Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

histoire - Page 4

  • 3 ans de guerre en Ukraine

    « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. (…) Et nous voyons maintenant que l’abîme de l’histoire est assez grand pour tout le monde. Nous sentons qu’une civilisation a la même fragilité qu’une vie. (…) Ce n’est pas tout. La brûlante leçon est plus complète encore. (…) Tant d’horreurs n’auraient pas été possibles sans tant de vertus. Il a fallu, sans doute, beaucoup de science pour tuer tant d’hommes, dissiper tant de biens, anéantir tant de villes en si peu de temps ; mais il a fallu non moins de qualités morales. Savoir et Devoir, vous êtes donc suspects ? » (Paul Valéry, 1919).



     

     
     


    Le lundi 24 février 2025, cela fera trois ans que l'Ukraine est en guerre. Il faut bien comprendre que l'Ukraine est un pays similaire à d'autres pays en Europe, Kiev est comme Bucarest, Varsovie, Prague, Berlin, Madrid ou Paris, une grande capitale européenne avec beaucoup d'activité économique, culturelle, touristique.

    Il faut imaginer que l'Ukraine ressemble aujourd'hui, dans sa partie est, au même enfer que le front du nord-est de la France pendant la Première Guerre mondiale. On peut faire le même parallèle. Les soldats russes, en envahissant l'Ukraine par le nord, depuis la frontière biélorusse, étaient comme nos Poilus d'août 1914 ; ils pensaient que leur expédition durerait quelques semaines, peut-être deux ou trois mois, et qu'ils reviendraient victorieux dans leur chaumière, la guerre finie. Pour l'Ukraine, c'est sans doute pire, car l'autocrate de Moscou comptait remporter la victoire en quelques jours, comme les troupes soviétiques avaient réussi à mettre sous contrôle la Tchécoslovaquie en 1968 ou la Hongrie en 1956. C'est-à-dire sans combat réel.

    Les centaines de milliers de morts du côté russe comme du côté ukrainien sont de la responsabilité unique d'un homme, Vladimir Poutine, va-t-en-guerre nationaliste qui, pour réaliser la Grande Russie, n'a pas hésité tant à tuer cette multitude de personnes qu'à remettre en cause les règles élémentaires du droit international, et cela dès mars 2014 et l'annexion de la Crimée.


     

     
     


    Ni l'Ukraine qui ne demandait qu'à être libre de décider son destin comme elle l'entend, ni l'OTAN qui n'était pas présente en Ukraine, ne constituaient une menace pour la Russie sauf dans le cerveau paranoïaque de Vladimir Poutine. Du reste, on a bien vu que la situation de la Russie est moins favorable aujourd'hui qu'hier car la tentative d'invasion de l'Ukraine a poussé la Finlande et la Suède à adhérer immédiatement à l'OTAN, alors que ces deux pays voulaient rester neutres (mais ils ont maintenant peur d'être envahis par la Russie). Si la prétendue opération militaire spéciale avait pour but de réduire les menaces avec l'OTAN, elle a été fortement contre-productive, d'autant plus qu'elle a fait exploser le patient travail de crédibilité internationale qu'avait pourtant réalisé Vladimir Poutine depuis son arrivée au pouvoir en 2000 pour la Russie.

    Il faut saluer la résistance extraordinaire des Ukrainiens qui ont refusé de subir la décision de Vladimir Poutine, et en particulier de leur Président de la République Volodymyr Zelensky qui, par son courage et sa détermination, a maintenu la continuité de la nation ukrainienne. Contrairement à ce qui est proclamé par les désinformateurs professionnels qui n'abusent personne, même en fin de mandat, Volodymyr Zelensky est légitime car l'état de guerre du pays empêche constitutionnellement l'organisation d'élections libres et sincères. D'ailleurs, la question se poserait de définir correctement la liste électorale, si les habitants par exemple d'une zone annexée unilatéralement par la Russie mais encore sous contrôle militaire de l'Ukraine pourraient voter ou pas, etc.

    Ce que certains courants politiques en Europe refusent volontairement de comprendre, c'est que la guerre en Ukraine concerne toute l'Europe, nous concerne, et le risque d'extension de la guerre par Vladimir Poutine est réel dès lors qu'il a évoqué la Grande Russie : les États baltes, la Roumanie, la Pologne, et bien sûr la Moldavie et la Géorgie dont le malheur commun est de ne pas appartenir à l'Union Européenne, sont sous la menace de nouvelles invasions poutiniennes.


    Jusqu'à maintenant, l'allié américain était au rendez-vous de l'histoire et a aidé l'Europe dans sa défense, trop conscient de l'intérêt stratégique à protéger ses alliés les plus fidèles. Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche il y a juste un mois a considérablement changé la donne du continent européen.

     

     
     


    D'une part, Donald Trump ne connaît que le langage de l'argent : si à court terme, il en fera profiter le peuple américain, ce qui reste à démontrer (l'augmentation des taxes douanières, c'est les consommateurs américains qui paieront !), à long terme, c'est une hérésie stratégique de se mettre à dos ses alliés les plus proches en valeurs. La dernière sortie de Donald Trump contre Volodymyr Zelensky sous prétexte qu'il a refusé de brader ses minerais précieux est particulièrement inquiétante dans la mesure où le Président américain serait prêt à aller jusqu'au bout de son chantage pécuniaire et à pactiser avec le tyran russe.

    D'autre part, ce retournement des États-Unis qui voudraient négocier avec la Russie sans l'Ukraine et sans l'Europe est également très inquiétant. Il nous rappelle que rien n'est jamais immuable et que rien n'est jamais acquis dans les relations internationales, et ce sont les naïfs les premières victimes.
     

     
     


    Cette instabilité internationale pourrait, je l'espère, provoquer une réaction salutaire, une sorte d'électrochoc dont seulement deux issues sont possibles : ou la mort, ou le réveil vers une Europe totalement indépendante des États-Unis, c'est-à-dire avant tout militairement indépendante des États-Unis.

    Cela signifierait que la France est un pays crucial dans cette optique. Seul pays à disposer d''armes de dissuasion nucléaire à l'intérieur de l'Union Européenne, il est bien sûr la cible privilégiée de Vladimir Poutine qui n'a jamais cessé d'inonder la France de manipulateurs, désinformateurs, etc.

    Et la France, consciente de cet état de fait, a su prendre ses responsabilités. On avait ironisé sur Emmanuel Macron lorsqu'il avait cherché à négocier, avant la guerre, avec Vladimir Poutine jusqu'à être reçu au Kremlin autour d'une immense table, tellement caricaturale qu'un auteur de romans aurait été incapable d'imaginer une telle situation. Aujourd'hui, on commence à se dire qu'Emmanuel Macron avait eu raison de quand même tenter la méthode diplomatique avant l'invasion de l'Ukraine par les troupes russes. À l'instar de Jacques Chirac cherchant à dissuader les Américains d'envahir l'Irak en 2003-2004. En vain.

     

     
     


    Emmanuel Macron n'a jamais failli à ses responsabilités diplomatiques et militaires et c'est l'honneur de la France. La réunion décidée très rapidement des Européens autour d'Emmanuel Macron à l'Élysée le lundi 17 février 2025 a montré une évidente réactivité européenne face à une collusion possible entre Vladimir Poutine et Donald Trump.

    En France, les trolls pro-Poutine qui submergent les réseaux sociaux et le Web participatif de la parole du Kremlin depuis une vingtaine d'années, dont la motivation est anti-américaine par excellence, vont devoir changer radicalement leur mode de pensée avec la complicité d'un Donald Trump qui ne voudrait batailler que contre la Chine, si possible seulement économiquement.


    Et l'Europe dans tout ça ? Il n'y pas de mystère, il n'y a qu'une seule décision que chaque État européen doit prendre pour résister aux enragements guerriers de Vladimir Poutine et à l'abandon lâche et vénal des États-Unis : il faut que chaque nation investisse massivement dans sa défense militaire, qu'il engage au moins 5% de son PIB pour son armée et son armement. C'est la seule réponse admissible, la seule qui peut être efficace pour engager un rapport de force avec un autocrate qui ne connaît que cette logique : combien de canons ? combien de divisions ?

    Bien entendu, dépenser beaucoup plus en défense signifie réduire drastiquement d'autres budgets, et le seul budget qu'on peut réduire de manière drastique, en France, c'est celui des aides sociales, quelles qu'elles soient. Voulons-nous exister en tant que nation indépendante ou acceptons-nous de couler avec nos 35 heures, notre énième semaine de congé, avec notre retraite par répartition complètement déficitaire, etc. ? Elle est là la réforme de l'État : réaffecter les enveloppes budgétaires pour être sérieusement défendus par nos armées, tant de manière conventionnelle qu'avec la dissuasion nucléaire (qui ne suffit pas seule à défendre le pays).
     

     
     


    On aurait pu penser que la classe politique française, inquiète de la situation internationale, propose des solutions, qui pourraient se résumer à du sang et des larmes. Eh bien, pas du tout. Au contraire, depuis l'été 2024, c'est à celui qui rasera le plus gratis, c'est à celui qui promettra le plus de clientélisme, avec une solution miracle, on taxe les riches, ce qui aura pour effet de taxer tout le monde (on est toujours le riche de quelqu'un), et pour autre effet de repousser à l'extérieur de la communauté nationale les vrais riches qui créent de la valeur ajoutée et qui ont les moyens de se délocaliser.

    Il suffit de regarder le débat politique ultrapauvre de ces derniers jours. Un jour, les socialistes, en pleine perspective de congrès interne, déposent une motion de censure pour dire qu'ils sont dans l'opposition tout en faisant attention qu'elle ne soit pas vraiment adoptée car il ne faut pas exagérer, juste pour un mot prononcé par le Premier Ministre. Jeu de rôles mortifère pour un observateur étranger. Un autre jour, un potentiel candidat à l'élection présidentielle, habitué à la teinte de cheveux... mais en gris !, au lieu de présenter aux Français ses vues sur l'état du monde, sa vision géostratégique pour la France, ne cherche qu'à opposer les uns aux autres juste pour prendre un éventuel avantage sur un ministre dans la même course à l'échalote. Niveau zéro de la vie politique. Dire que ces deux partis représentaient les deux tiers de l'électorat il y a encore une dizaine d'années !

    Bref, on n'est dans une situation pire que celle du Front populaire qui imaginait des congés payés, des augmentations, des loisirs, alors que Hitler remilitarisait à outrance l'Allemagne. Il y a un côté hors-sol des Français, j'écris bien des Français et pas seulement de leur classe politique qui ne fait que répondre aux désirs des électeurs par sondages interposés.


     

     
     


    Le réveil, si réveil il y a (on peut mourir sans s'être réveillé), va être bien lourd à assumer. Tant pour les responsables politiques que pour les Français eux-mêmes. Rappelez-vous, en 1918, cela devait être la der des der.

    Dans "La Crise de l'esprit", publié en 1919, Paul Valéry poursuivait : « Un frisson extraordinaire a couru la moelle de l’Europe. Elle a senti, par tous ses noyaux pensants, qu’elle ne se reconnaissait plus, qu’elle cessait de se ressembler, qu’elle allait perdre conscience (…). Et dans le même désordre mental, à l’appel de la même angoisse, l’Europe cultivée a subi la reviviscence rapide de ses innombrables pensées : dogmes, philosophies, idéaux hétérogènes ; les trois cents manières d’expliquer le Monde, les mille et une nuances du christianisme, les deux douzaines de positivismes : tout le spectre de la lumière intellectuelle a étalé ses couleurs incompatibles, éclairant d’une étrange lueur contradictoire l’agonie de l’âme européenne. Tandis que les inventeurs cherchaient fiévreusement dans leurs images, dans les annales des guerres d’autrefois, les moyens de se défaire des fils de fer barbelés, de déjouer les sous-marins ou de paralyser les vols des avions, l’âme invoquait à la fois toutes les puissances transcendantes, prononçait toutes les incantations qu’elle savait, considérait sérieusement les plus bizarres prophéties ; elle se cherchait des refuges, des indices, des consolations dans le registre entier des souvenirs, des actes antérieurs, des attitudes ancestrales. Et ce sont là les produits connus de l’anxiété, les entreprises désordonnées du cerveau qui court du réel au cauchemar et retourne du cauchemar au réel, affolé comme le rat tombé dans la trappe… ».



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (21 février 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    3 ans de guerre en Ukraine.
    Zelensky : Poutine, c'est l'anti-Europe !
    L'aide de la France à l'Ukraine le 6 juin 2024.
    Emmanuel Macron très gaullien à la télévision pour expliquer la gravité de la situation en Ukraine.
    Débat parlementaire sur l'Ukraine : les masques tombent en France !
    Ukraine : Sophia Aram traite à la sulfateuse les néopacifistes à la notoriété déclinante !
    L'Europe face à Poutine.
    Ukraine : Emmanuel Macron est-il un va-t-en-guerre ?
    Rapport de la commission d'enquête n°1311 de l'Assemblée Nationale relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères (enregistré le 1er juin 2023).
    Jean-Pierre Chevènement et ses relations avec la Russie.
    François Fillon et ses relations avec la Russie.
    Ukraine : Gabriel Attal attaque durement le RN et Marine Le Pen !
    Soutien à l'Ukraine : la conférence de l'Élysée pour une défense européenne.
    Conférence de presse du Président Emmanuel Macron lors de la Conférence de soutien à l'Ukraine le 26 février 2024 à l'Élysée (vidéos).
    2 ans de guerre en Ukraine : Poutine zéro en histoire !
    Amitié franco-ukrainienne : fake news et accord de coopération.
    Lee Marvin, les Douze Salopards et la Russie.
    La France Unie soutient l'Ukraine !
    Condoléances cyniques.
    Mort d'Evgueni Prigojine.

    Sergueï Kirienko.
    Victoria Amelina.

    L'effondrement du pouvoir de Poutine.
    Putsch en Russie : faut-il sauver le soldat Poutine ?
    Poutine en état d'arrestation !
    Ukraine, un an après : "Chaque jour de guerre est le choix de Poutine".
    L'Ukraine à l'Europe : donnez-nous des ailes !
    Kherson libéré, mais menace nucléaire ?

    Volodymyr Zelensky demande l'adhésion accélérée de l'Ukraine à l'OTAN.
    6 mois de guerre en Ukraine en 7 dates.
    Les massacres de Boutcha.
    Le naufrage du croiseur russe Moskva.
    L’assassinat de Daria Douguina.
    Kiev le 16 juin 2022 : une journée d’unité européenne historique !
    L'avis de François Hollande.
    Les valeurs valent mieux que les bénéfices !
    Poutine paiera pour les morts et la destruction de l’Ukraine.
    Ukraine en guerre : coming out de la Grande Russie.
    Robert Ménard, l’immigration et l’émotion humanitaire.
    Ukraine en guerre : Emmanuel Macron sur tous les fronts.
    Nous Européens, nous sommes tous des Ukrainiens !


     

     
     



    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250223-ukraine.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/3-ans-de-guerre-en-ukraine-259373

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/02/17/article-sr-20250223-ukraine.html


    .

  • François-Xavier Ortoli, le Plan Calcul et l'Europe

    « François-Xavier Ortoli (1925–2007) représente une personnalité profondément originale au sein des élites politiques françaises de la deuxième moitié du XXe siècle. » (Éric Bussière et Pauline Massis Desmarest, 2016).




     

     
     


    Il y a 100 ans est né François-Xavier Ortoli à Ajaccio. Qui était-il ? Il était l'un des nombreux "barons" du gaullisme, très proche du Président Georges Pompidou. Haut fonctionnaire, député, ministre, chef d'entreprise, il a eu également une action très influente, pendant treize ans, en Europe.

    En raison de la profession de son père, François-Xavier Ortoli a passé toute son enfance en Indochine. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1944-1945, il s'est engagé dans la résistance contre les Japonais en Indochine, ce qui lui valu, entre autre, la croix de guerre et la médaille de la Résistance. Il a fait partie de la génération des derniers qui ont combattu pendant la guerre, Valéry Giscard d'Estaing s'est également engagé in extremis, bien qu'encore plus jeune d'un an (né le 2 février 1926).

    À la sortie de la guerre, François-Xavier Ortoli a suivi l'ENA (il a fait partie de la première promotion de l'ENA, aux côtés de Jacques Duhamel, Simon Nora, Yves Guéna et Alain Peyrefitte). Il en est sorti inspecteur des finances en avril 1948 et s'est destiné à la modernisation économique de la France d'après-guerre et à son insertion internationale (après l'ENA, il est entré à la DREE, Direction des relations économiques extérieures).

    Ce fut donc une carrière toute tracée de haut fonctionnaire qui l'attendait. Il a fait partie de ces jeunes résistants et technocrates qui ont accompagné le retour au pouvoir de De Gaulle dans les années 1960, sur lesquels le pouvoir gaulliste savait compter pour redresser la France dans son économie et son influence internationale. Comme beaucoup d'entre eux, François-Xavier Ortoli a franchi le pas du haut fonctionnaire à l'homme politique.

    Sous la Quatrième République, François-Xavier Ortoli a intégré plusieurs cabinets ministériels. En 1957, il a participé aux négociations qui aboutirent au Traité de Rome. Très brièvement, en janvier 1958, il a été chef de cabinet du commissaire européen Robert Lemaignen. Puis, de 1958 à 1961, il a été nommé par Robert Marjolin, Vice-Président de la Commission Européenne chargé de l'Économie et des Finances de 1958 à 1967, au sein de la technocratie européenne pour le début de l'application du Traité de Rome, en tant qu'influent directeur général du marché intérieur de la CEE. Il est devenu « l'un des chefs de file des hauts fonctionnaires européens de la Commission ».

    Au printemps 1961, il est retourné dans la haute administration française pour coordonner à l'échelon interministériel l'élaboration et le suivi de la politique européenne de la France, en tant que secrétaire général du comité interministériel pour les questions de coopération économique européenne (le même sujet mais vu du côté français) dépendant directement du Premier Ministre (à l'époque Michel Debré).

    Le point culminant de sa carrière administrative a été sans aucun doute les longues années où il travailla pour Georges Pompidou en étant son directeur de cabinet à Matignon de 1962 à 1966 (tout en cumulant son ancienne responsabilité, ce qui montrait l'importance qu'accordait Georges Pompidou aux questions européennes). Un poste stratégique, au cœur du pouvoir, et étonnamment stable pour une fonction hyperinstable. Cela a été à l'origine de sa transformation de technocrate (collaborateur, conseiller) en politique (acteur, décideur).


    À l'époque, se réunissaient tous les matins à Matignon, autour de Georges Pompidou : François-Xavier Ortoli (dircab), Olivier Guichard (chargé de mission), Simone Servais (attaché de presse), Pierre Juillet (conseiller technique), Alain Peyrefitte (Ministre de l'Information), puis, un peu plus tard, ont rejoint Michel Jobert (directeur adjoint de cabinet, dircab après François-Xavier Ortoli), Jean Donnedieu de Vabres (secrétaire général du gouvernement, le prédécesseur de François-Xavier Ortoli).

    Après l'élection présidentielle de décembre 1965, François-Xavier Ortoli a été nommé Commissaire général au Plan de janvier 1966 à avril 1967. Au conseil des ministres du 2 mars 1966, le Premier Ministre Georges Pompidou a présenté les trois comités chargés d'éclairer l'exécution du Plan : un premier comité dirigé par François-Xavier Ortoli chargé du développement industriel, un deuxième dirigé par Simon Nora (inspecteur des finances) chargé des entreprises publiques et un troisième dirigé par Claude Lasry (du Conseil d'État) chargé des coûts et du rendement des services publics (on se préoccupait déjà de l'efficacité de la dépense publique, des missions, programmes et actions de l'État, LOLF et RGPP avant l'heure !).

    Après notamment celui de Marcel Boiteux (futur patron d'EDF), François-Xavier Ortoli a été l'auteur de l'un des nombreux rapports d'industriels et de hauts fonctionnaires qui demandaient de lancer le Plan Calcul (finalement lancé le 13 avril 1967), à savoir un investissement massif pour l'informatique, afin de préserver la souveraineté nationale dans ce domaine (ce qui est fait aussi, actuellement, pour l'intelligence artificielle et la physique quantique). Le constat était que la France disposait de trente fois moins de calculateurs que les États-Unis (et deux fois moins que l'Allemagne) et qu'elle avait besoin d'automatiser ses tâches industrielles, en particulier sur les risques technologiques et naturels liés à la production d'énergie (hydraulique, nucléaire, pétrole, etc.).

    Ce plan a été présenté par François-Xavier Ortoli au conseil des ministres du 19 juillet 1966. Après un « débat nourri », De Gaulle a conclu : « Le rapport présenter par le Commissaire général au Plan est approuvé. Les grandes lignes du Plan Calcul sont arrêtées. Il sera institué auprès du Premier Ministre une délégué interministériel. Il sera le seul habilité à traiter avec les industriels au nom du gouvernement. Il coordonnera les achats des administrations et du secteur parapublic. Il harmonisera les efforts de recherche. Il mettra au point un "recyclage" des ingénieurs. En fait, nous allons créer cette industrie de l'informatique, puisque l'initiative privée n'en a pas été capable. Le délégué, il faut qu'il ait un titre autre d'électronique. Il aura un rôle vis-à-vis des groupes industriels, un rôle dans la formation des hommes. Il devra veiller sur la commission des équipements administratifs. Il faudra que cet homme connaisse le commerce et l'industrie. Il aura aussi pour tâche de développer l'enseignement des disciplines scientifiques nécessaires à la fabrication et à l'utilisation des calculateurs. Un Institution d'informatique et d'automatique sera créé et placé sous sa présidence. ».


    François-Xavier Ortoli, dont le rapport a été approuvé par l'Assemblée le 16 juillet 1966, a réclamé le développement d'une réelle industrie informatique française et européenne, ce qui a abouti, parallèlement au constructeur Bull (deuxième mondial dont les actions se sont écroulées au début des années 1960), à la création de la CII (Compagnie internationale pour l'informatique) au sein d'Unidata, un consortium européen pour bâtir les innovations informatiques à l'échelle européenne (on parlait déjà de créer "l'Airbus de l'informatique"). Le plan a aussi créé des filières informatiques dans l'informatique, notamment des diplômes délivrés par les IUT qui venaient d'être créés le 7 janvier 1966, ainsi que l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA), créé le 30 novembre 1966 (initialement IRIA).

    Ce volontarisme politique est venu de De Gaulle lui-même, très conscient des enjeux pour l'avenir, capable d'anticiper une situation ultérieure et prêt à ce que l'État prît toutes ses responsabilités : « À ce jour, l'industrie étrangère du calcul, favorisée à la fois par la dimension de ses entreprises et par d'énormes programmes publics, a pris une position dominante sur le marché mondial. Disposant d'un triple atout : avance technique considérable, réseau commercial présent partout, et moyens financiers très puissants, elle paraît en mesure d'empêcher toute création d'une industrie concurrente par des entreprises livrées à leurs seules forces (…). Il est donc nécessaire que l'État apporte son aide. ».

    Le 8 octobre 1966, l'ancien résistant et centralien Robert Galley, patron de l'usine de Pierrelatte, a été nommé délégué à l'informatique auprès du Premier Ministre et président du conseil d'administration de l'INRIA (Robert Galley allait aussi avoir un brillante carrière politique, ministre et député-maire de Troyes à partir de 1968, à l'instar de François-Xavier Ortoli ou Albin Chalandon ; Robert Galley était même parmi les candidats potentiels à Matignon en 1968, ce qui donnait l'importance de l'informatique dans l'esprit du Général).

     

     
     


    Le 28 avril 1967, ce fut la consécration politique quand François-Xavier Ortoli a été nommé Ministre de l'Équipement et du Logement dans le gouvernement de Georges Pompidou. Il a succédé à Edgard Pisani et s'est choisi Georges Pébereau (frère du futur patron de BNP Paribas) comme directeur de cabinet. Il y est resté jusqu'au 31 mai 1968 (son successeur fut Robert Galley) et, à cause de la révolte étudiante de mai 68, a été bombardé Ministre de l'Éducation nationale (succédant à Alain Peyrefitte) du 31 mai 1968 au 10 juillet 1968 (ce qui donnait un aperçu de la confiance qu'il inspirait).

    En tant que ministre, François-Xavier Ortoli a participé à tous les débats de politique nationale. Ainsi, selon les notes d'Alain Peyrefitte, il a pris part à la discussion engagée par De Gaulle sur la pilule contraceptive au conseil des ministres du 7 juin 1967. L'avis de François-Xavier Ortoli, comme beaucoup d'autres ministres, a été en faveur du principe de réalité : « La décision est inévitable, mais je la regrette. N'oublions pas que le redémarrage de l'économie après la guerre a été liée au redressement de notre démographie. ». Cela a donné la loi Neuwirth promulguée le 29 décembre 1967. Au conseil des ministres du 23 mai 1968, en pleine "chienlit" de mai 68, François-Xavier Ortoli était favorable au référendum que De Gaulle s'apprêtait à annoncer pour rebondir face aux événements : « Nous ne devons pas demander les pleins pouvoirs, mais la confiance. Il faut engager ce référendum dans un esprit de dialogue. ».

    Dans sa lancée, François-Xavier Ortoli a été élu député de Lille en juin 1968 dans la grande vague gaulliste puis conseiller général de Lille-Ouest de 1969 à 1975. Il ne resta pas longtemps député car sa présence au gouvernement a été confirmée par le nouveau Premier Ministre Maurice Couve de Murville, à un poste stratégique puisqu'il a été nommé Ministre de l'Économie et des Finances du 12 juillet 1968 au 16 juin 1969 (succédant à Maurice Couve de Murville lui-même). Après l'élection du Président Georges Pompidou, après avoir transmis l'Économie et les Finances à Valéry Giscard d'Estaing, de retour rue de Rivoli, François-Xavier Ortoli a poursuivi sa tâche ministérielle comme Ministre du Développement industriel et de la Recherche scientifique du 22 juin 1969 au 5 juillet 1972 dans le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas (il a succédé à André Bettencourt et a repassé son ministère à Jean Charbonnel).

    Ensuite, François-Xavier Ortoli allait être à Georges Pompidou ce qu'allait être Jacques Delors à François Mitterrand, l'économiste et l'Européen de service. En effet, il a été désigné, au Sommet européen de Paris du 21 octobre 1972, le premier Président français de la Commission Européenne du 6 janvier 1973 au 5 janvier 1977, juste après l'intégration du Royaume-Uni, de l'Irlande et du Danemark. Pendant ces quatre années, il a dû faire face au premier choc pétrolier consécutif à la guerre du Kippour et à l'invasion turque de Chypre. Dans la Commission Ortoli ont siégé deux Français, Jean-François Deniau (RI) et Claude Cheysson (PS), chargés de la politique de développement et de coopération, du Budget et du Contrôle financier. Par ailleurs, siégeait aussi, entre autres, chargé de la politique industrielle et technologique, l'Italien Altiero Spinelli, fédéraliste européen important dans la construction européenne, futur auteur du rapport qui allait proposer ce qui deviendrait le Traité de Maastricht, rapport approuvé par le Parlement Européenne le 14 février 1984. Ainsi que les premiers commissaires britanniques, en l'occurrence le conservateur Christopher Soames (Vice-Président chargé des relations extérieures) et le travailliste George Thomson (chargé de la politique régionale).

    Après le premier élargissement, la situation européenne en 1973 demandait une redynamisation du processus d'intégration (encouragée encore plus avec l'élection de Valéry Giscard d'Estaing à la Présidence de la République française en 1974), autour de plusieurs priorités : union économique et monétaire, politique régionale, industrielle et sociale, coopération. Mais la conjoncture économique était difficile en raison du premier choc pétrolier, ce qui rendait l'action de François-Xavier Ortoli difficile. De plus, la création du Conseil Européen le 10 décembre 1974 (voulue par VGE afin, déjà, de débureaucratiser la vie européenne) a réduit mécaniquement le rôle de la Commission Européenne.


    François-Xavier Ortoli a fait son premier discours de Président de la Commission Européenne le 16 janvier 1973 et a présenté ses objectifs le 13 février 1973 « avec le souci particulier des respecter, de renforcer la collégialité ». Au Conseil Européen des 1er et 2 avril 1976, la Commission Ortoli a proposé de réduire les conditions d'entrée ou de maintien au sein du serpent monétaire européen, considérant qu'il valait mieux être moins ambitieux sur les contraintes mais qu'il y en eût, ce qu'avait proposé dès 1974 le Ministre français de l'Économie et des Finances Jean-Pierre Fourcade.

    À la fin de l'année 1976, François-Xavier Ortoli a fait un bilan de l'action de sa Commission pendant ses quatre années d'exercice, dans un contexte difficile d'augmentation de l'inflation et d'effondrement du système monétaire international. Cela a provoqué l'abandon ou le retard de politiques d'intégration plus forte (en particulier l'union économique et monétaire). Voici les principales avancées de la Commission Ortoli : élargissement au Royaume-Uni, Irlande et Danemark ; début des négociations avec la Grèce ; poursuite de la politique agricole commune (PAC) ; développement du Fonds social et création du Fonds régional ; mise en œuvre d'une politique de coopération avec le Tiers-monde ; capacité de la Communauté à s'exprimer d'une seule voix dans les instances internationales ; accord sur l'élection du Parlement Européen au suffrage universel direct ; accroissement du rôle politique de la Commission pour remplir son rôle d'inspirateur de la construction européenne, etc.


    Sur les institutions européennes, la Commission Ortoli a prôné plus de démocratie : « Des progrès fondamentaux ont (…) été réalisés en matière institutionnelle. Les chefs de gouvernement, réunis dans le Conseil Européen, participent désormais directement à la marche des affaires communautaires. La Communauté a dès lors gagné en autorité et en efficacité. Cette présence active des chefs de gouvernement au sein de l'exécutif communautaire constitue aussi une des raisons pour lesquelles nous devons également traduire plus réellement dans nos institutions la démocratie qui constitue le fondement même de l'union entre nos pays et nos peuples. Sur bien des points, les propositions de la Commission ont été suivies par le Conseil et les actions indispensables ont été lancées. ». Et François-Xavier Ortoli de conclure : « J'avais dit, en au début de 1974, que le destin de l'Europe balançait et que c'était à nous de faire en sorte qu'il penche, une fois de plus, du bon côté. Aujourd'hui, rien n'est sans doute gagné, car, dans la Communauté, aucun progrès ne peut être considérer comme définitivement acquis. En revanche, des chemins ont été tracés, et la Communauté s'y est résolument engagée. Ils mènent déjà vers une solidarité plus forte, vers une résolution en commun de nos problèmes internes et vers l'affirmation de notre rôle dans le monde. ».

    À la fin de son mandat à la tête de la Commission Européenne, François-Xavier Ortoli est resté encore plusieurs années membre de cette Commission, représentant de la France, comme Vice-Président de la Commission Européenne chargé des Affaires économiques et financières, du Crédit et des Investissements, du 6 janvier 1977 au 5 janvier 1985, servant deux Commissions, celle présidée par le Britannique travailliste Roy Jenkins puis celle présidée par le Luxembourgeois centriste Gaston Thorn (à partir du 6 janvier 1981). Son rôle a été déterminant dans la mise en œuvre du Système monétaire européen (SME). Par ailleurs, François-Xavier Ortoli a contribué de manière essentielle à l'inflexion de la politique économique de la France en 1982-1983 (le fameux tournant de la rigueur).

    Le mandat de la Commission Européenne était à l'époque d'une durée de quatre ans et pas cinq, sans rapport avec les échéances de renouvellement du Parlement Européen. En janvier 1985 a succédé la Commission Européenne présidée par Jacques Delors pendant dix ans, le Traité de Maastricht, à la fin de cette période, ayant fait coïncidé les mandats de la Commission avec les mandats du Parlement Européen (de cinq ans) et l'instance est devenue plus politique que technocratique.

    À l'occasion de la sortie d'un livre publié par Éric Bussière et Pauline Massis Desmarest qui a rassemblé un ensemble de discours et textes de François-Xavier Ortoli sur son action comme Président de la Commission Européenne (éd. Peter Lang), l'Institut Georges-Pompidou a organisé un colloque le 22 mars 2007 à Paris pour exposer le témoignage de Bernard Ésambert, ancien conseiller industriel de Georges Pompidou. Un autre colloque organisé toujours par l'Institut Georges-Pompidou, sous le haut patronage du Président Emmanuel Macron, a été organisé les 9 et 10 octobre 2024 à l'occasion du centenaire de François-Xavier Ortoli où sont intervenus, entre autres, Bernard Ésambert, Éric Bussière, Emmanuelle Ortoli, Yves Thibault de Silguy (futur commissaire européen, qui fut membre du cabinet de François-Xavier Ortoli entre 1981 et 1984 lorsqu'il était Vice-Président de la Commission), et José Manuel Barroso, qui fut Président de la Commission Européenne de 2004 à 2014 après avoir dirigé le gouvernement portugais.

    Les propos introductifs de ce second colloque étaient ainsi : « François-Xavier Ortoli est l’une des personnalités qui illustre le mieux les mutations du cadre politique dans lequel la France s’est insérée depuis les années 1950 et le rôle que quelques grands acteurs ont joué dans ce processus. Le processus d’intégration européenne a en effet déterminé la quasi-totalité de sa carrière depuis les années 1950, une carrière partagée entre les responsabilités exercées dans le cadre national et dans le cadre européen. Celles d’un des principaux collaborateurs de Georges Pompidou, Premier Ministre puis Président de la République d’un côté, celles de Président puis de Vice-Président de la Commission Européenne de l’autre. ».


    Après cinq ans dans les gouvernements français (dont le Ministère de l'Économie et les Finances) et dix ans à la Commission Européenne (dont la Présidence), François-Xavier Ortoli aurait pu prétendre à un leadership politique chez les gaullistes. Mais en 1985, en France, gouvernait un gouvernement socialo-communiste, et l'homme politique s'est effacé derrière le haut fonctionnaire. À l'instar d'Albin Chalandon, la carrière de François-Xavier Ortoli a pris un tournant industriel en étant nommé patron de la Compagnie françaises des pétrole, futur Total, de 1985 à 1990 (nommé par le Président François Mitterrand en octobre1984). Il a pris part à la création d'organisations patronales internationales qu'il a dirigées, comme l'ERT (European roundtable of industrialists), l'AUME (Association pour l'union monétaire de l'Europe), et, en tant que président du CNPF International (Medef International), il a cofondé l'ASEM (Asia-Europe meeting) en 1996.

    Attaché au développement économie et international de la France et de l'Europe depuis la fin de la guerre, François-Xavier Ortoli a donc été essentiel dans la politique européenne de la France dans les années 1960, 1970 et même 1980, et il a participé, avec Jacques Delors, à la puissante influence de la France dans la construction européenne de 1973 à 1995, sous les Présidences de Georges Pompidou, Valéry Giscard d'Estaing et François Mitterrand. Il a été, comme beaucoup d'autres de sa génération, un responsable politique qui, à l'époque, attachait bien plus d'importance à l'intérêt national qu'aux simples intérêts partisans. Qu'il puisse être encore un modèle au service des citoyens.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (15 février 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    François-Xavier Ortoli.
    Bruno Retailleau.
    Jean Tiberi.
    Édouard Philippe.
    Nicolas Sarkozy.
    Laurent Wauquiez.
    Aurore Bergé.
    Alain Peyrefitte.
    La sagesse inattendue de Jean-François Copé.
    Yvon Bourges.
    Christian Poncelet.
    René Capitant.
    Patrick Devedjian.

     
     
     



    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250216-francois-xavier-ortoli.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/francois-xavier-ortoli-le-plan-258861

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/02/15/article-sr-20250216-francois-xavier-ortoli.html



    .

  • Le Brexit, 5 ans plus tard

    « [L'Angleterre] n’entrera dans la Communauté Européenne, que lorsqu’elle aura répudié à la fois son rêve impérial et sa symbiose avec les Américains. Autrement dit, quand elle se sera convertie à l’Europe. » (De Gaulle, le 16 janvier 1963).





     

     
     


    Cela fait maintenant cinq ans que le Brexit est effectif. En effet, le Royaume-Uni a officiellement quitté l'Union Européenne le 31 janvier 2020. Revenons sur la chronologie et sur les conséquences.

    Le Royaume-Uni a intégré la CEE le 1er janvier 1973, après la levée du veto français à l'époque de De Gaulle. Cette adhésion était politiquement et historiquement cruciale pour le continent européen. L'histoire a cependant démontré que cette adhésion a été un échec, puisqu'il y a eu séparation moins de cinquante années plus tard (la seule séparation pour le moment).

    Pour des raisons électoralistes, le Premier Ministre britannique David Cameron s'est fait réélire sur la promesse d'organiser un référendum sur le Brexit, en pensant que le maintien du pays aurait été approuvé par le peuple britannique. Sauf que la démagogie des populistes a réussi à convaincre une majorité d'électeurs (51,9%) de voter en faveur du Brexit lors du référendum du 23 juin 2016, si bien que cela a ouvert une période d'incertitude économique tant au Royaume-Uni qu'en Union Européenne. Et aussi d'instabilité politique au Royaume-Uni.

    La chronologie est la suivante : le 13 juillet 2016, Theresa May a succédé à David Cameron après l'échec de ce dernier. La nouvelle Première Ministre a souhaité aller jusqu'au bout du Brexit malgré certaines opinions proposant d'interrompre le processus. Le 1er octobre 2016, l'ancien ministre et commissaire européen Michel Barnier a été nommé négociateur en chef pour le compte de l'Union Européenne (jusqu'au 31 mars 2021). En face de lui, pour le compte du Royaume-Uni, David Davis. Le 29 mars 2017, le Royaume-Uni a officiellement activé l'article 50 du Traité de Lisbonne, amorçant le processus de séparation.

    Les profondes divisions au sein de majorité conservatrice (notamment sur le statut de l'Irlande du Nord) ont provoqué l'arrivée de Boris Johnson le 24 juillet 2019 au 10 Downing Street. Après bien des difficultés provenant encore des divisions des conservateurs, un projet d'accord a été conclu contre le Royaume-Uni et l'Union Européenne le 17 octobre 2019 (des députés européens britanniques ont donc été élus en mai 2019 et ont siégé pour une courte période au Parlement de Strasbourg).

    La sortie officielle du Royaume-Uni de l'Union Européenne a eu lieu le 31 janvier 2020. Une période transitoire s'est alors déroulée pendant onze mois, le temps de négocier un nouvel accord commercial (qui a été finalement conclu le 24 décembre 2020). Le 1er janvier 2021, le Royaume-Uni a quitté définitivement le marché unique avec le retour des contrôles douaniers et (à partir du 1er octobre 2021), la nécessité d'un passeport pour franchir la Manche. Aux élections de 2024, les conservateurs ont perdu le pouvoir après une instabilité de leurs gouvernements (deux autres Premiers Ministres se sont succédé après Boris Johnson).


    Dès l'annonce des résultats du référendum en 2016, une majorité de sondés regrettait déjà le Brexit. Sur le plan économique, il est difficile d'évaluer exactement les conséquences économiques dues au Brexit car la période coïncide avec la crise du covid-19 et la guerre en Ukraine, deux gros facteurs de troubles économiques.

     

     
     


    Dans une étude réalisée par Louis Adjiman et Benjamin Cabot pour la Direction générale du Trésor, publié le 30 avril 2024, il est précisé les conséquences économiques du Brexit pour le Royaume-Uni. Ainsi, les échanges commerciaux de biens entre le Royaume-Uni et l'Union Européenne n'ont été que temporairement affectés à partir de 2021, tandis que les échanges commerciaux de services ont été durablement affectés. En outre, les investissements des entreprises au Royaume-Uni ont stagné à partir de 2016, et n'ont repris qu'à partir de 2023.

    Plus généralement, le Royaume-Uni a mieux encaissé le choc économique de la pandémie en 2020-2021 que l'Union Européenne, mais a été à très faible croissance en 2023, plus faible que l'Union Européenne. En 2024, sa croissance est revenue au niveau de l'Union Européenne après un rebond remarquable du PIB. Bref, le Brexit n'a pas donné un avantage économique apparent aux Britanniques... mais ce n'a pas été non plus un désastre économique comme certaines Cassandre le craignaient.

    Sur le plan migratoire, le Brexit n'a pas non plus changé fondamentalement le problème, ce qui était prévisible puisque le Royaume-Uni ne faisait pas partie de l'Espace de Schengen et les problèmes de Calais montraient que de nombreux candidats à l'immigration en France voudraient traverser la Manche pour atteindre le Royaume-Uni. Depuis la fin de la libre circulation, il y a eu plus de 3,6 millions de migrants au Royaume-Uni alors que les populistes pro-Brexit prétendaient que le Brexit arrêterait ces arrivées (solde migratoire de plus 2,3 millions). L'un des pourfendeurs de l'Union Européenne, Nigel Farage a même confié sur BBC le 15 mai 2023 : « Le Brexit a échoué ! ».

    De même, ceux qui pensaient que le départ du Royaume-Uni permettrait à l'Union Européenne de renaître sans les freins britanniques ont eu tort. Une explication à cela : la forte division des pays européens, en particulier avec des dirigeants qui remettent en cause certaines valeurs démocratiques, comme en Pologne, en Tchéquie, en Slovaquie et bien sûr en Hongrie. Cette division a empêché de définir clairement des politiques étrangères communes.

     

     
     


    Selon le Trésor britannique, le coût de la séparation a été de 30,2 milliards de livres (36,1 milliards d'euros). La baisse des exportations de biens du Royaume-Uni vers l'Union Européenne depuis le Brexit a été de 27 milliards de livres. Pour l'instant, il est difficile aussi d'avoir des données économiques neutres en raison de la profonde opposition entre pro-Brexit et anti-Brexit. Elles permettraient d'avoir une analyse objective de la situation avec sans doute, c'est une intuition, l'idée que le Brexit n'aura pas influé de manière déterminante sur le cours des événements, dans un sens ou dans un autre.

    Ce qui est sûr, c'est que le Royaume-Uni ne redemandera pas à court terme sa réintégration dans l'Union Européenne qui lui ferait cher payer, même si une majorité de Britanniques y serait favorable. Le Premier Ministre travailliste Keir Starmer a en effet exclu toute initiative dans ce sens, pas de réintégration dans le marché unique ou l'union douanière, pas de retour à la libre circulation des personnes. En revanche, il souhaite renforcer la coopération militaire et diplomatique avec l'Union Européenne et renégocier l'accord commercial de 2020. Bref, après un divorce, il faut réapprendre à se parler pour les enfants...


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (25 janvier 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Le Brexit, 5 ans plus tard.
    Brexit Day : J – 3 …et De Gaulle dans tout ça ?
    Keir Starmer.
    L'échec de la CED il y a 70 ans.
    Élections européennes 2024 (7) : Ursula von der Leyen et ses trois priorités, la défense, le logement et la compétitivité.
    Élections européennes 2024 (6) : le casting pour la dixième législature du Parlement Européen.
    Élections européennes 2024 (5) : la victoire de... Ursula von der Leyen !
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Résultats des élections européennes du dimanche 9 juin 2024.
    Élections européennes 2024 (3) : y aura-t-il une surprise dimanche soir ?
    Quel est le programme européen de la liste Renaissance ?
    Programme de la liste Hayer à télécharger (6 mai 2024).
    L'hommage de l'Europe à Jacques Delors.
    Le débat Gabriel Attal vs Jordan Bardella du 23 mai 2024.
    Élections européennes (2) : 37 listes et un bulletin de vote !
    Le souverainisme européen selon Emmanuel Macron : puissance, prospérité et humanisme.
    L'hymne à l'Europe.
    Fête de l'Europe, joies et fiertés françaises.
    Le Tunnel sous la Manche.
    Les 120 ans de l'Entente cordiale.
    Eurovision 2024.
    La vision européenne d'Édouard Balladur.
    Débat Valérie Hayer vs Jordan Bardella : l'imposture démasquée de Coquille vide.
    Il y a 20 ans, l'élargissement de l'Union Européenne.
    La convergence des centres ?
    Élections européennes 2024 (1) : cote d'alerte pour Renaissance.
    Valérie Hayer, tête de la liste Renaissance.
    Charles Michel et Viktor Orban : l'Europe victime d'une histoire belge !
    Jacques Delors : il nous a juste passé le relais !
    Il y a 15 ans : Nicolas Sarkozy, l'Europe et les crises (déjà).
    La Méditerranée, mère de désolation et cimetière de nos valeurs ?
    Le 8 mai, l'émotion et la politique.
    Ukraine, un an après : "Chaque jour de guerre est le choix de Poutine".
    Le 60e anniversaire du Traité de l'Élysée le 22 janvier 2023.
    De Gaulle, l’Europe et le volapük intégré.
    L’inlassable pèlerin européen Emmanuel Macron.
    Valéry Giscard d’Estaing, le rêveur d’Europe.
    Enfin, une vision européenne !
    Relance européenne : le 21 juillet 2020, une étape historique !



     

     
     






    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250131-brexit.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/le-brexit-5-ans-plus-tard-258786

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/01/29/article-sr-20250131-brexit.html



    .

  • Les 20 ans de Mahmoud Abbas

    « Je suis obligé de poursuivre la politique de Yasser Arafat. Je suis lié au dernier discours d’Arafat devant le Conseil constitutif du 18 août 2004. S’il s’agit d’un discours extrémiste, comme certains le prétendent, je suis également extrémiste, mais en fait je ne le suis pas. Je l’ai relu et je peux vous confirmer que les propos d’Arafat sont logiques et pragmatiques et que j’y adhère complètement. » (Mahmoud Abbas, le 8 novembre 2004).


     

     
     


    Le général Joseph Aoun (61 ans) a été élu Président de la République libanaise ce jeudi 9 janvier 2025 au quatorzième tour par 99 voix sur 128 au total avec 27 votes blancs ou nuls. Soutenu par le maronite Samir Geagea, le Qatar et les États-Unis, Joseph Aoun était commandant en chef des forces armées libanaises depuis le 8 mars 2017. Après une vacance présidentielle de plus de deux ans et deux mois, il succède à Michel Aoun (sans lien de parenté), Président de la République libanaise du 31 octobre 2016 au 31 octobre 2022, ce dernier lui-même élu à l'âge de 83 ans, après une vacance présidentielle de plus de deux ans et cinq mois, au quarante-septième tour par 83 voix sur 127 au total avec 43 votes blancs ou nuls, avec l'appui du Hezbollah. Les élections présidentielles libanaises sont laborieuses à cause du quorum nécessaire à l'élection (il faut au moins 86 députés présents sur 128) et du boycott d'un parti ou d'un autre qui fait annuler les scrutins.

    Les Libanais ont du mal à avoir un Président mais au moins, il est élu. Pour l'Autorité palestinienne, la situation est encore plus difficile. C'est maintenant il y a vingt ans, le 15 janvier 2005, que Mahmoud Abbas est devenu le Président de l'Autorité palestinienne. Représentant le Fatah, il a été élu le 9 janvier 2005 en Cisjordanie et à Gaza dès le premier tour par 62,5% des voix (soit un petit peu plus qu'un demi-million de suffrages) face à six autres candidats (dont le principal était Mustafa Barghouti, indépendant, à 19,5%), pour une participation de 72,1% (mais environ 30% des citoyens palestiniens n'étaient pas enregistrés sur les listes électorales). Le 3 janvier 2013, Mahmoud Abbas, qui siège à Ramallah (en Cisjordanie), s'est autoproclamé Président de l'État de Palestine au lieu de Président de l'Autorité palestinienne.

    Cette élection du 9 janvier 2005 avait pour but de trouver un successeur à Yasser Arafat, élu Président de l'Autorité palestinienne le 20 janvier 1996 (conformément aux Accords d'Oslo) et mort le 11 novembre 2004. L'élection de Mahmoud Abbas n'était pas évidente car il avait un sérieux concurrent au sein du Fatah en la personne de Marwan Barghouti, incarcéré et impliqué dans les deux Intifada (les sondages les mettaient au coude à coude mais il s'est désisté au nom de l'unité des Palestiniens et sur pression du Fatah qui soutenait officiellement Mahmoud Abbas).

    Mahmoud Abbas avait été le (premier) Premier Ministre de Yasser Arafat du 19 mars 2003 au 6 septembre 2003 dans un poste créé spécialement par le leader historique de l'OLP, sous la pression des États-Unis, pour mettre fin au désordre qui régnait dans les territoires palestiniens et permettre aux États-Unis d'avoir un interlocuteur moins sulfureux que Yasser Arafat qui, par cette occasion, a dû céder une partie de ses pouvoirs. Sa démission quelques mois plus tard aurait été motivée par la peur de voir son intégrité corporelle menacée par un certain nombre de groupes violents. Ses oppositions étaient nombreuses, en particulier le Hamas et le Jihad islamique à Gaza, les Américains et les Israéliens qui ne l'aidaient pas à asseoir son autorité et même Yasser Arafat qui voulait continuer à gouverner.


     

     
     


    Les élections législatives palestiniennes du 25 janvier 2006 ont été largement remportées par le Hamas avec 74 sièges sur 132, battant le Fatah avec 45 sièges. C'étaient les premières élections depuis le 20 janvier 1996... et les dernières à ce jour. Considérant qu'il avait perdu les élections, Mahmoud Abbas a appelé le 29 mars 2006 Ismaël Haniyeh, le dirigeant historique du Hamas (qui allait être tué le 31 juillet 2024 à Téhéran), à former un "gouvernement de cohabitation". Il a été renvoyé par Mahmoud Abbas le 15 juin 2007 à cause des violences de son mouvement, mais le leader du Hamas s'est accroché jusqu'au 2 juin 2014 (parallèlement à Salam Fayyad nommé Premier Ministre). Concrètement, il y avait deux directions, une en Cisjordanie et une autre à Gaza. Le 2 juin 2014, un gouvernement de rassemblement (Hamas-Fatah) a été formé sous la direction de Rami Hamdallah (nommé Premier Ministre le 6 juin 2013, jusqu'au 14 avril 2019).

    Pour de multiples raisons matérielles et politiques (et une volonté très affirmée de garder le pouvoir), que ce fût Yasser Arafat ou Mahmoud Abbas, ils sont restés Présidents aussi longtemps que possible, sans avoir été réélus, alors que le mandat présidentiel de l'Autorité est de quatre ans. Il a été "pseudo-réélu" le 23 novembre 2008 et le 4 mai 2018, mais pas dans des élections populaires. Le Conseil national palestinien, émanation non élue de l'OLP, a en outre proclamé le 16 décembre 2009 le mandat présidentiel prolongé jusqu'aux prochaines élections qui n'ont encore jamais eu lieu.


    Mahmoud Abbas semble être un Président tout à fait hors-sol ayant un ministère de la parole. Il va avoir 90 ans le 16 mars prochain, mais il compte encore avoir l'énergie de mener le peuple palestinien vers ce qu'il entend être un véritable État palestinien comportant la Cisjordanlie, le bande de Gaza (dirigée par le Hamas) et Jérusalem-Est. Autant dire qu'il croit au Père Noël.

    Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche faisait d'ailleurs partie de ses pires cauchemars. En effet, le Président milliardaire, lors de son premier mandat, le 6 décembre 2017, avait reconnu Jérusalem comme la capitale de l'État d'Israël au lieu de Tel-Aviv, déclaration qui fut condamnée le 21 décembre 2017 par 128 des 193 États-membres de l'ONU lors de son Assemblée Générale.

     

     
     


    Si le successeur de Yasser Arafat a démissionné de la présidence du comité exécutif de l'OLP le 22 août 2015 (il l'était depuis la mort de Yasser Arafat), il compte absolument s'accrocher au pouvoir à la tête de l'Autorité palestinienne qui n'a d'autorité que le nom.

    Accusé dans plusieurs affaires de corruption, également de soutien à des activités terroristes depuis une cinquantaine d'années, Mahmoud Abbas s'est distingué par des propos ouvertement antisémites ou relativisant la Shoah et réécrivant l'histoire, à de nombreuses occasions internationales (au point que la Ville de Paris lui a retiré la médaille de Vermeil le 8 septembre 2023 pour un énième dérapage antisémite et négationniste). Déjà le 4 mai 2018, après des propos inacceptables (adressés aux Palestiniens le 30 avril 2018 qui ont provoqué une vague d'indignation internationale), il avait présenté des excuses à la communauté internationale, excuses qui ne devaient pas être très sincères vu ses récidives ultérieures (en 2022 et 2023, entre autres) : « Si mes propos devant le Conseil national palestinien ont offensé des gens, en particulier des gens de confession juive, je leur présente mes excuses. Je voudrais assurer à tous que telle n’était pas mon intention [de les offenser] et réaffirmer mon respect total pour la religion juive, ainsi que pour toutes les religions monothéistes. Je voudrais renouveler notre condamnation de longue date de l’Holocauste, le crime le plus odieux de l’histoire, et exprimer notre compassion envers ses victimes. Nous condamnons l’antisémitisme sous toutes ses formes et confirmons notre engagement pour une solution à deux États, et à vivre côte à côte dans la paix et la sécurité. ».

     

     
     


    En Cisjordanie, Mahmoud Abbas est devenu très impopulaire depuis le massacre du 7 octobre 2023 et la riposte israélienne. On lui reproche l'impuissance et l'inaction. La colère des Palestiniens se retourne contre lui. Avant la guerre de Gaza, il était déjà très impopulaire puisque les trois quarts de la population étaient favorables à sa démission. Selon Hugh Lovatt, chercheur au Conseil européen des relations internationales : « Coincée entre l'opinion publique et les attentes américaines, l'Autorité palestinienne a jusqu'à présent évité de prendre une position claire, ce qui ne l'a pas aidée non plus. Il se trouve donc dans une position perdant-perdant. » (le 22 octobre 2023 sur France 24).

    Du reste, Ghaith Al-Omari, l'ancien négociateur palestinien (en 2000 et 2001), expliquait à Marc Daou le 23 mars 2023 sur France 24 : « La vie politique palestinienne n'a jamais été démocratique, mais elle était vivante et active. Aujourd'hui, tout cela n'existe plus : cet espace politique s'est fermé et le Président Abbas et son entourage ont systématiquement veillé à saper l’image et l’autorité de chaque dirigeant qui commençait à devenir populaire. Tout au long du mandat de Yasser Arafat, il y a toujours eu deux ou trois candidats potentiels à sa succession, dont Mahmoud Abbas. Mais aujourd'hui, il est impossible de désigner un favori parce que le Président a œuvré pour affaiblir tous les candidats potentiels à sa succession. En somme, tous ceux qui sont en désaccord avec lui finissent par être écartés (…). Il y a actuellement au moins dix personnalités qui aspirent à la Présidence, mais aucune d'entre elles n'est assez forte politiquement ou n'a suffisamment de popularité ou de soutien pour se détacher. En l’absence de candidats forts ou légitimes, la compétition entre eux peut mal tourner. Nous savons qu'il y a beaucoup d'armes qui circulent en Cisjordanie occupée et qu’un certain nombre de successeurs potentiels recrutent des partisans, ce qui rend crédible la perspective d’un processus long et violent. ».


    Et l'ancien conseiller de Mahmoud Abbas d'affirmer : « Lorsqu'il est devenu Président, il est resté engagé, et il l'est toujours aujourd'hui, dans la voie de la non-violence et de la diplomatie. Mais nous avons réalisé qu'il n'était pas un réformateur ni en faveur des réformes. Mahmoud Abbas a aussi fermé les yeux sur la corruption qui, encore aujourd’hui, gangrène l’Autorité palestinienne. ». Mahmoud Abbas est, il est vrai, considéré comme l'architecte des Accords d'Oslo, parmi les premiers Palestiniens à vouloir régler le conflit par voie diplomatique.

    Bien avant, Tobias Buck, du "Financial Times", en octobre 2011, avait compris la personnalité du chef palestinien : « Dans l’univers perfide de la politique palestinienne, on dit qu’Abbas place au-dessus de tout la loyauté de son entourage proche. Ses assistants le conseillent, préparent ses discours et agissent comme ses émissaires. Au cours d’une réunion récente, Saeb Erekat, le négociateur en chef, lui chuchotait ses recommandations et se tenait également prêt à lui allumer cigarette sur cigarette. (…) Abbas déclare qu’il ne souhaite pas rester au pouvoir, ce que beaucoup sont disposés à croire. (…) Pourtant, une retraite paisible ne semble pas imminente. Selon certains diplomates, il apprécie davantage le décorum du pouvoir et les privilèges de ses fonctions que ne le suggère son attitude modeste. ».

    Le correspondant de "Marianne" en Israël, Julien Lacorie, écrivait le 11 février 2023 : « La fin de règne du chef de l’Autorité palestinienne s’annonce des plus sombres. Tout semble s’écrouler autour de lui alors qu’un embrasement des violences menace de toute part. Les trois quarts des Palestiniens souhaitent que Mahmoud Abbas, accusé de corruption et de népotisme depuis une dizaine d’années, prenne sa retraite. ».
     

     
     


    Vingt ans ! Mahmoud Abbas aura connu (au moins) quatre Présidents de la République française : Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron. « Malgré son impopularité, son inefficacité et sa santé fragile », dixit Olivier Poujade le 24 novembre 2023 sur France Info, Mahmoud Abbas « reste pourtant le seul interlocuteur officiel à l'international » des Palestiniens. Quand Emmanuel Macron s'est rendu au Proche-Orient après le massacre du 7 octobre, c'est au Président de l'Autorité palestinienne qu'il est allé rendre visite pour négocier la libération des otages du Hamas, alors que cela se "joue" en fait avec le Qatar et le Hamas.

    Le problème du représentant palestinien, c'est que l'officiel est Mahmoud Abbas dont le mandat s'est terminé le 15 janvier 2009, et pour désigner un successeur, il faut organiser des élections au cours desquelles les Palestiniens plébisciteront probablement à 75% le candidat du Hamas, ce que ne veulent absolument pas les Israéliens. On ne peut tout de même pas tabler sur l'immortalité d'un Mahmoud Abbas, qui plus est nonagénaire dans quelques semaines.


    La solution viendrait d'un prisonnier d'une prison israélienne depuis 2002, considéré comme un terroriste et déjà évoqué pour la succession de Yasser Arafat : Marwan Barghouti, appelé par certain le Nelson Mandela de la Palestine, a déjà fait des appels à la paix. En 2006, il disait à une télévision américaine : « Je pense que mon peuple serait prêt à envisager la paix avec le peuple israélien. ». Mais pour cela, le gouvernement israélien devra faire un geste emblématique : le libérer après vingt-deux années d'incarcération.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (11 janvier 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Mahmoud Abbas.
    Yasser Arafat.
    Les Accords d'Oslo.
    Shimon Peres.

    Yitzhak Rabin.
    L'horreur du Hamas.
    L'avenir de la France se joue aussi à Gaza !
    Massacre à Gaza.
    La chute de Bachar El-Assad.
    Michel Aoun.


     

     
     



    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250115-mahmoud-abbas.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/les-20-ans-de-mahmoud-abbas-258455

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/01/10/article-sr-20250115-mahmoud-abbas.html


     

  • Jean-Marie Le Pen : extrême droite tenace et gauche débile...

    « Au-delà des polémiques qui étaient son arme préférée et des affrontements nécessaires sur le fond, Jean-Marie Le Pen aura été une figure de la vie politique française. On savait, en le combattant, quel combattant il était. » (François Bayrou, le 7 janvier 2025 sur Twitter).




     

     
     


    Quand la mort d'une personnalité publique devient-elle un événement à part entière ? Je parle bien sûr d'une mort non-violente puisque les morts violentes (attentats, meurtres, accidents, catastrophes, etc.) sont en elles-mêmes, par définition, des événements. Il y a bien sûr la mort de chefs d'État ou de gouvernement, ou spirituels, comme Georges Pompidou ou les papes (excepté Benoît XVI), dont le besoin de remplacement est un événement en lui-même. Mais au-delà de l'émotion, c'est très rare : la mort de Newton, la mort de Voltaire, la mort de Victor Hugo, la mort aussi de De Gaulle, peut-être oserais-je aussi citer Johnny Hallyday ? Peut-être aussi François Mitterrand et Jacques Chirac ? (Pas Valéry Giscard d'Estaing, parti discrètement). Même les grandes stars, les grands personnages de l'État, les grands écrivains disparaissent en général dans une extinction calme, discrète et simplement émue. Faut-il rajouter à cette courte liste le "Menhir", pas pour le chagrin légitime que sa mort a provoqué pour sa famille, politique et sa famille tout court, mais au contraire pour les cris de joie qu'on a entendus Place de la République à Paris durant la nuit ? Peut-on vraiment danser sur un cadavre encore chaud et se croire sincèrement humaniste ?

    Le "rappel à Dieu" du vieux leader de l'extrême droite Jean-Marie Le Pen (dans une maison médicalisée à Garches) ce mardi 7 janvier 2025 a suscité beaucoup de réactions (et de non-réactions !). Celui qui a été élu député pour la première fois il y a soixante-neuf ans a en effet provoqué tout au long de sa vie passions, combats, polémiques et scandales et n'a laissé quasiment personne indifférent. La réaction très sobre du Premier Ministre François Bayrou était normale puisqu'au-delà du respect dû aux disparus, il doit aussi ménager Marine Le Pen à l'Assemblée Nationale et donc, évidemment, respecter son deuil.


     

     
     


    Même sobriété pour le Président de la République Emmanuel Macron : « Figure historique de l'extrême droite, il a ainsi joué un rôle dans la vie publique de notre pays pendant près de soixante-dix ans, qui relève désormais du jugement de l'Histoire. Le Président de la République exprime ses condoléances à sa famille et ses proches. ».

    Les deux têtes de l'Exécutif n'ont aucune raison de mettre dans l'huile dans des braises et provoquer une polémique supplémentaire sur Jean-Marie Le Pen alors que le gouvernement doit vivre son heure de vérité dans quelques jours. Pour les socialistes, leur réaction n'est pas sur l'événement lui-même mais sur la réaction du Premier Ministre. Quand est-ce que ces socialistes vont penser enfin par eux-mêmes ?


    Même Jean-Luc Mélenchon a été assez sobre, faisant la part de l'homme qui est parti et de ses idées qu'il veut (et doit) combattre : « Le respect de la dignité des morts et du chagrin de leurs proches n'efface pas le droit de juger leurs actes. Ceux de Jean-Marie Le Pen restent insupportables. Le combat contre l'homme est fini. Celui contre la haine, le racisme, l'islamophobie et l'antisémitisme qu'il a répandus continue. ».
     

     
     


    Mais alors, que s'est-il passé Place de la République ? Des centaines de personnes (ou des milliers ?) se sont réunies plus ou moins spontanément (merci les réseaux sociaux) pour "fêter" la mort de Jean-Marie Le Pen. Oui, Jean-Marie Le Pen a fait beaucoup de mal à son pays, mais seulement de façon tribunitienne, il a été un aiguillon malsain, mais il n'est pas un dictateur, ce n'est pas Kadhafi ni Ceausescu. On a dit qu'il avait torturé, peut-être, et si c'est le cas, c'est un scandale, mais je ne suis pas juge et cela n'a jamais été formellement établi et je suppose en plus que c'était avec la bénédiction du gouvernement socialiste de l'époque. Ces rassemblements (car il y en a aussi en province) ont été organisés par le NPA qui, insistons !, fait partie de la nouvelle farce populaire (NFP) et ont été approuvés par des responsables des insoumis (comme Mathilde Panot qui a pensé que c'était "normal").

    Quelle honte que ces gens-là ! Qui sont-ils ? Apparemment, surtout des jeunes, donc pas les jeunes en masse qui ont voté Jacques Chirac en 2002 (ils ont maintenant vingt-trois ans de plus, au mieux des quadragénaires !). Des jeunes sans respect, sans repère, sans référence, qui pensent lutter contre l'extrême droite en l'aidant à se victimiser. Car c'est bien cela, la gauche la plus débile du monde, c'est de croire qu'on peut lutter contre la haine par la haine elle-même. Un discours, des actes complètement contre-productifs !

     

     
     


    Le Ministre d'État, Ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau l'a bien compris d'ailleurs, en réagissant en début de soirée par ces mots forts : « Rien, absolument rien ne justifie qu'on danse sur un cadavre ». Fêter la mort d'un vieillard qui, depuis au moins 2015, n'a plus participé au débat national, quelle preuve de courage, quelle victoire ! Ont-ils compris que le danger, si danger il y a (ce que je crois), ne vient plus de Jean-Marie Le Pen, un presque centenaire qui ne pouvait plus se déplacer facilement et placé en maison médicalisée depuis plusieurs mois ? Pensent-ils que l'efficacité des comités "Ras le front" dans les années 1990-2000, c'était d'attendre tranquillement la mort naturelle du leader charismatique de tout ce qu'ils détestent ? Où est la victoire politique ? Quel aveu d'impuissance, surtout !

    Il y a une violence effroyable à s'en prendre à un mort. Il n'y a que les terroristes du Hamas qui refusent de redonner les corps de leurs victimes à leur famille. C'est, avec la libération des otages, l'une des revendications de l'État d'Israël pour arrêter la guerre contre ce groupe terroriste à Gaza. Tous les modérés de droite, du centre et de gauche, sont ulcérés de voir ces agissements qui ne sont pas dignes d'un pays civilisé et cultivé, ou tout simplement, qui ne sont pas dignes d'être humain. Plus cette gauche débile montre son irrespect des valeurs fondamentales, plus elle place l'extrême droite dans la position de garante de ces valeurs fondamentales, ce qui me désole.


     

     
     


    À l'annonce du décès, Marion Maréchal (la petite-fille), Marie-Caroline et Yann (les deux filles aînées), individuellement, se sont rendues auprès de leur grand-père et père à Garches dans un établissement protégé par la police. On imagine qu'il faudra mobiliser beaucoup de forces de police samedi 11 janvier 2025 pour l'enterrement à la Trinité-sur-mer et éviter tous les dérapages possible de la gauche débile sans valeurs.

    Quant à Marine Le Pen, elle revenait de Mayotte et a appris la nouvelle à une escale à Nairobi. Malgré les désaccords stratégiques graves qu'elle a eus avec son père au point de le virer du parti qu'il a fondé (elle a tué, politiquement, le père pour de bon), mais après aussi une réconciliation il y a trois ans, on imagine la perte d'un père. Elle a juste tweeté le 8 janvier 2025 : « Un âge vénérable avait pris le guerrier mais nous avait rendu notre père. La mort est venue nous le reprendre. Beaucoup de gens qu'il aime l'attendent là-haut. Beaucoup de gens qui l'aiment le pleurent ici-bas. Bon vent, bonne mer Papa ! ». À votre avis, qui de la fille ou de ces militants irrespectueux de la Place de la République vont susciter de la sympathie aux Français ? La réponse est évidente.

    Gauche débile, mais extrême droite tenace aussi. Le politiquement correct d'un RN aseptisé et délepénisé n'a pas tenu longtemps si l'on lit le tweet complet de Jordan Bardella : « Jean-Marie Le Pen est mort. Engagé sous l'uniforme de l'armée française en Indochine et en Algérie, tribun du peuple à l'Assemblée Nationale et au Parlement Européen, il a toujours servi la France, défendu son identité et sa souveraineté. Je pense aujourd'hui avec tristesse à sa famille, à ses proches, et bien sûr à Marine Le Pen dont le deuil doit être respecté. ». La filiation du FN/RN avec son fondateur est clairement assumée. Même idées, même programme, même si c'est emballé de manière plus subtile et trompeuse. Du home-staging en quelque sorte.

    Les chaînes d'info continue avaient prévu de parler des dix ans des attentats de "Charlie Hebdo" et voici qu'en milieu de journée, la disparition de Jean-Marie Le Pen est arrivée, plongeant les rédactions dans la stupeur. Dans le meilleur rôle, CNews avait évidemment quelques longueurs d'avance dans ce rayon. Son invité du soir, Bruno Gollnisch, ancien numéro deux du FN et probable Premier Ministre en cas de victoire électorale en 2002, a assuré que Jean-Marie Le Pen voulait le pouvoir. Qu'il s'agissait d'une rumeur urbaine de croire qu'il a tout fait pour ne pas avoir le pouvoir. Il lui disait ainsi qu'on laissait croire qu'on lui avait proposé le pouvoir et qu'il l'avait refusé, mais ce n'était pas ça, il n'a simplement pas réussi à la conquérir. De plus, son désaccord avec sa fille était sur la méthode : il pensait que la "dédiabolisation" se ferait naturellement au fur et à mesure que l'audience électorale du parti d'extrême droite grandirait, sans changer ni édulcorer ses positions.


     

     
     


    On disait bien avant la mort de Georges Marchais que son remplaçant dans le style "grande gueule politique" était Jean-Marie Le Pen. Depuis une dizaine d'années (au moins), on peut dire sans hésitation que le remplaçant de Jean-Marie Le Pen est Jean-Luc Mélenchon avec quatre signes qui ne trompent pas : dire n'importe quoi, avec un grand talent, avec beaucoup d'écho médiatique et susceptible d'influencer beaucoup de monde ! Quand au fond intellectuel, on pense bien sûr à Éric Zemmour, mais la personnalité sanguine n'a rien à voir avec cet éditocrate cérébral.

     

     
     


    Si l'on prend l'homme qu'était Jean-Marie Le Pen, on pouvait sans doute s'agacer des propos volontiers sexistes, machistes qu'il tenait en privé, mais il avait aussi beaucoup d'humour, riait voire chantait (comme un légionnaire), il était bon vivant, a su entraîner beaucoup d'adhésion, d'espérance (lui-même parlait pour sa propre mort d'un « espoir d'espérance »). Une petite preuve de son humour avec cette émission en direct du fameux "Tribunal des flagrant délire" avec Claude Villers pour juge, Pierre Desproges pour procureur et Luis Rego pour avocat du prévenu... Jean-Marie Le Pen lors de l'audience du 28 septembre 1982 (l'une des rares émissions filmées) à une époque où il n'était pas encore un danger (mais avait déjà largement exprimé ses positions d'extrême droite : ses interlocuteurs rieurs ne pouvaient pas être taxés d'amis politiques).

    Au fond, quand on parle de "grande gueule politique", d'influencer, de dire n'importe quoi, de provoquer, cela ne vous rappelle-t-il pas quelqu'un ? Bien sûr, Donald Trump, qui se réinstallera à la Maison-Blanche dans moins de deux semaines, qui fait partie de ce même bois, insubmersible (et peut-être aussi durable).

    Indépendamment de la personnalité politique qui pouvait manier la mauvaise foi et l'insulte, Jean-Marie Le Pen, par sa bonne connaissance de la vie politique française, était capable d'excellentes analyses politiques avec des perspectives historiques, comme c'est souvent le cas pour des militants d'extrême droite (je pense à Patrick Buisson).

    Alors non ! Il ne faut pas danser sur un cadavre chaud, d'autant plus qu'il n'était plus depuis longtemps une menace pour la France. Mais ses idées sont toujours là, ont fleuri, se sont consolidées. Le meilleur moyen de les combattre, c'est d'abord de respecter le deuil des proches, c'est la moindre des choses, et ensuite de rappeler ce qu'est être français par Manuel Valls le 9 janvier 2016 : « Être français, ce n’est pas renoncer à ses origines, ce n’est pas renoncer à son identité, c’est les verser au pot commun. C’est une citoyenneté qui n’est pas petite, qui n’est pas réduite à l’origine de chacun, du sang, du sol ou par naturalisation, mais qui est grande, ouverte, fondée sur la volonté de construire l’avenir ensemble ! C’est ce nouveau patriotisme que j’appelle de mes vœux ! » (au fait, ne vous ai-je pas dit que je ne me lasserais jamais de citer ces paroles ?).



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (08 janvier 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Jean-Marie Le Pen : extrême droite tenace et gauche débile...
    Mort de Jean-Marie Le Pen : la part de l'héritage.
    Procès de Marine Le Pen : surprise de gazelles et cynisme de vieux loups.
    Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
    Législatives 2024 (18) : la fin du cauchemar Bardella (pour le moment).
    Fake news : la scandaleuse manipulation politique du RN.
    Législatives 2024 (12) : un isoloir, ce n'est pas un cabine d'essayage !
    Législatives 2024 (11) : front, rassemblement, union nationale, barrage, consignes de vote...
    Législatives 2024 (10) : il était une fois Jordan Bardella, Gabriel Attal et Manuel Bompard.
    Législatives 2024 (9) : Emmanuel Macron et son n'ayez-pas-peur !
    Jean-Marie Le Pen, retour aux sources du RN.
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Le débat Gabriel Attal vs Jordan Bardella du 23 mai 2024.
    Débat Valérie Hayer vs Jordan Bardella : l'imposture démasquée de Coquille vide.
    Ukraine : Claude Malhuret se gausse de Jordan Selfie !
    Ukraine : Gabriel Attal attaque durement le RN et Marine Le Pen !
    Sondage secret : en cas de législatives anticipées, une victoire du RN ?
    FN/RN : fais-moi peur ! (27 octobre 2015).
    Marine Le Pen en tête dans un sondage : attention au buzz !
    Christine Boutin.
    André Figueras.
    Patrick Buisson.

    Rassemblement national : objectif 2027... ou avant !
    Jordan Bardella.
    Le nouveau JDD et la récupération des Enzo...
    Geoffroy Lejeune.
    Attention, un train de violence peut en cacher un autre...
    Éric Caliméro Zemmour.
    Jean-Marie Le Pen et sa marque dans l'histoire.
    La tactique politicienne du RN.
    La sanction disciplinaire la plus lourde de la Cinquième.

    Louis Aliot.
    Le congrès du RN.
    Grégoire de Fournas.
    Incident raciste : 89 nuances de haine à la veille du congrès du RN ?

    Le Front national des Le Pen, 50 ans plus tard...

     

     
     



    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250108-jean-marie-le-pen.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/jean-marie-le-pen-extreme-droite-258554

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/01/08/article-sr-20250108-jean-marie-le-pen.html



     

  • Mort de Jean-Marie Le Pen : la part de l'héritage

    « Je me pose un certain nombre de questions. Je ne dis pas que les chambres à gaz n’ont pas existé. Je n'ai pas étudié spécialement la question, mais je crois que c'est un point de détail de l'histoire de la Deuxième Guerre mondiale. » (Jean-Marie Le Pen, le 13 septembre 1987 sur RTL).



    _yartiLePen2022062002

    Sa famille a annoncé la mort de Jean-Marie Le Pen ce mardi 7 janvier 2025 à midi à Garches, dans les Hauts-de-Seine. Il était dans sa 97e année et devait être jugé en même temps que sa fille Marine Le Pen pour l'affaire des assistants parlementaires. C'est un peu par hasard qu'il a cofondé le Front national en 1972 qui allait devenir le Rassemblement national.

    J'aurai du mal à verser une larme sur ce dinosaure de la vie politique française, qui a survécu à la "Bande des Quatre" qu'il a tant fustigée dans les années 1980 (François Mitterrand, Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Chirac et Georges Marchais). Mais je lui reconnais le talent politique que sa fille est loin d'avoir hérité : Jean-Marie Le Pen était un homme qui a dit n'importe quoi, qui a fait dans la provocation, qui s'est laissé aller dans ses déclarations parce que son ego l'encourageait à ne pas ménager le système médiatico-politique, mais il avait une grande connaissance de la France politique d'après-guerre (il était député sous la Quatrième République !). Marine Le Pen serait plutôt une imposture puisqu'elle essaie de gommer tout ce qui, au contraire, pourrait provoquer de l'indignation afin d'appâter un électorat raisonnable (au moins, avec son procès, c'est clair, le RN fait partie du système politique tant dénoncé par son père !). Mais c'est le même parti, c'est le même nom, c'est la même famille, et surtout, ce sont les mêmes idées. Jean-Marie Le Pen avait au moins une grande culture politique, on était loin de la tiktokisation de vie politique par bardellisation sociétale.

    Avec Jean-Marie Le Pen se tourne donc une page de l'histoire politique de la France. Certains étaient moins clairvoyants que d'autres. François Mitterrand, c'est désormais prouvé, a délibérément favorisé à la télévision (qui n'était que publique), en 1984, l'ascension médiatique de Jean-Marie Le Pen et comme celui-ci avait du talent, celui d'orateur, il a saisi sa chance et l'a beaucoup trop bien fait fructifier pour les socialistes puisque ceux-ci ont été privés de second tour présidentiel en 2002 à cause de ce monstre qu'ils avaient eux-mêmes créé. Exit Lionel Jospin.


    _yartiLePenJeanMarie95a03

    Jean-Marie Le Pen a toutefois utile à la vie politique car il a démontré l'excellence démocratique de la Cinquième République puisqu'un parti ne valant que 0,7% des voix en 1974 pouvait atteindre les sommets qu'on connaît depuis une vingtaine d'années. Emmanuel Macron a prouvé aussi qu'un nouveau parti politique pouvait obtenir la majorité absolue à l'Assemblée Nationale dès lors qu'il était capable de provoquer suffisamment d'échos médiatiques.

    Au moins, l'inspiration du RN n'est plus cachée : Jordan Bardella a émis une vibrant hommage à celui qu'on pourrait appeler son beau-grand-père. Faut-il rappeler l'idéologie de ce parti ? Jean-Marie Le Pen avait bien précisé, à la fin de sa vie, encore l'année dernière, que ses provocations verbales n'étaient pas des dérapages et qu'il pensait vraiment ce qu'il disait.

    "Le Monde" a fait un petit résumé il y a dix ans, à l'époque où justement Marine Le Pen, par ambition, s'est sentie obligée d'exclure son père pour rester politiquement correcte (Albert Camus avait plus le sens de la famille). Comparez avec les petites phrases reprochées à Emmanuel Macron depuis dix ans.


     


    Toute la classe politique n'avait pas compris exactement le phénomène Le Pen. Par exemple, en 1984, Jacques Chirac avait pensé que ce ne serait qu'un épiphénomène provisoire, motivé par la gauche au pouvoir et l'exacerbation de l'opposition de droite, et que dès 1986, tout rentrerait dans l'ordre. C'était évidemment une erreur, et on peut saluer le courage de Jacques Chirac, pourtant assez changeant dans ses convictions, par ses valeurs républicaines qui ont fait qu'en tant que président du RPR, il a été intraitable pour rejeter tout soupçon d'alliance avec le FN. Rappelons qu'à l'époque, François Mitterrand encourageait le FN (accès aux médias, proportionnelle qui a fait élire 36 députés FN, etc.).

    Pas étonnant que l'adversaire politique le plus grand de Jean-Marie Le Pen était, selon ce dernier, Jacques Chirac (et pas un responsable de gauche). Le combat final entre les deux hommes, le seul d'ailleurs, cela a été au second tour de l'élection présidentielle de 2002 et s'est terminé sans appel : 82,2% pour le Président gaulliste sortant, 17,8% pour le candidat de l'extrême droite. On rêve sans doute de cette époque, pas si lointaine (vingt-trois ans, une génération quand même), car cet écart s'est dangereusement rétréci, avec l'absence de la gauche au second tour, puisque Marine Le Pen a atteint 41,4% face à Emmanuel Macron 58,6%.

    Alors, en ce jour où le relativisme politique sera à fond avec certains hommages indécents à Jean-Marie Le Pen, je rappellerai simplement quelques phrases du Président Jacques Chirac à la fin de son second mandat le 11 mars 2007, sa dernière allocution télévisée, aussi sa dernière occasion de s'exprimer aux Français : « Au nom de la confiance que vous m'avez témoignée, je voudrais vous adresser plusieurs messages. D'abord, ne composez jamais avec l'extrémisme, le racisme, l'antisémitisme ou le rejet de l'autre. Dans notre histoire, l'extrémisme a déjà failli nous conduire à l'abîme. C'est un poison. Il divise. Il pervertit, il détruit. Tout dans l'âme de la France dit non à l'extrémisme. Le vrai combat de la France, le beau combat de la France, c'est celui de l'unité, c'est celui de la cohésion. Oui, nos valeurs ont un sens ! Oui, la France est riche de sa diversité ! Oui, l'honneur de la politique, c'est d'agir d'abord pour l'égalité des chances ! C'est de permettre à chacun, à chaque jeune, d'avoir sa chance. Ce combat, malgré tous les obstacles, et même si je mesure le chemin qui reste à parcourir, il est désormais bien engagé. Il doit nous unir dans la durée. C'est l'une des clefs de notre avenir. ».

    Pour l'heure, la panthéonisation de Jean-Marie Le Pen est exclue ! Mais sait-on jamais...



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (07 janvier 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Mort de Jean-Marie Le Pen : la part de l'héritage.
    Procès de Marine Le Pen : surprise de gazelles et cynisme de vieux loups.
    Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
    Législatives 2024 (18) : la fin du cauchemar Bardella (pour le moment).
    Fake news : la scandaleuse manipulation politique du RN.
    Législatives 2024 (12) : un isoloir, ce n'est pas un cabine d'essayage !
    Législatives 2024 (11) : front, rassemblement, union nationale, barrage, consignes de vote...
    Législatives 2024 (10) : il était une fois Jordan Bardella, Gabriel Attal et Manuel Bompard.
    Législatives 2024 (9) : Emmanuel Macron et son n'ayez-pas-peur !
    Jean-Marie Le Pen, retour aux sources du RN.
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Le débat Gabriel Attal vs Jordan Bardella du 23 mai 2024.
    Débat Valérie Hayer vs Jordan Bardella : l'imposture démasquée de Coquille vide.
    Ukraine : Claude Malhuret se gausse de Jordan Selfie !
    Ukraine : Gabriel Attal attaque durement le RN et Marine Le Pen !
    Sondage secret : en cas de législatives anticipées, une victoire du RN ?
    FN/RN : fais-moi peur ! (27 octobre 2015).
    Marine Le Pen en tête dans un sondage : attention au buzz !
    Christine Boutin.
    André Figueras.
    Patrick Buisson.

    Rassemblement national : objectif 2027... ou avant !
    Jordan Bardella.
    Le nouveau JDD et la récupération des Enzo...
    Geoffroy Lejeune.
    Attention, un train de violence peut en cacher un autre...
    Éric Caliméro Zemmour.
    Jean-Marie Le Pen et sa marque dans l'histoire.
    La tactique politicienne du RN.
    La sanction disciplinaire la plus lourde de la Cinquième.

    Louis Aliot.
    Le congrès du RN.
    Grégoire de Fournas.
    Incident raciste : 89 nuances de haine à la veille du congrès du RN ?

    Le Front national des Le Pen, 50 ans plus tard...

     

     

     

     
     



    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250107-jean-marie-le-pen.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/mort-de-jean-marie-le-pen-la-part-258538

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/01/07/article-sr-20250107-jean-marie-le-pen.html






     

  • Anne-Marie Comparini, l'esprit de Barre à Lyon

    ​« Aussi intransigeante sur les valeurs de la République qu’inlassablement engagée pour bâtir et transmettre, elle sut par la force de ses combats gagner une autorité morale et une affection qui dépassaient les clivages. (…) Ses qualités, sa personnalité qui savait tisser des ponts au-delà des partis, lui firent prendre une ampleur nationale. Son intransigeance dans la défense de ses convictions, aussi. » (Communiqué de l'Élysée, 5 janvier 2025).



     

     
     


    J'ai appris avec émotion ce dimanche 5 janvier 2025 la mort de l'ancienne députée UDF du Rhône Anne-Marie Comparini à l'âge de 77 ans (elle est née le 11 juillet 1947). Elle s'est éteinte à 2 heures du matin à l'hôpital Édouard-Herriot de Lyon où elle avait été admise le 31 décembre 2024. En fait, en commençant ainsi, on situe assez mal cette personnalité si précieuse que la France a eue à son service. Si elle était peu connue du grand-public aujourd'hui, elle était bien connue des Lyonnais, des Rhônalpins ...et des centristes. Pour moi, elle était d'abord une fidélité, celle à l'ancien Premier Ministre Raymond Barre pour qui elle a travaillé alors qu'il était encore à Matignon.

    À l'origine, Anne-Marie Comparini était juriste de droit social, administratrice à l'ORTF (Office de radiodiffusion et télévision française) puis à l'INA (Institut national de l'audiovisuel). Dès mars 1978, elle s'est mise au service de Raymond Barre comme collaboratrice parlementaire jusqu'en mars 2001. En mars 1986, Anne-Marie Comparini s'est fait élire conseillère régionale de Rhône-Alpes représentant le Rhône. Chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche à la région, elle fut réélue en mars 1992, mars 1998 et mars 2004, jusqu'à mars 2010. Ce sera probablement le mandat le plus important pour Anne-Marie Comparini même si elle en a eu deux autres importants.

    Le premier, c'est d'avoir été élue dans la foulée de Raymond Barre aux élections municipales de Lyon en juin 1995 : entre juin 1995 et mars 2001, Anne-Marie Comparini a été adjointe au maire chargée de la politique de la ville et des universités tandis que Raymond Barre devenait maire de Lyon pour un mandat unique. Le second, c'est d'avoir été élue députée de Lyon de 2002 à 2007.
     

     
     


    C'est au titre de cette expérience lyonnaise que le successeur de Raymond Barre, le socialiste Gérard Collomb a songé à elle pour qu'elle fût la présidente du Conseil de développement de la métropole de Lyon de 2015 à 2021 (si mes souvenirs sont exacts, Raymond Barre avait été lui-même le président du conseil du développement extérieur de Lyon lorsque Michel Noir dirigeait la municipalité de Lyon de 1989 à 1995, ses réseaux internationaux ayant permis à l'agglomération de s'ouvrir au monde extérieur). Du reste, le 19 février 2014, peu avant sa réélection comme maire de Lyon pour un troisième mandat, Gérard Collomb a invité tout spécialement Anne-Marie Comparini, Michel Mercier (ancien président du conseil général du Rhône et ancien Ministre de la Justice) et d'autres élus ou anciens élus centristes et de centre droit pour inaugurer un nouveau pont à Lyon (premier nouveau pont depuis 1982), le pont Raymond-Barre, histoire de célébrer l'héritage barriste et séduire l'électorat modéré : « Nous venions de rives différentes mais nous avions un point commun, l'envie de servir notre ville. ».

     

     
     


    Barriste fidèle, Anne-Marie Comparini comptait au Centre des démocrates sociaux (CDS) puis à l'UDF après 1995. Son destin s'est offert en 1998-1999 sur une intransigeance et une incompréhension. Sur Twitter, François Bayrou a annoncé la triste nouvelle ainsi : « Aussi intransigeante sur les valeurs de la République qu’inlassablement engagée pour bâtir et transmettre, elle sut par la force de ses combats gagner une autorité morale et une affection qui dépassaient les clivages. ». Car qui aurait pensé qu'elle serait élue présidente de région ?

    À l'époque, le scrutin des élections régionales était la proportionnelle intégrale dans des circonscriptions départementales. Or, depuis mars 1992, avec l'irruption tant des écologistes (dans une moindre mesure) que du FN (qui faisait le plein de ses élus à ces scrutins), le centre droit UDF-RPR et la gauche traditionnelle PS-PCF n'étaient plus en capacité de diriger seuls les régions. La tentation était forte d'une alliance entre le président sortant du conseil régional, sa majorité (souvent de centre droit), et les élus du FN, alliance certes implicite mais bien réelle. Il y a déjà eu des précédents en mars 1992 avec (pourtant) deux ministres d'ouverture du gouvernement socialiste : Jean-Marie Rausch en Lorraine et Jean-Pierre Soisson en Bourgogne.

    En 1998, la situation était encore plus éclatée dans certains conseils régionaux. Des présidents sortants n'hésitaient donc pas à quémander la bienveillance des élus FN, comme Charles Baur en Picardie et Jacques Blanc en Languedoc-Rousillon. De manière extraordinaire, Charles Millon a été réélu, lui aussi, avec les voix des élus FN. J'écris extraordinaire car lorsque j'étais à Grenoble, j'ai eu l'occasion de connaître Charles Millon qui a eu une grande importance tant régionale que nationale : député de l'Ain depuis mars 1978 (jusqu'en 2001), président du groupe UDF à l'Assemblée de 1989 à 1995, Ministre de la Défense de mai 1995 à juin 1997 (il avait refusé le Ministère de l'Agriculture en 1993 dans le gouvernement dirigé par Édouard Balladur car il soutenait Jacques Chirac en 1995). J'avais eu l'occasion de vérifier qu'il avait des convictions politiques très affirmées et celles-ci étaient à l'opposé des idées du FN. En effet, il était particulièrement vigilant pour éviter toute alliance locale entre un élu UDF-RPR et un candidat FN. Par ailleurs, entre 1985 et 1988, Charles Millon était l'animateur des réseaux barristes REEL, noyau dur de la campagne présidentielle de Raymond Barre (après l'échec de Raymond Barre, il est resté en politique alors qu'on lui proposait des ponts d'or dans le privé).

    Charles Millon avait réussi à se faire élire président du conseil régional de Rhône-Alpes le 27 octobre 1988 à la mort de son prédécesseur, l'ancien résistant Charles Béraudier (c'est ce dernier qui a fait élire le centriste Francisque Collomb à la mairie de Lyon à la mort de Louis Pradel, en décembre 1976, préféré à Jacques Soustelle dont il était pourtant le suppléant au début des années 1960).

    Charles Millon s'était fait réélire le 23 mars 1992. À l'élection du 20 mars 1998, la situation était impossible. Les résultats des élections régionales du 15 mars 1998 avaient donné un hémicycle ingouvernable : 60 élus UDF-RPR, 60 élus PS et alliés (PCF, Verts), 35 élus FN, 1 CPNT (Chasse pêche nature et traditions) et 1 régionaliste (Patrice Abeille, de la Ligue savoisienne, ralliant la gauche). Une majorité relative suffit au troisième tour, mais les deux camps auraient été à égalité : centre droit 61 et gauche et alliés 61. Dans ce cas, des deux candidats qui se présentaient, le plus âgé aurait été élu : à droite, Charles Millon né le 12 novembre 1945, à gauche, Jean-Jack Queyranne (par ailleurs ministre du gouvernement de Lionel Jospin), né le 2 novembre 1945, dix jours de plus qui lui auraient permis de remporter la présidence du conseil régional.

    Mais c'était sans compter avec la volonté de rester à son siège quoi qu'il en coûtât : Charles Millon a donc remporté l'élection au second tour grâce aux élus FN dirigés par Bruno Gollnisch, numéro deux du FN. Mais cette élection a choqué sa propre majorité, en particulier les conseillers UDF absolument hostiles à toute alliance, implicite ou explicite, avec le FN. Charles Millon a toujours réfuté tout accord avec le FN mais il a quand même accepté l'élection de treize vice-présidents de commission FN, notamment celle de la culture.


    Cette élection a eu pour conséquence une division du camp centriste avec l'exclusion de l'UDF de Charles Millon, Charles Baur et Jacques Blanc, mais ceux-ci étaient accueillis à bras ouverts par Alain Madelin qui a quitté lui aussi l'UDF pour créer Démocratie libérale (DL), plus "souple" dans ses alliances. Charles Millon refusa d'adhérer à DL et a créé un microparti qui n'a jamais décollé, La Droite puis La Droite chrétienne.

    Toutefois, la "morale" allait être sauve ! Sur une requête en annulation du conseiller régional UDF Étienne Tête, enregistrée le 30 mars 1998, le Conseil d'État a annulé le 9 décembre 1998 l'élection de Charles Millon à la présidence du conseil régional de Rhône-Alpes pour une raison précise. La loi du 7 mars 1998 a rajouté à l'article L.4133-1 du code général des collectivités territoriales, les conditions d'une telle élection : « Cette élection ne donne lieu à aucun débat. ». Or le doyen d'âge qui présidait la séance, avant de passer au vote du second tour, a demandé s'il y avait « quelque chose à ajouter ». Alors, le candidat FN Bruno Gollnisch a demandé à Charles Millon une précision sur son programme, ce dernier lui a répondu et à la suite, le candidat FN a retiré sa candidature et a donné la consigne aux élus FN de voter pour Charles Millon. Or, cette question-réponse était interdite dans la loi et cette irrégularité a eu une influence certaine sur le résultat de l'élection, d'où l'annulation.


    Pour cette raison, le 9 janvier 1999, une nouvelle élection du président du conseil régional de Rhône-Alpes a eu lieu. Mais dans un tout autre contexte : les élus UDF ont refusé de se joindre aux membres de la majorité régionale pour voter de nouveau pour Charles Millon. La gauche a compris que pour faire battre Charles Millon, il fallait voter pour un candidat UDF, en l'occurrence, une candidate UDF, à savoir Anne-Marie Comparini. Elle a donc été élue (à 51 ans) présidente du conseil régional de Rhône-Alpes, la première femme à ce poste (mais pas la première en France, d'autres femmes présidente de conseil régional avaient déjà été élues avant elle). Mais c'est surtout la première (et seule) élection avec une majorité de toute la gauche plus l'UDF. On a vu qu'en Allemagne, certains coalitions étaient d'abord testées dans les Länder avant d'être testées grandeur nature, et finalement, on peut dire que c'est ce que recherche aujourd'hui François Bayrou avec une Assemblée aussi éclatée que ne l'était le conseil régional de Rhône-Alpes en 1998.
     

     
     


    Pendant plus de cinq ans (1999 à 2004), Anne-Marie Comparini a présidé le conseil régional de Rhône-Alpes avec une majorité centriste et de gauche, très appréciée pour son sens de l'intérêt général. Elle a porté ses actions sur le développement économique de la région, son ancrage européen, et la mise en œuvre de la ligne TGV Lyon-Turin (devenue Arlésienne).

    En mars 2001, aux élections municipales à Lyon, Raymond Barre, à 76 ans, ne se représentait pas. Une liste UDF-RPR s'est présentée, menée par le député RPR Jean-Michel Dubernard (après le ralliement du centriste Michel Mercier), opposée à la liste de gauche menée par Gérard Collomb, perdant perpétuel (jusque là). Mais Charles Millon a également présenté ses propres listes, faisant 25%. Lyon, la catholique conservatrice représentait un bon électorat pour Charles Millon. Au second tour, Gérard Collomb et la gauche ont gagné à cause de la division du centre droit et de la droite (très peu de fusions de listes au second tour), et de la bienveillance du maire sortant Raymond Barre.

    Aux élections législatives de juin 2002, Charles Millon n'a cependant pas réussi sa mue lyonnaise : quittant sa circonscription de l'Ain (il était maire de Belley de 1977 à 2001) pour une circonscription lyonnaise, il a échoué face au député sortant Jean-Jack Queyranne. En revanche, la présidente du conseil régionale Anne-Marie Comparini a été élue députée du Rhône sur une autre circonscription (centriste) de juin 2002 à juin 2007 avec 55,5% au second tour (contre le socialiste Jean-Louis Touraine). La députée sortante était l'UDF Bernadette Isaac-Sibille, qui s'était tout de même représentée à 72 ans, celle-ci n'a obtenu que 12,1% au premier tour (Anne-Marie Comparini avait l'investiture UMP et a eu 32,1% au premier tour). Bernadette Isaac-Sibille avait gagné la circonscription en juin 1988, en mars 1993 et juin 1997 face à Gérard Collomb (sauf en 1993).

    En mars 2004, Anne-Marie Comparini est repartie en campagne pour les régionales, tête de liste commune UDF-UMP contre la liste de gauche menée par Jean-Jack Queyranne. Le millonisme électoral avait déjà disparu en 2004 (bien que Charles Millon soit resté à présider le groupe milloniste à la mairie de Lyon jusqu'en 2008 ; ce dernier a été nommé ambassadeur de France de 2003 à 2007). Un changement de scrutin aux élections régionales rendait plus facile l'obtention d'une majorité avec deux tours de proportionnelle et une prime majoritaire (un peu à l'instar des élections municipales). La gauche l'a emporté au second tour avec 46,5% des voix et 94 sièges sur 157 au total. La liste Comparini n'a obtenu que 38,2% et 45 sièges, et la liste Gollnisch 15,3% et 18 sièges. La région est redevenue majoritaire, mais au profit de la gauche et de Jean-Jack Queyranne (jusqu'en décembre 2015).
     

     
     


    Députée UDF et membre de la commission des lois, Anne-Marie Comparini a soutenu fidèlement la candidature de François Bayrou tant en 2002, 2007 qu'en 2012. Investie par le MoDem, elle a échoué à se faire réélire députée en juin 2007, battue dès le premier tour avec seulement 17,4% des voix (le candidat UMP a été élu au second tour). François Bayrou aurait toutefois souhaité qu'Anne-Marie Comparini fût la candidate du MoDem à la mairie de Lyon en mars 2008 mais en septembre 2007, elle s'est retiré de la vie politique, conservant seulement son dernier mandat de conseillère régionale jusqu'en mars 2010. La circonscription d'Anne-Marie Comparini, après avoir été gagnée par le candidat UMP, a été occupée par un député radical de gauche de 2012 à 2017, puis un député macroniste de 2017 à 2024, et depuis 2024, une candidate insoumise l'a remportée.

    Son retrait de la vie politique ne signifiait pas son silence. Anne-Marie Comparini a ainsi apporté son soutien à Emmanuel Macron aux élections présidentielles de 2017 et de 2022 (elle a présidé le comité de soutien lyonnais à Emmanuel Macron en 2022). Avant de s'en aller, elle aura eu la joie et l'émotion de voir François Bayrou accéder à Matignon. De Raymond Barre à François Bayrou. Condoléances à sa famille.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (05 janvier 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Anne-Marie Comparini.
    François Bayrou.
    Philippe Vigier.
    Jean-Marie Daillet.
    La loi Veil.

    Claude Malhuret.
    Jacques Duhamel.
    Didier Borotra.
    La convergence des centres aux européennes.
    Raymond Barre.
    Gilberte Beaux.
    Christine Boutin.
    Dominique Baudis.
    Valérie Hayer.
    Henri Grouès.
    Jean-Jacques Servan-Schreiber.
    Jean-Marie Rausch.
    René Monory.
    René Pleven.
    Simone Veil.
    Bruno Millienne.
    Jean-Louis Bourlanges.
    Jean Faure.
    Joseph Fontanet.
    Marc Sangnier.
    Bernard Stasi.
    Jean-Louis Borloo.
    Sylvie Goulard.
    André Rossinot.
    Laurent Hénart.
    Hervé Morin.
    Olivier Stirn.
    Marielle de Sarnez.

     
     



    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250105-anne-marie-comparini.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/anne-marie-comparini-l-esprit-de-258509

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/01/05/article-sr-20250105-anne-marie-comparini.html


     

  • Mazarine Pingeot et la culture du secret

    « J'étais le secret, mais je connaissais l'histoire de mes parents. La seule chose que je ne pouvais pas vraiment faire, c'était dire la vérité sur mon identité, même si je pouvais raconter des choses en taisant les noms (…). Lorsqu'on est structurée par le secret, le fait de dire, c'est comme si tout votre statut d'existence s'évanouit, se dissout. C'est par le secret que tout était justifié, le fait d'habiter dans cet endroit caché, de ne pas porter un nom, toute mon existence se justifiait à l'aune du secret. » (Mazarine Pingeot, le 17 octobre 2024 sur France Inter).



     

     
     


    L'écrivaine Mazarine Pingeot fête son 50e anniversaire ce mercredi 18 décembre 2024. En fait, elle pourrait fêter son 30e anniversaire seulement, parce qu'il y a un peu plus de trente ans, le 10 novembre 1994, elle est née aux yeux du grand public. En effet, le numéro de "Paris Match" publié à cette date venait de sortir des photos vaguement volées et plus ou moins consenties de Mazarine Pingeot avec son père... le Président de la République François Mitterrand.

    En fait, dès le 12 septembre 1994, François Mitterrand avait évoqué l'existence de cette fille tant cachée lors d'une interview spéciale accordée à Jean-Pierre Elkabbach pour France 2 : depuis vingt ans, toute la classe politico-médiatique connaissait l'existence de Mazarine, mais personne ne le disait publiquement, mais les rumeurs sortant, à cette question, François Mitterrand a eu la meilleure réponse possible : oui, il disait avoir une fille de presque 20 ans, belle, intelligente, qui venait d'intégrer Normale Sup., quoi demander de plus pour un père aimant et heureux ?! De quoi couper l'herbe sous les pieds de tous les détracteurs potentiels, présents... et futurs !

    Et il avait raison, nous étions dans les années 1990, pas dans les années 1970, à une époque, comme celle de la candidature de Jacques Chaban-Delmas, où le simple fait d'être divorcé constituait un réel handicap électoral (surtout quand son électorat était parmi les conservateurs). François Mitterrand venait, en quelques phrases, d'annoncer officiellement, de confirmer l'existence de Mazarine, de révéler un secret qui était quasi-constitutif de la vie de Mazarine, et de montrer qu'il était en adéquation avec la société, beaucoup plus tolérante sur les affaires de mœurs quand l'amour l'emporte.


     

     
     


    Mazarine était le fruit d'un amour intense de François Mitterrand avec Anne Pingeot. Celle-ci a récemment accepté de publier le millier de lettres enflammées du futur Président de la République (1 218 lettres écrites entre 1962 et 1995 ont été publiées en 2016 aux éd. Gallimard). Une véritable compartimentalisation de l'amour. D'ailleurs, il racontait souvent à ses amis hommes, notamment son vieil ami Roland Dumas, qui vient de mourir plus que centenaire, qu'un homme devait avoir plusieurs femmes : une pour aimer, une pour se cultiver, une pour la mère de ses enfants, etc. !...

    Exemple de lettre de François à Anne : « Non, je ne veux pas attendre ce soir, mon Anne, pour te dire, te redire quel bonheur c'est de t'aimer. Si l'on pouvait offrir la joie comme les iris ou une brassée d'œillets simples, je t'en enverrais un énorme bouquet. Il m'en resterait encore assez pour m'émerveiller de ces quatre jours que je viens de vivre, unis à toi, pleins de toi. Non, je ne peux pas attendre ce soir pour te dire quel bonheur c'est que de t'aimer. ». Ou encore : « Mais je peux parler pour moi et te dire que je t'aime. Voilà le grand mot est lâché. Je t'aime. Comment ? Je sais que tu ajouteras que je t'aime mal ou pas du tout. C'est ton affaire. Mais je t'aime, même mal, même pas du tout, mais je t'aime quand même. ».


    Allez, encore deux autres extraits : « Avant de dormir j'ai pensé à cette joie secrète, profonde, aussi inquiétante qu'un ciel d'un bleu trop pur sur la Méditerranée : Anne existe. ». Et (pour le jeu de mots littéraire) : « Et surtout comment faire, comment faire pour ne pas poursuivre en moi-même la musique interrompue, et pour ne pas écrire ma partition avant de la déposer du côté de chez Anne ? Comment résister à la force heureuse de ces trois jours que je viens de vivre et qui n'étaient pas de folie mais de grâce ? À moins que la folie ne soit cette grâce suprême qui prête à chaque geste, à chaque mot, à chaque heure partagée cette résonance qui va si profondément en moi, et y demeure. ».

    La seule, réelle, critique à formuler contre François Mitterrand, à ce sujet (j'en ai plein d'autres politiques !!), ce n'est pas sur le registre moral (à chacun ses mœurs et sa vie affective et je me garderais bien de commenter celle des autres), mais sur le registre financier : non seulement cette seconde famille a été nourrie aux frais de la République, et donc du contribuable, pendant au moins les quatorze ans de Présidence du patriarche, mais ce dernier a mobilisé de nombreux gendarmes pour effectuer en permanence des écoutes téléphoniques sur près de 2 000 personnes pour éviter la révélation de ce secret. Registre financier mais aussi éthique puisque par ces écoutes téléphones, 2 000 personnes ont vu leur vie personnelle violées par les gendarmes du Président (parmi lesquels des ministres, des journalistes, des acteurs, des écrivains, etc.). Il était là le scandale, et c'est sûr qu'aujourd'hui, ce serait beaucoup plus difficile d'avoir un tel comportement d'impunité judiciaire, même à l'Élysée.

    La principale personne à plaindre était bien sûr la femme officielle, Danielle Mitterrand, qui a dû prendre beaucoup sur elle mais surtout, qui s'est rangée à une raison affective d'une grande lucidité (mais finalement très rare dans sa position) : Mazarine, née de cet amour extraconjugal, n'y pouvait rien et méritait d'être accueillie et aimée dans sa famille. Danielle a ainsi encouragé ses deux fils (Gilbert et Jean-Christophe) à accueillir avec bienveillance leur demi-sœur. Cela s'est montré de manière éclatante (et pourtant pas si évidente) lors de l'enterrement de François Mitterrand à Jarnac, peu de temps plus tard, le 11 janvier 1996, où les deux familles, l'officielle et la cachée, se côtoyaient sous le feu des photographes au premier rang dans une douleur commune à l'église Saint-Pierre (pendant qu'une messe était dite à Notre-Dame de Paris en présence de dizaines de chefs d'État et de gouvernement pour un dernier hommage). C'était la première fois que la fratrie se rencontrait.
     

     
     


    On peut dire qu'avec le recul, il aurait été assez stupide de garder un secret que le visage même de Mazarine Pingeot aurait révélé, tant elle ressemble, surtout aujourd'hui, avec l'âge venant, étonnamment à son père. La bouche, les joues, les yeux, le nez...

    Invitée de la matinale de France Inter le 17 octobre 2024, pour présenter son dernier livre "11 quai Branly" (éd. Flammarion), l'adresse de l'appartement très luxueux où elle logeait pendant son enfance (entre ses 9 et 16 ans), Mazarine Pingeot expliquait à quel point ce secret avait traumatisé son enfance. Cela la heurtait profondément lorsqu'elle révélait à des amis et des proches qui était son père qui était alors Président de la République : « On parlait tout le temps du Président, mais, moi, je connaissais une autre personne, j'étais contrainte et réduite au silence à propos du Président. Les hommes et femmes politiques sont souvent attaqués et ces attaques finissent toujours par concerner la personne, et, pour un enfant, cette confusion est très étrange. ».

    D'autant plus que, pour préserver le secret, François Mitterrand cloisonnait les relations, si bien que Mazarine n'a jamais été au contact avec des interlocuteurs politiques ou diplomatiques de son père, au contraire de sa famille officielle : « Je ne le voyais jamais en représentation, dans ses fonctions. Là où je le voyais, c'était dans le lieu de l'intime, du père, je n'avais pas accès aux lieux du Président. ». Son père l'a d'ailleurs officiellement reconnu le 25 janvier 1984 (ce que je trouve tardif, elle avait déjà 9 ans), dans le domicile de Robert Badinter et l'acte notarié a été écrit à la machine de la "main" d'Élisabeth Badinter.

    La révélation de son visage à tous les Français en 1994 a été également très durement vécue par Mazarine qui est passée d'un coup de l'ombre à la lumière : « Ça a été d'une grande violence pour moi, mais ça ne pouvait sans doute pas se passer autrement, la violence du secret répondait à celle de l'immense publicité. Mais voir son visage partout, quand on a été invisible, rend compliqué le fait de s'approprier sa propre image quand on pensait qu'elle n'existait pas. ». Depuis le 8 novembre 2016, elle s'appelle d'ailleurs officiellement Mazarine Mitterrand Pingeot.


    J'ai évoqué son dernier livre, il s'agit en effet de son dix-neuvième ouvrage, essai ou roman, et cette boulimie d'écriture a sans doute un rapport avec son père qui n'aurait pas dédaigné une carrière littéraire s'il avait renoncé à sa carrière politique.
     

     
     


    Agrégée de philosophie en 1997, Mazarine Pingeot a soutenu une thèse en philosophie et enseigne la philosophie dans l'enseignement supérieur, actuellement à Science Po Bordeaux. Mais son activité d'enseignante lui laisse le temps aussi d'écrire des livres et aussi des scénarios, voire d'assurer des chroniques dans des médias.

    L'existence de Mazarine Pingeot m'a un peu fasciné, et j'avais donc un préjugé favorable sur la personne, même si je ne dois pas avoir du tout ses opinions politiques (elle a soutenu la candidature de Vincent Peillon en janvier 2017, sans doute par corporatisme philosophique, mais elle ne fera pas de politique car elle n'a pas l'âme militante, elle doute trop). J'ai donc assez stupidement, je l'avoue, acheté à la fin des années 1990 son premier livre, sorti en 1998 chez Julliard, et c'est vrai que rien que son titre m'avait mis la puce l'oreille : "Premier roman". Le titre est bien le livre : quelle prétention d'écrire un livre appelé "premier roman", comme si c'était d'abord un roman (en fait, un vague récit), et comme si c'était un premier, c'est-à-dire le premier d'une série.

    Elle a quand même eu 60 000 exemplaires vendus, ce qui est déjà beaucoup (peut-être des "comme-moi"), et je dois dire que j'ai été très déçu, son nom, sa parenté, malheureusement, ont dû l'aider à démarrer cette carrière littéraire. Je l'écris avec un peu de regret car je n'aime pas réduire une personne à ce qu'elle ne contrôle pas, en particulier à sa famille, à son nom, etc. Pourtant, quelle prétention dans ce pseudo-roman et surtout, quel ennui ! La vie de quelques jeunes bobos qui n'ont aucun problème pour vivre sans emploi rémunéré, intellectuels, dans des appartements dorés, parisiens à outrance, un récit qui n'a aucun intérêt ni littéraire ni sociologique.


    Échantillon du livre : « Perdre son temps dans une ville est le meilleur moyen de la pénétrer de l'intérieur, de la connaître dans son intimité, de la laisser se dévoiler, d'adapter son propre rythme à celui des rues, sans rien lui imposer et sans rien lui voler. ».

    Comme je lis souvent par auteur, je sais, c'est parfois injuste, j'avoue que je n'ai donc pas poursuivi avec elle, avec ses autres livres, dont certains ont obtenu encore plus de succès, comme "Bouche cousue" sorti en février 2005 (chez Julliard), un récit autobiographique qui s'est vendu à 200 000 exemplaires (c'est énorme).

    Quelques extraits de ce récit autobiographique : « Certains ont peur de moi, mon secret les repousse, ils ne le connaissent pas, ont seulement quelques doutes, mais un secret se voit, il a un visage triste, une moue fermée, un regard éteint. Un secret porte le noir, émet des ondes radioactives, sans doute parce qu'on ne l'approche pas, même si on en brûle. ». Deuxième : « La mémoire, ce sont les livres qui l'ont. Il (mon père) collectionnait les éditions anciennes ou originales pour y sentir la présence des premiers lecteurs, des premières émotions, des premières lectures, peut-être même le toucher de l'auteur. Il me suffit d'y voir la marque de papa, de sentir sous la caresse du papier ce qu'il avait pu éprouver, en son temps. ».

    Troisième : « La mort de papa, nous nous y attendions tous... Je le voyais tous les jours malade, mais à aucun moment je ne me suis véritablement dit qu'il allait mourir. Ce sursis pouvait durer éternellement ; je le voyais souffrir, et se désespérer de souffrir, devenant irritable, plus lointain. La maladie lui était une humiliation. Il n'a jamais réussi à l'accepter. Pour la première fois, il affrontait plus fort que lui. ». Quatrième extrait : « Je n'ai jamais pensé pouvoir lui reprocher quoi que ce soit. Aimer, paraît-il, c'est aussi accepter les faiblesses de l'autre. Je ne me suis jamais octroyé le droit de reconnaître des faiblesses à mon père. Sa seule faute en vérité est de n'être plus là. ».

    Il est sûr qu'en vingt-cinq ans, on peut s'améliorer, avoir plus de maturité, etc., je n'en doute pas, mais il me faudrait quand même un prescripteur pour que je remette mon nez dans ses ouvrages, un ami, ou un prescripteur officiel (critique littéraire, journaliste, écrivain, etc.) dont je saurais la sûreté du jugement.

    Je propose toutefois une vidéo où elle parlait de philosophie, en février 2024, pour présenter son avant-dernier ouvrage, un essai philosophique, "Vivre sans : une philosophie du manque" sorti en 2024 (éd. Climats). On comprend assez vite que Mazarine Pingeot a un bon talent de transmission, de pédagogie, à défaut peut-être d'être une écrivaine exceptionnelle.

    Extrait de livre : « Dans la promotion du "sans", il y a une tentative de donner du sens, de faire montre au consommateur qu'en choisissant l'ascèse ( tout en consommant, bien sûr), il s'achète une éthique, il se purifie, il refuse le monde de l'excès et du gâchis. C'est bien cela qui est vendu dans le "sans", et pas seulement de l'absence : on vend une philosophie intégrée. ». Autre extrait : « Il faudrait alors sortir le "sans" de sa logique marchande, et même du schème de décroissance, pour qu'il désigne à nouveau cet excès vers le rien qui troue l'immanence du monde. ».


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (15 décembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    François Mitterrand.
    Frédéric Mitterrand.
    Roger Hanin.
    Jean-Pierre Elkabbach.
    Mazarine Pingeot.
    Danielle Mitterrand.
    Jacques Chirac.
    Bernadette Chirac.
    Brigitte Macron.
    Anne-Aymone Giscard d'Estaing.
    Carla Bruni.
    Ségolène Royal.
    Valérie Trierweiler.
    "Merci pour le moment".
    Julie Gayet.










    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241218-mazarine-pingeot.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/mazarine-pingeot-et-la-culture-du-257088

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/12/18/article-sr-20241218-mazarine-pingeot.html




     

  • Syrie : la chute historique de Bachar El-Assad

    « Après cinquante ans d'oppression sous le pouvoir du [parti] Baas, et treize années de crimes, de tyrannie et de déplacements, nous annonçons aujourd'hui la fin de cette ère sombre et le début d'une nouvelle ère pour la Syrie. » (déclaration des rebelles syriens, le 8 décembre 2024).



     

     
     


    C'est acté ! Après la chute de Ben Ali, la chute de Moubarak, la chute de Kadhafi, voici, avec un long différé du Printemps arabe, la chute de Bachar El-Assad, après plus de vingt-quatre ans d'un pouvoir absolu. La guerre civile avait commencé en juillet 2011 en Syrie. Ce dimanche 8 décembre 2024, les troupes rebelles ont pris la capitale, Damas, et le gouvernement l'a proclamé ville libre. Les effigies du tyran et de son père ont été retirées. Le peuple syrien est en liesse.

    Selon Rami Abdel Rahmane, le directeur de l'Observatoire syrien des droits de l'homme, qui l'a annoncé à l'AFP, « [Bachar] El-Assad a quitté la Syrie via l'aéroport international de Damas avant que les membres des forces armées et de sécurité ne quittent [les lieux]. ». Son sort est maintenant connu, lui et sa famille ont réussi à fuir la Syrie et ont reçu l'asile politique à Moscou, qui n'avait pas pu les protéger.


    Chef du parti Baas, Hafez El-Assad (1930-2000), Président de la République syrienne du 14 mars 1971 au 10 juin 2000, a mis en place une dictature alaouite (chiite) implacable. Son fils Bachar El-Assad, médecin, ne devait pas être le successeur de son père. C'était en principe son frère aîné Bassel El-Assad qui devait prendre la relève de la dictature, mais il est mort dans un accident de voiture le 21 janvier 1994. À sa prise de fonction le 17 juillet 2000, Bachar El-Assad, considéré comme "moderne", avait fait naître l'espoir d'un assouplissement du régime. À la fin des années 2000, je me souviens avoir vu sur Arte un documentaire biographique sur lui très élogieux, beaucoup trop élogieux pour que la chaîne franco-allemande ose le rediffuser depuis 2011. Il serait intelligent de le rediffuser pour montrer à quel point l'histoire est changeante et les points de vue peuvent singulièrement s'inverser.

    Et pourtant, on savait déjà que le régime de Bachar El-Assad n'avait rien à envier à celui de son père. Membre de l'UDF, je me souviens que, en marge des congrès de l'UDF, en 2003, en 2004, en particulier, des réfugiés syriens expliquaient, témoignaient, alertaient : le régime syrien était une dictature de la pire espèce et son tyran un véritable boucher. À l'époque, ils n'étaient pas vraiment écoutés des gouvernements européens ou américains. La géopolitique l'emportait sur les droits de l'homme.

    Ce sont les Printemps arabes qui ont changé un peu les choses avec ce clivage assez fou dans la plupart des pays musulmans : ou une dictature "laïque" (et souvent militaire), ou la charia. Choix cornélien. Bachar El-Assad n'avait pas lésiné sur la répression à partir de 2011 pour éviter d'être déstabilisé, avec l'aide de la Russie et de l'Iran, et on se demande toujours aujourd'hui si c'était mieux ou pas qu'il ne chutât pas à l'époque, car en face, Daech ne présentait pas mieux en termes de paix et de douceur de vivre. Peut-être même bien pire.

     

     
     


    L'offensive actuelle des rebelles a été amorcée le 27 novembre 2024. Alep a été prise le 1er décembre 2024, puis Hama, la quatrième ville du pays le 5 décembre 2024, puis Homs le 7 décembre 2024, enfin Damas ce dimanche. Les combats ont fait plusieurs centaines voire milliers de morts (au moins 910), l'Iran et la Russie ont tenté d'aider Bachar El-Assad par des bombardements. Le Hezbollah avait envoyé 2 000 combattants pour aider le dictateur. Près de 400 000 personnes auraient été déplacées à cause des combats. Le renversement du régime a été fulgurant, une dizaine de jours ont suffi aux rebelles pour virer Bachar El-Assad. Les forces russes ont décidé prudemment de se retirer. Donald Trump, présent à Paris samedi, a annoncé qu'il ne serait pas question que les États-Unis interviennent dans cette histoire. Pour l'instant, les forces américaines ont bombardé préventivement 75 bases de Daech à l'est de la Syrie.

    La faiblesse de la riposte du régime face au rebelle était étonnante. L'ancien ambassadeur de France en Syrie, Michel Duclos, a analysé sur franceinfo, ce dimanche : « Le fait qu'il n'y ait pas eu de résistance, pour l'instant, signifie que le régime [syrien] était vraiment en bout de course. ». Le régime Baas s'est écroulé comme un château de cartes, à l'instar des dictatures communistes entre 1989 et 1991. Le signal est fort car cela pourrait continuer à bouger dans la région ; après l'effondrement de la Syrie, c'est la République islamique d'Iran qui pourrait aussi être violemment secouée. Le régime des ayatollahs est en effet très fragile et repose actuellement sur un vieillard malade de plus de 85 ans.


    Les rebelles syriens sont réunis depuis 2017 au sein de Hayat Tahrir El-Sham (HTS), qui signifie Organisation de libération du Levant. Ce mouvement est dominé par l'ancien branche syrienne d'Al-Qaïda et dirigé par Abou Mohammed Al-Joulani (40 ans). Considéré comme un "terroriste mondial" depuis le 16 mai 2013 par les États-Unis, il a été membre d'Al-Qaïda de 2003 à 2006, de Daech de 2006 à 2011 et fondateur du Front Al-Nosra le 23 janvier 2012. Ce jihadiste a su fédérer les rebelles en Syrie, qui, pour la plupart, seraient soutenus par la Turquie, dont le rôle resterait à préciser à ce jour.

    Je ne regretterai pas Bachar El-Assad, ce boucher sanguinaire, et je crois que peu de Syriens vont le regretter. En revanche, se réjouir de la chute d'un dictateur n'empêche pas de s'inquiéter de l'avenir. Il n'existe pas de "jihadiste modéré", pas plus que de "taliban modéré" en Afghanistan. Il faudra donc surveiller de près la suite, sur les libertés, sur les droits de l'homme, sur la considération pour les femmes, sur la démocratie qui n'a jamais été instaurée en Syrie, etc.

    Ce renversement important du Proche-Orient a bien eu un détonateur, le massacre du 7 octobre 2024 et la réaction d'Israël contre le Hamas et surtout contre le Hezbollah qui, apparemment, était la principale défense du régime syrien. L'axe Russie-Iran-Syrie est donc mis à mal et Benyamin Netanyahou, le Premier Ministre israélien, en a profité pour annoncer la prise de contrôle du plateau du Golan pour assurer une sécurité préventive de son pays.


     

     
     


    En tout cas, tortures, massacres, bombardements, emploi du gaz à grande échelle, le bilan écœurant de Bachar El-Assad devra un jour être précisément établi, et même, pourquoi pas, qu'il soit jugé pour tous ses actes. Quant à certains leaders populistes et extrémistes en France, ne soyons pas amnésiques, ne nous laissons pas bercer par leurs réactions d'aujourd'hui, plus hypocrites les unes que les autres, et n'oublions surtout pas que ceux qui étaient (et restent encore) les alliés de Vladimir Poutine l'étaient aussi de Bachar El-Assad, régulièrement reçus par lui aux pires moments de répression (ils avaient leur rond de serviette). Il faudra aussi, sur ce plan-là, rendre des comptes au peuple français.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (08 décembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Syrie : la chute historique de Bachar El-Assad.
    Fadwa Suleiman.
    Daech : toujours la guerre.
    Le massacre d’Alep.
    Daech en Syrie : guerre et peine.
    Flou blues.
    BHL et la Syrie.
    Vade-mecum des révolutions arabes.

     

     
     

     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241208-chute-bachar-el-assad.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/syrie-la-chute-historique-de-258056

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/12/08/article-sr-20241208-chute-bachar-el-assad.html


     

  • La démocratie chrétienne de Jean-Marie Daillet

    « On a rarement vu, dans l'histoire de France, une Chambre aussi médiocre, aussi passive, aussi absente. La télévision nous montre des bancs vides dans l'hémicycle même lors de débats d'une importance considérable pour nous, puisqu'il s'agit de l'utilisation de nos impôts. » (Jean-Marie Daillet, février 1973).



     

     
     


    Comme on le lit ci-dessus, les arguments de campagne qui ont servi à sa première élection de député auraient pu se dire encore en 2024, cinquante ans plus tard, mais dans tous les cas, ont un arrière-goût passablement populiste voire démagogique. Ils n'étaient pourtant pas d'un extrémiste de droite ni de gauche... mais d'un centriste ! Ils émanaient de Jean-Marie Daillet, figure du centrisme normand, qui fête son 95e anniversaire ce vendredi 29 novembre 2024.

    J'ai rencontré plusieurs fois Jean-Marie Daillet à la fin des années 1980, à l'occasion de congrès politiques mais aussi, surtout, d'universités d'été. Il participait alors très assidûment aux manifestations du CDS (Centre des démocrates sociaux), la composante démocrate chrétienne de l'UDF. Dans les universités d'été, ce sexagénaire à la silhouette impressionnante n'intimidait en fait pas car il était en tenue décontractée, portant le tee-shirt. Sourire et valeurs.

    Journaliste catholique, Jean-Marie Daillet s'est engagé en politique en adhérant au MRP en 1953 sous l'influence de Jacques Mallet (1924-2016), futur député européen (1984-1989). Le MRP était le mouvement des résistants démocrates chrétiens. Ce mouvement, sous différentes appellations, a toujours été centriste. Deux points essentiels dans son programme : la construction européenne (même en 1953) et la décentralisation. Dans les années 1960, Jean-Marie Daillet est devenu un fonctionnaire européen, porte-parole d'Euratom de 1960 à 1965 à Bruxelles, puis directeur adjoint du Bureau d'information des Communautés européennes à Paris jusqu'en 1973. Il a dû à l'ancien ministre André Colin, qui fut le chef du MRP, d'être en relation avec les démocrates chrétiens européens.


    Dès 1962, Jean-Marie Daillet s'est présenté aux élections législatives, mais les trois premières tentatives furent vaines. D'abord dans l'Orne, en 1962, puis dans la Manche, à Saint-Lô, en 1967 (13% des voix) et en 1968 (20,6% au premier tour et 40,2% au second tour). Lorsqu'il s'est présenté à nouveau en mars 1973 sur la même première circonscription de la Manche, il a gagné au second tour avec 58,8% des voix avec un discours très populiste : « "Un député, à quoi ça sert ?". Ces questions, je les ai entendues bien souvent. Elles m'ont apporté la preuve de votre indifférence ou de votre écœurement, devant le spectacle hélas trop répandu depuis cinq ans de députés singulièrement inefficaces. (…) Je suis le premier à comprendre votre découragement. Moi aussi, je pense que bon nombre de députés sortants ne méritent pas d'être réélus. ».
     

     
     


    Et pourtant, comme je l'indiquais plus haut, Jean-Marie Daillet n'était pas extrémiste mais centriste. Il s'est présenté et a été élu avec l'étiquette du Centre démocrate présidé par Jean Lecanuet. À l'époque, les centristes étaient divisés en deux : le CDP (Centre démocratie et progrès) qui avait soutenu Georges Pompidou en 1969 et participait donc au gouvernement depuis lors, et le CD (Centre démocrate), en quelque sorte, le centre canal historique, qui avait soutenu la candidature d'Alain Poher en 1969, et qui siégeait dans l'opposition (l'élection de Valéry Giscard d'Estaing a eu pour conséquence de réunifier les centristes avec l'étiquette du CDS, fondé en 1976).

    Il a été réélu cinq fois (avec 67,2% en mars 1978, au premier tour avec 58,5% en juin 1981, élu deuxième de la liste UDF-RPR avec 45,2% en mars 1986, et 55,9% en juin 1988), si bien qu'en tout, il a exercé le mandat de parlementaire de la Manche pendant vingt ans, de mars 1973 à mars 1993. Il s'occupait des habitants de sa circonscription comme il réfléchissait sur les grandes enjeux politique de la Franc et du monde à Paris : « Ma porte a toujours été ouverte à tous mes concitoyens, sans aucune distinction d'opinion politique, mon seul souci étant de les aider à obtenir leur droit et à faire face à leurs difficultés. » (février 1978).


    Aux élections municipales de mars 1977, il a tenté de conquérir la mairie de Saint-Lô avec une liste entièrement centriste. Il n'a pas été très bon au premier tour et, refusant l'alliance avec la liste de droite sortante, qui lui réservait peu de places, il a laissé élire un maire socialiste.

    Par son mandat parlementaire, Jean-Marie Daillet a été délégué de la France à l'Assemblée du Conseil de l'Europe et membre de la délégation française à l'Assemblée Générale de l'ONU. Dès son premier mandat, il a vice-présidé le groupe centriste RCDS (réformateurs centristes et démocrates sociaux). Vice-président du CDS, il a siégé ensuite au groupe UDF à la création de l'UDF, de 1978 à 1988, puis au groupe UDC (Union du centre), un groupe spécifiquement du CDS afin d'apporter éventuellement un complément à la majorité relative de Michel Rocard. D'ailleurs, à la fin de la législature en 1993, Jean-Marie Daillet était non-inscrit parce qu'exclu en 1990 du groupe UDC car il était trop proche des socialistes.

    Ce député ouvert et direct, proche des gens, père de huit enfants, qu'était Jean-Marie Daillet, j'ai su bien plus tard qu'il était aussi un homme rigide avec des valeurs intangibles, en particulier pour ses convictions catholiques et la valeur précieuse de la vie (que je partage aussi). C'est pourquoi, alors qu'il n'avait que dix-huit mois d'expérience parlementaire, il s'est investi très passionnément dans la bataille parlementaire pour s'opposer au projet de loi de dépénalisation de l'IVG porté par Simone Veil.

    Dans sa défense passionnée de l'enfant à naître, Jean-Marie Daillet a commis l'irréparable à la tribune, peut-être sera-ce d'ailleurs sa seule postérité d'homme politique, ce qui serait très injuste mais cela dénote aussi que les humains sont faillibles, on peut être à la fois ouvert et fermé. Car ce qu'il a dit pour s'opposer à la loi Veil le 27 novembre 1974 était franchement dégueulasse : « On est allé, quelle audace incroyable, jusqu'à déclarer tout bonnement qu'un embryon humain était un agresseur. Eh bien ! ces agresseurs, vous accepterez, madame, de les voir, comme cela se passe ailleurs, jetés au four crématoire ou remplir des poubelles ! ». Dire une telle horreur à une ancienne déportée d'Auschwitz relevait au minimum d'un manque de tact, d'un manque de galanterie et d'une très grande bêtise. Il a prétendu qu'il ne connaissait pas l'histoire personnelle de Simone Veil (ce qui est possible, elle n'a communiqué sur ce sinistre passé vraiment qu'à partir des années 2000), et dès qu'il a compris la blessure folle de sa tirade, dès la nuit suivante, il a présenté ses excuses à la grande dame très éprouvée par ce débat parlementaire.

    Simone Veil l'a redit trente ans plus tard dans un livre entretien avec Annick Cojean en 2004, en considérant les propos de Jean-Marie Daillet comme le pire qu'elle ait entendu : « Je crois qu’il ne connaissait pas mon histoire, mais le seul fait d’oser faire référence à l’extermination des Juifs à propos de l’IVG était scandaleux. (…) Il n’était pas question de perdre confiance et de se laisser aller. Tout cela me dopait, au contraire, confortait mon envie de gagner. Et je pense qu’en définitive, ces excès m’ont servie. Car certains indécis ou opposants modérés ont été horrifiés par l’outrance de plusieurs interventions, odieuses, déplacées, donc totalement contre-productives. ». Dans un autre entretien publié dans "L'Humanité" le 26 novembre 2004, elle expliquait qu'elle n'était pas blindée par un tel déchaînement de haine : « Ce qui m’énervait alors, c’était de retrouver des croix gammées dans le hall de mon immeuble. C’était difficile pour mes enfants et certains de mes petits-enfants, qui ont eu des réflexions en classe. J’ai également pensé être agressée dans la rue. Or je n’ai eu que quatre ou cinq fois des réflexions très désagréables. Rien par rapport aux milliers de personnes qui m’ont manifesté leur sympathie et qui continuent à le faire. Je ne me suis, en fait, jamais vraiment sentie menacée. Il s’agissait essentiellement d’intimidation. ».

     

     
     


    Jean-Marie Daillet ne s'est pas représenté en 1993, laissant son suppléant Georges de La Loyère, ingénieur, se présenter au titre de l'UDF, qui a été battu par le candidat RPR Jean-Claude Lemoine en mars 1993. Depuis juin 2007, le député de cette première circonscription de la Manche est Philippe Gosselin (LR), suppléant de Jean-Claude Lemoine depuis juin 2002. La raison de son abandon de la circonscription, c'est que Jean-Marie Daillet a été nommé ambassadeur de France à Sofia, en Bulgarie, de 1993 à 1995.

    À partir 1979, Jean-Marie Daillet était président d'honneur de l'Association française des Amis des Afghans et de l'Afghanistan, et a ce titre, il a apporté son soutien à Rome au roi d'Afghanistan, a rencontré les partis politiques de la résistance afghane à Islamabad, a fait venir au Parlement Européen un résistant afghane en 1981, est intervenu auprès des chancelleries de nombreux pays pour aider les résistants afghans et leur apporter de l'aide humanitaire et sanitaire. Il a aussi reçu à l'Assemblée Nationale le fameux commandant Massoud en avril 2001, quelques mois seulement avant son assassinat, et a été reçu à Kaboul en 2015 par la princesse India d'Afghanistan.

    J'ai précisé que Jean-Marie Daillet avait eu huit enfants. L'un d'eux était Étienne Daillet, cardiologue, qui, en août 2005, appelé d'urgence par un patient, a voulu le rejoindre le plus vite possible en prenant sa moto dans la nuit, il a heurté de front un camion et y a trouvé la mort.

    Un autre de ses fils est Rémy Daillet-Wiedemann, qui a été président de la fédération du MoDem de Haute-Garonne en octobre 2008 mais en a été rapidement exclu en mars 2010 (le MoDem est un des partis héritiers du CDS). Il est depuis 2009 un activiste sur Internet, d'expression d'extrême droite avec des dérives complotistes et antivax, impliqué en avril 2021 dans trois affaires d'enlèvement d'enfant puis, en octobre 2021, dans un projet de coup d'État et de projets d'attentats terroristes (appelant à un renversement armé du gouvernement et à la prise du Palais de l'Élysée, menaçant directement Emmanuel Macron). À cause d'un mandat international par un juge de Nancy, il a été interpellé par les autorités malaisiennes en mai 2021, expulsé de Malaisie en juin 2021, placé en détention provisoire jusqu'en juin 2023 (voulait se présenter à l'élection présidentielle de 2022).

    Rémy Daillet-Wiedemann a menacé le 12 avril 2021 par messagerie électronique un ancien camarade de collège, le député LR Philippe Gosselin : « Où serez-vous quand nous viendrons arrêter les traîtres et les collaborateurs ? Voici la dernière chance que nous vous donnons. Vous dont la mission était de servir le peuple français, levez-vous et parlez contre la tyrannie. Si vous vous dérobez à ce devoir, ce sera trahir. (…) Nous attendons votre réponse dans le mois. Nonobstant cette réponse, monsieur Gosselin, nous vous considérerons comme forfait, complice de crime contre l'humanité, et donc par avance condamné. ».


    Philippe Gosselin a confié à la journaliste Émilie Flahaut le 22 avril 2021 pour France 3 : « Vous savez, des mails de complotistes, j'en reçois tous les mois et ils vont directement à la poubelle, sans passer par la case lecture. Mais là, quand j'ai vu le nom de Rémy Daillet, ça m'a intrigué et je me suis souvenu que c'était un copain de classe. (…) On était dans la même classe, en quatrième il me semble. On était copains, on se fréquentait mais il ne faisait pas partie de ma bande de potes, celle avec qui c'était "à la vie à la mort" et avec qui je suis toujours en contact. J'ai le souvenir qu'il s'est fait virer à la fin de la terminale pour indiscipline, juste avant son bac, ce qui n'était quand même pas courant. Et puis, plus rien... (…) Il est quand même sacrément dérangé ! Et quand j'ai découvert quelques jours plus tard qu'il était lié à l'enlèvement de la petite Mia et qu'il était sous le coup d'un mandat d'arrêt international, cela fait froid dans le dos. (…) Franchement je suis un peu remué par tout ça. Je ne tire aucune conclusion, ça n'aurait aucun sens. C'est juste qu'en l'espace de quelques jours, j'ai replongé quarante ans en arrière. Je me demande comment Rémy a pu devenir le gourou qu'il est aujourd'hui. ».

    Et le député de la première circonscription de la Manche a gardé un souvenir très marquant du père de ce camarade, également son prédécesseur à l'Assemblée Nationale : « Je me souviens très bien de ses dernières années en tant qu'élu. J'étais jeune conseiller municipal à Rémilly-sur-Lozon et Jean-Marie Daillet, député de centre droit, a agité le landerneau politique manchois en se rapprochant des mitterrandiens, ça a fait jazzer ! C'est sans doute pour cela qu'il a obtenu un poste d'ambassadeur en Bulgarie. ».

    Jean-Marie Daillet, qui a été président de l'amicale des anciens du MRP et vice-président de l'Internationale démocrate-chrétienne, ne vit plus en Normandie pour sa retraite. Lors d'une des réunions des anciens du MRP au début des années 2010 (précisément le 23 février 2012 consacrée à André Colin), Jean-Marie Daillet a explicité l'expression démocratie chrétienne : « Il y a là une sorte de pléonasme. Qui dit chrétien devrait dire normalement démocrate. Le "Aimez-vous les uns les autres" est sans aucun doute, je ne dirai pas le slogan, mais l’idéal qu’après tout, non seulement le Christ mais un certain nombre de personnes qui ne sont pas chrétiennes peuvent tout à fait considérer comme étant le nec plus ultra d’une société digne de ce nom, une société véritablement humaine. ».

    Il racontait aussi une discussion avec un gendre à propos de Robert Schuman : « La béatification de Robert Schuman, c’est d’ailleurs un sujet de discussion entre un de mes beaux-fils et moi. Il est en train de finir son droit canon à Rome et je luis dis : "Alors ?". Il me dit : "Eh bien, on attend le miracle". - "Comment ? La réconciliation de l’Europe, ce n’est pas un miracle ?" - "Ah, mais ce n’est pas un miracle physique, il faut une guérison d’une maladie inguérissable". - Ah bon, très bien". Je suis allé très loin en lui disant que je considérais que ce genre de raisonnement, c’était du matérialisme spirituel. ».

    Il ajoutait un peu plus tard : « L’exemple d’Ozanam est très bon parce qu’en effet (et celui de Robert Schuman, et celui d’André Colin), c’est que finalement, quand on a la foi, le christianisme chevillé au corps, la politique est un chemin de sainteté. Et c’est pourquoi il serait si important que Robert Schuman, à son tour, soit reconnu dans sa sainteté personnelle, mais dans sa sainteté d’homme politique. L’opinion publique est trop souvent, et parfois à juste titre, hélas, persuadée que le monde politique est pourri. C’est très commode que le monde politique soit pourri, pour certains qui veulent profiter de cette pourriture. Ça excuse tellement de choses. (…) Nous avons plus que jamais besoin d’hommes et de femmes exemplaires. Quand nous nous sommes engagés au MRP, c’était bien parce que ce mouvement nous attirait. Non pas pour des places à prendre, mais parce qu’il y avait des choses à faire qui demandaient un certain nombre de sacrifices, et pourquoi pas ? On les a faits. Je pense bien sûr à André Colin et ses co-fondateurs, les Bidault, Teitgen, Simonnet, Pflimlin, Buron… ».



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (23 novembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Jean-Marie Daillet.
    La loi Veil.
    Claude Malhuret.
    Jacques Duhamel.
    Didier Borotra.
    La convergence des centres aux européennes.
    Raymond Barre.
    Gilberte Beaux.
    Christine Boutin.
    Dominique Baudis.
    Valérie Hayer.
    François Bayrou.
    Henri Grouès.
    Jean-Jacques Servan-Schreiber.
    Jean-Marie Rausch.
    René Monory.
    René Pleven.
    Simone Veil.
    Bruno Millienne.
    Jean-Louis Bourlanges.
    Jean Faure.
    Joseph Fontanet.
    Marc Sangnier.
    Bernard Stasi.
    Jean-Louis Borloo.
    Sylvie Goulard.
    André Rossinot.
    Laurent Hénart.
    Hervé Morin.
    Olivier Stirn.
    Marielle de Sarnez.

     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241129-jean-marie-daillet.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/la-democratie-chretienne-de-jean-257114

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/28/article-sr-20241129-jean-marie-daillet.html