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  • Joséphine Baker et son amour pour la France (libre)

    « C'est la France qui a fait de moi ce que je suis. Je lui garderai une reconnaissance éternelle. » (Joséphine Baker).



     

     
     


    Cette petite phrase de reconnaissance, somme toute, elle est réciproque ; la France aussi est ce qu'elle est, grâce à Joséphine Baker qui est morte il y a cinquante ans, le 12 avril 1975 à Paris, à l'âge de 68 ans (née le 3 juin 1906 dans le Missouri). Elle est morte à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière d'un AVC qu'elle a eu deux jours auparavant, quelques heures après son dernier concert à Bobino, la célèbre salle parisienne « au cœur de ce quartier de la Gaîté dont le nom lui allait si bien ». L'émotion a été forte. Elle a reçu les honneurs militaires le 15 avril 1975. Ses obsèques furent célébrées d'abord à l'église de la Madeleine à Paris le 15 avril 1975 (« Des milliers de Parisiennes et de Parisiens remontaient la rue Royale pour accompagner son cercueil, déjà drapé de bleu-blanc-rouge, vers cette église de la Madeleine où la France enterre ses artistes. »), puis à l'église Saint-Charles de Monte-Carlo le 19 avril 1975 avant d'être inhumée au cimetière de Monaco.

    Le 12 octobre 1936, dans "La Jumelle noire", la succulente Colette décrivait l'artiste élégante et éclatante : « Les voiles tombent, Joséphine Baker enjambe, comme une margelle, les étoffes qui la quittent, et d'un seul pas assuré, elle entre dans la nudité et dans la gravité. Le dur travail des répétitions d’ensemble semble l’avoir un peu amincie, sans décharner son ossature délicate. Les genoux ovales, les chevilles affleurent la peau brune et claire, d’un grain égal, dont Paris s’est épris. Quelques années, et l’entraînement, ont parfait une musculature longue, discrète, ont respecté la convexité admirable des cuisses. Joséphine a l’omoplate effacée, l’épaule légère, mobile, un ventre de jeune fille, à nombril haut. (…) Grands yeux fixes, armés de cils durs et bleus, pommettes pourpres, sucre éblouissant et mouillé de la denture entre les lèvres d’un violet sombre, la tête se refuse à tout langage, ne répond rien à la quadruple étreinte sous laquelle le corps docile semble fondre... Paris ira voir, sur la scène des Folies, Joséphine Baker, nue, enseigner aux danseuses nues la pudeur. ».
     

     
     


    S'il fallait résumer Joséphine Baker par un seul mot, ce serait le mot liberté ! Elle est allée en France, elle a choisi la France pour avoir sa liberté qu'elle ne ressentait pas aux États-Unis, son pays natal. C'est, par anticipation, la réponse au discours dément de J. D. Vance, Vice-Président des États-Unis, le 14 février 2025 à Munich pour donner à l'Europe et à la France des leçons de liberté. Joséphine Baker, Américaine, est justement devenue Française pour être libre ! La France n'a pas de leçon à recevoir d'un pays qui a maintenu très longtemps la discrimination sur le critère stupide de couleur de la peau.

    Joséphine Baker avait aussi un amour gigantesque pour la France parce qu'elle s'y est trouvée à l'aise, capable d'être reconnue pour ce qu'elle était, pour ce qu'elle faisait, sans a priori, sans préjugé. Elle s'est coulée dans le fameux creuset républicain de la Troisième République. Elle est arrivée en France en 1925, soit il y a un siècle, et les Parisiens l'ont adorée. Elle a acquis la nationalité française le 30 novembre 1937, peu avant la guerre.

    France et liberté, cela donne... France libre, bien sûr. Faudrait-il être étonné de retrouver Joséphine Baker s'engageant dans Résistance française sous l'Occupation. En juin 1940, elle avait 34 ans et n'a pas hésité à s'engager et à devenir lieutenant de l'armée des ombres. Cet engagement n'était pas étonnant, elle l'avait déjà anticipé lorsqu'elle est devenue française : « Les Français m’ont tout donné. Je suis prête à leur offrir aujourd’hui ma vie. ». C'est cela, le patriotisme : pas seulement faire son service militaire mais s'engager dans l'armée française et utiliser tout son poids, tout son talent, toute sa notoriété au service de sa Nation.

    Ses décorations plaident pour elle : Médaille commémorative des services volontaires dans la France libre, Médaille commémorative française de la guerre 1939-1945, Croix de guerre 1939-1945 avec palme de bronze (attribuée en 1961), et Chevalière de l'ordre de la Légion d'honneur (décoration attribuée le 18 août 1961). « Surtout, l’insigne qu’elle préférera entre tous, une petite croix de Lorraine en or reçue des mains-même du Général De Gaulle en 1943 et qu’elle finit pourtant par vendre pour reverser l’argent aux œuvres de la Résistance. ». Naturellement, la Médaille de la Résistance française avec rosette lui a fait aussi très plaisir, elle lui a été attribuée en 1946.
     

     
     


    À cette occasion, le Général De Gaulle lui a adressé une lettre très chaleureuse datée du 14 octobre 1946 (il n'est plus au pouvoir) : « Chère mademoiselle Joséphine Baker, C'est en toute connaissance de cause et de tout cœur que je vous adresse mes sincères félicitations pour la haute distinction de la Résistance française qui vous a été attribuée. J'ai su et beaucoup apprécié naguère les grands services que vous avez rendus dans les moments les plus difficiles. Je n'ai été, par la suite, que plus touché de l'enthousiasme et de la générosité avec lesquels vous avez mis votre magnifique talent à la disposition de notre cause et de ceux qui la servaient. ». Le grand homme savait reconnaître les grandes dames.

    La chanteuse et danseuse est toujours restée gaulliste, admirative devant l'engagement du général résistant. Par sa grande notoriété internationale, et sa popularité, elle a pu, pendant la guerre, ouvrir bien des portes peu accessibles pour le renseignement. Elle resta une fervente soutien à De Gaulle toute sa vie, jusqu'à être présente à la tête du cortège de la grande manifestation de soutien au Général le 30 mai 1968 aux Champs-Élysées.

    Au-delà de De Gaulle, c'est toute la Nation française qui a été reconnaissante de l'engagement de Joséphine Baker, artiste mais aussi résistante, combattante et pas seulement en paroles, aussi en actes, à l'épreuve de vérité de la guerre, à l'épreuve du courage et de la fidélité aux valeurs. Elle a risqué sa vie pour la liberté et la paix de ses compatriotes français.

    Et le meilleur moyen d'être reconnaissant, dans notre République mémorielle, c'est l'entrée au Panthéon. Comme deux autres femmes, Geneviève Anthonioz-De Gaulle et Germaine Tillion (et bientôt Robert Badinter), cette entrée a eu lieu de manière théorique, c'est-à-dire en laissant sa dépouille là où elle était, à savoir à Monaco qui, par sa princesse Grace Kelly, a accueilli l'officière chanteuse lorsque, surendettée, elle fut chassée (expulsée) de son château en 1969 pour des raisons financières.
     

     
     


    Wikipédia raconte assez bien les enjeux de cette arrivée au Panthéon le 30 novembre 2021 : « La panthéonisation d'une descendante d'esclaves noirs américains et d'autochtones d'Amérique suscite une quasi-unanimité en France. Pour "Le Figaro", cet engouement s'explique par l'universalisme républicain dont l'artiste, récipiendaire de la Croix de guerre, est considérée être une figure exemplaire, a contrario d'un "fort courant venu d'Amérique" qui cherche à "assigner chacun à sa race, son sexe". Pour Chloé Leprince, sur France Culture, "dire que sa consécration dans la cathédrale républicaine du Panthéon fait consensus, c’est dire qu’elle fut à la fois celle qu’on assigna dans une posture fondamentalement façonnée par un regard raciste ; et aussi, celle qui s’est imposée en déjouant l’imagerie du bon sauvage, pour en faire son tremplin… et triompher". ».

    Car c'est là la caractéristique majeure de Joséphine Baker, en plus de son talent artistique : elle ne s'est jamais prêtée à des jeux identitaires, elle ne s'est jamais considérée comme une personne "de couleur", n'estimant pas que la couleur de la peau était un élément fondamental chez une personne, a fortiori quand elle est artiste. C'est ce qui explique qu'elle se sentait si bien dans la France républicaine qui rejette en principe tous les communautarismes en faisant la promotion d'un modèle universaliste et humaniste : « J'ai pris les coups, mais je les ai pris avec le menton levé, dans la dignité, parce que j'aime et respecte si profondément l'humanité. ».





    L'Élysée expliquait ainsi dans un communiqué en 2021 : « Joséphine Baker portait une certaine idée de l’Homme, militait pour la liberté de chacun. Sa cause était l'universalisme, l’unité du genre humain, l'égalité de tous, avant l'identité de chacun. C’est tout cela, Joséphine. Un combat pour la France libre. Sans calcul. Sans quête de gloire. Dévouée à nos idéaux. ».
     

     
     


    Cela a été le principal message du discours du Président de la République Emmanuel Macron lors de l'hommage solennel de la Nation à Joséphine Baker lors de sa panthéonisation le 30 novembre 2021 : de De Gaulle à Emmanuel Macron, Joséphine Baker a eu beaucoup d'admirateurs, parfois posthumes, au plus haut sommet de l'État.

    Comme toujours, Emmanuel Macron n'a pas caché sa joie de s'exprimer sur Joséphine Baker : « Fulgurante de beauté et de lucidité dans un siècle d’égarements, elle fit, à chaque tournant de l’Histoire, les justes choix, distinguant toujours les Lumières des ténèbres. Et pourtant, rien, rien n’était écrit. ».
     

     
     


    Après avoir retracé les débuts de sa vie d'Américaine, petite fille battue aux conditions de vie très précaires, le Président de la République a raconté l'artiste en France dans une stratégie d'acceptation de ce qu'on lui demandait de faire pour mieux oser l'audace personnelle : « En gonflant les joues et en écartant les genoux (…), le comique détourne bientôt le sensuel. Lui demande-t-on de danser nue vêtue d’une simple ceinture de bananes dorées ? Elle y consent, mais écorne l’érotisme à coup de grimaces, de gestes saccadés, balaie les clichés d’un revers de hanche et raille l’imagier nègre par ses roulements d’yeux moqueurs. Les stéréotypes, Joséphine Baker les endosse. Mais elle les bouscule, les égratigne, les tourne en burlesque sublime. Esprit des Lumières ridiculisant les préjugés colonialistes sur des notes de Sidney Bechet. Le triomphe est immédiat. (…) En quelques années seulement, Joséphine Baker forge sa légende. Elle épouse la scène, impose sa liberté, entre dans l’imaginaire et dans l’intimité des Français. Par son insouciance jamais inconsciente, son courage toujours gai, cette légèreté ourlée de tristesse qu’arborent ceux qui ont déjà vécu, l’Américaine réfugiée à Paris, devient l’incarnation de l’esprit français et le symbole d’une époque. ».

    L'une des plus belles journées de Joséphine Baker fut sa prise de parole aux côtés de Martin Luther King lors de la Marche sur Washington, le 27 août 1963, habillée de son uniforme d'officière de l'armée de l'air française et de toutes ses décorations dont elle était fière. Le fossé social, politique, culturel, intellectuel, est énorme avec cette autre femme, sans culture et sans respect, qui s'est victimisée odieusement, parce que condamnée très lourdement pour avoir détourné massivement des fonds publics, argent de ses contemporains, et qui prétendait le 6 avril 2025 récupérer, en le souillant, le combat des droits civiques de Martin Luther King.
     

     
     


    Le chef de l'État l'a martelé, le combat de Joséphine Baker n'avait rien d'identitaire : « Sa cause était l’universalisme, l’unité du genre humain. L’Égalité de tous avant l’Identité de chacun. L’Hospitalité pour toutes les différences réunies par une même volonté, une même dignité. L’Émancipation contre l’Assignation. (…) Et que nul aujourd’hui ne fasse mentir ou ne détourne son combat universel ! Ce n’était pas un combat pour s’affirmer comme noire avant de se définir comme Américaine ou Française ; ce n’était pas un combat pour dire l’irréductibilité de la cause noire, non. Mais bien pour être citoyenne, libre, digne. Complètement. Résolument. ».

    Et puis, Emmanuel Macron a ensuite salué la présence au cours de cette cérémonie de douze personnes : « Vous êtes là ce soir. Fidèles à ses rêves. ». Il s'était adressé aux enfants adoptifs de Joséphine Baker, de mille horizons : « Akio et Teruya venus du Japon ; Luis de Colombie ; Jari de Finlande ; Jean-Claude, Moïse et Noël de France ; Brian et Marianne d’Algérie ; Koffi de Côte d’Ivoire ; Tara du Venezuela ; et Stellina du Maroc. Oui, ces douze enfants, cette famille permit à Joséphine Baker de prouver aux yeux du monde que les couleurs de peau, les origines, les religions pouvaient non seulement cohabiter mais vivre en harmonie. ».
     

     
     


    Pourquoi panthéoniser cette artiste ? La réponse était assez évidente : « Joséphine Baker entre ici avec tous ces artistes qui l’accompagnent, tous ces artistes qui ont aimé le jazz, la danse, le cubisme, la musique, la liberté de ces années. Elle entre ici avec tous ceux qui, comme elle, ont vu dans la France une terre à vivre, un lieu où l’on cesserait de se rêver ailleurs, une promesse d’émancipation. Elle entre ici avec tous ceux qui ont choisi la France, qui l’ont aimée et l’aiment, charnellement, qui l’ont vue trébucher et ont continué de l’aimer, qui l’ont vue à terre et se sont battus pour la relever. Français par le sang versé, les combats menés, l’amour donné. Elle entre ici pour nous rappeler à tous, pour nous rappeler à nous-mêmes, qui mettons quelquefois tant d’entêtement à vouloir l’oublier, l’insaisissable beauté de notre destin collectif : nous qui sommes une Nation de combat, fraternelle, que l’on désire, que l’on mérite, qui n’est elle-même que lorsqu’elle est grande et sans peur. ».
     

     
     


    Et de terminer en se tournant vers son cénotaphe (dans la crypte XIII) : « Vous entrez dans notre Panthéon parce que, née américaine, il n’y a pas plus française que vous. ».

    Cinquante ans maintenant après sa disparition, Joséphine Baker reste un symbole d'actualité, celui d'une France républicaine soucieuse de ses enfants, réunis autour de ses trois valeurs cardinales, mentionnées sur le fronton de toutes les mairies de France : liberté, égalité et fraternité.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (12 avril 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Osez Joséphine !
    Hommage national à Joséphine Baker par le Président Emmanuel Macron le 30 novembre 2021 au Panthéon (texte intégral et vidéo).
    Joséphine Baker.
    Florence Arthaud.
    Herbert Léonard.
    Jeanne Calment.
    Pierre Bachelet.
    Gérard Lenorman.
    Pierre Dac.
    Marianne Faithfull.
    Marcel Zanini.
    Patricia Kaas.
    Kim Wilde.

     

     
     



    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250412-josephine-baker.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/josephine-baker-et-son-amour-pour-259482

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/04/12/article-sr-20250412-josephine-baker.html


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  • Emmanuel Macron sur le front du commerce international

    « Je vais être clair, on ne peut pas demander à nos industriels de faire des transitions, ce que vous faites toutes et tous, et ne pas les protéger et en quelque sorte laisser de la concurrence déloyale s'installer. » (Emmanuel Macron, le 3 avril 2025 à l'Élysée).



     

     
     


    L'un des principaux arguments de campagne du Président de la République Emmanuel Macron pour sa réélection en 2022 fut qu'il était le Président des crises et qu'il était le mieux à même de réagir face à des crises majeures. L'argument était valable pour son premier quinquennat avec la crise des gilets jaunes, la crise du covid-19, la crise énergétique et inflationniste provoquée notamment par la guerre en Ukraine.

    Pour son second quinquennat, on avait déjà quelques échantillons de gestion de crise dont le principal est la crise de la défense européenne, une défense européenne mise à mal d'abord par l'agression de Vladimir Poutine en Ukraine puis par l'abandon de la protection américaine par Donald Trump.

    Et décidément, Donald Trump, en moins de trois mois de mandat, a profondément modifié l'image des États-Unis dans le monde en devenant un État voyou, incapable de respecter ses engagements, jouant sur l'intimidation, les rapports de force et même la force pour arriver à ses fins. On pensait que l'humiliation de Volodymyr Zelensky à la Maison-Blanche le 28 février 2025 avait été le sommet du n'importe-quoïsme trumpien, mais c'était oublier son obsession pour les taxes douanières.

    En annonçant la fermeture des frontières commerciales le 2 avril 2025, Donald Trump a fait fort en provoquant un krach boursier (durable ou pas ?) et des perspectives économiques mondiales particulièrement pessimistes, certains allant jusqu'à envisager, avec la réduction des échanges commerciaux mondiaux, une baisse du PIB mondial de 7 points ! Inflation, chômage, perte de marché... Donald Trump tire le monde vers son désastre, ce qui donne un peu plus de pertinence à la voix de la France depuis toujours qui répète qu'il faut une alliance avec les États-Unis, mais aussi une grande liberté vis-à-vis de ce grand pays dont l'Europe ne doit plus dépendre, et même le monde en général.


    Les dix derniers jours (2 au 11 avril 2025) ont été particulièrement chaotiques et révèlent un véritable problème de santé mentale de la part du Président des États-Unis, puisqu'il a joué au yoyo avec les taxes douanières (sauf pour la Chine), rendant la parole de l'Amérique absolument plus fiable tant sur le plan économique que sur le plan diplomatique. Ce mélange de narcissisme, de vulgarité, de brutalité, d'intimidation, de vénalité, aussi de naïveté, rend le monde moins sûr, plus incertain, plus inquiétant. Sans oublier les soupçons de délit d'initié pour profiter de l'effondrement des bourses mondiales.
     

     
     


    Face à ce monde en profonds bouleversements, profonds et chaotiques, heureusement que le peuple français peut compter sur son Président Emmanuel Macron. Dès le lendemain du fameux jour du 2 avril 2025, en moins de vingt-quatre heures, le chef de l'État a su réunir l'ensemble des industriels français fortement impactés par les mesures de Donald Trump afin de définir une stratégie française et également européenne. Ce volontarisme politique, économique et diplomatique d'Emmanuel Macron est salutaire pour la France, sa grandeur, sa fierté. Un peu plus tard, en se rendant en Égypte, le Président français a aussi tenté d'influer sur le cours des événements au Proche-Orient en n'hésitant pas à annoncer sa volonté d'accélérer la création de l'État palestinien.

    Mais je veux surtout revenir sur cette réunion du jeudi 3 avril 2025 au Palais de l'Élysée, à l'initiative d'Emmanuel Macron et avec la participation notamment du Premier Ministre François Bayrou et du Ministre de l'Économie et des Finances Éric Lombard. Emmanuel Macron a fait une courte intervention à l'intention des acteurs économiques français.
     

     
     


    Qu'a-t-il dit ? Il a présenté la situation économique mondiale actuelle (qui est en ce moment très mouvante, susceptible de changer radicalement de direction d'une journée à une autre) : « Il était important que nous puissions nous retrouver le plus rapidement possible après les annonces de la nuit dernière du Président Trump qui sont un choc pour le commerce international, pas simplement pour l'Union Européenne, la France, mais pour le bon fonctionnement du commerce. Ceci implique évidemment une mobilisation française et européenne. (…) En tout cas, je veux ici dire très clairement pour les entrepreneurs et l'ensemble des salariés de ces secteurs que nous serons à leurs côtés pour apporter des réponses concrètes. ».

    L'objectif de cette première rencontre entre l'Exécutif et les entreprises exportatrices vers les États-Unis, c'est de commencer à déterminer les conséquences réelles dans chaque secteur et à discuter sur la réorganisation à opérer et sur la riposte européenne. En particulier, il s'agirait de mieux taxer les services numériques (en clair, les GAFAM), provenant surtout des États-Unis, mais sans handicaper des entreprises françaises ou européennes.

    Emmanuel Macron a voulu commenter la décision américaine du 2 avril 2025. Son premier argument est qu'elle est en théorie insensée : « En tout cas, je veux ici dire très clairement pour les entrepreneurs et l'ensemble des salariés de ces secteurs que nous serons à leurs côtés pour apporter des réponses concrètes. ». Le second argument, c'est que cette décision est « brutale » et d'une « ampleur qui est en tout cas inédite ».

    L'enjeu de l'Europe porte sur un montant énorme de nos exportations vers les États-Unis : « Sur les 500 milliards que les Européens exportent vers les États-Unis d'Amérique, à date, nous avons une visibilité sur plus de 70% qui seront touchés par les tarifs, mais ceci, c'est en attente de ce qui est à confirmer, puisqu’on va avoir 20% de tarifs pour tous les secteurs, sauf l’aluminium, l’acier, l’automobile, qui sont déjà à 25%, la pharmacie, le bois et les semi-conducteurs sur lesquels les annonces vont suivre, mais qui seront vraisemblablement au moins à 25%. Donc, on le voit bien, c'est un impact massif qui va toucher tous les secteurs de l'économie et de l'export européen, avec un enjeu pour la France qui est plus limité que pour certains autres pays, bien qu’il soit là et qui, pour certaines filières, va être massif. ». Emmanuel Macron parlait de "tarifs" en reprenant le mot américain pour "droits" de douane ou "taxes" de douane.

    Le Président de la République a précisé l'impact économique sur la France, moins touchée que ses partenaires européens : « Pour nous, c'est 1,5% de notre PIB qui représente les exportations vers les États-Unis. Pour l'Italie, c'est plus de 3% de son PIB. L'Allemagne, 4%, l'Irlande, 10%. Donc il y a des pays qui sont encore plus exposés que nous, mais ce n'est pas peu de choses. Surtout, nous aurons à prendre en compte, évidemment, les conséquences indirectes de ces mouvements. Parce que les tarifs sont massifs sur la Chine, l'Inde et plus généralement l'Asie du Sud-Est. Ce qui va créer des risques de potentiel déport de certains de ces produits et biens, qui va impacter très clairement nos économies et l'équilibre de certaines filières et de nos marchés. ».

    La catastrophe est d'abord pour les États-Unis : « Le caractère négatif est avant tout pour l'économie américaine. Et une chose est sûre, avec les décisions de cette nuit, l'économie américaine et les Américains, qu'il s'agisse des entreprises ou des citoyens, sortiront plus faibles qu'hier et plus pauvres. Et je pense qu'il faut le marteler. Et nous, il faut tenir (…) parce que ces décisions, elles ne sont pas soutenables pour l'économie américaine elle-même. L'impact sur l'économie américaine est immédiat, là où il va mettre plusieurs années à être tangible dans les économies européennes. Mais surtout, il est bien plus massif sur les premières analyses, autour de deux points de PIB. ».

    En d'autres termes, Emmanuel Macron a proposé que l'Europe s'organise autrement pour ne pas être trop impactée par ces mesures douanières. Il faut donc « nous organiser, c'est-à-dire être à la fois réactifs, unis et organisés. C'est au fond cela dont il s'agit. La réponse doit venir de l'Europe. ».
     

     
     


    Ainsi, l'hôte de l'Élysée a envisagé la riposte européenne qui a été réfléchie (donc pas immédiate) et mesurée (toute surenchère se ferait sur le dos des consommateurs européens) : « En termes de méthode, la riposte européenne se fera en deux étapes, parce que riposte, il y aura, de manière claire. Je le dis pour que ce soit clair pour tout le monde. La première riposte aura lieu mi-avril. Elle portera sur les taxes déjà décidées, en particulier sur acier et aluminium. Et les difficultés qui avaient pu apparaître sur des premières listes ont pu être corrigées. Les réponses qui arriveront dans les jours qui viennent seront des réponses qui sont sur le premier paquet : acier, aluminium. La deuxième réponse, plus massive, celle aux tarifs annoncés hier, se fera à la fin du mois, après une étude précise, secteur par secteur, et un travail avec l'ensemble des États membres et, évidemment, des filières économiques. ». C'est ce qui s'est passé lorsque la riposte européenne a été annoncée le 9 avril 2025 (quelques heures avant la vote-face de Donald Trump).

    D'où la demande du chef de l'État aux chefs d'entreprise d'agir en Européens : « Je vous demande aussi de bien vouloir vous coordonner avec vos homologues européens pour faire remonter un travail unifié, fort et résolument européen. Et je pense qu'il est très important d'être très clair, nous, filière par filière, mais de tout de suite essayer de jouer européen pour pas qu'il y ait, si je puis dire, d'échappée solitaire. Au fond, nous avons besoin, dans cette phase, de rester unis et d'être déterminés. Et je le dis aussi parce que je sais ce qui va se passer, les plus gros auront tendance à jouer solo. Et ce n'est pas une bonne idée. Si la réponse aux tarifs qui viennent d'être remis par l'administration américaine, c'est de faire des concessions immédiates ou d'annoncer des investissements pour pouvoir négocier des exemptions, c'est une très mauvaise idée. Parce que nous avons une force. C'est un marché de 450 millions d'habitants. C'est ça, l'Europe. L'Union Européenne, c'est 450 millions de consommateurs. C'est plus que le marché américain. Et donc si les Européens jouent groupés, c'est-à-dire préparent la réponse, qu'elle est unifiée, qu'elle est proportionnée, mais qu'elle est réelle, et que derrière, toutes les filières jouent de manière cohérente avec une vraie solidarité de filières, à ce moment-là, nous saurons avoir ce qui doit être notre objectif, qui est le démantèlement des tarifs. L'objectif, c'est évidemment qu'on apporte une réponse mais avec un terme à tout cela. Nous devons montrer que c’est par la négociation qu’on arrivera évidemment à démonter les tarifs qui ont été annoncés ces dernières semaines et en particulier ces dernières heures, et que nous, on démonte les nôtres. ».

    Le chemin est étroit pour l'Europe. Sa réaction doit être mesurée, mais elle ne doit pas être naïve : « Nous sommes dans la vertu du commerce. Mais simplement, on n'est pas naïfs, donc on va se protéger. Mais j'insiste sur l'importance de la réactivité, de bien préparer la réponse filière par filière et d'être unis, et surtout qu'il y ait une solidarité dans chaque filière. Donc je pense que ce qui est important, et c'est tout le travail qu'il faut faire par filière, c’est que les investissements à venir ou que les investissements annoncés ces dernières semaines, soient un temps, suspendus, tant qu'on n'a pas clarifié les choses avec les États-Unis d'Amérique. Parce que quel serait le message d'avoir des grands acteurs européens qui se mettent à investir des milliards d'euros dans l'économie américaine au moment où ils sont en train de nous taper. Donc il faut qu'on ait de la solidarité collective. ».
     

     
     


    En substance, avec la décision de Donald Trump, Emmanuel Macron a repris une formule qu'avait employée très longtemps auparavant Laurent Fabius pour évoquer le FN : un parti qui pose de bonnes questions mais qui ne donne pas les bonnes réponses. Ici, dans la mondialisation, le problème est réel mais les solutions à apporter inappropriées : « Il y a trop de désindustrialisations en Occident. La réponse, ce n'est pas de mettre des tarifs et de casser le commerce international, c'est d'être plus productifs en Occident. Et donc, nous devons travailler dans le même temps au niveau français et européen à accélérer nos programmes d'investissement, de réindustrialisation, nos simplifications, que beaucoup d'entre vous portent, française et européenne, et au fond, un agenda de simplification, de compétitivité, de réindustrialisation. Cette réponse, elle est essentielle dans la période, il faut l'accélérer. ».

    Autre point, l'indépendance économique passe aussi par la décarbonation de l'économie française et européenne : « Je rappelle que quand on regarde notre commerce extérieur, son déficit, ses déséquilibres, il est aux deux tiers conduit par notre dépendance à des hydrocarbures et du fossile que nous ne produisons pas, mais que nous consommons. Donc tout l'agenda de décarbonation qu'on a enclenché, sur lequel on investit, est bon parce qu'il réduit la facture et la dépendance. ».


    Il faut aussi préserver des barrières commerciales pour les véhicules électriques : « On l'a commencé sur les véhicules électriques chinois, et on assume. On en paye d'ailleurs les conséquences, nous, Français, parce que parfois on avait été identifiés comme les plus cohérents, donc ceux qui étions les plus vocaux. Mais je vais être clair, on ne peut pas demander à nos industriels de faire des transitions, ce que vous faites toutes et tous, et ne pas les protéger et en quelque sorte laisser de la concurrence déloyale s'installer. ».

    Les taux élevés des taxes douanières américaines pour l'Asie auront aussi des conséquences secondaires importantes sur l'Europe : « Sur beaucoup de secteurs, on va être confrontés, je le disais il y a un instant, à des surcapacités sud-asiatiques qui, au fond, voyant enfermer le marché américain, en tout cas en prenant pour certains 30 à 40 % de tarifs, vont rediriger leur flux vers l'Europe. Ce n'est pas forcément quelque chose qu'on voit tout de suite sur lequel on est en train de se préparer, mais enfin, ce sont des mécanismes qui vont avoir sur certaines de nos filières, dans l'agroalimentaire, dans les services, des conséquences qui peuvent être massives. ».
     

     
     


    En conclusion, Emmanuel Macron a résumé l'objectif et la méthode de la riposte européenne : « Rien n'est exclu. Et donc tous les instruments sont sur la table : des réponses tarifaires pour faire face, l'activation de mécanismes qui sont à notre main, comme le mécanisme anti-coercition, la possibilité d'avoir des réponses sur les services numériques, où les États-Unis sont extrêmement bénéficiaires sur l'Europe, la possibilité de regarder aussi les mécanismes de financement de l'économie américaine. Il ne faut rien exclure à court terme, il faut faire ce qui est le plus efficace, le plus proportionné, mais qui en tout cas marque très clairement que nous sommes décidés à ne pas laisser faire, à ne pas avoir des filières qui sont victimes de ces tarifs et donc, à nous défendre et nous protéger. ».

    Cette étape a été en partie réussie puisque, après l'annonce de la riposte européenne, Donald Trump a finalement repoussé de 90 jours la mise en application de ses tarifs douaniers, en estimant que la réaction européenne a été intelligente (ce qui, de la bouche de Donald Trump, n'est peut-être pas fait pour rassurer). Fermeté et subtilité, les Européens ont marché sur des œufs, car l'idée est aussi de ne pas plomber les Européens eux-mêmes. Dans ce dossier, Emmanuel Macron a eu une part d'initiative non négligeable, ce qui fait honneur à la France. Ce n'est peut-être pas un hasard si sa cote de popularité remonte progressivement. Le bon travail est toujours reconnu un jour ou l'autre.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (11 avril 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Emmanuel Macron sur le front du commerce international.
    Discours du Président Emmanuel Macron sur les taxes douanières américaines le 3 avril 2025 à l'Élysée (texte intégral et vidéo).
    Elon Musk.
    La révolution économique de Donald Trump ?
    Donald Trump, gros pêcheur devant l'Éternel !
    Grippe aviaire : désastre sanitaire mondial en perspective ?
    Gene Hackman.
    Claude Malhuret s'en prend à Néron et à son bouffon !
    Ukraine : Trump, porte-parole de Poutine !
    Trump II : de justiciable à justicier !
    Canada, Groenland, Panama : Donald Trump est-il fou ou cynique ?
    Attentat à La Nouvelle-Orléans : les États-Unis durement endeuillés.
    Jimmy Carter, patriarche de l'humanitaire.
    Shirley Chisholm.
    Katalin Kariko et Drew Weissman.
    Rosalynn Carter.
    Walter Mondale.
    Marathonman.
    Bob Kennedy.


     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250403-macron.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/emmanuel-macron-sur-le-front-du-260304

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/04/04/article-sr-20250403-macron.html





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  • Le Pen : inéligibilité, exécution provisoire, récidive et ordre public

     « Bientôt le dé-rassemblement national ? Dans le parti, certains voient en Bardella le responsable du bide du meeting du 6 avril, quand d’autres estiment que Marine devraient comprendre "que c’est sans doute fini pour elle" ! Ça promet pour 2027… » ("Le Canard enchaîné" du 9 avril 2025).



     

     
     


    La mousse médiatique commence à se dissiper autour de la condamnation très lourde de Marine Le Pen et d'une vingtaine de cadres du RN. Au-delà du fond, il y a la forme, et la mauvaise foi des dirigeants du RN est assez instructive.

    Dans un premier temps, voyons quelques arguments sur les soutiens supposés populaires de Marine Le Pen. Et dans un second temps, je reviendrai sur les motivations des juges d'avoir assorti la peine d'inéligibilité de cinq ans de Marine Le Pen de son exécution provisoire, l'empêchant de se présenter à une élection au moins jusqu'au jugement en appel.

    Le meeting du dimanche 6 avril 2025 à Paris, place Vauban, a été un véritable bide avec seulement quelques milliers de participants, environ 5 000, échec de mobilisation qui a l'air plutôt de réjouir le gagnant de l'affaire, Jordan Bardella. C'est le parti macroniste Renaissance qui a gagné la bataille de la mobilisation, en rassemblant exactement 8 853 sympathisants au meeting de Gabriel Attal à Saint-Denis. L'amusant, c'est d'ailleurs que le président délégué du groupe RN à l'Assemblée a alerté la procureure de la République sur le fait qu'il y aurait eu trop de présents à ce meeting, ce qui n'aurait pas permis de respecter les jauges de sécurité. En somme, une reconnaissance des capacités de mobilisation de Renaissance.

     

     
     


    On peut aussi voir à quel point les discours sont foireux. Par exemple, on peut parler de la pétition visant à soutenir Marine Le Pen à la suite de sa condamnation très lourde du 31 mars 2025. Elle était la même pétition que celle qui était déjà en ligne le 14 novembre 2024, c'est ce que permettent de savoir les archives de l'Internet. Le RN aurait juste changé le texte de la pétition, ce qui paraît peu loyal pour les signataires d'origine, et elle a la même adresse Internet que celle de 2024. Les centaines de milliers de signatures ne sont donc pas venues en trois jours, mais en quatre mois, cela réduit la nature du soutien spontané.

    Du reste, il suffit de regarder le sondage qu'a organisé la chaîne CNews, pourtant assez proche idéologiquement du RN, pour comprendre l'absence générale de compassion du peuple français aux déboires judiciaires de Marine Le Pen : 71% des sondés trouveraient normale sa condamnation, selon le principe énoncé par Gabriel Attal « Tu voles ; tu paies ! », tandis que seulement 29% seraient choqués par la peine d'inéligibilité. La bataille de l'opinion est complètement perdue par le RN et beaucoup voudraient trouver rapidement une porte de sortie, car vouloir maintenir la candidature de Marine Le Pen serait un suicide collectif.
     

     
     


    Répétons : dans cette grave affaire de grande délinquance (plus de 4 millions d'euros d'argent public détournés !), Marine Le Pen n'est pas du tout une victime mais une coupable, condamnée en première instance à 4 ans de prison dont deux ans ferme (et présumée innocente pour son procès en appel).

    Lisons la chronique que le professeur Jean-Philippe Derosier, constitutionnaliste lillois, a publié le 7 avril 2025 dans "Le Nouvel Observateur" : « La peine ne doit pas faire oublier la culpabilité. (…) Il n’est question que des modalités d’exécution d’une peine complémentaire, car l’exécution provisoire n’est pas, en soi, une peine mais une modalité de son application et l’inéligibilité n’est pas la peine principale, mais une peine qui vient la compléter. ».
     

     
     


    Jean-Philippe Derosier a insisté sur la stratégie suicidaire de la défense tout au long du procès : « Refusant d’admettre toute culpabilité et, au contraire, en justifiant les faits (qu’elle reconnaît), car une activité politique serait indissociable de tout mandat parlementaire, elle laisse entendre qu’elle considère ne rien avoir commis d’illégal et de pénalement répréhensible. Par conséquent, placée dans une situation identique, elle serait susceptible de les commettre à nouveau. Ce seul élément serait suffisant pour justifier l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité, dont l’un des objectifs est d’empêcher la récidive : on voit que le risque existe. ».

    Marine Le Pen a été condamné surtout comme la responsable en chef d'un système durable de détournement massif d'argent public, pas seulement en tant que députée européenne mais surtout en tant que présidente du RN. Il n'est donc pas besoin qu'elle soit députée européenne pour craindre une récidive.
     

     
     


    Au contraire, le risque de récidive est d'autant plus sérieux que l'actualité judiciaire nous apporte deux événements qui confortent nettement l'appréciation inquiète des trois juges du tribunal correctionnel de Paris.

    Le premier événement, c'est la confirmation, le 19 juin 2024, par la Cour de Cassation, de la condamnation en appel de sept proches de Marine Le Pen et de trois personnes morales de la mouvance d'extrême droite, pour escroquerie aux dépens de l'État, abus de biens sociaux, abus de confiance, recel et blanchiment, rien que cela. Le RN a été condamné à une amende de 250 000 euros pour cette affaire dite des kits de campagne (vente à un prix exagérément surévalué d'un matériel de campagne aux candidats RN aux législatives de juin 2012 destiné à être remboursé par l'État si le score est supérieur à 5%). Cette condamnation est définitive depuis le rejet des pourvois en cassation. La cour d'appel avait alors estimé que ce système avait « porté atteinte aux règles de la démocratie ».
     

     
     


    Le second événement a été confirmé par France Inter ce mercredi 9 avril 2025 à partir d'une indiscrétion de l'hebdomadaire satirique "Le Canard enchaîné" du 9 avril 2025 : le président du RN Jordan Bardella souhaitait rémunérer son directeur de cabinet de parti avec l'argent des assistants parlementaires du Parlement Européen. C'est-à-dire exactement ce qu'on a reproché à Marine Le Pen et à une vingtaine de membres du RN !

    Effectivement, dans un courrier daté du 26 mars 2025, le secrétaire général du Parlement Européen a adressé à Jordan Bardella un refus de renouveler le contrat d'assistant parlementaire à temps partiel de François P., directeur de cabinet du président du RN à Paris et conseiller région d'Île-de-France (rappelons que le mandat de conseiller régional est lui-même rémunéré) : « Compte tenu de vos responsabilités en tant que président de parti, les missions de M. P. comme directeur de cabinet exigent un certain degré de disponibilité et de réactivité. Cela parait peu conciliable avec la régularité des tâches d'assistance parlementaire que vous envisagez de lui confier, du lundi au jeudi de 9 heures à 12h30. ».
     

     
     


    Dans l'affaire Le Pen, on avait reproché exactement la même chose : que des assistants parlementaires en temps partiel soient officiellement embauchés pour, en fait, rémunérer sur fonds publics, les nôtres, ceux du contribuable, le majordome de Jean-Marie Le Pen, sa secrétaire et son directeur de cabinet, le garde du corps de Marine Le Pen, etc. Il est là, le scandale, et visiblement, Jordan Bardella voudrait continuer ce système malgré près de dix ans d'instruction, un long procès et un jugement qui a fait polémique. C'est à se demander si Jordan Bardella a lu une seule fois un journal ces derniers mois.

    Le risque que Marine Le Pen supervise ce système de détournement de fonds publics une nouvelle fois n'est donc pas mince puisqu'elle refuse obstinément de reconnaître sa faute (tout en reconnaissant les faits !).


    La seconde motivation qui ont conduit les juges à assortir la peine d'inéligibilité de son exécution provisoire, c'est ce qu'on appelle le trouble public. Jean-Philippe Derosier a ainsi justifié cette seconde motivation des juges : « Dès lors que Madame Le Pen a été reconnue coupable et condamnée par le tribunal, ce dernier est légitime à relever que les faits commis sont de nature à porter une atteinte tant à la confiance des citoyens dans la vie publique, qu’à la probité et à l’exemplarité qui doivent s’attacher aux élus, dans l’exercice de leur mandat. Ainsi, permettre qu’une telle personne, reconnue coupable et condamnée par un tribunal, puisse concourir à une élection, en particulier l’élection présidentielle et puisse a fortiori être élue, constitue un trouble majeur à l’ordre public démocratique. On peut ajouter que si Marine Le Pen était élue Présidente de la République dans ces circonstances, elle échapperait à la justice pendant tout le temps de son mandat et serait en position de faire évoluer la législation pénale pour l’exonérer de sa responsabilité, en influant sur le travail gouvernemental et législatif comme le fait tout Président de la République. ».
     

     
     


    Le professeur de droit constitutionnel a conclu ainsi : « Il est donc parfaitement légitime et juridiquement fondé que le tribunal conclue qu’il lui appartient de veiller à ce que les élus, comme tous les justiciables, ne bénéficient pas d’un régime de faveur, incompatible avec la confiance recherchée par les citoyens dans la vie politique. Il prononce donc l’exécution provisoire de l’inéligibilité, afin de la rendre applicable immédiatement. Cette exécution provisoire ne contrevient ni au procès équitable, ni au droit au recours, ni à la présomption d’innocence. ».

    Il a rappelé en outre que, contrairement à ce qu'a vaguement affirmé, le 1er avril 2025, le Premier Ministre François Bayrou (à savoir : « En principe de droit, toute décision lourde et grave en matière pénale doit pouvoir faire l’objet d’une procédure en appel et d’un recours. Cependant, le dispositif de l’exécution provisoire conduit à ce que des décisions lourdes et graves ne soient pas susceptibles de recours. Il n’est alors plus possible de faire appel de décisions qui, pourtant, peuvent entraîner des conséquences irréversibles. J’ai toujours, comme citoyen, considéré ce point comme problématique. »), la peine d'inéligibilité n'est pas définitive et qu'il y a possibilité de recours puisqu'il aura appel : « Marine Le Pen a interjeté appel et verra donc sa cause de nouveau entendue. D’après ce qui a été annoncé, la cour d’appel pourrait même se prononcer avant l’élection présidentielle. Elle exerce donc son droit au recours et pourra de nouveau faire valoir ses arguments, de façon contradictoire, devant une juridiction indépendante et impartiale, comme elle l’a fait devant le tribunal correctionnel. Elle continue de bénéficier de la présomption d’innocence et l’exécution provisoire de l’inéligibilité ne la remet pas en cause car son objectif est simplement de préserver l’ordre public démocratique à l’égard d’une personne susceptible de lui porter une atteinte irréparable. ».
     

     
     


    Jean-Philippe Derosier a d'ailleurs fait la comparaison avec des affaires criminelles, en en pointant bien sûr les différences : « Imaginerait-on contester le placement en détention provisoire d’un individu soupçonné de multiples meurtres ? Certainement pas : bien qu’il bénéficie, comme tout justiciable, de la présomption d’innocence, l’objectif constitutionnel de préservation de l’ordre public justifie une telle mesure privative de liberté, car il présente un réel danger pour la société. Peut-on oser comparer la situation d’un meurtrier avec celle d’une élue ? Non. Les situations sont évidemment différentes. Mais la détention provisoire n’est précisément pas de même nature que l’inéligibilité provisoire. Cependant, la justification participe de la même dynamique : il existe non un danger pour la société, mais un danger pour la démocratie et il est du rôle de la justice de nous en préserver, au nom de tout le peuple français. Marine Le Pen dispose alors du droit de se défendre. ».

    Il faut rappeler que l'utilisation des 4,1 millions d'euros que le tribunal correctionnel de Paris a considérés comme de l'argent public détourné par le RN a contribué au renforcement déloyal de la puissance électorale du RN par rapport aux autres formations politiques qui ont respecté la loi et a donc faussé le jeu démocratique (a troublé l'ordre public démocratique) au profit du RN qui aurait pu obtenir moins d'élus sans cette force de frappe (mais ça, on ne le saura jamais et c'est peut-être faux, mais le simple fait qu'on puisse l'imaginer dénature la loyauté et la sincérité de la vie démocratique pendant toute cette période).

    Comme je l'ai déjà expliqué, la peine d'inéligibilité de Marine Le Pen n'a rien d'exceptionnel. Plusieurs personnalités politiques l'ont déjà eue récemment assortie d'une exécution provisoire, parfois de dix ans !
     

     
     


    Les statistiques du Ministère de la Justice donnent d'ailleurs des indications précieuses : en 2023, 639 personnes ont été condamnées en France à une peine d'inéligibilité assortie d'une exécution provisoire. Le cas de Marine Le Pen n'est donc pas rare. Au total, en 2023, les tribunaux de France ont condamné 16 364 personnes à une peine d'inéligibilité, l'exécution provisoire correspond donc à 4% des peines d'inéligibilité en 2023 (qui ont été en forte augmentation, elles étaient au nombre de 9 125 en 2022, dont plus de 300 avec exécution provisoire). De ces données, dans un article de France Info publié le 3 avril 2025, Armêl Balogog en a déduit ainsi : « Il est donc possible d'en conclure que le principe de l'exécution provisoire n'a rien d'exceptionnel et qu'il fait intrinsèquement partie de l'exercice de la justice. ».


    Toutes ces observations montrent que la condamnation lourde de Marine Le Pen ne provient pas un supposé complot contre elle et son parti (qui pourra toujours présenter un candidat à la prochaine élection présidentielle), mais l'exercice ordinaire de la justice qui doit s'appliquer avec la même sévérité, ni plus ni moins, quels que soient les délinquants mis en cause. Cela ne fera pas changer d'avis les militants convaincus et apparatchiks du RN, mais va sérieusement compliquer la tâche de ce parti pour trouver de nouveaux électeurs et tenter de faire exploser le plafond de verre qui sévit depuis 1972. Le meilleur moyen aurait été sans aucun doute de ne pas détourner de fonds publics et d'être honnête avec l'argent des contribuables. C'est le minimum qu'on peut attendre de tout futur élu.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (09 avril 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Le Pen : inéligibilité, exécution provisoire, récidive et ordre public.
    Marine Le Pen, est-elle si clean que cela ? (22 février 2017).
    Condamnation Le Pen : la justice vole-t-elle l'élection présidentielle de 2027 ?
    Le fond accablant de l'affaire Le Pen.
    Texte intégral du jugement délibéré du 31 mars 2025 sur l'affaire Le Pen (à télécharger).
    Affaire Le Pen : ne confondons pas victime et coupable !
    Marine Le Pen : voler l'argent des Français !
    Marine Le Pen et la sérénité d'une future condamnée ?
    L'avenir judiciaire de Marine Le Pen dans une décision du Conseil Constitutionnel ?
    Jean-Marie Le Pen : extrême droite tenace et gauche débile...
    Mort de Jean-Marie Le Pen : la part de l'héritage.
    Procès de Marine Le Pen : surprise de gazelles et cynisme de vieux loups.
    Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
    Législatives 2024 (18) : la fin du cauchemar Bardella (pour le moment).
    Fake news : la scandaleuse manipulation politique du RN.
    Législatives 2024 (12) : un isoloir, ce n'est pas un cabine d'essayage !
    Législatives 2024 (11) : front, rassemblement, union nationale, barrage, consignes de vote...
    Législatives 2024 (10) : il était une fois Jordan Bardella, Gabriel Attal et Manuel Bompard.
    Législatives 2024 (9) : Emmanuel Macron et son n'ayez-pas-peur !
    Jean-Marie Le Pen, retour aux sources du RN.
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Le débat Gabriel Attal vs Jordan Bardella du 23 mai 2024.
    Débat Valérie Hayer vs Jordan Bardella : l'imposture démasquée de Coquille vide.
    Ukraine : Claude Malhuret se gausse de Jordan Selfie !
    Ukraine : Gabriel Attal attaque durement le RN et Marine Le Pen !
    Sondage secret : en cas de législatives anticipées, une victoire du RN ?
    FN/RN : fais-moi peur ! (27 octobre 2015).
    Marine Le Pen en tête dans un sondage : attention au buzz !
    Christine Boutin.
    André Figueras.
    Patrick Buisson.

    Rassemblement national : objectif 2027... ou avant !
    Jordan Bardella.
    Le nouveau JDD et la récupération des Enzo...
    Geoffroy Lejeune.
    Attention, un train de violence peut en cacher un autre...
    Éric Caliméro Zemmour.
    Jean-Marie Le Pen et sa marque dans l'histoire.
    La tactique politicienne du RN.
    La sanction disciplinaire la plus lourde de la Cinquième.

    Louis Aliot.
    Le congrès du RN.
    Grégoire de Fournas.
    Incident raciste : 89 nuances de haine à la veille du congrès du RN ?

    Le Front national des Le Pen, 50 ans plus tard...

     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250407-condamnation-le-pen.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/le-pen-ineligibilite-execution-260351

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  • Robert Badinter au Panthéon : faut-il s'en réjouir ?

    « Les lois de la vie et de la mort comme suspendue, vaincue, abolie. Alors, s’ouvre le temps de la reconnaissance de la Nation. Aussi votre nom devra s’inscrire, aux côtés de ceux qui ont tant fait pour le progrès humain et pour la France et vous attendent, au Panthéon. » (Emmanuel Macron, le 14 février 2024 à Paris).




     

     
     


    Selon une information diffusée ce mardi 8 avril 2025 dans la soirée et confirmée par l'entourage du Président de la République Emmanuel Macron, l'ancien garde des sceaux Robert Badinter, qui est mort l'année dernière, le 9 février 2024, entrera au Panthéon le 9 octobre 2025, qui est la date du quarante-quatrième anniversaire de la promulgation de la loi n°81-908 du 9 octobre 1981 portant abolition de la peine de mort.

    La panthéonisation de Robert Badinter a été envisagée dès son décès et même bien auparavant. La principale personne concernée ne s'était pas opposée, de son vivant, à cette idée, même s'il lui était pénible d'être l'objet d'honneurs publics. Il avait ainsi refusé toute décoration nationale, que ce soit l'Ordre national du Mérite ou la Légion d'honneur. Il avait été d'ailleurs un moment envisagé une panthéonisation du couple Badinter, avec également sa femme Élisabeth Badinter lors du décès de celle-ci, au même titre que l'époux de Simone Veil, Antoine Veil, a été transféré à ses côtés au Panthéon (mais je trouvais cette planification un peu morbide).

     

     
     


    Finalement, il a été conclu que Robert Badinter ira au Panthéon... sans ses cendres qui resteront inhumées là où elles se trouvent actuellement. Cela avait déjà été le cas pour Geneviève Anthonioz-De Gaulle et Germaine Tillion.

    Lors d'un hommage national à l'avocat de François Mitterrand, le 14 février 2024, Emmanuel Macron avait annoncé sa panthéonisation probable, mettant Robert Badinter aux rangs de ceux qui ont « tant fait pour le progrès humain et pour la France ».

     

     
     


    Le transfert des cendres d'une personnalité, en principe de nationalité française (mais il y a eu des exceptions), est décidée par un décret du Président de la République, sur proposition du Premier Ministre et sur rapport du Ministre de la Culture.

    Je suis toujours gêné par le principe de la panthéonisation qui est l'équivalent républicain et laïque d'une sorte de béatification voire canonisation pour les chrétiens. Il est difficile de sélectionner ceux qui devraient en être et ceux qui ne devraient pas en être, d'autant plus que cela dépend beaucoup du moment, de l'évolution de la société et aussi de la connaissance qu'on peut avoir des personnes (ainsi, l'abbé Pierre avait été souvent cité pour faire partie des prochains panthéonisés ; on se rassure qu'il ne le soit finalement pas !). On a aussi panthéonisé des maîtres de cérémonie de panthéonisation, par exemple, André Malraux pour Jean Moulin.

    Heureusement, dans un éclair à la fois de lucidité et d'extrême orgueil, beaucoup de grands personnages de l'État ont refusé de leur vivant ce genre d'hommage, le premier d'entre eux étant De Gaulle lui-même qui craignait de ne pas pouvoir se reposer en paix. Devenir comme une œuvre d'art dans un musée, visitée par des milliers de touristes, n'est pas forcément du goût de tous les macchabées qui aspirent plutôt à la tranquillité.

     

     
     


    L'idée de panthéoniser Robert Badinter a pourtant un véritable sens, celui d'avoir su, au-delà des oppositions feutrées ou même féroces (il suffit de voir les réactions ces prochains jours sur cette information ; Robert Badinter bénéficie encore d'un haut niveau de haine qui montre à quel point il fallait du courage pour aller jusqu'au bout de son projet), ...d'avoir su mener à bien l'abolition de la peine de mort qui n'est pas une question de politique pénale, ni de politique tout court, mais une question de société, de philosophie : la justice, au nom du peuple français, avait-elle le droit de supprimer des vies ? C'est un choix de société. La réponse depuis le 9 octobre 1981 est non, et le Président Jacques Chirac, qui, lorsqu'il était député, avait voté cette abolition de la peine de mort (comme d'autres personnalités de l'opposition, entre autres Philippe Séguin), a même renforcé le dispositif en rendant constitutionnelle cette abolition, ce qui reste une garantie pour tous les justiciables en France.
     

     
     


    Ainsi, on peut voir une analogie entre Simone Veil, qui a mené à bien la loi sur l'IVG en 1974-1975, et Robert Badinter la loi sur l'abolition de la peine de mort en 1981. Aucun des deux n'avait vraiment prévu la chose dans leur existence. Jean Lecanuet aurait dû le faire pour l'IVG et Maurice Faure pour la peine de mort. Les deux lois ont été, par la suite, intégrées dans la Constitution. Enfin, dernière analogie qui n'est pas sans intérêt, les deux ont connu l'atrocité des camps d'extermination (elle comme déportée ; lui, qui a failli être déporté, touché de plein fouet), y perdant chacun une partie de leur famille, ce qui en a fait des êtres toujours associés à une certaine gravité historique (les parents de Robert Badinter étaient tous les deux d'origine moldave et ont obtenu la nationalité française quelques semaines avant sa naissance).

    Ministre de la Justice de 1981 à 1986, Président du Conseil Constitutionnel de 1986 à 1995, sénateur des Hauts-de-Seine de 1995 à 2011, Robert Badinter a incarné pendant sa vie publique une certaine idée de faire de la politique, celle de l'intellectuel, celle du moraliste, mais certainement pas celle de l'ambitieux. Il a pris les chemins détournés de la politique pour suivre, paradoxalement, son ambitieux ami François Mitterrand pour qui il voua une fidélité mise parfois à rude épreuve. La République a de quoi s'enorgueillir d'avoir eu parmi ses serviteurs un homme tel que Robert Badinter. C'est parce qu'ils sont rares qu'il faut savoir les honorer et en faire des exemples républicains (sans qu'ils en soient pour autant des modèles).



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (09 avril 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Robert Badinter au Panthéon : faut-il s'en réjouir ?
    Élisabeth Badinter.
    Robert Badinter transformé en icône de la République.
    Hommage national à Robert Badinter le 14 février 2024 à Paris (texte intégral et vidéo).

    Robert Badinter, un intellectuel errant en politique.
    Le procureur Badinter accuse le criminel Poutine !
    L'anti-politique.
    7 pistes de réflexion sur la peine de mort.
    Une conscience nationale.
    L’affaire Patrick Henry.
    Robert Badinter et la burqa.
    L’abolition de la peine de mort.
    La peine de mort.
    François Mitterrand.
    François Mitterrand et l’Algérie.
    Roland Dumas.


     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250408-robert-badinter.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/robert-badinter-au-pantheon-faut-260398

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/04/09/article-sr-20250408-robert-badinter.html


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  • Joseph Laniel : il y a du lingot dans cet homme-là !

    « On voudrait bien, ne serait-ce que par souci de ne pas être banal, comparer Joseph Laniel à autre chose qu’un bœuf. Mais cela est d’autant plus impossible qu’il semble cultiver comme à plaisir la ressemblance. Ce n’est pas assez qu’il soit massif, pesant, de membres brefs et lourds, que sa tête engoncée dans ses épaules soit presque aussi large que son poitrail, que ses gros yeux aux bords rouges aient l’air d’attendre les mouches, et que, de son museau qui mastique à l’horizontale (c’est la seule façon qu’a Laniel de ruminer), on s’étonne de ne pas voir découler un scintillant filet de bave. » (André Figueras, 1956).



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    L'ancien chef du gouvernement de la Quatrième République Joseph Laniel est mort il y a cinquante ans, le 8 avril 1975. L'occasion de revenir sur la période pendant laquelle il a dirigé la France d'une main de fer et sur l'occasion perdue de son élection à la Présidence de la République.

    Après trente-quatre années de carrière politique, tant locale que nationale, Joseph Laniel est arrivé au sommet de sa puissance lors de son investiture, le 26 juin 1953, comme Président du Conseil.

    Il dirigea l’un des gouvernements les plus longs de la Quatrième République (après Guy Mollet), du 28 juin 1953 au 12 juin 1954. Sa composition fut approuvée par les députés le 30 juin 1953. Il y avait trois Vice-Présidents du Conseil, son mentor Paul Reynaud (CNIP), Henri Queuille (radical) et Pierre-Henri Teitgen (MRP), et on pouvait retrouver (certains étaient simplement reconduits du ou des gouvernement précédents) notamment : François Mitterrand (UDSR) au Conseil de l’Europe, Georges Bidault (MRP) aux Affaires étrangères, secondé par Maurice Schumann (MRP), René Pleven (UDSR) à la Défense nationale et Forces armées, aidé notamment de Pierre de Chevigné (MRP) à la Guerre, Edgar Faure (radical) aux Finances et Affaires économiques, André Marie (radical) à l’Éducation nationale, Louis Jacquinot (CNIP) à la France d’Outre-mer et Paul Coste-Floret (MRP) à la Santé publique et Population. Quatre députés venus du RPF ont fait leur entrée, ce qui était nouveau.

    Formellement, il y a eu deux gouvernements, car l’investiture du nouveau Président de la République imposait la démission du gouvernement le 16 janvier 1954, qui fut immédiatement et intégralement reconduit, pratiquement sans aucun changement (à noter l’apparition furtive du député des concierges parisiens, Édouard Frédéric-Dupont, comme Ministre des Relations avec les pays associés du 3 au 9 juin 1954, il avait là l’étiquette CNIP, il avait été élu sous l’étiquette RPF, et il avait voté les plein pouvoirs à Pétain en 1940).

    Toute l’attention de Joseph Laniel pendant le temps de son gouvernement fut portée sur les problèmes économiques et financiers. La situation économique était mauvaise, elle se dégradait : la croissance s’essoufflait, le chômage redémarrait. Sur le plan extérieur, il s’était engagé à préserver la continuité de la politique de la France (menée par Georges Bidault). Il y a eu deux éléments perturbateurs pour son gouvernement : la guerre d’Indochine et le projet de la Communauté européenne de défense (CED) qui divisait profondément tant le peuple français que la classe politique.

    L’été 1953 fut particulièrement dense dans la vie politique et sociale en France. En effet, profitant des vacances estivales, Joseph Laniel, droit dans ses bottes, a voulu adopter quelques réformes sociales à l’arraché. Le 8 juillet 1953, il a obtenu des députés, par 329 voix contre 277, la possibilité de légiférer par décrets-lois (on dirait "ordonnances" maintenant) pendant trois mois pour réformer (déjà !) l’âge de départ à la retraite des fonctionnaires et les conditions d’avancement, également pour réformer la Banque de France. L’idée annoncée était de faire la rigueur budgétaire pour relancer l’économie. Pour la gauche, c’était le détricotage annoncé du programme du CNR.

    Alors que Joseph Laniel pensait pouvoir légiférer en toute quiétude durant l’été, profitant notamment de la division structurelle des forces syndicales (scission de la CGT avec FO), ce fut tout le contraire qui arriva, et cela venant de la base. Avant même que les textes fussent rédigés et présentés, une grande grève commença dans les services publics, à partir du 4 août 1953 (les premiers furent les postiers bordelais). La grève était motivée notamment par des rumeurs sur une harmonisation par le bas des régimes spéciaux de retraites, des licenciements d’auxiliaires, un blocage des salaires, une prolongation de deux ans de l’âge de la retraite, etc. Toutes ces mesures devaient être présentées au Conseil supérieur de la fonction publique, ce qui était prévu d’abord le 4 août puis le 7 août 1953 (ce qui expliquait la grève à partir du 4). Les syndicats ont boycotté la réunion de ce conseil supérieur. Le 9 août 1953, le conseil des ministres a adopté la dernière version des réformes de la fonction publique, faisant quelques concessions aux syndicats mais c’était trop tard, le mouvement était lancé.

    Cette grève illimitée a été très suivie, avec une unité syndicale à la base : éboueurs, postiers PTT, cheminots SNCF, électriciens EDF, gaziers GDF, RATP, Air France, personnels de santé, etc. ont fait grève (seuls les enseignants étaient absents du mouvement pour cause de vacances scolaires). 4 millions de grévistes le 13 août 1953 ! On interdisait même aux ministres de téléphoner, les agents coupaient leurs communications privées !

    La réaction du gouvernement fut également très forte, refusant de céder à la pression des grévistes (Joseph Laniel l’a martelé plusieurs fois le 12 août 1953 à la radio nationale) : perquisitions, arrestations, inculpations (notamment d’André Le Léap, secrétaire général de la CGT, l’autre secrétaire général Benoît Frachon étant passé dans la clandestinité !), réquisition de l’armée et de détenus, etc.

    Dans "Le Monde diplomatique" d’août 2017, l’historien Michel Pigenet a expliqué : « Acteur et observateur lucide à son poste de Ministre des Finances, Edgar Faure décrit un climat de "défoulement" et de "bonne rigolade, presque comme un canular". Le sentiment d’invincibilité métamorphose la colère initiale en enthousiasme bon enfant. Août 1953 diffère de novembre-décembre 1947, où les "grèves rouges" s’étaient soldées par la mort de quatre ouvriers et plus de 1 300 arrestations. ».

    Le 21 août 1953, finalement, le gouvernement réussit à trouver un accord avec les syndicats FO et CFTC, aucune réforme n’aura été vraiment entérinée, et les retours au travail se sont fait très lentement (les grévistes CGT se sentant trahis). Les personnes arrêtées furent libérées si bien que même la CGT appela à la reprise du travail le 25 août 1953.

    Ce qui reste étonnant, c’est que cette grève d’août 1953, qui fut générale et illimitée, n’a pas marqué ce qu’on pourrait appeler la "mémoire collective" ou la "mémoire nationale". Pourtant, elle était mémorable, et surtout, elle n’est pas sans rappeler, aujourd’hui, la crise des gilets jaunes, selon ce qu’a exprimé Michel Pigenet pour août 1953 : « Confronté à l’État patron, le mouvement acquiert une signification politique, mais n’a ni les moyens ni l’ambition de s’ériger en solution de rechange. S’y engager le perdrait. » ("Le Monde diplomatique", août 2017).

    Cette crise sociale a cependant fait date à court terme dans l’esprit des parlementaires socialistes, et l’idée d’une résurgence de la Troisième force (SFIO-MRP-radicaux) sous l’égide de Pierre Mendès France allait refaire son chemin. Au congrès du parti radical le 23 septembre 1953, Pierre Mendès France lança : « Nous sommes en 1788 ! » et analysa : « Les grèves récentes n’étaient pas des grèves politiques ni exactement des grèves professionnelles. Certains grévistes étaient incapables de définir avec précision leurs revendications. C’étaient les grèves de la tristesse, du désespoir, du découragement. ». Cela fait en effet penser aux gilets jaunes.

    Mais aussi à long terme : elle a tétanisé tous les gouvernements pendant un demi-siècle en les dissuadant de faire des réformes (comme la fin des régimes spéciaux des retraites), nous sommes en pleine actualité ! et aussi dans la structuration de la vie politique. En effet, dès le 22 juillet 1953, un mouvement allait s’opposer aux grévistes qui mettaient en danger l’économie française, notamment les petits entrepreneurs et les commerçants, l’UDCA (Union de défense des commerçants et artisans). Ce mouvement fut celui de Pierre Poujade qui entra massivement à l’Assemblée Nationale aux élections législatives suivantes du 2 janvier 1956 avec 52 élus (dont Jean-Marie Le Pen) et 12,9% des voix (2,7 millions d’électeurs !).

    Dans la politique gouvernementale, la crise a aussi eu un effet sur Edgar Faure, aux Finances, qui prôna une volonté de reprise de l’économie française avec une expression qui lui était très particulière : "l’expansion dans la stabilité" (en février 1954). Les salaires des fonctionnaires allaient d’ailleurs augmenter de 14% sur les deux années qui suivaient.

    Parmi les mesures économiques et sociales du gouvernement Laniel, il faut citer l’instauration de la TVA (taxe sur la valeur ajoutée) le 10 avril 1954 et l’adoption de la loi n°54-439 du 15 avril 1954 sur le traitement des alcooliques dangereux pour autrui. Toujours dans le domaine social, il faut rappeler que l’abbé Pierre (qui fut député MRP de Nancy de 1945 à 1951) a fait son fameux appel contre la misère le 1er février 1954.

    Le 20 août 1953, Joseph Laniel a eu aussi à réagir sur la décision sans concertation du résident général au Maroc de déposer le sultan Mohammed Ben Youssef. Joseph Laniel a finalement entériné à son compte le fait accompli, entraînant des protestations polies d’Edgar Faure et la démission de François Mitterrand le 4 septembre 1953. Plus tard, après avoir quitté le pouvoir, Joseph Laniel s’expliqua sur ce dossier le 8 octobre 1955 devant les députés, ce fut d’ailleurs sa seule intervention publique dans l’hémicycle après sa démission jusqu’à la fin de la législature.

    Dans son "Bloc-notes" du 14 novembre 1954, François Mauriac a écrit, sans complaisance : « Il faut rendre justice à monsieur Joseph Laniel : en voilà un qui ne trompe pas son monde ! Ce Président massif, on discerne du premier coup d’œil ce qu’il incarne : il y a du lingot dans cet homme-là. Sans doute ignore-t-il "le grand secret de ceux qui entrent dans les emplois" que nous livre le cardinal de Retz, et qui est "de saisir d’abord l’imagination des hommes". On ne saurait moins parler à l’imagination que monsieur Joseph Laniel. Ce Président-là nous ferait découvrir de la fantaisie chez monsieur Doumergue, et chez monsieur Lebrun, de la verve. »  Il est cependant revenu le 29 janvier 1966 sur cette réflexion en regrettant d’avoir employé le mot "lingot".

    La grande affaire politique du moment était la Communauté européenne de défense (CED), dont le traité fut signé le 27 mai 1952, mais dont les débats allaient se terminer bien plus tard, le 30 août 1954 avec le rejet par 319 députés français contre 264. Cependant, le clivage sur la CED (qui, comme les autres traités européens par la suite, en 1992 ou en 2005) se faisait à l’intérieur de la plupart des partis (sauf par exemple le MRP qui était proeuropéen de manière homogène) allait se traduire lors de la très difficile élection présidentielle de décembre 1953.

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    Le mandat de Vincent Auriol s’achevait effectivement et il ne se représentait pas. Le Président de la République était élu par l’ensemble des parlementaires (députés et "conseillers de la République", équivalents de sénateurs). Cette élection présidentielle s’est déroulée dans la plus grande confusion, puisqu’il a fallu treize tours avant de connaître l’élu, pire qu’un pape ! En effet, le Président devait être élu à la majorité absolue, quel que soit le tour, pas seulement à la majorité relative après le premier ou deuxième tour.

    Elle a eu lieu du 17 au 23 décembre 1953 et a donné une très mauvaise image de la classe politique et de la Quatrième République. Joseph Laniel s’est présenté à cette élection, dès le premier tour, et fut considéré comme le favori. Il se présenta aux dix premiers tours et il aurait dû, en toute logique arithmétique, être élu. Mais son soutien à la CED, ses manières assez brutales de gouverner ("à la tête de bœuf"), et son "origine industrielle" qui reste toujours effrayante dans la classe politique française (on le voit pour Emmanuel Macron et sa furtive incursion dans une banque d’affaires) lui ont retiré quelques soutiens qui auraient pu être déterminants dans l’élection. Sans compter l’enlisement politique et militaire en Indochine.

    Par ailleurs, le Président du Congrès, André Le Troquer (SFIO) a tout fait pour éviter son élection (selon l’historien Jean-Pierre Rioux), jusqu’à retirer, dans la comptabilisation des votes favorables, les bulletins où n’était indiqué que son patronyme "Laniel" sans son prénom Joseph, pouvant ainsi laisser un doute sur la destination du bulletin car il y avait aussi un René Laniel, son frère, qui siégeait au Sénat (il n’était pas nécessaire d’être candidat pour recueillir des voix).

    Même si les institutions n’étaient pas comparables, cette élection a montré à quel point il est difficile et, pour l’instant, impossible, à un chef du gouvernement d’être élu Président de la République (à l’exception de De Gaulle le 21 décembre 1958) : en effet, sous la Cinquième République et après la réforme de 1962 du suffrage universel direct pour élire le Président de la République, aucun candidat Premier Ministre en exercice n’a pu se faire élire : ni Jacques Chirac en 1988, ni Édouard Balladur en 1995, ni Lionel Jospin en 2002. Georges Pompidou avait été obligé de démissionner l’année précédant son élection (pour être "en réserve de la République") et Jacques Chirac avait refusé de diriger un nouveau gouvernement de cohabitation en 1993 avant l’élection présidentielle de 1995. Quant aux autres Présidents de la Cinquième République, ils n’ont jamais occupé Matignon.

    Le premier tour du 17 décembre 1953 laissait entendre un match entre le socialiste Marcel-Edmond Naegelen, ancien ministre, qui bénéficia aux autres tours du report des voix communistes, et le chef du gouvernement Joseph Laniel. Naegelen a eu 160 voix et Laniel 155 voix, ce qui représentait seulement un sixième des voix et pas la majorité absolue. La raison, c’était la présence d’autres candidats, surtout du centre droit : Georges Bidault représentait le MRP avec 131 voix, Yvon Delbos les radicaux avec 129 voix, même le CNIP était divisé avec un second candidat Jacques Fourcade qui ramassait 62 voix, et un radical indépendant, Jean Médecin (père de Jacques Médecin) a récolté aussi 54 voix. Quant aux deux ailes exclues du pouvoir, les communistes avec Marcel Cachin (113 voix) et les gaullistes avec Paul-Jacques Kalb (114 voix), ils faisaient jeu égal. On voit qu’il y avait une grande dispersion des voix.

    Dès le deuxième tour, la gauche a réussi à s’unir, les communistes se sont désistés, et Naegelen a rassemblé 299 voix, frôlant le tiers de voix. Laniel s’est renforcé à 276 voix (30%) mais le maintien de Bidault (143 voix) et Delbos (180 voix) l’ont empêché d’être élu. Après l’abandon de Georges Bidault, du troisième au dixième tours, Joseph Laniel est parvenu à être en tête du scrutin, mais jamais assez pour atteindre la majorité absolue, tandis que Marcel-Edmond Naegelen a consolidé sa position de challenger en deuxième place, oscillant entre 300 et 400 voix.

    Au huitième tour, le 20 décembre 1953, Joseph Laniel n’était pas loin de l’élection avec 430 voix (47,3%), il lui manquait 24 voix, et Antoine Pinay et Louis Jacquinot, du même parti que lui, CNIP, ont eu respectivement 25 et 14 voix. Il faut comprendre que ces deux candidats n’étaient pas forcément candidats voulus par eux, c’étaient des parlementaires qui ont pu voter spontanément pour eux.

    L’élection de Laniel était donc possible, mais au neuvième tour, un autre candidat CNIP a rassemblé 103 voix, lui faisant perdre mécaniquement une quinzaine de voix. À partir du huitième tour inclus, face au socialiste Naegelen, il n’y avait plus que des candidats CNIP, mais plusieurs, pas un seul. Le centre droit estimait en effet que l’Élysée devait revenir à ce parti, mais visiblement, au sein de la majorité de centre droit, certains refusaient l’élection de Joseph Laniel, trop atlantiste, trop proeuropéen, trop cassant dans son caractère.

    Joseph Laniel l’a compris à la fin du dixième tour. Il abandonna la partie, laissant la porte ouverte à un autre candidat CNIP. Louis Jacquinot et René Coty se sont disputé cette candidature dans les trois derniers tours qui ont eu lieu le 23 décembre 1953. Au onzième tour, Louis Jacquinot, beaucoup plus connu des parlementaires que Coty et soutenu par Laniel, a eu une grande avance (338 voix) sur René Coty (71 voix).

    Mais ce fut la candidature de René Coty qui s’imposa. Pourquoi ? Parce qu’il était vice-président du Sénat (on n’a pas voulu du Président du Sénat, qui était d’habitude élu sous la Troisième République, probablement parce que c’était Gaston Monnerville). J’écris Sénat mais il faut comprendre Conseil de la République. Et René Coty avait dû s’absenter lors d’un vote au Sénat à propos de la CED, si bien qu’il n’avait pas indiqué de préférences et n’a donc pas suscité de rejet dans ce clivage. René Coty fut élu au treizième tour avec 477 voix (54,8%). Son élection fut cruciale, puisque, quatre ans plus tard, il appela De Gaulle à revenir au pouvoir. Qu’en aurait-il été si Joseph Laniel ou Louis Jacquinot avait été élu Président de la République ? Uchronie inutile mais passionnante.

    L’année 1954 fut dominée par la guerre en Indochine. Joseph Laniel continua à solliciter l’aide américaine pour construire une armée vietnamienne face à l’armée Vietminh tout en poursuivant les tentatives de dialogues. Ainsi, il fut décidé de faire du camp de Dien-Bien-Phu un piège pour l’ennemi, mais ce fut l’inverse qui arriva, un immense piège pour les Français. Le camp fut encerclé le 2 février 1954. Joseph Laniel et René Pleven, Ministre de la Défense, furent conspués à l’Arc-de-Triomphe le 4 avril 1954 par d’anciens combattants d’Indochine. La Conférence de Genève s’est ouverte le 26 avril 1954 avec ce climat très hostile, et Dien-Bien-Phu tomba le 7 mai 1954.

    Pendant trois jours, le gouvernement a cherché à justifier sa politique tout en mettant en garde contre une crise gouvernementale au moment où la France devait négocier à Genève. Le 12 juin 1954, les députés ont rejeté la confiance au gouvernement par 306 voix contre 296, insuffisamment constitutionnellement, mais politiquement, le sort était jeté. Joseph Laniel remit à René Coty la démission de son gouvernement le jour même.

    Ce fut alors l’heure de Pierre Mendès France, qui fut investi le 15 juin 1954 et qui mit fin à la guerre d’Indochine le 20 juillet 1954 avec l’Accord de paix de Genève. Joseph Laniel n’a pas pris part au vote pour l’investiture de son successeur ni pour la ratification de l’Accord de Genève, mais il vota en faveur de la CED le 30 août 1954, une position proeuropéenne qui lui avait probablement coûté l’Élysée.

    Aux élections législatives du 2 janvier 1956, Joseph Laniel fut réélu de justesse, sa liste, avec seulement 7,8% des voix, est arrivée en cinquième position dans le Calvados, bien après celles du PCF, de la SFIO, du MRP et des gaullistes. Pendant cette législature (entre 1956 et 1958), il n’est intervenu que deux fois, le 2 mai 1956 pour prôner la rigueur budgétaire, exprimer son soutien à Robert Lacoste et Max Lejeune et sa foi en l’Algérie française, et le 5 mars 1957 pour interpeller le gouvernement sur sa politique agricole. Après avoir voté les pouvoirs spéciaux au gouvernement de Guy Mollet, la loi-cadre de Gaston Defferre sur l’Outremer et la ratification du Traité de Rome, il apporta son soutien au retour au pouvoir du Général De Gaulle en votant l’investiture de son gouvernement le 1er juin 1958 ainsi que les pouvoirs spéciaux et la révision constitutionnelle le 2 juin 1958.

    Balayé par la Cinquième République, Joseph Laniel s’est retiré de la vie politique à la fin de l’année 1958 (il avait 69 ans) et est mort à Paris le 8 avril 1975 (à l’âge de 85 ans), après avoir publié "Le Drame indochinois" en 1957 (éd. Plon), "Jours de gloire et jours cruels", ses mémoires, en 1971 (éd. Presse de la Cité) et "Réflexions après l’action" en 1973 (éd. Plon).

    Soucieux des équilibres budgétaires, promoteur d’une croissance économique et de la puissance industrielle qui ne pouvait se développer que dans le cadre de la construction européenne, Joseph Laniel n’a probablement pas laissé une grande trace dans la mémoire historique en raison de son caractère bourru, bougon, peu tourné vers la communication et l’explication, dans le mode des patrons paternalistes tout-puissants du XIXe siècle (management directif). Pourtant, peut-être même plus qu’Antoine Pinay et Edgar Faure, il symbolisait sans doute le mieux la volonté de reconstruction du pays (il était très attentionné sur l’indemnisation des victimes de guerre) que l’on a appelée les "Trente Glorieuses" dont certains pourraient avoir la nostalgie dans cette époque de crises durables et multiples.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (05 avril 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Joseph Laniel.
    Quel bovin vous amène ?
    Le vote des femmes en France.
    L'échec de la CED.
    Mélinée et Missak Manouchian.
    Séminaire gouvernemental, conseil de cabinet et conseil des ministres.
    L'abbé Pierre.
    André Figueras.
    Jean-Marie Le Pen.

    Jean Moulin.
    Stéphane Hessel.
    René Pleven.
    Pierre Mendès France.
    Léon Blum.
    La création du RPF.
    De Gaulle.
    Germaine Tillion.
    François Mitterrand.
    Pierre Pflimlin.
    Henri Queuille.
    Robert Schuman.
    Antoine Pinay.
    Félix Gaillard.
    Les radicaux.
    Georges Bidault.
    Débarquement en Normandie.
    Libération de Paris.
    Général Leclerc.
    Daniel Cordier.
    Le programme du Conseil National de la Résistance (CNR).
    Jean Monnet.
    Joseph Kessel.
    Maurice Druon.
    André Malraux.
    Maurice Schumann.
    Jacques Chaban-Delmas.
    Daniel Mayer.
    Edmond Michelet.
    Alain Savary.
    Édouard Herriot.
    Vincent Auriol.
    René Coty.
    Maurice Faure.
    Gaston Defferre.
    Edgar Faure.
    René Cassin.
    Édouard Bonnefous.



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    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250408-joseph-laniel.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/joseph-laniel-il-y-a-du-lingot-259374

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/04/07/article-sr-20250408-joseph-laniel.html


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  • Il y a 70 ans... Moonraker !

    « Washington est devenue la cour de Néron : un empereur incendiaire, des courtisans soumis et un bouffon sous kétamine chargé de l’épuration de la fonction publique. » (Claude Malhuret, le 4 mars 2025 au Sénat français).



     

     
     


    Il y a soixante-dix ans, le 7 avril 1955, est paru dans son édition britannique le roman d'Ian Fleming, "Moonraker", le troisième roman d'espionnage mettant en scène James Bond, le fameux agent 007. Son édition française est parue en 1958 d'abord sous le titre (étrange) "Entourloupe dans l'azimut" avant de reprendre le titre original en 2002 en raison du succès de son adaptation cinématographique éponyme réalisée par Lewis Gilbert et sortie le 28 juin 1979. Le film met en scène notamment Roger Moore pour le rôle de James Bond et le succulent Michael Lonsdale pour celui de Hugo Drax.

    Un internaute proposait sur Twitter le mois dernier une analogie amusante. Hugo Drax est la figure du méchant qui veut être le maître du monde, il est à la fois fort riche et à la tête d'une grande puissance technologique, un savant fou et mégalomaniaque (qui n'avait donc pas la caractéristique de faire apprécier les scientifiques par le grand public). C'est l'époque des années 1950 qui voulait cela et on le retrouvait dans beaucoup de fictions, notamment des bandes dessinées pour la jeunesse, dont le meilleur pastiche reste le fameux Zorglub dans "Spirou et Fantasio", personnage créé par Franquin et Greg. Certes, le mythe du savant fou est bien plus ancien, on le retrouve dans de nombreuses fictions depuis le XIXe siècle (en particulier chez Jules Verne), mais les années 1950 l'ont utilisé jusqu'à plus soif, en ont fait un sujet cliché classique, ce qu'on appellerait un poncif, voire, un souverain poncif (pour un maître du monde !).

    Incarné par Michael Lonsdale, Hugo Drax était considéré par le twitternaute en question comme « un méchant qui est à la fois un industriel ultra-riche et un constructeur de fusées cherchant à semer le chaos parce qu'il est en réalité un nazi secret ». Et de commenter l'idée de ce scénario avec un brin d'humour britannique : « Les romans originaux de James Bond écrits par Ian Fleming ont mal vieilli. (…) Quelle idée absurde ! ».


    C'est vrai que ça me barbe, en général, les vieux films d'espionnage qui ont repris le cadre général de la guerre froide. Comment c'est ennuyeux, les gentils espions américains et les méchants espions soviétiques ! Mais il n'est pas inintéressant de nous pencher ainsi sur "Moonraker" car les États-Unis d'aujourd'hui tentent, dans un élan désespéré d'orgueil, de retourner en arrière dans le passé plus ou moins lointain depuis la réélection de Donald Trump. Certains internautes ont réagi à cette comparaison, certains lâchant : « Qui aurait cru que Moonraker soit un film prémonitoire !! ». Une autre : « La réalité dépasse la fiction. ».
     

     
     


    Toujours avec humour, un quatrième internaute constatait que ce n'était pas tout à fait analogue en raison du chapeau. Hugo Drax porte en effet un beau chapeau de chasse, ce qui n'est pas le cas de... de qui au fait ?

    Un autre internaute a répondu en effet en y glissant une photographie de l'industriel milliardaire pris en comparaison : Elon Musk ne porte pas de chapeau mais une casquette, la fameuse casquette Make America Great Again (MAGA), qu'il a arboré dans le bureau ovale de la Maison-Blanche, en compagnie d'un de ses nombreux enfants (celui qui met ses doigts dans le nez), et d'un vieil homme fâché et fatigué assis derrière une table (passablement agacé).
     

     
     


    On peut aussi le voir aux côtés du Président argentin Javier Milei dans leur objectif commun de faire des coupes tranchantes dans les dépenses publiques (bonjour les dizaines de milliers de fonctionnaires qui vont devenir chômeurs), et autant le faire dans la délicatesse avec une belle tronçonneuse (est-elle électrique ?).
     

     
     


    Ou encore, sans casquette mais avec un étrange chapeau en forme de fromage (ne me demandez pas pourquoi) !
     

     
     


    Étonnante comparaison mais pas forcément si inappropriée que ça. Elon Musk est aujourd'hui l'homme le plus riche du monde (au 11 février 2025, sa fortune s'élèverait à 380 milliards de dollars, selon "Forbes"), même s'il a perdu depuis l'arrivée au pouvoir de son ami Donald Trump déjà plus de 150 milliards de dollars (ce n'est rien !). Il a une vision très planétaire voire universelle de sa vocation, de sa mission ici-bas, il est, dans sa tête, une sorte de maître du monde à pensée messianique.

    Il est le dirigeant du constructeur Tesla de véhicules électriques (même si son marché en Europe est en train de s'écrouler). Il est le propriétaire de SpaceX qui devient aussi indispensable voire plus indispensable que la NASA, et souhaite que l'homme aille sur Mars, un objectif aussi fantaisiste que l'homme sur la Lune, ce qui, justement, est un défi à la hauteur du milliardaire. Il est aussi à la tête de Starlink qui permet de se connecter à ses 6 300 satellites dans le monde entier (bientôt 12 000 satellites et en prévision, 42 000 satellites !) pour bénéficier d'une liaison Internet partout sur Terre (Volodymyr Zelensky utilise ce réseau pour la conduite de ses drones). Enfin, en 2022, il a racheté le site Twitter de réparties politico-littéraires, qu'il a rebaptisé X (mais que je continuerai d'appeler Twitter parce que je suis un vieux schnoque !).

     
     


    Son acquisition de Twitter a fait partie d'un plan très important pour influer sur les démocraties dite "occidentales" ; d'abord, bien sûr, sur les États-Unis en soutenant massivement la candidature de Donald Trump en 2024, mais ensuite en Europe où il soutient systématiquement tous les mouvements politiques d'extrême droite, populistes et anti-européens, en particulier l'AfD en Allemagne, l'UKIP au Royaume-Uni (Nigel Farage) et le RN en France (Marine Le Pen). Passant un temps fou sur Twitter, ce qui semble étonnant pour un dirigeant d'entreprises, Elon Musk en profite pour distiller de nombreux propos ouvertement complotistes et des fake-news.
     

     
     


    Depuis janvier 2025, Elon Musk est au pouvoir, il est le responsable du Département de l'efficacité gouvernementale (DOGE), autrement dit, il est chargé de faire des coupes franches dans la dépense publique. Son idéologie est totalement anti-État en ce sens qu'il ne croit qu'au libre exercice d'entreprendre et considère les États comme des empêcheurs d'entreprendre par leurs normes, leurs réglementations et leurs fiscalités.

    Au-delà de l'objectif d'aller sur Mars, Elon Musk a investi dans des projets basés sur l'intelligence artificielle et croit à l'idée d'un homme transhumaniste capable de faire progresser la société. En ce sens, au-delà des objectifs financiers et industriels, Elon Musk nourrit des ambitions idéologiques et messianiques d'ordre mégalomaniaque.

    Très présent aux côtés de Donald Trump, s'invitant à la Maison-Blanche, dans les conférences de presse, dans les meetings de Donald Trump, Elon Musk a pris ses aises avec la démocratie américaine et les institutions américaines depuis trois mois. Né à Pretoria, en Afrique du Sud, il ne pourrait pas se présenter à une élection présidentielle américaine (le Président des États-Unis doit être né sur territoire américain), mais il a déjà pris une très grande influence.
     

     
     


    Enfin, une influence jusqu'au 2 avril 2025, car l'annonce par Donald Trump de taxes douanières généralisées qui provoque actuellement un début de krach boursier et probablement une récession à court et moyen termes a été incompréhensible pour Elon Musk, partisan de l'ouverture des échanges économiques dans la mesure où un produit industriel est désormais le résultat de la globalisation économique. Pour seule réponse, outre son silence récent, Elon Musk s'est contenté de diffuser sur Twitter, le 6 avril 2025, une déclaration de l'économiste du libéralisme, Milton Friedman, disparu il y a un peu moins d'une vingtaine d'années, qui expliquait qu'un simple crayon de papier était le résultat d'un processus industriel complexe faisant intervenir plusieurs pays et que seule l'ouverture des frontières commerciales permettait à la fois la prospérité économique et le progrès technologique, mais aussi le renforcement de la paix dans la mesure où les économies nationales deviennent imbriquées (c'était l'objectif du Plan Schuman et du Traité de Rome).

    Le divorce déjà annoncé dès le début est donc envisagé prochainement : les projets messianiques d'Elon Musk ne se satisferaient pas de l'enterrement en première classe de l'économie américaine en raison de la marotte idéologique de l'homme aux cheveux de feu. Le sourire du clown vire au jaune. L'époque est passionnante à observer, mais beaucoup moins à vivre.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (06 avril 2025)
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    Pour aller plus loin :
    Elon Musk.
    Moonraker.
    Gene Hackman.
    Pierre Dac.
    Pierre Arditi.
    Pierre Palmade.
    Carla Bruni.
    Valeria Bruni Tedeschi.
    Teddy Vrignault.
    Pierre Richard.
    François Truffaut.
    Roger Hanin.
    Daniel Prévost.
    Michel Blanc.
    Brigitte Bardot.
    Marcello Mastroianni.
    Jean Piat.
    Sophia Loren.
    Lauren Bacall.
    Micheline Presle.
    Sarah Bernhardt.
    Jacques Tati.
    Sandrine Bonnaire.
    Shailene Woodley.
    Gérard Jugnot.
    Marlène Jobert.
    Alfred Hitchcock.
    Les jeunes stars ont-elles le droit de vieillir ?
    Charlie Chaplin.


     

     
     





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  • Condamnation Le Pen : la justice vole-t-elle l'élection présidentielle de 2027 ?

    « Ce n'est pas une décision de justice, c'est une décision politique. » (Marine Le Pen, le 6 avril 2025 à Paris).



     

     
     


    Meeting du RN à Paris ce dimanche 6 avril 2025. Étrange réflexe de vouloir faire un rassemblement pour protester contre la condamnation très lourde de Marine Le Pen en première instance (quatre ans de prison dont deux ferme, 100 000 euros d'amende, cinq ans d'inéligibilité avec exécution provisoire). Réponse de l'ancien Premier Ministre Gabriel Attal : « Tu voles, tu paies ! », en remarquant : « Le RN, c'est le parti qui demande de la fermeté pour tous, sauf pour lui ! ». D'autres, à l'Assemblée, se contentaient de rétorquer : « Rends l'argent ! ».

    Ce ne sont pas quelques milliers de militants du RN venus soutenir Marine Le Pen (dans sa condamnation pour détournement massif de fonds publics ?) qui changeront les choses : Marine Le Pen a été reconnue par le tribunal judiciaire de Paris comme la responsable de tout un système de financement de son parti sans lequel le RN aurait certainement eu moins d'audience électorale. Le texte du jugement est accablant.

    Le mot d'ordre "Sauvons la démocratie" est du langage orwellien, ou, du moins, du trumpisme de bas étage : la démocratie, c'est le suffrage universel (les urnes, et pour l'instant, le RN n'a jamais gagné une élection nationale, il faut le rappeler), mais c'est aussi l'État de droit, c'est-à-dire les valeurs de la République : la majorité doit gouverner dans le cadre de nos valeurs précisées dans notre Constitution, elle ne peut pas tout.

     

     
     


    La réaction colérique de Marine Le Pen, qui, soit dit en passant, n'est pas approuvée par ceux qui, au RN, voudraient conquérir le pouvoir et préféreraient donc un autre cheval un peu plus présentable, c'est le refus de la règle commune, c'est le refus de la justice, c'est surtout le refus de la démocratie qui est d'accepter (même sans l'approuver) une décision de justice car elle s'impose à tous (y compris au gouvernement).

    Fuite en avant insensée, voire suicidaire, que vouloir à tout prix rester candidate. Elle a déjà perdu la bataille de "l'opinion publique" qui est aux deux tiers favorables au principe de sa condamnation sévère, selon l'adage de Gabriel Attal, tu voles, tu paies. C'était du reste le discours du RN/FN depuis cinquante ans, pestant contre le laxisme des juges, pestant contre la libération de délinquants, et pour les affaires politico-judiciaires, prônant une peine d'inéligibilité à vie (ce qui me paraissait d'ailleurs complètement disproportionnée). Marine Le Pen va avoir du mal à justifier les deux poids deux mesures : je suis pour la sévérité des juges... sauf pour moi ! C'est trop gros, et pour l'instant, nous ne sommes pas des citoyens américains prêts à avaler n'importe quoi.

    J'ai relu ce que j'en disais... le 22 février 2017. Nous étions en pleine campagne présidentielle, l'affaire Fillon venait d'éclater, et les juges ont perquisitionné les locaux du FN/RN. Marine Le Pen, au contraire de François Fillon, avait alors déclaré par anticipation qu'elle resterait candidate à l'élection présidentielle même si elle était mise en examen. Concrètement, elle a même eu le temps d'être candidate aux deux élections présidentielles qui ont suivi ces perquisitions, 2017 et 2022. La justice ne l'a donc jamais "empêchée".

    Car ces perquisitions, il s'agissait bien d'une démarche provenant de l'affaire qui l'a condamnée le 31 mars 2025 : non seulement ce sont trois juges, et pas une seule, qui ont condamné lourdement Marine Le Pen le 31 mars 2025, mais c'est près d'une centaine de juges différents qui ont dû se prononcer, tout au long de cette longue procédure, toujours en défaveur du RN et de Marine Le Pen, en raison des 45 recours faits à l'initiative des Le Pen.

     

     
     


    On ne s'étonnera donc pas de sa faible considération pour la justice en politisant elle-même la justice (elle aurait pu dire aussi que la justice était misogyne puisqu'elle a condamné une femme). Effectivement, dans "Le Monde" du 2 février 2017, Marine Le Pen disait déjà : « Un juge pourrait décider qui est candidat et qui n’est pas candidat. C’est la fin de la démocratie. ». À l'époque, il s'agissait juste d'une possible mise en examen, ce qui est très différent d'une condamnation à quatre ans de prison dont deux ferme. Elle bénéficiait encore de la présomption d'innocence.

    L'un des arguments employés par le RN aujourd'hui est de dire que la justice aurait volé l'élection présidentielle de 2027 en empêchant Marine Le Pen d'être candidate à cette élection. L'affirmation est totalement dénuée de raison ! D'une part, en raison d'un favoritisme qui devrait aussi en faire bénéficier tous les justiciables, Marine Le Pen a, semble-t-il, bénéficié d'une accélération pour la tenue de son procès en appel. Tant mieux et c'est la porte étroite qui lui fait dire qu'elle pourrait être candidate malgré tout. Mais pourquoi les juges en appel renieraient-il les faits établis en première instance qui seraient accablants ? D'autre part, c'est factuellement faux : même si Marine Le Pen est empêchée, le RN aura naturellement un candidat pour le représenter à l'élection présidentielle, et le plan B qui se précise, à savoir Jordan Bardella, fait déjà jeu égal avec Marine Le Pen dans les sondages d'intentions de vote. Donc, non seulement l'empêchement de Marine Le Pen n'est pas un empêchement du RN (et c'est tant mieux), mais le fait qu'il y ait un autre candidat n'handicaperait pas ce parti électoralement à ce jour.
     

     
     


    C'est surtout l'illustration d'une vanité monstrueuse de l'ex-présidente du RN. Moi moi moi. Sans moi, la démocratie serait en danger ! J'aurais plutôt tendance à penser le contraire quand elle fustige ainsi les juges et la justice, au point de devoir mettre une protection rapprochée auprès de certains juges dont les coordonnées ont été divulguées dans les réseaux asociaux et qui ont reçu des menaces de mort.

    L'idée de se croire irremplaçable n'est pas réservée à Marine Le Pen, bien entendu, et je crois que les grands candidats à l'élection présidentielle ont tous eu ce sentiment sans lequel ils ne se battraient pas. En revanche, l'idée que c'est uniquement Marine Le Pen qui est empêchée par la justice est complètement fausse.

    D'une part, les peines d'inéligibilité prononcées avec exécution provisoire en première instance sont très nombreuses. François Fillon a été ainsi interdit de se présenter pendant dix ans dès sa condamnation en première instance en 2020. Pareil pour les époux Balkany en 2019. Un petit schéma propose dix exemples, et on constate que Marine Le Pen n'a pas eu l'inéligibilité la plus sévère.

     

     
     


    D'autre part, elle pourrait répliquer en disant qu'elle est la seule candidate à l'élection présidentielle en capacité de gagner à être empêchée par la justice. Là encore, c'est complètement faux. Si l'on regarde les dernières élections présidentielles, je note au moins quatre élections présidentielles dont on pourrait dire, avec la même logique, qu'elles auraient été "volées".

    Pour l'élection de 1995, Lionel Jospin a été le candidat socialiste un peu par défaut, mais au-delà de Michel Rocard, un autre candidat évident était voulu et préparé par François Mitterrand, à savoir Laurent Fabius. C'est sa mise en examen dans l'affaire du sang contaminé qui l'a empêché politiquement (et pas juridiquement) d'être candidat à 1995.

    Pour l'élection de 2007, Nicolas Sarkozy a emporté assez facilement l'investiture de l'UMP pour sa candidature, mais à l'origine, le dauphin de Jacques Chirac était plutôt Alain Juppé qui, condamné en 2004, a dû renoncer à la candidature présidentielle.

    Pour l'élection de 2012, c'est la justice américaine qui a empêché, là encore politiquement, la candidature de Dominique Strauss-Kahn, pourtant le favori des sondages et quasi-sûr de gagner le scrutin.

    Enfin, pour l'élection de 2017, la campagne de François Fillon, également le favori du scrutin, a été freinée par sa mise en examen à quelques semaines du premier tour, empêchant son parti de choisir un candidat de remplacement (et c'esit été cocasse que ce candidat de remplacement aurait pu s'appeler Alain Juppé !).


    Bref, bien sûr que l'empêchement de Marine Le Pen aura des conséquences sur le déroulement de l'élection présidentielle de 2027, mais pas plus que toutes les élections présidentielles précédentes où des faits d'actualité ont changé le cours normal des choses. Si ma tante en avait... À la différence de la plupart des candidats empêchés que je viens de citer, Marine Le Pen a été condamnée, et pas seulement mise en examen, ce qui est beaucoup plus grave. Le responsabilité n'incombe pas aux juges qui aurait dû être plus laxistes, mais à Marine Le Pen elle-même qui aurait dû éviter de détourner massivement et durablement l'argent public des contribuables.

    Alors, il faut raison garder : comme certains, on peut penser qu'il est regrettable qu'une candidate avec ce niveau très élevé d'intentions de vote dans les sondages soit inéligible, mais il est regrettable avant tout qu'elle soit elle-même à l'origine de ce système de détournement massif de fonds publics, car de ce fait, elle a contribué à la défiance des citoyens vis-à-vis de la classe politique. Comment imaginer une personne élue Présidente de la République avec de telles casseroles ? Comme Patrick Cohen dans sa chronique du 3 avril 2025 sur France Inter, je soupirerais ainsi : « Fatigue. On a le sentiment parfois depuis trois jours que le débat public a perdu pied, ballotté par les outrances et les mensonges du RN et de ses puissants porte-voix médiatiques. ».


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (06 avril 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Marine Le Pen, est-elle si clean que cela ? (22 février 2017).
    Condamnation Le Pen : la justice vole-t-elle l'élection présidentielle de 2027 ?
    Le fond accablant de l'affaire Le Pen.
    Texte intégral du jugement délibéré du 31 mars 2025 sur l'affaire Le Pen (à télécharger).
    Affaire Le Pen : ne confondons pas victime et coupable !
    Marine Le Pen : voler l'argent des Français !
    Marine Le Pen et la sérénité d'une future condamnée ?
    L'avenir judiciaire de Marine Le Pen dans une décision du Conseil Constitutionnel ?
    Jean-Marie Le Pen : extrême droite tenace et gauche débile...
    Mort de Jean-Marie Le Pen : la part de l'héritage.
    Procès de Marine Le Pen : surprise de gazelles et cynisme de vieux loups.
    Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
    Législatives 2024 (18) : la fin du cauchemar Bardella (pour le moment).
    Fake news : la scandaleuse manipulation politique du RN.
    Législatives 2024 (12) : un isoloir, ce n'est pas un cabine d'essayage !
    Législatives 2024 (11) : front, rassemblement, union nationale, barrage, consignes de vote...
    Législatives 2024 (10) : il était une fois Jordan Bardella, Gabriel Attal et Manuel Bompard.
    Législatives 2024 (9) : Emmanuel Macron et son n'ayez-pas-peur !
    Jean-Marie Le Pen, retour aux sources du RN.
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Le débat Gabriel Attal vs Jordan Bardella du 23 mai 2024.
    Débat Valérie Hayer vs Jordan Bardella : l'imposture démasquée de Coquille vide.
    Ukraine : Claude Malhuret se gausse de Jordan Selfie !
    Ukraine : Gabriel Attal attaque durement le RN et Marine Le Pen !
    Sondage secret : en cas de législatives anticipées, une victoire du RN ?
    FN/RN : fais-moi peur ! (27 octobre 2015).
    Marine Le Pen en tête dans un sondage : attention au buzz !
    Christine Boutin.
    André Figueras.
    Patrick Buisson.

    Rassemblement national : objectif 2027... ou avant !
    Jordan Bardella.
    Le nouveau JDD et la récupération des Enzo...
    Geoffroy Lejeune.
    Attention, un train de violence peut en cacher un autre...
    Éric Caliméro Zemmour.
    Jean-Marie Le Pen et sa marque dans l'histoire.
    La tactique politicienne du RN.
    La sanction disciplinaire la plus lourde de la Cinquième.

    Louis Aliot.
    Le congrès du RN.
    Grégoire de Fournas.
    Incident raciste : 89 nuances de haine à la veille du congrès du RN ?

    Le Front national des Le Pen, 50 ans plus tard...



     

     
     



    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250406-condamnation-le-pen.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/condamnation-le-pen-la-justice-260346

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/04/06/article-sr-20250406-condamnation-le-pen.html


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  • Le fond accablant de l'affaire Le Pen

    « Marine Le Pen est moins victime du "système", que de son propre système de défense, aberrant, suicidaire. C’est simple, du début à la fin et du sol au plafond, elle a TOUT renié, TOUT contesté : les règles européennes, la plainte du Parlement, l’autorité du tribunal, les décisions qui ont validé la procédure, y compris en Cassation, et naturellement l’existence du moindre délit. Le tribunal parle d’une "impunité revendiquée", se désole qu’après dix ans d’enquête, le système de défense continue de se déployer au mépris des faits et de la manifestation de la vérité. En révélant, je cite "une conception peu démocratique de l’exercice politique ainsi que des responsabilités qui s’y attachent". » (Patrick Cohen, le 3 avril 2025 sur France Inter).



     

     
     


    En clair, c'est comme le chauffard qui a brûlé un feu rouge et qui conteste l'idée même qu'il y avait un feu tricolore !...

    Dimanche prochain, 6 avril 2025, le RN a appelé à une manifestation à Paris pour protester contre... contre quoi, au fait ? Contre la justice qui n'est plus laxiste ? Contre la justice qui sait sanctionner comme il le faut les délinquants ? S'il y a bien un scandale avec la justice, c'est qu'elle est un peu trop favorable à Marine Le Pen : en effet, les assurances pour que son procès en appel soit fait dès l'été 2026 et que la Cour de Cassation se prononce avant janvier 2027 alors que ces procédures durent généralement plus de deux ou trois ans, relève d'un favoritisme injustifiable. C'est une justice qui n'est pas la même pour tous. Les autres justiciables, certains incarcérés, attendront alors encore un peu plus longtemps tandis que Marine Le Pen bénéficie d'un coupe-file.

    La condamnation de Marine Le Pen commence à quitter l'actualité. Il faut dire que les annonces de Donald Trump avec ses taxes douanières, l'écroulement depuis deux jours des bourses mondiales et l'inquiétude de tous les citoyens du monde devaient occuper l'actualité. D'un côté, un fait-divers anecdotique d'une délinquance en col blanc ordinaire, de l'autre, un fait historique qui risque d'hypothéquer l'avenir du monde des dix prochaines années.

    Ce qui est étonnant, c'est l'absence totale de préparation de ce qui arrive au RN. Les premiers défenseurs de Marine Le Pen avaient quitté la place le 31 mars 2025, Jordan Bardella allait à Strasbourg, Laure Lavalette était dans le Var et Laurent Jacobelli devait dîner à l'Élysée (eh oui, on n'est pas dans le système mais on en profite avec le roi du Danemark), etc. Bref, rien n'était prévu en cas de peine d'inéligibilité assortie d'une exécution provisoire alors que c'était pourtant la peine complémentaire plus probable. Encore aujourd'hui, en soutenant qu'elle sera candidate, il y a une véritable part de déni de réalité provenant de Marine Le Pen.

    Dans tous les cas, il faut rassurer les électeurs du RN ; "on" n'empêchera pas le RN d'être présent à la prochaine élection présidentielle, même si Marine Le Pen est empêchée : pour la remplacer, il y aura plutôt le trop-plein, principalement Jordan Bardella ...et Marion Maréchal, dont la candidature aura l'avantage de garder l'emprise de la famille régnante sur le parti.

    Vouloir coûte que coûte aller à la candidature jusqu'au bout malgré le procès en appel qui ne l'innocentera probablement pas car les faits reprochés sont établis et confirmés, c'est une tentative désespérée de continuer à exister politiquement jusqu'à la chute finale. Un journaliste proposait cette image assez pertinente : Marine Le Pen est la pilote d'un avion en chute libre, qui va bientôt s'écraser et, paniquée, elle est en train d'appuyer sur tous les boutons en même temps, même les plus improbables (comme la CEDH, qu'elle voulait voir la France quitter encore récemment et qui, de toute façon, ne s'occupe que des situations où il n'existe plus de recours dans le pays concerné).

    Le vrai problème de Marine Le Pen, c'est qu'elle a basé son populisme anti-système sur la délinquance de la classe politique en général, en excluant son parti qui serait mains propres et tête haute. Cet écart encore le discours revendiqué et la réalité (le RN est aussi pourri que les autres, voire plus, si l'on lit le jugement) peut être électoralement dévastateur, tout autant que ce discours sur le laxisme de la justice, sur la faible sévérité des peines (Marine Le Pen réclamait en 2013 des peines d'inéligibilité à vie !), se retourne évidemment contre l'ancienne présidente du RN.

     

     
     


    Du coup, les demandes contraires (réviser la loi pour y mettre plus de laxisme) ont de quoi étonner. L'éditorialiste politique Patrick Cohen s'est posé la question le 3 avril 2025 sur France Inter : « Qui pense dans ce pays qu’il est urgent d’alléger les contrôles et les sanctions contre les élus suspects d’un manque de probité ? Qui peut soutenir que notre démocratie se porterait mieux si elle laissait des individus ayant commis des actes répréhensibles accéder à des positions de pouvoir ? Qui peut croire que la confiance à l’égard de l’action publique, qui va si bien comme chacun sait, sortirait plus forte du retour des corrompus ou des repris de justice dans le jeu démocratique ? Notez que ce serait une grande première : depuis des lustres, chaque scandale fait bouger la loi vers une plus grande exigence d’exemplarité. Comme le notait le rapport Nadal en 2015, "le droit de la probité est lié à l’histoire de ses atteintes". Sans Cahuzac et ses comptes à l’étranger, pas de Parquet financier et de Haute autorité de la transparence. Sans la phobie administrative de Thévenoud, pas d’inéligibilité automatique. Eh bien là, on est tranquillement en train de débattre du contraire : de l’idée que les assistants fictifs du RN devraient nous conduire à lever le pied sur l’inéligibilité… ».

    En clair, il faudrait faire une loi d'exception pour les apparatchiks du RN : tout citoyen délinquant doit être sévèrement condamné et purger sa peine (pas question d'aménagement de peine, comme le réclamait le RN), sauf s'il s'agit d'un adhérent du RN. Sinon, ce serait une atteinte honteuse à la liberté politique, à la démocratie, au droit de détourner des millions d'euros d'argent public comme on veut. Avec cet état d'esprit, on ose imaginer le RN au pouvoir !

     

     
     


    Tout est accablant dans l'affaire Le Pen, mais surtout, le fond de l'affaire. Car c'est un détournement massif d'argent public qui a eu lieu. Tous les journalistes qui ont assisté tous les jours au long procès du 30 septembre 2024 au 27 novembre 2024 sont déconcertés par le caractère accablant des faits cités et aucun n'est étonné par la dureté des sanctions.

    Il faut lire les 154 pages du jugement du 31 mars 2025 pour se rendre compte que les trois juges (ils sont trois) ont prononcé la condamnation avec de très solides arguments et motivations.

    Oui, la défense de Marine Le Pen, quasiment infantile, comme un enfant pris la main dans le pot de confiture et qui nierait tout, lui a fait beaucoup de tort. Car les juges, qui n'apprécient pas qu'on se moque d'eux, lui ont donné les clefs pour sa condamnation. En refusant d'admettre les faits délictueux qu'ils ont commis, la plupart des prévenus ont manqué de jugeote et ont creusé leur propre inéligibilité immédiate.


    C'est ce que dit le délibéré : « Il convient de relever que, dix ans après la dénonciation des faits, toutes les personnes condamnées contestent les faits, ce qui est évidemment leur droit. Elles n'ont dès lors exprimé aucune prise de conscience de la violation de la loi qu'elles ont commise ni a fortiori de l’exigence particulière de probité et d’exemplarité qui s’attache aux élus. Dans le cadre d’une information judiciaire contradictoire qui a duré sept ans, de très nombreux recours ont été exercés, comme le permettent les règles de procédure pénale. Ils ont fait l’objet de décisions de rejet par les juges d’instruction, dans leur quasi-totalité, soumises à la chambre de l’instruction et confirmées par elle. Lorsque des pourvois ont été formés devant la Cour de Cassation, ils ont été rejetés. ».

    Les juges insistent ainsi sur ce fait : « La défense revendiquait une impunité totale et absolue reposant sur le fait que les assistants parlementaires auraient effectué un travail politique, non détachable du mandat de leur député, au profit d’un parti politique. ».
     

     
     


    À cette occasion, Marine Le Pen reconnaissait elle-même les faits reprochés : « Ainsi, elle assumait avoir fait travailler pour le parti les assistants parlementaires qui n’étaient, selon elle, pas très occupés par le travail législatif. Elle considérait n’avoir pas d’instruction à recevoir du Parlement Européen concernant le travail des assistants parlementaires, serait-ce à travers les règles internes qu’il édicte. Elle affirmait que l’autorité judiciaire ne pouvait contrôler le travail de ces assistants, sans violer la séparation des pouvoirs. ».

    Le jugement rappelle la première déclaration de Marine Le Pen à l'audience du 2 octobre 2024, en tant que représentante du RN : « L’activité politique est indissociable du mandat parlementaire. Nous ne sommes pas des fonctionnaires. Nous ne sommes pas des fonctionnaires, nous sommes des élus du peuple. Dans le cadre de cette activité politique qui est indissociable de notre mandat, nous sommes assistés par des assistants parlementaires. Il y a ceux qui font avec nous de la politique. ».

    D'où la déduction des juges : « Ce système de défense constitue, selon le tribunal, une construction théorique qui méprise les règles du Parlement Européen, les lois de la République et les décisions de justice rendues notamment au cours de la présente information judiciaire, en ne s’attachant qu’à ses propres principes. Il révèle de la part de personnes condamnées qui ont, pour les principales, une formation de juriste ou d’avocat, une conception peu démocratique de l’exercice politique ainsi que des exigences et responsabilités qui s’y attachent. ».
     

     
     


    Selon les juges, le système de défense s'est fait au mépris de la manifestation de la vérité : « Dès les premiers jours du procès, la défense a également manifesté son refus du débat contradictoire, sollicitant par voie de conclusions d’incident le renvoi de la procédure pour régularisation suite à la présentation par le tribunal de tableaux d’évaluation des détournements visés par la prévention qui étaient précisément destinés à servir de base au débat contradictoire. Au-delà de la volonté d’éviter ou de retarder le débat sur les faits qui leur étaient reprochés, les prévenus ont tenté de s’écarter du débat au fond. Ils n’ont pour la plupart manifesté aucune volonté de participer à la manifestation de la vérité, avec laquelle ils ont pour certains un rapport très distendu, niant parfois jusqu’aux évidences, y compris leurs propres écrits de l’époque. ».

    Des déclarations des responsables du RN aux audiences ont révélé ceci : « Au mépris des faits, ces déclarations relèvent d’une conception à tout le moins narrative de la vérité. ». Elles expliquent à elles seules la nécessité d'une exécution provisoire des peines d'inéligibilité : « Ainsi, dans le cadre de ce système de défense d’un parti autant que de ses dirigeants, qui tend à contester la compétence matérielle du tribunal autant que les faits, dans une conception narrative de la vérité, le risque de récidive est objectivement caractérisé. Le tribunal relève encore, en fil conducteur, de la question de la prescription à celle de la faute de la victime qui serait de nature à réduire à néant son droit à réparation, la position de la défense à l’égard du Parlement européen, qui n’est pas de nature à considérer que les intérêts de la victime sont à ce jour sauvegardés. Outre les critères de gravité qui président au prononcé des peines d’inéligibilité pour certains prévenus, il convient de rappeler que l’existence de mandats en cours, de même que les prétentions à briguer de tels mandats sont de nature à laisser persister un risque d’utilisation frauduleuse des deniers publics que les intéressés seraient amenés à percevoir, détenir, octroyer ou utiliser dans le cadre des dits mandats, ce que seule l’exécution provisoire permet de prévenir. ».

    À la page 45, les juges discutent du principe d'une exécution provisoire de l'inéligibilité : « C’est dans ce contexte que se pose la question de la délicate conciliation entre le droit à un double degré de juridiction et une éventuelle exécution provisoire de cette peine d’inéligibilité. La véritable question n’est pas celle de l’absence de recours mais plus précisément celle de l’absence d’effet suspensif du recours en cas d’exécution provisoire. Les personnes condamnées à une peine d’inéligibilité ont en effet bien entendu le droit d’interjeter appel du présent jugement. Néanmoins si le tribunal ordonne l’exécution provisoire de ces peines d’inéligibilité, ces dernières seraient effectives par provision, c’est-à-dire immédiatement, avant la décision de la cour d’appel susceptible d’intervenir un à deux ans plus tard, et avant le cas échéant celle de la Cour de Cassation. En vue de favoriser l’exécution de la peine, eu égard notamment au risque de récidive, il conviendrait dès lors d’ordonner l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité, tandis qu’en l’absence de recours suspensif contre cette mesure d’exécution provisoire, il conviendrait selon la défense de ne pas l’ordonner. ».

    En exprimant clairement les deux enjeux contradictoires : « Il revient donc plus précisément au tribunal, conscient de la nécessaire humilité qui s’attache à une décision de première instance, d’apprécier et de mettre en balance deux risques :
    1) au regard des droits de la défense, le risque que cette peine complémentaire assortie de l’exécution provisoire ne soit pas confirmée en appel, alors que la peine d’inéligibilité aurait déjà été exécutée par provision.
    2) Dans l’hypothèse où le tribunal n’assortirait pas la peine d’inéligibilité de l’exécution provisoire, le risque de voir les personnes condamnées être candidates, voire élues, alors qu’elles ont été condamnées à une peine d’inéligibilité en première instance notamment pour des faits de détournement de fonds publics, et pourraient l’être par la suite de façon définitive.
    La deuxième hypothèse pose la question de l’effectivité de la peine d’inéligibilité prononcée par le tribunal, confirmée en appel, et dont l’exécution serait réduite à néant dans le cadre d’élections intervenues avant que cette condamnation ne soit devenue définitive. ».

    Et d'en conclure la nature des peines par l'individualisation des jugements : « L'effectivité de l'exécution des peines poursuit un but d'intérêt général (QPC n°2016-569). Le tribunal prend en considération, outre le risque de récidive, le trouble majeur à l’ordre public démocratique qu’engendrerait en l’espèce le fait que soit candidat, par exemple et notamment à l’élection présidentielle, voire élue, une personne qui aurait déjà été condamnée en première instance, notamment à une peine complémentaire d’inéligibilité, pour des faits de détournements de fonds publics et pourrait l’être par la suite définitivement. Il s’agit ainsi pour le tribunal de veiller à ce que les élus, comme tous justiciables, ne bénéficient pas d’un régime de faveur, incompatible avec la confiance recherchée par les citoyens dans la vie politique. Dès lors, dans le contexte décrit, eu égard à l’importance de ce trouble irréparable, le droit au recours n’étant pas un droit acquis à la lenteur de la justice, il apparaît nécessaire selon le tribunal, à titre conservatoire, d’assortir les peines d’inéligibilité prononcées de l’exécution provisoire. Il ne s’agit pas d’une peine définitive mais d’une peine complémentaire prononcée en première instance qui, afin de garantir l’effectivité de son exécution et d’éviter un trouble irréparable à l’ordre public démocratique, sera exécutée immédiatement, dans l’attente de l’arrêt de la cour d’appel susceptible d’intervenir d’ici un à deux ans. Dans le cadre d’une décision rendue au nom du peuple français dans son ensemble, cette mesure est en effet proportionnée aux objectifs à valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et de bonne administration de la justice. C’est au regard de ces considérations que le tribunal apprécie, pour chaque personne condamnée, en tenant compte de sa situation individuelle, le caractère nécessaire et proportionné d’une peine d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire. ».
     

     
     


    Contrairement à ce qu'a prétendu Marine Le Pen, il ne s'agit donc pas d'un ciblage contre sa personne (quelle vanité de le croire), mais d'une déclaration de principe pour savoir si les personnes condamnées devaient accomplir leur peine d'inéligibilité immédiatement ou pas. Et cela dépendait surtout des déclarations de chacun pendant le procès.

    Mais revenons au fond du fond, le détournement massif d'argent public.

    Voici, pour les juges, ce pour quoi les responsables RN ont été condamnés : « Les faits dans leur ensemble ont consisté en la mise en place d’un système permettant au parti FRONT NATIONAL devenu RASSEMBLEMENT NATIONAL de "faire des économies" et d’être ainsi indirectement financé par des fonds du Parlement Européen. Sous couvert de plus de quarante contrats d’assistant parlementaire fictifs conclus par onze députés européens, douze personnes ont travaillé au cours de trois législatures en réalité pour le parti. Leurs salaires et les charges sociales y afférents étaient réglées par les fonds du Parlement Européen. Les détournements de fonds publics pour lesquels le parti est déclaré coupable des chefs de complicité et de recel s’élèvent à plus de 4,4 millions d’euros. Dans le cadre de procédures administratives en répétition de l’indu le Parlement Européen a recouvré plus de 1,1 million d’euros. Ces fonds détournés à hauteur de 4,4 millions d’euros ont été utilisés à hauteur de près de 4,1 millions d’euros pour rémunérer les sept personnes suivantes (…). ».

    Non seulement l'argument anti-système du RN est stupide quand on prétend être le premier parti de France, mais en plus, le RN a créé son propre système de financement : « Si la défense a rejeté la notion de système, elle apparaît néanmoins établie et même au cœur de la présente affaire. Un système peut en effet être défini comme un ensemble de pratiques organisées en fonction d’un but. La présente procédure a révélé un véritable système destiné à alléger les charges du FN mis en place dès 2004, qui s’est perfectionné au fil des années et devait à partir de juillet 2014, avec l’élection de 23 députés au Parlement Européen, produire des effets plus importants encore que ceux qu’il a effectivement produits. ».

    Le système a commencé dès la 6e législature entre 2004 et 2009 : « Dès le début de la 6e législature, à partir du mois de juillet 2004, dans le cadre d’une organisation artisanale ou familiale au service du parti, quatre députés historiques (sur les sept élus au Parlement Européen) mettaient en œuvre des contrats fictifs destinés à financer sur les fonds du Parlement Européen le fonctionnement du parti, ou à tout le moins à en alléger les charges. Il convient à cet égard de préciser que Marine LE PEN n’est pas poursuivie ni déclarée coupable au titre de cette 6e législature. Néanmoins le parti, dont la responsabilité pénale a été engagée par Jean-Marie LE PEN, son président, est déclaré coupable de faits de complicité et de recel de détournement de fonds publics au titre des contrats la concernant. Marine LE PEN, sur instigation de son père, puis Jean-Marie LE PEN engageaient comme assistant parlementaire Jean-François J., adhérent du RN depuis 1974 (FNJ), cadre historique du parti et proche collaborateur de son président, qui a été, à partir de 2010 secrétaire général puis délégué général du parti, membre du comité exécutif, vice-président en charge des élections et des contentieux électoraux puis en charge des affaires juridiques. Il apparaissait sur l’organigramme du FN de 2008 comme secrétaire national aux élections et aux analyses électorales. (…) Pour cette seule 6e législature, les détournements de fonds publics afférents à ces contrats représentent un montant total de près de 1,5 million d’euros, soit plus du tiers de l’ensemble des détournements pour lesquels le RASSEMBLEMENT NATIONAL est déclaré coupable sur l’ensemble de la période. Ainsi si le système mis en place dès 2004 l’a été manifestement par Jean-Marie LE PEN de façon quasi-familiale et le nombre d’assistants parlementaires concernés est moins important, les montants détournés n’en sont pas moins significatifs, au regard surtout des difficultés financières que le parti rencontrait à l’époque. ».

    Les déclarations pendant le procès de Fernand Le Rachinel, ancien député européen et qui a prêté de l'argent au parti, et également de Jean-Marie Le Pen lui-même ont été accablantes : « Fernand LE RACHINEL a reconnu que ni Thierry L., qui était agent de protection et s’occupait de la sécurité de Jean-Marie LE PEN à temps complet, ni Micheline B., secrétaire particulière de Jean-Marie LE PEN travaillant exclusivement pour ce dernier, n’avait jamais travaillé pour lui. Il a exposé dès sa première audition que le "FRONT NATIONAL vivait grâce à ce système de rémunération via le Parlement européen pour rémunérer les personnes du FRONT NATIONAL". Il précisait encore que "le principe était que chaque député arrivait à avoir peu ou prou un assistant ou collaborateur qui lui était réellement dédié et le reste de l’enveloppe était dédié à la rémunération des personnes choisies par Jean-Marie LE PEN. Il s’agissait de caser le staff du groupe". Jean-Marie LE PEN a admis que Thierry L. avait toujours été son garde du corps, puis celui de Marine LE PEN à partir de janvier 2011 et que Micheline B. avait toujours été sa secrétaire particulière. Les déclarations de Jean-Marie LE PEN, qui reconnaît avoir, dans le cadre d’un fonctionnement "en pool", "réparti les budgets au mieux de (leur) fonctionnement parlementaire" ne sont pas en contradiction avec celles de Fernand LE RACHINEL sur ce point. Elles corroborent celles de Thierry L., qui a admis que sa rémunération était affectée sur tel ou tel député dans le cadre d’un contrat d’assistant parlementaire selon le montant disponible des enveloppes, ou encore celles de Michèle B. qui déclarait avoir subi les changements de contrats qu’elle ne décidait pas. Pas plus que les autres eurodéputés, Fernand LE RACHINEL ne s’est personnellement directement enrichi du fait des contrats fictifs d’assistant parlementaire qu’il a signés au cours de la 6e législature pour faire financer par le parlement européen les salaires et charges de Thierry L. (495 k€) et de Micheline B. (320 k€) pour un montant total de 815 k€. Néanmoins ses déclarations illustrent l’intérêt personnel qu’il trouvait à voir alléger les charges du parti dont la situation financière était tendue. Après avoir démissionné du RASSEMBLEMENT NATIONAL à la rentrée 2008, il n’a d’ailleurs pas mis fin aux contrats de Thierry L. et Micheline B. qui ont continué à être rémunérés sur son enveloppe de frais d’assistance jusqu’à la fin de la 6e législature, à l’été 2009. Il peut à cet égard être relevé que si Jean-Marie LE PEN n’a pas non plus directement retiré d’enrichissement personnel de ces détournements, ils lui ont néanmoins procuré un confort de vie et de travail que la situation financière du parti ne lui aurait pas permis d’assumer. ».

    Je ne poursuis pas avec les législatures suivantes (2009-2014 et 2014-2016) avec autant de précisions car ce serait trop long. Je ne garde que le principal.


    7e législature (2009-2014) : « Les trois députés historiques ont donc fait perdurer le système pour continuer à faire financer par le Parlement Européen les salaires des sept mêmes personnes que pendant la législature précédente, qui travaillaient toujours pour le parti. Les fonds détournés au cours de cette 7e législature à travers les contrats d’assistant parlementaire fictifs signés par Jean-Marie LE PEN, Marine LE PEN et Bruno G. sont évalués à plus de 2,2 millions d’euros, ce qui représente presque un doublement du ratio des fonds détournés par député par rapport à la législature précédente. Le système mis en place en 2004 a en effet été "optimisé", avant même l’accession de Marine LE PEN à la présidence du parti. ».
     

     
     


    8e législature (2014-2016) : « En ce qui concerne Yann LE PEN, son salaire en tant que responsable de l’événementiel au sein du parti avait été pris en charge par le Parlement européen depuis le 1er janvier 2009, au cours des 6e et 7e législatures, sous couvert de contrats d’assistance parlementaire successifs de Bruno G., pour un montant total de 417 k€. (…) Les fonds détournés s’élèvent à moins de 300 k€ pour ces trois députés "historiques" et environ 370 k€ pour les sept nouveaux députés, soit environ 670 k€ entre juillet 2014 et février 2016, au cours d’une période de 20 mois. Si ces chiffres apparaissent moins significatifs que pour les législatures précédentes, ce constat mérite néanmoins quelques observations. (…) Les détournements de la 8e législature concernent donc un nombre de députés et d’assistants parlementaires plus important, mais une période de temps beaucoup plus limitée que celle des précédentes législatures. La dénonciation et les procédures administratives mises en œuvre par le Parlement Européen ont manifestement porté un coût d’arrêt aux contrats en cours. Ainsi, à l’été 2014, alors que 23 députés du RASSEMBLEMENT NATIONAL étaient élus au Parlement Européen, le système était destiné à constituer une véritable manne financière pour le parti. Avec 23 députés élus, les frais d’assistance parlementaire représentaient en effet désormais près de 6,6 millions d’euros par an, soit environ le double de la masse salariale du RN à l’époque, de l’ordre de 3 millions d’euros sur un budget de 10,2 millions d’euros. Les contrats conclus au cours de la 8e législature étaient donc susceptibles de contribuer de façon de plus en plus significative au financement des charges de personnel du parti. Le système élaboré mis en place n’a trouvé de limite que dans la dénonciation des faits et l’ouverture de la présente procédure judiciaire. ».

    Et de poursuivre : « Le principe était le même que celui mis en place en 2004 et décrit par Fernand LE RACHINEL : les eurodéputés pouvaient recruter un assistant parlementaire de leur choix et devaient laisser le reste de l’enveloppe à destination du parti. Aucun des députés poursuivis, à l’exception de Fernand LE RACHINEL (qui conteste avoir agi intentionnellement), n’a reconnu les faits. Néanmoins, le déroulement de la réunion du 4 juin 2014 décrit par plusieurs députés ayant refusé le système ou ayant quitté le parti depuis ne fait aucun doute. Marine LE PEN avait bien donné comme instruction aux nouveaux députés de donner une procuration à Charles V. H. pour suivre leur dotation budgétaire et de choisir le cabinet X de Nicolas C. comme tiers-payant. Malgré ses dénégations, elle leur a aussi dit qu’ils n’avaient pas besoin de plus d’un assistant dédié à (leurs) tâches parlementaires et qu’ils allaient laisser le solde de leur enveloppe à la disposition du parti. (…) Le système en place depuis dix ans à l’époque avait été "optimisé" avant même le début de la 8e législature. Un système global de gestion des enveloppes budgétaires des assistants parlementaires était opérationnel et proposé à l’ensemble des eurodéputés afin de permettre au parti "de faire des économies grâce au Parlement Européen". ».

    Le rôle de Marine Le Pen est considéré comme essentiel par le tribunal : « Au cœur de ce système depuis 2009, Marine LE PEN, s’est inscrite avec autorité et détermination dans le fonctionnement instauré par son père auquel elle participait depuis 2004. Elle va s’entourer dès 2009 de Charles V. H., comptable et spécialiste des instances du Parlement Européen recruté comme APA, qui va jouer un rôle de facilitateur auprès des services financiers du Parlement Européen et être chargé d’optimiser la gestion centralisée des enveloppes. Sur la base des propositions de Charles V. H., Marine LE PEN va arbitrer. Les mouvements entre les enveloppes et les transferts de contrats vont se multiplier. Le but est de répartir les assistants selon les disponibilités des enveloppes, sans aucun lien avec une quelconque activité pour un eurodéputé. Marine LE PEN a été poursuivie et déclarée coupable en tant qu’auteur principal pour les contrats d’assistant parlementaire fictifs représentant un montant total de 474 k€ sur une période du 1er septembre 2009 au 14 février 2016. À l’occasion de procédures administratives en répétition de l’indu, le Parlement Européen a recouvré à son encontre une somme totale de 340 k€. ».

    Mais ce n'est pas tout ce qu'on reproche à Marine Le Pen. Il y a aussi ceci : « Elle est en outre déclarée coupable de faits de complicité des détournements commis par les autres eurodéputés depuis son accession à la présidence du parti en janvier 2011. Ces faits de complicité portent sur un montant total que le tribunal évalue à 801 k€ au titre de la complicité de Jean-Marie LE PEN, à 665 k€ au titre de la complicité de Bruno G. et à 370 k€ au titre de la complicité des sept nouveaux députés de la 8e législature, soit au total plus de 1,8 million d’euros sur la période du 16 janvier 2011 au 17 janvier 2016. En effet, compte tenu des relaxes partielles prononcées pour les trois contrats conclus par Marie-Christine A. en 2016 au titre desquels tous les prévenus poursuivis (notamment Marine LE PEN et le RASSEMBLEMENT NATIONAL) ont été relaxés des faits de complicité et/ou de recel qui leur étaient reprochés, les faits de complicité la concernant ne prennent plus fin le 31 décembre 2016 comme visé à la prévention, mais le 17 janvier 2016. ». Cela signifie que les dispositions de la loi Sapin II ne s'appliquent pas.
     

     
     


    Sur le trouble causé par l'infraction, qui a contourné le fonctionnement démocratique, le tribunal est très précis : « S’ils n’ont pas généré d’enrichissement personnel direct des députés condamnés ni de leurs assistants parlementaires, les faits constituent, au-delà des manquements à l’exigence de probité des élus, un contournement démocratique qui réside dans une double tromperie, aux dépens du Parlement Européen et des électeurs. L’article 4 de la Constitution du 4 octobre 1958 prévoit que les partis politiques, s’ils se forment et exercent leur activité librement, doivent respecter les principes de la démocratie. Par des lois successives depuis les lois fondatrices n°88-226 et n°88-227 du 11 mars 1988 relatives à la transparence financière de la vie politique, le législateur s’est employé à encadrer le financement de la vie politique française afin, principalement, d’en garantir la transparence et d’assurer l’égalité des chances des candidats dans la compétition politique. Le respect de ces dispositions législatives par tous les partis politiques doit assurer le fonctionnement vertueux de la démocratie représentative. En outrepassant le cadre ainsi posé par le législateur, les auteurs, complices et receleurs de détournements de fonds publics, qui ont procuré un enrichissement au FRONT NATIONAL devenu RASSEMBLEMENT NATIONAL, ont provoqué une rupture d’égalité, favorisant ainsi leurs candidats et leur parti politique, au détriment des autres. S’agissant du Parlement Européen, sa légitime confiance en ses élus a été abusée par des moyens sophistiqués de détournements à des fins partisanes des fonds payés pour renforcer la qualité du débat démocratique. L'indemnité d'assistance parlementaire a en effet pour finalité de permettre aux députés européens de s'entourer librement de collaborateurs pour pouvoir notamment s'emparer de sujets d'intérêt général, en particulier complexes ou techniques, et en débattre utilement dans l'enceinte parlementaire ou en dehors. Imputée sur le budget de l'Union Européenne, cette indemnité est ainsi une pièce importante du dispositif parlementaire européen et contribue à la continuité du projet européen. Le tribunal prendra par conséquent en considération la nature des fonds détournés pour la détermination des peines. S’agissant du corps électoral, les manquements commis par les députés européens portent fortement atteinte à la confiance légitime qu’ils doivent inspirer aux citoyens de l’Union Européenne en général et aux électeurs français en particulier. Représentants de l’institution la plus démocratique de l’Union Européenne, ils sont les porteurs des valeurs proclamées à l’article 2 du Traité sur l’Union Européenne, notamment le respect de la démocratie, de l’égalité et de l’État de droit. Ainsi, ces faits ont porté une atteinte grave et durable aux règles du jeu démocratique, européen mais surtout français et à la transparence de la vie publique. L’atteinte aux intérêts de l’Union Européenne revêt une gravité particulière dans la mesure où elle est portée, non sans un certain cynisme mais avec détermination, par un parti politique qui revendique son opposition aux institutions européennes. La gravité des faits dans leur ensemble résulte donc de leur nature systématique, de leur durée, du montant des fonds publics détournés au bénéfice d’un parti politique, mais aussi de la qualité d’élus des personnes condamnées comme auteurs de ces détournements, ainsi que de l’atteinte portée à la confiance publique et aux règles du jeu démocratique. Le tribunal prend en considération pour la fixation de la nature et du quantum des peines principales prononcées à l’encontre de chacun des auteurs, complices ou receleurs, le rôle et la responsabilité de chacun, le montant des détournements au titre desquels il est déclaré coupable, outre des motivations individuelles relatives à la personnalité et à la situation personnelle ci-après développées. ».

    C'est vrai qu'il est un peu ardu de lire les 154 pages d'un texte parfois un peu compliqué, mais il est établi que ce système, mis au clair par les enquêteurs, une dizaine d'années d'instruction et un procès de près de deux mois, a conduit à un détournement massif de fonds publics entre 2004 et 2016 d'un montant qui correspond à 1,2 million de repas au CROUS pour les étudiants ou encore à 209 années de travail au SMIC !
     

     
     


    Vouloir déplacer le débat sur la prétendue politisation des juges alors que ces derniers n'ont fait que leur travail avec débat contradictoire et droits de la défense relève avant tout d'une mauvaise foi, d'une stupéfaction étonnante provenant d'amateurs (ils auraient dû imaginer cette possibilité de condamnation) et enfin, d'une fuite en avant qui me paraît suicidaire politiquement et électoralement.
     

     
     


    La bataille de "l'opinion publique" est déjà perdue. Environ deux tiers des sondés, dans plusieurs sondages depuis plusieurs jours, trouvent tout à fait normal que les délinquants, même une future candidate à l'élection présidentielle, soient condamnés tant à de la prison ferme à une peine d'inéligibilité avec exécution provisoire. Le paradoxe, c'est que le RN a lui-même contribué, dans ses campagnes démagogiques antérieures, à rendre les citoyens plus exigeants sur la probité de leurs représentants.

    La réaction épidermique et à la limite de l'insurrectionnel des responsables RN depuis l'annonce du jugement confirme l'efficacité de l'exécution provisoire de la peine d'inéligibilité. C'est la conclusion du journaliste de Mediapart Fabrice Arfi le 3 avril 2025 : « Être reconnus coupables, condamnés à de la prison, à des amendes, ils s'en foutent. Ce qu'ils ne supportent pas, c'est l'inéligibilité. Ça montre que c'est la seule sanction efficace. ». Rideau !


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (04 avril 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Le fond accablant de l'affaire Le Pen.
    Texte intégral du jugement délibéré du 31 mars 2025 sur l'affaire Le Pen (à télécharger).
    Affaire Le Pen : ne confondons pas victime et coupable !
    Marine Le Pen : voler l'argent des Français !
    Marine Le Pen et la sérénité d'une future condamnée ?
    L'avenir judiciaire de Marine Le Pen dans une décision du Conseil Constitutionnel ?
    Jean-Marie Le Pen : extrême droite tenace et gauche débile...
    Mort de Jean-Marie Le Pen : la part de l'héritage.
    Procès de Marine Le Pen : surprise de gazelles et cynisme de vieux loups.
    Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
    Législatives 2024 (18) : la fin du cauchemar Bardella (pour le moment).
    Fake news : la scandaleuse manipulation politique du RN.
    Législatives 2024 (12) : un isoloir, ce n'est pas un cabine d'essayage !
    Législatives 2024 (11) : front, rassemblement, union nationale, barrage, consignes de vote...
    Législatives 2024 (10) : il était une fois Jordan Bardella, Gabriel Attal et Manuel Bompard.
    Législatives 2024 (9) : Emmanuel Macron et son n'ayez-pas-peur !
    Jean-Marie Le Pen, retour aux sources du RN.
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Le débat Gabriel Attal vs Jordan Bardella du 23 mai 2024.
    Débat Valérie Hayer vs Jordan Bardella : l'imposture démasquée de Coquille vide.
    Ukraine : Claude Malhuret se gausse de Jordan Selfie !
    Ukraine : Gabriel Attal attaque durement le RN et Marine Le Pen !
    Sondage secret : en cas de législatives anticipées, une victoire du RN ?
    FN/RN : fais-moi peur ! (27 octobre 2015).
    Marine Le Pen en tête dans un sondage : attention au buzz !
    Christine Boutin.
    André Figueras.
    Patrick Buisson.

    Rassemblement national : objectif 2027... ou avant !
    Jordan Bardella.
    Le nouveau JDD et la récupération des Enzo...
    Geoffroy Lejeune.
    Attention, un train de violence peut en cacher un autre...
    Éric Caliméro Zemmour.
    Jean-Marie Le Pen et sa marque dans l'histoire.
    La tactique politicienne du RN.
    La sanction disciplinaire la plus lourde de la Cinquième.

    Louis Aliot.
    Le congrès du RN.
    Grégoire de Fournas.
    Incident raciste : 89 nuances de haine à la veille du congrès du RN ?

    Le Front national des Le Pen, 50 ans plus tard...


     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250404-marine-le-pen.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/le-fond-accablant-de-l-affaire-le-260277

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/04/02/article-sr-20250404-marine-le-pen-html.html


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  • La révolution économique de Donald Trump ?

    « Les annonces de la nuit dernière du Président Trump (…) sont un choc pour le commerce international, pas simplement pour l'Union Européenne, la France, mais pour le bon fonctionnement du commerce. Ceci implique évidemment une mobilisation française et européenne. » (Emmanuel Macron, le 3 avril 2025 à l'Élysée).




     

     
     


    Non, ce n'est pas un poisson d'avril. Deux sentiments vertigineux m'ont habité quand j'ai écouté le Président des États-Unis Donald Trump faire sa conférence de presse le mercredi 2 avril 2025 à 22 heures (heure de Paris) dans le jardin de la Maison-Blanche, à Washington.

    Prévue depuis quelques jours, sa déclaration avait pour but d'annoncer les nouvelles surtaxes douanières que le gouvernement américain entendait imposer aux pays étrangers, près de 200 pays étrangers ou territoires étrangers, jusque dans les Îles Heard-et-MacDonald, taxées à 10%, où il ne doit y avoir que des manchots (depuis lors, un message circule sur Twitter montrant une colonie de manchots sur la banquise avec cette légende : « Énorme vague de protestation depuis ce matin sur les Îles Heard-et-MacDonald » !). Même Saint-Pierre-et-Miquelon est impacté.


    Le premier sentiment, c'est la folie. La folie de l'obsession trumpienne. C'est de prendre des décisions complètement folles, loufoques, démentes, inappropriées, fantasques... On se rappelle la réaction stupide de Donald Trump lorsqu'il s'est aperçu que le Président russe Vladimir Poutine se moquait de lui en prétendant vouloir la paix en Ukraine tout en continuant à bombarder massivement le peuple ukrainien. Sa réaction, ce n'était pas augmenter par exemple l'aide militaire américaine aux Ukrainiens, mais... de dégainer son revoler commercial et d'augmenter des droits de douanes à la Russie, comme si cette mesure allait dissuader l'autocrate du Kremlin dans ses basses besognes !
     

     
     


    Donald Trump ne jure que par les droits de douane, et on ne pourra pas lui reprocher une certaine constance qui s'apparente même à de l'obsession. Déjà dans les années 1980, il payait des encarts dans les quotidiens américains les plus lus pour faire sa publicité et protester contre les économies étrangères qui envahissaient le marché américain.

    La folie est à tous les étages : sur le principe même, mais aussi sur les applications. Ainsi, l'Union Européenne se voit affecter de 20% de surtaxes douanières (taxes, tarifs, droits de douane, on choisira le mot qu'on voudra, en français ou en english, ou entre les deux, mais taxes me paraît le plus approprié car il s'agit bien d'un impôt).

    Pourquoi 20% ? Parce que Donald Trump a calculé que les tarifs douaniers européens pour les produits américains importés en Europe seraient de... 39% ! Ne cherchez surtout pas à connaître la méthode de calcul, elle risquerait de faire mal à votre santé cardiaque ! (ou mentale !). C'est une sorte de mélange douteux (d'amalgame, pour parler comme un dentiste) prenant en compte la TVA (!!!!!!), les frais de propriétés intellectuelles, etc. qui n'ont aucun rapport les uns avec les autres. Cela ressemble au sorcier Gargamel qui tente de faire sa potion magique avec de la graine de salsepareille et de la bave de crapaud. Pourquoi 34% pour la Chine ? Parce que le rapport entre les exportations chinoises sur les importations chinoises, cela donne un rapport 0,67 et Donald Trump, comme pour les Européens, est généreux et magnanime et a mis une décote de 50%, d'où les 34%.

    Les pays asiatiques sont très durement touchés, en particulier le Japon, et les pays du Sud-Est asiatique, mais aussi d'autres pays, dont certains parmi les plus pauvres, comme Madagascar, très taxé simplement parce qu'il exporte sa vanille (ce qui montre à quel point la méthode de calcul est stupide).

    Cette folie est palpable au cœur du système américain depuis trois mois. Il suffit de voir la manière dont Elon Musk a fait un meeting à Green Bay, dans le Wisconsin. Il avait un chapeau-gruyère sur la tête (ne me demandez pas pourquoi), il l'a retiré à son arrivée sur l'estrade, l'a dédicacé et envoyé en l'air comme le bouquet de la mariée pour un bienheureux qui pourra commencer sa collection de fétichisme muskien.
     

     
     


    Du reste, ce meeting, c'était un soutien pour l'élection d'un juge à la cour suprême de l'État du Wisconsin, pour lequel il a dépensé 25 millions de dollars (et donné deux ou trois chèques de 1 million de dollars à des heureux militants républicains). Cela n'a pas fonctionné puisque c'est la candidate démocrate Susan Crawford qui a été élue, pétillante de joie, et élue haut la main puisqu'elle a eu le 3 avril 2025 une avance de 10 points sur son concurrent républicano-muskien manifestement incompétent si l'on en juge par ses déclarations de campagne. L'État du Wisconsin est crucial puisqu'il fait partie des "String States" qui peuvent faire basculer les résultats des élections présidentielles.

    Cette folie, c'est que c'est une véritable révolution économique mondiale que vient de provoquer Donald Trump dans sa mégalomanie monomaniaque. Assurément, même s'il négociait et revenait plus tard sur certains taux, la date du 2 avril 2025 resterait dans les livres d'histoire dans les décennies prochaines comme une décision singulière, historique, tant sur l'économie mondiale que sur l'histoire politique des États-Unis. Un jour noir pour l'économie mondiale, comme le 24 octobre 1929 ou le 15 septembre 2008.

    Et c'est là que j'ai ce second sentiment, celui du crash de la Germanwings, celui de voir un pilote (et pas copilote) de l'avion USA qui est en train de mener son avion au crash avec tout le peuple américain dans l'habitacle à cause de ses lubies suicidaires de Donald Trump. Et bien plus que le peuple américain, d'ailleurs.

     

     
     


    Car il s'agit d'un véritable suicide des États-Unis. Le secrétaire au commerce fanfaronnait à la suite des déclarations de Donald Trump en disant que l'État américain pourrait recouvrer 600 milliards de dollars avec ces surtaxes douanières, mais il oublie de dire que ces taxes seront payées par les consommateurs américains et les entreprises américaines. Ces 600 milliards seront donc une saignée terrible dans l'économie américaine, en plus d'être une saignée dans l'économie mondiale (par la perte de certains marchés). Pour des doctrinaires qui ne supportent pas les impôts, ce sera ici une imposition massive. Ils ne sont pas à une contradiction près !

    Suicide et révolution. J'ai toujours pensé que les révolutions étaient intrinsèquement suicidaires car c'est toujours trop brutal pour des évolutions de société qui sont fragile et ont besoin de douceur pour se transformer.

    Donald Trump est fort en ce sens qu'il revient à ...avant 1776, c'est-à-dire, avant la publication du fameux essai d'économie du Britannique Adam Smith "Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations". Et l'une des brillantes démonstrations avait trait au fait que c'est dans les échanges économiques entre les nations que celles-ci s'enrichissaient. Ce principe de mondialisation des échanges est l'un des points essentiels du libéralisme économique. Cela a permis à l'Europe une relative prospérité depuis 1945 (je dis bien relative car tout n'est pas parfait, mais il suffit de comparer avec d'autres régions du monde). L'idée générale est que les nations doivent produire leurs spécialités, ce pour quoi elles sont les meilleures, et acheter chez les autres les autres produits.

    Ce principe de mondialisation a eu bien sûr des côtés pervers, comme les délocalisations massives des lieux de production au point de s'apercevoir un peu tardivement que les souverainetés pourraient être bafouées (alimentaire, médicale, militaire, énergétique, etc.).
     

     
     


    Pourquoi Donald Trump a-t-il pris une telle décision ? Il pense que s'il y a trop de taxe, les produits importés ne se vendront pas et cela favorisera l'industrie américaine. Il peut en partie réussir puisqu'il négocie actuellement l'accueil aux États-Unis d'entreprises étrangères (qui ne se verront ainsi pas taxées). Mais c'est oublier de comprendre que certains produits importés ne sont de toute façon pas produits aux États-Unis et que cela va désorganiser complètement les filières industrielles.

    L'exemple de l'industrie automobile est éloquent. En Europe, personne ne veut des grosses bagnoles américaines qui consomment beaucoup et les Américains ne sont pas en capacité de produire des petites automobiles économiques. Les surtaxes changeront donc peu ces enjeux qui sont des enjeux industriels et pas des enjeux fiscaux. De plus, l'industrie automobile américaine en particulier, mais elle n'est pas la seule, a besoin de composants qu'elle importe, si bien que mêmes les produits américains vont être durement impactés par cette décision protectionniste. Une fois la globalisation économique en progression, tout retour en arrière semble économiquement suicidaire.
     

     
     


    Un retour au XVIIIe siècle, ou simplement au début du XXe siècle, car Donald Trump ne raisonne qu'avec l'ancienne économie, en ne prenant pas (volontairement) en compte la nouvelle économie. Ainsi, grosso modo, la balance commerciale des États-Unis est en effet déficitaire, mais pas autant que veut le faire croire Donald Trump. Sur les biens manufacturés, il y a en effet autour de 200 milliards de dollars de déficit, mais sur les services, au contraire, il y a autour de 150 milliards de dollars d'excédent, et on sait bien sûr que l'économie numérique y a une place privilégiée, ce ne sont pas les GAFAM qui diront le contraire.

    La réaction des autres pays sera essentielle. Si l'on croit qu'il suffit de montrer un rapport de force pour négocier et réduire les taxes voulues par Donald Trump, c'est une erreur. En jouant la surenchère, on accélère le crash mondial. Ce n'est l'intérêt de personne. Donald Trump en est bien conscient et, en bon joueur de poker, a dit aux autres pays qu'ils devraient se soumettre, accepter de payer ces taxes sans mesure de rétorsion car sinon, il pourrait encore augmenter les taxes (rappelons encore une fois que ce n'est pas le pays exportateur qui paie les taxes douanières mais les consommateurs du pays importateur !).
     

     
     


    Dans l'Union Européenne, la France sera bien sûr impactée, notamment dans le secteur aéronautique, mais beaucoup moins que d'autres, moins que les Allemands dont l'industrie automobile était dans le collimateur de Donald Trump depuis longtemps. Les Européens ne souhaitent pas faire payer les consommateurs européens des frasques trumpiennes. Ainsi, ils cherchent des mesures qui permettraient l'efficacité sans une politique de la terre brûlée. C'est pourquoi l'idée de surtaxer les GAFAM et autres entreprises de service numérique revient à l'ordre du jour des Européens. Le coup de pied trumpien dans le commerce international est une occasion supplémentaire de renforcer les coopérations européennes.

    Le Président français Emmanuel Macron a réagi rapidement en réunissant, ce jeudi 3 avril 2025 à l'Élysée, les filières impactées par les annonces de Donald Trump et en déclarant : « Pour nous [Français], c'est 1,5% de notre PIB qui représente les exportations vers les États-Unis. Pour l'Italie, c'est plus de 3% de son PIB. L'Allemagne, 4%, l'Irlande, 10%. Donc il y a des pays qui sont encore plus exposés que nous, mais ce n'est pas peu de choses. Surtout, nous aurons à prendre en compte, évidemment, les conséquences indirectes de ces mouvements. Parce que les tarifs sont massifs sur la Chine, l'Inde et plus généralement l'Asie du Sud-Est. Ce qui va créer des risques de potentiel déport de certains de ces produits et biens, qui va impacter très clairement nos économies et l'équilibre de certaines filières et de nos marchés. Donc, au total, on le voit bien, c'est une ampleur qui est en tout cas inédite. Mais ce sur quoi je veux insister au début de cette réunion, c'est que l'ampleur, et le caractère négatif est avant tout pour l'économie américaine. Et une chose est sûre, avec les décisions de cette nuit, l'économie américaine et les Américains, qu'il s'agisse des entreprises ou des citoyens, sortiront plus faibles qu'hier et plus pauvres. Et je pense qu'il faut le marteler. Et nous, il faut tenir, je vais y revenir, parce que ces décisions, elles ne sont pas soutenables pour l'économie américaine elle-même. ».
     

     
     


    Enfin, il y a un autre élément à prendre en considération : Donald Trump n'a pas le droit de décider seul des taxes douanières. En effet, Donald Trump s’appuie sur une loi de 1977, l’IEEPA (International Emergency Economic Powers Act), qui accorde des pouvoirs élargis au Président pour réglementer le commerce en cas de situation d’urgence nationale. Sauf à prouver que les États-Unis sont en situation d’urgence, c’est le Congrès qui devrait être compétent dans ce domaine, et ce n'est pas sûr que, même républicains, les parlementaires le suivent. La déclaration du 2 avril 2025, c'est aussi le dépouillement démocratique de l'une des plus grandes démocraties du monde.

    La conclusion ? Il n'y en a pas. Du moins, pas encore. Est-ce seulement du bluff et reviendra-t-il sur ces décisions ? C'est peu probable. Car ce serait deux centaines de négociations qu'il faudrait mener. Les États-Unis se sont simplement ultra-isolés. Les bourses se sont effondrées à cette annonce du 2 avril 2025. Il va falloir attendre que les économistes aient (pour une fois) raison. Ce sera peut-être la plus éclatante leçon d'économie que nous aurons à recevoir dans les mois et les années à venir. Mais certainement à notre détriment : récession, chômage, endettement, appauvrissement généralisé... Le choc économique sera dur, et en particulier pour le peuple américain. Personne n'a jamais osé faire de démonstration par l'absurde que le protectionnisme nuisait nécessairement à la prospérité des pays. Nous y sommes. Et à l'échelle mondiale.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (03 avril 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    La révolution économique de Donald Trump ?
    Donald Trump, gros pêcheur devant l'Éternel !
    Grippe aviaire : désastre sanitaire mondial en perspective ?
    Gene Hackman.
    Claude Malhuret s'en prend à Néron et à son bouffon !
    Ukraine : Trump, porte-parole de Poutine !
    Trump II : de justiciable à justicier !
    Canada, Groenland, Panama : Donald Trump est-il fou ou cynique ?
    Attentat à La Nouvelle-Orléans : les États-Unis durement endeuillés.
    Jimmy Carter, patriarche de l'humanitaire.
    Shirley Chisholm.
    Katalin Kariko et Drew Weissman.
    Rosalynn Carter.
    Walter Mondale.
    Marathonman.
    Bob Kennedy.











     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250402-trump.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/la-revolution-economique-de-donald-260303

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/04/03/article-sr-20250402-trump.html


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  • Mgr Jean-Marc Aveline, nouveau porte-voix des évêques de France

    « Ce que je sens, c'est que Marseille est plus qu'une ville, c'est un message. Dans toute identité, il y a toujours une part d'altérité. Et c'est grâce à ça qu'on peut être accueillant à l'autre. » (Mgr Aveline, le 17 septembre 2023 sur France Bleu Marseille).



     

     
     


    Ce mercredi 2 avril 2025, la Conférence des évêques de France (CEF) s'est désigné un nouveau président en la personne de Mgr Jean-Marc Aveline. Son prédécesseur, Mgr Éric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims depuis le 18 août 2018 et élu président de la CEF depuis le 3 avril 2019, avait annoncé son retrait le 24 mars 2025 au terme de deux mandats de trois ans. Mgr Jean-Marc Aveline prendra ses fonctions le 1er juillet 2025. Les deux vice-présidents de la CEF sont élus jeudi matin.

    Éric de Moulins-Beaufort aurait sans doute été un bon président des évêques en période ordinaire, c'est-à-dire lorsqu'il y a à réfléchir et à faire évoluer l'Église de France. Mais son mandat n'a pas été de tout repos, car en pleine crise très grave, accablante, des prêtres ayant commis durablement des faits de pédocriminalité.

    Même si c'est bien l'Église de France qui a été à l'origine du fameux rapport Sauvé (commandé le 8 février 2019 par son prédécesseur, Mgr Georges Pontier, alors archevêque de Marseille) sur les nombreux abus sexuels sur mineurs et sur les personnes vulnérables dans l'Église catholique de France depuis les années 1950, 2 500 pages présentées le 5 octobre 2021, c'est bien Éric de Moulins-Beaufort qui a dû gérer tout le service après-vente de ce rapport, et, disons-le, plutôt mal malgré sa détermination sincère, avec plein de maladresses sans prendre réellement la mesure de ce gigantesque scandale dans l'esprit des victimes. La dernière affaire levée sur les agressions sexuelles et les violences à Notre-Dame de Bétharram ainsi que dans d'autres établissements scolaires catholiques ont sans doute rendu nécessaire l'arrivée d'un autre visage médiatique, plus compassionnel et plus chaleureux.

    Qui est Mgr Jean-Marc Aveline ? J'aurais tendance à dire un homme qui monte ! En fait, l'Église de France a eu, depuis plusieurs décennies, un problème de représentation auprès de la société française. Les plus anciens ont connu Mgr Albert Decourtray (archevêque de Lyon) et Mgr Jean-Marie Lustiger (archevêque de Paris), qui étaient de très grandes pointures intellectuelles, religieuses mais aussi médiatiques (comme Jean-Paul II). Ils étaient même invités régulièrement dans l'émission politique phare, "L'Heure de Vérité" sur Antenne 2. Encore auparavant, il y a eu Mgr Jean Vilnet et Mgr François Marty. Mais après les cardinaux Lustiger et Decourtray, peu de responsables catholiques ont véritablement émergé dans la société française (à part Mgr Philippe Barbarin, lui aussi une pointure intellectuelle et médiatique, qui a dû s'éclipser à cause du scandale) et cela manquait.

     

     
     


    Oserais-je imaginer que Mgr Jean-Marc Aveline pourrait enfin remplir ce vide et donner un nouveau visage, plus convivial, plus souriant, plus ouvert, à une Église et surtout à une communauté catholique très ébranlée par les révélations des dernières années, en particulier un abus commis sur une mineure de 14 ans par le cardinal Jean-Pierre Ricard, archevêque de Bordeaux et ancien président de la CEF, lorsqu'il était curé à Marseille. Un cardinal !

    À 66 ans, Mgr Jean-Marc Aveline est un enfant de la Méditerranée, né en Algérie (près d'Oran) et habitant Marseille, dans les quartiers populaires, après un court passage en région parisienne (sa famille était pieds-noirs). Il cultive donc une identité marseillaise très forte. Il a été ordonné prêtre le 3 novembre 1984 après des études de philosophie, de grec, d'hébreu et de théologie (à l'Institut catholique de Paris et à la Sorbonne) et avant un doctorat en théologie ; il a soutenu en 2000 sa thèse sur le sujet suivant : "Pour une théologie christologique des religions, Tillich en débat avec Troettsch". Inutile de préciser qu'il est, lui aussi, une pointure intellectuelle et qu'il a été responsable d'enseignement et d'études au séminaire interdiocésain de Marseille et à l'Université catholique de Lyon. Il a même fondé l'Institut de science e théologie des religions de Marseille en 1992 qu'il a dirigé jusqu'en 2002.

    Nommé évêque auxiliaire de Marseille le 19 décembre 2013 (il a été ordonné évêque par Mgr Georges Pontier le 26 janvier 2014 en présence de deux cardinaux marseillais, Mgr Roger Etchegaray et Mgr Bernard Panafieu), Mgr Jean-Marc Aveline lui a succédé le 8 août 2019 comme archevêque de Marseille. Enfin, le pape François l'a créé cardinal (avec le grade de cardinal-prêtre) parmi les vingt et un cardinaux créés lors du consistoire du 27 août 2022. À ce titre, et aussi comme proche du pape François, il est parfois considéré comme un "papabile" (pouvant être élu prochain pape), d'autant plus qu'il a pris beaucoup d'importance ces dernières années au Vatican (membre de deux dicastères, sortes de ministères au Vatican, il s'y rend très régulièrement, plusieurs fois par mois).
     

     
     


    L'un des exploits de Mgr Aveline, c'est d'avoir fait venir le pape François à Marseille, événement qui n'avait plus eu lieu depuis plusieurs siècles (le pape Clément VII y est venu le 5 novembre 1533) et qui avait séduit le Saint-Père dans sa volonté de promouvoir la Méditerranée (et l'accueil des migrants). C'est ainsi que l'archevêque de Marseille a accueilli son homologue de Rome à Marseille les 26 et 27 septembre 2023, journées au cours desquelles il a pu constater la grande sympathie des Marseillais. La venue du pape avec la célébration d'une messe au Stade Vélodrome a été un moment historique qui a séduit et rendu fiers les Marseillais. Le pape François est retourné en France, un peu plus tard, le 15 décembre 2024, en Corse, et n'est (encore) jamais allé à Paris.

    Au début, il avait beaucoup hésité à se porter candidat en raison de son emploi du temps très chargé. Favori du scrutin et très populaire parmi les évêques par sa « bonhomie », sa « grande intelligence » et sa personnalité « hors norme », Jean-Marc Aveline a été élu dès le premier tour président de la Conférence des évêques de France ce 2 avril 2025 à Lourde (pour être élus, il faut réunir une majorité des deux tiers), après deux jours de colloques (en début de semaine) sur les violences sexuelles au sein de l'Église, avec la présence, en particulier, de victimes de Notre-Dame de Bétharram qui ont pu témoigner devant les évêques.


    La détermination de l'Église catholique reste intacte pour lutter contre les violences sexuelles en son sein comme cela a été le cas depuis une dizaine d'années, mais ce sujet comporte de nombreuses bombes à retardement (Notre-Dame de Bétharram en est une puisque la plupart des victimes sont restées silencieuses jusqu'en 2024-2025). Mgr Aveline devra donc gérer la suite de ce lourd dossier, notamment sur le plan des réparations aux victimes, et plus généralement, devra revoir l'organisation de l'enseignement catholique afin d'éviter des violences pendant des années sans alerte.

    Si la société française en général continue sa progressive déchristianisation (commencée depuis une cinquantaine d'années), il faut remarquer néanmoins que les jeunes semblent revenir à l'Église avec plus de volontarisme. Un évêque cité par Sud Radio l'a ainsi résumé : « On est à un moment de croisement des courbes, avec un effacement du catholicisme sociologique et une montée du catholicisme d'adhésion. ». "Le Monde" a noté le même genre de réflexion auprès sans doute du même évêque : « Nous sommes dans une période de fragilisation mais aussi de recomposition. Nous devons gérer le recul du catholicisme sociologique en même temps que la croissance du catholicisme d’adhésion. ». Ce qui peut créer un problème avec la montée de sentiments identitaires. Mgr Aveline devra accompagner ce regain d'adhésion pour ne pas décourager ce renouveau de l'engagement.

    Un autre défi sera d'être plus présent dans les médias pour les grands débats de société, qu'il s'agisse de la laïcité (on va fêter les 120 ans de la loi du 9 décembre 1905), de la fin de vie et, plus généralement, du débat politique de précampagne présidentielle ces prochaines années. En clair, l'Église va devoir se faire entendre de la société française autrement que sur les abus sexuels.

    Comme l'ont expliqué Sarah Belouezzane et Benoît Vitkine dans leur article publié le 2 avril 2025 dans "Le Monde", « Jean-Marc Aveline représente un catholicisme ouvert sur le monde, proche des fidèles de tous bords. "Sa personnalité et son contact tranchent clairement avec le reste de l’épiscopat", confiait un prêtre qui l’a assidûment fréquenté. Des fibres pastorales et sociales (avec un souci affiché à plusieurs reprises pour le sort des migrants) qu’il partage avec un pape François dont il est devenu en quelques courtes années un proche. (…) Le cardinal devra désormais délaisser son diocèse pour Rome et Paris. Sa connaissance de la Ville éternelle et de ses usages sera bienvenue après des années de relations plus que froides entre le Vatican et l'Église de France. Jean-Marc Aveline est un homme tout en rondeurs, décrit comme très politique (…). Cette rondeur (…) sera sans doute un avantage dans les défis qui se présentent à lui. ».


    "Le Monde" a aussi évoqué le besoin d'un changement de pratique dans la gouvernance de la CEF, son président ne devant être qu'un porte-parole, un animateur, et certainement pas un chef (les évêques jouissent d'une grande autonomie). Très occupé, Mgr Aveline aura très certainement la volonté de déléguer beaucoup de sujets à ses deux vice-présidents qui sont élus jeudi matin avant une conférence de presse en début d'après-midi. En revanche, il devra rester très prudent avec le dossier des agressions sexuelles car l'objectif reste focalisé sur la relation aux victimes,et ces relations humaines ne se délèguent pas. Bon communicant, le "président Aveline" est certainement prêt à relever le défi d'une Église qui aura besoin d'être remise au milieu du village.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (02 avril 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Mgr Jean-Marc Aveline.
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    Le voyage du pape François à Marseille (22 et 23 septembre 2023).
    Mgr Jacques Gaillot.
    Mgr Albert Decourtray.

    Maurice Bellet.
    Lucile Randon (Sœur André).
    François : les 10 ans de pontificat du pape du bout du monde.
    Santé et Amour.
    Le testament de Benoît XVI.
    Célébration des obsèques du pape émérite Benoît XVI le 5 janvier 2023 (vidéo).

    L’encyclique "Caritas in veritate" du 29 juin 2009.
    Sainte Jeanne d'Arc.
    Sainte Thérèse de Lisieux.
    Hommage au pape émérite Benoît XVI (1927-2022).
    Les 95 ans du pape émérite Benoît XVI.
    L’Église de Benoît XVI.
    Saint François de Sales.
    Le pape François et les étiquettes.
    Saint  Jean-Paul II.
    Pierre Teilhard de Chardin.
    La vérité nous rendra libres.
    Il est venu parmi les siens...
    Pourquoi m’as-tu abandonné ?
    Dis seulement une parole et je serai guéri.
    Le ralliement des catholiques français à la République.
    L’abbé Bernard Remy.



     

     
     




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