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  • Anouk Aimée la savoureuse marginale

    « Anouk Aimée, c'est un peu un cas en marge. "Huit et demi", "Lola", "Un homme et une femme" sont eux aussi des films en marge, mais c'est dans les marges du cinéma que se conçoit et s'épanouit le vrai cinéma. » (François Chalais, mai 1966).




     

     
     


    Monument du cinéma français, selon l'expression de France Culture, l'actrice Anouk Aimée s'est éteinte à son domicile parisien ce mardi 18 juin 2024 à l'âge de 92 ans (née le 27 avril 1932 à Paris) selon un communiqué de sa fille Manuella. Cette dame déjà d'un grand âge avait su rester jeune non seulement dans l'esprit mais même dans le corps, il suffit de revoir une interview de 2002 (elle avait presque 70 ans) pour s'en rendre compte (on ne lui aurait pas donné un tel âge). Elle était une enfant précoce du cinéma et, jeune et belle star des années 1950 et 1960, elle a tourné avec les plus grands réalisateurs.

    Pour Pierre Murat, dans un article publié ce 18 juin 2024 dans "Télérama", elle était la « reine des rôle énigmatiques » et n'avait pas besoin d'être dirigée : « Elle était là, elle, et cela suffisait. Tous ses metteurs en scène s’effaçaient devant l’incroyable présence qui lui servait de talent. ». Fellini, qui lui a donné deux rôles, disait d'elle : « Son visage évoque la même sensualité que ceux de Greta Garbo, de Marlene Dietrich et de Joan Crawford, ces grandes reines pleines de mystère. ». Il a dit à Anouk joliment : « Le temps se comporte avec toi comme un gentleman ! ».


    Née de deux parents comédiens et d'origine juive, elle s'appelait d'abord Nicole Dreyfus. Cette origine juive l'a conduite à être scolarisée au collège de Morzine en Savoie pour échapper aux rafles, et elle y a connu Roger Vadim qui lui a appris à faire du ski. Parce qu'elle était une adolescente à la beauté étincelante, le réalisateur Henri Calef lui a proposé de tourner dans "La Maison sous la mer" (sorti le 20 août 1947) : elle avait 14 ans. En fait, Anouk Aimée a toujours un peu regretté de ne pas avoir fait carrière : elle aurait pu demander des rôles, elle n'a fait qu'accepter (ou refuser) les rôles qu'on lui proposait. Elle est devenue actrice par effraction, et elle aurait voulu devenir danseuse classique ou pharmacienne.

    Ainsi, malgré la participation à des films éclatants (et culte), elle n'a jamais bénéficié de ses succès et chaque fois, ce fut un recommencement pour avoir des rôles. Elle n'a pas "capitalisé" sur ses succès parce qu'elle n'a jamais cherché à le faire. Un peu plus tard, dans les années 1970, elle a même fait un break pour devenir femme au foyer et elle a appris à faire de la bonne cuisine lorsqu'elle vivait avec l'acteur britannique Albert Finney, son quatrième (et dernier) mari.

    Elle n'a pas fait carrière mais elle a quand même tourné près de quatre-vingt-dix films, surtout au cinéma, quelques-uns à la télévision. Et pas rien : Marcel Carné, André Cayatte, Alexandre Astruc, Julien Duvivier, Jacques Becker, Georges Franju, Jean-Pierre Mocky, Federico Fillini, Jacques Demy, Philippe de Broca, Robert Aldrich, Claude Lelouch, André Delvaux, George Cukor, Élie Chouraqui, Robert Altman, Alexandre Arcady, Marceline Loridan-Ivens, Yvan Attal, Édouard Molinaro, Agnès Varda, Charlotte de Turckheim, etc.

    En particulier, elle a tourné avec le rôle principal dans des chefs-d'œuvre : "La dolce vita" de Fellini (sorti le 5 février 1960 ; Palme d'Or à Cannes) avec Marcello Mastroianni et Anita Ekberg ; "Lola" de Jacques Demy (sorti le 3 mars 1961) ; "Huit et demi" de Fellini (sorti le 14 février 1963) avec Marcello Mastroianni et Claudia Cardinale ; "Un homme et une femme" de Lelouch (sorti le 27 mai 1966) avec Jean-Louis Trintignant, Pierre Barouh (un futur mari) et Valérie Lagrange. 1966 fut la consécration internationale pour l'actrice de 32 ans avec ce film qui a obtenu la Palme d'Or à Cannes et une nomination aux Oscars : dans l'une des deux vidéos que je propose ci-après, on la voit interrogée par François Chalais pour le Festival de Cannes en mai 1966. Elle était enjouée, souriante, spontanée, naturelle. Elle ne jouait pas la star boudeuse.

     

     
     


    Elle a été adulée aux États-Unis et on lui a permis de rencontrer Groucho Marx. L'acteur qu'elle admirait John Wayne est aussi venu la voir pour la saluer et la féliciter. Avec Danielle Darrieux et Catherine Deneuve, Anouk Aimée était l'une des muses de Jacques Demy (trois films). Et aussi une des égéries de la Nouvelle Vague, elle était une actrice fétiche de Claude Lelouch avec qui elle a tourné huit films.

    Anouk était le nom de son premier personnage dans son premier film "La Maison sous la mer" et rapidement, on l'appelait ainsi. Elle comptait garder ce nom de scène tout seul (Anouk) comme une autre actrice s'appelait seulement Arletty ("Atmosphère ! Atmosphère ! Est-ce que j'ai une gueule d'atmosphère ?"), mais Jacques Prévert lui a confié ce précieux conseil : Anouk tout seul ? Mais à 40 ans, qu'est-ce que tu vas devenir ?... et il lui a ajouté : Aimée. Elle allait donc être Anouk Aimée.

    Elle avait fait la connaissance de Jacques Prévert en mai 1947 pendant le tournage de son deuxième film, "La Fleur de l'âge", de Marcel Carné (avec Arletty, Serge Reggiani, Martine Carol et Paul Meurisse), qui n'a pas été achevé pour cause de manque de financement (Prévert en était le coscénariste). Au début des années 1950, Anouk Aimée s'est intégrée dans le petit milieu de Saint-Germain-des-Prés, faisant la connaissance de Pablo Picasso, Jean Genet, Jean Cocteau, Raymond Queneau, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Juliette Gréco, etc. (Pierre Murat : « Jean Genet qui lui dit adorer sortir avec elle : sa beauté attire le regard des hommes qu’il tente, ensuite, de draguer ! »). Elle a joué avec de nombreux acteurs comme Gérard Philipe, Jean-Pierre Cassel, Serge Reggiani, Yves Montand, etc. En France, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Italie, aux États-Unis. Dans les années 1990 puis 2000, elle a fait du théâtre avec Alain Delon, Philippe Noiret, Gérard Depardieu, Jean-Louis Trintignant, Jacques Weber, Bruno Cremer, etc.

    Dans les récompenses qu'elle a reçues, on peut citer entre autres le prix d'interprétation féminine du Festival de Cannes en 1980, un César d'honneur pour l'ensemble de sa carrière en 2002 (et une nomination au César de la meilleure actrice en 1979), un Golden Globe en 1967 (meilleure actrice), le prix de la meilleure actrice étrangères aux BAFTA en 1968, même l'Aigle d'or en 2010 (récompense russe), une nomination pour l'Oscar de la meilleure actrice en 1967 (pour "Un homme et une femme"), etc.


    Anouk Aimée se répandait rarement sur les plateaux de télévision. Néanmoins, elle était l'invitée de Thierry Ardisson le 13 avril 2002 sur France 2 dans son émission "Tout le monde en parle" (et pas le 9 octobre 2004 : elle venait juste de recevoir son César d'honneur). C'est la seconde vidéo que je propose ici. Se prêtant au jeu du pas très conventionnel animateur, elle se montrait à la fois intelligente et intellectuelle (elle disait regarder Arte), et malgré son caractère réservé, elle dévoilait un excellent sens de la répartie.
     

     
     


    L'intellectualisme, on peut l'appréhender lorsque Thierry Ardisson lui a demandé quelle question elle lui poserait : elle lui a posé une question ...tellement compliquée que cela a rendu silencieux le bavard animateur (qui était donc sans réponse). À la question : si vous deviez refaire votre vie, elle a reconnu qu'elle prendrait en considération avec un peu plus de sérieux l'argent... tout en se disant pour sa vie en cours : « Je n'ai pas trop à me plaindre ! ». À la question : que vous dites-vous en vous regardant dans un miroir le matin ?, elle a répondu : « Je me regarde, mais je ne mets pas mes lunettes ! ». La dernière fois qu'elle a pleuré (le sujet est encore d'une actualité très brûlante) : elle a vu deux mois auparavant un reportage sur des enfants palestiniens et des enfants israéliens qui jouaient ensemble... puis quand ils sont rentrés chez eux, ils se disaient que peut-être, quand ils seraient grands, ils seraient amenés à s'entre-tuer.

    Mais la plus belle démonstration de son esprit de répartie, c'était à la question : s'il vous restait vingt-quatre heures à vivre, vous feriez quoi pendant ces vingt-quatre heures ? Elle a répondu avec un éclat de rire et sans hésiter : « Je pars à Honolulu parce que je gagne un jour ! ». Hélas, ce mardi matin, les vols pour Honolulu étaient complets. RIP.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (18 juin 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    Anouk Aimée.
    Marceline Loridan-Ivens.
    Édouard Baer.
    Françoise Hardy.
    Charles Aznavour.
    Alain Souchon.
    Patrick Bruel.
    Frédéric Mitterrand.
    Fanny Ardant.
    Alain Bashung.
    Alain Chamfort.
    Sophia Aram.
    Plastic Bertrand.
    Micheline Presle.
    Sarah Bernhardt.
    Jacques Tati.
    Sandrine Bonnaire.
    Shailene Woodley.
    Gérard Jugnot.
    Comment va Alain Delon ?
    Alfred Hitchcock.
    Brigitte Bardot.
    Charlie Chaplin.











    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240618-anouk-aimee.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/anouk-aimee-la-savoureuse-255310

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/06/18/article-sr-20240618-anouk-aimee.html




     

  • Françoise Hardy : Rendez-vous dans une autre vie...

    « Pardon si je pars en catimini
    Et sans préavis
    Pardon pour ce soir, pour hier aussi
    La pièce est finie »

    (Françoise Hardy/François Maurin, 2012).




     

     
     


    Tristesse et peut-être soulagement : ce mardi 11 juin 2024, dans la soirée, la nouvelle est tombée. Françoise Hardy s'est débarrassée de sa maladie, mais pas seulement. Icône des années 1960, star durable de la chanson française, elle avait beaucoup témoigné ces dernières années pour raconter ses souffrances et sa maladie. Elle avait fêté ses 80 ans au début de l'année, il y a à peine cinq mois.

    Elle n'aimait pas être une star, ni être sur scène, mais elle aimait chanter et elle nous a laissé de très nombreuses œuvres (79 albums en France, 43 musiques de film, etc., sans compter les albums pour l'étranger). Avec beaucoup de collaborations avec d'autres artistes comme Serge Gainsbourg ("Comment te dire adieu"), Michel Berger ("Message personnel"), Michel Jonasz ("J'écoute de la musique saoule"), Alain Souchon ("C'est bien moi"), Michel Fugain ("Tabou"), Louis Chedid ("Moi vouloir toi"), Jacques Dutronc ("Partir quand même"), Étienne Daho ("Laisse-moi rêver"), Julien Clerc ("Fais-moi une place"), etc. Une chanson comme "Partir quand même" est très belle, très douce, très nostalgique (elle allait devenir disque d'or en quelques semaines) ; elle m'avait souvent accompagné dans mes trajets nocturnes à une époque où je faisais beaucoup de route le week-end. En janvier 1982, Françoise Hardy disait : « J’ai toujours été la même, j’aime les belles chansons lentes sur fond de violons. Je n’aime que les chansons tristes. » ("Best" n°62, cité par Wikipédia).

    Bien entendu, femme éclatante (de beauté en particulier), qui attirait tout le monde, jusqu'à Bob Dylan ! Jacques Dutronc fut son mari et Thomas Dutronc leur fils. Elle a eu un peu de chance pour ce qui allait devenir son "tube" très connu qui a marqué les années 1960, "Tous les garçons et les filles", car lors de la soirée électorale du référendum sur l'élection du Président de la République au suffrage universel direct, le dimanche 28 octobre 1962, soirée très suivie par les téléspectateurs sur l'unique chaîne de la future ORTF, entre deux intervenants politiques, la chanson a été diffusée en guise d'intermède, ce qui l'a rendue célèbre et populaire en quelques minutes. Le disque s'est vendu à plus d'un demi-million d'exemplaires à la fin de l'année. Merci De Gaulle !

    Comme actrice, elle a également amorcé à ses débuts une carrière cinématographique qu'elle n'a pas poursuivie, sauf pour les bandes originales de films. Pour son œuvre musicale, elle a reçu de très nombreuses récompenses dont deux Victoires de la musique (en 1991 et 2005), le grand-prix du disque de l'Académie Charles-Cros en 1963, le grand-prix de la Sacem en 2000, la grande médaille de la chanson française de l'Académie française en 2006, etc.


    L'Internet peut faire revivre ses principaux succès immédiatement.
    Hommage, en quinze déclinaisons.


    1. "Tous les garçons et les filles" (1962)






    2. "Comment te dire adieu" (1968)






    3. "Parlez-moi de lui" (1968)






    4. "Message personnel" (1973)





    5. "Les Paradis perdus" (duo avec Christophe, sur Europe 1 le 21 septembre 1974)






    6. "Chanson sur toi et nous" (1977)






    7. "J'écoute de la musique saoule" (1978)






    8. "C'est bien moi" (1982)





    9. "Tabou" (1982)






    10. "Moi vouloir toi" (1983)






    11. "V.I.P." (1986)






    12. "Partir quand même" (1988)






    13. "Laisse-moi rêver" (1988)






    14. "Fais-moi une place" (1989)






    15. "Rendez-vous dans une autre vie" (2012






    « Partir quand même
    pendant qu'il dort
    pendant qu'il rêve
    et qu'il est temps encore
    partir quand même
    au moment fort
    briser les chaînes
    qui me lient à son sort
    vont faire de moi un poids mort

    un objet du décor »

    (Françoise Hardy/Jacques Dutronc, 1988).



    Aussi sur le blog.


    Sylvain Rakotoarison (11 juin 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Un calvaire.
    Françoise Hardy.
    Charles Aznavour.
    Alain Souchon.
    Patrick Bruel.
    Eden Golan.
    ABBA.
    Toomaj Salehi.
    Sophia Aram.
    Fanny Ardant.
    Alain Bashung.
    Alain Chamfort.
    Micheline Presle.
    Plastic Bertrand.
    Jacques Dutronc.

    Guy Marchand.
    Maria Callas.
    Catherine Deneuve.
    Gérard Depardieu.
    Stéphanie de Monaco.
    Jane Birkin.
    Fernand Raynaud.
    Marcel Zanini.
    Patricia Kaas.
    Kim Wilde.

     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240611-francoise-hardy.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/francoise-hardy-rendez-vous-dans-255170

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/06/11/article-sr-20240611-francoise-hardy.html







     

  • Claudia Sheinbaum, première femme élue Présidente du Mexique

    « Je veux être reconnue comme la Présidente de l'éducation, des énergies renouvelables et des femmes ! » (Claudia Sheinbaum, discours de campagne).



     

     
     


    Le Mexique, officiellement les États-Unis mexicains, paraît un pays encore plus rationalisé institutionnellement que les États-Unis (d'Amérique). Ce dimanche 2 juin 2024, les plus de 98 millions d'électeurs mexicains devaient élire à la fois leur Président des États-Unis mexicains, pour un mandat de six ans (non renouvelable), leurs 500 députés pour un mandat de trois ans, leurs 128 sénateurs pour un mandat de six ans, ainsi qu'un quart des gouverneurs des États, les députés locaux (équivalents chez nous aux conseillers régionaux), et aussi leurs maires.

    Le Mexique est un grand pays, il compte un peu moins de 130 millions d'habitants, classé à la onzième position mondiale (dépassé par l'Éthiopie il y a quelques années). Il constitue un pays très étendu, de près de 2 millions de kilomètres carrés (quatorzième dans le classement mondial), et l'une des plaies du pays est l'insécurité. Aux précédentes élections fédérales du 1er juillet 2018, il y a eu pendant la campagne électorale au moins 145 assassinats, dont 48 de candidats. Au moins une personne a été assassinée pour ces élections-ci.

    Favorite dans les sondages, Claudia Sheinbaum a été élue Présidente des États-Unis mexicains avec 58,6% des voix dans les premières estimations portant sur près de 73% des bureaux de vote (son score est donné dans la fourchette entre 58 et 60%). Elle succédera le 1er octobre 2024 à Andres Manuel Lopez Obrador issu du même parti qu'elle, le MORENA, mouvement social se situant au centre gauche.

    À bientôt 62 ans dans quelques jours (elle est née à Mexico), elle sera donc la première femme à bientôt occuper la magistrature suprême au Mexique. Ce n'est évidemment pas son seul programme ni son seul CV. Elle est d'abord une scientifique, physicienne, spécialiste de l'énergie et en tant que telle, climatologue, faisant partie du fameux groupe d'experts internationaux appelé GIEC de 2007 à 2013 (le GIEC a reçu le Prix Nobel de la Paix 2007). Les plus fins observateurs (je plaisante) remarqueront que son nom n'est guère mexicain. Normal ! Fille d'un chimiste et d'une biologiste, elle fait partie d'une famille de réfugiés : ses grands-parents étaient juifs et ont fui les persécutions antisémites de Bulgarie et de Lituanie dans les années 1920.

    Spécialiste du génie énergétique, elle a obtenu un doctorat en sciences de l'environnement et a fait une période postdoctorale dans un laboratoire universitaire en Californie. Elle a travaillé par la suite à la mairie de Mexico avec le maire Andres Manuel Lopez Obrador, maire de Mexico du 5 décembre 2000 au 29 juillet 2005, qui a démissionné pour se présenter à l'élection présidentielle du 2 juillet 2006 (il échoua également à l'élection du 1er juillet 2012 et fut élu à la suivante, celle du 1er juillet 2018). Les deux responsables partageaient leur appartenance au Parti de la révolution démocratique (PRD). Andres Manuel Lopez Obrador a créé ensuite le MORENA (Mouvement de regénération nationale) en 2012 et la future Présidente l'a rejoint deux ans plus tard.

    Claudia Sheinbaum a été élue maire de Mexico le 1er juillet 2018 et a exercé ce mandat du 5 décembre 2018 au 16 juin 2023, date à laquelle elle a démissionné pour se consacrer pleinement à sa campagne pour l'élection présidentielle du 2 juin 2024. Parmi les plus de sa gestion municipale, l'écologie et le social, développement des transports en commun, aide aux plus démunis, ainsi que la sécurité, baisse de moitié des homicides, mais le gros moins fut l'accident du métro de Mexico du 3 mai 2021 (effondrement d'un pont et déraillement d'une rame) qui a coûté la vie à au moins 26 personnes et en a blessé environ 80 autres. L'enquête est toujours en cours. Parmi les moins de son parti au pouvoir pendant cette période, il faut aussi évoquer les très nombreuses victimes de la crise du covid-19 avec plus de 200 000 personnes mortes du covid-19 entre 2020 et 2022.

    Forte d'une belle popularité à Mexico, elle a bataillé ferme pour se faire élire le 6 septembre 2023 à la primaire de la gauche unie rassemblant son parti, le parti des travailleurs et le parti écologiste (elle avait cinq concurrents). Parmi les mesures qu'elle a prônées durant sa campagne, elle a mis la violence contre les femmes comme une priorité, la solidarité nationale également pour les plus démunis, la protection de l'environnement (contre des intérêts industriels), et la légalisation de l'avortement dans un pays fortement catholique.

    Dans la compétition présidentielle, Claudia Sheinbaum a eu pour adversaire Xochitl Galvez, femme d'affaires, ancien maire de Miguel Hidalgo et ancienne sénatrice, candidate d'une coalition regroupant les partis traditionnellement au pouvoir (PRI, Parti révolutionnaire institutionnel ; PAN, Parti action nationale et PRD, voir plus haut), qui obtiendrait 28,4% et le candidat du Mouvement citoyen, centre gauche, Jorge Alvarez Maynez qui obtiendrait 10,5% des voix, toujours selon les mêmes estimations. Les écarts sont suffisamment larges pour que l'identité du vainqueur ne fasse aucun doute.


    Ce qui est notable, c'est que le programme de Xochitl Galvez, soutenue par l'élite conservatrice, était très modéré et la candidate s'était engagée à ne pas remettre en cause la politique sociale d'Andres Manuel Lopez Obrador. Cité par "Libération" du 7 septembre 2023 (au lendemain de la primaire), le politologue Carlos A. Perez Ricart a considéré que, même avant le scrutin, c'était déjà une grande victoire du Président sortant (qui n'a pas le droit de se représenter et qui jouit d'une forte popularité d'environ 60% d'opinions favorables) : « La candidature de Xochitl Galvez est l’une des grandes victoires de Lopez Obrador. Le curseur s’est tellement déplacé vers la gauche que la candidate de droite se comporte comme si elle était presque de gauche. ».

    Quant aux élections législatives, sur près de 75% de bureaux de vote dépouillés, son parti MORENA obtiendrait 40,4% des voix, menant une coalition totalisant près de 53,6% des voix selon ces premières estimations. Quant au Sénat, le rapport de forces est du même ordre. Cela signifie que Claudia Sheinbaum pourra bénéficier d'un parlement de même bord qu'elle, ce qui, dans un régime présidentiel, est très important (on le voit aussi aux États-Unis).


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (03 juin 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Claudia Sheinbaum.
    L'empereur Maximilien du Mexique.
    Augustin Carsten, candidat à la direction générale du FMI en juin 2011.

    Mort de Francisco Blake Mora en novembre 2011.

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240602-claudia-sheinbaum.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/claudia-sheinbaum-premiere-femme-254990

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/06/03/article-sr-20240602-claudia-sheinbaum.html




     

  • Édouard Baer mis en accusation dans un rôle non voulu

    « Vous vous rendez compte qu'il y a douze sujets en un là, il y a douze prises de parole différentes, il y a des scandales. Tout est différent. Il y a des saloperies, il y a des malentendus… Je pense que c'est les médias qui réunissent tout ça dans une grande cause d'époque. » (Édouard Baer, le 12 mai 2024 sur France 2).



     

     
     


    Très déstabilisé, Édouard Baer répondait le dimanche 12 mai 2024 à cette question de Laurent Delahousse dans le journal de 20 heures de France 2 : « Est-ce que vous considérez que les hommes ne parlent pas assez, ne défendent pas assez ou n'expriment pas une sorte de mea culpa ? ». L'invité, venu pour promouvoir son nouveau spectacle "Ma candidature", n'était pas n'importe qui.

    En effet, Édouard Baer, à 57 ans, est l'un des acteurs les plus "bankables" de France, comme on dit. Acteur, réalisateur de cinéma, metteur en scène de théâtre, animateur et producteur de télévision et de radio, on le voit et l'entend partout. Initié à la comédie par la savoureuse Isabelle Nanty, sa prof d'art dramatique au cours Florent, il a eu un parcours artistique très flatteur, couronné déjà par un Molière en 2001 (et deux nominations) et par trois nominations aux Césars.

    Pourquoi l'acteur était-il si gêné de parler de MeToo à la veille du Festival de Cannes ? Peut-être parce qu'il avait été mis au courant qu'un article incendiaire allait être publié par Mediapart ce jeudi 23 mai 2024. L'article d'Amine Abdelli et Julia Tissier commence d'ailleurs par ce malaise au 20 heures : « Confus et visiblement mal à l’aise, le comédien fronce les sourcils, bafouille et s’embourbe. Lui, le pro de l’impro, apparaît soudainement déstabilisé. ».

    Pas étonnant de bafouiller autant quand on sait qu'il va être mis sur le grill de la vindicte populaire par six femmes qui ont été contactées depuis plusieurs mois par Mediapart et qui, dans cet article, accusent Édouard Baer de harcèlement sexuel et d'agressions sexuelles. L'article précise : « Elles livrent le récit de faits de harcèlement et d’agressions sexuelles sur une période s’étalant de 2013 à 2021 (…), majoritairement dans des contextes professionnels », à savoir son bureau parisien, quand il est au théâtre, ou dans les stations de radio, quand il est animateur, c'est-à-dire à Radio Nova puis à France Inter.
     

     
     


    Le journal "Le Monde", qui en rend compte avec l'AFP, explique : « Selon l’une de ces femmes, Édouard Baer aurait pris son "sein gauche avec sa main" dans un ascenseur. Une autre l’accuse de lui avoir touché "les seins à plusieurs reprises", de l’avoir "prise par la taille" et d’avoir "posé sa main sur [s]es fesses". "Il essaie de m’embrasser dans le cou et sur la bouche. Je le repousse", selon les propos rapportés d’une autre. Certaines évoquent des sollicitations répétées, des compliments insistants sur leur physique. L’une explique ne pas avoir porté plainte car elle a pensé que ce serait "sa parole contre la [s]ienne". ».

    Aucune de ces six femmes, âgées d'une vingtaine d'années au moment des faits et qui ont voulu rester anonymes dans leur témoignage, n'a déposé plainte (à ce jour). J'ajoute que dans l'entourage d'une des radios, l'information n'était pas connue même sous forme de rumeur et certains ont été étonnés de l'apprendre.

    Comme est étonné Édouard Baer lui-même qui a rapidement publié, en réponse à l'article, un communiqué d'incompréhension mais aussi d'excuses : « C’est avec stupeur et une grande tristesse que je découvre les témoignages que vous me rapportez. Je ne me reconnais pas dans les mots ou les gestes qui me sont attribués, mais je ne peux qu’exprimer mes regrets que mon comportement ait mis mal à l’aise ou blessé ces femmes. Je n’ai pas eu l’intelligence de le percevoir. J’en suis profondément désolé. Je n’ai jamais cherché à les heurter intentionnellement. Je leur présente toutes mes excuses. ».

    Si on résume grossièrement le message, c'est ceci : j'ai été assez lourd dans mon approche, aucune ne m'a dit que j'allais trop loin et je m'en veux de ne pas l'avoir vu moi-même, désolé. Dans ce genre d'affaire, on peut supposer que les deux parties, les six femmes, d'un côté, et l'acteur, de l'autre côté, sont complètement sincères. Il faut aussi comprendre qu'Édouard Baer est une grande star qui a fasciné ces six femmes qui ont à peine commencé leur vie active. On peut imaginer qu'il leur était difficile, sans être dotée une personnalité très forte, de rejeter les éventuels gestes déplacés.

    La réponse rapide et finalement assez humble (présentant ses excuses) d'Édouard Baer plaide plutôt en sa faveur, ou du moins, pour sa sincérité. Il ne nie pas les éventuels faits sans les reconnaître précisément car il y a plusieurs faits, et la réponse reste assez floue. Ce n'est pas comme Gérard Depardieu ou même comme Patrick Poivre d'Arvor qui, à ma connaissance (sous réserve que je ne me trompe pas, je ne suis peut-être pas en possession d'informations plus récentes), ne reconnaissaient pas les faits et surtout, ne présentaient pas leurs excuses à leurs (nombreuses) accusatrices.

    Évidemment, un vieil article de la journaliste Josyane Savigneau publié le 5 novembre 2016 dans "Le Monde" revient en pleine figure d'Édouard Baer. À l'origine, la journaliste voulait faire la promotion de l'acteur redevenu animateur à Radio Nova, responsable de la matinale depuis le 10 octobre 2016. Mais elle s'est sentie très mal accueillie à son arrivée à 6 heures 45 un jour d'octobre 2016, « victime des humeurs du présentateur vedette », si bien qu'elle a exprimé sa colère : « D’emblée il est odieux. Furieux qu’on ait osé désobéir, il aurait exigé qu’on ne vienne qu’à 7h30, il insiste haut et fort : il n’a rien demandé, on a omis de le prévenir, on lui pourrit la vie, on va lui faire rater son émission, qu’on dégage. Avec plaisir. Dans une vie de journaliste, il arrive parfois que l’on rencontre, c’est fatal, des gens désagréables. À ce point d’arrogance et de mépris, c’est plus que rare. Morale de l’histoire : quand on remplace les journalistes par des stars, on s’expose à ce genre de caprices. ».

     

     
     


    Ce qui n'a pas empêché la journaliste d'en dire aussi du bien (il faut dire que Matthieu Pigasse, actionnaire du "Monde", venait de racheter Radio Nova) : « On retrouve avec plaisir la voix de Baer, son ton décalé, ses improvisations bienvenues, son accueil chaleureux des participants. ». Et de terminer sur l'avis du nouveau patron : « Matthieu Pigasse se félicite de la réussite de la matinale et de l’idée de Bernard Zekri de faire appel à Édouard Baer, "tant Nova et Édouard se correspondent : les 3 C, Culture, Curiosité d’esprit, Carrefour d’échanges". "Elle incarne ce que nous voulons être et faire, précise-t-il : refuser le repli sur soi, être ouverts à tous, donner du sens et s’engager par la culture". ». Édouard Baer a quitté Radio Nova pour France Inter en 2018 (jusqu'en 2022, il me semble).

    Pour l'heure, Édouard Baer, qui avait un spectacle à Romans-sur-Isère le vendredi 24 mai 2024 à 20 heures (au théâtre des Cordeliers), l'a maintenu. Le problème qu'il n'y ait pas de dépôt de plainte, c'est de transférer cette affaire du tribunal correctionnel au tribunal médiatique, avec tous les excès que cela peut entraîner, notamment dans les réseaux (a)sociaux. Comme je ne sais que penser des accusatrices sincères et d'un supposé prédateur sexuel qui s'ignorerait et qui affirme que ce n'est pas du tout lui, et n'étant pas juge, je ne peux faire aucun commentaire de soutien aux unes ou à l'autre.

    En revanche, ce problème récurrent depuis quelques années (MeToo date de 2018) où des femmes (en général) accusent (parfois plusieurs décennies après les faits) une personnalité (généralement très connue) dans des milieux bien définis (cinéma, sports, médias audiovisuels, etc.) de divers faits allant du simple geste déplacé (voire maladroit) jusqu'au crime (le viol), en passant par des agressions sexuelles ou du harcèlement sexuel (qui sont des délits), est souvent insoluble quand il n'y a aucune preuve (car il faut que la victime prouve l'absence de consentement, ce qui est très difficile). Alors, c'est parole contre parole, et un juge, si cela arrive à la suite du dépôt d'une plainte, ne pourra pas condamner si le doute persiste (principe général du droit). D'un côté, il faut écouter les victimes, les femmes, ou du moins qu'elles soient écoutées, de l'autre, il ne faut pas détruire la réputation d'une personne qui serait injustement accusée (dans l'affaire d'Outreau, une personne injustement accusée s'est même suicidée). C'est du tout ou rien. Ou salaud, ou salopes, en quelque sorte.

    Un livre explique très bien ce problème. Il s'agit d'un roman d'une ancienne procureure américaine qui a fait non seulement des études de droit mais avant, des études de psychologie et qui s'est recyclée dans l'écriture de romans à succès. Alafair Burke a en effet publié en 2018 un très bon roman "Un Couple irréprochable" (en anglais "The Wife"), dont le sujet principal est cette accusation contre une personnalité médiatique.

     

     
     


    L'histoire est celle-ci, et racontée selon le point de vue de l'épouse (mère au foyer) d'un économiste qui, au-delà de donner des cours d'économie à l'université, a écrit un livre devenu best-seller, ce qui lui a donné gloire, fortune et notoriété (il a créé un cabinet de conseil en entreprises et il est invité très fréquemment à la télévision pour donner son avis). Et son expertise, c'est l'éthique dans les entreprises, et sa parole est d'or car il fait et défait des réputations d'entreprises auprès de leurs investisseurs. (L'homme accusé est un parangon de l'éthique, comme Édouard Baer considéré ouvert, sympa).

    Et puis soudain, une stagiaire l'accuse de gestes déplacés en déposant plainte. Plus tard, une autre femme avec qui il est en contact sur le plan professionnel l'accuse carrément de viol. L'affaire est suivie par une inspectrice de police spécialisée dans ce domaine (l'Unité spéciale des victimes). Il y a aussi la réaction du procureur adjoint qui ne veut poursuivre que lorsqu'il y a de fortes suspicions de culpabilité, d'autant plus que ce prévenu serait une personnalité célèbre. Comme l'auteure du roman est une spécialiste du droit, cela permet aussi de voir comment fonctionne la justice et la police (ici américaines) dans les coulisses face à une telle affaire. Interviennent aussi dans l'histoire une animatrice de télévision féministe (et amie de l'accusé), une avocate exigeante, etc.

    L'inspectrice, parce qu'elle est féministe, veut aller au plus profond des détails pour pincer l'éventuel auteur d'agressions sexuelles voire de viols. Elle admet d'ailleurs que pour la victime, il vaut mieux être violée de façon violente en pleine rue que subir des attouchements sexuels par des personnes familières dans un lieu privé, parce que ce sera beaucoup plus facile à prouver.

    La première des réactions, dans ce genre d'affaire (agression sexuelle voire viol), c'est de se focaliser sur la victime et pas sur le prédateur présumé. Et de trouver des éléments chez la victime que son infortune était la conséquence de sa vie et cela, pour se dire qu'on n'est pas comme la victime et donc, que ça ne peut pas arriver à soi : « N'est-ce pas dans la nature humaine que de toujours rejeter la faute sur la victime ? ».

    Et pourtant, parfois, les victimes ne disent pas exactement la vérité : « Impossible pour [les policiers] d'affirmer que les victimes ne racontent jamais toute la vérité, parce que cela reviendrait à les traiter de menteuses. Or, elles ne mentent pas, elles tentent de se protéger. Se préparent à affronter le scepticisme. Anticipent déjà toutes les attaques à venir, se forgent un bouclier. ».

    L'animatrice de télévision donne aussi les différentes étapes dans ce genre d'affaire : « La première réaction de l'opinion publique, c'est toujours de jeter le discrédit sur la femme, parce que la société ne veut pas admettre que de telles horreurs se produisent. Alors, en réaction, les féministes convaincues ont décrété qu'il fallait croire toutes les femmes, chaque fois. ».

    Féministe, l'animatrice est d'accord avec cette réaction : « C'est vrai, a-t-elle admis, je suis toujours la première à défendre les femmes dans les cas d'agression sexuelle où tout repose sur la parole de l'un contre celle de l'autre. Parce que, dans quatre-vingt-dix-neuf pour cent des cas, elles disent la vérité, et que c'est une terrible épreuve pour elles d'en parler. Elles se retrouvent jugées, stigmatisées, blâmées, critiquées. ».

    Et dans une affaire de viol, cela retombe toujours sur la même question : « Quelles que soient les allégations de cette fille, ce sera sa parole contre celle de [l'accusé]. Or l'accusation a besoin d'éléments concrets. Et même s'il peut s'appuyer sur l'ADN, le procureur doit démontrer que la relation n'était pas consentie. ».

    Mais justement, des petits détails peuvent faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre pour la police. Ainsi, dans ce roman, la policière va voir de façon informelle l'accusé qui ne sait pas encore qu'il est aussi accusé de viol par une seconde femme (il est juste accusé de harcèlement sexuel par une première femme). La policière lui demande alors s'il a eu des relations sexuelles avec cette seconde femme et ce dernier, au lieu de refuser de répondre sans son avocat, fait l'erreur de dire qu'il n'a pas eu de relations sexuelles, sans savoir que la seconde femme avait gardé intacte sa robe avec des traces de lui. Avoir des relations sexuelles ne confirme pas forcément le viol, car ces relations peuvent être consenties, mais mentir sur la réalité des rapports sexuels (même pour éviter d'en informer son épouse), c'est jeter un discrédit sur tout ce qu'il va affirmer.

    A contrario, la policière garde aussi des détails sur l'accusatrice qui lui demande une heure avant de passer chez elle, le temps de faire un peu de ménage : « [La policière] venait déjà de découvrir quelque chose à propos de [l'accusatrice] : c'était le genre de personne qui pensait à remettre de l'ordre chez elle avant de recevoir un policier pour dénoncer des actes de harcèlement sexuel. En soi, ça ne signifiait rien, pourtant [l'inspectrice] remisa soigneusement ce détail dans un coin de sa tête, parce qu'elle aimait à penser que rien ne lui échappait. ».

    Bref, ce roman est très intéressant pour comprendre la mécanique des accusations, des défenses et des jugements. Plus rien de mal ne doit rester impuni. Mais reste à se mettre d'accord sur ce qui est mal, sur ce qui est un mauvais comportement, un comportement inapproprié. L'homme est décidément détrôné, dans cette société qui se transforme à vive allure.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (25 mai 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    "Un Couple irréprochable" (2018) d'Alafair Burke.
    Édouard Baer.
    Lucien Neuwirth.
    Le vote des femmes en France.
    Femmes, je vous aime !
    Ni claque ni fessée aux enfants, ni violences conjugales !
    Violences conjugales : le massacre des femmes continue.
    L'IVG dans la Constitution (3) : Emmanuel Macron en fait-il trop ?
    Discours du Président Emmanuel Macron le 8 mars 2024, place Vendôme à Paris, sur l'IVG (texte intégral et vidéo).
    L'IVG dans la Constitution (2) : haute tenue !
    L'IVG dans la Constitution (1) : l'émotion en Congrès.
    La convocation du Parlement en Congrès pour l'IVG.
    L'inscription de l'IVG dans la Constitution ?
    Simone Veil, l’avortement, hier et aujourd’hui…
    L’avortement et Simone Veil.
    Le fœtus est-il une personne à part entière ?
    Le mariage pour tous, 10 ans plus tard.
    Rapport 2023 de SOS Homophobie (à télécharger).
    Six ans plus tard.
    Mariage lesbien à Nancy.
    Mariage posthume, mariage "nécrophile" ? et pourquoi pas entre homosexuels ?
    Mariage annulé : le scandaleux jugement en faveur de la virginité des jeunes mariées.
    Ciel gris sur les mariages.

    Les 20 ans du PACS.
    Ces gens-là.
    L’homosexualité, une maladie occidentale ?
    Le coming out d’une star de la culture.
    Transgenres adolescentes en Suède : la génération sacrifiée.
    PMA : la levée de l’anonymat du donneur.
    La PMA pour toutes les femmes.

     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240523-edouard-baer.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/edouard-baer-mis-en-accusation-254809

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/05/26/article-sr-20240523-edouard-baer.html


     

  • Marie-France Garaud et une certaine idée de la France

    « Nous sommes dans la situation où nous devons discuter les termes d'une nouvelle alliance dont la base serait une entente sur ce qui est essentiel, c'est-à-dire, la défense du monde libre, la défense des valeurs dans lesquelles nous croyons, qui nous sommes supérieures et que nous sommes chargés de défendre. » (Marie-France Garaud, le 15 avril 1981).




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    On apprend que Marie-France Garaud vient de s'éteindre ce mercredi 22 mai 2024. Elle avait eu 90 ans il y a près de trois mois, et sa santé était déclinante depuis quelques années. Il est difficile d'évoquer son souvenir dans l'histoire politique de notre pays car je ressens un double sentiment contradictoire : j'ai énormément de respect pour elle, son intelligence, son audace, son courage, sa ténacité et son désintéressement, mais il faut convenir que je n'ai pas du tout les mêmes convictions. Certes, l'amour de la France et vouloir sa grandeur nous unissaient, mais pour savoir quoi faire pour préserver la grandeur de la France, nous n'avions à l'évidence pas les mêmes options.

    Elle, elle prônait l'idéalisme dans une sorte de mythe gaulliste qui n'a jamais eu lieu. C'était du Zemmour puissance dix. Ce n'était pas : dans les années 1970, c'était mieux ! Car la Marie-France, elle ne supportait plus le RPR et le Jacques Chirac qui l'avait quittée honteusement pour préférer l'ambition aux convictions, selon elle. Elle, c'était peut-être les (fausses) images d'Épinal de De Gaulle en juin 1940, ou encore en septembre 1958, invoquant et incarnant la France. Elle était contre la globalisation, mais dire cela est assez inefficace sur que faire. C'est comme se dire contre la maladie, contre la guerre, contre les mauvaises choses qui nous arrivent. (Et pourtant, Marie-France Garaud n'est venue au gaullisme que tardivement car, séduite par Pierre Mendès France, elle avait voté non le 28 septembre 1958 au référendum sur la Cinquième République, et son zèle prétendu ultragaulliste venait qu'elle était une convertie récente).

    La globalisations des échanges (personnes et biens) est pour moi une chance pour la culture, pour l'économie, pour l'innovation, pour la curiosité intellectuelle, mais dans tous les cas, qu'on la veuille ou pas, elle est là, et personne ne peut l'empêcher d'être. Ou alors, il ne resterait qu'une solution, devenir un pays replié sur lui-même, il n'y en pas plus beaucoup, peut-être la Corée du Nord (et encore !).

    Et puis, il y a une autre réaction, celle de dire : la France n'est plus une puissance mondiale de premier ordre, c'est ainsi, c'est dommage, c'est regrettable mais à 70 millions d'habitants, on ne vaut pas grand-chose face au milliard d'habitants de l'Inde et de la Chine ou aux centaines de millions des États-Unis. Le seul moyen de maintenir une influence dans le monde, de préserver notre puissance nationale, c'est de changer d'échelle, de construire l'Europe avec un bloc de près de 500 millions d'habitants. L'Europe, c'est du pragmatisme, adopté dès son retour au pouvoir par De Gaulle lui-même qui a appliqué les premières années du Traité de Rome (il aurait pu le mettre à la poubelle). Emmanuel Macron est dans cette continuation de vouloir garder la France au top niveau, d'en faire un pays attractif pour ses investissements, son innovation, sa culture. Refuser la compétition internationale, c'est renoncer au combat, c'est admettre sans combattre que la France ne vaut plus rien, n'est plus capable d'être une puissance. Ce n'est pas une réaction de patriote.

    Alors, oui, Marie-France Garaud s'est fourvoyée, à mon sens, dans une sorte de nostalgie de grandeurs impossibles. Quand elle a voté pour Marine Le Pen en 2017, elle l'a fait, selon elle, pour refuser que les Allemands nous dictent leur loi. Au lieu de quoi, en votant pour Marine Le Pen, elle préférait que ce fussent les Russes qui nous dictent leur loi.

    Et pourtant, ce n'était pas faute d'être méfiante avec la Russie. Lorsqu'elle a été candidate à l'élection présidentielle de 1981, son allocution pour la campagne officielle était très claire, le 15 avril 1981 : « Ce soir (…), je veux vous parler de quelque chose qui sans doute est plus difficile mais qui me paraît dominer le reste. Parce que, je crois qu'il faut bien s'en rendre compte, nous sommes confrontés à un défi qui nous est imposé par une puissance étrangère, qui est l'Union Soviétique. Ce défi est fantastique. C'est le défi du communisme. Il met en cause notre liberté en tant qu'êtres humains et en tant que Français. Saurons-nous le relever ? De la réponse à cette question dépendent toutes les autres. Selon que nous serons libres ou pas, nous pourrons décider de notre avenir, nous pourrons décider des moyens et des politiques que nous voulons adopter, ou nous ne le pourrons pas. ».

    Elle n'avait pas vu venir l'écroulement comme un château de cartes de l'URSS en 1989-1991. Mais elle avait vu juste sur l'annexion inacceptable (c'étaient ses mots) de l'Afghanistan par l'URSS : « [Les Soviétiques] se sont réarmés, ils ont envahi l'Afghanistan et ils ont avancé dans deux directions qu'ils ont très clairement définies : le Golfe pour nous priver du pétrole et l'Afrique par Libye et Cuba interposés, pour nous priver des matières premières. ».

    Elle a ainsi reproché à Valéry Giscard d'Estaing d'être allé à Varsovie le 19 mai 1980 rencontrer Brejnev : « Ce qui s'est dit à Varsovie, mais ça n'a aucune espèce d'importance. Ce qui est versé dans les archives que nous pourrons lire dans trente ans, n'a aucun intérêt. Le fait politique, ce n'est pas le contenu de la conversation. C'est le fait d'aller à Varsovie. C'est le fait qu'après une invasion déclarée inacceptable, le chef d'État d'un des pays champions de la liberté se rende dans une démocratie populaire, rendre visite à l'agresseur sous la garde des autorités militaires soviétiques. Ça, c'est un fait qui a une double signification. D'une part, nous nous sommes désolidarisés d'avec le monde libre, et d'autre part, nous avons accepté ce que nous avions déclaré inacceptable. ».

    Et de décrire ce que finalement Emmanuel Macron a fait à propos de l'Ukraine en faisant jouer les rapports de forces : « Il aurait fallu réunir autour de nous nos alliés (…). Il aurait été notre devoir de leur donner force, courage et unité pour que le monde libre puisse parler d'une seule voix, et dire ce qui était permis et ce qui était défendu, et que ce qui était défendu serait sanctionné. (…) Vous savez, non seulement la politique est une question de relations de forces, mais lorsqu'on est dans une situation de force, même relative, comme celle que je viens d'évoquer, il faut l'exploiter. C'est cela la vie politique, comme la vie tout court. ». C'était en effet sa conception de la vie politique.


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    Conseillère des coups tordus de Georges Pompidou, à Matignon puis à l'Élysée, puis de Jacques Chirac jusqu'à ce qu'il l'ait "répudiée" en 1979, Marie-France Garaud s'est en effet présentée à l'élection présidentielle de 1981. Comme neuf candidats sur dix, elle a fait du "Giscard bashing" (le mot n'existait pas encore dans la tête des journalistes), ce qui était assez normal pour un Président de la République sortant : « Comment ne comprend-il pas que si je critique sa politique étrangère, ce n'est pas pour abaisser la France. Au contraire, c'est parce que je pense que la politique qu'il mène conduit à un abaissement de notre pays. Oh, je ne dis pas du tout qu'il l'ait voulu ni qu'il l'ait souhaité, ni même qu'il l'ait consenti. Je pense qu'il est plein de bonnes intentions, mais je pense qu'il s'est trompé. Et je pense qu'il s'est trompé par orgueil. Il s'est cru plus intelligent que les autres, et en particulier, plus intelligent que les autres chefs d'État. Il s'est fait des illusions. Il s'est fait des illusions sur la détente. Il s'est fait des illusions sur l'Europe. Il s'est fait des illusions sur le Tiers-monde. ».

    On peut pourtant constater, avec quarante-trois ans de recul, que Valéry Giscard d'Estaing, au contraire, avait vu juste, en proposant l'élection au suffrage universel direct du Parlement Européen (elle-même a été candidate !), en proposant que les chefs d'État et de gouvernement se réunissent régulièrement en Conseils Européens, en proposant la création du G7 pour tenter d'harmoniser une politique monétaire mondiale qui nous était jusque-là très défavorable.

    On a l'impression que les opposants à Emmanuel Macron recopient presque mots pour mots l'amertume au venin de Marie-France Garaud dont le combat contre le communisme est devenu le combat contre l'Europe, sans voir aucune contradiction que son seul mandat électif était d'être élue députée européenne en 1999 sur la liste improbable de Charles Pasqua et Philippe de Villiers.

    Au-delà de sa puissance d'analyse hors du commun (malheureusement mal utilisée) et de sa ténacité (je l'ai vue à l'œuvre il y a moins d'une dizaine d'années encore discuter avec des souverainistes dans un couloir et sa passion restait intacte malgré l'âge), Marie-France Garaud, une grande amie de Simone Veil, était aussi une femme politique moderne. En fait moins politique que femme. Si elle, la haute-fonctionnaire, à la Cour des Comptes puis au Conseil d'État, n'a pas été au pouvoir, comme ministre, c'était parce qu'elle ne le voulait pas (justement, VGE le lui avait proposé en 1974), elle préférait rester dans les coulisses au service d'un candidat. Elle ne se voyait pas, pour paraphraser Charles Aznavour, en haut de l'affiche, en dix fois plus gros que n'importe qui... car elle préférait conseiller, influencer à exercer le pouvoir (du reste, c'était aussi la personnalité de Jean Monnet).

    Mais quand elle a perdu son candidat, elle n'a pas hésité à se présenter elle-même à l'élection présidentielle (à l'époque, c'était très rare, Arlette Laguiller l'avait fait avant elle en 1974 et Huguette Bouchardeau l'a fait en même temps qu'elle en 1981), et elle l'a fait très bien, avec autorité et crédibilité (elle a quand même obtenu 1,3% sur tout le pays), surtout, sans faire prévaloir sa féminité comme cela a été le cas dans les années 2000. Il faut dire que, malin, François Mitterrand (qui n'était pas encore élu), a aidé Marie-France Garaud à recueillir les 500 parrainages nécessaires (Jean-Marie Le Pen n'a pas pu atteindre cet objectif en 1981) afin de renforcer la division des voix dans le camp du centre droit.

    La voix de Marie-France Garaud s'était déjà un peu tue il y a quelques années et ses leçons de morale manquaient déjà à la classe politique. La grande dame vient de partir sur la pointe des pieds. Elle entre maintenant dans le grand livre d'histoire de France, celui des petites histoire comme celui de la grande histoire.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (23 mai 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Marie-France Garaud.
    Marie-la-France.
    Texte intégral de l’Appel de Cochin communiqué par Jacques Chirac le 6 décembre 1978.
    Souverainiste sous venin.
    De Gaulle.
    Jean Foyer.
    Simone Veil.
    Georges Pompidou.
    Jacques Chaban-Delmas.
    Jacques Chirac.
    Pierre Messmer.
    Valéry Giscard d’Estaing.
    Pierre Juillet.







    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240522-marie-france-garaud.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/marie-france-garaud-et-une-254807

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/05/23/article-sr-20240522-marie-france-garaud.html




  • La mort d'Ebrahim Raïssi, le boucher de Téhéran, confirmée

    « Il sera difficile de trouver pire qu'Ebrahim Raïssi. » (Tamir Hayman, le 20 mai 2024, "Jerusalem Post").



     

     
     


    Il n'y a pas de justice dans l'histoire du monde et la succession plus ou moins chaotique des événements. Pour autant, la mort confirmée ce lundi 20 mai 2024 du Président de la République islamique d'Iran Ebrahim Raïssi (63 ans), considéré comme un ultra-dur du régime théocratique et surnommé le boucher de Téhéran, ne fera pas pleurer tous ceux qui, en Iran, ont été ses victimes depuis plus de trente-cinq ans.

    Donné comme le successeur potentiel de l'ayatollah Ali Khamenei (qui vient d'avoir 85 ans le 19 avril dernier), Guide Suprême de la Révolution islamique depuis le 4 mai 1989 (succédant à Rouhollah Khomeini) et à ce titre, le véritable maître de l'Iran, Ebrahim Raïssi, Président de la République depuis le 3 août 2021, avait été l'un des juges les plus cruels à partir de 1985 comme procureur adjoint de Téhéran, condamnant à mort à tour de bras les opposants au régime en 1988. Depuis son arrivée au pouvoir, le régime s'était durci, multipliant condamnations à mort et exécutions, renforçant la chasse aux femmes refusant de se voiler en intensifiant l'action de la police des mœurs, et menant aussi un programme d'enrichissement de l'uranium qui a de quoi inquiéter l'ensemble de la planète.

    L'annonce de la mort d'Ebrahim Raïssi s'est faite en deux temps. Le 19 mai 2024, on a annoncé la disparition de l'hélicoptère présidentiel en raison d'un « incident d'atterrissage brutal ». Les conditions météorologiques auraient empêché de localiser rapidement l'appareil (la zone est une forêt sous pluie et brouillard). Le 20 mai 2024, l'épave de l'hélicoptère a été identifiée et la mort d'Ebrahim Raïssi confirmée. Il était accompagné dans son infortune fatale de huit autres personnes dont Hossein Amir Adbollahian (60 ans), le Ministre iranien des Affaires étrangères, Malek Rahmati (42 ans), le nouveau gouverneur de la province de l'Azerbaïdjan oriental (en Iran), Mohammad Ali Ale-Hashem, le représentant du guide suprême dans cette province, ainsi que deux gardes du corps et trois membres d'équipages, qui, eux non plus, n'ont pas survécu à l'accident (certains corps, toutefois, brûlés, n'ont pas pu être identifiés).

     

     
     


    Ebrahim Raïssi venait de quitter son homologue Ilham Aliyev, Président de la République d'Azerbaïdjan depuis le 31 octobre 2003, rencontré le 19 mai 2024 à la frontière entre les deux pays, près de Djolfa. Peu avant, les deux chefs d'État avaient inauguré le nouveau barrage hydroélectrique de Qiz Qalasi, en Azerbaïdjan. L'hélicoptère présidentiel devait se rendre à Tabriz, la capitale de la province iranienne d'Azerbaïdjan oriental. Il se serait écrasé près de la mine de cuivre de Sungun ou dans la forêt de Dizmar, entre Ozi et Khoineroud.

    Alors que, dans la nuit du 19 au 20 mai 2024, le guide suprême a recommandé au peuple de prier pour la santé d'Ebrahim Raïssi, ce furent souvent, au contraire, des explosions de joie qui ont accueilli l'annonce de l'accident et de la mort probable de ce Président sanguinaire. En particulier, des feux d'artifice ont été lancés pour se réjouir de cette information à Saqqez, la ville de la jeune étudiante d'origine kurde Jina Mahsa Amini, tuée à près de 22 ans le 16 septembre 2022 par la police des mœurs alors qu'elle avait été arrêtée pour « port de vêtements inappropriés ». Le Président Emmanuel Macron a d'ailleurs rencontré Ebrahim Raïssi le 20 septembre 2022, en marge de l'Assemblée Générale de l'ONU, pour déplorer cette mort et évoquer le programme nucléaire iranien.

     

     
     


    Considéré comme le dauphin d'Ali Khamenei, Ebrahim Raïssi a été élu Président de la République islamique d'Iran le 18 juin 2021 pour succéder à Hassan Rohani, qui ne pouvait plus se représenter. Aucun candidat réformiste n'ayant été autorisé à se présenter (pour éviter l'échec de l'élection précédente), Ebrahim Raïssi, sans surprise, a été élu dès le premier tour avec 72,4% des voix, mais avec une très faible participation (seulement 48,8% des inscrits). Ebrahim Raïssi avait effectivement déjà présenté sa candidature à l'élection présidentielle du 19 mai 2017, mais il avait été battu avec 38,3% des voix dès le premier tour par le Président sortant Hassan Rohani 57,1% (avec 73,3% de participation).

    Lors de l'élection en 2021, Amnesty International avait réclamé une enquête sur Ebrahim Raïssi pour crimes contre l'humanité pour avoir pris part à l'exécution massive et à la disparition de plusieurs milliers d'opposants en 1988, parfois hors de toute procédure judiciaire.


    Soutien indéfectible de Vladimir Poutine dans sa tentative d'invasion contre l'Ukraine, Ebrahim Raïssi a attaqué directement l'État d'Israël par l'envoi de plus de 330 drones et missiles dans la nuit du 13 au 14 avril 2024, en riposte au bombardement du consulat iranien à Damas par Israël qui a tué le général iranien Mohammad Reza Zahedi, l'un des principaux organisateurs du massacre du 7 octobre 2023 par les terroristes du Hamas. Le Président iranien a également intensifié son soutien au Hamas, au Hezbollah au Liban ainsi qu'au mouvement Houthi au Yémen.

    Le Premier Vice-Président Mohammad Mokhber (68 ans) succède donc à Ebrahim Raïssi pour assurer l'intérim et organiser dans les cinquante jours une nouvelle élection présidentielle. Avec cette mort, les conservateurs sont en crise, et "The Economist" voit dans celle-ci l'occasion pour Ali Khamenei de désigner son propre fils Mojtaba Khamenei comme successeur. Le prochain guide suprême devrait être formellement désigné par les 88 membres de l'Assemblée des experts élus en mars 2024 (ou leurs successeurs).


    Le "Jerusalem Post" a cité, le 20 mai 2024, l'ancien chef du renseignement de Tsahal, Tamir Hayman, pour qui « il sera difficile de trouver pire qu'Ebrahim Raïssi » pour lui succéder. Sa mort n'est donc pas sans importance politique en Iran puisqu'il devait aussi succéder au guide suprême. C'est donc pour le peuple iranien un véritable soulagement et il n'a pas hésité à exprimer sa joie. Les bourreaux n'ont jamais bonne presse... même à titre posthume.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (20 mai 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Ebrahim Raïssi.
    Khosro Besharat.
    Mobilisons-nous pour Toomaj Salehi !
    Fatwa de mort contre Salman Rushdie.
    Alireza Akbari.
    Mehran Karimi Nasseri.
    Claude Malhuret contre la mollarchie.
    Mahsa Amini, les femmes iraniennes, leur liberté et Claude Malhuret.
    Révolution : du rêve républicain à l’enfer théocratique de Bani Sadr.
    L'Iran de Bani Sadr.
    De quoi fouetter un Shah (18 février 2009).
    N’oubliez pas le Guide (20 février 2009).
    Incompréhensions américaines (1) et (2).
    Émission de France 3 "L’Iran et l’Occident" (17-18 février 2009).
    Session de septembre 2006 à l’ONU : Bush, Ahmadinejad, Chirac.
    Dennis Ross et les Iraniens.
    Un émissaire français à Téhéran.
    Gérard Araud.
    Stanislas de Laboulaye.
    Des opposants exécutés par pendaison en Iran.
    Expulsion de Vakili Rad, assassin de Chapour Bakhtiar, dernier Premier Ministre du Shah d'Iran, par Brice Hortefeux à la suite du retour de l'étudiante Clotilde Reiss.
    Mort de l'ancien Premier Ministre iranien Mohammad Reza Mahdavi-Kani à 83 ans le 21 octobre 2014.

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240520-ebrahim-raissi.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/la-mort-d-ebrahim-raissi-le-254757

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/05/20/article-sr-20240520-ebrahim-raissi.html



     

  • "Un Couple irréprochable" d'Alafair Burke

    « Vous vous rendez compte qu'il y a douze sujets en un là, il y a douze prises de parole différentes, il y a des scandales. Tout est différent. Il y a des saloperies, il y a des malentendus… Je pense que c'est les médias qui réunissent tout ça dans une grande cause d'époque. » (Édouard Baer, le 12 mai 2024 sur France 2).


     

     
     


    Très déstabilisé, Édouard Baer répondait le dimanche 12 mai 2024 à cette question de Laurent Delahousse dans le journal de 20 heures de France 2 : « Est-ce que vous considérez que les hommes ne parlent pas assez, ne défendent pas assez ou n'expriment pas une sorte de mea culpa ? ». L'invité, venu pour promouvoir son nouveau spectacle "Ma candidature", n'était pas n'importe qui.

    En effet, Édouard Baer, à 57 ans, est l'un des acteurs les plus "bankables" de France, comme on dit. Acteur, réalisateur de cinéma, metteur en scène de théâtre, animateur et producteur de télévision et de radio, on le voit et l'entend partout. Initié à la comédie par la savoureuse Isabelle Nanty, sa prof d'art dramatique au cours Florent, il a eu un parcours artistique très flatteur, couronné déjà par un Molière en 2001 (et deux nominations) et par trois nominations aux Césars.

    Pourquoi l'acteur était-il si gêné de parler de MeToo à la veille du Festival de Cannes ? Peut-être parce qu'il avait été mis au courant qu'un article incendiaire allait être publié par Mediapart ce jeudi 23 mai 2024. L'article d'Amine Abdelli et Julia Tissier commence d'ailleurs par ce malaise au 20 heures : « Confus et visiblement mal à l’aise, le comédien fronce les sourcils, bafouille et s’embourbe. Lui, le pro de l’impro, apparaît soudainement déstabilisé. ».

    Pas étonnant de bafouiller autant quand on sait qu'il va être mis sur le grill de la vindicte populaire par six femmes qui ont été contactées depuis plusieurs mois par Mediapart et qui, dans cet article, accusent Édouard Baer de harcèlement sexuel et d'agressions sexuelles. L'article précise : « Elles livrent le récit de faits de harcèlement et d’agressions sexuelles sur une période s’étalant de 2013 à 2021 (…), majoritairement dans des contextes professionnels », à savoir son bureau parisien, quand il est au théâtre, ou dans les stations de radio, quand il est animateur, c'est-à-dire à Radio Nova puis à France Inter.
     

     
     


    Le journal "Le Monde", qui en rend compte avec l'AFP, explique : « Selon l’une de ces femmes, Édouard Baer aurait pris son "sein gauche avec sa main" dans un ascenseur. Une autre l’accuse de lui avoir touché "les seins à plusieurs reprises", de l’avoir "prise par la taille" et d’avoir "posé sa main sur [s]es fesses". "Il essaie de m’embrasser dans le cou et sur la bouche. Je le repousse", selon les propos rapportés d’une autre. Certaines évoquent des sollicitations répétées, des compliments insistants sur leur physique. L’une explique ne pas avoir porté plainte car elle a pensé que ce serait "sa parole contre la [s]ienne". ».

    Aucune de ces six femmes, âgées d'une vingtaine d'années au moment des faits et qui ont voulu rester anonymes dans leur témoignage, n'a déposé plainte (à ce jour). J'ajoute que dans l'entourage d'une des radios, l'information n'était pas connue même sous forme de rumeur et certains ont été étonnés de l'apprendre.

    Comme est étonné Édouard Baer lui-même qui a rapidement publié, en réponse à l'article, un communiqué d'incompréhension mais aussi d'excuses : « C’est avec stupeur et une grande tristesse que je découvre les témoignages que vous me rapportez. Je ne me reconnais pas dans les mots ou les gestes qui me sont attribués, mais je ne peux qu’exprimer mes regrets que mon comportement ait mis mal à l’aise ou blessé ces femmes. Je n’ai pas eu l’intelligence de le percevoir. J’en suis profondément désolé. Je n’ai jamais cherché à les heurter intentionnellement. Je leur présente toutes mes excuses. ».

    Si on résume grossièrement le message, c'est ceci : j'ai été assez lourd dans mon approche, aucune ne m'a dit que j'allais trop loin et je m'en veux de ne pas l'avoir vu moi-même, désolé. Dans ce genre d'affaire, on peut supposer que les deux parties, les six femmes, d'un côté, et l'acteur, de l'autre côté, sont complètement sincères. Il faut aussi comprendre qu'Édouard Baer est une grande star qui a fasciné ces six femmes qui ont à peine commencé leur vie active. On peut imaginer qu'il leur était difficile, sans être dotée une personnalité très forte, de rejeter les éventuels gestes déplacés.

    La réponse rapide et finalement assez humble (présentant ses excuses) d'Édouard Baer plaide plutôt en sa faveur, ou du moins, pour sa sincérité. Il ne nie pas les éventuels faits sans les reconnaître précisément car il y a plusieurs faits, et la réponse reste assez floue. Ce n'est pas comme Gérard Depardieu ou même comme Patrick Poivre d'Arvor qui, à ma connaissance (sous réserve que je ne me trompe pas, je ne suis peut-être pas en possession d'informations plus récentes), ne reconnaissaient pas les faits et surtout, ne présentaient pas leurs excuses à leurs (nombreuses) accusatrices.

    Évidemment, un vieil article de la journaliste Josyane Savigneau publié le 5 novembre 2016 dans "Le Monde" revient en pleine figure d'Édouard Baer. À l'origine, la journaliste voulait faire la promotion de l'acteur redevenu animateur à Radio Nova, responsable de la matinale depuis le 10 octobre 2016. Mais elle s'est sentie très mal accueillie à son arrivée à 6 heures 45 un jour d'octobre 2016, « victime des humeurs du présentateur vedette », si bien qu'elle a exprimé sa colère : « D’emblée il est odieux. Furieux qu’on ait osé désobéir, il aurait exigé qu’on ne vienne qu’à 7h30, il insiste haut et fort : il n’a rien demandé, on a omis de le prévenir, on lui pourrit la vie, on va lui faire rater son émission, qu’on dégage. Avec plaisir. Dans une vie de journaliste, il arrive parfois que l’on rencontre, c’est fatal, des gens désagréables. À ce point d’arrogance et de mépris, c’est plus que rare. Morale de l’histoire : quand on remplace les journalistes par des stars, on s’expose à ce genre de caprices. ».

     

     
     


    Ce qui n'a pas empêché la journaliste d'en dire aussi du bien (il faut dire que Matthieu Pigasse, actionnaire du "Monde", venait de racheter Radio Nova) : « On retrouve avec plaisir la voix de Baer, son ton décalé, ses improvisations bienvenues, son accueil chaleureux des participants. ». Et de terminer sur l'avis du nouveau patron : « Matthieu Pigasse se félicite de la réussite de la matinale et de l’idée de Bernard Zekri de faire appel à Édouard Baer, "tant Nova et Édouard se correspondent : les 3 C, Culture, Curiosité d’esprit, Carrefour d’échanges". "Elle incarne ce que nous voulons être et faire, précise-t-il : refuser le repli sur soi, être ouverts à tous, donner du sens et s’engager par la culture". ». Édouard Baer a quitté Radio Nova pour France Inter en 2018 (jusqu'en 2022, il me semble).

    Pour l'heure, Édouard Baer, qui avait un spectacle à Romans-sur-Isère le vendredi 24 mai 2024 à 20 heures (au théâtre des Cordeliers), l'a maintenu. Le problème qu'il n'y ait pas de dépôt de plainte, c'est de transférer cette affaire du tribunal correctionnel au tribunal médiatique, avec tous les excès que cela peut entraîner, notamment dans les réseaux (a)sociaux. Comme je ne sais que penser des accusatrices sincères et d'un supposé prédateur sexuel qui s'ignorerait et qui affirme que ce n'est pas du tout lui, et n'étant pas juge, je ne peux faire aucun commentaire de soutien aux unes ou à l'autre.
     

     
     


    En revanche, ce problème récurrent depuis quelques années (MeToo date de 2018) où des femmes (en général) accusent (parfois plusieurs décennies après les faits) une personnalité (généralement très connue) dans des milieux bien définis (cinéma, sports, médias audiovisuels, etc.) de divers faits allant du simple geste déplacé (voire maladroit) jusqu'au crime (le viol), en passant par des agressions sexuelles ou du harcèlement sexuel (qui sont des délits), est souvent insoluble quand il n'y a aucune preuve (car il faut que la victime prouve l'absence de consentement, ce qui est très difficile). Alors, c'est parole contre parole, et un juge, si cela arrive à la suite du dépôt d'une plainte, ne pourra pas condamner si le doute persiste (principe général du droit). D'un côté, il faut écouter les victimes, les femmes, ou du moins qu'elles soient écoutées, de l'autre, il ne faut pas détruire la réputation d'une personne qui serait injustement accusée (dans l'affaire d'Outreau, une personne injustement accusée s'est même suicidée). C'est du tout ou rien. Ou salaud, ou salopes, en quelque sorte.

    Un livre explique très bien ce problème. Il s'agit d'un roman d'une ancienne procureure américaine qui a fait non seulement des études de droit mais avant, des études de psychologie et qui s'est recyclée dans l'écriture de romans à succès. Alafair Burke a en effet publié en 2018 un très bon roman "Un Couple irréprochable" (en anglais "The Wife"), dont le sujet principal est cette accusation contre une personnalité médiatique.


    L'histoire est celle-ci, et racontée selon le point de vue de l'épouse (mère au foyer) d'un économiste qui, au-delà de donner des cours d'économie à l'université, a écrit un livre devenu best-seller, ce qui lui a donné gloire, fortune et notoriété (il a créé un cabinet de conseil en entreprises et il est invité très fréquemment à la télévision pour donner son avis). Et son expertise, c'est l'éthique dans les entreprises, et sa parole est d'or car il fait et défait des réputations d'entreprises auprès de leurs investisseurs. (L'homme accusé est un parangon de l'éthique, comme Édouard Baer considéré ouvert, sympa).

    Et puis soudain, une stagiaire l'accuse de gestes déplacés en déposant plainte. Plus tard, une autre femme avec qui il est en contact sur le plan professionnel l'accuse carrément de viol. L'affaire est suivie par une inspectrice de police spécialisée dans ce domaine (l'Unité spéciale des victimes). Il y a aussi la réaction du procureur adjoint qui ne veut poursuivre que lorsqu'il y a de fortes suspicions de culpabilité, d'autant plus que ce prévenu serait une personnalité célèbre. Comme l'auteure du roman est une spécialiste du droit, cela permet aussi de voir comment fonctionne la justice et la police (ici américaines) dans les coulisses face à une telle affaire. Interviennent aussi dans l'histoire une animatrice de télévision féministe (et amie de l'accusé), une avocate exigeante, etc.

    L'inspectrice, parce qu'elle est féministe, veut aller au plus profond des détails pour pincer l'éventuel auteur d'agressions sexuelles voire de viols. Elle admet d'ailleurs que pour la victime, il vaut mieux être violée de façon violente en pleine rue que subir des attouchements sexuels par des personnes familières dans un lieu privé, parce que ce sera beaucoup plus facile à prouver.

    La première des réactions, dans ce genre d'affaire (agression sexuelle voire viol), c'est de se focaliser sur la victime et pas sur le prédateur présumé. Et de trouver des éléments chez la victime que son infortune était la conséquence de sa vie et cela, pour se dire qu'on n'est pas comme la victime et donc, que ça ne peut pas arriver à soi : « N'est-ce pas dans la nature humaine que de toujours rejeter la faute sur la victime ? ».

    Et pourtant, parfois, les victimes ne disent pas exactement la vérité : « Impossible pour [les policiers] d'affirmer que les victimes ne racontent jamais toute la vérité, parce que cela reviendrait à les traiter de menteuses. Or, elles ne mentent pas, elles tentent de se protéger. Se préparent à affronter le scepticisme. Anticipent déjà toutes les attaques à venir, se forgent un bouclier. ».

    L'animatrice de télévision donne aussi les différentes étapes dans ce genre d'affaire : « La première réaction de l'opinion publique, c'est toujours de jeter le discrédit sur la femme, parce que la société ne veut pas admettre que de telles horreurs se produisent. Alors, en réaction, les féministes convaincues ont décrété qu'il fallait croire toutes les femmes, chaque fois. ».

    Féministe, l'animatrice est d'accord avec cette réaction : « C'est vrai, a-t-elle admis, je suis toujours la première à défendre les femmes dans les cas d'agression sexuelle où tout repose sur la parole de l'un contre celle de l'autre. Parce que, dans quatre-vingt-dix-neuf pour cent des cas, elles disent la vérité, et que c'est une terrible épreuve pour elles d'en parler. Elles se retrouvent jugées, stigmatisées, blâmées, critiquées. ».

    Et dans une affaire de viol, cela retombe toujours sur la même question : « Quelles que soient les allégations de cette fille, ce sera sa parole contre celle de [l'accusé]. Or l'accusation a besoin d'éléments concrets. Et même s'il peut s'appuyer sur l'ADN, le procureur doit démontrer que la relation n'était pas consentie. ».

    Mais justement, des petits détails peuvent faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre pour la police. Ainsi, dans ce roman, la policière va voir de façon informelle l'accusé qui ne sait pas encore qu'il est aussi accusé de viol par une seconde femme (il est juste accusé de harcèlement sexuel par une première femme). La policière lui demande alors s'il a eu des relations sexuelles avec cette seconde femme et ce dernier, au lieu de refuser de répondre sans son avocat, fait l'erreur de dire qu'il n'a pas eu de relations sexuelles, sans savoir que la seconde femme avait gardé intacte sa robe avec des traces de lui. Avoir des relations sexuelles ne confirme pas forcément le viol, car ces relations peuvent être consenties, mais mentir sur la réalité des rapports sexuels (même pour éviter d'en informer son épouse), c'est jeter un discrédit sur tout ce qu'il va affirmer.

    A contrario, la policière garde aussi des détails sur l'accusatrice qui lui demande une heure avant de passer chez elle, le temps de faire un peu de ménage : « [La policière] venait déjà de découvrir quelque chose à propos de [l'accusatrice] : c'était le genre de personne qui pensait à remettre de l'ordre chez elle avant de recevoir un policier pour dénoncer des actes de harcèlement sexuel. En soi, ça ne signifiait rien, pourtant [l'inspectrice] remisa soigneusement ce détail dans un coin de sa tête, parce qu'elle aimait à penser que rien ne lui échappait. ».

    Bref, ce roman est très intéressant pour comprendre la mécanique des accusations, des défenses et des jugements. Plus rien de mal ne doit rester impuni. Mais reste à se mettre d'accord sur ce qui est mal, sur ce qui est un mauvais comportement, un comportement inapproprié. L'homme est décidément détrôné, dans cette société qui se transforme à vive allure.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (25 mai 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    "Un Couple irréprochable" (2018) d'Alafair Burke.
    Édouard Baer.
    Lucien Neuwirth.
    Le vote des femmes en France.
    Femmes, je vous aime !
    Ni claque ni fessée aux enfants, ni violences conjugales !
    Violences conjugales : le massacre des femmes continue.
    L'IVG dans la Constitution (3) : Emmanuel Macron en fait-il trop ?
    Discours du Président Emmanuel Macron le 8 mars 2024, place Vendôme à Paris, sur l'IVG (texte intégral et vidéo).
    L'IVG dans la Constitution (2) : haute tenue !
    L'IVG dans la Constitution (1) : l'émotion en Congrès.
    La convocation du Parlement en Congrès pour l'IVG.
    L'inscription de l'IVG dans la Constitution ?
    Simone Veil, l’avortement, hier et aujourd’hui…
    L’avortement et Simone Veil.
    Le fœtus est-il une personne à part entière ?
    Le mariage pour tous, 10 ans plus tard.
    Rapport 2023 de SOS Homophobie (à télécharger).
    Six ans plus tard.
    Mariage lesbien à Nancy.
    Mariage posthume, mariage "nécrophile" ? et pourquoi pas entre homosexuels ?
    Mariage annulé : le scandaleux jugement en faveur de la virginité des jeunes mariées.
    Ciel gris sur les mariages.

    Les 20 ans du PACS.
    Ces gens-là.
    L’homosexualité, une maladie occidentale ?
    Le coming out d’une star de la culture.
    Transgenres adolescentes en Suède : la génération sacrifiée.
    PMA : la levée de l’anonymat du donneur.
    La PMA pour toutes les femmes.

     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240523-un-couple-irreprochable.html

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/05/27/article-sr-20240523-un-couple-irreprochable.html




     

  • Lucien Neuwirth alias Lulu la Pilule !

    « Nous estimons que l'heure est désormais venue de passer de la maternité accidentelle et due souvent au seul hasard, à une maternité consciente et pleinement responsable. » (Lucien Neuwirth, le 1er juillet 1967 dans l'hémicycle de l'Assemblée Nationale).



     

     
     


    Il y a 100 ans, le 18 mai 1924 à Saint-Étienne, est né le parlementaire gaulliste et résistant Lucien Neuwirth. Ce dernier est mort le 26 novembre 2013 à Paris, à l'hôpital Sainte-Perrine, d'une infection pulmonaire, à l'âge de 89 ans. À son enterrement le 29 novembre 2013 (à Paris, avant une seconde messe le 2 décembre 2013 à la cathédrale de Saint-Étienne dite par l'évêque), étaient présentes des personnalités aussi différentes politiquement que Bernard Debré, Antoine Rufenacht, Gérard Larcher, Charles Pasqua, Najat Vallaut-Balkacem, Roger-Gérard Schwartzenberg, Paul-Marie Couteaux, Patrick Ollier, Marisol Touraine, etc.

    Pourquoi un tel unanimisme politique pour la mémoire de Lucien Neuwirth ? Tout simplement parce que ce responsable politique gaulliste a eu une carrière politique absolument exemplaire... et malgré tout, il n'a jamais été ministre (ce qui a été un grand tort des gouvernements dits de droite). S'il fallait ne garder qu'une seule chose de son action, c'est bien sûr la loi n°67-1176 du 28 décembre 1967 relative à la régulation des naissances et abrogeant les articles L.648 et L.649 du code de la santé publique, dite loi Neuwirth, autrement dit, l'autorisation de la vente et de l'usage de pilule contraceptive. En ce sens, elle était la première loi sociétale avant la loi Veil, même s'il faut insister pour rappeler que la vraie première loi sociétale est l'ordonnance signée par De Gaulle qui a permis aux femmes de voter.

    Revenons d'abord à la trajectoire de Lucien Neuwirth et à ce que j'appellerais son baptême qui l'a consacré dans l'esprit de De Gaulle : fils d'une marchande de fourrure, Lucien Neuwirth était dans la boutique d'Yssingeaux (en Haute-Loire) le 18 juin 1940 (il avait 16 ans) quand il a entendu l'appel du 18 juin à la radio. Ce fut le coup de foudre : l'inconnu général disait exactement ce qu'il ressentait de la guerre, voyant passer tous les éclopés qui ont fui le pays vers le Sud à cause de l'avancée allemande. Il a voulu tout de suite le rejoindre à Londres, encouragé par sa mère (alors qu'en général, les parents freinaient ce genre d'ardeur dangereuse), mais il n'en a pas eu la possibilité matérielle immédiatement. En septembre 1940, il est retourné à Saint-Étienne où il est allé à la rencontre du rédacteur d'un article de journal qui voulait aussi résister. Autour de ce journaliste Jean Nocher et de lui, le groupe Espoir s'est créé pour diffuser un journal clandestin.

    Après l'arrestation de Jean Nocher en 1942, Lucien Neuwirth a décidé de rejoindre l'Espagne pour tenter de gagner le Portugal puis l'Angleterre. Par réseau, il a réussi à atteindre l'Ariège, puis a franchi la frontière espagnole en décembre 1942 (le passeur et le responsable de résistance de ces lieux furent par la suite arrêtés et fusillés). Mais il a été arrêté en Espagne par des gardes civils qui, en général, remettaient les prisonniers français aux Allemands. Heureusement, dans le camp de prisonniers, Lucien Neuwirth a fait la rencontre de deux ouvriers de Renault qui lui ont conseillé de se faire passer pour Canadiens, qui n'étaient pas remis aux Allemands. Il s'est finalement fait passer pour Américain (il parlait bien l'anglais) et s'est retrouvé dans un camp à Saragosse. Après des négociations entre les autorités espagnoles et le consul américain, Lionel Newton (c'était son nom d'Américain) a pu quitter le camp avec une dizaine d'autres ressortissants américains (ou supposés l'être) et fut acheminé à Algésiras puis Gibraltar où il était sauvé (territoire britannique).

    De là, il gagna l'Écosse par un navire venant d'Afrique du Sud puis arriva à Londres en juillet 1943 par un train... conduit par une femme cheminot (ce qui l'a étonné). Plus tard dans la guerre, il allait connaître une jeune Anglaise qui lui montra l'existence de contraceptifs en vente libre (depuis 1927 !). Lucien Neuwirth a donc rejoint De Gaulle et aurait voulu devenir pilote d'avion, mais la formation était trop longue à son goût, si bien qu'il s'est engagé parmi les parachutistes de la France libres, les SAS (Special Air Services). En mai 1944, il fut blessé à l'entraînement, ce qui l'empêcha de participer au Débarquement en juin 1944.

    À partir du 5 août 1944, Lucien Neuwirth a participé à la bataille de France. Parachuté dans le Morbihan (à Ploemel et Locoal-Mendon), il a pris part à de nombreux combats contre les Allemands, jusqu'aux Ardennes (il fut blessé en janvier 1945 par l'explosion d'une mine) puis aux Pays-Bas. Mais un parachutage le 7 avril 1945 a mal tourné et après la mort de beaucoup de ses compagnons, il s'est rendu avec les survivants de son commando, faute de munitions. Mais au lieu de les faire prisonniers, au mépris de toutes les lois de la guerre, les Allemands les ont mis devant un peloton d'exécution et les ont fusillés.

    Lucien Neuwirth n'ayant été que blessé, l'officier allemand s'est approché de lui et a tiré le coup de grâce en plein cœur. Le 7 avril 1945 aurait donc dû être le jour de sa mort, peu avant ses 19 ans. Mais parfois, il y a des miracles. Il a survécu parce qu'il avait gardé des pièces de monnaie dans son portefeuille qui lui ont protégé le cœur. D'habitude, quand ils partaient en mission, les parachutistes laissaient leur monnaie à ceux restés à la base pour se payer un pot en leur honneur. Mais il avait oublié de donner ces pièces avant de s'habiller et il y a renoncé pour ne pas tout retirer et remettre son barda (son lourd harnachement). Finalement, blessé, il a rejoint un camp de prisonniers et a réussi à s'évader pour rejoindre sa mère en deuil, car entre-temps, on lui avait appris la mort de son fils. David Portier, auteur d'un ouvrage historique de référence sur les parachutistes des SAS, a remis en doute la réalité de ce "miracle" raconté dans un livre par Lucien Neuwirth (voir son interview par Jean-Dominique Merchet le 27 novembre 2013 dans "L'Opinion").
     

     
     


    Après la guerre, le résistant est devenu un commerçant stéphanois. Dès avril 1947, Lucien Neuwirth s'est engagé au sein du RPF et s'est présenté en octobre 1947 aux élections municipales de Saint-Étienne, que sa liste a gagnées et il a été élu conseiller municipal. Réélu en 1953 en cinquième position, il fut élu adjoint chargé des affaires sociales jusqu'en 1965, réélu en 1959. Il a cependant échoué à se faire élire maire de Saint-Étienne en 1965 et 1971 (battu par le radical Michel Durafour). En 1951 et 1958, il a échoué aussi aux élections cantonales, et s'est fait également battre aux élections législatives à Saint-Étienne le 2 janvier 1956 (sous l'étiquette des républicains sociaux).

    En 1958, il a effectué une période de réserve comme officier de réserve... en Algérie. Il s'intégra alors au sein du Comité de salut public d'Alger formé le 13 mai 1958 qui réclamait le retour au pouvoir de De Gaulle (il faut bien noter que Lucien Neuwirth a ainsi pris part aux deux odyssées historiques de De Gaulle). Après ce retour au pouvoir, Jacques Soustelle, bombardé Ministre de l'Information, nomma Lucien Neuwirth à la direction de l'antenne algérienne de la RTF (future ORTF) de juin à novembre 1958.

    Cofondateur de l'UNR en octobre 1958, Lucien Neuwirth s'est fait élire pour la première fois député de la Loire le 30 novembre 1958, au second tour avec une très large majorité (77%) face à un conseiller municipal communiste de Saint-Étienne. Il fut réélu sans discontinuer jusqu'en 1981, en particulier en 1962, 1967 (face à Charles Hernu), 1968, 1973 et 1978 (face à un adjoint communiste de Saint-Étienne).

    Ses vingt-trois années de mandat ont été mis à profit pour l'intérêt général. Lucien Neuwirth était un député très actif (en outre questeur de l'Assemblée Nationale de 1962 à 1975, c'est-à-dire qu'il gérait matériellement l'Assemblée). Il a préparé une loi qui protégeait les sous-traitants, mais son grand combat fut pour la contraception. Il a présenté deux fois sa proposition de loi sur la contraception (parce qu'il y a eu des élections législatives entre-temps, en mars 1967). Dès 1957, il a rencontré le mouvement Maternité heureuse qui s'est transformé en Mouvement français pour le Planning familial.

    Ses collègues gaullistes, généralement beaucoup plus conservateurs, rejetaient le principe d'autoriser la pilule et Lucien Neuwirth fut même conspué, taxé de "fossoyeur de la France" (rien que ça). Ça a l'air délirant aujourd'hui mais finalement, on retrouve sur d'autres sujets ce même mouvement de lynchage sociétal. Simone Veil, plus tard, allait même subir bien plus d'insultes. Le premier texte a été présenté le 18 mai 1966, le jour de son 42e anniversaire, pour dire qu'il était favorable aux naissances, contrairement à ce qu'on disait, mais il voulait que les naissances fussent désirées et assumées par les parents, en particulier les mères. Il avait connu à Saint-Étienne, en tant qu'élu local, beaucoup de femmes en détresse par une grossesse non désirée. Il voulait modifier les articles 3 et 4 de la loi du 31 juillet 1920 qui réprimait la provocation à l'avortement et la propagande anticonceptionnelle. C'était aussi un proposition de François Mitterrand lorsqu'il était candidat à l'élection présidentielle de 1965.

    Au printemps 1966, Lucien Neuwirth a alors fait la démarche qu'il devait faire pour réussir dans son entreprise : aller s'entretenir avec le Général De Gaulle à l'Élysée, entre quatre yeux. Le Général, initialement très réticent (voir plus bas), l'a écouté silencieusement dérouler tout son raisonnement pendant cinquante minutes. Puis, après un silence, il lui a simplement lâché : « Vous avez raison ; transmettre la vie, c'est important. Il faut que ce soit un acte lucide. Continuez ! ». À partir de ce consentement, il a pu convaincre d'autres parlementaires gaullistes. D'autant plus que le 29 novembre 1967, les députés gaullistes ont pu voir Lucien Neuwirth s'entretenir publiquement avec De Gaulle lors d'une réception donnée par Jacques Chaban-Delmas, le Président de l'Assemblée Nationale. Ce qui valait soutien personnel (au grand soulagement du Premier Ministre, Georges Pompidou, qui lui a lâché après les législatives de 1967 : « Alors Neuwirth, vous allez être célèbre : le Général vient de faire inscrire votre proposition de loi à l'ordre du jour de l'Assemblée. »).


    Petit retour en arrière sur la pensée de De Gaulle : à l'issue du conseil des ministres du 24 novembre 1965, Alain Peyrefitte a proposé à De Gaulle de laisser le Parlement délibérer. Il lui répondit : « La pilule ? Jamais ! Qu'est-ce que ça veut dire "délibère" ? Ça veut dire que le Parlement votera une loi ? Jamais mon gouvernement ne déposera un tel projet de loi ! On ne peut pas réduire la femme à une machine à faire l'amour ! Vous allez contre ce que la femme a de plus précieux, la fécondité. Elle est faite pour enfanter ! Si on tolère la pilule, on ne tiendra plus rien ! Le sexe va tout envahir ! (…) Ça veut dire que j'accepterais que la population française, au lieu de croître, diminue ? (…) La femme ne se doit pas seulement à elle-même, elle se doit à son foyer et à son pays ! Elle a reçu le pouvoir de donner la vie ; elle doit rendre ce qu'elle a reçu. C'est bien joli de favoriser l'émancipation des femmes, mais il ne faut pas pousser à leur dissipation. C'est leur intérêt, elles ne s'épanouissent vraiment que dans la maternité. C'est l'intérêt de la France, dont la démographie s'effondrerait si on adoptait la pilule. Introduire la pilule, c'est préférer quelques satisfactions immédiates à des bienfaits à long terme ! Nous n'allons pas sacrifier la France à la bagatelle ! ».

    Il faut se rappeler que De Gaulle est né au XIXe siècle. Mais inutile de prendre ces paroles (fausses d'ailleurs, la démographie n'a pas baissé à partir de 1968) pour des paroles d'Évangile, puisque finalement, Lucien Neuwirth l'a convaincu. Au conseil des ministres du 24 mai 1967, en effet, De Gaulle a déclaré : « Sur la proposition Neuwirth, la position que le gouvernement prendra doit être positive, mais entourée de grandes précautions. En tout état de cause, une loi implique une action nataliste plus accentuée, pour un ensemble de raisons nationales et internationales. Que chacun de vous se prépare donc en conscience à ce débat d'une haute importance. ». Et au conseil des ministres du 7 juin 1967, c'était plié pour De Gaulle : « Les mœurs se modifient ; cette évolution est en cours depuis longtemps ; nous n'y pouvons à peu près rien. En revanche, il faut accentuer notre politique nataliste. Par quels moyens ? Ce sera en particulier dans le domaine du logement, sans pour autant contester la valeur des allocations familiales. (…) Quant à l'aspect religieux, croyez bien que j'y suis sensible. J'ai posé la question au pape, et il m'a répondu qu'il se ferait entendre bientôt sur ce sujet qui est complexe et difficile. ». Alain Peyrefitte a conclu dans ses notes le 6 septembre 1967 : « Le Général sait qu'il serait aussi vain de prétendre interdire cette évolution que de vouloir arrêter la marée en écartant les bras. C'est bien ce qu'il a dû penser quand, après les assauts de Pompidou, de Jeanneney et de Neuwirth, il s'est rendu à leurs raisons. ».

     

     
     


    Dans le cadre de la préparation du texte de Lucien Neuwirth, une commission spéciale a auditionné un certain nombre de personnalités qualifiées, en particulier Alfred Sauvy, François Jacob, Jacques Monod, Pierre Bourdieu, etc. Le 20 octobre 1966, François Jacob expliquait à la commission spéciale : « Le point que nous avons souligné l'année dernière, c'est que dans ce contexte, le problème de la reproduction humaine est un problème scientifique, que ce problème scientifique doit être étudié, qu'il est étudié, et qu'il n'y a aucune raison que les progrès et les connaissances acquises dans ce domaine ne soient pas communiqués à tout le monde. Autrement dit qu'il existe un système répressif pour empêcher la diffusion de la connaissance scientifique sur un des problèmes des plus importants. Il n'y a aucune doute que c'est un problème d'individu, c'est un problème de Nation, c'est un problème d'Univers. Le problème du développement de l'homme et de ce que l'homme veut faire, de savoir combien un couple veut avoir d'enfants, combien une Nation veut avoir d'enfants, combien l'Univers peut nourrir d'individus, c'est un problème qui ne sera pas réglé par la répression et par la peur, il n'y a aucun doute là-dessus. Je crois que c'est cela que nous voulions souligner quand nous avons accepté la présidence du Planning Familial. ». Le même jour, Jacques Monod : « Je suis profondément convaincu depuis très longtemps, qu'une part de la névrose qui atteint incontestablement beaucoup des sociétés modernes tient à ce décalage entre les prodigieux progrès de la connaissance scientifique et de la philosophie qui en ressort nécessairement et les habitudes quelquefois centenaires, quelquefois millénaires dans lesquelles nous vivons encore et que reflète en partie notre législation. ». Le 26 octobre 1966, c'était au tour d'Alfred Sauvy : « Si l'on veut donc que les enfants soient désirés, que la famille accomplisse son désir, ce qui est tout à fait normal, et conforme à nos idées démocratiques, il faut agir de deux façons dans le sens du refus possible d'enfant qu'on ne désire pas, et dans le sens aussi de l'acceptation de l'enfant qui est désiré. On a souvent cité le cas de la femme assez typique qui a recours à un avortement. Elle n'a pas pu avoir la troisième pièce qui lui était nécessaire pour son logement et elle s'est mise pour ainsi dire à la dimension ; on peut dire que l'offre de la société est le climat général. Le cas est certainement très typique et très sans doute fréquent. Mais la solution que l'on donne est incorrecte parce qu'on dit : il faut donner à cette femme le contraceptif né­cessaire pour qu'elle puisse n'avoir que deux enfants. Il faut lui donner d'une part le contraceptif nécessaire si elle ne tient pas à avoir un troisième enfant, ou au contraire la troisième ou la quatrième pièce. ». Le lendemain, Pierre Bourdieu : « Il est évident que la libération du souci, la libération pourrait se traduire immédiatement sur le plan du loisir et de la culture, et toutes les enquêtes en matière de fréquentation culturelle par exemple montrent que les femmes sont très profondément défavorisées sur ce terrain-là et que le désespoir intellectuel des femmes qui ne trouvent ni le temps de lire, ni le temps d'écouter autre chose que des chansonnettes qu'elles peuvent écouter tout en travaillant et en s'occupant des enfants, tout cela pourrait, me semble-t-il, être profondément changé. ».

    Lucien Neuwirth avait des alliés à gauche, notamment Marie-Claude Vaillant-Couturier et Jacqueline Thome-Patenôtre. La séance du 30 juin 1967 fut essentielle pour Lucien Neuwirth qui, à force de harcèlement à coups de rappel au règlement, a pu enfin inscrire sa proposition de loi à l'ordre du jour. Son texte (déposé de nouveau le 12 avril 1967) fut adopté en première lecture le 1er juillet 1967 par les députés (Lucien Neuwirth a réagi ainsi : « C’est un pas considérable vers une nécessaire amélioration des conditions d’existence de la femme, laquelle a supporté seule, jusqu’à présent, tout le poids de la fécondité. ») et le 5 décembre 1967 par les sénateurs, puis en seconde lecture le 14 décembre 1967 par les députés et le 15 décembre 1967 par les sénateurs, enfin, après une commission mixte paritaire, l'adoption définitive a eu lieu le 19 décembre 1967 à main levée, dans les deux assemblées, ce qui a conduit De Gaulle à le promulguer le 28 décembre 1967 alors qu'il se reposait à Colombey-les-Deux-Églises. Mais les derniers décrets d'application ont été signés seulement en 1972 (le 8 mars 1972 sur le stérilet et le 26 avril 1972 sur les établissements de planning familial).

     

     
     


    Par la suite, Lucien Neuwirth a été le défenseur de la loi du 4 décembre 1974 portant diverses dispositions relatives à la régulation des naissances (possibilité de remboursement par la Sécurité sociale, suppression de l'autorisation parentale), et il a bien sûr soutenu la loi Veil du 17 janvier 1975 sur l'IVG. Il a contribué aussi à la création, en janvier 1973, du Conseil supérieur de l'information sexuelle, de la régulation des naissances et de l'éducation familiale. Dans un entretien à la radio le 17 janvier 1975, Lucien Neuwirth déplorait le manque d'information des femmes et l'insuffisance des structures d'accueil : « Pour choisir, il faut avoir les moyens du choix. ». Et d'expliquer : « Il faut sortir de la confusion entre la connaissance intime des êtres, les relations interpersonnelles, et la maternité, le don de la vie. ».

    Au Palais-Bourbon, Lucien Neuwirth a été aussi le rapporteur du budget des constructions scolaires et universitaires de 1977 à 1980, il a défendu un texte sur la protection des animaux en 1963, la création d'une commission d'enquête sur la pollution du littoral méditerranéen en 1973, et a proposé en 1973 la possibilité d'organiser les élections un jour ouvrable. Il a par ailleurs refusé en 1960 les négociations avec les chefs du FLN, souhaité promouvoir l'action de la France en Algérie et être ferme sur le maintien de l'ordre en Algérie. Comme ancien commerçant, il s'est beaucoup investi dans l'examen du projet de loi sur l'assurance vieillesse des travailleurs non-salariés en 1972, sur le projet de loi d'orientation du commerce et de l'artisanat en 1973, etc. Il a cependant refusé de prendre part au vote sur la réforme du divorce en 1975 et au projet de loi Sécurité et Liberté du ministre Alain Peyrefitte en 1980. Malgré son gaullisme de gauche, il resta toujours membre de la formation gaulliste : RPF, UNR, UDR et RPR.

    Parallèlement à ses activités de parlementaires, Lucien Neuwirth a été très actif sur le plan local. Après deux échecs, il a été finalement élu conseiller général à Saint-Étienne en 1967, et a été réélu jusqu'en 1998. De mars 1979 à mars 1994, il a pris la succession de l'ancien Président du Conseil des ministres Antoine Pinay comme président du conseil général de la Loire. Toutefois, en mars 1977, il avait tenté une infidélité à son département en se présentant à la mairie de Cannes comme parachuté, mais la greffe ne s'est pas faite et il est retourné à sa terre natale.

    En juin 1981, Lucien Neuwirth a été emporté par la vague rose : il s'est fait battre aux élections législatives au second tour (avec seulement 47,7%) par un adjoint socialiste à Saint-Étienne, malgré un très bon premier tour (45,3%). Mais qu'importe ! Le 25 septembre 1983, il a rebondi sur le plan national en se faisant élire dès le premier tour sénateur de la Loire, puis réélu le 27 septembre 1992 (en 1983 et en 1992, il était président du conseil général, ce qui aidait beaucoup à une élection au sénat car le conseil général subventionne beaucoup de projets dans les communes). En revanche, il fut très largement battu aux élections sénatoriales du 23 septembre 2001 (9%). Il fut alors nommé en octobre 2001 membre du Conseil Économique et Social à la section des affaires sociales.

    Lucien Neuwirth fut aussi très actif pendant ses dix-huit années passées au Sénat (1983 à 2001), dont il fut questeur de 1989 à 1998. L'un de ses centres d'intérêt fut la promotion des soins palliatifs. À l'époque, la médecine était très peu sensibilisée sur la prise en charge de la douleur. Il fut le rapporteur et l'un des contributeurs de deux importantes lois : la loi n°95-116 du 4 février 1995 portant diverses dispositions d'ordre social dans laquelle il a pu inclure, dans un amendement, l'obligation de mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour prendre en charge la douleur d'un patient, et la loi n°99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs. En 1990, il a déposé une proposition de loi sur la création d'une allocation pour les situations de dépendance résultant d'un état de senescence. Dans un rapport en 2000, il évoquait la politique de lutte contre le cancer et a proposé le dépistage systématique du cancer du sein. Il a aussi promu le remboursement de la pilule du lendemain proposée dans la loi relative à la contraception d'urgence en 2000.


    Ses autres centres d'intérêt au Sénat furent notamment l'égalité des femmes, la défense des anciens combattants, le développement du mécénat, l'organisation d'une assistance juridique du Sénat au profit des collectivités locales, etc. Il a voté la création du RMI en 1988, la loi sur la RTT en 1998, et l'instauration du PACS en 1999. Ces trois réformes ont été mises en œuvre par la gauche, ce qui explique le caractère très unanime de l'hommage de la classe politique à son décès.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (12 mai 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    La mort d'un gaulliste.
    Lucien Neuwirth.
    Le vote des femmes en France.
    Femmes, je vous aime !
    Ni claque ni fessée aux enfants, ni violences conjugales !
    Violences conjugales : le massacre des femmes continue.
    L'IVG dans la Constitution (3) : Emmanuel Macron en fait-il trop ?
    Discours du Président Emmanuel Macron le 8 mars 2024, place Vendôme à Paris, sur l'IVG (texte intégral et vidéo).
    L'IVG dans la Constitution (2) : haute tenue !
    L'IVG dans la Constitution (1) : l'émotion en Congrès.
    La convocation du Parlement en Congrès pour l'IVG.
    L'inscription de l'IVG dans la Constitution ?
    Simone Veil, l’avortement, hier et aujourd’hui…
    L’avortement et Simone Veil.
    Le fœtus est-il une personne à part entière ?
    Le mariage pour tous, 10 ans plus tard.
    Rapport 2023 de SOS Homophobie (à télécharger).
    Six ans plus tard.
    Mariage lesbien à Nancy.
    Mariage posthume, mariage "nécrophile" ? et pourquoi pas entre homosexuels ?
    Mariage annulé : le scandaleux jugement en faveur de la virginité des jeunes mariées.
    Ciel gris sur les mariages.

    Les 20 ans du PACS.
    Ces gens-là.
    L’homosexualité, une maladie occidentale ?
    Le coming out d’une star de la culture.
    Transgenres adolescentes en Suède : la génération sacrifiée.
    PMA : la levée de l’anonymat du donneur.
    La PMA pour toutes les femmes.


     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240518-lucien-neuwirth.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/lucien-neuwirth-alias-lulu-la-254485

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/05/15/article-sr-20240518-lucien-neuwirth.html




     

  • Eurovision 2024 : la chanteuse israélienne Eden Golan dans le top 5 grâce au vote du public !

    « L’Eurovision s’affirme comme la plus ancienne manifestation d’unité culturelle européenne (…). Loin de n’être qu’un spectacle kitsch, le concours européen de la chanson pose un certain nombre de problématiques sur les frontières culturelles de l’Europe. » (Fabien Venon, le 23 janvier 2007 dans "European Journal of Geography").



     

     
     


    Soyons clairs : les manifestations culturelles comme le concours de chansons Eurovision (créé en 1956) et les manifestations sportives comme les Jeux Olympiques et Paralympiques devraient se dévêtir de toute considération politique, mais elles sont en elles-mêmes des manifestations politiques.

    En fait, toute compétition mettant en jeu les nations introduit sa dose de politique, puisque les ressortissants de chacun des pays participants auront un point de vue plus nationaliste que culturel ou sportif, en ce sens que leur soutien se portera plus aisément à leur pays qu'à l'équipe qui, selon eux, aura été la meilleure du point de vue de la compétition. C'était même le cas avec les "Jeux sans frontières" ou "Intervilles" à la télévision (quand j'étais petit), qui ne valaient pas mieux que les stupidités télévisuelles d'aujourd'hui.

    Il n'est donc pas étonnant d'observer une politisation de ces manifestations culturelles ou artistiques avec des arrière-pensées qui, parfois, ne sentent pas vraiment bon. C'était le cas avec ce 68e concours d'Eurovision dont la finale s'est tenue ce samedi 11 mai 2024 à Malmö, en Suède. Pendant toute la semaine, la chanteuse Eden Golan, qui représentait son pays, Israël, a été l'objet de réactions manifestement discourtoises voire agressives de la part de militants pro-palestiniens pour qui tout devrait être politisé.

    À 20 ans, Eden Golan participait à Eurovison 2024 avec la chanson "Hurricane". En 2015 déjà (elle avait 11 ans !), elle avait participé au concours Eurovision des juniors où elle était classée cinquième en finale. Précisons qu'à l'époque, elle faisait partie de la sélection russe. En 2016, elle a chantée en Crimée, alors sous occupation russe, ce qui a fait que beaucoup d'Ukrainiens la considèrent comme une ennemie de l'Ukraine. Elle-même a une mère d'origine ukrainienne et un père d'origine lettone, et a vécu à Moscou de 2009 à 2022, Russie qu'elle a quittée avec soulagement en raison de la manifestation d'un antisémitisme récurrent. Pour certains journalistes israéliens, la chanson "Hurricane" (chantée en anglais et en hébreu) fait clairement référence aux massacres du 7 octobre 2023.


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  • Euthanasie : Robert Badinter, Ana Estrada et l'exemple péruvien ?

    « Il viendra un moment où je ne pourrai plus écrire ni m'exprimer. Mon corps est défaillant, mais mon esprit est heureux. Je veux que les derniers instants de ma vie soient comme ça. » (Ana Estrada).




     
     


    Depuis quelques semaines, Élisabeth Badinter est invitée dans les médias, parce qu'elle vient de sortir un nouveau livre, le premier depuis la mort de son mari Robert Badinter. L'une de ses premières prestations a eu lieu sur France 5 le vendredi 26 avril 2024. Entre autres nombreux sujets, elle est revenue sur la pensée de Robert Badinter sur l'euthanasie. Certains, dont moi, voyaient dans la position de l'ancien garde des sceaux une appréciation hostile à l'euthanasie.

    C'est toujours difficile et malsain de faire parler les morts, dans un sens comme dans un autre, et une déclaration ouvertement publique avant de mourir aurait permis d'éviter tout malentendu. Élisabeth Badinter, elle, est certaine de la position de son mari concernant le projet Vautrin d'aide à mourir : il la voterait si l'occasion lui en était donnée.

    Les mots de la sociologue sont précisément les suivants : « Oui, je pense qu'il est effectivement important de savoir quel était son point de vue en septembre 2023. Il est vrai qu'en 2008, il a été interrogé dans une commission importante où il a dit ses réticences à propos de l'euthanasie. Et on a retenu ça, et par conséquent, il fallait faire très attention. Il n'a jamais dit : je suis hostile, quoi qu'il arrive. Il a dit : ça n'est pas des précautions religieuses ; ce n'est pas non plus, comment dirais-je, des précautions d'aucune sorte. C'est que l'euthanasie est un mot qui signifie quelque chose. D'ailleurs, on a enlevé le terme euthanasie dans le plan. Voilà. Et 2023, mais avant 2023 aussi, il a eu un entretien très long avec le député actuel qui va soutenir la loi. Lequel a affirmé, moi je n'étais pas présente à ce moment-là, lequel a affirmé que sa position était celle-là, qu'il voterait la loi. Et puis, donc quelques mois avant sa mort, comme l'a dit la ministre, étaient interrogés tous les deux. Donc, je suis le témoin direct, comme madame la ministre, on était quatre dans la pièce, et il a dit son point de vue, et il a dit : je voterais la loi si l'occasion m'était donnée. ».


    Je ne doute pas de sa sincérité, mais j'ai quand même un doute car, en très bon juriste, Robert Badinter était guidé par des logiques inflexibles qu'il me paraît peu fluctuantes. En effet, le 16 septembre 2008, lors de son audition parlementaire sur l'évaluation de la loi Leonetti, Robert Badinter avait trouvé cette loi satisfaisante, car elle gardait un équilibre entre deux interdits, celui de tuer et celui de laisser souffrir. Mais surtout, il rappelait : « Le droit à la vie est le premier des droits de l'homme. », considéré comme « le fondement contemporain de l'abolition de la peine de mort » et que le remettre en cause en permettant de faire mourir laisserait une porte ouverte qui pourrait être très inquiétante dans le droit français (même s'il y a déjà le droit à l'IVG). Son principe juridique : « Personne ne peut disposer de la vie d'autrui. (…) Je ne conçois pas qu'un comité, aussi honorable soit-il, puisse délivrer une autorisation de tuer. ».

    Robert Badinter s'estimait avant tout juriste et il réagissait comme juriste. Son point de vue n'était pas d'interdire l'euthanasie, d'autant plus qu'elle est déjà pratiquée de manière plus ou moins avouable. Mais il ne voulait pas la légaliser dans les textes. Il préférait que ce soit la justice et pas la loi qui puisse régenter cette pratique. Pour lui, c'est la justice qui doit dire si une euthanasie pratiquée est un meurtre ou un apaisement. L'intérêt que ce soient les juges qui se penchent spécifiquement sur un cas donné, dans une hypothèse de contestation (de la famille, d'un établissement, etc.), c'est qu'ils n'étudient que ce cas-là et n'ont pas la prétention de régir pour tous les cas, comme le fait la loi. Ainsi, l'infirmière malhonnête coureuse d'héritage qui "aide à mourir" ses futures victimes serait toujours poursuivie, alors que la maman aimante d'un fils en fin de vie qui la supplie de l'aider à mourir serait jugée de manière adéquate et indulgente (ce qui a été le cas en France, notamment pour l'affaire Vincent Humbert).


    Au-delà de l'euthanasie, c'était une conception du rôle de la justice qu'avait Robert Badinter, par ailleurs ancien Président du Conseil Constitutionnel : le droit pénal n'a « pas seulement une fonction répressive mais aussi une fonction expressive », à savoir qu'il traduit « les valeurs d'une société ». Pour lui, au lieu de légiférer, la justice pourrait se prononcer pour dire s'il y a abus ou pas dans l'accompagnement d'une fin de vie.

    Je ne suis pas dans le secret des dieux et aujourd'hui, le dieu en question a rendu l'âme, et donc, on ne peut plus rien dire de ce qui n'a pas été dit publiquement, mais je doute fort que Robert Badinter, qui avait émis cet avis effectivement il y a une quinzaine d'années, ait pu autant changer d'avis en cours de route car cela concernait des principes très importants, voire fondateurs, de ce à quoi il croyait. Mais son épouse, surtout si elle en a été témoin, est évidemment plus habilitée que moi pour dire s'il a changé ou évolué dans sa conception. Je suis cependant étonné de ce témoignage car le texte de loi n'a été véritablement défini qu'en mars 2024, après sa disparition, donc, s'il a dit qu'il voterait la loi si l'occasion lui en était donnée, de quel texte de loi s'agissait-il ?

    Je laisse en suspension cette réflexion et elle importe finalement peu (au contraire de ce que pense Élisabeth Badinter que j'apprécie beaucoup par ailleurs pour son combat contre l'islamisme), faire parler les morts n'a pas d'intérêt et me paraît malsain. Je resterai donc sur le fait que j'approuve à 100% la réflexion du Robert Badinter du 16 septembre 2008, qu'il soit le même ou pas de celui de 2023 ou de 2024. Oui, pour des cas particuliers très exceptionnels, la possibilité d'une euthanasie (je mets dans ce mot qui a été évité dans le texte mais qui est bien elle, à la fois l'euthanasie et le suicide assisté, qui sont, en eux-mêmes très différents mais qui restent dans la même finalité : abréger la vie parce que la fin de vie est douloureuse, et si ce n'est pas le patient qui l'abrège lui-même, un tiers parce qu'il n'en est plus capable, mais dans tous les cas, le patient a besoin d'une aide, principalement médicale)... pour des cas particuliers, la possibilité d'une euthanasie doit rester nécessaire. Elle est déjà pratiquée, et même en présence de prêtres. Mais il ne faudrait surtout pas la mettre dans la loi, car c'est ouvrir une boîte de Pandore qui sans cesse assouplirait les conditions initialement très strictes d'application de l'euthanasie (cf la Belgique).
     

     
     


    Toute cette longue introduction à propos de la pensée de Robert Badinter m'a paru utile pour évoquer la mort d'une citoyenne du Pérou, Ana Estrada, le 21 avril 2024 à Lima, selon son avocate Josefina Miro Quesada dans une communication sur Twitter le 23 avril 2024 : « Ana a remercié toutes les personnes qui l'ont aidée à donner une voix, qui l'ont accompagnée dans ce combat et qui ont soutenu sa décision sans condition et avec amour. ».

    Qui était Ana Estrada ? Elle était une psychologue péruvienne de 47 ans (née le 20 novembre 1976 à Lima). En 1989, les médecins lui ont diagnostiqué une polymyosite (sorte de myopathie dégénérative), une maladie rare et incurable qui provoque une inflammation des muscles et entraîne des difficultés respiratoires. Dès 1996, elle devait se déplacer en fauteuil roulant. Elle a réussi toutefois à faire des études de psychologie à l'Université pontificale catholique du Pérou.


    Malheureusement, sa maladie a beaucoup évolué (perte des muscles) et en 2015, après une forte aggravation de sa maladie, elle est restée près d'un an en soins intensifs pour soigner une pneumonie. On lui a ouvert la trachée pour pouvoir respirer à l'aide d'un ventilateur, et relié le ventre à une sonde pour pouvoir être alimentée (double intubation). Elle restait très peu souvent hors du lit dans la journée. Sa maladie l'a rendue dépressive. Sur son blog, elle a décrit : « C’est comme être prisonnière dans mon propre corps, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. ».

    En 2019, Ana Estrada a commencé une activité militante en faveur de l'euthanasie et du suicide assisté. Après une pétition pour que l'État lui donne le droit d'avoir une "mort assistée", elle a ouvert un blog pour une "mort digne". Pays catholique, le Pérou interdit l'euthanasie considérée comme un "meurtre par compassion" selon l'article 112 du code pénal péruvien, passible d'une peine de trois ans de prison. En Amérique latine, la Colombie, l'Équateur et Cuba autorisent l'euthanasie sous conditions. En particulier en Colombie, l'euthanasie est dépénalisée depuis 1997 et a fait l'objet d'une réglementation ministérielle en 2015, sans faire l'objet d'une loi particulière.

    En déposant un recours auprès des administrations de son pays et après un "tour judiciaire", Ana Estrada a obtenu de la justice (la onzième cour constitutionnelle de la cour supérieure de justice de Lima) le 22 février 2021 le droit d'être assistée dans sa mort en considérant que l'article 112 du code pénal n'était pas applicable dans cette situation particulière. Le 14 juillet 2022, la Cour suprême de la nation latino-américaine, la plus haute juridiction du Pérou, a confirmé la décision judiciaire lui accordant une exemption d'euthanasie. Plus précisément, la Cour suprême dit ainsi que le médecin qui fournirait, "le moment venu", le médicament destiné à mettre fin à la vie d'Ana Estrada serait exempté de toute sanction pénale. Pour beaucoup de juristes, cette décision est un événement historique.

    Lors des audiences de février 2021, Ana Estrada a déclaré aux juges, selon "Le Monde" du 30 août 2022 : « Je ne demande pas à ce qu’on me laisse mourir, je demande un droit à choisir quand je ne voudrai plus vivre. De décider quand et comment mettre fin à mes douleurs, quand la maladie aura avancé à un point insoutenable. J’ai besoin de savoir que je dispose de cet outil, de cette possibilité, et que personne ne sera poursuivi ou condamné pour m’avoir aidée. ».

    Dans les débats au sein de la Cour constitutionnelle (qui a pris sa décision par 4 voix pour et 2 voix contre), il était à un moment question d'obliger la visite régulière d'un représentant d'une organisation religieuse auprès d'Ana Estrada, mais cette mesure a été finalement abandonnée. Deux ans plus tard, avec une maladie qui a encore beaucoup avancé, Ana Estrada a utilisé cette ultime disposition juridique, totalement spéciale, pour être aidée à tirer sa révérence, accompagnée de sa famille.

    Cet aspect juridique est important. Alors que le Pérou n'a même pas une loi comme en France qui permet la sédation profonde et continue (loi Claeys-Leonetti), il a permis cet acte d'euthanasie sans changer la loi, par l'intervention du juge qui est le seul apte à apprécier avec justesse la réalité de la situation et la justification d'une aide à mourir. Ainsi, l'aide à mourir n'est pas un droit mais une exception juridique permise par un juge.

    Cette décision du 14 juillet 2022 fera certainement jurisprudence dans les années à venir au Pérou, alors que les députés péruviens, majoritairement conservateurs, n'ont aucune envie de légiférer sur le sujet. L'avocate d'Ana Estrada commentait ainsi : « Quand la politique ne s’empare pas de ces thèmes, cela finit par être la justice, les tribunaux, qui comblent ce vide. ». Et finalement, cette voie est très pertinente, car la fin d'une vie est un événement singulier et il est difficile d'y appliquer une règle générale ne prenant forcément pas en compte toutes les situations, puisque chaque vie et donc chaque mort est différente.


    L'exemple péruvien (j'écris bien "exemple péruvien" et pas "modèle péruvien" car il n'y a jamais de modèle pour mourir) devrait inspirer le législateur français aujourd'hui alors que le projet de loi sur la fin de vie est en cours d'examen à l'Assemblée Nationale. À mon sens, cet exemple applique clairement et pleinement la conception de Robert Badinter de la justice, qui n'est pas que répression, mais aussi expression des attentes de la société, mais sous le contrôle des juges (qui sont bien plus indiqués que sous le contrôle des médecins qui ne sont pas impartiaux dans la relation entre la société et les patients).

    Les activistes d'une loi sur l'euthanasie seraient opposées à laisser le juge décider car ils veulent obtenir un droit à l'euthanasie. Or, l'adoption d'une loi sur un tel droit à l'euthanasie ferait de notre nation une toute autre société, où la norme évoluerait naturellement vers une sorte d'eugénisme où les inutiles seraient invités, très "librement", à laisser la place aux autres. Dans un État déjà particulièrement endetté et déficitaire, les économies financières d'une réduction de vie des personnes en fin de vie seraient énormes.

    Depuis cinquante ans, des alertes sont faites comme le film "Soleil vert", pour mettre en garde contre une telle société. Ce n'est pas la société à laquelle je crois. Ma société, c'est celle dont l'État vient au secours des plus fragiles, pas en les éliminant physiquement purement et simplement, mais en les soutenant dans leur infortune, en investissement massivement dans les soins palliatifs. S'il y a une telle demande d'euthanasie provenant d'ailleurs principalement de personnes bien-portantes, c'est surtout que nous sommes très en retard avec les soins palliatifs et que la situation de certains départements est une véritable honte et un véritable scandale. Éliminer le mal, c'est proposer des traitements pour réduire la douleur, ce n'est pas tuer la personne elle-même. Méfions-nous du doigt dans l'engrenage d'une logique eugéniste : elle sera irréversible. Car implacable.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (27 avril 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Euthanasie : Robert Badinter, Ana Estrada et l'exemple péruvien ?
    Euthanasie 2024 (2) : le projet Vautrin adopté au conseil des ministres du 10 avril 2024.
    Euthanasie 2024 (1) : l'agenda désolant du Président Macron.
    Robert Badinter sur l'euthanasie.
    Le pape François sur l'euthanasie.
    Fin de vie 2023 (4) : la mystification d'un supposé "modèle français" de la fin de vie.
    Discours du Président Emmanuel Macron recevant la Convention citoyenne sur la fin de vie le 3 avril 2023 à l'Élysée (texte intégral).
    Communiqué de l'Ordre des médecins sur la fin de vie publié le 1er avril 2023 (texte intégral).
    Avis n°139 du CCNE sur les questions éthiques relatives aux situations de fin de vie publié le 13 septembre 2022 (à télécharger).
    Rapport n°1021 de la mission d'évaluation de la loi Claeys-Leonetti publié par l'Assemblée Nationale le 29 mars 2023 (à télécharger).
    Rapport de la Convention citoyenne sur la fin de vie publié le 2 avril 2023 (à télécharger).
    Fin de vie 2023 (3) : conclusions sans surprise de la Convention citoyenne.
    Fin de vie 2023 (2) : méthodologie douteuse.
    Fin de vie 2023 (1) : attention danger !
    Le drame de la famille Adams.
    Prémonitions (Solace).
    Vincent Lambert.
    Axel Kahn : chronique d’une mort annoncée.
    Euthanasie : soigner ou achever ?
    Le réveil de conscience est possible !
    Soins palliatifs.
    Le congé de proche aidant.
    Stephen Hawking et la dépendance.
    La dignité et le handicap.
    Euthanasie ou sédation ?
    La leçon du procès Bonnemaison.
    Les sondages sur la fin de vie.
    Les expériences de l’étranger.
    La politisation du CCNE (16 décembre 2013).
    Tribune de Michel Houellebecq dans "Le Figaro" du 5 avril 2021.
    Tribune de Michel Houellebecq dans "Le Monde" du 12 juillet 2019.
    Les nouvelles directives anticipées depuis le 6 août 2016.
    Réglementation sur la procédure collégiale (décret n°2016-1066 du 3 août 2016).
    La loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016.
    La loi Leonetti du 22 avril 2005.


     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240421-ana-estrada.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/euthanasie-robert-badinter-ana-254302

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/23/article-sr-20240421-ana-estrada.html