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politique - Page 28

  • Débat Valérie Hayer vs Jordan Bardella : l'imposture démasquée de Coquille vide

    « Finalement, au terme de deux heures de débat, le vrai visage de Jordan Bardella apparaît. Il est moins lisse, moins souriant qu'au début, et il y a quelque chose de très dur dans le regard qui fait peur. On notera que par trois fois, Benjamin Duhamel interdit à Valérie Hayer de prendre la parole. » (Thierry de Cabarrus, journaliste).



     

     
     


    Décidément, la campagne des élections européennes peine à démarrer sérieusement. À un mois du scrutin, la chaîne BFMTV a organisé ce jeudi 2 mai 2024 un débat contradictoire entre les deux principales têtes de liste, Jordan Bardella pour le RN et Valérie Hayer pour la majorité présidentielle.

    Pendant 2 heures 20, cette prestation va certainement peu influencer les éventuels électeurs hésitants (les convaincus ne sont pas à convaincre), tant elle était médiocre : l'animateur, Benjamin Duhamel, particulièrement mauvais pour ce genre d'émission (il aura encore beaucoup de travail à fournir pour atteindre les performances de son oncle Alain Duhamel), la tête de liste de l'extrême droite, dite "Coquille vide" par ses détracteurs, ceux qui ne le comprenaient l'ont compris en regardant ce débat tant ses propos étaient hors sol, sans proposition, une vacuité complète faite d'amnésie, de contradictions et surtout, de démagogie et de mensonges, et la tête de liste Renaissance, qui n'a pas démérité sur le fond, qui a montré qu'elle travaillait et qu'elle connaissait les dossiers, mais qui manquait de combativité contre son contradicteur (surtout au début).

    Le RN a adopté une stratégie du robot beau-gendre qui n'a rien dans la cervelle et qui absorbe toutes les pensées politiques du moment. Évidemment, cela provoque parfois de grandes contradictions, puisqu'on ne sait plus si le RN veut rester dans l'Europe ou en sortir, veut sortir de la zone euro ou y rester, ou même veut du Frontex ou pas. Les rares propositions formulées par ce parti attrape-tout (c'est le principe du populisme) concernent des dispositifs déjà adoptés en mieux depuis plusieurs années !

     

     
     


    Au cours de cette confrontation télévisuelle, Jordan Bardella a montré une véritable arrogance, issue évidemment des sondages d'intentions de vote qui lui sont très favorables aujourd'hui, coupant sans arrêt la parole à son interlocutrice, de manière inélégante et peu galante, de façon systématique, discourtoise, impolie, et franchement comme un voyou de banlieue, qui se la pète en roulant les mécaniques mais incapable d'aligner trois phrases intéressantes ou même cohérentes. On a vu à quel point la stratégie de l'incompétence marche mal dans une France qui reste encore (heureusement) intellectuelle. Son petit rictus en guise de pirouette de diversion trompe assez peu le téléspectateur sinon l'électeur. Le comble de l'impolitesse a été de boire devant son adversaire, en ne l'écoutant pas. L'extrême droite n'a jamais respecté "les autres". On a pu le voir dans ce débat, car le naturel revient toujours au galop.
     

     
     


    De son côté, Valérie Hayer a péché par l'inverse. Elle, courageuse (Jordan Bardella l'a même reconnu), n'a pas lésiné sur ses propositions, sur son bilan, sur ses actions pour améliorer la situation de la France et de l'Europe. D'un coup le trop vide (Coquille vide), de l'autre, presque le trop plein. Toutefois, Valérie Hayer a manqué de pugnacité, refusant de couper la parole même quand son adversaire disait n'importe quoi voire mentait (comme sa liste qui serait financée par des groupes américains, ce qui est complètement faux, alors que le RN a effectivement reçu des fonds russes), elle était beaucoup trop sage face au n'importe-quoiïsme de son contradicteur.

    Il faut rappeler que les deux ont été élus députés européens il y a cinq ans. Jordan Bardella n'a rien fait de son mandat européen sinon encaisser ses indemnités, car c'est là le paradoxe, le RN comme ses partenaires anti-européens, ont profité de beaucoup d'argent européen (et même d'un peu trop si on en croit la justice et le procès qui aura lieu en septembre 2024). Dans le classement des députés européens, le président du RN fait partie des cancres qui n'ont jamais rien fait de leur mandat. Valérie Hayer, elle, a travaillé concrètement, c'est même l'une des rares députés européens qui connaissent bien le budget de l'Union Européenne et la politique agricole commune pour les avoir négociés avec d'autres groupes politiques. Elle préside le troisième groupe du Parlement Européen et a un poids européen incontestable, permettant d'influencer la politique européenne depuis cinq ans. Il suffit de comparer les antisèches multiples du cancre Bardella sur son pupitre et leur absence pour Valérie Hayer qui n'en a pas besoin car elle connaît excellemment ses sujets. Ça ne sert rien d'être bon en communication si c'est pour ne penser à rien.
     

     
     


    D'ailleurs, les internautes ont posé "la" bonne question à Jordan Bardella : « Le RN a gagné les deux dernières élections européennes de 2014 et 2019. Qu'a apporté au niveau européen le RN avec ces victoires ? ». Question piège et très pertinente ! J'aurais ajouté aussi au niveau français. Bref, à quoi ça sert de voter RN aux européennes (on pourrait remonter jusqu'à 1984 d'ailleurs) à part de financer le RN ? Eh bien à rien ! D'ailleurs, l'absence de réponse de Jordan Bardella le confirme. Si on veut que l'Europe bouge, ce n'est certainement pas en votant pour le RN qu'elle bougera. La preuve dans ce débat : voter RN, c'est paradoxalement choisir le statu quo.
     

     
     


    En revanche, le bilan de l'action de Renaissance, grâce en particulier au leadership du Président français Emmanuel Macron, de plus en plus écouté à l'étranger, est très flatteur. Ainsi, les accords de libre-échange sont approuvés ou rejetés par le groupe Renew (Renaissance) selon qu'ils sont bons ou mauvais tant pour la France que pour l'Europe. Pas de dogmatisme, donc, mais le soucis pointilleux de l'intérêt général. Le CETA est un bon traité qui a permis aux agriculteurs de profiter du commerce international tout en gardant les standards européens tant sociaux qu'écologiques. Alors que le projet d'accord avec le Mercosur a été stoppé car il ne permettait pas à l'Europe de garder ses standards.

    Valérie Hayer s'est inquiétée à juste titre des alliés européens du RN. Elle a montré une photographie d'une réunion de l'internationale de l'extrême droite européenne (à Florence à la fin de l'année 2023) qui est particulièrement affligeante, en ce sens que ses alliés ont fait des déclarations publiques racistes, suprémacistes, antisémites, homophobes, contre le droit à l'IVG, contre l'égalité de la femme et de l'homme, etc. Comme si les leçons de l'histoire récente ont été jetées à la poubelle. À l'heure où l'extrême droite italienne n'a plus de scrupule à faire le salut fasciste ouvertement en public lors d'un défilé à Milan, la réponse de Jordan Bardella n'était pas à la hauteur. Dans le discours, il laisse croire qu'il s'est dédiabolisé, dans la réalité politique des alliances européennes, le RN est bien le parti fondé par pépé Jean-Marie Le Pen avec ses inconvenances morales récurrentes. Sa réponse ? Juste laisser croire qu'il se laisse photographier avec n'importe qui, ce qui est une excuse très immature pour un prétendu leader politique national, qui ne trompe personne sinon ses électeurs déjà convaincus.

     

     
     


    Jordan Bardella a proposé une double frontière, garder la libre circulation des personnes dans l'Espace de Schengen uniquement pour les citoyens européens et le contrôle aux frontières pour les extra-européens. Valérie Hayer a bien tenté de dire que cette proposition était stupide, mais elle ne l'a pas affirmé assez fort. Car évidemment, ce n'est pas marqué sur la figure qu'on est Européen ou pas Européen. Donc, concrètement, c'est le rétablissement complet des contrôles à toutes les frontières, y compris terrestres, ce qui, outre l'aspect économique (très coûteux en fonctionnaires supplémentaires mais aussi pour l'activité économique, vu le nombre de camions qui traversent les frontières et les files d'attente qu'il y aura pour les contrôles d'identité), c'est le principe même de mesure stupide qui, en plus, ne changera rien pour l'immigration illégale.

    En laissant croire que la métropole française deviendrait à terme comme la situation à Mayotte, alors que c'est un cas géographique très spécifique, le président du RN montre qu'il continue toujours de véhiculer cette thèse extrémiste du grand remplacement qui n'existe que dans les fantasmes de l'extrême droite. Il y a une proportion d'étrangers sur le territoire national à peine supérieur à il y a un siècle, et si certaines personnes proviennent d'une culture différente avec une plus forte natalité, la réalité est que lorsqu'elles adoptent le mode de vie français, cette natalité s'effondre.
     

     
     


    Avec le Pacte immigration, qu'elle a négocié et voté (et que le RN a rejeté), Valérie Hayer a certainement fait plus pour limiter l'immigration en France que le RN. En effet, ce pacte impose aux États membres une quote-part proportionnelle à leur population de l'accueil des demandeurs d'asile venus en Europe. Ainsi, en refusant d'obliger les autres pays à prendre leur part migratoire, les députés européens du RN renforcent le risque que la France accueille plus de demandeurs d'asile. Le RN ne veut aucun demandeur d'asile, c'est se moquer du sort des femmes afghanes ou iraniennes persécutées par les islamistes au pouvoir. Il est d'ailleurs significatif que ceux ont des discours ouvertement anti-islam sont les plus tolérants avec les régimes islamistes lorsqu'ils essaient de faire des analyses vaguement géopolitiques.

    Comme avec tous les sujets (notamment économiques), le RN est très hors sol par rapport aux réalités concrètes : Jordan Bardella veut imposer l'étude des dossiers des demandeurs d'asile dans leurs propres pays et pas en France ou en Europe. Là encore, c'est particulièrement stupide de proposer cela. D'une part, parce que les demandeurs d'asile, généralement, fuient leur pays à cause de la répression et ne peuvent attendre la réponse du consulat. D'autre part, cela n'empêchera nullement des désespérés de franchir la Méditerranée à leur grand péril et à atteindre les côtes européennes sans qu'on leur en donne l'autorisation. Et dans ce cas, qu'est-ce qu'on fait ? Le Pacte immigration permet justement d'y apporter une réponse plus juste et plus ferme que le statu quo. Du reste, Valérie Hayer a bien fait de rappeler que le RN était désormais responsable de la politique migratoire de la France puisque le groupe RN a voté pour la loi Immigration le 19 décembre 2023 (parfois, il faut savoir assumer ses coups politiques !).

     

     
     


    Je n'ai bien sûr pas évoqué ici tous les sujets, en particulier les 750 milliards d'euros de l'Europe dont on a bénéficié pour la relance après la crise du covid-19. Le bilan de ce débat est que Jordan Bardella a intérêt à fuir les débats, comme il l'avait fait depuis deux mois. La journaliste Anna Cabana a donné son verdict : « C'est la naissance d'un personnage que personne ne connaissait. Valérie Hayer a quelque chose dans le ventre. ». Beaucoup de journalistes sont d'accord avec cette appréciation car beaucoup pensaient que la tête de liste Renaissance allait se faire hachée menue par le président du RN. Il n'en a rien été. Elle a bien résisté !

    Même si c'était dur pour elle au début du débat et même s'il lui manquait un peu de pugnacité, Valérie Hayer n'a pas manqué de sagesse ni de courage quand elle a conclu avec audace en se disant d'accord avec son adversaire : « Jordan Bardella, vous aviez déclaré être à la politique ce que Didier Raoult était à la médecine. Je dois dire que pour une fois, je suis entièrement d'accord avec vous ! ». Il est temps de rétablir la vérité face aux mensonges des populistes.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (02 mai 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Débat Valérie Hayer vs Jordan Bardella : l'imposture démasquée de Coquille vide.
    Il y a 20 ans, l'élargissement de l'Union Européenne.
    La convergence des centres ?
    Élections européennes 2024 (1) : cote d'alerte pour Renaissance.
    Valérie Hayer, tête de la liste Renaissance.
    Charles Michel et Viktor Orban : l'Europe victime d'une histoire belge !
    Jacques Delors : il nous a juste passé le relais !
    Il y a 15 ans : Nicolas Sarkozy, l'Europe et les crises (déjà).
    La Méditerranée, mère de désolation et cimetière de nos valeurs ?
    Le 8 mai, l'émotion et la politique.
    Ukraine, un an après : "Chaque jour de guerre est le choix de Poutine".
    Le 60e anniversaire du Traité de l'Élysée le 22 janvier 2023.
    De Gaulle, l’Europe et le volapük intégré.
    L’inlassable pèlerin européen Emmanuel Macron.
    Valéry Giscard d’Estaing, le rêveur d’Europe.
    Enfin, une vision européenne !
    Relance européenne : le 21 juillet 2020, une étape historique !







    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240502-debat-hayer-bardella.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/debat-valerie-hayer-vs-jordan-254484

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/05/03/article-sr-20240502-debat-hayer-bardella.html


     

  • La vision européenne décevante d'Édouard Balladur

    « Mon engagement dans cette action est total. Seul son succès m'importe. Je m'y dévouerai exclusivement. (…) Ce sera difficile ? A coup sûr. Périlleux ? Peut-être. Indispensable ? Évidemment. (…) N'ayons pas peur du risque. Ensemble, nous allons bâtir le nouvel exemple français. » (Édouard Balladur, le 8 avril 1993 dans l'hémicycle).


     

     
     


    95 ans. C'est l'âge qu'atteint Édouard Balladur ce jeudi 2 mai 2024. Un âge canonique qui le fait intégrer dans le petit cercle des potentiels centenaires de la vie politique, comme l'est déjà Roland Dumas, et que n'ont pas été Jacques Delors et Robert Badinter (à quelques années près).

    S'il n'a pas été le premier des princes, à savoir Président de la République (il a raté la première marche le 23 avril 1995 avec seulement 18,6% des suffrages exprimés), Édouard Balladur, auteur de vingt-deux essais, a cependant eu deux rôles très importants dans la Cinquième République, celui de Premier Ministre entre 1993 et 1995, et celui de candidat à l'élection présidentielle, grand candidat, c'est-à-dire potentiellement gagnant. Et j'ajouterai aussi un rôle de théoricien, celui de la cohabitation par un article publié le 16 septembre 1983, cohabitation dont il fut doublement acteur.

    Édouard Balladur a bénéficié de sondages étonnamment flatteurs pendant sa période d'exercice du pouvoir. En général, quand on gouverne, on est impopulaire. Mais il a gouverné de manière à ne mécontenter personne. En ce sens, il a été peu courageux dans les réformes économiques et sociales (dont on ne retiendra pas ni les privatisations, loi n°93-923 du 19 juillet 1993, ni la réformette sur les retraites, loi n°93-936 du 22 juillet 1993, une des premières), les remettant après l'élection présidentielle. De plus, un jeu d'écriture comptable a allègrement faussé la réalité des finances publiques.

    En 1995, tous les leaders de l'UDF soutenaient le Premier Ministre Édouard Balladur dans son aventure électorale. Pour la confédération des partis centristes, il était l'homme idéal pour dégager définitivement Jacques Chirac de la vie politique. Membre moi-même de l'UDF, j'avais une analyse très différente. À l'origine, j'appréciais peu Jacques Chirac parce que j'avais fait campagne pour Raymond Barre en 1988 et j'ai vu le bull-doser chiraquien avec sa mauvaise foi, ses éléments de langage et sa machine électorale redoutable. Toutefois, dès lors que l'UDF serait absente directement de l'échéance présidentielle de 1995, ma réflexion se posait sur le choix entre Édouard Balladur et Jacques Chirac.

    Pour moi, en dehors de la personnalité qui leur est propre, aucune différence notable dans le programme politique n'existait, ce qui était d'autant plus vrai que c'était Jacques Chirac qui avait proposé Édouard Balladur à Matignon (du 29 mars 1993 au 17 mai 1995) après la vaste victoire de l'union UDF-RPR en mars 1993. De plus, Édouard Balladur, très proche du Président Georges Pompidou (il a été le Secrétaire Général adjoint, puis Secrétaire Général de l'Élysée du 5 avril 1973 au 2 avril 1974), et Jacques Chirac était lui-même le poulain de Georges Pompidou, ils provenaient donc de la même branche du gaullisme historique, celle du conservatisme social et libéral de la bourgeoisie de province. En outre, les supputations pour Matignon restaient les mêmes quelle que fût la victoire, Alain Juppé aurait été probablement nommé dans tous les cas, par Jacques Chirac qu'il avait soutenu loyalement sans plus trop y croire comme par Édouard Balladur qui aurait besoin de raccommoder sa majorité (à l'époque, on parlait aussi de Charles Pasqua puis de Nicolas Sarkozy à Matignon en cas d'élection d'Édouard Balladur).

     

     
     


    Donc, dans ma réflexion, mon choix devait partager des personnalités et pas des programmes politiques. Or, Jacques Chirac avait pour une fois la position de recul que n'avait pas Édouard Balladur. Ce dernier montrait une réelle distance avec le "vrai peuple", une distance assez méprisante voire arrogante, bien plus grande encore que Valéry Giscard d'Estaing sans son intelligence et son niveau d'analyse. Édouard Balladur était un rond-de-cuir de la politique qui a saisi une occasion improbable, celle d'être au pouvoir et de gérer le pays un peu par hasard et certainement pas pour faire l'histoire. Son thème de campagne était de « croire en la France » mais il fallait d'abord croire en Balladur.

    Jacques Chirac, dans le rôle du trahi et plus du traître qu'il a souvent été (Jacques Chaban-Delmas en 1974, Valéry Giscard d'Estaing en 1981, Raymond Barre en 1988, etc.), a fait d'ailleurs une excellente campagne présidentielle, partant justement du peuple, rencontrant toutes les forces vives du pays sans caméras, pour mieux comprendre la France et les Français. Son thème de la fracture sociale, suggéré par Philippe Séguin, était excellent, à tel point qu'il a réussi à rassembler également des suffrages d'électeurs de gauche déboussolés par l'effondrement du PS et les révélations sur le passé de François Mitterrand.


    Mon vote Chirac a donc été par défaut mais dès le premier tour, et je ne l'ai pas regretté en 2007, à la fin de ses deux mandats, même si j'étais fermement opposé à deux de ses décisions présidentielles importantes, la dissolution de 1997 et le référendum sur le quinquennat de 2000. Que reste-t-il de la période d'Édouard Balladur ? Rien. Alors que son successeur, Alain Juppé, est resté dans les mémoires, comme celui qui a tenté de réformer la Sécurité sociale. Quant à Jacques Chirac, il aurait sans doute été plus cohérent en nommant Philippe Séguin en mai 1995 et Nicolas Sakorzy en mai 2002 à Matignon. Mais il a laissé des discours mémorables, et historiquement essentiels, celui de la reconnaissance de la France dans la rafle du Vel' d'hiv' (en juillet 1995), de la mort de François Mitterrand (en janvier 1996) et aussi de son départ où il avouait, malgré sa pudeur, l'amour qu'il vouait aux Français et à la France (en mars 2007). D'autres ont retenu sa position contre l'intervention américaine en Irak, mais cette position n'était pas évidente et pas nécessairement sa première position spontanée.

    Et Édouard Balladur dans l'affaire ? Il a continué comme un "vulgaire" homme politique, ordinaire, cherchant en vain à conquérir un petit Graal, comme la présidence du conseil régional d'Île-de-France en mars 1998, puis la mairie de Paris en mars 2001, cette dernière bataille après une rivalité primaire contre Philippe Séguin. Député de Paris de mars 1986 à juin 2007, dans une circonscription imprenable à partir de 1988, et conseiller de Paris de 1989 à 2008, il n'a pas eu à batailler ferme pour maintenir ses propres mandats parisiens.

     

     
     


    Bien qu'à l'origine, il était spécialisé dans l'économie et le social (il a présidé des groupes industriels dans les années 1970), ce qui l'a bombardé Ministre d'État, Ministre de l'Économie et des Finances du 20 mars 1986 au 10 mai 1988, souvent appelé Vice-Premier Ministre, Édouard Balladur, comme tous les hommes d'État en retrait, s'est préoccupé surtout des institutions et des affaires étrangères. Ainsi, il a présidé la commission des affaires étrangères de l'Assemblée Nationale du 27 juin 2002 au 19 juin 2007 lors de son dernier mandat parlementaire (faute d'être élu Président de l'Assemblée Nationale le 25 juin 2002, recueillant seulement 163 voix sur 541, battu par Jean-Louis Debré avec 217 voix, puis unique candidat de droite au second tour), et il a présidé deux Comités Balladur, le Comité de réflexion sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions (nommé du 18 juillet 2007 au 29 octobre 2007), et le Comité pour la réforme des collectivités locales (nommé du 22 octobre 2008 au 25 février 2009), tous les deux issus de la volonté de Nicolas Sarkozy élu Président de la République et, en quelque sorte, faisant gagner Édouard Balladur à l'Élysée par procuration.

    Malgré la proposition de Nicolas Sarkozy de le nommer en février 2010 au Conseil Constitutionnel, le conseiller honoraire du Conseil d'État (diplômé de l'IEP Paris et de l'ENA) a décliné l'offre pour se consacrer à sa retraite. Au sein de l'UMP puis de LR, Édouard Balladur a soutenu François Fillon en novembre 2012, Nicolas Sarkozy en novembre 2016, François Fillon en avril 2017, Laurent Wauquiez en décembre 2017 et Valérie Pécresse en avril 2022. Il n'a jamais apporté son soutien à Emmanuel Macron et a même émis une appréciation très sévère contre ce dernier sur sa politique européenne.

    Auteur d'une note politique pour la fondation Fondapol publiée le 27 juin 2023, l'ancien Premier Ministre affirmait un certain euroscepticisme, assez étonnant de sa part : « Depuis trente ans, le monde a changé au détriment de l’Europe. La France a changé davantage encore et paraît atteinte dans ses forces vitales. L’Europe peut-elle contribuer à son redressement ? Rien n’est moins sûr. Des progrès ont été recherchés, mais dans un désordre qui a permis à la technostructure européenne d’accroître encore son pouvoir. (…) Il faut sortir de l’ambiguïté, la France doit demeurer souveraine dans certains domaines essentiels. L’Union n’est pas une organisation fédérale et ne doit pas le devenir. ». À croire que toutes ses belles paroles européennes des années 1990 étaient de l'hypocrisie électorale...

    Par cette analyse très décevante et sans innovation, il est revenu à son dada des cercles concentriques : « Avant tout élargissement, définir clairement la construction de l’Europe en cercles à compétences et à compositions variables, en faire un principe de base. ». Mais il n'a porté aucune proposition concrète sinon les yaka fonkon habituels, très stériles et très communs : « La France doit sortir du déclin qui la menace. La lutte contre les déficits, l’endettement, l’insécurité, et pour l’amélioration de la compétitivité, du système éducatif, hospitalier, pour la régulation effective de l’immigration, demeurent des compétences nationales. (…) Si la France veut survivre, l’Europe doit être réorganisée et la France doit demeurer responsable de son propre destin. ». On ne peut pas demander à une personne qui a eu 15 ans en 1944 d'imaginer le monde de 2030, encore moins de 2050. Ni être le vieux sage de la politique des années 2020 comme l'a si élégamment été Antoine Pinay entre 1974 et 1994.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (01er mai 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Édouard Balladur.
    Le théoricien de la cohabitation.
    Le Comité Balladur de 2007.
    La cohabitation de 1986.

     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240502-balladur.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/la-vision-europeenne-decevante-d-254304

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/27/article-sr-20240502-balladur.html




     

  • Il y a 20 ans, l'élargissement de l'Union Européenne

    « Pour tous nos pays, appartenir aujourd’hui à l’Europe, c’est refuser de se laisser appartenir à la Chine, à la Russie ou même de s’aligner docilement sur les États-Unis. C’est refuser que notre continent de nouveau se divise et laisse son destin lui échapper. » (Jacques Delors, le 6 décembre 2021).



     

     
     


    Il y a vingt ans, le 1er mai 2004, l'Union Européenne, qui comptait quinze États membres, s'est élargie de dix États membres supplémentaires : la Pologne, la Hongrie, la République tchèque, la Slovaquie, la Slovénie, la Lituanie, la Lettonie, l'Estonie, Chypre et Malte. Le 1er janvier 2007, ce cinquième élargissement a été complété par l'adhésion également de la Roumanie et de la Bulgarie.

    Ce n'était pas le premier élargissement, ni le dernier, puisqu'il y a eu un 28e État membre qui a rejoint l'Union Européenne, la Croatie le 1er juillet 2013, mais celui de 2004 était l'élargissement le plus politique, et même, qui a revêtu la plus grande importance géopolitique. Sans même compter Chypre dans une partie est occupée par les Turcs depuis 1974.

    Avant d'évoquer cet élargissement très important, rappelons très rapidement les différentes dates des précédents élargissements. Les dates entre parenthèses correspondent à la ratification dans chaque pays du traité en question (pour que l'adhésion soit effective, il faut que tous les États membres et candidats à l'adhésion signent le traité correspondant, puisque ce traité soit ratifié par eux-mêmes, en particulier les futurs membres, selon les procédures constitutionnelles propres à chaque nation, par leur parlement ou par référendum).


    1er janvier 1958 (Europe des Six) : Création de la Communauté Économique Européenne (CEE) avec la France (23 juillet 1957), l'Allemagne (19 juillet 1957), l'Italie (9 octobre 1957), la Belgique (28 novembre 1957), les Pays-Bas (4 décembre 1957) et le Luxembourg (26 mars 1957), par le Traité de Rome signé le 25 mars 1957).

    1er janvier 1973 (Europe des Neuf) : Adhésion du Royaume-Uni (16 octobre 1972), de l'Irlande (10 mai 1972) et du Danemark (2 octobre 1972), par le Traité de Bruxelles signé le 22 janvier 1972.


    1er janvier 1981 (Europe des Dix) : Adhésion de la Grèce (28 juin 1979), par le Traité d'Athènes signé le 28 mai 1979.

    1er février 1985 : Retrait du Groenland après le référendum du 23 février 1982 (pourtant territoire du Danemark).

    1er janvier 1986 (Europe des Douze) : Adhésion de l'Espagne (26 juin 1985) et du Portugal (11 juillet 1985), par le Traité de Madrid-Lisbonne du 12 juin 1985.

    3 octobre 1990 : Réunification de l'Allemagne et rattachement de l'Allemagne de l'Est aux Douze.

    1er novembre 1993 : Transformation de la CEE en Union Européenne, par le Traité de Maastricht signé le 7 février 1992.

    1er janvier 1995 (Europe des Quinze) : Adhésion de l'Autriche (12 juin 1994), de la Suède (13 novembre 1994) et de la Finlande (16 octobre 1994), par le Traité de Corfou signé le 26 juillet 1994. La Norvège a renoncé à adhérer.


    1er mai 2004 : Adhésion de la Pologne (23 juillet 2003), de la Hongrie (21 décembre 2003), de la République tchèque (30 septembre 2003), de la Slovaquie (1er juillet 2003), de la Slovénie (28 janvier 2004), de la Lituanie (16 septembre 2003), de la Lettonie (2 octobre 2003), de l'Estonie (21 janvier 2004), de Malte (14 juillet 2003) et de Chypre (14 juillet 2003), par le Traité d'Athènes signé le 16 avril 2003.

    1er janvier 2007 : Adhésion de la Roumanie (17 mai 2005) et de la Bulgarie (11 mai 2005), par le Traité de Luxembourg signé le 25 avril 2005.

    1er juillet 2013 (Europe des Vingt-huit) : Adhésion de la Croatie (4 avril 2012), par le Traité de Bruxelles signé le 9 décembre 2011.

    1er février 2020 : Retrait du Royaume-Uni après le référendum du 23 juin 2016 sur le Brexit.

    Comme on le voit, l'élargissement du 1er mais 2004 a été le plus massif et a considérablement modifié la physionomie et le point de gravité de l'Europe. Avant 2004, le dernier élargissement a eu lieu le 1er janvier 1995 et il était en quelque sorte la dernière occasion d'unifier l'Europe occidentale. Après le noyau dur des six pays fondateurs (France, Allemagne, Italie et Benelux), le rattrapage du Royaume-Uni après une dizaine d'années de veto français (à cause de De Gaulle) avec le Danemark et l'Irlande en 1973, l'exception grecque voulue par Valéry Giscard d'Estaing dès 1981, les deux États de la péninsule ibérique en 1986 malgré les protestations des viticulteurs français (et italiens), en enfin les États scandinaves (sauf la Norvège qui préfère l'indépendance totale) et l'Autriche, l'Europe est devenue un bloc continental exclusivement occidental (avec deux États neutres, la Finlande et l'Autriche).

    C'est donc pendant les années 1990 que l'évolution européenne s'est poursuivie, en réponse à la chute de l'URSS et à la libération des États de l'Europe centrale et orientale anciennement sous le joug soviétique. La question était alors la suivante : fallait-il d'abord approfondir la construction européenne (rajouter des solidarités européennes à Quinze, plus facilement qu'à Vingt-cinq, et adapter le fonctionnement institutionnel) ou d'abord élargir aux pays de l'Europe centrale et orientale ? La question était cruciale après une forte avancée de la construction européenne sous la Présidence de la Commission Européenne de Jacques Delors (1985-1995), avec l'Acte unique européen (notamment harmonisation des diplômes), les Accords de Schengen et ERASMUS (ces deux derniers hors du cadre spécifique de l'Union Européenne), l'Union économie et monétaire qui a donné la monnaie unique avec l'euro instauré en 1999, etc.

    Au milieu des années 1990, le sentiment anti-européen a commencé à se développer au sein des peuples européens, notamment à cause de la bureaucratie bruxelloise et les normes de plus en plus invasives dans la vie quotidienne afin de construire un standard normatif européen très exigeant (qui le reste encore dans le monde). Les tentatives d'approfondissement n'ont jamais vraiment abouti tandis que l'opportunité politique d'un élargissement se faisait sentir.


    Le problème était le suivant : une organisation (quelle qu'elle soit) ne se structure pas de la même manière lorsqu'elle réunit vingt-cinq membres que lorsqu'elle réunit six membres. En 1958, la règle de l'unanimité, qui rassure sur la souveraineté nationale de chaque État membre, pouvait se pratiquer, car il n'y avait que six partenaires. À vingt-cinq, la règle de l'unanimité est quasi-impossible. Or, ne plus pouvoir prendre de décision, c'est se paralyser. L'approfondissement avait donc ces deux rôles : modification des institutions européennes pour un fonctionnement à plus de vingt, avec, dans certains domaines, des décisions prises à la majorité qualifiée (nombre d'États et population que cela regroupe) au lieu de l'unanimité. C'était l'objet du Traité d'Amsterdam signé le 2 octobre 1997 après la Conférence intergouvernementale de Turin, puis du Traité de Nice signé le 26 février 2001.

    L'autre rôle de l'approfondissement, c'est d'agrandir les domaines de coopération européenne, en particulier la politique étrangère et la défense (on voit aujourd'hui à quel point ces domaines sont essentiels et même vitaux). Cet agrandissement des compétences européennes n'a eu lieu qu'avec le Traité de Lisbonne signé le 13 décembre 2007 à la suite de l'échec du référendum du 29 mai 2005 en France qui a rejeté le Traité établissant une Constitution pour l'Europe (TCE) signé le 29 octobre 2004 après l'élargissement du 1er mai 2004 et les travaux de la Convention pour l'Avenir de l'Europe présidée par Valéry Giscard d'Estaing.

    Dans ces années 1990, le débat était sur la capacité de rajouter des compétences européennes, mais pas pour tout le monde, un peu à la carte, comme c'était le cas pour la zone euro mais aussi les Accords de Schengen, etc. (les pays membres ne sont pas tous dans la zone euro mais peuvent tous y prétendre). C'était admettre que certains pays étaient plus européens que d'autres. Une notion, soutenue notamment par Édouard Balladur, alors Premier Ministre français, était d'imaginer une Europe à plusieurs cercles concentriques, avec des États plus intégrés que d'autres dans la construction européenne, mais avec le risque d'une Europe à deux voire trois vitesses.

     

     
     


    Pourtant, politiquement, il y avait une urgence à intégrer les États de l'Europe centrale et orientale, afin de réunifier le continent européen. Après la chute du mur de Berlin, le Rideau de fer aurait pu paradoxalement se maintenir par le fait des démocraties d'Europe occidentale si elles refusaient d'intégrer les anciens pays du bloc soviétique. Cette adhésion a été massive puisque, en moins de trois ans, douze pays ont adhéré à l'Union Européenne. Il aura fallu quinze à dix-huit ans pour permettre aux anciens régimes communistes de s'intégrer, ce qui, historiquement, est très long (pratiquement une génération). La Grèce a mis sept ans pour adhérer après la chute de la dictature des colonels. Le Portugal a mis douze ans, et l'Espagne, dix ans après la chute de leur dictature respective (issue de Salazar et de Franco).

    Le risque d'un trop grand nombre d'États membres est bien sûr une sorte de paralysie institutionnelle et l'impression d'avoir fabriqué un monstre institutionnel, avec jusqu'à vingt-huit membres, quasiment autant de langues, etc. Les affaires européennes sont devenues alors des affaires ultracompliquées pour plein de raisons, structurelles bien sûr, mais aussi politiques, car chaque État a son propre calendrier électoral, ses propres populismes, son propre électorat et donc, les décisions prises au niveau européen sont dépendantes souvent de considérations de politique intérieure de chaque État.

    À mon sens, l'une des conséquences a été le Brexit : la tenue du référendum était le fruit absolu de considérations électoralistes (de David Cameron), et d'un courant eurosceptique résultant d'un risque d'enlisement technocratique. À partir des années 2000, d'ailleurs, et jusqu'à maintenant, l'Europe a surtout cherché à répondre aux urgences du moment, des crises des dettes souveraines à la crise du covid-19, de la crise inflationniste et énergétique à la guerre en Ukraine.

    Les perspectives actuelles de l'Union Européenne sont contrastées. D'une part, jamais le courant populiste anti-européen n'a été aussi fort dans la plupart des États membres, avec des victoires électorales en Hongrie, en République tchèque, en Slovaquie, en Italie, aux Pays-Bas (mais aussi des échecs comme en Pologne). D'autre part, la position belliqueuse de Vladimir Poutine et le risque d'un retour de Donald Trump à la Maison-Blanche obligent les Européens à renforcer leur coopération dans le domaine militaire pour assurer une défense autonome sans les États-Unis (ce qui devraient réjouir tous les contempteurs de l'OTAN).

    Après Jacques Delors, l'Union Européenne a aussi péché par manque de leadership européen, dans le sens de personnalités charismatiques qui puissent pousser la construction européenne. La plupart des dirigeants européens pendant ces vingt dernières années ont été des européens par raison et pas par passion, adeptes d'une liberté économique qui refuse de voir les atteintes extérieures à une concurrence loyale (sans protectionnisme). La chance aujourd'hui d'avoir Emmanuel Macron à l'Élysée, c'est la même que lorsque Valéry Giscard d'Estaing y était : il est Européen par passion et est capable, aujourd'hui, d'impulser une véritable relance de la construction européenne, dans le domaine de la souveraineté économique et industrielle et surtout dans le domaine de la défense. Même l'Allemagne a compris qu'il fallait évoluer dans la conjoncture actuelle, celle de tous les dangers.

     

     
     


    Bien sûr, il reste à répondre à l'épineuse question des futurs élargissements. Actuellement, neuf pays sont candidats reconnus à l'adhésion, principalement des anciens pays de l'ex-Yougoslavie (Serbie, Bosnie-Herzégovine, Macédoine du Nord, Monténégro), l'Albanie, mais aussi l'Ukraine, la Moldavie, la Géorgie et la Turquie. Le Kosovo n'est pas encore reconnu officiellement comme candidat à l'adhésion. Quant aux trois autres États européens, l'Islande, la Norvège et la Suisse, elles ont renoncé à adhérer respectivement le 12 mars 2015, le 28 novembre 1994 et le 27 juillet 2016, pour certains après trois tentatives (pour la Norvège, par exemple, en 1962, en 1972 et en 1994).

    Comme pour la Grèce en 1981, et pour l'Europe centrale et orientale en 2004-2007, l'intégration de l'Ukraine, de la Moldavie et de la Géorgie, dont les candidatures ont été reconnues officiellement par les Conseils Européens du 23 juin 2022 et du 14 décembre 2023, les considérations politiques et de solidarités devraient l'emporter sur des considérations purement économiques ou même institutionnelles.

    L'enjeu de l'Union Européen reste historique et est une construction originale et inédite dans l'histoire des nations car elle se fait à la fois selon la volonté de chaque peuple qui la compose et avec la force d'une unité qui en fait un bloc incontournable dans la planète, avec cette devise très significative : unis dans la diversité. L'Union Européenne du 1er mai 2024 est un bloc humain peuplé de 450 millions d'habitants sur une superficie de 4,2 millions de kilomètres carrés, troisième puissance mondiale en PIB nominal après les États-Unis et la Chine.

    Elle n'est pas parfaite, elle a beaucoup de défauts, mais c'est parce que cette construction s'est toujours faite avec la volonté des peuples qu'elle se réalise très lentement. Elle est l'anti-modèle des autocrates au pouvoir de toute obédience, et à ce titre, elle est dénigrée par tous ceux qui refusent les principes de démocratie, liberté, égalité, laïcité. C'est pour cela qu'il faut précieusement conserver cette organisation et la faire vivre avec le plus de démocratie possible. Car on l'oublie un peu trop souvent : le citoyen européen a la chance et le privilège de pouvoir voter dans les conditions normales d'une véritable démocratie, à savoir que son vote puisse être secret, libre, et sincère, sans pression de personne ou de groupe.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (27 avril 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Il y a 20 ans, l'élargissement de l'Union Européenne.
    La convergence des centres ?
    Élections européennes 2024 (1) : cote d'alerte pour Renaissance.
    Valérie Hayer, tête de la liste Renaissance.
    Charles Michel et Viktor Orban : l'Europe victime d'une histoire belge !
    Jacques Delors : il nous a juste passé le relais !
    Il y a 15 ans : Nicolas Sarkozy, l'Europe et les crises (déjà).
    La Méditerranée, mère de désolation et cimetière de nos valeurs ?
    Le 8 mai, l'émotion et la politique.
    Ukraine, un an après : "Chaque jour de guerre est le choix de Poutine".
    Le 60e anniversaire du Traité de l'Élysée le 22 janvier 2023.
    De Gaulle, l’Europe et le volapük intégré.
    L’inlassable pèlerin européen Emmanuel Macron.
    Valéry Giscard d’Estaing, le rêveur d’Europe.
    Enfin, une vision européenne !
    Relance européenne : le 21 juillet 2020, une étape historique !

     

     
     







    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240501-elargissement-europe.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/il-y-a-20-ans-l-elargissement-de-l-254213

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/27/article-sr-20240501-elargissement-europe.html


     

  • Bayard, le bon chevalier sans peur et sans reproche

    « Monsieur, il n’est besoin de pitié pour moi, car je meurs en homme de bien ; mais j’ai pitié de vous, car vous servez contre votre prince et votre patrie ! »



     

     
     


    Cette parole, on pourrait la dire aux oppositions populistes dans la France d'aujourd'hui, celles du RN et de FI, qui soutiennent Vladimir Poutine contre l'Ukraine et l'Europe, les États qui veulent l'échec de la France, ces patriotes de pacotille et véritables traîtres à la France, de la même farine que ce Charles III, le Connétable de Bourbon (1490-1527), à qui ces derniers propos (probablement apocryphes) du preux chevalier étaient adressés avant de mourir. Le Connétable s'était retourné en 1523 contre son propre roi, François Ier, et était à la tête des troupes de l'ennemi Charles Quint, auteur de la défaite de Pavie et de l'emprisonnement du roi de France.

    Le fameux chevalier Bayard, qui a fait rêver des générations d'écoliers, est mort il y a 500 ans, le 30 avril 1524. Blessé mortellement la veille au combat, en Italie, dans le Piémont, d'un coup d'escopette qui lui a détruit la colonne vertébrale, il a succombé en valeureux et courageux patriote. J'ai habité à Grenoble et les grenoblois, et plus généralement, les dauphinois sont très attachés à la figure historique de Bayard parce qu'il était une figure locale, né 48 ans auparavant, en 1476, à Pontcharra, près de la Savoie. Cependant, c'était en tant que lorrain que je me suis attaché à sa figure historique, quand j'étais enfant et que j'apprenais à lire avec "Le Tour de France de deux Enfants" de G. Bruno (j'ai déjà évoqué ce livre mythique de 1878 qu'on pouvait encore acheter neuf dans des hypermarchés il y a une trentaine d'années).

    Et c'est donc avec cette image (qu'on appellera d'Épinal) que j'ai associé définitivement le chevalier Bayard : blessé, il a demandé à ses hommes de l'installer en appui contre un arbre mais le visage face à l'ennemi pour qu'il puisse mourir en paix et avec bravoure. Refusant de partir en retraite, il est mort chez l'ennemi qui a rendu le corps à la France après l'avoir honoré (car il fascinait aussi l'ennemi).

     

     
     


    Il a été enterré en grandes pompes à la cathédrale de Grenoble et inhumé au Couvent des Minimes de Saint-Martin-d'Hères, qui a été détruit pendant la Révolution. Ses restes supposés ont été transférés le 24 août 1822 à la collégiale Saint-André de Grenoble. En fait, il s'agissait de restes d'une femme. D'autres restes ont été retrouvés sous l'ancien couvent en 1937 dont les premières analyses ADN (rendues publiques le 2 mars 2017 à Montpellier) auraient confirmé l'identité de Bayard, même si depuis 1875, Bayard n'avait plus de descendant direct. Le préfet de l'Hérault Jean-Christophe Parisot a pu reprendre à son compte le nom de Bayard en 2012 et faire procéder à ces analyses génétiques. Son but serait de donner une sépulture décente à Bayard à sa ville natale, Pontcharra, au château où il est né. J'ai eu l'occasion de visiter ce château construit en 1404 mais qui n'est plus qu'une ruine, détruit depuis longtemps (et depuis 2006, un vin se produit dans ces terres).

    Revenons à Bayard : Pierre III Terrail, seigneur de Bayard depuis la mort de son père en 1496. Il était d'une noblesse assez récente, surtout par sa mère, et sa famille a donné trois évêques de Grenoble (dont l'un était son oncle) et un cardinal. Avec l'image de sa mort, il y a deux autres images d'Épinal qui restent aussi ancrées dans la mémoire des écoliers.
     

     
     


    C'est d'abord la bataille du Garigliano le 29 décembre 1503, où Bayard s'est montré héroïque. Les troupes françaises étaient en retraite, quittant le Royaume de Naples, et combattaient les Espagnols. Cependant, les Espagnols étaient bien plus nombreux que les Français (1 500 à 2 000 contre 300), mais Bayard, en arrière-garde, a su résister seul aux assauts des Espagnols en les arrêtant sur le Pont du Garigliano assez étroit, le temps de prévenir l'artillerie qui est venue le secourir, si bien que les Espagnols ont battu retraite (très momentanément, puisque finalement, les Français ont dû quitter les lieux, mis en déroute). Le Pont du Garigliano qui traverse la Seine à Paris, dans la continuité du boulevard Exelmans, inauguré le 24 avril 1967, ne renvoie pas en référence cette bataille mais la Bataille du Garigliano de mai 1944, durant la campagne d'Italie, où les troupes du général Alphonse Juin se sont montrées héroïques face à l'ennemi.

    Ce n'était pas le premier exploit militaire de Bayard qui s'était déjà illustré dans le combat courageux et brave, en particulier lors de la Bataille de Fornoue le 6 juillet 1495. Il participa à d'autres batailles les années suivantes, dont celle d'Agnadel le 14 mai 1509 où il a inversé le cours des événements, permettant au roi Louis XII d'entrer à Venise (au prix très cher du sang de près de 15 000 personnes toutefois). Cela l'a conduit à être nommé capitaine (grade réservé aux puissants nobles).
     

     
     


    Enfin, est venue la fameuse Bataille de Marignan. Le lendemain de la victoire, le 15 septembre 1515, Bayard aurait adoubé le roi François Ier (arrivé sur le trône le 1er janvier 1515) pour le faire chevalier. Cette image d'Épinal ne serait pas tout à fait fausse, mais François Ier aurait déjà été fait chevalier et il aurait redemandé à Bayard de l'adouber pour l'honorer publiquement. Il l'avait également nommé lieutenant général du Dauphiné le 20 janvier 1515, ce qui signifiait en fait les fonctions de gouverneur, qu'il assuma avec assiduité et popularité jusqu'à sa mort. Il a dû notamment régler un conflit entre la ville de Grenoble et l'évêché. Il a également dû gérer une épidémie de peste et les inondations du Drac.

    En août 1521, Bayard est parvenu très habilement à tenir le siège de Mézières, donnant aux troupes du roi le temps de se rassembler. À cette occasion, Bayard fut encore honoré et récompensé, mais pas du titre de maréchal de France réservé aux grands nobles que son second, le futur duc Anne de Montmorency (1493-1567) reçut le 27 avril 1522. Ce dernier allait d'ailleurs être l'un des hommes les plus puissants de la Renaissance, Connétable de France et ami intime de François Ier.

     

     
     


    Il est très probable que n'a jamais eu lieu la confrontation directe entre le Connétable de Bourbon, son ennemi, et Bayard au soir de sa vie, lorsqu'il a été atteint mortellement par une arquebuse. C'était probablement dans un objectif de propagande politique que cette histoire a été très vite diffusée, pour bien montrer d'un côté le traître et de l'autre le fidèle et loyal chevalier dont le courage a été jusqu'à en perdre la vie. La phrase mise au début de l'article est donc, comme je l'indiquais, plus apocryphe qu'authentique.
     

     
     


    À la fin du chapitre sur Bayard dans le manuel de G. Bruno, on y lit cette leçon de morale qui devrait encore être enseignée : « Nous ne sommes que de pauvres enfants, c'est vrai, mais néanmoins nous pouvons prendre ensemble la résolution d'être toujours courageux nous aussi et d'aimer, comme le grand Bayard, notre chère France par-dessus toutes choses. ». "Accipit ut det". Sa devise latin voulait dire : il reçoit pour donner.

    À l'occasion du cinq centième anniversaire de cette disparition, le conseil municipal de Pontcharra et l'association Les Amis de Bayard seront présents lors d'une cérémonie en hommage au chevalier sans peur et sans reproche avec dépôt de gerbe et travaux d'écoliers le mardi 30 avril 2024 à partir de 10 heures sur la place Bayard.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (27 avril 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Le chevalier Bayard.
    Saint-Just.
    Louis XVI.
    Henri VI, comte de Paris, ou l’impossible retour du roi.
    Henri VII : le roi de France est mort un 21 janvier.
    Louis XIV.
    François Ier.
    Philippe V.
    Colbert.
    Lully.
    Révocation de l'Édit de Nantes.
    Napoléon Bonaparte.
    Napoléon III.
    Jeanne d’Arc.
    Le coup de Jarnac.
    Concini.
    Congrès de Vienne.
    Guillaume II.
    Nicolas II.
    Otto de Habsbourg-Lorraine.
    Élisabeth II.
    Victoria, mamie Europa.
    Maximilien Ier du Mexique.


     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240430-bayard.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/bayard-le-bon-chevalier-sans-peur-254290

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/27/article-sr-20240430-bayard.html


     

  • La reine Christine Ockrent, la poire et les cacahuètes

    « Quand on était petit, Christine Ockrent présentait le journal de 20 heures sur Antenne 2, c'était entre 1981 à 1985. Il n’y avait que trois chaînes. La deuxième chaîne réunissait alors 20 millions de Français par jour. On l’appelait "la reine Christine". Elle est la première femme titulaire et rédactrice en chef du 20 heures. À force de dîner avec elle, elle est devenue un membre à part entière de nos familles. » (Sonia Devillers, le 12 mai 2023 sur France Inter).


     

     
     


    La journaliste Christine Ockrent fête son 80e anniversaire ce mercredi 24 avril 2024. Présentatrice du journal télévisé de 20 heures au début des années 1980, elle était, avec Patrick Poivre d'Arvor, la star des journaux télévisés de l'époque. Elle était aussi, avec Anne Sinclair, l'une des deux reines de l'information à la télévision, chacune opérant avec un grand professionnalisme mais aussi une certaine dose de séduction.

    Elle est d'abord belge, née dans la capitale non seulement de la Belgique mais aussi de l'Europe. Son père Roger Ockrent a été le chef de cabinet de Paul-Henri Spaak, Premier Ministre belge et considéré comme l'un des Pères de l'Europe. Comme Catherine Nay (avec Albin Chalandon), Anne Sinclair (avec Dominique Strauss-Kahn), Béatrice Schönberg (avec Jean-Louis Borloo) et bien plus tard, Audrey Pulvar (avec Arnaud Montebourg) et Léa Salamé (avec Raphaël Glucksmann, candidat tête de liste du PS aux élections européennes de 2019 et de 2024), elle partage, depuis une quarantaine d'années, sa vie avec un homme politique (et futur, ancien, ministre), Bernard Kouchner, le médecin distributeur de grains de riz des années 1990. Elle a étudié à l'IEP Paris (diplômée en 1965) et à l'Université de Cambridge, et a commencé en 1967 sa carrière de journaliste aux États-Unis.

    Sa notoriété est arrivée avec la décision de Pierre Desgraupes, président d'Antenne 2, en octobre 1981, de la mettre à la présentation du journal télévisée de 20 heures. Christine Ockrent a été rapidement sacrée reine des médias par les téléspectateurs qui n'avaient pas beaucoup l'habitude de voir une femme à cette fonction très intime, puisque, comme le rappelle sur France Inter la productrice Sonia Devillers, les officiants du journal télévisé s'invitaient aux dîners quotidiens des Français (enfin, pour ceux qui dînaient en regardant la télévision ; ce qui n'était pas le cas de mes grands-parents qui dînaient avant de regarder la télévision !). Elle y est restée jusqu'en juin 1985, en alternance avec PPDA (puis de septembre 1988 à décembre 1989 après un passage à RTL et TF1). En particulier, elle a participé à l'émission "Vive la crise !" présentée par Yves Montand et diffusée le 22 février 1984 pour se prêter au jeu d'un faux journal crédible. À cette époque, elle était parmi les plus médiatiques, recevant deux Sept d'or en 1985 (7 d'or du meilleur présentateur de journal télévisé, en l'occurrence présentatrice !, et Super 7 d'or).

    En 1992, elle est retournée à la présentation du journal télévisé sur France 3 pour "Soir 3" entre septembre 1992 et septembre 1994, mais surtout, entre novembre 1992 et février 2008, avec des noms d'émission différents ("À la une sur la 3", "Dimanche soir", "Politique dimanche", "France Europe Express", "Duel sur la 3"), elle a animé le dimanche soir un duel entre deux éditorialistes, Serge July ("Libération") et Philippe Alexandre (RTL). Le trio a été rendu célèbre par "Les Guignols de l'Info" sur Canal Plus avec leurs marionnettes qui n'oubliaient pas "la poire et les cahuètes de chez M'ame Crissine". L'émission était parfois, selon la formule, coanimée par Gilles Leclerc.

     

     
     


    Christine Ockrent a été également directrice de la rédaction de l'hebdomadaire "L'Express" d'octobre 1994 à mars 1996 (une greffe avec la presse écrite qui ne s'est pas bien faite), et sa boulimie des années 1990 et 2000 la conduisait à proposer des éditoriaux réguliers aussi pour Canal J, "Info-Matin", Europe 1 (participant à la grande émission politique hebdomadaire de la station "Le Club de la Presse"), BFM, "La Provence", "Metro", TV5, France 24, etc.

    Si Christine Ockrent est partie de France 3 le 17 février 2008, c'était tout simplement parce qu'elle venait de recevoir son bâton de maréchale : elle a été nommée le 20 février 2008 par le Président de la République Nicolas Sarkozy directrice générale déléguée de l'Audiovisuel extérieur de la France (AEF), que venait juste d'être créé, rebaptisé le 27 juin 2013 France Médias Monde (nommée sur proposition de son président Alain de Pouzilhac), et à ce titre, directrice générale déléguée des deux entités, la télévision France 24 et la radio RFI (Radio France Internationale), la voix de la France à l'étranger.

    Son aventure à ce poste de numéro deux n'a pas duré très longtemps, jusqu'en septembre 2011. Elle a été particulièrement contestée dans sa gestion par le management des deux chaînes avec des épreuves de force inédites dans l'audiovisuel (refus d'assister aux réunions, etc.), avec une affaire d'espionnage des ordinateurs du personnel, etc. Par ailleurs, les relations étaient très tendues entre Christine Ockrent et Alain de Pouzilhac. Sa nomination elle-même a prêté le flanc à la critique car l'AEF dépendait de la tutelle du Ministère des Affaires étrangères ; or le ministre depuis mai 2007 n'était autre que Bernard Kouchner, son compagnon (les syndicats de journalistes ont vivement souligné le risque de conflit d'intérêt). À partir de janvier 2010, la tutelle a été attribuée au Ministère de la Culture. Christine Ockrent a jeté l'éponge en mai 2011 en donnant sa démission et en déposant plainte pour harcèlement moral (en novembre 2010, Bernard Kouchner a quitté le Quai d'Orsay dont c'était aussi le bâton de maréchal).

    À partir de février 2013, Christine Ockrent a repris l'antenne, cette fois-ci sur France Culture pour une chronique hebdomadaire le samedi sur des thèmes internationaux. Son expertise journalistique est la géopolitique et c'est ce thème qui revient très souvent parmi les vingt et un essais dont elle est l'auteure, en particulier sur la politique intérieure américaine (elle avait annoncé la victoire d'Hillary Clinton en 2016), les oligarques russes, le régime théocratique iranien, le régime saoudien, le régime communiste chinois, etc.

    Petits échantillons. Sur l'Arabie Saoudite, malgré le prince séducteur Mohammed Ben Salmane : « En l’absence de chiffres officiels, Amnesty International estime que quelque cinq cents exécutions ont été pratiquées depuis l’avènement du roi Salman. Une cinquantaine de personnes ont été exécutées lors des premiers mois de 2018, dont la moitié pour des affaires de drogue sans violence, dénonce de son côté Human Rights Watch. Dans le cas d’individus ayant commis des crimes ou des vols particulièrement scandaleux, une fois la tête recousue, leur cadavre est parfois crucifié et exposé en public. Le vol entraîne l'amputation de la main droite et quelquefois des pieds. Sont punis de mort le blasphème, l’homosexualité, la trahison et le meurtre. L’adultère expose la femme mariée à la mort par lapidation ; cent coups de fouet châtient son partenaire. » (2018). Sur Vladimir Poutine : « La dissolution de l’Union Soviétique a été "la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle". Il lui revient donc de restaurer la Russie dans sa gloire, d’effacer ses humiliations, de redorer son Église orthodoxe, d’embrasser les icônes et de brûler les encens, de lui rendre son statut de puissance globale, d’exalter sa victoire contre le fascisme, de célébrer les symboles de sa force ancienne, quitte à ressusciter ceux du communisme. » (2014). Sur les services secrets : « Quand on a, par métier, regardé le dessous de table et l'envers des cartes pendant longtemps, il ne reste plus que trois attitudes : ou préparer une liste de gens "à flinguer", ce qui est fastidieux et illégal, ou se flinguer soi-même, ce qui est inconfortable, ou faire l'appel à une vertu cardinale, le sens de l'humour, ce qui permet de sourire pour le restant de vos jours. » (1986). Le secret de Xi Jinping pour durer : « Xi Jinping interdit d'ordinaire toute mise en cause publique du passé, "le nihilisme historique" et la transparence seraient responsables, selon lui, de l'écroulement de l'Union Soviétique dont il ne cesse de ressasser l'exemple. » (2023). Sur Hillary Clinton : « Quel a été son rôle : celui de l'épouse bornée et trompée ou celui de la complice hypocrite ? Est-elle jusqu'au bout une femme cocue ou une partenaire cynique ? Entre les deux hypothèses, l'Amérique ne cessera d'osciller. Les bien-pensants opinent : qu'elle préserve les apparences, l'institution et sa famille ! Les féministes trépignent : qu'elle le quitte ! Qu'à l'image de sa génération, elle préserve la dignité de la femme bafouée et libérée ! Dans ses Mémoires, Hillary se contentera de cet argument, qui ne va pas loin dans la confidence mais qui correspond sans doute à sa conviction profonde : "Je voulais lui tordre le cou, mais il n'était pas simplement mon mari : il était le Président des États-Unis". » (2016).

    En 2023, elle est sortie de sa zone de confort en participant à une pièce de théâtre de l'auteur, metteur en scène et comédien libanais Wajdi Mouawad qui avait dû fuir son pays, le Liban, en 1982 (il était alors adolescent) et qui n'avait plus de nouvelles de son pays que par Christine Ockrent dans le journal télévisé. Sonia Devillers expliquait ainsi : « [Wajdi Mouawad] reste hanté par la guerre, il ne vit qu'à travers la hantise de la guerre à une époque où il n'y avait ni téléphone portable, ni réseaux sociaux, ni chaîne d'information continue. La seule source d'information pour cette famille étant alors le 20 heures de Christine Ockrent à travers laquelle il fait revivre sa propre histoire. Wajdi Mouawad lui fait dire quelques mots sur sa propre mère, des phrases très belles qui font réfléchir à une forme de déshumanisation quand on raconte la vie des victimes de la guerre en général, en plus de raconter comment on médiatise à l'époque une guerre, telle que celle du Liban. ».


    Pour son attention portée aux affaires européennes (en particulier avec l'émission "France Europe Express" de 1997 à 2007), Christine Ockrent a fait partie des cinq journalistes (avec notamment Jean Quatremer, Quentin Dickinson et Guillaume Klossa) à avoir fait partie du comité d'honneur du 50e anniversaire du Traité de Rome en 2007.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (21 avril 2024)
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    Pour aller plus loin :
    Christine Ockrent.
    Vive la crise !
    Yves Montand.
    Jean Lacouture.
    Marc Ferro.
    Dominique Baudis.
    Frédéric Mitterrand.
    Jean-Jacques Servan-Schreiber.
    Christine Angot.
    Jean-François Revel.
    Philippe Alexandre.
    Alain Duhamel.

     

     
     



    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240424-christine-ockrent.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/medias/article/la-reine-christine-ockrent-la-254212

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/12/article-sr-20240424-christine-ockrent.html



     

  • Mathilde Panot : les énièmes outrances populistes de la hurleuse professionnelle

    « La loi n’a pas changé, c'est toujours la même : nous avons la liberté de nous exprimer. Il y a juste quelques limites : l’incitation à la haine et l’apologie du terrorisme. » (Caroline Fourest, le 23 avril 2024 sur LCI).



     

     
     


    La présidente du groupe FI à l'Assemblée Nationale, Mathilde Panot, a été convoquée ce mardi 23 avril 2024 par la police judiciaire de Paris pour s'expliquer sur des propos qu'elle aurait tenus et qui pourraient être jugés comme une apologie du terrorisme. On ne savait pas quels étaient les propos incriminés mais on imaginait bien qu'il s'agissait de sa réaction aux massacres commis par les terroristes du Hamas en Israël le 7 octobre 2023.

    Loin de se faire discrète en attendant d'être entendue par la police, Mathilde Panot est sortie avec ses gros sabots et y a vu un complot contre la liberté d'expression. Elle a publié un communiqué incendiaire contre l'État, aussi insignifiant qu'il est excessif. L'esprit complotiste est bien là puisqu'elle a rassemblé un certain nombre de faits, dont l'interdiction d'une conférence par un président d'université (à Lille) de Jean-Luc Mélenchon, qu'elle a laissé entendre comme provenant d'une même origine alors que la députée, qui sait ce qu'est le fonctionnement des institutions, sait très bien que les décisions provenaient d'autorités très différentes (qui toutes ont considéré que les propos qu'ont tenu les dirigeants de FI sont à la limite de l'illégalité et dans tous les cas, c'est factuel, susceptibles d'être fauteurs de troubles).

    Dans son communiqué, Mathilde Panot a expliqué notamment : « C'est la première fois dans l'histoire de la Cinquième République qu'une présidente d'un groupe d'opposition à l'Assemblée Nationale est convoquée pour un motif aussi grave sur la base d'accusations fallacieuses. ». Je ne sais pas si c'est vrai (la violence verbale a toujours existé au Parlement et à l'époque de l'OAS et du FLN, les débats étaient particulièrement durs), mais même si c'était vrai, il faudrait aussi s'interroger soi-même, Madame Panot : à ma connaissance, jusqu'à maintenant, je n'ai jamais connu un président de groupe d'opposition à l'Assemblée Nationale depuis le début de la Cinquième République à être aussi peu respectueux des usages, à hurler autant dans l'enceinte du Parlement, à dériver autant vers le populisme avec autant de violence verbale.

    Mais ce qui m'a le plus choqué, dans ce communiqué, c'est cette petite phrase idiote, très politicienne mais très grave car elle renforce le sentiment d'antiparlementarisme : « Le régime macroniste aura transgressé toutes les limites imaginables. ». Tout, dans cette phrase, transpire le populisme et le mensonge le plus puant.

     

     
     


    D'abord, parler de « régime » macroniste n'a de sens que si on veut le comparer à une dictature, ce qui n'est pas le cas : Emmanuel Macron a été élu Président de la République par 66% des Français en 2017 et par 59% des Français en 2022. C'est important de le rappeler, d'autant plus que c'est historique puisqu'il est le seul chef de l'État après De Gaulle à avoir été réélu sans une période de cohabitation qui ont redonné une virginité politique à François Mitterrand en 1988 et Jacques Chirac en 2002. Nous sommes en démocratie et la présence d'Emmanuel Macron à l'Élysée vient donc uniquement de la volonté populaire (j'insiste sur ce point-là). La République, c'est plus Emmanuel Macron que Jean-Luc Mélenchon, n'en déplaise aux insoumis.

    Ensuite, le verbe au futur antérieur, comme si le second quinquennat était déjà terminé (alors qu'il reste encore trois ans !). Le verbe "transgresser" n'a aucun sens ici puisque la procédure judiciaire est très classique et procède de l'État de droit. Enfin, plus généralement, cette phrase laisse croire que c'est Emmanuel Macron qui a demandé à la police de la convoquer pour l'empêcher de parler. D'une part, plus elle parle, plus elle se discrédite, donc ses adversaires se frottent plutôt les mains ; d'autre part, le Président de la République est garant de l'indépendance de la justice et c'est la justice qui a agi ici, et si Mathilde Panot conteste qu'il y a indépendance, qu'elle apporte les preuves que le Président de la République serait intervenu dans cette affaire. Comme elle connaît très bien le fonctionnement des institutions, Mathilde Panot veut tromper sciemment ceux qui la liraient ou l'écouteraient dans un but purement démagogique.


    C'est la raison pour laquelle j'étais très content que l'essayiste Caroline Fourest, invitée de David Pujadas sur LCI le 23 avril 2024, ait relevé l'arnaque populiste de cette phrase. Une véritable escroquerie intellectuelle. Elle s'est juste interrogée : « La question est de savoir si les personnes qui sont aujourd'hui convoquées et qui vont devoir s'expliquer devant la justice, ont tenu des propos qui tombent sous le coup de la loi, point. ».

    La phrase du communiqué de Mathilde Panot (sur le "régime macroniste") a fait réagir Caroline Fourest ainsi : « C'est un raccourci qui est indigne, pour le coup, d'une parlementaire. C'est du populisme, une fois de plus, c'est mensonger. ».

    La question de la liberté d'expression n'est pas en cause ici, c'est avant tout une question de respect de la loi et de respect des institutions dont il s'agit : « On verra. Peut-être que la justice va décider à la fin que [ces propos] relèvent de la liberté d'expression. ». Mais : « Il faut garder à l'esprit que toute personne, qu'on soit député ou pas, qu'on soit d'un groupe parlementaire ou pas, en fait, tout citoyen, les élus politiques ne sont pas au-dessus de la loi, a priori, tout citoyen qui tient des propos pouvant être attaqués est convoqué par la police. C'est la procédure, en fait, tout simplement. Ce n'est pas le Président de la République qui le décide. Ce n'est même pas des juges. C'est la procédure avant d'aller se défendre devant la chambre qui va avec. Mais en l'occurrence, les plaintes concernant ces personnalités, elles viennent d'organisations juives qui ont estimé, donc tout le monde peut le faire, en fait, qui ont estimé que ces propos étant extrêmement choquants et donnant le sentiment de comprendre l'action du Hamas voire de s'en réjouir, ils devaient être examinés par la loi. ».

    Ainsi, Caroline Fourest a cité quelques propos controversés (sans savoir si ce sont ceux-là qui sont en cause pour la convocation), comme ceux de la militante propalestinienne Rima Hassan, candidate éligible sur la liste FI (et convoquée par la police judiciaire pour le 30 avril 2024 pour apologie du terrorisme), lâchés dans une émission à la fin du mois de novembre 2023 ("Le Crayon"), qui a répondu « vrai » à l'affirmation : « Le Hamas mène une action légitime. ». On peut également évoquer la comparaison vaseuse de Jean-Luc Mélenchon, faite le 18 avril 2024 à Lille, d'un préfet actuel avec Adolf Eichmann, principal organisateur de la "Solution finale" (comparaison qui, selon Fabien Roussel, l'a complètement « discrédité » et l'a rendu « indéfendable »).
     

     
     


    Il y a aussi ceux d'un responsable de la CGT du Nord, Jean-Paul Delescaut (qui a été gardé-à-vue pour cette raison, puis condamné le 18 avril 2024 par le tribunal correctionnel de Lille à un an de prison avec sursis pour apologie de terrorisme), qui a mis sur un tract : « Les horreurs de l'occupation illégale se sont accumulées. Depuis samedi [7 octobre], elles reçoivent les réponses qu'elles ont provoquées. ». Phrase publiée sur le site de la CGT du Nord du 10 au 20 octobre 2023 (elle a été retirée après de nombreuses protestations).

    Ces propos, qui mettent un lien de causalité, sont révoltants car cela signifierait que les innocents qui ont été enlevés, violés, torturés, brûlés, assassinés le 7 octobre 2023 mériteraient leur sort pour une raison ou un autre. Caroline Fourest, avec raison, a comparé ce raisonnement avec celui de dire qu'une femme aurait mérité d'être violée car elle portait une jupe (qui aurait alors "provoqué" le viol).

    Ce qui est étrange, c'est que des journalistes comme Daniel Schneidermann, trop noyés dans leur militantisme propalestinien, ne comprennent pas l'horreur d'une telle phrase. Cet éditorialiste a écrit en effet le 22 avril 2024, dans sa chronique : « Personnellement, je n'aurais sans doute pas écrit les choses comme le tract de la CGT. Parce que j'ai toujours une réticence face aux explications mécanistes de l'Histoire. Parce qu'en dépit de la brutalité meurtrière de la politique israélienne depuis 75 ans à l'égard des Palestiniens, en dépit du génocide en cours à Gaza, je ne peux pas m'empêcher de me souvenir d'où vient ce pays. Un souvenir de plus en plus vacillant, que je dois faire effort pour conserver vivant. Je fais cet effort. Mais je trouve insupportable de ne pas avoir la liberté de l'écrire. ». Sauf que justement, l'emploi même du mot "génocide", qui n'est absolument pas justifié (comme l'a bien confirmé la Cour européenne des droits de l'homme, contrairement à ce qui se raconte), laisserait entendre que le Hamas aurait quand même raison de se battre.

    Caroline Fourest a rappelé le massacre du 7 octobre : « C'est quand même ce qui s'est passé le 7 octobre. On a des terroristes du Hamas qui tuent des civils, kibboutzims, des pacifistes israéliens, chez eux, pas en territoires occupés, pas en territoires colonisés, pas dans les colonies disputées, pas à Gaza, chez eux, en territoire israélien, et ils n'ont rien fait. Ils sont violés, découpés en morceaux, et passés à la kalachnikov ou brûlés. (…) Est-ce que c'est violent [de mettre un lien de causalité] ? C'est à la justice de le dire. Est-ce que c'est l'apologie du terrorisme ? Dans le cas de ce syndicaliste CGT, ça a plutôt visiblement été tranché dans ce sens. Mais ce n'est pas un complot politique d'un régime dictatorial qui est en train d'œuvrer. ».


    Pour illustrer ses propos, l'essayiste a donné un exemple contraire, celui de l'humoriste Guillaume Meurice qui, le 29 octobre 2023 sur France Inter, avait tenu des propos très limites dans un sketch sur Benyamin Netanyahou (qualifié de « sorte de nazi, mais sans prépuce ») qui ont été classés sans suite le 11 avril 2024 par le parquet de Nanterre (parce que les infractions dénoncées n'étaient pas « suffisamment caractérisées ») : « Il a aussi été convoqué par la police. Il a aussi suivi le cours, ce n'était pas pour apologie du terrorisme mais c'était pour incitation à la haine. Et il a été relaxé parce que, pour le coup, le sketch de Guillaume Meurice, on peut le trouver plus ou moins réussi, on peut trouver que Guillaume Meurice a toujours les mêmes têtes de Turcs (…), mais ce sketch fait partie de la liberté d'expression, totalement. ».

    Bref, l'instrumentalisation politique qu'a faite Mathilde Panot de sa convocation ne l'honore pas du tout. On ne s'étonnera pas, avec de telles personnalités politiques, que les électeurs s'éloignent des urnes et laissent ce petit monde s'entre-dévorer tout seul. Heureusement qu'à côté de ces hurleurs professionnels, il y a des personnes responsables qui se préoccupent de l'avenir de la France et de l'intérêt des Français ...comme le Président Emmanuel Macron dont le discours très attendu (attendu en France mais aussi dans le monde) sur l'Europe, qu'il fera jeudi 25 avril 2024 à 11 heures à la Sorbonne, marquera une nouvelle étape.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (23 avril 2024)
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    Pour aller plus loin :
    Mathilde Panot.
    Sondage secret : le tour de chauffe de François Ruffin !
    Adrien Quatennens, le meilleur allié du Président Macron ?
    Et si le peuple révoquait Adrien Quatennens ?
    La justice harcèle-t-elle la classe politique ?
    Le député Adrien Quatennens doit-il démissionner de l'Assemblée Nationale ?
    Mais où est donc passé Adrien Quatennens ?
    Thomas Portes.
    Carlos Martens Bilongo.
    Clémentine Autain.
    Éric Coquerel.
    Jean-Luc Mélenchon.
    Danièle Obono.
    François Ruffin.
    Sandrine Rousseau.
    Pour ou contre M… ?
    Sous la NUPES de Mélenchon.
    La consécration du mélenchonisme électoral

     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240423-mathilde-panot.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/mathilde-panot-les-eniemes-254303

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/23/article-sr-20240423-mathilde-panot.html




     

  • Sondage secret : le tour de chauffe de François Ruffin !

    « L’équipe du député de la Somme a fait réaliser une enquête d’opinion dans laquelle il apparaît plus fort que Mélenchon si la gauche s’unit pour 2027. » ("Libération", le 21 avril 2024).


     

     
     


    Décidément, la campagne des élections européennes parle de tout sauf de l'Europe, et plus préférentiellement, parle de l'élection présidentielle de 2027. C'est le problème avec la course aux petits chevaux de la Cinquième République, la campagne présidentielle démarre dès la fin de la précédente. Avec le quinquennat, inutile de dire qu'on ne vit que des supputations préprésidentielles, mais même avec le septennat, c'était pareil !

    L'information provient d'un article de Charlotte Belaïch publié dans "Libération" la matinée du dimanche 21 avril 2024 et a valeur de coup de tonnerre : François Ruffin pourrait se qualifier au second tour d'une élection présidentielle et ferait jeu égal avec Marine Le Pen.

    Avec cette information, il y a de quoi disserter sur beaucoup de sujets mais il faut bien rappeler que, hors contexte, les sondages d'intentions de vote à des élections ne valent quasiment rien : il y a d'abord l'identité de tous les candidats qui n'est pas connue (une élection, c'est avant tout une compétition entre plusieurs personnalités), et ensuite, il y a une campagne, avec des candidats qui tentent de montrer qu'ils seraient les meilleurs, et qui peuvent même convaincre des indécis et des hésitants.

    La seule réelle information du sondage est un enfonçage de porte ouverte : les Français de gauche aimeraient mieux François Ruffin que Jean-Luc Mélenchon. À part cette très grande découverte, il n'y a pas trop à supputer sur ce sondage même si je vais en proposer quelques commentaires.

    La première chose à savoir, c'est que c'est un sondage secret, ce qui veut dire que c'est un sondage qu'un candidat finance dans le but de connaître la faisabilité d'une candidature. C'est fréquent dans la perspective d'une élection municipale dans une grande ville (ne serait-ce que pour sonder déjà la notoriété du candidat potentiel). Autant que ça vaille le coup. Il n'y a que des exceptions comme Anne Hidalgo pour, après des premiers tests catastrophiques, se convaincre qu'on ferait un bon candidat. Les autres y renoncent sauf s'ils veulent faire du témoignage (comme les trotskistes). Mais avant l'élection de 2017, on trouvait déjà ce genre de résultats avec Benoît Hamon préféré à Jean-Luc Mélenchon, puis avant l'élection de 2022, avec Yannick Jadot préféré à Jean-Luc Mélenchon, et dans les dernières semaines de campagne, Jean-Luc Mélenchon a explosé et dépassé tous ses concurrents de gauche dans les urnes parce qu'il reste excellent tribun.

    Pour le dire franchement, François Ruffin, certes, a l'air sympa, mais est-ce suffisant pour diriger la sixième (ou septième) première puissance mondiale ? Quelle est sa doctrine militaire ? Sa vision à long terme de l'Europe ? Sa stratégie industrielle ? À part : il faut faire payer les riches ? Il y a le contenu du programme politique, mais il y a aussi le tempérament, et, ma foi, je ne le vois pas du tout dans le rôle du candidat. Oui, dans le rôle du candide, mais dans le rôle du candidat, celui qui doit promettre, faire rêver, avoir de l'aplomb et à la fin (et aucun grand candidat n'y échappe), dire n'importe quoi car réussir à convaincre la majorité absolue des électeurs d'une France si éclatée à voter sur son nom, forcément, il y aura des malentendus, voire de la tromperie (on se souvient de la guerre contre la finance internationale en 2012 !). Je ne le vois pas sombrer dans une surenchère de démagogie, et cela plus par naïveté que par bonne conscience morale.

    L'institut de sondages sollicité par les proches de François Ruffin est Cluster17. Il a proposé aux sondés deux hypothèses de premier tour : l'une avec François Ruffin comme unique candidat de la gauche, l'autre avec Jean-Luc Mélenchon à sa place. Le reste est inchangé, à savoir Marine Le Pen candidate de RN, Édouard Philippe représentant les couleurs macronistes, Laurent Wauquiez pour LR, sans oublier Éric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan. Le sondage a été réalisé sur Internet du 2 au 5 avril 2024.

    Dans l'hypothèse Ruffin, c'est un coup de tonnerre : il se qualifierait pour le second tour en dépassant Édouard Philippe de 4 points avec 29% d'intentions de vote, à 1 point derrière Marine Le Pen. Le coup de tonnerre n'est pas interne à la gauche mais laisserait entendre que le candidat macroniste pourrait être éjecté dès le premier tour de la compétition. Ce serait une douche froide pour tous les électeurs modérés favorables à la construction européenne et aux valeurs républicaines de progrès.

     

     
     


    Dans l'hypothèse Mélenchon, on retrouverait le rapport de forces de l'élection présidentielle de 2022 : Jean-Luc Mélenchon serait exclu du second tour avec seulement 18%, derrière Édouard Philippe 31% et Marine Le Pen 32%.
     

     
     


    La comparaison des deux hypothèses de premier tour se suffisent à elles-mêmes et ce qu'il fallait démontrer serait ainsi démontré : François Ruffin obtiendrait 11 points de plus que Jean-Luc Mélenchon et dans le package, pourrait concourir pour le second tour face à Marine Le Pen. Et pourrait même être élu !

    Deux hypothèses de second tour ont été testées, mais pas celle la plus probable, Marine Le Pen versus Édouard Philippe, ce qui aurait été intéressant (mais l'association de François Ruffin n'avait sans doute pas assez d'argent pour faire ce troisième test).

    La première hypothèse est Marine Le Pen versus François Ruffin, et ils seraient tous les deux avec le même niveau de voix, à 50% (ce qui fait qu'on ne peut pas conclure).
     

     
     


    Dans la seconde hypothèse, Marine Le Pen versus Jean-Luc Mélenchon, ce dernier s'effondrerait à 35% face à 65% pour la leader du RN. Là encore, la démonstration serait faite que François Ruffin tiendrait bien mieux face à Marine Le Pen que le gourou vieillissant des insoumis.
     

     
     


    Si on osait aller plus loin dans l'analyse, on dirait qu'il y aurait une réelle incohérence entre ces deux hypothèses. En gros, 30% (15%/50%) des électeurs qui auraient voté pour François Ruffin au second tour voteraient pour Marine Le Pen si elle était opposée à Jean-Luc Mélenchon. De même, en comparant les deux hypothèses du premier tour, 38% (11%/29%) des électeurs qui auraient voté pour François Ruffin au premier tour ne voteraient pas pour Jean-Luc Mélenchon si c'était le candidat de la gauche et se reporteraient majoritairement sur Édouard Philippe (6 points sur les 11 points perdus par Jean-Luc Mélenchon), également sur Marine Le Pen (2 points), Nicolas Dupont-Aignan (1 point) et 1 point seulement à gauche (Philippe Poutou).

    Cela montre que le sondage est foireux car il ne prend pas en compte les programmes. Or, que ce soit François Ruffin ou Jean-Luc Mélenchon, c'est bien le programme des insoumis qui serait identique et en vitrine et qui paraît assez incompatible avec un vote Édouard Philippe (par exemple).


    Bien entendu, l'analyse devrait tenir compte de l'abstention, car dans l'hypothèse d'un second tour RN versus FI, beaucoup d'électeurs (ceux du pôle central) n'y retrouveraient plus leurs petits (ce serait mon cas). Mais ce serait aussi le cas entre les deux hypothèses du second tour adoptées : ainsi, 33% des sondés s'abstiendraient dans le cas d'un duel Marine Le Pen versus François Ruffin, tandis que 42% des sondés s'abstiendraient dans le cas d'un duel Marine Le Pen versus Jean-Luc Mélenchon. Cela montrerait surtout que François Ruffin est capable de mieux rassembler la gauche que Jean-Luc Mélenchon, réussissant à préserver l'électorat extrémiste insoumis tout en séduisant la partie plus modérée de la gauche non macroniste, à savoir écologiste et socialiste.
     

     
     


    L'abstention observée au premier tour serait nettement moindre, ce qui est logique dans la mesure où l'offre politique serait plus large : dans le cas d'une candidature de François Ruffin, 23% seraient abstentionnistes, et dans le cas d'une candidature de Jean-Luc Mélenchon, 27% seraient abstentionnistes, ce qui confirmerait qu'une partie des électeurs de gauche rejetteraient absolument Jean-Luc Mélenchon mais seraient prêts à voter François Ruffin. L'ordre de grandeur de l'abstention est compatible avec l'abstention habituellement constatée dans la réalité des élections présidentielles passées.
     

     
     


    Cependant, deux biais gigantesques remettent en question l'intérêt et les conclusions d'un tel sondage (sauf, je le répète, de conclure que les électeurs de gauche, dans leur globalité, préféreraient François Ruffin à Jean-Luc Mélenchon).

    Le premier biais est valable dans tous les sondages, et c'est pour cela qu'au-delà de la simple mesure photographique d'un état de l'opinion qui pourrait évoluer au cours du temps, il y a aussi la marge d'erreur, très importante lorsque les scores se rapprochent de 50%. Dans les mentions officielles, il est dit et répété (notamment sur les slides des résultats) que le sondage est réalisé par Cluster17
    « auprès d'un échantillon de 1 713 personnes représentatif de la population française ». 1 713, c'est déjà pas mal quand souvent d'autres prennent à peine 1 000 personnes.

    Mais il faut aussi lire le détail technique de ce sondage, qui est pourtant clairement expliqué à qui veut le lire précisément. Et ce nombre de 1 713 n'est pas celui qu'il faut prendre pour calculer les intervalles d'incertitude : il est en fait bien plus faible. En effet, il faut prendre en compte ceux, parmi les 1 713 personnes, qui ne sont pas inscrits sur une liste électorale et par conséquent, qui ne voteront de toute façon pas, puis retrancher encore ceux qui n'ont aucune intention de voter, puis pondérer par ceux qui hésiteraient à voter (dont la probabilité de vote est entre 0 et 1).
     

     
     


    Et cela donne nettement moins : seulement 1 238 personnes pour l'hypothèse Ruffin du premier tour. Et 1 063 personnes pour l'hypothèse Marine Le Pen versu François Ruffin au second tour. Inutile d'évoquer les deux hypothèses avec Jean-Luc Mélenchon car la différence des résultats obtenus est trop grande (relativement aux insoumis ou par rapport aux autres candidats) pour que le calcul de la marge d'erreur puisse avoir un intérêt (même si cette marge est plus grande car les personnes sont moins nombreuses à vouloir se plier à ces choix).

    Pour le premier tour avec François Ruffin, l'intérêt est de connaître le niveau d'avance avec Édouard Philippe, 29% par rapport à 25%, c'est important puisque cela préfigurerait le second tour. Cela donnerait ainsi Édouard Philippe à 25% +/- 2,45%, tandis que François Ruffin serait à 29% +/- 2,6% soit : Édouard Philippe entre 22,5% et 27,5% tandis que François Ruffin entre 26,4% et 31,6%. Donc conclure avec ce sondage que François Ruffin dépasserait Édouard Philippe est une grossière erreur puisque les intervalles d'incertitude se chevauchent, d'où, avec les mêmes résultats, la possibilité que le score soit en fait inversé, avec une avance de 1 point, par exemple, de l'ancien Premier Ministre. Mais dans cette même logique, Marine Le Pen, qui serait à 30% +/- 2,6%, c'est-à-dire entre 27,4% et 32,6%, pourrait donc être dépassée par François Ruffin (dans l'incertitude haute pour les insoumis), ce qui reviendrait à dire que le candidat FI serait premier du premier tour (résultat qui, politiquement, a tout de même peu de chance de survenir). Je n'ai pas fait le calcul pour l'hypothèse Mélenchon du premier tour, car ce n'était pas l'objet du sondage, mais il est clair que Marine Le Pen et Édouard Philippe seraient au coude-à-coude et cela pourrait bien sûr être Édouard Philippe au premier rang, dépassant la candidate du RN.
     

     
     


    Dans l'hypothèse du second tour avec François Ruffin, comme les scores seraient de 50% chacun, l'intervalle donné par la fiche technique explique qu'en fait, ils seraient compris entre 47% et 53%. Bref, à peu près l'écart de tous les candidats au second tour sauf en 1965, 1969, 2002, 2017 et 2022. Bref, le sondage dit surtout que tout est possible, nous voilà bien avancés !

    Mais au-delà de ces calculs d'apothicaires de la vie électorale, le sondage de Cluster17 commandé par François Ruffin pêche par un second biais bien plus grave, celui de figer l'ensemble des candidats du premier tour. Si Marine Le Pen, Éric Zemmour, et, dans une moindre mesure, Laurent Wauquiez, ont une forte probabilité de participer au scrutin de 2027, il n'en est pas de même pour les autres. La présence de Nicolas Dupont-Aignan devient moins évidente depuis qu'il s'est retiré des élections européennes (ce qui avantagerait l'extrême droite). De même, le candidat du camp macroniste est loin d'être connu et Gabriel Attal pourrait aussi créer la surprise.

    Toutefois, de toutes ces hypothèses, le biais principal reste l'hypothèse que le candidat insoumis soit le candidat unique de la gauche, de Lutte ouvrière aux radicaux de gauche, en passant par le PS, le PCF, EELV, et FI, ce qui n'est absolument pas crédible alors qu'ils ne s'entendent sur rien ! D'autant plus que l'hypothèse de garder un candidat du NPA, avec Philippe Poutou, est plutôt fantaisiste car ce parti est ruiné (par l'effet attractif de FI) et plutôt unitaire, alors que LO a toujours été autonomiste (refusant même de voter lors du second tour en 2002).


    Toute cette mousse médiatique sur ce sondage est donc assez stérile mais elle prouve deux choses : François Ruffin a envie d'y aller, à la présidentielle de 2027, et il aura des soutiens, de ceux qui veulent que Jean-Luc Mélenchon prennent définitivement sa retraite. L'autre chose est moins agréable pour la gauche : les électeurs de gauche modérés, qui ne supportent pas Jean-Luc Mélenchon et pensent trouver dans le vote pour Raphaël Glucksmann aux élections européennes une voie raisonnable, se trompent complètement : voter Glucksmann, c'est voter PS et donc, à terme, voter pour FI lors des choses sérieuses, en 2027.

    Car si j'explique juste avant que la réunion de toute la gauche à l'élection présidentielle n'est pas crédible dans la situation actuelle, et c'est vrai surtout dans le cas d'une candidature de Jean-Luc Mélenchon (il suffit de voir en 2017 et 2022), ce genre de sondages pourrait, par leur fonction autoréalisatrice, conduire les appareils partisans de gauche à renoncer à se présenter à la présidentielle derrière une figure incontestée parce que peu politique comme celle de François Ruffin, mais, je le répète, derrière François Ruffin restera toujours le programme de FI qui est anti-européen, pro-Poutine, pro-palestinien et qui considère le Hamas comme faisant des actes de résistance légitimes.


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    Sylvain Rakotoarison (21 avril 2024)
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    Pour aller plus loin :

    Sondage secret : le tour de chauffe de François Ruffin !
    Sondage secret : en cas de législatives anticipées, une victoire du RN ?
    Marine Le Pen en tête dans un sondage : attention au buzz !

     
     





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  • Le vote des femmes en France depuis 80 ans

    « De même que nous prétendons rendre la France seule et unique maîtresse chez elle, ainsi ferons-nous en sorte que le peuple français soit seul et unique maître chez lui. En même temps que les Français seront libérés de l'oppression ennemie, toutes leurs libertés intérieures devront leur être rendues. Une fois l'ennemi chassé du territoire, tous les hommes et toutes les femmes de chez nous éliront l'Assemblée Nationale qui décidera souverainement des destinées du pays. » (De Gaulle, le 23 juin 1942).


     

     
     


    Cela fait quatre-vingts ans que les femmes ont le droit de voter en France, le 21 avril 1944. Quatre-vingts ans, c'est beaucoup, et en même temps, c'était hier ! La République a deux cent trente ans, la France plus de mille ans, alors quatre-vingts ans, la vie d'un homme, enfin, d'une femme. J'y songe maintenant : ma grand-mère n'a pas pu voter quelques jours après son mariage, au printemps 1936. Elle avait pourtant 19 ans mais elle n'en avait pas le droit (certes, la majorité électorale était de 21 ans). Elle a dû attendre encore neuf ans ! Ce qui est bizarre, c'est que Léon Blum avait quand même nommé trois femmes dès 1936 dans son gouvernement (dont la chimiste Irène Joliot-Curie).$

    Les femmes françaises (de métropole, précisons-le !) ont le droit de voter à toutes les élections depuis que De Gaulle, chef de la France libre, a signé (promulgué) l'ordonnance du 21 avril 1944 portant organisation des pouvoirs publics en France après la Libération. Dans son article 17, il est donc proclamé : « Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes. ». Mais en fait d'éligibilité, elles étaient déjà éligibles peu avant, dès novembre 1943, puisque plusieurs femmes ont été désignées membres de l'Assemblée consultative provisoire, l'équivalent d'une chambre parlementaire avant les premières élections en 1945. En particulier, en furent membres Marthe Simard, Lucie Aubrac, Marie-Claude Vaillant-Couturier, etc. Cette ordonnance du 21 avril 1944 a été complétée (et le vote des femmes confirmé) le 4 octobre 1944, après la formation du Gouvernement provisoire de la République française. La première application de ce droit a eu lieu le 29 avril 1945 lors des premières élections après le début de la guerre, le premier tour des élections municipales.

    Quant aux scrutins nationaux, les femmes ont pu commencer à voter aux élections pour désigner l'Assemblée Nationale Constituante le 21 octobre 1945 à l'issue desquelles 33 femmes ont été élues députées (17 PCF, 9 MRP, 6 SFIO et 1 PSL/CNIP, aucune radicale !). Madeleine Braun a été la première femme vice-présidente de l'Assemblée Nationale en 1946, Marie-Madeleine Dienesch a été la première femme présidente de commission en 1967 et Denise Cacheux la première femme questeure en 1986. C'était un début qui n'a guère évolué pendant une cinquantaine d'années. Et il faudra attendre 2022 pour voir élire la première femme au perchoir, Yaël Braun-Pivet. Et 1991 et 2022 pour les deux premières femmes Premières Ministres : Édith Cresson et Élisabeth Borne.

    L'histoire a retenu que c'est De Gaulle qui a permis aux femmes de voter. C'est à la fois vrai (et la légende gaulliste n'en est que plus magnifique) et c'est aussi incomplet. Historiquement, beaucoup de personnes, avant De Gaulle, ont contribué à permettre l'aboutissement de ce droit qui, insistons-le !, est arrivé beaucoup trop tardivement en France. Alors que dans l'Ancien Régime, les femmes avaient le droit de vote aux États Généraux quand elles étaient des veuves dotées d'un fief ou des mères abbesses, les révolutionnaires ont complètement oublié les femmes dans leurs belles idées de liberté et d'égalité (et de fraternité, on ne parlait pas de sororité !).

    Pourtant, il y avait déjà des penseurs du vote des femmes. Ainsi, Condorcet a proposé le vote des femmes le 3 juillet 1790 dans un article, et Olympe de Gouges militait pour ce droit en septembre 1791, considérant ceci, fort logiquement : « La femme a le droit de monter sur l'échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la tribune. ». Elle a connu une triste fin, sous la froide lame de la guillotine, mais elle n'aura jamais fréquenté d'isoloir. Les belles âmes républicaines du XIXe siècle ont toujours exclu les femmes de leur universalisme. À la fin de ce siècle-là, des mouvements féministes réclamant ce droit se sont créés un peu partout dans le monde, y compris en France, ce furent les suffragettes, dont fut Louise Weiss (voir première photo en mai 1935). Louise Weiss fut la doyenne du Parlement Européen de 1979 à sa mort, en 1983, et à ce titre, la première femme à avoir présidé le Parlement Européen, avant l'élection de Simone Veil.

    Après la Première Guerre mondiale, l'affaire était pliée intellectuellement : les femmes avaient joué un rôle considérable pendant la guerre et leur citoyenneté devait nécessairement être reconnue. Entre mai 1919 et juillet 1936, pas moins de six propositions de loi allant dans ce sens (reconnaissance du droit de vote des femmes) ont été votées à la Chambre des députés, mais n'ont jamais abouti faute du vote du Sénat, soit parce que la proposition n'a pas été mise à l'ordre du jour, soit par simple "négligence". La cause des femmes était totalement entendue puisque les forces progressistes y étaient évidemment favorables, mais aussi les forces conservatrices, notamment depuis que le pape Benoît XV a approuvé un tel droit le 15 juillet 1919. Il faut aussi rappeler que Maurice Barrès, député pendant la guerre, a proposé en 1916 un texte de loi visant à permettre aux veuves et aux mères de soldats tués à la guerre de voter à leur place.

    La réalité crue, c'est que le vote des femmes a toujours pâti des considérations politiciennes des radicaux, dont le parti dominait le Sénat. Les radicaux s'inquiétaient de la nature du vote des femmes qu'ils pensaient plus proches des conservateurs et des catholiques que de la gauche anticléricale (surtout depuis que le pape a approuvé ce droit). Les députés radicaux votaient ces propositions de loi tandis que les sénateurs radicaux les refusaient, et même, certains députés, qui avaient voté une telle proposition, devenus sénateurs, changeaient leur position, ce qui indiquait que les radicaux faisaient tout pour éviter le vote des femmes sans pour autant le montrer trop ostensiblement (car ce n'était pas très populaire de s'y opposer).

    Paradoxalement, les radicaux qui étaient des républicains ultras en quelque sorte, dépositaires de l'espérance révolutionnaire, ont donc tout fait, sous la Troisième République, pour retarder le vote des femmes et ils en étaient donc les principaux responsables.
     

     
     


    Il faut aussi revoir précisément la construction de cette ordonnance du 21 avril 1944. De Gaulle était favorable au vote des femmes, cela ne fait aucun doute (le 18 mars 1944, il a répété encore à l'Assemblée consultative provisoire : « Le régime nouveau doit comporter une représentation élue par tous les hommes et toutes les femmes de chez nous. »), mais pour autant, il lui fallait convaincre une classe politique qu'il avait tenté de reconstituer avec le CNR avant la Libération. L'Assemblée consultative provisoire n'était pas unanime pour cette mesure pourtant d'égalité. Le député communiste Fernand Grenier (maire de Saint-Denis) présidait la commission de législation et de réforme de l'État et présenta son amendement pour inclure dans le texte de l'ordonnance le droit de vote et surtout l'éligibilité des femmes.

    À l'origine, la commission avait déjà adopté le principe du vote des femmes, mais elle avait néanmoins exclu qu'il fût appliqué dès les élections provisoires qui auraient lieu pendant la Libération (allez savoir pourquoi ! toujours cette idée de freiner et retarder sans cesse). Dans la discussion au sein de l'Assemblée, le député corse Paul Giacobbi a donné un argument récurrent : « Il est établi qu'en temps normal les femmes sont déjà plus nombreuses que les hommes. Que sera-ce à un moment où prisonniers et déportés ne seront pas encore rentrés ? ». Et de conclure : « Pensez-vous qu'il soit très sage dans une période aussi troublée (…) de nous lancer ex-abrupto dans cette aventure ? ». Une "aventure" ! Le résistant Ernest Bissagnet a complété la question : « L'amendement Grenier amènera un déséquilibre très net, car il y aura deux fois plus de femmes que d'hommes qui prendront part au vote. Aurons-nous une image vraie de l'idée du pays ? En raison de ce déséquilibre, je préfère que le suffrage des femmes soit ajourné. ».

    La réponse de Fernand Grenier était alors très simple : « L'éloignement de leur foyer de nombreux prisonniers et déportés qui ont été remplacés dans leurs tâches par leurs femmes confère à ces dernières un droit encore plus fort de voter dès les premières élections. ». Et d'ajouter : « Dans le domaine de la lutte contre l'ennemi, les femmes se sont révélées les égales des hommes, ainsi ces femmes qui, dans tous les domaines, font preuve d'un courage admirable, n'auraient pas le droit de vote ? ». Quant au député SFIO anti-munichois Louis Vallon (futur gaulliste du RPF puis de l'UDT), il retrouvait dans cette discussion les poisons et délices de la Troisième République : « À maintes reprises, le Parlement s'est prononcé à la quasi-unanimité pour le principe du vote des femmes mais, chaque fois, l'on s'est arrangé par des arguments de procédure pour que la réforme n'aboutisse pas. » (cité par Wikipédia).

    L'amendement de Fernand Grenier a été adopté le 24 mars 1944 à Alger par 51 voix pour et 16 contre. Parmi les pour : Paul Antier, Jules Moch, Fernand Grenier, Louis Vallon, Ernest Claudius-Petit, Raymond Aubrac, Emmanuel d'Astier de La Vigerie, Vincent Auriol, Ambroise Croizat, François Billoux, Albert Gazier, Robert Prigent, etc. Parmi les contre : Paul Giacobbi, mais aussi René Cassin, etc. N'ont pas pris part au vote : Félix Gouin (parce qu'il présidait la séance), Pierre Cot, Ernest Bissagnet, Léon Morandat, Albert Guérin, etc.

    Fernand Grenier a ainsi écrit dans ses mémoires : « C'est de cette séance du 24 mars 1944 que date en fait le vote des femmes en France. », se donnant ainsi le beau rôle (c'est l'histoire que racontent encore aujourd'hui le parti communiste). Néanmoins, le site de l'Assemblée Nationale précise l'importance de De Gaulle dans cette évolution en mettant ce bémol : « Mais l'impulsion était venue d'ailleurs. Et cette conclusion semi-parlementaire n'effaçait pas 40 ans d'enlisement du législateur. ».


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    Sylvain Rakotoarison (21 avril 2024)
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    Pour aller plus loin :
    Le vote des femmes en France.
    Femmes, je vous aime !
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    Violences conjugales : le massacre des femmes continue.
    L'IVG dans la Constitution (3) : Emmanuel Macron en fait-il trop ?
    Discours du Président Emmanuel Macron le 8 mars 2024, place Vendôme à Paris, sur l'IVG (texte intégral et vidéo).
    L'IVG dans la Constitution (2) : haute tenue !
    L'IVG dans la Constitution (1) : l'émotion en Congrès.
    La convocation du Parlement en Congrès pour l'IVG.
    L'inscription de l'IVG dans la Constitution ?
    Simone Veil, l’avortement, hier et aujourd’hui…
    L’avortement et Simone Veil.
    Le fœtus est-il une personne à part entière ?
    Le mariage pour tous, 10 ans plus tard.
    Rapport 2023 de SOS Homophobie (à télécharger).
    Six ans plus tard.
    Mariage lesbien à Nancy.
    Mariage posthume, mariage "nécrophile" ? et pourquoi pas entre homosexuels ?
    Mariage annulé : le scandaleux jugement en faveur de la virginité des jeunes mariées.
    Ciel gris sur les mariages.

    Les 20 ans du PACS.
    Ces gens-là.
    L’homosexualité, une maladie occidentale ?
    Le coming out d’une star de la culture.
    Transgenres adolescentes en Suède : la génération sacrifiée.
    PMA : la levée de l’anonymat du donneur.
    La PMA pour toutes les femmes.
     

     
     





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  • Les Cent jours de Gabriel Attal à Matignon

    « Moi, je pense que la politique et que ma responsabilité en tout cas, ce n'est pas seulement de faire des grands récits, c'est aussi de répondre à des petits problèmes et de faire des progrès dans la vie quotidienne des Français. » (Gabriel Attal, le 18 avril 2024 sur BFMTV).



     

     
     


    Journée importante pour le Premier Ministre Gabriel Attal que ce jeudi 18 avril 2024 censé "fêter" (façon de parler) ses 100 jours à Matignon. Et pas n'importe comment : le matin, un discours important à Viry-Châtillon sur le retour à l'autorité chez les enfants et adolescents, et le soir, une émission politique importante sur BFMTV.

    Comme pour tous les Premiers Ministres, le job est un contrat à durée déterminée indéterminée. Le Premier Ministre peut être remplacé du jour au lendemain. Ce qui fait que chaque journée, chaque minute compte, bien évidemment. Pas étonnant qu'au bout de six mois, ils sont d'office décoré de l'ordre national du Mérite. C'est sans doute la fonction la plus épuisante de France, de toutes les fonctions, privées et publiques confondues.


    Sur l'autorité à l'école, Gabriel Attal a tenté de répondre aux faits-divers qui ont endeuillé plusieurs famille pour avoir touché la vie de plusieurs collégiens, en particulier à Viry-Châtillon où un adolescent est mort après avoir été battu près de son collège. Pour le chef du gouvernement, la violence des mineurs provient d'un manque de respect à l'autorité. Gabriel Attal a énuméré un certain nombre de mesures comme l'inscription dans Parcoursup des protestations et des contestations de l'autorité de l'école, ce qui pourra handicaper des élèves violents dans la poursuite de leurs études supérieures, de la signature d'un contrat d'engagement à respecter l'autorité et les valeurs de la République chaque année entre les parents, les établissements et les élèves, la généralisation à l'école primaire des cours d'empathie, la possibilité d'une place en internat pour les jeunes violents pour les éloigner de leurs mauvaises fréquentations, le contrôle de l'âge réel des jeunes qui s'inscrivent dans les réseaux sociaux (il doit être supérieur à 15 ans), avec la possibilité d'une vérification entre l'opérateur et le fichier des inscriptions dans un établissement scolaire, une responsabilisation accrue des parents, en particulier la responsabilité solidaire des réparations financières des deux parents, même s'ils sont séparés, en cas de dégâts provoqués par leur enfant, etc. Pour Alain Duhamel, Gabriel Attal est très crédible dans ce domaine qui a été son leitmotiv quand il a été Ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse.

    L'émission du jeudi soir sur BFMTV était un exercice beaucoup plus périlleux pour le Premier Ministre. Cinq journalistes l'ont interrogé selon des thèmes précis. Gabriel Attal s'est montré à la fois humble et modeste face à sa tâche, et aussi factuel, concret, précis sur les mesures qu'il a prises, souvent en corrigeant les fake-news ou les mauvaises interprétations. Un exemple parmi d'autres : la suppression d'une prime spéciale pour l'alternance. Depuis 2017, il y a eu une forte augmentation des formations en alternance, voulue par le Président de la République. Pendant la crise du covid-19, le gouvernement avait mis en place une prime spéciale pour soutenir l'alternance. La crise étant finie, le gouvernement vient de la supprimer. Ce n'était pas cette prime qui avait permis la progression de l'alternance en France et il faut savoir si on critique le déficit budgétaire (en s'aidant de la Cour des Comptes en passant) ou si on critique le fait de réduire les dépenses publiques (en particulier, la suppression de cette prime spéciale était une mesure préconisée par la Cour des Comptes).

    Toutefois, on pourra regretter que les journalistes qui l'ont interrogé ne l'écoutaient pas et l'interrompaient sans cesse, histoire de montrer qu'ils ne seraient pas allégeants. Comme le veut leur profession, ils essayaient avant tout de faire sortir "la" petite phrase qui ferait le buzz dans les prochains jours, tout en faisant la promotion de leur employeur (en l'occurrence BFMTV). Déviation professionnelle particulièrement néfaste pour avoir une vue éclairée de la vie politique, puisque ce qui compte, à leurs yeux, n'est que de vaines polémiques anecdotiques. Évidemment, pour le professionnel de la communication qu'est Gabriel Attal, il y avait peu de chance qu'il tombât dans les nombreux pièges parfois subtils de ses interviewers, et même de ce côté : tout est de la com' ! En effet, Gabriel Attal a répondu en disant que si tout ce qu'il faisait était de la communication, on ne l'attaquerait pas sur des mesures concrètes, il n'y aurait pas de débat, sur l'assurance-chômage, sur le RSA, etc.

     

     
     


    Parmi les pièges, Ulysse Gosset a beaucoup interrogé Gabriel Attal sur la situation en Ukraine et au Proche-Orient (on note au passage que le Premier Ministre était assez convaincant sur ces sujets qu'ils connaissaient pourtant assez mal par son expérience gouvernementale, même si le Premier Ministre est responsable de la défense nationale et qu'à ce titre, il est membre du conseil de défense).

    Ulysse Gosset lui a demandé quelle serait la position de la France, qui soutiendrait-elle ?, en cas d'escalade et de guerre directe entre Israël et l'Iran. Malgré l'insistance du questionneur chevronné, Gabriel Attal s'est bien gardé de répondre à cette question qui se base sur une hypothèse dans laquelle il refuse de se placer puisque la France fait tout diplomatiquement pour éviter une telle escalade et une telle guerre. En se plaçant dans ces conditions de guerre, cela signifierait que la France les aurait déjà tenues pour acquises.

    Mais la palme revient à Benjamin Duhamel pour les questions de politique politicienne particulièrement sans intérêt. Gabriel Attal a sans doute peu convaincu lorsqu'il a dit qu'il ne songeait pas à l'élection présidentielle de 2027 (contrairement à certains rivaux dans la majorité comme Édouard Philippe, Bruno Le Maire et Gérald Darmanin), mais finalement, on peut imaginer sa sincérité. Il est Premier Ministre, donc, comme le disait Georges Pompidou, dès qu'il a posé le pied à Matignon, l'hypothèse de l'Élysée se diffuse, mais d'un autre côté, cette fonction étant terriblement à court terme, où il doit éteindre des incendies, répondre à des urgences, qu'il n'a même pas le temps de voir un horizon à trois mois, alors, à trois ans, c'est très loin et personne ne pourra dire où il sera à cette date. En revanche, lui se voit mal encore dans la vie politique dans vingt ou trente ans.

     

     
     


    La question de Benjamin Duhamel sur le vote d'une éventuelle motion de censure cet automne contre le projet de loi de finance, comme le menace le groupe LR, paraît aussi fantaisiste qu'une guerre réelle entre Israël et l'Iran : pourquoi dire ce que ferait le gouvernement dans un tel cas alors qu'il pourrait ne jamais survenir ? Il faut noter qu'en cas de vote d'une motion de censure, Gabriel Attal le considérerait comme un événement politique majeur (il n'a pas tort). Et la réaction à un tel événement n'est d'ailleurs pas du ressort du Premier Ministre mais du Président de la République (changement de Premier Ministre, dissolution, référendum...).

    Pas de réponse satisfaisante pour les porteurs d'audience non plus à propos de la petite phrase de Laurent Fabius évoquée de manière très imprécise par Benjamin Duhamel. À l'époque, c'était son oncle Alain Duhamel qui avait posé la question le 5 septembre 1984 dans "L'Heure de vérité" sur Antenne 2 au tout jeune Premier Ministre Laurent Fabius : « Vous avez tout appris de la politique auprès de François Mitterrand. Peut-on être un chef de gouvernement autonome lorsque l’on devient le premier collaborateur de celui dont on a toujours été le collaborateur ? ». Et Laurent Fabius de répondre : « Je vais vous faire une révélation, lui, c’est lui, moi c’est moi ! ». Benjamin Duhamel aurait rêvé d'une telle nouvelle petite phrase qui resterait dans les annales de l'histoire audiovisuelle. Mais il faut pour cela être un peu plus malin ! Démentant les éventuels désaccords entre Emmanuel Macron et lui-même, Gabriel Attal a insisté pour dire que ces rumeurs existent depuis qu'existe le couple Président/Premier Ministre et que, de toute façon, ils sont deux personnes différentes, donc forcément il y a des nuances.

    Gabriel Attal a voulu montrer d'abord l'image d'un Premier Ministre qui allait au charbon, qui travaillait, qui s'occupait des gens, qui ne pensait pas en se rasant ce qu'il deviendrait plus tard mais qui se demandait ce qu'il pourrait faire tout de suite pour servir le pays et les Français. S'il a été très pugnace dans ses critiques contre le RN (en particulier, leur vulgarité de langage qui n'est pas sans faire penser aussi aux comportements violents à l'école), il n'a pas montré beaucoup d'arrogance et a même laissé entendre qu'il restait impressionné par ses fonctions. Il a refusé de parler d'enfer de Matignon alors que c'est une mission exaltante et qu'on peut toujours quitter si c'est trop difficile. À la question sur : à qui demandez-vous conseil pour certaines questions difficiles ?, le Premier Ministre a été étonnamment sincère : il en parle avec ses conseillers (qui en douterait ?), ses ministres concernés ...et sa famille. Mais il ne consulte pas des personnalités comme François Bayrou ou Édouard Philippe, par exemple. Sa réponse franche montre surtout à quel point, au sommet de l'État, le pouvoir est excessivement solitaire.

    Quant à la campagne des élections européennes, Gabriel Attal a estimé qu'elle n'avait pas encore vraiment commencé et que la question sur l'avenir de l'Europe n'intéressait pas les journalistes ni l'opposition qui ne pensent qu'à en faire une étape nationale sur le chemin de la prochaine présidentielle. Seule la liste menée par Valérie Hayer pense réellement à l'Europe, avec des projets concrets. En somme, Gabriel Attal devrait tout être : chef du gouvernement, ministre de tout... et tête de liste aux européennes. En tout cas, il a expliqué que son adversaire n'était pas Jordan Bardella, député européen, mais Marine Le Pen puisqu'en tant que Premier Ministre, il est avant tout responsable devant le Parlement et que Marine Le Pen est la présidente du plus grand groupe d'opposition. C'est donc un débat avec Marine Le Pen, qu'elle refuse, qu'il a proposé à nouveau pour faire comprendre aux Français les différences (majeures) de l'offre politique.



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    Sylvain Rakotoarison (18 avril 2024)
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    Pour aller plus loin :
    Les Cent jours de Gabriel Attal à Matignon.
    Ukraine : Gabriel Attal attaque durement le RN et Marine Le Pen !
    Séminaire gouvernemental, conseil de cabinet et conseil des ministres.
    Les souris du gouvernement de Gabriel Attal.
    Liste complète de tous membres du premier gouvernement de Gabriel Attal au 8 février 2024.
    Mais quelle mouche a donc piqué François Bayrou ?!
    Le capitaine Gabriel Attal fixe le cap du réarmement de la France.
    Discours de politique générale du Premier Ministre Gabriel Attal le 30 janvier 2024 à l'Assemblée Nationale (texte intégral et vidéo).
    Les 10 mesures de Gabriel Attal insuffisantes pour éteindre la crise agricole.
    Gabriel Attal répond à Patrick Kanner sur les crédits pour l'hôpital.
    Pour que la France reste la France !

    Conférence de presse du Président Emmanuel Macron le 16 janvier 2024 à 20 heures 15 à l'Élysée (texte intégral et vidéo).
    Gabriel Macron.
    Tribune du Président Emmanuel Macron dans "Le Monde" du 29 décembre 2023.

    Le gouvernement de Gabriel Attal sarkozysé.
    Liste complète des membres du premier gouvernement de Gabriel Attal.
    Cérémonie de passation des pouvoirs à Matignon le 9 janvier 2024 (texte intégral et vidéo).
    Gabriel Attal plongé dans l'enfer de Matignon.
    Élisabeth Borne remerciée !
    Macron 2024 : bientôt le grand remplacement ...à Matignon ?
    Vœux 2024 d'Emmanuel Macron : mes chers compatriotes, l’action n’est pas une option !












    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240418-gabriel-attal.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/les-cent-jours-de-gabriel-attal-a-254233

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/18/article-sr-20240418-gabriel-attal.html




     

  • Olivier Besancenot et le facteur temps

    « La plupart des gens ont intériorisé qu’ils ne pouvaient se représenter eux-mêmes. Qu’il fallait des intermédiaires. Que la politique est affaire de gens sérieux. Quand nous présentons un facteur ou un ouvrier de l’automobile à la présidentielle, ils disent que c’est formidable… mais pas crédible. (…) Prendre la parole, aujourd’hui, est le premier acte de résistance. Refuser que d’autres la prenne pour nous, c’est le premier geste d’émancipation. » (Olivier Besancenot, le 13 novembre 2017).



     

     
     


    Prendre la parole, c'est ce que sait faire avec talent l'ancien candidat trotskiste à l'élection présidentielle Olivier Besancenot qui fête son 50e anniversaire ce jeudi 18 avril 2024. Malgré cet âge seuil, l'homme garde son visage d'adolescent.

    Comme l'expliquait en effet Nicolas Domenach le 26 mars 2018 dans "Challenges", et c'est encore d'actualité, le (jeune) homme a « un talent "d’affranchi" qui en fait "un bon client" des hauts plateaux médiatiques. Il a toujours son visage poupin, ses joues rebondies d’écureuil de la poste pleines de noisettes et de punchlines qu’il distribue allègrement. (…) Il bénéficie du mythe positif de l’employé des postes qui fait du lien social avec ses lettres et ses sourires. C’est le facteur des Jours heureux de Jacques Tati… Mais ce non-sectaire appartient aussi à une famille politique frappée de scissiparité sectaire aiguë. Vous mettez deux trotskystes ensemble et ça finit par faire trois tendances. Au moins… ».

    Des deux principales formations trotskistes, le NPA (Nouveau parti anticapitaliste), issu de la LCR (Ligue communiste révolutionnaire), créé le 5 février 2009, n'a pas toujours été au rendez-vous des élections présidentielles, tandis que LO (Lutte ouvrière) a montré une très grande assiduité avec ses deux porte-parole historiques, Arlette Laguiller et Nathalie Arthaud. En revanche, le mouvement d'Olivier Besancenot (LCR puis NPA) a fait souvent de la jeunesse un tremplin ou un argument. Alain Krivine avait 27 ans (à un mois de ses 28 ans) quand il s'est présenté à l'élection présidentielle de 1969 (il était même en train d'effectuer son service militaire quand il s'est présenté !).

    Olivier Besancenot n'a donc pas battu ce record de jeunesse, mais n'en était pas loin en 2002 à 28 ans et quelques jours. Normalement, il était prévu une candidature commune de LO et de la LCR, pour confirmer le succès de cette union électorale réalisée aux élections européennes de 1999 (pour la première fois, les trotskistes avaient gagné cinq sièges au Parlement Européen dont Arlette Laguiller, Alain Krivine et Roseline Vachetta). Toutefois, les négociations n'ont pas abouti et il y a eu ...trois candidats trotskistes à l'élection présidentielle de 2002 dont Olivier Besancenot, inconnu du grand public, qui a fait très bonne impression par sa jeunesse, sa spontanéité, mais aussi son habileté à sortir ses éléments de langage de militant d'extrême gauche.


    Car c'est bien cela qui prime dans la communication politique : une bonne tête d'honnête homme, un homme sympa, à qui on confierait ses enfants comme à un jeune oncle. Pourtant, il est redoutable, tant dans les interviews que dans les débats. Il a appris toutes ses leçons excellemment et il les répète avec l'aisance d'un bon acteur de théâtre. Son slogan simpliste de 2002 était imparable : « Nos vies valent plus que leurs profits ! ». Cette séparation entre "nous" et "eux" est propre aux extrémismes, à gauche contre les riches, à droite contre les personnes d'origine étrangères, mais à la fin, ça revient au même, c'est séparer le peuple dont tout le monde fait partie.

    Beaucoup d'électeurs de gauche un peu déprimés par Lionel Jospin ont été séduits par cette facilité d'argumentation. Résultat, au lieu du 1% habituellement obtenu par la LCR, Olivier Besancenot a recueilli 4,2% des suffrages exprimés, soit 1,2 million de voix ! Et cet exploit s'est réalisé dans un contexte où Arlette Laguiller a obtenu, elle aussi, un bon score, 5,7% des voix (1,6 million de voix), ce qui fait, en rajoutant le troisième larron d'extrême gauche Daniel Gluckstein du Parti des travailleurs, 10,4% des suffrages exprimés (près de 3 millions de voix !). Cette élection était particulière puisque Jean-Marie Le Pen venait d'être qualifié au second tour.

    Après avoir mené une liste aux élections européennes de 2004 (où il a obtenu 2,8%), Olivier Besancenot s'est présenté à nouveau à l'élection présidentielle de 2007 (il a réuni 4 000 personnes dans un meeting électoral le 18 avril 2007 à la Mutualité de Paris, ce qui est un record pour la LCR) avec le même succès qu'en 2002 (il a obtenu 1,5 million de voix, soit 4,1%) tandis qu'Arlette Laguiller avait terminé son temps avec seulement 1,3% des voix. Olivier Besancenot a montré qu'il avait une grand capacité à être le porte-parole des trotskistes. Après lui, en 2012, en 2017 et en 2022, Philippe Poutou, candidat du NPA, n'allait faire qu'autour de 1% des suffrages (et Nathalie Arthaud, candidate de LO, seulement la moitié).

    Dans les années 2000, Olivier Besancenot a donc été placé sous les projecteurs et sa stratégie unitaire a porté quelques fruits. Il est favorable à des mouvements sociaux unitaires contre Nicolas Sarkozy, puis contre François Hollande, puis contre Emmanuel Macron. Pour lui, c'est simple, les gouvernements sont vendus au méchant patronat qui ne fait qu'exploiter les pauvres ouvriers (en oubliant d'ailleurs que beaucoup ne sont plus ouvriers mais demandeurs d'emploi). Cette ode à l'unité a même failli griller la priorité à Jean-Luc Mélenchon qui, cependant, a un talent de tribun inégalable, au point d'avoir su recueillir cette part électorale de l'extrême gauche en 2017 et 2022.

    Facteur, Olivier Besancenot pouvait compter sur la popularité d'un tel métier, ciment relationnel entre les habitants. Après avoir longtemps distribué le courrier, il s'est retrouvé ensuite derrière un guichet dans Paris intra muros. Ce qui est notable, c'est qu'il a une licence d'histoire, qui n'était probablement pas un diplôme nécessaire pour avoir son concours de la Poste (il est l'auteur de douze livres). Même si son salaire est de misère (parce qu'il travaille à temps partiel), il n'est pas issu d'un milieu ouvrier et sa liaison avec une éditrice qui a bien réussi professionnellement relativise sa précarité matérielle (de plus, il a été collaborateur parlementaire d'Alain Krivine de 1999 à 2000 à Strasbourg). Dans le rôle de l'ouvrier, Philippe Poutou est beaucoup plus convaincant, tellement sa spontanéité rejaillit de ses paroles.


    Fils d'un prof et d'une psychologue scolaire, il a passé son enfance à Louviers, ville dont Pierre Mendès France fut le maire il y a très longtemps. Il a commencé son militantisme à l'âge de 14 ans avec SOS Racisme et la JCR (jeunesse LCR), puis l'UNEF quand il était étudiant, puis la CGT et enfin Sud-PTT. On peut comprendre à quel point il est un militant exemplaire et appliqué de l'extrême gauche (ou gauche antilibérale). Très médiatique, sa participation dans des émissions de divertissement a aussi été très critiquée, même s'il faut saluer son exploit d'avoir réuni 2,7 millions de téléspectateurs (beaucoup plus que d'électeurs !) lors de son passage chez Michel Drucker le 11 mai 2008.
     

     
     


    C'était sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy qu'Olivier Besancenot a eu le plus de visibilité médiatique. Il faut dire que le Président de la République (le dernier issu des rangs gaullistes) avait voulu le promouvoir malgré leurs différences politiques évidentes. En effet, pour Nicolas Sarkozy, Olivier Besancenot, qui pourrait atteindre 10% des voix, devait être au parti socialiste ce que la famille Le Pen est pour la droite modérée, un extrémisme qui les empêcherait durablement d'atteindre une majorité absolue. Mais cette manœuvre n'a pas fonctionné par manque d'audience électorale de porte-parole du NPA.

    Candidat aux élections régionales de mars 2010 en Île-de-France (où il a recueilli 3,1% des voix), Olivier Besancenot s'est représenté aux élections européennes de 2014 mais n'a obtenu que 0,8% des voix. Reflux. En novembre 2018, il a fait son retour politique pour soutenir les gilets jaunes et les mouvements sociaux contre les réformes du gouvernement.

    Olivier Besancenot constatait sur France Inter le 12 septembre 2017 que les résultats électoraux pouvaient beaucoup fluctuer, sans position acquise : « En politique, la fortune est capricieuse (...) On vit une crise politique telle qu'il y a des forces politiques qui peuvent être propulsées sur le devant de la scène en quelques mois (...) et d'autres balayées en quelques mois . ».


    Le 13 novembre 2017 devant des militants d'extrême gauche, après avoir reconnu l'échec du NPA (« Nous avons fait l’erreur de croire que nous pouvions rassembler seuls toute la gauche de la gauche française. Or celle-ci est bien trop diverse et attachée à ses bannières pour se rassembler de cette façon. »), Olivier Besancenot faisait état de la situation politique, en évoquant Jean-Luc Mélenchon : « La FI a une responsabilité particulière car elle a fait 19% et réuni des foules considérables, dont énormément de militants prêts à en découdre. Une nouvelle radicalité est en train de surgir du mouvement social. On le voit dans l’écologie, dans les luttes des migrants, des antinucléaire, même dans le milieu syndical. Mais la FI ne pourra pas tous les représenter. Impossible. Moi, je ne pourrais jamais. Chanter la Marseillaise ? Faut pas me le demander, je pourrais pas ! Mais c’est pas grave, on pourra quand même faire de grandes choses ensemble ! (…) France insoumise est en train de réaliser à son tour qu’elle est incapable d’unifier la gauche. De plus, son comportement très directif sur le mouvement social a été catastrophique. Au NPA, nous nous refusons à hiérarchiser le politique et le social, nous aspirons à une fusion de ces thématiques mais dans le respect de la liberté syndicale. (…) Nous devons trouver un espace commun d’action, alliant démocratie et maintien de notre autonomie, de nos identités. Ni la France insoumise ni le NPA ne peuvent réaliser cela, il va falloir inventer autre chose. » (source : NPA).

    Issus de traditions politiques très différentes, Olivier Besancenot et Jean-Luc Mélenchon ont en commun le talent du verbe et de l'argumentation dans le combat contre l'ordre capitaliste : le premier ne serait-il donc pas l'héritier le plus efficace du second ?


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (17 avril 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Olivier Besancenot.
    Arlette Laguiller.
    Alain Krivine.
    Pierre Juquin.
    Romain Goupil.
    50 ans de mai 1968.
    Daniel Cohn-Bendit.
    Nathalie Arthaud.
    Philippe Poutou.
    Rencontre surréaliste avec Trotski.
    Trotski.
    Les 200 ans de Karl Marx.
    Le Capital de Karl Marx.
    Totalitarismologie du XXe siècle.
    La Révolution russe.
     

     
     




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    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/olivier-besancenot-et-le-facteur-253907

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/12/article-sr-20240418-olivier-besancenot.html