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Le blog haut et fort de Sylvain Rakotoarison - Page 22

  • Hillary Clinton, une Affaire de femmes ?

    « Quelque chose se passe en Amérique ! Vous pouvez le sentir, quelque chose pour lequel nous avons travaillé et dont nous rêvons depuis longtemps ! » (Hillary Clinton, le 19 août 2024 à Chicago).


     

     
     


    Le vote des femmes sera déterminant. Le thème de l'avortement est très présent dans la campagne électorale. Mais dans quel sens ? Laissons Claude Chabrol aux salles obscures et traversons l'Atlantique... Les élections présidentielles du 5 novembre 2024 aux États-Unis sont particulièrement incertaines. Après un départ en fanfare, la candidature de Kamala Harris s'est essoufflée et son adversaire Donald Trump a repris un léger avantage dans les sondages, malgré son échec au premier et unique débat télévisé entre les deux candidats qui a eu lieu le 10 septembre 2024.

    Je souhaite revenir au début de la Convention nationale des démocrates à Chicago. La première soirée, celle du 19 août 2024, le Président Joe Biden y a fait un grand discours, peut-être même un discours d'adieu, remercié par les nombreux participants démocrates qui l'ont ovationné. Mais une autre personnalité importante du parti démocrate a pris la parole dans la même soirée, l'ancienne candidate Hillary Clinton, celle-là même qui a été battue par Donald Trump en novembre 2016. Après tout, ils sont rares les moments où l'ancienne première dame s'exprime publiquement et ouvertement, et elle l'a fait deux jours avant son mari Bill Clinton.

    Ce samedi 26 octobre 2024, Hillary Clinton fête son "seulement" 77e anniversaire (elle est née à Chicago). Un an et demi de moins que Donald Trump ou Bill Clinton. Elle a été la première dame des États-Unis du 20 janvier 1993 au 20 janvier 2001, puis sénatrice élue en 2000 puis en 2006, et après son échec aux primaires démocrates de 2008, elle a été nommée Secrétaire d'État (équivalent de Ministre des Affaires étrangères et premier des ministres) par Barack Obama du 21 janvier 2009 au 1er février 2013 (précédant un autre candidat battu des présidentielles, John Kerry).

    Non seulement Hillary Clinton compte dans la vie politique américaine, mais elle a sans doute l'impression que la bataille de Kamala Harris est une sorte de revanche sur 2016, tandis que le combat de Donald Trump se veut être une revanche sur 2020. Il y a eu un goût d'inachevé dans la candidature d'Hillary Clinton dont la trajectoire présidentielle a été très laborieuse malgré l'étiquette de favorite collée à la peau pendant longtemps : elle a échoué lamentablement aux primaires contre Barack Obama puis à l'élection contre Donald Trump. A-t-elle un conseil à donner à Kamala Harris ? Sans doute d'être combative et d'être aussi péremptoire que son rival. Dans un combat de boxe, il faut savoir encaisser des coups, mais il faut aussi en donner. Kamala Harris a en 2024 environ dix ans de moins qu'Hillary Clinton en 2016 : ça compte, à ce stade. L'âge devient un argument de vente important, d'autant plus qu'ont été observées quelques "absences" du candidat républicain.

     

     
     


    L'ancienne Secrétaire d'État est arrivée à la tribune de la Convention démocrate avec des tonnerres d'applaudissements, à tel point qu'elle ne pouvait pas commencer à parler ! L'occasion, pour elle, de faire un bain de jouvence. Elle a réussi à obtenir le silence après un : « Wow ! Il y a beaucoup d'énergie dans cette salle, tout comme il y en a à travers le pays ! » (c'était pareil à la Convention républicaine, il y a toujours beaucoup de participation et d'enthousiasme, dans les conventions d'investiture). Ces ovations étaient pour elle surtout un hommage d'avoir ouvert la voie à une candidature féminine de première importance.

    Dans un premier temps, exercice obligé de tous les orateurs de cette convention, Hillary Clinton a rendu hommage à Joe Biden, mais très mollement : « Il a été le champion de la démocratie au pays et à l'étranger. Il a ramené la dignité, la décence et la confiance à la Maison-Blanche. Il a montré ce que voulait dire être un vrai patriote. Merci Joe Biden pour votre service et votre leadership ! ».

    Ensuite, elle est passée sur le mode féministe en rappelant sa mère Dorothy : « Dorothy est née ici même à Chicago, avant que les femmes n'aient le droit de vote (…) il y a 104 ans hier. (…) Le Tennessee est devenu le dernier État à ratifier le dix-neuvième amendement de la Constitution. La législature de l'État était dans l'impasse jusqu'à ce que la mère d'un législateur, une veuve qui lisait trois journaux par an, envoie une lettre à son fils : "Ne tarde plus, nous écrit-elle, donne-nous le droit de vote", et depuis ce jour, chaque génération a porté le flambeau. ». Effectivement, Dorothy Emma Rodham est née le 4 juin 1919 et le dix-neuvième amendement généralisant le droit de vote des femmes à l'ensemble des États-Unis a été intégré dans la Constitution américaine le 18 août 1920 (en France, il a fallu
    attendre le 21 avril 1944 !).

    Et d'évoquer les premières femmes candidates à la Présidence des États-Unis : « En 1972, une Noire intrépide, Shirley Chisholm, membre du Congrès, elle s'est présentée à la Présidence, et sa détermination m'a permis, ainsi qu'à des millions de femmes, de rêver en plus grand, non seulement à cause de ce qu'elle était, mais pour qui elle s'est battue : pour les parents qui travaillaient, pour les enfants pauvres (…). En 1984, j'ai amené ma fille voir Geraldine Ferraro, la première femme nommée candidate à la Vice-Présidence. ».
    Geraldine Ferraro a été la première femme candidate à la Vice-Présidence en binôme avec Walter Mondale, face au Président sortant Ronald Reagan.

    Hillary Clinton a poursuivi : « Si nous avons pu le faire [être candidate à la Vice-Présidence], John Kerry a dit alors que nous pouvions tout faire. Et puis, il y a eu 2016 où ce fut l'honneur de ma vie d'avoir accepté la nomination de notre parti comme candidate à la Présidence. Et près de 66 millions d'Américains ont voté pour un avenir où il n'y a pas de limite à nos rêves ! Et après, nous avons refusé d'abandonner l'Amérique. Des millions ont défilé, beaucoup se sont présentées aux élections, nous avons gardé les yeux rivés sur l'avenir. Eh bien, mes amis, l'avenir est ici ! J'aimerais que ma mère et la mère de Kamala puissent nous voir. Elles nous diraient : "Continuez !". Shirley et Jerry nous diraient : "Continuez, les femmes !". » (la mère d'Hillary est morte le 1er novembre 2011 et celle de Kamala Harris, la cancérologue Shyamala Gopalan, est morte le 11 février 2009 ; Shirley Chisholm est morte le 1er janvier 2005 et Geraldine Ferraro le 26 mars 2011).


    Le discours d'Hillary Clinton était donc résolument féministe et son "nous" se rapportait souvent aux femmes : « Les femmes qui se sont battues pour les soins de la santé reproductive disent : "Continuez !". Les familles qui cherchent à construir une vie meilleure, les parents qui s'efforcent d'avoir une garde d'enfants, les jeunes qui ont du mal à payer leur loyer, ils nous demandent tous de continuer ! La foi des uns dans les autres, la joie dans nos cœurs, envoyons Kamala Harris et Tim Walz à la Maison-Blanche ! ».
     

     
     


    Est venue la raison du vote pour Kamala Harris : « Vous connaissez l'histoire de ma vie et l'histoire de notre pays, c'est que le progrès est possible mais n'est pas garanti. Nous devons nous battre pour cela, et ne jamais abandonner. Il y a toujours le choix : avancer ou reculer. Nous rassembler en tant que peuple ou nous diviser. (…) C'est le choix auquel nous sommes confrontés dans cette élection. Kamala a le caractère, l'expérience et la vision pour nous faire avancer. Je connais son cœur et son intégrité. Nous avons toutes les deux fait nos débuts comme de jeunes avocates qui ont aidé des enfants maltraités et négligés. Ce genre de travail change une personne (…). Kamala porte avec elle les espoirs de chaque enfant qu'elle a protégé, de chaque famille qu'elle a aidée, de chaque communauté qu'elle a servie. Ainsi, Présidente, elle nous soutiendra toujours et elle sera une combattante pour nous, elle se battra pour que les employeurs ouvrent grandes les portes à des emplois bien rémunérés aux familles qui travaillent dur et, oui, elle rétablira le droit à l'avortement dans tout le pays. En tant que procureure, Kamala a enfermé des meurtriers et des trafiquants de drogue. Elle ne sera jamais au repos pour défendre notre liberté et notre sécurité. (…) Je peux vous dire qu'en tant que commandante en chef, Kamala ne manquera pas de respect à nos militaires et à nos anciens combattants. Elle vénère nos récipiendaires de la Médaille d'honneur. Elle n'enverra pas de lettres d'amour aux dictateurs. Elle défendra la démocratie et notre Constitution et protégera l'Amérique des ennemis étrangers et intérieurs. ».

    Une allusion au rival Trump qui en a pris pour son grade : « Donald Trump s'est endormi lors de son propre procès et quand il s'est réveillé, il a inscrit son propre cas dans l'histoire, le premier à se présenter à la Présidence avec trente-quatre condamnations pour crimes ! (…) Pensez-y, la Constitution dit que le devoir du Président est de veiller à ce que les lois soient fidèlement appliquées, ce sont les paroles de nos fondateurs. Faites attention, regardez simplement les candidats. Qui se soucie des enfants et des familles ? Qui se soucie de l'Amérique ? Donald ne se soucie que de lui-même ! Lors de son premier jour dans un tribunal, Kamala a dit cinq mots qui ont toujours guidé sa vie : Kamala Harris pour les gens ! C'est quelque chose que Donald Trump ne comprendra jamais. (…) Nous devons travailler plus dur que jamais. Nous devons repousser les dangers que Trump et ses alliés représentent pour l'État de droit et notre mode de vie. Ne vous laissez pas distraire ou n'en parlez pas avec complaisance à vos amis et voisins. (…) Soyez fiers de défendre la vérité et le pays que nous aimons tous ! ».

    Ce fameux plafond de verre d'une femme à la Maison-Blanche obsède tant l'ancienne candidate démocrate : « Peu importe ce que disent les sondages. Nous ne pouvons pas abandonner. Nous ne pouvons pas nous laisser entraîner sur le terrains des conspirateurs délirants. Nous devons nous battre pour la vérité. Nous devons nous battre pour Kamala car elle se battra pour nous ! Parce que vous savez ce qu'il faut encore au village pour élever une famille, guérir un pays et gagner une campagne ! (…) Nous ne nous contentons pas d'élire un Président, nous élevons notre nation, nous ouvrons l'espoir de l'Amérique assez largement pour que tout le monde soit ensemble, nous avons fait beaucoup de fissures dans le plafond de verre le plus dur. Et ce soir, si près de le percer, une fois pour toutes, je veux vous dire ce que je vois à travers toutes ces fissures et pourquoi c'est important pour chacun d'entre nous. Que vois-je ? Je vois la liberté, je vois la liberté de prendre nos propres décisions concernant notre santé, nos vies, nos amours, nos familles, la liberté de travailler dans la dignité et de prospérer, de pratiquer notre religion comme nous choisissons ou pas d'exprimer librement et honnêtement nos pensées. Je vois l'absence de peur, d'intimidation, de violence, d'injustice, de chaos et de corruption. Je vois la liberté de regarder nos enfants dans les yeux et de leur dire : vous pouvez aller aussi loin que votre travail acharné et votre talent vous mèneront. ».
     

     
     


    Elle a terminé en bouquet final : « Vous savez ce qu'il y a de l'autre côté du plafond de verre ? Il y a Kamala Harris qui lève sa main et prête serment en tant que 47e Présidente des États-Unis. Parce que, mes amis, quand une barrière tombe pour l'une d'entre nous, elle tombe, elle tombe et ouvre la voie pour nous toutes ! (…) Je veux que mes petits-enfants et leurs petits-enfants sachent que j'étais ici, à ce moment, que nous étions ici et que nous étions avec Kamala Harris à chaque étape de ce processus. Notre époque, l'Amérique, c'est le moment où nous nous levons, c'est le moment où nous percevons le futur ! ».

    Ce qu'on peut dire, c'est que, malgré l'âge, Hillary Clinton a encore du dynamisme à revendre et qu'elle est une oratrice exceptionnelle. Mais ce qu'on peut aussi regretter, c'est le cas pour tous les leaders politiques et c'est très étrange pour un observateur français, c'est la vacuité absolue des discours politiques aux États-Unis ! Il n'y a que des idées très générales, très vagues, qui peuvent se dire en tout temps, et il n'y a jamais rien de concret, rien dans la réalité d'un programme politique, rien dans la vision de la politique économique ou de la politique étrangère. Seulement de la gueule. Et je le dis bien sûr pour tous les leaders, et un discours de Donald Trump serait encore pire dans la vacuité et le niveau intellectuel qui pourrait se comparer à celui d'une classe d'école primaire.

    Quand on prend un discours de campagne en France, quel que soit le parti du candidat, l'auditeur en a pour son argent, il aura par la suite mille sujets de conversation, d'énervement, d'accords et de désaccords, mais pas ce vide dans les campagnes américaines qui se résume finalement à la seule question électoralement utile : qui a la plus grosse ? (...gueule, bien sûr !). Très étrange pays que sont les États-Unis !


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (25 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Hillary Clinton.
    Liz Cheney.
    Où en est la campagne présidentielle de Kamala Harris ?
    Jimmy Carter.
    Lauren Bacall.
    Maurice Jarre.
    Bill Clinton.
    Vera Miles.
    Les Yes-She-Can de Barack Obama !
    Kamala Harris sera-t-elle la première femme Présidente des États-Unis ?
    USA 2024 : Joe Biden se retire et soutient Kamala Harris !
    Donald Trump victime d'une tentative d'assassinat.
    Les 80 ans du Débarquement en Normandie.
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    Triste Trump (hic) !
    Paul Auster.
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    Moody's et Fitch.
    Les 75 ans de l'OTAN.
    Lee Marvin.
    Les 20 ans de Facebook.
    Bernard Madoff.
    La crise financière mondiale de 2008.

    La boîte quantique.
    Maria Callas.
    Henry Kissinger.
    Alexander Haig.
    Katalin Kariko et Drew Weissman.
    Rosalynn Carter.
    Walter Mondale.
    Marathonman.
    Bob Kennedy.






    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240819-hillary-clinton.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/hillary-clinton-une-affaire-de-256417

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/08/26/article-sr-20240819-hillary-clinton.html


     

  • 5 euros pour visiter Notre-Dame de Paris ?

    « Et je vous le dis ce soir avec force, nous sommes ce peuple de bâtisseurs. Nous avons tant à reconstruire. Alors oui, nous rebâtirons la cathédrale Notre-Dame plus belle encore, et je veux que cela soit achevé d’ici cinq années. Nous le pouvons, et là aussi, nous mobiliserons. Après le temps de l’épreuve viendra celui de la réflexion, puis celui de l’action, mais ne les mélangeons pas. » (Emmanuel Macron, allocution télévisée du 16 avril 2019).


     

     
     


    Pari tenu ! Au lendemain de l'incendie qui a détruit une grande partie de Notre-Dame de Paris, le Président de la République Emmanuel Macron avait donné un délai très court et audacieux pour tout rebâtir. La cathédrale restaurée sera en principe inaugurée en grandes pompes le 7 décembre 2024. La flèche a été reconstruite et redevenue visible le 19 février 2024, et les huit cloches réinstallées le 12 septembre 2024. La réouverture au grand public de la cathédrale monumentale dans six semaines, après sa fermeture et restauration depuis cinq ans, attise bien des convoitises.

    Dans l'interview accordée à Claire Bommelaer et Yves Thréard pour "Le Figaro" du 23 octobre 2024, la Ministre de la Culture Rachida Dati, également chef de l'opposition municipale à la Ville de Paris, a jeté un pavé dans la mare avec cette proposition de rendre payante l'entrée de la cathédrale Notre-Dame de Paris, l'un des joyaux de Paris et de la France : « Faire payer l'entrée de Notre-Dame sauverait toutes les églises de France. ». Son premier objectif étant d'en discuter, elle l'a largement atteint en provoquant la polémique (ce qui a de triste dans ce genre de sujet, c'est que tout le monde a son avis, les uns pour, les autres contre, et ça conduit à faire un monde clivé à un moment où nous aurions bien besoin de rassemblement). Le second objectif, celui de tous les ministres, à savoir trouver des sous, c'est moins sûr de l'atteindre !

    Tout est bon pour rassembler des sous, évidemment. Mais attention ! À mon sens, cette proposition est assez inquiétante de l'état de la société actuelle et plus encore de l'état de la classe politique qui semble être en perte de valeurs fondamentales.

    Rappelons d'abord les arguments de la ministre et les avantages d'une telle proposition, puis insistons sur sa difficile mise en œuvre et enfin, expliquons pourquoi cela me paraît complètement scandaleux.

    L'argument principal de Rachida Dati, c'est de dégager 75 millions d'euros par an pour restaurer les églises, parfois petites, de France. Sur les 50 000 lieux de culte catholiques que compte la France, 5 000 sont dans un état très grave qui nécessite une restauration pour ne pas mettre en danger ses visiteurs. Avant 2019, il y avait 12 millions de visiteurs de Notre-Dame chaque année. Rachida Dati voudrait ainsi faire porter le chapeau à ces visiteurs de la cathédrale de Paris pour sauver les églises de tout le territoire français, à la fois l'idée d'apporter des fonds et l'idée aussi d'une solidarité territoriale : « Avec 5 euros seulement par visiteur, on récolterait 75 millions d’euros par an. Ainsi, Notre-Dame de Paris sauverait toutes les églises de Paris et de France (…) Ce serait un magnifique symbole. ».

    Soyons clairs, 5 euros, c'est vrai, c'est symbolique, avec probablement l'exonération pour les enfants (pour une famille nombreuse, ça peut monter très vite pour le porte-monnaie). D'où mon problème avec la calcul de la ministre : 5 x 12 millions moins les enfants (admettons un enfant pour trois adultes), je ne trouve que 45 millions d'euros et pas 75, mais je me tais, sinon, le tarif va augmenter ! Qu'importe, l'idée à discuter pour moi est plus de faire payer que de savoir combien. Il faudrait 700 millions d'euros pour restaurer les 5 000 églises vétustes, en dix ou quinze ans, ou vingt ans, ce programme serait totalement financé : intéressant donc, pour les responsables de la conservation du patrimoine. Rappelons aussi que le loto du patrimoine (organisé par Stéphane Bern) apporte chaque année entre 25 et 30 millions d'euros, soit 118 projets de restauration (de monuments historiques, pas seulement des édifices religieux).

    Après tout, le principe de l'usager payeur est meilleur que le principe du tout gratuit pour les services publics, par exemple, pour les transports en commun. Qui dit gratuits dit en fait payants pour les contribuables, y compris les non usagers. C'est vrai pour les écoles (ceux qui n'ont pas d'enfants les financent aussi), mais il s'agit de solidarité comme de payer la sécurité sociale lorsqu'on n'est pas malade (le coût d'une maladie étant monstrueux). Mais dans l'exemple de la cathédrale, ce principe s'entrechoque avec le principe de la laïcité et de la neutralité de l'État.

    "À cause" de la liberté du culte, seuls les visiteurs, c'est-à-dire les touristes devraient payer, et pas les fidèles, ceux qui voudraient venir prier ou assister aux messes. Déjà, rien que cette dernière phrase est bancale tant d'un point de vue théorique (inégalité face à la taxe, qu'en dit la Constitution ?) que d'un point de vue pratique (comment faire la différence ?). Et puis, je me regarde moi : j'ai visité des milliers d'églises pendant mes voyages à travers la France, et chaque fois, je m'y suis recueilli, mais aussi, je m'y suis cultivé, j'ai parfois admiré un beau vitrail, ou un autre truc. D'ailleurs, une des rares fois où je suis entré à Notre-Dame de Paris, il y avait une messe à laquelle je n'allais pas assister, prenant résolument ma casquette de touriste (bien que francilien). De toute façon, c'est tellement bruyant Notre-Dame qu'il est bien difficile de se recueillir en silence. Mais ce bruit est aussi joyeux, une église, ça vit, c'est l'animation du village. L'église est toujours vivante, par définition.

    Rachida Dati a pris aussi exemple sur l'étranger : « Partout en Europe, l’accès aux édifices religieux les plus remarquables est payant. J’ai proposé à l’archevêque de Paris une idée simple : mettre en place un tarif symbolique pour toutes les visites touristiques de Notre-Dame et consacrer totalement cet argent à un grand plan de sauvegarde du patrimoine religieux. ».


    Le partout est exagéré, mais c'est vrai en partie. Pour visiter la Sagrada Familia, c'est 26 euros l'entrée (qui vaut le coût !), l'Abbaye du Mont-Saint-Michel, c'est 13 euros, l'Abbaye de Westminster, c'est 36 euros (selon le cours de la livre sterling). J'ai payé aussi pour entrer à la cathédrale de Cracovie, celle de Jean-Paul II. Et en France, même si l'entrée est gratuite, certaines visites sont payantes : les dômes, les tours, les cryptes, les baptistères, les salles du trésor, etc. sont parfois à entrée payante. En revanche, les plus belles églises, celles de Rome, sont gratuites.

    Entre parenthèses, la Ministre de la Culture a mis aussi sur le chantier l'idée de faire payer plus cher les touristes hors Union Européenne que les autres : « Est-il par exemple normal qu’un visiteur français paie son entrée au Louvre le même prix qu’un visiteur brésilien ou chinois ? (…) [Les] Français n’ont pas vocation à payer tout, tout seuls. (…) C’est une vraie rupture dans la politique tarifaire de nos établissements culturels. Nous sommes en train d’y travailler, pour une mise en place au 1er janvier 2026. ». Remarquons que la Russie a déjà adopté depuis longtemps cette politique tarifaire : les Russes paient beaucoup moins cher leurs musées que les étrangers. Mais revenons à Notre-Dame.

    Dans cette controverse, la position est relativement simple : les croyants sont scandalisés par l'idée de faire payer l'entrée dans une cathédrale, car cela entrave la liberté du culte et empêche les plus pauvres à aller à Notre-Dame ; ceux qui ne sont pas croyants, n'y voient que les vieilles pierres et trouvent logique de faire payer comme on fait payer pour entrer dans n'importe quel monument "païen". En somme, la question est de savoir si Notre-Dame de Paris est un monument, auquel cas elle s'insère dans le patrimoine de la France sous la responsabilité du Ministère de la Culture, ou si Notre-Dame de Paris est une cathédrale, lieu de culte par excellence des catholiques français, auquel cas elle doit être en libre service et sa gestion dépend du ministère du culte, à savoir le Ministère de l'Intérieur. J'aimerais donc connaître l'avis de
    Bruno Retailleau sur le sujet. Mgr Michel Aupetit, l'ancien archevêque de Paris, avait en effet bien rappelé la destination de Notre-Dame juste après son incendie : « C’est un lieu de culte qui doit être rendu au culte. Notre-Dame n’est pas un musée. ». Cela a le mérite de la clarté.

    La mise en pratique de proposition de Rachida Dati est en outre très difficile car comment seront choisies les églises à restaurer une fois que les sommes seront acquises ? Où ira l'argent ? Comment sera-t-il géré et avec quels frais de gestion ? La journaliste spécialiste du Vatican Caroline Pigozzi est très pessimiste sur la manière de gérer ce nouvel argent. Pour Alexandre Giuglaris, directeur général de la Fondation du Patrimoine, au contraire, ce n'est pas un problème. La Fondation du Patrimoine est prêt à s'en occuper et elle est même très alléchée par la proposition, car, évidemment, elle ne s'occupe que du matériel et pas du spirituel. Elle gère déjà l'argent obtenu par le loto du patrimoine.

    En tant que croyant, je serais très choqué de voir un péage à l'entrée d'une église et plus encore d'une cathédrale. Déjà, la différence avec il y a trente ans, c'est que les églises sont souvent fermées car faute de bonnes âmes de permanence, elles ne peuvent plus rester ouvertes sans surveillance à cause des vols (ce qui n'était pas le cas dans mon jeune temps). J'ai déjà eu ce sentiment quand je voulais visiter la cathédrale de Brou, à l'entrée de Bourg-en-Bresse, dont l'entrée est payante (mais justement, l'église ou plus précisément l'abbatiale n'est plus consacrée et cet ensemble est un musée et pas un édifice religieux même s'il l'a été).


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    La reconstruction de Notre-Dame de Paris n'a pas eu de problème de fonds : les nombreux dons, en particulier des familles les plus riches de France, ont permis de rassembler près de 900 millions d'euros (selon les promesses de 2019, je ne sais pas si cette somme a été effectivement recueillie : selon certaines sources, 840 millions d'euros auraient été collectées et le coût des travaux auraient été de 700 millions d'euros, d'où un surplus de 140 millions d'euros qui va servir à... ?). Ce grave incendie a montré que les Français (les plus riches) pouvaient rapidement mobiliser beaucoup d'argent quand le cœur leur parlait. Inciter aux dons et ne pas taxer, ne pas imposer, c'est peut-être la clef du problème. On critique les niches fiscales mais celle qui permet d'avoir moins d'impôts parce qu'on donne à des associations caritatives ou d'intérêt public me paraît une bonne niche fiscale, peut-être faudrait-il en inventer une spécifiquement pour les dons destinés à restaurer le patrimoine religieux de la France ?

    Cette collecte de dons (au final bénéficiaire) montre aussi que faire payer l'entrée de Notre-Dame alors que sa reconstruction a été totalement financée par des dons serait une grosse arnaque intellectuelle. Pour ne pas être trop polémique, la destination du surplus de 140 millions d'euros a fait beaucoup réfléchir au sommet de l'État et le Président de la République a choisi de ne pas les consacrer à la restauration d'autres églises (car ce n'était pas la destination de ces dons) et cette somme resterait toujours consacrée à l'entretien de Notre-Dame de Paris, hors travaux dus à l'incendie.


    C'est cela qui est important : Jésus-Christ avait viré les marchands du temple et on voudrait les y réinstaller ? On payait déjà pour monter dans les tours, et il va y avoir un musée de Notre-Dame qui sera naturellement payant. Faire payer un lieu de culte est d'ailleurs contraire à l'article 17 de notre loi si chérie du 9 décembre 1905 : « La visite des édifices et l'exposition des objets mobiliers classés seront publiques : elles ne pourront donner lieu à aucune taxe ni redevance. » (ce qu'a rappelé avec pertinence sur Twitter un internaute bien documenté).
     

     
     


    Le débat de rendre payante l'entrée de Notre-Dame de Paris semble de toute façon mort-né car l'État doit impliquer une institution essentielle, le diocèse de Paris, qui a déjà réagi ainsi le 24 octobre 2024 : « Nous souhaitons rappeler la position inchangée de l'Église catholique en France s'agissant de la gratuité du droit d'entrée dans les églises et les cathédrales. ».

    Cette gratuité est la garantie à tout le monde de pouvoir visiter la cathédrale. Et même si le visiteur n'est pas croyant, se moque de prier ou d'assister à une messe, le simple fait d'entrer dans la cathédrale, de s'y imprégner, d'admirer son architecture, sa lumière, son atmosphère, est déjà un rapprochement vers Dieu, que le visiteur le veuille ou pas. Lui mettre la barrière de l'argent signifierait que le Dieu honoré dans la cathédrale serait l'argent. Je sais que dans certains pays étrangers, on fait payer (il me semble, pas en Allemagne, mais quand on est croyant, on paie dans ses impôts l'équivalent du denier du culte à la religion déclarée).

    L'État a voulu confisquer les biens de l'Église avec sa loi de séparation des Églises et de l'État, et aujourd'hui, il n'est pas capable d'assumer l'entretien de ce patrimoine volé. Il faut savoir ce qu'on veut. La loi du 9 décembre 1905 s'est montrée pertinente et moderne car elle rend l'État impartial et neutre. C'est une façon de voir très rare (nos voisins s'en étonnent régulièrement), mais il faut l'assumer jusqu'au bout. Et surtout, voulue pour l'Église catholique, elle anticipait les liens entre l'islam et la République. En quelque sorte, en instaurant un péage à l'entrée de la cathédrale de Paris (d'abord symbolique, puis on l'augmenterait et on l'étendrait aux autres cathédrales, aux autres églises et chapelles de France), on remettrait en cause cette loi du 9 décembre 1905, du moins son esprit (car on peut toujours trouver un arrangement juridique), qui nous est, nous Français, si précieuse et si irrévocable pour donner des arguments face aux partisans de l'islamisation à outrance de la société.

    C'est donc philosophiquement, politiquement et surtout spirituellement que la proposition de Rachida Dati me paraît scandaleuse. Et cela n'empêche pas de faire des dons, même minimes de 5 euros, pour aider à la restauration des édifices religieux. Mais dans le seul cadre de la générosité "volontaire". Il y a trente-cinq ans environ, j'avais envoyé un don, très faible (je ne sais plus combien mais peu, et c'était en francs) pour la construction de la seule cathédrale du XXe siècle en France,
    celle d'Évry. Non seulement j'étais fier d'avoir participé (très modestement) à cette très belle cathédrale, mais j'avais en plus reçu un authentique brevet de bâtisseur de cathédrale ! (que j'ai perdu depuis longtemps). Bref, arrêtons de taxer encore et encore les Français !

    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (24 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    5 euros pour visiter Notre-Dame de Paris ?
    Jean-Louis Georgelin.
    Eugène Viollet-le-Duc.
    Notre-Dame de Paris : la flèche ne sera pas remplacée par une pyramide !
    La Renaissance de Notre-Dame de Paris : humour et polémiques autour d’une cathédrale.
    Allocution du Président Emmanuel Macron du 16 avril 2019 (texte intégral).
    Notre-Dame de Paris, double symbole identitaire.
    Maurice Bellet, cruauté et tendresse.

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    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241023-notre-dame-de-paris.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/5-euros-pour-visiter-notre-dame-de-257351

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/24/article-sr-20241023-notre-dame-de-paris.html




     

  • Astérix, Obélix et Idéfix partent à la retraite...

    « Deux fous géniaux ont inventé cet univers qui, depuis soixante-cinq ans, réjouit toujours petits et grands. » (Anne Goscinny, le 22 octobre 2024 à Paris).


     

     
     


    Mine de rien, Astérix n'est plus ce qu'il était, le jeune gaillard trentenaire plein de dynamisme. Aujourd'hui encore, il est un peu aidé par la potion magique du druide Panoramix, mais à l'évidence, le guerrier gaulois qui était plein de vigueur dans la quarantaine d'albums de bande dessinée qu'il a illustrés et égayés pour le plaisir de centaines de millions d'humains (400 millions d'exemplaires pour les locuteurs de 117 langues et dialectes !), n'est plus tout jeune.

    C'est vrai que des commères comme cette brave Bonemine, la femme du chef, laissaient entendre que le guerrier préféré du village ne faisait pas son âge, qu'il était plus âgé qu'on ne le disait, peut-être quadragénaire (mon Dieu !). On le sait maintenant, sans avoir besoin de carbone 14, Astérix va fêter son 65e anniversaire ce mardi 29 octobre 2024. Son ami Obélix et leur chien Idéfix aussi, bien sûr (chapeau pour le toutou). Le 29 octobre 1959, c'est en effet la date de l'acte de baptême de la célèbre revue "Pilote" (le registre de l'état-civil de l'époque).

    À cet âge-là, il est normal de partir à la retraite. Direction, l'EHPAD ! Lequel ? Eh bien, le Musée Grévin, pardi ! Le directeur Yves Delhommeau a ainsi accueilli les trois nouveaux pensionnaires ce mardi 22 octobre 2024 dans une salle prestigieuse du Musée Grévin, à Paris. C'était bien sûr l'occasion d'une petite cérémonie.
     

     
     


    Pour l'occasion, les deux demi-sœurs de ces héros gaulois sont venues à leur rencontre. Sylvie Uderzo, fille du dessinariste Albert Uderzo, et Anne Goscinny, fille du sénateur René Goscinny (s'il l'avait voulu, il serait au Sénat à Rome, le chef), sont venues remercier Stéphane Barret, le sculpteur de la maison pour ces six mois de travail intensif. Une scène avec nos amis dessinés dans la forêt armoricaine et, pendouillant en-dessous d'une branche, un soldat romain en mauvais état, un peu sonné... à deux pas de la chanteuse américaine Beyoncé dont l'aura risque fort de rendre jalouse la belle Falbala.

    Nos amis ont retrouvé quelques collègues venus aussi se reposer au Musée Grévin : on les a vus ainsi papoter avec le
    Petit Prince, le Petit Nicolas (du même Goscinny et de Sempé), Titeuf, les Lapins crétins, Scrat de la série "L'Âge de glace", et quelques autres.
     

     
     


    Anne Goscinny était très heureuse pendant cette inauguration : « On est très très heureuses de constater que ces personnages sont résolument immortels et pérennes, et ont trouvé le place ici, dans ce lieu tellement emblématique et de la France et de Paris aussi, avec à peu près 900 000 visiteurs par an. C'est quand même colossal. Et l'idée qu'Astérix et Obélix soient entourés de toutes les stars, en fait, stars parmi les stars, moi, je suis très fière. ». Quant à Sylvie Uderzo, c'est vraiment sa famille : « Nous, ce sont nos frères de papier. Donc, on n'a pas de souci avec ça. Ils sont dans nos vies depuis tellement longtemps. Donc, on est heureuses et en plus, ils sont plutôt sympas. Donc, on est fières (…). C'est vraiment (…) un honneur justement parce que ce n'est pas habituel de voir des personnages de fiction dans ce musée. ».

    La réalisation n'était pas de tout repos. Stéphane Barret, qui a tout sculpté avec la société K-Sculpture et avec les costumes provenant des Ateliers Vertugadins, s'en est ainsi confié : « Ça a été relativement complexe à gérer. Contrairement à un personnage traditionnel où je gère le visage, et puis après, c'est les équipes des ateliers qui gèrent en partie le reste du personnage... Là, pour ces personnages-là, j'ai récupéré les 3D directement, avec les usinages des personnages, et là, j'ai géré la totalité du projet. » (entretiens proposés par "20 Minutes" le jour même).
     

     
     


    Il n'y a pas d'aventure d'Astérix le Gaulois sans clin d'œil avec l'actualité et la société actuelle. C'est dans cette pure tradition goscinnienne que Sylvie Uderzo a ainsi fait un petit clin d'œil au Ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau qui considérait récemment que l'immigration n'était pas une chance pour la France : « Le mythe d’Astérix et Obélix a été créé par deux enfants d’immigrés, René Goscinny d’origine russo-polonaise et mon père italien, naturalisé Français à l’âge de 7 ans (…). Ils étaient très français, de leur pays, et ont eu le génie de retranscrire tout ce qu’il y a de plus français chez les Français avec leurs qualités et leurs défauts ! ». Une manière d'enfoncer le clou, un clou pourtant évident (il suffit d'énumérer tous nos artistes, écrivains, scientifiques, etc.).

    Cette consécration est aussi celle du célèbre musée dont le directeur Yves Delhommeau a exprimé sa très grande joie : « Accueillir Astérix et Obélix parmi nos personnages de cire est un honneur. Ces héros font partie intégrante de notre patrimoine culturel et leur présence au musée était une évidence. ».


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    Au fait, sont-ils vraiment à la retraite, Astérix, Obélix et Idéfix ? Pas du tout ; en fait, ils font du rab depuis des années ! René Goscinny est mort d'un stupide test cardiaque le 5 novembre 1977 et Albert Uderzo a poussé plus d'une quarantaine d'années supplémentaires, jusqu'au 24 mars 2020. Ce dernier survivant est parti après avoir préparé la suite en investissant officiellement Didier Conrad comme le dessinateur attitré des nouvelles aventures (avec les scénarios concoctés par Jean-Yves Ferri puis Fabcaro). Le dernier album, le quarantième, est sorti il y a un an, le 26 octobre 2023 sous le titre "L'Iris blanc" ( de Didider Conrad et Fabcaro) et a été le livre le plus vendu en France de l'année 2023 (plus de 500 000 exemplaires ont été vendus les dix premiers jours, et le tirage initial a été de 5 millions d'exemplaires). Le prochain est donc déjà très attendu.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (23 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    (Dessins provenant des albums réalisés par Goscinny et Uderzo, éd. Dargaud puis Albert René).


    Pour aller plus loin :
    Albert Uderzo.
    René Goscinny.
    Le peuple d’Astérix.
    Pluralité dissonante.
    Astérix, Obélix et Idéfix partent à la retraite.
    Les Shadoks.
    François Cavanna.
    Charlie Hebdo.
    Art Spiegelman.
    Maus.
    Jean Teulé.
    Dmitri Vrubel.
    La fresque qui fait polémique.
    Sempé.
    Maurits Cornelis Escher.
    Reiser.

     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241022-asterix.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/asterix-obelix-et-idefix-partent-a-257350

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/24/article-sr-20241022-asterix.html





     

  • Qui Liz Cheney soutient-elle ?

    « Dans ce pays, en vertu de notre Constitution, notre Président a l'obligation particulière et solennelle d'assurer et de garantir la transition pacifique du pouvoir. Depuis le début de la République, tous les Présidents de notre histoire ont rempli ce devoir. Tous les Présidents jusqu'à Donald Trump. » (Liz Cheney, le 3 octobre 2024 à Ripon).


     

     
     


    L'élection du futur Président des États-Unis le 5 novembre 2024 est une élection décidément exceptionnelle. Elle l'est déjà par l'extrême incertitude qui pèse sur l'identité du futur vainqueur, les deux candidats Donald Trump et Kamala Harris ayant une différence d'intentions de vote dans les sondages extrêmement faible. Elle l'est aussi parce que, pour la seconde fois, après 2016, une femme est en capacité très sérieuse de gravir la dernière marche de la Maison-Blanche, Kamala Harris avait gravi déjà l'avant-dernière marche en étant la première femme Vice-Présidente des États-Unis. Elle l'est encore par le niveau très bas des arguments, par l'âge d'un des protagonistes (à plus de 78 ans, Donald Trump est devenu le grand candidat le plus âgé de l'histoire américaine), par la remise en cause des institutions, par les tentatives d'assassinat, par la situation internationale très grave dont les tensions sont au plus fort depuis la fin de la guerre (guerre en Ukraine, tensions à Taïwan, tensions entre les deux Corée, conflits au Proche-Orient, etc.).

    Mais elle l'est enfin surtout parce que les États-Unis sont complètement divisés, le peuple est profondément clivé entre des gens en perte d'identité qui veulent retrouver la fierté d'être Américains, et surtout le rêve américain, et des gens raisonnables, bien établis, qui veulent faire avancer leur pays en oubliant les laissés-pour-compte. Ainsi, les clivages politiques ont complètement éclaté une nation en proie à une nouvelle sécession, bien plus grave qu'à la fin du XIXe siècle.

    D'un côté, un milliardaire narcissique qui, par populisme effréné, se prétend le défenseur des plus pauvres, et globalement, il y réussit (contre toute évidence), soutenu même par de jeunes Noirs américains qui voient par l'élection de Donald Trump le moyen de prendre l'ascenseur social. Amusante séquence de voir Donald Trump apprendre à cuire les frites dans un fast-food à la marque bien connue, l'image sera populaire car il fait le travail ordinaire d'un précaire, mais elle est bien plus profonde que cela, c'est aussi l'image de la promotion de la malbouffe, et, finalement, de la défense de ceux qui mangent sans beaucoup de moyens face aux menus équilibrés, diététiques, avec de la nourriture bio, etc. mais coûteuse (la malbouffe a encore tué un mangeur de hamburgers chez MacDonald's le 22 octobre 2024 dans le Colorado en raison d'une intoxication à la bactérie escherichia coli qui a infecté quarante-neuf personnes dont dix hospitalisées dans dix États de l'Ouest des États-Unis).

    De l'autre côté, des responsables politiques parfois de premier plan très engagés au sein du parti républicain ont refusé de soutenir Donald Trump, surtout depuis
    l'invasion du Capitole le 6 janvier 2021 qui a provoqué cinq morts, et soutiennent désormais la candidate démocrate Kamala Harris. C'est le principe du double patriotisme : le patriotisme du pays l'emporte sur le patriotisme du parti, plus patriote que partisan. Les démocrates ont cette expression qu'ils mettent à toutes les sauces en ce moment avec raison : "PutCountry Over Party".

    L'ancienne députée
    Liz Cheney fait partie de ces responsables républicains qui n'ont pas accepté la très grande légèreté qu'a adoptée Donald Trump avec la démocratie américaine. Il faut bien comprendre que si les Américains sont très croyants (il n'y a pas un discours politique qui ne termine par une évocation de Dieu, ce qui peut étonner en France !), leur Constitution est également chérie comme une Bible, la plus ancienne Constitution écrite au monde, d'ailleurs, ce qui signifie aussi la plus vieillotte par rapport à la société d'aujourd'hui (en particulier sur la possibilité, observée plusieurs fois et encore en 2016 et en 2000, que le Président élu n'est pas le candidat qui a reçu le plus de suffrages populaires), et la démocratie américaine n'est pas une vaine expression, la preuve, c'est par ce messianisme que les plus va-t-en-guerre ont envahi l'Irak afin de faire progresser la démocratie, ce qui était à la fois stupide, peu pertinent, prétentieux, et surtout meurtrier.
     

     
     


    Qui est Liz Cheney ? Elle était, sous la Présidence Trump, l'une des responsables les plus importantes du parti républicain, la numéro trois des représentants républicains (équivalent de députés). Elle a été élue trois fois membre de la Chambre des représentants des États-Unis, élue dans le Wyoming, de 2016 à 2022 (le mandat est de deux ans). À 58 ans, avocate, Liz Cheney a toujours été membre du parti républicain. Son premier vote, à l'âge de 18 ans (en 1984), l'a été pour faire réélire Ronald Reagan à la Maison-Blanche. En 2002, elle travaillait au gouvernement pour assurer la sécurité et promouvoir les intérêts économiques des États-Unis au Moyen-Orient. En 2012, elle est devenue aussi une éditorialiste politique de la chaîne de télévision Fox News (l'équivalent américain de la chaîne française CNews, si l'on peut l'écrire).

    À l'instar de son père,
    Dick Cheney, Vice-Président des États-Unis de 2001 à 2009 et Ministre de la Défense de 1989 à 1993, Liz Cheney est ce qu'on peut appeler un faucon (c'est-à-dire une néoconservatrice), à savoir une républicaine favorable à l'intervention militaire des États-Unis partout où ce serait nécessaire pour assurer la paix et la démocratie et pour confirmer la puissance américaine, politique mais aussi militaire et économique. Elle a même fondé une organisation pour attaquer en justice les avocats des personnes détenues illégalement au camp de Guantanamo pour manquement à leur patriotisme. Comme beaucoup d'Américains, elle est aussi très attachée à la démocratie américaine.
     

     
     


    C'est la raison pour laquelle elle a franchi le pas en 2013. Elle s'est présentée à la primaire des sénatoriales dans le Wyoming (un État très conservateur), contre le sénateur républicain sortant Mike Enzi. Soutenue par de nombreux sénateurs républicains, elle s'est fait aussi connaître par une opposition familiale puisqu'elle s'est déclarée opposée au mariage homosexuel alors que sa propre petite sœur Mary est mariée à une femme. Mais pour des raisons familiales (la santé de ses enfants), elle a finalement renoncé à concourir en janvier 2014.

    Ce n'était que partie remise puisqu'elle s'est présentée, cette fois-ci à la Chambre des représentants, en 2016 dans le district at-large du Wyoming (dont son père a été l'élu de 1978 à 1989). Très soutenue financièrement et politiquement (notamment par
    George W. Bush et son père George H.W. Bush), elle a remporté la primaire sur ses concurrents républicains, puis l'élection (62%). Elle a été réélue deux autres fois en 2018 (64%) et 2020 (69%). En 2019, alors que la Chambre des représentants est repassée à majorité démocrate, Liz Cheney a été élue "présidente de la conférence républicaine" à la Chambre des représentants ["chair of the United States House of Representatives Republican Conference"], l'équivalent de numéro trois parmi les représentants républicains, c'est dire si son importance politique s'est accrue. Après le retrait de Mike Enzi, elle aurait pu choisir d'intégrer le Sénat aux élections de 2020, mais finalement, elle a préféré rester à la Chambre des représentants.
     

     
     


    En 2016, en même temps que sa campagne pour se faire élire représentante, Liz Cheney a soutenu la candidature de Donald Trump contre Hillary Clinton et par fidélité au parti républicain et malgré un désaccord majeur sur la politique étrangère : Donald Trump est isolationniste alors qu'elle est interventionniste.

    Elle s'est radicalement démarquée du trumpisme le 13 janvier 2021 quand elle a pris position, à l'instar de neuf autres représentants républicains, en faveur de la mise en accusation de Donald Trump dans la procédure d'impeachment. Le futur ancien Président a été accusé d'incitation à l'insurrection lors de l'invasion du Capitole de 6 janvier 2021, un événement qui l'a profondément marquée, tant pour l'atteinte à la démocratie que pour l'image déplorable que les États-Unis ont montrée d'eux à la Terre entière. C'était, pour elle, impardonnable de la part d'un Président des États-Unis d'avoir encouragé une telle insurrection.

    Elle a expliqué sa position très ferme la veille, le 12 janvier 2021 : « Le 6 janvier 2021, une foule violente a attaqué le Capitole des États-Unis pour entraver le processus de notre démocratie et arrêter le décompte des votes des élections présidentielles. Cette insurrection a causé des blessures, des morts et des destructions dans l'espace le plus sacré de notre République. Le Président des États-Unis a convoqué cette foule, a rassemblé la foule et a allumé la flamme de cette attaque. Tout ce qui a suivi était de son fait. Rien de tout cela ne serait arrivé sans le Président. Le Président aurait pu intervenir immédiatement et avec force pour faire cesser la violence. Il ne l'a pas fait. Il n'y a jamais eu de plus grande trahison par un président des États-Unis de sa fonction et de son serment à la Constitution. Je voterai pour mettre le président en accusation. » (citée par
    Wikipédia). Au même titre que la Constitution est considérée comme une Bible par la plupart des Américains, le Capitole est considéré comme le sanctuaire de la démocratie américaine, l'équivalent du Vatican pour l'Église catholique.

    Le courage politique de Liz Cheney, celui de s'être opposé à Donald Trump qui attise l'antiparlementarisme et le rejet institutions américaines (pour la grande majorité d'entre eux, les Américains sont très légalistes et très légitimistes, par patriotisme), ce courage lui a coûté d'abord son poste dans la hiérarchie du parti républicain puis son siège à la Chambre des représentants en 2022, puisque Donald Trump l'a fait battre par une candidate trumpiste (l'avocate Harriet Hageman) à la primaire du 16 août 2022 pour les élections législatives (Liz Cheney a été très largement battue avec 35 points de retard).

    Précisons toutefois que le 4 février 2021, elle avait reçu d'abord la confirmation de ses responsabilités au sein du groupe politique par 145 représentants républicains contre 60, mais elle a été finalement limogée le 12 mai 2021 et a très activement participé à la commission d'enquête sur l'invasion du Capitole (elle en était la vice-présidente et elle a publié un livre de documentation sur le sujet sous le titre "Oath and Honor" [Serment et Honneur]). Précisons aussi que pendant sa bataille pour la primaire des représentants en été 2022, Liz Cheney a fait appel aux électeurs démocrates pour la soutenir et a voté comme les démocrates à la Chambre des représentants pour le contrôle des armes à feu et pour la protection du mariage homosexuel.

    La position actuelle de Liz Cheney n'était donc pas une surprise. Enfin, si, un peu quand même. Son antitrumpisme était connu, mais son adhésion enthousiaste à la candidature de Kamala Harris était une surprise. À la campagne présidentielle précédente, elle n'avait pas hésité à attaquer durement la future Vice-Présidente, comme le montre ce tweet du 12 août 2020 : « Kamala Harris is a radical liberal who would raise taxes, take away guns & health insurance, and explode the size and power of the federal gov’t. She wants to recreate America in the image of what’s happening on the streets of Portland & Seattle. We won’t give her the chance. » [Kamala Harris est une gauchiste radicale qui voudrait augmenter les impôts, supprimer les armes et l'assurance maladie, et faire exploser les compétences et le pouvoir du gouvernement fédéral. Elle veut recréer l'Amérique à l'image de ce qui se passe dans les rues de Portland et de Seattle. Nous ne lui en donnerons pas l'occasion].
     

     
     


    C'est pourquoi les auditeurs de l'Université Duke ont été étonnés par l'annonce officielle du soutien de Liz Cheney à Kamala Harris. En effet, invitée à s'exprimer au cours d'une conférence à l'occasion du centenaire de cette université, le 4 septembre 2024 à Durham, en Caroline du Nord, Liz Cheney a fait son coming out : « As a conservative, as someone who believes in and cares about the Constitution, and because of the danger Donald Trump poses, I will be voting for Kamala Harris. » [Elle a dit précisément : En tant que conservatrice, en tant que personne qui croit en la Constitution et qui s’en soucie, j’ai profondément réfléchi à cela. En raison du danger que représente Donald Trump, non seulement je ne voterai pas pour lui, mais je voterai pour Kamala Harris].
     

     
     


    La Caroline du nord est un État important et crucial dans la course présidentielle. C'était un bon "coup politique". Son père Dick soutient également la candidate démocrate, ainsi que James MacCain, le fils de l'ancien candidat républicain John MacCain (ancien sénateur de l'Arizona, un autre État clef), les anciens représentants républicains Adam Kinzinger et Denver Riggleman et de plus de deux cents anciens du gouvernement de George W. Bush et d'anciens salariés des campagnes présidentielles républicaines de John MacCain et Mitt Romney.

    Le vote républicain dans les États pivots est essentiel dans la campagne de Kamala Harris avec ce thème central, la défense de la Constitution, en particulier en Pennsylvanie où plus de 150 000 électeurs républicains avaient voté pour Nikki Haley aux primaires républicaines malgré l'abandon de la candidate. Le comité d'action Haley Voters for Harris, dont la cible est les électeurs républicains de centre droit, a estimé que le nombre d'électeurs républicains ayant voté pour Nikki Haley pendant les primaires républicaines du printemps 2024 avant et après l'abandon de cette candidate serait suffisant pour faire basculer les États pivots comme l'Arizona, la Caroline du Nord et la Géorgie.
     

     
     


    Liz Cheney a participé à son premier meeting commun avec Kamala Harris le 3 octobre 2024 à Ripon, dans le Wiscosin, dans le Wiscosin, où elle a déclaré : « Je vous le dis, je n'ai jamais voté pour un démocrate. Mais cette année, je suis fière de voter pour la Vice-Présidente Kamala Harris ! ». Depuis cette date (3 octobre 2024), Liz Cheney participe très activement à la campagne de Kamala Harris, en particulier en intervenant aux côtés de la candidate démocrate à deux talk-shows le 21 octobre 2024, l'un à Chester, en Pennsylvanie, et l'autre, le même jour, à Birmingham, dans le Michigan.

    Certains évoquent déjà la possibilité qu'elle puisse être désignée Ministre des Affaires étrangères (Secrétaire d'État) ou Ministre de la Défense (Secrétaire à la Défense) en cas d'élection de Kamala Harris. Mais c'est beaucoup trop tôt pour l'envisager. L'élection du 5 septembre 2024 est encore loin d'être acquise. Mais si les femmes américaines se mobilisent, alors Kamala Harris aura sa chance car le
    droit à l'avortement est un thème majeur de cette campagne électorale.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (23 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Dick Cheney.
    Liz Cheney.
    Où en est la campagne présidentielle de Kamala Harris ?
    Jimmy Carter.
    Lauren Bacall.
    Maurice Jarre.
    Bill Clinton.
    Vera Miles.
    Les Yes-She-Can de Barack Obama !
    Kamala Harris sera-t-elle la première femme Présidente des États-Unis ?
    USA 2024 : Joe Biden se retire et soutient Kamala Harris !
    Donald Trump victime d'une tentative d'assassinat.
    Les 80 ans du Débarquement en Normandie.
    Ronald Reagan.
    Triste Trump (hic) !
    Paul Auster.
    Standard & Poor's.
    Moody's et Fitch.
    Les 75 ans de l'OTAN.
    Lee Marvin.
    Les 20 ans de Facebook.
    Bernard Madoff.
    La crise financière mondiale de 2008.

    La boîte quantique.
    Maria Callas.
    Henry Kissinger.
    Alexander Haig.
    Katalin Kariko et Drew Weissman.
    Rosalynn Carter.
    Walter Mondale.
    Marathonman.
    Bob Kennedy.
















    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241021-liz-cheney.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/qui-liz-cheney-soutient-elle-257066

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/23/article-sr-20241021-liz-cheney.html



     

  • Achats dans la fonction publique : des économies à faire ?

    « La commande publique est un outil de politique économique. Fortement mobilisés autour des problématiques comme le développement durable ou l’accès de toutes les entreprises, dont les PME, à la commande publique, les acheteurs ont pris conscience du poids que représentent les marchés publics (…) et des enjeux autour de leur performance. » (Introduction du "Guide pratique de l'achat public innovant" distribué par le Ministère de l'Économie et des Finances, mai 2019).



     

     
     


    Le nécessaire redressement des finances publiques va obliger l'État à réduire son déficit structurel de 60 milliards d'euros pour l'année 2025, selon l'objectif du gouvernement : 40 milliards de réduction des dépenses publiques et 20 milliards d'augmentation des recettes (à savoir augmentation d'impôts et de taxes). Après une semaine folklorique d'examen en commission (le président de la commission des finances et le rapporteur général du budget sont dans l'opposition), où chaque quart d'heure, de zélés et créatifs députés inventaient une nouvelle taxe ou un nouvel impôt, l'examen en séance publique du projet de loi de finances pour l'année 2025 a démarré ce lundi 21 octobre 2024 dans la soirée avec une forte incertitude sur la capacité du gouvernement à mener à bien la discussion.

    Les solutions pour réduire le déficit peuvent être nombreuses mais elles sont toutes compliquées et, je dirais, inconséquentes. Le défi est de ne pas donner le signal du retour au boulet fiscal pour les entreprises qui quitteraient dans ce cas le territoire national ou qui ne s'y installeraient plus, alors que depuis sept ans, la France est
    devenu le pays européen le plus attractif économiquement avec une croissance supérieure à la moyenne européenne et un taux de chômage enfin durablement en baisse (passant de 10% à 7%).

    Nos parlementaires, qui ne manquent pas de bonne volonté, ont montré, ces derniers jours, une incroyable incapacité à comprendre les leviers de l'économie, de l'innovation et des investissements. Cela s'est particulièrement illustré avec la polémique sur le
    Doliprane, l'État est même sur le point, sottement, d'acquérir 2% du capital d'Opella, la filiale de Sanofi qui produit des médicaments qui sont dans le domaine public et qui n'ont plus de valeur ajoutée, alors que nous sommes déjà endettés à plus de 3 000 milliards d'euros !

    Certains, au contraire, souhaiteraient vendre les participations de l'État. Il est sûr qu'il y a des dizaines voire centaines de milliards d'euros de participation, certaines sont stratégiques, comme dans le capital d'Orange, il est indispensable que l'État puisse avoir le contrôle sur l'un des gros de la télécommunication, en cas de guerre, ce serait un élément crucial, mais en revanche, on peut toujours discuter de l'intérêt de garder des participations dans la Française des jeux, par exemple, ou même dans
    Stellantis.

    Au-delà donc de la question de la pertinence stratégique ou pas de vendre les participations de l'État, on peut tout de suite répondre que si c'était pour réduire le déficit, ce serait une bêtise financière, et j'ajouterais, une bêtise politique, celle de l'avoir proposé. En effet, on confondrait dans ce cas actif et exploitation, investissement et fonctionnement, et l'idée de réduire le déficit n'est pas pour une seule année, mais en progression sur plusieurs années pour atteindre le 3% du PIB en 2029 (5% du PIB en 2025, la première marche est la plus haute et difficile). La vente des participations de l'État n'est qu'un pistolet à un coup, or, l'année suivante, en 2026, il faudra encore réduire le déficit, donc, on n'aura rien résolu si ce n'est attendre ce que tout le monde attend, l'indispensable réforme de l'État.


    À noter aussi que ces participations de l'État, quand les entreprises dans lesquelles il a investi font des bénéfices, assurent à l'État des revenus sous forme de dividendes (le résultat net moins les investissements), et il faudrait préciser les chiffres, mais on serait tenté d'affirmer que les dividendes seraient d'un montant plus élevé que l'équivalent des intérêts que l'État ne payerait plus s'il remboursait la même somme à ses créanciers que ce que l'État lâcherait en participations.

    Bref, on voit bien que beaucoup de responsables politiques, sans doute parce qu'ils pensent s'adresser à des électeurs qui sont aussi compétents qu'eux en économie, prennent surtout des positions idéologiques et des postures démagogiques, ce qui est regrettable pour le bien commun.

    Comme
    Michel Barnier est avide d'idées nouvelles, je me permets de lui soumettre une petite piste qui a le mérite de ne pas faire augmenter d'impôt ni de taxe ni de cotisation ni de toutes sortes de redevances, etc. Il s'agit des achats dans la fonction publique, y compris dans les collectivités territoriales (on parle d'achats publics, de commandes publiques).
     

     
     


    Le 17 octobre 2024, un internaute a lâché sur Twitter une petite bombe, par agacement. Si j'ai bien compris, il doit être un enseignant en science de la vie et il avait besoin d'une lampe pour accélérer la photosynthèse d'une plante en travaux pratiques. Il a regardé les offres dans les catalogues des entreprises référencées dans l'Éducation nationale (« par lesquelles je suis obligé de passer ») et il a été ulcéré par les prix. Une petite lampe de chevet orientable à 80,00 euros... vendue sans l'ampoule qui, elle, est proposée à 48,60 euros (4W culot E27) ! Honnête, cet enseignant a précisé que s'il avait acheté cette lampe, il aurait automatiquement une ristourne de 12% (entre 10 et 15% de la commande), mais on est loin du compte quand on peut s'équiper exactement avec le même type de produit dans une grande surface ou sur un e-marchand.

    En quelques jours, le tweet a été lu par presque 9 millions de personnes ! et a reçu plus de 2 000 réponses ou commentaires. Certains montrent des pages de catalogue d'entreprises grand public qui vendent la même lampe ou même type de lampe entre 10 et 20 euros, et l'ampoule dans les 2 à 5 euros. Quand on regarde le catalogue du même fournisseur, les prix vont bien plus loin pour n tableau magnétique, un four micro-ondes, un lave-verres, etc.


    Beaucoup de fonctionnaires ont réagi au tweet en disant qu'ils ont le même problème, à l'Éducation nationale, mais aussi à l'hôpital, dans diverses administrations, etc. Il semblerait qu'il peut y avoir de la réticence humaine : les catalogues d'entreprises déjà référencées permettent de faire moins de travail qu'une entreprise non référencée, et dans le système scolaire, ce serait la bonne volonté de l'intendant qui serait en cause. Dans certains établissements, certains enseignants pourraient commander sur Amazon ou acheter dans le supermarché du coin, mais ce serait plus compliqué à gérer. Comme c'est de l'argent public, utilisateurs ou acheteurs semblent souvent se moquer du prix, puisque le budget est là. J'ajoute, pour l'Éducation nationale, et c'est la même chose que dans les grandes entreprises, les fournitures papier sont souvent dévalisées pour des intérêts particuliers, curieusement au moment des rentrées scolaires...

    Le fournisseur référencé en question (qu'il n'est pas utile de citer, selon moi, car c'est un parmi d'autres qui ont les même prix surévalués) a été créé en 1987 par un enseignant-chercheur au CNRS qui a inventé « un concept inédit en France : le kit de travaux pratiques de biologie destiné aux enseignants de Sciences et Vie et de la Terre. (…) Ce kit a dès la première année de commercialisation séduit plus de 85% des lycées français. ». Depuis ce temps, l'entreprise « s'est développée et propose plus de 6 500 produits aux enseignants de sciences des lycées, collèges et universités français ». Ces produits sélectionnés sont « des produits de qualités, adaptés aux besoins et problématiques des enseignants et à un tarif compétitif ».

    Le "tarif compétitif" est donc à sens inverse ! Ce n'est pas le seul fournisseur et il faudrait quand même comprendre comment de telles sociétés peuvent s'engraisser (il n'y pas d'autre verbe) avec des commandes publiques si ce n'est pas la mauvaise gestion du responsable des achats, à quelle qu'échelle que ce soit.

    Il faut admettre qu'il peut y avoir des frais à être fournisseur de l'État. En effet, l'État est un mauvais payeur mais il paie toujours. Mauvais payeur, c'est-à-dire avec beaucoup de retard. Cela peut couler des fournisseurs s'ils n'ont pas la trésorerie en conséquence. Cela fait donc des frais, bien sûr, que le particulier n'impose pas aux grandes surfaces (là, c'est le contraire, c'est la grande surface qui devient une banque, avec des avances de trésorerie sur le dos de ses propres fournisseurs).

    Quand on sait que, d'après l'Observatoire économique de la commande publique (OECP, un organisme ministériel), les marchés publics ont représenté 89,3 milliards d'euros HT pour 163 519 contrats recensés en 2017 par l'OECP, il y a sept ans donc, on peut aisément dire que les achats publics représentent aujourd'hui au moins 100 milliards d'euros par an en France. Si tous les prix sont aussi fous que celui de la lampe, on pourrait certainement faire des économies, mais auparavant, au moins faire une enquête approfondie (et exhaustive, ce que je ne fais pas ici) sur les différents enjeux de la commande publique.

     
     


    Car les enjeux sont nombreux : il y a la performance, le moins disant en prix, mais aussi d'autres paramètres comme le critère national (favoriser les PME françaises et européennes, mais la loi sur la concurrence est en contradiction avec le patriotisme économique), et le dernier critère, double critère, est de favoriser les entreprises qui font attention à leur politique sociale et surtout à leur politique environnementale.

    On pourrait penser que les centrales d'achat permettraient au contraire de réduire considérablement les prix. Dans une collectivité comme une commune, même pour payer un plombier, si, sur une année, le marché dépasse un seuil légal, il faut faire un appel d'offre qui coûte très cher à tout le monde : à celui qui le publie, selon une procédure très réglementée et le moindre vice de forme peut faire tout annuler, et faire rallonger des délais, mais aussi aux fournisseurs ou prestataires qui doivent passer beaucoup de temps à répondre aux appels d'offre sans être assurés d'être retenus.

    S'il y a à débureaucratiser le pays, c'est bien sur cet aspect des choses que la débureaucratisation serait intéressante et libérerait beaucoup d'argent et beaucoup de temps d'agents publics.

    Oui ! Je sais l'origine de cette réglementation pointilleuse. Avant, il y a trente ans, on pouvait tout faire avec l'argent public, on pouvait faire n'importe quoi et on a fait n'importe quoi. Les procédures de la commande publique permettent de réduire énormément les risques de corruption, mais aujourd'hui, elles pèsent tellement lourdement qu'on se demande si c'est vraiment financièrement pertinent, même si cela restera toujours moralement pertinent.
     

     
     


    Et puis, on ne s'improvise pas acheteur. Dans les grandes entreprises, c'est un métier à part entière, très important, qui peut faire gagner beaucoup d'argent à une entreprise qui, si elle parie sur l'avenir, fera attention aussi à ne pas étouffer ses fournisseurs pour qu'ils puissent vivre aussi longtemps qu'elle. C'est donc un savant équilibre, et les lois contre la corruption, selon les directives européennes, rendent beaucoup plus difficiles les "cadeaux" aux acheteurs ; même une caisse de champagne doit maintenant être déclarée dans sa déclaration de revenus !

    Je ne dis pas que cela résoudrait le problème du déficit, bien sûr, car la solution ne peut être que plurielle, mais gagner 10 à 20% sur l'ensemble des achats publics, avec une meilleure organisation, des procédures plus rationnelles qui font dépenser l'argent public comme si c'était son propre argent, pourrait à mon avis être envisageable. Et surtout, cela n'empêcherait nullement d'être équipé selon les besoins, simplement, pour la même qualité mais à moindre prix, parce que l'argent public, ce n'est pas celui de personne, c'est celui de tout le monde, et tout le monde en veut pour son argent.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (21 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    (Illustrations sur Internet proposées par Google Images).

    Pour aller plus loin :
    Achats dans la fonction publique : des économies à faire ?
    Doliprane : l'impéritie politique.
    Budget 2025 : l'impossible mission de Michel Barnier.
    L’aspirine, même destin que les lasagnes ?
    François Guizot à Matignon ?
    Gilberte Beaux.
    Standard & Poor's moins indulgente pour la France que les autres agences de notation.
    Assurance-chômage : durcissement pour plus d'emplois ?
    Les 10 mesures de Gabriel Attal insuffisantes pour éteindre la crise agricole.
    Le Tunnel sous la Manche.
    Agences de notation Moody's et Fitch : la France n'est pas dégradée !
    Der Spiegel : "La France, c'est l'Allemagne en mieux".
     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241020-achats-fonction-publique.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/achats-dans-la-fonction-publique-257317

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/20/article-sr-20241020-achats-fonction-publique.html




     

  • Mon Top 7 de François Truffaut, grand maître de l'art cinématographique

    « La vie est pleine de paradoxes et le cinéma doit refléter ces paradoxes. Dans les soi-disant films politiques, il n'y a pas de vie parce qu'il n'y a pas de paradoxes. Le metteur en scène va au travail en sachant à l'avance qui est l'inspecteur de police corrompu, qui est le promoteur malhonnête, qui est le jeune brave reporter, etc. Pendant longtemps, en France, André Cayatte était le seul metteur en scène à faire ce genre de film. Depuis 1968, il y a eu une vogue de ce que j'appelle le "néo-cayattisme", qu'en tant que spectateur je refuse absolument de voir, et qu'en tant que metteur en scène je refuse absolument de pratiquer. » (François Truffaut, textes réunis par Anne Gillain, éd. Flammarion, 1992).


     

     
     


    La réalisateur français François Truffaut est mort il y a quarante ans, le 21 octobre 1984, à l'hôpital américain de Paris à Neuilly-sur-Seine. Il avait, à 52 ans. Une tumeur au cerveau, soignée sans doute trop tardivement, qui ne lui a guère laissé le choix, malgré encore sa trentaine d'idées de film. Jeune cinéaste pionnier de la Nouvelle Vague, François Truffaut est, selon moi, l'un des meilleurs réalisateurs, voire le meilleur. Sa finesse et sa douceur se ressentent dans les chefs-d'œuvre qu'il a tournés. Amour, ambiguïté, complexité... Rien n'est simple dans la vie, et c'est ce qu'a tenté de retranscrire Truffaut dans ses œuvres.

    Autodidacte, il s'est beaucoup inspiré de Jean Renoir (son maître absolu), Orson Welles, Roberto Rossellini qu'il a assisté pour trois films qui ne sont finalement pas sortis (en 1956), et surtout, Alfred Hitchcock qu'il a interviewé en 1955 en qualité de critique cinéma aux "Cahiers du cinéma", son métier d'origine. Son intérêt pour Hitchcock, il l'a précisé en 1975 : « Alfred Hitchcock (…) s’est appliqué toute sa vie à faire coïncider ses goûts avec ceux du public, forçant sur l’humour dans sa période anglaise, forçant sur le suspense dans sa période américaine. C’est ce dosage de suspense et d’humour qui a fait de AH [Hitchcock] un des metteurs en scène le plus commerciaux au monde (…) mais c’est sa grande exigence vis-à-vis de lui-même et de son art qui fait de lui, également, un grand metteur en scène. (…) Hitchcock a acquis une telle science du récit cinématographique qu’il est devenu en trente ans beaucoup plus qu’un bon conteur d’histoires. Comme il aime passionnément son métier, qu’il n’arrête pas de tourner et qu’il a résolu depuis longtemps les problèmes de la mise en scène, il doit, sous peine de s’ennuyer et se répéter, s’inventer des difficultés supplémentaires, se créer des disciplines nouvelles, d’où l’accumulation dans ses films récents de contraintes passionnantes et toujours brillamment surmontées. ».

    François Truffaut a amorcé la vague du cinéma d'auteurs, en France, cette si fameuse Nouvelle Vague qui a commencé avec "Les Quatre Cents Coups" de lui-même (sorti le 3 juin 1959), en guise de vague autobiographie (Truffaut s'en est défendu : « Contrairement à ce qui a été souvent publié dans la presse depuis le festival de Cannes, "Les Quatre Cents Coups" n'est pas un film autobiographique. ») avec son personnage récurrent Antoine Doinel joué par Jean-Pierre Léaud (qui s'est poursuivie avec quatre autres films), et qui a continué avec "À bout de souffle" de
    Jean-Luc Godard (sorti le 16 mars 1960), dont il a participé au scénario, avec Jean-Paul Belmondo et Jean Seberg.

    La Nouvelle Vague, selon l'expression de
    François Giroud (citée le 3 octobre 1957 dans "L'Express"), a rassemblé aussi d'autres réalisateurs comme Éric Rohmer, Claude Chabrol, Louis Malle, Agnès Varga, Jacques Demy, Jacques Rivette, Alain Resnais, etc. Comme Truffaut, certains étaient d'abord critiques de cinéma et ils dénigraient le cinéma de divertissement, qui devait être avant tout commercial et plaire au plus grand nombre, au profit d'un cinéma d'auteur, visant à révolutionner la narration cinématographique par des narrations autobiographiques, des mises en abyme, des voix off, etc. Les héros sont capables de s'affranchir de la loi voire de la morale, le happy end n'est plus systématique, etc. Et, non sans prétention, elle visait aussi à hisser le cinéma au statut d'art. Les réalisateurs de la Nouvelle Vague furent également soutenus par le Ministre des Affaires culturelles André Malraux. Beaucoup de réalisateurs, à la suite de cette période de la Nouvelle Vague (années 1960), s'en sont inspirés (parfois ou tout le temps), comme Claude Lelouch, André Téchiné, Jean Eustache, Jacques Doillon, etc. ...et même Jean-Pierre Mocky.

    Le seul véritable essai que François Truffaut a publié a été "Le Cinéma selon Alfred Hitchcock" (éd. Robert Laffont) en 1966, dont la réédition en 1983 (chez Gallimard) lui a valu une invitation le 13 avril 1984 à l'émission "Apostrophes" sur Antenne 2 (sa dernière apparition publique, semble-t-il). Sur le plateau de
    Bernard Pivot (qui est hélas mort de la même méchante maladie), il y avait alors aussi l'acteur Marcello Mastroianni, le réalisateur Roman Polanski et la productrice Caterina D'Amico.

    François Truffaut a été invité auparavant à une autre émission "Apostrophes", celle du 8 avril 1983, pour présenter la biographie de Dudley Andrew consacrée au critique de cinéma André Bazin (1918-1958) qui fut pour lui un maître à penser mais aussi un maître à agir et à tourner, fondateur des "Cahiers du cinéma" et théoricien du cinéma (voir dernière vidéo en fin d'article).


    En tout, sur une (courte) carrière qui n'a duré que vingt-cinq ans, il a tourné vingt-deux films longs-métrages et la plupart sont devenus "culte", comme on dit. Il a été parfois également acteur dans ses propres films, mais aussi dans un excellent film de Steven Spielberg, lui-même grand admirateur des films de Tuffaut, qui lui a offert le rôle du scientifique dans l'extraordinaire "Rencontre du Troisième type" ["Close Encounters of the Third Kind"] (sorti le 16 novembre 1977), avec Richard Dreyfuss, Teri Garr et Melinda Dillon (il a été doublé en anglais parce que son anglais laissait à désirer) : « Je me suis habitué, dis-je à Steven, à l'idée qu'il n'y aura jamais un film intitulé "Close Encounters" mais que vous êtes un type qui fait croire qu'il tourne un film et qui réussit à grouper beaucoup de gens autour de sa caméra pour accréditer cette immense blague. Je suis content de faire partie de cette blague et je suis prêt à vous rejoindre de temps à autre n'importe où dans le monde pour "faire semblant" de faire un film avec vous. ».
     

     
     


    Les professionnels (français et étrangers) ne sont pas restés indifférents à François Truffaut, lui qui a obtenu deux Prix au Festival de Cannes en 1959 (mise en scène et prix du jury œcuménique) pour "Les Quatre Cents Coups" (et deux nominations pour la Palme d'or), un triple César en 1981 (meilleur film, meilleur réalisateur et meilleur scénario) pour "Le Dernier Métro" (et trois autres nominations), un Oscar en 1974 pour "La Nuit américaine" (et cinq autres nominations), deux BAFTA en 1974 (quatre autres nominations), cinq Prix du Syndicat français de la critique de cinéma, ex-Prix Méliès (meilleur film français) en 1959, 1968, 1970, 1973 et 1976, enfin, quatre nominations aux Golden Globes et quatre nominations pour l'Ours d'or aux Berlinales.

    La plupart des films de Truffaut ont connu le succès commercial, ce qui n'était pourtant pas l'objectif de leur auteur. Près de la moitié de ses films ont dépassé le million d'entrées en salles et deux ont fait sauté les compteurs, "Les Quatre Cents Coups" avec 4,2 millions entrées et "Le Dernier Métro" avec 3,4 millions d'entrées. Et à part trois films (dont celui que je préfère qui a été le moins apprécié des spectateurs de cinéma), tous ont eu au moins 700 000 entrées.

    Pour tout dire, tous ses films sont excellents. Néanmoins, certains sont encore plus excellents que d'autres ! Alors, je propose mon petit Top 7 qui est très personnel et très arbitraire, donné par ordre décroissant de préférence selon moi (pourquoi les 7 meilleurs et pas les 5 ou les 10 ? pourquoi pas ? un tiers ?).

    1. Le premier est, pour moi, incontestablement "La Chambre verte" (sorti le 5 avril 1978), avec François Truffaut et Nathalie Baye parmi les acteurs (avec également, entre autres, Antoine Vitez). Le personnage principal (joué par Truffaut) est effondré par le deuil de sa femme et la solitude. Il a aménagé chez lui une chambre dédiée à la disparue dans une sorte de véritable culte des morts (et d'amour). L'idée principale de ce film, adaptation personnelle de plusieurs nouvelles d'Henry James avec quelques inspirations de l'œuvre de
    Georges Bernanos, se retrouve dans plusieurs fictions ultérieures.

    2. "La Femme d'à côté" (sorti le 30 septembre 1981), avec l'éclatante
    Fanny Ardant (son meilleur film à mon avis), Gérard Depardieu, Henri Garcin et Michèle Baumgartner. L'histoire se déroule dans une région que je connais bien, la région grenobloise (à Bernin) dont l'atmosphère provinciale est très bien ressentie. Un couple bien installé dans leur maison (joué par Gérard Depardieu et Michèle Baumgarner) voit l'arrivée de nouveaux voisins, un autre couple, dont la femme (jouée par Fanny Ardant) est son ancienne amante d'une passion très forte. Les anciens amoureux se retrouvent en secret, jusqu'à ce que cette relation soit révélée et s'interrompe. Dépression de l'amoureuse et ...et je ne continue pas pour ne pas spoiler, sinon cette conclusion finale : « Ni avec toi, ni sans toi ». Pas d'effet de scène et neutralité très déconcertante de la narration (cela commence même par une voix off). Fanny Ardant y a joué de manière exceptionnelle, elle était alors la dernière compagne de François Truffaut. Michèle Baumgartner est morte quelques années après le tournage d'un accident de la circulation à l'âge de 31 ans (avec son mari).

    3. "L'Homme qui aimait les femmes" (sorti le 27 avril 1977), avec
    Charles Denner (son seul véritable film où il a la vedette), Brigitte Fossey, Nathalie Baye, Leslie Caron, Geneviève Fontanel, Nelly Borgeaud, Valérie Bonnier, etc. Le personnage vaguement autobiographique joué par Charles Denner est un amoureux des femmes et même de "la" femme en général. Pas aimé ni par sa mère et ni par sa compagne qui a rompu, il va alors collectionner (les relations avec) les femmes au point d'en faire un répertoire détaillé. C'est là où il prononce cette phrase "truffaldienne" bien connue : « Les jambes des femmes sont des compas qui arpentent le globe terrestre en tous sens, lui donnant son équilibre et son harmonie. ».

    4. "Le Dernier métro" (sorti le 17 septembre 1980), avec
    Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, Jean Poiret, Andréa Ferréol, Paulette Dubost, Maurice Risch et Heinz Bennent. Ce film a fait un triomphe à la cérémonie des Césars en 1981 en remportant dix prix dont les cinq plus prestigieux (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur scénario, meilleur acteur, meilleure actrice), ce qui est unique pour les Césars (et encore, il y avait deux autres nominations dont le second rôle féminin pour Andréa Ferréol qui a été battue par une actrice fétiche de Truffaut, Nathalie Baye ; 1981 au cinéma était l'année Truffaut). L'histoire (qui s'est inspirée d'œuvres antérieures) se passe pendant l'Occupation nazie à Paris, la vie d'un théâtre parisien. Son directeur d'origine juive (joué par Heinz Bennent) est officiellement parti aux États-Unis mais en fait, vit encore dans la cave du théâtre et continue clandestinement à diriger le théâtre et la troupe par l'intermédiaire du metteur en scène (joué par Jean Poiret) et de sa femme également comédienne (jouée par Catherine Deneuve) qui lui parle d'un jeune comédien plein d'avenir (joué par Gérard Depardieu) qui souhaite s'engager dans la Résistance.
     

     
     


    5. "Fahrenheit 451" (sorti le 15 septembre 1966), avec Oskar Werner et Julie Christie (film entièrement en anglais), adaptation de la célèbre œuvre de Ray Bradbury. Le personnage principal (joué par Oskar Werner) est un pompier chargé de détruire par le feu tous les livres qu'il peut repérer (car trop dangereux pour le pouvoir en place et officiellement ils empêchent d'être heureux). La température d'auto-inflammation du papier est de 232,8°C, soit 451°F. La rencontre avec une jeune fille dite asociale car lettrée (jouée par Julie Christie) remet en cause son métier. Sur l'histoire elle-même, il y aurait beaucoup à dire aujourd'hui avec le livre remplacé par le smartphone et les réseaux sociaux.

    Dans une interview avec la journaliste Aline Desjardins diffusée en décembre 1971 par Radio-Canada (et publiée en 1973 chez Ramsay), François Truffaut a raconté sa relation avec les livres : « Ayant envie de faire un film sur les livres, j'ai tourné "Fahrenheit" qui est un film sur tous les livres en général. D'autres de mes films comme "Jules et Jim" ou "La Mariée était en noir" sont des films tirés de livres que j'aimais et j'ai essayé non seulement d'en tirer un bon film, mais aussi de faire aimer le livre. Lorsqu'un de mes films peut éveiller la curiosité pour un livre, comme pour le roman "Jules et Jim" qui était passé inaperçu, ou "Deux Anglaises et le Continent", je suis très content ; je dois dire que si un jour j'ai l'occasion de faire un film qui serait toute l'histoire d'un livre, depuis le moment où il est à l'état de manuscrit jusqu'au moment où il est publié et diffusé chez les libraires, si je trouve une histoire qui se prête à cela, je suis sûr que je le ferai avec un grand enthousiasme. ».

    6. "La Mariée était en noir" (sorti le 17 avril 1968), avec
    Jeanne Moreau, Claude Rich, Michel Bouquet, Michael Lonsdale, Charles Denner, Jean-Claude Brialy, etc. dans une adaptation du roman de William Irish. Le jour de son mariage, la mariée (jouée par Jeanne Moreau) voit son mari se faire assassiner sur le parvis de l'église. Elle se venge, les uns après les autres, de tous ceux qui l'ont tué. L'atmosphère du film est très hitchcockienne. Mais dans "L'Express", Truffaut a regretté d'avoir tourné ce film : « Le seul que je regrette d'avoir fait, c'est "La Mariée était en noir". Je voulais offrir à Jeanne Moreau quelque chose qui ne ressemble à aucun de ses autres films, mais c'était mal pensé. (…) Le thème manque d'intérêt: l'apologie de la vengeance idéaliste, cela me choque en réalité. ».

    7. "L'Enfant sauvage" (sorti le 26 février 1970), avec François Truffaut, Jean-Pierre Cargol, Françoise Seigner et Jean Dasté. C'est l'adaptation d'une histoire vraie de l'enfant sauvage appelé Victor de l'Aveyron (1785-1828), enfant sauvage trouvé en 1797, et pris en charge et instruit par le docteur Jean Itard (joué par Truffaut). Ce film est devenu un classique, parodié d'ailleurs par
    Gotlib. Jean-François Stévenin a repéré Jean-Pierre Cargol (12 ans) pour le rôle de l'enfant sauvage, dans un camp de gitans (il est le neveu du musicien Manitas de Plata). Choix tout de suite approuvé par le réalisateur-acteur : « Jean-Pierre, le petit gitan que j'ai finalement choisi pour jouer ce rôle, est un enfant très beau mais je crois qu'il a bien l'air de sortir des bois. ».

    J'ai bien sûr conscience de l'arbitraire et je sais que j'ai "oublié" d'autres films majeurs de Truffaut comme "Jules et Jim" (sorti le 24 janvier 1962), avec Jeanne Moreau, Oskar Werner,
    Marie Dubois et Henri Serre ; "La Sirène du Mississipi" (sorti le 18 juin 1969), avec Jean-Paul Belmondo, Catherine Deneuve et Michel Bouquet (dans "Le Figaro" du 10 octobre 2014, Bertrand Guyard a écrit : « Faire du "Magnifique" un homme soumis à la passion amoureuse, l'idée était osée. On se souviendra du charme vénéneux et candide à la fois de Catherine Deneuve. L'obstination de Michel Bouquet dans son rôle de détective est parfaite. Comme toujours. ») ; ou encore, "La Nuit américaine" (sorti le 24 mai 1973), avec Jacqueline Bisset, Jean-Pierre Léaud, Nathalie Baye, Valentina Cortese, Dani, Jean-Pierre Aumont, Alexandra Stewart, etc. ; mais comme je l'ai indiqué plus haut, tout est beau dans le Truffaut ! J'accroche un peu moins avec la saga Antoine Doinel parce que j'ai un peu de mal à m'identifier personnellement au personnage.

    Dans l'émission "Apostrophes" du 13 avril 1984, François Truffaut a expliqué, à propos d'Hitchcock : « Ses scènes d'amour sont filmées comme des scènes de meurtres et ses scènes de meurtres comme des scènes d'amour. C'est la même chose, c'est un déversement qui arrive là et qui est très puissant. Mais je pense que c'est ça aussi qui fait que les films sont forts, qu'ils sont beaux et qu'ils traversent les années. Vous voyez, un film d'Hitchcock de 1940, vous allez le voir aujourd'hui, vous n'avez pas l'impression de voir un film de 1940, vous voyez un film qui a une forme très pure, très serrée, et qui est, s'il était poignant quand il est sorti, il est encore poignant aujourd'hui [1984].
     Ça, c'est ce que j'aime ! ».

    Nous sommes maintenant encore quarante ans plus tard : les films d'Hitchcock ont un peu vieilli, mais à peine (surtout à cause du noir et blanc), ...en revanche, ceux de Truffaut n'ont pas pris une ride. En quelque sorte, sa postérité plaide pour lui. Il a réussi son pari, mettre en action ce qu'il disait être ses rêves d'adolescent : « Je fais des films pour réaliser mes rêves d'adolescent, pour me faire du bien et, si possible, faire du bien aux autres. ».


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (19 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    François Truffaut.
    Daniel Prévost.
    Michel Blanc.
    Brigitte Bardot.
    Marcello Mastroianni.
    Jean Piat.
    Sophia Loren.
    Lauren Bacall.
    Micheline Presle.
    Sarah Bernhardt.
    Jacques Tati.
    Sandrine Bonnaire.
    Shailene Woodley.
    Gérard Jugnot.
    Marlène Jobert.
    Alfred Hitchcock.
    Les jeunes stars ont-elles le droit de vieillir ?
    Charlie Chaplin.




















    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241021-francois-truffaut.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/mon-top-7-de-francois-truffaut-255974

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/20/article-sr-20241021-francois-truffaut.html


     

  • Il y a 40 ans, le grand physicien Paul Dirac est mort le 20 octobre 1984 à 82 ans

    Tout juste quarante ans après sa mort, il reste le plus grand physicien britannique de tous les temps avec Isaac Newton. L’un des pionniers de la physique quantique, annonciateur du positron, peu sociable mais véritable génie des mathématiques, aurait été atteint du syndrome d’Asperger, selon une récente biographie.


    Imaginez que vous ayez 31 ans, que vous ayez soutenu votre thèse de doctorat sept ans plus tôt, publié déjà plus d’une dizaines d’articles majeurs dans des revues scientifiques d’importance internationale, et qu’on vous propose le Prix Nobel de Physique. À l’époque, on pouvait même l’avoir avant la soutenance. C’était en 1933, période particulièrement noire dans le contexte international, mais aussi période passionnante de la mise en forme de la physique quantique qui a occupé toute la première moitié du XXe siècle.

    Paul Dirac a disparu
    il y a exactement quarante ans le 20 octobre 1984 à l’âge de 82 ans, à Tallahassee, en Floride. Ce grand physicien a fait partie des pères fondateurs de la physique quantique, aux côtés de Max Planck, Niels Bohr, Albert Einstein, Werner Heisenberg, Erwin Schrödinger, etc. Il fut l’un des trois plus grands physiciens du XXe siècle et cet anniversaire est l’occasion pour moi de le faire mieux connaître, car je trouve qu’il manque injustement de notoriété.


    Un des plus grands génies de tous les temps

    Prix Nobel en 1933, Paul Dirac fut un véritable génie, uniquement tourné vers ses recherches sur la théorie quantique. Toute sa vie n’a été qu’attention portée aux équations.

    Selon l’épistémologue Norwood Russell Janson (1924-1967), ardent défenseur de l’interprétation de Copenhague, cité dans un article publié en 1980, la parution de la théorie relativiste des électrons de Paul Dirac en 1928 a été l’un des événements les plus marquants de l’histoire des sciences : « Theoretical physics has rarely witnessed such a powerful unification of concepts, data, theories and intuitions : Newton and Universal Gravitation ; Maxwell and Electrodynamics ; Einstein and Special Relativity ; Bohr and the hydrogen atom ; these are the high spots before Dirac. From a chaos of apparently unrelated facts and ideas, Newton in his way, and now Dirac in his, built a logically powerful and conceptuelly beautiful physical theory. » [La physique a rarement vu une unification aussi puissante de concepts, de données, de théories et d’intuitions : Newton et la Gravitation universelle ; Maxwell et l’Électrodynamique ; Einstein et la Relativité restreinte ; Bohr et l’atome d’hydrogène ; ce sont les grands éclairs avant Dirac. D’un chaos apparemment sans relation de faits et d’idées, Newton à sa manière, et maintenant Dirac à la sienne, ont construit une théorie physique logiquement solide et conceptuellement pleine de beauté] ("The Concept of the Positron", Cambridge, 1963 ; p. 146).



    La beauté, c’est ce qui a obsédé Paul Dirac toute sa vie. Mais pas la beauté féminine : « This result is too beautiful to be false ; it is more important to have beauty in one’s equation than to have them fit experiment. » [Ce résultat est trop beau pour être faux ; il est plus important d’avoir la beauté dans les équations que de les voir confirmer par l’expérience] ("The evolution of the Physicist’s Picture of Nature", Scientific American, 208, 5, 1963).


    La bosse des maths

    Du côté de son père, qui enseignait le français, et comme son nom francophone l’indique, il était d’origine suisse (Valais) et française (Charente). Né le 8 août 1902 à Bristol, Paul Adrien Maurice Dirac était un fou de mathématiques dès son plus jeune âge. Il a suivi des études d’ingénieur en électricité à Bristol. À cause du climat économique très maussade, diplômé en 1921, il n’a pas trouvé de travail et finalement, a continué des études scientifiques à Cambridge parce qu’il était passionné par la théorie de la Relativité générale et qu’il avait réussi à obtenir une bourse.

    En 1923, il travailla avec l’astrophysicien Ralph H. Fowler (1889-1944) sur la mécanique statistique des étoiles naines blanches. Six mois plus tard, il publia déjà ses deux premiers articles sur le sujet. En mai 1924, il publia son premier article sur la physique quantique. C’est en 1925 qu’il fit la rencontre essentielle de Niels Bohr (1885-1962) qui venait d’avoir le Prix Nobel en 1922, et de Werner Heisenberg (1901-1976), futur Prix Nobel en 1932. En novembre 1925, il avait publié quatre autres articles sur la théorie quantique. En tout, il a publié onze articles importants avant sa soutenance.



    Paul Dirac a soutenu sa thèse en juin 1926 sur la physique quantique, en faisant, par une intuition géniale, une analogie entre la formulation matricielle que venait de proposait Werner Heisenberg pour décrire la physique quantique et les crochets de Poisson de la mécanique hamiltonienne, reformulation de la mécanique classique en 1833 par William Rowan Hamilton (1805-1865).


    Un acteur majeur dans l’élaboration de la théorie quantique

    Après son doctorat, il est parti rejoindre Niels Bohr à Copenhague puis en février 1927, Werner Heisenberg à Göttingen où il a travaillé avec Robert Oppenheimer (1904-1967), Max Born (1882-1970), Prix Nobel en 1954, James Franck (1882-1964), Prix Nobel en 1925, et Igor Tamm (1895-1971), Prix Nobel en 1958, puis il a collaboré quelques semaines avec Paul Ehrenfest (1880-1933) à Leyde (Pays-Bas) avant de revenir à Cambridge où il fut recruté comme Fellow du St John’s College. Invité au 5e congrès Solvay en septembre 1927, il fit la rencontre d’Albert Einstein (1879-1955).



    Paul Dirac fit de nombreux voyages dans le monde, est allé pour la première fois en Union Soviétique en 1928, et aux États-Unis en 1929. Il s’amusait à profiter des colloques pour faire le tour du monde : après une visite aux États-Unis, il est allé directement au Japon et est rentré à Cambridge en prenant le Transsibérien.

    À partir de ses premiers travaux où il "jouait" avec l’algèbre des opérateurs linéaires en introduisant la notation bra-ket (à partir du 29 avril 1939), il publia un recueil très pédagogique sur la nouvelle physique de l’atome (qui fait encore référence aujourd’hui) sous un titre assez banal : "Le Principe de la mécanique quantique" (éd. Oxford University Press) publié initialement le 29 mai 1930 (il n’avait alors que 27 ans !). L’ouvrage fut régulièrement réédité et complété, devenant l’un des manuels "classiques" pour la physique quantique (le dernier chapitre rédigé en 1947 dans la 3e édition présente l’électrodynamique quantique). On peut lire la quatrième édition révisée (publiée le 26 mai 1967) dans son intégralité ici.



    Paul Dirac était avant tout un théoricien des mathématiques. Il se moquait des expériences sinon de la pensée (il préférait la beauté des équations, voir la citation ci-dessus), et a été celui qui a construit la plus solide architecture mathématique pour la physique quantique, reprenant les travaux d’Erwin Schrödinger et de Werner Heisenberg dont le formalisme mathématique manquait de cohérence et d’harmonie.

    Cela lui valut le Prix Nobel de Physique en 1933 « pour la découverte de formes nouvelles et utiles de la théorie atomique », partagé avec Erwin Schrödinger (1887-1961), célèbre pour son équation d’onde et son expérience de la pensée résumée sous l’expression "le chat de Schrödinger" (en physique quantique, un chat pourrait être à la fois vivant et mort, d’où le paradoxe philosophique que posait cette théorie probabiliste). Un peu avant son Prix Nobel (il avait refusé d’inviter son père à la remise à Stockholm), Paul Dirac avait publié un article essentiel sur la mécanique quantique lagrangienne que développa plus tard Richard Feynman (1918-1988), Prix Nobel en 1965, qui fut beaucoup influencé par lui.




    Le positron et l’antimatière, issus des équations de Dirac

    Par ses avancées mathématiques, Paul Dirac a ainsi prédit en 1931 l’existence de l’antimatière, c’est-à-dire, des antiparticules, en particulier, du positron (aussi appelé positon pour les francophones), l’antiparticule associée à l’électron.

    La raison, c’est que dans son équation qui décrit la mécanique quantique relativiste de l’électron (formulée en 1928), la description des particules se fait en fonction du carré de la charge électrique, laissant supposer que la charge d’une particule de même type (même masse et même spin) pourrait être positive ou négative. Jusqu’en 1932, cette idée était plutôt le point faible de sa théorie, car personne ne comprenait comment l’antimatière pouvait exister. Paul Dirac se moquait de l’imaginer, ses équations étaient trop belles pour être fausses !



    Par ailleurs, la collision d’une particule et de son antiparticule créerait une désintégration avec une forte dissipation d’énergie (émission de photon) qu’on peut retrouver dans la fameuse formule d’Einstein, E=mc2. C’est la base de toute la recherche sur les nouvelles particules élémentaires dans des accélérateurs à particules (fournir le plus d’énergie possible pour faire surgir de nouvelles particules).

    Le positron fut découvert expérimentalement dès 1932 par Carl David Anderson (1905-1991) qui a vu la trace de « quelque chose de chargé positivement et de masse similaire à celle de l’électron » et cette découverte fut confirmée par Patrick Blackett (1897-1974) par l’observation de rayons cosmiques photographiés dans une chambre à brouillard qui est le premier détecteur de particules (certaines traces ne provenaient pas d’électrons mais d’électrons à charge positive).

    Cette découverte valut Carl David Anderson le Prix Nobel en 1936 qui découvrit la même année le muon par le même type de détection. Quant à Patrick Blackett, il reçut le Prix Nobel en 1948 pour le développement de la chambre à brouillard conçue en 1911 par Charles T. R. Wilson (1869-1959) qui, lui aussi, avait obtenu le Prix Nobel en 1927. Sa chambre permettait de rendre visible, par condensation de la vapeur, la trajectoire des particules électriquement chargées.

    Entre parenthèses, la découverte du positron est l’exemple même (il y en a plein d’autres) qui montre que la recherche scientifique n’a aucun sens réalisée de manière solitaire ou de manière nationaliste (et cela dans une période aux nationalismes exacerbés). Même si Paul Dirac travaillait plutôt seul (il détestait communiquer), il se nourrissait des travaux des autres, en particulier, pour son équation, des travaux d’Albert Einstein et de Wolfgang Pauli (1900-1958), Prix Nobel en 1945, pour donner les fondations théoriques des futures observations expérimentales. Et pour les expériences, il a fallu développer toute une instrumentation (Charles T. R. Wilson), puis utiliser l’appareil pour des applications données, être capable d’identifier une incompréhension de mesure par des théories récentes (Carl David Anderson) et de confirmer l’explication par des expériences focalisées sur cette découverte (Patrick Blackett). À noter également que d’autres physiciens reçurent le Prix Nobel pour le développement d’autres appareils de détection, comme Georges Charpak (1924-2010) qui fut récompensé en 1992 « pour son invention et le développement de détecteurs de particules, en particulier la chambre proportionnelle multifils ».



    Lorsque Albert Einstein s’est retrouvé en 1933 parmi les membres de la direction de l’Institute for Advanced Study à Princeton, et qu’on lui a demandé qui il voulait recruter, le premier nom qu’il a proposé était Paul Dirac qui venait juste d’avoir le Prix Nobel. Paul Dirac passa donc une année académique (1934-1935) à Princeton où il sympathisa beaucoup avec son collègue Eugene Wigner (1902-1995), Prix Nobel en 1963. Venant de Budapest où elle habitait, la sœur de ce dernier est venue le visiter alors que Paul Dirac était présent à cette rencontre…


    De Newton à Hawking

    Entre 1932 et 1969, Paul Dirac fut titulaire de la prestigieuse chaire de mathématiques de l’Université de Cambridge. Parmi ses prédécesseurs l’illustre Isaac Newton (1643-1727) entre 1669 et 1702, et l’hydrodynamicien Georges Stokes (1819-1903), célèbre pour son équation de mécanique des fluides, de 1849 à 1903. Certains de successeurs sont également très connus : Stephen Hawking (72 ans) de 1979 à 2009 et, depuis le 1er novembre 2009, Michael Boris Green (68 ans), l’un des pionniers de la théorie des cordes en 1984.

    Michael Boris Green fut d'ailleurs lauréat en 1989 du Prix et Médaille Paul Dirac, qui a récompensé entre autres en 1987 Stephen Hawking, en 1988 John Stewart Bell (1928-1990), auteur du fameux théorème de Bell, en 1989 Roger Penrose (83 ans) et en 1997, Peter W. Higgs (85 ans), Prix Nobel en 2013. Cette gratification est attribuée par l’Institute of Physics (l’équivalent britannique de la Société française de Physique).

    Une autre récompense a été instituée en l’honneur de Paul Dirac, la Médaille Dirac créée par le Centre international de physique théorique (ICTP basé à Trieste) juste après la disparition de Paul Dirac, en 1985, pour honorer des chercheurs en physique théorique et en mathématiques qui n’ont pas été récompensés par le Prix Nobel ni la Médaille Field ni le Prix Wolf (très prestigieux aussi). Alan H. Guth (67 ans), l’inventeur de la théorie de l’inflation cosmique après le Big Bang, et Édouard Brézin (76 ans), ancien président du CNRS, en furent lauréats respectivement en 2002 et 2011.


    Quelques intuitions très mathématiques

    Très curieux et fin observateur, perspicace et rigoureux, Paul Dirac avait voulu comparer en 1937 deux rapports de grandeurs physiques. Le premier était la longueur de l’univers observable (rayon de Hubble) sur le rayon d’un électron. Le second l’intensité de la force gravitationnelle sur celle de la force électromagnétique appliquée entre deux électrons. Or, il avait remarqué que ces deux rapports étaient sensiblement équivalents, le premier de l’ordre de 2x1040 (nombre d’Eddington-Dirac) et le second de l’ordre de 3x1041.

    C’était la première fois qu’un scientifique "mélangeait" l’infini grand et l’infiniment petit, et Paul Dirac considérait que l’équivalence n’était pas une coïncidence. En considérant que ces deux rapports restaient dans le même ordre de grandeur, et sachant que seule, la constante de Hubble variait avec le temps, Paul Dirac en avait conclu qu’une autre constante devait forcément varier en fonction du temps (si ces rapports restaient équivalents), et suggérait que cela devait être la constante de la gravitation qui serait inversement proportionnelle au temps, ce qui contredisait la théorie de la Relativité générale qui la prédisait constante (conservation de l’énergie), ou alors que la masse de l’univers serait proportionnelle au carré du temps. Ces deux hypothèses sont rejetées par les cosmologistes d’aujourd’hui.



    Parmi les "objets" (de mathématiques ou de physique) attribués à Paul Dirac, on peut citer la constante de Dirac qui n’est que la constante de Planck réduite (h/2pi), la distribution de Dirac (aussi appelée fonction delta de Dirac) qui exprime une impulsion ponctuelle et qui permet de l’intégrer dans le calcul mathématique, le peigne de Dirac qui est un joli nom pour désigner une distribution de Dirac périodique, ces deux objets ont été repris et améliorés par le mathématicien français Laurent Schwartz (1915-2002), Médaille Field en 1950. Lui-même plutôt modeste, Paul Dirac a toute sa vie préféré parler de la "statistique de Fermi" pour évoquer la "statistique de Fermi-Dirac" qui décrit depuis 1926 les particules à spin demi-entier (fermions qui suivent le principe d’exclusion de Pauli), à opposer à la statistique de Bose-Einstein qui décrit les particules à spin entier (bosons pour lesquels le principe de Pauli ne s’applique pas). À cela, il faut aussi ajouter, dans ses contributions majeures, le positron prédit par Paul Dirac ainsi que les monopoles magnétiques.



    Une tendance à tout théoriser

    Dans une récente biographie, Graham Farmelo (61 ans), docteur en physique théorique des particules, évoque même le syndrome d’Asperger (une forme légère d’autisme) pour caractériser Paul Dirac, qui a détesté son père qui l’obligeait à lui parler uniquement en français (comme il n’en était pas capable, Paul Dirac gardait ainsi le silence) et il fut profondément troublé par le suicide de son frère Félix pendant la préparation de sa thèse (en mars 1925).



    Il existe de nombreuses anecdotes qui racontent à quel point Paul Dirac pouvait déconcerter ses interlocuteurs au cours de sa vie professionnelle ou personnelle. Par exemple, le jour où il a rencontré pour la première fois le jeune Richard Feynman, il lui a dit : « I have an equation. Do you have one too ? » [J’ai une équation. En avez-vous une aussi ?]. Ou encore lors d’une conférence à Toronto, au moment des questions, quelqu’un dans la salle lui déclara : « Professor Dirac, I do not understand how you derived the formula on the left side of the blackboard. » [Professeur Dirac, je ne comprends pas comment vous dérivez la formule au côté gauche du tableau]. Ce à quoi Paul Dirac répondit : « This is not a question. It is a statement. Next question, please. » [Ce n’est pas une question. C’est un commentaire. Question suivante, s’il vous plaît]. Paul Dirac était connu pour dormir en écoutant une conférence, mais il était capable de se réveiller soudainement et de poser une question très pointue et pertinente (un erreur de signe au tableau etc.).

    Le besoin de tout théoriser pouvait étonner les personnes à côté de lui. Un jour qu’il discutait avec Piotr Kapitsa (1894-1984), Prix Nobel en 1978, il regardait en même temps l’épouse de celui-ci, Anya, tricoter à leur côté. Après la discussion, Paul Dirac s’est approché d’elle, assez excité : « You know, Anya, watching the way you were making this sweater, I got interested in the topological aspect of the problem. I found that there is another way of doing it and that there are only two possible ways. One is the one you were using ; another is like that… » [Vous savez, Anya, en regardant la manière dont vous réalisez ce pull, je me suis intéressé à l’aspect topologique du problème. J’ai conclu qu’il y a une autre manière de le faire et qu’il n’y avait que deux méthodes possibles. L’une est ce que vous faites ; l’autre est comme ça…] tout en montrant cette seconde manière avec ses longs doigts : il venait de réinventer le "purling" (le fait de tricoter à l’envers).


    La femme, une équation à une inconnue

    La personnalité de Paul Dirac était à la fois rigoureuse et peu conviviale. Il avait très peu d’amis, aimait bien la solitude qui lui permettait de réfléchir à ses travaux. Il était connu pour sa faible empathie. La seule fois où il a pleuré de sa vie d’adulte, c’était lorsqu’il avait appris la mort d’Albert Einstein en 1955.

    Une anecdote donne une idée de sa très faible sociabilité. Le physicien n’était pas marié en août 1929, tout comme son collègue Werner Heisenberg. À l’occasion d’un colloque au Japon (déjà évoqué ci-dessus), comme ils étaient du même âge et encore célibataires, ils pouvaient discuter ouvertement des "femmes". Werner Heisenberg était un homme à femmes avec qui il aimait flirter et danser, tandis que lui restait renfermé. Paul Dirac lui demandait : « Pourquoi danses-tu ? » et Werner Heisenberg de répondre : « Quand il y a des filles charmantes, c’est un plaisir ! » mais Paul Dirac ne comprenait toujours pas : « Mais, Heisenberg, comme peux-tu savoir avant que ce sont des filles charmantes ? ».



    Un jour, au cosmologiste George Gamow (1904-1968), Paul Dirac expliqua qu’il y avait une distance optimale pour regarder le visage d’une femme. Théoricien, il évaluait tous les cas : à l’infini, on ne voit rien ; à zéro, l’image est trop déformée et on voit beaucoup trop les imperfections de la peau, les rides. Georges Gamow lui a alors demandé : « Tell me, Paul, how close have you seen a woman’s face ? » [Dis-moi, Paul, à quelle distance as-tu déjà regardé le visage d’une femme ?] et Paul Dirac de répondre : « Oh, about that close ! » [Oh, à peu près cette distance], en montrant ses mains à deux pieds de distance.



    Paul Dirac se maria tardivement pour l’époque, en janvier 1937 à Londres avec Margit Wigner (Manci), la sœur d’Eugene Wigner, et, bien qu’indispensable pour lui supprimer toutes les préoccupations matérielles de la vie quotidienne, il la considérait plus comme la sœur de son ami que comme son épouse, et la présentait à ses amis ainsi : « Oh ! I am sorry. I forgot to introduce you. This is… this is Wigner’s sister ! » [Oh ! Je suis désolé. J’ai oublié de te présenter. C’est… c’est la sœur de Wigner !]. Elle-même s’était présentée auprès de George Gamow ainsi : « That what Dirac actually says is : "This is Wigner’s sister, who is now my wife" ! » [Ce que dit habituellement Dirac est "C’est la sœur de Wigner, qui est maintenant ma femme" !]. Margit Wigner, née deux ans après lui, le 17 octobre 1904, disparut le 9 juillet 2002, près de dix-huit ans après lui.




    La retraite en Floride

    À la fin de sa vie, de 1971 à 1984, Paul Dirac a continué à travailler en choisissant le Florida State University (Université de l’État de Floride). Pour lui, c’était un lieu agréable car il n’avait pas un traitement différent des autres, ses collègues le considéraient comme n’importe qui d’autre, malgré son Nobel et ses travaux prestigieux. Il ne voulait surtout pas se faire remarquer.



    En dépit de son caractère peu sociable, Paul Dirac a laissé un souvenir très attachant dans cette université où ses collègues ont pu apprécier sa curiosité intellectuelle, sa passion et sa capacité à la transmettre aux autres. Certes, il pouvait déjeuner (dans la cuisine du bâtiment) avec des collègues (comme Steve Edwards) sans sortir un mot pendant le repas. John Albright se souvenait ainsi : « Dirac était très avare avec les mots. Il n’emploierait pas cinq mots quand un seul pouvait suffire. ». Bien avant, ses collègues de Cambridge avait même inventé une nouvelle unité pour plaisanter, le "dirac" qui correspondait à un mot par heure !

    Il adorait marcher, considérait que c’était essentiel pour réfléchir, il marchait ainsi de sa résidence à son bureau, par tous les temps (conduire l’aurait empêché de réfléchir à la physique quantique), il aimait aussi se baigner dans un lac même en hiver, et il était un passionné d’alpinisme, il escaladait beaucoup de montagnes (dans le Caucase par exemple) et lorsqu’il enseignait à Cambridge, on pouvait parfois le voir, pour s’entraîner, grimper aux arbres dans les collines environnantes tout en portant son habituel costume noir.


    Ne pas s’occuper de l’extérieur

    Homme introverti par excellence, Paul Dirac a donc été avant tout un génie cérébral. Il fallait bien cela pour avoir les quelques intuitions qui l’ont placé, malgré lui, sur le piédestal de la théorie quantique.



    Son père l’avait peut-être coupé de toute ambition affective, mais il l’avait encouragé à approfondir les mathématiques qui l’avaient passionné dès son enfance. Sa modestie l’a emporté : à l’égal d’un Newton, d’un Maxwell, d’un Einstein ou d’un Bohr, qui connaît donc Dirac en dehors de la communauté scientifique internationale, trente ans après sa mort ?



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (20 octobre 2014)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :

    Paul Dirac.
    Livre à télécharger : "Les Principes de la mécaniques quantique" par Paul Dirac.
    La théorie des électrons et des positrons (communication du 12 décembre 1933 à télécharger).
    La genèse de la théorie relativiste des électrons de Paul Dirac (à télécharger).
    Niels Bohr.
    Albert Einstein.
    L’attribution des Prix Nobel, une dérive depuis plusieurs décennies ? (octobre 2007).
    Dirac, Einstein and physics (2 mars 2000).
    Paul Dirac : the purest soul in physics (1er février 1998).

    Une biographie de référence a été publiée le 22 janvier 2009 :
    "The Strangest Man, The Hidden Life of Paul Dirac, Quantum Genius"
    par Graham Farmelo (éd. Faber and Faber).






    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241020-dirac.html

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/20/article-sr-20241020-dirac.html











  • L'acteur Daniel Prévost fête son 85e anniversaire ce dimanche 20 octobre 2024

    « Je n’ai jamais été à la mode, comment voulez-vous que je devienne ringard ? Tandis que vous, vous êtes pour l’instant à la mode, donc vous deviendrez ringard ! » (Daniel Prévost à Marc-Olivier Fogiel, "On ne peut pas plaire à tout le monde" sur France 3, le 19 octobre 2001).


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    L’humoriste Daniel Prévost a fêté son 85e anniversaire le 20 octobre 2024. Quatre-vingt-cinq ans, c’est quasiment un vieillard ! Il paraît que les humoristes font rarement de vieux os. J’espère que Daniel Prévost démentira cette (fausse) rumeur aussi longtemps que possible. Daniel Prévost est un touche-à-tout du spectacle, un peu comme Sim, il est un acteur au cinéma et à la télévision, un comédien au théâtre, à l’occasion un chroniqueur à la télévision, un chanteur et même un écrivain puisqu’il a sorti une quinzaine de livres, certains qui racontent son enfance, son origine familiale, ses deuils…

    Daniel Prévost a le don pour faire les personnages plutôt négatifs, petits, lâches, les rôles de petit chef prêt aux mesquineries, capable d’abuser de son petit pouvoir, avec le petit rictus pour bien montrer sa joie d’être sadique. Tendre sadique au grand cœur, car finalement, cette face si réussie du sadique, il ne l’assume évidemment pas dans la vie civile. Pour lui, c’est la manière d’user et d’abuser de l’humour et de l’esprit comique. Pourquoi réussit-il si bien à faire ce bas sadique ? Sûrement grâce à son sourire inimitable, son petit grincement de dents (les héhéhé des méchants dans les  bandes dessinées) et, bien sûr, à sa grande présence scénique.

    Dans "Moustique", Yannic Duchesne dit le 14 janvier 2018 pour le décrire : « Prévost, c’est à la fois un homme mûr (…) et un enfant qui ne renonce jamais devant une farce. Il a la bouclette rieuse, les yeux vifs, la silhouette gainée et une propension à faire de tout tout le temps. (…) On honore trop peu les comiques au cœur chaud. ». Je suis évidemment de cet avis. Honorons-le !

    Ses participations au cinéma sont très nombreuses, mais rarement avec le premier rôle. C’est le propre du second rôle, être connu par endurance, à force d’être présent un peu partout, surtout lorsque le partout, ce sont des films à grand succès commercial. En fait, Daniel Prévost a été connu très rapidement. S’il a commencé en 1961 (à 22 ans) au théâtre et en 1968 au cinéma, il a vite gagné en notoriété dès le début des années 1970 avec "Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil" de Jean Yanne (sorti le 5 mai 1972) avec Jean Yanne, Michel Serrault, Bernard Blier et Jacques François. D’ailleurs, il est yannique, le Prévost, il a commencé sur les planches avec Michel Serrault et Jean Yanne, ce qui était pour lui une excellente école de l’art comique et absurde, du loufoque féroce, de l’humour vache et coriace, de l’esthétique caustique.

    Daniel Prévost a ensuite gagné en notoriété avec sa participation dans l’émission satirique dominicale "Le Petit Rapporteur" animée par Jacques Martin de janvier 1975 à juin 1976 sur TF1 : il était l’un des chroniqueurs aux côtés de Pierre Bonte, Stéphane Collaro, Pierre Desproges et Piem, entre autres, et s’était particulièrement fait remarquer lors de son reportage dans le village de Montcuq en interrogeant son maire et en faisant beaucoup de plaisanteries avec le nom de ce village du Lot. Daniel Prévost et Pierre Desproges étaient à l’époque de sacrés complices dans leur audace. C’était l’époque (et l’émission) où Pierre Desproges, qui jouissait encore de l’anonymat, interviewait une Françoise Sagan très polie et patiente sur sa santé et ses vacances (la santé et les vacances de Desproges !).

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    La voix de Daniel Prévost est également très connue car il l’a "prêtée" depuis une trentaine d’années à une marque de supermarché, Super U, pour des spots publicitaires tant à la télévision qu’à la radio. Je croyais que c’était un imitateur, mais ce n’est en fait pas le cas (d’ailleurs, je me demande quelles sont les conditions juridiques pour faire l’imitation d’un personnage célèbre pour un but publicitaire, au point peut-être de ternir la réputation dudit personnage). Daniel Prévost a utilisé sa voix aussi pour d’autres marques, comme Rivoire et Carret (avec Pierre Desproges), la MAAF, etc.

    À ce jour, Daniel Prévost a joué dans quatre-vingt-sept films au cinéma et trente-trois téléfilms, ainsi que dans une trentaine de pièces de théâtre. L’un des rôles les plus dramatiques, ce fut dans le téléfilm "René Bousquet ou le Grand Arrangement", de Laurent Heynemann, diffusé sur Arte le 16 novembre 2007, où il était René Bousquet lui-même.

    Restons au cinéma. Les vingt et un films qui ont obtenu le plus de succès, et dans lesquels il a participé, ont eu 65 millions d’entrées rien qu’en France ! Difficile de passer inaperçu, même dans un rôle mineur et discret.

    Et le premier d’entre eux (12,3 millions d’entrées dans le monde, dont 9 en France), le film qui lui a fait d’ailleurs obtenir à juste titre le César du meilleur acteur pour le second rôle masculin en 1999, ce fut "Le Dîner de cons", excellent film-pièce de Francis Veber (sorti le 15 avril 1998) où Daniel Prévost a été au sommet de son art de montrer son sourire sadique tout en ne "punissant" pas. Il est en effet l’inspecteur des impôts, vantard mais cocu, venu aider un copain chez un grand bourgeois, et qui détecte tout de suite, dans le grand appartement, les tableaux rangés, les meubles luxueux cachés, mais qui est trop déprimé pour prendre plaisir à sévir… Dans son rôle de véritable "enfoiré", il est vraiment excellent, plus que les autres personnages, je trouve, même que Jacques Villeret qui a lui aussi obtenu un César pour son premier rôle dans ce film.

    Voici quelques autres rôles intéressants de Daniel Prévost dans le cinéma français…

    Dans "Uranus" de Claude Berri (sorti le 12 décembre 1990), avec Gérard Depardieu, Jean-Pierre Marielle, Michel Blanc, Philippe Noiret, Michel Galabru, Fabrice Luchini, etc., film pour lequel il a été sélection à la cérémonie des Césars, Daniel Prévost joue le cheminot communiste qui dénonce (injustement) un cafetier de cacher un ancien collabo après la Libération.

    Dans "Astérix et Obélix contre César" de Claude Zidi (sorti le 3 février 1999), qui est la première adaptation cinématographique de la célèbre bande dessinée Astérix, Daniel Prévost joue Prolix, le charlatan qui se fait passer pour un devin, exploitant la crédulité des villageois.

    Dans "La vérité si je mens ! 2" de Thomas Gilou (sorti le 2001), Daniel Prévost est le méchant directeur des achats d’une grande surface qui tente de profiter de sa position dominante pour étouffer les petits producteurs (et qui se fait finalement duper par eux, la morale est sauve).

    Dans "Les Petits Ruisseaux" de Paul Rabaté (sorti le 23 juin 2010), avec Gilbert Melki, Gad Elmaleh, Bruno Solo, Richard Anconina et José Garcia, Daniel Prévost, qui a le rôle principal, joue un vieux pépère veuf qui se réveille à la vie grâce à un voisin et qui finit par fréquenter des hippies.

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    Dans "Je sais rien, mais je dirai tout" de Pierre Richard (sorti le 6 décembre 1973), satire antimilitariste avec Pierre Richard, Bernard Blier et Luis Rego, Daniel Prévost joue un policier (dont le patron est Pierre Tornade).

    Dans "La Maison du bonheur" de Dany Boon (sorti le 7 juin 2006), avec Michèle Laroque, Line Renaud, Laurent Gamelon et Michel Vuillermoz, Daniel Prévost joue un rôle ordinaire pour lui, celui ici de l’escroc cynique, un agent immobilier véreux qui cherche à duper un acquéreur de maison surendetté.

    Dans "Le Petit Nicolas" (sorti le 30 septembre 2009) et "Les Vacances du Petit Nicolas" (sorti le 9 juillet 2014), tous les deux de Laurent Tirard, adaptation du célèbre personnage de René Goscinny et Sempé, avec Valérie Lemercier, Kad Merad, Sandrine Kiberlain, Anémone, etc., Daniel Prévost joue le rôle de Mouchebourne, le patron du père du Petit Nicolas.

    Dans "Le plus beau métier du monde" de Gérard Lauzier (sorti le 11 décembre 1996), Daniel Prévost campe le voisin épieur et lâche, dans une cité HLM, de Gérard Depardieu, devenu prof de banlieue difficile après un divorce.

    Enfin, je termine par "Musée haut, musée bas" de Jean-Michel Rives (sorti le 19 novembre 2008), avec Isabelle Carré, Pierre Arditi, Michel Blanc et Gérard Jugnot, film assez déconcertant et intéressant, composé de beaucoup de sketchs, où Daniel Prévost est à la recherche d’une place de parking.

    Dans "On est pas couché" le 28 avril 2018 sur France 2, Daniel Prévost faisait de l’amour son hymne à la vie en disant à Laurent Ruquier : « Depuis le début de la vie, tout le monde cherche l’amour (…). Le chien, l’homme, la femme, tout le monde cherche quelque chose. Pourquoi ? Parce que je pense que sans amour, on s’emmerde. Sans amour, il n’y a rien, il n’y a pas de vie (…). Je ne peux pas croire une fois que quelqu’un qui est seul soit heureux, tu vois ce que je veux dire… ».

    Paroles d’autant plus fortes qu’il est lui-même veuf. Paroles qui accompagnent son dernier livre qui parle de la mort de sa femme ("Tu ne sauras jamais combien je t’aime" éd. Le Cherche Midi, 2018) : « Je rumine des pensées, des points de vue : après tout, c’est un chagrin ordinaire, chaque être humain est passé par là, moi-même n’ai-je pas déjà éprouvé des deuils dans ma famille, parmi mes proches (…) ? Et tous ces morts autour, tous les morts du monde que je ne connais pas ? C’est trop ! J’arrête. Non ! Pas elle, pas Kirsten ! Pas besoin d’être raisonnable. Cela ne m’est d’aucun secours. »


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (27 octobre 2019)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Daniel Prévost.
    Coluche.
    Sim.
    Élie Kakou.
    Pierre Desproges.
    Thierry Le Luron.
    Pierre Dac.

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    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241020-daniel-prevost.html

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/20/article-sr-20241020-daniel-prevost.html





  • Où en est la campagne présidentielle de Kamala Harris ?

    « Kamala Harris est prête à faire le boulot ! » (Barack Obama, le 10 octobre 2024 à Pittsburgh).



     

     
     


    L'année 2024 sera-t-elle celle de Kamala Harris ? À deux semaines et demi du scrutin, le 5 novembre 2024, les sondages donnent une totale incertitude et gare aux pronostiqueurs ! Ce dimanche 20 octobre 2024, Kamala Harris fête son 60e anniversaire. Elle n'est plus toute jeune, donc, pas quadragénaire comme John Kennedy, Bill Clinton ou Barack Obama à leur élection à la Maison-Blanche, mais loin aussi d'être une vieillarde, proche d'être octogénaire comme son redoutable rival Donald Trump. La soixantaine, c'est l'expérience avec encore le dynamisme.

    Kamala Harris porte cette double ambiguïté dans sa propre candidature. D'abord, certains électeurs démocrates regrettent qu'elle n'ait pas été désignée selon des primaires normales. Elle n'est qu'un plan B après la défection de Joe Biden, si bien qu'elle n'a pas su passer cette épreuve du feu, celle des primaires pendant le premier semestre, qui épuise mais aussi qui révèle. Ensuite, celle qui est à la fois une femme, une fille de deux immigrés, une afro-asiatico-américaine (je ne sais pas comment on le dit), bref, elle présente deux caractères de la "diversité" (comme on dit un peu pompeusement) qui seraient plutôt l'apanage, chez les démocrates, de l'aile gauche... alors qu'elle, elle est plutôt de l'aile centriste, celle des raisonnables, celle qui est prête à accueillir les électeurs républicains déboussolés par un Donald Trump vraiment inclassable et impayable.

    Après l'abandon de Joe Biden, Kamala Harris a lancé
    sa candidature avec force. Elle a su faire l'union de son parti, le parti démocrate, autour de son nom et ce n'était pas gagné, mais l'urgence d'investir un candidat sérieux et son expérience de 49e Vice-Présidente des États-Unis depuis le 20 janvier 2021 ont fait la différence, la rendre incontournable. Surtout, elle qui était si discrète, elle a révélé une capacité de faire campagne inimaginable. L'apothéose fut bien sûr la Convention nationale démocrate à Chicago en août 2024, mais c'était prévisible quel que soit le candidat, c'est le rôle des conventions.
     

     
     


    Son premier (et unique) débat télévisé avec Donald Trump, le 10 septembre 2024, a montré qu'elle savait débattre, répondre par des arguments, faire à l'occasion sa procureure, son métier d'origine, pour affronter ce repris de justice qu'est le milliardaire Donald Trump qui, paradoxalement, trouve le cœur de son électorat dans les classes populaires. Kamala Harris a tellement gagné ce débat télévisé que son contradicteur, mauvais joueur comme d'habitude, a fustigé ce débat "truqué", selon lui, et a annoncé qu'il refuserait de débattre à nouveau avec elle.
     

     
     


    Cette belle mécanique de Kamala Harris, qui a réussi à rendre désormais possible et réaliste l'arrivée d'une femme à la Maison-Blanche, s'est un peu grippée depuis un mois. Certes, la fin de l'été a permis aux démocrates de rattraper leur retard sur Donald Trump, principalement basé sur l'âge de Joe Biden dont la perspective de réélection devenait de moins en moins raisonnable au fil des gaffes et des bourdes. Mais depuis un mois, la campagne s'enlise, dans les deux camps. Ni l'un ni l'autre ne s'échappe dans les sondages, et surtout, aucun événement, ni les événements extérieurs (la guerre que mène Israël contre le Hamas et le Hezbollah, par exemple), ni aucun événement intérieur (comme les tentatives d'assassinat contre Donald Trump ou les dossiers compromettant Donald Trump sur son rôle dans l'invasion du Capitole le 6 janvier 2021) ne semblent avoir de prise ou d'influence sur les intentions de vote des deux candidats. Les intentions de vote semblent figées, comme s'il s'agissait d'une guerre de positions, comme la guerre en 1939. La campagne ne consiste donc pas à vouloir changer les convictions des convaincus, mais à convaincre les hésitants.

    Alors, attention à la Bliztkrieg ! Donald Trump, qui est généreux en coups politiques de dernière minute, n'hésitera pas à faire le tout pour le tout pour gagner son ultime combat (il a déjà annoncé qu'il ne serait pas candidat en 2028, il aurait 82 ans !). Dans le camp démocrate, on a peur que Kamala Harris n'attire pas l'électorat populaire (d'où son colistier Tim Walz, d'origine populaire). Elle est de Californie, et parle aux intellos, à l'etablishment de Washington, mais c'est l'électorat populaire, les classes peu aisées, qu'il s'agit de convaincre.

     

     
     


    Comme d'habitude, Donald Trump, dont les meetings sont devenus de plus en plus n'importe quoi (il a dansé plusieurs dizaines minutes sur de la musique des années 1970 et 1980 au lieu de parler), a ironisé sur sa rivale lors du dîner annuel de la Fondation Alfred E. Smith le 17 octobre 2024 à New York en assurant que Kamala Harris « peut à peine parler et enchaîner deux phrases cohérentes » et qu'elle « a les facultés mentales d'un enfant et n'a aucune intelligence » (cela fait un peu propos de cour de récréation d'une école primaire).

    De son côté, Kamala Harris ne manie pas de meilleurs arguments. Ainsi, en campagne dans le Michigan ce vendredi 18 octobre 2024, elle a insisté sur l'âge et la fatigue de Donald Trump : « Être Président des États-Unis est probablement l’un des emplois les plus difficiles au monde et nous devons vraiment nous demander : s’il est épuisé par la campagne, est-il apte à faire ce travail ? ».

    C'est vrai aussi que Kamala Harris a raté certaines occasions de faire campagne. Ainsi, lors du passage du terrible ouragan Milton, qui a provoqué le 11 octobre 2024 en Floride la mort d'au moins seize personnes et des dégâts d'au moins 50 milliards de dollars (le gouverneur républicain Ron DeSantis a déclaré : « Nous n'avons pas connu le pire scénario, mais nous avons été touchés. »), Donald Trump s'est rendu sur place et a annoncé qu'il demanderait à son ami milliardaire
    Elon Musk de rétablir la situation en attendant que les services de l'État arrivent. Son adversaire Kamala Harris n'est même pas venue sur place, retenue à un autre endroit du pays pour sa campagne.
     

     
     


    Le système politique américain, dont l'origine est multiséculaire, et qui, à l'époque, avait ses raisons historiques, est tel que ce n'est pas le vote populaire qui fait emporter l'élection (sinon, Kamala Harris serait assurée d'être élue, et Hillary Clinton aurait été élue), mais l'élection des délégués. Ces grands électeurs sont élus par États, et à l'exception du Maine (4 grandes électeurs) et du Nebraska (5 grands électeurs), la majorité simple des voix dans un État fait remporter la totalité des délégués de cet État (le nombre de délégués dans un État est proportionnel à sa population). Cela signifie que si un candidat obtient 55% dans un des 48 autres États, il est sûr de remporter la totalité des délégués de cet État et n'a pas intérêt à avoir 70% puisqu'il a déjà 100% des délégués.
     

     
     


    Si bien que les États où le vainqueur est sans incertitude ne font pas l'objet d'une grande campagne des candidats, alors qu'il existe des États que j'appellerai tangents, qu'on appelle aussi États pivots ("Swing States"), qui, même s'ils ont peu de délégués, présentent un enjeu crucial pour l'issue de l'élection. Ces États, en 2024, sont au nombre de sept : la Pennsylvanie (16 grands électeurs), la Géorgie (16), la Caroline du Nord (16), le Michigan (15), l'Arizona (11), le Wisconsin (10) et le Nevada (6). Or, lors de l'élection précédente du 3 novembre 2020 qui a vu la victoire du démocrate Joe Biden, les démocrates étaient majoritaires dans tous ces États sauf la Caroline du Nord. Dans ces États (en particulier la Géorgie et la Caroline du Nord), il y a une véritable envolée de participation dans les votes anticipés, pour ceux qui peuvent déjà voter (cela dépend de chaque État). Au 18 octobre 2024, plus de 10,7 millions de votes ont déjà été faits dans tout le pays, selon l'Election Lab de l'Université de Floride, ce qui est énorme (pour certains États, c'était le jour ou le lendemain de l'ouverture du scrutin).
     

     
     


    Les sondages au 18 octobre 2024 donnent une grande incertitude et laisse un léger avantage à Donald Trump, avec une dynamique récente pour ces États, même si les calculs de moyenne de sondages pour ces États clefs ne donnent pas forcément les mêmes résultats (par exemple, entre "Le Monde" et le site RealClearPolitics).
     

     
     


    C'est bien entendu vers ces États que tous les efforts de campagne sont faits dans les deux camps. Ainsi, l'ancien Président Barack Obama est entré en campagne le 10 octobre 2024 à Pittsburgh, dans un gymnase plein et enthousiaste, en Pennsylvanie, pour soutenir activement Kamala Harris (sans sa présence car elle était à Las Vegas) et surtout, condamner Donald Trump qui fut son successeur direct : « Ce que je n'arrive pas à comprendre, c'est que quiconque puisse croire que Donald Trump va bouleverser les choses d'une manière qui soit bonne pour vous. (…) Nous n'avons pas besoin de quatre années supplémentaires d'arrogance, de maladresses, de fanfaronnades et de divisions. (…) Ne huez pas ! Votez ! ». Il ne faut pas croire que ses arguments volent plus haut que les autres : pour montrer qu'il ne connaissait pas la vie quotidienne des Américains, Barack Obama, père de famille, a assuré que Donald Trump n'avait jamais manié de couches-culottes... laissant à l'assistance le soin de crier : si, les siennes !
     

     
     


    Cette semaine, Barack Obama a fait campagne dans l'Arizona et le Nevada, et ira la semaine prochaine dans le Wisconsin et le Michigan. Il fera un meeting commun avec Kamala Harris le 24 octobre 2024 en Géorgie. Quant à son épouse Michelle Obama, elle sera avec Kamala Harris dans un meeting commun le 26 octobre 2024 dans le Michigan. Elle fera aussi campagne pour Kamala Harris le 29 octobre 2024 à Atlanta, en Géorgie. Le couple Obama, et en particulier Michelle Obama, est très populaire dans l'électorat démocrate et leur implication totale dans la campagne de Kamala Harris vise à mobiliser au mieux cet électorat acquis aux candidats démocrates mais qui risquerait de s'abstenir par déception, désillusion ou indifférence.

    Plus qu'en 2000, en 2016 et en 2020, jamais une élection présidentielle n'a été aussi incertaine aussi longtemps que celle de 2024. Kamala Harris pourra peut-être gagner, mais dans tous les cas, le trumpisme restera un phénomène de société insolite et, surtout, durable.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (19 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Où en est la campagne présidentielle de Kamala Harris ?
    Jimmy Carter.
    Lauren Bacall.
    Maurice Jarre.
    Bill Clinton.
    Vera Miles.
    Les Yes-She-Can de Barack Obama !
    Kamala Harris sera-t-elle la première femme Présidente des États-Unis ?
    USA 2024 : Joe Biden se retire et soutient Kamala Harris !
    Donald Trump victime d'une tentative d'assassinat.
    Les 80 ans du Débarquement en Normandie.
    Ronald Reagan.
    Triste Trump (hic) !
    Paul Auster.
    Standard & Poor's.
    Moody's et Fitch.
    Les 75 ans de l'OTAN.
    Lee Marvin.
    Les 20 ans de Facebook.
    Bernard Madoff.
    La crise financière mondiale de 2008.

    La boîte quantique.
    Maria Callas.
    Henry Kissinger.
    Alexander Haig.
    Katalin Kariko et Drew Weissman.
    Rosalynn Carter.
    Walter Mondale.
    Marathonman.
    Bob Kennedy.






    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241020-kamala-harris.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/ou-en-est-la-campagne-257267

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/18/article-sr-20241020-kamala-harris.html



     

  • Pourquoi a-t-on assassiné le père Popieluszko ?

    « Je voudrais rappeler une autre figure : celle du père Jerzy Popieluszko, prêtre et martyr, qui a été proclamé bienheureux dimanche dernier précisément, à Varsovie. Il a exercé son ministère généreux et courageux aux côtés de ceux qui s'engageaient pour la liberté, pour la défense de la vie et sa dignité. Son œuvre au service du bien et de la vérité était un signe de contradiction pour le régime qui gouvernait alors en Pologne. (…) Si nous considérons l'histoire, nous voyons combien de pages d'authentique renouveau spirituel et social ont été écrites avec l'apport décisif de prêtres catholiques, animés uniquement par la passion pour l'Évangile et pour l'homme, pour sa véritable liberté, religieuse et civile. Combien d'initiatives de promotion humaine intégrale sont parties de l'intuition d'un cœur sacerdotal ! » (Benoît XVI, le 13 juin 2010 à Saint-Pierre de Rome).




     

     
     


    Il y a quarante ans, le 19 octobre 1984, il a été enlevé et assassiné. Quelques jours plus tard, le peuple polonais découvrait avec horreur le corps torturé et assassiné du père Jerzy Popieluszko à Wloclawek. Il venait d'avoir 37 ans (il est né le 14 septembre 1947 à Okopy d'une modeste famille de paysans).

    Après des études au grand séminaire de Varsovie et un service militaire très difficile à cause des persécutions contre les prêtres, Jerzy Popieluszko a été ordonné prêtre le 28 mai 1972 par le cardinal Stefan Wyszynski, archevêque de Varsovie qu'il admirait beaucoup (et qui a failli être élu pape en 1978 à la place de l'archevêque de Cracovie, finalement préféré parce que beaucoup plus jeune).

    Après avoir eu beaucoup d'activités comme prêtre, notamment aumônier dans le secteur des personnels médicaux, le père Popieluszko, à sa demande (acceptée par Mgr Wyszynski), est parti le 31 août 1980 auprès d'ouvriers en grève et a dit la messe pour les contestataires de Solidarnosc. Après
    l'état de siège décrété le 13 décembre 1981 par le général Jaruzelski, le père Popieluszko est venu en aide auprès des personnes emprisonnées membre de Solidarnosc. Il est devenu très rapidement l'une des personnalités qui défiaient le pouvoir communiste en place. Il a organisé tout un réseau de financement d'aides qui permettaient de soigner les opposants internés.
     

     
     


    Ses homélies, ses messes entre 1981 et 1984 ont été des façons de s'opposer à la dictature. Il faisait en sorte que ses homélies puissent être comprises de tout le monde et, avant de les prononcer, les faisait relire par des ouvriers pour savoir si elles étaient compréhensibles. Avec sa notoriété nationale, il a participé au renouveau de la foi en Pologne (beaucoup de conversions et de nouvelles vocations sacerdotales). Beaucoup de gens voyaient dans l'Église catholique la seule institution capable de résister à la dictature communiste. Le 19 mai 1983, il a dit la messe très suivie de l'enterrement de l'étudiant Grzegorz Przemyk, assassiné par la milice.

    À partir de 1982, le père Popieluszko était surveillé, et aussi diffamé, persécuté, sa famille également. On demandait à sa hiérarchie catholique de le faire taire, qu'il arrêtât ses activités de soutien à l'opposition, il a été plusieurs fois interrogé par la police pour abus de la liberté du culte en période de loi martiale. Il y a eu parfois des événements graves contre lui, comme l'envoi d'engins explosifs dans son appartement, etc.

    Jerzy Popieluszko était soutenu discrètement par le pape
    Jean-Paul II par l'intermédiaire de Mgr Zbigniew Kraszewski, évêque auxiliaire de Varsovie et confesseur de Lech Walesa. Mais cela devenait de plus en plus dangereux pour lui. Ses amis ont demandé en juillet 1984 au cardinal Jozef Glemp, nouvel archevêque de Varsovie, de l'envoyer faire des études à Rome afin de l'écarter de la Pologne, mais Jerzy Popieluszko ne voulait pas quitter la Pologne et les Polonaiss et Mgr Jozef Glemp a expliqué a posteriori qu'il ne voulait pas le forcer à aller à Rome.
     

     
     


    Suivi dès le 7 octobre 1984, le père Popieluszko a failli être assassiné le 14 octobre 1984. Ce fut lors de la seconde tentative le 19 octobre 1984 qu'il a perdu la vie : sa voiture a été arrêtée par la police, son chauffeur (ancien parachutiste) a réussi à s'enfuir mais le prêtre résistant a été enlevé, placé de force dans un coffre, et amené à Wloclamek. Torturé jusqu'à la mort, Jerzy Popieluszko a été jeté dans la Vistule.

    Son corps a été retrouvé un peu plus tard, le 30 octobre 1984, grâce aux indications des trois officiers de la police politique qui ont avoué l'assassinat. L'annonce de son assassinat a provoqué une forte émotion bien au-delà des frontières polonaises. Jerzy Popieluszko a été enterré le 3 novembre 1984 à l'église Saint-Stanislas de Varsovie en présence de plus de 500 000 personnes, renforçant ainsi l'audience de Solidarnosc. Depuis lors, plus de 18 millions de Polonais ont prié devant sa tombe installé dans la même église, y compris le pape Jean-Paul II qui s'est recueilli le 14 juin 1987 lors d'une visite pastorale.
     

     
     


    L'enquête judiciaire sur l'assassinat du prêtre a été bâclée. N'ont été mis en cause que les trois officiers des services secrets qui ont participé à l'opération et leur chef, mais pas les véritables commanditaires, dont probablement Czeslaw Kiszczak, le Ministre de l'Intérieur en fonction du 31 juillet 1981 au 6 juillet 1990. Le procès s'est déroulé du 27 décembre 1984 au 7 février 1985 et a été l'occasion surtout de faire le procès politique de la victime. Le procès a quand même abouti à la condamnation des quatre agents des services secrets (à vingt-cinq, quinze et quatorze années de réclusion criminelle) qui ont toutefois été libérés très tôt, entre 1990 et 2001. On a évoqué également la responsabilité du général Jaruzelski, qui souhaitait peut-être seulement faire de l'intimidation contre le prêtre. On ne saura probablement jamais qui a eu l'idée de cet assassinat.

    Le père Popieluszko n'a pas été le seul prêtre victime de la barbarie communiste. Un autre prêtre, de 39 ans, Sylvestre Zych, lui aussi sympathisant de Solidarnosc, a été retrouvé assassiné près de Gdansk le 12 juillet 1989 (peu avant
    l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement libre). On aurait retrouvé de l'alcool dans son sang comme ce fut le cas pour Jerzy Popieluszko, ainsi que des traces de piqûres par seringue. En 1982, il avait été condamné à six ans de prison pour complicité supposée dans le meurtre d'un policier et avait été libéré en 1986 au titre d'une mesure de clémence qui avait aussi réduit la peine de trois des quatre assassins du père Popieluszko.
     

     
     


    Faisant suite au procès en béatification ouvert en 1997 par Jean-Paul II, son successeur Benoît XVI a donné son accord le 19 décembre 2009 à la béatification de Jerzy Popieluszko, considéré comme un martyr de la foi, qui a été célébrée le 6 juin 2010 à Varsovie par l'archevêque Angelo Amato au cours d'une grand-messe concélébrée par cent vingt évêques et plus de mille prêtres, en présence de 150 000 fidèles dont la mère du prêtre (90 ans), ses frères et sœur, et l'ancien Président de la République Lech Walesa.

    Au fait, pourquoi a-t-il été assassiné ? Simplement parce qu'il refusait de se soumettre à la dictature communiste. Mais on ne saura probablement jamais les conditions exactes de son assassinat. Le père Popieluszko aura été l'un des rares "héros" emblématiques qui ont soutenu activement la résistance pacifique qui a permis la libéralisation de la Pologne du joug communiste (et par là même, la libéralisation de l'Europe centrale et orientale), avec le leader du syndicat Solidarnosc Lech Walesa, le pape Jean-Paul II, le premier Premier Ministre non communiste de la Pologne d'après-guerre
    Tadeusz Masowiecki et l'intellectuel Bronislaw Geremek. Les dernières paroles publiques du père Popieluszko furent : « Prions pour être libérés de la peur, de l’intimidation, mais surtout de la soif de vengeance et de violence. ». Cette prière reste encore valable de nos jours dans beaucoup d'endroits du monde.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (12 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Pourquoi a-t-on assassiné le père Popieluszko ?
    Le proeuropéen Donald Tusk redevient chef du gouvernement polonais.
    Législatives en Pologne du 15 octobre 2023 : grande victoire de l'Europe !
    Législatives en Pologne du 18 juin 1989.
    Lech Walesa.
    Donald Tusk.
    Tragique accident d’avion près de Katyn.
    Wojciech Jaruzelski.

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241019-popieluszko.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/pourquoi-a-t-on-assassine-le-pere-256346

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/18/article-sr-20241019-popieluszko.html