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Le blog haut et fort de Sylvain Rakotoarison - Page 19

  • IVG : l'adoption de la loi Veil il y a 50 ans

    « C'est aussi avec la plus grande conviction que je défendrai un projet longuement réfléchi et délibéré par l'ensemble du gouvernement, un projet qui, selon les termes mêmes du Président de la République, a pour objet de "mettre fin à une situation de désordre et d'injustice et d'apporter une solution mesurée et humaine à un des problèmes les plus difficiles de notre temps". » (Simone Veil, le 26 novembre 1974 dans l'hémicycle de l'Assemblée Nationale).


     

     
     


    C'est il y a cinquante ans, le 26 novembre 1974, que l'examen du projet de loi relatif à l'interruption volontaire de grossesse (dite loi Veil) a commencé en séance publique à l'Assemblée Nationale, dans un climat particulièrement houleux et difficile. Le projet de loi a été déposé le 15 novembre 1974 et il a fallu trois jours très intensifs de débat pour aboutir à son adoption en première lecture par les députés.

    Il faut rappeler deux contextes : le contexte politique et le contexte social.

    Le contexte politique, d'abord. La mort soudaine du Président Georges Pompidou le 2 avril 1974 a traumatisé les responsables UDR (gaullistes), traumatisme renforcé par la division au sein de leur parti pour l'élection présidentielle et la perte de l'Élysée après quinze années. Valéry Giscard d'Estaing, jeune fringant et moderne, a été élu et a promis une libéralisation de la société. Parmi ses engagements, la dépénalisation de l'avortement. Soit dit en passant : VGE a toujours été meurtri, jusqu'à la fin de sa vie, qu'on ne parle pas de loi VGE pour la loi sur l'IVG car il a pris seul l'initiative politique de ce texte.

    Comme pour la majorité à 18 ans, Valéry Giscard d'Estaing entendait aller très vite avec l'IVG, considérant que les grandes réformes, surtout si elles sont très sensibles (comme l'IVG), doivent être réalisées au début d'un mandat présidentiel, en bénéficiant politiquement encore de l'état de grâce de l'élection. En principe, un sujet comme l'IVG, principalement juridique, devait être défendu par le Ministre de la Justice. En l'occurrence, Jean Lecanuet, président du Centre démocrate (CD), le parti des démocrates chrétiens, ne souhaitait pas défendre une telle loi en raison de ses convictions religieuses, même s'il en voyait la nécessité. C'est donc Simone Veil, magistrate peu politisée (c'était son mari Antoine Veil le politique !) bombardée Ministre de la Santé par la volonté de donner plus de responsabilité aux femmes, choisie par le nouveau Premier Ministre Jacques Chirac, par l'entremise d'une grande amie commune, Marie-France Garaud. Lorsqu'elle a accepté sa mission d'entrer au gouvernement, d'une part, elle ne connaissait pas beaucoup de choses dans le domaine de la santé (elle était juge et pas médecin), et d'autre part, on ne lui avait pas dit à sa nomination qu'elle serait sur le front de l'IVG. Peut-être que ses bonnes connaissances juridiques ont aidé, mais je crois avant tout que c'était la femme et c'était la santé publique à assurer qui ont été ses deux moteurs.

    Le contexte social ensuite. S'il y avait un responsable politique qui était très conscient de l'importance vitale de faire une loi sur l'IVG, c'était le nouveau Ministre de l'Intérieur, prince des giscardiens, à savoir Michel Poniatowski qui était, juste avant l'élection présidentielle, Ministre de la Santé (le prédécesseur direct de Simone Veil) et qui a bien compris l'horreur sanitaire en cours mais aussi judiciaire. Trop de femmes avortaient clandestinement pour que l'État puisse concrètement toutes less sanctionner pénalement comme le voulait la loi encore en vigueur. La loi d'amnistie du 10 juillet 1974 portait très explicitement sur les faits d'avortement et, dans sa conférence de presse du 25 juillet 1974, VGE a annoncé l'absence de poursuite pour avortement jusqu'à l'adoption d'une loi sur l'IVG. Mais surtout, trop de femmes mouraient au cours d'un avortement clandestin. Il y avait environ 1 000 avortements clandestins par jour en France et un de ces mille entraînait la mort de la femme (en raison des conditions précaires, manque de stérilisation, absence de médecin, etc.).
     

     
     


    Cette considération sanitaire avait déjà conduit le Premier Ministre précédent Pierre Messmer à déposer un projet de loi sur l'IVG dès le 7 juin 1973, mais lors du début de son examen en séance publique à l'Assemblée, le 14 décembre 1973, le projet a été renvoyé en commission pour pouvoir créer un consensus parlementaire sur le sujet. La mort de Président de la République a fait abandonner ce texte.

    Un nouveau texte a donc été adopté au conseil des ministres et déposé à l'Assemblée le 15 novembre 1974. L'examen à l'Assemblée en première lecture a eu lieu au cours de huit séances publiques du 26 novembre 1974 à la nuit du 28 au 29 novembre 1974. Le discours introductif de Simone Veil le 26 novembre 1974 est resté dans les annales de l'histoire. Elle a commencé ainsi : « Si j'interviens aujourd'hui à cette tribune, ministre de la santé, femme et non-parlementaire, pour proposer aux élus de la nation une profonde modification de la législation sur l'avortement, croyez bien que c'est avec un profond sentiment d'humilité devant la difficulté du problème, comme devant l'ampleur des résonances qu'il suscite au plus intime de chacun des Français et des Françaises, et en pleine conscience de la gravité des responsabilités que nous allons assumer ensemble. ».

    Reprenant tous les raisons de ne pas légiférer, la ministre a ensuite posé les termes de l'enjeu : « Nous sommes arrivés à un point où, en ce domaine, les pouvoirs publics ne peuvent plus éluder leurs responsabilités. Tout le démontre : les études et les travaux menés depuis plusieurs années, les auditions de votre commission, l'expérience des autres pays européens. Et la plupart d'entre vous le sentent, qui savent qu'on ne peut empêcher les avortements clandestins et qu'on ne peut non plus appliquer la loi pénale à toutes les femmes qui seraient passibles de ses rigueurs. Pourquoi donc ne pas continuer à fermer les yeux ? Parce que la situation actuelle est mauvaise. Je dirai même qu'elle est déplorable et dramatique. ».

    Peu après, le passage le plus important : « Je le dis avec toute ma conviction : l'avortement doit rester l'exception, l'ultime recours pour des situations sans issue. Mais comment le tolérer sans qu'il perde ce caractère d'exception, sans que la société paraisse l'encourager ? Je voudrais tout d'abord vous faire partager une conviction de femme, je m'excuse de le faire devant cette Assemblée presque exclusivement composée d'hommes : aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l'avortement. Il suffit d'écouter les femmes. C'est toujours un drame et cela restera toujours un drame. C'est pourquoi, si le projet qui vous est présenté tient compte de la situation de fait existante, s'il admet la possibilité d'une interruption de grossesse, c'est pour la contrôler et, autant que possible, en dissuader la femme. Nous pensons ainsi répondre au désir conscient ou inconscient de toutes les femmes qui se trouvent dans cette situation d'angoisse (…). Actuellement, celles qui se trouvent dans cette situation de détresse, qui s'en préoccupe ? La loi les rejette non seulement dans l'opprobre, la honte et la solitude, mais aussi dans l'anonymat et l'angoisse des poursuites. Contraintes de cacher leur état, trop souvent elles ne trouvent personnes pour les écouter, les éclairer et leur apporter un appui et une protection. Parmi ceux qui combattent aujourd'hui une éventuelle modification de la loi répressive, combien sont-ils ceux qui se sont préoccupés d'aider ces femmes dans leur détresse ? Combien sont-ils ceux qui, au-delà de ce qu'ils jugent comme une faute, ont su manifester aux jeunes mères célibataires la compréhension et l'appui moral dont elles avaient grand besoin ? ».
     

     
     


    Rien n'était acquis et Simone Veil a plus tard raconté qu'elle n'imaginait pas le flot de haine de la part de certains parlementaires. La palme du plus odieux doit être sans doute attribuer au député centriste Jean-Marie Daillet, élu de la Manche, qui a comparé le 27 novembre 1974 l'avortement aux assassinats de bébés dans les fours crématoires à Auschwitz : « On est allé, quelle audace incroyable, jusqu'à déclarer tout bonnement qu'un embryon humain était un agresseur. Eh bien ! ces agresseurs, vous accepterez, madame, de les voir, comme cela se passe ailleurs, jetés au four crématoire ou remplir des poubelles ! ». Adressé à une ancien déportée qui a perdu une partie de sa famille dans les camps de la mort, c'était particulièrement maladroit et malvenu, et disons-le, totalement dégueulasse. Jean-Marie Daillet s'est d'ailleurs rendu compte de ce qu'il avait dit dans la colère de sa passion et est venu présenter ses excuses à Simone Veil. Un soir, à la demande de l'Élysée, Jacques Chirac est venu en renfort dans la discussion pour aider sa ministre, mais elle se sentait particulièrement seule avec son texte.

    La situation parlementaire était compliquée parce que, menés par l'ancien Premier Ministre Michel Debré, nataliste réputé, les députés gaullistes étaient prêts à voter contre ou à s'abstenir. C'était sûr que Simone Veil ne pouvait pas ne compter que sur les députés de la majorité. Elle devait aussi négocier avec les socialistes, qui étaient favorables, menés par le président de leur groupe Gaston Defferre (maire de Marseille). Le point crucial était la position des centristes du Centre démocrate, dont les convictions religieuses mettaient en porte-à-faux la morale et la nécessité publique.

    Le mari de Simone Veil, Antoine Veil, très introduit dans les cercles centristes, avaient l'habitude de rencontrer les responsables centristes chez lui, à son domicile, au sein du Club Vauban (nom du lieu où les Veil habitaient). Son entremise a été capitale pour convaincre notamment l'ancien résistant et ancien ministre Eugène Claudius-Petit qui avait un grand pouvoir d'influence sur ses collègues centristes. Pour obtenir finalement son soutien, Simone Veil a modifié le texte en retirant l'obligation des médecins à faire une IVG avec une clause de conscience et en supprimant le remboursement de l'IVG par la sécurité sociale, mettant la gauche dans l'embarras mais permettant aux députés centristes de ne pas voter une loi qui encouragerait l'avortement. L'article 1er du texte réaffirme par ailleurs le respect du droit à la vie comme principe intangible.

    La conclusion a été souriante pour Simone Veil puisque dans la nuit du 28 au 29 novembre 1974, à 3 heures 40 du matin, le projet de loi a été adopté en première lecture par 284 voix pour et 189 contre, sur 479 votants avec 6 abstentions (scrutin n°120).

    Parmi les pour : Paul Alduy, Pierre Bernard-Reymond, André Bettencourt, Jean-Jacques Beucler, Jean de Broglie, Aimé Césaire, Jacques Chaban-Delmas, André Chandernagor, Jean-Pierre Chevènement, Roger Chinaud, Eugène Claudius-Petit, Jean-Pierre Cot, Michel Crépeau, Gaston Defferre, André Delelis, Hubert Dubedout, Jacques Duhamel, André Duroméa, Robert Fabre, André Fanton, Maurice Faure, Georges Fillioud, Henri Fiszbin, Raymond Forni, Joseph Franceschi, Jean-Claude Gaudin, Yves Guéna, Robert Hersant, Pierre Joxe, Didier Julia, Pierre Juquin, André Labarrère, Paul Laurent, Jacques Legendre, Max Lejeune, Louis Le Pensec, Roland Leroy, Charles-Émile Loo, Philippe Madrelle, Georges Marchais, Jacques Marette, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Georges Mesmin, Louis Mexandeau, Hélène Missoffe, François Mitterrand, Guy Mollet, Lucien Neuwirth, Arthur Notebart, Bernard Pons, Jean Poperen, Jack Ralite, Marcel Rigout, Alain Savary, Jean-Jacques Servan-Schreiber, Jacques Soustelle, Pierre Sudreau, Alain Terrenoire, Alain Vivien, Robert-André Vivien et Adrien Zeller.
     

     
     


    Parmi les contre : Pierre Bas, Pierre Baudis, Jacques Baumel, Pierre de Bénouville, Jacques Blanc, Robert Boulin, Loïc Bouvard, Claude Coulais, Jean-Marie Daillet, Marcel Dassault, Michel Debré, Jean Foyer, Emmanuel Hamel, Louis Joxe, Jean Kiffer, Claude Labbé, Joël Le Theule, Maurice Ligot, Christian de La Malène, Alain Mayoud, Jacques Médecin, Pierre Méhaignerie, Pierre Messmer, Maurice Papon, Jean Seitlinger et Jean Tiberi, etc. Se sont abstenus notamment Roland Nungesser et Gabriel Kaspereit.

    Le Sénat a examiné alors le projet de loi en première lecture les 13 et 14 décembre 1974, l'a adopté le 14 décembre 1974 avec des modifications, ce qui a rendu nécessaire une seconde lecture, puis une commission mixte paritaire le 19 décembre 1974 (portant sur le remboursement de l'IVG). L'Assemblée et le Sénat ont adopté le texte définitif le 20 décembre 1974 (pour l'Assemblée, par 277 voix pour et 192 voix contre sur 480 votants avec 11 abstentions). Valéry Giscard d'Estaing a ensuite, le 17 janvier 1975, promulgué la loi n°75-18 du 17 janvier 1975, qui, à l'origine, prévoyait une dépénalisation expérimentale pendant cinq ans. Une deuxième loi a été ultérieurement votée pour rendre permanente la dépénalisation (loi n°79-1204 du 31 décembre 1979).

     
     


    Après plusieurs autres modifications du texte, le droit à l'IVG est entré dans la Constitution le 8 mars 2024 au cours d'une cérémonie Place Vendôme, devant le Ministère de la Justice, présidée par Emmanuel Macron. Les études montrent que la loi Veil n'a pas fait augmenter le nombre d'avortements en France qui reste stable, autour de 200 000 par an.
     

     
     


    Ce vendredi 29 novembre 2024 à 22 heures, la chaîne parlementaire LCP fête ce cinquantenaire en rediffusant le téléfilm de Christian Faure intitulé "La Loi, le combat d'une femme pour toutes les femmes" diffusé pour la première fois le 26 novembre 2014 sur France 2 (pour le quarantième anniversaire). Autant le dire tout de suite, faire un film avec des personnages de la classe politique contemporaine est toujours casse-cou car toujours très différent de la réalité et la fiction peut aussi n'être qu'une pâle imitation des personnages réels.

    Néanmoins, on saluera quand même la prestation de l'actrice Emmanuelle Devos dans le rôle principal, celui de Simone Veil, et on regardera avec curiosité Antoine Veil (joué par Lionel Abelanski, dont le rôle dans le scénario est toutefois très insuffisant par rapport à la réalité), Dominique Le Vert, le dircab de Simone Veil (joué par Lorant Deutsch), et j'avoue que j'ai eu du mal à croire aux autres personnages : Gaston Defferre (joué par Michel Jonasz), Michel Debré (Éric Naggar), Jean Lecanuet (Olivier Pagès), Jacques Chirac (Michaël Cohen), Eugène Claudius-Petit (Bernard Menez), et je ne croyais pas du tout en Charles Pasqua (Philippe Uchan), Jean-Marie Daillet (Patrick Haudecœur), Edgar Faure (Laurent Claret) qui présidait ces séances historiques... avec juste une exception, Marie-France Garaud (jouée par Émilie Caen).


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (23 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    IVG : l'adoption de la loi Veil il y a 50 ans.
    Le droit de vote à 18 ans, c'était il y a 50 ans grâce à Giscard !
    Lucien Neuwirth  et la contraception.
    Le vote des femmes en France.
    Femmes, je vous aime !
    Ni claque ni fessée aux enfants, ni violences conjugales !
    Violences conjugales : le massacre des femmes continue.
    L'IVG dans la Constitution (3) : Emmanuel Macron en fait-il trop ?
    Discours du Président Emmanuel Macron le 8 mars 2024, place Vendôme à Paris, sur l'IVG (texte intégral et vidéo).
    L'IVG dans la Constitution (2) : haute tenue !
    L'IVG dans la Constitution (1) : l'émotion en Congrès.
    La convocation du Parlement en Congrès pour l'IVG.
    L'inscription de l'IVG dans la Constitution ?
    Simone Veil, l’avortement, hier et aujourd’hui…
    L’avortement et Simone Veil.
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    Le mariage pour tous, 10 ans plus tard.
    Rapport 2023 de SOS Homophobie (à télécharger).
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    La PMA pour toutes les femmes.
     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241128-ivg.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/ivg-l-adoption-de-la-loi-veil-il-y-257490

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/26/article-sr-20241128-ivg.html



     

  • Libérez Boualem Sansal !

    « Il faut en finir avec ces bêtes immondes, avec ces barbares des temps obscurs, ces porteurs de ténèbres, oublier les serments pleins d'orgueil et de morgue qu'ils ont réussi à nous extorquer au sortir de ces années de guerre. La lumière n'est pas avec eux et les lendemains ne chantent jamais que pour les hommes libres. » (Boualem Sansal, le 25 août 1999).


     

     
     


    C'est le journal "Marianne" qui a donné l'alerte dans son édition du 21 novembre 2024 : l'écrivain franco-algérien Boualem Sansal aurait "disparu" lorsqu'il est rentré en Algérie le 16 novembre 2024. Il aurait été arrêté par la police algérienne à l'aéroport d'Alger pour "atteinte à l'unité nationale" et serait ainsi enfermé dans une prison algérienne. Selon ces journalistes, on reprocherait à Boualem Sansal ses propos tenus le 14 novembre 2024 (écouter la première vidéo ci-dessous) : « Quand la France a colonisé l'Algérie, toute la partie ouest de l'Algérie faisait partie du Maroc : Tlemcen, Oran et même jusqu'à Mascara. Toute cette région faisait partie du royaume. ». Crime de lèse-mythe !

    Cette arrestation est d'autant plus scandaleuse que l'écrivain vient d'avoir 75 ans le mois dernier. Rappelons très rapidement qui il est : après de brillantes études et un doctorat en économie, Boualem Sansal a travaillé comme haut fonctionnaire de son pays ainsi qu'un universitaire, et il est devenu un romancier à succès à partir du 25 août 1999 avec la sortie de son premier roman "Le Serment des barbares" (éd. Gallimard), début d'une longue série d'ouvrages qui ont reçu de très nombreuses récompenses (dont le Grand Prix du roman de l'Académie française en 2015). Parmi ses livres (une quarantaine dont certains en coécriture, notamment avec Philippe Val), on peut notamment citer quatre romans, "Le Village de l'Allemand ou Le Journal des frères Schiller" (éd. Gallimard, 3 janvier 2008), où il fait l'analogie entre islamisme et nazisme, "2084 : la fin du monde" (éd. Gallimard, 20 août 2015), "Le Train d'Erlingen ou La Métamorphose de Dieu" (éd. Gallimard, juin 2018), "Vivre : le compte à rebours" (éd. Gallimard, 2024), ainsi qu'un essai, "Le français, parlons-en !" (éd. du Cerf, 2024).

    Homme terriblement libre, le George Orwell algérien, Boualem Sansal ne mâche jamais ses mots et est très franc, ce qui fait qu'il ne se fait pas que des amis (la preuve avec son arrestation). Il affirmait notamment, le 23 octobre 2018 sur France Culture : « Pour les bien-pensants, critiquer l'islamisme, c'est critiquer l'islam. ». Il a sorti "2084" quelques mois après la sortie de "Soumission", le roman de Michel Houellebecq qui, finalement, évoque la même chose : l'arrivée au pouvoir des islamistes.

     
     


    Cela a fait de lui un intellectuel solide et surtout indépendant, ce qui est finalement assez rare aujourd'hui. Il n'est pas à l'abri de déclencher des polémiques, comme lorsqu'il défendait le 25 décembre 2023 la présomption d'innocence de Gérard Depardieu (ce qui, d'ailleurs, me paraissait sage). Amoureux de la langue française (il n'écrit que dans cette langue), l'écrivain algérien a obtenu la nationalité française cette année, en 2024, afin de s'installer en France où sa femme (ancienne professeure de mathématiques à Boumerdès), très malade, est hospitalisée.

    Le pessimisme de l'auteur franco-algérien paraît très fort lorsqu'il a lâché, le 4 septembre 2015, envisageant une dictature mondialisée des islamistes : « Dans cinquante ans, il n'y aura plus de pétrole et le problème de la répartition des richesses sera encore accru. Il faudra mettre en place un système encore plus coercitif. Une dictature planétaire, non plus laïque mais religieuse, pourrait alors se substituer au système actuel qui devient trop compliqué à cause de la raréfaction des ressources. ».

    C'est un grand intellectuel qui a beaucoup d'influence parce qu'ils sont peu nombreux, en Algérie (et en France), à critiquer autant le pouvoir autocratique algérien. Boualem Sansal est un athée qui s'attaque principalement à l'islamisme, mais aussi aux mythes d'une Algérie qui, selon lui, n'a historiquement jamais vraiment existé. Il adore la France, mais, semble-t-il, la France d'il y a cinquante ans, et il regrette la dilution de l'identité française dans l'idée européenne et plus généralement dans un "Occident" uniformisé : « J'étais partout et nulle part, tout se ressemble, le tsunami de la mondialisation a gommé nos héritages, effacé nos traits intimes, on ne reconnaît ni les siens ni les autres. » ("Le Village de l'Allemand").

    Le vrai scandale est que Boualem Sansal est désormais en prison pour avoir prononcé quelques phrases auxquelles le pouvoir algérien s'opposerait, comme si le débat des idées devait se faire en prison et pas dans les médias. Un scandale annexe en France est que les milieux politico-médiatiques de gauche ont généralement du mal à s'émouvoir de cette arrestation arbitraire sous prétexte qu'il ne développerait pas des idées "conformes" à leurs vues.

    Personnellement, j'apprécie la position de Boualem Sansal sur l'islamisme et le risque d'une islamisation en France (ce qui le classerait faussement dans le camp de l'extrême droite alors que la menace islamiste n'est plus à prouver depuis l'assassinat d'enfants en bas âge juifs en mars 2012). En revanche, je ne suis pas du tout d'accord avec son déclinisme nostalgique de la France et des critiques qu'il émet contre Emmanuel Macron, que je trouve injustes car certaines évolutions de la France ne sont évidemment pas de son fait (loin de là) et même parfois il tente de s'y opposer (c'est d'ailleurs à se demander si cet antimacronisme primaire n'était pas une commande de la revue supposée s'appeler "Front populaire", tant les idées exprimées dans son interview d'octobre 2024 me paraissaient très simplistes alors qu'en même temps, il a une réflexion solide sur d'autres sujets). Du reste, j'espère très vivement que le Président de la République Emmanuel Macron, autrement que par un tweet, prendra des mesures diplomatiques pour réclamer efficacement la libération immédiate de Boualem Sansal.

     
     


    Je propose ici, par deux voies, de l'écouter (je propose six vidéos en fin d'article où il a le temps de développer ses idées) et de le lire pour comprendre la pensée qu'il exprime, au moyen de quelques extraits sur des sujets importants.

    Sur le mythe fondateur de l'Algérie : « Je suis un iconoclaste qui dénonce les mensonges de la guerre de libération. J'ose toucher à un mythe fondateur, mais un mythe est fait pour être discuté. L'Algérie a été construite par la France dont elle porte les valeurs du XIXe. Alger est une ville squattée. Ils sont loin d'avoir trouvé les clés. Aujourd'hui, elle tourne le dos à la Méditerranée en regardant vers l'Iran et les pays arabes. Chez nous [en Algérie], les politiques s'expriment comme des imams ténébreux. La France est le centre du monde par son immense culture et sa liberté. C'est le pays de l'équilibre par excellence. La liberté est une notion riche et profonde en Occident. Ici, en guise de liberté, c'est le foutoir, l'apostrophe, l'insulte et la bagarre de rues. » ("Le Serment des barbares", 1999).

     
     


    Sur le pouvoir politique en Algérie : « Reconstituer un monde disparu est toujours à la fois une façon de l'idéaliser et une façon de le détruire une deuxième fois puisque nous le sortons de son contexte pour le planter dans un autre et ainsi nous le figeons dans l'immobilité et le silence ou nous lui faisons dire et faire ce qu'il n'a peut-être ni dit ni fait. Le visiter dans ces conditions, c'est comme regarder le cadavre d'un homme. » ("2084 : la fin du monde", 2015).

    Sur Abdelaziz Bouteflika : « Bouteflika est un autocrate de la pire espèce (…). C'est pourtant lui que les grandes démocraties occidentales soutiennent et à leur tête la France de Sarkozy. (…) Je pense souvent à l'exil mais où, chez Bush, chez Sarkozy ? Remplacer un malheur par un autre n'est pas ce qu'on peut appeler une bonne décision. » (le 13 mars 2008, interview à Rue89).

    Sur la colonisation française : « Comme 80% des Algériens [je suis nostalgique de la présence française]. Ce qui ne veut pas dire que nous sommes nostalgiques de la colonisation. Mais au temps de la présence française, l'Algérie était un beau pays, bien administré, plus sûr, même si de criantes inégalités existaient. Beaucoup d'Algériens regrettent le départ des pieds-noirs. S'ils étaient restés, nous aurions peut-être évité cette tragédie. » (le 18 septembre 1999, interview dans "Le Figaro").

    Sur l'islam : « L'islam (…) se situe par essence dans le champ politique. Le prophète Mahomet est un chef d'État et un chef de guerre qui a utilisé sa religion à des fins tactiques et politiques. Par ailleurs, les textes eux-mêmes ont une dimension totalitaire puisque la charia (loi islamique), qui se fonde sur les textes sacrés de l'islam que sont le Coran, les hadiths et la Sunna, légifère sur absolument tous les aspects de la vie. » (le 4 septembre 2015, interview dans "Le Figaro").

    Sur l'islamisme en France : « [Les Algériens sont] inquiets parce qu’ils constatent jour après jour, mois après mois, année après année, que la France ne sait toujours pas se déterminer par rapport à l’islamisme : est-ce du lard, est-ce du mouton, est-ce de la religion, est-ce de l’hérésie ? Nommer ces choses, elle ne sait pas, c’est un souci. Pendant ce temps, le boa constrictor islamiste a largement eu le temps de bien s’entortiller, il va tout bientôt l’étouffer pour de bon. » (le 13 décembre 2016, interview à la Fondation Varenne).

    Une année auparavant, il disait déjà : « L'islamisation est en marche et connaît une accélération notable. Chacun peut l'observer. Aujourd'hui, l'islamisation est l'affaire de professionnels de la prédication, de la manipulation et des médias, dont Internet. Elle a des buts politiques offensifs. La masse critique qui déclenchera la réaction en chaîne n'est pas loin d'être atteinte. Elle posera d'énormes et insolubles problèmes en Europe. » (le 15 janvier 2015, interview à "Valeurs Actuelles").

    Dans "Le Village de l'Allemand" : « Arrêter l'islamisme, c'est comme vouloir attraper le vent. Il faut autre chose qu'un panier percé ou une bande de rigolos comme nous. Savoir ne suffit pas. Comprendre ne suffit pas. La volonté ne suffit pas. Il nous manque une chose que les islamistes ont en excès et que nous n'avons pas, pas un gramme : la détermination. » (2015). Dans le même livre : « Il a compris que l’islamisme et le nazisme, c’était du pareil au même. Il a voulu voir ce qui nous attendait si on laissait faire comme on a laissé faire en Allemagne, à Kaboul et en Algérie où les charniers islamistes ne se comptent plus, comme on laisse faire chez nous, en France où les gestapos islamistes ne se comptent plus. ». Ou encore, pour être encore plus clair : « Hitler était le führer de l’Allemagne, une sorte de grand imam en casquette et blouson noir. En arrivant au pouvoir, il a apporté avec lui une nouvelle religion, le nazisme. Tous les Allemands portaient au cou la croix gammée, le truc qui voulait dire : Je suis nazi, je crois en Hitler, je vis par lui et pour lui. ».

    Dans "Le Train d'Erlingen" : « Oui, l'Europe a peur de l'islamisme, elle est prête à tout lui céder. (…) La réalité en boucle n'a pas d'effet sur les gens, en apparence du moins. On l'a vu en Algérie durant la décennie noire : les gens qui, au début, s'émouvaient pour une victime du terrorisme ont fini après quelques mois de carnage par ne ressentir d'émotion que lorsque le nombre des victimes par jour dépassait la centaine, et encore devaient-elles avoir été tuées d'une manière particulièrement horrible. Terrible résultat : plus les islamistes gagnaient de terrain et redoublaient de cruauté, moins les gens réagissaient. L'info tue l'info, l'habitude est un sédatif puissant et la terreur, un paralysant violent. » (2018).


    Sur la langue arabe : « L'Université (…), elle enseigne en arabe, ce qui se conçoit, à des étudiants qui ne pratiquent que leur langue et c'est marre [ça suffit !] : l'algérien, un sabir fait de tamazight, d'un arabe venu d'ailleurs, d'un turc médiéval, d'un français XIXe et d'un soupçon d'anglais new-age. » ("Le Serment des barbares", 1999).



    1. Le 14 novembre 2024 ("Atelier de la langue française")






    2. Le 8 octobre 2024 ("Front populaire")






    3. Le 2 octobre 2024 ("Frontières")






    4. Le 1er juillet 2023 ("Le Figaro")






    5. Le 13 juin 2019 (Montpellier)





    6. Le 12 octobre 2018 ("Dialogues")






    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (25 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Boualem Sansal.
    Le massacre d’Oran, 60 ans plus tard…
    José Gonzalez.
    Reconnaissance par Emmanuel Macron le 26 janvier 2022 de deux massacres commis en 1962 en Algérie (Alger et Oran).
    Pierre Vidal-Naquet.
    Jean Lacouture.
    Edmond Michelet.
    Jacques Soustelle.
    Albert Camus.
    Abdelaziz Bouteflika en 2021.
    Le fantôme d’El Mouradia.
    Louis Joxe et les Harkis.
    Chadli Bendjedid.
    Disparition de Chadli Benjedid.
    Hocine Aït Ahmed.
    Ahmed Ben Bella.
    Josette Audin.
    Michel Audin.
    Déclaration d’Emmanuel Macron sur Maurice Audin (13 septembre 2018).
    François Mitterrand et l'Algérie.
    Hervé Gourdel.
    Mohamed Boudiaf.
    Vidéo : dernières paroles de Boudiaf le 29 juin 1992.
    Rapport officiel sur l’assassinat de Boudiaf (texte intégral).
    Abdelaziz Bouteflika en 2009.

     
     



    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241121-boualem-sansal.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/liberez-boualem-sansal-257780

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/23/article-sr-20241121-boualem-sansal.html



     

  • Risque de censure : Non, le RN n'est pas l'arbitre des élégances !

    « Je ne me suis pas roulé par terre pour être Premier Ministre. J'étais prêt, disponible, mais je n'étais pas demandeur. J'ai accepté en me disant que je pouvais être utile. J'essaie de remettre du calme, du respect partout. » (Michel Barnier, le 15 novembre 2024 dans "Ouest-France").




     

     
     


    Ce lundi 25 novembre 2024 dans la matinée, à son bureau de Matignon, le Premier Ministre Michel Barnier a prévu de recevoir Marine Le Pen, la présidente du groupe RN à l'Assemblée. L'ordre du jour de cette réunion est assez facile à imaginer : le projet de loi de finances pour 2025 et le risque de censure.

    En effet, la version du PLF 2025 (projet de loi de finances) qui reviendra à l'Assemblée en seconde lecture sera la version gouvernementale amendée par le sage Sénat. Autant dire qu'il paraît évident qu'il n'y aura pas de majorité positive pour voter ce PLF à l'Assemblée. Le gouvernement ne peut compter que sur environ 210-220 députés du "socle commun" et sur personne d'autres (et encore, à condition d'une discipline de fer de ce socle). Pas de quoi compenser la conjonction des oppositions qui, pour leur base électorale, seront de toute façon obligées de voter contre.


    La solution, évidemment, c'est d'éviter le vote. Envisagée depuis longtemps, c'est l'utilisation de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution. Celui-là permet l'adoption d'un texte à condition qu'aucune motion de censure déposée à cette occasion ne soit adoptée. Il y a une grande différence politique, de posture et de responsabilité, entre voter contre le projet de loi de finances (le vote du PLF étant l'appartenance politique par excellence, ou pas, à la majorité gouvernementale) et voter pour une motion de censure dont les conséquences seront politiquement et économiquement grave. En clair, l'article 49 alinéa 3 permet à l'opposition soit de montrer son opposition à bon compte, soit de rester neutre sans qu'on puisse lui reprocher, et permet en même temps à certains groupes de la majorité de ne pas avoir à voter pour le budget.
     

     
     


    Imaginons un instant qu'une motion de censure soit votée à l'issue de ce probable 49 alinéa 3. Il y aurait alors deux conséquences dont les effets à court, moyen et long termes seraient difficiles à évaluer vraiment mais elles seraient graves.

    D'abord, il y aurait le rejet du projet de loi de finances en lui-même, cela signifierait qu'en début décembre 2024, la France n'aurait pas de budget pour 2025. Pas d'inquiétude toutefois, nous ne sommes pas aux États-Unis et il n'y aurait pas de ce qu'on appelle outre-atlantique un shutdown (arrêt des paiements des traitements des fonctionnaires, arrêt de toutes transactions financières de l'État). En effet, à très court terme, le gouvernement pourrait faire passer un douzième du budget de 2024. Ce n'est pas génial pour le déficit, mais cela donnerait du temps pour refaire la procédure budgétaire avant la fin de janvier 2025. Cela écrit, ce serait grave pour les entreprises (les investissements notamment) et pour les ménages (la consommation notamment), avec une grande incertitude qui régnerait encore sur les règles fiscales et sociales qui s'appliqueraient à eux en 2025.

    Ensuite, et ce ne serait pas le moins pire, le gouvernement Barnier serait renversé. Inutile de dire que Michel Barnier n'insisterait pas et jetterait l'éponge après cet échec politique, mais de "son avenir", tout le monde s'en moquerait. Le problème, ce serait de nommer un nouveau gouvernement avec une majorité aussi impossible, et avec cette impossibilité de dissoudre l'Assemblée avant juin 2025. Que faire pendant le premier semestre 2025. Même la démission éventuelle du Président Emmanuel Macron n'empêcherait pas cette impossibilité de dissoudre (les constitutionnalistes sont tous d'accord sur le sujet). Le profil de Michel Barnier paraît aujourd'hui le meilleur possible pour évoluer dans cette zone à pièges !
     

     
     


    Autant dire que l'enjeu du vote du budget n'est donc pas négligeable. Michel Barnier a réussi, pour l'instant, à marcher sur les œufs et aucun n'a explosé. Bientôt, les œufs se transformeront peut-être en mines antipersonnelles.

    Depuis quelques jours, les responsables du RN mettent en garde le gouvernement sur sa volonté de censurer le gouvernement en raison du budget. Ils cherchent à faire monter les enchères. En rappelant que le pouvoir d'achat était l'une de ses lignes rouges, Marine Le Pen donne nettement un argument en faveur du vote d'une motion de censure. Il faut dire que selon un sondage IPSOS publié le 23 novembre 2024 pour "La Tribune Dimanche", 67% des sympathisants du RN sondés seraient favorables au vote de la censure (pour l'ensemble des Français, ce serait 53% des sondés). Un autre sondage publié le 20 novembre 2024 par Elabe pour BFMTV a donné le même genre de résultats : 51% pour l'ensemble des Français, 61% pour les sympathisants du RN souhaiteraient l'adoption d'une motion de censure. La pression du terrain est donc très forte. C'est dire si la base RN pousse pour aller au clash (sans sortie de secours, car quel autre gouvernement serait-il possible avec une telle Assemblée ?).
     

     
     


    Jeu de bluff bien sûr, puisque Marine Le Pen, en plein procès, n'entend pas du tout retourner devant les électeurs à ce moment de son calendrier. Elle sait qu'elle risquerait très gros, et perdre un quart de siècle de carrière politique à cause d'une erreur de jugement pourrait faire réfléchir. En clair, elle serait plutôt du genre à se faire discrète. Le problème, c'est la dignité et la base électorale. Il ne faut donc pas perdre la face. Laurent Wauquiez a eu son trophée (la revalorisation des pensions de retraite, une mesure en fait pas si favorable aux retraités), et Marine Le Pen a donc besoin de son propre trophée pour pouvoir justifier, sans se renier, qu'elle ne voterait pas la censure encore cette fois-ci.
     

     
     


    Il est donc probable que Michel Barnier lui lâchera un morceau, n'importe quoi mais une mesure en faveur du pouvoir d'achat, et tant pis si cela coûtera à l'État, au déficit. Sa survie en dépend. Leur survie en dépend, celle de Michel Barnier mais aussi celle de Marine Le Pen.

    Pour autant, il ne faut pas s'aveugler par ce jeu de rôles. Marine Le Pen et son groupe RN ne peuvent pas renverser le gouvernement, ne peuvent pas faire chuter le gouvernement. Et pour une raison ultra-simple : elle ne dispose que de 126 sièges, 142 si l'on compte également les députés ciottistes, ce qui est loin pour faire face aux 210-220 députés du "socle commun". En d'autres termes, jamais une motion de censure ne pourra être adoptée par le RN seul. C'est une évidence, mais il convient d'insister là-dessus.

     
     


    Car cela arrange les oppositions de faire croire que Marine Le Pen serait l'arbitre des élégances. Cela arrange le RN qui se voit ainsi attribuer un rôle bien plus grand que la réalité. Cela le rend influent, le rend puissant, et laisse entendre qu'il fait la pluie et le beau temps. Cela arrange aussi la nouvelle farce populaire (NFP). Cette gauche-ci trouve très confortable de pointer du doigts une supposée collusion gouvernement/RN alors qu'elle-même pourrait éviter l'adoption d'une motion de censure.

    C'est là l'essentiel : une motion de censure ne pourra être adoptée qu'avec l'apport conjoint des votes du RN et des votes du NFP, c'est-à-dire par la collusion, cette fois-ci effective, entre le RN et le NFP. Et pour faire quoi ? Rien, car l'idée est le chaos. Aucun gouvernement RN-NFP n'est imaginable, le RN avait même considéré que son premier objectif était d'éviter de mettre l'extrême gauche au pouvoir.


    Donc, la gauche ultradicale a un moyen simple d'empêcher l'influence du RN, c'est de ne pas voter une motion de censure sur le budget et de tenter d'influer elle-même sur l'action du gouvernement. Ce serait bien sûr un espoir impossible à envisager tant l'irresponsabilité de tous les députés du NFP, y compris de François Hollande, est grande par rancune contre Emmanuel Macron (qui est pourtant hors-jeu), au prix de mettre la France en péril.

    Cette irresponsabilité est déjà pratiquement acquise puisque, dans une tribune publiée le 21 novembre 2024 dans "Le Monde", les apparatchiks du NFP ont déjà annoncé qu'ils déposeraient une motion de censure : « S’il [le gouvernement] s’entête à vouloir contourner le Parlement et à piétiner le vote du 7 juillet des Françaises et des Français pour imposer son budget par 49 al. 3, nos groupes parlementaires déposeront une motion de censure. ». Pour ces gauchistes, "s'entêter à vouloir piétiner le vote du 7 juillet", c'est continuer à ne toujours pas nommer Lucie Castets à Matignon. Pourtant, la page est tournée, puisqu'elle a été elle-même éjectée du strapontin des insoumis. Très étrange d'ailleurs, car la tribune était signée non seulement de Manuel Bompard (FI), Olivier Faure (PS), Fabien Roussel (PCF) et Marine Tondelier (EELV), mais aussi de... Lucie Castest, officiellement présentée comme "candidate du NFP à Matignon" ! Il est des illusions qui persistent et durent...

    Les dirigeants du NFP seront également reçus par le Premier Ministre en ce début de semaine, mais sans vraiment espérer influencer sur le budget puisque la motion de censure semble déjà acquise. Ils étaient très mécontents du rejet de la version très irresponsable du budget en première lecture où 65 milliards d'euros de nouveaux impôts et taxes avaient été votés au détriment des Français et des entreprises françaises.

     

     
     


    Le budget n'est pas qu'une épreuve pour le gouvernement Barnier ; il est aussi une épreuve pour le NFP dont l'unité se fissure jour après jour. Car en cas d'adoption d'une motion de censure, il risque d'exploser dans ses réactions très divergentes. Le PS souhaiterait alors envisager l'hypothèse d'un gouvernement dirigé par l'un des leurs, Bernard Cazeneuve. Une hypothèse qui paraît aujourd'hui fort improbable : l'histoire ne repasse jamais les plats. L'ancien dernier Premier Ministre socialiste aurait du mal à convaincre le "socle commun" de le rejoindre tout en convainquant la plupart des socialistes. Les dirigeants de LR n'auraient alors aucun scrupule à quitter ce navire en perdition.

    C'est la raison pour laquelle Michel Barnier jouit de circonstances malgré tout favorables : ni le RN ni le NFP n'ont au fond intérêt à ce qu'une motion de censure soit adoptée. Mais ils ne voudraient pas perdre la face. C'est là un axe de négociation majeur pour Michel Barnier qui en a connu d'autre avec les négociations sur le Brexit. Le dénouement dans les prochaines jours...


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (23 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Risque de censure : Non, le RN n'est pas l'arbitre des élégances !
    Michel Barnier plaide pour la sobriété normative et procédurale !
    Discours du Premier Ministre Michel Barnier le 21 novembre 2024 à la Porte de Versailles (vidéo et texte intégral).
    Michel Barnier sur les pas de Pierre Mendès France.
    Discours du Premier Ministre Michel Barnier le 15 novembre 2024 à Angers (vidéo et texte intégral).
    PLF 2025 : la majorité de rejet !
    Michel Barnier : déjà deux mois !
    François Guizot à Matignon ?
    5 euros pour visiter Notre-Dame de Paris ?
    Achats dans la fonction publique : des économies à faire ?
    Doliprane : l'impéritie politique.
    Proche-Orient : l'incompréhension de Roger Karoutchi.
    Motion de censure : le quart d'heure de gloire d'Olivier Faure.
    Budget 2025 : l'impossible mission de Michel Barnier.
    Claude Malhuret : du vol des élections aux chefs d'escadrille...
    Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
    La quadrature du cercle de Michel Barnier.

     

     
     



    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241123-censure.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/risque-de-censure-non-le-rn-n-est-257810

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/24/article-sr-20241123-censure.html



     

  • Michel Barnier plaide pour la sobriété normative et procédurale !

    « Mesdames et messieurs les maires, dans votre diversité, vous portez ici la voix de millions de Français qui réaffirment d'élection en élection leur attachement à l'institution communale. Ce contact direct entre nous est important, il doit être franc, il l'a été, et donc je serai franc aussi avec vous, parce que nous sommes responsables ensemble, État et commune, du plus petit village de France jusqu'aux plus grandes villes de la République. Je n'oublie jamais que les maires sont depuis toujours les représentants de l'État et de la République sur le terrain, partout sur le territoire. Sans eux, la République est privée de ses bases. » (Michel Barnier, le 21 novembre 2024 à Paris).




     

     
     


    Petit à petit, le Premier Ministre Michel Barnier se forge une certaine trajectoire. Après l'Assemblée des départements de France la semaine dernière, le voici à prononcer le discours de clôture du 106e congrès des maires de France, ce jeudi 21 novembre 2024 à la Porte de Versailles, à Paris. C'était aussi un moment fort pour le maire de Cannes David Lisnard, président de l'Association des maires et des présidents d'intercommunalité de France qui le recevait (et qui aurait pu aussi se retrouver à la place de son interlocuteur il y a quelques semaines).

    Inutile de dire que Michel Barnier se sentait chez lui parmi tous les élus locaux. Ce Savoyard est en effet d'abord un girondin même s'il est aujourd'hui à la tête de l'État. Il rappelait d'ailleurs qu'en mars 1982, il fut élu le plus jeune président d'un conseil général (celui de Savoie), succédant à ce titre très temporaire (de plus jeune) à l'ancien ministre socialiste André Laignel, qui n'est autre que l'indéboulonnable premier vice-président de l'Assemblée des maires et des présidents d'intercommunalité de France.


    Le Premier Ministre peut même savourer cette séquence comme une différenciation très nette avec le Président de la République. Alors que, effectivement, Emmanuel Macron n'a jamais vraiment mesuré l'importance cruciale des maires de France, pourtant évidente lors de la crise du covid-19, Michel Barnier a eu le bon rôle de rassurer les élus municipaux sur les efforts budgétaires que le gouvernement demande aux Français et aux collectivités locales. Et de rétablir la vérité faussée par des déclarations intempestives de l'ancien Ministre de l'Économie et des Finances Bruno Le Maire qui soutenait, à tort, que le surplus de déficit public provenait des collectivités locales (bien sûr que non !).

    À ce sujet, il a été très clair : « Ma responsabilité aujourd'hui, c'est de rendre ces efforts les plus justes possibles. Je veux le dire clairement et solennellement, je le répète, il n'est pas normal ni juste de montrer du doigt les communes, les collectivités locales ou territoriales comme si elles étaient responsables de ce déficit. Ce n'est pas vrai et je ne le ferai donc pas. Les efforts que nous devons faire, on ne va pas les faire contre les communes ni sans elles, on voudra les faire avec vous. Et nous aurons besoin de vous, les maires, pour faire remonter les difficultés mais aussi pour expliquer aux Français les démarches que nous devons faire ensemble pour rétablir les comptes de notre pays. ».


    L'une des principales annonces faites par Michel Barnier, déjà suggérée par Emmanuel Macron en 2022, c'est de réduire la réglementation, les normes. Ce sera un vaste chantier : « Nous allons entrer dans une démarche résolue d'évaluation et de simplification du stock des normes (…), en nous appuyant sur le Conseil d'État et dans des domaines choisis concernant par exemple l'urbanisme ou l'environnement. Nous allons nous atteler à réécrire depuis la page blanche de notre législation en partant des objectifs que nous poursuivons et des contraintes juridiques qui s'imposent dans une logique de sobriété normative et procédurale. ».

    Il a insisté sur ce point : « Et ce dont nous avons besoin en priorité, c'est de lois moins bavardes, qui s'en tiennent aux objectifs généraux et qui ne cherchent pas à régler tout dans le détail. Il faut ensuite que l'État s'astreigne, lui aussi, à ne prendre des normes de lorsque c'est strictement nécessaire, à ne pas surtransposer, par exemple, les directives européennes. Je disais ça au Sénat, je le répète devant vous. Nous allons regarder texte par texte, norme par norme, méthodiquement, là où la France, dans une sorte de zèle, a surtransposé les directives européennes, et pas seulement dans l'agriculture (…). Nous allons regarder là où nous avons surtransposé, parfois en croyant bien faire, pas toujours, des normes qui créent contre nos entreprises agricoles, artisanales, industrielles, une concurrence déloyale contre nous-mêmes. C'est ça la situation. Et nous supprimerons, lorsque ce n'est plus justifié ou pas justifié, ces transpositions. Ne sous-estimons pas le problème technique que ça pose. Il faut regarder texte par texte, mais nous allons le faire méthodiquement avec l'ensemble des ministres. Nous devons mettre un terme à cette inflation normative qui s'est emballée à Bruxelles, évidemment, avec le fameux Green Deal, et aussi dans notre pays. Les décideurs locaux, préfets élus, sauront quoi faire de cette liberté retrouvée, et je voudrais reprendre le mot de votre président [David Lisnard], "faire confiance". C'est comme cela que nous donnerons substance au pouvoir réglementaire local, aujourd'hui inusité. ».

    Dans ce domaine, Michel Barnier a ainsi annoncé plusieurs décisions gouvernementales : « Cette volonté me conduira à prendre dans les semaines qui viennent quatre décisions assez importantes : un, je vais demander à l'ensemble des administrations de proposer en priorité des lois d'orientation ou des lois cadres qui fixent des objectifs plutôt que les moyens et qui laissent aux autorités locales des marges pour interpréter les règles et pour les mettre en œuvre de manière adaptée. C'est un point que votre président a fait tout à l'heure et nous allons aller dans ce sens. Le gouvernement fera la chasse aux lois trop complexes ou trop détaillées et nous renverrons tous les textes qui ne respecteraient pas cet objectif. Je vais signer une circulaire sur ce sujet avant la fin de cette année. Deux, nous allons faire évoluer le rôle du Conseil national d'évaluation des normes que préside Gilles Carrez, pour en faire l'organe de la vérification, bien en amont de leur présentation au Parlement, du respect de l'exigence, de clarté et d'intelligibilité des lois. Ce Conseil national est trop souvent considéré comme un passage obligé et sa saisine est trop formelle, trop tardive. Nous devons en faire un organe de conception, partager des lois et des règlements saisis bien plus tôt qu'il ne l'est aujourd'hui. Trois, nous allons intégrer plus spécifiquement aux études d'impact l'analyse des effets de la loi sur les collectivités territoriales. En amont, l'exercice de leurs compétences donnant ainsi une portée renforcée à l'article 8 de la loi organique du 15 avril 2009. On va faire la même chose d'ailleurs pour les petites et moyennes entreprises avec un test PME pour vérifier à l'avance, avant que la loi française ou européenne avance et ne soit promulguée, quel peut être l'impact de ces textes sur la vie et le budget des entreprises. Si on l'avait fait d'ailleurs sur certains textes européens, on économiserait déjà beaucoup d'argent. (…) Ce travail débutera aussi dès la fin de cette année. Voilà l'évolution que nous allons impulser dans ce temps qui est devant nous. Elle consiste à vous laisser adapter les règlements, les interpréter, et voir en fonction des besoins de votre territoire ce qu'il faut faire chez vous, chez vous, vous-même, pour atteindre les objectifs que la loi et les règlements ont fixés. ».
     

     
     


    Le deuxième point du Premier Ministre, qui a repris la signification de l'appellation même de la Ministre du Partenariat avec les territoires, Catherine Vautrin, c'est de rendre l'égalité de considération aux territoires face à l'État : « Plus de liberté, des marges de manœuvre restaurées, une vie quotidienne plus simple, voilà qui devrait aider les communes à libérer, à acquérir ou à retrouver cette liberté pour leur potentiel de développement. Ça donne aussi l'occasion pour vous de jouer un rôle de premier plan dans le renouveau démocratique de notre pays. Avoir plus de liberté pour agir, c'est aussi avoir des possibilités nouvelles d'agir avec les autres, Nous voulons donner un nouvel élan aux coopérations territoriales, y compris transfrontalières. Nous devons articuler de manière beaucoup plus forte nos actions respectives avec celles des départements et des régions. Cela peut prendre des formes diverses et nouvelles, pas forcément institutionnelles. L'important, c'est d'être efficaces ensemble. (…) Tout cela contribue à ce contrat de confiance que vous avez appelé de vos vœux (…), sur trois ans, de telle sorte que vous n'ayez plus ce sentiment que j'ai indiqué au début, d'être des sous-traitants de l'État, ce n'est pas juste, ce n'est pas bon, mais davantage des partenaires et que l'État, en tout cas, ce sera le cas aussi longtemps que je dirigerai le gouvernement, se comporte, pour vous aussi, en partenaire. Voilà. Ce chantier dépasse le seul cas des communes, mais c'est à travers elles, aujourd'hui, que nous réaffirmerons que la puissance publique locale peut décider, agir, par elle-même, ce qu'il doit l'être. ».

    Le chef du gouvernement a pris quelques exemples pour réduire les contraintes qui pèsent sur les communes. Il n'y aura plus d'obligation systématique de transfert à l'intercommunalité de l'eau et de l'assainissement. L'obligation actuellement mise dans la loi ne tient pas compte des cas très spécifiques (comme des communes de montagne) : « D'autres formules que le transfert obligatoire à l'intercommunalité sont possibles, notamment dans des territoires à contraintes spécifiques. (…) Il n'y aura donc plus d'obligation de transfert à l'avenir. Et la loi laissera ainsi aux communes le choix de ce que vous voulez faire. Dans toute la gamme des solutions que vous connaissez, si ce n'est pas l'intercommunalité, ça peut être un syndicat, ça peut être aussi la commune seule. ».

    Un autre domaine très préoccupant pour les communes est l'objectif du Zéro artificialisation nette (ZAN) : « Il ne faut pas d'ambiguïté sur ce domaine. Dans mon long parcours, j'ai été aussi Ministre d'Environnement et chargé des risques naturels. Là aussi, on a essayé de pratiquer une écologie humaniste et concrète avec et non pas contre. On ne va pas abandonner l'objectif que poursuit le ZAN, qui est de préserver d'ici 2050 nos espaces agricoles et naturels. J'ai appris en Savoie et au Ministère que, et vous le savez aussi bien que moi, dans notre pays, les espaces naturels et les ressources naturelles ne sont ni gratuits ni inépuisables. Il faut faire attention. Comme il faut faire attention aux terres agricoles, aux patrimoines, et aussi à ce dont nous avons besoin, en n'ayant pas la mémoire courte, par rapport à beaucoup trop de catastrophes naturelles. Certains d'entre vous en ont vécu, il n'y a pas si longtemps, qui exigent aussi de la prévention. Donc, on ne va pas abandonner cet objectif, mais on va essayer de l'atteindre en adaptant le ZAN quand c'est nécessaire pour atteindre cet objectif. Que ce soit pour les constructions de l'eau (…) ou pour l'économie, construction d'usines. (…) Nous avons ce souci de développer l'emploi, surtout dans un moment où il y a depuis de longs mois maintenant des signaux extrêmement concrets de régression, de restructuration. Dans l'immédiat, nous allons faire tout ce qui est possible par voie réglementaire pour vous donner de la souplesse. Voie réglementaire, c'est rapide. Nous allons aussi, par exemple, modifier les textes pour que, un exemple, les jardins pavillonnaires ne soient plus considérés comme des surfaces artificialisées, ce qui dégagera des marges de manœuvre localement et évitera que ces projets ne soient bloqués inutilement. Nous avons besoin de logements (…) et nous avons besoin aussi d'autoriser plus de construction, notamment pour les projets vertueux, comme la construction sur des friches ou des projets de densification. Dans un second temps, (…) nous devons renverser la pyramide. Le ZAN ne doit pas se décliner en cascade et de manière mécanique de la région jusqu'à la plus petite commune. Une fois l'objectif fixé dans le schéma régional d'aménagement (…), il faut laisser le territoire discuter de la façon dont il veut prendre sa part à l'effort. Il faut partir du terrain et laisser s'organiser, d'abord dans chaque département, la discussion qui permettra d'atteindre l'objectif au niveau de la région. Nous allons donc réfléchir en termes de trajectoire plutôt qu'avec des dates couperets. Ce qui compte, c'est que l'objectif soit atteint en 2050, il est d'intérêt général, et qu'on soit en capacité de vérifier de manière régulière que chaque territoire soit nécessaire pour l'atteindre. Il faut laisser le territoire définir le rythme crédible auquel il veut progresser dans l'atteinte de cet objectif. Nous allons travailler dans le cadre d’une loi modifiée pour que ces nouvelles dispositions, tel que je viens de vous le décrire, cette nouvelle liberté, cet oxygène, soit opérationnel dès le premier semestre 2025. ».

    Cette proposition d'assouplir les conditions d'atteindre le ZAN en 2050 est bienvenue et raisonnable. Indispensable même. Les maires vont être soulagés. Il faut bien réfléchir sur le fait que la transition écologique, nécessaire, est en elle-même révolutionnaire. Or, on ne réussit jamais les révolutions parce que c'est toujours trop violent et qu'il y a toujours trop de laissés-pour-compte et à terme, cela se retourne contre l'objectif fixé. Il faut donc que l'État ne soit pas révolutionnaire (en ce sens que le rythme ne doit pas être trop rapide) et être progressif, pour être progressiste, pour être durablement progressiste. Sans cela, le retour en arrière serait électoralement inéluctable, à l'instar de la réélection de Donald Trump aux États-Unis. Michel Barnier, qui est un modéré mais qui veut aussi faire progresser la sauvegarde de la planète, a bien compris cet enjeu et veut donc assouplir la loi pour permettre à toutes les communes de s'organiser sans devenir folles par de multiples injonctions paradoxales (plus de logements, moins d'artificialisation).

    Autre mesure sur la prévention des risques : « Je vais (…) ouvrir, regardons ce qui s'est passé depuis quelques mois difficile, celui [le chantier] de l'assurance et de la réassurance des biens publics de vos collectivités pour faire face à l'augmentation, à la fréquence, à la violence des crises. ».


    Sur la sécurité aussi, Michel Barnier veut aussi apporter un nouveau paradigme aux maires : « Il faut faire confiance et s'appuyer sur l'intelligence locale. Elle est notre meilleur atout pour identifier les besoins qui sont différents d'une région à l'autre. Les maires sont là encore les premiers responsables pour leur commune en matière de sécurité. Ils doivent être pleinement associés aux plans d'actions départementaux et de restauration de la sécurité au quotidien. Le Ministre de l'Intérieur a demandé au préfet de chaque département de les élaborer pour la mi-janvier. Seul ce travail commun, appuyé sur votre expérience, mesdames et messieurs les maires, combiné à l'expertise des policiers et des gendarmes, permettra d'améliorer durablement et sérieusement la sécurité au quotidien. C'est la même logique, dans le respect de vos compétences et de vos choix, que je souhaite que nous travaillions ensemble à la rénovation du cadre juridique des polices municipales qui sont devenues une composante à part entière des politiques de sécurité. ».
     

     
     


    Le Premier Ministre a aussi évoqué une autres Arlésienne de la vie politique, le statut de l'élu : « C'est d'abord protéger et reconnaître le rôle que vous jouez dans la vie quotidienne du pays et des Français. Voilà pourquoi nous allons remettre en chantier le statut de l'élu qui sera proposé à l'Assemblée Nationale d'ici le début de l'année 2025 (…). Je souhaite qu'il associe l'ensemble des partis politiques et des membres de la représentation nationale, dont certains d'entre eux ont fourni un grand travail depuis quelques mois. Nous allons avancer sur la base de la proposition de Françoise Gatel, qui est ici adoptée au Sénat et qui sera débattue en février, au mois de février, à l'Assemblée Nationale. Je souhaite aussi qu'elle soit complétée notamment par les travaux des députés Violette Spillebout, Sébastien Jumel et du président Stéphane Delautrette, qui font des propositions très complémentaires à celles du Sénat en matière de valorisation, d'articulation avec la vie professionnelle, de formation et de reconversion. Sur tous ces points, nous allons avancer, et pas dans trois ans, dans quelques semaines. Ce texte consacrera enfin, après tant d'attentes, un statut de l'élu, en bonne et due forme, qui figurera en tête du code général des collectivités territoriales, qui est (…) du respect et la reconnaissance de la République. ».

    J'ai trouvé ce discours beaucoup moins percutant que celui du 15 novembre 2024 à Angers devant les présidents de conseils départementaux. Mais le chef du gouvernement ne rate jamais l'occasion de rappeler la très grande précarité de ses responsabilités, comme cette fois-ci devant les maires : « Monsieur le président [Lisnard], si vous m'invitez l'année prochaine, et si je suis toujours là, je veux bien, vous ne m'entendrez pas aujourd'hui faire des promesses ou autre chose, mais je veux bien, devant vous, l'année prochaine, faire le bilan, l'évaluation de ce que je vous aurais dit aujourd'hui. Vous dire là où nous avons réussi, là nous avons progressé. Voilà. ».

    Michel Barnier a conclu sur une analogie avec le rugby : « Quand on a ce courage, quand on sait être solidaire, quand on se respecte, alors je pense qu'on a de meilleures chances de faire face à l'adversité et de gagner, voilà. J'ai l'image en tête de notre équipe de France de rugby, vendredi soir dernier, voilà... Et je ne me compare pas à aucun des joueurs de l'équipe de France que j'ai salués, mais j'ai observé dans ce match formidable l'esprit d'équipe, la loyauté, la solidarité, les règles du jeu, le respect aussi, et puis finalement la ténacité jusqu'au dernier moment pour garder un point d'avance. Voilà pourquoi j'ai cette image en tête. ».

    La ténacité, c'est sans doute ce qu'il faudra à Michel Barnier dans les jours et semaines à venir, tant son travail est politiquement quasiment impossible. Il a néanmoins un grand avantage : il n'attend plus rien de la vie politique, il a eu son bâton de maréchal. Cela lui donne une liberté immense.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (21 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Michel Barnier plaide pour la sobriété normative et procédurale !
    Discours du Premier Ministre Michel Barnier le 21 novembre 2024 à la Porte de Versailles (vidéo et texte intégral).
    Michel Barnier sur les pas de Pierre Mendès France.
    Discours du Premier Ministre Michel Barnier le 15 novembre 2024 à Angers (vidéo et texte intégral).
    PLF 2025 : la majorité de rejet !
    Michel Barnier : déjà deux mois !
    François Guizot à Matignon ?
    5 euros pour visiter Notre-Dame de Paris ?
    Achats dans la fonction publique : des économies à faire ?
    Doliprane : l'impéritie politique.
    Proche-Orient : l'incompréhension de Roger Karoutchi.
    Motion de censure : le quart d'heure de gloire d'Olivier Faure.
    Budget 2025 : l'impossible mission de Michel Barnier.
    Claude Malhuret : du vol des élections aux chefs d'escadrille...
    Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
    La quadrature du cercle de Michel Barnier.
     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241121-barnier.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/michel-barnier-plaide-pour-la-257779

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/22/article-sr-20241121-barnier.html



     

  • Jean Jaurès, le Panthéon et le wokisme

    « Ceux qui discutaient ses idées et qui savaient sa force sentaient aussi ce que, dans nos controverses, ils devaient à ce grand foyer de lumière. Ses adversaires sont atteints comme ses amis et s'inclinent avec tristesse devant notre tribune en deuil. Mais, que dis-je, y a-t-il encore des adversaires ? Non, il n'y a plus que des Français... des Français qui, depuis quarante-quatre ans, ont fait à la cause de la paix tous les sacrifices, et qui, aujourd'hui sont prêts à tous les sacrifices pour la plus sainte des causes : le salut de la civilisation, liberté de la France et de l'Europe. Du cercueil de l'homme qui a péri martyr, de ses idées sort une pensée d'union ! De ses lèvres glacées sort un cri d'espérance. Maintenir cette union, réaliser cette espérance, pour la patrie, pour la justice, pour la conscience humaine, n'est-ce pas le plus digne hommage que nous puissions lui rendre ? » (Paul Deschanel, le 4 août 1914 au perchoir de l'Assemblée Nationale).




     

     
     


    Il y a cent ans, le dimanche 23 novembre 1924, les cendres de Jean Jaurès ont été transférées au Panthéon (depuis sa tombe au grand cimetière d'Albi) à l'occasion d'une grande cérémonie à vocation républicaine mais aussi politique. Jaurès, comme Gambetta, Clemenceau, De Gaulle, Foch et Leclerc, fait partie des très rares personnalités de la République française à généralement ne pas avoir son prénom collé à son nom, tellement ils font partie du paysage politique et historique.

    Pour l'occasion, la ville de Carmaux (dans le Tarn), dont Jaurès était l'élu (il voulait représenter les mineurs de Carmaux), a proposé à ses administrés un voyage organisé à Paris du 22 au 24 novembre 2024 pour revivre les moments Jaurès, à l'ancienne gare d'Orsay, au café du Croissant, au Palais-Bourbon, au Palais du Luxembourg, et bien sûr, au Panthéon.

     

     
     


    Le leader du socialisme à la française, fondateur du journal "L'Humanité", est mort assassiné un peu plus de dix ans auparavant, le 31 juillet 1914, sous les balles d'un assassin d'extrême droite, alors qu'il prenait un repas dans un restaurant parisien. La mort du pacifiste coïncide aussi avec le début de la Première Guerre mondiale, déclarée le 3 août 1914 à la France par l'Allemagne à la suite d'un déchaînement d'événements provoqués par l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand d'Autriche, l'héritier de l'empire austro-hongrois (et sa femme), le 28 juin 1914 à Sarajevo par un nationaliste serbe (l'Autriche-Hongrie avait déjà déclaré la guerre à la Serbie le 28 juillet 1914).

    Pour les socialistes, l'assassinat de Jaurès et le début de la guerre ont définitivement coupé leur élan pacifiste et plongé la classe politique française dans l'Union nationale face à l'ennemi. C'est bien beau d'être pacifiste, mais si on vous déclare la guerre, il faut bien répondre, sinon, on est envahi (c'est l'objet de la résistance ukrainienne face aux troupes de Vladimir Poutine depuis plus de mille jours). C'est d'ailleurs un socialiste, René Viviani, cofondateur de "L'Humanité", qui, devenu Président du Conseil le 13 juin 1914, allait mettre en place et mener l'Union nationale au début de la guerre.

     
     


    Le 4 août 1914, après l'hommage du Président de la Chambre Paul Deschanel (futur Président de la République en 1920) à Jean Jaurès, René Viviani a d'ailleurs lu le fameux message du Président de la République Raymond Poincaré annonçant la guerre : « Aussi attentive que pacifique, [la France] s'était préparée ; et nos ennemis vont rencontrer sur leur chemin nos vaillantes troupes de couverture, qui sont à leurs postes, et à l'abri desquelles s'achèvera métho­diquement la mobilisation de toutes nos forces nationales. Notre belle et courageuse armée, que la France accompagne aujourd'hui de sa pensée maternelle, s'est levée, toute frémissante, pour défendre l'honneur du drapeau et le sol de la patrie. Le Président de la République, interprète de l'unanimité du pays, exprime à nos troupes de terre et de mer l’admiration et la confiance de tous les Français. ».

    Le message très consensuel (voir en début d'article) de Paul Deschanel, alors républicain modéré (aujourd'hui, de centre droit), en hommage à Jean Jaurès (socialiste), qui avait pour ambition de rassembler toute la classe politique derrière le seul impératif, défendre la patrie, en pleine déclaration de guerre, était aussi un premier signe de volonté de consensus des grands hommes de la République au-delà des clivages politiques.
     

     
     


    Et le transfert des cendres de Jaurès au Panthéon répondait d'abord à un objectif politique très déterminé : la gauche, revenue au pouvoir pour la première fois depuis la fin de la guerre, avec la victoire du Cartel des gauches aux élections législatives des 11 et 25 mai 1924, voulait revenir aux sources en honorant Jean Jaurès afin de montrer que le nouveau gouvernement, dirigé par le président du parti radical Édouard Herriot depuis le 14 juin 1924, n'était pas "bourgeois". Cela permettait de mobiliser les "classes populaires" derrière ce gouvernement, tout en rendant au nom de la République (et pas de la gauche) un hommage solennel à Jean Jaurès (qui, rappelons-le, n'a jamais été au pouvoir au contraire de Georges Clemenceau et Léon Blum).

    Aristide Briand, qui avait visité le Panthéon avec Jaurès, pouvait pourtant témoigner que Jaurès n'aurait jamais voulu être inhumé dans ce temple de la République, mais peut-être l'a-t-il fait savoir avec trop peu d'insistance (au contraire de De Gaulle). Voici ce qu'il disait à Aristide Briand : « Il est certain que je ne serai jamais porté ici. Mais si j’avais le sentiment qu’au lieu de me donner pour sépulture un de nos petits cimetières ensoleillés et fleuris de campagne, on dût porter ici mes cendres, je vous avoue que le reste de ma vie en serait empoisonné. ».

    Beaucoup d'élus de gauche comme Léon Blum et aussi Paul Painlevé, voulaient quand même honorer celui qui était contre l'injustice commise au capitaine Alfred Dreyfus. Un projet de loi a donc été déposé le 9 juillet 1924 pour faire ce transfert au Panthéon et il a été adopté au Sénat et à la Chambre des députés le 31 juillet 1924, au jour symbolique du dixième anniversaire de son assassinat. À cette époque, loin de faire consensus, ce transfert avait été violemment combattu tant par les députés nationalistes de l'Action française que par les communistes qui considéraient que le Cartel des gauches volaient Jaurès alors qu'ils s'en réclamaient aussi (la scission entre communistes et socialistes au congrès de Tours était encore toute fraîche).
     

     
     


    La cérémonie fut organisée minutieusement, de manière très théâtrale, selon la volonté des députés socialistes ; elle fut confiée au metteur en scène Firmin Gémier (que ceux qui y voient un parallèle avec la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques à Paris le 26 juillet 2024 confiée à Thomas Jolly gagnent un bon point !). Ce fut un grand moment de la République au même titre que les funérailles de Victor Hugo. Le cercueil de Jaurès est arrivé à la gare d'Orsay le 22 novembre 1924 accompagné par les mineurs de Carmaux, puis installé dans la salle Casimir Périer du Palais-Bourbon pour la nuit, où veillaient la famille, le gouvernement et quelques autres parlementaires.

    En 1938, Paul Nizan donna de cette veillée une version très négative, dénonçant son insincérité politique : « C'était une intolérable nuit. Dans ce grand alvéole de pierre, Laforgue et ses amis avaient l'impression d'être les complices silencieux de politiques habiles qui avaient adroitement escamoté cette bière héroïque et cette poussière d'homme assassiné, qui devaient être les pièces importantes d'un jeu dont les autres pions étaient sans doute des monuments, des hommes, des conversations, des votes, des promesses, des médailles et des affaires d'argent : ils se sentaient moins que rien parmi tous ces types calculateurs et cordiaux. Heureusement, il venait parfois à travers les murailles et la rumeur étouffée des piétinements et des musiques, comme une rafale de cris, et ils se disaient alors qu'il devait exister dans la nuit une espèce de vaste mer qui se brisait avec de la rage et de la tendresse contre les falaises aveugles de la Chambre ; ils ne distinguaient pas de quels mots ces cris étaient faits, mais ils devinaient quelquefois Jaurès au bout de ces clameurs. ».

    Le lendemain fut grandiose, raconté par un fonctionnaire de la Chambre, Georges Gatulle, cité par le site de l'Assemblée Nationale : « À midi 45, on a fait avancer le pavois destiné à recevoir le corps. Le pavois de 26 m de long, sur 5 m de haut, enveloppé de drap d'argent prolongé par une grande traîne tricolore, et surmonté d'un catafalque noir, sans ornement, a été porté à bras jusqu'au Panthéon par 70 mineurs de Carmaux en costume de travail. La levée du corps a eu lieu à 13h10 ». Environ 120 000 à 150 000 personnes auraient assisté au cortège qui s'est acheminé jusqu'au Panthéon à 14 heurs 30.

     
     


    À l'intérieur du bâtiment, 2 000 invités privilégiés, dont le gouvernement et le Président de la République Gaston Doumergue, ont écouté le discours du Président du Conseil Édouard Herriot qui n'a pas prononcé une seule fois le mot de socialisme et qui a fait de Jaurès avant tout un héraut de la République : « Ce vaste esprit (…) se hausse au-dessus de l'enfer des faits et, même dans le temps où il accorde le plus à l'influence des forces économiques, il ne cesse de proclamer sa croyance au pouvoir de la libre volonté humaine dans sa lutte contre les milieux pour construire la cité d'harmonie où le travail, affranchi de ses servitudes, fleurirait comme une joie (…). Quelles que fussent, au reste, ses opinions et ses doctrines, Jaurès les inscrivit toujours dans le cadre de l'institution républicaine. (…) Il y voit "la forme définitive de la vie française" et "le type vers lequel évoluent lentement toutes les démocraties du monde". Mais, (…) il ne fut pas moins dévoué à la France dont toutes les qualités se retrouvaient dans son génie (…). Certes, il voulut la paix. (…) "Assurer cette paix par une politique évidente de sagesse, de modération et de droiture, par la répudiation définitive des entreprises de force, par l'acceptation loyale et la pratique des moyens juridiques nouveaux qui peuvent réduire les conflits sans violence. Assurer aussi la paix, vaillamment, par la constitution d'un appareil défensif si formidable que toute pensée d'agression soit découragée chez les plus insolents et les plus rapaces". C'était son programme. ».

    Si c'était le seul discours politique, le premier bénéficiant de microphones pour élever le volume de la voix et la retransmettre à la radio, la cérémonie continuait avec la lecture d'un poème de Victor Hugo (lu par une sociétaire de la Comédie-Française) puis par un oratorio chanté par un chœur de six cents personnes, ce qui donne la mesure de cette cérémonie très fastueuse (qui a fait école, puisque la plupart des cérémonies ressemblent désormais à celle-ci).

    Comme écrit à propos de l'adoption de la loi sur le transfert au Panthéon, il n'y avait pas consensus à l'époque puisque les communistes, exclus de la cérémonie, ont tenté de faire un défilé et une cérémonie parallèle pour protester contre la récupération politicienne de Jaurès par les radicaux et les socialistes, mais aussi, de leur côté, les militants d'extrême droite de l'Action française ont organisé avec un discours de Léon Daudet une cérémonie d'hommage à un nationaliste assassiné par une militante anarchiste qui avait voulu venger Jaurès.

    Le consensus républicain sur Jaurès est arrivé bien plus tard.

    Plus ou moins sincèrement, les leaders de gauche, en particulier socialistes, se sont souvent emparé de la figure tutélaire de Jean Jaurès, en se revendiquant ses héritiers. C'était le cas de Léon Blum, bien sûr, mais aussi de Pierre Mendès France, de François Mitterrand (qui, lors de son intronisation à l'Élysée, le 21 mai 1981, est descendu au Panthéon poser une rose sur la tombe de Jaurès), Lionel Jospin, et même François Hollande. Je précise bien "plus ou moins sincèrement" puisque dès 1924, avec Édouard Herriot dans cet ancrage emblématique, la sincérité était mise au service avant tout des arrières-pensées politiques !
     

     
     


    Mais des personnalités dites de droite ont aussi rendu hommage à Jaurès d'une manière ou d'une autre, le premier Paul Deschanel le 4 août 1914 (voir au début de l'article), aussi De Gaulle qui n'hésitait pas à considérer Jaurès, en 1937, comme l'un des seuls hommes d'État valables de la Troisième République qui avait montré courage, intelligence et sens national, et même Nicolas Sarkozy, qui s'en revendiquait très étrangement en 2007 juste avant son élection à la Présidence de la République, et Alain Juppé venu participer à un colloque le 25 juin 2014 sur le centenaire de l'assassinat de Jaurès à la Sorbonne aux côtés de Robert Badinter, Henri Nallet, Laurent Fabius, Alain Richard, Christiane Taubira, Claude Bartolone, Pierre Bergé, Jean-Noël Jeanneney, etc.

    Enfin, c'est même le cas aussi de personnalités ni de gauche ni de droite, comme le Président Emmanuel Macron qui a rendu implicitement hommage à Jaurès en décidant de faire lire le 2 novembre 2020 (rentrée après les vacances de la Toussaint) sa lettre aux instituteurs et institutrices (publiée le 15 janvier 1888 dans "La Dépêche de Toulouse") aux écoliers de France à l'occasion de l'hommage national rendu à Samuel Paty qui venait d'être assassiné (le 16 octobre 2020). Jaurès avait notamment écrit : « Vous tenez en vos mains l’intelligence et l’âme des enfants ; vous êtes responsables de la patrie. (…) Ils seront hommes, et il faut qu’ils aient une idée de l’homme, il faut qu’ils sachent quelle est la racine de toutes nos misères : l’égoïsme aux formes multiples ; quel est le principe de notre grandeur : la fierté unie à la tendresse. Il faut qu’ils puissent se représenter à grands traits l’espèce humaine domptant peu à peu les brutalités de la nature et les brutalités de l’instinct, et qu’ils démêlent les éléments principaux de cette œuvre extraordinaire qui s’appelle la civilisation. Il faut leur montrer la grandeur de la pensée ; il faut leur enseigner le respect et le culte de l’âme en éveillant en eux le sentiment de l’infini qui est notre joie, et aussi notre force, car c’est par lui que nous triompherons du mal, de l’obscurité et de la mort. (…) J’en veux mortellement à ce certificat d’études primaires qui exagère encore ce vice secret des programmes. Quel système déplorable nous avons en France avec ces examens à tous les degrés qui suppriment l’initiative du maître et aussi la bonne foi de l’enseignement, en sacrifiant la réalité à l’apparence ! Mon inspection serait bientôt faite dans une école. Je ferais lire les écoliers, et c’est là-dessus seulement que je jugerais le maître. Sachant bien lire, l’écolier, qui est très curieux, aurait bien vite, avec sept ou huit livres choisis, une idée, très générale il est vrai, mais très haute de l’histoire de l’espèce humaine, de la structure du monde, de l’histoire propre de la terre dans le monde, du rôle propre de la France dans l’humanité. Le maître doit intervenir pour aider ce premier travail de l’esprit ; il n’est pas nécessaire qu’il dise beaucoup, qu’il fasse de longues leçons ; il suffit que tous les détails qu’il leur donnera concourent nettement à un tableau d’ensemble. ».

    Comme on le voit, Jaurès est devenu l'homme de tous les courants politiques, du moins, de tous les courants républicains (je doute que l'extrême droite se réfère aujourd'hui à Jaurès). En fait, toutes les grandes personnalités de la République française, qui, durant leur existence politique, ont suscité de nombreuses passions françaises et ont été très clivantes, qui ont déchaîné adhésions massives ou rejet total, sont aujourd'hui réunies au sein d'un même consensus républicain qui les honore bien au-delà de tous les partis politiques.

    C'est dans le processus républicain normal et régulier que la République "digère" (je n'ai pas d'autre verbe) ses acteurs pourtant très passionnés et très clivants (très détestés ou très admirés de leur vivant, je le répète) pour les faire aimer de toutes les générations suivantes. Les transferts au Panthéon y concourent, bien sûr, mais pour un nombre ultra-limité de personnalités politiques. D'autres moyens permettent aussi cette reconnaissance consensuelle, en particulier l'appellation des lieux, les noms de rues des villes, les noms d'établissements scolaires, les noms de différents équipements (centres culturels, salles de spectacle, aéroports, gares ou stations de métro, arrêts de bus, gymnases, etc.). Ces personnalités (souvent de la Troisième République) font désormais partie des meubles, presque au sens propre puisque parfois, les usagers de ces rues, de ces stations de métro, etc. ne connaissent plus la personne qui a donné son nom mais uniquement le lieu associé qu'ils fréquentent. Ces personnalités font partie ainsi du patrimoine commun, du patrimoine national, du patrimoine républicain.

    On peut ainsi citer d'autres personnalités qui ont divisé les Français durant leur vivant (comme Jaurès) et qui sont maintenant au patrimoine commun, j'en cite quelques-uns de manière non exhaustive, bien sûr : Clemenceau, De Gaulle, Léon Blum, Pierre Mendès France, Simone Veil, on pourrait même dire Jacques Chirac. Toutes ces personnalités n'appartiennent plus à elles-mêmes, encore moins aux partis qui les soutenaient de leur vivant, mais à l'ensemble de la Nation. Tous ont-elles vocation à avoir une postérité consensuelle ? Certainement pas, on peut déjà citer Philippe Pétain, et je doute que Jean-Marie Le Pen, même après sa mort, puisse jouir de cet unanimisme du socle républicain, que sa fille ait pu ou pas parvenir à prendre le pouvoir.

    Ce consensus républicain va bien au-delà des existences personnelles et aussi des grands sujets de fâcheries politiques, de polémiques nationales, de clivages républicains. Ainsi, il n'y a plus d'opposition entre républicains et monarchistes, la République a gagné, et on aurait tendance à avoir un œil de tendre compassion pour les rares monarchistes qui existent encore (un peu comme une espèce de voie de disparition). Pour la grande guerre française de la laïcité, les catholiques sont maintenant parmi les premiers défenseurs de la loi du 9 décembre 1905 qui impose la neutralité religieuse de l'État et qui, aujourd'hui, apparaît pour certains comme un rempart indispensable contre un risque de charia. On peut aussi citer la loi sur l'IVG, le mariage pour tous et l'abolition de la peine de mort. En d'autres termes, j'ai parlé de "digérer", je pourrais parler aussi de "dissoudre" (mais pas de l'Assemblée) : les valeurs de la République dissolvent les grands clivages politiques, les passions françaises.

    Et le wokisme alors, que vient-il faire dans ma réflexion ? Comme son nom l'indique, il réveille ! Oui ! C'est probablement la meilleure définition de ce mouvement flou particulièrement détestable et croissant qui tend à refaire le monde, à embêter le monde. Il réveille les anciens clivages, les anciennes passions, les anciennes polémiques. C'est un mouvement résolument tourné vers le passé, ce qui est complètement stupide quand il y a tant à faire pour anticiper l'avenir, prévoir les défis du futur.

    Par exemple, lorsqu'on veut détruire les statues honorant Colbert sous (mauvais) prétexte qu'il était pour l'esclavage ou le colonialisme, c'est complètement stupide. Stupide car les personnes ne sont jamais tout blanc ou tout noir, et on vient de le voir avec l'abbé Pierre (heureusement quand même que l'on ne l'a pas transféré au Panthéon, il en était question dans les années 2010 !) et Colbert a quand même été un des constructeurs majeurs de l'État et de la France.

    J'ai cité Jacques Chirac comme seul représentant (actuel) de la Cinquième République (hors De Gaulle et Simone Veil), car Jacques Chirac a su, lui aussi, par son discours sur la rafle du Vel d'hiv, le 16 juillet 1995, réunifier la France et les victimes de Pétain. Cette reconnaissance était essentielle pour refermer les plaies et tourner une page particulièrement détestable de notre histoire. Parmi les responsables politiques depuis 1958, beaucoup ont reçu des hommages appuyés de leurs adversaires politiques à leur mort (entre autres : Raymond Barre, Georges Pompidou, Valéry Giscard d'Estaing, Philippe Séguin, Jacques Delors, Robert Badinter, Michel Rocard, Dominique Baudis, etc.).

    Le pire, d'ailleurs, c'est que repassionner sur des passions réchauffées n'a pas de sens. Sur l'esclavage : plus personne n'est pour l'esclavage et les rares qui le soutiennent sont des fantaisistes (comme les monarchistes français d'aujourd'hui). Idem pour le colonialisme, personne à part des électrons libres ne soutient un nouveau colonialisme, d'autant plus qu'on a déjà assez à faire avec nos territoires actuels. Par exemple, Mayotte n'est pas du colonialisme. Si ce territoire est encore français, c'était par la volonté de sa population qui ne voulait pas de l'indépendance au contraire du reste de l'archipel des Comores.


    Ma conclusion n'étonnera donc pas : pour lutter efficacement contre le wokisme, il faut savoir commémorer ce qui nous rassemble au lieu d'attiser la haine et les divisions antérieures. Rappeler l'histoire, évoquer le passé, quitte éventuellement à l'embellir afin de rendre les valeurs républicaines plus éclatantes. Et chasser tous les diviseurs qui veulent exhumer les conflits anciens : il y a suffisamment de clivages du temps présent pour ne pas se préoccuper des passions passées. À chaque génération ses combats.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (16 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Jean Jaurès.
    Le site de l'Assemblée Nationale rend hommage à Jaurès.
    Panthéon versus wokisme !
    Centenaire du drame.
    Anatole France.
    Alexandre Dumas fils.
    Pierre Waldeck-Rousseau.
    Alexandre Millerand.
    La victoire des impressionnistes.
    Les 120 ans de l'Entente cordiale.
    Mélinée et Missak Manouchian.
    Le Débarquement en Normandie.
    La crise du 6 février 1934.
    Gustave Eiffel.

    Maurice Barrès.
    Joseph Paul-Boncour.
    G. Bruno et son Tour de France par Deux Enfants.
    Pierre Mendès France.
    Léon Blum.
    Jean Zay.
    Le général Georges Boulanger.
    Georges Clemenceau.
    Paul Déroulède.
    Seconde Guerre mondiale.
    Première Guerre mondiale.
    Le Pacte Briand-Kellogg.
    Le Traité de Versailles.
    Charles Maurras.
    L’école publique gratuite de Jules Ferry.
    La loi du 9 décembre 1905.
    Émile Combes.
    Henri Queuille.
    Rosa Luxemburg.
    La Commune de Paris.
    Le Front populaire.
    Le congrès de Tours.
    Georges Mandel.
    Les Accords de Munich.
    Édouard Daladier.
    Clemenceau a perdu.
    Au Panthéon de la République, Emmanuel Macron défend le droit au blasphème.
    L'attentat de Sarajevo.
    150 ans de traditions républicaines françaises.
     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241123-jaures.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/jean-jaures-le-pantheon-et-le-257509

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/19/article-sr-20241123-jaures.html


     

  • 5 ans de prison dont 2 ferme pour Pierre Palmade

    « Encadré par ses avocats, Pierre Palmade a l'air un peu perdu, comme depuis ce matin, dans cette salle d'audience. Livide. Le regard un peu dans le vague. Pas un bruit dans le prétoire. Il y a pas mal de tension dans l'air. » (Vincent Vantighem, sur Twitter le 20 novembre 2024, au moment du délibéré).



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    C'était le réquisitoire du parquet pour blessures involontaires aggravées dans le procès qui a eu lieu ce mercredi 20 novembre 2024 au tribunal judiciaire de Melun pour juger "l'humoriste" Pierre Palmade. Je mets entre guillemets, on pourrait maintenant écrire l'ex-humoriste car je crois qu'il ne fera plus jamais rire. C'est aussi le verdict du procès qui a été prononcé dans la soirée (vers 20 heures 30).

    Toutefois, le mandat de dépôt est à effet différé, ce qui signifie que Pierre Palmade n'est pas incarcéré à l'issue de ce procès. Les deux ans ferme ne sont pas aménageables (et seront probablement exécutés près de Bordeaux). Quant au sursis : « À l’issue de l’exécution de cette peine, vous aurez au dessus de la tête trois ans que vous ne ferez jamais à deux conditions : prouver que vous continuez de vous soigner et payer les victimes. L’autre condition : de ne recommencer aucune infraction dans les trois ans. ».


    Je rappelle très succinctement les faits : le vendredi 10 février 2023 sur une route de Villiers-en-Bière (en Seine-et-Marne), Pierre Palmade, bourré de drogue dans le sang, ne chassant pas ses démons, avait refusé de céder le volant à l'un de ses deux passagers pour conduire dans une contrée où il habitait (il connaissait donc très bien la route). Roulant à gauche en raison d'une altération de la réalité, Pierre Palmade est le responsable d'un grave accident qui a fait quatre victimes, trois personnes blessées très gravement, le conducteur et les passagers de la voiture qui roulait en face, et malheureusement un enfant à naître, dans le ventre de la passagère depuis six mois, qui n'a pas survécu au choc.

    Au-delà du choc d'une star prise en défaut, j'ai d'abord vu les victimes, une famille complètement effondrée et traumatisée à vie. La perte d'un enfant à naître, qui n'a peut-être même pas encore eu son prénom (en l'occurrence, si, la petite fille à naître a eu son prénom à titre posthume), est une horreur pour les parents, d'autant plus que c'était le premier enfant qu'ils attendaient.


    Si on voulait faire de l'humour noir, on dirait que Pierre Palmade avait des circonstances atténuantes, puisque drogué à bloc, c'était difficile pour lui de rouler convenablement. Non, ne riez pas, ce n'était pas de l'humour, mais c'était à peu près l'état d'esprit des tribunaux dans les années 1970 lorsqu'un conducteur galvanisé par l'alcool était responsable d'un accident mortel. On vient de loin. Heureusement, depuis une cinquantaine d'années, avoir le sang rempli d'alcool ou de stupéfiant est devenu une circonstance aggravante et pas atténuante.

    On voit ainsi par cette occasion que la star se droguait régulièrement et bien sûr illégalement, mais cette addiction était déjà connue publiquement depuis quelque temps, notamment par une ancienne condamnation. Je sais que le calvaire de l'addiction n'est pas seulement pour celui qui est atteint mais aussi pour ses proches, sa famille, et que la double peine résout rarement les choses, mais lorsqu'on sait qu'une personne est incapable de ne pas boire ou de ne pas se droguer, pourquoi l'État, la société, la loi, n'enlèverait pas, provisoirement, la validité de son permis de conduire ? Après tout, les bigleux (dont je fais partie) doivent toujours avoir des lunettes à verres correctifs dans la voiture pour avoir le droit de conduire (même s'ils portent des lentilles), et on imagine bien que certaines personnes n'ont plus le droit, ou un droit sous condition, de reconduire pour raisons médicales, en particulier lorsqu'elles ont été victimes d'un AVC.

    Deux ans de prison ferme, on pourrait penser que c'est sévère. Surtout que s'il y a un homicide, il l'est sur un enfant à naître, pas une personne "finie" déjà reconnue par la société et l'État de droit (mais ce débat est très important, existe-t-on, socialement, éthiquement, avant de naître ? Ma propre réponse est oui, ne serait-ce que dans la tête des parents, mais aussi dans les listes d'attente des crèches, etc. et surtout, l'existence biologique est patente !). En outre, la sévérité d'une peine ne fait jamais revenir un être chéri disparu, ni supprimer les traumatismes d'un accident qui restera toujours présent dans la tête. De même, Pierre Palmade a bien compris ce qu'il a fait comme monstrueuse bêtise, et la regrette, bien trop tard mais la regrette, il n'est pas indifférent à la détresse des victimes et leur demande pardon. Peut-on pardonner ? Personnellement, je ne répondrai à la question que lorsqu'elle se posera, dans le cas malheureux échéant.


    Avant, on pouvait être responsable d'un accident mortel qui a tué plusieurs personnes sur la route et n'être condamné qu'à deux ans de prison avec sursis. Maintenant, les juges deviennent de plus en plus sévères, et c'est avec raison. Certes, l'intention fait partie de la proportionnalité de la peine, et le caractère accidentel est évidemment pleinement reconnu (du moins, dans la plupart des accidents de la route), c'est le principe de l'homicide involontaire. Le concept de responsabilité est aussi essentiel, et c'est même le point clef dans les accidents du travail. Un accident reste toujours le résultat et la combinaison de plusieurs causes souvent improbables. Il est pourtant des causes probables d'accident, rouler imbibé d'alcool ou de stupéfiant est justement l'une des causes qui donnent beaucoup plus de probabilité à l'accident.

    Le passage du permis de conduire a surtout pour but, au-delà du simple apprentissage de la technique de conduite, de responsabiliser le futur conducteur : il a risque de vie ou de mort sur la route. Le comportement totalement irresponsable de Pierre Palmade pouvait ainsi se traduire par : il se moquait totalement de la vie des autres usagers de la route, il pensait avoir la route pour lui tout seul, ou il se moquait des autres, en clair, égocentrisme total et anti-altruisme. On peut comprendre que la demande de pardon vient un peu tard. Elle est celle d'un enfant qui a fauté mais qui n'a pas donné toutes les garanties pour qu'il ne refaute plus. C'est, je pense, le sens de la sévérité du réquisitoire même s'il faut rappeler que Pierre Palmade risquait quatorze ans de prison, et pas seulement cinq dont deux ferme.

    Par ailleurs, juger une personnalité célèbre n'est jamais facile pour un juge car il faut éviter toute pression : la personnalité ne doit pas bénéficier d'une tolérance qu'on n'aura pas pour un anonyme, mais, a contrario, elle ne doit pas non plus être condamnée plus sévèrement pour l'exemple.

    Concrètement, les victimes se sont senties plutôt méprisées par le verdict pourtant sévère car il n'est pas reconnu l'homicide involontaire aggravé malgré la mort de l'enfant à naître. Durant les débats au procès, l'avocat de la jeune femme avait même déclaré, dégoûté : « Le droit protège mieux les animaux que les enfants à naître. Les œufs de certains oiseaux sont mieux protégés que les fœtus en France. C’est ahurissant ! ». De son côté, la procureure a affirmé, pendant son réquisitoire : « Cette consommation de stupéfiants ne doit pas justifier la faute de Pierre Palmade. (…) Le souci, c’est cette prise en charge qui peut être chaotique, c’est de prévenir le risque de récidive. (…) Et c’est aussi la volonté de donner une peine qui doit être comprise par la société. » [ces déclarations sont issues du compte rendu du journaliste Vincent Vantighem sur Twitter].

    Moi, j'aimais bien les sketchs de Pierre Palmade, je me bidonnais bien dans ses duos avec Michèle Laroque. C'est difficile maintenant. L'impression qu'un monument s'est encore écroulé. Un peu comme l'abbé Pierre : les êtres humains sont complexes, font des choses épatantes... et en même temps, ils peuvent être de vrais salauds. Oui, qu'il fasse sa peine, qu'il se soigne, mais cela n'empêchera pas les victimes d'être effondrées à vie. Là est la peine à perpétuité. La seule chose qui pourrait sortir de bien, c'est que, de ce procès médiatique, il en reste cette idée impérieuse que chaque conducteur que nous sommes a la fragile responsabilité de faire attention à la vie des autres. Cette attention devrait être portée en permanence. Et surtout, en prendre conscience en permanence. La voiture, parce qu'elle a de l'énergie, est un instrument mortel. Il faut la manier avec cette conscience aiguë. Pour éviter d'autres victimes.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (20 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    L'AVC de Pierre Palmade.
    5 ans de prison dont 2 ferme pour Pierre Palmade.
    Tristesse.
    Contrôle médical obligatoire pour le permis de conduire : une erreur de vision ?
    Émotion nationale pour Alexandra Sonac et sa fille adolescente.
    Claude Got.
    Création du délit d'homicide routier : seulement cosmétique ?
    Le Comité interministériel de la sécurité routière (CISR) du lundi 17 juillet 2023.
    Le refus d'obtempérer est un délit routier.
    Faut-il interdire aux insomniaques de conduire ?
    Faut-il en finir avec le permis de conduire à vie ?
    L'avenir du périph' parisien en question.
    Fin du retrait de point pour les "petits" excès de vitesse : est-ce bien raisonnable ?
    Les trottinettes à Paris.
    L'accident de Pierre Palmade.
    La sécurité des personnes.
    Anne Heche.
    Diana Spencer.
    100 ans de code de la route.
    80 km/h : le bilan 2018-2020 très positif.

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    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241120-palmade.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/5-ans-de-prison-dont-2-ferme-pour-257764

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/20/article-sr-20241120-palmade.html



  • Le génie de Benoît Mandelbrot

    « C’est l’essentiel des phénomènes de la nature qui obéissent à cet autre type de hasard où l’on ne peut appliquer la loi des grands nombres. (…) Le modèle standard nous fait passer à côté de la plus grande partie de la réalité, et va jusqu’à nous empêcher même de la voir. » (Benoît Mandelbrot, 1973).



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    Le mathématicien Benoît Mandelbrot est né il y a juste 100 ans, le 20 novembre 1924, à Varsovie. Il est mort d'un cancer peu avant ses 86 ans le 14 octobre 2010 à Cambridge, dans le Massachusetts. J'ai déjà évoqué ce scientifique atypique et prolifique dans un article précédent, en particulier sur les fractales dont il est l'un des initiateurs.

    Benoît Mandelbrot a eu à la fois de la chance et de la malchance dans ses origines juives polonaises (sa famille était lituanienne). La "malchance", car ce n'était pas du tout facile d'être Juif pendant cette partie du siècle sur cette terre européenne. En 1936, la famille a d'ailleurs émigré en France, rejoignant une autre partie de la famille déjà installée. Sous l'Occupation, le jeune homme a dû se cacher et changer souvent d'adresses pour éviter d'être déporté voire assassiné dans les camps de la mort. Le fait qu'il ait été épargné a été sa chance, mais plus encore, la chance d'être né dans une famille qui l'a encouragé et qui a encouragé le travail et la curiosité, notamment avec son oncle Szolem Mandelbrojt, scientifique aussi, membre du Collège de France depuis 1938, qui lui a permis, entre autres, de rencontrer de nombreux autres scientifiques (cet oncle était l'un des fondateurs du fameux groupe Bourbaki).

    Polytechnicien, Benoît Mandelbrot se destinait à la recherche mathématique, mais loin de rester dans les cases de cette science dure, il voulait au contraire la relier avec des réalités quotidiennes. Il a été ainsi économiste ou linguiste autant que mathématicien. Faisant ses études en France, il est finalement parti aux États-Unis pour soutenir sa thèse de doctorat et toute sa vie, il a oscillé entre la France (et la Suisse) et les États-Unis, cumulant certains postes comme chercheur au CNRS, puis professeur d'université à Lille, en France, et professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT) puis à Harvard, puis à Yale, ou encore chercheur à IBM à partir de 1958, aux USA (il a refusé le Collègue de France en 1973).


    Il a quitté certains postes d'enseignement qui lui prenaient trop de temps afin de se consacrer à ses travaux de recherche, et probablement que son poste à IBM était le meilleur, puisque la compagnie informatique lui a laissé une liberté absolue dans ses activités. En effet, en tant que research fellow, ce qui est un grade privilégié dans une grande entreprise américaine, il n'avait pas vraiment d'impératif de management (projet ou hiérarchique) et pouvait se consacrer très librement à ses objectifs de recherche et même, bénéficier de temps de disponibilité pour pouvoir nouer des collaborations avec d'autres centres de recherche et rencontrer d'autres scientifiques.

    Sur ce point, il faut m'arrêter pour comparer le système de recherche des États-Unis et celui de la France. En France, la recherche est particulièrement fournie dans le public, dans les universités et dans des instituts de recherche dont le plus prestigieux est sans doute le CNRS en raison de son interdisciplinarité. Une fois que le chercheur a un poste, soit d'enseignant-chercheur, soit de chercheur, il est libre de pouvoir orienter ses recherches comme bon lui semble et évoluer dans sa carrière avec l'idée que les promotions et les choix se font par cooptation. Le problème de ce système, c'est que l'argent public sert surtout à payer les salaires (relativement faibles pour le chercheur mais très lourds pour l'État) et les gros équipements (de type synchrotron, etc.), mais manque pour financer des équipements parfois coûteux des laboratoires.

    D'où l'importance du privé en France. Ce n'est pas nouveau, mais la loi Pécresse de 2007 a considérablement aidé les laboratoires publics notamment en permettant aux universités de se doter d'argent privé. Même si c'était en contradiction idéologique avec la plupart des enseignants-chercheurs, cette loi a été largement acceptée par la communauté scientifique car elle a permis de poursuivre un financement que l'État (surendetté, et pas seulement de maintenant !) ne pouvait plus assurer. Non seulement les laboratoires publics ont gagné en autonomie, mais aussi en financement, sans pour autant être "vendus" aux entreprises.

    Mais là, je ne parle que de recherche publique. La France a bien sûr aussi de la recherche privée, mais elle est de moins en moins importante. Depuis une vingtaine d'années, l'État d'ailleurs encourage fortement l'investissement dans le recherche au moyen du crédit impôt recherche qui est l'un des mécanismes non seulement pour encourager cet investissement mais aussi pour inciter les grands groupes internationaux à installer leurs centres de recherche en France. Il reste que la recherche privée est directement tributaire des marchés et à court terme, ce qui peut inquiéter sérieusement pour l'avenir du pays.

    Autre point faible de la France, directement en rapport avec la conception de l'argent que se font beaucoup de Français (complexés par l'argent), il y a un réel chaînon manquant entre la découverte scientifique et sa valorisation industrielle. Il y a encore peu de dépôts de brevet au CNRS malgré la qualité excellente de la recherche de très nombreux scientifiques.

    Aux États-Unis, comme il y a très peu d'État (et je devine que très prochainement, avec le retour de Donald Trump, il y en aura encore moins), tout fonctionne depuis toujours avec l'argent privé : universités, laboratoires de recherche, etc. Mais cela n'empêche pas l'autonomie des chercheurs. Dans les universités, un chercheur est à la fois chercheur et entrepreneur, car il est capable financièrement d'investir pour valoriser les fruits de sa recherche (on appelle cela essaimage, ou start-up). Inversement, et c'est ce qui s'est passé pour IBM (qui ont eu des chercheurs qui ont reçu le Prix Nobel de Physique, les plus connus furent en 1986 à Zurich), c'est que les grandes entreprises privées jouent le rôle de la recherche publique en France. Notamment avec ce type de poste de research fellow. D'ailleurs, Benoît Mandelbrot devait prendre sa retraite d'IBM en 1993 mais il a eu la possibilité de garder un bureau et de continuer à y travailler avec le titre de fellow emeritus jusqu'en 2006, date à laquelle il a vraiment pris sa retraite (et a arrêté de donner des cours à Yale).

    Je termine cette grande parenthèse sur les chercheurs avec cette idée qu'un chercheur, qui est une personne très pointue dans un domaine très technique, dotée d'une forte intelligence couplée à une forte intuition, le tout avec un travail de longue haleine, persévérant et parfois infructueux, ne court pas, en général, après l'argent. Il existe des métiers (de type commercial) qui permettent de devenir riche beaucoup plus rapidement et avec beaucoup moins de labeur que de faire des mathématiques ou de la physique de très haut niveau. La passion et la curiosité sont des moteurs bien plus efficaces que l'argent pour les scientifiques. De plus, ils ont un autre moteur (commun également aux autres) qui est la reconnaissance. Et c'est aussi cette raison qui a conduit Benoît Mandelbrot à travailler plus aux États-Unis qu'en France où on s'intéressait peu à ses travaux.


    L'un des traits de génie de Benoît Mandelbrot a été d'avoir été capable, à partir de travaux antérieurs, comme la loi de George Kingsley Zipf d'observation empirique de la fréquence d'un mot dans un texte en fonction de son rang et la théorie de l'information de Claude Shannon, d'en faire une loi plus générale, ce qui a été l'objet de sa thèse soutenue le 19 décembre 1952 ("Contribution à la théorie des jeux de communication") qui lui a apporté une grande notoriété outre-atlantique.

    C'est à la fin des années 1960 que Benoît Mandelbrot s'est intéressé à ce qu'il a appelé les fractales, en voulant déterminer la longueur des côtes de la Grande-Bretagne, et en montrant que leur dimension de Hausdorff n'était ni 1 ni 2 mais entre 1 et 2 (non entière). Dans ce cadre, il s'est investi dans l'étude des fluctuations instantanées, essentielles pour mieux prévoir l'économie et les modèles financiers, trop souvent décrits par des moyennes qui ne rendent compte de rien. Au-delà de l'économie, les applications de ses travaux sont très nombreuses, de la forme des nuages aux crues du Nil en passant par la transmission du signal.

    Dans sa leçon au Collège de France le 13 janvier 1973 sur les "Formes nouvelles du hasard dans les sciences", Benoît Mandelbrot a dit en introduction : « La variété des phénomène naturels est infinie, mais les techniques mathématiques susceptibles de les dompter sont fort peu nombreuses. Il arrive donc souvent que des phénomènes qui par ailleurs n'ont rien de commun se trouvent partager la même structure mathématique. C'est un tel cousinage conceptuel qui semble aujourd'hui porter l'une vers l'autre les fluctuations qui à la fois sont "très erratiques" et possèdent une "homothétie statistique interne". Leur matière va de l'économique à la biologie, à la géophysique, à diverses branches de la physique et au-delà, mais de deux points de vue ces fluctuations se ressemblent : l'échec d'une technique mathématique et le succès d'une autre. Le premier les définit comme "non laplaciennes" ou "très erratiques", par contraste avec les fluctuations familières qui peuvent être dites "laplaciennes" ou "bénignes". Le deuxième les définit comme "statistiquement homothétiques". (…) Je voudrais faire sentir aussi bien le degré d'unité que l'homothétie apporte, que la variété des problèmes spécifiques auxquels elle contribue à répondre. ».
     

     
     


    L'Ensemble de Mandelbrot (inspiré par les travaux du mathématicien Gaston Julia) est la famille des fractales qui répondent à cette équation : z(0) = 0 et z(n+1) = z(n) puissance 2 + c (où c est un nombre complexe quelconque). Cela donne cette harmonieuse géométrie qui se répète de la plus grande à la plus petite échelle (cliquer ici).
     

     
     


    Benoît Mandelbrot a publié en 1982 un livre complet de six cents pages sur le sujet "The Fractal Geometry of Nature" : « Au fur et à mesure que la technologie s'est améliorée, les fractales tracées par ordinateur, mathématiquement précises, sont devenues plus détaillées. Les premiers dessins étaient en noir et blanc à basse résolution ; les dessins ultérieurs étaient en haute résolution et en couleur. De nombreux exemples ont été créés par des programmeurs qui ont travaillé avec Mandelbrot, principalement au centre de recherche d'IBM. Ces visualisations ont renforcé la force de persuasion des livres et leur impact sur la communauté scientifique. ». Pour plus de précision, on peut relire ici.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (16 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Benoît Mandelbrot.
    Publication : Tan, Lei. "Similarity between the Mandelbrot set and Julia sets". Comm. Math. Phys. 134 (1990), no 3, 587-617.
    Fractales explosives.
    Hubert Curien.
    Alain Bombard.
    Hubert Reeves.
    L'intelligence artificielle récompensée par les Nobel 2024 de Physique et de Chimie.
    Didier Raoult interdit d'exercer !
    2e rentrée scolaire contre les papillomavirus humains.
    Variole du singe (mpox) : "ils" nous refont le coup ?
    Covid : attention au flirt !
    Papillomavirus humains, cancers et prévention.
    Publications sur le papillomavirus, le cancer du col de l'utérus et l'effet de la vaccination anti-HPV (à télécharger).
    Émission "Le Téléphone Sonne" sur la vaccination contre les papillomavirus, sur France Inter le 3 mars 2023 (à télécharger).
    Le cancer sans tabou.
    Qu'est-ce qu'un AVC ?
    Lulu la Pilule.
    La victoire des impressionnistes.
    Science et beauté : des aurores boréales en France !
    Le Tunnel sous la Manche.
    Peter Higgs.
    Georges Charpak.
    Gustave Eiffel.
    Prix Nobel de Chimie 2023 : la boîte quantique ...et encore la France !
    Katalin Kariko et Drew Weissman Prix Nobel de Médecine 2023 : le vaccin à ARN messager récompensé !
    Covid : la contre-offensive du variant Eris.
    Hubert Reeves.
    Prix Nobel de Physique 2023 : les lasers ultrarapides, la physique attoseconde... et la France récompensée !
    John Wheeler.
    La Science, la Recherche et le Doute.
    L'espoir nouveau de guérir du sida...
    Louis Pasteur.
    Howard Carter.
    Alain Aspect.
    Svante Pääbo.
    Frank Drake.
    Roland Omnès.
    Marie Curie.

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    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241120-benoit-mandelbrot.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/technologies/article/le-genie-de-benoit-mandelbrot-257450

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/19/article-sr-20241120-benoit-mandelbrot.html



     

  • La mystérieuse mort du grand danseur Vladimir Shklyarov

    « Il y a un vrai problème avec les balcons en Russie. Ce danseur était opposé à la guerre... mais c’est juste un hasard. Sans doute a-t-il perdu l’équilibre en essayant de s’étirer sur son balcon... » (Samantha de Bendern, le 19 novembre 2024 sur Twitter).


     

     
     


    Le monde de la culture et des arts est en deuil en apprenant la mort du célèbre danseur étoile russe Vladimir Shklyarov à Saint-Pétersbourg ce samedi 16 novembre 2024 à l'âge de 39 ans (il est né à Saint-Pétersbourg, à l'époque encore Leningrad, le 9 février 1985 ; on peut aussi écrire son nom en français Chkliarov).

    Selon les journaux locaux, Vladimir Shklyarov est mort après être tombé du balcon de son appartement, au cinquième étage d'un immeuble de Saint-Pétersbourg (il a fait une chute fatale de 18 mètres). Il aurait pris des analgésiques dans la perspective d'une opération chirurgicale qui avait été programmée. Selon sa collègue danseuse Irina Baranovskaya, il serait sorti dans son balcon pour aller fumer et aurait perdu l'équilibre. Sa mort est considérée comme accidentelle mais, selon RIA Novosti, une enquête a été malgré tout ouverte.

    Comme l'a insinué assez malicieusement la politologue Samantha de Bendern, également chroniqueuse sur LCI, dans son tweet, il y a une véritable malédiction des balcons en Russie, vu le nombre très important de personnes en bonne santé qui chutent d'un balcon et en meurent malencontreusement. Elles avaient toutes pour point commun d'avoir émis des doutes voire des critiques sur la manière dont Vladimir Poutine conduit la Russie.

    Et en effet, Vladimir Shklyarov s'était permis, le 7 mars 2022, quelques jours après le début de la tentative d'invasion de l'Ukraine par la Russie, d'exprimer dans les réseaux sociaux son profond dégoût en écrivant son envie de paix : « Je suis contre toutes les guerres !... Je ne veux ni guerre ni frontières ! », en ajoutant : « Les responsables politiques devraient pouvoir négocier sans tirer ni tuer des civils. Pour cela, on leur a donné une langue et une tête ! ». Mais il a ensuite prudemment supprimé ces messages et n'a plus commenté ultérieurement la guerre en Ukraine dans les réseaux sociaux.

    On pourrait en effet plonger dans une sorte de complotisme mais les statistiques sont éloquentes : il y a beaucoup plus de morts par balcon que dans d'autres pays. Quant aux empoisonnements, il en a beaucoup aussi sur des citoyens russes, mais cette fois-ci, plutôt à l'étranger, très étrangement ! Par exemple, c'était le sixième étage pour l'oligarque Ravil Maganov le 1er septembre 2022 (pas de balcon, juste une fenêtre).

    Ce qui est bien surprenant, c'est que, comme danseur, Vladimir Shklyarov était un grand sportif et avait donc un grand contrôle de son corps, au contraire des maladroits qui, eux, ne sont jamais en représentation artistique. La philosophe Valérie Kokoszka a conclu le 17 novembre 2024 sur Twitter : « La Russie de Poutine efface toute beauté et toute grâce. ». C'est peut-être un peu trop rapide en réflexion. On ne saura jamais mais le doute subsistera toujours.

    Vladimir Shklyarov était un grand danseur depuis 2003, l'un des danseurs principaux du Ballet Mariinsky, la compagnie du Théâtre Mariinsky à Saint-Pétersbourg. Il était également danseur invité au Ballet de Bavière à Munich, au Royal Ballet de Londres ainsi qu'à l'American Ballet Theater. Il s'est marié en 2013 avec Maria Shirinkina, première soliste au Mariinsky, et ils ont eu deux enfants.

     
     


    Pour lui rendre hommage, voici quelques représentations trouvées sur Internet de sa vingtaine d'années de belle carrière. Les funérailles auront lieu ce jeudi 21 novembre 2024. Condoléances à la famille.


    1. XIII International Ballet Festival Mariinsky (le 10 mars 2013)






    2. Don Quichotte (le 10 mai 2014 avec Viktoria Tereshina)






    3. Roméo et Juliette (en 2013 avec Diana Vishneva)












    4. Fall in Love with dance (2 juillet 2013)






    5. Dernière vidéo de Vladimir Shklyarov






    6. Rétrospective (Guardians News)






    7. Rétrospective (Entertainment Tonight)






    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (19 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Vladimir Shklyarov.
    Les victoires européennes de la Moldavie.
    Nikita Khrouchtchev.
    Zelensky : Poutine, c'est l'anti-Europe !
    L'aide de la France à l'Ukraine le 6 juin 2024.
    L'attentat islamiste du Crocus City Hall de Moscou.
    Le Sacre du Printemps.
    Comment rester au pouvoir après 2024 ?

     
     



    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241116-shklyarov.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/la-mysterieuse-mort-du-grand-257730

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/19/article-sr-20241116-shklyarov.html




     

  • Panthéon versus wokisme !

    « Ceux qui discutaient ses idées et qui savaient sa force sentaient aussi ce que, dans nos controverses, ils devaient à ce grand foyer de lumière. Ses adversaires sont atteints comme ses amis et s'inclinent avec tristesse devant notre tribune en deuil. Mais, que dis-je, y a-t-il encore des adversaires ? Non, il n'y a plus que des Français... des Français qui, depuis quarante-quatre ans, ont fait à la cause de la paix tous les sacrifices, et qui, aujourd'hui sont prêts à tous les sacrifices pour la plus sainte des causes : le salut de la civilisation, liberté de la France et de l'Europe. Du cercueil de l'homme qui a péri martyr, de ses idées sort une pensée d'union ! De ses lèvres glacées sort un cri d'espérance. Maintenir cette union, réaliser cette espérance, pour la patrie, pour la justice, pour la conscience humaine, n'est-ce pas le plus digne hommage que nous puissions lui rendre ? » (Paul Deschanel, le 4 août 1914 au perchoir de l'Assemblée Nationale).




     

     
     


    Il y a cent ans, le dimanche 23 novembre 1924, les cendres de Jean Jaurès ont été transférées au Panthéon (depuis sa tombe au grand cimetière d'Albi) à l'occasion d'une grande cérémonie à vocation républicaine mais aussi politique. Jaurès, comme Gambetta, Clemenceau, De Gaulle, Foch et Leclerc, fait partie des très rares personnalités de la République française à généralement ne pas avoir son prénom collé à son nom, tellement ils font partie du paysage politique et historique.

    Pour l'occasion, la ville de Carmaux (dans le Tarn), dont Jaurès était l'élu (il voulait représenter les mineurs de Carmaux), a proposé à ses administrés un voyage organisé à Paris du 22 au 24 novembre 2024 pour revivre les moments Jaurès, à l'ancienne gare d'Orsay, au café du Croissant, au Palais-Bourbon, au Palais du Luxembourg, et bien sûr, au Panthéon.


    Le leader du socialisme à la française, fondateur du journal "L'Humanité", est mort assassiné un peu plus de dix ans auparavant, le 31 juillet 1914, sous les balles d'un assassin d'extrême droite, alors qu'il prenait un repas dans un restaurant parisien. La mort du pacifiste coïncide aussi avec le début de la Première Guerre mondiale, déclarée le 3 août 1914 à la France par l'Allemagne à la suite d'un déchaînement d'événements provoqués par l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand d'Autriche, l'héritier de l'empire austro-hongrois (et sa femme), le 28 juin 1914 à Sarajevo par un nationaliste serbe (l'Autriche-Hongrie avait déjà déclaré la guerre à la Serbie le 28 juillet 1914).

    Pour les socialistes, l'assassinat de Jaurès et le début de la guerre ont définitivement coupé leur élan pacifiste et plongé la classe politique française dans l'Union nationale face à l'ennemi. C'est bien beau d'être pacifiste, mais si on vous déclare la guerre, il faut bien répondre, sinon, on est envahi (c'est l'objet de la résistance ukrainienne face aux troupes de Vladimir Poutine depuis plus de mille jours). C'est d'ailleurs un socialiste, René Viviani, cofondateur de "L'Humanité", qui, devenu Président du Conseil le 13 juin 1914, allait mettre en place et mener l'Union nationale au début de la guerre.

     
     


    Le 4 août 1914, après l'hommage du Président de la Chambre Paul Deschanel (futur Président de la République en 1920) à Jean Jaurès, René Viviani a d'ailleurs lu le fameux message du Président de la République Raymond Poincaré annonçant la guerre : « Aussi attentive que pacifique, [la France] s'était préparée ; et nos ennemis vont rencontrer sur leur chemin nos vaillantes troupes de couverture, qui sont à leurs postes, et à l'abri desquelles s'achèvera métho­diquement la mobilisation de toutes nos forces nationales. Notre belle et courageuse armée, que la France accompagne aujourd'hui de sa pensée maternelle, s'est levée, toute frémissante, pour défendre l'honneur du drapeau et le sol de la patrie. Le Président de la République, interprète de l'unanimité du pays, exprime à nos troupes de terre et de mer l’admiration et la confiance de tous les Français. ».

    Le message très consensuel (voir en début d'article) de Paul Deschanel, alors républicain modéré (aujourd'hui, de centre droit), en hommage à Jean Jaurès (socialiste), qui avait pour ambition de rassembler toute la classe politique derrière le seul impératif, défendre la patrie, en pleine déclaration de guerre, était aussi un premier signe de volonté de consensus des grands hommes de la République au-delà des clivages politiques.

     
     


    Et le transfert des cendres de Jaurès au Panthéon répondait d'abord à un objectif politique très déterminé : la gauche, revenue au pouvoir pour la première fois depuis la fin de la guerre, avec la victoire du Cartel des gauches aux élections législatives des 11 et 25 mai 1924, voulait revenir aux sources en honorant Jean Jaurès afin de montrer que le nouveau gouvernement, dirigé par le président du parti radical Édouard Herriot depuis le 14 juin 1924, n'était pas "bourgeois". Cela permettait de mobiliser les "classes populaires" derrière ce gouvernement, tout en rendant au nom de la République (et pas de la gauche) un hommage solennel à Jean Jaurès (qui, rappelons-le, n'a jamais été au pouvoir au contraire de Georges Clemenceau et Léon Blum).

    Aristide Briand, qui avait visité le Panthéon avec Jaurès, pouvait pourtant témoigner que Jaurès n'aurait jamais voulu être inhumé dans ce temple de la République, mais peut-être l'a-t-il fait savoir avec trop peu d'insistance (au contraire de De Gaulle). Voici ce qu'il disait à Aristide Briand : « Il est certain que je ne serai jamais porté ici. Mais si j’avais le sentiment qu’au lieu de me donner pour sépulture un de nos petits cimetières ensoleillés et fleuris de campagne, on dût porter ici mes cendres, je vous avoue que le reste de ma vie en serait empoisonné. ».

    Beaucoup d'élus de gauche comme Léon Blum et aussi Paul Painlevé, voulaient quand même honorer celui qui était contre l'injustice commise au capitaine Alfred Dreyfus. Un projet de loi a donc été déposé le 9 juillet 1924 pour faire ce transfert au Panthéon et il a été adopté au Sénat et à la Chambre des députés le 31 juillet 1924, au jour symbolique du dixième anniversaire de son assassinat. À cette époque, loin de faire consensus, ce transfert avait été violemment combattu tant par les députés nationalistes de l'Action française que par les communistes qui considéraient que le Cartel des gauches volaient Jaurès alors qu'ils s'en réclamaient aussi (la scission entre communistes et socialistes au congrès de Tours était encore toute fraîche).
     

     
     


    La cérémonie fut organisée minutieusement, de manière très théâtrale, selon la volonté des députés socialistes ; elle fut confiée au metteur en scène Firmin Gémier (que ceux qui y voient un parallèle avec la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques à Paris le 26 juillet 2024 confiée à Thomas Jolly gagnent un bon point !). Ce fut un grand moment de la République au même titre que les funérailles de Victor Hugo. Le cercueil de Jaurès est arrivé à la gare d'Orsay le 22 novembre 1924 accompagné par les mineurs de Carmaux, puis installé dans la salle Casimir Périer du Palais-Bourbon pour la nuit, où veillaient la famille, le gouvernement et quelques autres parlementaires.

    En 1938, Paul Nizan donna de cette veillée une version très négative, dénonçant son insincérité politique : « C'était une intolérable nuit. Dans ce grand alvéole de pierre, Laforgue et ses amis avaient l'impression d'être les complices silencieux de politiques habiles qui avaient adroitement escamoté cette bière héroïque et cette poussière d'homme assassiné, qui devaient être les pièces importantes d'un jeu dont les autres pions étaient sans doute des monuments, des hommes, des conversations, des votes, des promesses, des médailles et des affaires d'argent : ils se sentaient moins que rien parmi tous ces types calculateurs et cordiaux. Heureusement, il venait parfois à travers les murailles et la rumeur étouffée des piétinements et des musiques, comme une rafale de cris, et ils se disaient alors qu'il devait exister dans la nuit une espèce de vaste mer qui se brisait avec de la rage et de la tendresse contre les falaises aveugles de la Chambre ; ils ne distinguaient pas de quels mots ces cris étaient faits, mais ils devinaient quelquefois Jaurès au bout de ces clameurs. ».

    Le lendemain fut grandiose, raconté par un fonctionnaire de la Chambre, Georges Gatulle, cité par le site de l'Assemblée Nationale : « À midi 45, on a fait avancer le pavois destiné à recevoir le corps. Le pavois de 26 m de long, sur 5 m de haut, enveloppé de drap d'argent prolongé par une grande traîne tricolore, et surmonté d'un catafalque noir, sans ornement, a été porté à bras jusqu'au Panthéon par 70 mineurs de Carmaux en costume de travail. La levée du corps a eu lieu à 13h10 ». Environ 120 000 à 150 000 personnes auraient assisté au cortège qui s'est acheminé jusqu'au Panthéon à 14 heurs 30.

     
     


    À l'intérieur du bâtiment, 2 000 invités privilégiés, dont le gouvernement et le Président de la République Gaston Doumergue, ont écouté le discours du Président du Conseil Édouard Herriot qui n'a pas prononcé une seule fois le mot de socialisme et qui a fait de Jaurès avant tout un héraut de la République : « Ce vaste esprit (…) se hausse au-dessus de l'enfer des faits et, même dans le temps où il accorde le plus à l'influence des forces économiques, il ne cesse de proclamer sa croyance au pouvoir de la libre volonté humaine dans sa lutte contre les milieux pour construire la cité d'harmonie où le travail, affranchi de ses servitudes, fleurirait comme une joie (…). Quelles que fussent, au reste, ses opinions et ses doctrines, Jaurès les inscrivit toujours dans le cadre de l'institution républicaine. (…) Il y voit "la forme définitive de la vie française" et "le type vers lequel évoluent lentement toutes les démocraties du monde". Mais, (…) il ne fut pas moins dévoué à la France dont toutes les qualités se retrouvaient dans son génie (…). Certes, il voulut la paix. (…) "Assurer cette paix par une politique évidente de sagesse, de modération et de droiture, par la répudiation définitive des entreprises de force, par l'acceptation loyale et la pratique des moyens juridiques nouveaux qui peuvent réduire les conflits sans violence. Assurer aussi la paix, vaillamment, par la constitution d'un appareil défensif si formidable que toute pensée d'agression soit découragée chez les plus insolents et les plus rapaces". C'était son programme. ».

    Si c'était le seul discours politique, le premier bénéficiant de microphones pour élever le volume de la voix et la retransmettre à la radio, la cérémonie continuait avec la lecture d'un poème de Victor Hugo (lu par une sociétaire de la Comédie-Française) puis par un oratorio chanté par un chœur de six cents personnes, ce qui donne la mesure de cette cérémonie très fastueuse (qui a fait école, puisque la plupart des cérémonies ressemblent désormais à celle-ci).
     

     
     


    Comme écrit à propos de l'adoption de la loi sur le transfert au Panthéon, il n'y avait pas consensus à l'époque puisque les communistes, exclus de la cérémonie, ont tenté de faire un défilé et une cérémonie parallèle pour protester contre la récupération politicienne de Jaurès par les radicaux et les socialistes, mais aussi, de leur côté, les militants d'extrême droite de l'Action française ont organisé avec un discours de Léon Daudet une cérémonie d'hommage à un nationaliste assassiné par une militante anarchiste qui avait voulu venger Jaurès.

    Le consensus républicain sur Jaurès est arrivé bien plus tard.

    Plus ou moins sincèrement, les leaders de gauche, en particulier socialistes, se sont souvent emparé de la figure tutélaire de Jean Jaurès, en se revendiquant ses héritiers. C'était le cas de Léon Blum, bien sûr, mais aussi de Pierre Mendès France, de François Mitterrand (qui, lors de son intronisation à l'Élysée, le 21 mai 1981, est descendu au Panthéon poser une rose sur la tombe de Jaurès), Lionel Jospin, et même François Hollande. Je précise bien "plus ou moins sincèrement" puisque dès 1924, avec Édouard Herriot dans cet ancrage emblématique, la sincérité était mise au service avant tout des arrières-pensées politiques !

     
     


    Mais des personnalités dites de droite ont aussi rendu hommage à Jaurès d'une manière ou d'une autre, le premier Paul Deschanel le 4 août 1914 (voir au début de l'article), aussi De Gaulle qui n'hésitait pas à considérer Jaurès, en 1937, comme l'un des seuls hommes d'État valables de la Troisième République qui avait montré courage, intelligence et sens national, et même Nicolas Sarkozy, qui s'en revendiquait très étrangement en 2007 juste avant son élection à la Présidence de la République, et Alain Juppé venu participer à un colloque le 25 juin 2014 sur le centenaire de l'assassinat de Jaurès à la Sorbonne aux côtés de Robert Badinter, Henri Nallet, Laurent Fabius, Alain Richard, Christiane Taubira, Claude Bartolone, Pierre Bergé, Jean-Noël Jeanneney, etc.

    Enfin, c'est même le cas aussi de personnalités ni de gauche ni de droite, comme le Président Emmanuel Macron qui a rendu implicitement hommage à Jaurès en décidant de faire lire le 2 novembre 2020 (rentrée après les vacances de la Toussaint) sa lettre aux instituteurs et institutrices (publiée le 15 janvier 1888 dans "La Dépêche de Toulouse") aux écoliers de France à l'occasion de l'hommage national rendu à Samuel Paty qui venait d'être assassiné (le 16 octobre 2020). Jaurès avait notamment écrit : « Vous tenez en vos mains l’intelligence et l’âme des enfants ; vous êtes responsables de la patrie. (…) Ils seront hommes, et il faut qu’ils aient une idée de l’homme, il faut qu’ils sachent quelle est la racine de toutes nos misères : l’égoïsme aux formes multiples ; quel est le principe de notre grandeur : la fierté unie à la tendresse. Il faut qu’ils puissent se représenter à grands traits l’espèce humaine domptant peu à peu les brutalités de la nature et les brutalités de l’instinct, et qu’ils démêlent les éléments principaux de cette œuvre extraordinaire qui s’appelle la civilisation. Il faut leur montrer la grandeur de la pensée ; il faut leur enseigner le respect et le culte de l’âme en éveillant en eux le sentiment de l’infini qui est notre joie, et aussi notre force, car c’est par lui que nous triompherons du mal, de l’obscurité et de la mort. (…) J’en veux mortellement à ce certificat d’études primaires qui exagère encore ce vice secret des programmes. Quel système déplorable nous avons en France avec ces examens à tous les degrés qui suppriment l’initiative du maître et aussi la bonne foi de l’enseignement, en sacrifiant la réalité à l’apparence ! Mon inspection serait bientôt faite dans une école. Je ferais lire les écoliers, et c’est là-dessus seulement que je jugerais le maître. Sachant bien lire, l’écolier, qui est très curieux, aurait bien vite, avec sept ou huit livres choisis, une idée, très générale il est vrai, mais très haute de l’histoire de l’espèce humaine, de la structure du monde, de l’histoire propre de la terre dans le monde, du rôle propre de la France dans l’humanité. Le maître doit intervenir pour aider ce premier travail de l’esprit ; il n’est pas nécessaire qu’il dise beaucoup, qu’il fasse de longues leçons ; il suffit que tous les détails qu’il leur donnera concourent nettement à un tableau d’ensemble. ».

    Comme on le voit, Jaurès est devenu l'homme de tous les courants politiques, du moins, de tous les courants républicains (je doute que l'extrême droite se réfère aujourd'hui à Jaurès). En fait, toutes les grandes personnalités de la République française, qui, durant leur existence politique, ont suscité de nombreuses passions françaises et ont été très clivantes, qui ont déchaîné adhésions massives ou rejet total, sont aujourd'hui réunies au sein d'un même consensus républicain qui les honore bien au-delà de tous les partis politiques.

    C'est dans le processus républicain normal et régulier que la République "digère" (je n'ai pas d'autre verbe) ses acteurs pourtant très passionnés et très clivants (très détestés ou très admirés de leur vivant, je le répète) pour les faire aimer de toutes les générations suivantes. Les transferts au Panthéon y concourent, bien sûr, mais pour un nombre ultra-limité de personnalités politiques. D'autres moyens permettent aussi cette reconnaissance consensuelle, en particulier l'appellation des lieux, les noms de rues des villes, les noms d'établissements scolaires, les noms de différents équipements (centres culturels, salles de spectacle, aéroports, gares ou stations de métro, arrêts de bus, gymnases, etc.). Ces personnalités (souvent de la Troisième République) font désormais partie des meubles, presque au sens propre puisque parfois, les usagers de ces rues, de ces stations de métro, etc. ne connaissent plus la personne qui a donné son nom mais uniquement le lieu associé qu'ils fréquentent. Ces personnalités font partie ainsi du patrimoine commun, du patrimoine national, du patrimoine républicain.

    On peut ainsi citer d'autres personnalités qui ont divisé les Français durant leur vivant (comme Jaurès) et qui sont maintenant au patrimoine commun, j'en cite quelques-uns de manière non exhaustive, bien sûr : Clemenceau, De Gaulle, Léon Blum, Pierre Mendès France, Simone Veil, on pourrait même dire Jacques Chirac. Toutes ces personnalités n'appartiennent plus à elles-mêmes, encore moins aux partis qui les soutenaient de leur vivant, mais à l'ensemble de la Nation. Tous ont-elles vocation à avoir une postérité consensuelle ? Certainement pas, on peut déjà citer Philippe Pétain, et je doute que Jean-Marie Le Pen, même après sa mort, puisse jouir de cet unanimisme du socle républicain, que sa fille ait pu ou pas parvenir à prendre le pouvoir.

    Ce consensus républicain va bien au-delà des existences personnelles et aussi des grands sujets de fâcheries politiques, de polémiques nationales, de clivages républicains. Ainsi, il n'y a plus d'opposition entre républicains et monarchistes, la République a gagné, et on aurait tendance à avoir un œil de tendre compassion pour les rares monarchistes qui existent encore (un peu comme une espèce de voie de disparition). Pour la grande guerre française de la laïcité, les catholiques sont maintenant parmi les premiers défenseurs de la loi du 9 décembre 1905 qui impose la neutralité religieuse de l'État et qui, aujourd'hui, apparaît pour certains comme un rempart indispensable contre un risque de charia. On peut aussi citer la loi sur l'IVG, le mariage pour tous et l'abolition de la peine de mort. En d'autres termes, j'ai parlé de "digérer", je pourrais parler aussi de "dissoudre" (mais pas de l'Assemblée) : les valeurs de la République dissolvent les grands clivages politiques, les passions françaises.

    Et le wokisme alors, que vient-il faire dans ma réflexion ? Comme son nom l'indique, il réveille ! Oui ! C'est probablement la meilleure définition de ce mouvement flou particulièrement détestable et croissant qui tend à refaire le monde, à embêter le monde. Il réveille les anciens clivages, les anciennes passions, les anciennes polémiques. C'est un mouvement résolument tourné vers le passé, ce qui est complètement stupide quand il y a tant à faire pour anticiper l'avenir, prévoir les défis du futur.

    Par exemple, lorsqu'on veut détruire les statues honorant Colbert sous (mauvais) prétexte qu'il était pour l'esclavage ou le colonialisme, c'est complètement stupide. Stupide car les personnes ne sont jamais tout blanc ou tout noir, et on vient de le voir avec l'abbé Pierre (heureusement quand même que l'on ne l'a pas transféré au Panthéon, il en était question dans les années 2010 !) et Colbert a quand même été un des constructeurs majeurs de l'État et de la France.

    J'ai cité Jacques Chirac comme seul représentant (actuel) de la Cinquième République (hors De Gaulle et Simone Veil), car Jacques Chirac a su, lui aussi, par son discours sur la rafle du Vel d'hiv, le 16 juillet 1995, réunifier la France et les victimes de Pétain. Cette reconnaissance était essentielle pour refermer les plaies et tourner une page particulièrement détestable de notre histoire. Parmi les responsables politiques depuis 1958, beaucoup ont reçu des hommages appuyés de leurs adversaires politiques à leur mort (entre autres : Raymond Barre, Georges Pompidou, Valéry Giscard d'Estaing, Philippe Séguin, Jacques Delors, Robert Badinter, Michel Rocard, Dominique Baudis, etc.).

    Le pire, d'ailleurs, c'est que repassionner sur des passions réchauffées n'a pas de sens. Sur l'esclavage : plus personne n'est pour l'esclavage et les rares qui le soutiennent sont des fantaisistes (comme les monarchistes français d'aujourd'hui). Idem pour le colonialisme, personne à part des électrons libres ne soutient un nouveau colonialisme, d'autant plus qu'on a déjà assez à faire avec nos territoires actuels. Par exemple, Mayotte n'est pas du colonialisme. Si ce territoire est encore français, c'était par la volonté de sa population qui ne voulait pas de l'indépendance au contraire du reste de l'archipel des Comores.


    Ma conclusion n'étonnera donc pas : pour lutter efficacement contre le wokisme, il faut savoir commémorer ce qui nous rassemble au lieu d'attiser la haine et les divisions antérieures. Rappeler l'histoire, évoquer le passé, quitte éventuellement à l'embellir afin de rendre les valeurs républicaines plus éclatantes. Et chasser tous les diviseurs qui veulent exhumer les conflits anciens : il y a suffisamment de clivages du temps présent pour ne pas se préoccuper des passions passées. À chaque génération ses combats.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (16 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Jean Jaurès.
    Le site de l'Assemblée Nationale rend hommage à Jaurès.
    Panthéon versus wokisme !
    Centenaire du drame.
    Anatole France.
    Alexandre Dumas fils.
    Pierre Waldeck-Rousseau.
    Alexandre Millerand.
    La victoire des impressionnistes.
    Les 120 ans de l'Entente cordiale.
    Mélinée et Missak Manouchian.
    Le Débarquement en Normandie.
    La crise du 6 février 1934.
    Gustave Eiffel.

    Maurice Barrès.
    Joseph Paul-Boncour.
    G. Bruno et son Tour de France par Deux Enfants.
    Pierre Mendès France.
    Léon Blum.
    Jean Zay.
    Le général Georges Boulanger.
    Georges Clemenceau.
    Paul Déroulède.
    Seconde Guerre mondiale.
    Première Guerre mondiale.
    Le Pacte Briand-Kellogg.
    Le Traité de Versailles.
    Charles Maurras.
    L’école publique gratuite de Jules Ferry.
    La loi du 9 décembre 1905.
    Émile Combes.
    Henri Queuille.
    Rosa Luxemburg.
    La Commune de Paris.
    Le Front populaire.
    Le congrès de Tours.
    Georges Mandel.
    Les Accords de Munich.
    Édouard Daladier.
    Clemenceau a perdu.
    Au Panthéon de la République, Emmanuel Macron défend le droit au blasphème.
    L'attentat de Sarajevo.
    150 ans de traditions républicaines françaises.
     

     
     



    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241123-pantheon-vs-wokisme.html

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/19/article-sr-20241123-pantheon-wokisme.html




     

  • La grande sensibilité de Valeria Bruni Tedeschi

    « Un tournage est comme un pays où il y a des lois et des langages. » (Valeria Bruni Tedeschi, le 18 février 2019 sur France Inter).


     

     
     


    L'actrice franco-italienne Valeria Bruni Tedeschi fête ses 60 ans ce samedi 16 novembre 2024 (elle est née à Turin ; elle est la grande sœur de la chanteuse et mannequin Carla Bruni, et donc la belle-sœur de Nicolas Sarkozy). Issue de la famille très riche de l'industriel Virgino Bruni Tedeschi (son grand-père qui a fait fortune dans les pneumatiques), Valeria est la fille d'une actrice et pianiste et d'un industriel qui était aussi compositeur d'opéra. La famille a dû se réfugier en France dans les années 1970 parce qu'elle était devenue une cible des Brigades rouges, ce qui a été un douloureux déchirement à l'âge de 9 ans.

    Elle est une actrice très attachante, presque familière, comme si c'était une intime, une bonne amie, une mère proche, une sœur complice... J'ai un petit faible pour elle dont la sensibilité est très forte, des yeux exceptionnellement pleins de vie, capable, dans un personnage secondaire, de voler la vedette à des personnages plus centraux dans un film.

    Un exemple frappant est l'excellent film de Claude Chabrol "Au cœur du mensonge" (sorti le 13 janvier 1999). Dans un jeu à quatre, elle s'est octroyée sans doute le rôle le plus captivant, même si tous sont intéressants. Les deux rôles principaux sont tenus par Sandrine Bonnaire et Jacques Gamblin, jouant un couple bien étrange, l'une médecin un peu désolée et déboussolée par son mari, peintre sans inspiration qui a été blessé dans un attentat (celui de la rue de Rennes le 17 septembre 1986 qui a tué 7 personnes et blessé 55 autres dont le personnage du film). Antoine de Caunes joue le journaliste écrivain odieux et imbu de lui-même, dandy séducteur de la médecin, qui a le don d'agacer voire de rendre jaloux le peintre. Le journaliste meurt dans d'étranges conditions et la commissaire Valeria Bruni Tedeschi enquête.

    Dans ce film, l'actrice n'est pas seulement policière, elle est aussi mère, et c'est une chose importante car elle a confié la garde de sa fille (attention, spoiler !) à la compagne d'une personne accusée de l'assassinat d'un enfant (donc, dans une autre affaire). La commissaire ne semble pas vraiment efficace dans ses investigations, mais elle tient un rôle assez surprenant dans le film de Claude Chabrol chez qui rien n'est jamais blanc ou noir.

     

     
     


    Commençant par le théâtre et la télévision, Valeria Bruni Tedeschi a obtenu son premier grand rôle au cinéma en 1987 ("Hôtel de France" de Patrick Chéreau, sorti le 20 mai 1987) et depuis ses débuts, elle a tourné dans plus d'une centaine de films, mais aussi en a réalisé sept, car elle est aussi réalisatrice (et scénariste). Patrick Chéreau était son mentor et son initiateur au théâtre et même au cinéma pour son premier rôle principal : « Je lui serai éternellement reconnaissante de m'avoir appris le sens du mot travail. » (a-t-elle dit à la mort du metteur en scène le 7 octobre 2013). Il était son professeur et elle avait pour camarades de classe Agnès Jaoui, Vincent Perez, Eva Ionesco et Marianne Denicourt. Réalisatrice et actrice, un peu comme Emmanuelle Bercot. Valeria Bruni Tedeschi a fait jouer souvent de nouveaux comédiens, apprécie les nouvelles têtes, encourage et promeut les nouvelles pousses.

    Parmi les films qu'elle a réalisés, souvent intimistes et très personnels (tout en étant très collectifs), on peut citer "Actrices" (sorti le 26 décembre 2007) avec Noémie Lvovsky, Valeria Golino, Mathieu Amalric et Louis Garrel ; "Les Estivants" (sorti le 10 décembre 2018) avec Noémie Lvovsky, Valeria Golino, Pierre Arditi, Yolande Moreau, Laurent Stocker, etc. ; et (encore à visée autobiographique) "Les Amandiers" (sorti le 16 novembre 2022) avec Nadia Tereszkiewicz, Louis Garrel (qui joue le rôle de Patrick Chéreau), Sofiane Bennacer, Micha Lesco... sans oublier à la télévision, la comédie "Les 3 Sœurs" (diffusée le 4 septembre 2015 sur Arte) qui s'inspire d'une pièce de Tchekhov sur le deuil du père de trois sœurs dans la Russie de la fin du XIXe siècle, avec notamment Florence Viala, Coraly Zahonero, Éric Ruf, Bruno Raffaelli, Michel Vuillermoz et Laurent Stocker (ainsi que le succulent et regretté Michel Robin pour un petit rôle).

    Malgré la présence dans le casting de sa mère Marisa Borini et de sa fille Oumy Bruni Garrel, "Les Estivants" n'a pas de vocation autobiographique si ce n'est dans l'imaginaire de Valeria Bruni Tedeschi qui a distribué les rôles selon sa famille, parfois avec les propres rôles (sa mère, par exemple). Quant à son dernier film "Les Amandiers", il a été sélectionné par le Festival de Cannes de 2022, et a reçu en 2023 un César (meilleur espoir féminin pour Nadia Tereszkiewicz) et sept nominations de César (dont meilleur film et meilleur scénario). Présentant ce film (qui raconte sa jeunesse) le 10 novembre 2022 sur France Inter, Valeria Bruni Tedeschi a fait un parallèle avec les jeunes d'aujourd'hui : « J'ai l’impression qu'on a insufflé à nos enfants la peur de l'avenir, je les trouve très angoissés, en train d'essayer de bien construire leur avenir. Nous, on ne construisais rien du tout, on voulait vivre, travailler, on s'en foutait de construire une carrière, on voulait juste jouer. ».


    Les films qu'elle a réalisés, comme je l'ai écrit plus haut, sont souvent ou vaguement à visée autobiographique et familiale. Ainsi, Valeria Bruni Tadeschi évoquait sa sœur et la mort de son père dans "Il est plus difficile pour un chameau..." (sorti le 16 avril 2003) avec Chiara Mastroianni, Jean-Hugues Anglade, Marisa Borini (sa mère), Denis Podalydès, Lambert Wilson, Yvan Attal, Emmanuell Devos, etc. (Prix Louis-Delluc du premier film), ainsi que la mort de son frère, succombant du sida en 2006, dans "Un château en Italie" (sorti le 30 octobre 2013) avec Louis Garrel, Marisa Borini et Xavier Beauvois (ce qui a valu à Valeria d'être la seule femme candidate à la Palme d'Or au Festival de Cannes 2013). Du reste, Valeria Bruni Tedeschi a pu tourner dans le propre château familial, le château de Castagneto Po, à 25 kilomètres de Turin, vendu par la famille en 2009 à un prince saoudien pour la somme de 17,5 millions d'euros et son mobilier, vendu aux enchères à Londres pour 10 millions d'euros, qui ont été versés à la Fondation Virginio-Bruni-Tedeschi (le frère décédé) contre le sida.
     

     
     


    En fait, Carla Bruni n'est que la demi-sœur de Valeria Bruni Tedeschi, mais elles ne l'ont su que tardivement, au début de l'année 1996. Le père biologique était un homme d'affaires installé au Brésil et le père qui l'a élevée, Alberto Bruni Tedeschi, qui l'avait su, l'a toujours chérie comme sa propre fille. Toutefois, le choc de la révélation n'en a pas été moins grand, d'autant plus qu'elle a eu lieu peu avant la mort du père affectif (le 17 février 1996).

    Louis Garrel a été le compagnon de Valeria Bruni Tedeschi après le tournage de son film "Actrices" et le couple a adopté alors en 2009 une petite fille Oumy qui a joué avec eux en 2018. Elle a aussi adopté en 2014 un petit garçon, Noé. Son nouveau compagnon Sofiane Bennacer a eu l'un des rôles principaux dans "Les Amandiers" (et la procureure de la République de Mulhouse a annoncé le 22 novembre 2022 qu'il a été mis en examen en octobre 2022 pour des accusations de viols et d'agressions sur trois voire quatre de ses anciennes compagnes, mais il a clamé son innocence ; à cause de cette mise en examen, et alors qu'il a été une révélation dans "Les Amandiers", son nom a été prudemment retiré de la liste des "talents émergents" pour les Césars 2023 par respect pour les victimes présumées).

    Reconnue par la profession, Valeria Bruni Tedeschi a reçu de nombreuses récompenses, en particulier un César du meilleur espoir féminin pour "Les gens normaux n'ont rien d'exceptionnel" de Laurence Ferreira Barbosa (sorti le 1994), avec Melvil Poupaud, Frédéric Diefenthal, Sandrine Kiberlain et Jackie Berroyer (et nommée pour cinq autres Césars), quatre David di Donatello de la meilleure actrice en 1996, 1998, 2014 et 2017 (l'équivalent italien des Césars), également le Prix spécial du jury au Festival de Cannes en 2007 et une citation pour un Molière de la meilleure comédienne, car elle joue aussi au théâtre (des pièces de Molière, Tchekhov, Tourgueniev, etc.).

    L'un des récents films dans lesquels Valeria a joué (très nombreux, depuis le début de la décennie ; elle a joué dans treize films !) est "Les Amours d'Anaïs" de Charline Bourgeois-Taquet (sorti le 15 septembre 2021) avec la très séduisante Anaïs Demoustier et Denis Podalydès. L'actrice devenue écrivaine se retrouve alors au centre d'un triangle amoureux où deux doubles hétérosexualités évoluent vers une seule homosexualité féminine sans identification d'orientation sexuelle mais avec pour seul guide le désir, comme l'a expliqué la jeune réalisatrice le 16 septembre 2021 à Mégane Choquet pour le site Allociné : « La seule chose qui guide Anaïs, c'est son désir. Et elle a cette capacité à suivre son désir de manière aveugle, sans se poser de questions. Elle se laisse emporter par ses pulsions et ses envies. Je trouvais ça beau qu'elle aille jusqu'au bout sans se poser de questions. (…) Le film commence à Paris et plus on avance, plus il s'ouvre quand on arrive à la campagne verdoyante en Bretagne et vers la fin on est carrément au bord de la mer avec cet horizon infini. Sans vouloir tomber dans trop de symbolisme, c'était aussi une trajectoire vers la liberté et le fait de suivre son désir jusqu'au bout et sans limites. ».


     

     


    Quant à Valeria Bruni Tadeschi, voici ce qu'en dit Charline Bourgeois-Taquet pour cette première collaboration : « J'ai adoré travailler avec Valeria. Encore aujourd'hui, quand je vois le film, je suis subjuguée, je la trouve sublime. C'était assez intéressant parce que j'avais envie de lui proposer ce personnage qu'elle a rarement joué, voire presque jamais, c'est-à-dire une femme solide, puissante, accomplie. Et Valeria aime bien faire rire, donc les premiers jours de tournage, elle était assez déstabilisée. Je pense même qu'elle était un peu frustrée parce qu'elle voyait qu'Anaïs et Denis [Podalydès] nous faisaient rire. Je n'avais vraiment pas envie qu'elle soit en souffrance sur le tournage mais j'ai quand même tenu bon, je lui ai expliqué qu'il fallait qu'elle me fasse confiance et que son personnage allait être marquant même s'il ne faisait pas rire. Et elle a fini par comprendre ce que j'avais derrière la tête et par accepter de s'abandonner. ».

    Dans "Paris Match", Valeria Bruni Tedeschi a déclaré de son côté, le 8 juillet 2022 à Karelle Fitoussi : « J'aime les metteurs en scène qui m’obligent à aller dans des endroits nouveaux. Charline m’a demandé d’incarner une femme qui assume sa beauté et sa puissance. Je crois n’avoir jamais été regardée par des cinéastes hommes hétérosexuels comme un objet de désir. ». Réponse de la réalisatrice : « Mais parce que tu résistes à ça ! Au début du tournage, ce qui t’aurait vraiment fait plaisir, c’était plutôt de faire rire tout le monde ! Il y a chez toi une fragilité qu’on perçoit derrière tous tes rôles. ».

     

     
     


    Complexée par le caractère très riche de sa famille (elle s'en sent coupable), mais pas du tout complexée par son physique (contrairement à sa sœur, elle ne se maquille pas, ne se coiffe pas, ne se chirurgie-esthétique pas, ne se photoshope pas dans les magazines aux pages glacées), Valeria Bruni Tadeschi aura un mal fou à atteindre la sérénité, faute d'un bonheur qu'elle n'assumerait pas : « J’ai le sentiment que rien ne m’a apaisée, que rien ne m’apaise, que rien ne m’apaisera jamais. » (a-t-elle lâché à Vanessa Schneider le 17 mai 2013 pour "Le Monde"). Toujours anxieuse, la religion catholique peut lui apporter cette sérénité qu'elle désire tant : « Je vais parfois à l’office du [dimanche] soir, que je trouve plus solitaire, moins familial et bourgeois que celui du matin. J’ai beaucoup de mal avec ce qui se dit à l'Église, de nombreuses choses ne me plaisent pas du tout, mais je peux y trouver des instants d’apaisement. C’est la religion de mon enfance, le langage qui m’est le plus naturel, même si je n’ai reçu que des miettes de foi. » (s'est-elle confiée le 28 mai 2022 à Baptiste Thion dans le "Journal du dimanche").


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (16 novembre 2024)
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    Pour aller plus loin :
    Carla Bruni.
    Valeria Bruni Tedeschi.
    Teddy Vrignault.
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    Les jeunes stars ont-elles le droit de vieillir ?
    Charlie Chaplin.
     

     
     



    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241116-valeria-bruni-tedeschi.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/la-grande-sensibilite-de-valeria-257319

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/15/article-sr-20241116-valeria-bruni-tedeschi.html