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culture - Page 5

  • Alain Bombard : l'aventure, c'est l'aventure !

    « Naufragés des légendes, victimes raides et hâtives, je sais que vous n'êtes pas morts de la mer, que vous n'êtes pas morts de la faim, que vous n'êtes pas morts de la soif, car, ballottés sous le cri des mouettes, vous êtes morts d'épouvante. Ainsi ce fut bientôt pour moi une certitude : beaucoup de naufragés meurent bien avant que les conditions physiques ou physiologiques ne soient devenues, par elles-mêmes, mortelles. Comment combattre le désespoir, meurtrier plus efficace et plus rapide que n'importe quel facteur physique ? » (Alain Bombard, 1953).


     

     
     


    Le médecin et biologiste français Alain Bombard est né il y a 100 ans, le 27 octobre 1924, à Paris. Il est difficile de présenter Alain Bombard qui a aussi goûté à la vie politique avec l'arrivée au pouvoir de la gauche, parce qu'il fait partie des héros des temps modernes, de ces explorateurs de la mer qui ont apporté quelque chose au monde, notamment sur la capacité de survivre en pleine mer. Son intuition de départ, c'est que c'est d'abord l'esprit qui flanche quand le naufrage s'effondre. Avant le corps. Et il a tenté de le prouver.


    On pourrait dire comme La Palice qu'avant d'être vieux et de ressembler, avec sa barbichette, aux savants comme les représentaient Hergé dans Tintin voire Franquin dans Spirou ou Morris dans Lucky Luke, un look très représentatif avant même de voir ses cheveux blanchir, il était jeune. Et c'est bien le jeune, très jeune, avant les 30 ans, qui a fait l'exploit qui a marqué son époque et son destin.

    Et d'abord, un contexte, ses années d'études au lycée Henri-IV et à l'École alsacienne, puis à Saint-Brieuc. Pendant ses vacances en Bretagne, il a découvert sa passion de la voile, sur une plage fréquentée depuis des décennies par de grandes familles de scientifiques, Jean Perrin,
    Marie Curie, et il a connu Frédéric Joliot-Curie qui a été son moniteur de voile. Pour terminer ses études de médecine, il s'est installé à Boulogne-sur-Mer.

    Dans un livre autobiographique, il a raconté un événement déclencheur qui n'a pas été exactement ce qu'il a raconté, à savoir qu'au printemps 1951, il a dû s'occuper des corps de 43 marins morts dans le naufrage de leur chalutier. En fait, le naufrage aurait fait plutôt une dizaine de morts, mais qu'importe, les statistiques étaient monstrueuses : il y a 200 000 morts en mer chaque année, dont 50 000 dans des bateaux de sauvetage. Son objectif, c'était de trouver des moyens de survivre à un naufrage en pleine mer : résistance à la soif, à la faim, à la fatigue, à l'hypothermie, etc.. et surtout, au moral et à la dépression.


    Alain Bombard a traversé la Manche à la nage, ce qui relevait déjà d'un exploit sportif exceptionnel : il fallait beaucoup de préparation, s'enduire le corps de graisse pour résister au froid de la mer, etc. Cet événement a notamment permis à la romancière Marie Vareille d'écrire son excellent roman "Désenchantées" sorti en 2022 (éd. Charleston). À l'époque, cet exploit a été déterminant pour Alain Bombard qui a pu ainsi trouver des sponsors et financer son propre laboratoire intégré à l'Institut océanographique de Monaco. Il voulait montrer qu'on pouvait éviter la déshydratation en buvant de l'eau de mer et de l'eau de pluie, ainsi que se prémunir de la faim en mangeant des planctons.

    Petit rappel : les naufragés qui n'ont pas d'eau potable refusent généralement de boire l'eau de mer car elle est beaucoup trop salée ce qui flingue les reins et accélère la déshydratation du corps. Alain Bombard voulait montrer qu'en prenant une quantité raisonnable d'eau de mer (un demi-litre par jour), on pouvait survivre à un absence d'eau potable, mais cette ration était insuffisante et on devait quand même trouver de l'eau ailleurs, en pressant les poissons pêchés (sauf la raie) ou en récupérant l'eau de pluie (cet aspect essentiel de survie reste encore en débat, notamment sur l'eau présente dans les poissons).
     

     
     


    Après quelques traversées seul ou accompagné, Alain Bombard a effectué en solitaire la traversée de l'Atlantique. Son périple est allé de Tanger le 13 août 1952 à La Barbade le 23 décembre 1952 (avec une étape à Las Palmas le 19 octobre 1952), à bord de L'Hérétique, son petit Zodiac, se laissant dériver volontairement sans nourriture ni eau (avec seulement une voile, deux avirons, quelques instruments de navigation, un couteau et quelques livres) pendant cent treize jours pour montrer qu'on pouvait en survivre, mais il a bien cru qu'il allait en mourir. Il a perdu vingt-cinq kilogrammes et a été hospitalisé à son arrivée (il a fêté son 28e anniversaire seul en pleine mer). Il a survécu grâce au croisement avec un cargo qui lui a permis de prendre un repas et de corriger son orientation. Il a survécu aussi en pêchant des poissons, en attrapant des oiseaux, qu'il mangeait crûs faute de pouvoir les cuire, etc. Il relevait quotidiennement sa tension artérielle (les faibles tensions étant une alerte des moments de désespoir).
     

     
     


    Cette traversée a montré par l'exemple qu'on pouvait survivre en pleine mer sans rien avec de soi. Sa thèse, c'était que les naufragés mouraient plus de désespoir que de faim et de soif, ou, plus exactement, qu'ils mouraient d'abord de désespoir avant de mourir de faim et de soif. Il a raconté sa terrible traversée dans "Naufragé volontaire" sorti en 1953 (Éditions de Paris), premier des onze essais ou récits qu'il allait publier jusqu'à la fin de sa vie. Cela a inspiré, entre autres, le film "All Is Lost" de J. C. Chandor (sorti le 18 octobre 2013) avec pour seul acteur Robert Redford au dialogue très léger (inexistant : il est naufragé tout seul). Considéré comme un chef-d'œuvre, j'ai quand même trouvé ce film un peu ennuyeux !

    En tout cas, la notoriété d'Alain Bombard était faite, et il l'utilisa tant pour la construction d'équipements de navigation que pour des combats pour l'environnement et la protection de la mer, en particulier en 1963 contre le déversement des boues rouges dans la Méditerranée par une usine de Péchiney à Gardanne. Il a donc été parmi les premiers lanceurs d'alerte écologique à une époque où on ne s'en préoccupait pas vraiment.


    Alain Bombard a participé à la conception de radeaux de sauvetage dont la présence sur les embarcations était devenue obligatoire par la réglementation à partir des années 1950. Notamment, on l'appelle désormais par son nom, un Bombard, un radeau de sauvetage pneumatique à gonflage rapide conçu en 1972. Il a milité pour le caoutchouc au détriment du bois dont étaient constituées traditionnellement les chaloupes de sauvetage. Les travaux d'Alain Bombard ont toutefois provoqué un tragique drame accidentel le 3 octobre 1958 dans la baie d'Étel où le navigateur a profité d'une alerte météorologique de forte tempête pour justement tester son canot de sauvetage. Très rapidement, les sept occupants du canot ont été éjectés dans la mer, et le bateau chargé de les secourir a lui-même eu un accident et a chaviré, ce qui a fini par un bilan très lourd, neuf morts, dont quatre occupants du canots et cinq marins sauveteurs.

    L'enquête a mis hors de cause Alain Bombard dans la responsabilité de cet accident mais il en est toutefois ressorti un amer goût de faute. Cela l'a entraîné dans une dépression dans les années 1960 dont il est sorti grâce à sa rencontre avec l'entrepreneur Paul Ricard, fondateur du célèbre pastis et maire d'une commune du Var dans les années 1970, Signes, près du circuit de Castellet qu'il a contribué à financer et qui a pris son nom, et mécène d'Alain Bombard, Alain Colas et Éric Tabarly.

    Remis en état de travailler avec ce nouveau laboratoire financé par Paul Ricard, Alain Bombard a adhéré au PS dans sa lancée, en 1974, s'est fait élire conseiller général de Six-Fours-les-Plages (dans le Var) de 1979 à 1985 (pour un mandat de six ans), et, présent sur la liste du PS aux élections européennes de 1979, 1984 et 1989, il a été député européen de septembre 1981 à juillet 1994. Entre-temps, François Mitterrand l'a nommé Secrétaire d'État auprès du Ministre de l'Environnement dans le premier gouvernement de Pierre Mauroy du 22 mai 1981 au 23 juin 1981, mas il n'a pas été reconduit après les élections législatives de juin 1981 en raison de ses déclarations souhaitant l'interdiction de la chasse à courre. Il a donc fait partie de ces ministres météores, à l'instar de Jean-Jacques Servan-Schreiber en 1974 et de Léon Schwartzenberg en 1988, qui n'ont pas beaucoup duré pour la raison que fondamentalement, leur personnalité n'était pas compatible avec les responsabilités politiques qui imposent nécessairement d'avaler quelques couleuvres (Nicolas Hulot, c'est différent car il a avalé quelques couleuvres avant de démissionner).
     

     
     


    La vie d'Alain Bombard est très riche et déconcertante car son esprit a toujours été hors des sentiers battus. Médecin, il a pris la mer pour passion : « Nous devons quitter la Méditerranée pour rentrer dans quelque chose de beaucoup plus grand, qui me semble démesuré. L'Atlantique, cet océan qui a englouti un continent pour lui prendre son nom, que serait-ce pour lui de submerger notre frêle esquif ! » (1953).

    Dans "Au-delà de l'horizon" sorti en 1978 aux Presses de la Cité, le célèbre naufragé volontaire a expliqué en particulier ceci : « On me pose souvent la question : comment avez-vous fait pour traverser l'Atlantique, sur un bateau qui faisait quatre mètres cinquante de long ? C'est relativement simple. Sur un grand océan, deux vagues sont séparées par deux cents mètres, il y a deux cents mètres de longueur d'onde ; avec un petit bateau de quatre mètres cinquante, on épouse sans difficulté les différents reliefs de la mer. Tandis qu'un navire de cent mètres de long aura l'avant dans le creux, le cul sur le sommet de la vague, et c'est ce qui provoque roulis et tangage qui mettent à mal les gros bateaux. D'où l'idée orgueilleuse des hommes née au XVIe et XVIIe siècles : "construisons des navires incoulables, des navires qui ne feront jamais naufrage". Tous, sauf un, seront vaincus par ma mer... ».

    Alain Bombard était également passionné par la musique au point d'envisager de devenir compositeur ou chef d'orchestre : « J’ai un grand besoin de ressentir la filiation des œuvres les unes avec les autres. Pour moi, il n’y a pas de rupture entre cette petite phrase pensive dans L’Estro Armonico de Vivaldi, et cette grande pensée triste de Beethoven dans son quatuor à cordes n°10. Il y a une continuité… » avait-il confié sur France Musique en 1980. Il était l'ami d'Igor Stravinsky, de Fernandel, de physiciens, de vendeurs d'alcool, de François Mitterrand, etc., bref, de personnalités de domaines et d'univers très différents. Volontiers cabotin, il était conteur ; il adorait depuis toujours raconter de belles histoires, au risque de les embellir. En somme, Bombard et Bobard, il n'y a qu'un m qui sépare ces mots, celui d'aimer l'aventure, les aventures.

    Homme de médias depuis les années 1950, Alain Bombard a participé à de nombreuses émissions de radio et de télévision, en particulier l'émission "Radioscopie" produite par Jacques Chancel le 5 mai 1980 sur France Inter. Alain Bombard est mort à Toulon il y a un peu moins de vingt ans, le 19 juillet 2005 à l'âge de 80 ans, inscrit depuis longtemps dans tous les livres d'histoire comme une légende de la navigation en mer.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (26 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Alain Bombard.
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    Le génie olympique français !
    Festivité !
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    Fête de l'Europe, joies et fiertés françaises.
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    Éric Tabarly.

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    Bernard Tapie.
    Kylian Mbappé.
    Pierre Mazeaud.
    Usain Bolt.

     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241027-alain-bombard.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/sports/article/alain-bombard-l-aventure-c-est-l-256736

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/25/article-sr-20241027-alain-bombard.html




     

  • 5 euros pour visiter Notre-Dame de Paris ?

    « Et je vous le dis ce soir avec force, nous sommes ce peuple de bâtisseurs. Nous avons tant à reconstruire. Alors oui, nous rebâtirons la cathédrale Notre-Dame plus belle encore, et je veux que cela soit achevé d’ici cinq années. Nous le pouvons, et là aussi, nous mobiliserons. Après le temps de l’épreuve viendra celui de la réflexion, puis celui de l’action, mais ne les mélangeons pas. » (Emmanuel Macron, allocution télévisée du 16 avril 2019).


     

     
     


    Pari tenu ! Au lendemain de l'incendie qui a détruit une grande partie de Notre-Dame de Paris, le Président de la République Emmanuel Macron avait donné un délai très court et audacieux pour tout rebâtir. La cathédrale restaurée sera en principe inaugurée en grandes pompes le 7 décembre 2024. La flèche a été reconstruite et redevenue visible le 19 février 2024, et les huit cloches réinstallées le 12 septembre 2024. La réouverture au grand public de la cathédrale monumentale dans six semaines, après sa fermeture et restauration depuis cinq ans, attise bien des convoitises.

    Dans l'interview accordée à Claire Bommelaer et Yves Thréard pour "Le Figaro" du 23 octobre 2024, la Ministre de la Culture Rachida Dati, également chef de l'opposition municipale à la Ville de Paris, a jeté un pavé dans la mare avec cette proposition de rendre payante l'entrée de la cathédrale Notre-Dame de Paris, l'un des joyaux de Paris et de la France : « Faire payer l'entrée de Notre-Dame sauverait toutes les églises de France. ». Son premier objectif étant d'en discuter, elle l'a largement atteint en provoquant la polémique (ce qui a de triste dans ce genre de sujet, c'est que tout le monde a son avis, les uns pour, les autres contre, et ça conduit à faire un monde clivé à un moment où nous aurions bien besoin de rassemblement). Le second objectif, celui de tous les ministres, à savoir trouver des sous, c'est moins sûr de l'atteindre !

    Tout est bon pour rassembler des sous, évidemment. Mais attention ! À mon sens, cette proposition est assez inquiétante de l'état de la société actuelle et plus encore de l'état de la classe politique qui semble être en perte de valeurs fondamentales.

    Rappelons d'abord les arguments de la ministre et les avantages d'une telle proposition, puis insistons sur sa difficile mise en œuvre et enfin, expliquons pourquoi cela me paraît complètement scandaleux.

    L'argument principal de Rachida Dati, c'est de dégager 75 millions d'euros par an pour restaurer les églises, parfois petites, de France. Sur les 50 000 lieux de culte catholiques que compte la France, 5 000 sont dans un état très grave qui nécessite une restauration pour ne pas mettre en danger ses visiteurs. Avant 2019, il y avait 12 millions de visiteurs de Notre-Dame chaque année. Rachida Dati voudrait ainsi faire porter le chapeau à ces visiteurs de la cathédrale de Paris pour sauver les églises de tout le territoire français, à la fois l'idée d'apporter des fonds et l'idée aussi d'une solidarité territoriale : « Avec 5 euros seulement par visiteur, on récolterait 75 millions d’euros par an. Ainsi, Notre-Dame de Paris sauverait toutes les églises de Paris et de France (…) Ce serait un magnifique symbole. ».

    Soyons clairs, 5 euros, c'est vrai, c'est symbolique, avec probablement l'exonération pour les enfants (pour une famille nombreuse, ça peut monter très vite pour le porte-monnaie). D'où mon problème avec la calcul de la ministre : 5 x 12 millions moins les enfants (admettons un enfant pour trois adultes), je ne trouve que 45 millions d'euros et pas 75, mais je me tais, sinon, le tarif va augmenter ! Qu'importe, l'idée à discuter pour moi est plus de faire payer que de savoir combien. Il faudrait 700 millions d'euros pour restaurer les 5 000 églises vétustes, en dix ou quinze ans, ou vingt ans, ce programme serait totalement financé : intéressant donc, pour les responsables de la conservation du patrimoine. Rappelons aussi que le loto du patrimoine (organisé par Stéphane Bern) apporte chaque année entre 25 et 30 millions d'euros, soit 118 projets de restauration (de monuments historiques, pas seulement des édifices religieux).

    Après tout, le principe de l'usager payeur est meilleur que le principe du tout gratuit pour les services publics, par exemple, pour les transports en commun. Qui dit gratuits dit en fait payants pour les contribuables, y compris les non usagers. C'est vrai pour les écoles (ceux qui n'ont pas d'enfants les financent aussi), mais il s'agit de solidarité comme de payer la sécurité sociale lorsqu'on n'est pas malade (le coût d'une maladie étant monstrueux). Mais dans l'exemple de la cathédrale, ce principe s'entrechoque avec le principe de la laïcité et de la neutralité de l'État.

    "À cause" de la liberté du culte, seuls les visiteurs, c'est-à-dire les touristes devraient payer, et pas les fidèles, ceux qui voudraient venir prier ou assister aux messes. Déjà, rien que cette dernière phrase est bancale tant d'un point de vue théorique (inégalité face à la taxe, qu'en dit la Constitution ?) que d'un point de vue pratique (comment faire la différence ?). Et puis, je me regarde moi : j'ai visité des milliers d'églises pendant mes voyages à travers la France, et chaque fois, je m'y suis recueilli, mais aussi, je m'y suis cultivé, j'ai parfois admiré un beau vitrail, ou un autre truc. D'ailleurs, une des rares fois où je suis entré à Notre-Dame de Paris, il y avait une messe à laquelle je n'allais pas assister, prenant résolument ma casquette de touriste (bien que francilien). De toute façon, c'est tellement bruyant Notre-Dame qu'il est bien difficile de se recueillir en silence. Mais ce bruit est aussi joyeux, une église, ça vit, c'est l'animation du village. L'église est toujours vivante, par définition.

    Rachida Dati a pris aussi exemple sur l'étranger : « Partout en Europe, l’accès aux édifices religieux les plus remarquables est payant. J’ai proposé à l’archevêque de Paris une idée simple : mettre en place un tarif symbolique pour toutes les visites touristiques de Notre-Dame et consacrer totalement cet argent à un grand plan de sauvegarde du patrimoine religieux. ».


    Le partout est exagéré, mais c'est vrai en partie. Pour visiter la Sagrada Familia, c'est 26 euros l'entrée (qui vaut le coût !), l'Abbaye du Mont-Saint-Michel, c'est 13 euros, l'Abbaye de Westminster, c'est 36 euros (selon le cours de la livre sterling). J'ai payé aussi pour entrer à la cathédrale de Cracovie, celle de Jean-Paul II. Et en France, même si l'entrée est gratuite, certaines visites sont payantes : les dômes, les tours, les cryptes, les baptistères, les salles du trésor, etc. sont parfois à entrée payante. En revanche, les plus belles églises, celles de Rome, sont gratuites.

    Entre parenthèses, la Ministre de la Culture a mis aussi sur le chantier l'idée de faire payer plus cher les touristes hors Union Européenne que les autres : « Est-il par exemple normal qu’un visiteur français paie son entrée au Louvre le même prix qu’un visiteur brésilien ou chinois ? (…) [Les] Français n’ont pas vocation à payer tout, tout seuls. (…) C’est une vraie rupture dans la politique tarifaire de nos établissements culturels. Nous sommes en train d’y travailler, pour une mise en place au 1er janvier 2026. ». Remarquons que la Russie a déjà adopté depuis longtemps cette politique tarifaire : les Russes paient beaucoup moins cher leurs musées que les étrangers. Mais revenons à Notre-Dame.

    Dans cette controverse, la position est relativement simple : les croyants sont scandalisés par l'idée de faire payer l'entrée dans une cathédrale, car cela entrave la liberté du culte et empêche les plus pauvres à aller à Notre-Dame ; ceux qui ne sont pas croyants, n'y voient que les vieilles pierres et trouvent logique de faire payer comme on fait payer pour entrer dans n'importe quel monument "païen". En somme, la question est de savoir si Notre-Dame de Paris est un monument, auquel cas elle s'insère dans le patrimoine de la France sous la responsabilité du Ministère de la Culture, ou si Notre-Dame de Paris est une cathédrale, lieu de culte par excellence des catholiques français, auquel cas elle doit être en libre service et sa gestion dépend du ministère du culte, à savoir le Ministère de l'Intérieur. J'aimerais donc connaître l'avis de
    Bruno Retailleau sur le sujet. Mgr Michel Aupetit, l'ancien archevêque de Paris, avait en effet bien rappelé la destination de Notre-Dame juste après son incendie : « C’est un lieu de culte qui doit être rendu au culte. Notre-Dame n’est pas un musée. ». Cela a le mérite de la clarté.

    La mise en pratique de proposition de Rachida Dati est en outre très difficile car comment seront choisies les églises à restaurer une fois que les sommes seront acquises ? Où ira l'argent ? Comment sera-t-il géré et avec quels frais de gestion ? La journaliste spécialiste du Vatican Caroline Pigozzi est très pessimiste sur la manière de gérer ce nouvel argent. Pour Alexandre Giuglaris, directeur général de la Fondation du Patrimoine, au contraire, ce n'est pas un problème. La Fondation du Patrimoine est prêt à s'en occuper et elle est même très alléchée par la proposition, car, évidemment, elle ne s'occupe que du matériel et pas du spirituel. Elle gère déjà l'argent obtenu par le loto du patrimoine.

    En tant que croyant, je serais très choqué de voir un péage à l'entrée d'une église et plus encore d'une cathédrale. Déjà, la différence avec il y a trente ans, c'est que les églises sont souvent fermées car faute de bonnes âmes de permanence, elles ne peuvent plus rester ouvertes sans surveillance à cause des vols (ce qui n'était pas le cas dans mon jeune temps). J'ai déjà eu ce sentiment quand je voulais visiter la cathédrale de Brou, à l'entrée de Bourg-en-Bresse, dont l'entrée est payante (mais justement, l'église ou plus précisément l'abbatiale n'est plus consacrée et cet ensemble est un musée et pas un édifice religieux même s'il l'a été).


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    La reconstruction de Notre-Dame de Paris n'a pas eu de problème de fonds : les nombreux dons, en particulier des familles les plus riches de France, ont permis de rassembler près de 900 millions d'euros (selon les promesses de 2019, je ne sais pas si cette somme a été effectivement recueillie : selon certaines sources, 840 millions d'euros auraient été collectées et le coût des travaux auraient été de 700 millions d'euros, d'où un surplus de 140 millions d'euros qui va servir à... ?). Ce grave incendie a montré que les Français (les plus riches) pouvaient rapidement mobiliser beaucoup d'argent quand le cœur leur parlait. Inciter aux dons et ne pas taxer, ne pas imposer, c'est peut-être la clef du problème. On critique les niches fiscales mais celle qui permet d'avoir moins d'impôts parce qu'on donne à des associations caritatives ou d'intérêt public me paraît une bonne niche fiscale, peut-être faudrait-il en inventer une spécifiquement pour les dons destinés à restaurer le patrimoine religieux de la France ?

    Cette collecte de dons (au final bénéficiaire) montre aussi que faire payer l'entrée de Notre-Dame alors que sa reconstruction a été totalement financée par des dons serait une grosse arnaque intellectuelle. Pour ne pas être trop polémique, la destination du surplus de 140 millions d'euros a fait beaucoup réfléchir au sommet de l'État et le Président de la République a choisi de ne pas les consacrer à la restauration d'autres églises (car ce n'était pas la destination de ces dons) et cette somme resterait toujours consacrée à l'entretien de Notre-Dame de Paris, hors travaux dus à l'incendie.


    C'est cela qui est important : Jésus-Christ avait viré les marchands du temple et on voudrait les y réinstaller ? On payait déjà pour monter dans les tours, et il va y avoir un musée de Notre-Dame qui sera naturellement payant. Faire payer un lieu de culte est d'ailleurs contraire à l'article 17 de notre loi si chérie du 9 décembre 1905 : « La visite des édifices et l'exposition des objets mobiliers classés seront publiques : elles ne pourront donner lieu à aucune taxe ni redevance. » (ce qu'a rappelé avec pertinence sur Twitter un internaute bien documenté).
     

     
     


    Le débat de rendre payante l'entrée de Notre-Dame de Paris semble de toute façon mort-né car l'État doit impliquer une institution essentielle, le diocèse de Paris, qui a déjà réagi ainsi le 24 octobre 2024 : « Nous souhaitons rappeler la position inchangée de l'Église catholique en France s'agissant de la gratuité du droit d'entrée dans les églises et les cathédrales. ».

    Cette gratuité est la garantie à tout le monde de pouvoir visiter la cathédrale. Et même si le visiteur n'est pas croyant, se moque de prier ou d'assister à une messe, le simple fait d'entrer dans la cathédrale, de s'y imprégner, d'admirer son architecture, sa lumière, son atmosphère, est déjà un rapprochement vers Dieu, que le visiteur le veuille ou pas. Lui mettre la barrière de l'argent signifierait que le Dieu honoré dans la cathédrale serait l'argent. Je sais que dans certains pays étrangers, on fait payer (il me semble, pas en Allemagne, mais quand on est croyant, on paie dans ses impôts l'équivalent du denier du culte à la religion déclarée).

    L'État a voulu confisquer les biens de l'Église avec sa loi de séparation des Églises et de l'État, et aujourd'hui, il n'est pas capable d'assumer l'entretien de ce patrimoine volé. Il faut savoir ce qu'on veut. La loi du 9 décembre 1905 s'est montrée pertinente et moderne car elle rend l'État impartial et neutre. C'est une façon de voir très rare (nos voisins s'en étonnent régulièrement), mais il faut l'assumer jusqu'au bout. Et surtout, voulue pour l'Église catholique, elle anticipait les liens entre l'islam et la République. En quelque sorte, en instaurant un péage à l'entrée de la cathédrale de Paris (d'abord symbolique, puis on l'augmenterait et on l'étendrait aux autres cathédrales, aux autres églises et chapelles de France), on remettrait en cause cette loi du 9 décembre 1905, du moins son esprit (car on peut toujours trouver un arrangement juridique), qui nous est, nous Français, si précieuse et si irrévocable pour donner des arguments face aux partisans de l'islamisation à outrance de la société.

    C'est donc philosophiquement, politiquement et surtout spirituellement que la proposition de Rachida Dati me paraît scandaleuse. Et cela n'empêche pas de faire des dons, même minimes de 5 euros, pour aider à la restauration des édifices religieux. Mais dans le seul cadre de la générosité "volontaire". Il y a trente-cinq ans environ, j'avais envoyé un don, très faible (je ne sais plus combien mais peu, et c'était en francs) pour la construction de la seule cathédrale du XXe siècle en France,
    celle d'Évry. Non seulement j'étais fier d'avoir participé (très modestement) à cette très belle cathédrale, mais j'avais en plus reçu un authentique brevet de bâtisseur de cathédrale ! (que j'ai perdu depuis longtemps). Bref, arrêtons de taxer encore et encore les Français !

    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (24 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    5 euros pour visiter Notre-Dame de Paris ?
    Jean-Louis Georgelin.
    Eugène Viollet-le-Duc.
    Notre-Dame de Paris : la flèche ne sera pas remplacée par une pyramide !
    La Renaissance de Notre-Dame de Paris : humour et polémiques autour d’une cathédrale.
    Allocution du Président Emmanuel Macron du 16 avril 2019 (texte intégral).
    Notre-Dame de Paris, double symbole identitaire.
    Maurice Bellet, cruauté et tendresse.

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    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241023-notre-dame-de-paris.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/5-euros-pour-visiter-notre-dame-de-257351

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/24/article-sr-20241023-notre-dame-de-paris.html




     

  • Astérix, Obélix et Idéfix partent à la retraite...

    « Deux fous géniaux ont inventé cet univers qui, depuis soixante-cinq ans, réjouit toujours petits et grands. » (Anne Goscinny, le 22 octobre 2024 à Paris).


     

     
     


    Mine de rien, Astérix n'est plus ce qu'il était, le jeune gaillard trentenaire plein de dynamisme. Aujourd'hui encore, il est un peu aidé par la potion magique du druide Panoramix, mais à l'évidence, le guerrier gaulois qui était plein de vigueur dans la quarantaine d'albums de bande dessinée qu'il a illustrés et égayés pour le plaisir de centaines de millions d'humains (400 millions d'exemplaires pour les locuteurs de 117 langues et dialectes !), n'est plus tout jeune.

    C'est vrai que des commères comme cette brave Bonemine, la femme du chef, laissaient entendre que le guerrier préféré du village ne faisait pas son âge, qu'il était plus âgé qu'on ne le disait, peut-être quadragénaire (mon Dieu !). On le sait maintenant, sans avoir besoin de carbone 14, Astérix va fêter son 65e anniversaire ce mardi 29 octobre 2024. Son ami Obélix et leur chien Idéfix aussi, bien sûr (chapeau pour le toutou). Le 29 octobre 1959, c'est en effet la date de l'acte de baptême de la célèbre revue "Pilote" (le registre de l'état-civil de l'époque).

    À cet âge-là, il est normal de partir à la retraite. Direction, l'EHPAD ! Lequel ? Eh bien, le Musée Grévin, pardi ! Le directeur Yves Delhommeau a ainsi accueilli les trois nouveaux pensionnaires ce mardi 22 octobre 2024 dans une salle prestigieuse du Musée Grévin, à Paris. C'était bien sûr l'occasion d'une petite cérémonie.
     

     
     


    Pour l'occasion, les deux demi-sœurs de ces héros gaulois sont venues à leur rencontre. Sylvie Uderzo, fille du dessinariste Albert Uderzo, et Anne Goscinny, fille du sénateur René Goscinny (s'il l'avait voulu, il serait au Sénat à Rome, le chef), sont venues remercier Stéphane Barret, le sculpteur de la maison pour ces six mois de travail intensif. Une scène avec nos amis dessinés dans la forêt armoricaine et, pendouillant en-dessous d'une branche, un soldat romain en mauvais état, un peu sonné... à deux pas de la chanteuse américaine Beyoncé dont l'aura risque fort de rendre jalouse la belle Falbala.

    Nos amis ont retrouvé quelques collègues venus aussi se reposer au Musée Grévin : on les a vus ainsi papoter avec le
    Petit Prince, le Petit Nicolas (du même Goscinny et de Sempé), Titeuf, les Lapins crétins, Scrat de la série "L'Âge de glace", et quelques autres.
     

     
     


    Anne Goscinny était très heureuse pendant cette inauguration : « On est très très heureuses de constater que ces personnages sont résolument immortels et pérennes, et ont trouvé le place ici, dans ce lieu tellement emblématique et de la France et de Paris aussi, avec à peu près 900 000 visiteurs par an. C'est quand même colossal. Et l'idée qu'Astérix et Obélix soient entourés de toutes les stars, en fait, stars parmi les stars, moi, je suis très fière. ». Quant à Sylvie Uderzo, c'est vraiment sa famille : « Nous, ce sont nos frères de papier. Donc, on n'a pas de souci avec ça. Ils sont dans nos vies depuis tellement longtemps. Donc, on est heureuses et en plus, ils sont plutôt sympas. Donc, on est fières (…). C'est vraiment (…) un honneur justement parce que ce n'est pas habituel de voir des personnages de fiction dans ce musée. ».

    La réalisation n'était pas de tout repos. Stéphane Barret, qui a tout sculpté avec la société K-Sculpture et avec les costumes provenant des Ateliers Vertugadins, s'en est ainsi confié : « Ça a été relativement complexe à gérer. Contrairement à un personnage traditionnel où je gère le visage, et puis après, c'est les équipes des ateliers qui gèrent en partie le reste du personnage... Là, pour ces personnages-là, j'ai récupéré les 3D directement, avec les usinages des personnages, et là, j'ai géré la totalité du projet. » (entretiens proposés par "20 Minutes" le jour même).
     

     
     


    Il n'y a pas d'aventure d'Astérix le Gaulois sans clin d'œil avec l'actualité et la société actuelle. C'est dans cette pure tradition goscinnienne que Sylvie Uderzo a ainsi fait un petit clin d'œil au Ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau qui considérait récemment que l'immigration n'était pas une chance pour la France : « Le mythe d’Astérix et Obélix a été créé par deux enfants d’immigrés, René Goscinny d’origine russo-polonaise et mon père italien, naturalisé Français à l’âge de 7 ans (…). Ils étaient très français, de leur pays, et ont eu le génie de retranscrire tout ce qu’il y a de plus français chez les Français avec leurs qualités et leurs défauts ! ». Une manière d'enfoncer le clou, un clou pourtant évident (il suffit d'énumérer tous nos artistes, écrivains, scientifiques, etc.).

    Cette consécration est aussi celle du célèbre musée dont le directeur Yves Delhommeau a exprimé sa très grande joie : « Accueillir Astérix et Obélix parmi nos personnages de cire est un honneur. Ces héros font partie intégrante de notre patrimoine culturel et leur présence au musée était une évidence. ».


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    Au fait, sont-ils vraiment à la retraite, Astérix, Obélix et Idéfix ? Pas du tout ; en fait, ils font du rab depuis des années ! René Goscinny est mort d'un stupide test cardiaque le 5 novembre 1977 et Albert Uderzo a poussé plus d'une quarantaine d'années supplémentaires, jusqu'au 24 mars 2020. Ce dernier survivant est parti après avoir préparé la suite en investissant officiellement Didier Conrad comme le dessinateur attitré des nouvelles aventures (avec les scénarios concoctés par Jean-Yves Ferri puis Fabcaro). Le dernier album, le quarantième, est sorti il y a un an, le 26 octobre 2023 sous le titre "L'Iris blanc" ( de Didider Conrad et Fabcaro) et a été le livre le plus vendu en France de l'année 2023 (plus de 500 000 exemplaires ont été vendus les dix premiers jours, et le tirage initial a été de 5 millions d'exemplaires). Le prochain est donc déjà très attendu.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (23 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    (Dessins provenant des albums réalisés par Goscinny et Uderzo, éd. Dargaud puis Albert René).


    Pour aller plus loin :
    Albert Uderzo.
    René Goscinny.
    Le peuple d’Astérix.
    Pluralité dissonante.
    Astérix, Obélix et Idéfix partent à la retraite.
    Les Shadoks.
    François Cavanna.
    Charlie Hebdo.
    Art Spiegelman.
    Maus.
    Jean Teulé.
    Dmitri Vrubel.
    La fresque qui fait polémique.
    Sempé.
    Maurits Cornelis Escher.
    Reiser.

     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241022-asterix.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/asterix-obelix-et-idefix-partent-a-257350

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/24/article-sr-20241022-asterix.html





     

  • Mon Top 7 de François Truffaut, grand maître de l'art cinématographique

    « La vie est pleine de paradoxes et le cinéma doit refléter ces paradoxes. Dans les soi-disant films politiques, il n'y a pas de vie parce qu'il n'y a pas de paradoxes. Le metteur en scène va au travail en sachant à l'avance qui est l'inspecteur de police corrompu, qui est le promoteur malhonnête, qui est le jeune brave reporter, etc. Pendant longtemps, en France, André Cayatte était le seul metteur en scène à faire ce genre de film. Depuis 1968, il y a eu une vogue de ce que j'appelle le "néo-cayattisme", qu'en tant que spectateur je refuse absolument de voir, et qu'en tant que metteur en scène je refuse absolument de pratiquer. » (François Truffaut, textes réunis par Anne Gillain, éd. Flammarion, 1992).


     

     
     


    La réalisateur français François Truffaut est mort il y a quarante ans, le 21 octobre 1984, à l'hôpital américain de Paris à Neuilly-sur-Seine. Il avait, à 52 ans. Une tumeur au cerveau, soignée sans doute trop tardivement, qui ne lui a guère laissé le choix, malgré encore sa trentaine d'idées de film. Jeune cinéaste pionnier de la Nouvelle Vague, François Truffaut est, selon moi, l'un des meilleurs réalisateurs, voire le meilleur. Sa finesse et sa douceur se ressentent dans les chefs-d'œuvre qu'il a tournés. Amour, ambiguïté, complexité... Rien n'est simple dans la vie, et c'est ce qu'a tenté de retranscrire Truffaut dans ses œuvres.

    Autodidacte, il s'est beaucoup inspiré de Jean Renoir (son maître absolu), Orson Welles, Roberto Rossellini qu'il a assisté pour trois films qui ne sont finalement pas sortis (en 1956), et surtout, Alfred Hitchcock qu'il a interviewé en 1955 en qualité de critique cinéma aux "Cahiers du cinéma", son métier d'origine. Son intérêt pour Hitchcock, il l'a précisé en 1975 : « Alfred Hitchcock (…) s’est appliqué toute sa vie à faire coïncider ses goûts avec ceux du public, forçant sur l’humour dans sa période anglaise, forçant sur le suspense dans sa période américaine. C’est ce dosage de suspense et d’humour qui a fait de AH [Hitchcock] un des metteurs en scène le plus commerciaux au monde (…) mais c’est sa grande exigence vis-à-vis de lui-même et de son art qui fait de lui, également, un grand metteur en scène. (…) Hitchcock a acquis une telle science du récit cinématographique qu’il est devenu en trente ans beaucoup plus qu’un bon conteur d’histoires. Comme il aime passionnément son métier, qu’il n’arrête pas de tourner et qu’il a résolu depuis longtemps les problèmes de la mise en scène, il doit, sous peine de s’ennuyer et se répéter, s’inventer des difficultés supplémentaires, se créer des disciplines nouvelles, d’où l’accumulation dans ses films récents de contraintes passionnantes et toujours brillamment surmontées. ».

    François Truffaut a amorcé la vague du cinéma d'auteurs, en France, cette si fameuse Nouvelle Vague qui a commencé avec "Les Quatre Cents Coups" de lui-même (sorti le 3 juin 1959), en guise de vague autobiographie (Truffaut s'en est défendu : « Contrairement à ce qui a été souvent publié dans la presse depuis le festival de Cannes, "Les Quatre Cents Coups" n'est pas un film autobiographique. ») avec son personnage récurrent Antoine Doinel joué par Jean-Pierre Léaud (qui s'est poursuivie avec quatre autres films), et qui a continué avec "À bout de souffle" de
    Jean-Luc Godard (sorti le 16 mars 1960), dont il a participé au scénario, avec Jean-Paul Belmondo et Jean Seberg.

    La Nouvelle Vague, selon l'expression de
    François Giroud (citée le 3 octobre 1957 dans "L'Express"), a rassemblé aussi d'autres réalisateurs comme Éric Rohmer, Claude Chabrol, Louis Malle, Agnès Varga, Jacques Demy, Jacques Rivette, Alain Resnais, etc. Comme Truffaut, certains étaient d'abord critiques de cinéma et ils dénigraient le cinéma de divertissement, qui devait être avant tout commercial et plaire au plus grand nombre, au profit d'un cinéma d'auteur, visant à révolutionner la narration cinématographique par des narrations autobiographiques, des mises en abyme, des voix off, etc. Les héros sont capables de s'affranchir de la loi voire de la morale, le happy end n'est plus systématique, etc. Et, non sans prétention, elle visait aussi à hisser le cinéma au statut d'art. Les réalisateurs de la Nouvelle Vague furent également soutenus par le Ministre des Affaires culturelles André Malraux. Beaucoup de réalisateurs, à la suite de cette période de la Nouvelle Vague (années 1960), s'en sont inspirés (parfois ou tout le temps), comme Claude Lelouch, André Téchiné, Jean Eustache, Jacques Doillon, etc. ...et même Jean-Pierre Mocky.

    Le seul véritable essai que François Truffaut a publié a été "Le Cinéma selon Alfred Hitchcock" (éd. Robert Laffont) en 1966, dont la réédition en 1983 (chez Gallimard) lui a valu une invitation le 13 avril 1984 à l'émission "Apostrophes" sur Antenne 2 (sa dernière apparition publique, semble-t-il). Sur le plateau de
    Bernard Pivot (qui est hélas mort de la même méchante maladie), il y avait alors aussi l'acteur Marcello Mastroianni, le réalisateur Roman Polanski et la productrice Caterina D'Amico.

    François Truffaut a été invité auparavant à une autre émission "Apostrophes", celle du 8 avril 1983, pour présenter la biographie de Dudley Andrew consacrée au critique de cinéma André Bazin (1918-1958) qui fut pour lui un maître à penser mais aussi un maître à agir et à tourner, fondateur des "Cahiers du cinéma" et théoricien du cinéma (voir dernière vidéo en fin d'article).


    En tout, sur une (courte) carrière qui n'a duré que vingt-cinq ans, il a tourné vingt-deux films longs-métrages et la plupart sont devenus "culte", comme on dit. Il a été parfois également acteur dans ses propres films, mais aussi dans un excellent film de Steven Spielberg, lui-même grand admirateur des films de Tuffaut, qui lui a offert le rôle du scientifique dans l'extraordinaire "Rencontre du Troisième type" ["Close Encounters of the Third Kind"] (sorti le 16 novembre 1977), avec Richard Dreyfuss, Teri Garr et Melinda Dillon (il a été doublé en anglais parce que son anglais laissait à désirer) : « Je me suis habitué, dis-je à Steven, à l'idée qu'il n'y aura jamais un film intitulé "Close Encounters" mais que vous êtes un type qui fait croire qu'il tourne un film et qui réussit à grouper beaucoup de gens autour de sa caméra pour accréditer cette immense blague. Je suis content de faire partie de cette blague et je suis prêt à vous rejoindre de temps à autre n'importe où dans le monde pour "faire semblant" de faire un film avec vous. ».
     

     
     


    Les professionnels (français et étrangers) ne sont pas restés indifférents à François Truffaut, lui qui a obtenu deux Prix au Festival de Cannes en 1959 (mise en scène et prix du jury œcuménique) pour "Les Quatre Cents Coups" (et deux nominations pour la Palme d'or), un triple César en 1981 (meilleur film, meilleur réalisateur et meilleur scénario) pour "Le Dernier Métro" (et trois autres nominations), un Oscar en 1974 pour "La Nuit américaine" (et cinq autres nominations), deux BAFTA en 1974 (quatre autres nominations), cinq Prix du Syndicat français de la critique de cinéma, ex-Prix Méliès (meilleur film français) en 1959, 1968, 1970, 1973 et 1976, enfin, quatre nominations aux Golden Globes et quatre nominations pour l'Ours d'or aux Berlinales.

    La plupart des films de Truffaut ont connu le succès commercial, ce qui n'était pourtant pas l'objectif de leur auteur. Près de la moitié de ses films ont dépassé le million d'entrées en salles et deux ont fait sauté les compteurs, "Les Quatre Cents Coups" avec 4,2 millions entrées et "Le Dernier Métro" avec 3,4 millions d'entrées. Et à part trois films (dont celui que je préfère qui a été le moins apprécié des spectateurs de cinéma), tous ont eu au moins 700 000 entrées.

    Pour tout dire, tous ses films sont excellents. Néanmoins, certains sont encore plus excellents que d'autres ! Alors, je propose mon petit Top 7 qui est très personnel et très arbitraire, donné par ordre décroissant de préférence selon moi (pourquoi les 7 meilleurs et pas les 5 ou les 10 ? pourquoi pas ? un tiers ?).

    1. Le premier est, pour moi, incontestablement "La Chambre verte" (sorti le 5 avril 1978), avec François Truffaut et Nathalie Baye parmi les acteurs (avec également, entre autres, Antoine Vitez). Le personnage principal (joué par Truffaut) est effondré par le deuil de sa femme et la solitude. Il a aménagé chez lui une chambre dédiée à la disparue dans une sorte de véritable culte des morts (et d'amour). L'idée principale de ce film, adaptation personnelle de plusieurs nouvelles d'Henry James avec quelques inspirations de l'œuvre de
    Georges Bernanos, se retrouve dans plusieurs fictions ultérieures.

    2. "La Femme d'à côté" (sorti le 30 septembre 1981), avec l'éclatante
    Fanny Ardant (son meilleur film à mon avis), Gérard Depardieu, Henri Garcin et Michèle Baumgartner. L'histoire se déroule dans une région que je connais bien, la région grenobloise (à Bernin) dont l'atmosphère provinciale est très bien ressentie. Un couple bien installé dans leur maison (joué par Gérard Depardieu et Michèle Baumgarner) voit l'arrivée de nouveaux voisins, un autre couple, dont la femme (jouée par Fanny Ardant) est son ancienne amante d'une passion très forte. Les anciens amoureux se retrouvent en secret, jusqu'à ce que cette relation soit révélée et s'interrompe. Dépression de l'amoureuse et ...et je ne continue pas pour ne pas spoiler, sinon cette conclusion finale : « Ni avec toi, ni sans toi ». Pas d'effet de scène et neutralité très déconcertante de la narration (cela commence même par une voix off). Fanny Ardant y a joué de manière exceptionnelle, elle était alors la dernière compagne de François Truffaut. Michèle Baumgartner est morte quelques années après le tournage d'un accident de la circulation à l'âge de 31 ans (avec son mari).

    3. "L'Homme qui aimait les femmes" (sorti le 27 avril 1977), avec
    Charles Denner (son seul véritable film où il a la vedette), Brigitte Fossey, Nathalie Baye, Leslie Caron, Geneviève Fontanel, Nelly Borgeaud, Valérie Bonnier, etc. Le personnage vaguement autobiographique joué par Charles Denner est un amoureux des femmes et même de "la" femme en général. Pas aimé ni par sa mère et ni par sa compagne qui a rompu, il va alors collectionner (les relations avec) les femmes au point d'en faire un répertoire détaillé. C'est là où il prononce cette phrase "truffaldienne" bien connue : « Les jambes des femmes sont des compas qui arpentent le globe terrestre en tous sens, lui donnant son équilibre et son harmonie. ».

    4. "Le Dernier métro" (sorti le 17 septembre 1980), avec
    Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, Jean Poiret, Andréa Ferréol, Paulette Dubost, Maurice Risch et Heinz Bennent. Ce film a fait un triomphe à la cérémonie des Césars en 1981 en remportant dix prix dont les cinq plus prestigieux (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur scénario, meilleur acteur, meilleure actrice), ce qui est unique pour les Césars (et encore, il y avait deux autres nominations dont le second rôle féminin pour Andréa Ferréol qui a été battue par une actrice fétiche de Truffaut, Nathalie Baye ; 1981 au cinéma était l'année Truffaut). L'histoire (qui s'est inspirée d'œuvres antérieures) se passe pendant l'Occupation nazie à Paris, la vie d'un théâtre parisien. Son directeur d'origine juive (joué par Heinz Bennent) est officiellement parti aux États-Unis mais en fait, vit encore dans la cave du théâtre et continue clandestinement à diriger le théâtre et la troupe par l'intermédiaire du metteur en scène (joué par Jean Poiret) et de sa femme également comédienne (jouée par Catherine Deneuve) qui lui parle d'un jeune comédien plein d'avenir (joué par Gérard Depardieu) qui souhaite s'engager dans la Résistance.
     

     
     


    5. "Fahrenheit 451" (sorti le 15 septembre 1966), avec Oskar Werner et Julie Christie (film entièrement en anglais), adaptation de la célèbre œuvre de Ray Bradbury. Le personnage principal (joué par Oskar Werner) est un pompier chargé de détruire par le feu tous les livres qu'il peut repérer (car trop dangereux pour le pouvoir en place et officiellement ils empêchent d'être heureux). La température d'auto-inflammation du papier est de 232,8°C, soit 451°F. La rencontre avec une jeune fille dite asociale car lettrée (jouée par Julie Christie) remet en cause son métier. Sur l'histoire elle-même, il y aurait beaucoup à dire aujourd'hui avec le livre remplacé par le smartphone et les réseaux sociaux.

    Dans une interview avec la journaliste Aline Desjardins diffusée en décembre 1971 par Radio-Canada (et publiée en 1973 chez Ramsay), François Truffaut a raconté sa relation avec les livres : « Ayant envie de faire un film sur les livres, j'ai tourné "Fahrenheit" qui est un film sur tous les livres en général. D'autres de mes films comme "Jules et Jim" ou "La Mariée était en noir" sont des films tirés de livres que j'aimais et j'ai essayé non seulement d'en tirer un bon film, mais aussi de faire aimer le livre. Lorsqu'un de mes films peut éveiller la curiosité pour un livre, comme pour le roman "Jules et Jim" qui était passé inaperçu, ou "Deux Anglaises et le Continent", je suis très content ; je dois dire que si un jour j'ai l'occasion de faire un film qui serait toute l'histoire d'un livre, depuis le moment où il est à l'état de manuscrit jusqu'au moment où il est publié et diffusé chez les libraires, si je trouve une histoire qui se prête à cela, je suis sûr que je le ferai avec un grand enthousiasme. ».

    6. "La Mariée était en noir" (sorti le 17 avril 1968), avec
    Jeanne Moreau, Claude Rich, Michel Bouquet, Michael Lonsdale, Charles Denner, Jean-Claude Brialy, etc. dans une adaptation du roman de William Irish. Le jour de son mariage, la mariée (jouée par Jeanne Moreau) voit son mari se faire assassiner sur le parvis de l'église. Elle se venge, les uns après les autres, de tous ceux qui l'ont tué. L'atmosphère du film est très hitchcockienne. Mais dans "L'Express", Truffaut a regretté d'avoir tourné ce film : « Le seul que je regrette d'avoir fait, c'est "La Mariée était en noir". Je voulais offrir à Jeanne Moreau quelque chose qui ne ressemble à aucun de ses autres films, mais c'était mal pensé. (…) Le thème manque d'intérêt: l'apologie de la vengeance idéaliste, cela me choque en réalité. ».

    7. "L'Enfant sauvage" (sorti le 26 février 1970), avec François Truffaut, Jean-Pierre Cargol, Françoise Seigner et Jean Dasté. C'est l'adaptation d'une histoire vraie de l'enfant sauvage appelé Victor de l'Aveyron (1785-1828), enfant sauvage trouvé en 1797, et pris en charge et instruit par le docteur Jean Itard (joué par Truffaut). Ce film est devenu un classique, parodié d'ailleurs par
    Gotlib. Jean-François Stévenin a repéré Jean-Pierre Cargol (12 ans) pour le rôle de l'enfant sauvage, dans un camp de gitans (il est le neveu du musicien Manitas de Plata). Choix tout de suite approuvé par le réalisateur-acteur : « Jean-Pierre, le petit gitan que j'ai finalement choisi pour jouer ce rôle, est un enfant très beau mais je crois qu'il a bien l'air de sortir des bois. ».

    J'ai bien sûr conscience de l'arbitraire et je sais que j'ai "oublié" d'autres films majeurs de Truffaut comme "Jules et Jim" (sorti le 24 janvier 1962), avec Jeanne Moreau, Oskar Werner,
    Marie Dubois et Henri Serre ; "La Sirène du Mississipi" (sorti le 18 juin 1969), avec Jean-Paul Belmondo, Catherine Deneuve et Michel Bouquet (dans "Le Figaro" du 10 octobre 2014, Bertrand Guyard a écrit : « Faire du "Magnifique" un homme soumis à la passion amoureuse, l'idée était osée. On se souviendra du charme vénéneux et candide à la fois de Catherine Deneuve. L'obstination de Michel Bouquet dans son rôle de détective est parfaite. Comme toujours. ») ; ou encore, "La Nuit américaine" (sorti le 24 mai 1973), avec Jacqueline Bisset, Jean-Pierre Léaud, Nathalie Baye, Valentina Cortese, Dani, Jean-Pierre Aumont, Alexandra Stewart, etc. ; mais comme je l'ai indiqué plus haut, tout est beau dans le Truffaut ! J'accroche un peu moins avec la saga Antoine Doinel parce que j'ai un peu de mal à m'identifier personnellement au personnage.

    Dans l'émission "Apostrophes" du 13 avril 1984, François Truffaut a expliqué, à propos d'Hitchcock : « Ses scènes d'amour sont filmées comme des scènes de meurtres et ses scènes de meurtres comme des scènes d'amour. C'est la même chose, c'est un déversement qui arrive là et qui est très puissant. Mais je pense que c'est ça aussi qui fait que les films sont forts, qu'ils sont beaux et qu'ils traversent les années. Vous voyez, un film d'Hitchcock de 1940, vous allez le voir aujourd'hui, vous n'avez pas l'impression de voir un film de 1940, vous voyez un film qui a une forme très pure, très serrée, et qui est, s'il était poignant quand il est sorti, il est encore poignant aujourd'hui [1984].
     Ça, c'est ce que j'aime ! ».

    Nous sommes maintenant encore quarante ans plus tard : les films d'Hitchcock ont un peu vieilli, mais à peine (surtout à cause du noir et blanc), ...en revanche, ceux de Truffaut n'ont pas pris une ride. En quelque sorte, sa postérité plaide pour lui. Il a réussi son pari, mettre en action ce qu'il disait être ses rêves d'adolescent : « Je fais des films pour réaliser mes rêves d'adolescent, pour me faire du bien et, si possible, faire du bien aux autres. ».


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (19 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    François Truffaut.
    Daniel Prévost.
    Michel Blanc.
    Brigitte Bardot.
    Marcello Mastroianni.
    Jean Piat.
    Sophia Loren.
    Lauren Bacall.
    Micheline Presle.
    Sarah Bernhardt.
    Jacques Tati.
    Sandrine Bonnaire.
    Shailene Woodley.
    Gérard Jugnot.
    Marlène Jobert.
    Alfred Hitchcock.
    Les jeunes stars ont-elles le droit de vieillir ?
    Charlie Chaplin.




















    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241021-francois-truffaut.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/mon-top-7-de-francois-truffaut-255974

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/20/article-sr-20241021-francois-truffaut.html


     

  • L'acteur Daniel Prévost fête son 85e anniversaire ce dimanche 20 octobre 2024

    « Je n’ai jamais été à la mode, comment voulez-vous que je devienne ringard ? Tandis que vous, vous êtes pour l’instant à la mode, donc vous deviendrez ringard ! » (Daniel Prévost à Marc-Olivier Fogiel, "On ne peut pas plaire à tout le monde" sur France 3, le 19 octobre 2001).


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    L’humoriste Daniel Prévost a fêté son 85e anniversaire le 20 octobre 2024. Quatre-vingt-cinq ans, c’est quasiment un vieillard ! Il paraît que les humoristes font rarement de vieux os. J’espère que Daniel Prévost démentira cette (fausse) rumeur aussi longtemps que possible. Daniel Prévost est un touche-à-tout du spectacle, un peu comme Sim, il est un acteur au cinéma et à la télévision, un comédien au théâtre, à l’occasion un chroniqueur à la télévision, un chanteur et même un écrivain puisqu’il a sorti une quinzaine de livres, certains qui racontent son enfance, son origine familiale, ses deuils…

    Daniel Prévost a le don pour faire les personnages plutôt négatifs, petits, lâches, les rôles de petit chef prêt aux mesquineries, capable d’abuser de son petit pouvoir, avec le petit rictus pour bien montrer sa joie d’être sadique. Tendre sadique au grand cœur, car finalement, cette face si réussie du sadique, il ne l’assume évidemment pas dans la vie civile. Pour lui, c’est la manière d’user et d’abuser de l’humour et de l’esprit comique. Pourquoi réussit-il si bien à faire ce bas sadique ? Sûrement grâce à son sourire inimitable, son petit grincement de dents (les héhéhé des méchants dans les  bandes dessinées) et, bien sûr, à sa grande présence scénique.

    Dans "Moustique", Yannic Duchesne dit le 14 janvier 2018 pour le décrire : « Prévost, c’est à la fois un homme mûr (…) et un enfant qui ne renonce jamais devant une farce. Il a la bouclette rieuse, les yeux vifs, la silhouette gainée et une propension à faire de tout tout le temps. (…) On honore trop peu les comiques au cœur chaud. ». Je suis évidemment de cet avis. Honorons-le !

    Ses participations au cinéma sont très nombreuses, mais rarement avec le premier rôle. C’est le propre du second rôle, être connu par endurance, à force d’être présent un peu partout, surtout lorsque le partout, ce sont des films à grand succès commercial. En fait, Daniel Prévost a été connu très rapidement. S’il a commencé en 1961 (à 22 ans) au théâtre et en 1968 au cinéma, il a vite gagné en notoriété dès le début des années 1970 avec "Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil" de Jean Yanne (sorti le 5 mai 1972) avec Jean Yanne, Michel Serrault, Bernard Blier et Jacques François. D’ailleurs, il est yannique, le Prévost, il a commencé sur les planches avec Michel Serrault et Jean Yanne, ce qui était pour lui une excellente école de l’art comique et absurde, du loufoque féroce, de l’humour vache et coriace, de l’esthétique caustique.

    Daniel Prévost a ensuite gagné en notoriété avec sa participation dans l’émission satirique dominicale "Le Petit Rapporteur" animée par Jacques Martin de janvier 1975 à juin 1976 sur TF1 : il était l’un des chroniqueurs aux côtés de Pierre Bonte, Stéphane Collaro, Pierre Desproges et Piem, entre autres, et s’était particulièrement fait remarquer lors de son reportage dans le village de Montcuq en interrogeant son maire et en faisant beaucoup de plaisanteries avec le nom de ce village du Lot. Daniel Prévost et Pierre Desproges étaient à l’époque de sacrés complices dans leur audace. C’était l’époque (et l’émission) où Pierre Desproges, qui jouissait encore de l’anonymat, interviewait une Françoise Sagan très polie et patiente sur sa santé et ses vacances (la santé et les vacances de Desproges !).

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    La voix de Daniel Prévost est également très connue car il l’a "prêtée" depuis une trentaine d’années à une marque de supermarché, Super U, pour des spots publicitaires tant à la télévision qu’à la radio. Je croyais que c’était un imitateur, mais ce n’est en fait pas le cas (d’ailleurs, je me demande quelles sont les conditions juridiques pour faire l’imitation d’un personnage célèbre pour un but publicitaire, au point peut-être de ternir la réputation dudit personnage). Daniel Prévost a utilisé sa voix aussi pour d’autres marques, comme Rivoire et Carret (avec Pierre Desproges), la MAAF, etc.

    À ce jour, Daniel Prévost a joué dans quatre-vingt-sept films au cinéma et trente-trois téléfilms, ainsi que dans une trentaine de pièces de théâtre. L’un des rôles les plus dramatiques, ce fut dans le téléfilm "René Bousquet ou le Grand Arrangement", de Laurent Heynemann, diffusé sur Arte le 16 novembre 2007, où il était René Bousquet lui-même.

    Restons au cinéma. Les vingt et un films qui ont obtenu le plus de succès, et dans lesquels il a participé, ont eu 65 millions d’entrées rien qu’en France ! Difficile de passer inaperçu, même dans un rôle mineur et discret.

    Et le premier d’entre eux (12,3 millions d’entrées dans le monde, dont 9 en France), le film qui lui a fait d’ailleurs obtenir à juste titre le César du meilleur acteur pour le second rôle masculin en 1999, ce fut "Le Dîner de cons", excellent film-pièce de Francis Veber (sorti le 15 avril 1998) où Daniel Prévost a été au sommet de son art de montrer son sourire sadique tout en ne "punissant" pas. Il est en effet l’inspecteur des impôts, vantard mais cocu, venu aider un copain chez un grand bourgeois, et qui détecte tout de suite, dans le grand appartement, les tableaux rangés, les meubles luxueux cachés, mais qui est trop déprimé pour prendre plaisir à sévir… Dans son rôle de véritable "enfoiré", il est vraiment excellent, plus que les autres personnages, je trouve, même que Jacques Villeret qui a lui aussi obtenu un César pour son premier rôle dans ce film.

    Voici quelques autres rôles intéressants de Daniel Prévost dans le cinéma français…

    Dans "Uranus" de Claude Berri (sorti le 12 décembre 1990), avec Gérard Depardieu, Jean-Pierre Marielle, Michel Blanc, Philippe Noiret, Michel Galabru, Fabrice Luchini, etc., film pour lequel il a été sélection à la cérémonie des Césars, Daniel Prévost joue le cheminot communiste qui dénonce (injustement) un cafetier de cacher un ancien collabo après la Libération.

    Dans "Astérix et Obélix contre César" de Claude Zidi (sorti le 3 février 1999), qui est la première adaptation cinématographique de la célèbre bande dessinée Astérix, Daniel Prévost joue Prolix, le charlatan qui se fait passer pour un devin, exploitant la crédulité des villageois.

    Dans "La vérité si je mens ! 2" de Thomas Gilou (sorti le 2001), Daniel Prévost est le méchant directeur des achats d’une grande surface qui tente de profiter de sa position dominante pour étouffer les petits producteurs (et qui se fait finalement duper par eux, la morale est sauve).

    Dans "Les Petits Ruisseaux" de Paul Rabaté (sorti le 23 juin 2010), avec Gilbert Melki, Gad Elmaleh, Bruno Solo, Richard Anconina et José Garcia, Daniel Prévost, qui a le rôle principal, joue un vieux pépère veuf qui se réveille à la vie grâce à un voisin et qui finit par fréquenter des hippies.

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    Dans "Je sais rien, mais je dirai tout" de Pierre Richard (sorti le 6 décembre 1973), satire antimilitariste avec Pierre Richard, Bernard Blier et Luis Rego, Daniel Prévost joue un policier (dont le patron est Pierre Tornade).

    Dans "La Maison du bonheur" de Dany Boon (sorti le 7 juin 2006), avec Michèle Laroque, Line Renaud, Laurent Gamelon et Michel Vuillermoz, Daniel Prévost joue un rôle ordinaire pour lui, celui ici de l’escroc cynique, un agent immobilier véreux qui cherche à duper un acquéreur de maison surendetté.

    Dans "Le Petit Nicolas" (sorti le 30 septembre 2009) et "Les Vacances du Petit Nicolas" (sorti le 9 juillet 2014), tous les deux de Laurent Tirard, adaptation du célèbre personnage de René Goscinny et Sempé, avec Valérie Lemercier, Kad Merad, Sandrine Kiberlain, Anémone, etc., Daniel Prévost joue le rôle de Mouchebourne, le patron du père du Petit Nicolas.

    Dans "Le plus beau métier du monde" de Gérard Lauzier (sorti le 11 décembre 1996), Daniel Prévost campe le voisin épieur et lâche, dans une cité HLM, de Gérard Depardieu, devenu prof de banlieue difficile après un divorce.

    Enfin, je termine par "Musée haut, musée bas" de Jean-Michel Rives (sorti le 19 novembre 2008), avec Isabelle Carré, Pierre Arditi, Michel Blanc et Gérard Jugnot, film assez déconcertant et intéressant, composé de beaucoup de sketchs, où Daniel Prévost est à la recherche d’une place de parking.

    Dans "On est pas couché" le 28 avril 2018 sur France 2, Daniel Prévost faisait de l’amour son hymne à la vie en disant à Laurent Ruquier : « Depuis le début de la vie, tout le monde cherche l’amour (…). Le chien, l’homme, la femme, tout le monde cherche quelque chose. Pourquoi ? Parce que je pense que sans amour, on s’emmerde. Sans amour, il n’y a rien, il n’y a pas de vie (…). Je ne peux pas croire une fois que quelqu’un qui est seul soit heureux, tu vois ce que je veux dire… ».

    Paroles d’autant plus fortes qu’il est lui-même veuf. Paroles qui accompagnent son dernier livre qui parle de la mort de sa femme ("Tu ne sauras jamais combien je t’aime" éd. Le Cherche Midi, 2018) : « Je rumine des pensées, des points de vue : après tout, c’est un chagrin ordinaire, chaque être humain est passé par là, moi-même n’ai-je pas déjà éprouvé des deuils dans ma famille, parmi mes proches (…) ? Et tous ces morts autour, tous les morts du monde que je ne connais pas ? C’est trop ! J’arrête. Non ! Pas elle, pas Kirsten ! Pas besoin d’être raisonnable. Cela ne m’est d’aucun secours. »


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (27 octobre 2019)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Daniel Prévost.
    Coluche.
    Sim.
    Élie Kakou.
    Pierre Desproges.
    Thierry Le Luron.
    Pierre Dac.

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    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241020-daniel-prevost.html

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/20/article-sr-20241020-daniel-prevost.html





  • La bienveillante sagesse d'Hubert Reeves : Tâche d'être à la hauteur de ta destinée !

    « Sache que, dans ce monde, il y a de la compassion et de l’amitié. Mais il y a aussi de la méchanceté, de la cruauté, de l’horreur. Tu y seras peut-être confronté. Refuse obstinément d’y participer. II en va de ta dignité d’être humain. » (Hubert Reeves, le 14 mai 2020).



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    L'astrophysicien
    Hubert Reeves, directeur de recherches au CNRS de 1965 à 1999, est mort à Paris il y a un an, le vendredi 13 octobre 2023, à l'âge de 91 ans. Sa disparition a ému largement au-delà du cercle très fermé de la "communauté scientifique" parce qu'il a été l'un des rares scientifiques très médiatisés. Avec son petit accent québécois très reconnaissable et son excellent talent de vulgarisateur, Hubert Reeves était connu du grand public par ses participations à la télévision, à la radio, dans la presse grand public. Il était même un succulent vulgarisateur, pas un qui simplifiait trop, voire qui infantilisait, mais un qui tentait de transmettre à la fois la complexité de l'univers et sa passion d'homme de science.

    Hubert Reeves aurait adoré vivre encore une année de plus, ne serait-ce que pour admirer ces aurores boréales qui se sont montrées en France (entre autres) dans la nuit du 10 au 11 octobre 2024 (on peut voir de très beaux clichés sur Internet),
    comme au mois de mai 2024.

    Sa caractéristique, qui a fait sa popularité, c'était une immense bienveillance. On ne sentait pas chez lui de la haine ni de l'agacement même face à des contradicteurs. Il avait ses idées, les autres avaient les leurs, et cela ne méritait pas de s'en faire une guerre. Il était un écologiste scientifique, à l'opposé d'un écologiste idéologue pour qui contraindre, punir, imposer, interdire sont la méthode de persuasion.

    Par exemple, cette chronique publiée en février 2007. C'est récent et en même temps, très ancien. Il voulait sensibiliser ses contemporains à la très grande richesse de l'eau : « À l'échelle cosmique, l'eau liquide est plus rare que l'or. Pour la vie, elle est infiniment plus précieuse. ». Et de compléter : « L'eau est un bien précieux. L'eau, c'est la vie. Toute personne assoiffée donnerait tout l'or du monde pour un verre d'eau. Mais pour que cette eau soit favorable à l'organisme humain, elle doit être potable. Une eau potable est celle qui peut être bue sans risque pour la santé. Donc les matières polluantes qu'elle contient doivent avoir une concentration ne mettant pas en danger la santé du consommateur. ».


    Puis, il a donné quelques chiffres, issus de l'OMS : « Plus d'un milliard de personnes sont privées d'approvisionnement en eau propre tandis que 2,6 milliards vivent dans des conditions d'assainissement qui ne sont pas satisfaisantes. ». Les exemples sont nombreux, et les pays les plus pauvres n'ont pas l'eau potable courante pour toute la populaire. À Madagascar, par exemple, certains doivent encore faire des kilomètres pour chercher de l'eau potable. Cela freine le développement d'une société. Hubert Reeves enfonçait donc une porte ouverte en disant : « L'eau potable est trop précieuse pour être gaspillée. ».

    Mais il croyait trop à la responsabilité individuelle pour s'arrêter à ce constant larmoyant, et aussi pour imaginer des mesures gouvernementales contraignantes (rationnement d'eau, taxation accrue proportionnellement à sa rareté, etc.). Les récentes trombes d'eau et crues ne doivent pas faire oublier que l'eau potable reste rare et précieuse. Ainsi, Hubert Reeves proposait à ses lecteurs de faire un petit quelque chose, une changement d'habitude pour les habitants d'une maison individuelle : « Évitons d'arroser nos pots de fleurs du balcon, et les plates-bandes des jardins, ou de laver la voiture avec l'eau du robinet. ». Le moyen ? Pas très compliqué : « Quand il pleut, l'eau coule sur les toits, rejoint les gouttières. Un récupérateur fixé sur le tuyau de descente de l'une d'elles dirigera le flot vers un récipient de collecte... ». Bref, il n'infantilisait pas disant par exemple de couper l'eau du robinet en se brossant les dents (une évidence) mais il suggérait quelques petits progrès, chacun à son niveau, à son échelle. Il n'a même pas évoqué l'idée de ne pas mettre d'eau potable pour la chasse d'eau des toilettes (c'est pourtant une hérésie de dilapider de l'eau potable pour simplement éjecter nos déjections !), parce que cela nécessiterait un gros investissement dans l'habitation, un doubleau réseau d'eau (potable, non potable) qui pourrait être très coûteux, au contraire d'un simplement récupérateur d'eaux pluviales pour l'arrosage du jardin.

    Cela dit, sa bienveillance n'empêchait pas les ronchons et les jaloux d'exister. Ainsi, on peut encore lire sur le site de Jean-Pierre Petit (à l'origine scientifique), cette petite phrase sibylline qui date du 21 septembre 2002 : « Le discours scientifique est en fait un discours de type religieux. La science a ses prêtres, ses Pangloss, comme Hubert Reeves, grand dispensateur de poussière d'étoiles, tel un moderne marchand de sable. Ses phrases commencent par "on pense que..." et pour qui sait suivre des discours sur de long laps de temps, elles évoluent, elles aussi. Vous avez sans doute entendu le scientifique dire "que le mythe de l'Atlantide" était simplement lié à l'explosion du volcan de Santorin, dans les îles Grecques. Je suis allé là-bas. Effectivement ça a du être quelque chose. Le ras-de-marée qui en a résulté a peut-être pulvérisé quelques civilisations côtières. Platon a peut-être aussi simplement fabulé, à moins qu'il ne s'agisse de l'effet du passage de cet astéroïde ferreux évoqué plus haut. ». Remarque malveillante d'autant plus incongrue et gratuite qu'elle ne démontrait rien, si ce n'était que même consensuelle, une personnalité bienveillante avait toujours des détracteurs (selon l'adage : on ne peut pas plaire à tout le monde).

     
     


    Hubert Reeves s'en moquait et préférait parler aux générations futures. Lors du choc terrible, psychologique, social, du premier confinement au printemps 2020, à cause du covid-19, France Inter a demandé à l'astrophysicien, comme à plein d'autres personnalités, d'écrire une lettre depuis chez eux, où ils étaient confinés, qui serait lue par le producteur Augustin Trapenard.

    La
    lettre d'Hubert Reeves a été écrite le jeudi 14 mai 2020 et sa lecture a été faite le lendemain, vendredi 15. Dans sa lettre, il s'adressait à un petit enfant à naître. On aurait pu croire que c'était juste un exercice de style, mais pas du tout, l'enfant existait bien, encore dans le ventre de sa mère, qu'il avait croisée à la Maison de la Radio où elle travaillait. Son message n'en a été que plus fort.

    Le chercheur avait le talent de replacer cette future naissance dans le contexte cosmique réel : « Quelque part dans l’immensité de l’univers, à la périphérie d’une galaxie appelée la Voie Lactée, près de l’étoile Soleil, sur la troisième planète de son système, la Terre, tu vas naître. Des myriades de petits spermatozoïdes vont monter à l’assaut dans le ventre obscur de ta mère. Le gagnant pénétrera son ovule et tu vas entrer dans l’existence. Tu es le fruit d’une longue gestation qui se poursuit depuis près de quatorze milliards d’années. Tout a commencé dans la lumière éblouissante d’un gigantesque et torride espace. Ne me demande pas ce qu’il y avait avant, je n’en sais rien. ».

    Car le scientifique a toujours été un poète et s'il citait
    Louis Aragon dans le catastrophisme, c'était aussi pour mieux insister sur le trésor de la culture humaine : « La durée de ton existence sera, au mieux, de l’ordre d’un siècle, une durée infime par rapport à celle de l’univers. Pendant ce temps il te sera possible d’explorer le monde et de prendre conscience de tes devoirs et de tes responsabilités. Tu auras à affronter le cycle de la vie humaine avec ses moments de grâces et ses crises. "De temps en temps la terre tremble", écrit le poète Louis Aragon. (…) Tu auras l’immense chance d’entrer en contact avec le grand trésor de la culture humaine. Accumulé depuis des millénaires, les œuvres d’art, musique, peinture, littérature qui ont contribué à embellir nos vies. Les réflexions des penseurs de toutes les cultures, qui se sont penchés sur les mystères de notre existence. Tu pourras t’approprier ce riche patrimoine, en faire ton profit, aider à le préserver contre l’oubli et peut-être y contribuer toi-même. Tu laisseras en héritage les fruits de ton activité pour que ceux qui viendront après toi poursuivent la grande aventure de l’univers. ».

    Et il a terminé par une citation d'un écrivain qui m'est cher,
    Albert Camus : « Fais en sorte qu’on dise de toi ces mots d’Albert Camus : "il y a des êtres qui justifient le monde, qui aident à vivre par leur seule présence". Tâche d’être à la hauteur de ta destinée. Ta vie y prendra son sens. Tu y trouveras ton bonheur. ».
     

     
     


    Ce qui était rassurant, c'est qu'Hubert Reeves, bien que plutôt pessimiste, depuis cinquante ans, sur les capacités des êtres humains à prendre en charge collectivement la sauvegarde de la planète, de leur planète (et de l'humanité par voie de conséquence), n'avait pas du tout un ton de Cassandre, ou du prophète Philippulus, ce ton de promesse de cataclysmes à venir et d'annonce d'apocalypse. Au contraire, il faisait confiance aux générations futures, leur demandait d'être des citoyens éveillés, instruits, fiers de ce qu'ils sont et guidant leurs congénères vers un progrès humain qui n'est pas seulement technologique mais aussi social. Ça nous change des vendeurs de désastres à la mauvaise foi débordante.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (12 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Lettre d'intérieur d'Hubert Reeves lue par Augustin Trapenard le 15 mai 2020 sur France Inter (audio et texte intégral).
    Poussières sur l'autre Reeves.
    La bienveillante sagesse d'Hubert Reeves.
    L'intelligence artificielle récompensée par les Nobel 2024 de Physique et de Chimie.
    Didier Raoult interdit d'exercer !
    2e rentrée scolaire contre les papillomavirus humains.
    Variole du singe (mpox) : "ils" nous refont le coup ?
    Covid : attention au flirt !
    Papillomavirus humains, cancers et prévention.
    Publications sur le papillomavirus, le cancer du col de l'utérus et l'effet de la vaccination anti-HPV (à télécharger).
    Émission "Le Téléphone Sonne" sur la vaccination contre les papillomavirus, sur France Inter le 3 mars 2023 (à télécharger).
    Le cancer sans tabou.
    Qu'est-ce qu'un AVC ?
    Lulu la Pilule.
    La victoire des impressionnistes.
    Science et beauté : des aurores boréales en France !
    Le Tunnel sous la Manche.
    Peter Higgs.
    Georges Charpak.
    Gustave Eiffel.
    Prix Nobel de Chimie 2023 : la boîte quantique ...et encore la France !
    Katalin Kariko et Drew Weissman Prix Nobel de Médecine 2023 : le vaccin à ARN messager récompensé !
    Covid : la contre-offensive du variant Eris.
    Prix Nobel de Physique 2023 : les lasers ultrarapides, la physique attoseconde... et la France récompensée !
    John Wheeler.
    La Science, la Recherche et le Doute.
    L'espoir nouveau de guérir du sida...
    Louis Pasteur.
    Howard Carter.
    Alain Aspect.
    Svante Pääbo.
    Frank Drake.
    Roland Omnès.
    Marie Curie.

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    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241013-hubert-reeves.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/la-bienveillante-sagesse-d-hubert-256970

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/11/article-sr-20241013-hubert-reeves.html




     

  • Anatole France, figure marquante de la Troisième République

    « Son œuvre ne surprit que doucement et agréablement par le contraste rafraîchissant d’une manière si mesurée avec les styles éclatants ou fort complexes qui s’élaboraient de toutes parts. Il sembla que l’aisance, la clarté, la simplicité, revenaient sur la Terre. Ce sont des déesses qui plaisent à la plupart. On aima tout de suite un langage qu’on pouvait goûter sans y trop penser, qui séduisait par une apparence si naturelle, et de qui la limpidité, sans doute, laissait transparaître parfois une arrière-pensée, mais non mystérieuse ; mais au contraire, toujours bien lisible, sinon toujours toute rassurante. Il y avait dans ses livres un art consommé de l’effleurement des idées et des problèmes les plus graves. Rien n’y arrêtait le regard, si ce n’est la merveille même de n’y trouver nulle résistance. Quoi de plus précieux que l’illusion délicieuse de la clarté qui nous donne le sentiment de nous enrichir sans effort, de goûter du plaisir sans peine, de comprendre sans attention, de jouir du spectacle sans payer ? Heureux les écrivains qui nous ôtent le poids de la pensée et qui tissent d’un doigt léger un lumineux déguisement de la complexité des choses ! » (Paul Valéry sur Anatole France, le 23 juin 1927 à l'Académie française).


     

     
     


    Avant-hier, c'était l'attribution du Prix Nobel de Littérature 2024 (à l'écrivaine sud-coréenne Han Kang). Un de ses lointains prédécesseurs, celui de 1921, était Anatole France. Il est mort il y a exactement cent ans, le 12 octobre 1924 à l'âge de 80 ans (il est né le 16 avril 1844 ; les hasards des nombres s'entrechoquent avec l'actualité, car Michel Blanc est né aussi un 16 avril). À l'annonce de sa mort, l'ancien et futur Président du Conseil Paul Painlevé, alors Président de la Chambre des députés, a exprimé ainsi son émotion : « Le niveau de l'intelligence humaine a baissé cette nuit-là. ».

    Pour son 80e anniversaire, le Cartel des gauches, qui venait de gagner les élections, a célébré le 24 mai 1924 le grand écrivain place du Trocadéro à Paris. À la mort, son corps, embaumé, fut exposé au public (reçut la visite du Président du Conseil Édouard Herriot et du Président de la République Gaston Doumergue le 17 octobre 1924) et il bénéficia d'obsèques quasi-nationales à Paris.

    Anatole France, également membre de l'Académie française, a marqué son temps avec ses œuvres littéraires, principalement des romans, mais aussi de la poésie et du théâtre ; il était aussi critique littéraire et journaliste (il a travaillé pour "Temps", "L'Union", "L'Humanité" et "Le Figaro"), et aussi collectionneur d'art. Il faut rappeler que la France est le pays qui compte le plus de Prix Nobel de Littérature (le dernier Français en date est la Française Annie Ernaux).

    Le bien nommé écrivain de langue française Anatole France m'a toujours fasciné, ne serait-ce que parce qu'on avait baptisé de son nom l'avenue la plus large de mon quartier quand j'étais enfant. Je la traversais souvent. Quand vous êtes petit et que vous comprenez peu les choses des grandes personnes, l'univers des noms de rue qui vous entourent est essentiel dans votre éveil intellectuel. Évoluer aux côtés d'Anatole France, Verlaine, Coriolis, Hoche, Gambetta, Charlemagne, Thiers, La Fayette, les Goncourt, etc., ça peut vous donner des envies de vous cultiver, même à 7-8 ans. Il faut dire que la plupart des noms de rues honorent des personnalités de la Troisième République, et Anatole France fut un de ces grands maîtres de la République-là.

    France n'était pas vraiment un patronyme. Son père s'appelait Noël Thibault (1805-1890), analphabète à 20 ans mais ensuite, propriétaire d'une librairie parisienne (appelée France-Thibault puis France) que fréquentaient de nombreux érudits, écrivains, journalistes, etc. notamment les frères Goncourt, parce qu'elle proposait des documents historiques de la période révolutionnaire.

    À l'origine, Anatole France aurait dû reprendre l'affaire paternelle et faire une belle carrière de libraire. Son père ne croyait pas du tout en l'avenir de ses premiers écrits. Ses premiers métiers furent néanmoins libraire et bibliothécaire et il a commencé dans la littérature en rédigeant des poèmes par amour pour une femme inaccessible (une jeune et belle actrice).

    Sa notoriété littéraire a débuté avec son roman "Le Crime de Sylvestre Bonnard" en 1881 (il a eu un prix de l'Académie française pour l'occasion). L'encyclopédie
    Wikipédia explique doctement que cette « œuvre [fut] remarquée pour son style optimiste et parfois féerique, tranchant avec le naturalisme qui [régnait] alors ». Il fut alors un écrivain prolifique (le site de l'Académie française a inventorié plus de 90 livres publiés entre 1859 et 1922 !), riche, très influent car devenu également critique littéraire, aux idées politiques plus ou moins vagues, plus ou moins conservatrices, d'abord opposé au général Boulanger, puis séduit par lui puis enfin déçu par lui.
     

     
     


    Pourrait-on même dire qu'il était l'équivalent de Jean-Paul Sartre ? C'est difficile de faire des comparaisons hors contexte, qui sont toujours foireuses, mais Anatole France n'était pas seulement un grand écrivain, il était un homme engagé, surtout, une conscience républicaine, comme la Troisième République savait en sécréter et savait les aimer et les honorer. Il était certes contemporain de Victor Hugo (inégalable écrivain du XIXe siècle), mais sans lui les quasiment trente dernières années de sa vie (Victor Hugo est mort en 1885). Ainsi, Anatole France a été membre de la Ligue des droits de l'homme, premier président du PEN Club français de 1921 à 1924 (son successeur est un autre écrivain emblématique de la Troisième République, Paul Valéry), une société savante international qui, depuis la fin de la guerre, promeut la liberté d'expression et les intérêts des écrivains, éditeurs, traducteurs, journalistes (élargi à blogueurs de nos jours), etc. (PEN signifie Poètes Essayistes Nouvellistes).

    Il a rejoint Émile Zola durant
    l'Affaire Dreyfus (il a déposé devant le tribunal le 19 février 1898 comme témoin de moralité d'Émile Zola, a rendu sa Légion d'honneur lorsqu'on a retiré à Émile Zola la sienne, etc.), a dénoncé le génocide arménien, et, plus généralement, a soutenu de nombreuses causes politiques au fil de son existence (il s'est rapproché de Jean Jaurès, a promu la laïcité, les droits syndicaux, s'est opposé à la politique coloniale, etc.).

    Comme signalé au début, Anatole France a été élu à l'Académie française le 23 janvier 1896 au fauteuil 38. Il a succédé à Ferdinand de Lesseps qui venait de mourir le 7 décembre 1894, mais aussi à Adolphe Thiers et Henri Martin. Il a été reçu sous la Coupole le 24 décembre 1896 par le pédagogue Octave Gréard, futur vice-recteur de Paris. Son successeur direct fut Paul Valéry, puis Henri Mondor, et l'avant-dernier,
    François Jacob. Il a rendu un hommage remarqué à Émile Zola et à Ernest Renan.

    Longtemps parmi les "candidats" potentiels aux Nobels (cité en 1904, 1909, 1910, 1911, 1912, 1913, 1915 et 1916), Anatole France fut désigné Prix Nobel de Littérature en 1921 « en reconnaissance de ses brillantes œuvres littéraires, caractérisées par une noblesse de style, une profonde sympathie humaine, de la grâce et un véritable tempérament gaulois ».


    Parmi les adjectifs qui peuvent le mieux qualifier Anatole France, il y a bien sûr indépendant, intellectuellement indépendant. Lorsqu'il l'a reçu à l'Académie française le 24 décembre 1896, Octave Gréard lui a déclaré entre autres : « L’œuvre de la raison humaine, quelques fins qu’elle poursuive, est pour vous inviolable. Vous n’y souffrez ni limites ni entraves. Que si certaines philosophies ne peuvent entrer dans l’ordre des faits que sous une forme dangereuse pour la société, il faut les châtier, dès qu’elles se traduisent en actes : la vie doit s’appuyer sur une morale simple et précise. Mais les droits de la pensée n’en demeurent pas moins intangibles. La pensée porte en elle-même sa légitimité. Ne disons jamais qu’elle est immorale. Elle plane au-dessus de toutes les morales. L’homme ne serait pas l’homme, s’il ne pensait librement. Cette indépendance sans réserve que vous revendiquez pour tous, vous la pratiquez pour vous. À vingt ans, vous vous plaigniez naïvement de n’avoir pas trouvé une explication du monde, en une matinée, sous les platanes du Luxembourg. Et la joie vous transporte, quand, quelques années après, à la lumière des idées de Darwin, vous croyez avoir surpris le plan divin. Ce n’était qu’une étape vers la religion d’Épicure, où votre esprit a trouvé l’apaisement, sinon le repos. Le monde n’est qu’un assemblage de phénomènes, la vie un perpétuel écoulement. Mesurée, discrète, sans aucun sacrifice de sincérité, mais toujours élevée dans l’expression, partout où vous la prenez directement à votre compte, l’apologie de la doctrine, lorsque vous la confiez à l’abbé Jérôme Coignard, se donne carrière sans ménagement ni scrupule. ».
     

     
     


    Dans les faits, Anatole France a eu une sorte de consécration inversée : le 31 mai 1922, l'ensemble de son œuvre a été frappée d'une condamnation papale. De même, le mouvement surréaliste a beaucoup critiqué l'œuvre d'Anatole France, en particulier Louis Aragon : « Je tiens tout admirateur d'Anatole France pour un être dégradé. ». Selon l'agrégé de lettres classiques Claude Aziza : « La réputation de France devient ainsi celle d’un écrivain officiel au style classique et superficiel, auteur raisonnable et conciliant, complaisant et satisfait, voire niais, toutes qualités médiocres que semble incarner le personnage de M. Bergeret. Mais nombre de spécialistes de l’œuvre de France considèrent que ces jugements sont excessifs et injustes, ou qu’ils sont même le fruit de l’ignorance, car ils en négligent les éléments magiques, déraisonnables, bouffons, noirs ou païens. Pour eux, l’œuvre de France a souffert et souffre encore d’une image fallacieuse. D'ailleurs M. Bergeret est tout le contraire d'un conformiste. On lui reproche toujours de ne rien faire comme tout le monde, il soumet tout à l'esprit d'examen, s'oppose fermement, malgré sa timidité, aux notables de province au milieu desquels il vit, il est l'un des deux seuls dreyfusistes de sa petite ville… » (Wikipédia). M. Bergeret est le personnage central de "Monsieur Bergeret à Paris" (sorti en 1901).

    Dans son hommage à Anatole France, Paul Valéry a jugé son œuvre littéraire ainsi : « C’est qu’il y avait en lui une souplesse et une diversité essentielles. Il y avait du spirituel et du sensuel, du détachement et du désir, une grande et ardente curiosité traversée de profonds dégoûts, une certaine complaisance dans la paresse ; mais paresse songeuse, paresse aux immenses lectures et qui se distingue mal de l’étude, paresse tout apparente, pareille au repos d’une liqueur trop enrichie de substance et qui, dans ce calme, se fait mère de cristaux aux formes parfaites. Tant de connaissances accumulées, tant d’idées qu’il avait acquises n’étaient pas quelquefois sans lui nuire extérieurement. Il étonnait, il scandalisait sans effort des personnes moins variées. Il concevait une quantité de doctrines qui se réfutaient l’une dans l’autre dans son esprit. Il ne se fixait que dans les choses qu’il trouvait belles ou délicieuses, et il ne retenait en soi que des certitudes d’artiste. Ses habitudes, ses pensées, ses opinions, la politique enfin qu’il a suivie se composaient dans une harmonie assez complexe qui n’a pas laissé d’émerveiller ou d’embarrasser quelques-uns. Mais qu’est-ce qu’un esprit de qui les pensées ne s’opposent aux pensées, et qui ne place son pouvoir de penser au-dessus de toute pensée ? Un esprit qui ne se déjoue, et ne s’évade vivement de ses jugements à peine formés, et ne les déconcerte de ses traits, mérite-t-il le nom d’esprit ? Tout homme qui vaut quelque chose dans l’ordre de la compréhension, ne vaut que par un trésor de sentiments contradictoires, ou que nous croyons contradictoires. Nous exprimons si grossièrement ce qui nous apparaît des autres humains qu’à peine nous semblent-ils plus divers et plus libres que nous-mêmes, aussitôt, nos paroles qui essayent de les décrire, se contrarient et nous attribuons à des êtres vivants, une monstrueuse nature que nos faibles expressions viennent de nous construire. Admirons au contraire cette grande capacité de contrastes. Il faut considérer avec une attention curieuse, cette nature d’oisif, ce liseur infini, produire une œuvre considérable ; ce tempérament assez voluptueux s’astreindre à l’ennui d’une tâche constante ; cet hésitant, qui s’avance comme à tâtons dans la vie, procéder de sa modestie première, s’élever au sommet par des mouvements indécis ; ce balbutiant, en venir à déclarer même violemment les choses les plus hardies ; cet homme d’esprit, et d’un esprit si nuancé, s’accommoder d’être simplifié par la gloire et de revêtir dans l’opinion des couleurs assez crues ; ce modéré et ce tempéré par excellence, prendre parti, avec une si grande et étonnante vigueur dans les dissensions de son temps ; cet amateur si délicat faire figure d’ami du peuple, et davantage, l’être de cœur et tout à fait sincèrement. ».


    Et d'ajouter : « Sceptique et satirique devait être un esprit que distinguait son extrême avidité de tout connaître. Son immense culture lui fournissait abondamment les moyens de désenchanter. Il rendait aisément mythique et barbare toute forme sociale. Nos usages les plus respectables, nos convictions les plus sacrées, nos ornements les plus dignes, tout était invité, par l’esprit érudit et ingénieux, à se placer dans une collection ethnographique, à se ranger avec les taboos, les talismans, les amulettes des tribus ; parmi les oripeaux et les dépouilles des civilisations déjà surmontées et tombées au pouvoir de la curiosité. Ce sont des armes invincibles que l’esprit de satire trouve dans les collections et les vestiges. Il n’est de doctrine, d’institution, de sociétés ni de régimes sur qui ne pèse une somme de gênants souvenirs, de fautes incontestables, d’erreurs, de variations embarrassantes, et parfois des commencements injustes ou des origines peu glorieuses que n’aiment point les grandeurs et les prétentions ultérieures. Les lois, les mœurs, les institutions sont l’ordinaire et délectable proie des critiques du genre humain. Ce n’est qu’un jeu que de tourmenter ces entités considérables et imparfaites que poursuit d’âge en âge la tradition de les harceler. Il est doux, il est facile, périlleux quelquefois, de les obséder d’ironies. Le plaisir de ne rien respecter est le plus enivrant pour certaines âmes. Un écrivain qui le dispense aux amateurs de son esprit les associe et les ravit à sa lucidité impitoyable, et il les rend avec délices semblables à des dieux, méprisant le bien et le mal. ».
     

     
     


    Je propose ici quelques extraits de l'œuvre d'Anatole France.

    Sur la vie humaine : « Plus je songe à la vie humaine, plus je crois qu'il faut lui donner pour témoins et pour juges l'Ironie et la Pitié. L'Ironie et la Pitié sont deux bonnes conseillères; l'une, en souriant, nous rend la vie aimable, l'autre, qui pleure, nous la rend sacrée. L'Ironie que j'invoque n'est point cruelle. Elle ne raille ni l'amour ni la beauté. Elle est douce et bienveillante. Son rire calme la colère, et c'est elle qui nous enseigne à nous moquer des méchants et des sots que nous pourrions, sans elle, avoir la faiblesse de haïr. ».

    Sur la pensée par soi-même : « À mesure qu'on avance dans la vie, on s'aperçoit que le courage le plus rare est celui de penser. ».

    Sur la curiosité : « Pour digérer le savoir, il faut l’avoir avalé avec appétit. ».

    Sur l'enseignement : « Tout l'art d'enseigner se résume à éveiller la curiosité naturelle des jeunes esprits pour la satisfaire ensuite. ».

    Sur l'action politique : « Il est dans la nature humaine de penser sagement et d'agir d'une façon absurde. ».

    Sur la guerre : « On croit mourir pour la patrie, on meurt pour des industriels. ».

    Clivage : « J'ai toujours préféré la folie des passions à la sagesse de l'indifférence. ».

    Dans "Jocaste et le Chat maigre" (1879) : « Il n'aimait pas ces courses au vent et à la pluie. Pour s'en dispenser, il se faisait admettre par ses grimaces à l'infirmerie, où il se pelotonnait sous ses couvertures comme un boa dans une vitrine de muséum. ».

    Dans "La Rôtisserie de la reine Pétauque" (1892), des prémices véganes : « Un honnête homme ne peut sans dégoût manger la chair des animaux et les peuples ne peuvent se dire polis tant qu'ils auront dans leurs villes des abattoirs et des boucheries. Mais nous saurons un jour nous débarrasser de ces industries barbares. ».

    Dans "Le Jardin d'Épicure" (1894) : « Nous appelons dangereux ceux qui ont l'esprit fait autrement que le nôtre et immoraux ceux qui n'ont point notre morale. Nous appelons sceptiques ceux qui n'ont point nos propres illusions, sans même nous inquiéter s'ils en ont d'autres. ». Et aussi : « L'espèce humaine n'est pas susceptible d'un progrès indéfini. Il a fallu pour qu'elle se développât que la terre fût dans de certaines conditions physiques et chimiques qui ne sont point stables. Il fut un temps où notre planète ne convenait pas à l'homme : elle était trop chaude et trop humide. Il viendra un temps où elle ne lui conviendra plus : elle sera trop froide et trop sèche. Quand le soleil s'éteindra, ce qui ne peut manquer, les hommes auront disparu depuis longtemps. Les derniers seront aussi dénués et stupides qu'étaient les premiers. Ils auront oublié tous les arts et toutes les sciences, ils s'étendront misérablement dans des cavernes, au bord des glaciers qui rouleront alors leurs blocs transparents sur les ruines effacées des villes où maintenant on pense, on aime, on souffre, on espère. ».

    Dans "Crainquebille" (1904), apologie pour le président Bourriche : « Ce dont il faut louer le président Bourriche, lui dit-il, c’est d’avoir su se défendre des vaines curiosités de l’esprit et se garder de cet orgueil intellectuel qui veut tout connaître. En opposant l’une à l’autre les dépositions contradictoires de l’agent Matra et du docteur David Matthieu, le juge serait entré dans une voie où l’on ne rencontre que le doute et l’incertitude. La méthode qui consiste à examiner les faits selon les règles de la critique est inconciliable avec la bonne administration de la justice. Si le magistrat avait l’imprudence de suivre cette méthode, ses jugements dépendraient de sa sagacité personnelle, qui le plus souvent est petite, et de l’infirmité humaine, qui est constante. Quelle en serait l’autorité ? On ne peut nier que la méthode historique est tout à fait impropre à lui procurer les certitudes dont il a besoin. ».

    Dans "L'Île des pingouins" (1908) : « Sans doute les raisons scientifiques de préférer un témoignage à un autre sont parfois très fortes. Elles ne le sont jamais assez pour l'emporter sur nos passions, nos préjugés, nos intérêts, ni pour vaincre cette légèreté d'esprit commune à tous les hommes graves. En sorte que nous présentons constamment les faits d'une manière intéressée ou frivole. ». Compétence politique : « Il a déjà trahi son parti pour un plat de riz. C’est l’homme qu’il nous faut ! » (On dirait de nos jours "pour un plat de lentilles", cf
    Olivier Faure vendu à Jean-Luc Mélenchon).

    Dans "Les Dieux ont soif" (1912), sur le vivre ensemble : « La nature nous enseigne à nous entre-dévorer et elle nous donne l'exemple de tous les crimes et de tous les vices que l'état social corrige ou dissimule. On doit aimer la vertu ; mais il est bon de savoir que c'est un simple expédient imaginé par les hommes pour vivre commodément ensemble. Ce que nous appelons la morale est une entreprise désespérée de nos semblables contre l'ordre universel, qui est la lutte, le carnage et l'aveugle jeu de forces contraires. Elle se détruit elle-même et plus j'y pense, plus je me persuade que l'univers est enragé. ».


    Dans "La Révolte des anges" (1914) : « Il faut aimer qui nous aime. La souffrance nous aime et s'attache à nous. Il faut l'aimer si l'on veut supporter la vie ; et c'est la force et la bonté du christianisme de l'avoir compris... Hélas! je n'ai pas la foi, et c'est ce qui me désespère. ».

    Et je conclus par l'amour de la langue. Dans "Les Matinées de la Villa Saïd" (sorti en 1921 chez Grasset), Anatole France a déclaré son amour au français (un tantinet sexiste !) : « La langue française est une femme. Et cette femme est si belle, si fière, si modeste, si hardie, touchante, voluptueuse, chaste, noble, familière, folle, sage, qu'on l'aime de toute son âme, et qu'on n'est jamais tenté de lui être infidèle. ». Anatole a aussi écrit : « Un dictionnaire, c'est l'univers par ordre alphabétique. ». Qu'il puisse faire des émules, qu'on puisse toujours chérir la langue française et surtout la respecter sans trop l'estropier !



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (12 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Anatole France.
    Alexandre Dumas fils.
    François Guizot.
    Laura Blajma-kadar.
    Jean-Pierre Elkabbach.
    Jean-Louis Debré.
    Brigitte Bardot.
    Édouard Philippe.
    Edgar Morin.
    Bernard Pivot.
    Yves Duteil.
    Pierre Perret.
    Françoise Hardy.
    Paul Auster.
    Christine Ockrent.
    Dominique Baudis.
    Racine.
    Molière.
    Frédéric Dard.
    Alfred Sauvy.
    George Steiner.
    Françoise Sagan.
    Jean d’Ormesson.
    Les 90 ans de Jean d’O.

     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241012-anatole-france.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/anatole-france-figure-marquante-de-257035

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/12/article-sr-20241012-anatole-france.html



     

  • 7 octobre 2023 : un an qu'Israël se bat pour sa survie

    « Le 7 octobre a été un point de bascule général. C'est non seulement le plus grand massacre de Juifs depuis la Shoah (…), il y a donc le massacre, il y a les otages, 250 otages, il en reste une centaine, on ne sait pas combien sont vivants, mais surtout, ce qu'il y a eu, et ce qui explique le traumatisme à la fois d'Israël et des Juifs du monde entier, c'est la conscience que l'anéantissement redevenait possible. » (Anne Sinclair, le 3 octobre 2024 sur BFMTV).



     

     
     


    Cela fait un an que les terroristes enragés du Hamas ont massacré plus d'un millier de citoyens israéliens et parfois étrangers venus faire la fête, le samedi 7 octobre 2023 en Israël. Comme l'expliquait bien la journaliste Anne Sinclair sur BFMTV le 3 octobre 2024, c'est un point de bascule. L'horreur à son plus haut niveau : « J'entendais l'autre jour une femme qui s'appelle Céline Bardet, qui est une enquêtrice internationale, qui dirige une ONG qui s'appelle Women are not weapons of war, les femmes ne sont pas des armes de guerre, et qui enquête sur les crimes sexuels, qui a été enquêté sur Boko Haram, qui enquête sur l'Ukraine, qui dit que la sauvagerie de ce qui s'est passé le 7 octobre, elle n'avait jamais vu ça, que, sur les corps suppliciés des femmes même tuées, on s'est acharné à les violer, à les démembrer. ».

    Le point de bascule, c'est l'obligation, pour le gouvernement israélien, soutenu par tout le peuple, d'en finir avec les roquettes régulières et fréquentes dans le ciel, qui viennent du Hamas depuis la bande de Gaza et du Hezbollah depuis au sud du Liban, voire avec la menace nucléaire de la république islamique de l'Iran.

    En un an, avec malheureusement beaucoup de trop de morts collatérales d'innocents, le gouvernement israélien a éliminé de nombreux terroristes du Hamas et de nombreux terroristes du Hezbollah, en intervenant sur le terrain à Gaza et au Liban. Le point le plus fort a été sans doute l'élimination le 27 septembre 2024 à Beyrouth de Hassan Nasrallah, le secrétaire général du Hezbollah depuis le 16 février 1992, responsable entre autres de
    l'assassinat des 58 soldats français le 23 octobre 1983, des prises d'otages français à Beyrouth, et des attentats terroristes en France dans les années 1980 et 1990. La perspective de nouveaux 7 octobre venant du sud du Liban a convaincu Benyamin Netanyahou d'intervenir au Liban à partir du 23 septembre 2024.

    Pour autant, les deux mouvements terroristes ne seront jamais complètement détruits et l'Iran a aussi attaqué Israël (180 missiles envoyés en Israël le 1er octobre 2024 après une première attaque le 14 avril 2024). À cause des bombardements du Hezbollah, 80 000 Israéliens ont dû être évacués du nord du pays, ce qui représente l'équivalent d'environ 500 000 Français déplacés en France si on prend en compte la différence de population.


    Revenons au massacre du 7 octobre 2023 qui a été le catalyseur de cet embrasement régional. Il y a eu près de 1 300 personnes massacrées, la plupart de jeunes Israéliens qui se sont rassemblés pour des festivals musicaux, à quelques kilomètres de la frontière avec Gaza (quatre kilomètres). Parmi les personnes rescapées, une jeune femme qui a eu du cran de venir témoigner à la télévision. Elle l'a fait sur BFMTV dans la matinée du vendredi 13 octobre 2023, interrogée par le journaliste Bruce Toussaint. Elle était encore sous le choc, moins d'une semaine après la tragédie.
     

     
     


    Elle s'appelle Laura Blajman-Kadar. Son témoignage était d'autant plus poignant, émouvant, qu'elle s'exprimait bien, très bien, avec une aisance naturelle à l'oral. Ce qui est extraordinaire, c'est qu'elle était à la fois très émue, effondrée, encore sous le choc après quelques jours (elle a perdu beaucoup d'amis sous ses yeux dans des conditions atroces), mais elle avait cependant le cran, le courage, de penser à l'avenir, à plus tard. Elle est Franco-israélienne, venue habiter en Israël à l'âge de 8 ans. Elle avait 35 ans et faisait partie des organisateurs du festival. Plus exactement, elle avait organisé l'Unity Festival la veille, le 6 octobre 2023, et elle est restée sur place le lendemain pour donner un coup de main (et participer) à un autre festival de musique électronique, Tribe of Nova.

    Ses premiers mots exprimaient son état d'esprit : « On ne peut pas se sentir très miraculés quand on est entre des enterrements. Là, dans quelques minutes, je dois partir parce qu'on enterre un de mes meilleurs amis. Hier, on a reçu cinq noms des amis qui ont été retrouvés morts. Je ne sais pas si vous savez, mais ils ont retrouvé des centaines de corps, mais ça prend du temps à identifier les corps car on ne peut seulement le faire qu'avec des tests ADN, parce que les corps sont dans des états terribles. En fait, on reçoit tous les jours des noms des gens qui ont été retrouvés morts. Et on a énormément d'amis absents, on attend d'entendre s'ils sont morts ou s'ils sont pris otages. Donc, ce sont des jours très très durs pour nous. ».


    Son histoire : elle et son mari ont entendu des roquettes, alors ils se sont couchés mais au début, ils n'étaient pas très inquiets car c'est habituel. Ils se sont mis dans la caravane et ils allaient ensuite partir : « On attend que les roquettes se terminent et on rentre à la maison. On a pris notre voiture et notre caravane, on allait partir et puis on a entendu les coups de feu et on a compris qu'ils tiraient sur tout le monde. Il n'y avait aucun endroit pour se cacher (…), pas d'abri. Il y avait des roquettes qui tombaient du ciel, il y avait des terroristes de partout, qui tiraient de partout, et on a couru se cacher dans la caravane. On était restés dans cette caravane sept personnes, pendant six heures, c'est une petite caravane de deux personnes, c'est pas plus que ça, c'était fermé à clef mais c'est une fermeture en plastique, et pendant six heures, on était couchés parterre dans la caravane. Il faisait une chaleur, c'était de 50°C, on était en train de transpirer. On était allongés sept personnes parterre dans le silence et on entend les terroristes dehors crier Allah akbar, et tuer tous nos amis, on les a entendus arriver débarquer, tuer des quantités... on a entendu des gens hurler dehors. ».
     

     
     


    L'hésitation du destin, ce fil si fin qui l'a reliée à la vie : « Et après l'endroit est devenu silencieux, ils sont revenus une deuxième fois, pour achever les gens, pour vérifier que... tirer une deuxième fois sur nos blessés pour être sûrs que tout le monde était mort. Ils ont essayé de nous ouvrir la porte de la caravane. Mon mari et moi, on était encore dans la caravane. C'est le moment qu'on s'est dit au revoir. Parce que, quand tu as un terroriste en train de taper à la porte, vous comprenez que votre dernier moment arrive. Alors, j'ai dit à mon mari que je l'aime. J'ai fermé les yeux. Et j'espérais mourir vite. C'était ça, ma seule prière, de mourir vite. De ne pas être kidnappée parce que... on a des dizaines de filles, de femmes qui sont maintenant kidnappées dans la bande de Gaza. Et je n'ose pas réfléchir, mais qu'est-ce qui est en train de se passer à mes copines qui sont là-bas ? On a des filles de 13 ans et de 15 ans qui sont maintenant, pendant que nous discutons, à Gaza. Donc, oui, moi, j'ai préféré sur le coup, j'espérais, j'ai prié de mourir vite et de ne pas être kidnappée. ».

    L'horreur à l'état pur : « Et donc, cela a pris six très très longues heures que Tsahal a réussi à arriver où on était et à se battre contre eux. Après six heures, quand on nous a dit qu'on pouvait sortir de la caravane, ce que mes yeux ont vu, je ne l'oublierai jamais. Parce que les centaines de cadavres de mes amis qu'ils ont trouvés, on les a vus. On est sortis de la caravane et c'était un massacre total. Il y avait des cadavres partout, des jeunes couples. Surtout, il faut dire, ce festival de musique, c'est des festivals de tous âges. Il y a des familles qui viennent avec leurs enfants, il y avait des poussettes là-bas, il y a des enfants de 20 ans, il y a des gens de mon âge de 35 ans. On a un ami, Ilan, qui est pris en otage, qui a 57 ans. Il y avait des gens de tous âges qui dansaient dans ces festivals, et des heures plus tard, il y avait cadavres de tous les âges, qui étaient là-bas parterre. ».
     

     
     


    Combattre le terrorisme jusqu'au bout : « Pour nous, ce n'est toujours pas terminé, parce que la guerre, que nous, on n'a pas demandée, vient seulement de commencer. Nous, on n'a demandé qu'aller danser quelques heures dans un champ, c'est ce qu'on voulait. On continue à recevoir les noms de nos morts tous les jours, on enterre nos amis tous les jours, et aujourd'hui, on comprend qu'il n'y a plus aucune différence entre le Hamas et Daech. Parce que les choses que j'ai entendues juste à côté de moi, ce n'est pas des hommes qui font ça, ce n'est pas des êtres humains. ».

    Poursuite du témoignage, pendant les combats : « On les a entendus se battre avec Tsahal. Après, les choses sont devenues silencieuses. Ils ont tiré sur la caravane. Mon mari a eu une balle qui est passée juste au-dessus de sa tête. Et la deuxième balle, elle est rentrée dans la clim. Et donc, on a entendu le gaz de la clim rentrer dans la caravane. On a commencé à se sentir mal. J'ai eu très très peur de perdre connaissance. Puis après une heure, c'est devenu silencieux. On a eu beaucoup de chance, on a réussi à discuter avec le producteur du Nova Festival, c'est un ami à nous (…). Il est resté sur le terrain, il a réussi à prendre une arme d'un des terroristes et se battre avec Tsahal. C'est un homme incroyable. Et on a réussi à l'avoir au téléphone, il a dit qu'il nous voyait de loin parce qu'il était aux urgences, il voyait ma caravane de loin, il m'a dit qu'on peut sortir, mais sortez les mains en haut, pour que personne ne se trompe et ne tire dessus. Il y avait encore des terroristes un peu partout. Il nous a dit qu'on peut sortir, on a cassé la porte et on a couru, c'était peut-être deux cents, trois cents mètres, mais... Dans les films, dans les films, on ne voit pas les choses comme ça ! ».
     

     
     


    Le deuil et la désolation : « J'ai couru au-dessus des cadavres des amis à moi. Comme je suis productrice de festival de musique, je connais ces gens, c'est mon monde. Tous les visages qui étaient parterre, c'est des gens que je connais, j'ai dansé avec, j'ai travaillé avec, c'est de copains, c'est des amis, c'est des camarades. On a perdu des centaines de personnes. Vous savez, l'été dernier, on était en festival au Portugal, en Suisse, c'est le même genre de festival. Mais qui peut imaginer une chose pareille ? Quand j'étais au Boum Festival il y a deux ans, j'étais étonnée de rencontrer tellement de Français qui aiment cette musique (…), qui connaissent tous les DJ israéliens, j'ai rencontré plein d'amis français qui ont dansé avec nous là-bas. Alors, vraiment, je demande à mes amis français, qui ont dansé avec nous, qui nous connaissent, des Français que j'ai grandi avec en France, comprenez ce qui nous passe. On a des hommes, des femmes, des enfants, des bébés, des bébés de quelques mois qui sont pris otages à Gaza. Alors, il faut comprendre ce qui nous passe. Il faut comprendre que c'est un massacre qui n'a jamais eu dans le passé pareil, en Israël pour le peuple juif. Pour nous, c'est la Shoah, la deuxième fois, ce qu'on nous a fait. Et il faut aussi comprendre qu'on a le droit maintenant de tout faire pour ramener nos amis à la maison. Parce que mes amis sont à Gaza. J'imagine que vous avez tous vu la vidéo de Noah qui était prise otage en auto. Hier, c'était son anniversaire, c'était son 26e anniversaire. Elle doit revenir à la maison. Ils sont obligés de revenir à la maison. Et c'est notre devoir, comme pays d'Israël, l'âme d'Israël, notre devoir de ramener nos gens à l'abri à la maison. ».
     

     
     


    Son témoignage très émouvant d'une dizaine de minutes s'est déroulé sans quasiment aucune interruption du journaliste, laissant ainsi s'installer des silences remplis de larmes. Et puis, cette dernière remarque, cette anticipation de la guerre difficile qu'allait mener Israël contre les organisations terroristes.

    Aucune haine, et le souci de l'avenir, en paix pour tous : « Je voudrais juste dire une seule chose, si vous permettez, une dernière chose. Il commence maintenant une guerre qu'on n'a pas voulue qui va être horrible. J'ai perdu énormément d'amis, mes deux petits frères là maintenant sont dans l'armée, et je sais que je perdrais encore des amis. Mais quand cette guerre se terminera, le Hamas ne peut plus exister, parce que le Hamas, c'est comme Daech, il ne peut plus exister. Et à la fin de cette guerre, il y aura deux gagnants, ce sera le pays d'Israël et le peuple palestinien. Parce que surtout, il ne faut jamais oublier que le peuple palestinien souffre du Hamas, comme nous. Et espérons que cette guerre se terminera le plus vite possible avec le moins de morts des deux côtés. Parce qu'on veut tous simplement vivre en paix et en silence. ».

    Laura Blajman-Kadar a eu besoin de raconter ce qu'elle a vécu, surtout en mémoire de ses amis tués ou enlevés. Elle a fini son livre en Inde. Il est sorti le 21 mars 2024 aux éditions Robert Laffont (avec la collaboration de Dominique Rouch) sous le titre "Croire en la vie". L'occasion pour elle de retourner devant les micros pour parler de cette horreur indicible (en fin d'article, cinq exemples en vidéos). Un besoin de parler, de ne pas se taire, de garder la mémoire, pour les générations futures, et aussi, cette interrogation qu'ont eu la plupart des rescapés des
    camps d'extermination : pourquoi moi ? pourquoi ai-je réchappé au massacre ? pourquoi suis-je encore vivant ? Et cette terrible évidence : le hasard.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (05 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    7 octobre 2023 : un an qu'Israël se bat pour sa survie.
    Laura Blajman-Kadar.
    7 octobre 2023 : l'hommage aux victimes françaises.
    Discours du Président Emmanuel Macron en hommage aux victimes du 7 octobre 2023 aux Invalides le 7 février 2024 (texte intégral et vidéo).
    L'avenir de la France se joue aussi à Gaza !
    La naissance de l’État d’Israël.
    David Ben Gourion.
    Eden Golan.
    Walid Daqqa.
    Gaza : quel est l'accord entre Israël et le Hamas ?
    Le rappel très ferme d'Emmanuel Macron contre l'antisémitisme.
    Conflit israélo-palestinien : la France est-elle concernée ?
    Dominique de Villepin toujours pro-palestinien ?
    Emmanuel Macron participera-t-il à la grande marche contre l'antisémitisme du 12 novembre 2023 ?
    Gaza, victime avant tout du Hamas ?
    Quel est le bilan de la visite d'Emmanuel Macron au Proche-Orient ?
    Proche-Orient : l'analyse crue de Jean-Louis Bourlanges.
    Pourquoi Emmanuel Macron se rend-il en Israël ce mardi 24 octobre 2023 ?
    Hôpital à Gaza : la vérité aveuglée par la colère ?
    Hamas : tirs groupés contre les insoumis.
    Horreur en Israël : les points sur les i de Gérard Larcher et Emmanuel Macron.
    Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron le 12 octobre 2023 (vidéo et texte intégral).
    Allocution du Président du Sénat Gérard Larcher le 11 octobre 2023 (texte intégral).
    Horreur totale en Israël ; émotion et clarification politique en France.
    Israël en guerre contre son agresseur terroriste, le Hamas.
    Les Accords d'Oslo.


















    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241006-massacre-israel.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/7-octobre-2023-un-an-qu-israel-se-250951

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/05/article-sr-20241006-massacre-israel.html







     

  • Michel Blanc marche à l'ombre

    « Putain Michel… Qu’est-ce que tu nous as fait !… » (Gérard Jugnot, le 4 octobre 2024 sur Instagram).




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    Le comédien Michel Blanc est mort à l'âge de 72 ans dans la nuit du 3 au 4 octobre 2024, à l'hôpital des suites d'un malaise cardiaque à son domicile. Une nouvelle qui a de quoi émouvoir de nombreuses personnes tant l'acteur était populaire.

    Michel Blanc avait deux caractéristiques : il était un excellent acteur tant dans les comédies que dans les drames (ce qu'on a pu entrevoir aussi avec Coluche, avec "Tchao Pantin"), mais aussi, il fait partie des rares acteurs (il y en a quelques-uns) qui ont pu se faire une réputation également dans la réalisation de films. Il était aussi comédien au théâtre, là où il a débuté (avec la troupe du Splendid) et en même temps metteur en scène.

    Le monde du théâtre et le monde du cinéma l'avaient d'ailleurs récompensé plusieurs fois : prix du scénario au Festival de Cannes en 1994, prix d'interprétation masculine au Festival de Cannes en 1996, deux Césars (un du meilleur acteur dans un second rôle et 2012, un d'anniversaire avec la troupe du Splendid) et sept autres nominations aux Césars, un Molière de l'adaptateur en 2004 (et cinq autres nominations aux Molières).

    À l'origine du Splendid, une bande de copains au lycée Pasteur, à Neuilly-sur-Seine.
    Gérard Jugnot était à côté de Michel Blanc en classe de terminale et leur bureau était collé à celui du prof, ce qui leur permettait de chahuter sans trop se faire voir... jusqu'au jour où ils ont été pincés : « Blanc et Jugnot, plus jamais ensemble ! ». Gérard Jugnot était aussi copain avec Thierry Lhermitte lui-même copain avec Christian Clavier. Le Splendid s'est constitué rue du Faubourg Saint-Martin, à Paris, avec aussi Josiane Balasko, Marie-Anne Chazel et Bruno Moynot. Du rire, des pièces de théâtre, et puis plusieurs films qui ont fait leur succès, la série des Bronzés de Patrice Leconte et "Le Père Noël est une ordure" de Jean-Marie Poiré (sorti le 25 août 1982). Ensuite, chacun est allé de son côté au cinéma et au théâtre.

    Le jeu de Michel Blanc parlait à beaucoup de Français parce qu'il était avant tout un anti-héros, ou, au mieux, un individu ordinaire, monsieur tout-le-monde. Bien entendu, parce que cela lui est resté collé à la peau comme pour les autres acteurs de la série, Michel Blanc est mémorable dans "Les Bronzés" (sorti le 22 novembre 1978) et surtout, "Les Bronzés font du ski" (sorti le 21 novembre 1979) dans sa recherche pitoyable, désespérée et lourdement obsédante (presque
    houellebecquienne !) de vouloir absolument "conclure" (profitant de circonstances néfastes).

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    Lors de retrouvailles de la bande du Splendid le 13 avril 2024, Michel Blanc expliquait à "Paris Match" : « C’est un peu tout le problème. À l’époque, on a écrit des personnages qui étaient assez proches de nous. Jean-Claude Dusse, c’était clairement pour moi, pas pour Thierry Lhermitte. J’ai très vite eu peur qu’on m’y associe toute ma vie. ». Avec ses compères, il avait une grande envie de recommencer l'aventure commune, mais absolument pas dans le cadre des Bronzés.

    Heureusement, le rôle de Jean-Claude Dusse n'a pas tant que ça collé à la peau de Michel Blanc car il s'est beaucoup renouvelé. Étrangement, son seul véritable César, il l'a dû pour "L'Exercice de l'État" de Pierre Schoeller (sorti le 26 octobre 2011) dont je n'ai pas du tout apprécié la non-histoire. Certes, il faisait excellemment le directeur de cabinet du ministre, mais il a été peu servi par le scénario qui voulait en mettre plein les yeux du pouvoir sans pour autant en montrer le fond (les choses concrètes, les décisions, les difficultés de prendre des décisions, les enjeux politiques, économiques, sociaux). Je n'ai jamais compris pourquoi ce film a eu tant de bonnes critiques alors que pour mieux comprendre le mécanisme du pouvoir, "
    Quai d'Orsay" de Bertrand Tavernier (sorti le 6 novembre 2013) vaut mille fois mieux (avec un autre membre du Splendid, Thierry Lhermitte). Le monde du cinéma paraît très hermétique à celui du pouvoir politique, et pour que ce soit un vrai succès, il faut que parmi les scénaristes, il y ait au moins une personne de ce monde politique, pour avoir la connaissance de l'intérieur (comme ce fut le cas pour "Quai d'Orsay" avec Antonin Baudry alias Abel Lanzac).

    L'intérêt de "L'Exercice de l'État", c'est qu'on peut dire que Michel Blanc était un véritable acteur, c'est-à-dire que la personnalité se collait, s'adaptait au personnage et pas l'inverse. Il se moquait de lui-même en affirmant qu'il aimait le rôle de névrosé, comme il le reconnaissait le 12 janvier 2010 pour la sortie de "Une petite zone de turbulences" d'Alfred Lot : « Je n’aime pas les habitudes, les charentaises dans lesquelles on pantoufle, mais comment résister aux névroses, si jouissives à interpréter ? C’est comme un exorcisme. Et puis, je n’ai pas besoin de me documenter ! ».

    J'écrivais
    il y a deux ans : « Il y aurait en effet deux Michel Blanc… Le jeune chauve et moustachu, qui est un chauve triste, solitaire, à la limite de la dépression, en tout cas, désespéré, en opposition avec un autre chauve du Splendid, le sympa, le jovial, le collectif, le bon compagnon, qu’est Gérard Jugnot… enfin, je suis dans la caricature et je parle évidemment des rôles de Michel Blanc et pas de sa propre personnalité, c’est parfois difficile de faire la différence tant des réalisateurs utilisent justement la personnalité de leurs principaux acteurs pour raffermir les personnages de leurs fictions. Mais ce n’est pas toujours le cas, qui de l’acteur ou de son personnage l’emporte sur l’image publique ? En tout cas, il est dans la vraie vie l’hypocondriaque et l’angoissé de nombreux de ses personnages, ce qui le rend bien sûr authentique, authentiquement névrosé ! ».

    Et un peu plus loin : « En tout cas, il y avait manifestement, et depuis longtemps, un second Michel Blanc qui mijotait, effectivement plus dramatique que comique, avec des personnages de plus de maturation, et le jeu de plus de maturité, presque le physique a changé, pas forcément l’âge qui enlève le lissage de la jeunesse, mais peut-être la moustache en moins et les lunettes en plus. ».

    Il y a eu bien sûr de grands succès pour l'acteur et même le réalisateur, qui prenait l'audace d'évoquer la situation des SDF, l'homosexualité, les agressions sexuelles, ou d'autres sujets sociétaux rarement évoqués à l'époque au cinéma, comme notamment dans "Viens chez moi, j'habite chez une copine" de Patrice Leconte (sorti le 28 janvier 1981), "Marche à l'ombre" de lui-même (sorti le 17 octobre 1984), "Tenue de soirée" de Bertrand Blier (sorti le 23 avril 1986), "Grosse Fatigue" de lui-même (sorti le 18 mai 1994), etc. Il y a eu également d'autres succès avec "Papy fait de la Résistance" de Jean-Marie Poiré (sorti le 26 octobre 1983), pour un petit rôle, et "Uranus" de Claude Berri (sorti le 12 décembre 1990).

    On peut aussi apprécier des rôles plus improbables de Michel Blanc, comme dans "Je vous trouve très beau" d’Isabelle Mergault (sorti le 11 janvier 2006), où il semble jouer un remake du "Bonheur est dans le pré", agriculteur en recherche de compagne après la mort de sa femme, ou dans "Les Souvenirs" de Jean-Paul Rouve (sorti le 14 janvier 2015), une adaptation très réussie de l'excellent roman de
    David Foekinos, avec Annie Cordy, Mathieu Spinosi et Chantal Lauby.

    De tous ses rôles, je choisirais, s'il ne fallait en choisir qu'un seul, celui de "Monsieur Hire", un film de (encore) Patrice Leconte (sorti le 24 mai 1989) : il y est un commerçant peu aimé de son quartier, solitaire, misanthrope et taciturne, tombé amoureux de sa (jeune) voisine (jouée par la succulente
    Sandrine Bonnaire) qu'il espionne. Il se trouve alors entraîné dans une mécanique infernale due à son obsession. Cette adaptation de George Simenon (mort peu après la sortie du film) est particulièrement réussie, avec un flou voulu sur l'unité de temps et l'unité de lieu. Patrice Leconte avait d'ailleurs souhaité confier ce rôle à Coluche avant qu'il ne mourût. Le choix de Michel Blanc proposé par le réalisateur était donc un pari sur l'acteur. Réussi.

    Ses trois derniers films sont sortis l'année dernière : "Les Cadors" de Julien Guetta (sorti le 11 janvier 2023), avec Jean-Paul Rouve, Grégoire Ludig et Marie Gillain ; "Les Petites Victoires" de Mélanie Auffret (sorti le 1er mars 2023), avec Julia Piaton, où il est un illettré qui veut retourner à l'école, et "Marie-Line et son juge" de Jean-Pierre Améris (sorti le 11 octobre 2023), avec Louane Emera et Victor Belmondo, où il est le juge.


    Quitter ainsi une bande de copains. En solitaire. Michel Blanc manquera beaucoup aux cinéphiles parce qu'il était toujours à la recherche d'une permanent renouvellement. Mais son dernier rôle n'est pas terrible du tout... RIP.


    Aussi sur le blog.


    Sylvain Rakotoarison (04 octobre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    Authentique névrosé ?
    Michel Blanc.
    Brigitte Bardot.
    Marcello Mastroianni.
    Jean Piat.
    Sophia Loren.
    Lauren Bacall.
    Micheline Presle.
    Sarah Bernhardt.
    Jacques Tati.
    Sandrine Bonnaire.
    Shailene Woodley.
    Gérard Jugnot.
    Marlène Jobert.
    Alfred Hitchcock.
    Les jeunes stars ont-elles le droit de vieillir ?
    Charlie Chaplin.

     

     
     







    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241004-michel-blanc.html

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/michel-blanc-marche-a-l-ombre-257065

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/04/article-sr-20241004-michel-blanc.html

     

  • Taisez-vous, Elkabbach !

    « Un homme (…), qui voit toute sa vie à demeurer l'exact contemporain de son époque. Jean-Pierre Elkabbach voulait en être. En être de son époque, pleinement. En être des vedettes, des gens qui comptent, des princes du temps. En être, surtout, de l'histoire qui s'écrit et se raconte, se transmet et demeure. » (Emmanuel Macron, le 9 octobre 2023 à Paris).


     

     
     


    Et il s'est tu. À la suite d'un accident et d'une maladie. Le journaliste Jean-Pierre Elkabbach est mort il y a un an, le 3 octobre 2023 à l'âge de 86 ans. Il représente pour beaucoup la compétence du journaliste, mais aussi sa trop grande proximité avec le pouvoir, quel que soit le pouvoir.

    Jean-Pierre Elkabbach était un excellent journaliste dans le genre intervieweur, celui qui accouche les esprits, celui va chercher jusqu'à des personnalités improbables, peu connues du grand public mais qui ont beaucoup de choses intéressantes à raconter, en politique mais aussi en culture, en science, etc., et il était aussi un patron de presse très gourmand, voire un peu trop ! Sa notoriété, elle lui est venue d'avoir présenté le journal télévisé de la première chaîne de 1970 à 1972 puis de la seconde chaîne de 1972 à 1974, ce qui assurait une rapide célébrité, mais, au contraire de Christine Ockrent, Jean-Pierre Pernaut, Patrick Poivre d'Arvor, Yves Mourousi, Claire Chazal et quelques autres, ce n'était pas le cœur de ses passions audiovisuelles.

    Patron de presse : il a été (entre autres) président de France Télévisions de 1993 à 1996, puis président de Public Sénat de 1999 à 2009 et président d'Europe 1 de 2005 à 2008. Intervieweur de talent : (entre autres) avec l'émission "Carte sur table" aux côtés du brillant politologue
    Alain Duhamel sur Antenne 2 de 1977 à 1981 (d'où est née l'expression "Taisez-vous Elkabbach !" que n'aurait pas hurlé directement Georges Marchais, mais simplement son génial imitateur Thierry Le Luron), l'émission "Découvertes" sur Europe 1 de 1981 à 1987 (une émission quotidienne de 18h à 19h, assez longue pour comprendre en profondeur le message de son invité), la matinale d'Europe 1 de 1997 à 2017 ainsi que l'excellente émission culturelle "Bibliothèque Médicis" sur Public Sénat de 1999 à 2018.

    Il a par ailleurs été la "vedette" de trois événements audiovisuels : c'est lui, aux côtés d'Étienne Mougeotte, qui a annoncé à la France entière la victoire de
    François Mitterrand le 10 mai 1981 à 20 heures sur Antenne 2, une séquence de télévision qui a été très fréquemment reprise pour évoquer la victoire socialiste, avec sa disgrâce audiovisuelle, Jean-Pierre Elkabbach ayant été trop associé au septennat de Valéry Giscard d'Estaing ; ce qui ne l'a pas empêché de devenir un confident très particulier du successeur, François Mitterrand qui lui a accordé l'émission sans doute la plus importante de sa carrière, une interview à l'Élysée le 12 septembre 1994 sur France 2 pour évoquer son passé pendant la guerre, ses amitiés troublantes et sa fille Mazarine ; enfin, il a été beaucoup critiqué dans son mode de gestion sur France Télévisions, permettant à des producteurs-animateurs de s'enrichir énormément avec de l'argent public, ce qui l'a conduit à démissionner.

    Tout cela, le Président de la République, dans un
    hommage prononcé le 9 octobre 2023 dans les locaux même France Télévisions à Paris, l'a rappelé. Emmanuel Macron s'est souvenu de cette émission mémorable du 12 septembre 1994 avec son lointain prédécesseur socialiste : « Ainsi, les téléspectateurs virent deux hommes, deux vies françaises, deux rapports au pouvoir et au destin. Un Président frappé par la maladie, défendant son parcours à travers une époque de clair-obscur. Un journaliste se hissant à la hauteur du moment, implacable et subtil, intraitable et concentré. Ce moment dit tout du journaliste qu’était Jean-Pierre Elkabbach. Un journaliste qui voulait porter la plume, le Nagra, la caméra dans les plaies de l'époque. Un homme de presse avec ce que son métier, selon lui, supposait de proximité, de chaleur, de voisinage, avec les grands de France et du monde. Un patron qui avait le génie de fomenter, d'obtenir, d'organiser des coups naturellement, spontanément, instinctivement. ».

    Le chef de l'État a aussi rappelé son professionnalisme : « Jean-Pierre Elkabbach, à force de vouloir écrire l'Histoire, s'y brûla parfois. Sa participation au
    mai 68 de l'ORTF lui valut d'un court bannissement, mais parce qu'il exigeait, selon ses propres mots "du rythme et des idées", qu'il travaillait jour et nuit, obsédé et possédé par son métier, Jean-Pierre Elkabbach revint et reprit sa marche vers les sommets. ».
     

     
     


    Pour montrer sa puissance d'innovation, Emmanuel Macron a cité son émission "Actuel 2" sur Antenne 2 en 1974 : « Le titre était un hommage à Albert Camus. Il était aussi comme sa devise personnelle, demeurer actuel. Dans cette émission profondément novatrice, on put voir alors ce qu’on ne voyait pas ailleurs : Brigitte Bardot interrogée par Nathalie Sarraute sur son manque de solidarité avec la cause des femmes. Jean-Edern Hallier, chroniqueur social des luttes de Lip face à François Mitterrand. René Dumont défendant un mot alors presqu’inconnu, celui d’écologie. Ou Delphine Seyrig racontant le procès de Bobigny. ».

    Et d'ajouter : « Toujours, le journaliste voulait être de son temps. Cela supposait de bousculer, comme de faire émerger les talents, tels Gérard Holtz, Hervé Claude, Claude Sérillon, Nicole Cornu-Langlois, Noël Mamère, Daniel Bilalian, Patrick Poivre d'Arvor, et tant d’autres, d’inventer la rubrique Météo avec Alain Gillot-Pétré. Il fallait être toujours sur la brèche, transgressif et travailleur. ».

    Marqué aussi par l'émission "Découvertes" sur Europe 1 : « Avec
    Philippe Gildas, le directeur d’antenne, avec Béatrice Schönberg, tous les après-midis, Jean-Pierre Elkabbach se remit à faire ce qu’il savait faire de mieux : capturer l’esprit du temps, lire la modernité artistique, sociale, culturelle, sociologique et en déduire des émissions. La sienne s’appelait logiquement "Découvertes" et naviguait de Raymond Aron à Thierry Le Luron, des spectacles parisiens aux reportages en région. ».

    Emmanuel Macron insista sur le talent d'intervieweur dont il fut l'une des victimes : « Ce serait une litote de dire que Jean-Pierre Elkabbach était un intervieweur redoutable, sans doute l'un des plus travailleurs, des plus rusés, le plus théâtral, le plus aguerri. Combien s'y sont fait prendre ? "Celui-là, la prochaine fois qu'il reviendra me voir, il aura appris la messe par cœur" concluait le journaliste après avoir terrassé un impétrant. N’hésitant pas à voler les invités à la concurrence, il cherchait à repérer les visages de demain en même temps que les valeurs du moment. Beaucoup, j’en suis, y accomplirent une sorte de baptême du feu. Les interviews de Jean-Pierre Elkabbach sur Europe 1, puis brièvement sur CNews, entrèrent dans la légende, entrèrent même dans la liturgie de notre République. Il y avait les mardis et les mercredis, les questions au gouvernement et tous les matins, les questions de Jean-Pierre Elkabbach. Ses interviews se jouaient cartes sur table, opéraient toujours de vraies découvertes, ambitionnaient d'être actuelles, comme un résumé de toute sa carrière. ».

     

     
     


    Paradoxalement, l'homme de cultures et de lectures qu'était Jean-Pierre Elkabbach n'a pas laissé beaucoup d'écrits. Il était un homme de l'audiovisuel, avec sa voix agréable et reconnaissable parmi toutes, mais pas une plume très prolifique. S'il a publié quatre ouvrages, il n'en a véritablement sorti qu'un seul exposant sa vie, un an avant sa mort, le 27 octobre 2022, son autobiographie (avec l'aide de Martin Veber), "Les Rives de la mémoire" dont les premiers mots évoquent son origine : « Je suis un enfant de la Méditerranée, de son soleil, de ses rivages arides, de la mer. J'ai quitté Oran, la ville où je suis né, à l'aube de ma vie d'adulte. C'était le début de la guerre d'indépendance. L'Algérie que je laissais derrière moi était devenue un pays de violence et de mort. Je suis parti sans regret. Pendant toute mon adolescence, je ne pensais qu'à cela : fuir Oran, cette ville sans horizon, rejoindre la France et surtout Paris, où tout me semblait possible. ».

    Le professionnalisme de Jean-Pierre Elkabbach a transpiré pendant toute sa carrière, et il y a mille et un exemples. J'en prends un car il est très intéressant. Depuis qu'il fait de la politique,
    Laurent Fabius n'est pas vraiment ma tasse de thé. Je n'ai jamais apprécié sa condescendance et son esprit partisan. Néanmoins, j'étais très étonné qu'on lui reprochât d'avoir été mêlé au scandale du sang contaminé car j'avais le souvenir, au contraire, qu'il avait, en tant que Premier Ministre, eu le courage d'anticiper les risques avec le sida. Je suis donc très heureux de lire dans l'autobiographie de Jean-Pierre Elkabbach le même genre de réflexion.

    Il a eu de très mauvaises relations avec Laurent Fabius dont il a pourtant été le premier intervieweur en 1975 sur France Inter (invité avec
    Jacques Attali pour promouvoir son premier livre). En effet, pendant la campagne présidentielle de 1981, Laurent Fabius, directeur de campagne de François Mitterrand, ne voulait pas que Jean-Pierre Elkabbach invitât Michel Rocard à la télévision. Il lui a téléphoné ainsi : « Il en est hors de question. Je suis le directeur de campagne, je ne veux pas de lui à l'antenne. ». Réponse immédiate : « Oui, mais le directeur de l'information, c'est moi, et c'est ma décision. ». Réplique et menace à peine voilée : « Si nous gagnons, vous allez voir ce que nous ferons des gens comme vous ! ». Mais il ne s'est pas laissé intimider : « Écoutez, faites ce que vous voulez. Ce soir, moi, je vous emm@rde ! ». Cela donne une idée du caractère bien trempé.

    Évidemment, la gauche est arrivée au pouvoir et les relations entre Jean-Pierre Elkabbach et Laurent Fabius furent exécrables. Jusqu'à l'affaire du sang contaminé : « Pendant des années, il me poursuivit de sa rancune. Nos relations s'apaisèrent dans la tourmente de l'affaire du sang contaminé. Partout, on entendait que Fabius n'avait rien vu et avait failli. Or j'avais suivi les débats et je fis remarquer lors d'une émission qu'on lui faisait subir un mauvais procès. En effet, l'ancien Premier Ministre avait été le premier haut responsable à réagir aux alertes. Dès le 19 juin 1985, il avait prononcé devant une Assemblée Nationale indifférente le dépistage obligatoire des donneurs de sang afin d'éviter les contaminations lors des transfusions. Mon intervention n'était que justice et simple rappel des faits. Je n'aimais pas l'acharnement dont il était l'objet. Il m'appela pour me remercier et nous nous revîmes. J'étais l'un des rares à avoir publiquement pris sa défense. ».

    Et de commenter sa relation jusqu'à sa mort : « Par la suite, nos rencontres furent empreintes d'une amabilité courtoise dont ni l'un ni l'autre n'était dupe. Aujourd'hui, la Présidence du Conseil Constitutionnel lui va bien. Il applique avec les huit sages la même méthode qu'avec moi : distance et parole rare. ». Un exemple : « Quand je le conviais aux matins d'Europe 1, il répondait avec parcimonie à mes invitations, mais il venait. Généralement, après l'entretien, les journalistes de la rédaction se pressaient autour de l'invité pour poursuivre les échanges plus librement, en quête de révélations. Leurs coqueluches étaient
    Nicolas Sarkozy, Emmanuel Macron, Bernard Arnault, François Hollande et Arnaud Montebourg. Laurent Fabius, lui, faisait salle vide, victime de sa condescendance. ». Le journaliste conclut sur sa rancœur de ne pas avoir pu être Président de la République, dépassé par Michel Rocard, Lionel Jospin, Dominique Strauss-Kahn, François Hollande... : « Un Président de la République vit la solitude du pouvoir. Laurent Fabius est un solitaire sans pouvoir. ».

    Dans ce livre, qui rapporte une soixantaine d'années de carrière de journaliste politique, Jean-Pierre Elkabbach a bien sûr brossé bien des portraits de responsables politiques, dans sa franchise crûe de son point de vue.

    Jean-Pierre Elkabbach a fait aussi état de l'une de ses dernières conversations avec Emmanuel Macron qui l'avait invité à un déjeuner en tête-à-tête en septembre 2022. Question de l'intervieweur professionnel sur l'accomplissement majeur du second quinquennat : « Cela se révélera après, comme dans un
    tableau impressionniste. Sur le moment, on ne perçoit que des taches de lumières et c'est en prenant du recul que l'image apparaît dans sa force et sa clarté. Je veux réformer pour assurer notre indépendance nationale. Notre victoire serait que nos enfants puissent encore choisir leur destinée. ».

    Et le journaliste a compris la grande frayeur du Président : « En 2027, Emmanuel Macron devra passer la main. Par-dessus tout, il redoute de transmettre sa charge à
    Marine Le Pen et à l'extrême droite, qui croient leur heure arrivée. Pour l'éviter, il lui faut réussir son second quinquennat. Ensuite, rien ne l'empêchera de poursuivre son engagement politique et d'incarner l'Europe. Ce n'est pas à lui de régler sa succession, mais il doit promouvoir la génération qui a émergé grâce à lui, Élisabeth Borne, Julien Denormandie, Gabriel Attal, Sébastien Lecornu et surtout Jean Castex, qui quitta Matignon populaire, malgré la crise du covid. Il est l'un des rares à ne pas penser encore au rôle qu'il pourrait tenir en 2027. Avec sa simplicité, sa liberté, il est proche des Français et sait trouver les mots. Pourquoi me fait-il penser à Georges Pompidou à ses débuts ? Si aucune figure du "nouveau monde" ne se détache, le macronisme restera une parenthèse, refermée dès le départ de l'Élysée de son inspirateur, il est le premier à le savoir. La lutte pour le pouvoir, son exercice, les alliances qui se nouent et se dénouent, les opportunités que l'on saisit, les reniements, les ruptures laissent peu de place aux sentiments. La vie politique est impitoyable et requiert un sens aigu de la dissimulation. ».

    Dans cette réflexion, comme figures du macronisme, Jean-Pierre Elkabbach a toutefois oublié
    Édouard Philippe, Gérald Darmanin et Bruno Le Maire (il en a parlé un peu avant : « Il s'est révélé être un des piliers des deux quinquennats, utile pour faire face aux conséquences de la guerre en Ukraine. Toutes les grandes décisions, il les discute directement avec le chef de l'État. Pourquoi, pense-t-il, ne pourrait-il pas lui succéder à l'Élysée ? »). En revanche, il avait bien vu pour Gabriel Attal dont il n'a pas su qu'il allait être nommé à Matignon.

    Son livre se referme sur ces phrases : « Ma soif de connaissance, d'exploration, ne procède pas du journalisme. Elle était là dès l'enfance et c'est elle qui m'a conduit à mon métier. Pendant longtemps, elle s'est confondue avec lui. Désormais, peu à peu, elle s'en détache et reprend sa liberté. Elle oriente le cours de mes jours, nourrit de nouveaux projets et me mène vers de nouvelles causes. Tout bien réfléchi, ai-je tant changé ? Je n'ai pas guéri de ma curiosité. ». Point final.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (28 septembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Vous n'avez pas honte ?
    Boulimique.
    Hommage du Président Emmanuel Macron à Jean-Pierre Elkabbach le 9 octobre 2023.
    Jean-Pierre Elkabbach.
    Patrick Cohen.
    Fake news : la scandaleuse manipulation politique du RN.
    Bernard Pivot.
    Christine Ockrent.
    Vive la crise !
    Yves Montand.
    Jean Lacouture.
    Marc Ferro.
    Dominique Baudis.
    Frédéric Mitterrand.
    Jean-Jacques Servan-Schreiber.
    Christine Angot.
    Jean-François Revel.
    Philippe Alexandre.
    Alain Duhamel.







    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241003-elkabbach.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/medias/article/taisez-vous-elkabbach-256892

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/02/article-sr-20241003-elkabbach.html