« Sentons jusqu'au fond de nous-mêmes notre jeunesse encore neuve... Peut-être que la mort ne viendra jamais ?... » (1905).
La romancière française Colette (Sidonie-Gabrielle Colette de son vrai nom ; son père était le capitaine Jules-Joseph Colette, cela ne s'invente pas) est née à Saint-Sauveur-en-Puisaye (dans l'Yonne) il y a 150 ans, le 28 janvier 1873. Pendant des décennies, elle a dominé la vie culturelle française (et belge), en particulier à la Belle Époque, rapidement devenue mondialement célèbre pour sa littérature mais aussi sa vie de femme moderne. Un caractère, et une personnalité hors du commun.
Dans une notice bibliographique de son éditeur, on y lit : « Le seul nom de Colette évoque un chatoiement d'images qui illustrent une façon de vivre, heureuse, innocente et sans conformisme. Son œuvre épanouie entre les deux guerres reflète un monde clos et préservé que n'atteint pas l'inquiétude de ces temps troublés. ».
Malgré cet anticonformisme, elle a été intégrée dans l'un des saints des saints de la littérature française comme membre de l'Académie Goncourt en 1944 (elle était déjà membre de l'Académie royale de Belgique dès 1936) et même, en présidant cette Académie Goncourt de 1949 à sa mort, le 3 août 1954 (à l'âge de 81 ans). Des funérailles nationales furent votées, ce qui était une première pour une femme. Je m'étonne qu'on n'ait pas encore pensé à transférer ses cendres au Panthéon, auprès de femmes comme Germaine Tillion et de Joséphine Baker.
Personnage très riche de la littérature française, Colette était avant tout une femme moderne. Pas une féministe, au contraire de sa mère, Colette ne soutenait pas les suffragettes et si elle considérait que les femmes pouvaient autant réfléchir que les hommes sur les affaires de l'État et sur les affaires du monde, elle voyait toutefois un inconvénient à leur confier des responsabilités étant donné les quelques jours par mois ; elle estimait en 1927 que leurs ragnagnas les empêcheraient de prendre les bonnes décisions à ces moments précis de leur existence de femmes (car elles seraient « irritables, incontrôlées, imprévisibles »). Pas d'idéologie mais du pragmatisme.
Si le personnage a brillé aussi par son côté sulfureux, c'est parce qu'elle affichait sa bisexualité ; non seulement elle a été l'épouse de trois maris successifs (dont Henry de Jouvenel de 1912 à 1923), mère également (d'une fille), mais aussi l'amante de femmes, un coming out qui était très nouveau et qui (bien évidemment) scandalisait les bonnes âmes. Son premier mari Willy (Henry Gauthier-Villars, de treize ans son aîné) lui imposait une fidélité pour ses relations avec les hommes, mais acceptait des "moments d'égarement" avec les femmes.
Grande lectrice durant son enfance et son adolescence, et aussi grande observatrice, Colette a laissé à la littérature française de nombreux ouvrages, des romans, des poèmes, des pièces de théâtre, aussi une épaisse correspondance. Sa série de romans "Claudine" vaguement autobiographique (parue à partir de 1900) fait intervenir des femmes bisexuelles. Elle a aussi écrit quelques essais comme "Le Pur et l'Impur" (écrit en 1931), des récits et réflexions sur les "plaisirs physiques".
On peut aussi citer "L'Ingénue libertine" (l'histoire de la jeune et jolie Parisienne Minne) en 1909, "Le Blé en herbe" (l'initiation sentimentale et sexuelle de deux adolescentes) en 1923, "La Chatte" (une femme jalouse car son mari lui préfère sa chatte) en 1933 et aussi "Gigi", une nouvelle publiée en 1944 qui raconte l'histoire d'une Parisienne adolescente à la Belle Époque (Gilberte), ouvrage qui a eu de nombreuses adaptations artistiques, notamment au cinéma et aussi au théâtre (dans sa première version, en anglais, à Broadway, en 1951, Colette a choisi Audrey Hepburn pour y tenir le rôle principal).
Mais je veux m'attarder surtout sur un de ses premiers ouvrages qui a aussi fait la réputation de Colette, son amour des chats, et plus généralement des animaux domestiques (aussi des chiens). Ce n'est pas exceptionnel qu'un écrivain travaille avec des chats (c'est même très courant), mais Colette a eu le don de les rendre tellement vivants que le lecteur s'invite dans l'intimité domestique de ces affections félines et canines.
Ainsi, parmi les pépites de Colette, cette grosse pépite que je n'ai pas encore citée, "Dialogues de bêtes", publié initialement avec quatre dialogues en 1904, puis sept en 1905 et enfin douze dialogues dans sa version définitive en 1930. Il s'agit de dialogues avec quatre personnages : le chat Kiki-la-Doucette (« chat des Chartreux »), le chien Toby-Chien (« bull bringé »), et ses deux maîtres, "Lui" et "Elle" (des « Deux-Pattes », « seigneurs de moindre importance »). L'impersonnalisation des humains permet bien sûr de mieux s'attacher au chat et au chien. Le ton est résolument direct, et ressemble à une bande dessinée (1905, c'était avant les bandes dessinées qui utilisaient régulièrement des animaux, comme Walt Disney etc.).
Je ne résiste pas à proposer quelques extraits issus de ce merveilleux petit fascicule. Des dialogues qui sont d'une étonnante modernité et du résultat précieux d'une observation détaillée de la vie animale.
Dans la préface signée de l'écrivain Francis Jammes (1868-1938), une lettre propose cette introduction des personnages : « Il semble parfais que l'on naisse. On regarde. On distingue alors une chose dont le dessous des pieds a l'air d'un as de pique. La chose dit : oua-oua. Et c'est un chien. On regarde à nouveau. L'as de pique devient un as de trèfle. La chose dit : pffffff. Et c'est un chat. ». Mais ce n'est pas de Colette, contrairement à ce qui va suivre.
Le prétendu égoïsme des chats : « Ils baptisent ainsi, pêle-mêle, l'instinct de préservation, la pudique réserve, la dignité, le renoncement fatigué qui nous vient de l'impossibilité d'être compris par eux ». En d'autres termes : « Le Chat est un hôte et non un jouet. ».
Dérangements gastriques. Toby : « Tu m'as vu, après, me traîner mélancolique, la tête basse, écoutant dans mon estomac le glouglou malsain de l'huile et cacher dans le jardin ma honte... ». Kiki : « Tu la caches si mal ! ». Toby : « C'est que je n'en ai pas toujours le temps. ».
Purger un chat à l'huile de ricin ? Lui donner le bain ? Kiki sait réagir avec efficacité : « Je l'ai si bien griffée et mordue qu'Elle n'a pas recommencé. Elle a cru, une minute, tenir le démon sur ses genoux. Je me suis roulé en spirale, j'ai soufflé du feu, j'ai multiplié mes vingt griffes par cent, mes dents par mille, et j'ai fui, comme par magie. ».
Kiki parlant d'une chatonne : « De quel cœur elle me fuit, confondant sa pudeur avec l'effroi ! ».
Toby parlant d'amour de chat : « Ne détourne pas la tête ! Ta pudeur singulière s'emploie à cacher ce que tu nommes faiblesse, ce que je nomme amour. ».
Le cri monstrueux du chat avant de vomir : « Les yeux dilatés, j'avale précipitamment une salive abondante et salée, tandis que m'échappent d'involontaires cris de ventriloque... Et puis voici que mes flancs houlent, autant et mieux que ceux de la chatte en gésine, et puis... ».
Dialogue barbare au menu. Toby : « Ah ?... Dis-moi, les oiseaux, est-ce que ça a le goût du poulet ? ». Kiki (dont les yeux brillent bleu soudain) : « Non... C'est mieux... c'est vivant. On sent tout craquer sous les dents, et l'oiseau qui tressaille, et la plume chaude, et la petite cervelle exquise... ».
User et abuser de l'amour des humains, une signature de chat : « Si je voulais, Chien, troubler le silence de cette chambre, je saurais habilement choisir, pour m'y laver, une chaise mal calée, dont les pieds martèleraient régulièrement : "Tic-toc, tic-toc, tic-toc" au rythme de ma langue. C'est un moyen que j'ai inventé pour me faire donner la liberté. "Tic-toc, tic-toc" dit la chaise. Elle, qui lit ou écrit, s'agace vite et crie : "Tais-toi, Kiki". Fort de mon bon droit, je me lave innocemment. "Tic-toc, tic-toc". Elle bondit affolée et m'ouvre grande la porte, que je tarde à franchir, d'un pas d'exilé... Dehors, je ris de me sentir supérieur à tous. ».
Philosophie hautement féline : « Mon Dieu, on peut aimer les gens et soigner son estomac. ».
Philosophie médicale : « La fièvre, c'est le commencement de ce qu'on ne nomme pas. ».
Nourriture sauvage : « Je ne puis manger que des oiseaux vivants, ou des souris très petites dont j'avale le cri... ».
Dialogue cano-félin. Toby : « Pourquoi t'amuses-tu à me faire peur ? Je n'ai jamais bien compris chez toi cette vanité qui consiste à exagérer une cruauté très réelle... Tu me nommes le dernier des romantiques, ne serais-tu pas le premier des sadiques ? ». Kiki : « (…) À mon tour, laisse-moi te dire : "Je suis un Chat". Ce nom seul me dispense... Une haine est en moi contre la souffrance, la laideur, une détestation impérieuse de ce qui choque à ma vue ou simplement mon bon sens. ».
Explication psychanalytique de la cruauté du chat : « Si le récit affaibli de ce que j'ai fait te bouleverse, comprends donc que j'ai voulu supprimer du monde, anéantir, en cette bête ensanglantée, l'image même, l'image menaçante de mon inévitable mort... ».
Rideau !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (28 janvier 2023)
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Pour aller plus loin :
Colette.
Benoît XVI.
André Breton.
Louis Aragon.
Annie Ernaux.
Svetlana Aleksievitch.
Mylène Demongeot.
Jean Teulé.
José Saramago.
Annick de Souzenelle.
Philippe Alexandre.
Yves Coppens.
Charlotte Valandrey.
Sempé.
Fred Vargas.
Jacques Prévert.
Ivan Levaï.
Jacqueline Baudrier.
Philippe Alexandre.
René de Obaldia.
Michel Houellebecq.
Richard Bohringer.
Paul Valéry.
Georges Dumézil.
Paul Déroulède.
Pierre Mazeaud.
Philippe Labro.
Pierre Vidal-Naquet.
Amélie Nothomb.
Jean de La Fontaine.
Edgar Morin.
Frédéric Dard.
Alfred Sauvy.
George Steiner.
Françoise Sagan.
Jean d’Ormesson.
Les 90 ans de Jean d’O.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240803-colette.html
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femme - Page 5
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Il y a 70 ans, la mort de Colette
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Gilberte Beaux, une grande dame qui sort des schémas classiques
« Il faut aimer la vie. J'aime la vie (…). Quand on aime (…), on arrive toujours à faire des choses merveilleuses. La vie est fantastique ! » (Gilberte Beaux, le 26 juillet 2017).
Gilberte Beaux fête son 95e anniversaire ce vendredi 12 juillet 2024. Il est très difficile de définir en deux mots qui est Gilberte Beaux. En ce qui me concerne, je la connaissais car elle était la "trésorière" de Raymond Barre, je ne sais pas trop sa fonction, peut-être conseillère économique aussi (les deux probablement) pendant sa campagne présidentielle de 1988.
Si Gilberte Beaux n'est pas très connue du grand public, c'est parce qu'elle a tout fait pour être discrète, éloignée des médias. Son monde, ce n'était pas celui de la politique où, au contraire, il faut se faire connaître, il faut se promouvoir, il faut faire parler de soi, parfois lourdement, la notoriété étant un élément important dans une victoire électorale (c'est le chat qui se mord la queue : on est connu aussi parce qu'on est élu). Son monde, c'est celui de l'économie, celui de la gestion d'entreprises,celui des discussions feutrées, des négociations secrètes.
Alors, on pourrait qualifier Gilberte Beaux de femme d'affaires, mais cela risque de faire oxymore, une femme peut être une bonne affaire, mais fait-elle de bonnes affaires ? Arg ! Stop ! J'arrête mon sexisme et si je suis un peu provocateur par le plaisir du jeu, c'est parce que Gilberte Beaux se sent (encore aujourd'hui) une femme libre, mais une femme libre parce qu'une femme forte, et à ce titre, elle s'inscrit dans la tradition des femmes fortes de sa génération, en particulier Simone Veil, mais aussi Marie-France Garaud (grande amie de Simone Veil).
Encore un petit détour avec Marie-France Garaud (qui est morte récemment). Gilberte Beaux a eu, donc, sa période barriste, en gros toute la décennie des années 1980. Dès 1981, Raymond Barre a vu sa cote de popularité grimper en flèche au fur et à mesure que le gouvernement socialo-communiste vidait toutes les caisses de l'État. Les Français aiment bien les hommes d'État (et femmes d'État) mais seulement lorsqu'ils ne sont plus au pouvoir.
L'un des préceptes du barrisme institutionnel, c'était sa conception très gaullienne de la Constitution, et à ce titre, Raymond Barre avait repris le flambeau de De Gaulle délaissé par Jacques Chirac prêt à foncer à Matignon (à l'époque, on faisait moins de chichi !) pour faire la première cohabitation. Raymond Barre, fidèle au dogme de la légitimité populaire sacrée par l'onction des urnes, considérait que le Président de la République devait démissionner s'il avait perdu les élections législatives. Au contraire, le président du RPR et futur candidat à l'élection présidentielle refusait d'exclure de gouverner et refusait d'engager un bras de fer avec François Mitterrand visant à le faire démissionner. À l'époque, j'étais à fond dans cette interprétation barriste, mais c'est l'interprétation pragmatique qui a finalement gagné (trois fois) en faisant même de la cohabitation un régime plutôt apprécié des Français car rétablissant une certain équilibre des institutions au sein de l'exécutif.
Les gardiens du dogme gaullien étaient rares dans la classe politique, notamment parmi les gaullistes, mais on pouvait compter sur Michel Debré (le père de la Constitution, évidemment) et aussi sur Marie-France Garaud, conseillère spéciale de Georges Pompidou à l'Élysée et conservatrice réactionnaire, en quelque sorte (avant-c'était-mieux). Les deux avaient eu le courage de se présenter à l'élection présidentielle de 1981, probablement aidés dans leurs parrainages par les giscardiens pour disperser l'électorat de Jacques Chirac (à charge de revanche, ce dernier, lui, a encouragé ses militants à voter contre VGE au second tour !).
Malgré son envie de discrétion, Gilberte Beaux s'est quand même engagée dans la bataille électorale... aux côtés de Marie-France Garaud puisqu'elles ont constitué une liste (Marie-France Garaud tête de liste) à Paris aux élections législatives du 16 mars 1986 qui étaient au scrutin proportionnel à l'échelle départementale. Sans investiture de grands partis politiques, cette liste était discrètement soutenue par... Raymond Barre qui cherchait à multiplier les députés purement barristes dans l'Assemblée de 1986 pour empêcher la cohabitation (la majorité très serrée a fait que les députés barristes, y compris le député de Lyon Raymond Barre, se sont finalement ralliés au gouvernement de Jacques Chirac pour ne pas être accusés d'être des diviseurs).
En 1986, leur liste n'a pas obtenu de siège, mais elle a fait mieux que les écologistes, Lutte ouvrière, le MPPT, ou encore qu'une liste menée par Albert Jacquard. Bref, avec 23 701 voix, soit 2,6% des suffrages exprimés, la liste Garaud-Beaux s'est classée en sixième place sur seize listes, juste après les listes des partis bien établis : la liste RPR menée par Jacques Toubon, la liste PS menée par Lionel Jospin, la liste UDF menée par Jacques Dominati, la liste Rassemblement national (oui oui, pas FN mais RN = FN + CNI) menée par Jean-Marie Le Pen (et le député des concierges Édouard Frédéric-Dupont) et la liste PCF menée par Gisèle Moreau (qui n'a pas obtenu non plus de siège, au contraire des quatre premières). Malgré son concurrent Jacques Dominati, la liste Garaud bénéficiait du soutien des Corses de Paris, car Gilberte Beaux est d'origine corse (son nom de jeune fille est Gilberte Lovisi).
Mais je m'égare dans cette voie politique qui n'était pas la sienne et sans doute cette candidature en 1986 a été téléguidée par Raymond Barre et elle ne pouvait pas la lui refuser. Revenons surtout à son parcours professionnel qui est loin d'être ordinaire. S'il fallait le résumer avec des noms, on pourrait le résumer étrangement avec deux noms : Jimmy Goldsmith et Bernard Tapie !
L'encyclopédie en ligne Wikipédia la considère comme « une personnalité du monde des affaires en France, des années 1960 aux années 1990, et une dirigeante d'entreprise » et ajoute : « Elle a été l'associée discrète de deux personnalités flamboyantes du milieu financier et entrepreneurial de ces décennies, Jimmy Goldsmith puis Bernard Tapie, chargée par eux de la bonne gestion des sociétés dont ils s'emparaient. Elle incarne aussi une époque de l'histoire du capitalisme, et du management en entreprise, où il était encore possible à une personne entrant comme dactylo de gravir tous les échelons et de devenir le dirigeant d’un groupe international. ».
Quand on regarde son origine familiale, un père qui a eu une faillite, on peut y voir un point commun avec Raymond Barre dont le père aussi a été socialement humilié par la faillite de son entreprise. Juste après la guerre qu'elle a passée adolescente avec sa famille à Marseille, la future Gilberte Beaux (elle s'est mariée en 1951 avec Édouard Beaux et est devenue veuve en 1995) a appris la sténodactylographie et a commencé à travailler très jeune dans une banque au plus bas des échelons afin de payer les études de son frère. Au bout de dix ans, par une volonté de fer (et un management particulièrement à l'écoute), elle a grimpé tous les échelons de la banque jusqu'à en devenir une fondée de pouvoir ! Une évolution aujourd'hui quasiment impossible à imaginer où les diplômes et recommandations sont bien plus nécessaires qu'à la sortie de la guerre où beaucoup d'emplois manquaient de titulaires.
Fort de cette expérience déjà exceptionnelle au milieu des années 1950, Gilberte Beaux a poursuivi dans d'autres entreprises, le groupe automobile Simca, dont elle a géré la trésorerie par l'intermédiaire d'une autre entreprise, la Compagnie financière de Paris. Elle gérait des grands comptes, des investissements, des crédits, etc., réputée au point d'être nommée à la tête de l'Union financière de Paris et de la Société de gestion industrielle et financière.
Et puis, ce furent ses rencontres dans la vie des affaires qui ont consolidé sa carrière financière. La première fut avec Jimmy Goldsmith dont elle est devenue le bras droit pendant une vingtaine d'années, entre 1967 et 1987. Elle a pris la tête de la Générale Occidentale, société holding du magma de la finance, qui a investi dans le secteur agro-alimentaire, en particulier en rachetant la Générale Alimentaire (marques Amora, Poulain, Maille, etc.). C'est elle qui négociait les prises de participation, les achats, les reventes et surtout la diversification économique du groupe.
Fine négociatrice, elle a revendu tous les activités du secteur alimentaire au groupe BSN afin d'investir dans les médias et l'audiovisuel au milieu des années 1970 et début des années 1980 : si les tentatives de rachat dans la télévision se sont avérées décevantes (et ratées), la Générale Occidentale a réussi à racheter l'hebdomadaire "L'Express" en 1977 à son fondateur JJSS (qui avait besoin d'argent pour investir dans ses campagnes électorales très coûteuses et assez vaines), ainsi que les Presses de la Cité. Jean-François Revel a été alors nommé directeur de "L'Express" avec, pour rédacteur en chef, Olivier Todd (qui lui aussi vient d'avoir 95 ans, le 19 juin dernier), proche du PSU, et accueillant les réflexions écrites de Raymond Aron. Après le renvoi d'Olivier Todd et la démission, par solidarité, de Jean-François Revel en 1981, l'hebdomadaire a évolué vers la droite (historiquement, il était de centre gauche et mendésiste) pour combattre le gouvernement socialo-communiste après l'arrivée au pouvoir de François Mitterrand.
En 1987, ce fut la fin de l'idylle entre Jimmy Goldsmith et Gilberte Beaux, non qu'il y ait eu une mésentente professionnelle, mais parce que Jimmy Goldsmith a voulu vivre et se recentrer aux États-Unis et revendre toutes ses entreprises d'Europe. Gilberte Beaux a négocié alors le rachat de la Générale Occidentale par la CGE (Compagnie générale d'électricité), devenue ainsi propriétaire de "L'Express" (voir la première vidéo ci-dessous).
À cette époque (lire plus haut), Gilberte Beaux était surtout occupée par son engagement politique derrière Raymond Barre, tout en présidant Basic, une société pétrolière au Guatemala, résidu de ses investissements antérieurs. Elle aurait pu dire qu'elle attendait ainsi une retraite déjà bien méritée, mais atteignant ses 60 ans, elle a relevé un nouveau challenge : Bernard Tapie est venu lui demander en 1990 de prendre la direction du groupe Adidas qu'il venait d'acquérir. Elle connaissait depuis une dizaine d'années Bernard Tapie pour avoir tenté de faire des affaires avec lui, mais sans résultat concret (Bernard Tapie était spécialiste des reprises d'entreprise en liquidation et de la valorisation et revente de leur actif).
Pour Adidas, dont elle a présidé le directoire puis le conseil de surveillance jusqu'à sa revente (qu'elle a négociée) en 1994 au milliardaire Roger Louis-Dreyfus. Pour redresser financièrement Adidas (au bord de la faillite), Gilberte Beaux a revendu d'autres entreprises du groupe Tapie comme La Vie claire avec de fortes plus-values, puis a accompagné la revente d'Adidas, remis à flots en deux ans (revendu parce que son propriétaire a été nommé ministre) dont fut chargé le Crédit lyonnais (ce qui allait aboutir à une très longue affaire financière et judiciaire car le Crédit lyonnais a fait de très substantiels gains en cachant la valeur réelle d'Adidas).
Cette revente a coïncidé à peu près avec la mort de son mari en 1995. Édouard Beaux avait acheté un ranch en Argentine et s'y était installé. Veuve, elle a découvert que la vie là-bas y était agréable et s'y est définitivement installée, commençant à près de 70 ans une nouvelle vie de paysanne argentine, du reste très appréciée localement pour avoir soutenu des opérations d'archéologie dans le coin. Ce qui est amusant, c'est que Marie-France Garaud et son collègue politique Pierre Juillet étaient eux aussi, à leurs heures perdues, des éleveurs de moutons dans la campagne profonde !
Elle qui a passé une trentaine d'années à voyager dans le monde pour les affaires, se rendant sur tous les continents, Europe, Amérique, Asie, reconnaît cependant un trou dans sa raquette, elle ne connaît pas l'Australie ! Elle a été aussi nommée membre du Conseil Économie et Social (devenu CESE, avec Environnemental), pour lequel elle est partie au Japon pour une mission d'étude, qui a abouti à un rapport publié au Journal officiel : "Pour une politique européenne et française face au Japon" (popularisée par un ouvrage grand public : "La Leçon japonaise", ed. Plon). Elle a aussi publié son autobiographie "Une Femme libre" en 2006 (éd. Fayard).
Gilberte Beaux est une personne qui est bien placée pour dire qu'elle s'est faite toute seule. Elle proclame à qui veut l'entendre que la personnalité et le caractère sont bien plus importants que l'intelligence pour réussir, en particulier, il faut prendre des décisions rapidement, quitte à prendre de mauvaises décisions, mais c'est toujours moins pire que ne pas décider du tout.
Femme ayant particulièrement réussi sa vie professionnelle, Gilberte Beaux est sans doute une meilleure féministe au sens de la promotion sociale des femmes que bien des militantes féministes stériles qui pinaillent sur des aspects dérisoires de la vie sociale ou prêtes à s'enflammer pour l'écriture inclusive. Elle a donné trois conseils aux femmes qui souhaitent réussir : la liberté, la flexibilité et la confiance en soi. Et pour elle, c'est essentiel : si vous ne vous sentez pas à l'aise dans vos fonctions, dans votre milieu professionnel, n'hésitez pas à en changer et à vivre autre chose. Sinon, votre créativité et votre vitalité risquent de se nécroser.
Et Gilberte Beaux est bien placée pour le dire parce qu'elle a eu plusieurs vies économiques, passant allègrement d'un secteur à l'autre pour diversifier ses expériences personelles : secteur de la banque, secteur de l'automobile, secteur de l'agro-alimentaire, secteur des médias et de la presse, secteur du pétrole, secteur du sport. Sans compter son incursion politique. Et désormais, secteur agricole avec son exploitation en Argentine. Elle a toujours été discrète et s'est peu souvent exposée auprès du grand public (selon ses activités économiques), mais elle mériterait d'être plus connue, car elle peut être un bon modèle de femmes cultivée et cultivatrice ! Bon anniversaire !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (12 juillet 2024)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Bernard Tapie.
Marie-France Garaud.
Raymond Barre.
Gilberte Beaux.
Carlos Tavares.
Carlos Ghosn.
Bernard Madoff.
Jacques Séguéla.
Gustave Eiffel.
Francis Mer.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240712-gilberte-beaux.html
https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/gilberte-beaux-une-grande-dame-qui-255755
http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/07/12/article-sr-20240712-gilberte-beaux.html
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Amélie Oudéa-Castéra se baigne dans la Seine : Paris tenu !
« Fabuleux, quel bonheur ! C'est juste génial, génial ! Bonheur total, promesse tenue ! Engagement tenu, pari tenu ! (…) C'était un pari, on s'était dit : si je deviens porte-drapeau, on nage dans la Seine ensemble. Ça y est : on l'a fait ce matin ! C'est extraordinaire. C'est vraiment hyper-émouvant ! » (Amélie Oudéa-Castéra, le 13 juillet 2024 à Paris).
C'est fait ! La Ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra et l'un des porte-drapeau français pour les Jeux paralympiques d'été de 2024 à Paris, Alexis Hanquinquant, champion du monde de paratriathlon et médaille d'or aux Jeux paralympiques de 2021 à Tokyo, se sont baignés dans les eaux pas très transparentes (!) de la Seine à Paris, près du pont des Invalides, pas loin de l'Assemblée Nationale et avec la Tour Eiffel à l'horizon.
Le bain a eu lieu peu après 7 heures 30 du matin le samedi 13 juillet 2024, histoire de rester discrets et de ne pas en faire non plus une montagne. Apparemment, seules les caméras de BFMTV étaient présentes pour marquer les mémoires. C'est Amélie Oudéa-Castéra, portant une combinaison de plongeur, qui est entrée la première dans l'eau, glissant sur la rive en raison probablement du sol couvert d'algues.
La ministre, comme dans son habitude, était très spontanée et la petite fille sportive a refait surface au-delà de la gestionnaire rigoureuse des Jeux olympiques et paralympiques de Paris qui commencent treize jours plus tard, le 26 juillet 2024. Des cris de gamine, de joie sur l'eau, des mots banals, l'eau est douce, et cette énorme émotion d'être entrée dans les livres d'histoire de la ville de Paris avec l'eau du bain.
En effet, la Seine était très polluée déjà en amont et se baigner à Paris était un véritable challenge, une sorte d'Arlésienne qui revenait sans arrêt dans la vie municipale, un pari souvent lancé mais jamais tenu. On se souvient que le maire de Paris, "le" maire historique de Paris, Jacques Chirac, avait lancé un tel pari en 1990 : il s'était engagé à se baigner dans l'eau de la Seine à Paris dans les trois ans. Pari non tenu par le futur Président de la République, et c'était heureux car ce qu'on risque, en plus de maladie de peau, c'est d'être infecté par diverses bactéries qui peuvent mener à la mort. On ne rigole pas avec les eaux polluées. Les sportifs olympiques sont d'ailleurs encouragés à se faire vacciner de diverses maladies (typhoïde, hépatite, etc.).
Dans les relevés du vendredi 12 juillet 2024, l'eau était "baignable" en termes de pollution. En revanche, samedi matin, le débit du fleuve était encore très élevé, plus de 500 mètres cubes par seconde, ce qui est trop fort pour la cérémonie d'ouverture et pour les épreuves de natation libre et de triathlon prévues dans la Seine (la ministre a même été un peu emportée par le courant). On n'a plus qu'à espérer qu'il ne pleuve pas dans la seconde quinzaine de juillet.
Le mois dernier, la Seine n'était pas encore "baignable" en raison de la météorologie indélicate avec les nombreuses pluies qui ont entraîné des rejets pollués dans le fleuve. Des épreuves de natation devraient se faire dans ces eaux lors des Jeux olympiques et paralympiques. Un pari donc fou quand on voit d'où l'on part et il a bien fallu une ministre pour convaincre les sportifs olympiques que l'eau serait utilisable.
Pour le coup, Amélie Oudéa-Castéra a grillé la politesse à deux autres personnalités qui avaient annoncé qu'elles feraient trempette dans l'eau de la Seine : le Président de la République Emmanuel Macron et la maire de Paris Anne Hidalgo. Cette dernière avait reporté plusieurs fois la date de sa baignade, maintenant prévue le 17 juillet 2024. Ce ne sera donc plus un exploit ni un événement mondial pour madame 1% à l'élection présidentielle de 2022. En raison de la dissolution et du futur changement de gouvernement, Amélie Oudéa-Castéra devait se dépêcher d'aller au bain si elle voulait encore le faire ès qualités, puisque dans quelques jours, elle ne sera plus ministre (elle l'est depuis le 20 mai 2022, avec également un passage éclair de moins d'un mois au Ministère de l'Éducation nationale et de la Jeunesse en janvier 2024).
Je ne sais pas si l'engagement de la maire de Paris de permettre aux Parisiens (et aux autres !), tous, pas seulement quelques sportifs, de se baigner dans la Seine à Paris pour l'année 2025 sera tenu car il est fort probable que la pollution, surveillée au jour le jour avec des seuils bien déterminés, ne donne pas forcément entière satisfaction : en effet, dépendre des conditions météorologiques pour assurer la sécurité d'une baignade serait particulièrement difficile à gérer si c'était accessible au grand public.
Bien entendu, dans les réseaux sociaux, cet exploit a été diversement commenté : admiration pour le courage de la ministre, et, comme souvent avec des oisifs qui passent leur temps sur Internet, aigreurs et dénigrements. Cependant, il y a eu deux autres types de commentaires qui reviennent souvent et qui sont intéressants.
Les premiers sont portés à se faire les vertueux du budget de l'État, et ils ont raison avec plus de 3 000 milliards d'euros de dette publique (aujourd'hui, le risque politique que la dette s'aggrave est très élevé), en rappelant que le projet pour dépolluer les eaux de la Seine coûte en argent public autour de 1,4 milliard d'euros (je n'ai pas vérifié mais cela me paraît un ordre de grandeur cohérent). Évidemment, le débat est : qu'aurait-on pu faire avec cet argent pour les hôpitaux, pour les écoles, pour la justice, pour le logement, etc. ?
D'un point de vue théorique, ceux qui s'interrogent ont raison, et l'engagement politique, justement, à mon sens, se résume à faire des priorités budgétaires, des choix de financer tels projets plutôt que tels autres. Mais avec ce raisonnement, on ne ferait plus rien tant que demeureraient la misère humaine, la pauvreté, etc. Or, on sait bien aussi que des projets fous, qu'on penserait même issus de caprices de dirigeants, ont fait beaucoup pour l'humanité, pour les nouvelles technologies, etc. L'exemple le plus démonstratif est sans doute l'homme qui a marché sur la Lune, totalement inutile d'un point de vue scientifique pour l'objectif, mais tellement utile pour la méthode et les moyens avec de nombreuses retombées technologiques (sur l'isolation thermique par exemple). Et puis, il y a aussi un facteur difficilement quantifiable, le facteur d'émotion ou de psychologie : probablement que la victoire lunaire des Américains a contribué, ce n'est pas la seule cause bien sûr, à l'échec définitif du communisme et de l'Union Soviétique.
Alors, faire de ces Jeux olympiques et paralympiques la devanture d'une France qui gagne, qui trouve des solutions technologiques à des problèmes qui n'ont jamais été résolus depuis des dizaines d'années, rendre la France et les Français fiers de leur pays, leur redonner confiance (malgré la pagaille parlementaire ou justement à cause de la pagaille parlementaire), une France qui donne de l'émotion, ce ne sera jamais inutile et cela peut aussi engager les investisseurs, aujourd'hui dans l'expectative depuis la dissolution et les élections législatives, à continuer à faire confiance à la France, à s'y installer et à y créer encore plus d'emplois (pour le bien des Français, et de leurs budgets publics).
Les seconds types de commentaires sur lesquels je veux aussi m'arrêter, c'est évidemment l'humour. Et les réseaux sociaux sont très généreux avec l'humour. Beaucoup d'internautes proposent ainsi des photographies de la ministre avant et après son bain, bien sûr, le "après" montre une sorte de monstre avec plein de bouton, c'est selon les trouvailles des uns et des autres. Il y a aussi des jeux de mots sympathiques, comme celui-ci : « Elle est ressortie avec tellement de bactéries que Macron l'a nommée Ministre des Spores. ».
Ou quelques moqueries sur la ministre elle-même (si elles sont bon enfant, pourquoi pas ?) : « On annonce son passage à Rouen, en direction du Havre... ».
Et la palme, à mon avis, pour cette mise en situation, revient au conseil de cabinet à Matignon, avec Gabriel Attal qui dit : « Je vous propose de reprendre cette réunion un peu plus tard, le temps de trouver d'où vient cette odeur de vase et de rat crevé. » !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (14 juillet 2024)
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Pour aller plus loin :
Pas d'Éducation nationale pour AOC.
Amélie Oudéa-Castéra se baigne dans la Seine : Paris tenu !
Adèle Milloz.
Éric Tabarly.
Coupe de France de football 2023 : victoire de Toulouse ...et d'Emmanuel Macron !
France-Argentine : l'important, c'est de participer !
France-Maroc : mince, on a gagné !?
Qatar 2022 : vive la France, vive le football (et le reste, tant pis) !
Après la COP27, la coupe au Qatar : le double scandale...
Vincent Lindon contre la coupe au Qatar.
Neil Armstrong.
John Glenn.
Michael Collins.
Thomas Pesquet.
Youri Gagarine.
Le burkini dans les piscines.
Les seins nus dans les piscines.
Roland Garros.
Novak Djokovic.
Novax Djocovid.
Jean-Pierre Adams.
Bernard Tapie.
Kylian Mbappé.
Pierre Mazeaud.
Usain Bolt.
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Anouk Aimée la savoureuse marginale
« Anouk Aimée, c'est un peu un cas en marge. "Huit et demi", "Lola", "Un homme et une femme" sont eux aussi des films en marge, mais c'est dans les marges du cinéma que se conçoit et s'épanouit le vrai cinéma. » (François Chalais, mai 1966).
Monument du cinéma français, selon l'expression de France Culture, l'actrice Anouk Aimée s'est éteinte à son domicile parisien ce mardi 18 juin 2024 à l'âge de 92 ans (née le 27 avril 1932 à Paris) selon un communiqué de sa fille Manuella. Cette dame déjà d'un grand âge avait su rester jeune non seulement dans l'esprit mais même dans le corps, il suffit de revoir une interview de 2002 (elle avait presque 70 ans) pour s'en rendre compte (on ne lui aurait pas donné un tel âge). Elle était une enfant précoce du cinéma et, jeune et belle star des années 1950 et 1960, elle a tourné avec les plus grands réalisateurs.
Pour Pierre Murat, dans un article publié ce 18 juin 2024 dans "Télérama", elle était la « reine des rôle énigmatiques » et n'avait pas besoin d'être dirigée : « Elle était là, elle, et cela suffisait. Tous ses metteurs en scène s’effaçaient devant l’incroyable présence qui lui servait de talent. ». Fellini, qui lui a donné deux rôles, disait d'elle : « Son visage évoque la même sensualité que ceux de Greta Garbo, de Marlene Dietrich et de Joan Crawford, ces grandes reines pleines de mystère. ». Il a dit à Anouk joliment : « Le temps se comporte avec toi comme un gentleman ! ».
Née de deux parents comédiens et d'origine juive, elle s'appelait d'abord Nicole Dreyfus. Cette origine juive l'a conduite à être scolarisée au collège de Morzine en Savoie pour échapper aux rafles, et elle y a connu Roger Vadim qui lui a appris à faire du ski. Parce qu'elle était une adolescente à la beauté étincelante, le réalisateur Henri Calef lui a proposé de tourner dans "La Maison sous la mer" (sorti le 20 août 1947) : elle avait 14 ans. En fait, Anouk Aimée a toujours un peu regretté de ne pas avoir fait carrière : elle aurait pu demander des rôles, elle n'a fait qu'accepter (ou refuser) les rôles qu'on lui proposait. Elle est devenue actrice par effraction, et elle aurait voulu devenir danseuse classique ou pharmacienne.
Ainsi, malgré la participation à des films éclatants (et culte), elle n'a jamais bénéficié de ses succès et chaque fois, ce fut un recommencement pour avoir des rôles. Elle n'a pas "capitalisé" sur ses succès parce qu'elle n'a jamais cherché à le faire. Un peu plus tard, dans les années 1970, elle a même fait un break pour devenir femme au foyer et elle a appris à faire de la bonne cuisine lorsqu'elle vivait avec l'acteur britannique Albert Finney, son quatrième (et dernier) mari.
Elle n'a pas fait carrière mais elle a quand même tourné près de quatre-vingt-dix films, surtout au cinéma, quelques-uns à la télévision. Et pas rien : Marcel Carné, André Cayatte, Alexandre Astruc, Julien Duvivier, Jacques Becker, Georges Franju, Jean-Pierre Mocky, Federico Fillini, Jacques Demy, Philippe de Broca, Robert Aldrich, Claude Lelouch, André Delvaux, George Cukor, Élie Chouraqui, Robert Altman, Alexandre Arcady, Marceline Loridan-Ivens, Yvan Attal, Édouard Molinaro, Agnès Varda, Charlotte de Turckheim, etc.
En particulier, elle a tourné avec le rôle principal dans des chefs-d'œuvre : "La dolce vita" de Fellini (sorti le 5 février 1960 ; Palme d'Or à Cannes) avec Marcello Mastroianni et Anita Ekberg ; "Lola" de Jacques Demy (sorti le 3 mars 1961) ; "Huit et demi" de Fellini (sorti le 14 février 1963) avec Marcello Mastroianni et Claudia Cardinale ; "Un homme et une femme" de Lelouch (sorti le 27 mai 1966) avec Jean-Louis Trintignant, Pierre Barouh (un futur mari) et Valérie Lagrange. 1966 fut la consécration internationale pour l'actrice de 32 ans avec ce film qui a obtenu la Palme d'Or à Cannes et une nomination aux Oscars : dans l'une des deux vidéos que je propose ci-après, on la voit interrogée par François Chalais pour le Festival de Cannes en mai 1966. Elle était enjouée, souriante, spontanée, naturelle. Elle ne jouait pas la star boudeuse.
Elle a été adulée aux États-Unis et on lui a permis de rencontrer Groucho Marx. L'acteur qu'elle admirait John Wayne est aussi venu la voir pour la saluer et la féliciter. Avec Danielle Darrieux et Catherine Deneuve, Anouk Aimée était l'une des muses de Jacques Demy (trois films). Et aussi une des égéries de la Nouvelle Vague, elle était une actrice fétiche de Claude Lelouch avec qui elle a tourné huit films.
Anouk était le nom de son premier personnage dans son premier film "La Maison sous la mer" et rapidement, on l'appelait ainsi. Elle comptait garder ce nom de scène tout seul (Anouk) comme une autre actrice s'appelait seulement Arletty ("Atmosphère ! Atmosphère ! Est-ce que j'ai une gueule d'atmosphère ?"), mais Jacques Prévert lui a confié ce précieux conseil : Anouk tout seul ? Mais à 40 ans, qu'est-ce que tu vas devenir ?... et il lui a ajouté : Aimée. Elle allait donc être Anouk Aimée.
Elle avait fait la connaissance de Jacques Prévert en mai 1947 pendant le tournage de son deuxième film, "La Fleur de l'âge", de Marcel Carné (avec Arletty, Serge Reggiani, Martine Carol et Paul Meurisse), qui n'a pas été achevé pour cause de manque de financement (Prévert en était le coscénariste). Au début des années 1950, Anouk Aimée s'est intégrée dans le petit milieu de Saint-Germain-des-Prés, faisant la connaissance de Pablo Picasso, Jean Genet, Jean Cocteau, Raymond Queneau, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Juliette Gréco, etc. (Pierre Murat : « Jean Genet qui lui dit adorer sortir avec elle : sa beauté attire le regard des hommes qu’il tente, ensuite, de draguer ! »). Elle a joué avec de nombreux acteurs comme Gérard Philipe, Jean-Pierre Cassel, Serge Reggiani, Yves Montand, etc. En France, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Italie, aux États-Unis. Dans les années 1990 puis 2000, elle a fait du théâtre avec Alain Delon, Philippe Noiret, Gérard Depardieu, Jean-Louis Trintignant, Jacques Weber, Bruno Cremer, etc.
Dans les récompenses qu'elle a reçues, on peut citer entre autres le prix d'interprétation féminine du Festival de Cannes en 1980, un César d'honneur pour l'ensemble de sa carrière en 2002 (et une nomination au César de la meilleure actrice en 1979), un Golden Globe en 1967 (meilleure actrice), le prix de la meilleure actrice étrangères aux BAFTA en 1968, même l'Aigle d'or en 2010 (récompense russe), une nomination pour l'Oscar de la meilleure actrice en 1967 (pour "Un homme et une femme"), etc.
Anouk Aimée se répandait rarement sur les plateaux de télévision. Néanmoins, elle était l'invitée de Thierry Ardisson le 13 avril 2002 sur France 2 dans son émission "Tout le monde en parle" (et pas le 9 octobre 2004 : elle venait juste de recevoir son César d'honneur). C'est la seconde vidéo que je propose ici. Se prêtant au jeu du pas très conventionnel animateur, elle se montrait à la fois intelligente et intellectuelle (elle disait regarder Arte), et malgré son caractère réservé, elle dévoilait un excellent sens de la répartie.
L'intellectualisme, on peut l'appréhender lorsque Thierry Ardisson lui a demandé quelle question elle lui poserait : elle lui a posé une question ...tellement compliquée que cela a rendu silencieux le bavard animateur (qui était donc sans réponse). À la question : si vous deviez refaire votre vie, elle a reconnu qu'elle prendrait en considération avec un peu plus de sérieux l'argent... tout en se disant pour sa vie en cours : « Je n'ai pas trop à me plaindre ! ». À la question : que vous dites-vous en vous regardant dans un miroir le matin ?, elle a répondu : « Je me regarde, mais je ne mets pas mes lunettes ! ». La dernière fois qu'elle a pleuré (le sujet est encore d'une actualité très brûlante) : elle a vu deux mois auparavant un reportage sur des enfants palestiniens et des enfants israéliens qui jouaient ensemble... puis quand ils sont rentrés chez eux, ils se disaient que peut-être, quand ils seraient grands, ils seraient amenés à s'entre-tuer.
Mais la plus belle démonstration de son esprit de répartie, c'était à la question : s'il vous restait vingt-quatre heures à vivre, vous feriez quoi pendant ces vingt-quatre heures ? Elle a répondu avec un éclat de rire et sans hésiter : « Je pars à Honolulu parce que je gagne un jour ! ». Hélas, ce mardi matin, les vols pour Honolulu étaient complets. RIP.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (18 juin 2024)
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Pour aller plus loin :
Anouk Aimée.
Marceline Loridan-Ivens.
Édouard Baer.
Françoise Hardy.
Charles Aznavour.
Alain Souchon.
Patrick Bruel.
Frédéric Mitterrand.
Fanny Ardant.
Alain Bashung.
Alain Chamfort.
Sophia Aram.
Plastic Bertrand.
Micheline Presle.
Sarah Bernhardt.
Jacques Tati.
Sandrine Bonnaire.
Shailene Woodley.
Gérard Jugnot.
Comment va Alain Delon ?
Alfred Hitchcock.
Brigitte Bardot.
Charlie Chaplin.
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https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/anouk-aimee-la-savoureuse-255310
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Françoise Hardy : Rendez-vous dans une autre vie...
« Pardon si je pars en catimini
Et sans préavis
Pardon pour ce soir, pour hier aussi
La pièce est finie »
(Françoise Hardy/François Maurin, 2012).
Tristesse et peut-être soulagement : ce mardi 11 juin 2024, dans la soirée, la nouvelle est tombée. Françoise Hardy s'est débarrassée de sa maladie, mais pas seulement. Icône des années 1960, star durable de la chanson française, elle avait beaucoup témoigné ces dernières années pour raconter ses souffrances et sa maladie. Elle avait fêté ses 80 ans au début de l'année, il y a à peine cinq mois.
Elle n'aimait pas être une star, ni être sur scène, mais elle aimait chanter et elle nous a laissé de très nombreuses œuvres (79 albums en France, 43 musiques de film, etc., sans compter les albums pour l'étranger). Avec beaucoup de collaborations avec d'autres artistes comme Serge Gainsbourg ("Comment te dire adieu"), Michel Berger ("Message personnel"), Michel Jonasz ("J'écoute de la musique saoule"), Alain Souchon ("C'est bien moi"), Michel Fugain ("Tabou"), Louis Chedid ("Moi vouloir toi"), Jacques Dutronc ("Partir quand même"), Étienne Daho ("Laisse-moi rêver"), Julien Clerc ("Fais-moi une place"), etc. Une chanson comme "Partir quand même" est très belle, très douce, très nostalgique (elle allait devenir disque d'or en quelques semaines) ; elle m'avait souvent accompagné dans mes trajets nocturnes à une époque où je faisais beaucoup de route le week-end. En janvier 1982, Françoise Hardy disait : « J’ai toujours été la même, j’aime les belles chansons lentes sur fond de violons. Je n’aime que les chansons tristes. » ("Best" n°62, cité par Wikipédia).
Bien entendu, femme éclatante (de beauté en particulier), qui attirait tout le monde, jusqu'à Bob Dylan ! Jacques Dutronc fut son mari et Thomas Dutronc leur fils. Elle a eu un peu de chance pour ce qui allait devenir son "tube" très connu qui a marqué les années 1960, "Tous les garçons et les filles", car lors de la soirée électorale du référendum sur l'élection du Président de la République au suffrage universel direct, le dimanche 28 octobre 1962, soirée très suivie par les téléspectateurs sur l'unique chaîne de la future ORTF, entre deux intervenants politiques, la chanson a été diffusée en guise d'intermède, ce qui l'a rendue célèbre et populaire en quelques minutes. Le disque s'est vendu à plus d'un demi-million d'exemplaires à la fin de l'année. Merci De Gaulle !
Comme actrice, elle a également amorcé à ses débuts une carrière cinématographique qu'elle n'a pas poursuivie, sauf pour les bandes originales de films. Pour son œuvre musicale, elle a reçu de très nombreuses récompenses dont deux Victoires de la musique (en 1991 et 2005), le grand-prix du disque de l'Académie Charles-Cros en 1963, le grand-prix de la Sacem en 2000, la grande médaille de la chanson française de l'Académie française en 2006, etc.
L'Internet peut faire revivre ses principaux succès immédiatement.
Hommage, en quinze déclinaisons.
1. "Tous les garçons et les filles" (1962)
2. "Comment te dire adieu" (1968)
3. "Parlez-moi de lui" (1968)
4. "Message personnel" (1973)
5. "Les Paradis perdus" (duo avec Christophe, sur Europe 1 le 21 septembre 1974)
6. "Chanson sur toi et nous" (1977)
7. "J'écoute de la musique saoule" (1978)
8. "C'est bien moi" (1982)
9. "Tabou" (1982)
10. "Moi vouloir toi" (1983)
11. "V.I.P." (1986)
12. "Partir quand même" (1988)
13. "Laisse-moi rêver" (1988)
14. "Fais-moi une place" (1989)
15. "Rendez-vous dans une autre vie" (2012
« Partir quand même
pendant qu'il dort
pendant qu'il rêve
et qu'il est temps encore
partir quand même
au moment fort
briser les chaînes
qui me lient à son sort
vont faire de moi un poids mort
un objet du décor »
(Françoise Hardy/Jacques Dutronc, 1988).
Sylvain Rakotoarison (11 juin 2024)
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Pour aller plus loin :
Un calvaire.
Françoise Hardy.
Charles Aznavour.
Alain Souchon.
Patrick Bruel.
Eden Golan.
ABBA.
Toomaj Salehi.
Sophia Aram.
Fanny Ardant.
Alain Bashung.
Alain Chamfort.
Micheline Presle.
Plastic Bertrand.
Jacques Dutronc.
Guy Marchand.
Maria Callas.
Catherine Deneuve.
Gérard Depardieu.
Stéphanie de Monaco.
Jane Birkin.
Fernand Raynaud.
Marcel Zanini.
Patricia Kaas.
Kim Wilde.
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https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/francoise-hardy-rendez-vous-dans-255170
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Claudia Sheinbaum, première femme élue Présidente du Mexique
« Je veux être reconnue comme la Présidente de l'éducation, des énergies renouvelables et des femmes ! » (Claudia Sheinbaum, discours de campagne).
Le Mexique, officiellement les États-Unis mexicains, paraît un pays encore plus rationalisé institutionnellement que les États-Unis (d'Amérique). Ce dimanche 2 juin 2024, les plus de 98 millions d'électeurs mexicains devaient élire à la fois leur Président des États-Unis mexicains, pour un mandat de six ans (non renouvelable), leurs 500 députés pour un mandat de trois ans, leurs 128 sénateurs pour un mandat de six ans, ainsi qu'un quart des gouverneurs des États, les députés locaux (équivalents chez nous aux conseillers régionaux), et aussi leurs maires.
Le Mexique est un grand pays, il compte un peu moins de 130 millions d'habitants, classé à la onzième position mondiale (dépassé par l'Éthiopie il y a quelques années). Il constitue un pays très étendu, de près de 2 millions de kilomètres carrés (quatorzième dans le classement mondial), et l'une des plaies du pays est l'insécurité. Aux précédentes élections fédérales du 1er juillet 2018, il y a eu pendant la campagne électorale au moins 145 assassinats, dont 48 de candidats. Au moins une personne a été assassinée pour ces élections-ci.
Favorite dans les sondages, Claudia Sheinbaum a été élue Présidente des États-Unis mexicains avec 58,6% des voix dans les premières estimations portant sur près de 73% des bureaux de vote (son score est donné dans la fourchette entre 58 et 60%). Elle succédera le 1er octobre 2024 à Andres Manuel Lopez Obrador issu du même parti qu'elle, le MORENA, mouvement social se situant au centre gauche.
À bientôt 62 ans dans quelques jours (elle est née à Mexico), elle sera donc la première femme à bientôt occuper la magistrature suprême au Mexique. Ce n'est évidemment pas son seul programme ni son seul CV. Elle est d'abord une scientifique, physicienne, spécialiste de l'énergie et en tant que telle, climatologue, faisant partie du fameux groupe d'experts internationaux appelé GIEC de 2007 à 2013 (le GIEC a reçu le Prix Nobel de la Paix 2007). Les plus fins observateurs (je plaisante) remarqueront que son nom n'est guère mexicain. Normal ! Fille d'un chimiste et d'une biologiste, elle fait partie d'une famille de réfugiés : ses grands-parents étaient juifs et ont fui les persécutions antisémites de Bulgarie et de Lituanie dans les années 1920.
Spécialiste du génie énergétique, elle a obtenu un doctorat en sciences de l'environnement et a fait une période postdoctorale dans un laboratoire universitaire en Californie. Elle a travaillé par la suite à la mairie de Mexico avec le maire Andres Manuel Lopez Obrador, maire de Mexico du 5 décembre 2000 au 29 juillet 2005, qui a démissionné pour se présenter à l'élection présidentielle du 2 juillet 2006 (il échoua également à l'élection du 1er juillet 2012 et fut élu à la suivante, celle du 1er juillet 2018). Les deux responsables partageaient leur appartenance au Parti de la révolution démocratique (PRD). Andres Manuel Lopez Obrador a créé ensuite le MORENA (Mouvement de regénération nationale) en 2012 et la future Présidente l'a rejoint deux ans plus tard.
Claudia Sheinbaum a été élue maire de Mexico le 1er juillet 2018 et a exercé ce mandat du 5 décembre 2018 au 16 juin 2023, date à laquelle elle a démissionné pour se consacrer pleinement à sa campagne pour l'élection présidentielle du 2 juin 2024. Parmi les plus de sa gestion municipale, l'écologie et le social, développement des transports en commun, aide aux plus démunis, ainsi que la sécurité, baisse de moitié des homicides, mais le gros moins fut l'accident du métro de Mexico du 3 mai 2021 (effondrement d'un pont et déraillement d'une rame) qui a coûté la vie à au moins 26 personnes et en a blessé environ 80 autres. L'enquête est toujours en cours. Parmi les moins de son parti au pouvoir pendant cette période, il faut aussi évoquer les très nombreuses victimes de la crise du covid-19 avec plus de 200 000 personnes mortes du covid-19 entre 2020 et 2022.
Forte d'une belle popularité à Mexico, elle a bataillé ferme pour se faire élire le 6 septembre 2023 à la primaire de la gauche unie rassemblant son parti, le parti des travailleurs et le parti écologiste (elle avait cinq concurrents). Parmi les mesures qu'elle a prônées durant sa campagne, elle a mis la violence contre les femmes comme une priorité, la solidarité nationale également pour les plus démunis, la protection de l'environnement (contre des intérêts industriels), et la légalisation de l'avortement dans un pays fortement catholique.
Dans la compétition présidentielle, Claudia Sheinbaum a eu pour adversaire Xochitl Galvez, femme d'affaires, ancien maire de Miguel Hidalgo et ancienne sénatrice, candidate d'une coalition regroupant les partis traditionnellement au pouvoir (PRI, Parti révolutionnaire institutionnel ; PAN, Parti action nationale et PRD, voir plus haut), qui obtiendrait 28,4% et le candidat du Mouvement citoyen, centre gauche, Jorge Alvarez Maynez qui obtiendrait 10,5% des voix, toujours selon les mêmes estimations. Les écarts sont suffisamment larges pour que l'identité du vainqueur ne fasse aucun doute.
Ce qui est notable, c'est que le programme de Xochitl Galvez, soutenue par l'élite conservatrice, était très modéré et la candidate s'était engagée à ne pas remettre en cause la politique sociale d'Andres Manuel Lopez Obrador. Cité par "Libération" du 7 septembre 2023 (au lendemain de la primaire), le politologue Carlos A. Perez Ricart a considéré que, même avant le scrutin, c'était déjà une grande victoire du Président sortant (qui n'a pas le droit de se représenter et qui jouit d'une forte popularité d'environ 60% d'opinions favorables) : « La candidature de Xochitl Galvez est l’une des grandes victoires de Lopez Obrador. Le curseur s’est tellement déplacé vers la gauche que la candidate de droite se comporte comme si elle était presque de gauche. ».
Quant aux élections législatives, sur près de 75% de bureaux de vote dépouillés, son parti MORENA obtiendrait 40,4% des voix, menant une coalition totalisant près de 53,6% des voix selon ces premières estimations. Quant au Sénat, le rapport de forces est du même ordre. Cela signifie que Claudia Sheinbaum pourra bénéficier d'un parlement de même bord qu'elle, ce qui, dans un régime présidentiel, est très important (on le voit aussi aux États-Unis).
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (03 juin 2024)
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Pour aller plus loin :
Claudia Sheinbaum.
L'empereur Maximilien du Mexique.
Augustin Carsten, candidat à la direction générale du FMI en juin 2011.
Mort de Francisco Blake Mora en novembre 2011.
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https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/claudia-sheinbaum-premiere-femme-254990
http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/06/03/article-sr-20240602-claudia-sheinbaum.html
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Édouard Baer mis en accusation dans un rôle non voulu
« Vous vous rendez compte qu'il y a douze sujets en un là, il y a douze prises de parole différentes, il y a des scandales. Tout est différent. Il y a des saloperies, il y a des malentendus… Je pense que c'est les médias qui réunissent tout ça dans une grande cause d'époque. » (Édouard Baer, le 12 mai 2024 sur France 2).
Très déstabilisé, Édouard Baer répondait le dimanche 12 mai 2024 à cette question de Laurent Delahousse dans le journal de 20 heures de France 2 : « Est-ce que vous considérez que les hommes ne parlent pas assez, ne défendent pas assez ou n'expriment pas une sorte de mea culpa ? ». L'invité, venu pour promouvoir son nouveau spectacle "Ma candidature", n'était pas n'importe qui.
En effet, Édouard Baer, à 57 ans, est l'un des acteurs les plus "bankables" de France, comme on dit. Acteur, réalisateur de cinéma, metteur en scène de théâtre, animateur et producteur de télévision et de radio, on le voit et l'entend partout. Initié à la comédie par la savoureuse Isabelle Nanty, sa prof d'art dramatique au cours Florent, il a eu un parcours artistique très flatteur, couronné déjà par un Molière en 2001 (et deux nominations) et par trois nominations aux Césars.
Pourquoi l'acteur était-il si gêné de parler de MeToo à la veille du Festival de Cannes ? Peut-être parce qu'il avait été mis au courant qu'un article incendiaire allait être publié par Mediapart ce jeudi 23 mai 2024. L'article d'Amine Abdelli et Julia Tissier commence d'ailleurs par ce malaise au 20 heures : « Confus et visiblement mal à l’aise, le comédien fronce les sourcils, bafouille et s’embourbe. Lui, le pro de l’impro, apparaît soudainement déstabilisé. ».
Pas étonnant de bafouiller autant quand on sait qu'il va être mis sur le grill de la vindicte populaire par six femmes qui ont été contactées depuis plusieurs mois par Mediapart et qui, dans cet article, accusent Édouard Baer de harcèlement sexuel et d'agressions sexuelles. L'article précise : « Elles livrent le récit de faits de harcèlement et d’agressions sexuelles sur une période s’étalant de 2013 à 2021 (…), majoritairement dans des contextes professionnels », à savoir son bureau parisien, quand il est au théâtre, ou dans les stations de radio, quand il est animateur, c'est-à-dire à Radio Nova puis à France Inter.
Le journal "Le Monde", qui en rend compte avec l'AFP, explique : « Selon l’une de ces femmes, Édouard Baer aurait pris son "sein gauche avec sa main" dans un ascenseur. Une autre l’accuse de lui avoir touché "les seins à plusieurs reprises", de l’avoir "prise par la taille" et d’avoir "posé sa main sur [s]es fesses". "Il essaie de m’embrasser dans le cou et sur la bouche. Je le repousse", selon les propos rapportés d’une autre. Certaines évoquent des sollicitations répétées, des compliments insistants sur leur physique. L’une explique ne pas avoir porté plainte car elle a pensé que ce serait "sa parole contre la [s]ienne". ».
Aucune de ces six femmes, âgées d'une vingtaine d'années au moment des faits et qui ont voulu rester anonymes dans leur témoignage, n'a déposé plainte (à ce jour). J'ajoute que dans l'entourage d'une des radios, l'information n'était pas connue même sous forme de rumeur et certains ont été étonnés de l'apprendre.
Comme est étonné Édouard Baer lui-même qui a rapidement publié, en réponse à l'article, un communiqué d'incompréhension mais aussi d'excuses : « C’est avec stupeur et une grande tristesse que je découvre les témoignages que vous me rapportez. Je ne me reconnais pas dans les mots ou les gestes qui me sont attribués, mais je ne peux qu’exprimer mes regrets que mon comportement ait mis mal à l’aise ou blessé ces femmes. Je n’ai pas eu l’intelligence de le percevoir. J’en suis profondément désolé. Je n’ai jamais cherché à les heurter intentionnellement. Je leur présente toutes mes excuses. ».
Si on résume grossièrement le message, c'est ceci : j'ai été assez lourd dans mon approche, aucune ne m'a dit que j'allais trop loin et je m'en veux de ne pas l'avoir vu moi-même, désolé. Dans ce genre d'affaire, on peut supposer que les deux parties, les six femmes, d'un côté, et l'acteur, de l'autre côté, sont complètement sincères. Il faut aussi comprendre qu'Édouard Baer est une grande star qui a fasciné ces six femmes qui ont à peine commencé leur vie active. On peut imaginer qu'il leur était difficile, sans être dotée une personnalité très forte, de rejeter les éventuels gestes déplacés.
La réponse rapide et finalement assez humble (présentant ses excuses) d'Édouard Baer plaide plutôt en sa faveur, ou du moins, pour sa sincérité. Il ne nie pas les éventuels faits sans les reconnaître précisément car il y a plusieurs faits, et la réponse reste assez floue. Ce n'est pas comme Gérard Depardieu ou même comme Patrick Poivre d'Arvor qui, à ma connaissance (sous réserve que je ne me trompe pas, je ne suis peut-être pas en possession d'informations plus récentes), ne reconnaissaient pas les faits et surtout, ne présentaient pas leurs excuses à leurs (nombreuses) accusatrices.
Évidemment, un vieil article de la journaliste Josyane Savigneau publié le 5 novembre 2016 dans "Le Monde" revient en pleine figure d'Édouard Baer. À l'origine, la journaliste voulait faire la promotion de l'acteur redevenu animateur à Radio Nova, responsable de la matinale depuis le 10 octobre 2016. Mais elle s'est sentie très mal accueillie à son arrivée à 6 heures 45 un jour d'octobre 2016, « victime des humeurs du présentateur vedette », si bien qu'elle a exprimé sa colère : « D’emblée il est odieux. Furieux qu’on ait osé désobéir, il aurait exigé qu’on ne vienne qu’à 7h30, il insiste haut et fort : il n’a rien demandé, on a omis de le prévenir, on lui pourrit la vie, on va lui faire rater son émission, qu’on dégage. Avec plaisir. Dans une vie de journaliste, il arrive parfois que l’on rencontre, c’est fatal, des gens désagréables. À ce point d’arrogance et de mépris, c’est plus que rare. Morale de l’histoire : quand on remplace les journalistes par des stars, on s’expose à ce genre de caprices. ».
Ce qui n'a pas empêché la journaliste d'en dire aussi du bien (il faut dire que Matthieu Pigasse, actionnaire du "Monde", venait de racheter Radio Nova) : « On retrouve avec plaisir la voix de Baer, son ton décalé, ses improvisations bienvenues, son accueil chaleureux des participants. ». Et de terminer sur l'avis du nouveau patron : « Matthieu Pigasse se félicite de la réussite de la matinale et de l’idée de Bernard Zekri de faire appel à Édouard Baer, "tant Nova et Édouard se correspondent : les 3 C, Culture, Curiosité d’esprit, Carrefour d’échanges". "Elle incarne ce que nous voulons être et faire, précise-t-il : refuser le repli sur soi, être ouverts à tous, donner du sens et s’engager par la culture". ». Édouard Baer a quitté Radio Nova pour France Inter en 2018 (jusqu'en 2022, il me semble).
Pour l'heure, Édouard Baer, qui avait un spectacle à Romans-sur-Isère le vendredi 24 mai 2024 à 20 heures (au théâtre des Cordeliers), l'a maintenu. Le problème qu'il n'y ait pas de dépôt de plainte, c'est de transférer cette affaire du tribunal correctionnel au tribunal médiatique, avec tous les excès que cela peut entraîner, notamment dans les réseaux (a)sociaux. Comme je ne sais que penser des accusatrices sincères et d'un supposé prédateur sexuel qui s'ignorerait et qui affirme que ce n'est pas du tout lui, et n'étant pas juge, je ne peux faire aucun commentaire de soutien aux unes ou à l'autre.
En revanche, ce problème récurrent depuis quelques années (MeToo date de 2018) où des femmes (en général) accusent (parfois plusieurs décennies après les faits) une personnalité (généralement très connue) dans des milieux bien définis (cinéma, sports, médias audiovisuels, etc.) de divers faits allant du simple geste déplacé (voire maladroit) jusqu'au crime (le viol), en passant par des agressions sexuelles ou du harcèlement sexuel (qui sont des délits), est souvent insoluble quand il n'y a aucune preuve (car il faut que la victime prouve l'absence de consentement, ce qui est très difficile). Alors, c'est parole contre parole, et un juge, si cela arrive à la suite du dépôt d'une plainte, ne pourra pas condamner si le doute persiste (principe général du droit). D'un côté, il faut écouter les victimes, les femmes, ou du moins qu'elles soient écoutées, de l'autre, il ne faut pas détruire la réputation d'une personne qui serait injustement accusée (dans l'affaire d'Outreau, une personne injustement accusée s'est même suicidée). C'est du tout ou rien. Ou salaud, ou salopes, en quelque sorte.
Un livre explique très bien ce problème. Il s'agit d'un roman d'une ancienne procureure américaine qui a fait non seulement des études de droit mais avant, des études de psychologie et qui s'est recyclée dans l'écriture de romans à succès. Alafair Burke a en effet publié en 2018 un très bon roman "Un Couple irréprochable" (en anglais "The Wife"), dont le sujet principal est cette accusation contre une personnalité médiatique.
L'histoire est celle-ci, et racontée selon le point de vue de l'épouse (mère au foyer) d'un économiste qui, au-delà de donner des cours d'économie à l'université, a écrit un livre devenu best-seller, ce qui lui a donné gloire, fortune et notoriété (il a créé un cabinet de conseil en entreprises et il est invité très fréquemment à la télévision pour donner son avis). Et son expertise, c'est l'éthique dans les entreprises, et sa parole est d'or car il fait et défait des réputations d'entreprises auprès de leurs investisseurs. (L'homme accusé est un parangon de l'éthique, comme Édouard Baer considéré ouvert, sympa).
Et puis soudain, une stagiaire l'accuse de gestes déplacés en déposant plainte. Plus tard, une autre femme avec qui il est en contact sur le plan professionnel l'accuse carrément de viol. L'affaire est suivie par une inspectrice de police spécialisée dans ce domaine (l'Unité spéciale des victimes). Il y a aussi la réaction du procureur adjoint qui ne veut poursuivre que lorsqu'il y a de fortes suspicions de culpabilité, d'autant plus que ce prévenu serait une personnalité célèbre. Comme l'auteure du roman est une spécialiste du droit, cela permet aussi de voir comment fonctionne la justice et la police (ici américaines) dans les coulisses face à une telle affaire. Interviennent aussi dans l'histoire une animatrice de télévision féministe (et amie de l'accusé), une avocate exigeante, etc.
L'inspectrice, parce qu'elle est féministe, veut aller au plus profond des détails pour pincer l'éventuel auteur d'agressions sexuelles voire de viols. Elle admet d'ailleurs que pour la victime, il vaut mieux être violée de façon violente en pleine rue que subir des attouchements sexuels par des personnes familières dans un lieu privé, parce que ce sera beaucoup plus facile à prouver.
La première des réactions, dans ce genre d'affaire (agression sexuelle voire viol), c'est de se focaliser sur la victime et pas sur le prédateur présumé. Et de trouver des éléments chez la victime que son infortune était la conséquence de sa vie et cela, pour se dire qu'on n'est pas comme la victime et donc, que ça ne peut pas arriver à soi : « N'est-ce pas dans la nature humaine que de toujours rejeter la faute sur la victime ? ».
Et pourtant, parfois, les victimes ne disent pas exactement la vérité : « Impossible pour [les policiers] d'affirmer que les victimes ne racontent jamais toute la vérité, parce que cela reviendrait à les traiter de menteuses. Or, elles ne mentent pas, elles tentent de se protéger. Se préparent à affronter le scepticisme. Anticipent déjà toutes les attaques à venir, se forgent un bouclier. ».
L'animatrice de télévision donne aussi les différentes étapes dans ce genre d'affaire : « La première réaction de l'opinion publique, c'est toujours de jeter le discrédit sur la femme, parce que la société ne veut pas admettre que de telles horreurs se produisent. Alors, en réaction, les féministes convaincues ont décrété qu'il fallait croire toutes les femmes, chaque fois. ».
Féministe, l'animatrice est d'accord avec cette réaction : « C'est vrai, a-t-elle admis, je suis toujours la première à défendre les femmes dans les cas d'agression sexuelle où tout repose sur la parole de l'un contre celle de l'autre. Parce que, dans quatre-vingt-dix-neuf pour cent des cas, elles disent la vérité, et que c'est une terrible épreuve pour elles d'en parler. Elles se retrouvent jugées, stigmatisées, blâmées, critiquées. ».
Et dans une affaire de viol, cela retombe toujours sur la même question : « Quelles que soient les allégations de cette fille, ce sera sa parole contre celle de [l'accusé]. Or l'accusation a besoin d'éléments concrets. Et même s'il peut s'appuyer sur l'ADN, le procureur doit démontrer que la relation n'était pas consentie. ».
Mais justement, des petits détails peuvent faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre pour la police. Ainsi, dans ce roman, la policière va voir de façon informelle l'accusé qui ne sait pas encore qu'il est aussi accusé de viol par une seconde femme (il est juste accusé de harcèlement sexuel par une première femme). La policière lui demande alors s'il a eu des relations sexuelles avec cette seconde femme et ce dernier, au lieu de refuser de répondre sans son avocat, fait l'erreur de dire qu'il n'a pas eu de relations sexuelles, sans savoir que la seconde femme avait gardé intacte sa robe avec des traces de lui. Avoir des relations sexuelles ne confirme pas forcément le viol, car ces relations peuvent être consenties, mais mentir sur la réalité des rapports sexuels (même pour éviter d'en informer son épouse), c'est jeter un discrédit sur tout ce qu'il va affirmer.
A contrario, la policière garde aussi des détails sur l'accusatrice qui lui demande une heure avant de passer chez elle, le temps de faire un peu de ménage : « [La policière] venait déjà de découvrir quelque chose à propos de [l'accusatrice] : c'était le genre de personne qui pensait à remettre de l'ordre chez elle avant de recevoir un policier pour dénoncer des actes de harcèlement sexuel. En soi, ça ne signifiait rien, pourtant [l'inspectrice] remisa soigneusement ce détail dans un coin de sa tête, parce qu'elle aimait à penser que rien ne lui échappait. ».
Bref, ce roman est très intéressant pour comprendre la mécanique des accusations, des défenses et des jugements. Plus rien de mal ne doit rester impuni. Mais reste à se mettre d'accord sur ce qui est mal, sur ce qui est un mauvais comportement, un comportement inapproprié. L'homme est décidément détrôné, dans cette société qui se transforme à vive allure.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (25 mai 2024)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
"Un Couple irréprochable" (2018) d'Alafair Burke.
Édouard Baer.
Lucien Neuwirth.
Le vote des femmes en France.
Femmes, je vous aime !
Ni claque ni fessée aux enfants, ni violences conjugales !
Violences conjugales : le massacre des femmes continue.
L'IVG dans la Constitution (3) : Emmanuel Macron en fait-il trop ?
Discours du Président Emmanuel Macron le 8 mars 2024, place Vendôme à Paris, sur l'IVG (texte intégral et vidéo).
L'IVG dans la Constitution (2) : haute tenue !
L'IVG dans la Constitution (1) : l'émotion en Congrès.
La convocation du Parlement en Congrès pour l'IVG.
L'inscription de l'IVG dans la Constitution ?
Simone Veil, l’avortement, hier et aujourd’hui…
L’avortement et Simone Veil.
Le fœtus est-il une personne à part entière ?
Le mariage pour tous, 10 ans plus tard.
Rapport 2023 de SOS Homophobie (à télécharger).
Six ans plus tard.
Mariage lesbien à Nancy.
Mariage posthume, mariage "nécrophile" ? et pourquoi pas entre homosexuels ?
Mariage annulé : le scandaleux jugement en faveur de la virginité des jeunes mariées.
Ciel gris sur les mariages.
Les 20 ans du PACS.
Ces gens-là.
L’homosexualité, une maladie occidentale ?
Le coming out d’une star de la culture.
Transgenres adolescentes en Suède : la génération sacrifiée.
PMA : la levée de l’anonymat du donneur.
La PMA pour toutes les femmes.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240523-edouard-baer.html
https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/edouard-baer-mis-en-accusation-254809
http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/05/26/article-sr-20240523-edouard-baer.html
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Marie-France Garaud et une certaine idée de la France
« Nous sommes dans la situation où nous devons discuter les termes d'une nouvelle alliance dont la base serait une entente sur ce qui est essentiel, c'est-à-dire, la défense du monde libre, la défense des valeurs dans lesquelles nous croyons, qui nous sommes supérieures et que nous sommes chargés de défendre. » (Marie-France Garaud, le 15 avril 1981).
On apprend que Marie-France Garaud vient de s'éteindre ce mercredi 22 mai 2024. Elle avait eu 90 ans il y a près de trois mois, et sa santé était déclinante depuis quelques années. Il est difficile d'évoquer son souvenir dans l'histoire politique de notre pays car je ressens un double sentiment contradictoire : j'ai énormément de respect pour elle, son intelligence, son audace, son courage, sa ténacité et son désintéressement, mais il faut convenir que je n'ai pas du tout les mêmes convictions. Certes, l'amour de la France et vouloir sa grandeur nous unissaient, mais pour savoir quoi faire pour préserver la grandeur de la France, nous n'avions à l'évidence pas les mêmes options.
Elle, elle prônait l'idéalisme dans une sorte de mythe gaulliste qui n'a jamais eu lieu. C'était du Zemmour puissance dix. Ce n'était pas : dans les années 1970, c'était mieux ! Car la Marie-France, elle ne supportait plus le RPR et le Jacques Chirac qui l'avait quittée honteusement pour préférer l'ambition aux convictions, selon elle. Elle, c'était peut-être les (fausses) images d'Épinal de De Gaulle en juin 1940, ou encore en septembre 1958, invoquant et incarnant la France. Elle était contre la globalisation, mais dire cela est assez inefficace sur que faire. C'est comme se dire contre la maladie, contre la guerre, contre les mauvaises choses qui nous arrivent. (Et pourtant, Marie-France Garaud n'est venue au gaullisme que tardivement car, séduite par Pierre Mendès France, elle avait voté non le 28 septembre 1958 au référendum sur la Cinquième République, et son zèle prétendu ultragaulliste venait qu'elle était une convertie récente).
La globalisations des échanges (personnes et biens) est pour moi une chance pour la culture, pour l'économie, pour l'innovation, pour la curiosité intellectuelle, mais dans tous les cas, qu'on la veuille ou pas, elle est là, et personne ne peut l'empêcher d'être. Ou alors, il ne resterait qu'une solution, devenir un pays replié sur lui-même, il n'y en pas plus beaucoup, peut-être la Corée du Nord (et encore !).
Et puis, il y a une autre réaction, celle de dire : la France n'est plus une puissance mondiale de premier ordre, c'est ainsi, c'est dommage, c'est regrettable mais à 70 millions d'habitants, on ne vaut pas grand-chose face au milliard d'habitants de l'Inde et de la Chine ou aux centaines de millions des États-Unis. Le seul moyen de maintenir une influence dans le monde, de préserver notre puissance nationale, c'est de changer d'échelle, de construire l'Europe avec un bloc de près de 500 millions d'habitants. L'Europe, c'est du pragmatisme, adopté dès son retour au pouvoir par De Gaulle lui-même qui a appliqué les premières années du Traité de Rome (il aurait pu le mettre à la poubelle). Emmanuel Macron est dans cette continuation de vouloir garder la France au top niveau, d'en faire un pays attractif pour ses investissements, son innovation, sa culture. Refuser la compétition internationale, c'est renoncer au combat, c'est admettre sans combattre que la France ne vaut plus rien, n'est plus capable d'être une puissance. Ce n'est pas une réaction de patriote.
Alors, oui, Marie-France Garaud s'est fourvoyée, à mon sens, dans une sorte de nostalgie de grandeurs impossibles. Quand elle a voté pour Marine Le Pen en 2017, elle l'a fait, selon elle, pour refuser que les Allemands nous dictent leur loi. Au lieu de quoi, en votant pour Marine Le Pen, elle préférait que ce fussent les Russes qui nous dictent leur loi.
Et pourtant, ce n'était pas faute d'être méfiante avec la Russie. Lorsqu'elle a été candidate à l'élection présidentielle de 1981, son allocution pour la campagne officielle était très claire, le 15 avril 1981 : « Ce soir (…), je veux vous parler de quelque chose qui sans doute est plus difficile mais qui me paraît dominer le reste. Parce que, je crois qu'il faut bien s'en rendre compte, nous sommes confrontés à un défi qui nous est imposé par une puissance étrangère, qui est l'Union Soviétique. Ce défi est fantastique. C'est le défi du communisme. Il met en cause notre liberté en tant qu'êtres humains et en tant que Français. Saurons-nous le relever ? De la réponse à cette question dépendent toutes les autres. Selon que nous serons libres ou pas, nous pourrons décider de notre avenir, nous pourrons décider des moyens et des politiques que nous voulons adopter, ou nous ne le pourrons pas. ».
Elle n'avait pas vu venir l'écroulement comme un château de cartes de l'URSS en 1989-1991. Mais elle avait vu juste sur l'annexion inacceptable (c'étaient ses mots) de l'Afghanistan par l'URSS : « [Les Soviétiques] se sont réarmés, ils ont envahi l'Afghanistan et ils ont avancé dans deux directions qu'ils ont très clairement définies : le Golfe pour nous priver du pétrole et l'Afrique par Libye et Cuba interposés, pour nous priver des matières premières. ».
Elle a ainsi reproché à Valéry Giscard d'Estaing d'être allé à Varsovie le 19 mai 1980 rencontrer Brejnev : « Ce qui s'est dit à Varsovie, mais ça n'a aucune espèce d'importance. Ce qui est versé dans les archives que nous pourrons lire dans trente ans, n'a aucun intérêt. Le fait politique, ce n'est pas le contenu de la conversation. C'est le fait d'aller à Varsovie. C'est le fait qu'après une invasion déclarée inacceptable, le chef d'État d'un des pays champions de la liberté se rende dans une démocratie populaire, rendre visite à l'agresseur sous la garde des autorités militaires soviétiques. Ça, c'est un fait qui a une double signification. D'une part, nous nous sommes désolidarisés d'avec le monde libre, et d'autre part, nous avons accepté ce que nous avions déclaré inacceptable. ».
Et de décrire ce que finalement Emmanuel Macron a fait à propos de l'Ukraine en faisant jouer les rapports de forces : « Il aurait fallu réunir autour de nous nos alliés (…). Il aurait été notre devoir de leur donner force, courage et unité pour que le monde libre puisse parler d'une seule voix, et dire ce qui était permis et ce qui était défendu, et que ce qui était défendu serait sanctionné. (…) Vous savez, non seulement la politique est une question de relations de forces, mais lorsqu'on est dans une situation de force, même relative, comme celle que je viens d'évoquer, il faut l'exploiter. C'est cela la vie politique, comme la vie tout court. ». C'était en effet sa conception de la vie politique.
Conseillère des coups tordus de Georges Pompidou, à Matignon puis à l'Élysée, puis de Jacques Chirac jusqu'à ce qu'il l'ait "répudiée" en 1979, Marie-France Garaud s'est en effet présentée à l'élection présidentielle de 1981. Comme neuf candidats sur dix, elle a fait du "Giscard bashing" (le mot n'existait pas encore dans la tête des journalistes), ce qui était assez normal pour un Président de la République sortant : « Comment ne comprend-il pas que si je critique sa politique étrangère, ce n'est pas pour abaisser la France. Au contraire, c'est parce que je pense que la politique qu'il mène conduit à un abaissement de notre pays. Oh, je ne dis pas du tout qu'il l'ait voulu ni qu'il l'ait souhaité, ni même qu'il l'ait consenti. Je pense qu'il est plein de bonnes intentions, mais je pense qu'il s'est trompé. Et je pense qu'il s'est trompé par orgueil. Il s'est cru plus intelligent que les autres, et en particulier, plus intelligent que les autres chefs d'État. Il s'est fait des illusions. Il s'est fait des illusions sur la détente. Il s'est fait des illusions sur l'Europe. Il s'est fait des illusions sur le Tiers-monde. ».
On peut pourtant constater, avec quarante-trois ans de recul, que Valéry Giscard d'Estaing, au contraire, avait vu juste, en proposant l'élection au suffrage universel direct du Parlement Européen (elle-même a été candidate !), en proposant que les chefs d'État et de gouvernement se réunissent régulièrement en Conseils Européens, en proposant la création du G7 pour tenter d'harmoniser une politique monétaire mondiale qui nous était jusque-là très défavorable.
On a l'impression que les opposants à Emmanuel Macron recopient presque mots pour mots l'amertume au venin de Marie-France Garaud dont le combat contre le communisme est devenu le combat contre l'Europe, sans voir aucune contradiction que son seul mandat électif était d'être élue députée européenne en 1999 sur la liste improbable de Charles Pasqua et Philippe de Villiers.
Au-delà de sa puissance d'analyse hors du commun (malheureusement mal utilisée) et de sa ténacité (je l'ai vue à l'œuvre il y a moins d'une dizaine d'années encore discuter avec des souverainistes dans un couloir et sa passion restait intacte malgré l'âge), Marie-France Garaud, une grande amie de Simone Veil, était aussi une femme politique moderne. En fait moins politique que femme. Si elle, la haute-fonctionnaire, à la Cour des Comptes puis au Conseil d'État, n'a pas été au pouvoir, comme ministre, c'était parce qu'elle ne le voulait pas (justement, VGE le lui avait proposé en 1974), elle préférait rester dans les coulisses au service d'un candidat. Elle ne se voyait pas, pour paraphraser Charles Aznavour, en haut de l'affiche, en dix fois plus gros que n'importe qui... car elle préférait conseiller, influencer à exercer le pouvoir (du reste, c'était aussi la personnalité de Jean Monnet).
Mais quand elle a perdu son candidat, elle n'a pas hésité à se présenter elle-même à l'élection présidentielle (à l'époque, c'était très rare, Arlette Laguiller l'avait fait avant elle en 1974 et Huguette Bouchardeau l'a fait en même temps qu'elle en 1981), et elle l'a fait très bien, avec autorité et crédibilité (elle a quand même obtenu 1,3% sur tout le pays), surtout, sans faire prévaloir sa féminité comme cela a été le cas dans les années 2000. Il faut dire que, malin, François Mitterrand (qui n'était pas encore élu), a aidé Marie-France Garaud à recueillir les 500 parrainages nécessaires (Jean-Marie Le Pen n'a pas pu atteindre cet objectif en 1981) afin de renforcer la division des voix dans le camp du centre droit.
La voix de Marie-France Garaud s'était déjà un peu tue il y a quelques années et ses leçons de morale manquaient déjà à la classe politique. La grande dame vient de partir sur la pointe des pieds. Elle entre maintenant dans le grand livre d'histoire de France, celui des petites histoire comme celui de la grande histoire.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (23 mai 2024)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Marie-France Garaud.
Marie-la-France.
Texte intégral de l’Appel de Cochin communiqué par Jacques Chirac le 6 décembre 1978.
Souverainiste sous venin.
De Gaulle.
Jean Foyer.
Simone Veil.
Georges Pompidou.
Jacques Chaban-Delmas.
Jacques Chirac.
Pierre Messmer.
Valéry Giscard d’Estaing.
Pierre Juillet.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240522-marie-france-garaud.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/marie-france-garaud-et-une-254807
http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/05/23/article-sr-20240522-marie-france-garaud.html -
La mort d'Ebrahim Raïssi, le boucher de Téhéran, confirmée
« Il sera difficile de trouver pire qu'Ebrahim Raïssi. » (Tamir Hayman, le 20 mai 2024, "Jerusalem Post").
Il n'y a pas de justice dans l'histoire du monde et la succession plus ou moins chaotique des événements. Pour autant, la mort confirmée ce lundi 20 mai 2024 du Président de la République islamique d'Iran Ebrahim Raïssi (63 ans), considéré comme un ultra-dur du régime théocratique et surnommé le boucher de Téhéran, ne fera pas pleurer tous ceux qui, en Iran, ont été ses victimes depuis plus de trente-cinq ans.
Donné comme le successeur potentiel de l'ayatollah Ali Khamenei (qui vient d'avoir 85 ans le 19 avril dernier), Guide Suprême de la Révolution islamique depuis le 4 mai 1989 (succédant à Rouhollah Khomeini) et à ce titre, le véritable maître de l'Iran, Ebrahim Raïssi, Président de la République depuis le 3 août 2021, avait été l'un des juges les plus cruels à partir de 1985 comme procureur adjoint de Téhéran, condamnant à mort à tour de bras les opposants au régime en 1988. Depuis son arrivée au pouvoir, le régime s'était durci, multipliant condamnations à mort et exécutions, renforçant la chasse aux femmes refusant de se voiler en intensifiant l'action de la police des mœurs, et menant aussi un programme d'enrichissement de l'uranium qui a de quoi inquiéter l'ensemble de la planète.
L'annonce de la mort d'Ebrahim Raïssi s'est faite en deux temps. Le 19 mai 2024, on a annoncé la disparition de l'hélicoptère présidentiel en raison d'un « incident d'atterrissage brutal ». Les conditions météorologiques auraient empêché de localiser rapidement l'appareil (la zone est une forêt sous pluie et brouillard). Le 20 mai 2024, l'épave de l'hélicoptère a été identifiée et la mort d'Ebrahim Raïssi confirmée. Il était accompagné dans son infortune fatale de huit autres personnes dont Hossein Amir Adbollahian (60 ans), le Ministre iranien des Affaires étrangères, Malek Rahmati (42 ans), le nouveau gouverneur de la province de l'Azerbaïdjan oriental (en Iran), Mohammad Ali Ale-Hashem, le représentant du guide suprême dans cette province, ainsi que deux gardes du corps et trois membres d'équipages, qui, eux non plus, n'ont pas survécu à l'accident (certains corps, toutefois, brûlés, n'ont pas pu être identifiés).
Ebrahim Raïssi venait de quitter son homologue Ilham Aliyev, Président de la République d'Azerbaïdjan depuis le 31 octobre 2003, rencontré le 19 mai 2024 à la frontière entre les deux pays, près de Djolfa. Peu avant, les deux chefs d'État avaient inauguré le nouveau barrage hydroélectrique de Qiz Qalasi, en Azerbaïdjan. L'hélicoptère présidentiel devait se rendre à Tabriz, la capitale de la province iranienne d'Azerbaïdjan oriental. Il se serait écrasé près de la mine de cuivre de Sungun ou dans la forêt de Dizmar, entre Ozi et Khoineroud.
Alors que, dans la nuit du 19 au 20 mai 2024, le guide suprême a recommandé au peuple de prier pour la santé d'Ebrahim Raïssi, ce furent souvent, au contraire, des explosions de joie qui ont accueilli l'annonce de l'accident et de la mort probable de ce Président sanguinaire. En particulier, des feux d'artifice ont été lancés pour se réjouir de cette information à Saqqez, la ville de la jeune étudiante d'origine kurde Jina Mahsa Amini, tuée à près de 22 ans le 16 septembre 2022 par la police des mœurs alors qu'elle avait été arrêtée pour « port de vêtements inappropriés ». Le Président Emmanuel Macron a d'ailleurs rencontré Ebrahim Raïssi le 20 septembre 2022, en marge de l'Assemblée Générale de l'ONU, pour déplorer cette mort et évoquer le programme nucléaire iranien.
Considéré comme le dauphin d'Ali Khamenei, Ebrahim Raïssi a été élu Président de la République islamique d'Iran le 18 juin 2021 pour succéder à Hassan Rohani, qui ne pouvait plus se représenter. Aucun candidat réformiste n'ayant été autorisé à se présenter (pour éviter l'échec de l'élection précédente), Ebrahim Raïssi, sans surprise, a été élu dès le premier tour avec 72,4% des voix, mais avec une très faible participation (seulement 48,8% des inscrits). Ebrahim Raïssi avait effectivement déjà présenté sa candidature à l'élection présidentielle du 19 mai 2017, mais il avait été battu avec 38,3% des voix dès le premier tour par le Président sortant Hassan Rohani 57,1% (avec 73,3% de participation).
Lors de l'élection en 2021, Amnesty International avait réclamé une enquête sur Ebrahim Raïssi pour crimes contre l'humanité pour avoir pris part à l'exécution massive et à la disparition de plusieurs milliers d'opposants en 1988, parfois hors de toute procédure judiciaire.
Soutien indéfectible de Vladimir Poutine dans sa tentative d'invasion contre l'Ukraine, Ebrahim Raïssi a attaqué directement l'État d'Israël par l'envoi de plus de 330 drones et missiles dans la nuit du 13 au 14 avril 2024, en riposte au bombardement du consulat iranien à Damas par Israël qui a tué le général iranien Mohammad Reza Zahedi, l'un des principaux organisateurs du massacre du 7 octobre 2023 par les terroristes du Hamas. Le Président iranien a également intensifié son soutien au Hamas, au Hezbollah au Liban ainsi qu'au mouvement Houthi au Yémen.
Le Premier Vice-Président Mohammad Mokhber (68 ans) succède donc à Ebrahim Raïssi pour assurer l'intérim et organiser dans les cinquante jours une nouvelle élection présidentielle. Avec cette mort, les conservateurs sont en crise, et "The Economist" voit dans celle-ci l'occasion pour Ali Khamenei de désigner son propre fils Mojtaba Khamenei comme successeur. Le prochain guide suprême devrait être formellement désigné par les 88 membres de l'Assemblée des experts élus en mars 2024 (ou leurs successeurs).
Le "Jerusalem Post" a cité, le 20 mai 2024, l'ancien chef du renseignement de Tsahal, Tamir Hayman, pour qui « il sera difficile de trouver pire qu'Ebrahim Raïssi » pour lui succéder. Sa mort n'est donc pas sans importance politique en Iran puisqu'il devait aussi succéder au guide suprême. C'est donc pour le peuple iranien un véritable soulagement et il n'a pas hésité à exprimer sa joie. Les bourreaux n'ont jamais bonne presse... même à titre posthume.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (20 mai 2024)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Ebrahim Raïssi.
Khosro Besharat.
Mobilisons-nous pour Toomaj Salehi !
Fatwa de mort contre Salman Rushdie.
Alireza Akbari.
Mehran Karimi Nasseri.
Claude Malhuret contre la mollarchie.
Mahsa Amini, les femmes iraniennes, leur liberté et Claude Malhuret.
Révolution : du rêve républicain à l’enfer théocratique de Bani Sadr.
L'Iran de Bani Sadr.
De quoi fouetter un Shah (18 février 2009).
N’oubliez pas le Guide (20 février 2009).
Incompréhensions américaines (1) et (2).
Émission de France 3 "L’Iran et l’Occident" (17-18 février 2009).
Session de septembre 2006 à l’ONU : Bush, Ahmadinejad, Chirac.
Dennis Ross et les Iraniens.
Un émissaire français à Téhéran.
Gérard Araud.
Stanislas de Laboulaye.
Des opposants exécutés par pendaison en Iran.
Expulsion de Vakili Rad, assassin de Chapour Bakhtiar, dernier Premier Ministre du Shah d'Iran, par Brice Hortefeux à la suite du retour de l'étudiante Clotilde Reiss.
Mort de l'ancien Premier Ministre iranien Mohammad Reza Mahdavi-Kani à 83 ans le 21 octobre 2014.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240520-ebrahim-raissi.html
https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/la-mort-d-ebrahim-raissi-le-254757
http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/05/20/article-sr-20240520-ebrahim-raissi.html
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"Un Couple irréprochable" d'Alafair Burke
« Vous vous rendez compte qu'il y a douze sujets en un là, il y a douze prises de parole différentes, il y a des scandales. Tout est différent. Il y a des saloperies, il y a des malentendus… Je pense que c'est les médias qui réunissent tout ça dans une grande cause d'époque. » (Édouard Baer, le 12 mai 2024 sur France 2).
Très déstabilisé, Édouard Baer répondait le dimanche 12 mai 2024 à cette question de Laurent Delahousse dans le journal de 20 heures de France 2 : « Est-ce que vous considérez que les hommes ne parlent pas assez, ne défendent pas assez ou n'expriment pas une sorte de mea culpa ? ». L'invité, venu pour promouvoir son nouveau spectacle "Ma candidature", n'était pas n'importe qui.
En effet, Édouard Baer, à 57 ans, est l'un des acteurs les plus "bankables" de France, comme on dit. Acteur, réalisateur de cinéma, metteur en scène de théâtre, animateur et producteur de télévision et de radio, on le voit et l'entend partout. Initié à la comédie par la savoureuse Isabelle Nanty, sa prof d'art dramatique au cours Florent, il a eu un parcours artistique très flatteur, couronné déjà par un Molière en 2001 (et deux nominations) et par trois nominations aux Césars.
Pourquoi l'acteur était-il si gêné de parler de MeToo à la veille du Festival de Cannes ? Peut-être parce qu'il avait été mis au courant qu'un article incendiaire allait être publié par Mediapart ce jeudi 23 mai 2024. L'article d'Amine Abdelli et Julia Tissier commence d'ailleurs par ce malaise au 20 heures : « Confus et visiblement mal à l’aise, le comédien fronce les sourcils, bafouille et s’embourbe. Lui, le pro de l’impro, apparaît soudainement déstabilisé. ».
Pas étonnant de bafouiller autant quand on sait qu'il va être mis sur le grill de la vindicte populaire par six femmes qui ont été contactées depuis plusieurs mois par Mediapart et qui, dans cet article, accusent Édouard Baer de harcèlement sexuel et d'agressions sexuelles. L'article précise : « Elles livrent le récit de faits de harcèlement et d’agressions sexuelles sur une période s’étalant de 2013 à 2021 (…), majoritairement dans des contextes professionnels », à savoir son bureau parisien, quand il est au théâtre, ou dans les stations de radio, quand il est animateur, c'est-à-dire à Radio Nova puis à France Inter.
Le journal "Le Monde", qui en rend compte avec l'AFP, explique : « Selon l’une de ces femmes, Édouard Baer aurait pris son "sein gauche avec sa main" dans un ascenseur. Une autre l’accuse de lui avoir touché "les seins à plusieurs reprises", de l’avoir "prise par la taille" et d’avoir "posé sa main sur [s]es fesses". "Il essaie de m’embrasser dans le cou et sur la bouche. Je le repousse", selon les propos rapportés d’une autre. Certaines évoquent des sollicitations répétées, des compliments insistants sur leur physique. L’une explique ne pas avoir porté plainte car elle a pensé que ce serait "sa parole contre la [s]ienne". ».
Aucune de ces six femmes, âgées d'une vingtaine d'années au moment des faits et qui ont voulu rester anonymes dans leur témoignage, n'a déposé plainte (à ce jour). J'ajoute que dans l'entourage d'une des radios, l'information n'était pas connue même sous forme de rumeur et certains ont été étonnés de l'apprendre.
Comme est étonné Édouard Baer lui-même qui a rapidement publié, en réponse à l'article, un communiqué d'incompréhension mais aussi d'excuses : « C’est avec stupeur et une grande tristesse que je découvre les témoignages que vous me rapportez. Je ne me reconnais pas dans les mots ou les gestes qui me sont attribués, mais je ne peux qu’exprimer mes regrets que mon comportement ait mis mal à l’aise ou blessé ces femmes. Je n’ai pas eu l’intelligence de le percevoir. J’en suis profondément désolé. Je n’ai jamais cherché à les heurter intentionnellement. Je leur présente toutes mes excuses. ».
Si on résume grossièrement le message, c'est ceci : j'ai été assez lourd dans mon approche, aucune ne m'a dit que j'allais trop loin et je m'en veux de ne pas l'avoir vu moi-même, désolé. Dans ce genre d'affaire, on peut supposer que les deux parties, les six femmes, d'un côté, et l'acteur, de l'autre côté, sont complètement sincères. Il faut aussi comprendre qu'Édouard Baer est une grande star qui a fasciné ces six femmes qui ont à peine commencé leur vie active. On peut imaginer qu'il leur était difficile, sans être dotée une personnalité très forte, de rejeter les éventuels gestes déplacés.
La réponse rapide et finalement assez humble (présentant ses excuses) d'Édouard Baer plaide plutôt en sa faveur, ou du moins, pour sa sincérité. Il ne nie pas les éventuels faits sans les reconnaître précisément car il y a plusieurs faits, et la réponse reste assez floue. Ce n'est pas comme Gérard Depardieu ou même comme Patrick Poivre d'Arvor qui, à ma connaissance (sous réserve que je ne me trompe pas, je ne suis peut-être pas en possession d'informations plus récentes), ne reconnaissaient pas les faits et surtout, ne présentaient pas leurs excuses à leurs (nombreuses) accusatrices.
Évidemment, un vieil article de la journaliste Josyane Savigneau publié le 5 novembre 2016 dans "Le Monde" revient en pleine figure d'Édouard Baer. À l'origine, la journaliste voulait faire la promotion de l'acteur redevenu animateur à Radio Nova, responsable de la matinale depuis le 10 octobre 2016. Mais elle s'est sentie très mal accueillie à son arrivée à 6 heures 45 un jour d'octobre 2016, « victime des humeurs du présentateur vedette », si bien qu'elle a exprimé sa colère : « D’emblée il est odieux. Furieux qu’on ait osé désobéir, il aurait exigé qu’on ne vienne qu’à 7h30, il insiste haut et fort : il n’a rien demandé, on a omis de le prévenir, on lui pourrit la vie, on va lui faire rater son émission, qu’on dégage. Avec plaisir. Dans une vie de journaliste, il arrive parfois que l’on rencontre, c’est fatal, des gens désagréables. À ce point d’arrogance et de mépris, c’est plus que rare. Morale de l’histoire : quand on remplace les journalistes par des stars, on s’expose à ce genre de caprices. ».
Ce qui n'a pas empêché la journaliste d'en dire aussi du bien (il faut dire que Matthieu Pigasse, actionnaire du "Monde", venait de racheter Radio Nova) : « On retrouve avec plaisir la voix de Baer, son ton décalé, ses improvisations bienvenues, son accueil chaleureux des participants. ». Et de terminer sur l'avis du nouveau patron : « Matthieu Pigasse se félicite de la réussite de la matinale et de l’idée de Bernard Zekri de faire appel à Édouard Baer, "tant Nova et Édouard se correspondent : les 3 C, Culture, Curiosité d’esprit, Carrefour d’échanges". "Elle incarne ce que nous voulons être et faire, précise-t-il : refuser le repli sur soi, être ouverts à tous, donner du sens et s’engager par la culture". ». Édouard Baer a quitté Radio Nova pour France Inter en 2018 (jusqu'en 2022, il me semble).
Pour l'heure, Édouard Baer, qui avait un spectacle à Romans-sur-Isère le vendredi 24 mai 2024 à 20 heures (au théâtre des Cordeliers), l'a maintenu. Le problème qu'il n'y ait pas de dépôt de plainte, c'est de transférer cette affaire du tribunal correctionnel au tribunal médiatique, avec tous les excès que cela peut entraîner, notamment dans les réseaux (a)sociaux. Comme je ne sais que penser des accusatrices sincères et d'un supposé prédateur sexuel qui s'ignorerait et qui affirme que ce n'est pas du tout lui, et n'étant pas juge, je ne peux faire aucun commentaire de soutien aux unes ou à l'autre.
En revanche, ce problème récurrent depuis quelques années (MeToo date de 2018) où des femmes (en général) accusent (parfois plusieurs décennies après les faits) une personnalité (généralement très connue) dans des milieux bien définis (cinéma, sports, médias audiovisuels, etc.) de divers faits allant du simple geste déplacé (voire maladroit) jusqu'au crime (le viol), en passant par des agressions sexuelles ou du harcèlement sexuel (qui sont des délits), est souvent insoluble quand il n'y a aucune preuve (car il faut que la victime prouve l'absence de consentement, ce qui est très difficile). Alors, c'est parole contre parole, et un juge, si cela arrive à la suite du dépôt d'une plainte, ne pourra pas condamner si le doute persiste (principe général du droit). D'un côté, il faut écouter les victimes, les femmes, ou du moins qu'elles soient écoutées, de l'autre, il ne faut pas détruire la réputation d'une personne qui serait injustement accusée (dans l'affaire d'Outreau, une personne injustement accusée s'est même suicidée). C'est du tout ou rien. Ou salaud, ou salopes, en quelque sorte.
Un livre explique très bien ce problème. Il s'agit d'un roman d'une ancienne procureure américaine qui a fait non seulement des études de droit mais avant, des études de psychologie et qui s'est recyclée dans l'écriture de romans à succès. Alafair Burke a en effet publié en 2018 un très bon roman "Un Couple irréprochable" (en anglais "The Wife"), dont le sujet principal est cette accusation contre une personnalité médiatique.
L'histoire est celle-ci, et racontée selon le point de vue de l'épouse (mère au foyer) d'un économiste qui, au-delà de donner des cours d'économie à l'université, a écrit un livre devenu best-seller, ce qui lui a donné gloire, fortune et notoriété (il a créé un cabinet de conseil en entreprises et il est invité très fréquemment à la télévision pour donner son avis). Et son expertise, c'est l'éthique dans les entreprises, et sa parole est d'or car il fait et défait des réputations d'entreprises auprès de leurs investisseurs. (L'homme accusé est un parangon de l'éthique, comme Édouard Baer considéré ouvert, sympa).
Et puis soudain, une stagiaire l'accuse de gestes déplacés en déposant plainte. Plus tard, une autre femme avec qui il est en contact sur le plan professionnel l'accuse carrément de viol. L'affaire est suivie par une inspectrice de police spécialisée dans ce domaine (l'Unité spéciale des victimes). Il y a aussi la réaction du procureur adjoint qui ne veut poursuivre que lorsqu'il y a de fortes suspicions de culpabilité, d'autant plus que ce prévenu serait une personnalité célèbre. Comme l'auteure du roman est une spécialiste du droit, cela permet aussi de voir comment fonctionne la justice et la police (ici américaines) dans les coulisses face à une telle affaire. Interviennent aussi dans l'histoire une animatrice de télévision féministe (et amie de l'accusé), une avocate exigeante, etc.
L'inspectrice, parce qu'elle est féministe, veut aller au plus profond des détails pour pincer l'éventuel auteur d'agressions sexuelles voire de viols. Elle admet d'ailleurs que pour la victime, il vaut mieux être violée de façon violente en pleine rue que subir des attouchements sexuels par des personnes familières dans un lieu privé, parce que ce sera beaucoup plus facile à prouver.
La première des réactions, dans ce genre d'affaire (agression sexuelle voire viol), c'est de se focaliser sur la victime et pas sur le prédateur présumé. Et de trouver des éléments chez la victime que son infortune était la conséquence de sa vie et cela, pour se dire qu'on n'est pas comme la victime et donc, que ça ne peut pas arriver à soi : « N'est-ce pas dans la nature humaine que de toujours rejeter la faute sur la victime ? ».
Et pourtant, parfois, les victimes ne disent pas exactement la vérité : « Impossible pour [les policiers] d'affirmer que les victimes ne racontent jamais toute la vérité, parce que cela reviendrait à les traiter de menteuses. Or, elles ne mentent pas, elles tentent de se protéger. Se préparent à affronter le scepticisme. Anticipent déjà toutes les attaques à venir, se forgent un bouclier. ».
L'animatrice de télévision donne aussi les différentes étapes dans ce genre d'affaire : « La première réaction de l'opinion publique, c'est toujours de jeter le discrédit sur la femme, parce que la société ne veut pas admettre que de telles horreurs se produisent. Alors, en réaction, les féministes convaincues ont décrété qu'il fallait croire toutes les femmes, chaque fois. ».
Féministe, l'animatrice est d'accord avec cette réaction : « C'est vrai, a-t-elle admis, je suis toujours la première à défendre les femmes dans les cas d'agression sexuelle où tout repose sur la parole de l'un contre celle de l'autre. Parce que, dans quatre-vingt-dix-neuf pour cent des cas, elles disent la vérité, et que c'est une terrible épreuve pour elles d'en parler. Elles se retrouvent jugées, stigmatisées, blâmées, critiquées. ».
Et dans une affaire de viol, cela retombe toujours sur la même question : « Quelles que soient les allégations de cette fille, ce sera sa parole contre celle de [l'accusé]. Or l'accusation a besoin d'éléments concrets. Et même s'il peut s'appuyer sur l'ADN, le procureur doit démontrer que la relation n'était pas consentie. ».
Mais justement, des petits détails peuvent faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre pour la police. Ainsi, dans ce roman, la policière va voir de façon informelle l'accusé qui ne sait pas encore qu'il est aussi accusé de viol par une seconde femme (il est juste accusé de harcèlement sexuel par une première femme). La policière lui demande alors s'il a eu des relations sexuelles avec cette seconde femme et ce dernier, au lieu de refuser de répondre sans son avocat, fait l'erreur de dire qu'il n'a pas eu de relations sexuelles, sans savoir que la seconde femme avait gardé intacte sa robe avec des traces de lui. Avoir des relations sexuelles ne confirme pas forcément le viol, car ces relations peuvent être consenties, mais mentir sur la réalité des rapports sexuels (même pour éviter d'en informer son épouse), c'est jeter un discrédit sur tout ce qu'il va affirmer.
A contrario, la policière garde aussi des détails sur l'accusatrice qui lui demande une heure avant de passer chez elle, le temps de faire un peu de ménage : « [La policière] venait déjà de découvrir quelque chose à propos de [l'accusatrice] : c'était le genre de personne qui pensait à remettre de l'ordre chez elle avant de recevoir un policier pour dénoncer des actes de harcèlement sexuel. En soi, ça ne signifiait rien, pourtant [l'inspectrice] remisa soigneusement ce détail dans un coin de sa tête, parce qu'elle aimait à penser que rien ne lui échappait. ».
Bref, ce roman est très intéressant pour comprendre la mécanique des accusations, des défenses et des jugements. Plus rien de mal ne doit rester impuni. Mais reste à se mettre d'accord sur ce qui est mal, sur ce qui est un mauvais comportement, un comportement inapproprié. L'homme est décidément détrôné, dans cette société qui se transforme à vive allure.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (25 mai 2024)
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http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/05/27/article-sr-20240523-un-couple-irreprochable.html