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Le blog haut et fort de Sylvain Rakotoarison - Page 42

  • Mobilisons-nous pour soutenir Toomaj Salehi !

    « La vraie mort, c'est se résigner au désespoir. Si nous sommes désespérés, nous ne bougeons plus, nous devenons passifs. Nous allons alors rater toutes les occasions que nous avons, qu'elles soient grandes ou petites. Nous les transformons en zéros, comme si, avec nos propres mains, nous abattons notre victoire. C'est pour ça qu'ils coupent l'Internet. C'est pour ça que des journalistes, des reporters, des blogueurs, des artistes et des athlètes sont arrêtés, pour qu'on ne sache pas ce qui se passe autour de nous. S'il y a un jour le silence autour de nous, qu'on pense que le silence s'est imposé partout, que tout le monde a abandonné, qu'on pense que c'est fini, qu'on a perdu, qu'on accepte la défaite, ils vont faire de leur mieux pour nous imposer la défaite. » (Toomaj Salehi, 2024).



     

     
     


    Le rappeur iranien Toomaj Salehi vient d'être condamné à mort le mercredi 24 avril 2024 par la tribunal révolutionnaire d'Ispahan. Il risque l'exécution par pendaison parce qu'il a été déclaré coupable d'incitation à la sédition, de rassemblement, de conspiration, de propagande contre le système, d'appel aux émeutes, de corruption sur terre, de guerre contre Dieu. Il avait été auparavant plusieurs fois condamné à des peines de prison.

    À 33 ans, Toomaj Salehi est un chanteur populaire très connu en Iran, notamment parmi la jeunesse. Il chante depuis 2016 sur les problèmes des jeunes et des femmes (aussi des animaux) dans la société iranienne et a participé aux mobilisations contre le régime islamique. Il a été arrêté le 12 septembre 2021 puis relâché le 21 septembre 2021. Il s'est engagé dans la contestation de la république islamique après l'assassinat de Masha Amini (le 16 septembre 2022), arrêtée par la police des mœurs pour ne pas avoir porté le voile. Il est devenu une figure populaire et courageuse de la contestation iranienne. Il a alors été arrêté de nouveau le 30 octobre 2022, a subi des tortures, a été incarcéré en isolement pendant près d'un an, puis a été relâché le 19 novembre 2023. Mais il a été encore arrêté le 30 novembre 2023 après avoir publié des chansons qui dénonçaient les tortures dont il a été victime.

    Et aussi après avoir témoigné dans les réseaux sociaux la vérité : « J'ai été beaucoup torturé lors de mon arrestation. Ils m'ont cassé les bras et les jambes. Ils frappaient beaucoup mon visage et ma tête. Je tentais d'éviter les coups avec les mains. Ils m'ont cassé les doigts. Ce n'est pas très racontable. Ça a duré très longtemps. Un détenu politique m'a dit : ce qu'ils t'ont injecté dans le cou, c'était probablement de l'adrénaline pour que tu ne t'évanouisse pas, pour que tu sois éveillé pendant la torture et que tu sentes la douleur jusqu'à son apogée. J'ai porté plainte pour les tortures. L'une des raisons de ma plainte est de prouver la véracité de mon récit, qu'ils ne disent pas que je mente. Car si je mens, ils pourraient me poursuivre à nouveau pour diffamation. J'ai fait ça aussi pour d'autres raisons. J'ai aussi porté plainte contre leurs médias pour diffamation. Ils ont dit : Toomaj était condamné à mort, son verdict a été cassé parce qu'il a coopéré efficacement. Pourquoi condamnation à mort ? Qu'ai-je fait pour être condamné à mort ? (…) Nous ne nous sommes mis en face de personne. Qui a torturé des gens ? (…) Ils n'auraient jamais dû m'arrêter. Ils n'avaient pas le droit de m'arrêter. Au lieu de ça, ils m'ont mis en cellule d'isolement pendant neuf mois me faire subir la torture. » (novembre 2023). Sa condamnation à mort a pour objectif de faire régner le silence sur les exactions du régime théocratique et donner une nouvel exemple pour dissuader de faire dissidence.

     

     
     


    Selon Amnesty International dans un communiqué du 4 avril 2024, il y a eu 853 exécutions en 2023, en nette augmentation (chiffre le plus élevé depuis huit ans, +48% par rapport à 2022 et +171% par rapport à 2021), et déjà 95 exécutions du 1er janvier 2024 au 20 mars 2024 : « L’année dernière a également été marquée par une vague d’exécutions visant des manifestants, des utilisateurs de médias sociaux et d’autres opposants réels ou supposés pour des actes protégés par le droit international relatif aux droits humains, qui ont donné lieu à des inculpations pour "insulte au prophète" et "apostasie", ainsi qu’à de vagues accusations d’ "inimitié à l’égard de Dieu" (moharebeh) et/ou de "corruption sur terre" (efsad-e fel arz). ».

    Le régime iranien se croit en position de force après son agression militaire contre Israël (en lançant 300 missiles et drones contre l'État d'Israël) sans qu'il n'y ait eu de grandes conséquences en riposte. Le régime islamique en a profité pour accroître la répression, renforcer la police des mœurs qui devait pourtant être dissoute après l'assassinat de Masha Amini. Cette condamnation à mort, alors que le rappeur n'est coupable que de s'être exprimé et de protester contre la torture du régime, montre une nouvelle fois la volonté des mollahs de dissuader toute nouvelle tentative d'opposition et de soulèvement.

    Ce qui est révoltant, c'est que cette condamnation à mort ne semble pas émouvoir les professionnels de l'indignation dans nos contrées. Je repense alors aux propos du sénateur Claude Malhuret le 5 octobre 2022 après l'assassinat de Masha Amini : « Depuis le début de la révolte en Iran, et jusqu'à la manifestation de dimanche dernier à Paris, ces professionnels de l'indignation, ceux qui battent le pavé chaque semaine pour crier que la police tue ou dénoncer le racisme systémique en France, avaient disparu. Où étaient-ils lors des deux premiers rassemblements en soutien des femmes iraniennes ? En week-end sans doute, comme lors des manifestations pour l'Ukraine ! Leurs comptes Twitter, qui dénoncent chaque jour le patriarcat et l'islamophobie, sont devenus muets : pas un mot de soutien, pas un appel contre la mollarchie et sa police des mœurs ! Pendant qu'à Téhéran, les femmes meurent sous les coups et les balles, ils préfèrent dénoncer le virilisme du barbecue, faire l'éloge d'un gifleur ou juger les harceleurs dans des "comités de transparence", qui sont l'oxymore le plus grotesque inventé depuis la dictature du prolétariat. ».

    Et en effet, on s'étonne qu'il n'y ait pas beaucoup de mobilisation pour soutenir Toomaj Salehi. Les ayatollahs iraniens profitent de notre indifférence pour renforcer leur dictature des mœurs. Plus nous sommes indifférents, plus ils iront dans la répression contre le peuple iranien et sa jeunesse. Toomaj Salehi s'est engagé auprès du mouvement "Femme, Vie, Liberté" (le nom du soulèvement entre septembre et décembre 2022 pour réagir après l'assassinat de Masha Amini) où il défendait la condition des femmes, des jeunes et même des animaux. Il en est devenu le porte-voix parce qu'il a un écho important auprès des jeunes.


    Le jeudi 25 avril 2024, le Parlement Européen a voté la résolution C9-0235/2024 condamnant le régime iranien par 357 voix pour, 20 voix contre et 58 abstentions. Parmi les députés européens français, 3 députées européennes FI (dont Leïla Chaibi et Manon Aubry), 7 députés européens EELV (dont Marie Toussaint et David Cormand), 1 députée européenne LR (Nadine Morano) et 1 député européen RN (Jérôme Rivière) n'ont pas voulu voter cette résolution qui, entre autres, « condamne avec la plus grande fermeté l'attaque de drones et de missiles sans précédent perpétrée par l'Iran contre Israël dans la nuit du 13 au 14 avril 2024, ainsi que la grave escalade et la menace que cela représente pour la sécurité régionale », qui « se félicite de la décision de l'Union [Européenne] d'étendre et d'élargir le régime de sanction actuel, mis en place en juillet 2023, notamment en sanctionnant la production par l'Iran de drones et de missiles », et qui « exprime son soutien et sa solidarité sans réserve à l'égard de la société civile et des forces démocratiques en Iran ».
     

     
     


    Pendant que beaucoup de populistes en France, prompts à s'indigner sur la situation à Gaza, refusent de condamner l'Iran dans son attaque contre Israël voire soutiennent l'Iran et même le Hamas au nom de leur combat contre les "valeurs occidentales" (qui sont démocratie, laïcité, liberté, égalité, fraternité, diversité, État de droit, protection des minorités, etc., rappelons-le !), l'Iran condamne à mort un de ses enfants pour simplement son engagement dans ses chansons. Comme l'expliquait cette internaute sur Twitter avec une certaine colère : « L’Iran. Ce pays merveilleux où le Prix Nobel de la Paix est en prison. Où un artiste résistant attend d’être pendu. Ça devrait inspirer nos belles âmes défilantes et pétitionnaires. Mais non. Comme les dames patronnesses d’autrefois avaient "leurs pauvres", elles ont "leurs causes". ».

    Beaucoup de monde dans les réseaux sociaux a dénoncé cette indifférence dans les milieux artistiques (comme Sophie Aram) et certains ont même fustigé la soirée de remise de récompenses des rappeurs, le Flammes Awards 2024 qui s'est tenu au Théâtre du Châtelet à Paris le 25 avril 2024, car aucun artiste dans la salle n'a évoqué ni soutenu Tommaj Salehi, pas un mot, rien, la lâcheté et la honte.

     

     
     


    En revanche, l'ancien ministre de la culture, et actuel président de l'Institut du monde arabe Jack Lang a apporté rapidement un vif soutien au rappeur dès le 24 avril 2024 : « Ne laissons pas la république islamique le tuer ! ».

    Il faut se mobiliser, plus grande sera la mobilisation internationale, plus fortes seront les pressions sur le régime des mollahs. Un grand rassemblement à Paris, place de la Bastille, aura lieu ce dimanche 28 avril 2024 à 15 heures pour soutenir ce gardien courageux de la liberté. D'autres rassemblements ont lieu dans d'autres villes et pays du monde, en particulier à Los Angeles (au Federal Building) à la même date et même heure, et à Grenoble (place Félix-Poulat) le samedi 27 avril 2024 à 15 heures. Soutenons Toomaj Salehi, son courage, sa persévérance, sa détermination.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (25 avril 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Mobilisons-nous pour Toomaj Salehi !
    Fatwa de mort contre Salman Rushdie.
    Alireza Akbari.
    Mehran Karimi Nasseri.
    Claude Malhuret contre la mollarchie.
    Masha Amini, les femmes iraniennes, leur liberté et Claude Malhuret.
    Révolution : du rêve républicain à l’enfer théocratique de Bani Sadr.
    L'Iran de Bani Sadr.
    De quoi fouetter un Shah (18 février 2009).
    N’oubliez pas le Guide (20 février 2009).
    Incompréhensions américaines (1) et (2).
    Émission de France 3 "L’Iran et l’Occident" (17-18 février 2009).
    Session de septembre 2006 à l’ONU : Bush, Ahmadinejad, Chirac.
    Dennis Ross et les Iraniens.
    Un émissaire français à Téhéran.
    Gérard Araud.
    Stanislas de Laboulaye.
    Des opposants exécutés par pendaison en Iran.
    Expulsion de Vakili Rad, assassin de Chapour Bakhtiar, dernier Premier Ministre du Shah d'Iran, par Brice Hortefeux à la suite du retour de l'étudiante Clotilde Reiss.
    Mort de l'ancien Premier Ministre iranien Mohammad Reza Mahdavi-Kani à 83 ans le 21 octobre 2014.

     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240424-toomaj-salehi.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/mobilisons-nous-pour-soutenir-254348

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/26/article-sr-20240424-toomaj-salehi.html


     

  • La reine Christine Ockrent, la poire et les cacahuètes

    « Quand on était petit, Christine Ockrent présentait le journal de 20 heures sur Antenne 2, c'était entre 1981 à 1985. Il n’y avait que trois chaînes. La deuxième chaîne réunissait alors 20 millions de Français par jour. On l’appelait "la reine Christine". Elle est la première femme titulaire et rédactrice en chef du 20 heures. À force de dîner avec elle, elle est devenue un membre à part entière de nos familles. » (Sonia Devillers, le 12 mai 2023 sur France Inter).


     

     
     


    La journaliste Christine Ockrent fête son 80e anniversaire ce mercredi 24 avril 2024. Présentatrice du journal télévisé de 20 heures au début des années 1980, elle était, avec Patrick Poivre d'Arvor, la star des journaux télévisés de l'époque. Elle était aussi, avec Anne Sinclair, l'une des deux reines de l'information à la télévision, chacune opérant avec un grand professionnalisme mais aussi une certaine dose de séduction.

    Elle est d'abord belge, née dans la capitale non seulement de la Belgique mais aussi de l'Europe. Son père Roger Ockrent a été le chef de cabinet de Paul-Henri Spaak, Premier Ministre belge et considéré comme l'un des Pères de l'Europe. Comme Catherine Nay (avec Albin Chalandon), Anne Sinclair (avec Dominique Strauss-Kahn), Béatrice Schönberg (avec Jean-Louis Borloo) et bien plus tard, Audrey Pulvar (avec Arnaud Montebourg) et Léa Salamé (avec Raphaël Glucksmann, candidat tête de liste du PS aux élections européennes de 2019 et de 2024), elle partage, depuis une quarantaine d'années, sa vie avec un homme politique (et futur, ancien, ministre), Bernard Kouchner, le médecin distributeur de grains de riz des années 1990. Elle a étudié à l'IEP Paris (diplômée en 1965) et à l'Université de Cambridge, et a commencé en 1967 sa carrière de journaliste aux États-Unis.

    Sa notoriété est arrivée avec la décision de Pierre Desgraupes, président d'Antenne 2, en octobre 1981, de la mettre à la présentation du journal télévisée de 20 heures. Christine Ockrent a été rapidement sacrée reine des médias par les téléspectateurs qui n'avaient pas beaucoup l'habitude de voir une femme à cette fonction très intime, puisque, comme le rappelle sur France Inter la productrice Sonia Devillers, les officiants du journal télévisé s'invitaient aux dîners quotidiens des Français (enfin, pour ceux qui dînaient en regardant la télévision ; ce qui n'était pas le cas de mes grands-parents qui dînaient avant de regarder la télévision !). Elle y est restée jusqu'en juin 1985, en alternance avec PPDA (puis de septembre 1988 à décembre 1989 après un passage à RTL et TF1). En particulier, elle a participé à l'émission "Vive la crise !" présentée par Yves Montand et diffusée le 22 février 1984 pour se prêter au jeu d'un faux journal crédible. À cette époque, elle était parmi les plus médiatiques, recevant deux Sept d'or en 1985 (7 d'or du meilleur présentateur de journal télévisé, en l'occurrence présentatrice !, et Super 7 d'or).

    En 1992, elle est retournée à la présentation du journal télévisé sur France 3 pour "Soir 3" entre septembre 1992 et septembre 1994, mais surtout, entre novembre 1992 et février 2008, avec des noms d'émission différents ("À la une sur la 3", "Dimanche soir", "Politique dimanche", "France Europe Express", "Duel sur la 3"), elle a animé le dimanche soir un duel entre deux éditorialistes, Serge July ("Libération") et Philippe Alexandre (RTL). Le trio a été rendu célèbre par "Les Guignols de l'Info" sur Canal Plus avec leurs marionnettes qui n'oubliaient pas "la poire et les cahuètes de chez M'ame Crissine". L'émission était parfois, selon la formule, coanimée par Gilles Leclerc.

     

     
     


    Christine Ockrent a été également directrice de la rédaction de l'hebdomadaire "L'Express" d'octobre 1994 à mars 1996 (une greffe avec la presse écrite qui ne s'est pas bien faite), et sa boulimie des années 1990 et 2000 la conduisait à proposer des éditoriaux réguliers aussi pour Canal J, "Info-Matin", Europe 1 (participant à la grande émission politique hebdomadaire de la station "Le Club de la Presse"), BFM, "La Provence", "Metro", TV5, France 24, etc.

    Si Christine Ockrent est partie de France 3 le 17 février 2008, c'était tout simplement parce qu'elle venait de recevoir son bâton de maréchale : elle a été nommée le 20 février 2008 par le Président de la République Nicolas Sarkozy directrice générale déléguée de l'Audiovisuel extérieur de la France (AEF), que venait juste d'être créé, rebaptisé le 27 juin 2013 France Médias Monde (nommée sur proposition de son président Alain de Pouzilhac), et à ce titre, directrice générale déléguée des deux entités, la télévision France 24 et la radio RFI (Radio France Internationale), la voix de la France à l'étranger.

    Son aventure à ce poste de numéro deux n'a pas duré très longtemps, jusqu'en septembre 2011. Elle a été particulièrement contestée dans sa gestion par le management des deux chaînes avec des épreuves de force inédites dans l'audiovisuel (refus d'assister aux réunions, etc.), avec une affaire d'espionnage des ordinateurs du personnel, etc. Par ailleurs, les relations étaient très tendues entre Christine Ockrent et Alain de Pouzilhac. Sa nomination elle-même a prêté le flanc à la critique car l'AEF dépendait de la tutelle du Ministère des Affaires étrangères ; or le ministre depuis mai 2007 n'était autre que Bernard Kouchner, son compagnon (les syndicats de journalistes ont vivement souligné le risque de conflit d'intérêt). À partir de janvier 2010, la tutelle a été attribuée au Ministère de la Culture. Christine Ockrent a jeté l'éponge en mai 2011 en donnant sa démission et en déposant plainte pour harcèlement moral (en novembre 2010, Bernard Kouchner a quitté le Quai d'Orsay dont c'était aussi le bâton de maréchal).

    À partir de février 2013, Christine Ockrent a repris l'antenne, cette fois-ci sur France Culture pour une chronique hebdomadaire le samedi sur des thèmes internationaux. Son expertise journalistique est la géopolitique et c'est ce thème qui revient très souvent parmi les vingt et un essais dont elle est l'auteure, en particulier sur la politique intérieure américaine (elle avait annoncé la victoire d'Hillary Clinton en 2016), les oligarques russes, le régime théocratique iranien, le régime saoudien, le régime communiste chinois, etc.

    Petits échantillons. Sur l'Arabie Saoudite, malgré le prince séducteur Mohammed Ben Salmane : « En l’absence de chiffres officiels, Amnesty International estime que quelque cinq cents exécutions ont été pratiquées depuis l’avènement du roi Salman. Une cinquantaine de personnes ont été exécutées lors des premiers mois de 2018, dont la moitié pour des affaires de drogue sans violence, dénonce de son côté Human Rights Watch. Dans le cas d’individus ayant commis des crimes ou des vols particulièrement scandaleux, une fois la tête recousue, leur cadavre est parfois crucifié et exposé en public. Le vol entraîne l'amputation de la main droite et quelquefois des pieds. Sont punis de mort le blasphème, l’homosexualité, la trahison et le meurtre. L’adultère expose la femme mariée à la mort par lapidation ; cent coups de fouet châtient son partenaire. » (2018). Sur Vladimir Poutine : « La dissolution de l’Union Soviétique a été "la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle". Il lui revient donc de restaurer la Russie dans sa gloire, d’effacer ses humiliations, de redorer son Église orthodoxe, d’embrasser les icônes et de brûler les encens, de lui rendre son statut de puissance globale, d’exalter sa victoire contre le fascisme, de célébrer les symboles de sa force ancienne, quitte à ressusciter ceux du communisme. » (2014). Sur les services secrets : « Quand on a, par métier, regardé le dessous de table et l'envers des cartes pendant longtemps, il ne reste plus que trois attitudes : ou préparer une liste de gens "à flinguer", ce qui est fastidieux et illégal, ou se flinguer soi-même, ce qui est inconfortable, ou faire l'appel à une vertu cardinale, le sens de l'humour, ce qui permet de sourire pour le restant de vos jours. » (1986). Le secret de Xi Jinping pour durer : « Xi Jinping interdit d'ordinaire toute mise en cause publique du passé, "le nihilisme historique" et la transparence seraient responsables, selon lui, de l'écroulement de l'Union Soviétique dont il ne cesse de ressasser l'exemple. » (2023). Sur Hillary Clinton : « Quel a été son rôle : celui de l'épouse bornée et trompée ou celui de la complice hypocrite ? Est-elle jusqu'au bout une femme cocue ou une partenaire cynique ? Entre les deux hypothèses, l'Amérique ne cessera d'osciller. Les bien-pensants opinent : qu'elle préserve les apparences, l'institution et sa famille ! Les féministes trépignent : qu'elle le quitte ! Qu'à l'image de sa génération, elle préserve la dignité de la femme bafouée et libérée ! Dans ses Mémoires, Hillary se contentera de cet argument, qui ne va pas loin dans la confidence mais qui correspond sans doute à sa conviction profonde : "Je voulais lui tordre le cou, mais il n'était pas simplement mon mari : il était le Président des États-Unis". » (2016).

    En 2023, elle est sortie de sa zone de confort en participant à une pièce de théâtre de l'auteur, metteur en scène et comédien libanais Wajdi Mouawad qui avait dû fuir son pays, le Liban, en 1982 (il était alors adolescent) et qui n'avait plus de nouvelles de son pays que par Christine Ockrent dans le journal télévisé. Sonia Devillers expliquait ainsi : « [Wajdi Mouawad] reste hanté par la guerre, il ne vit qu'à travers la hantise de la guerre à une époque où il n'y avait ni téléphone portable, ni réseaux sociaux, ni chaîne d'information continue. La seule source d'information pour cette famille étant alors le 20 heures de Christine Ockrent à travers laquelle il fait revivre sa propre histoire. Wajdi Mouawad lui fait dire quelques mots sur sa propre mère, des phrases très belles qui font réfléchir à une forme de déshumanisation quand on raconte la vie des victimes de la guerre en général, en plus de raconter comment on médiatise à l'époque une guerre, telle que celle du Liban. ».


    Pour son attention portée aux affaires européennes (en particulier avec l'émission "France Europe Express" de 1997 à 2007), Christine Ockrent a fait partie des cinq journalistes (avec notamment Jean Quatremer, Quentin Dickinson et Guillaume Klossa) à avoir fait partie du comité d'honneur du 50e anniversaire du Traité de Rome en 2007.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (21 avril 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Christine Ockrent.
    Vive la crise !
    Yves Montand.
    Jean Lacouture.
    Marc Ferro.
    Dominique Baudis.
    Frédéric Mitterrand.
    Jean-Jacques Servan-Schreiber.
    Christine Angot.
    Jean-François Revel.
    Philippe Alexandre.
    Alain Duhamel.

     

     
     



    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240424-christine-ockrent.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/medias/article/la-reine-christine-ockrent-la-254212

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/12/article-sr-20240424-christine-ockrent.html



     

  • Mathilde Panot : les énièmes outrances populistes de la hurleuse professionnelle

    « La loi n’a pas changé, c'est toujours la même : nous avons la liberté de nous exprimer. Il y a juste quelques limites : l’incitation à la haine et l’apologie du terrorisme. » (Caroline Fourest, le 23 avril 2024 sur LCI).



     

     
     


    La présidente du groupe FI à l'Assemblée Nationale, Mathilde Panot, a été convoquée ce mardi 23 avril 2024 par la police judiciaire de Paris pour s'expliquer sur des propos qu'elle aurait tenus et qui pourraient être jugés comme une apologie du terrorisme. On ne savait pas quels étaient les propos incriminés mais on imaginait bien qu'il s'agissait de sa réaction aux massacres commis par les terroristes du Hamas en Israël le 7 octobre 2023.

    Loin de se faire discrète en attendant d'être entendue par la police, Mathilde Panot est sortie avec ses gros sabots et y a vu un complot contre la liberté d'expression. Elle a publié un communiqué incendiaire contre l'État, aussi insignifiant qu'il est excessif. L'esprit complotiste est bien là puisqu'elle a rassemblé un certain nombre de faits, dont l'interdiction d'une conférence par un président d'université (à Lille) de Jean-Luc Mélenchon, qu'elle a laissé entendre comme provenant d'une même origine alors que la députée, qui sait ce qu'est le fonctionnement des institutions, sait très bien que les décisions provenaient d'autorités très différentes (qui toutes ont considéré que les propos qu'ont tenu les dirigeants de FI sont à la limite de l'illégalité et dans tous les cas, c'est factuel, susceptibles d'être fauteurs de troubles).

    Dans son communiqué, Mathilde Panot a expliqué notamment : « C'est la première fois dans l'histoire de la Cinquième République qu'une présidente d'un groupe d'opposition à l'Assemblée Nationale est convoquée pour un motif aussi grave sur la base d'accusations fallacieuses. ». Je ne sais pas si c'est vrai (la violence verbale a toujours existé au Parlement et à l'époque de l'OAS et du FLN, les débats étaient particulièrement durs), mais même si c'était vrai, il faudrait aussi s'interroger soi-même, Madame Panot : à ma connaissance, jusqu'à maintenant, je n'ai jamais connu un président de groupe d'opposition à l'Assemblée Nationale depuis le début de la Cinquième République à être aussi peu respectueux des usages, à hurler autant dans l'enceinte du Parlement, à dériver autant vers le populisme avec autant de violence verbale.

    Mais ce qui m'a le plus choqué, dans ce communiqué, c'est cette petite phrase idiote, très politicienne mais très grave car elle renforce le sentiment d'antiparlementarisme : « Le régime macroniste aura transgressé toutes les limites imaginables. ». Tout, dans cette phrase, transpire le populisme et le mensonge le plus puant.

     

     
     


    D'abord, parler de « régime » macroniste n'a de sens que si on veut le comparer à une dictature, ce qui n'est pas le cas : Emmanuel Macron a été élu Président de la République par 66% des Français en 2017 et par 59% des Français en 2022. C'est important de le rappeler, d'autant plus que c'est historique puisqu'il est le seul chef de l'État après De Gaulle à avoir été réélu sans une période de cohabitation qui ont redonné une virginité politique à François Mitterrand en 1988 et Jacques Chirac en 2002. Nous sommes en démocratie et la présence d'Emmanuel Macron à l'Élysée vient donc uniquement de la volonté populaire (j'insiste sur ce point-là). La République, c'est plus Emmanuel Macron que Jean-Luc Mélenchon, n'en déplaise aux insoumis.

    Ensuite, le verbe au futur antérieur, comme si le second quinquennat était déjà terminé (alors qu'il reste encore trois ans !). Le verbe "transgresser" n'a aucun sens ici puisque la procédure judiciaire est très classique et procède de l'État de droit. Enfin, plus généralement, cette phrase laisse croire que c'est Emmanuel Macron qui a demandé à la police de la convoquer pour l'empêcher de parler. D'une part, plus elle parle, plus elle se discrédite, donc ses adversaires se frottent plutôt les mains ; d'autre part, le Président de la République est garant de l'indépendance de la justice et c'est la justice qui a agi ici, et si Mathilde Panot conteste qu'il y a indépendance, qu'elle apporte les preuves que le Président de la République serait intervenu dans cette affaire. Comme elle connaît très bien le fonctionnement des institutions, Mathilde Panot veut tromper sciemment ceux qui la liraient ou l'écouteraient dans un but purement démagogique.


    C'est la raison pour laquelle j'étais très content que l'essayiste Caroline Fourest, invitée de David Pujadas sur LCI le 23 avril 2024, ait relevé l'arnaque populiste de cette phrase. Une véritable escroquerie intellectuelle. Elle s'est juste interrogée : « La question est de savoir si les personnes qui sont aujourd'hui convoquées et qui vont devoir s'expliquer devant la justice, ont tenu des propos qui tombent sous le coup de la loi, point. ».

    La phrase du communiqué de Mathilde Panot (sur le "régime macroniste") a fait réagir Caroline Fourest ainsi : « C'est un raccourci qui est indigne, pour le coup, d'une parlementaire. C'est du populisme, une fois de plus, c'est mensonger. ».

    La question de la liberté d'expression n'est pas en cause ici, c'est avant tout une question de respect de la loi et de respect des institutions dont il s'agit : « On verra. Peut-être que la justice va décider à la fin que [ces propos] relèvent de la liberté d'expression. ». Mais : « Il faut garder à l'esprit que toute personne, qu'on soit député ou pas, qu'on soit d'un groupe parlementaire ou pas, en fait, tout citoyen, les élus politiques ne sont pas au-dessus de la loi, a priori, tout citoyen qui tient des propos pouvant être attaqués est convoqué par la police. C'est la procédure, en fait, tout simplement. Ce n'est pas le Président de la République qui le décide. Ce n'est même pas des juges. C'est la procédure avant d'aller se défendre devant la chambre qui va avec. Mais en l'occurrence, les plaintes concernant ces personnalités, elles viennent d'organisations juives qui ont estimé, donc tout le monde peut le faire, en fait, qui ont estimé que ces propos étant extrêmement choquants et donnant le sentiment de comprendre l'action du Hamas voire de s'en réjouir, ils devaient être examinés par la loi. ».

    Ainsi, Caroline Fourest a cité quelques propos controversés (sans savoir si ce sont ceux-là qui sont en cause pour la convocation), comme ceux de la militante propalestinienne Rima Hassan, candidate éligible sur la liste FI (et convoquée par la police judiciaire pour le 30 avril 2024 pour apologie du terrorisme), lâchés dans une émission à la fin du mois de novembre 2023 ("Le Crayon"), qui a répondu « vrai » à l'affirmation : « Le Hamas mène une action légitime. ». On peut également évoquer la comparaison vaseuse de Jean-Luc Mélenchon, faite le 18 avril 2024 à Lille, d'un préfet actuel avec Adolf Eichmann, principal organisateur de la "Solution finale" (comparaison qui, selon Fabien Roussel, l'a complètement « discrédité » et l'a rendu « indéfendable »).
     

     
     


    Il y a aussi ceux d'un responsable de la CGT du Nord, Jean-Paul Delescaut (qui a été gardé-à-vue pour cette raison, puis condamné le 18 avril 2024 par le tribunal correctionnel de Lille à un an de prison avec sursis pour apologie de terrorisme), qui a mis sur un tract : « Les horreurs de l'occupation illégale se sont accumulées. Depuis samedi [7 octobre], elles reçoivent les réponses qu'elles ont provoquées. ». Phrase publiée sur le site de la CGT du Nord du 10 au 20 octobre 2023 (elle a été retirée après de nombreuses protestations).

    Ces propos, qui mettent un lien de causalité, sont révoltants car cela signifierait que les innocents qui ont été enlevés, violés, torturés, brûlés, assassinés le 7 octobre 2023 mériteraient leur sort pour une raison ou un autre. Caroline Fourest, avec raison, a comparé ce raisonnement avec celui de dire qu'une femme aurait mérité d'être violée car elle portait une jupe (qui aurait alors "provoqué" le viol).

    Ce qui est étrange, c'est que des journalistes comme Daniel Schneidermann, trop noyés dans leur militantisme propalestinien, ne comprennent pas l'horreur d'une telle phrase. Cet éditorialiste a écrit en effet le 22 avril 2024, dans sa chronique : « Personnellement, je n'aurais sans doute pas écrit les choses comme le tract de la CGT. Parce que j'ai toujours une réticence face aux explications mécanistes de l'Histoire. Parce qu'en dépit de la brutalité meurtrière de la politique israélienne depuis 75 ans à l'égard des Palestiniens, en dépit du génocide en cours à Gaza, je ne peux pas m'empêcher de me souvenir d'où vient ce pays. Un souvenir de plus en plus vacillant, que je dois faire effort pour conserver vivant. Je fais cet effort. Mais je trouve insupportable de ne pas avoir la liberté de l'écrire. ». Sauf que justement, l'emploi même du mot "génocide", qui n'est absolument pas justifié (comme l'a bien confirmé la Cour européenne des droits de l'homme, contrairement à ce qui se raconte), laisserait entendre que le Hamas aurait quand même raison de se battre.

    Caroline Fourest a rappelé le massacre du 7 octobre : « C'est quand même ce qui s'est passé le 7 octobre. On a des terroristes du Hamas qui tuent des civils, kibboutzims, des pacifistes israéliens, chez eux, pas en territoires occupés, pas en territoires colonisés, pas dans les colonies disputées, pas à Gaza, chez eux, en territoire israélien, et ils n'ont rien fait. Ils sont violés, découpés en morceaux, et passés à la kalachnikov ou brûlés. (…) Est-ce que c'est violent [de mettre un lien de causalité] ? C'est à la justice de le dire. Est-ce que c'est l'apologie du terrorisme ? Dans le cas de ce syndicaliste CGT, ça a plutôt visiblement été tranché dans ce sens. Mais ce n'est pas un complot politique d'un régime dictatorial qui est en train d'œuvrer. ».


    Pour illustrer ses propos, l'essayiste a donné un exemple contraire, celui de l'humoriste Guillaume Meurice qui, le 29 octobre 2023 sur France Inter, avait tenu des propos très limites dans un sketch sur Benyamin Netanyahou (qualifié de « sorte de nazi, mais sans prépuce ») qui ont été classés sans suite le 11 avril 2024 par le parquet de Nanterre (parce que les infractions dénoncées n'étaient pas « suffisamment caractérisées ») : « Il a aussi été convoqué par la police. Il a aussi suivi le cours, ce n'était pas pour apologie du terrorisme mais c'était pour incitation à la haine. Et il a été relaxé parce que, pour le coup, le sketch de Guillaume Meurice, on peut le trouver plus ou moins réussi, on peut trouver que Guillaume Meurice a toujours les mêmes têtes de Turcs (…), mais ce sketch fait partie de la liberté d'expression, totalement. ».

    Bref, l'instrumentalisation politique qu'a faite Mathilde Panot de sa convocation ne l'honore pas du tout. On ne s'étonnera pas, avec de telles personnalités politiques, que les électeurs s'éloignent des urnes et laissent ce petit monde s'entre-dévorer tout seul. Heureusement qu'à côté de ces hurleurs professionnels, il y a des personnes responsables qui se préoccupent de l'avenir de la France et de l'intérêt des Français ...comme le Président Emmanuel Macron dont le discours très attendu (attendu en France mais aussi dans le monde) sur l'Europe, qu'il fera jeudi 25 avril 2024 à 11 heures à la Sorbonne, marquera une nouvelle étape.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (23 avril 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Mathilde Panot.
    Sondage secret : le tour de chauffe de François Ruffin !
    Adrien Quatennens, le meilleur allié du Président Macron ?
    Et si le peuple révoquait Adrien Quatennens ?
    La justice harcèle-t-elle la classe politique ?
    Le député Adrien Quatennens doit-il démissionner de l'Assemblée Nationale ?
    Mais où est donc passé Adrien Quatennens ?
    Thomas Portes.
    Carlos Martens Bilongo.
    Clémentine Autain.
    Éric Coquerel.
    Jean-Luc Mélenchon.
    Danièle Obono.
    François Ruffin.
    Sandrine Rousseau.
    Pour ou contre M… ?
    Sous la NUPES de Mélenchon.
    La consécration du mélenchonisme électoral

     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240423-mathilde-panot.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/mathilde-panot-les-eniemes-254303

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/23/article-sr-20240423-mathilde-panot.html




     

  • Sondage secret : le tour de chauffe de François Ruffin !

    « L’équipe du député de la Somme a fait réaliser une enquête d’opinion dans laquelle il apparaît plus fort que Mélenchon si la gauche s’unit pour 2027. » ("Libération", le 21 avril 2024).


     

     
     


    Décidément, la campagne des élections européennes parle de tout sauf de l'Europe, et plus préférentiellement, parle de l'élection présidentielle de 2027. C'est le problème avec la course aux petits chevaux de la Cinquième République, la campagne présidentielle démarre dès la fin de la précédente. Avec le quinquennat, inutile de dire qu'on ne vit que des supputations préprésidentielles, mais même avec le septennat, c'était pareil !

    L'information provient d'un article de Charlotte Belaïch publié dans "Libération" la matinée du dimanche 21 avril 2024 et a valeur de coup de tonnerre : François Ruffin pourrait se qualifier au second tour d'une élection présidentielle et ferait jeu égal avec Marine Le Pen.

    Avec cette information, il y a de quoi disserter sur beaucoup de sujets mais il faut bien rappeler que, hors contexte, les sondages d'intentions de vote à des élections ne valent quasiment rien : il y a d'abord l'identité de tous les candidats qui n'est pas connue (une élection, c'est avant tout une compétition entre plusieurs personnalités), et ensuite, il y a une campagne, avec des candidats qui tentent de montrer qu'ils seraient les meilleurs, et qui peuvent même convaincre des indécis et des hésitants.

    La seule réelle information du sondage est un enfonçage de porte ouverte : les Français de gauche aimeraient mieux François Ruffin que Jean-Luc Mélenchon. À part cette très grande découverte, il n'y a pas trop à supputer sur ce sondage même si je vais en proposer quelques commentaires.

    La première chose à savoir, c'est que c'est un sondage secret, ce qui veut dire que c'est un sondage qu'un candidat finance dans le but de connaître la faisabilité d'une candidature. C'est fréquent dans la perspective d'une élection municipale dans une grande ville (ne serait-ce que pour sonder déjà la notoriété du candidat potentiel). Autant que ça vaille le coup. Il n'y a que des exceptions comme Anne Hidalgo pour, après des premiers tests catastrophiques, se convaincre qu'on ferait un bon candidat. Les autres y renoncent sauf s'ils veulent faire du témoignage (comme les trotskistes). Mais avant l'élection de 2017, on trouvait déjà ce genre de résultats avec Benoît Hamon préféré à Jean-Luc Mélenchon, puis avant l'élection de 2022, avec Yannick Jadot préféré à Jean-Luc Mélenchon, et dans les dernières semaines de campagne, Jean-Luc Mélenchon a explosé et dépassé tous ses concurrents de gauche dans les urnes parce qu'il reste excellent tribun.

    Pour le dire franchement, François Ruffin, certes, a l'air sympa, mais est-ce suffisant pour diriger la sixième (ou septième) première puissance mondiale ? Quelle est sa doctrine militaire ? Sa vision à long terme de l'Europe ? Sa stratégie industrielle ? À part : il faut faire payer les riches ? Il y a le contenu du programme politique, mais il y a aussi le tempérament, et, ma foi, je ne le vois pas du tout dans le rôle du candidat. Oui, dans le rôle du candide, mais dans le rôle du candidat, celui qui doit promettre, faire rêver, avoir de l'aplomb et à la fin (et aucun grand candidat n'y échappe), dire n'importe quoi car réussir à convaincre la majorité absolue des électeurs d'une France si éclatée à voter sur son nom, forcément, il y aura des malentendus, voire de la tromperie (on se souvient de la guerre contre la finance internationale en 2012 !). Je ne le vois pas sombrer dans une surenchère de démagogie, et cela plus par naïveté que par bonne conscience morale.

    L'institut de sondages sollicité par les proches de François Ruffin est Cluster17. Il a proposé aux sondés deux hypothèses de premier tour : l'une avec François Ruffin comme unique candidat de la gauche, l'autre avec Jean-Luc Mélenchon à sa place. Le reste est inchangé, à savoir Marine Le Pen candidate de RN, Édouard Philippe représentant les couleurs macronistes, Laurent Wauquiez pour LR, sans oublier Éric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan. Le sondage a été réalisé sur Internet du 2 au 5 avril 2024.

    Dans l'hypothèse Ruffin, c'est un coup de tonnerre : il se qualifierait pour le second tour en dépassant Édouard Philippe de 4 points avec 29% d'intentions de vote, à 1 point derrière Marine Le Pen. Le coup de tonnerre n'est pas interne à la gauche mais laisserait entendre que le candidat macroniste pourrait être éjecté dès le premier tour de la compétition. Ce serait une douche froide pour tous les électeurs modérés favorables à la construction européenne et aux valeurs républicaines de progrès.

     

     
     


    Dans l'hypothèse Mélenchon, on retrouverait le rapport de forces de l'élection présidentielle de 2022 : Jean-Luc Mélenchon serait exclu du second tour avec seulement 18%, derrière Édouard Philippe 31% et Marine Le Pen 32%.
     

     
     


    La comparaison des deux hypothèses de premier tour se suffisent à elles-mêmes et ce qu'il fallait démontrer serait ainsi démontré : François Ruffin obtiendrait 11 points de plus que Jean-Luc Mélenchon et dans le package, pourrait concourir pour le second tour face à Marine Le Pen. Et pourrait même être élu !

    Deux hypothèses de second tour ont été testées, mais pas celle la plus probable, Marine Le Pen versus Édouard Philippe, ce qui aurait été intéressant (mais l'association de François Ruffin n'avait sans doute pas assez d'argent pour faire ce troisième test).

    La première hypothèse est Marine Le Pen versus François Ruffin, et ils seraient tous les deux avec le même niveau de voix, à 50% (ce qui fait qu'on ne peut pas conclure).
     

     
     


    Dans la seconde hypothèse, Marine Le Pen versus Jean-Luc Mélenchon, ce dernier s'effondrerait à 35% face à 65% pour la leader du RN. Là encore, la démonstration serait faite que François Ruffin tiendrait bien mieux face à Marine Le Pen que le gourou vieillissant des insoumis.
     

     
     


    Si on osait aller plus loin dans l'analyse, on dirait qu'il y aurait une réelle incohérence entre ces deux hypothèses. En gros, 30% (15%/50%) des électeurs qui auraient voté pour François Ruffin au second tour voteraient pour Marine Le Pen si elle était opposée à Jean-Luc Mélenchon. De même, en comparant les deux hypothèses du premier tour, 38% (11%/29%) des électeurs qui auraient voté pour François Ruffin au premier tour ne voteraient pas pour Jean-Luc Mélenchon si c'était le candidat de la gauche et se reporteraient majoritairement sur Édouard Philippe (6 points sur les 11 points perdus par Jean-Luc Mélenchon), également sur Marine Le Pen (2 points), Nicolas Dupont-Aignan (1 point) et 1 point seulement à gauche (Philippe Poutou).

    Cela montre que le sondage est foireux car il ne prend pas en compte les programmes. Or, que ce soit François Ruffin ou Jean-Luc Mélenchon, c'est bien le programme des insoumis qui serait identique et en vitrine et qui paraît assez incompatible avec un vote Édouard Philippe (par exemple).


    Bien entendu, l'analyse devrait tenir compte de l'abstention, car dans l'hypothèse d'un second tour RN versus FI, beaucoup d'électeurs (ceux du pôle central) n'y retrouveraient plus leurs petits (ce serait mon cas). Mais ce serait aussi le cas entre les deux hypothèses du second tour adoptées : ainsi, 33% des sondés s'abstiendraient dans le cas d'un duel Marine Le Pen versus François Ruffin, tandis que 42% des sondés s'abstiendraient dans le cas d'un duel Marine Le Pen versus Jean-Luc Mélenchon. Cela montrerait surtout que François Ruffin est capable de mieux rassembler la gauche que Jean-Luc Mélenchon, réussissant à préserver l'électorat extrémiste insoumis tout en séduisant la partie plus modérée de la gauche non macroniste, à savoir écologiste et socialiste.
     

     
     


    L'abstention observée au premier tour serait nettement moindre, ce qui est logique dans la mesure où l'offre politique serait plus large : dans le cas d'une candidature de François Ruffin, 23% seraient abstentionnistes, et dans le cas d'une candidature de Jean-Luc Mélenchon, 27% seraient abstentionnistes, ce qui confirmerait qu'une partie des électeurs de gauche rejetteraient absolument Jean-Luc Mélenchon mais seraient prêts à voter François Ruffin. L'ordre de grandeur de l'abstention est compatible avec l'abstention habituellement constatée dans la réalité des élections présidentielles passées.
     

     
     


    Cependant, deux biais gigantesques remettent en question l'intérêt et les conclusions d'un tel sondage (sauf, je le répète, de conclure que les électeurs de gauche, dans leur globalité, préféreraient François Ruffin à Jean-Luc Mélenchon).

    Le premier biais est valable dans tous les sondages, et c'est pour cela qu'au-delà de la simple mesure photographique d'un état de l'opinion qui pourrait évoluer au cours du temps, il y a aussi la marge d'erreur, très importante lorsque les scores se rapprochent de 50%. Dans les mentions officielles, il est dit et répété (notamment sur les slides des résultats) que le sondage est réalisé par Cluster17
    « auprès d'un échantillon de 1 713 personnes représentatif de la population française ». 1 713, c'est déjà pas mal quand souvent d'autres prennent à peine 1 000 personnes.

    Mais il faut aussi lire le détail technique de ce sondage, qui est pourtant clairement expliqué à qui veut le lire précisément. Et ce nombre de 1 713 n'est pas celui qu'il faut prendre pour calculer les intervalles d'incertitude : il est en fait bien plus faible. En effet, il faut prendre en compte ceux, parmi les 1 713 personnes, qui ne sont pas inscrits sur une liste électorale et par conséquent, qui ne voteront de toute façon pas, puis retrancher encore ceux qui n'ont aucune intention de voter, puis pondérer par ceux qui hésiteraient à voter (dont la probabilité de vote est entre 0 et 1).
     

     
     


    Et cela donne nettement moins : seulement 1 238 personnes pour l'hypothèse Ruffin du premier tour. Et 1 063 personnes pour l'hypothèse Marine Le Pen versu François Ruffin au second tour. Inutile d'évoquer les deux hypothèses avec Jean-Luc Mélenchon car la différence des résultats obtenus est trop grande (relativement aux insoumis ou par rapport aux autres candidats) pour que le calcul de la marge d'erreur puisse avoir un intérêt (même si cette marge est plus grande car les personnes sont moins nombreuses à vouloir se plier à ces choix).

    Pour le premier tour avec François Ruffin, l'intérêt est de connaître le niveau d'avance avec Édouard Philippe, 29% par rapport à 25%, c'est important puisque cela préfigurerait le second tour. Cela donnerait ainsi Édouard Philippe à 25% +/- 2,45%, tandis que François Ruffin serait à 29% +/- 2,6% soit : Édouard Philippe entre 22,5% et 27,5% tandis que François Ruffin entre 26,4% et 31,6%. Donc conclure avec ce sondage que François Ruffin dépasserait Édouard Philippe est une grossière erreur puisque les intervalles d'incertitude se chevauchent, d'où, avec les mêmes résultats, la possibilité que le score soit en fait inversé, avec une avance de 1 point, par exemple, de l'ancien Premier Ministre. Mais dans cette même logique, Marine Le Pen, qui serait à 30% +/- 2,6%, c'est-à-dire entre 27,4% et 32,6%, pourrait donc être dépassée par François Ruffin (dans l'incertitude haute pour les insoumis), ce qui reviendrait à dire que le candidat FI serait premier du premier tour (résultat qui, politiquement, a tout de même peu de chance de survenir). Je n'ai pas fait le calcul pour l'hypothèse Mélenchon du premier tour, car ce n'était pas l'objet du sondage, mais il est clair que Marine Le Pen et Édouard Philippe seraient au coude-à-coude et cela pourrait bien sûr être Édouard Philippe au premier rang, dépassant la candidate du RN.
     

     
     


    Dans l'hypothèse du second tour avec François Ruffin, comme les scores seraient de 50% chacun, l'intervalle donné par la fiche technique explique qu'en fait, ils seraient compris entre 47% et 53%. Bref, à peu près l'écart de tous les candidats au second tour sauf en 1965, 1969, 2002, 2017 et 2022. Bref, le sondage dit surtout que tout est possible, nous voilà bien avancés !

    Mais au-delà de ces calculs d'apothicaires de la vie électorale, le sondage de Cluster17 commandé par François Ruffin pêche par un second biais bien plus grave, celui de figer l'ensemble des candidats du premier tour. Si Marine Le Pen, Éric Zemmour, et, dans une moindre mesure, Laurent Wauquiez, ont une forte probabilité de participer au scrutin de 2027, il n'en est pas de même pour les autres. La présence de Nicolas Dupont-Aignan devient moins évidente depuis qu'il s'est retiré des élections européennes (ce qui avantagerait l'extrême droite). De même, le candidat du camp macroniste est loin d'être connu et Gabriel Attal pourrait aussi créer la surprise.

    Toutefois, de toutes ces hypothèses, le biais principal reste l'hypothèse que le candidat insoumis soit le candidat unique de la gauche, de Lutte ouvrière aux radicaux de gauche, en passant par le PS, le PCF, EELV, et FI, ce qui n'est absolument pas crédible alors qu'ils ne s'entendent sur rien ! D'autant plus que l'hypothèse de garder un candidat du NPA, avec Philippe Poutou, est plutôt fantaisiste car ce parti est ruiné (par l'effet attractif de FI) et plutôt unitaire, alors que LO a toujours été autonomiste (refusant même de voter lors du second tour en 2002).


    Toute cette mousse médiatique sur ce sondage est donc assez stérile mais elle prouve deux choses : François Ruffin a envie d'y aller, à la présidentielle de 2027, et il aura des soutiens, de ceux qui veulent que Jean-Luc Mélenchon prennent définitivement sa retraite. L'autre chose est moins agréable pour la gauche : les électeurs de gauche modérés, qui ne supportent pas Jean-Luc Mélenchon et pensent trouver dans le vote pour Raphaël Glucksmann aux élections européennes une voie raisonnable, se trompent complètement : voter Glucksmann, c'est voter PS et donc, à terme, voter pour FI lors des choses sérieuses, en 2027.

    Car si j'explique juste avant que la réunion de toute la gauche à l'élection présidentielle n'est pas crédible dans la situation actuelle, et c'est vrai surtout dans le cas d'une candidature de Jean-Luc Mélenchon (il suffit de voir en 2017 et 2022), ce genre de sondages pourrait, par leur fonction autoréalisatrice, conduire les appareils partisans de gauche à renoncer à se présenter à la présidentielle derrière une figure incontestée parce que peu politique comme celle de François Ruffin, mais, je le répète, derrière François Ruffin restera toujours le programme de FI qui est anti-européen, pro-Poutine, pro-palestinien et qui considère le Hamas comme faisant des actes de résistance légitimes.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (21 avril 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :

    Sondage secret : le tour de chauffe de François Ruffin !
    Sondage secret : en cas de législatives anticipées, une victoire du RN ?
    Marine Le Pen en tête dans un sondage : attention au buzz !

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240421-francois-ruffin.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/sondage-secret-le-tour-de-chauffe-254289

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/22/article-sr-20240421-francois-ruffin.html




     

  • Le vote des femmes en France depuis 80 ans

    « De même que nous prétendons rendre la France seule et unique maîtresse chez elle, ainsi ferons-nous en sorte que le peuple français soit seul et unique maître chez lui. En même temps que les Français seront libérés de l'oppression ennemie, toutes leurs libertés intérieures devront leur être rendues. Une fois l'ennemi chassé du territoire, tous les hommes et toutes les femmes de chez nous éliront l'Assemblée Nationale qui décidera souverainement des destinées du pays. » (De Gaulle, le 23 juin 1942).


     

     
     


    Cela fait quatre-vingts ans que les femmes ont le droit de voter en France, le 21 avril 1944. Quatre-vingts ans, c'est beaucoup, et en même temps, c'était hier ! La République a deux cent trente ans, la France plus de mille ans, alors quatre-vingts ans, la vie d'un homme, enfin, d'une femme. J'y songe maintenant : ma grand-mère n'a pas pu voter quelques jours après son mariage, au printemps 1936. Elle avait pourtant 19 ans mais elle n'en avait pas le droit (certes, la majorité électorale était de 21 ans). Elle a dû attendre encore neuf ans ! Ce qui est bizarre, c'est que Léon Blum avait quand même nommé trois femmes dès 1936 dans son gouvernement (dont la chimiste Irène Joliot-Curie).$

    Les femmes françaises (de métropole, précisons-le !) ont le droit de voter à toutes les élections depuis que De Gaulle, chef de la France libre, a signé (promulgué) l'ordonnance du 21 avril 1944 portant organisation des pouvoirs publics en France après la Libération. Dans son article 17, il est donc proclamé : « Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes. ». Mais en fait d'éligibilité, elles étaient déjà éligibles peu avant, dès novembre 1943, puisque plusieurs femmes ont été désignées membres de l'Assemblée consultative provisoire, l'équivalent d'une chambre parlementaire avant les premières élections en 1945. En particulier, en furent membres Marthe Simard, Lucie Aubrac, Marie-Claude Vaillant-Couturier, etc. Cette ordonnance du 21 avril 1944 a été complétée (et le vote des femmes confirmé) le 4 octobre 1944, après la formation du Gouvernement provisoire de la République française. La première application de ce droit a eu lieu le 29 avril 1945 lors des premières élections après le début de la guerre, le premier tour des élections municipales.

    Quant aux scrutins nationaux, les femmes ont pu commencer à voter aux élections pour désigner l'Assemblée Nationale Constituante le 21 octobre 1945 à l'issue desquelles 33 femmes ont été élues députées (17 PCF, 9 MRP, 6 SFIO et 1 PSL/CNIP, aucune radicale !). Madeleine Braun a été la première femme vice-présidente de l'Assemblée Nationale en 1946, Marie-Madeleine Dienesch a été la première femme présidente de commission en 1967 et Denise Cacheux la première femme questeure en 1986. C'était un début qui n'a guère évolué pendant une cinquantaine d'années. Et il faudra attendre 2022 pour voir élire la première femme au perchoir, Yaël Braun-Pivet. Et 1991 et 2022 pour les deux premières femmes Premières Ministres : Édith Cresson et Élisabeth Borne.

    L'histoire a retenu que c'est De Gaulle qui a permis aux femmes de voter. C'est à la fois vrai (et la légende gaulliste n'en est que plus magnifique) et c'est aussi incomplet. Historiquement, beaucoup de personnes, avant De Gaulle, ont contribué à permettre l'aboutissement de ce droit qui, insistons-le !, est arrivé beaucoup trop tardivement en France. Alors que dans l'Ancien Régime, les femmes avaient le droit de vote aux États Généraux quand elles étaient des veuves dotées d'un fief ou des mères abbesses, les révolutionnaires ont complètement oublié les femmes dans leurs belles idées de liberté et d'égalité (et de fraternité, on ne parlait pas de sororité !).

    Pourtant, il y avait déjà des penseurs du vote des femmes. Ainsi, Condorcet a proposé le vote des femmes le 3 juillet 1790 dans un article, et Olympe de Gouges militait pour ce droit en septembre 1791, considérant ceci, fort logiquement : « La femme a le droit de monter sur l'échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la tribune. ». Elle a connu une triste fin, sous la froide lame de la guillotine, mais elle n'aura jamais fréquenté d'isoloir. Les belles âmes républicaines du XIXe siècle ont toujours exclu les femmes de leur universalisme. À la fin de ce siècle-là, des mouvements féministes réclamant ce droit se sont créés un peu partout dans le monde, y compris en France, ce furent les suffragettes, dont fut Louise Weiss (voir première photo en mai 1935). Louise Weiss fut la doyenne du Parlement Européen de 1979 à sa mort, en 1983, et à ce titre, la première femme à avoir présidé le Parlement Européen, avant l'élection de Simone Veil.

    Après la Première Guerre mondiale, l'affaire était pliée intellectuellement : les femmes avaient joué un rôle considérable pendant la guerre et leur citoyenneté devait nécessairement être reconnue. Entre mai 1919 et juillet 1936, pas moins de six propositions de loi allant dans ce sens (reconnaissance du droit de vote des femmes) ont été votées à la Chambre des députés, mais n'ont jamais abouti faute du vote du Sénat, soit parce que la proposition n'a pas été mise à l'ordre du jour, soit par simple "négligence". La cause des femmes était totalement entendue puisque les forces progressistes y étaient évidemment favorables, mais aussi les forces conservatrices, notamment depuis que le pape Benoît XV a approuvé un tel droit le 15 juillet 1919. Il faut aussi rappeler que Maurice Barrès, député pendant la guerre, a proposé en 1916 un texte de loi visant à permettre aux veuves et aux mères de soldats tués à la guerre de voter à leur place.

    La réalité crue, c'est que le vote des femmes a toujours pâti des considérations politiciennes des radicaux, dont le parti dominait le Sénat. Les radicaux s'inquiétaient de la nature du vote des femmes qu'ils pensaient plus proches des conservateurs et des catholiques que de la gauche anticléricale (surtout depuis que le pape a approuvé ce droit). Les députés radicaux votaient ces propositions de loi tandis que les sénateurs radicaux les refusaient, et même, certains députés, qui avaient voté une telle proposition, devenus sénateurs, changeaient leur position, ce qui indiquait que les radicaux faisaient tout pour éviter le vote des femmes sans pour autant le montrer trop ostensiblement (car ce n'était pas très populaire de s'y opposer).

    Paradoxalement, les radicaux qui étaient des républicains ultras en quelque sorte, dépositaires de l'espérance révolutionnaire, ont donc tout fait, sous la Troisième République, pour retarder le vote des femmes et ils en étaient donc les principaux responsables.
     

     
     


    Il faut aussi revoir précisément la construction de cette ordonnance du 21 avril 1944. De Gaulle était favorable au vote des femmes, cela ne fait aucun doute (le 18 mars 1944, il a répété encore à l'Assemblée consultative provisoire : « Le régime nouveau doit comporter une représentation élue par tous les hommes et toutes les femmes de chez nous. »), mais pour autant, il lui fallait convaincre une classe politique qu'il avait tenté de reconstituer avec le CNR avant la Libération. L'Assemblée consultative provisoire n'était pas unanime pour cette mesure pourtant d'égalité. Le député communiste Fernand Grenier (maire de Saint-Denis) présidait la commission de législation et de réforme de l'État et présenta son amendement pour inclure dans le texte de l'ordonnance le droit de vote et surtout l'éligibilité des femmes.

    À l'origine, la commission avait déjà adopté le principe du vote des femmes, mais elle avait néanmoins exclu qu'il fût appliqué dès les élections provisoires qui auraient lieu pendant la Libération (allez savoir pourquoi ! toujours cette idée de freiner et retarder sans cesse). Dans la discussion au sein de l'Assemblée, le député corse Paul Giacobbi a donné un argument récurrent : « Il est établi qu'en temps normal les femmes sont déjà plus nombreuses que les hommes. Que sera-ce à un moment où prisonniers et déportés ne seront pas encore rentrés ? ». Et de conclure : « Pensez-vous qu'il soit très sage dans une période aussi troublée (…) de nous lancer ex-abrupto dans cette aventure ? ». Une "aventure" ! Le résistant Ernest Bissagnet a complété la question : « L'amendement Grenier amènera un déséquilibre très net, car il y aura deux fois plus de femmes que d'hommes qui prendront part au vote. Aurons-nous une image vraie de l'idée du pays ? En raison de ce déséquilibre, je préfère que le suffrage des femmes soit ajourné. ».

    La réponse de Fernand Grenier était alors très simple : « L'éloignement de leur foyer de nombreux prisonniers et déportés qui ont été remplacés dans leurs tâches par leurs femmes confère à ces dernières un droit encore plus fort de voter dès les premières élections. ». Et d'ajouter : « Dans le domaine de la lutte contre l'ennemi, les femmes se sont révélées les égales des hommes, ainsi ces femmes qui, dans tous les domaines, font preuve d'un courage admirable, n'auraient pas le droit de vote ? ». Quant au député SFIO anti-munichois Louis Vallon (futur gaulliste du RPF puis de l'UDT), il retrouvait dans cette discussion les poisons et délices de la Troisième République : « À maintes reprises, le Parlement s'est prononcé à la quasi-unanimité pour le principe du vote des femmes mais, chaque fois, l'on s'est arrangé par des arguments de procédure pour que la réforme n'aboutisse pas. » (cité par Wikipédia).

    L'amendement de Fernand Grenier a été adopté le 24 mars 1944 à Alger par 51 voix pour et 16 contre. Parmi les pour : Paul Antier, Jules Moch, Fernand Grenier, Louis Vallon, Ernest Claudius-Petit, Raymond Aubrac, Emmanuel d'Astier de La Vigerie, Vincent Auriol, Ambroise Croizat, François Billoux, Albert Gazier, Robert Prigent, etc. Parmi les contre : Paul Giacobbi, mais aussi René Cassin, etc. N'ont pas pris part au vote : Félix Gouin (parce qu'il présidait la séance), Pierre Cot, Ernest Bissagnet, Léon Morandat, Albert Guérin, etc.

    Fernand Grenier a ainsi écrit dans ses mémoires : « C'est de cette séance du 24 mars 1944 que date en fait le vote des femmes en France. », se donnant ainsi le beau rôle (c'est l'histoire que racontent encore aujourd'hui le parti communiste). Néanmoins, le site de l'Assemblée Nationale précise l'importance de De Gaulle dans cette évolution en mettant ce bémol : « Mais l'impulsion était venue d'ailleurs. Et cette conclusion semi-parlementaire n'effaçait pas 40 ans d'enlisement du législateur. ».


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    Sylvain Rakotoarison (21 avril 2024)
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    Pour aller plus loin :
    Le vote des femmes en France.
    Femmes, je vous aime !
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    Violences conjugales : le massacre des femmes continue.
    L'IVG dans la Constitution (3) : Emmanuel Macron en fait-il trop ?
    Discours du Président Emmanuel Macron le 8 mars 2024, place Vendôme à Paris, sur l'IVG (texte intégral et vidéo).
    L'IVG dans la Constitution (2) : haute tenue !
    L'IVG dans la Constitution (1) : l'émotion en Congrès.
    La convocation du Parlement en Congrès pour l'IVG.
    L'inscription de l'IVG dans la Constitution ?
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    Six ans plus tard.
    Mariage lesbien à Nancy.
    Mariage posthume, mariage "nécrophile" ? et pourquoi pas entre homosexuels ?
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    Les 20 ans du PACS.
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    PMA : la levée de l’anonymat du donneur.
    La PMA pour toutes les femmes.
     

     
     





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  • Racine, l'emblématique maître des lettres classiques

    « Dès le XVIIIe siècle, il est devenu l’écrivain classique de référence, admiré entre autres par Voltaire, et il reste toujours au premier plan dans les études littéraires, comme en attestent les listes d’œuvres complètes du lycée qui viennent de paraître où sa tragédie Phèdre est à l’honneur. » (Jean-Christophe Pellat, le 29 mai 2019).


     

     
     


    Le dramaturge et poète français Jean Racine est mort à l'âge de 59 ans (né le 22 décembre 1639) il y a 325 ans, le 21 avril 1699 à Paris. Auteur monumental de la littérature française, répertorié dans les manuels scolaires depuis des siècles, il est le symbole de la littérature classique, celle qui s'exprime en alexandrins de manière rigoureuse et synthétique, où la vertu politique est soumise aux aléas de la passion personnelle et où les unités de temps, de lieu et d'action sont strictement respectées. Il partage avec Molière (1622-1673) et Pierre Corneille (1606-1684) la principale représentation littéraire du XVIe siècle, ils font tous les trois partie des auteurs de théâtre encore les plus joués en France. Racine est connu pour ses tragédies (comme Corneille) autant que Molière pour ses comédies. Racine est néanmoins l'auteur d'une unique comédie "Les Plaideurs" (1668). Il fut notamment l'ami de Molière et de Boileau (1636-1711).

    Les tragédies de Racine sont très connues parce que tous les Français ont eu l'occasion de les étudier de près au cours de leur scolarité, en particulier : "Andromaque" (1667), "Britannicus" (1669), "Bérénice" (1670), "Bajazet" (1672), "Mithridate" (1673), "Iphigénie" (1674) et sans doute son chef-d'œuvre "Phèdre (et Hippolyte)" (1677), dans un mélange de théâtre antique et de jansénisme qu'il a connu à Port-Royal où il a été élevé (par sa tante devenue abbesse, car il était orphelin de mère en 1641 et de père en 1643 ; Racine a d'ailleurs été un exemple exceptionnel d'ascension sociale dans la société très rigide de l'Ancien Régime).

    Pour Jean-Christophe Pellat, professeur de linguistique à l'Université de Strasbourg (dans le Grevisse) : « La conception pessimiste de l’homme qui y règne, être misérable sans Dieu, façonne la vision tragique au cœur des pièces de Racine (L. Goldmann. "Le Dieu caché"). (…) [Racine] a créé des figures tragiques remarquables, comme Andromaque ou Phèdre. Son style classique est "une alliance sans exemple d’analyse et d’harmonie" (P. Valéry). Au-delà des procédés de style éprouvés (l’allitération de "Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ?"), sa poésie du rythme exprime l’émotion et l’élan du cœur, comme ces paroles de Bérénice à Titus : "Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous, Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ?" ("Bérénice"). Ses évocations sensibles créent une atmosphère fantastique : "Songe, songe, Céphise, à cette nuit cruelle, Qui fut pour tout un peuple une nuit éternelle". ("Andromaque"). Car, pour Racine, "la principale règle est de plaire et de toucher" (préface de "Bérénice"). ».

    Dès le succès de sa deuxième tragédie "Alexandre le Grand" (1665), Racine fut le protégé de roi Louis XIV (1638-1715) qui avait quasiment le même âge que l'écrivain. Il fut trésorier de France, secrétaire du roi et gentilhomme ordinaire de sa chambre. Racine fut élu membre de l'Académie française le 5 décembre 1672 au fauteuil de François de La Mothe Le Vayer (le fauteuil 13 qui sera aussi celui d'Octave Feuillet, Pierre Loti, Paul Claudel, Maurice Schumann, Pierre Messmer et Simone Veil) et a été reçu le 12 janvier 1673. Il n'avait alors que 33 ans.

    Lors de cette journée, ils étaient trois académiciens à être reçus, et pour la première fois, ces réceptions étaient publiques. Racine a prononcé très timidement son discours de réception après celui de l'abbé Valentin Esprit Fléchier (1632-1710), futur évêque de Nîmes et considéré comme l'un des grands orateurs du XVIIe siècle. Le discours de Fléchier a eu un grand succès, si bien que celui de Racine fut accueilli beaucoup moins chaleureusement, au point qu'il n'a pas voulu le faire imprimer (et qu'il est donc aujourd'hui inconnu). Jean d'Alembert (1717-1783), qui fut académicien à partir de 1754, a rapporté ainsi cette réception, cité par Tyrtée Tastet en 1840 : « [Esprit Fléchier] y parla le premier, et obtint de si grands applaudissements que l'auteur d'Andromaque et de Britannicus désespéra d'avoir le même succès. Le grand poète fut tellement intimidé et déconcerté en présence de ce public qui tant de fois l'avait couronné au théâtre, qu'il ne fit que balbutier en prononçant son discours ; on l'entendit à peine, et on le jugea néanmoins comme si on l'avait entendu. ». Esprit Fléchier a une statue à son effigie place Saint-Sulpice à Paris. L'abbé Jean Gallois (1632-1707) fut le troisième académicien reçu le même jour.

    Le discours de réception à l'Académie n'est pas le seul écrit perdu de Racine. Nommé historiographe du roi, il fut désigné en 1677 pour rédiger l'histoire de Louis XIV avec Boileau. Leurs manuscrits furent confiés à leur ami Jean-Baptiste-Henri de Valincour (1653-1730), futur successeur de Racine au fauteuil 13, et, malheureusement, ont péri en 1726 dans l'incendie de sa bibliothèque (contenant près de huit mille volumes).


    En revanche, le discours de Racine de réponse à la réception à l'Académie le 2 janvier 1685 de Thomas Corneille (1625-1709), succédant à son frère Pierre Corneille, et de l'avocat Jean-Louis Bergeret (1641-1694), succédant à Louis Géraud de Cordemoy (1626-1684), a été publié, et c'est une chance puisqu'il a été considéré comme un très bon discours, que son auteur a dû répéter devant le roi le 5 mars 1685 et devant Madame la Dauphine le 20 mars 1685.

    En particulier dans son éloge de son ami Corneille : « [L'Académe] a regardé la mort de Monsieur de Corneille, comme un des plus rudes coups qui la pût frapper ; car bien que depuis un an, une longue maladie nous eût privés de sa présence, et que nous eussions perdu en quelque sorte l’espérance de le revoir jamais dans nos assemblées, toutefois il vivait, et l’Académie dont il était le doyen, avait au moins la consolation de voir dans la liste, où sont les noms de tous ceux qui la composent, de voir, dis-je, immédiatement au-dessous du nom sacré de son auguste protecteur, le fameux nom de Corneille. Et qui d’entre-nous ne s’applaudissait pas en lui-même, et ne ressentait pas un secret plaisir d’avoir pour confrère un homme de ce mérite ? (…) La scène retentit encore des acclamations qu’excitèrent à leur naissance, le Cid, Horace, Cinna, Pompée, tous ces chef-d’œuvres représentés depuis sur tant de théâtres, traduits en tant de langues, et qui vivront à jamais dans la bouche des hommes. À dire le vrai, où trouvera-t-on un poète qui ait possédé à la fois tant de grands talents, tant d’excellentes parties ? L’art, la force, le jugement, l’esprit ! Quelle noblesse, quelle économie dans les sujets ! Quelle véhémence dans les passions ! quelle gravité dans les sentiments ! Quelle dignité, et en même temps, quelle prodigieuse variété dans les caractères ! Combien de Rois, de Princes, de Héros de toutes nations nous a-t-il représentés, toujours tels qu’ils doivent être, toujours uniformes avec eux-mêmes, et jamais ne se ressemblant les uns aux autres ! Parmi tout cela, une magnificence d’expression proportionnée aux maîtres du monde qu’il fait souvent parler ; capable néanmoins de s’abaisser quand il veut, et de descendre jusqu’aux plus simples naïvetés du comique, où il est encore inimitable ; enfin, ce qui lui est surtout particulier une certaine force, une certaine élévation qui surprend, qui enlève, et qui rend jusqu’à ses défauts, si on lui en peut reprocher quelques-uns, plus estimables que les vertus des autres. Personnage véritablement né pour la gloire de son pays, comparable, je ne dis pas à tout ce que l’ancienne Rome a eu d’excellents tragiques, puisqu’elle confesse elle-même qu’en ce genre elle n’a pas été fort heureuse, mais aux Eschyles, aux Sophocles, aux Euripides dont la fameuse Athènes ne s’honore pas moins que des Thémistocles, des Périclès, des Alcibiades, qui vivaient en même temps qu’eux. (…) Lorsque dans les âges suivants l’on parlera avec étonnement des victoires prodigieuses, et de toutes les grandes choses qui rendront notre siècle l’admiration de tous les siècles à venir, Corneille, n’en doutons point, Corneille tiendra sa place parmi toutes ces merveilles. La France se souviendra avec plaisir que sous le règne du plus grand de ses Rois a fleuri le plus célèbre de ses poètes. On croira même ajouter quelque chose à la gloire de notre auguste monarque, lorsqu’on dira qu’il a estimé, qu’il a honoré de ses bienfaits cet excellent génie ; que même deux jours avant sa mort, et lorsqu’il ne lui restait plus qu’un rayon de connaissance, il lui envoya encore des marques de sa libéralité, et qu’enfin les dernières paroles de Corneille ont été des remerciements pour Louis-le-Grand. ».

    C'est au 24 rue Visconti dans le sixième arrondissement de Paris (dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés) que Racine est mort le 21 avril 1699 d'une tumeur au foie. Selon ses dernières volontés, il a été enterré à Port-Royal (il s'était brouillé puis réconcilié avec les jansénistes de Port-Royal ; selon l'expression du site jeanracine.org : « [il] resta le courtisan respectueux écartelé entre la faveur du roi et la fidélité à Port-Royal » ; il n'a pas eu le temps de finir son "Abrégé de l'histoire de Port-Royal" rédigé secrètement), puis ses restes ont été délogés et transférés en 1711 à l'église Saint-Étienne-du-Mont de Paris après la destruction de Port-Royal par Louis XIV.
     

     
     


    C'est le successeur de Racine à l'Académie qui fut chargé de faire son éloge (comme c'est de coutume) le 27 juin 1699 lors de sa réception. Jean-Baptiste-Henri de Valincour déclara notamment : « M. Racine conduit par son seul génie, et sans s’amuser à suivre ni même à imiter un homme que tout le monde regardait comme inimitable, ne songea qu’à se faire des routes nouvelles. Et tandis que Corneille peignant ses caractères d’après l’idée de cette grandeur romaine, qu’il a le premier mise en œuvre avec tant de succès, formait ses figures plus grandes que le naturel, mais nobles, hardies, admirables dans toutes leurs proportions ; tandis que les spectateurs entraînés hors d’eux-mêmes, semblaient n’avoir plus d’âmes que pour admirer la richesse de ses expressions, la noblesse de ses sentiments, et la manière impérieuse dont il maniait la raison humaine. M. Racine entra, pour ainsi dire, dans leur cœur et s’en rendit le maître ; il y excita ce trouble agréable qui nous fait prendre un véritable intérêt à tous les événements d’une fable que l’on représente devant nous ; il les remplit de cette terreur et de cette pitié qui, selon Aristote, sont les véritables passions que doit produire la tragédie ; il leur arracha ces larmes qui font le plaisir de ceux qui les répandent ; et peignant la nature moins superbe peut-être et moins magnifique, mais aussi plus vraie et plus sensible, il leur apprit à plaindre leurs propres passions et leurs propres faiblesses, dans celles des personnages qu’il fit paraître à leurs yeux. Alors le public équitable, sans cesser d’admirer la grandeur majestueuse du fameux Corneille, commença d’admirer aussi les grâces sublimes et touchantes de l’illustre Racine. Alors le théâtre français se vit au comble de sa gloire, et n’eut plus de sujet de porter envie au fameux théâtre d’Athènes florissante : c’est ainsi que Sophocle et Euripide, tous deux incomparables et tous deux très différents dans leur genre d’écrire, firent en leur temps l’honneur et l’admiration de la savante Grèce. Quelle foule de spectateurs, quelles acclamations ne suivirent pas les représentations d’Andromaque, de Mithridate, de Britannicus, d’Iphigénie et de Phèdre ! Avec quel transport ne les revoit-on pas tous les jours, et combien ont-elles produit d’imitateurs, même fort estimables, mais qui toujours fort inférieures à leur original, en font encore mieux concevoir le mérite ! Mais, lorsque renonçant aux muses profanes, il consacra ses vers à des objets plus dignes de lui, guidé par des conseils et par les ordres que la sagesse même avouerait pour les siens, quels miracles ne produisit-il pas encore ! Quelle sublimité dans ses cantiques, quelle magnificence dans Esther et dans Athalie, pièces égales, ou même supérieures à tout ce qu’il a fait de plus achevé, et dignes par-tout, autant que des paroles humaines le peuvent être, de la majesté du Dieu dont il parle, et dont il était si pénétré ! En effet, tous ceux qui l’ont connu savent qu’il avait une piété très-solide et très-sincère, et c’était comme l’âme et le fondement de toutes les vertus civiles et morales que l’on remarquait en lui : ami fidèle et officieux, et le meilleur père de famille qui ait jamais été, mais sur-tout exact et rigide observateur des moindres devoirs du christianisme, justifiant en sa personne ce qu’a dit un excellent esprit de notre siècle : que si la religion chrétienne paraît admirable dans les hommes du commun par les grandes choses qu’elle leur donne le courage d’entreprendre, elle ne le paraît pas moins dans les plus grands personnages par les petites choses dont elle les empêche de rougir. ».

    Mais probablement que l'éloge le plus touchant provient d'un autre grand écrivain, André Gide (1869-1951), par ailleurs Prix Nobel de Littérature en 1947, qui s'émerveillait de Racine : « J'ai aimé les vers de Racine par-dessus toutes productions littéraires. J'admire Shakespeare énormément ; mais j'éprouve devant Racine une émotion que ne me donne jamais Shakespeare : celle de la perfection. ». La statue de Jean Racine trône aujourd'hui au flanc du Louvre.


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    Sylvain Rakotoarison (20 avril 2024)
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    Pour aller plus loin :
    Racine.
    Pierre Loti.
    Philippe de Villiers.
    Frédéric Mitterrand.
    Philippe De Gaulle.
    Jean-Pierre Chevènement.
    Élisabeth Badinter.
    Robert Badinter.
    Jean-Jacques Servan-Schreiber.
    Christine Angot.
    Edgar Morin.

    Jean-François Revel.
    Maurice Bellet.
    Claude Villers.
    André Franquin.
    Morris.

    Françoise Hardy.
    Lénine.
    Christine Boutin.
    André Figueras.
    Patrick Buisson.

    Maurice Barrès.
    Bernard-Henri Lévy.

    Jacques Attali.
    Italo Calvino.
    Hubert Reeves.

    Jean-Pierre Elkabbach.
    Jacques Julliard.

    Robert Sabatier.
    Hélène Carrère d'Encausse.

    Molière.
    Frédéric Dard.
    Alfred Sauvy.
    George Steiner.
    Françoise Sagan.
    Jean d’Ormesson.
    Les 90 ans de Jean d’O.
     

     
     






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  • Les Cent jours de Gabriel Attal à Matignon

    « Moi, je pense que la politique et que ma responsabilité en tout cas, ce n'est pas seulement de faire des grands récits, c'est aussi de répondre à des petits problèmes et de faire des progrès dans la vie quotidienne des Français. » (Gabriel Attal, le 18 avril 2024 sur BFMTV).



     

     
     


    Journée importante pour le Premier Ministre Gabriel Attal que ce jeudi 18 avril 2024 censé "fêter" (façon de parler) ses 100 jours à Matignon. Et pas n'importe comment : le matin, un discours important à Viry-Châtillon sur le retour à l'autorité chez les enfants et adolescents, et le soir, une émission politique importante sur BFMTV.

    Comme pour tous les Premiers Ministres, le job est un contrat à durée déterminée indéterminée. Le Premier Ministre peut être remplacé du jour au lendemain. Ce qui fait que chaque journée, chaque minute compte, bien évidemment. Pas étonnant qu'au bout de six mois, ils sont d'office décoré de l'ordre national du Mérite. C'est sans doute la fonction la plus épuisante de France, de toutes les fonctions, privées et publiques confondues.


    Sur l'autorité à l'école, Gabriel Attal a tenté de répondre aux faits-divers qui ont endeuillé plusieurs famille pour avoir touché la vie de plusieurs collégiens, en particulier à Viry-Châtillon où un adolescent est mort après avoir été battu près de son collège. Pour le chef du gouvernement, la violence des mineurs provient d'un manque de respect à l'autorité. Gabriel Attal a énuméré un certain nombre de mesures comme l'inscription dans Parcoursup des protestations et des contestations de l'autorité de l'école, ce qui pourra handicaper des élèves violents dans la poursuite de leurs études supérieures, de la signature d'un contrat d'engagement à respecter l'autorité et les valeurs de la République chaque année entre les parents, les établissements et les élèves, la généralisation à l'école primaire des cours d'empathie, la possibilité d'une place en internat pour les jeunes violents pour les éloigner de leurs mauvaises fréquentations, le contrôle de l'âge réel des jeunes qui s'inscrivent dans les réseaux sociaux (il doit être supérieur à 15 ans), avec la possibilité d'une vérification entre l'opérateur et le fichier des inscriptions dans un établissement scolaire, une responsabilisation accrue des parents, en particulier la responsabilité solidaire des réparations financières des deux parents, même s'ils sont séparés, en cas de dégâts provoqués par leur enfant, etc. Pour Alain Duhamel, Gabriel Attal est très crédible dans ce domaine qui a été son leitmotiv quand il a été Ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse.

    L'émission du jeudi soir sur BFMTV était un exercice beaucoup plus périlleux pour le Premier Ministre. Cinq journalistes l'ont interrogé selon des thèmes précis. Gabriel Attal s'est montré à la fois humble et modeste face à sa tâche, et aussi factuel, concret, précis sur les mesures qu'il a prises, souvent en corrigeant les fake-news ou les mauvaises interprétations. Un exemple parmi d'autres : la suppression d'une prime spéciale pour l'alternance. Depuis 2017, il y a eu une forte augmentation des formations en alternance, voulue par le Président de la République. Pendant la crise du covid-19, le gouvernement avait mis en place une prime spéciale pour soutenir l'alternance. La crise étant finie, le gouvernement vient de la supprimer. Ce n'était pas cette prime qui avait permis la progression de l'alternance en France et il faut savoir si on critique le déficit budgétaire (en s'aidant de la Cour des Comptes en passant) ou si on critique le fait de réduire les dépenses publiques (en particulier, la suppression de cette prime spéciale était une mesure préconisée par la Cour des Comptes).

    Toutefois, on pourra regretter que les journalistes qui l'ont interrogé ne l'écoutaient pas et l'interrompaient sans cesse, histoire de montrer qu'ils ne seraient pas allégeants. Comme le veut leur profession, ils essayaient avant tout de faire sortir "la" petite phrase qui ferait le buzz dans les prochains jours, tout en faisant la promotion de leur employeur (en l'occurrence BFMTV). Déviation professionnelle particulièrement néfaste pour avoir une vue éclairée de la vie politique, puisque ce qui compte, à leurs yeux, n'est que de vaines polémiques anecdotiques. Évidemment, pour le professionnel de la communication qu'est Gabriel Attal, il y avait peu de chance qu'il tombât dans les nombreux pièges parfois subtils de ses interviewers, et même de ce côté : tout est de la com' ! En effet, Gabriel Attal a répondu en disant que si tout ce qu'il faisait était de la communication, on ne l'attaquerait pas sur des mesures concrètes, il n'y aurait pas de débat, sur l'assurance-chômage, sur le RSA, etc.

     

     
     


    Parmi les pièges, Ulysse Gosset a beaucoup interrogé Gabriel Attal sur la situation en Ukraine et au Proche-Orient (on note au passage que le Premier Ministre était assez convaincant sur ces sujets qu'ils connaissaient pourtant assez mal par son expérience gouvernementale, même si le Premier Ministre est responsable de la défense nationale et qu'à ce titre, il est membre du conseil de défense).

    Ulysse Gosset lui a demandé quelle serait la position de la France, qui soutiendrait-elle ?, en cas d'escalade et de guerre directe entre Israël et l'Iran. Malgré l'insistance du questionneur chevronné, Gabriel Attal s'est bien gardé de répondre à cette question qui se base sur une hypothèse dans laquelle il refuse de se placer puisque la France fait tout diplomatiquement pour éviter une telle escalade et une telle guerre. En se plaçant dans ces conditions de guerre, cela signifierait que la France les aurait déjà tenues pour acquises.

    Mais la palme revient à Benjamin Duhamel pour les questions de politique politicienne particulièrement sans intérêt. Gabriel Attal a sans doute peu convaincu lorsqu'il a dit qu'il ne songeait pas à l'élection présidentielle de 2027 (contrairement à certains rivaux dans la majorité comme Édouard Philippe, Bruno Le Maire et Gérald Darmanin), mais finalement, on peut imaginer sa sincérité. Il est Premier Ministre, donc, comme le disait Georges Pompidou, dès qu'il a posé le pied à Matignon, l'hypothèse de l'Élysée se diffuse, mais d'un autre côté, cette fonction étant terriblement à court terme, où il doit éteindre des incendies, répondre à des urgences, qu'il n'a même pas le temps de voir un horizon à trois mois, alors, à trois ans, c'est très loin et personne ne pourra dire où il sera à cette date. En revanche, lui se voit mal encore dans la vie politique dans vingt ou trente ans.

     

     
     


    La question de Benjamin Duhamel sur le vote d'une éventuelle motion de censure cet automne contre le projet de loi de finance, comme le menace le groupe LR, paraît aussi fantaisiste qu'une guerre réelle entre Israël et l'Iran : pourquoi dire ce que ferait le gouvernement dans un tel cas alors qu'il pourrait ne jamais survenir ? Il faut noter qu'en cas de vote d'une motion de censure, Gabriel Attal le considérerait comme un événement politique majeur (il n'a pas tort). Et la réaction à un tel événement n'est d'ailleurs pas du ressort du Premier Ministre mais du Président de la République (changement de Premier Ministre, dissolution, référendum...).

    Pas de réponse satisfaisante pour les porteurs d'audience non plus à propos de la petite phrase de Laurent Fabius évoquée de manière très imprécise par Benjamin Duhamel. À l'époque, c'était son oncle Alain Duhamel qui avait posé la question le 5 septembre 1984 dans "L'Heure de vérité" sur Antenne 2 au tout jeune Premier Ministre Laurent Fabius : « Vous avez tout appris de la politique auprès de François Mitterrand. Peut-on être un chef de gouvernement autonome lorsque l’on devient le premier collaborateur de celui dont on a toujours été le collaborateur ? ». Et Laurent Fabius de répondre : « Je vais vous faire une révélation, lui, c’est lui, moi c’est moi ! ». Benjamin Duhamel aurait rêvé d'une telle nouvelle petite phrase qui resterait dans les annales de l'histoire audiovisuelle. Mais il faut pour cela être un peu plus malin ! Démentant les éventuels désaccords entre Emmanuel Macron et lui-même, Gabriel Attal a insisté pour dire que ces rumeurs existent depuis qu'existe le couple Président/Premier Ministre et que, de toute façon, ils sont deux personnes différentes, donc forcément il y a des nuances.

    Gabriel Attal a voulu montrer d'abord l'image d'un Premier Ministre qui allait au charbon, qui travaillait, qui s'occupait des gens, qui ne pensait pas en se rasant ce qu'il deviendrait plus tard mais qui se demandait ce qu'il pourrait faire tout de suite pour servir le pays et les Français. S'il a été très pugnace dans ses critiques contre le RN (en particulier, leur vulgarité de langage qui n'est pas sans faire penser aussi aux comportements violents à l'école), il n'a pas montré beaucoup d'arrogance et a même laissé entendre qu'il restait impressionné par ses fonctions. Il a refusé de parler d'enfer de Matignon alors que c'est une mission exaltante et qu'on peut toujours quitter si c'est trop difficile. À la question sur : à qui demandez-vous conseil pour certaines questions difficiles ?, le Premier Ministre a été étonnamment sincère : il en parle avec ses conseillers (qui en douterait ?), ses ministres concernés ...et sa famille. Mais il ne consulte pas des personnalités comme François Bayrou ou Édouard Philippe, par exemple. Sa réponse franche montre surtout à quel point, au sommet de l'État, le pouvoir est excessivement solitaire.

    Quant à la campagne des élections européennes, Gabriel Attal a estimé qu'elle n'avait pas encore vraiment commencé et que la question sur l'avenir de l'Europe n'intéressait pas les journalistes ni l'opposition qui ne pensent qu'à en faire une étape nationale sur le chemin de la prochaine présidentielle. Seule la liste menée par Valérie Hayer pense réellement à l'Europe, avec des projets concrets. En somme, Gabriel Attal devrait tout être : chef du gouvernement, ministre de tout... et tête de liste aux européennes. En tout cas, il a expliqué que son adversaire n'était pas Jordan Bardella, député européen, mais Marine Le Pen puisqu'en tant que Premier Ministre, il est avant tout responsable devant le Parlement et que Marine Le Pen est la présidente du plus grand groupe d'opposition. C'est donc un débat avec Marine Le Pen, qu'elle refuse, qu'il a proposé à nouveau pour faire comprendre aux Français les différences (majeures) de l'offre politique.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (18 avril 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Les Cent jours de Gabriel Attal à Matignon.
    Ukraine : Gabriel Attal attaque durement le RN et Marine Le Pen !
    Séminaire gouvernemental, conseil de cabinet et conseil des ministres.
    Les souris du gouvernement de Gabriel Attal.
    Liste complète de tous membres du premier gouvernement de Gabriel Attal au 8 février 2024.
    Mais quelle mouche a donc piqué François Bayrou ?!
    Le capitaine Gabriel Attal fixe le cap du réarmement de la France.
    Discours de politique générale du Premier Ministre Gabriel Attal le 30 janvier 2024 à l'Assemblée Nationale (texte intégral et vidéo).
    Les 10 mesures de Gabriel Attal insuffisantes pour éteindre la crise agricole.
    Gabriel Attal répond à Patrick Kanner sur les crédits pour l'hôpital.
    Pour que la France reste la France !

    Conférence de presse du Président Emmanuel Macron le 16 janvier 2024 à 20 heures 15 à l'Élysée (texte intégral et vidéo).
    Gabriel Macron.
    Tribune du Président Emmanuel Macron dans "Le Monde" du 29 décembre 2023.

    Le gouvernement de Gabriel Attal sarkozysé.
    Liste complète des membres du premier gouvernement de Gabriel Attal.
    Cérémonie de passation des pouvoirs à Matignon le 9 janvier 2024 (texte intégral et vidéo).
    Gabriel Attal plongé dans l'enfer de Matignon.
    Élisabeth Borne remerciée !
    Macron 2024 : bientôt le grand remplacement ...à Matignon ?
    Vœux 2024 d'Emmanuel Macron : mes chers compatriotes, l’action n’est pas une option !












    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240418-gabriel-attal.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/les-cent-jours-de-gabriel-attal-a-254233

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  • Stellantis : Carlos Tavares à 100 000 euros par jour

    « Si vous estimez que ce n'est pas acceptable, faites une loi et modifiez la loi, et je la respecterai ! » (Carlos Tavares, sur France Bleu Lorraine, le 16 avril 2024 à l'usine de Trémery, en Moselle).



     

     
     


    La polémique resurgit en France avec le vote consultatif des actionnaires ce mardi 16 avril 20240, au cours d'une assemblée générale réunie à Amsterdam, qui a approuvé à 70,2% la rémunération du directeur général du groupe Stellantis, mais l'information était déjà connue dès le 23 février 2024 avec la publication du rapport annuel : Carlos Tavares (65 ans) a touché 36,5 millions d'euros de rémunération pour l'année 2023.

    Autant le dire tout de suite : c'est un montant complètement fou et excessif. Démesuré et disproportionné. Mais une fois écrit cela, qu'en penser ? D'abord, est-ce mérité ? Peut-être. Stellantis existe depuis le 16 janvier 2021. C'est nouveau et c'est la fusion de plusieurs groupes automobiles, français, italien, américain, pour en faire le quatrième constructeur mondial avec les marques : Peugeot, Citroën, Open, Fiat, Lancia, Chrysler, Alfa Romeo, Jeeetc.

    Carlos Tavares est issu d'une famille portugaise de conditions plutôt modestes aimant la France et le français. Il est diplômé de l'École centrale de Paris et s'est consacré tout entièrement au secteur automobile dont il était passionné. Jusqu'en 2013, il a fait toute sa carrière à Renault, devenant le numéro deux de Carlos Ghosn comme directeur général délégué aux opérations du groupe Renault de 2011 à 2013.

    Le jour de ses 55 ans, le 14 août 2013, il a affirmé publiquement, dans une interview, qu'il ne souhaitait pas rester un simple numéro deux et qu'il voulait devenir numéro un : « À un moment donné, vous avez l'énergie et l'appétit pour devenir numéro un (…). Mon expérience serait bonne pour n'importe quel constructeur ! ». Crime de lèse majesté ! Stupeur de son patron, Carlos Ghosn, qui l'a immédiatement viré (le 29 août 2013). Exit Renault. L'objectif de Carlos Tavares s'est porté alors sur General Motors ou Ford.


    Ce fut PSA : le groupe Peugeot SA était alors au bord de la faillite en 2014 lorsqu'il a été nommé président du directoire. Son objectif était de redresser les comptes, supprimer la dette, retrouver de la trésorerie et une marge opérationnelle. En quelques années, il a redressé le groupe familial français et a pris l'initiative (aux côtés de l'État français) de la fusion de PSA avec Fiat en 2021 (Fiat venant d'absorber Chrysler en 2014).
     

     
     


    Le 16 janvier 2021, il est devenu le directeur général de Stellantis, le nouveau groupe, dont le siège est aux Pays-Bas. Le chiffre d'affaires en 2023 a été de 189,5 milliards d'euros, en progression de 6%. Le résultat net pour 2023 a été aussi en progression, de 11%, pour atteindre le record de 18,6 milliards d'euros, ce qui est un exploit financier. Ce bénéfice a été d'ailleurs obtenu surtout à l'extérieur de la France, sur le marché américain. De ce bénéfice, 1,9 milliard d'euros ont été consacrés à une prime exceptionnelle aux près de 260 000 collaborateurs du groupe (précisément, un intéressement de 4 100 euros selon une annonce du 15 février 2024). 7,7 milliards d'euros ont été redistribués aux actionnaires (le reste est retourné en investissement).

    Cette excellente situation financière d'un fleuron européen de l'automobile provient aussi de la stratégie mise en place par Carlos Tavares, en particulier l'idée de ne pas vouloir vendre le plus d'automobiles possible (comme pour Renault) mais de faire les meilleures marges possible.

    Le sujet des rémunérations des patrons de constructeurs automobiles revient régulièrement dans l'actualité en France où le principe d'égalité est sacro-saint. En effet, l'indécence vient du fait que la rémunération de Carlos Tavares serait 500 fois la rémunération moyenne d'un salarié de son groupe. Dans cette rémunération, à 90% en fonction du résultat de son groupe, il faut compter une prime de 10 millions d'euros pour avoir mené la fusion, 2 millions d'euros pour une pension de retraite, etc.

    Ce qui étonne, c'est que l'attention devrait être portée sur les personnes en précarité pour qu'elles puissent vivre décemment et pas s'indigner de rémunérations énormes. Les limiter ne résoudrait pas le problème de la pauvreté. De même, la transparence apportée à la rémunération des dix plus gros salaires des groupes n'a pas entraîné une modération salariale, au contraire, plutôt une surenchère qu'on avait déjà comprise avec Carlos Ghosn : comme les adolescents qui jouent à avoir la plus grosse, ces patrons se comparent non pas à leurs salariés mais aux autres patrons dans le monde, et plus ils gagnent de l'argent, plus ils pensent que leur reconnaissance est effective. Cette surenchère n'a plus beaucoup de sens à partir d'un certain seuil (qui reste à définir).

    Du reste, l'arrogance va avec cette surenchère : presque provocateur, Carlos Tavares a justifié sa rémunération et si on la trouve trop importante, il défie les parlementaires de voter une loi et lui respectera la loi. Dans son arrogance, il se compare d'ailleurs à Kilian Mbappé (lui aussi objet de polémique sur sa rémunération), mais la différence, c'est qu'un joueur de football fait partie de l'actif d'un club, qui est l'argument d'achat des spectateurs et des sponsors, et il peut être revendu, au contraire du patron du groupe dont l'identité ne fait pas vendre à proprement parler ses véhicules (c'est plutôt la conception des véhicules qui déclenche l'acte d'achat).

    Cela écrit, je n'ai pas personnellement d'idée précise sur le sujet. Ce qui semble certain, pour évacuer un risque, c'est que réduire la rémunération d'un patron, dans ces cimes si hautes, ne me semblent pas réduire leurs (éventuelles) performances ni celles de leur entreprise. Donc, l'argument de performance économique ne me paraît pas pertinent pour empêcher de fixer un seuil de rémunération. Néanmoins, la philosophie générale de liberté me paraît globalement un élément majeur de performance économique en elle-même. Limiter, réguler (dans le secteur automobile, il y a de plus en plus de réglementation notamment dans le domaine écologique), entraîne toujours un risque économique à long terme. De plus, à part un effet électoraliste à court terme, je n'en vois pas l'intérêt général pour le peuple français : réduire le salaire des autres n'augmentera jamais le sien (en revanche, soulage psychologiquement, peut-être est-ce propre à la France qui a l'argent honteux ?).


    Pour moi, le problème est le calcul de la rémunération en général. Pour justifier son emploi, celui-ci doit rapporter nécessairement plus à l'employeur qu'il ne lui coûte en salaires et charges salariales (évidence élémentaire).

    Mais comment rémunérer juste ? Il y a deux méthodes. Celui du consultant payé à l'heure (et aux frais). Tant de temps passé sera facturé de manière égale, qu'il s'agisse d'une affaire petite ou grande. Mais souvent, les rémunérations sont des pourcentages d'une affaire. C'est le cas des commerciaux. L'exemple typique est l'agent immobilier. Il peut passer autant de temps à vendre un appartement à 200 000 euros qu'une maison à 2 millions d'euros. Pourquoi décupler ses honoraires pour le même travail ? Dès lors qu'il y a une rémunération en pourcentage, il n'y a plus de limite, c'est le cas pour les acteurs, chanteurs, auteurs de best-sellers etc. La limite, finalement, c'est nous : plus nous achetons un bien, un livre, une place de cinéma, etc., plus nous donnons aux auteurs de l'œuvre. On peut juste réagir en aval, en imposant plus durement les rémunérations élevées, mais à condition que cela ne s'apparente pas à de la confiscation d'État.

    Et si l'État français a encore une participation à Stellantis (près de 6,1% du capital), on oublie trop souvent dans ce genre de polémique franco-française qu'il s'agit toujours d'un groupe international, du reste de droit néerlandais et pas français et que les meilleures lois seront de toute façon détournées en raison de cette position internationale (on l'a vu pour Carlos Ghosn). Et le moteur de cette surenchère est d'ordre psychologique, le besoin du patron de montrer qu'il fait partie des plus puissants du monde. Ce qui est un peu chiche par rapport aux vrais riches, car même à 36,5 millions d'euros par an, il faut durer une carrière complète pour atteindre le "petit" milliard d'euros. Face aux milliardaires, ces patrons arrogants sont des petits joueurs !

    La ligne à tenir pour la puissance publique, c'est l'intérêt général, on doit garder à l'esprit, hors de toute pression, ce qui rejaillirait en bien pour les Français en cas de réforme de la législation. Et ce dont je suis sûr, c'est que la jalousie voire l'envie n'ont jamais apporté un seul centime aux contribuables français. Juste de la rancœur et du dénigrement alors que les Français devraient d'abord être fiers de compter un patron très performant au niveau mondial.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (17 avril 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Carlos Tavares.
    Carlos Ghosn.
    Bernard Madoff.
    Jacques Séguéla.
    Gustave Eiffel.
    Francis Mer.
     

     
     






    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240416-carlos-tavares.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/stellantis-carlos-tavares-a-100-254211

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/18/article-sr-20240416-carlos-tavares.html



     

  • Olivier Besancenot et le facteur temps

    « La plupart des gens ont intériorisé qu’ils ne pouvaient se représenter eux-mêmes. Qu’il fallait des intermédiaires. Que la politique est affaire de gens sérieux. Quand nous présentons un facteur ou un ouvrier de l’automobile à la présidentielle, ils disent que c’est formidable… mais pas crédible. (…) Prendre la parole, aujourd’hui, est le premier acte de résistance. Refuser que d’autres la prenne pour nous, c’est le premier geste d’émancipation. » (Olivier Besancenot, le 13 novembre 2017).



     

     
     


    Prendre la parole, c'est ce que sait faire avec talent l'ancien candidat trotskiste à l'élection présidentielle Olivier Besancenot qui fête son 50e anniversaire ce jeudi 18 avril 2024. Malgré cet âge seuil, l'homme garde son visage d'adolescent.

    Comme l'expliquait en effet Nicolas Domenach le 26 mars 2018 dans "Challenges", et c'est encore d'actualité, le (jeune) homme a « un talent "d’affranchi" qui en fait "un bon client" des hauts plateaux médiatiques. Il a toujours son visage poupin, ses joues rebondies d’écureuil de la poste pleines de noisettes et de punchlines qu’il distribue allègrement. (…) Il bénéficie du mythe positif de l’employé des postes qui fait du lien social avec ses lettres et ses sourires. C’est le facteur des Jours heureux de Jacques Tati… Mais ce non-sectaire appartient aussi à une famille politique frappée de scissiparité sectaire aiguë. Vous mettez deux trotskystes ensemble et ça finit par faire trois tendances. Au moins… ».

    Des deux principales formations trotskistes, le NPA (Nouveau parti anticapitaliste), issu de la LCR (Ligue communiste révolutionnaire), créé le 5 février 2009, n'a pas toujours été au rendez-vous des élections présidentielles, tandis que LO (Lutte ouvrière) a montré une très grande assiduité avec ses deux porte-parole historiques, Arlette Laguiller et Nathalie Arthaud. En revanche, le mouvement d'Olivier Besancenot (LCR puis NPA) a fait souvent de la jeunesse un tremplin ou un argument. Alain Krivine avait 27 ans (à un mois de ses 28 ans) quand il s'est présenté à l'élection présidentielle de 1969 (il était même en train d'effectuer son service militaire quand il s'est présenté !).

    Olivier Besancenot n'a donc pas battu ce record de jeunesse, mais n'en était pas loin en 2002 à 28 ans et quelques jours. Normalement, il était prévu une candidature commune de LO et de la LCR, pour confirmer le succès de cette union électorale réalisée aux élections européennes de 1999 (pour la première fois, les trotskistes avaient gagné cinq sièges au Parlement Européen dont Arlette Laguiller, Alain Krivine et Roseline Vachetta). Toutefois, les négociations n'ont pas abouti et il y a eu ...trois candidats trotskistes à l'élection présidentielle de 2002 dont Olivier Besancenot, inconnu du grand public, qui a fait très bonne impression par sa jeunesse, sa spontanéité, mais aussi son habileté à sortir ses éléments de langage de militant d'extrême gauche.


    Car c'est bien cela qui prime dans la communication politique : une bonne tête d'honnête homme, un homme sympa, à qui on confierait ses enfants comme à un jeune oncle. Pourtant, il est redoutable, tant dans les interviews que dans les débats. Il a appris toutes ses leçons excellemment et il les répète avec l'aisance d'un bon acteur de théâtre. Son slogan simpliste de 2002 était imparable : « Nos vies valent plus que leurs profits ! ». Cette séparation entre "nous" et "eux" est propre aux extrémismes, à gauche contre les riches, à droite contre les personnes d'origine étrangères, mais à la fin, ça revient au même, c'est séparer le peuple dont tout le monde fait partie.

    Beaucoup d'électeurs de gauche un peu déprimés par Lionel Jospin ont été séduits par cette facilité d'argumentation. Résultat, au lieu du 1% habituellement obtenu par la LCR, Olivier Besancenot a recueilli 4,2% des suffrages exprimés, soit 1,2 million de voix ! Et cet exploit s'est réalisé dans un contexte où Arlette Laguiller a obtenu, elle aussi, un bon score, 5,7% des voix (1,6 million de voix), ce qui fait, en rajoutant le troisième larron d'extrême gauche Daniel Gluckstein du Parti des travailleurs, 10,4% des suffrages exprimés (près de 3 millions de voix !). Cette élection était particulière puisque Jean-Marie Le Pen venait d'être qualifié au second tour.

    Après avoir mené une liste aux élections européennes de 2004 (où il a obtenu 2,8%), Olivier Besancenot s'est présenté à nouveau à l'élection présidentielle de 2007 (il a réuni 4 000 personnes dans un meeting électoral le 18 avril 2007 à la Mutualité de Paris, ce qui est un record pour la LCR) avec le même succès qu'en 2002 (il a obtenu 1,5 million de voix, soit 4,1%) tandis qu'Arlette Laguiller avait terminé son temps avec seulement 1,3% des voix. Olivier Besancenot a montré qu'il avait une grand capacité à être le porte-parole des trotskistes. Après lui, en 2012, en 2017 et en 2022, Philippe Poutou, candidat du NPA, n'allait faire qu'autour de 1% des suffrages (et Nathalie Arthaud, candidate de LO, seulement la moitié).

    Dans les années 2000, Olivier Besancenot a donc été placé sous les projecteurs et sa stratégie unitaire a porté quelques fruits. Il est favorable à des mouvements sociaux unitaires contre Nicolas Sarkozy, puis contre François Hollande, puis contre Emmanuel Macron. Pour lui, c'est simple, les gouvernements sont vendus au méchant patronat qui ne fait qu'exploiter les pauvres ouvriers (en oubliant d'ailleurs que beaucoup ne sont plus ouvriers mais demandeurs d'emploi). Cette ode à l'unité a même failli griller la priorité à Jean-Luc Mélenchon qui, cependant, a un talent de tribun inégalable, au point d'avoir su recueillir cette part électorale de l'extrême gauche en 2017 et 2022.

    Facteur, Olivier Besancenot pouvait compter sur la popularité d'un tel métier, ciment relationnel entre les habitants. Après avoir longtemps distribué le courrier, il s'est retrouvé ensuite derrière un guichet dans Paris intra muros. Ce qui est notable, c'est qu'il a une licence d'histoire, qui n'était probablement pas un diplôme nécessaire pour avoir son concours de la Poste (il est l'auteur de douze livres). Même si son salaire est de misère (parce qu'il travaille à temps partiel), il n'est pas issu d'un milieu ouvrier et sa liaison avec une éditrice qui a bien réussi professionnellement relativise sa précarité matérielle (de plus, il a été collaborateur parlementaire d'Alain Krivine de 1999 à 2000 à Strasbourg). Dans le rôle de l'ouvrier, Philippe Poutou est beaucoup plus convaincant, tellement sa spontanéité rejaillit de ses paroles.


    Fils d'un prof et d'une psychologue scolaire, il a passé son enfance à Louviers, ville dont Pierre Mendès France fut le maire il y a très longtemps. Il a commencé son militantisme à l'âge de 14 ans avec SOS Racisme et la JCR (jeunesse LCR), puis l'UNEF quand il était étudiant, puis la CGT et enfin Sud-PTT. On peut comprendre à quel point il est un militant exemplaire et appliqué de l'extrême gauche (ou gauche antilibérale). Très médiatique, sa participation dans des émissions de divertissement a aussi été très critiquée, même s'il faut saluer son exploit d'avoir réuni 2,7 millions de téléspectateurs (beaucoup plus que d'électeurs !) lors de son passage chez Michel Drucker le 11 mai 2008.
     

     
     


    C'était sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy qu'Olivier Besancenot a eu le plus de visibilité médiatique. Il faut dire que le Président de la République (le dernier issu des rangs gaullistes) avait voulu le promouvoir malgré leurs différences politiques évidentes. En effet, pour Nicolas Sarkozy, Olivier Besancenot, qui pourrait atteindre 10% des voix, devait être au parti socialiste ce que la famille Le Pen est pour la droite modérée, un extrémisme qui les empêcherait durablement d'atteindre une majorité absolue. Mais cette manœuvre n'a pas fonctionné par manque d'audience électorale de porte-parole du NPA.

    Candidat aux élections régionales de mars 2010 en Île-de-France (où il a recueilli 3,1% des voix), Olivier Besancenot s'est représenté aux élections européennes de 2014 mais n'a obtenu que 0,8% des voix. Reflux. En novembre 2018, il a fait son retour politique pour soutenir les gilets jaunes et les mouvements sociaux contre les réformes du gouvernement.

    Olivier Besancenot constatait sur France Inter le 12 septembre 2017 que les résultats électoraux pouvaient beaucoup fluctuer, sans position acquise : « En politique, la fortune est capricieuse (...) On vit une crise politique telle qu'il y a des forces politiques qui peuvent être propulsées sur le devant de la scène en quelques mois (...) et d'autres balayées en quelques mois . ».


    Le 13 novembre 2017 devant des militants d'extrême gauche, après avoir reconnu l'échec du NPA (« Nous avons fait l’erreur de croire que nous pouvions rassembler seuls toute la gauche de la gauche française. Or celle-ci est bien trop diverse et attachée à ses bannières pour se rassembler de cette façon. »), Olivier Besancenot faisait état de la situation politique, en évoquant Jean-Luc Mélenchon : « La FI a une responsabilité particulière car elle a fait 19% et réuni des foules considérables, dont énormément de militants prêts à en découdre. Une nouvelle radicalité est en train de surgir du mouvement social. On le voit dans l’écologie, dans les luttes des migrants, des antinucléaire, même dans le milieu syndical. Mais la FI ne pourra pas tous les représenter. Impossible. Moi, je ne pourrais jamais. Chanter la Marseillaise ? Faut pas me le demander, je pourrais pas ! Mais c’est pas grave, on pourra quand même faire de grandes choses ensemble ! (…) France insoumise est en train de réaliser à son tour qu’elle est incapable d’unifier la gauche. De plus, son comportement très directif sur le mouvement social a été catastrophique. Au NPA, nous nous refusons à hiérarchiser le politique et le social, nous aspirons à une fusion de ces thématiques mais dans le respect de la liberté syndicale. (…) Nous devons trouver un espace commun d’action, alliant démocratie et maintien de notre autonomie, de nos identités. Ni la France insoumise ni le NPA ne peuvent réaliser cela, il va falloir inventer autre chose. » (source : NPA).

    Issus de traditions politiques très différentes, Olivier Besancenot et Jean-Luc Mélenchon ont en commun le talent du verbe et de l'argumentation dans le combat contre l'ordre capitaliste : le premier ne serait-il donc pas l'héritier le plus efficace du second ?


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (17 avril 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Olivier Besancenot.
    Arlette Laguiller.
    Alain Krivine.
    Pierre Juquin.
    Romain Goupil.
    50 ans de mai 1968.
    Daniel Cohn-Bendit.
    Nathalie Arthaud.
    Philippe Poutou.
    Rencontre surréaliste avec Trotski.
    Trotski.
    Les 200 ans de Karl Marx.
    Le Capital de Karl Marx.
    Totalitarismologie du XXe siècle.
    La Révolution russe.
     

     
     




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    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/olivier-besancenot-et-le-facteur-253907

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/12/article-sr-20240418-olivier-besancenot.html




     

  • La convergence des centres ?

    « Pour le scrutin européen du 9 juin, il est indispensable de nous rapprocher des formations politiques pour lesquelles l'idéal européen demeure une boussole. » (Motion de l'UDI, le 23 mars 2024).



     

     
     


    La vie politique est parsemée de petits événements, de réactions, de rebondissements, de polémiques inutiles, de malentendus, de mauvaise foi, et tout s'en va aussi vite que ça arrive. Pourtant, il y a des décisions qui restent plus longtemps que d'autres. C'est peut-être passé inaperçu, mais le conseil national de l'UDI réuni à Paris le samedi 23 mars 2024 a (un peu) marqué l'histoire du centrisme en France.

    L'UDI est un petit parti centriste créé en 2012. J'écris "petit" car il est le résultat d'une situation explosée du centre en France. Avant 2002, c'était assez facile, les centristes des nombreuses obédiences historiques (radicaux, démocrates chrétiens, libéraux, indépendants, etc.) étaient regroupés au sein d'une confédération créée par Valéry Giscard d'Estaing en 1978 (dans l'optique des législatives qui avaient lieu quelques semaines plus tard) sous l'appellation UDF, un nom qui reprenait le titre de son livre ("Démocratie française") et qui ressemblait à l'UDR, la formation gaulliste enterrée en 1976 avec le lancement du RPR.

    Jacques Chirac et Alain Juppé ont profité de la sidération politique provoquée par la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour de l'élection présidentielle de 2002 pour imposer à marche forcée le regroupement de l'UDF et du RPR en UMP (à l'époque, Nicolas Sarkozy y était opposé). Depuis 1981, l'UDF et le RPR avaient presque toujours des candidats uniques aux élections législatives, avaient toujours gouverné ensemble et leurs différences étaient plus de l'ordre de la tradition philosophique que du projet politique.

    Beaucoup d'élus UDF ont alors rejoint l'UMP, craignant pour leur réélection. Pourtant, il n'était pas besoin d'être un devin pour imaginer que c'était le RPR qui allait manger l'UDF et pas l'inverse ! Parmi deux élus de poids qui ont rejoint l'UMP, Pierre Méhaignerie (vice-président de l'UMP) et Philippe Douste-Blazy (secrétaire général de l'UMP) qui ont tous les deux regretté de s'être fait berner et qui ont quitté l'UMP en 2012 pour soutenir François Bayrou.

    Quelques rares élus UDF (et la plupart des militants) ont en effet refusé la fusion dans l'UMP. Ils étaient menés par François Bayrou, le président en titre de l'UDF à l'époque, et aussi par Gilles de Robien, le représentant de la composante libérale. Même si l'UMP était bien plus importante que le RPR en 2002, le résultat restait le même dans l'électorat de droite et du centre, une rivalité UMP-UDF. À celle-ci, il faut ajouter aussi que le choix de nommer un ancien jeune giscardien Jean-Pierre Raffarin à Matignon à 2002 a achevé de perturber tout le jeu politique au centre.

    L'élection présidentielle de 2007 a renforcé l'éclatement des centres car François Bayrou, qui a atteint 18% des voix, un sommet historique pour le centre, comptait capitaliser (à tort) ces voix dans l'antisarkozysme. La plupart de ses soutiens, de centre droit, ont préféré rejoindre Nicolas Sarkozy au second tour, ce qui a fait le schisme du Nouveau Centre derrière Hervé Morin (à la tête d'un groupe parlementaire, puis bombardé Ministre de la Défense), tandis que l'UDF canal historique, transformé en MoDem (surnom du Mouvement démocrate que n'a jamais apprécié son leader), se retrouvait avec seulement deux députés, François Bayrou et Jean Lassalle (oui, le même que le futur candidat aux deux dernières élections présidentielles).

    L'élection présidentielle de 2012 aurait pu conduire les centristes à se retrouver. Le Parti radical, fondu à l'UMP, avait retrouvé sa liberté et son autonomie car il refusait le discours dangereusement sécuritaire de l'UMP. Mais non seulement François Bayrou a perdu la moitié de ses voix de 2007 (9%), mais par antisarkozysme, il a décidé de soutenir François Hollande au second tour. Faute politique pour lui puisqu'il a même été battu dans sa circonscription législative. Et François Hollande a été d'une grande ingratitude puisqu'il n'a jamais cherché à l'inclure dans la nouvelle majorité, gardant son logiciel archaïque de la gauche plurielle, PS, radicaux de gauche et éventuellement écologistes, sans même d'ouverture politique comme cela avait été le cas en 1988.

    À la fin de l'année 2012, le rassemblement a toutefois lieu avec la création de l'UDI, un sigle pas loin de l'UDF et beaucoup croyaient à la renaissance de cette UDF si regrettée. Le MoDem de François Bayrou restait ce qu'il était, son écurie personnelle, mais observait d'un œil attentif et bienveillant la création de l'UDI sous la houlette de Jean-Louis Borloo, véritable fédérateur, et on revoyait un peu tout le monde, des anciens CDS, des anciens PR, des anciens radicaux (qui n'avaient pas formellement disparu), même le Nouveau Centre d'Hervé Morin l'a rejoint.

    Bref, les ego étaient restés au vestiaire et ce nouveau mouvement apportait un peu plus d'espoir, confirmé dans la perspective des élections européennes de 2014 : en automne 2013, l'impensable arriva, l'alliance entre le MoDem de François Bayrou et l'UDI de Jean-Louis Borloo. L'objectif était une liste commune aux élections européennes de 2014 (qui ont été assez bonnes pour cette alliance dite "L'Alternative" : 9,9% ; les centrisme fait habituellement autour de 10% dans son noyau électoral et le MoDem avait fait 8,5% en 2009), et l'idée d'envisager une candidature de cette alliance à l'élection présidentielle de 2017 faisait son chemin (mais qui, à part François Bayrou ?).


    Malheureusement, la santé de Jean-Louis Borloo a vacillé (on craignait le pire) et il a quitté la vie politique au printemps 2014. Les rivalités anciennes ont repris le dessus, le Parti radical a quitté l'UDI pour tenter de vivre la réunification des radicaux (avec les radicaux de gauche ; ils étaient séparés depuis 1971), mais la réunification a finalement échoué, tandis qu'Hervé Morin, soucieux de son alliance avec l'UMP (et de son indépendance), a fait quitter le Nouveau Centre (devenu Les Centristes) de l'UDI. Pour autant, l'UDI résista à ses problèmes existentiels et est probablement le parti le plus souvent cité lorsqu'on parle des centristes (grâce en particulier à son groupe pléthorique au Sénat). Il tenta une liste autonome aux élections européennes de 2019 (conduite avec un certain courage par Jean-Christophe Lagarde) et si elle n'a pas obtenu de siège et que c'était décevant, son score de 2,5% n'était pas un trop mauvais résultat vu le contexte.

    Entre 2014 et 2019, il y a eu 2017. Bien évidemment, le centrisme a été bousculé par l'arrivée d'un nouveau-venu dans la vie politique, Emmanuel Macron et son mouvement créé il y a huit ans, LREM (En marche, puis Renaissance). Emmanuel Macron n'avait rien d'un centriste, même s'il est très pro-européen. Les centristes, c'est d'abord la décentralisation, les territoires, et Emmanuel Macron serait plutôt dans la reprise en main par l'État des responsabilités des collectivités locales. Emmanuel Macron, c'est "et la droite, et la gauche", alors que le centrisme, c'est "ni droite ni gauche". Ce qui est très différent.

    En fait, les centristes auraient été réunis en 2017 s'il n'y avait pas eu cette affaire Pénélope. En effet, François Bayrou soutenait la candidature d'Alain Juppé, si bien que tous les centristes se prêtaient au jeu de la primaire LR de novembre 2016. L'idée était d'éviter une nouvelle candidature de Nicolas Sarkozy. Finalement, Alain Juppé a échoué, mais la victoire de François Fillon était compatible avec le projet politique des centristes, d'autant plus que l'ancien Premier Ministre a porté beaucoup d'attention aux parlementaires, y compris centristes (et qu'il avait quelques centristes parmi ses collaborateurs de campagne). La victoire annoncée de François Fillon (qui aurait parié autre chose ?) laissait entendre une réunification des centristes autour d'un même candidat puis du futur Président de la République.

    L'effondrement de François Fillon à cause de son "affaire" a convaincu François Bayrou de quitter rapidement ce navire amiral pour rejoindre Emmanuel Macron, tandis que les militants et sympathisants centristes avaient déjà massivement rejoint ceux des socialistes modérés qui avaient quitté l'autre navire amiral, le PS. Aux élections législatives, le MoDem est devenu un groupe important (et incontournable) à l'Assemblée Nationale et, pour la première fois depuis 1981, les centristes étaient au pouvoir par eux-mêmes, sans être la cinquième roue de LR ou du PS.


    Le centrisme entre 2017 et 2024 s'apparente donc à une sorte d'auberge espagnole : il y a les centristes collés à LR, que sont encore Les Centristes d'Hervé Morin, candidats ensemble aux élections européennes de 2019 ; il y a les centristes de l'UDI, dans l'opposition au macronisme, parfois très forte, mais qui veulent garder une certaine indépendance vis-à-vis de LR qui n'apporte même plus l'avantage d'une perspective de victoire ; en enfin, il y a des centristes au sein de la majorité macroniste, le MoDem et le Parti radical, bien sûr, mais aussi d'autres issus de LR avant 2017, comme Horizons, le mouvement créé par Édouard Philippe. Quant aux membres de Renaissance, le parti macroniste, on ne sait pas trop bien si ce sont des centristes ou pas, rares sont ceux qui le revendiquent, en tout cas.

    Pourtant, cette situation est assez stupide, car il n'y a pas la place pour tout ce monde. Depuis 2017, le marché électoral est divisé en trois : un grand ensemble central autour du macronisme, l'extrême droite fédérée autour du RN et l'extrême gauche fédérée autour de FI. LR et le PS se retrouvent donc en frontière autour du macronisme et pensent que pour exister, ils préfèrent prendre les positions des extrémismes respectifs pour s'opposer à Emmanuel Macron à garder un semblant de raison. Une double faute historique, à mon sens.


    Le projet européen, heureusement, est une valeur sûre du centrisme et c'est aussi un point commun essentiel avec le macronisme. Ce n'est donc pas une surprise même si c'est remarquable que le conseil national de l'UDI a largement approuvé le 23 mars 2024 la motion présentée par le sénateur du Nord Olivier Henno et le sénateur des Hauts-de-Seine Hervé Marseille, par ailleurs président de l'UDI et président du groupe UDI au Sénat.

    Que dit cette motion ? D'abord, elle fait le constat que l'Europe nous protège et réussit à le faire : les crises récentes ont montré l'importance et la nécessité de l'Europe (vaccins contre le covid, soutien à l'Ukraine, maîtrise du pouvoir d'achat lors de la crise inflationniste en remettant en cause sa doctrine monétaire, etc.). Mais parallèlement, jamais l'Europe n'a été autant critiquée : « Les discours populistes qui affirment que l'Europe serait la cause des maux qu'elle combat, comme un médecin serait coupable des maladies qu'il soigne, trouvent malheureusement un écho parmi nos concitoyens qui attendent impatiemment des solutions répondant à leurs préoccupations. ».

    De plus, l'Europe n'a jamais été autant menacée à l'extérieur : « Menaces terroristes, crises migratoires amenées à s'intensifier sous la pression climatique et des conflits géographiques, agressions économiques et diplomatiques contre nos intérêts, déstabilisation de nos démocraties par la prolifération d'attaques cyber et informationnelles. Nous n'ignorons pas que les extrêmes qui protestent de leur patriotisme sont aussi ceux qui sont prompts à justifier les agressions des puissances extérieures, à commencer par celles de la Russie. ».


    D'où la conclusion de l'UDI en forme de credo : « Ce n'est pas moins d'Europe qu'il faut. C'est mieux d'Europe dont nous avons besoin. Pour une France forte, nous avons besoin d'une Europe puissance. (…) Nous avons besoin de fédérer les Européens sur de grands projets stratégiques. (…) Pour nous, l'identité européenne se conjugue avec notre identité nationale. ».

    Et d'ajouter : « Notre contribution politique n'a de sens dans ce contexte que si elle participe au renforcement de la sensibilité centriste au Parlement Européen. (…) Il est vital de rassembler les énergies pour combattre et s'opposer, pour préparer l'Europe aux défis internes et aux menaces externes qu'elle va affronter. ».

    Bref, l'UDI a décidé de faire alliance avec la Macronie et à rejoindre la liste Renaissance de la majorité présidentielle. Il n'était pas difficile pour l'UDI de se mettre sous la direction de la tête de liste Valérie Hayer car, avant 2019, elle était adhérente de l'UDI et avait commencé son engagement politique en faisant campagne aux élections européennes de 2014. De son côté, Renaissance a accueilli avec une grande joie l'UDI pour renforcer la liste et la campagne.

    Dans sa défense de cette stratégie, Olivier Henno a proposé aussi un concept de différenciation (auquel je ne crois pas du tout !) : « J'ajoute qu'il y a quelque chose qui est aussi important pour nous, c'est la notion de différenciation (…). C'est la différenciation stratégique selon les élections. Ce n'est pas forcément l'ADN de la Cinquième République, ça. Mais c'est l'ADN des centristes. On n'est pas obligés, sur toutes les élections, d'avoir toujours les mêmes alliances, les mêmes partenaires. Suivant les élections, ajuster nos alliances, c'est tout à fait intelligent, pertinent, (…) c'est ce qui se pratique dans un certain nombre de pays européens, et ça n'a rien de choquant. ».

     

     
     


    Je me permettrais de répondre à Olivier que si, c'est choquant, car il faut être clairs devant les électeurs. Le MoDem et François Bayrou, entre 2007 et 2017, avait agi ainsi (avec des majorités municipales très différentes, à droite ou à gauche en 2008), et sa stratégie était devenue illisible. On sait très bien que ces élections européennes sont le dernier scrutin avant l'élection présidentielle de 2027, et l'enjeu sera crucial alors que le RN est aujourd'hui donné favori : soit une alliance avec les macronistes, soit une alliance à droite qui, forcément, d'une manière ou d'une autre, fera la courte échelle à l'extrême droite. La clarté, ce n'est pas de faire la gazelle effarouchée pour aller jusque dans la majorité présidentielle dans un seul scrutin, c'est de s'y engager pleinement pour soutenir son projet national qui ne peut s'inscrire que dans son projet européen.

    Quant au dernier bataillon centriste arimé solidement à LR, à savoir Les Centristes, on s'interroge réellement sur la possibilité ou pas de repartir avec la liste menée par François-Xavier Bellamy. L'unique députée européenne sortante de ce parti, Nathalie Colin-Oesterlé, s'inquiète de la place qu'elle occuperait dans cette liste. Elle est prévue à la huitième place (avec Nadine Morano qui resterait toujours à la quatrième place), ce qui rendrait sa réélection plus qu'improbable (en 2019, elle était à la sixième place). Les Centristes pourraient donc être prêts, eux aussi, à quitter LR pour ces élections européennes et, pourquoi pas, à rejoindre la liste Renaissance de Valérie Hayer.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (14 avril 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    La convergence des centres ?
    Élections européennes 2024 (1) : cote d'alerte pour Renaissance.
    Valérie Hayer, tête de la liste Renaissance.
    Charles Michel et Viktor Orban : l'Europe victime d'une histoire belge !
    Jacques Delors : il nous a juste passé le relais !
    Il y a 15 ans : Nicolas Sarkozy, l'Europe et les crises (déjà).
    La Méditerranée, mère de désolation et cimetière de nos valeurs ?
    Le 8 mai, l'émotion et la politique.
    Ukraine, un an après : "Chaque jour de guerre est le choix de Poutine".
    Le 60e anniversaire du Traité de l'Élysée le 22 janvier 2023.
    De Gaulle, l’Europe et le volapük intégré.
    L’inlassable pèlerin européen Emmanuel Macron.
    Valéry Giscard d’Estaing, le rêveur d’Europe.
    Enfin, une vision européenne !
    Relance européenne : le 21 juillet 2020, une étape historique !
     

     
     






    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240323-centrisme.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/la-convergence-des-centres-253810

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/17/article-sr-20240323-centrisme.html