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femmes - Page 3

  • Une triste pensée pour Aïnaz Karimi

    « Moralement, nous n'étions pas à notre aise. Trop de fantômes, par-ci, par-là. » (Céline, 1932).


     

     
     


    Le vendredi 8 novembre 2024, j'ai appris une nouvelle tragédie en République islamique d'Iran. Encore une fois, une jeune adolescente de 17 ans a perdu la vie pour des stupidités de mœurs supposées islamiques.

    Aïnaz Karimi était une lycéenne près de Kazeroun, en Iran (entre Chiraz et Bouchehr). Elle a été harcelée pendant plusieurs semaines par les autorités de son lycée en raison de son habillement et de son comportement. Selon le proviseur de son lycée, « elle ne respectait pas les codes islamiques et mettait du vernis à ongles ».

    À bout de souffle, Aïnaz s'est suicidée. Elle fait partie des nombreuses victimes femmes de la dictature des mollahs qui veut empaqueter les femmes, les mettre dans de vilains sacs à patate noirs car sans cela, si on suivait cette logique, ces hommes seraient incapables de résister à leur sex-appeal.

    Quatre jours auparavant, c'était
    Arezou Khavari qui a sauté du haut d'un immeuble de six étages près de Téhéran après avoir été menacée d'exclusion parce qu'elle avait simplement dansé dans un bus en jeans sans avoir porté de hijab lors d'une sortie scolaire.

    Ce pays, l'Iran, est devenu complètement délirant. Une loi anti-femmes qui menace et tue les femmes qui n'auraient pas choisi l'épouvantable uniforme. Ce régime ne vaut pas mieux que le régime nazi qui imposait aux Juifs de coudre une étoile de David sur leurs vêtements. C'est tellement délirant qu'une étudiante en doctorat,
    Ahou Daryaei, s'est déshabillée après avoir été harcelée sur sa tenue (elle portait mal son hijab, je reparlerai d'elle qui a eu les faveurs d'un buzz mondial).

    Rappelons aussi les dernières statistiques, et elles ne tiennent pas compte de ces terribles suicides : au mois d'octobre 2024, 166 personnes ont été pendues par la justice expéditive des mollahs. C'est un record. Jamais dans ce pays on a autant tué, et tué pour des raisons rétrogrades, des raisons absurdes.

     

     
     


    Dans les années 1970, l'Iran était un pays moderne, riche, ouvert, au tourisme fleurissant. Les jeunes femmes étaient libres de porter les vêtements qu'elles voulaient, à la mode ou pas, jusqu'aux jupes courtes comme c'était à la mode à l'époque. Ce qu'on imagine mal, c'est que l'éloignement dans le passé ou l'éloignement géographique de ces absurdités n'empêchent pas forcément qu'un jour, en France, en Europe, en supposé Occident à la définition très ambiguë, on puisse vivre ou revivre ce genre d'enfer. Les jeunes femmes qui vivaient en Iran dans les années 1970 n'auraient jamais imaginé ce que leur pays deviendrait cinquante années plus tard, aux mains d'une bande de fanatiques machistes et cruels.

    Au moment où toutes les communes de France commémorent
    l'Armistice du 11 novembre 1918, dans chaque ville et village de France, où les enfants du pays ont donné leur vie, on retrouve à deux heures d'avion, en Ukraine, le même enfer du front que dans la Marne pendant la Première Guerre mondiale. Ce qui se passe en Ukraine nous concerne, tout comme ce qui se passe en Iran nous concerne. Rien ne nous protège d'un enfer qu'il faut pourtant absolument éviter, sinon prendre conscience des dangers qui guettent l'humanité dans son universalisme et avoir l'impérieuse nécessité d'être en capacité de nous défendre, le cas échéant. Que cet énième drame iranien, avec Aïnaz Karimi, puisse nous faire prendre conscience, nous, bien confortablement en paix, que celle-ci est très précaire et qu'il y a un devoir de solidarité envers les peuples qui en ont besoin, ceux qui sont opprimés pour des raisons de secte.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (09 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Varisha Moradi.
    Aïnaz Karimi.
    Arezou Khavari.
    Ahou Daryaei.
    Ebrahim Raïssi.
    Khosro Besharat.
    Mobilisons-nous pour Toomaj Salehi !
    Fatwa de mort contre Salman Rushdie.
    Alireza Akbari.
    Mehran Karimi Nasseri.
    Claude Malhuret contre la mollarchie.
    Mahsa Amini, les femmes iraniennes, leur liberté et Claude Malhuret.
    Révolution : du rêve républicain à l’enfer théocratique de Bani Sadr.
    L'Iran de Bani Sadr.
    De quoi fouetter un Shah (18 février 2009).
    N’oubliez pas le Guide (20 février 2009).
    Incompréhensions américaines (1) et (2).
    Émission de France 3 "L’Iran et l’Occident" (17-18 février 2009).
    Session de septembre 2006 à l’ONU : Bush, Ahmadinejad, Chirac.
    Dennis Ross et les Iraniens.
    Un émissaire français à Téhéran.
    Gérard Araud.
    Stanislas de Laboulaye.
    Des opposants exécutés par pendaison en Iran.
    Expulsion de Vakili Rad, assassin de Chapour Bakhtiar, dernier Premier Ministre du Shah d'Iran, par Brice Hortefeux à la suite du retour de l'étudiante Clotilde Reiss.
    Mort de l'ancien Premier Ministre iranien Mohammad Reza Mahdavi-Kani à 83 ans le 21 octobre 2014.

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241108-ainaz-karimi.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/une-triste-pensee-pour-ainaz-257602

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/10/article-sr-20241108-ainaz-karimi.html


     

  • Gisèle Pélicot, femme de l'année 2024 ?

    « Monsieur veut suivre ses passions ! C'est un déchaîné (…) ! Et la pire espèce de sale voyou ! On peut le retenir par nulle part ! Ni dignité ! Ni raison ! Ni amour-propre ! Ni gentillesse !... Rien !... L'homme qui m'a bafouée, bernée, infecté toute mon existence !... Ah ! il est propre ! Il est mimi ! Ah ! oui alors, je peux le dire ! J'ai été cent mille fois bien trop bonne !... J'ai été poire ! » (Céline dans "Mort à crédit", 1936).

     

     
     


    La première fois que j'ai été anesthésié (je sortais de l'adolescence), avec mon caractère de cochon, je me disais qu'on ne m'endormirait pas comme ça, aussi facilement. Alors, quand l'anesthésiste a transpercé mon bras pour faire sa piqûre et injecter son produit, j'ai regardé fixement la seringue, sûr de mon état de conscience... et quelques secondes plus tard, un coup de téléphone m'a brutalement surpris, j'étais dans le lit de ma chambre d'hôpital, l'opération était déjà finie depuis longtemps et ma mère venait aux nouvelles. J'ai compris qu'avec un produit chimique, on pouvait être à la merci de n'importe qui, et si possible, de ceux qu'on veut, les chirurgiens par exemple. À ce réveil brutal, ma sensation a été qu'on m'avait volé mon temps !

    Une autre petite réflexion anecdotique et pourtant pas si évidente pour qui dormait avec son frère (ou sa sœur) dans une chambre commune étant enfant. Dormir avec quelqu'un pour diverses raisons (à plusieurs dans une tente, dans un dortoir, en colonie de vacances, à l'armée, etc. et bien sûr, en couple dans une chambre conjugale plus ou moins officiellement), est une preuve exceptionnelle de confiance en l'autre. La preuve, pour ceux qui ont fait des exercices de l'armée, quand on bivouaque la nuit, il y a toujours l'un des gars qui ne dort pas pour surveiller (ce qui, en temps de paix dans un terrain militaire, peut être très ennuyeux). Le plus instructif est de dormir avec l'être aimé : n'avez-vous jamais été fasciné par le sommeil de l'autre ? Et pourtant, l'autre est à votre merci, il vous fait une totale confiance, il vous a confié les clefs de son destin. C'est bien sûr réciproque.

    Pour Gisèle Pélicot, cette confiance a été totalement trahie. Son mari la droguait et la malmenait, la faisait violer par tout un hall de gare. Cela a duré des années et c'est seulement par hasard, le 12 septembre 2020, par un geste de voyeur qui n'avait rien à voir, que la police a détricoté ce qu'on pourrait appeler un véritable système Dominique Pélicot, le recrutement de violeurs de sa femme par Internet avec un mode d'emploi très précis. Il faut imaginer le choc de cette femme à qui les gendarmes ont annoncé le 2 novembre 2020 que son mari la faisait violer depuis une dizaine d'années. Elle a compris d'où venaient ces douleurs diffuses au bas du ventre qu'elle ne comprenait pas ; on la "tringlait" des heures chaque nuit (92 faits de viol ont été recensés).

    Cent quatre-vingts journalistes ont été accrédités, dont quatre-vingts étrangers, pour assister à cette audience historique qui a commencé avec un peu de retard ce jeudi 19 décembre 2024 de 9 heures 45 à 10 heures 50, en présence de Gisèle Pélicot ovationnée par la foule postée à l'entrée et encadrée par cent cinquante policiers.

    Le long procès des viols de Mazan qui s'est ouvert le 2 septembre 2024 à la cour criminelle du Vaucluse à Avignon se referme sur le verdict avec une dernière audience le vendredi 20 décembre 2024. Cinquante et une personnes étaient jugées pour viol. La victime, Gisèle Pélicot, se faisait régulièrement violer alors qu'elle était sous sédatif. Le principal bourreau, son mari Dominique Pélicot a organisé lui-même un réseau de personnes pour violer sa femme entre le 23 juillet 2011 et le 23 octobre 2020. À de nombreux titres, ce procès, long, est exceptionnel et promet d'être historique, c'est-à-dire de rester dans les mémoires de la justice.

     

     
     


    Les cinquante et un prévenus ont été tous reconnus coupables et tous ont été condamnés à des peines de prison, souvent en-dessous des réquisitions (à l'exception d'un accusé). Dominique Pélicot a été condamné à vingt ans de prison et les autres co-accusés entre trois et treize ans de prison (au lieu de huit à dix-huit ans dans les réquisitions). Il n'y a pas une peine identique. Beaucoup contestent la faiblesse des peines.

     

     
     


    Le pire pour les prévenus qui parfois ont refusé d'admettre les viols qu'ils ont commis, c'est qu'il existe des preuves filmées de ces viols, et ces films ont même été diffusés à l'audience. Gisèle Pélicot, la victime, a refusé le huis-clos et a voulu que tout le monde puisse regarder ces scènes de viol malgré le caractère très "cru" des images. C'est exceptionnel : en général, non seulement le viol n'est pas filmé, mais il est difficilement prouvable, difficilement établi. L'avocat de la victime justifiait ainsi sa demande le 20 septembre 2024 : « Il faut qu’on ait le courage de se confronter à ce qu’est véritablement le viol, dans un dossier, justement, où il est exceptionnel d’avoir la représentation précise et réelle de ce qu’est un viol, et pas simplement une description sur un procès-verbal. ».

    C'est pour cela que Gisèle Pélicot, applaudie à la dernière audience avant la délibération, est une femme exceptionnellement courageuse. Elle a préféré s'effacer, effacer presque sa dignité pour un combat qui la transcende contre le viol en général. Officiellement divorcée le 22 août 2024, donc quelques jours seulement avant le début du procès, elle a de quoi en vouloir à son ex-mari : les viols, bien sûr, mais aussi la trahison de son extrême confiance, celle de pouvoir dormir en toute sécurité, une extrême trahison, et aussi ce que j'appellerai un viol de destin en se faisant droguer pour obtenir une perte de conscience, ce qui est particulièrement sournois. La sensation de Gisèle Pélicot a dû être franchement déplaisant de comprendre qu'on lui a volé son temps, qu'on lui a volé ses nuits, qu'elle ne contrôlait plus rien de sa vie, et le pire, c'est qu'elle ne s'en apercevait même pas.
     

     
     


    Un ex-mari qui ment, qui n'est pas fiable, qui ne laisse rien apparaître, obsédé, calculateur, cynique, lâche... dont la fille ne sait toujours pas si le père a abusé d'elle, directement ou par l'intermédiaire des violeurs recrutés, si elle a été violée aussi comme sa mère ou pas, et comme seuls les viols filmés et prouvés ont été reconnus, sans doute que beaucoup d'autres faits manquent à l'appel dans le jugement. En tout cas, Dominique Pélicot a été reconnu coupable d'avoir filmé sa fille et ses deux belles-filles dans un état d'inconscience.
     

     
     


    Si la presse française a beaucoup couvert ce procès fleuve, la classe politique française l'a très peu commenté alors qu'elle est pourtant prête à s'emparer du moindre fait-divers de délinquance ou de criminalité. Patrice Spinosi, par ailleurs avocat de Nicolas Sarkozy, a donné une tentative d'explication à ce silence politique, le 11 octobre 2024 dans "La Semaine juridique" : « L'instrumentalisation quotidienne par certains responsables politiques du sentiment d'insécurité tend surtout à stigmatiser le laxisme de l'État à l'égard de populations qu'ils jugent anxiogènes (délinquants récidivistes, étrangers sans-papiers...). Mais le profil des accusés de Mazan ne correspond nullement à celui du criminel type des chantres de la répression. Dans le box, il n'y a que des hommes, tous blancs, sans antécédents judiciaires et socialement intégrés. La gêne des politiques n'en est que plus grande. Quelques rares voix, essentiellement féminines, se sont néanmoins fait entendre pour dénoncer un procès du "patriarcat" ou de la "masculinité toxique" et demander l'insertion de la notion de consentement dans la définition légale du viol. Peut-être comprend-on mieux le manque d'indignation du monde politique au regard de l'extrême tolérance dont notre droit a longtemps fait preuve envers le viol entre époux. ». Il expliquait qu'il a fallu attendre 2010 pour notre droit supprime toute "présomption de consentement" entre époux.

     
     


    Pour autant, insérer le notion de consentement dans la définition légale du viol peut poser beaucoup plus de problèmes juridiques qu'en résoudre, et en particulier en retournant la charge de la preuve contre la victime dont on fouillerait la vie privée alors que le procès devrait mettre en lumière la personnalité et les actes des seuls prévenus, pas des victimes.

    La réflexion de Patrice Spinosi avait commencé par un constat inquiétant : « Le fait que des gens parfaitement ordinaires aient pu penser pouvoir avoir des relations sexuelles avec une femme manifestement endormie, à la seule invitation de son mari, laisse stupéfait sur l'état de notre société. ». D'où sa conclusion : « Espérons que cette affaire édifiante participe, par la crudité de son éclairage, à la dénonciation de l'emprise inacceptable que certains hommes continuent prétendre avoir sur leur femme. ».

    La presse internationale était également nombreuse à suivre le procès, fascinée tant par la particularité des faits que par le courage de la victime. "Der Spiegel" (l'hebdomadaire allemand), par exemple, a refusé au début du procès d'appeler les violeurs "des monstres" car cela réduirait la portée de ce procès : « Il [est] bien plus inquiétant de devoir admettre que les violeurs sont tous ancrés dans un tissu social continu de misogynie banalisée. ».

    Quant à la BBC, elle a nommé le 3 décembre 2024 Gisèle Pélicot "survivante de viols", parmi les 100 femmes importantes de 2024 ("100 Women" 2024), aux côtés de femmes comme Sharon Stone, Nadia Murad Basee Taha (Prix Nobel de la Paix 2018) ou encore Katalin Kariko (Prix Nobel de Médecine 2023). Elle a souligné le grand courage de la victime qui pouvait revendiquer l'anonymat et qui s'est ainsi exposée afin de faire évoluer les mentalités et changer la honte de camp.

     

     
     


    Parmi les conséquences secondaires de tous les viols dont elle a été victime, Gisèle Pélicot n'a pas été contaminée par le VIH alors que l'un de ses violeurs était séropositif et l'a violée plusieurs fois (six fois) sans préservatif. Elle a donc eu de la "chance", si l'on peut dire, pour le sida, mais elle a été toutefois infectée de quatre maladies sexuellement transmissibles dont une infection au papillomavirus, elle était proche du coma parfois dans sa vie quotidienne à cause de la drogue absorbée, ce qui aurait pu provoquer des situations très graves, et une fois les viols révélés, elle a eu un terrible choc psychologique.

    Pendant l'instruction et le procès, Gisèle Pélicot a pu profiter du soutien de ses trois enfants, dont une fille se demande toujours si elle a été ou pas la victime de son père (elle a sorti un livre le 6 avril 2022 chez Jean-Claude Lattès). Cela l'a confortée dans son choix de ne pas rester anonyme et d'être transparente afin de montrer toute la crudité criminelle de ses violeurs. On remarquera d'ailleurs que dans l'actualité judiciaire récente se sont entrechoquées deux affaires liées à la soumission chimique (l'autre concerne un humoriste bien connu).

    Incontestablement, si une femme a fait avancer, en 2024, la cause non seulement des femmes mais des êtres humains dans leur ensemble, c'est bien Gisèle Pélicot. Au fond, son combat est pour le respect des personnes, leur consentement, leur confiance, leur intégrité physique et morale. C'est pour cela qu'il faut bien préciser, et tant pis pour certaines militantes féministes, que Gisèle Pélicot doit être remerciée de son courage non pas par les femmes, mais par tout le monde, les humains en général. La dignité humaine n'a pas de genre.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (19 décembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Gisèle Pélicot, femme de l'année 2024 ?
    5 ans de prison dont 2 ferme pour Pierre Palmade.
    40 ans de confusions dans l'Affaire Grégory.
    Philippine : émotion nationale, récupérations politiques, dysfonctionnements de l'État ?
    Viols de Mazan : quelques réflexions sur Pélicot et compagnie...
    Violence scolaire : quand une enseignante s'y met...
    Création du délit d'homicide routier : seulement cosmétique ?
    La France criminelle ?
    La nuit bleue de Lina.
    La nuit de Célya.
    La nuit d'Émile Soleil.
    Affaire Grégory : la vérité sans la boue ?
    Alexandra Sonac et sa fille adolescente.
    Harcèlement scolaire et refus d'obtempérer.
    Alisha, victime d’un engrenage infernal.
    À propos de la tragique disparition de Karine Esquivillon...
    Meurtre de Lola.
    Nos enseignants sont des héros.
    La sécurité des personnes face aux dangers.

     

     
     



    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241219-pelicot.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/gisele-pelicot-femme-de-l-annee-258232

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/12/19/article-sr-20241219-pelicot.html



     

  • Mazarine Pingeot et la culture du secret

    « J'étais le secret, mais je connaissais l'histoire de mes parents. La seule chose que je ne pouvais pas vraiment faire, c'était dire la vérité sur mon identité, même si je pouvais raconter des choses en taisant les noms (…). Lorsqu'on est structurée par le secret, le fait de dire, c'est comme si tout votre statut d'existence s'évanouit, se dissout. C'est par le secret que tout était justifié, le fait d'habiter dans cet endroit caché, de ne pas porter un nom, toute mon existence se justifiait à l'aune du secret. » (Mazarine Pingeot, le 17 octobre 2024 sur France Inter).



     

     
     


    L'écrivaine Mazarine Pingeot fête son 50e anniversaire ce mercredi 18 décembre 2024. En fait, elle pourrait fêter son 30e anniversaire seulement, parce qu'il y a un peu plus de trente ans, le 10 novembre 1994, elle est née aux yeux du grand public. En effet, le numéro de "Paris Match" publié à cette date venait de sortir des photos vaguement volées et plus ou moins consenties de Mazarine Pingeot avec son père... le Président de la République François Mitterrand.

    En fait, dès le 12 septembre 1994, François Mitterrand avait évoqué l'existence de cette fille tant cachée lors d'une interview spéciale accordée à Jean-Pierre Elkabbach pour France 2 : depuis vingt ans, toute la classe politico-médiatique connaissait l'existence de Mazarine, mais personne ne le disait publiquement, mais les rumeurs sortant, à cette question, François Mitterrand a eu la meilleure réponse possible : oui, il disait avoir une fille de presque 20 ans, belle, intelligente, qui venait d'intégrer Normale Sup., quoi demander de plus pour un père aimant et heureux ?! De quoi couper l'herbe sous les pieds de tous les détracteurs potentiels, présents... et futurs !

    Et il avait raison, nous étions dans les années 1990, pas dans les années 1970, à une époque, comme celle de la candidature de Jacques Chaban-Delmas, où le simple fait d'être divorcé constituait un réel handicap électoral (surtout quand son électorat était parmi les conservateurs). François Mitterrand venait, en quelques phrases, d'annoncer officiellement, de confirmer l'existence de Mazarine, de révéler un secret qui était quasi-constitutif de la vie de Mazarine, et de montrer qu'il était en adéquation avec la société, beaucoup plus tolérante sur les affaires de mœurs quand l'amour l'emporte.


     

     
     


    Mazarine était le fruit d'un amour intense de François Mitterrand avec Anne Pingeot. Celle-ci a récemment accepté de publier le millier de lettres enflammées du futur Président de la République (1 218 lettres écrites entre 1962 et 1995 ont été publiées en 2016 aux éd. Gallimard). Une véritable compartimentalisation de l'amour. D'ailleurs, il racontait souvent à ses amis hommes, notamment son vieil ami Roland Dumas, qui vient de mourir plus que centenaire, qu'un homme devait avoir plusieurs femmes : une pour aimer, une pour se cultiver, une pour la mère de ses enfants, etc. !...

    Exemple de lettre de François à Anne : « Non, je ne veux pas attendre ce soir, mon Anne, pour te dire, te redire quel bonheur c'est de t'aimer. Si l'on pouvait offrir la joie comme les iris ou une brassée d'œillets simples, je t'en enverrais un énorme bouquet. Il m'en resterait encore assez pour m'émerveiller de ces quatre jours que je viens de vivre, unis à toi, pleins de toi. Non, je ne peux pas attendre ce soir pour te dire quel bonheur c'est que de t'aimer. ». Ou encore : « Mais je peux parler pour moi et te dire que je t'aime. Voilà le grand mot est lâché. Je t'aime. Comment ? Je sais que tu ajouteras que je t'aime mal ou pas du tout. C'est ton affaire. Mais je t'aime, même mal, même pas du tout, mais je t'aime quand même. ».


    Allez, encore deux autres extraits : « Avant de dormir j'ai pensé à cette joie secrète, profonde, aussi inquiétante qu'un ciel d'un bleu trop pur sur la Méditerranée : Anne existe. ». Et (pour le jeu de mots littéraire) : « Et surtout comment faire, comment faire pour ne pas poursuivre en moi-même la musique interrompue, et pour ne pas écrire ma partition avant de la déposer du côté de chez Anne ? Comment résister à la force heureuse de ces trois jours que je viens de vivre et qui n'étaient pas de folie mais de grâce ? À moins que la folie ne soit cette grâce suprême qui prête à chaque geste, à chaque mot, à chaque heure partagée cette résonance qui va si profondément en moi, et y demeure. ».

    La seule, réelle, critique à formuler contre François Mitterrand, à ce sujet (j'en ai plein d'autres politiques !!), ce n'est pas sur le registre moral (à chacun ses mœurs et sa vie affective et je me garderais bien de commenter celle des autres), mais sur le registre financier : non seulement cette seconde famille a été nourrie aux frais de la République, et donc du contribuable, pendant au moins les quatorze ans de Présidence du patriarche, mais ce dernier a mobilisé de nombreux gendarmes pour effectuer en permanence des écoutes téléphoniques sur près de 2 000 personnes pour éviter la révélation de ce secret. Registre financier mais aussi éthique puisque par ces écoutes téléphones, 2 000 personnes ont vu leur vie personnelle violées par les gendarmes du Président (parmi lesquels des ministres, des journalistes, des acteurs, des écrivains, etc.). Il était là le scandale, et c'est sûr qu'aujourd'hui, ce serait beaucoup plus difficile d'avoir un tel comportement d'impunité judiciaire, même à l'Élysée.

    La principale personne à plaindre était bien sûr la femme officielle, Danielle Mitterrand, qui a dû prendre beaucoup sur elle mais surtout, qui s'est rangée à une raison affective d'une grande lucidité (mais finalement très rare dans sa position) : Mazarine, née de cet amour extraconjugal, n'y pouvait rien et méritait d'être accueillie et aimée dans sa famille. Danielle a ainsi encouragé ses deux fils (Gilbert et Jean-Christophe) à accueillir avec bienveillance leur demi-sœur. Cela s'est montré de manière éclatante (et pourtant pas si évidente) lors de l'enterrement de François Mitterrand à Jarnac, peu de temps plus tard, le 11 janvier 1996, où les deux familles, l'officielle et la cachée, se côtoyaient sous le feu des photographes au premier rang dans une douleur commune à l'église Saint-Pierre (pendant qu'une messe était dite à Notre-Dame de Paris en présence de dizaines de chefs d'État et de gouvernement pour un dernier hommage). C'était la première fois que la fratrie se rencontrait.
     

     
     


    On peut dire qu'avec le recul, il aurait été assez stupide de garder un secret que le visage même de Mazarine Pingeot aurait révélé, tant elle ressemble, surtout aujourd'hui, avec l'âge venant, étonnamment à son père. La bouche, les joues, les yeux, le nez...

    Invitée de la matinale de France Inter le 17 octobre 2024, pour présenter son dernier livre "11 quai Branly" (éd. Flammarion), l'adresse de l'appartement très luxueux où elle logeait pendant son enfance (entre ses 9 et 16 ans), Mazarine Pingeot expliquait à quel point ce secret avait traumatisé son enfance. Cela la heurtait profondément lorsqu'elle révélait à des amis et des proches qui était son père qui était alors Président de la République : « On parlait tout le temps du Président, mais, moi, je connaissais une autre personne, j'étais contrainte et réduite au silence à propos du Président. Les hommes et femmes politiques sont souvent attaqués et ces attaques finissent toujours par concerner la personne, et, pour un enfant, cette confusion est très étrange. ».

    D'autant plus que, pour préserver le secret, François Mitterrand cloisonnait les relations, si bien que Mazarine n'a jamais été au contact avec des interlocuteurs politiques ou diplomatiques de son père, au contraire de sa famille officielle : « Je ne le voyais jamais en représentation, dans ses fonctions. Là où je le voyais, c'était dans le lieu de l'intime, du père, je n'avais pas accès aux lieux du Président. ». Son père l'a d'ailleurs officiellement reconnu le 25 janvier 1984 (ce que je trouve tardif, elle avait déjà 9 ans), dans le domicile de Robert Badinter et l'acte notarié a été écrit à la machine de la "main" d'Élisabeth Badinter.

    La révélation de son visage à tous les Français en 1994 a été également très durement vécue par Mazarine qui est passée d'un coup de l'ombre à la lumière : « Ça a été d'une grande violence pour moi, mais ça ne pouvait sans doute pas se passer autrement, la violence du secret répondait à celle de l'immense publicité. Mais voir son visage partout, quand on a été invisible, rend compliqué le fait de s'approprier sa propre image quand on pensait qu'elle n'existait pas. ». Depuis le 8 novembre 2016, elle s'appelle d'ailleurs officiellement Mazarine Mitterrand Pingeot.


    J'ai évoqué son dernier livre, il s'agit en effet de son dix-neuvième ouvrage, essai ou roman, et cette boulimie d'écriture a sans doute un rapport avec son père qui n'aurait pas dédaigné une carrière littéraire s'il avait renoncé à sa carrière politique.
     

     
     


    Agrégée de philosophie en 1997, Mazarine Pingeot a soutenu une thèse en philosophie et enseigne la philosophie dans l'enseignement supérieur, actuellement à Science Po Bordeaux. Mais son activité d'enseignante lui laisse le temps aussi d'écrire des livres et aussi des scénarios, voire d'assurer des chroniques dans des médias.

    L'existence de Mazarine Pingeot m'a un peu fasciné, et j'avais donc un préjugé favorable sur la personne, même si je ne dois pas avoir du tout ses opinions politiques (elle a soutenu la candidature de Vincent Peillon en janvier 2017, sans doute par corporatisme philosophique, mais elle ne fera pas de politique car elle n'a pas l'âme militante, elle doute trop). J'ai donc assez stupidement, je l'avoue, acheté à la fin des années 1990 son premier livre, sorti en 1998 chez Julliard, et c'est vrai que rien que son titre m'avait mis la puce l'oreille : "Premier roman". Le titre est bien le livre : quelle prétention d'écrire un livre appelé "premier roman", comme si c'était d'abord un roman (en fait, un vague récit), et comme si c'était un premier, c'est-à-dire le premier d'une série.

    Elle a quand même eu 60 000 exemplaires vendus, ce qui est déjà beaucoup (peut-être des "comme-moi"), et je dois dire que j'ai été très déçu, son nom, sa parenté, malheureusement, ont dû l'aider à démarrer cette carrière littéraire. Je l'écris avec un peu de regret car je n'aime pas réduire une personne à ce qu'elle ne contrôle pas, en particulier à sa famille, à son nom, etc. Pourtant, quelle prétention dans ce pseudo-roman et surtout, quel ennui ! La vie de quelques jeunes bobos qui n'ont aucun problème pour vivre sans emploi rémunéré, intellectuels, dans des appartements dorés, parisiens à outrance, un récit qui n'a aucun intérêt ni littéraire ni sociologique.


    Échantillon du livre : « Perdre son temps dans une ville est le meilleur moyen de la pénétrer de l'intérieur, de la connaître dans son intimité, de la laisser se dévoiler, d'adapter son propre rythme à celui des rues, sans rien lui imposer et sans rien lui voler. ».

    Comme je lis souvent par auteur, je sais, c'est parfois injuste, j'avoue que je n'ai donc pas poursuivi avec elle, avec ses autres livres, dont certains ont obtenu encore plus de succès, comme "Bouche cousue" sorti en février 2005 (chez Julliard), un récit autobiographique qui s'est vendu à 200 000 exemplaires (c'est énorme).

    Quelques extraits de ce récit autobiographique : « Certains ont peur de moi, mon secret les repousse, ils ne le connaissent pas, ont seulement quelques doutes, mais un secret se voit, il a un visage triste, une moue fermée, un regard éteint. Un secret porte le noir, émet des ondes radioactives, sans doute parce qu'on ne l'approche pas, même si on en brûle. ». Deuxième : « La mémoire, ce sont les livres qui l'ont. Il (mon père) collectionnait les éditions anciennes ou originales pour y sentir la présence des premiers lecteurs, des premières émotions, des premières lectures, peut-être même le toucher de l'auteur. Il me suffit d'y voir la marque de papa, de sentir sous la caresse du papier ce qu'il avait pu éprouver, en son temps. ».

    Troisième : « La mort de papa, nous nous y attendions tous... Je le voyais tous les jours malade, mais à aucun moment je ne me suis véritablement dit qu'il allait mourir. Ce sursis pouvait durer éternellement ; je le voyais souffrir, et se désespérer de souffrir, devenant irritable, plus lointain. La maladie lui était une humiliation. Il n'a jamais réussi à l'accepter. Pour la première fois, il affrontait plus fort que lui. ». Quatrième extrait : « Je n'ai jamais pensé pouvoir lui reprocher quoi que ce soit. Aimer, paraît-il, c'est aussi accepter les faiblesses de l'autre. Je ne me suis jamais octroyé le droit de reconnaître des faiblesses à mon père. Sa seule faute en vérité est de n'être plus là. ».

    Il est sûr qu'en vingt-cinq ans, on peut s'améliorer, avoir plus de maturité, etc., je n'en doute pas, mais il me faudrait quand même un prescripteur pour que je remette mon nez dans ses ouvrages, un ami, ou un prescripteur officiel (critique littéraire, journaliste, écrivain, etc.) dont je saurais la sûreté du jugement.

    Je propose toutefois une vidéo où elle parlait de philosophie, en février 2024, pour présenter son avant-dernier ouvrage, un essai philosophique, "Vivre sans : une philosophie du manque" sorti en 2024 (éd. Climats). On comprend assez vite que Mazarine Pingeot a un bon talent de transmission, de pédagogie, à défaut peut-être d'être une écrivaine exceptionnelle.

    Extrait de livre : « Dans la promotion du "sans", il y a une tentative de donner du sens, de faire montre au consommateur qu'en choisissant l'ascèse ( tout en consommant, bien sûr), il s'achète une éthique, il se purifie, il refuse le monde de l'excès et du gâchis. C'est bien cela qui est vendu dans le "sans", et pas seulement de l'absence : on vend une philosophie intégrée. ». Autre extrait : « Il faudrait alors sortir le "sans" de sa logique marchande, et même du schème de décroissance, pour qu'il désigne à nouveau cet excès vers le rien qui troue l'immanence du monde. ».


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (15 décembre 2024)
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    Pour aller plus loin :
    François Mitterrand.
    Frédéric Mitterrand.
    Roger Hanin.
    Jean-Pierre Elkabbach.
    Mazarine Pingeot.
    Danielle Mitterrand.
    Jacques Chirac.
    Bernadette Chirac.
    Brigitte Macron.
    Anne-Aymone Giscard d'Estaing.
    Carla Bruni.
    Ségolène Royal.
    Valérie Trierweiler.
    "Merci pour le moment".
    Julie Gayet.










    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241218-mazarine-pingeot.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/mazarine-pingeot-et-la-culture-du-257088

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/12/18/article-sr-20241218-mazarine-pingeot.html




     

  • IVG : l'adoption de la loi Veil il y a 50 ans

    « C'est aussi avec la plus grande conviction que je défendrai un projet longuement réfléchi et délibéré par l'ensemble du gouvernement, un projet qui, selon les termes mêmes du Président de la République, a pour objet de "mettre fin à une situation de désordre et d'injustice et d'apporter une solution mesurée et humaine à un des problèmes les plus difficiles de notre temps". » (Simone Veil, le 26 novembre 1974 dans l'hémicycle de l'Assemblée Nationale).


     

     
     


    C'est il y a cinquante ans, le 26 novembre 1974, que l'examen du projet de loi relatif à l'interruption volontaire de grossesse (dite loi Veil) a commencé en séance publique à l'Assemblée Nationale, dans un climat particulièrement houleux et difficile. Le projet de loi a été déposé le 15 novembre 1974 et il a fallu trois jours très intensifs de débat pour aboutir à son adoption en première lecture par les députés.

    Il faut rappeler deux contextes : le contexte politique et le contexte social.

    Le contexte politique, d'abord. La mort soudaine du Président Georges Pompidou le 2 avril 1974 a traumatisé les responsables UDR (gaullistes), traumatisme renforcé par la division au sein de leur parti pour l'élection présidentielle et la perte de l'Élysée après quinze années. Valéry Giscard d'Estaing, jeune fringant et moderne, a été élu et a promis une libéralisation de la société. Parmi ses engagements, la dépénalisation de l'avortement. Soit dit en passant : VGE a toujours été meurtri, jusqu'à la fin de sa vie, qu'on ne parle pas de loi VGE pour la loi sur l'IVG car il a pris seul l'initiative politique de ce texte.

    Comme pour la majorité à 18 ans, Valéry Giscard d'Estaing entendait aller très vite avec l'IVG, considérant que les grandes réformes, surtout si elles sont très sensibles (comme l'IVG), doivent être réalisées au début d'un mandat présidentiel, en bénéficiant politiquement encore de l'état de grâce de l'élection. En principe, un sujet comme l'IVG, principalement juridique, devait être défendu par le Ministre de la Justice. En l'occurrence, Jean Lecanuet, président du Centre démocrate (CD), le parti des démocrates chrétiens, ne souhaitait pas défendre une telle loi en raison de ses convictions religieuses, même s'il en voyait la nécessité. C'est donc Simone Veil, magistrate peu politisée (c'était son mari Antoine Veil le politique !) bombardée Ministre de la Santé par la volonté de donner plus de responsabilité aux femmes, choisie par le nouveau Premier Ministre Jacques Chirac, par l'entremise d'une grande amie commune, Marie-France Garaud. Lorsqu'elle a accepté sa mission d'entrer au gouvernement, d'une part, elle ne connaissait pas beaucoup de choses dans le domaine de la santé (elle était juge et pas médecin), et d'autre part, on ne lui avait pas dit à sa nomination qu'elle serait sur le front de l'IVG. Peut-être que ses bonnes connaissances juridiques ont aidé, mais je crois avant tout que c'était la femme et c'était la santé publique à assurer qui ont été ses deux moteurs.

    Le contexte social ensuite. S'il y avait un responsable politique qui était très conscient de l'importance vitale de faire une loi sur l'IVG, c'était le nouveau Ministre de l'Intérieur, prince des giscardiens, à savoir Michel Poniatowski qui était, juste avant l'élection présidentielle, Ministre de la Santé (le prédécesseur direct de Simone Veil) et qui a bien compris l'horreur sanitaire en cours mais aussi judiciaire. Trop de femmes avortaient clandestinement pour que l'État puisse concrètement toutes less sanctionner pénalement comme le voulait la loi encore en vigueur. La loi d'amnistie du 10 juillet 1974 portait très explicitement sur les faits d'avortement et, dans sa conférence de presse du 25 juillet 1974, VGE a annoncé l'absence de poursuite pour avortement jusqu'à l'adoption d'une loi sur l'IVG. Mais surtout, trop de femmes mouraient au cours d'un avortement clandestin. Il y avait environ 1 000 avortements clandestins par jour en France et un de ces mille entraînait la mort de la femme (en raison des conditions précaires, manque de stérilisation, absence de médecin, etc.).
     

     
     


    Cette considération sanitaire avait déjà conduit le Premier Ministre précédent Pierre Messmer à déposer un projet de loi sur l'IVG dès le 7 juin 1973, mais lors du début de son examen en séance publique à l'Assemblée, le 14 décembre 1973, le projet a été renvoyé en commission pour pouvoir créer un consensus parlementaire sur le sujet. La mort de Président de la République a fait abandonner ce texte.

    Un nouveau texte a donc été adopté au conseil des ministres et déposé à l'Assemblée le 15 novembre 1974. L'examen à l'Assemblée en première lecture a eu lieu au cours de huit séances publiques du 26 novembre 1974 à la nuit du 28 au 29 novembre 1974. Le discours introductif de Simone Veil le 26 novembre 1974 est resté dans les annales de l'histoire. Elle a commencé ainsi : « Si j'interviens aujourd'hui à cette tribune, ministre de la santé, femme et non-parlementaire, pour proposer aux élus de la nation une profonde modification de la législation sur l'avortement, croyez bien que c'est avec un profond sentiment d'humilité devant la difficulté du problème, comme devant l'ampleur des résonances qu'il suscite au plus intime de chacun des Français et des Françaises, et en pleine conscience de la gravité des responsabilités que nous allons assumer ensemble. ».

    Reprenant tous les raisons de ne pas légiférer, la ministre a ensuite posé les termes de l'enjeu : « Nous sommes arrivés à un point où, en ce domaine, les pouvoirs publics ne peuvent plus éluder leurs responsabilités. Tout le démontre : les études et les travaux menés depuis plusieurs années, les auditions de votre commission, l'expérience des autres pays européens. Et la plupart d'entre vous le sentent, qui savent qu'on ne peut empêcher les avortements clandestins et qu'on ne peut non plus appliquer la loi pénale à toutes les femmes qui seraient passibles de ses rigueurs. Pourquoi donc ne pas continuer à fermer les yeux ? Parce que la situation actuelle est mauvaise. Je dirai même qu'elle est déplorable et dramatique. ».

    Peu après, le passage le plus important : « Je le dis avec toute ma conviction : l'avortement doit rester l'exception, l'ultime recours pour des situations sans issue. Mais comment le tolérer sans qu'il perde ce caractère d'exception, sans que la société paraisse l'encourager ? Je voudrais tout d'abord vous faire partager une conviction de femme, je m'excuse de le faire devant cette Assemblée presque exclusivement composée d'hommes : aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l'avortement. Il suffit d'écouter les femmes. C'est toujours un drame et cela restera toujours un drame. C'est pourquoi, si le projet qui vous est présenté tient compte de la situation de fait existante, s'il admet la possibilité d'une interruption de grossesse, c'est pour la contrôler et, autant que possible, en dissuader la femme. Nous pensons ainsi répondre au désir conscient ou inconscient de toutes les femmes qui se trouvent dans cette situation d'angoisse (…). Actuellement, celles qui se trouvent dans cette situation de détresse, qui s'en préoccupe ? La loi les rejette non seulement dans l'opprobre, la honte et la solitude, mais aussi dans l'anonymat et l'angoisse des poursuites. Contraintes de cacher leur état, trop souvent elles ne trouvent personnes pour les écouter, les éclairer et leur apporter un appui et une protection. Parmi ceux qui combattent aujourd'hui une éventuelle modification de la loi répressive, combien sont-ils ceux qui se sont préoccupés d'aider ces femmes dans leur détresse ? Combien sont-ils ceux qui, au-delà de ce qu'ils jugent comme une faute, ont su manifester aux jeunes mères célibataires la compréhension et l'appui moral dont elles avaient grand besoin ? ».
     

     
     


    Rien n'était acquis et Simone Veil a plus tard raconté qu'elle n'imaginait pas le flot de haine de la part de certains parlementaires. La palme du plus odieux doit être sans doute attribuer au député centriste Jean-Marie Daillet, élu de la Manche, qui a comparé le 27 novembre 1974 l'avortement aux assassinats de bébés dans les fours crématoires à Auschwitz : « On est allé, quelle audace incroyable, jusqu'à déclarer tout bonnement qu'un embryon humain était un agresseur. Eh bien ! ces agresseurs, vous accepterez, madame, de les voir, comme cela se passe ailleurs, jetés au four crématoire ou remplir des poubelles ! ». Adressé à une ancien déportée qui a perdu une partie de sa famille dans les camps de la mort, c'était particulièrement maladroit et malvenu, et disons-le, totalement dégueulasse. Jean-Marie Daillet s'est d'ailleurs rendu compte de ce qu'il avait dit dans la colère de sa passion et est venu présenter ses excuses à Simone Veil. Un soir, à la demande de l'Élysée, Jacques Chirac est venu en renfort dans la discussion pour aider sa ministre, mais elle se sentait particulièrement seule avec son texte.

    La situation parlementaire était compliquée parce que, menés par l'ancien Premier Ministre Michel Debré, nataliste réputé, les députés gaullistes étaient prêts à voter contre ou à s'abstenir. C'était sûr que Simone Veil ne pouvait pas ne compter que sur les députés de la majorité. Elle devait aussi négocier avec les socialistes, qui étaient favorables, menés par le président de leur groupe Gaston Defferre (maire de Marseille). Le point crucial était la position des centristes du Centre démocrate, dont les convictions religieuses mettaient en porte-à-faux la morale et la nécessité publique.

    Le mari de Simone Veil, Antoine Veil, très introduit dans les cercles centristes, avaient l'habitude de rencontrer les responsables centristes chez lui, à son domicile, au sein du Club Vauban (nom du lieu où les Veil habitaient). Son entremise a été capitale pour convaincre notamment l'ancien résistant et ancien ministre Eugène Claudius-Petit qui avait un grand pouvoir d'influence sur ses collègues centristes. Pour obtenir finalement son soutien, Simone Veil a modifié le texte en retirant l'obligation des médecins à faire une IVG avec une clause de conscience et en supprimant le remboursement de l'IVG par la sécurité sociale, mettant la gauche dans l'embarras mais permettant aux députés centristes de ne pas voter une loi qui encouragerait l'avortement. L'article 1er du texte réaffirme par ailleurs le respect du droit à la vie comme principe intangible.

    La conclusion a été souriante pour Simone Veil puisque dans la nuit du 28 au 29 novembre 1974, à 3 heures 40 du matin, le projet de loi a été adopté en première lecture par 284 voix pour et 189 contre, sur 479 votants avec 6 abstentions (scrutin n°120).

    Parmi les pour : Paul Alduy, Pierre Bernard-Reymond, André Bettencourt, Jean-Jacques Beucler, Jean de Broglie, Aimé Césaire, Jacques Chaban-Delmas, André Chandernagor, Jean-Pierre Chevènement, Roger Chinaud, Eugène Claudius-Petit, Jean-Pierre Cot, Michel Crépeau, Gaston Defferre, André Delelis, Hubert Dubedout, Jacques Duhamel, André Duroméa, Robert Fabre, André Fanton, Maurice Faure, Georges Fillioud, Henri Fiszbin, Raymond Forni, Joseph Franceschi, Jean-Claude Gaudin, Yves Guéna, Robert Hersant, Pierre Joxe, Didier Julia, Pierre Juquin, André Labarrère, Paul Laurent, Jacques Legendre, Max Lejeune, Louis Le Pensec, Roland Leroy, Charles-Émile Loo, Philippe Madrelle, Georges Marchais, Jacques Marette, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Georges Mesmin, Louis Mexandeau, Hélène Missoffe, François Mitterrand, Guy Mollet, Lucien Neuwirth, Arthur Notebart, Bernard Pons, Jean Poperen, Jack Ralite, Marcel Rigout, Alain Savary, Jean-Jacques Servan-Schreiber, Jacques Soustelle, Pierre Sudreau, Alain Terrenoire, Alain Vivien, Robert-André Vivien et Adrien Zeller.
     

     
     


    Parmi les contre : Pierre Bas, Pierre Baudis, Jacques Baumel, Pierre de Bénouville, Jacques Blanc, Robert Boulin, Loïc Bouvard, Claude Coulais, Jean-Marie Daillet, Marcel Dassault, Michel Debré, Jean Foyer, Emmanuel Hamel, Louis Joxe, Jean Kiffer, Claude Labbé, Joël Le Theule, Maurice Ligot, Christian de La Malène, Alain Mayoud, Jacques Médecin, Pierre Méhaignerie, Pierre Messmer, Maurice Papon, Jean Seitlinger et Jean Tiberi, etc. Se sont abstenus notamment Roland Nungesser et Gabriel Kaspereit.

    Le Sénat a examiné alors le projet de loi en première lecture les 13 et 14 décembre 1974, l'a adopté le 14 décembre 1974 avec des modifications, ce qui a rendu nécessaire une seconde lecture, puis une commission mixte paritaire le 19 décembre 1974 (portant sur le remboursement de l'IVG). L'Assemblée et le Sénat ont adopté le texte définitif le 20 décembre 1974 (pour l'Assemblée, par 277 voix pour et 192 voix contre sur 480 votants avec 11 abstentions). Valéry Giscard d'Estaing a ensuite, le 17 janvier 1975, promulgué la loi n°75-18 du 17 janvier 1975, qui, à l'origine, prévoyait une dépénalisation expérimentale pendant cinq ans. Une deuxième loi a été ultérieurement votée pour rendre permanente la dépénalisation (loi n°79-1204 du 31 décembre 1979).

     
     


    Après plusieurs autres modifications du texte, le droit à l'IVG est entré dans la Constitution le 8 mars 2024 au cours d'une cérémonie Place Vendôme, devant le Ministère de la Justice, présidée par Emmanuel Macron. Les études montrent que la loi Veil n'a pas fait augmenter le nombre d'avortements en France qui reste stable, autour de 200 000 par an.
     

     
     


    Ce vendredi 29 novembre 2024 à 22 heures, la chaîne parlementaire LCP fête ce cinquantenaire en rediffusant le téléfilm de Christian Faure intitulé "La Loi, le combat d'une femme pour toutes les femmes" diffusé pour la première fois le 26 novembre 2014 sur France 2 (pour le quarantième anniversaire). Autant le dire tout de suite, faire un film avec des personnages de la classe politique contemporaine est toujours casse-cou car toujours très différent de la réalité et la fiction peut aussi n'être qu'une pâle imitation des personnages réels.

    Néanmoins, on saluera quand même la prestation de l'actrice Emmanuelle Devos dans le rôle principal, celui de Simone Veil, et on regardera avec curiosité Antoine Veil (joué par Lionel Abelanski, dont le rôle dans le scénario est toutefois très insuffisant par rapport à la réalité), Dominique Le Vert, le dircab de Simone Veil (joué par Lorant Deutsch), et j'avoue que j'ai eu du mal à croire aux autres personnages : Gaston Defferre (joué par Michel Jonasz), Michel Debré (Éric Naggar), Jean Lecanuet (Olivier Pagès), Jacques Chirac (Michaël Cohen), Eugène Claudius-Petit (Bernard Menez), et je ne croyais pas du tout en Charles Pasqua (Philippe Uchan), Jean-Marie Daillet (Patrick Haudecœur), Edgar Faure (Laurent Claret) qui présidait ces séances historiques... avec juste une exception, Marie-France Garaud (jouée par Émilie Caen).


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (23 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    IVG : l'adoption de la loi Veil il y a 50 ans.
    Le droit de vote à 18 ans, c'était il y a 50 ans grâce à Giscard !
    Lucien Neuwirth  et la contraception.
    Le vote des femmes en France.
    Femmes, je vous aime !
    Ni claque ni fessée aux enfants, ni violences conjugales !
    Violences conjugales : le massacre des femmes continue.
    L'IVG dans la Constitution (3) : Emmanuel Macron en fait-il trop ?
    Discours du Président Emmanuel Macron le 8 mars 2024, place Vendôme à Paris, sur l'IVG (texte intégral et vidéo).
    L'IVG dans la Constitution (2) : haute tenue !
    L'IVG dans la Constitution (1) : l'émotion en Congrès.
    La convocation du Parlement en Congrès pour l'IVG.
    L'inscription de l'IVG dans la Constitution ?
    Simone Veil, l’avortement, hier et aujourd’hui…
    L’avortement et Simone Veil.
    Le fœtus est-il une personne à part entière ?
    Le mariage pour tous, 10 ans plus tard.
    Rapport 2023 de SOS Homophobie (à télécharger).
    Six ans plus tard.
    Mariage lesbien à Nancy.
    Mariage posthume, mariage "nécrophile" ? et pourquoi pas entre homosexuels ?
    Mariage annulé : le scandaleux jugement en faveur de la virginité des jeunes mariées.
    Ciel gris sur les mariages.

    Les 20 ans du PACS.
    Ces gens-là.
    L’homosexualité, une maladie occidentale ?
    Le coming out d’une star de la culture.
    Transgenres adolescentes en Suède : la génération sacrifiée.
    PMA : la levée de l’anonymat du donneur.
    La PMA pour toutes les femmes.
     

     
     




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    https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/ivg-l-adoption-de-la-loi-veil-il-y-257490

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  • La grande sensibilité de Valeria Bruni Tedeschi

    « Un tournage est comme un pays où il y a des lois et des langages. » (Valeria Bruni Tedeschi, le 18 février 2019 sur France Inter).


     

     
     


    L'actrice franco-italienne Valeria Bruni Tedeschi fête ses 60 ans ce samedi 16 novembre 2024 (elle est née à Turin ; elle est la grande sœur de la chanteuse et mannequin Carla Bruni, et donc la belle-sœur de Nicolas Sarkozy). Issue de la famille très riche de l'industriel Virgino Bruni Tedeschi (son grand-père qui a fait fortune dans les pneumatiques), Valeria est la fille d'une actrice et pianiste et d'un industriel qui était aussi compositeur d'opéra. La famille a dû se réfugier en France dans les années 1970 parce qu'elle était devenue une cible des Brigades rouges, ce qui a été un douloureux déchirement à l'âge de 9 ans.

    Elle est une actrice très attachante, presque familière, comme si c'était une intime, une bonne amie, une mère proche, une sœur complice... J'ai un petit faible pour elle dont la sensibilité est très forte, des yeux exceptionnellement pleins de vie, capable, dans un personnage secondaire, de voler la vedette à des personnages plus centraux dans un film.

    Un exemple frappant est l'excellent film de Claude Chabrol "Au cœur du mensonge" (sorti le 13 janvier 1999). Dans un jeu à quatre, elle s'est octroyée sans doute le rôle le plus captivant, même si tous sont intéressants. Les deux rôles principaux sont tenus par Sandrine Bonnaire et Jacques Gamblin, jouant un couple bien étrange, l'une médecin un peu désolée et déboussolée par son mari, peintre sans inspiration qui a été blessé dans un attentat (celui de la rue de Rennes le 17 septembre 1986 qui a tué 7 personnes et blessé 55 autres dont le personnage du film). Antoine de Caunes joue le journaliste écrivain odieux et imbu de lui-même, dandy séducteur de la médecin, qui a le don d'agacer voire de rendre jaloux le peintre. Le journaliste meurt dans d'étranges conditions et la commissaire Valeria Bruni Tedeschi enquête.

    Dans ce film, l'actrice n'est pas seulement policière, elle est aussi mère, et c'est une chose importante car elle a confié la garde de sa fille (attention, spoiler !) à la compagne d'une personne accusée de l'assassinat d'un enfant (donc, dans une autre affaire). La commissaire ne semble pas vraiment efficace dans ses investigations, mais elle tient un rôle assez surprenant dans le film de Claude Chabrol chez qui rien n'est jamais blanc ou noir.

     

     
     


    Commençant par le théâtre et la télévision, Valeria Bruni Tedeschi a obtenu son premier grand rôle au cinéma en 1987 ("Hôtel de France" de Patrick Chéreau, sorti le 20 mai 1987) et depuis ses débuts, elle a tourné dans plus d'une centaine de films, mais aussi en a réalisé sept, car elle est aussi réalisatrice (et scénariste). Patrick Chéreau était son mentor et son initiateur au théâtre et même au cinéma pour son premier rôle principal : « Je lui serai éternellement reconnaissante de m'avoir appris le sens du mot travail. » (a-t-elle dit à la mort du metteur en scène le 7 octobre 2013). Il était son professeur et elle avait pour camarades de classe Agnès Jaoui, Vincent Perez, Eva Ionesco et Marianne Denicourt. Réalisatrice et actrice, un peu comme Emmanuelle Bercot. Valeria Bruni Tedeschi a fait jouer souvent de nouveaux comédiens, apprécie les nouvelles têtes, encourage et promeut les nouvelles pousses.

    Parmi les films qu'elle a réalisés, souvent intimistes et très personnels (tout en étant très collectifs), on peut citer "Actrices" (sorti le 26 décembre 2007) avec Noémie Lvovsky, Valeria Golino, Mathieu Amalric et Louis Garrel ; "Les Estivants" (sorti le 10 décembre 2018) avec Noémie Lvovsky, Valeria Golino, Pierre Arditi, Yolande Moreau, Laurent Stocker, etc. ; et (encore à visée autobiographique) "Les Amandiers" (sorti le 16 novembre 2022) avec Nadia Tereszkiewicz, Louis Garrel (qui joue le rôle de Patrick Chéreau), Sofiane Bennacer, Micha Lesco... sans oublier à la télévision, la comédie "Les 3 Sœurs" (diffusée le 4 septembre 2015 sur Arte) qui s'inspire d'une pièce de Tchekhov sur le deuil du père de trois sœurs dans la Russie de la fin du XIXe siècle, avec notamment Florence Viala, Coraly Zahonero, Éric Ruf, Bruno Raffaelli, Michel Vuillermoz et Laurent Stocker (ainsi que le succulent et regretté Michel Robin pour un petit rôle).

    Malgré la présence dans le casting de sa mère Marisa Borini et de sa fille Oumy Bruni Garrel, "Les Estivants" n'a pas de vocation autobiographique si ce n'est dans l'imaginaire de Valeria Bruni Tedeschi qui a distribué les rôles selon sa famille, parfois avec les propres rôles (sa mère, par exemple). Quant à son dernier film "Les Amandiers", il a été sélectionné par le Festival de Cannes de 2022, et a reçu en 2023 un César (meilleur espoir féminin pour Nadia Tereszkiewicz) et sept nominations de César (dont meilleur film et meilleur scénario). Présentant ce film (qui raconte sa jeunesse) le 10 novembre 2022 sur France Inter, Valeria Bruni Tedeschi a fait un parallèle avec les jeunes d'aujourd'hui : « J'ai l’impression qu'on a insufflé à nos enfants la peur de l'avenir, je les trouve très angoissés, en train d'essayer de bien construire leur avenir. Nous, on ne construisais rien du tout, on voulait vivre, travailler, on s'en foutait de construire une carrière, on voulait juste jouer. ».


    Les films qu'elle a réalisés, comme je l'ai écrit plus haut, sont souvent ou vaguement à visée autobiographique et familiale. Ainsi, Valeria Bruni Tadeschi évoquait sa sœur et la mort de son père dans "Il est plus difficile pour un chameau..." (sorti le 16 avril 2003) avec Chiara Mastroianni, Jean-Hugues Anglade, Marisa Borini (sa mère), Denis Podalydès, Lambert Wilson, Yvan Attal, Emmanuell Devos, etc. (Prix Louis-Delluc du premier film), ainsi que la mort de son frère, succombant du sida en 2006, dans "Un château en Italie" (sorti le 30 octobre 2013) avec Louis Garrel, Marisa Borini et Xavier Beauvois (ce qui a valu à Valeria d'être la seule femme candidate à la Palme d'Or au Festival de Cannes 2013). Du reste, Valeria Bruni Tedeschi a pu tourner dans le propre château familial, le château de Castagneto Po, à 25 kilomètres de Turin, vendu par la famille en 2009 à un prince saoudien pour la somme de 17,5 millions d'euros et son mobilier, vendu aux enchères à Londres pour 10 millions d'euros, qui ont été versés à la Fondation Virginio-Bruni-Tedeschi (le frère décédé) contre le sida.
     

     
     


    En fait, Carla Bruni n'est que la demi-sœur de Valeria Bruni Tedeschi, mais elles ne l'ont su que tardivement, au début de l'année 1996. Le père biologique était un homme d'affaires installé au Brésil et le père qui l'a élevée, Alberto Bruni Tedeschi, qui l'avait su, l'a toujours chérie comme sa propre fille. Toutefois, le choc de la révélation n'en a pas été moins grand, d'autant plus qu'elle a eu lieu peu avant la mort du père affectif (le 17 février 1996).

    Louis Garrel a été le compagnon de Valeria Bruni Tedeschi après le tournage de son film "Actrices" et le couple a adopté alors en 2009 une petite fille Oumy qui a joué avec eux en 2018. Elle a aussi adopté en 2014 un petit garçon, Noé. Son nouveau compagnon Sofiane Bennacer a eu l'un des rôles principaux dans "Les Amandiers" (et la procureure de la République de Mulhouse a annoncé le 22 novembre 2022 qu'il a été mis en examen en octobre 2022 pour des accusations de viols et d'agressions sur trois voire quatre de ses anciennes compagnes, mais il a clamé son innocence ; à cause de cette mise en examen, et alors qu'il a été une révélation dans "Les Amandiers", son nom a été prudemment retiré de la liste des "talents émergents" pour les Césars 2023 par respect pour les victimes présumées).

    Reconnue par la profession, Valeria Bruni Tedeschi a reçu de nombreuses récompenses, en particulier un César du meilleur espoir féminin pour "Les gens normaux n'ont rien d'exceptionnel" de Laurence Ferreira Barbosa (sorti le 1994), avec Melvil Poupaud, Frédéric Diefenthal, Sandrine Kiberlain et Jackie Berroyer (et nommée pour cinq autres Césars), quatre David di Donatello de la meilleure actrice en 1996, 1998, 2014 et 2017 (l'équivalent italien des Césars), également le Prix spécial du jury au Festival de Cannes en 2007 et une citation pour un Molière de la meilleure comédienne, car elle joue aussi au théâtre (des pièces de Molière, Tchekhov, Tourgueniev, etc.).

    L'un des récents films dans lesquels Valeria a joué (très nombreux, depuis le début de la décennie ; elle a joué dans treize films !) est "Les Amours d'Anaïs" de Charline Bourgeois-Taquet (sorti le 15 septembre 2021) avec la très séduisante Anaïs Demoustier et Denis Podalydès. L'actrice devenue écrivaine se retrouve alors au centre d'un triangle amoureux où deux doubles hétérosexualités évoluent vers une seule homosexualité féminine sans identification d'orientation sexuelle mais avec pour seul guide le désir, comme l'a expliqué la jeune réalisatrice le 16 septembre 2021 à Mégane Choquet pour le site Allociné : « La seule chose qui guide Anaïs, c'est son désir. Et elle a cette capacité à suivre son désir de manière aveugle, sans se poser de questions. Elle se laisse emporter par ses pulsions et ses envies. Je trouvais ça beau qu'elle aille jusqu'au bout sans se poser de questions. (…) Le film commence à Paris et plus on avance, plus il s'ouvre quand on arrive à la campagne verdoyante en Bretagne et vers la fin on est carrément au bord de la mer avec cet horizon infini. Sans vouloir tomber dans trop de symbolisme, c'était aussi une trajectoire vers la liberté et le fait de suivre son désir jusqu'au bout et sans limites. ».


     

     


    Quant à Valeria Bruni Tadeschi, voici ce qu'en dit Charline Bourgeois-Taquet pour cette première collaboration : « J'ai adoré travailler avec Valeria. Encore aujourd'hui, quand je vois le film, je suis subjuguée, je la trouve sublime. C'était assez intéressant parce que j'avais envie de lui proposer ce personnage qu'elle a rarement joué, voire presque jamais, c'est-à-dire une femme solide, puissante, accomplie. Et Valeria aime bien faire rire, donc les premiers jours de tournage, elle était assez déstabilisée. Je pense même qu'elle était un peu frustrée parce qu'elle voyait qu'Anaïs et Denis [Podalydès] nous faisaient rire. Je n'avais vraiment pas envie qu'elle soit en souffrance sur le tournage mais j'ai quand même tenu bon, je lui ai expliqué qu'il fallait qu'elle me fasse confiance et que son personnage allait être marquant même s'il ne faisait pas rire. Et elle a fini par comprendre ce que j'avais derrière la tête et par accepter de s'abandonner. ».

    Dans "Paris Match", Valeria Bruni Tedeschi a déclaré de son côté, le 8 juillet 2022 à Karelle Fitoussi : « J'aime les metteurs en scène qui m’obligent à aller dans des endroits nouveaux. Charline m’a demandé d’incarner une femme qui assume sa beauté et sa puissance. Je crois n’avoir jamais été regardée par des cinéastes hommes hétérosexuels comme un objet de désir. ». Réponse de la réalisatrice : « Mais parce que tu résistes à ça ! Au début du tournage, ce qui t’aurait vraiment fait plaisir, c’était plutôt de faire rire tout le monde ! Il y a chez toi une fragilité qu’on perçoit derrière tous tes rôles. ».

     

     
     


    Complexée par le caractère très riche de sa famille (elle s'en sent coupable), mais pas du tout complexée par son physique (contrairement à sa sœur, elle ne se maquille pas, ne se coiffe pas, ne se chirurgie-esthétique pas, ne se photoshope pas dans les magazines aux pages glacées), Valeria Bruni Tadeschi aura un mal fou à atteindre la sérénité, faute d'un bonheur qu'elle n'assumerait pas : « J’ai le sentiment que rien ne m’a apaisée, que rien ne m’apaise, que rien ne m’apaisera jamais. » (a-t-elle lâché à Vanessa Schneider le 17 mai 2013 pour "Le Monde"). Toujours anxieuse, la religion catholique peut lui apporter cette sérénité qu'elle désire tant : « Je vais parfois à l’office du [dimanche] soir, que je trouve plus solitaire, moins familial et bourgeois que celui du matin. J’ai beaucoup de mal avec ce qui se dit à l'Église, de nombreuses choses ne me plaisent pas du tout, mais je peux y trouver des instants d’apaisement. C’est la religion de mon enfance, le langage qui m’est le plus naturel, même si je n’ai reçu que des miettes de foi. » (s'est-elle confiée le 28 mai 2022 à Baptiste Thion dans le "Journal du dimanche").


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (16 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    Carla Bruni.
    Valeria Bruni Tedeschi.
    Teddy Vrignault.
    Pierre Richard.
    François Truffaut.
    Roger Hanin.
    Daniel Prévost.
    Michel Blanc.
    Brigitte Bardot.
    Marcello Mastroianni.
    Jean Piat.
    Sophia Loren.
    Lauren Bacall.
    Micheline Presle.
    Sarah Bernhardt.
    Jacques Tati.
    Sandrine Bonnaire.
    Shailene Woodley.
    Gérard Jugnot.
    Marlène Jobert.
    Alfred Hitchcock.
    Les jeunes stars ont-elles le droit de vieillir ?
    Charlie Chaplin.
     

     
     



    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241116-valeria-bruni-tedeschi.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/la-grande-sensibilite-de-valeria-257319

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/15/article-sr-20241116-valeria-bruni-tedeschi.html


     

  • Il faut sauver la soldate Varisha Moradi !

    « Regardez son regard. Celui d’une femme iranienne, forte, courageuse, défiant la tyrannie là où le monde a détourné les yeux. Un regard que le régime de Téhéran a décidé d’éteindre, un matin, à l’heure de leur prière. Ils vont l’exécuter. (…) Sous la terreur, une autre voix s’éteint. Une autre flamme s’évanouit. Réveille-toi, monde. Ne laisse pas la bravoure mourir en silence. » (Maneli Mikhan, le 10 novembre 2024 sur Twitter).


     

     
     


    C'est avec stupeur mais sans illusion que ce dimanche 10 novembre 2024, les avocats et la famille de Varisha Moradi ont appris qu'elle a été condamnée à la peine de mort par la quinzième chambre du tribunal islamique révolutionnaire de Téhéran et qu'un ordre d'exécution a été donné.

    Le verdict a conclu un simulacre de procès qui s'est tenu en deux audiences le 16 juin 2024 et le 5 octobre 2024, au cours desquelles Varisha Moradi n'a pas pu exercer son droit à se défendre, ni ses avocats qui n'ont eu accès au dossier qu'à l'issue de la seconde audience pendant seulement quelques heures.

    Opposante déterminée de la dictature des mollahs, Varisha Moradi, qui est par ailleurs une prisonnière politique kurde (les Kurdes iraniens sont pourchassés dans leur pays), a été condamnée à mort officiellement pour "insurrection armée" (ou "rébellion armée") [baghi]. Elle est membre de la Société des femmes libres du Kurdistan oriental (KJAR). Elle avait été arrêtée le 1er août 2023 à Sanandaj, la capitale la province iranienne du Kurdistan (qui compte 850 000 habitants), par les agents du Ministère du Renseignement.

    Ce pseudo-procès a été mené par le président (depuis 2009) de cette chambre spéciale qui juge les affaires politiques les plus importantes, à savoir le tristement célèbre Abolqasem Salavati, connu pour utiliser la torture dans les instructions judiciaires afin d'obtenir les aveux des accusés, et pour les condamner à mort par dizaines (34 selon l'ONG "United for Iran"). Il a notamment condamné à mort et fait exécuter par pendaison Mohsen Shekari, une jeune personne de 23 ans qui aurait blessé un milicien en 2022 (le corps de Mohsen n'a jamais été rendu à la famille), il a aussi fait exécuter le 14 janvier 2023 le citoyen irano-britannique
    Alireza Akhbari malgré l'indignation de la communauté internationale.

    Selon des juristes, la condamnation à mort de Varisha est en contradiction avec l'acte d'accusation qui a fait référence à l'article 288 du code pénal islamique, qui prévoit une peine maximale de quinze d'emprisonnement. Mais Abolgasem Salavati a justifié la condamnation à mort par l'article 287 qui prévoit la peine de mort aux personnes convaincues de résistance armée contre la République islamique. Ces arguties juridiques paraissent bien anecdotiques lorsque le pouvoir en place veut éliminer ses opposants. En Iran, l'État de droit n'est qu'une vue très théorique de l'esprit, voire très théocratique.

     

     
     


    Enfermée à la prison d'Evin à Téhéran depuis le 14 août 2023, Varisha n'a plus le droit de revoir sa famille depuis le 6 mai 2024. Elle a fait une grève de la faim du 10 au 30 octobre 2024 pour protester contre la condamnation à mort et l'exécution d'autres prisonniers politiques en Iran et plus généralement dans le monde. En raison de son état de santé, elle a dû être hospitalisée une nuit à l'extérieur de la prison puis est retournée dans sa cellule au quartier d'isolement. Le 4 août 2024, Varisha avait déjà refusé de se présenter à l'audience de son procès pour protester contre la condamnation à mort prononcée contre Pakhshan Azizi et contre Sharifeh Mohammadi.

    En octobre 2024, Varisha a réussi à faire parvenir un message à la Radio Zamaneh (station privée qui émet en persan pour l'Iran depuis Amsterdam) : « Ne laissez pas les guerres extérieures éclipser la répression interne. Ma grève de la faim s’inscrit dans cet effort. Nous ne permettrons à aucun prix que les voix des combattants intérieurs qui se sont courageusement levés soient noyées par le bruit des guerres et des aventures vaines. ».

    Le Conseil national de la Résistance iranienne (CNRI) a fermement condamné la condamnation à mort de Varisha Moradi et a appelé à une réaction majeure de la communauté internationale pour réclamer vivement sa libération.

    Oui, il faut sauver la soldate Varisha ! On peut croire que l'agitation médiatique est vaine face aux rouleaux-compresseurs des révolutionnaires islamiques, mais parfois, cela peut infléchir leurs décisions. Ainsi, après une vive protestation de la communauté internationale contre la condamnation à mort du chanteur populaire
    Toomaj Salehi le 24 avril 2024 pour "corruption sur Terre", le chanteur a vu sa peine annulée par la Cour suprême iranienne le 22 juin 2024 en attendant la révision de son procès. Cela signifie très clairement que la mobilisation internationale (notamment à Paris, Sidney, Toronto) a porté ses fruits et fait basculer certains juges dans le doute. Mobilisons-nous aussi pour sauver Varisha Moradi ! Elle est simplement accusée d'être Kurde et de vouloir être une femme libre. Toute action de soutien est donc la bienvenue et peut faire infléchir ces barbus misogynes.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (10 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Varisha Moradi.
    Aïnaz Karimi.
    Arezou Khavari.
    Ahou Daryaei.
    Ebrahim Raïssi.
    Khosro Besharat.
    Mobilisons-nous pour Toomaj Salehi !
    Fatwa de mort contre Salman Rushdie.
    Alireza Akbari.
    Mehran Karimi Nasseri.
    Claude Malhuret contre la mollarchie.
    Mahsa Amini, les femmes iraniennes, leur liberté et Claude Malhuret.
    Révolution : du rêve républicain à l’enfer théocratique de Bani Sadr.
    L'Iran de Bani Sadr.
    De quoi fouetter un Shah (18 février 2009).
    N’oubliez pas le Guide (20 février 2009).
    Incompréhensions américaines (1) et (2).
    Émission de France 3 "L’Iran et l’Occident" (17-18 février 2009).
    Session de septembre 2006 à l’ONU : Bush, Ahmadinejad, Chirac.
    Dennis Ross et les Iraniens.
    Un émissaire français à Téhéran.
    Gérard Araud.
    Stanislas de Laboulaye.
    Des opposants exécutés par pendaison en Iran.
    Expulsion de Vakili Rad, assassin de Chapour Bakhtiar, dernier Premier Ministre du Shah d'Iran, par Brice Hortefeux à la suite du retour de l'étudiante Clotilde Reiss.
    Mort de l'ancien Premier Ministre iranien Mohammad Reza Mahdavi-Kani à 83 ans le 21 octobre 2014.
     

     
     



    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241110-varisha-moradi.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/il-faut-sauver-la-soldate-varisha-257637

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/12/article-sr-20241110-varisha-moradi.html




     

  • Les victoires européennes de la Moldavie

    « Aujourd'hui, chers Moldaves, vous avez donné une leçon de démocratie digne de figurer dans les livres d'histoire ! » (Maia Sandu, le 3 novembre 2024 à Chisinau).




     

     
     


    On ne peut pas perdre à tous les coups ! La réélection de Donald Trump n'est pas une bonne nouvelle pour la sécurité de l'Europe. Mais le vieux continent européen avait enregistré deux jours auparavant une belle victoire électorale avec la réélection de Maia Sandu (52 ans) à la Présidence de la République de Moldavie. Maia Sandu a en effet obtenu 42,5% des voix au premier tour du 20 octobre 2024 et 55,4% des voix au second tour du 3 novembre 2024. C'était même une double victoire européenne.

    La Moldavie est un petit pays agricole de 2,7 millions d'habitants situé à l'est de l'Europe, coincée entre la Roumanie et l'Ukraine. La population est principalement roumaine (à très forte majorité, 82,1%) mais il y a aussi de fortes minorités ukrainienne (6,6%) et russe (4,1%), et également gagaouze, c'est-à-dire turque orthodoxe, (4,6%) et bulgare (1,9%).

    La Moldavie a acquis son indépendance le 27 août 1991. Comme l'Ukraine, la Moldavie a fait partie de
    l'URSS et à ce titre, la Russie a un œil vigilant voire influent sur son évolution politique, d'autant plus qu'une région pro-russe a fait sécession. Cette région séparatiste s'appelle la Transnistrie, au-delà du fleuve Dniestr, qui a proclamé son indépendance unilatéralement le 2 septembre 1990 (avant l'indépendance de la Moldavie). Ce petit bout de terre, coincé entre la Moldavie et l'Ukraine, représente 4 000 kilomètres carrés et environ 500 000 habitants. La Transnistrie n'est reconnue que par d'autres États sécessionnistes, l'Abkhasie et l'Ossétie du Sud (régions pro-russes de Géorgie). Jusqu'au 22 février 2023, elle n'était même pas reconnue par la Russie, mais depuis lors, Vladimir Poutine a reconnu à la fois la Transnistrie et les deux États géorgiens cités.

    La Moldavie vit donc avec des élans paradoxaux, certains voudraient l'unification avec la Roumanie, d'autres avec l'Ukraine, d'autres encore avec la Russie, mais pas plus que la Wallonie voudrait le rattachement à la France. Depuis plus de trente ans, comme les autres pays d'Europe centrale et orientale sous le joug soviétique, elle aspire à se moderniser en paix et en indépendance, à prospérer, à bénéficier des apports de l'Europe en général. La question de l'adhésion de la Moldavie à l'Union Européenne n'est pas nouvelle mais souvent remise à plus tard. Elle a obtenu le statut d'association avec l'Union Européen le 1er juillet 2016.

    La déclaration de guerre de Vladimir Poutine à l'Ukraine le 24 février 2022 a remis en cause l'ordre européen, car en cas de réussite de la tentative d'invasion de l'Ukraine (les régions séparatistes pro-russes du Donbass ont été unilatéralement annexées par la Russie comme la Crimée en mars 2014), les prochaines étapes nationales de Vladimir Poutine seront à l'évidence la Moldavie, la Géorgie et les Pays baltes. L'Estonie, la Lettonie et la Lituanie faisant partie de l'Union Européenne et de
    l'OTAN craignent par conséquent moins pour leur intégrité territoriale que la Moldavie et la Géorgie qui, désormais, cherchent à adhérer le plus rapidement possible à l'Union Européenne et surtout à l'OTAN afin de bénéficier de la garantie de défense réciproque (le fameux article 5 du Traité atlantique nord).

    La présence russe en Moldavie est cruciale pour la Russie puisqu'elle permet de prendre en tenaille l'Ukraine par son flanc ouest, notamment du côté d'Odessa. C'est pour cela que l'élection présidentielle moldave dont le premier tour a eu lieu le 20 octobre 2024 et le second tour le 3 novembre 2024 a subi des influences très fortes de la Russie.


    La Présidente de la République sortante était Maia Sandu, économiste et ancienne haut fonctionnaire, qui a été Ministre de l'Éducation du 24 juillet 2012 au 30 juillet 2015 (elle a réduit de 50% la corruption pour acheter des diplômes en mettant des caméras dans les salles d'examen) et Première Ministre du 8 juin 2019 au 14 novembre 2019. Elle s'est présentée à l'élection présidentielle une première fois il y a huit ans après avoir fondé et présidé le Parti action et solidarité (PAS) le 15 mai 2016, un parti de centre droit, pro-européen, indépendantiste (c'est-à-dire contre l'union avec la Roumanie et pour sortir de la tutelle de la Russie).
     

     
     


    Arrivée à la deuxième place au premier tour du 30 octobre 2016 avec 38,7% des voix, elle a été battue avec 47,9% par le candidat socialiste pro-russe Igor Dodon au second tour le 13 novembre 2016. Maia Sandu a fait néanmoins alliance avec les socialistes contre les démocrates au sein d'un Parlement ingouvernable depuis les élections législatives du 24 février 2019 qui avait abouti à une assemblée tripartite : 35 sièges sur 101 au total pour les socialistes (31,2% des voix), 30 sièges pour les démocrates (23,6% des voix) et 26 sièges pour le Bloc électoral ACUM pro-européen et anti-oligarchie (dont faisait partie le PAS) mené par Maia Sandu (26,8% des voix). À ceux-ci s'ajoutaient 7 députés issus du parti conservateur pro-russe Égalité d'Ilan Sor, oligarque israélo-moldave, maire d'Orhei (une ville moldave de 21 000 habitants) entre 2015 et 2019, qui avait obtenu 8,3% des voix. Maia Sandu a été désignée Première Ministre avec l'appui des députés socialistes et des députés ACUM qui se sont accordé le 8 juin 2019, mais son gouvernement a été renversé le 12 novembre 2019 par le vote d'une motion de censure en raison d'un désaccord sur le mode de scrutin des prochaines élections législatives.

    La formation du gouvernement de Maia Sandu a été l'occasion d'une crise constitutionnelle provoquée par la Cour constitutionnelle (qui a même retiré provisoirement les pouvoirs du Président de la République) qui a finalement reculé et est revenue en arrière, justifiant sa position par de fortes pressions (le dénouement de la crise s'est soldée par la fuite à l'étranger de Vladimir Plahotniuc, le leader du parti démocrate, et du milliardaire Ilan Sor dont les biens personnels ont été saisis en raison de fraude d'un montant de 1 milliard de dollars).

    La situation politique s'est clarifiée démocratiquement un an et demi plus tard. Au premier tour de l'élection présidentielle du 1er novembre 2020, Maia Sandu, de nouveau candidate, a surpris les observateurs en obtenant la première place avec 36,2% des voix, devançant le Président sortant Igor Dodon qui sollicitait un second mandat (32,6%). Au second tour du 15 novembre 2020, Maia Sandu l'a emporté très largement avec 57,7% des voix contre Igor Dodon, en confortant nettement la participation électorale de 45,7% des inscrits au premier tour à 55,8% au second tour. Maia Sandu a commencé son premier mandat présidentiel le 24 décembre 2020. Son élection, basée sur sa réputation d'incorruptible, a marqué historiquement la perte d'influence de la Russie en Moldavie.

    Pour éviter la poursuite d'un Parlement ingouvernable, elle a nommé une ancienne collaboratrice Natalia Gavrilita le 27 janvier 2021 à la tête du gouvernement en demandant aux députés de sa coalition de ne pas voter pour elle afin de pouvoir dissoudre le Parlement (il faut un constat d'impossibilité de gouverner), tandis que les socialistes et les députés du parti Sor, qui ne souhaitaient pas d'élections anticipées, étaient prêts à soutenir ce gouvernement. La nomination de Natalia Gavrilita a été invalidée le 23 février 2021 par la Cour constitutionnelle, et après quelques autres péripéties politiciennes, Maia Sandu a prononcé la dissolution du Parlement le 28 avril 2021, en organisant de nouvelles élections législatives le 11 juillet 2021 qui lui ont apporté une large majorité absolue : son parti PAS a obtenu en effet 63 sièges sur 101 avec 52,8% des voix, ce qui lui a permis de ne plus avoir besoin de nouer de coalition pour gouverner pendant quatre ans. Les démocrates ont été laminés (aucun siège), et les socialistes et communistes ont obtenu 32 sièges. Natalia Gavrilita a alors été nommée officiellement Première Ministre le 6 août 2021 (jusqu'au 16 février 2023).

     

     
     


    Deux axes pour la politique de Maia Sandu, au-delà de la crise du covid-19 : la lutte anti-corruption et le rapprochement avec l'Union Européenne, renforcée par la tentative d'invasion de l'Ukraine par les troupes russes. La Moldavie a subi une crise énergétique majeure en raison de la baisse de 30% de la fourniture de Gazprom. Parmi ses premiers déplacements, a eu lieu la visite le 12 janvier 2021 à Kiev pour rencontrer son homologue Volodymyr Zelensky (alors encore en costume cravate très chic).

    Après le début de la guerre en Ukraine, Maia Sandu a annoncé ouvrir les frontières de la Moldavie pour permettre aux réfugiés ukrainiens de passer vers l'Ouest, et le 3 mars 2022, elle a signé officiellement la demande d'adhésion de son pays à l'Union Européenne. Le Conseil Européen du 23 juin 2022 a entériné le statut de candidate de la Moldavie à l'unanimité des Vingt-sept chefs d'État et de gouvernement. Les négociations d'adhésion ont été amorcées le 25 juin 2024 à Bruxelles.

    La consécration internationale de Maia Sandu et de la Moldavie a eu lieu le 1er juin 2023 où Chisinau a accueilli le 2e Sommet de la Communauté politique européenne réunissant 47 chefs d'État et de gouvernement européens (la Communauté politique européenne a été lancée le 6 octobre 2022 à Prague à l'initiative du Président français
    Emmanuel Macron ; son 5e Sommet a eu lieu ce jeudi 7 novembre 2024 à Budapest).
     

     
     


    Maia Sandu était la favorite de l'élection présidentielle de 2024 dans les sondages. Elle a gagné encore largement (55,4% des voix avec 54,3% de participation) face au candidat socialiste pro-russe Alexandr Stoianoglo (25,9% au premier tour et 44,6% au second tour), ancien procureur général de Moldavie démis de ses fonctions en septembre 2023 à cause des accusations de corruption portées contre lui.

    Cette belle réélection de Maia Sandu est le symbole de l'ancrage européen de la Moldavie, ratifié doublement par le peuple moldave, et cela malgré les nombreuses pressions, « tentatives de déstabilisation », propagandes et fraudes opérées par le camp pro-russe, notamment par Ilan Sor qui aurait acheté de nombreuses voix en faveur du candidat pro-russe (environ 150 000 voix auraient ainsi été achetées au profit du candidat pro-russe, qui a obtenu en tout 401 215 voix au premier tour et 750 370 voix au second tour).

    J'ai indiqué dès le début de l'article qu'il s'agissait d'une double victoire car Maia Sandu a réussi à mettre à l'ordre du jour des électeurs, en même temps que le premier tour de l'élection présidentielle, le 20 octobre 2024, un référendum inscrivant dans la Constitution moldave l'objectif de l'adhésion de la Moldavie à l'Union Européenne. Cette inscription a été acceptée par 50,4% des voix pour une participation de 50,7%. La victoire est donc très serrée, avec seulement près de 10 600 voix d'avance du oui sur le non, dans le même contexte de propagande et d'achats de voix (Ilan Sor, réfugié à Moscou, était un ferme partisan du non, mais le Kremlin a démenti toute tentative d'ingérence de la Russie). Alors qu'en raison du scrutin serré, les pro-russes ont parlé d'un échec, la Cour constitutionnelle a au contraire validé l'approbation populaire de la réforme le 31 octobre 2024 (dans un référendum où la réponse est oui ou non, même à une voix près, la victoire est à ceux qui ont eu le plus de voix).

     

     
     


    Pour "Courrier international", le 21 octobre 2024 : « Concrètement, les Moldaves devaient décider s'ils souhaitaient ou non inscrire l'objectif européen dans la Constitution du pays, protégeant ainsi le processus d'adhésion, entamé en 2022, des aléas du pouvoir politique. ». Objectif donc atteint !
     

     
     


    La réélection de Maia Sandu a été accueillie avec satisfaction et joie par les pays de l'Union Européenne. Emmanuel Macron a salué la « démocratie [qui a] triomphé de toutes les interférences et de toutes les manœuvres » tandis que la Présidente de la Commission Européenne Ursula von der Leyen s'est réjouie de pouvoir « continuer à travailler » avec la Présidente moldave pour un « avenir européen ».

    Le politologue moldave Andrei Curararu, cofondateur du think tank WatchDog basé en Moldavie, a déclaré pour TV5 Monde : « Malgré tout, la Moldavie a démontré à deux reprises que sa volonté d'intégrer l'Union Européenne était plus forte que la pression de Moscou. ». Il n'en demeure pas moins que le pays reste très divisé entre les tenants de l'ouverture à l'Ouest et la proximité du grand frère de l'Est, notamment en Transnistrie dont Maia Sandu voudrait régler le problème avec Moscou. Le prochain rendez-vous électoral sera également crucial puisqu'il s'agira des élections législatives qui auront lieu au plus tard en juillet 2025.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (07 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Maia Sandu.
    Les victoires européennes de la Moldavie.
    Ukraine.
    Russie.
    Roumanie.
     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241103-moldavie.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/les-victoires-europeennes-de-la-257510

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/04/article-sr-20241103-moldavie.html



     

  • Arezou Khavari, nouvelle victime de la dictature du hijab

    « Aucune fille ne devrait avoir à choisir entre la liberté et la vie. Sa douleur fait écho aux cris silencieux de beaucoup ! » (Daughters of Persia, le 6 novembre 2024 sur Twitter).



     

     
     


    Tristesse malgré ce visage de joie et de victoire. Quand on est une adolescente, on vit avec ses rêves, ses insouciances, ses légèretés, mais aussi avec sa fragilité, sa sensibilité. Même quand on vit dans un pays au régime rétrograde, on vit sur la même planète de modernité que les autres. Les jeunes filles d'Iran ne sont pas différentes des jeunes filles de France, d'Europe et d'autres contrées qui ont beaucoup de chance de vivre en régime de liberté. Peut-être pas sans en avoir pris vraiment conscience. Hélas, il y a quelques tristes événements qui viennent rappeler cette chance de vivre en France de 2024 et pas en Iran de 2024. Arezou Khavari est bien, hélas, une nouvelle victime de la dictature du hijab. Ce régime terroriste, parce qu'il terrorise sa propre jeunesse, ses propres filles, qui veut cacher ses femmes parce qu'elles sont trop belles, est une honte à l'humanité, à la féminité, à l'universalité.

    Le 4 novembre 2024, Arezou Khavari est morte. Sa mort, on aurait pu l'éviter. Ce n'était pas une fatalité. Elle n'était pas malade, elle n'a pas eu d'accident, elle n'était pas victime de guerre. Mais elle était victime du régime islamique. À 16 ans, elle s'est suicidée du haut d'un immeuble de six étages, à Chahr-e-Rey, à 10 kilomètres au sud de Téhéran, la capitale de l'Iran. Sa mort vient juste après l'arrestation brutale et l'internement forcé de l'étudiante Ahou Daryaei (sur laquelle je reviendrai certainement).

    Arezou Khavari était une jeune fille scolarisée qui a participé avec ses camarades à une sortie scolaire. Elle et ses copines étaient habillées de pull, manteau et hijab. Elles ont tiré les rideaux du bus qui les transportaient, et ont enlevé leur manteau, ont fait la fête, ont dansé joyeusement, jusqu'à ce que la directrice adjointe de l'école ne soit intervenue pour réprimander cette légèreté. Arezou a été particulièrement blâmée parce qu'en plus de porter un jeans, elle ne portait pas de hijab.


    On l'a menacée d'exclusion de son établissement scolaire. La direction de l'école lui a montré une vidéo la montrant dansant sans hijab. Ses parents étaient convoqués le lendemain à l'école. On lui a dit que si elle ne venait pas avec ses parents le lendemain, elle serait exclue. Or, ce n'était pas la première menace. Elle était même harcelée par la police des mœurs parce qu'elle ne portait pas les vêtements réglementaires ("appropriés"). Cette menace d'exclusion était si forte que l'état psychologique et émotionnel d'Arezou en a été complètement bouleversé. Une fois rentrée dans l'établissement, elle a trouvé une excuse bidon pour le quitter toute seule et elle a disparu. Elle était allée en haut d'un immeuble chez un ami, et s'est jetée du sixième étage.
     

     
     


    Le père et le frère d'Arezou, sans nouvelle d'elle, se sont rendus à l'école en fin de journée et ses camarades ont cru qu'elle avait disparu. Ils ont hélas vite su qu'elle s'était suicidée. Le père ne comprend toujours pas comment sa fille a pu sortir de l'établissement sans avoir été arrêté par une autorité de l'école.

    Le père d'Arezou a en effet déclaré à Rokna News, un média local basé à Téhéran, que les autorités de l'école lui avaient dit qu'Arezou avait quitté les lieux sans autorisation. Il a porté plainte contre la direction pour négligence car l'école est dotée de caméras de surveillance et son départ des lieux aurait dû être observé. Le père a également ajouté, selon ce média : « L'année dernière, ils ont également essayé d'empêcher son inscription, en utilisant des excuses comme le fait d'avoir trop d'amies ou de laisser apparaître une partie de ses cheveux. ».

    Le père a aussi reproché à la direction de l'école son insensibilité après le drame car elle a refusé de présenter ses condoléances et a même refusé de venir en soutien psychologique à ses camarades complètement effondrées. Une source explique en effet : « Pas un seul message de condoléances n'a été posté dans le groupe virtuel de l'école. La directrice adjointe a évité de se présenter devant les élèves. Lorsque les élèves l'ont approchée une fois pour lui proposer des rendez-vous en guise de geste, elle leur a dit : "Ne demandez aucun de rendez-vous à personne". ».
     

     
     


    Ces harcèlements de jeunes femmes par la police des mœurs pour cause de violation du code vestimentaire sont très nombreux, et ont été intensifiés depuis l'assassinat de Masha Amini le 16 septembre 2022. J'avais cité le nombre de 551 femmes tuées par la police des mœurs en raison de l'obligation du port du hijab et autres sacs à patates noir qui devraient stupidement emballer toutes les femmes iraniennes. Il est probable que les suicides ne sont pas comptabilisés parmi les victimes, et pourtant, Arezou est bien une de ces victimes de ce régime débile.

    La preuve que cette police des mœurs est choquante, c'est qu'elle ne fait pas l'unanimité au plus haut niveau du régime. Le nouveau Président de la République islamique d'Iran Massoud Pezechkian (en fonction depuis le 28 juillet 2024) a promis, pendant sa campagne électorale, de mettre fin au "Projet des lumières", un projet déposé le 13 avril 2024 pour renforcer le déploiement de la police des mœurs dans la société iranienne afin d'imposer ces vêtements (uniformes) féminins. Mais le conseil des gardiens de la révolution a au contraire approuvé, en octobre 2024, ce projet sur le hijab et la chasteté, et le projet sera probablement adopté par le parlement dominé par les conservateurs. Des universités comme l'Université Al-Zahra à Téhéran ont déjà installé un système de reconnaissance faciale à leurs entrées pour garantir le respect des règles vestimentaires et réprimer le cas échéance tout écart. C'est cela, la modernité à la sauce rétrograde.


    Tel Cassandre, le journaliste Emmanuel Razavi, auteur du livre "La Face cachée des mollahs, le livre noir de la République islamique d'Iran" sorti le 23 janvier 2024 (éd. Cerf), a mis en garde sur Twitter ce mercredi 6 novembre 2024 : « Tous ceux qui ont commis des crimes contre l'humanité en Iran en répondront un jour devant une juridiction pénale internationale. Ceux qui les soutiennent en France, et qui se sont compromis en prenant l'argent des mollahs, auront aussi à rendre des comptes devant la justice française. Des avocats, des élus et des journalistes y veillent désormais. ».

    Oui, un jour ou l'autre, tous ces crimes contre l'humanité seront jugés et les responsables seront châtiés. Depuis plusieurs décennies, on connaît la fin des dictateurs et de leurs complices, et peu passent désormais au travers des mailles soit d'un lynchage populaire (regrettable), soit d'un procès par un tribunal national ou international pour les juger (préférable). Des avocats, des journalistes, des militants sont là, en vigiles quotidiens, pour instruire précisément chaque dossier à charge. Ce n'est pas la vengeance mais de la justice qui sera à l'œuvre. Ce n'est qu'une question de temps.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (06 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Arezou Khavari.
    Ahou Daryaei.
    Ebrahim Raïssi.
    Khosro Besharat.
    Mobilisons-nous pour Toomaj Salehi !
    Fatwa de mort contre Salman Rushdie.
    Alireza Akbari.
    Mehran Karimi Nasseri.
    Claude Malhuret contre la mollarchie.
    Mahsa Amini, les femmes iraniennes, leur liberté et Claude Malhuret.
    Révolution : du rêve républicain à l’enfer théocratique de Bani Sadr.
    L'Iran de Bani Sadr.
    De quoi fouetter un Shah (18 février 2009).
    N’oubliez pas le Guide (20 février 2009).
    Incompréhensions américaines (1) et (2).
    Émission de France 3 "L’Iran et l’Occident" (17-18 février 2009).
    Session de septembre 2006 à l’ONU : Bush, Ahmadinejad, Chirac.
    Dennis Ross et les Iraniens.
    Un émissaire français à Téhéran.
    Gérard Araud.
    Stanislas de Laboulaye.
    Des opposants exécutés par pendaison en Iran.
    Expulsion de Vakili Rad, assassin de Chapour Bakhtiar, dernier Premier Ministre du Shah d'Iran, par Brice Hortefeux à la suite du retour de l'étudiante Clotilde Reiss.
    Mort de l'ancien Premier Ministre iranien Mohammad Reza Mahdavi-Kani à 83 ans le 21 octobre 2014.
     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241104-arezou-khavari.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/arezou-khavari-nouvelle-victime-de-257527

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/06/article-sr-20241104-arezou-khavari.html




     

  • Maia Sandu réélue Présidente de la République de Moldavie avec 55,4% des voix

    « Aujourd'hui, chers Moldaves, vous avez donné une leçon de démocratie digne de figurer dans les livres d'histoire ! » (Maia Sandu, le 3 novembre 2024 à Chisinau).


     

     
     


    On ne peut pas perdre à tous les coups ! La réélection de Donald Trump n'est pas une bonne nouvelle pour la sécurité de l'Europe. Mais le vieux continent européen avait enregistré deux jours auparavant une belle victoire électorale avec la réélection de Maia Sandu (52 ans) à la Présidence de la République de Moldavie. Maia Sandu a en effet obtenu 42,5% des voix au premier tour du 20 octobre 2024 et 55,4% des voix au second tour du 3 novembre 2024. C'était même une double victoire européenne.

    La Moldavie est un petit pays agricole de 2,7 millions d'habitants situé à l'est de l'Europe, coincée entre la Roumanie et l'Ukraine. La population est principalement roumaine (à très forte majorité, 82,1%) mais il y a aussi de fortes minorités ukrainienne (6,6%) et russe (4,1%), et également gagaouze, c'est-à-dire turque orthodoxe, (4,6%) et bulgare (1,9%).

    La Moldavie a acquis son indépendance le 27 août 1991. Comme l'Ukraine, la Moldavie a fait partie de
    l'URSS et à ce titre, la Russie a un œil vigilant voire influent sur son évolution politique, d'autant plus qu'une région pro-russe a fait sécession. Cette région séparatiste s'appelle la Transnistrie, au-delà du fleuve Dniestr, qui a proclamé son indépendance unilatéralement le 2 septembre 1990 (avant l'indépendance de la Moldavie). Ce petit bout de terre, coincé entre la Moldavie et l'Ukraine, représente 4 000 kilomètres carrés et environ 500 000 habitants. La Transnistrie n'est reconnue que par d'autres États sécessionnistes, l'Abkhasie et l'Ossétie du Sud (régions pro-russes de Géorgie). Jusqu'au 22 février 2023, elle n'était même pas reconnue par la Russie, mais depuis lors, Vladimir Poutine a reconnu à la fois la Transnistrie et les deux États géorgiens cités.

    La Moldavie vit donc avec des élans paradoxaux, certains voudraient l'unification avec la Roumanie, d'autres avec l'Ukraine, d'autres encore avec la Russie, mais pas plus que la Wallonie voudrait le rattachement à la France. Depuis plus de trente ans, comme les autres pays d'Europe centrale et orientale sous le joug soviétique, elle aspire à se moderniser en paix et en indépendance, à prospérer, à bénéficier des apports de l'Europe en général. La question de l'adhésion de la Moldavie à l'Union Européenne n'est pas nouvelle mais souvent remise à plus tard. Elle a obtenu le statut d'association avec l'Union Européen le 1er juillet 2016.

    La déclaration de guerre de Vladimir Poutine à l'Ukraine le 24 février 2022 a remis en cause l'ordre européen, car en cas de réussite de la tentative d'invasion de l'Ukraine (les régions séparatistes pro-russes du Donbass ont été unilatéralement annexées par la Russie comme la Crimée en mars 2014), les prochaines étapes nationales de Vladimir Poutine seront à l'évidence la Moldavie, la Géorgie et les Pays baltes. L'Estonie, la Lettonie et la Lituanie faisant partie de l'Union Européenne et de
    l'OTAN craignent par conséquent moins pour leur intégrité territoriale que la Moldavie et la Géorgie qui, désormais, cherchent à adhérer le plus rapidement possible à l'Union Européenne et surtout à l'OTAN afin de bénéficier de la garantie de défense réciproque (le fameux article 5 du Traité atlantique nord).

    La présence russe en Moldavie est cruciale pour la Russie puisqu'elle permet de prendre en tenaille l'Ukraine par son flanc ouest, notamment du côté d'Odessa. C'est pour cela que l'élection présidentielle moldave dont le premier tour a eu lieu le 20 octobre 2024 et le second tour le 3 novembre 2024 a subi des influences très fortes de la Russie.


    La Présidente de la République sortante était Maia Sandu, économiste et ancienne haut fonctionnaire, qui a été Ministre de l'Éducation du 24 juillet 2012 au 30 juillet 2015 (elle a réduit de 50% la corruption pour acheter des diplômes en mettant des caméras dans les salles d'examen) et Première Ministre du 8 juin 2019 au 14 novembre 2019. Elle s'est présentée à l'élection présidentielle une première fois il y a huit ans après avoir fondé et présidé le Parti action et solidarité (PAS) le 15 mai 2016, un parti de centre droit, pro-européen, indépendantiste (c'est-à-dire contre l'union avec la Roumanie et pour sortir de la tutelle de la Russie).

     
     


    Arrivée à la deuxième place au premier tour du 30 octobre 2016 avec 38,7% des voix, elle a été battue avec 47,9% par le candidat socialiste pro-russe Igor Dodon au second tour le 13 novembre 2016. Maia Sandu a fait néanmoins alliance avec les socialistes contre les démocrates au sein d'un Parlement ingouvernable depuis les élections législatives du 24 février 2019 qui avait abouti à une assemblée tripartite : 35 sièges sur 101 au total pour les socialistes (31,2% des voix), 30 sièges pour les démocrates (23,6% des voix) et 26 sièges pour le Bloc électoral ACUM pro-européen et anti-oligarchie (dont faisait partie le PAS) mené par Maia Sandu (26,8% des voix). À ceux-ci s'ajoutaient 7 députés issus du parti conservateur pro-russe Égalité d'Ilan Sor, oligarque israélo-moldave, maire d'Orhei (une ville moldave de 21 000 habitants) entre 2015 et 2019, qui avait obtenu 8,3% des voix. Maia Sandu a été désignée Première Ministre avec l'appui des députés socialistes et des députés ACUM qui se sont accordé le 8 juin 2019, mais son gouvernement a été renversé le 12 novembre 2019 par le vote d'une motion de censure en raison d'un désaccord sur le mode de scrutin des prochaines élections législatives.

    La formation du gouvernement de Maia Sandu a été l'occasion d'une crise constitutionnelle provoquée par la Cour constitutionnelle (qui a même retiré provisoirement les pouvoirs du Président de la République) qui a finalement reculé et est revenue en arrière, justifiant sa position par de fortes pressions (le dénouement de la crise s'est soldée par la fuite à l'étranger de Vladimir Plahotniuc, le leader du parti démocrate, et du milliardaire Ilan Sor dont les biens personnels ont été saisis en raison de fraude d'un montant de 1 milliard de dollars).

    La situation politique s'est clarifiée démocratiquement un an et demi plus tard. Au premier tour de l'élection présidentielle du 1er novembre 2020, Maia Sandu, de nouveau candidate, a surpris les observateurs en obtenant la première place avec 36,2% des voix, devançant le Président sortant Igor Dodon qui sollicitait un second mandat (32,6%). Au second tour du 15 novembre 2020, Maia Sandu l'a emporté très largement avec 57,7% des voix contre Igor Dodon, en confortant nettement la participation électorale de 45,7% des inscrits au premier tour à 55,8% au second tour. Maia Sandu a commencé son premier mandat présidentiel le 24 décembre 2020. Son élection, basée sur sa réputation d'incorruptible, a marqué historiquement la perte d'influence de la Russie en Moldavie.

    Pour éviter la poursuite d'un Parlement ingouvernable, elle a nommé une ancienne collaboratrice Natalia Gavrilita le 27 janvier 2021 à la tête du gouvernement en demandant aux députés de sa coalition de ne pas voter pour elle afin de pouvoir dissoudre le Parlement (il faut un constat d'impossibilité de gouverner), tandis que les socialistes et les députés du parti Sor, qui ne souhaitaient pas d'élections anticipées, étaient prêts à soutenir ce gouvernement. La nomination de Natalia Gavrilita a été invalidée le 23 février 2021 par la Cour constitutionnelle, et après quelques autres péripéties politiciennes, Maia Sandu a prononcé la dissolution du Parlement le 28 avril 2021, en organisant de nouvelles élections législatives le 11 juillet 2021 qui lui ont apporté une large majorité absolue : son parti PAS a obtenu en effet 63 sièges sur 101 avec 52,8% des voix, ce qui lui a permis de ne plus avoir besoin de nouer de coalition pour gouverner pendant quatre ans. Les démocrates ont été laminés (aucun siège), et les socialistes et communistes ont obtenu 32 sièges. Natalia Gavrilita a alors été nommée officiellement Première Ministre le 6 août 2021 (jusqu'au 16 février 2023).

     
     


    Deux axes pour la politique de Maia Sandu, au-delà de la crise du covid-19 : la lutte anti-corruption et le rapprochement avec l'Union Européenne, renforcée par la tentative d'invasion de l'Ukraine par les troupes russes. La Moldavie a subi une crise énergétique majeure en raison de la baisse de 30% de la fourniture de Gazprom. Parmi ses premiers déplacements, a eu lieu la visite le 12 janvier 2021 à Kiev pour rencontrer son homologue Volodymyr Zelensky (alors encore en costume cravate très chic).

    Après le début de la guerre en Ukraine, Maia Sandu a annoncé ouvrir les frontières de la Moldavie pour permettre aux réfugiés ukrainiens de passer vers l'Ouest, et le 3 mars 2022, elle a signé officiellement la demande d'adhésion de son pays à l'Union Européenne. Le Conseil Européen du 23 juin 2022 a entériné le statut de candidate de la Moldavie à l'unanimité des Vingt-sept chefs d'État et de gouvernement. Les négociations d'adhésion ont été amorcées le 25 juin 2024 à Bruxelles.

    La consécration internationale de Maia Sandu et de la Moldavie a eu lieu le 1er juin 2023 où Chisinau a accueilli le 2e Sommet de la Communauté politique européenne réunissant 47 chefs d'État et de gouvernement européens (la Communauté politique européenne a été lancée le 6 octobre 2022 à Prague à l'initiative du Président français
    Emmanuel Macron ; son 5e Sommet a eu lieu ce jeudi 7 novembre 2024 à Budapest).
     

     
     


    Maia Sandu était la favorite de l'élection présidentielle de 2024 dans les sondages. Elle a gagné encore largement (55,4% des voix avec 54,3% de participation) face au candidat socialiste pro-russe Alexandr Stoianoglo (25,9% au premier tour et 44,6% au second tour), ancien procureur général de Moldavie démis de ses fonctions en septembre 2023 à cause des accusations de corruption portées contre lui.

    Cette belle réélection de Maia Sandu est le symbole de l'ancrage européen de la Moldavie, ratifié doublement par le peuple moldave, et cela malgré les nombreuses pressions, « tentatives de déstabilisation », propagandes et fraudes opérées par le camp pro-russe, notamment par Ilan Sor qui aurait acheté de nombreuses voix en faveur du candidat pro-russe (environ 150 000 voix auraient ainsi été achetées au profit du candidat pro-russe, qui a obtenu en tout 401 215 voix au premier tour et 750 370 voix au second tour).

    J'ai indiqué dès le début de l'article qu'il s'agissait d'une double victoire car Maia Sandu a réussi à mettre à l'ordre du jour des électeurs, en même temps que le premier tour de l'élection présidentielle, le 20 octobre 2024, un référendum inscrivant dans la Constitution moldave l'objectif de l'adhésion de la Moldavie à l'Union Européenne. Cette inscription a été acceptée par 50,4% des voix pour une participation de 50,7%. La victoire est donc très serrée, avec seulement près de 10 600 voix d'avance du oui sur le non, dans le même contexte de propagande et d'achats de voix (Ilan Sor, réfugié à Moscou, était un ferme partisan du non, mais le Kremlin a démenti toute tentative d'ingérence de la Russie). Alors qu'en raison du scrutin serré, les pro-russes ont parlé d'un échec, la Cour constitutionnelle a au contraire validé l'approbation populaire de la réforme le 31 octobre 2024 (dans un référendum où la réponse est oui ou non, même à une voix près, la victoire est à ceux qui ont eu le plus de voix).

     

     
     


    Pour "Courrier international", le 21 octobre 2024 : « Concrètement, les Moldaves devaient décider s'ils souhaitaient ou non inscrire l'objectif européen dans la Constitution du pays, protégeant ainsi le processus d'adhésion, entamé en 2022, des aléas du pouvoir politique. ». Objectif donc atteint !
     

     
     


    La réélection de Maia Sandu a été accueillie avec satisfaction et joie par les pays de l'Union Européenne. Emmanuel Macron a salué la « démocratie [qui a] triomphé de toutes les interférences et de toutes les manœuvres » tandis que la Présidente de la Commission Européenne Ursula von der Leyen s'est réjouie de pouvoir « continuer à travailler » avec la Présidente moldave pour un « avenir européen ».

    Le politologue moldave Andrei Curararu, cofondateur du think tank WatchDog basé en Moldavie, a déclaré pour TV5 Monde : « Malgré tout, la Moldavie a démontré à deux reprises que sa volonté d'intégrer l'Union Européenne était plus forte que la pression de Moscou. ». Il n'en demeure pas moins que le pays reste très divisé entre les tenants de l'ouverture à l'Ouest et la proximité du grand frère de l'Est, notamment en Transnistrie dont Maia Sandu voudrait régler le problème avec Moscou. Le prochain rendez-vous électoral sera également crucial puisqu'il s'agira des élections législatives qui auront lieu au plus tard en juillet 2025.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (07 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Maia Sandu.
    Les victoires européennes de la Moldavie.
    Ukraine.
    Russie.
    Roumanie.

     
     






    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241103-maia-sandu.html

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/08/article-sr-20241103-maia-sandu.html





     

  • Ahou Daryaei, mon héroïne dénudée !

    « Toute la jeunesse aboutit sur la plage glorieuse, au bord de l'eau, là où les femmes ont l'air d'être libres enfin, où elles sont si belles qu'elles n'ont même plus besoin du mensonge de nos rêves. » (Céline, 1932).




     

     
     


    Ne jamais oublier son nom : Ahou Daryaei. C'est ma nouvelle héroïne. Mon héroïne dénudée. L'adjectif est mal choisi. Je pourrais dire autrement, dévêtue, ou même, peut-être plus exactement, dévoilée, oui, c'est le terme, c'est le bon terme : mon héroïne dévoilée !

    Voici son histoire : elle a 30 ans (je crois) et est étudiante, elle prépare un doctorat en langue et littérature françaises dans la prestigieuse Université Azad de Téhéran, en Iran. Ce samedi 2 novembre 2024, elle a été arrêtée par la police des mœurs à Téhéran parce qu'elle portait mal le voile.

    Alors, elle a fait une chose extraordinaire. Je ne sais pas si c'était réfléchi, si c'était préparé, ou si c'était spontané, mais elle s'est déshabillée en pleine rue, devant le campus, et elle a marché seule courtement vêtue. Difficile de dire qu'elle était nue, elle portait ses sous-vêtements, ce qui est commun en public sur une plage ici, en Europe.

    Mais elle était en Iran, le pays qui déteste les femmes, ou dont les femmes sont tellement sexuellement irrésistibles qu'il faut absolument les cacher de la vue de ces messieurs à barbe incapables de se retenir. Ahou Daryaei a déambulé quelques minutes au milieu de la foule, seule dans la foule, aux côtés de dizaines de femmes voilées de la tête aux pieds d'un noir funèbre.
     

     
     


    Elle était seule dans la rue. On la regardait à peine, on n'osait même pas la regarder, de peur d'être complice. Ce pays est tellement répressif, on pend tellement souvent pour un oui ou pour un non, pour la simple expression d'une opinion, qu'on imagine mal, en France, le pays dont le dénigrement de son gouvernement est un sport national, à quel point cela peut être dangereux.

    Son combat, reprenant celui de l'association Femme, Vie, Liberté, est simple, c'est celui de toutes les femmes iraniennes (et kurdes), celui d'être libres de porter les vêtements qu'elles veulent, comme c'était le cas avant la
    révolution islamique de février 1979 (dans les années 1970, on voyait les jeunes femmes iraniennes porter des jupes courtes à Téhéran et cela ne choquait personne).
     

     
     


    Selon Fadila Tatah : « Ahou Daryaei a été déshabillée par les gardiennes de la moralité car elle avait mal ajusté son hijab. Suite à cela, elle a enlevé son pantalon pour leur signifier qu’ils peuvent tout prendre. Les gardiens ont conservé ses vêtements. Elle a par la suite relevé la tête. (…) Infos supplémentaires : les gardiennes ont interpellé Ahou alors qu’elle sortait de ses cours. Elle a été agressée. ». Selon l'avocat Dehghani-Azar Hirbod qui a critiqué l'information donnée par France Info le 4 novembre 2024 : « Ce matin, je regrette le traitement de l’information concernant Ahou Daryaei. Cette jeune fille s’est faite agresser par les autorités pour des vêtements non conformes et ses vêtements ont été déchirés. C’est dans ce contexte qu’elle s’est dévêtue. Elle a été violemment arrêtée et emprisonnée. Cette femme courageuse qui résiste face l’apartheid sexuelle en Iran mérite plus de considération que le simple fait de préciser qu’elle a été arrêtée car elle était en sous-vêtements. ».
     

     
     


    Répétons et insistons : ce combat est courageux. Depuis la création de cette association, créée à la suite de l'assassinat d'une autre étudiante, Masha Amini, il y a deux ans, le 16 septembre 2022, 551 femmes ont été tuées par les autorités islamistes et des milliers d'autres arrêtées.

    Par cet acte courageux, Ahou Daryaei risque sa propre vie pour ce qui sera immanquablement considérée comme une provocation. Je crains pour son devenir. La police l'a arrêtée, l'aurait frappée, notamment à la tête, elle serait tombée au sol, beaucoup de sang aurait coulé. L'agence iranienne Fars a démentie cette information, sans pour autant donner des nouvelles rassurantes de l'étudiante. La France doit réclamer sa libération immédiate, et qu'elle soit soignée dans les meilleurs délais et dans les meilleures conditions. Qu'il ne lui arrive pas le sort de Masha Amini. Ni le sort d'
    Alexei Navalny. Qu'on arrête une fois pour toutes le massacre des femmes justes !
     

     
     


    Peut-être n'aurons-nous plus jamais aucune nouvelle d'elle, comme cet autre héros, ce simple citoyen de la Place Tiananmen, à Pékin, le 4 juin 1989 qui, portant alors un ou deux sacs de courses, s'est posté devant les chars communistes. L'homme a été exfiltré et j'ai cru comprendre qu'il avait eu la vie sauve (mais je me trompe peut-être).
     

     
     


    Imtiaz Mahmood a précisé le sort d'Ahou le 3 novembre 2024 : « Ahou Daryaei a été emmenée dans un établissement psychiatrique. Les universités iraniennes sont en grève lundi. Le courage est souvent le seul moyen de s'en sortir. Nous devons tous la soutenir. "Selon des sources étudiantes, la protestation de la femme a été déclenchée par le harcèlement de la sécurité de l’université concernant la politique du hijab. Amir Kabir Newsletter, une importante publication étudiante sur Telegram, a rapporté que l’étudiante avait été transférée dans un hôpital psychiatrique sur ordre de l’organisation de renseignement du CGRI. Cela a été confirmé par le journal Farhikhtegan, affilié à l’Université Azad, qui a déclaré qu’elle avait été admise dans un établissement de santé mentale. Le même jour, Amir Mahjoub, le directeur des relations publiques de l’Université islamique Azad, a publié une déclaration affirmant que la femme avait été envoyée dans un poste de police en raison d’une 'grave détresse psychologique', faisant écho aux déclarations des médias proches du CGRI selon lesquelles elle souffrait de problèmes de santé mentale. Les médias affiliés à l’État ont ensuite diffusé une vidéo d’un homme se présentant comme son mari, qui a affirmé qu’elle était mère de deux enfants et qu’elle souffrait de problèmes de santé mentale". Ce que la police des mœurs et le CGRI lui ont fait n’a servi à rien. Peut-être devraient-ils s’occuper eux-mêmes de leurs problèmes de santé mentale. Elle est plus courageuse que tous les m*rdeux de la police de la "moralité" réunis. Les femmes iraniennes ont plus de c*uilles que les hommes russes. Elle a des ovaires d’acier. Elle a peu de chances de ne pas être violée ou torturée. Elle ne sera pas assassinée. Si elle est assassinée, il y aura plus de tollé qu’en 2022. Que peut-il se passer ? Elle sera emprisonnée pendant des années, fouettée ou battue en public, expulsée de l’université, séparée de sa famille, persécutée et au chômage. J’espère que l’ONU interviendra immédiatement pour indiquer que personne ne doit lui faire de mal. Ce n’est pas une police de la moralité, c’est une police de l’immoralité ! Je ne peux pas imaginer l’enfer qu’elle va vivre après, et j’espère qu’un miracle se produira, aussi infime soit-il. C’est probablement la chose la plus courageuse que j’aie jamais vue quelqu’un faire depuis longtemps. Comme le type debout devant un char sur la place Tiananmen. ».
     

     
     


    Sur Twitter, Fadila Tatah a exprimé son émotion le même jour : « Seule son ombre l’a soutenue ! (…) Je l’ai ressentie tellement seule à porter son désespoir. J’ai vu des centaines de personnes passer devant elle alors qu’elle était à moitié nue. Son désespoir était tellement palpable que nul ne pouvait l’ignorer ; tous savaient que cette jeune iranienne allait être battue, sûrement assassinée, d’ailleurs j’ai appris qu’en effet elle a été battue et qu’une blessure à la tête pourrait lui être fatale. Alors pourquoi personne n’est allée la réconforter, voire la mettre à l’abri avant que la police ne vienne l’embarquer ? Sûrement la peur me direz-vous car les Iraniens sont désormais soumis à une violence effroyable que même leur solidarité ne peut malheureusement pas se manifester sans craindre d’être pendus, frappés, emprisonnés, ou violés, ou tout à la fois. J’ai aussi observé le monsieur qui a appelé la police car il venait d’attraper une proie de taille, j’ai vu en lui un monsieur qui se sentait investi d’un pouvoir jouissif où il avait un regard de vie ou de mort sur cette jeune fille. Il savait très bien quel sort lui était réservé, mais malgré cela, il continue à expliquer le crime grave, très grave même, qu’avait commis cette jeune étudiante. C’est bien lui le coupable, celui qui condamne à mort cette petite pour une histoire de bout de tissu. J’espère que ce monsieur qui est filmé ne mettra jamais les pieds en France. Agir de la sorte prouve que ce monsieur n’a pas une once d’humanité en lui. Ces monstres continuent de penser que ce bout de tissu est plus important que ce qui fait de nous des humains, notre compassion, notre empathie. Chère jeune étudiante iranienne, où que tu sois, morte ou vivante, sache que le monde entier se lève pour toi. À tout jamais dans nos cœurs. ».

    Le meilleur moyen de sauver Ahou Daryaei, c'est de faire parler d'elle, que son acte courageux, inouï, un acte qui pourrait être banal mais qui, dans ce pays d'horreurs quotidiennes, est devenu un exploit suicidaire, soit connu du monde entier pour la protéger elle, qu'elle soit un emblème de la résistance des femmes libres.

    On ne redira jamais assez que le féminisme, ce n'est pas avec des gauchistes, écologistes ou wokistes, bien confortables dans leur fauteuil, à hurler à la moindre saucisse cuite au barbecue, mais aussi à défendre le port du voile des femmes musulmanes, qu'il avance. Le féminisme avance avec de vraies résistantes dans un pays comme l'Iran, où des femmes, réellement opprimées par un régime hautement et cruellement machiste, cherchent à reprendre leur liberté, à reprendre le contrôle de leur vie, au péril de leur vie.
     

     
     


    Ce combat pour la liberté n'est pas la revendication d'une nudité, c'est la revendication de pouvoir ne plus être mises dans un sac à patates noir. C'est probablement la raison pour laquelle le dessin de Coco peut paraître très mal inspiré, justement en éliminant liberté au profit de nudité pour un jeu de mot parfois mal apprécié. Sur Twitter, un (ou une) internaute a réagi ainsi : « La question n’est justement pas la nudité, mais la liberté. Vous focaliser sur la nudité fait de la femme un objet sexuel, ce qui est soi-disant ce contre quoi vous vous battez avec vos copines féministes. Mais vous démontrez encore une fois que vous n’avez rien compris. ». Un autre a surenchéri : « Ahou Daryaei n’est pas une gaucho exhibitionniste. Elle n’a pas commis un geste obscène qui justifie une punition. ».
     

     
     


    Quant à Rachel Kahn, elle a dit sur Twitter le 3 novembre 2024 : « Cette femme, dans les rues de l’Iran, n’est pas nue ; elle n’a simplement besoin de rien pour revêtir les habits de la dignité, de la liberté, de la résistance. Elle est là, debout, silencieuse et immense. Elle ne crie pas. Elle incarne le courage et les valeurs dont nous nous sommes confortablement détournés pour éviter d’avoir à nous battre. Son regard, son silence sont des leçons, et nous avons désormais une dette envers elle, car elle connaît le prix de la liberté. Merci, Madame Ahou Daryaei, pour cette force qui éclaire notre lâcheté. ».

    Quelle que soit la manière de l'exprimer, même avec maladresse voire mauvais goût, l'important, c'est de parler d'elle, de soutenir Ahou Daryaei pour qu'elle soit épargnée, sauvée, qu'elle puisse être libérée, retrouver sa liberté, celle d'être une femme et de vivre comme elle l'entend. Pour Masih Alinejad invitée de LCI le 4 novembre 2024 : « Le hidjab, c’est comme le mur de Berlin. Si le hidjab tombe, la République islamique tombera. ». Soutenons toutes celles qui veulent faire tomber le hidjab !


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (04 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Ahou Daryaei.
    Ebrahim Raïssi.
    Khosro Besharat.
    Mobilisons-nous pour Toomaj Salehi !
    Fatwa de mort contre Salman Rushdie.
    Alireza Akbari.
    Mehran Karimi Nasseri.
    Claude Malhuret contre la mollarchie.
    Mahsa Amini, les femmes iraniennes, leur liberté et Claude Malhuret.
    Révolution : du rêve républicain à l’enfer théocratique de Bani Sadr.
    L'Iran de Bani Sadr.
    De quoi fouetter un Shah (18 février 2009).
    N’oubliez pas le Guide (20 février 2009).
    Incompréhensions américaines (1) et (2).
    Émission de France 3 "L’Iran et l’Occident" (17-18 février 2009).
    Session de septembre 2006 à l’ONU : Bush, Ahmadinejad, Chirac.
    Dennis Ross et les Iraniens.
    Un émissaire français à Téhéran.
    Gérard Araud.
    Stanislas de Laboulaye.
    Des opposants exécutés par pendaison en Iran.
    Expulsion de Vakili Rad, assassin de Chapour Bakhtiar, dernier Premier Ministre du Shah d'Iran, par Brice Hortefeux à la suite du retour de l'étudiante Clotilde Reiss.
    Mort de l'ancien Premier Ministre iranien Mohammad Reza Mahdavi-Kani à 83 ans le 21 octobre 2014.