interdite par la justice le 22 janvier 1991) : « D’ardentes campagnes basées sur le sigle SIDA vont être menées partout. Ce sigle veut dire : S comme socialistes, gaspilleurs et destructeurs ; I comme immigration tiers-mondiste ; D comme délinquance, désordre, décadence ; A comme affaires, car les scandales politico-financiers sont devenus le pain quotidien honteux du système. ».


    Le 26 février 1995, il a commenté la mort du lycéen Ali Ibrahim, assassiné dans le dos quatre jours auparavant par des colleurs d’affiches du FN, ainsi : « Il s’agit d’un drame de l’autodéfense (…). Je le considère comme une victime ainsi que ceux qui se trouvent impliqués dans cette affaire, victimes de l’atmosphère qui règne dans ces banlieues (…). Ce genre d’événement arrive toujours trois ou quatre jours avant que je ne sois appelé à m’exprimer sur un grand média. ». Le 18 avril 1995, il a récidivé sur la mort d’Imed Bouhoud, assassiné par des skinheads au Havre : « Un simple dérapage ! ».

    Le 21 juin 1995, il s’en est pris à Patrick Bruel alors que le FN venait de gagner les municipales à Toulon : « Toulon devra se passer des vocalises du chanteur Benguigui, qui a décidé de ne pas honorer ses contrats. Je ne crois pas qu’on en mourra à Toulon (…). Ces jappements de chiots mal lavés n’empêcheront pas le FN de continuer son action politique en faveur des Françaises et des Français, traités comme des parias dans leur propre pays. ».

    Le 20 avril 1997, il a voulu montrer sa (supposée) bonne foi en jouant faussement le candide : « Que faut-il que je fasse pour ne pas être raciste ? Épouser une Noire ? Avec le sida, si possible ? » (cité dans "Le Monde").


    Le 5 décembre 1997 à une conférence de presse à Munich aux côtés de l’ancien Waffen SS Franz Schonhüber : « Dans un livre de mille pages sur la Seconde Guerre mondiale, les camps de concentration occupent deux pages et les chambres à gaz dix à quinze lignes, ce qui s’appelle un détail. ».

    Le 12 janvier 2005 dans l'hebdomadaire "Rivarol" : « L'Occupation allemande n'a pas été particulièrement inhumaine, même s'il y eut des bavures, inévitables dans un pays de 550 000 km2. ». Le 13 janvier 2005 sur RTL : « C’est vrai (…). Si on compare l’Occupation allemande de la France avec l’occupation d’un certain nombre d’autres pays européens, proportionnellement, c’est en France que celle-ci a été la moins douloureuse. ».

    Le 20 février 2007, au congrès de la Fédération nationale de la chasse (qui s'est présentée aux élections européennes de 2024 avec la liste menée par Jean Lassalle) : « Dans le Marais de Paris, on peut chasser le chapon sans date d’ouverture ou de fermeture, mais dans le marais de Picardie, on ne peut chasser le canard en février. ».

    Le 24 avril 2008 dans le mensuel "Bretons" n°32 : « Je ne me sens pas obligé d’adhérer à cette vision-là. Je constate qu’à Auschwitz, il y avait l’usine IG Farben, qu’il y avait 80 000 ouvriers qui y travaillaient. À ma connaissance, ceux-là n’ont pas été gazés en tout cas. Ni brûlés. ».

    Le 21 février 2012 sur iTélé à propos de ses fréquentations douteuses : « Oui, je ne suis pas chargé de traquer les criminels de guerre désignés par l’opinion publique, moi. Quand je vais quelque part, j’essaie de m’informer et j’essaie de m’informer le plus directement possible. Et en effet, rencontrer Karadzic, c’était une manière de se renseigner. ».


    Le 22 septembre 2012 à l'université d'été du FN à La Baule : « Les "Roms" volent naturellement, comme les oiseaux. ». Le 4 juillet 2013 dans un meeting à Nice : « Vous avez quelques soucis, paraît-il, avec quelques centaines de "Roms" qui ont dans la ville une présence urticante et disons …odorante. ».

    Le 20 mai 2014 au cours d'un meeting à Marseille, à propos de la démographie en Afrique : « Monseigneur Ebola peut régler ça en trois mois. ».

    Le 6 juin 2014 dans sa vidéo hebdomadaire au FN, évoquant Patrick Bruel : « On fera une fournée la prochaine fois ! ».

    Le 2 avril 2015 sur BFMTV, interrogé par Jean-Jacques Bourdin : « Ce que j'ai dit correspondait à ma pensée, que les chambres à gaz étaient un détail de la guerre, à moins d'admettre que c'est la guerre qui était un détail des chambres à gaz. ». Bourdin : « Vous maintenez ces propos ? ». Le Pen : « Oui absolument, je les maintiens, parce que je crois que c'est la vérité et que ça ne devrait choquer personne. ».

    Le 9 avril 2015 à l'AFP, confirmant ses propos dans l'hebdomadaire "Rivarol" : « J'ai toujours œuvré à la réconciliation des Français (…). Comme je l'ai déjà dit, je n'ai jamais considéré le maréchal Pétain comme un traître. L'on a été très sévère avec lui à la Libération. (…) Et je n'ai jamais considéré comme de mauvais Français ou des gens infréquentables ceux qui ont conservé de l'estime pour le maréchal. Ils ont leur place au FN comme l'ont les défenseurs de l'Algérie française, mais aussi les gaullistes, les anciens communistes et tous les patriotes qui ont la France à cœur. ».

    Le 8 avril 2015 dans l'hebdomadaire "Rivarol", il soutenait qu'il fallait « impérativement nous entendre avec la Russie pour sauver l'Europe boréale et le monde blanc ». C'est cette interview qui a valu l'exclusion de Jean-Marie Le Pen du Front national le 20 août 2015 (après une suspension le 4 mai 2015).


    Même si ces dérapages verbaux ne sont pas exhaustifs, ils restent symptomatiques du FN et de Jean-Marie Le Pen. Il était important de rappeler d'où vient le RN...


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (16 juin 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    Jean-Marie Le Pen.
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Le débat Gabriel Attal vs Jordan Bardella du 23 mai 2024.
    Débat Valérie Hayer vs Jordan Bardella : l'imposture démasquée de Coquille vide.
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    Sondage secret : en cas de législatives anticipées, une victoire du RN ?
    FN/RN : fais-moi peur ! (27 octobre 2015).
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    Louis Aliot.
    Le congrès du RN.
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    Le Front national des Le Pen, 50 ans plus tard...

    _yartiLePen2022062003






    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240620-jean-marie-le-pen.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/jean-marie-le-pen-retour-aux-255229

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  • Législatives 2024 (5) : le trouble de Lionel Jospin

    « Le Président, par cette décision imprévue, improvisée, non réfléchie, a plongé le pays dans un moment troublé, et peut-être même dans un moment trouble. » (Lionel Jospin, le 17 juin 2024 sur France Inter).




     

     
     


    La dissolution soudaine et brutale du 9 juin 2024 a fait ressortir de nombreux retraités de la vie politique. Par exemple, l'ancien Premier Ministre socialiste Lionel Jospin qui était l'invité de la matinale de France Inter ce lundi 17 juin 2024. À bientôt 87 ans (dans quelques jours), Lionel Jospin, s'il montre qu'il a son âge, s'exprimant très lentement, ce qui est commode pour éviter d'être interrompu par les journalistes, semble avoir gardé toute sa tête, toutes ses facultés mentales, peut-être même sont-elles encore trop intactes pour oublier son arrogance, son orgueil et sa propension à donner des leçons de morale à tout le monde, lui qui fut à l'origine du choc de la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour de l'élection présidentielle.

    Reprochant la supposée impréparation de la décision de dissoudre (c'est son point de vue, il semblerait que la décision était dans les projets de l'Élysée depuis plusieurs mois), l'ancien Premier Ministre a ajouté : « Pour la première fois dans l'histoire de la République, un parti d'extrême droite pourrait diriger la France. (…) Donc, c'est un moment extrêmement sérieux, et imprévisible. ».

    Reprenant une narration plutôt personnelle, il n'a pas compris le pourquoi de la dissolution : « Et puis soudain, le Président, je ne sais pourquoi, décide que ce scrutin qui concernait l'Europe, il allait le projeter dans la vie politique nationale française. ». Une critique qui n'est pas si éloignée de celle, d'ailleurs, de l'ancien Président Nicolas Sarkozy (j'y reviendrai). Ce qui est notable, c'est que Lionel Jospin aurait pu dire la même chose de la dissolution prononcée le 21 avril 1997 par le Président Jacques Chirac qui, finalement, lui a permis de gouverner la France pendant cinq ans dans un gouvernement de cohabitation, sous les couleurs multiples de la gauche dite plurielle (PS, PCF, EELV). À l'époque, Jean-Luc Mélenchon était un sage sénateur du parti socialiste, nommé d'ailleurs sous-ministre par Lionel Jospin pendant quelque temps.

    L'ancien premier secrétaire du PS sous François Mitterrand conçoit ainsi l'exercice démocratique, le retour aux urnes, comme un trouble : « S'il est garant des institutions, je constate qu'il les trouble [en parlant d'Emmanuel Macron]. La prochaine élection nationale était dans trois ans, c'était l'élection présidentielle. Les élections législatives (…) devaient être dans trois ans aussi, dans la foulée. Qu'est-ce qui justifie tout d'un coup... (…) Il ne se comporte pas comme un garant des institutions, mais comme quelqu'un qui les trouble, si vous voulez. ». Cet avis est complètement contre-constitutionnel : la dissolution est l'une des prérogatives constitutionnelles du Président de la République, la décider n'est pas un trouble mais une simple application de la Constitution. Lionel Jospin serait-il gâteux, au contraire de ce que j'ai écrit au-dessus, ou est-il tellement politisé contre Emmanuel Macron qu'il dit n'importe quoi ?

     

     
     


    Ainsi, au lieu de dire que le risque d'une majorité RN vient d'abord du peuple (et des sondages qui essaient tant bien que mal de capter ce que pense le peuple à un instant t), Lionel Jospin considère ...qu'il vient d'Emmanuel Macron lui-même par la dissolution : « C'est lui qui vient d'exposer les Français par cette décision à ce danger lui-même, et donc, la résistance ne va pas venir de ce côté-là. (…) Il y a quelque chose d'incompréhensible, il y a un jeu avec les institutions. ». Bref, il oublie simplement de prendre l'avis des Français qui, aujourd'hui, semblent séduits (bien malgré moi) par la figure médiatico-creuse de Jordan Bardella comme ils l'avaient rejeté il y a vingt-deux ans de manière ferme et définitive, ce qu'il n'a jamais compris.

    Je pense que Lionel Jospin s'est arrêté de réfléchir politiquement au 21 avril 2002. L'arrivée de la génération née dans les années 1950 (François Hollande, Ségolène Royal, Jean-Luc Mélenchon, François Bayrou, François Fillon et Nicolas Sarkozy) est déjà, pour lui, difficile à comprendre mais depuis 2017, c'est la génération des responsables nés dans les années 1970 voire 1980 qui est maintenant aux responsabilités (sans compter que Jordan Bardella est né... en 1995 !). Il est complètement dépassé par le jeu politique actuel qui est, il faut l'admettre, parfois assez déconcertant par sa violence (et pas seulement verbale).

    L'une des preuves de ce que j'avance, c'est qu'il n'a toujours pas digéré sa défaite, et ce n'est jamais à cause de lui, c'est toujours à cause des autres ! Lionel Jospin a dédramatisé la candidature de "Félix Poutou" (il voulait dire Philippe Poutou) en bon trotskiste partisan de l'entrisme ! Pourtant, son intégration dans cette nouvelle farce populaire (NFP) est une véritable incompréhension, un accord de gouvernement avec le NPA ! Mais doctrinaire, il s'en moque. Écoutons-le maintenant parler de François Hollande qui fut son dauphin au PS entre 1997 et 2002 : « François Hollande est, je le rappelle quand même, le seul socialiste qui a été en mesure de devenir Président de la République après François Mitterrand. », ce qui est vrai (toutefois, comme il s'agissait d'une cohabitation et qu'il avait réellement le pouvoir, il aurait pu s'ajouter lui-même comme étant l'un des trois socialistes qui a réussi à conquérir le pouvoir sous la Cinquième République). Et puis, Lionel Jospin a ajouté cette petite phrase qui traduit toute son amertume et sa colère (contre les Français, contre la classe politique) vingt-deux ans plus tard : « Moi, ça a été refusé en raison de la division, et donc, je sais ce qu'est la division. ».

    C'est cette petite phrase qui dévoile tout l'homme politique : non, ce n'est pas lui qui a été battu, ce n'est pas lui qui a fait une mauvaise campagne ou qui a été rejeté par les Français ! C'est juste qu'il a raté l'épreuve du concours national. La faute à pas d'chance : on m'a interdit l'Élysée, les vilains à l'administration. Ah si, il y a bien des coupables : la division ! Or, la division avait bon dos : les électeurs de gauche qui ont voté pour Jean-Pierre Chevènement, Noël Mamère, Robert Hue ou Christiane Taubira, de toute façon, au premier tour, si leur candidat ne s'était pas présenté, ils se seraient abstenus, car Lionel Jospin a été incapable de mobiliser tout son électorat traditionnel. Donc, il a échoué, lui personnellement, mais pour lui, ce ne serait pas à cause de lui, toujours la faute des autres !

    François Hollande a été élu par défaut sur les décombres de l'antisarkozysme primaire poussé par un François Bayrou complètement déboussolé. Mais la gauche, depuis 2002, est victime de cette absence d'analyse sur les causes réelles et profondes de l'échec de Lionel Jospin. Car la division n'est pas la cause de l'échec mais une conséquence, un signe avant-coureur de cause bien plus profonde : l'incapacité de la gauche à écouter le peuple dans ses inquiétudes, notamment sur la sécurité, en lui disant qu'il se trompait, qu'il n'y avait pas de problème, et le FN/RN a beaucoup fleuri sur cette incompréhension de la gauche. Lionel Jospin est tenté de réduire toutes ses analyses politiques à de la cuisine politicienne, mais une campagne présidentielle, ce n'est pas les autres candidats, c'est avant tout un dialogue entre le candidat et le peuple. Et le courant, c'est le moins qu'on puisse dire, n'a pas eu lieu.

    Cette cuisine politicienne, Lionel Jospin l'adore encore malgré son âge. En effet, il prétend se rassurer sur l'hégémonie de FI en regardant les investitures négociées avec le NFP dont il est un ferme partisan : « Alors que LFI avait 328 candidats en 2022, il en a maintenant 229. Alors que le parti socialiste en avait 70 en 2022, il en a 175. Et les écologistes baissant un peu et les communistes gardant le même score. Et donc, je vous rappelle que l'ensemble PC, PS, écologistes, Place publique... euh, qui sont assez proches au fond, qui étaient dans une évolution que le Président de la République a brisée par cette dissolution, représenteront 297 candidats dans ces élections contre 229 pour la France insoumise. ».

     

     
     


    Là encore, on voit bien que Lionel Jospin a dit que toute la gauche sauf FI a été stoppée dans leur unification (ah bon ? Pas si l'on regarde les listes multiples aux élections européennes !), c'est à cause d'Emmanuel Macron, bien sûr, ce n'est jamais à cause de lui, c'est toujours à cause des autres. De plus, le décompte de marchand de tapis des investitures ne vaut pas grand-chose. Évidemment, ce ne sont pas les investitures qu'il faut appréhender, mais celles sur des circonscriptions gagnables par le NFP, et ce n'est certainement pas proportionnel. Et en faisant les décomptes, 297/229, cela signifie que FI a de grandes chances de dominer la future gauche car beaucoup de circonscriptions imprenables ont été abandonnées par FI.

    En revanche, à la question : on n'a pas encore essayé l'extrême droite, que dites-vous de cela ? Lionel Jospin a un réponse assez pertinente : « L'extrême droite, si elle n'a pas encore été essayée en France, et c'est quand même caractéristique, si vous voulez, que ça n'appartiennent pas à l'identité de la République, ça a été essayé ailleurs. Et quand ça a été essayé ailleurs, ça a nourri souvent de terribles drames. (…) Les Français jamais n'ont porté l'extrême droite au pouvoir pendant toute l'histoire de la République. ».


    Il a également remis à sa place Nicolas Sarkozy : « Pour être un républicain, il faut partager les valeurs de la République, et notamment dire liberté, égalité, fraternité, et non pas identité, sécurité et... autorité ! ».

    Quant au programme du NFP, Lionel Jospin ne s'en est pas caché : il est absolument déraisonnable, mais pour lui, ça ne compte pas, l'idée est d'avoir le plus d'élus possible et puis après, on verra bien. Quelle piètre conception de l'engagement politique et du respect des électeurs : « Ce qui est important pour moi, c'est que les partis de ce regroupement, nouveau front populaire, aient une place importante au Parlement demain. Seront-ils en mesure, les Français leur feront-ils confiance pour remporter une victoire ? Je ne sais pas (…). Mais en tout état de cause, compte tenu de la situation du pays, il est clair que, dans cette hypothèse où ce rassemblement de gauche serait au pouvoir ou proche du pouvoir, eh bien, il faudrait que soient aux postes principaux choisies des personnalités capables de maîtriser et d'opérer une synthèse ! ». Une synthèse ! Comme si le Parlement était un comité directeur du parti socialiste des années 1970 !

    Dans cette dernière réflexion, il y a à la fois de la rêverie utopique (Jean-Luc Mélenchon laissant la gauche de gouvernement tranquillement gouverner en cas de majorité) et du mépris des Français (le programme, on s'en moque, il est pour une « inflexion »).


    De cette interview, il en ressort que Lionel Jospin, décidément, n'a pas encore compris son échec personnel du 21 avril 2002. Et s'il critique la dissolution de l'Assemblée Nationale, lui serait bien d'avis qu'il faudrait plutôt dissoudre le peuple, en tout cas, celui qui n'a pas voté pour lui. Celui de 2002. Et peut-être aussi celui de 2024, tant qu'on y est.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (17 juin 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    Législatives 2024 (5) : le trouble de Lionel Jospin.
    Législatives 2024 (4) : l'angoisse de Manuel Valls.
    Législatives 2024 (3) : François Hollande dans l'irresponsabilité totale !
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Sidération institutionnelle.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Résultats des élections européennes du dimanche 9 juin 2024.







    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240617-jospin.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/legislatives-2024-5-le-trouble-de-255287

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/06/17/article-sr-20240617-jospin.html




     

  • François Fillon réagit à la dissolution dans "Le Figaro" (18 juin 2024)

    « Moi, j'ai confiance dans le peuple ! C'est le geste le plus démocratique et républicain qu'il soit, celui que j'ai fait. C'est de dire à vous toutes et tous : il y a une colère qui s'exprime, moi, je l'entends. Et je vous dis, quel que soit le résultat, de toute façon, il y aura un jour d'après. (…) Moi, j'ai confiance dans le bon sens. Je pense qu'il y a une majorité silencieuse qui, comme vous, ne veut pas les extrêmes et qui, comme vous, ne veut pas que ce soit le désordre. » (Emmanuel Macron, le 18 juin 2024 après la commémoration de l'Appel du 18 Juin).





     

     
     

    J'ai écrit que la dissolution de l'Assemblée Nationale et la campagne éclair des élections législatives faisaient ressortir les vieux dinosaures de la vie politique. C'est le cas de François Hollande (qui se présente dans une coalition de gouvernement avec le NPA et FI !), c'est aussi le cas de Lionel Jospin qui, tous les deux, aveuglés par la peur d'un gouvernement RN, sont prêts à s'allier avec ce qu'il y a de plus abject à l'extrême gauche (l'histoire le rappellera un jour très sévèrement). C'est le cas aussi de Manuel Valls qui, au nom de la même gauche que celle des deux précédents (Manuel Valls était le conseiller à Matignon de Lionel Jospin et le Premier Ministre de François Hollande), a condamné avec force la nouvelle farce populaire autant que l'extrême droite pour soutenir le camp présidentiel.

    Mais c'est bien sûr aussi le cas à droite et au centre droite. Du trio des ténors de l'UMP puis de LR qui ont dominé la droite républicaine pendant deux décennies, seul Alain Juppé est soumis à son obligation de réserve en raison de son appartenance au Conseil Constitutionnel (qui statue sur la régularité des élections législatives), mais les deux autres ont réagi aux événements politiques accélérés de ces derniers jours, l'ancien Président de la République Nicolas Sarkozy le 15 juin 2024 dans une interview au "Journal du dimanche" (interrogé par Geoffroy Lejeune et Antonin André), et l'ancien Premier Ministre François Fillon, qui avait pourtant tourné la page de la politique, le 18 juin 2024 dans une tribune au journal "Le Figaro". Ces deux ténors majeurs de LR ne disent d'ailleurs pas tout à fait la même chose.

     
     


    Pour les deux, comme pour Lionel Jospin et comme pour beaucoup de Français, il y a une incompréhension de cette dissolution. L'effet d'une douche froide. Mais après tout, De Gaulle avait fait la même chose deux fois en dix ans. Lire à la fin de l'article la justification présidentielle.
     

     
     


    Nicolas Sarkozy ne comprend pas cet appel aux urnes quelques heures seulement après les élections européennes qui étaient déjà une écoute du peuple : « Donner la parole au peuple français pour justifier la dissolution est un argument curieux puisque c’est précisément ce que venaient de faire plus de 25 millions de Français dans les urnes ! On donne la parole aux Français quand ils ne se sont pas exprimés depuis plusieurs années, pas juste après une consultation électorale. ».

    Et d'ajouter qu'il est peu probable que les Français ne disent pas la même chose en trois semaines d'intervalle : « Le risque est plus grand qu’ils confirment leur colère plutôt qu’ils ne l’infirment. ». Mais cela n'a pas beaucoup de sens de commenter la pertinence de la dissolution, car elle s'impose à tous.


    D'où cette sentence contre la décision présidentielle : « Cette dissolution constitue un risque majeur. Pour le pays, déjà fracturé, parce que cela peut le replonger dans un chaos. Et pour le Président, à qui il restait trois ans de mandat, et dont j'aurais préféré qu'il les utilisât pour accomplir ce que les Français souhaitent. ». Ces propos sont un tantinet démagogiques, mais il faut remarquer l'emploi de l'imparfait du subjonctif, très rare dans la classe politique et chasse généralement gardée de Raymond Barre et de Jean-Marie Le Pen).

    L'ancien Président de la République a notamment regretté de ne pas avoir assez influencé Emmanuel Macron sur les thèmes de la droite nationale : « C'est le plus important, je n'ai pas réussi à le convaincre que la matrice politique de la France s'incarnait dans ces trois mots : identité, sécurité, autorité. ». Ce à quoi Lionel Jospin a répondu : « Liberté, égalité fraternité » !

     

     
     


    Sur l'éviction du président de LR Éric Ciotti, Nicolas Sarkozy ne partage pas son point de vue d'une alliance LR-RN parce qu'il considère que cela serait suicidaire pour LR dans la situation actuelle. Il s'est opposé à la fois sur le fond (pas d'alliance avec le RN) et sur la forme (il n'avait pas à prendre la décision arbitrairement tout seul) : « Je suis attaché à mes convictions. Je ne partage pas les siennes, mais pourquoi ne pourrait-il les défendre ? En revanche, il a eu le tort de trancher un débat avant qu'il ait pu prospérer. ». Du reste, des personnalités comme Gérard Larcher et Bruno Retailleau se sont senties trahies personnellement par Éric Ciotti alors qu'ils l'avaient eu au téléphone très peu de temps avant sa déclaration d'alliance.

    Pour autant, Nicolas Sarkozy rejette toute diabolisation du RN car cela ferait son jeu. Il faut le combattre politiquement, pour les mesures qu'il défend, et pas moralement : « Le RN a fait un travail sur lui-même qui est indéniable. Combattre le Rassemblement national comme s'il n'avait pas changé, comme s'il y avait toujours le Jean-Marie Le Pen "du détail", serait une erreur grossière... ».


    En revanche, l'ancien locataire de l'Élysée veut diaboliser la nouvelle farce populaire avec ses partis extrémistes : « LFI par son communautarisme, ses propos aux limites de l'antisémitisme, son engagement militant auprès du Hamas, est beaucoup plus problématique aux regards des règles républicaines que le risque fantasmé de peste brune. ». Ainsi, entre la peste RN et le choléra NFP, il a probablement déjà choisi même s'il ne le dit pas explicitement.

    Quant à l'union des gauches, Nicolas Sarkozy l'a toujours envisagée et c'est probablement l'erreur politique d'Emmanuel Macron, elle s'est faite en juin 2022 malgré plusieurs candidats à l'élection présidentielle. Et il a rappelé : « Je n'ai jamais douté que la gauche referait son unité. Déjà en 2012, Jean-Luc Mélenchon s'était précipité dans les bras de François Hollande en dix minutes. Parce que quand le pouvoir est à portée de main, la gauche se rassemble. ».

    Nicolas Sarkozy s'est fait également directeur des ressources humaines et a commenté l'ambition démesurée de Jordan Bardella : « [Il] a du talent (…). Il lui reste, et c'est une grande question, à combler un manque d'expérience puisqu'il n'a jamais été en situation de gérer quoi que ce soit, et qu'il a moins de 30 ans. ».

    Lui qui avait tenté de convaincre Emmanuel Macron de faire un véritable contrat de gouvernement entre LR et la majorité présidentielle en 2022, il reste donc sur une position intenable : ni NFP, ni RN, ni Macron. Aujourd'hui, LR n'existe plus parce que ce parti a implosé par le ciottisme. Il lui faudra effectivement choisir entre ces trois "blocs" (terme que je n'aime pas du tout car cela fait comme si on bétonnait la vie politique, même s'il y a une belle référence historique avec le Bloc national de Clemenceau en novembre 1919).

     

     
     


    Parlons maintenant de la tribune de François Fillon. La position de l'ancien candidat à l'élection présidentielle de 2017 est un peu différente même s'il rejette à la fois le RN et le NFP. Lui-même au soir du premier tour de l'élection présidentielle de 2017 avait été très clair : il avait appelé sans hésitation à soutenir Emmanuel Macron au second tour pour empêcher l'éventualité de l'élection de Marine Le Pen (beaucoup au sein de LR avaient été bien moins clairs à l'époque).

    Toutefois, il faut aussi se souvenir qu'Éric Ciotti est un bon ami de François Fillon. Dans sa querelle fratricide contre Jean-François Copé au sein de l'UMP en 2012-2013, François Fillon avait pu compter sur le soutien indéfectible d'Éric Ciotti.

    Comme pour l'ancien chef de l'État, l'ancien Premier Ministre a d'abord sérieusement attaqué l'alliance à gauche : « Le nouveau programme commun de la gauche fait apparaître celui de 1981 comme une bluette social-démocrate. Le comportement de LFI depuis son irruption à l'Assemblée est incompatible avec notre pacte républicain. ».

     

     
     


    Mais il a aussi critiqué très vertement les idées du RN : « Je persiste à penser que l'extrême droit, malgré sa mue, n'est pas en mesure de redresser notre pays. Mais, pire encore, l'extrême gauche qui menace l'unité nationale doit être implacablement sanctionnée par les urnes. ». Le "pire encore" donne une idée de sa position s'il devait choisir entre les deux extrémismes.

    Enfin, troisième pôle de refus politique, ne pas se soumettre à Emmanuel Macron : « Il faudra beaucoup d'efforts au chef de l'État pour éteindre le feu électoral qu'il a sciemment allumé. ». Toute l'opposition à Emmanuel Macron réside dans ce "sciemment".

    Faut-il retourner aux sources de la Cinquième République ? Je rappelle donc qu'après la décision de dissoudre l'Assemblée prise par De Gaulle le 9 octobre 1962 (à la suite de l'adoption d'une motion de censure contre le gouvernement de Georges Pompidou), la plupart des députés gaullistes étaient sidérés et considéraient cette initiative de la dissolution comme un suicide collectif (on parle aussi de suicide politique pour le référendum du 27 avril 1969). Les ministres sortants se préparaient à la défaite électorale, retrouvaient un emploi à leurs conseillers et se disaient que c'était déjà pas mal d'avoir gouverné quatre ans en résistance au régime des partis.

     
     


    La réponse d'Emmanuel Macron est très claire, puisque beaucoup de Français l'ont interrogé sur le sujet. Ainsi, le 18 juin 2024, sur l'île de Sein, il répondait à une dame très inquiète (et pas du tout impressionnée) : « Quelle a été la conviction du Général De Gaulle en 1940, puisque vous faites référence à cette mémoire ? Une confiance dans les Françaises et les Français, forte. Le chaos, il est lié à quoi ? À certains élus de la République qui, chaque semaine, au Parlement, font le désordre et donnent un spectacle qui n'est pas celui que vous voulez et que je ne veux non plus. Vous ne pouvez pas continuer comme ça. Il faut regarder les choses en face. Et qu'il y ait eu un coup de colère, vous savez, je suis le premier à qui ça a fait mal le 9 juin. Les résultats. Je l'ai pris vraiment pour moi, ça m'a fait mal. Et donc, en mon âme et conscience, c'est une des décisions les plus lourdes que j'ai eu à prendre, Madame. Si je pensais à moi, vous savez, je serais resté à mon bureau et j'aurais dit : on va continuer comme si de rien n'était. Mais on doit ouvrir les yeux. On ne peut pas laisser monter les extrêmes et la colère en disant : c'est comme si de rien n'était. Et donc, moi, j'ai confiance dans le peuple ! C'est le geste le plus démocratique et républicain qu'il soit, celui que j'ai fait. C'est de dire à vous toutes et tous : il y a une colère qui s'exprime, moi, je l'entends. Et je vous dis, quel que soit le résultat, de toute façon, il y aura un jour d'après. Sur les sujets de sécurité, de fin de mois, on devra aller beaucoup plus vite et plus fort parce qu'il y a une partie de cette colère qui est liée à cela. Mais je dois redemander un vote de confiance aux Françaises et aux Français. Mais moi j'ai confiance dans le bon sens. Je pense qu'il y a une majorité silencieuse qui, comme vous, ne veut pas les extrêmes et qui, comme vous, ne veut pas que ce soit le désordre. Donc, je ne l'ai pas fait pour moi, je ne l'ai pas fait sur un coup de sang, ce n'est pas un coup de dés, c'est un geste de confiance républicain. On ne peut pas craindre le peuple dans une démocratie. (…) Mais pourquoi vous voudriez qu'il y ait le chaos ? Il y a le chaos quand les choses se bloquent. On a connu tous ensemble les gilets jaunes, et on l'a connu pourquoi ? Parce que les gens n'adhéraient plus aux réformes, la vie était dure. Il y a quelque chose qui a émergé, d'ailleurs qu'on a eu du mal à anticiper, il a fallu le régler, ça a mis quelques mois. Mais pour les élections, ce n'est pas le chaos, c'est la démocratie. Et donc, elle suppose le respect. Encore une fois, moi, j'ai confiance en l'intelligence des Françaises et des Français. ».

    Cet esprit de la pratique des institutions, c'est celui de De Gaulle en 1962, en 1968 et en 1969, c'est aussi celui de François Mitterrand en 1992 et c'est celui de Jacques Chirac en 2005. Aller aux urnes pour écouter le peuple, même quand le peuple est en colère, surtout quand le peuple est en colère. Au moins, on ne pourra pas le reprocher à Emmanuel Macron. Il ne reste plus qu'à mobiliser la "majorité silencieuse" ! Vaste affaire en si peu de temps.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (18 juin 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    Nicolas Sarkozy.
    François Fillon.
    Législatives 2024 (6) : Nicolas Sarkozy et François Fillon bougent encore !
    Législatives 2024 (5) : le trouble de Lionel Jospin.
    Législatives 2024 (4) : l'angoisse de Manuel Valls.
    Législatives 2024 (3) : François Hollande dans l'irresponsabilité totale !
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Sidération institutionnelle.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Résultats des élections européennes du dimanche 9 juin 2024.

     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240618-fillon.html

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/06/19/article-sr-20240618-fillon.html





     

  • Législatives 2024 (4) : l'angoisse de Manuel Valls

    « Je vous le dis très sincèrement (…). Moi, ça m'angoisse. Je pense ne jamais avoir été aussi inquiet, comme citoyen, par rapport (…) au futur de mon pays. » (Manuel Valls, le 15 juin 2024 sur LCI).



     

     
     


    L'ancien Premier Ministre Manuel Valls était l'invité de Darius Rochebin le samedi 15 juin 2024 vers 20 heures 30 sur LCI. Il était venu exprimer son inquiétude et son incompréhension, en particulier sur la candidature de l'ancien Président François Hollande en Corrèze sous les couleurs de la nouvelle farce populaire (NFP). Manuel Valls ne comprends notamment pas que François Hollande puisse se présenter sous les couleurs d'une coalition gouvernementale qui abrite également FI et le NPA !

    Cette annonce faite samedi de François Hollande est très étonnante d'ailleurs à plus d'un titre. D'une part, comme déjà écrit, il se couche politiquement devant Jean-Luc Mélenchon qui, qu'on le veuille ou pas, dominera le prochain ensemble des députés NFP car FI a le plus d'investitures. D'autre part, François Hollande est loin d'être certain d'être élu malgré son passé de député de la Corrèze, de maire de Tulle et de président du conseil général de Corrèze. En effet, la circonscription a voté aux européennes 31,6% pour le RN, 15,8% pour le PS et 11,2% pour Ensemble (liste Hayer). En outre le député sortant LR se représente. Même sans concurrent Ensemble, le clivage risque de se faire entre LR et RN en excluant du jeu l'ancien Président de la République. Et pourtant, François Hollande convoiterait-il secrètement Matignon le 8 juillet ?

     

     
     


    Mais revenons à son ancien Premier Ministre. C'est vrai que Manuel Valls jouit d'une très forte impopularité en France, certainement justifiée en partie par ses allées et venues électoralistes entre la France et la Catalogne, mais aussi par ses incessantes offres de service sans suite depuis 2017. On ne pourra pas dire cependant que l'ancien candidat à la primaire socialiste de 2017 est un arriviste, car en juin 2024, au contraire de juin 2022, il n'est pas candidat aux élections législatives (en 2022, il avait été battu dès le premier tour). Il n'a donc aucun intérêt personnel dans le scrutin et ne peut rien espérer ni d'une victoire du parti du Président Emmanuel Macron qui l'a toujours ignoré, ni d'une victoire du NFP qui le déteste, ni une victoire du RN considéré comme son principal adversaire lorsqu'il était à Matignon. Ce qui lui donne plus de liberté et surtout, plus de sincérité.

    Surpris et inquiet, Manuel Valls a déclaré que la dissolution était très dangereuse : « Elle plonge le pays dans une très grande incertitude. Elle peut amener le pays dans le précipice, notamment parce que nous voyons bien que s'affrontent deux blocs aujourd'hui, ce qui angoisse d'ailleurs beaucoup de mes compatriotes, le Rassemblement national et le soi-disant front populaire. Donc, oui, c'est un risque bien évidemment, mais le Président de la République a pris cette décision. Maintenant, les électeurs sont convoqués, le peuple va parler. Je suis un républicain, un démocrate, donc il faut convaincre les Français qui sont inquiets, mais (…) ils vont voter massivement à l'occasion de ces élections législatives, contrairement à ce qui s'est passé depuis vingt ans. ».

    Il n'était du reste pas tendre avec Emmanuel Macron à qui il a reproché de ne pas avoir créé les conditions d'une coalition au sein de l'Assemblée Nationale : « Plonger le pays dans une crise politique majeure, c'est évidemment prendre un risque. Nous sommes dans un moment périlleux. ».

     

     
     


    En revanche, il a reconnu un certain mérite à Jordan Bardella : « C'est difficile de nier que Jordan Bardella, qui a 28 ans, est un "phénomène" politique, et pas que sur TikTok. Je ne vais pas dire le contraire. ».

    Pour Manuel Valls, la situation qui conduirait à avoir surtout des duels de second tour, dans les circonscriptions, entre le RN et le NFP, serait très favorable à une victoire du RN : « Une majorité très grande de duels au second tour entre le RN et le NFP, notamment avec des candidats de FI : ce scénario est évidemment un scénario gagnant parce qu'une partie de l'électorat de droite, et les dirigeants de la droite, des dirigeants comme Bellamy ou d'autres, appelleraient à voter pour le RN. Alors, là, oui, dans ce scénario. C'est pour ça que c'est très important que les candidats républicains, du centre gauche, du centre droit, les modérés, ceux qui ont une vision de l'économie, de l'ordre, de l'Ukraine, qui partagent les mêmes combats contre l'antisémitisme, puissent se retrouver, et c'est à ce sursaut-là que j'appelle les Français. ».

    Sur la candidature de François Hollande ? Manuel Valls voulait bien choisir ses mots pour ne pas le blesser, mais il n'a pas pu s'empêcher de parler de mensonge : « Un ancien Président de la République ne devrait pas faire cela. (…) Il se met dans une coalition, dans ce NFP, non seulement avec ceux, en grande partie, qui n'ont cessé de le critiquer et qui sont aussi en partie à l'origine de l'échec collectif de son quinquennat... » mais coupé par Darius Rochebin, il n'a pas fini sa phrase et a ajouté : « C'est incompréhensible ! C'est une aberration ! Cela me révolte, d'une certaine manière, parce qu'il participe, François Hollande, et il le sait, parce que je le sais lucide, à un mensonge. Un mensonge sur le programme économique : que François Hollande défende le retour à la retraite à 60 ans, avec le coût que cela représenterait pour nos finances publiques, n'a véritablement aucun sens ! Que François Hollande défende un projet où on ne parle même pas du nucléaire alors que nous savons que le pays est engagé de nouveau dans cette voie, et tant mieux, c'est important pour notre indépendance énergétique et pour l'emploi. Que François Hollande partage enfin une coalition avec un parti qui a tenu des propos anti-Juifs, antisionistes, anti-Israël, qui envoie des candidats qui ont dit que la police tue, qui se retrouve dans la même formation, dans la même coalition que madame Obono qui disait qu'elle n'était pas Charlie. Il y a quelque chose qui aujourd'hui m'a profondément choqué (…). Monsieur Poutou, le leader du NPA, est le candidat de FI, et donc du NFP, dans l'Aude, dans la circonscription de Trèbes, là où il y a eu un attentat, où le colonel Beltrame a donné sa vie, alors que monsieur Poutou est de ceux qui disent que les forces de l'ordre tuent ou se sont retrouvés manifestants avec des cris contre les Juifs. (…) [François Hollande] participe d'un mensonge et mentir aux Français dans ce moment-là, et participer (…), c'est une erreur, c'est une aberration, ça me choque ! (…) La cohérence, c'est essentiel. ».

     

     
     


    Manuel Valls n'avait pas de mots assez durs à la fois contre les insoumis mais aussi contre ceux qui acceptent de s'allier avec eux : « [Jean-Luc Mélenchon] a soutenu les émeutiers il y a un an. Vous vous rendez compte ? Gouverner avec ceux qui ont soutenu les émeutiers qui s'attaquaient aux commerçants, aux services publics et aux forces de l'ordre il y a un an. (…) Leur stratégie, notamment, de capter le vote de nos compatriotes de confession et d'origine arabo-musulmane a fonctionné dans les quartiers, avec le drapeau palestinien, avec le soutien à ce qui se passe à Gaza, et avec le soutien de fait au Hamas, et avec des gens, le NPA, qui considèrent que le 7 octobre est un acte de résistance. Enfin, vous vous rendez compte de la politique étrangère si c'est gens-là gouvernent demain ensemble ? Vous vous rendez compte le sentiment (…) qu'éprouveraient les compatriotes juifs dans ce pays ? Enfin, réveillez-vous tout de même du côté de la gauche ! Moi, je suis sûr que tous ceux qui ont voté pour Raphaël Glucksmann, qui se sentent aujourd'hui oubliés, qui se sentent orphelins, qui se sentent floués, il y a des millions de gens qui ne se sont pas déplacés, donc, comment pourraient-ils accepter ? (…) Quand on parle de la République, de la lutte contre la haine des Juifs, de la laïcité, ni Mélenchon ni Obono ni Poutou ne partagent (…), là non, cette gauche ne porte pas ces valeurs ! ».

    Malgré cette position très ferme (anti-NFP et anti-RN), Manuel Valls ne paraissait toutefois pas vraiment prêt à soutenir à fond et avec enthousiasme les candidats de la majorité présidentielle. Appelé à commenter les mesures proposées par le Premier Ministre Gabriel Attal et énoncées au journal de 20 heures ce même 15 juin 2024 sur France 2, Manuel Valls semblait craindre une surenchère démagogique : « Il faudra les chiffrer. Elles me paraissent pour la plupart intéressantes, mais je voudrais qu'on regarde le coût. J'ai en tête les mots de Bruno Le Maire il y a quelques semaines sur l'état de nos finances publiques. Ce que je sais à ce stade, c'est le coût du programme du Rassemblement national autour de 100 milliards, celui du NFP entre 200 et 300 milliards, on verra quels sont les modes de financement de ce programme plus raisonnable, ce sont les gens qui ont gouverné jusqu'à maintenant. ».

     

     
     


    Et de rappeler aussi d'autres contraintes que les finances publiques : « On l'oublie. Il y a une guerre à quelques heures d'ici. Tous les budgets de la défense dont le nôtre augmentent. (…) Ce sont des coûts aussi. ».

    D'où l'appel aux bonnes volontés : « C'est le moment de se regrouper, tous ceux qui ont une certaine idée de la responsabilité de notre pays. (…) Je vais me battre, avec d'autres, pour que, dans toutes les circonscriptions, puissent gagner ceux qui partagent cette idée, qu'ils viennent des républicains, de la social-démocratie, du centre, et au deuxième tour, encore davantage. ».

    Entre un candidat RN et un candidat FI, Manuel Valls refuserait de choisir, il voterait blanc, mais il fera tout pour que ce genre de duels soit le moins nombreux possible : « Je ne choisirais pas entre le Rassemblement national et la France insoumise. (…) Pour la France insoumise, non ! Je ne voterais jamais de ma vie pour un parti qui a fait de la haine des Juifs et d'Israël, c'est-à-dire de la haine de la France, parce que ça veut dire ça, son programme ! (…) Pour capter un certain vote, notamment dans les quartiers populaires, et le vote musulman, [Jean-Luc Mélenchon] a fait de la question d'Israël un sujet majeur. (…) Quand on critique Israël avec l'idée de nazifier ce pays, qui commettrait un génocide, mot qu'on a entendu en permanence, on franchit le pas qui est celui de la négation. (…) Quand vous vous alliez à une organisation qui s'appelle le NPA qui considère que le 7 octobre est un acte de résistance, ça salit tout le monde, tous les candidats qui vont à ces élections législatives sous la bannière du NFP. (…) Dans chaque circonscription, il faut qu'il y ait un maximum de députés ni RN ni FI, pour la République. C'est ça, mon engagement ! ».

    Toutes ces déclarations presque passionnées parce qu'inquiètes de Manuel Valls étaient prévisibles et il était sain qu'il s'exprimât ainsi haut et fort. Mais sa valeur ajoutée a été surtout apportée à la fin de son interview, pour répondre finalement à un argument fataliste d'électeurs pas vraiment portés sur le programme du RN mais qui considèrent la victoire de ce parti inéluctable. Certains se disent que sous la cohabitation, ils ne pourraient pas faire tout leur programme et qu'il y aurait la barrière de l'Élysée. Manuel Valls, comme ancien Premir Ministre, a rejeté ce type d'argument et a averti : « Moi, j'ai vécu la cohabitation comme conseiller de Lionel Jospin pendant quatre ans à l'époque, j'étais aussi chef du gouvernement, et le Président Hollande a pleinement respecté les prérogatives du chef du gouvernement. (…) Je vous réponds très franchement : le pouvoir sur les grandes questions intérieures, nationales, est à Matignon et à l'Assemblée. Donc, là, les choses sont très claires. ».

    Ce que veut donc faire comprendre Manuel Valls, c'est que voter pour le NFP, c'est pousser la France dans les mains du RN et ce parti aura tout le pouvoir pour mettre en application son sinistre programme (sinistre pour la France). Quant à l'argument martelé ad nauseam, du : on-n'a-pas-encore-essayé, Simone Rodan-Benzaquen a tweeté, le 15 juin 2024, pour faire remarquer : « "On n'a pas essayé" n'est pas un bon argument ! Sinon j'espère pour vous que vous n'avez pas essayé de : manger de l'arsenic ; faire un feu de camp dans votre maison ; vous balader à pied sur une autoroute ; sauter d'un avion sans parachute ; prendre à main nue une ligne à haute tension, etc. »...



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    Sylvain Rakotoarison (16 juin 2024)
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    Pour aller plus loin :
    Législatives 2024 (4) : l'angoisse de Manuel Valls.
    Législatives 2024 (3) : François Hollande dans l'irresponsabilité totale !
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Sidération institutionnelle.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Résultats des élections européennes du dimanche 9 juin 2024.








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