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matignon - Page 9

  • Législatives 2024 (21) : marche sur Matignon ?

    « En plein déni, la droite rêve éveillée. Mais elle n'est pas la seule, me semble-t-il. Soit ils rêvent, soit nous rêvons. L'un des deux rêve. Il est aussi possible que tous deux rêvent en même temps. » (Daniel Schneidermann, le 10 juillet 2024).



     

     
     


    L'éditorialiste mélenchonisé depuis des mois (que j'appréciais parfois auparavant) Daniel Schneidermann a eu cette petite lueur de lucidité : oui, il rêve. Et la marche sur Matignon hurlée par Adrien Quatennens, ancien député FI, qui ferait mieux de rester discret, manque un peu ...d'esprit de responsabilité. Je ne cite pas certains députés insoumis qui parlent du "forcené de l'Élysée" et d'autres expressions qui montrent à l'évidence que ce groupe de quelque 75 députés, dont une petite moitié élue dès le premier tour (félicitation), n'a aucune intention de gouverner la France. Même la venue de Jean-Luc Mélenchon, ex-député, au Palais-Bourbon le 9 juillet 2024 prouve que sa seule obsession est l'élection présidentielle de 2027. Alors, dans ces conditions, qui pourrait donc devenir Premier Ministre ?

    Le déni est généralisé : ce sont des nuls en arithmétiques qui voudraient gouverner la France. Pas étonnant puisqu'ils sont aussi nuls en économie avec l'objectif de faire des dizaines de milliards d'euros de dépenses publiques supplémentaires alors qu'il faudrait plutôt faire 65 milliards d'euros d'économie en 2025 si on veut commencer à réduire notre dette sérieusement. C'est le problème historique de la gauche : ils ne savent pas compter. Ni à l'Assemblée, ni pour les finances publiques.

    Alors, les mathématiques sont implacables et on peut d'ailleurs dire que c'est un sale coup des électeurs : 182 (le nombre approximatif de députés NFP) ne feront jamais 289 (la majorité absolue à l'Assemblée Nationale). La majorité macroniste avait pu survivre tant bien que mal (plutôt mal) avec une majorité relative de seulement 250 députés, mais c'est parce qu'elle bénéficiait, entre 2022 et 2024, de la clémence du groupe LR tandis que le total Nupes + RN ne faisait pas les 289 sièges nécessaires au vote d'une motion de censure. Laurent Wauquiez, élu président du nouveau groupe LR (rebaptisé Droite républicaine), a averti calmement : si le gouvernement comportait un seul ministre insoumis, le groupe LR déposerait immédiatement une motion de censure. Et on sait qu'elle serait adoptée puisque Renaissance et le RN s'y rallieraient.

    Alors, il est faux de dire que la nouvelle farce populaire (NFP) a gagné les élections législatives. C'est pourtant ce qu'on entend depuis trois jours sur les plateaux de télévision avec quelques journalistes complaisants. Eh bien, non ! Le NFP n'a pas gagné les élections, et c'est même le bordel. En revanche, ses dirigeants n'ont pas beaucoup de respect pour le Président de la République qu'ils accusent de manquement démocratique, et c'est très paradoxal, car même si Emmanuel Macron interprétait de la même manière la situation, qui devrait-il appeler ? Ils ne sont pas capables, pour l'instant, non seulement de choisir leur potentiel Premier Ministre, mais même de se mettre d'accord sur son mode de désignation !

     

     
     


    Ainsi, tous les noms affluent : Jean-Luc Mélenchon, Manuel Bompard, Mathilde Panot, Clémence Guetté, Olivier Faure, François Hollande, Jérôme Guedj, Boris Vallaud, Marine Tondelier, François Ruffin, Clémentine Autain... qui d'autres encore ? Dure tâche du Président de la République qui n'est pas en mesure d'avoir un seul interlocuteur de cette union bâclée et hypocrite puisqu'ils ne sont d'accord sur pas grand-chose (nucléaire, Ukraine, Israël, etc.). Cela donne d'ailleurs un arrière-goût d'arrière-boutique particulièrement nauséabond. C'est le problème quand leurs électeurs ont pris leur imposture au sérieux.
     

     
     


    Rappelons l'époque des cohabitations, des "vraies" cohabitations, quand l'opposition remportait la majorité absolue des sièges face à un Président de la République défait. En 1986 avec Jacques Chirac, en 1993 avec Édouard Balladur, en 1997 avec Lionel Jospin, tout était clair pour les électeurs : on savait qui était le prétendant à Matignon en cas de victoire de l'opposition et le Président de la République n'avait d'autre choix que de le nommer. Il y avait aussi le syndrome d'Iznogoud, selon l'évocation de Benjamin Morel : tous ces Premiers Ministres voulaient devenir, à l'issue de la cohabitation, Présidents de la République, si bien qu'ils ont exercé leurs pouvoirs à Matignon prudemment en respectant les prérogatives du Président de la République qui pourraient devenir les leurs quelques années plus tard. C'est pour cela que les sorties de Marine Le Pen sur le "chef des armées à titre honorifique" ou le "coup d'État administratif" étaient malvenues pour une prétendante au trône. Cela a contribué à la défaite du RN.

    Avant les élections législatives de 2024, en cas de victoire du NFP, on ne savait pas qui sortirait du chapeau. C'est même bien pire : dans les meilleurs scénarios, il était impensable que la gauche puisse gagner (et d'ailleurs, elle n'a pas gagné). C'était même l'argument phare d'un revenant, Dominique Strauss-Kahn qui exhortait les électeurs du centre et de droite de voter même pour un candidat insoumis face à un candidat RN, puisque de toute façon, le NFP ne gagnerait pas et son programme ne serait jamais appliqué. Une véritable tromperie quand on voit aujourd'hui Jean-Luc Mélenchon et ses sbires imposer le programme du NFP à l'ensemble de ses supposés partenaires, tous élus en partie grâce aux désistements du bloc modéré et à ses électeurs, alors qu'en plus, aucune majorité n'est possible dans une telle configuration.

    À droite de l'échiquier, il n'y a pas la prétention de diriger le gouvernement, ou plutôt, pas vraiment. À l'extrême droite, ce que Jordan Bardella, aimant l'hypocrisie, nomme "victoire différée" pour "défaite", empêche les députés RN de prétendre gouverner la France (au contraire de ce qu'ils répétaient matin midi et soir pendant quatre semaines). Du côté LR, Laurent Wauquiez a évacué l'idée d'une grande coalition, et on le comprend un peu, les députés LR auraient tout à y perdre. Néanmoins, il y a d'autres petites musiques au sein de LR, en particulier l'ancien président du groupe LR Olivier Marleix, ou encore Xavier Bertrand (qui y croit dur comme fer), poussés par l'ancien Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin (qui leur dit : mettez-vous au travail !), qui évoquent la possibilité d'un gouvernement incluant des LR.

    Il faut également reconnaître que Renaissance n'a pas non plus gagné les élections, les macronistes ont perdu des dizaines de circonscriptions et ne sont pas en mesure, seuls, de continuer à gouverner la France. Alors que faire ? La première chose est politique et pas personnelle. Il faut une grande coalition, ce qui signifie aussi que, sans se renier, les partis doivent quitter leur programme initial pour réfléchir sur un certain nombre de mesures avec lesquelles ils seraient d'accord dans l'intérêt du pays et qui constitueraient l'ossature politique d'une grande coalition. C'est difficile à faire car c'est nouveau, c'est inédit institutionnellement.

    Finalement, c'est ce que le Président Emmanuel Macron a rappelé le 10 juillet 2024 dans sa lettre aux Français juste avant son départ pour le Sommet de l'OTAN : s'il y a un vainqueur, qui a soulagé plus de 60% des électeurs le dimanche soir, c'est bien le front républicain. Et c'est bien un gouvernement de front républicain qu'il faut constituer car il n'y en aura pas d'autre viable pendant un an.

     

     
     


    Sa enseignement, c'est : « Si l’extrême-droite est arrivée en tête au premier tour avec près de 11 millions de voix, vous avez clairement refusé qu'elle accède au gouvernement. ». Cela, tout le monde l'admet, y compris le RN. La suite : « Personne ne l’a emporté. Aucune force politique n’obtient seule une majorité suffisante et les blocs ou coalitions qui ressortent de ces élections sont tous minoritaires. Divisées au premier tour, unies par les désistements réciproques au second, élues grâce aux voix des électeurs de leurs anciens adversaires, seules les forces républicaines représentent une majorité absolue. La nature de ces élections, marquées par une demande claire de changement et de partage du pouvoir, les oblige d’ailleurs à bâtir un large rassemblement. ». Avec cette expression, il n'y a pas de déni démocratique : Emmanuel Macron reconnaît clairement une "demande claire de changement". Chaque mot a été pesé.

    Remarquons en passant que quoi que fasse Emmanuel Macron, ce n'est pas bien. Il parle : pas bien. Il reste silencieux : pas bien. Il donne la parole au peuple : pas bien. Il propose une méthode pour former le gouvernement, vu que personne n'est capable de le faire : pas bien. Je rappelle que les candidats aux gouvernements de cohabitation étaient relativement prudents dans le respect qu'ils doivent au Président de la République qui, dans le passé, que ce soit François Mitterrand ou Jacques Chirac, ont mis des veto pour la nomination de personnalités qui leur ont manqué de respect. Il y a un minimum d'éducation à respecter dans la pratique des institutions.

    Cette "demande claire de changement" doit donner une piste pour Matignon : la personnalité qui devrait être nommée ne doit pas appartenir à l'ancienne majorité macroniste et à sa proche "banlieue". Cela exclut ainsi tant François Bayrou (qui aurait été assez crédible) que Jean-Louis Borloo dont l'hypothèse un peu farfelue avait germé dans les réseaux sociaux. Il n'y a donc pas trente-six mille possibilités. Cela signifie donc qu'elle devrait émaner soit de LR, soit du PS. Donc, pas d'électron libre (comme Raphaël Glucksmann dont la candeur et l'inexpérience des joutes parlementaires le disqualifieraient assurément) ni des personnalités comme Gabriel Attal, qui, bien que très populaire, ne peut absolument pas se maintenir très longtemps à Matignon, sinon le temps de trouver son successeur.

     

     
     


    À mon sens, vu la configuration de l'Assemblée, le PS a une position cruciale dans cette grande coalition de front républicain. Avec Olivier Faure sur la même ligne que Jean-Luc Mélenchon, le PS est en train de se griller stupidement : aucune solution viable ne peut naître en voulant conserver obstinément et exclusivement le programme du NFP. Aucun député macroniste ne pourrait accepter de défaire ce qu'il avait fait dans les législatures précédentes. La grande coalition ne peut naître et vivre que sur le tombeau du NFP.

    S'il devait perdurer, le dogmatisme de la gauche aboutirait à un déplacement fort du barycentre : seul le bloc modéré pourrait gouverner, et il serait plus nombreux que le bloc de gauche (autour de 220-230). Pour certains, comme Xavier Bertrand qui meurt d'envie d'être le chef d'un "gouvernement provisoire", il serait plus logique que la grande coalition se fasse vers la droite que vers la gauche du bloc central, puisqu'il y a une grande majorité des électeurs qui ont voté à droite voire extrême droite (47% pour la droite et l'extrême droite contre 27% pour la gauche et extrême gauche). En fait, le raisonnement a un défaut, c'est que le RN serait exclu de cette grande coalition, si bien que le front républicain est effectivement plus à gauche et pas plus à droite que le bloc central.

    Mais avant toute chose, il y a les électeurs. Au moins un tiers est meurtri de ne pas voir ses idées au gouvernement, les électeurs du RN, et un autre tiers risque d'être frustré ne pas voir ses idées non plus au gouvernement, du moins dans leur globalité. Ce gouvernement de front républicain doit donc être un gouvernement de large rassemblement qui se focalise d'abord sur les Français, leurs conditions. Son accouchement sera très douloureux, sa viabilité très aléatoire, mais l'enjeu est énorme : avec autour de 140 députés, le RN va recevoir près de 30 millions d'euros par an (un peu moins), ce sera le parti le plus riche de France, avec ses collaborateurs parlementaires, il pourra les envoyer dans les centaines de circonscriptions aux prochaines élections législatives, là où ses candidats étaient un peu pauvrets en CV (dirons-nous), et la déception, le découragement et la colère des Français seraient redoutables si les acteurs politiques actuels en restaient, comme ces trois premiers jours, dans des considérations de combines politiciennes et de carrières personnelles.

    C'est le sens de cette lettre présentielle : députés, réveillez-vous ! Le peuple vous attend ! Soyez enfin responsables et à la hauteur des enjeux !


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (10 juillet 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Législatives 2024 (21) : marche sur Matignon ?
    Lettre aux Français par Emmanuel Macron le 10 juillet 2024 (texte intégral).
    Législatives 2024 (20) : le poison du scrutin proportionnel.
    Législatives 2024 (19) : quel possible Premier Ministre pour une impossible majorité ?
    Législatives 2024 (18) : la fin du cauchemar Bardella (pour le moment).
    Résultats du second tour des élections législatives du 7 juillet 2024.
    Fake news : la scandaleuse manipulation politique du RN.
    Législatives 2024 (17) : rien n'est joué dimanche prochain !
    Législatives 2024 (16) : la question de dimanche prochain.
    Législatives 2024 (15) : les promesses n'engagent que ceux qui y croient !
    Législatives 2024 (14) : la revanche des gilets jaunes ?
    Législatives 2024 (13) : fortes mobilisations au premier tour.
    Résultats du premier tour des élections législatives du 30 juin 2024.
    Appel aux sociaux-démocrates.
    Éric Le Boucher : la France va plutôt bien (27 juin 2024).
    Législatives 2024 (12) : un isoloir, ce n'est pas un cabine d'essayage !
    Législatives 2024 (11) : front, rassemblement, union nationale, barrage, consignes de vote...
    Législatives 2024 (10) : il était une fois Jordan Bardella, Gabriel Attal et Manuel Bompard.
    Législatives 2024 (9) : Emmanuel Macron et son n'ayez-pas-peur !
    Interview d'Emmanuel Macron à Génération Do It Yourself le 24 juin 2024 (podcast intégral).
    Lettre aux Français d'Emmanuel Macron le 23 juin 2024 (texte intégral).
    Législatives 2024 (8) : la bataille de Matignon.
    Le programme aux élections législatives du 30 juin 2024 d'Ensemble pour la République (document à télécharger).
    Législatives 2024 (7) : Ensemble pour la République.
    Législatives 2024 (6) : Nicolas Sarkozy et François Fillon bougent encore !
    Législatives 2024 (5) : le trouble de Lionel Jospin.
    Législatives 2024 (4) : l'angoisse de Manuel Valls.
    Législatives 2024 (3) : François Hollande dans l'irresponsabilité totale !
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Sidération institutionnelle.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Résultats des élections européennes du dimanche 9 juin 2024.

     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240710-matignon.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/legislatives-2024-21-marche-sur-255753

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/07/10/article-sr-20240710-matignon.html



     

  • Législatives 2024 (8) : la bataille de Matignon entre Jean-Luc Mélenchon, Jordan Bardella et Gabriel Attal

    « Elle songea qu'ils se trompaient probablement tous les uns les autres et qu'ils vivaient dans une illusion. » (Marie Vareille, "Ma vie, mon ex et autres calamités", éd. Charleston, 2019).




     

     
     


    L'enjeu qu'a voulu placer le Premier Ministre Gabriel Attal dans ces élections législatives, c'est le choix du Premier Ministre le 8 juillet 2024. C'est aussi l'enjeu de Jordan Bardella, le président du RN, et également, mais de façon un peu plus confus, de la nouvelle farce populaire. Pourtant, je l'ai déjà écrit, la nomination du Premier Ministre est une prérogative exclusive du Président de la République. En d'autres termes, sur le principe, on n'est jamais candidat à Matignon. Ce serait presque un crime de lèse-Président, voire un manière très peu constitutionnelle d'appréhender les institutions.

    Toutefois, dans la pratique, il est bien autrement. On a pu découvrir et se convaincre, avec les trois expériences de la cohabitation (1986-1988, 1993-1995 et 1997-2002), que le pouvoir se trouvait réellement, en pratique, je répète, à Matignon et pas à l'Élysée. Sans pour autant perdre de l'efficacité des institutions de la Cinquième République puisque pendant ces trois périodes de cohabitation, la France a été gouvernée pas moins efficacement que dans les autres périodes.

    Faire un enjeu du choix du Premier Ministre dans une campagne d'élections législatives, c'est le cas en fait quand celles-ci ne suivent pas directement une élection présidentielle, au contraire de juin 1981, juin 1988, juin 2002, juin 2007, juin 2012, juin 2017 et juin 2022. Ces cas sont rares depuis vingt-cinq ans, mais ils étaient auparavant le cas général. Pour les quatre derniers cas, il fut toujours question de la cohabitation : en mars 1978, en mars 1986, en mars 1993 et en juin 1997. Et c'était bien un enjeu personnel (qui serait le Premier Ministre ?) qui était associé à un enjeu politique (quelle politique serait appliquée ?).

    En 1978, les sondages donnaient la gauche gagnante et le Président Valéry Giscard d'Estaing avait mis en garde : il ne pourrait nommer qu'un Premier Ministre de gauche si elle gagnait les élections. Le terrain de campagne s'est donc porté sur le duel entre le Premier Ministre sortant Raymond Barre et le premier secrétaire du PS François Mitterrand. Ce dernier a finalement perdu et a dû attendre 1981 pour arriver au pouvoir par la grande porte de l'Élysée.

    En 1986, les sondages donnaient gagnante l'union UDF-RPR et ils ont eu raison, de justesse. Au-delà de l'alternance politique, le débat est devenu le duel entre le Premier Ministre sortant Laurent Fabius et son probable successeur, président du RPR, Jacques Chirac. À l'époque, d'autres hypothèses de Premier Ministre avaient germé pour la première cohabitation avec Alain Peyrefitte, Jacques Chaban-Delmas, René Monory, Simone Veil (43,0% aux élections européennes de juin 1984) et même Valéry Giscard d'Estaing, mais aucune de celles-là n'était politiquement crédible en raison de l'hégémonie du chiraquisme.

    En 1993, rebelote pour la deuxième cohabitation. Jacques Chirac ayant échoué à l'élection présidentielle de 1988 a préféré se réserver pour l'élection présidentielle de 1995. Édouard Balladur était le candidat désigné bien avant les élections législatives pour devenir ce Premier Ministre de cohabitation, adoubé autant par l'UDF que le RPR. En face lui, il n'avait aucun adversaire, tant la défaite du PS était attendue.

    En 1997, le cas historique le plus proche de 2024 avec la dissolution, le débat politique continuait à donner le clivage traditionnel entre le RPR (au pouvoir) et le PS (le principal parti d'opposition). À la tête du PS, son premier secrétaire Lionel Jospin (premier au premier tour de l'élection présidentielle de 1995), face au Premier Ministre sortant Alain Juppé, a priori candidat à sa succession, si ce n'est qu'après un premier tour désastreux, la majorité a présenté pour Matignon la perspective de la nomination de Philippe Séguin, plus populaire. C'était trop tard et, grâce à de nombreuses triangulaires où le FN a perturbé le jeu entre UDF-RPR et PS, la gauche a gagné et Lionel Jospin est resté au pouvoir pendant cinq ans, jusqu'à la fin du septennat de Jacques Chirac.


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    On conçoit, à ces évocations historiques, que les élections législatives de 2024 qui donnent aussi un enjeu de personnes à Matignon, répondent à la classique envie des Français de personnaliser le débat publique comme il a toujours aimé le faire avec les élections présidentielles depuis 1965. Ces élections législatives, qui sortent des clous de la présidentielle, sont donc, comme dans les quatre cas présentés en introduction, une mini-présidentielle en attendant la grande échéance de 2027... ou avant.

    Les dernières élections qui sont consécutives à une dissolution, en 1997, si la France était majoritairement à droite, elles ont donné un gouvernement de la gauche plurielle pendant cinq ans dans une sorte de bipolarisation troublée par le FN. En 2024, la tripolarisation est réelle, même si elle n'est pas nouvelle puisqu'elle structure la vie politique française depuis 2017 dans le choc de trois (fortes) personnalités Emmanuel Macron, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon qui, en 2017 et en 2022, ont représenté autour d'un cinquième (voire un quart) de l'électorat.

    Avec l'union obtenue à gauche, qui fait de cette coalition hétéroclite du NFP un étrange attelage assez hypocrite voire mensonger (à l'instar de Danièle Obono, aucun membre du NFP n'est capable de dire si le seuil fixé du SMIC dans ce programme est net ou brut, par exemple !), un simple cartel électoral, puisqu'ils ne sont d'accord sur rien, trois "blocs" s'opposent : le RN, le NFP et la majorité présidentielle, Ensemble pour la République. Au-delà des programmes dont ceux des deux extrémismes populistes (de droite et de gauche) sont tellement n'importe-quoi qu'ils ne sont pas crédibles dans leur forme (et les électeurs, apparemment, s'en fichent), le débat s'est aussi déplacé sur le plan personnel entre ces trois personnalités marquantes de la vie politique.


    1. Jean-Luc Mélenchon, le candidat à Matignon du NFP/Nupes

    C'est sans doute la coalition qui est la plus confuse sur le choix du Premier Ministre, preuve qu'elle n'a aucun but de gouverner un jour la France puisqu'ils n'ont ni programme cohérent ni chef. Jean-Luc Mélenchon a été le premier à annoncer son ambition de Matignon, mais on l'a vite fait taire. Comme Emmanuel Macron au centre, Marine Le Pen à l'extrême droite, l'évocation de Jean-Luc Mélenchon est un repoussoir et discrédite son camp.

    Mais son (pseudo-)silence ne signifie pas qu'il a renoncé, car les purges qu'il a provoquées dans les investitures des candidats insoumis le prouvent (Raquel Garrido, Alexis Corbière, Danièle Simonnet, etc.), ainsi que les investitures attribuées sur le bout des lèvres en se bouchant son nez (Clémentine Autain, François Ruffin, etc.), et même celles qui, finalement, ont échoué parce que c'était (vraiment) "trop" mélenchonesque (Adrien Quatennens). Sans compter l'investiture de Philippe Poutou, du NPA, avec ses slogans anti-force de l'ordre, dans la circonscription même où le colonel Beltrame a donné la vie.

    Ainsi, comme à la foire au slip, tout le monde, à la Nupes, était candidat à Matignon : Laurent Berger, Valérie Rabault, Carole Delga, François Ruffin, Clémentine Autain, Fabien Roussel, Olivier Faure, François Hollande (ou alors il veut le perchoir ?), et j'en oublie certainement (qu'ils me pardonnent !), mais finalement, cette multiplicité fait bien le jeu de Jean-Luc Mélenchon dont la candidature, quoi qu'on en dise, est évidente car il n'a, en interne, personne face à lui, et Gabriel Attal l'a bien observé le 20 juin 2024 : « Dissimulation sur le programme dont chacun conteste le chiffrage et dissimulation en maintenant un écran de fumée sur l'identité du locataire de Matignon en cas de victoire de la Nupes. Ils semblent ne pas s'entendre sur un nom, en tout cas, faire mine de ne pas s'entendre sur un nom, et pourtant, le résultat est couru d'avance : ils l'ont dit eux-mêmes, le plus grand groupe de la Nupes choisira le Premier Ministre. Le groupe qui a le plus de candidats et le plus sortants, c'est la France insoumise. C'est elle qui a d'ores et déjà imposé son programme aux autres partis de gauche,et donc, en cas de victoire de la Nupes, le Premier Ministre, ce serait nécessairement Jean-Luc Mélenchon. ».

    Car c'est la différence avec 1936 et 1981, puisque ces références historiques sont utilisées par les protagonistes : en 1936, les radicaux dominaient le Front populaire et le PCF était très minoritaire au sein de l'alliance, et en 1981, la gauche a pu venir au pouvoir justement parce que le PS avait pris l'ascendant sur le PCF. En 2024, au contraire, les insoumis restent très majoritaires au sein de la Nupes.


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    Du reste, Jean-Luc Mélenchon, qui avait fait sa campagne aux élections législatives de 2022 sur le thème "moi Premier Ministre", est « bien évidemment » prêt à Matignon. Le samedi 22 juin 2024 sur France 5, le gourou des insoumis l'a confirmé pour ceux qui auraient mal compris : « J'ai l'intention de gouverner le pays (…). Je ne suis pas en retrait (…). Je ne m'élimine pas ! », même si, selon lui, il ne voudrait pas « s'imposer » ! Au moins, ça a le mérite de la clarté.

    La question lorsqu'on veut voter NFP est donc bien celle-ci, et seulement celle-ci : veut-on avoir Jean-Luc Mélenchon à Matignon ? Veut-on un "je-suis-la-République" au pouvoir avec une conception très castriste et bolivarienne de la démocratie (dont les purges aux investitures ont donné un avant-goût), avec le communautarisme élevé au rang de valeur suprême, en encourageant le stupide wokisme, en scandant le slogan scandaleux "la police tue", et, même, en flirtant plus ou moins habilement avec l'antisémitisme ? Les sociaux-démocrates, les électeurs trahis de Raphaël Glucksmann en 2024, et même ceux de Fabien Roussel en 2022, devraient réfléchir à deux fois avant de se ligoter l'esprit sur l'autel des valeurs républicaines.



    2. Jordan Bardella, le candidat à Matignon du RN

    Le cas de Jordan Bardella est très différent de Jean-Luc Mélenchon. Loin d'être un repoussoir, c'est une personnalité (étrangement) attractive. Il faut le reconnaître, il est populaire et ce jeune homme très lisse est loin d'être un repoussoir pour les électeurs susceptibles de voter pour le RN. Le diable ne se présente jamais dans un apparat affreux, sinon, ce serait trop facile. Marine Le Pen a commencé à "l'utiliser" (j'emploie ce verbe à dessein) en 2019 (il avait 23 ans) pour concurrencer sa jeune nièce Marion Maréchal (mais moins jeune que le "gendre Jordan" qu'il était dans la famille Le Pen, compagnon d'une autre nièce de Marine Le Pen).


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    La question n'est pas encore là, mais si jamais Jordan Bardella accédait à Matignon, la question se poserait véritablement d'une rivalité de fait entre lui et Marine Le Pen, à l'instar du couple formé en 1993 par Édouard Balladur et Jacques Chirac. J'espère qu'on n'en sera pas là, mais connaissant les institutions de la Cinquième République, je me pose vraiment la question de l'intérêt de Marine Le Pen qui a tout à y perdre : soit l'expérience Bardella est un échec et alors, il rejaillira sur le RN et sur elle à l'élection présidentielle, soit au contraire, c'est un succès et la candidature de Jordan Bardella à l'élection présidentielle s'imposera naturellement au clan Le Pen.

    On reste étonné par l'efficacité d'une campagne de communication qui laisse croire que cet individu à peine fini, à 28 ans, sans diplôme universitaire (il n'a pas fini ses études, a-t-il achevé au moins quelque chose ?), sans qu'il n'ait d'autres expériences que deux mandats très peu assidus de député européen et de conseiller régional d'Île-de-France, sans même avoir été élu à l'Assemblée Nationale, sans avoir géré un seul exécutif local, même la mairie d'un petit village, puisse se retrouver à la tête du gouvernement de la sixième puissance mondiale ! Tout dans son image lisse et dans ses propos creux montre une grande incompétence et un bluff formidable, comme s'il n'était qu'un acteur qui ne tiendrait que par les oreillettes et les prompteurs. Est-ce dans l'intérêt de la France, grand pays d'innovations technologiques et politiques ?

    Dans son clip bien ficelé de la campagne officielle, on voit Jordan Bardella dans son fauteuil de président (du RN !), rien sur le bureau, et derrière le fauteuil, un seul drapeau, le drapeau tricolore de la France. Et cette petite question à ses électeurs potentiels : cela ne vous ferait-il rien si le drapeau européen était systématiquement supprimé de toutes les tribunes, de Matignon, des ministères, de l'hémicycle ? Eh bien moi, si, je le regretterais beaucoup, je le vivrais comme un retour en arrière profondément malsain alors que le monde bouge et s'accélère (on le voit avec la guerre en Ukraine voulue par Vladimir Poutine qui soutient le RN dans ces élections, ravi des sondages actuels).

    De plus, sa campagne aujourd'hui se base sur des inversions accusatoires extraordinaires. Jordan Bardella se présente comme le meilleur redresseur de l'ordre, comme le meilleur combattant de l'antisémitisme, comme le meilleur meneur de l'union nationale : « Moi, je veux réconcilier les Français et être le Premier Ministre de tous les Français, dans aucune distinction. Une fois devenu chef de la majorité, je serai le Premier Ministre de tous, y compris de ceux qui n'auront pas voté pour moi. Mon objectif est de recréer du consensus dans le pays. ».


    Du blabla d'autant plus déconnecté du réel que c'est un discours de Président (qui est celui de tous les Français) et pas de Premier Ministre qui est, comme il le dit paradoxalement d'ailleurs en même, de chef de majorité, donc, nécessairement très partisan. Mais ce gloubi-boulga sert à attirer les indécis et surtout, les ignorants des mécanismes institutionnels et politiques, en reprenant des phrases dites par d'autres dans le passé. Dans son débat face à Gabriel Attal, Jordan Bardella avait répété des phrases d'Emmanuel Macron dans son face-à-face avec Marine Le Pen, un vrai plagiat ! Bardella, paresseux et imitateur. Acteur.

    De plus, au contraire de ce qu'ils prétendent, les dirigeants du RN ont été pris de court par la dissolution. La preuve, ils ont bâclé leurs candidatures en investissant certains candidats pas très politiquement corrects notamment à cause des appels à la haine ou l'antisémitisme (en particulier, dans leur passé sur les réseaux sociaux), au point de retirer leur investiture a posteriori, sans que cela n'ait d'ailleurs de conséquence puisqu'ils ne peuvent plus mettre d'autres candidats.

    Dans une situation plutôt favorable de favori, Jordan Bardella se permet même d'enfoncer le clou en laissant planer le risque d'une crise institutionnelle s'il n'y a pas de majorité absolue. Il l'a confirmé au JDD le 22 juin 2024 : « Sans majorité absolue, je serais à la merci d'une motion de censure et je partirais naturellement au bout de quelques jours. J'accepterai d'être nommé à Matignon seulement si j'ai le pouvoir d'agir et la légitimité démocratique et institutionnelle. ». Pas d'inquiétude, même avec une majorité relative, ils ne prendront pas le risque de voir le pouvoir passer devant eux. En revanche, c'est un discours électoraliste qui veut mobiliser tout son électorat nationaliste, ceux qui pourraient être tentés par des candidats de Reconquête et même LR ciottistes, seront amenés à voter utile en faveur du RN. Un discours qui peut en effet être assez efficace.


    3. Gabriel Attal, le candidat à Matignon d'Ensemble pour la République

    Nommé il y a à peine six mois (le 9 janvier 2024), le Premier Ministre Gabriel Attal, après deux jours de sidération, a su prendre le leadership de la majorité présidentielle dans cette courte campagne des élections législatives. Son dynamisme et sa popularité sont deux grands atouts pour la majorité, j'aurais tendance à écrire, pour tenter d'éviter la débâcle. Ce n'est donc pas étonnant que, contrairement à la Nupes, il ait mis au cœur de la campagne le choix de la personnalité pour Matignon.


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    L'avantage du sortant est qu'il a fait ses preuves : malgré son très jeune âge (35 ans maintenant), il a déjà derrière lui une carrière politique prestigieuse. Expérience et compétence : deux fois élu député, membre du gouvernement sans discontinuer depuis plus de cinq ans (depuis le 16 octobre 2018), porte-parole du gouvernement pendant la difficile crise du covid-19, Ministre du Budget (délégué aux Comptes publics), Ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse adulé et Premier Ministre.

    À l'écoute des Français, Gabriel Attal a montré depuis longtemps qu'il l'était, sur le terrain comme dans les ministères. En présentant le programme de la majorité le 20 juin 2024, il a apporté une clarification sur ce que pouvaient espérer les Français sans mettre en danger tant la crédibilité financière de la France que sa politique économique qui a montré ses fruits avec la baisse continue du chômage depuis 2017 et la réindustralisation du territoire, politique qui fait désormais des jaloux en Allemagne.


    Dans quelques jours...


    La dédiabolisation (terme assez médiocre) qui signifie une certaine normalisation de l'extrême droite ainsi que le fatalisme qui accompagne la forte popularité de Jordan Bardella donnent tous les atouts du côté du RN. Le fatalisme, c'est aussi une certaine passivité sur les événements programmés par les sondages.

    Je passe sur l'argument stupide "on-n'a-pas-essayé" qui ouvre sur le n'importe-quoi (on n'a pas essayé de se jeter du haut d'un précipice, on n'a pas essayé de lutter contre un crocodile, on n'a pas essayé de déclencher une guerre thermonucléaire, etc.), mais l'argument de la levée de l'hypothèque RN reste encore assez bon marché dans l'esprit d'un certain nombre d'électeurs, y compris d'opposants au RN.

    En gros, il signifie ceci : laissons-les gouverner, et très rapidement, ils vont être impopulaires et on n'en reparlera plus. Je crains d'ailleurs que ce fût l'idée d'origine du Président Emmanuel Macron en dissolvant : montrons au peuple qu'ils sont incapables lorsqu'ils sont en situation et retournons le paradigme. Sauf qu'aujourd'hui, Giorgia Meloni, après un peu moins de deux ans au pouvoir, s'est hissée à la tête du paysage politique italien à ces élections européennes. Même Donald Trump, les Américains en redemandent après quatre années passées à la Maison-Blanche (2017-2021).

    Et je ne doute pas que l'efficacité de l'effet Bardella depuis deux ans se poursuivra même une fois au pouvoir. Le RN sera suffisamment habile (et démagogique) pour prendre des mesures qui vont plaire ; c'est très facile de plaire quand on gouverne, c'est beaucoup moins facile d'être responsable et de penser à l'intérêt national. En revanche, au pouvoir dès dans deux semaines, cela permettrait de démontrer que le RN serait un parti démocratique comme les autres, capables de gouverner et cela le renforcerait dans la perspective de la prochaine élection présidentielle en levant non pas l'hypothèque du RN mais l'hypothèque de l'équivalence RN = fascisme.


    C'est pour cela que la seule voie possible de s'opposer aux matraquages électoraux actuels du RN, ce n'est pas de laisser faire, ce n'est pas de parler de barrage plein de moraline qui n'a plus rien d'efficace, c'est d'abord d'aller sur le terrain des idées, de ses idées, de ses propositions (ou non-propositions), et de leurs conséquences sur l'avenir de la France, pour sa sécurité, sa prospérité, sa crédibilité internationale et sa cohésion sociale.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (22 juin 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    Législatives 2024 (8) : la bataille de Matignon.
    Le programme aux élections législatives du 30 juin 2024 d'Ensemble pour la République (document à télécharger).
    Législatives 2024 (7) : Ensemble pour la République.
    Législatives 2024 (6) : Nicolas Sarkozy et François Fillon bougent encore !
    Législatives 2024 (5) : le trouble de Lionel Jospin.
    Législatives 2024 (4) : l'angoisse de Manuel Valls.
    Législatives 2024 (3) : François Hollande dans l'irresponsabilité totale !
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Sidération institutionnelle.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Résultats des élections européennes du dimanche 9 juin 2024.


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    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240622-matignon.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/legislatives-2024-8-la-bataille-de-255349

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/06/22/article-sr-20240622-matignon.html






     

  • François Fillon définitivement condamné

    « (…) Par ces motifs (…), la Cour, sur le pourvoi formé par M. I, le rejette ; sur les pourvois formés par M. et Mme N, casse et annule l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 9 mai 2022, mais en ses seules dispositions relatives aux peines prononcées (…). » (Arrêt de la Cour de Cassation du 24 avril 2024).



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    C'est toujours étrange de s'apercevoir que la conclusion d'une affaire politico-judiciaire qui a hanté toute la campagne présidentielle de 2017, matin midi et soir, est si peu médiatisée sept ans plus tard, quand plus aucun enjeu électoral n'est en cours. Par son arrêt n°22-83.466 FS-B N°00382 MAS2, la Cour de Cassation a en effet confirmé le mercredi 24 avril 2024 la décision de la cour d'appel de Paris du 9 mai 2022 sur la culpabilité de François Fillon, de son épouse et de son suppléant, dans son affaire mettant en cause l'emploi de collaboratrice parlementaire de son épouse, en particulier sa condamnation pour détournement de fonds publics et complicité. Par conséquent, la condamnation de François Fillon est définitive.

    Rappelons que la chambre 2-12 de la cour d'appel de Paris a condamné le 9 mai 2022 : François Fillon « pour détournement de fonds publics et complicité, complicité d’abus de biens sociaux, recels, à quatre ans d’emprisonnement dont trois ans avec sursis, 375 000 euros d’amende et dix ans d’inéligibilité » ; son suppléant « pour détournement de fonds publics à trois ans d’emprisonnement avec sursis et cinq ans d’inéligibilité » ; et son épouse « pour complicité de détournements de fonds publics, complicité d’abus de biens sociaux, recels, à deux ans d’emprisonnement avec sursis, 375 000 euros d’amende et deux ans d’inéligibilité ».

    Avant de poursuivre sur le plan juridique (et judiciaire), je me permets un petit commentaire politique. En tant qu'électeur de François Fillon au premier tour de l'élection présidentielle de 2017, j'ai trouvé assez peu sain dans une démocratie que la justice soit allée aussi rapidement dans la mise en examen d'un grand candidat à l'élection présidentielle (initialement le favori, même), après seulement quelques scoops dans la presse à sensation. On pourra me répondre aujourd'hui que la justice avait raison puisque la condamnation est désormais définitive.


    Je respecte bien entendu la justice de mon pays, mais je reste toujours dubitatif sur une possible politisation de la justice (dont je n'accuse absolument pas le principal bénéficiaire, à savoir Emmanuel Macron qui a profité surtout d'un contexte très favorable à plusieurs titres). Au cours de mon engagement politique qui remonte à il y a plus de trente ans, j'ai eu l'occasion de voir des "pratiques", aujourd'hui révolues, qui étaient bien plus scandaleuses que ce qui a condamné François Fillon. L'un des défauts structurels pendant longtemps a été que le parlementaire était le propre employeur de ses collaborateurs. En d'autres termes, le parlementaire recevait l'argent d'une enveloppe globale concernant le salaire de ses collaborateurs... et il en faisait ce qu'il voulait. Heureusement, cela a évolué et cela passe maintenant par une structure tiers, son assemblée d'origine. Le parlementaire doit agir dans la plus grande liberté et sans pression, mais cela n'empêche pas qu'il doit rester honnête (c'est d'ailleurs le minimum qu'on peut demander à celui qui fait la loi, celui de l'appliquer).

    La justice n'a pas condamné François Fillon d'avoir recruté son épouse comme collaboratrice parlementaire car ce n'était pas interdit à l'époque (maintenant, si), mais parce que ladite collaboratrice n'aurait rien fait malgré sa rémunération. Comme elle a travaillé jusqu'en 2013, il est toujours difficile de montrer qu'elle a travaillé ou même qu'elle n'a pas travaillé. Beaucoup de documents peuvent avoir été jetés,. perdus, détruits. Et les oublis arriver.


    L'autre côté malsain, c'est la volonté de la justice de vouloir savoir et même juger de la manière de travailler des parlementaires. Or, la démocratie impose la séparation des pouvoirs et les parlementaires, dont la légitimité (au contraire des juges) est absolue puisqu'elle vient du peuple, n'a ni leçon à prendre ni compte à rendre à la justice sur sa manière de travailler qui doit d'ailleurs rester parfois confidentielle. Il en est de même pour des ministres sur la gestion de la crise du covid-19 : la justice n'a pas à se substituer au peuple ou aux parlementaires dans l'appréciation de la politique menée par un gouvernement.

    Ces considérations politiques étant écrites, j'en reviens aux considérations juridiques, car un arrêt de la Cour de Cassation, c'est d'abord la procédure et pas le fond (même si cela peut l'être parfois). Car dans son malheur, François Fillon peut quand même avoir une petite satisfaction.


    En effet, si la décision de la cour d'appel sur la culpabilité de François Fillon, de son épouse et de son suppléant (qui, lorsque François Fillon était ministre ou Premier Ministre, avait continué à rémunérer Pénélope Fillon comme collaboratrice parlementaire) a été validée, ce qui rend cette reconnaissance de culpabilité définitive (on va dire quasiment définitive, car il y a encore un recours auprès de la Cour européenne des droits de l'homme, ce qui serait étonnant car certains élus du même parti voulaient que la France se désengage de la CEDH), la Cour de Cassation a néanmoins cassé la décision de la cour d'appel concernant les peines prononcées à l'égard de François Fillon et les dommages et intérêts à verser. En revanche, les peines prononcées à l'égard de l'épouse et du suppléant ont été validées et sont donc définitives (car aucun des deux n'a été condamné à une peine de prison ferme).

    Maître Éric Landot, avocat brillant qui tient de manière très assidue un blog très instructif, a ainsi fait une petite note de synthèse au lendemain de la décision de la Cour de Cassation. On y apprend ainsi quelques éléments intéressants du droit et de la politique.

    Par exemple, les élus n'ont pas le droit, depuis longtemps, de recruter un membre de leur famille au titre d'un emploi public : c'est « une prise illégale d'intérêts au pénal et une illégalité en droit administratif ». C'est l'article 432-12 du code pénal qui régit cette infraction. Même un lien d'amitié établi suffit à constituer la prise illégale d'intérêts. Le blog propose plusieurs affaires dont le cas d'un élu qui a recruté sa sœur comme directrice générale des services (DGS), numéro une de l'administration de la collectivité locale en question (arrêt du 4 mars 2020).

    En revanche, les parlementaires, avec leurs collaborateurs parlementaires, ne sont pas dans la même situation que les élus d'une collectivité avec leur administration. C'est pour cela que les poursuites n'ont pas été fondées sur la prise illégale d'intérêts mais sur le détournement de fonds publics, l'abus de biens sociaux et leurs recels. Comme je l'ai écrit plus haut, on n'a donc pas reproché Pénélope Fillon d'être l'épouse du député qui l'a recrutée mais de n'avoir rien fait en tant que collaboratrice parlementaire.

    Maître Éric Landot insiste sur la validation de la cour d'appel par la Cour de Cassation : « Elle juge notamment que le principe de séparation des pouvoirs n’interdit pas au juge judiciaire de vérifier qu’un contrat de travail conclu entre un parlementaire et un de ses collaborateurs a réellement été exécuté, dès lors qu’il s’agit d’un contrat de droit privé. Le député, son épouse et le suppléant sont donc définitivement déclarés coupables, notamment de "détournements de fonds publics par personne chargée de mission de service public" et complicité de cette infraction. ».

    En revanche, François Fillon repassera devant un tribunal (sa condamnation sera rejugée par la cour d'appel), non pas pour être jugé sur sa culpabilité (elle est définitivement établie) mais pour redéfinir sa peine. En effet, il a été condamné le 9 mai 2022 à quatre d'emprisonnement dont trois avec sursis, donc à un an de prison ferme.

    Le blog du juriste explique simplement la raison de cette invalidation partielle : « Cette cour n’avait pas pris soin de justifier des raisons pour lesquelles elle avait prononcé une peine partiellement ferme (même si une peine d’un an ne conduit en pratique qu’au bracelet électronique), alors que c’est obligatoire de le faire (en se fondant sur la gravité de l’infraction, la personnalité de son auteur et l’existence ou non de sanction alternative adéquate). Or, en condamnant le député, le juge d’appel n’a pas expliqué en quoi une autre sanction que la peine d’emprisonnement sans sursis aurait été manifestement inadéquate. D’où une censure de la Cour de Cassation. ».

    Le montant des dommages et intérêts que François Fillon et son épouse devront verser à l'Assemblée Nationale sera également rejugé par la cour d'appel. L'explication d'Éric Landot : « La Cour de Cassation casse la décision de la cour d’appel en ce qu’elle condamne le député et son épouse à rembourser à l’Assemblée Nationale l’intégralité des salaires versés. En effet, les juges ont constaté que si les rémunérations versées étaient manifestement disproportionnées au regard du travail fourni, elles n’étaient pas dénuées de toute contrepartie. ».

    Concrètement, une peine de prison ferme ne se justifie pas pour François Fillon. Ce nouveau procès un peu particulier pourra-t-il redorer son honneur ? Certainement pas, car la reconnaissance de sa culpabilité est définitive. Il a été piégé par une trop grande confiance en lui. Et surtout une arrogance politique pour écraser ses deux adversaires de son parti, Nicolas Sarkozy et Alain Juppé. Des trois, c'est celui qui a le mieux réussi à tourner la page de la vie politique pour aller quérir d'autres fortunes dans d'autres contrées. C'est peut-être cela le plus tragique pour lui : que sa condamnation définitive n'a même pas fait les grands titres des journaux. Lui qui était promis à devenir Président de la République.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (25 avril 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    François Fillon définitivement condamné.
    Rapport de la commission d'enquête n°1311 de l'Assemblée Nationale relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères (enregistré le 1er juin 2023).
    François Fillon, vendeur de rillettes sur la place Rouge !
    Et voici que François Fillon revient...
    A-t-on volé l’élection de François Fillon ?
    François Fillon, victime de la morale ?
    Une affaire Fillon avant l’heure.
    François Fillon, artisan de la victoire du Président Macron.
    Matignon en mai et juin 2017.
    François Fillon et son courage.
    Premier tour de l'élection présidentielle du 23 avril 2017.
    Macron ou Fillon pour redresser la France ?
    François Fillon, le seul candidat de l’alternance et du redressement.
    Programme 2017 de François Fillon (à télécharger).
    L’autorité et la liberté.
    Un Président exemplaire, c’est…
    Interview de François Fillon dans le journal "Le Figaro" le 20 avril 2017 (texte intégral).
    Interview de François Fillon dans le journal "Le Parisien" le 19 avril 2017 (texte intégral).
    Discours de François Fillon le 15 avril 2017 au Puy-en-Velay (texte intégral).
    Discours de François Fillon le 14 avril 2017 à Montpellier (texte intégral).
    Discours de François Fillon le 13 avril 2017 à Toulouse (texte intégral).
    Tribune de François Fillon le 13 avril 2017 dans "Les Échos" (texte intégral).
    Discours de François Fillon le 12 avril 2017 à Lyon (texte intégral).


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    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240424-fillon.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/francois-fillon-definitivement-254349

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/27/article-sr-20240424-fillon.html




  • La vision européenne décevante d'Édouard Balladur

    « Mon engagement dans cette action est total. Seul son succès m'importe. Je m'y dévouerai exclusivement. (…) Ce sera difficile ? A coup sûr. Périlleux ? Peut-être. Indispensable ? Évidemment. (…) N'ayons pas peur du risque. Ensemble, nous allons bâtir le nouvel exemple français. » (Édouard Balladur, le 8 avril 1993 dans l'hémicycle).


     

     
     


    95 ans. C'est l'âge qu'atteint Édouard Balladur ce jeudi 2 mai 2024. Un âge canonique qui le fait intégrer dans le petit cercle des potentiels centenaires de la vie politique, comme l'est déjà Roland Dumas, et que n'ont pas été Jacques Delors et Robert Badinter (à quelques années près).

    S'il n'a pas été le premier des princes, à savoir Président de la République (il a raté la première marche le 23 avril 1995 avec seulement 18,6% des suffrages exprimés), Édouard Balladur, auteur de vingt-deux essais, a cependant eu deux rôles très importants dans la Cinquième République, celui de Premier Ministre entre 1993 et 1995, et celui de candidat à l'élection présidentielle, grand candidat, c'est-à-dire potentiellement gagnant. Et j'ajouterai aussi un rôle de théoricien, celui de la cohabitation par un article publié le 16 septembre 1983, cohabitation dont il fut doublement acteur.

    Édouard Balladur a bénéficié de sondages étonnamment flatteurs pendant sa période d'exercice du pouvoir. En général, quand on gouverne, on est impopulaire. Mais il a gouverné de manière à ne mécontenter personne. En ce sens, il a été peu courageux dans les réformes économiques et sociales (dont on ne retiendra pas ni les privatisations, loi n°93-923 du 19 juillet 1993, ni la réformette sur les retraites, loi n°93-936 du 22 juillet 1993, une des premières), les remettant après l'élection présidentielle. De plus, un jeu d'écriture comptable a allègrement faussé la réalité des finances publiques.

    En 1995, tous les leaders de l'UDF soutenaient le Premier Ministre Édouard Balladur dans son aventure électorale. Pour la confédération des partis centristes, il était l'homme idéal pour dégager définitivement Jacques Chirac de la vie politique. Membre moi-même de l'UDF, j'avais une analyse très différente. À l'origine, j'appréciais peu Jacques Chirac parce que j'avais fait campagne pour Raymond Barre en 1988 et j'ai vu le bull-doser chiraquien avec sa mauvaise foi, ses éléments de langage et sa machine électorale redoutable. Toutefois, dès lors que l'UDF serait absente directement de l'échéance présidentielle de 1995, ma réflexion se posait sur le choix entre Édouard Balladur et Jacques Chirac.

    Pour moi, en dehors de la personnalité qui leur est propre, aucune différence notable dans le programme politique n'existait, ce qui était d'autant plus vrai que c'était Jacques Chirac qui avait proposé Édouard Balladur à Matignon (du 29 mars 1993 au 17 mai 1995) après la vaste victoire de l'union UDF-RPR en mars 1993. De plus, Édouard Balladur, très proche du Président Georges Pompidou (il a été le Secrétaire Général adjoint, puis Secrétaire Général de l'Élysée du 5 avril 1973 au 2 avril 1974), et Jacques Chirac était lui-même le poulain de Georges Pompidou, ils provenaient donc de la même branche du gaullisme historique, celle du conservatisme social et libéral de la bourgeoisie de province. En outre, les supputations pour Matignon restaient les mêmes quelle que fût la victoire, Alain Juppé aurait été probablement nommé dans tous les cas, par Jacques Chirac qu'il avait soutenu loyalement sans plus trop y croire comme par Édouard Balladur qui aurait besoin de raccommoder sa majorité (à l'époque, on parlait aussi de Charles Pasqua puis de Nicolas Sarkozy à Matignon en cas d'élection d'Édouard Balladur).

     

     
     


    Donc, dans ma réflexion, mon choix devait partager des personnalités et pas des programmes politiques. Or, Jacques Chirac avait pour une fois la position de recul que n'avait pas Édouard Balladur. Ce dernier montrait une réelle distance avec le "vrai peuple", une distance assez méprisante voire arrogante, bien plus grande encore que Valéry Giscard d'Estaing sans son intelligence et son niveau d'analyse. Édouard Balladur était un rond-de-cuir de la politique qui a saisi une occasion improbable, celle d'être au pouvoir et de gérer le pays un peu par hasard et certainement pas pour faire l'histoire. Son thème de campagne était de « croire en la France » mais il fallait d'abord croire en Balladur.

    Jacques Chirac, dans le rôle du trahi et plus du traître qu'il a souvent été (Jacques Chaban-Delmas en 1974, Valéry Giscard d'Estaing en 1981, Raymond Barre en 1988, etc.), a fait d'ailleurs une excellente campagne présidentielle, partant justement du peuple, rencontrant toutes les forces vives du pays sans caméras, pour mieux comprendre la France et les Français. Son thème de la fracture sociale, suggéré par Philippe Séguin, était excellent, à tel point qu'il a réussi à rassembler également des suffrages d'électeurs de gauche déboussolés par l'effondrement du PS et les révélations sur le passé de François Mitterrand.


    Mon vote Chirac a donc été par défaut mais dès le premier tour, et je ne l'ai pas regretté en 2007, à la fin de ses deux mandats, même si j'étais fermement opposé à deux de ses décisions présidentielles importantes, la dissolution de 1997 et le référendum sur le quinquennat de 2000. Que reste-t-il de la période d'Édouard Balladur ? Rien. Alors que son successeur, Alain Juppé, est resté dans les mémoires, comme celui qui a tenté de réformer la Sécurité sociale. Quant à Jacques Chirac, il aurait sans doute été plus cohérent en nommant Philippe Séguin en mai 1995 et Nicolas Sakorzy en mai 2002 à Matignon. Mais il a laissé des discours mémorables, et historiquement essentiels, celui de la reconnaissance de la France dans la rafle du Vel' d'hiv' (en juillet 1995), de la mort de François Mitterrand (en janvier 1996) et aussi de son départ où il avouait, malgré sa pudeur, l'amour qu'il vouait aux Français et à la France (en mars 2007). D'autres ont retenu sa position contre l'intervention américaine en Irak, mais cette position n'était pas évidente et pas nécessairement sa première position spontanée.

    Et Édouard Balladur dans l'affaire ? Il a continué comme un "vulgaire" homme politique, ordinaire, cherchant en vain à conquérir un petit Graal, comme la présidence du conseil régional d'Île-de-France en mars 1998, puis la mairie de Paris en mars 2001, cette dernière bataille après une rivalité primaire contre Philippe Séguin. Député de Paris de mars 1986 à juin 2007, dans une circonscription imprenable à partir de 1988, et conseiller de Paris de 1989 à 2008, il n'a pas eu à batailler ferme pour maintenir ses propres mandats parisiens.

     

     
     


    Bien qu'à l'origine, il était spécialisé dans l'économie et le social (il a présidé des groupes industriels dans les années 1970), ce qui l'a bombardé Ministre d'État, Ministre de l'Économie et des Finances du 20 mars 1986 au 10 mai 1988, souvent appelé Vice-Premier Ministre, Édouard Balladur, comme tous les hommes d'État en retrait, s'est préoccupé surtout des institutions et des affaires étrangères. Ainsi, il a présidé la commission des affaires étrangères de l'Assemblée Nationale du 27 juin 2002 au 19 juin 2007 lors de son dernier mandat parlementaire (faute d'être élu Président de l'Assemblée Nationale le 25 juin 2002, recueillant seulement 163 voix sur 541, battu par Jean-Louis Debré avec 217 voix, puis unique candidat de droite au second tour), et il a présidé deux Comités Balladur, le Comité de réflexion sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions (nommé du 18 juillet 2007 au 29 octobre 2007), et le Comité pour la réforme des collectivités locales (nommé du 22 octobre 2008 au 25 février 2009), tous les deux issus de la volonté de Nicolas Sarkozy élu Président de la République et, en quelque sorte, faisant gagner Édouard Balladur à l'Élysée par procuration.

    Malgré la proposition de Nicolas Sarkozy de le nommer en février 2010 au Conseil Constitutionnel, le conseiller honoraire du Conseil d'État (diplômé de l'IEP Paris et de l'ENA) a décliné l'offre pour se consacrer à sa retraite. Au sein de l'UMP puis de LR, Édouard Balladur a soutenu François Fillon en novembre 2012, Nicolas Sarkozy en novembre 2016, François Fillon en avril 2017, Laurent Wauquiez en décembre 2017 et Valérie Pécresse en avril 2022. Il n'a jamais apporté son soutien à Emmanuel Macron et a même émis une appréciation très sévère contre ce dernier sur sa politique européenne.

    Auteur d'une note politique pour la fondation Fondapol publiée le 27 juin 2023, l'ancien Premier Ministre affirmait un certain euroscepticisme, assez étonnant de sa part : « Depuis trente ans, le monde a changé au détriment de l’Europe. La France a changé davantage encore et paraît atteinte dans ses forces vitales. L’Europe peut-elle contribuer à son redressement ? Rien n’est moins sûr. Des progrès ont été recherchés, mais dans un désordre qui a permis à la technostructure européenne d’accroître encore son pouvoir. (…) Il faut sortir de l’ambiguïté, la France doit demeurer souveraine dans certains domaines essentiels. L’Union n’est pas une organisation fédérale et ne doit pas le devenir. ». À croire que toutes ses belles paroles européennes des années 1990 étaient de l'hypocrisie électorale...

    Par cette analyse très décevante et sans innovation, il est revenu à son dada des cercles concentriques : « Avant tout élargissement, définir clairement la construction de l’Europe en cercles à compétences et à compositions variables, en faire un principe de base. ». Mais il n'a porté aucune proposition concrète sinon les yaka fonkon habituels, très stériles et très communs : « La France doit sortir du déclin qui la menace. La lutte contre les déficits, l’endettement, l’insécurité, et pour l’amélioration de la compétitivité, du système éducatif, hospitalier, pour la régulation effective de l’immigration, demeurent des compétences nationales. (…) Si la France veut survivre, l’Europe doit être réorganisée et la France doit demeurer responsable de son propre destin. ». On ne peut pas demander à une personne qui a eu 15 ans en 1944 d'imaginer le monde de 2030, encore moins de 2050. Ni être le vieux sage de la politique des années 2020 comme l'a si élégamment été Antoine Pinay entre 1974 et 1994.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (01er mai 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Édouard Balladur.
    Le théoricien de la cohabitation.
    Le Comité Balladur de 2007.
    La cohabitation de 1986.

     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240502-balladur.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/la-vision-europeenne-decevante-d-254304

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/27/article-sr-20240502-balladur.html




     

  • Les Cent jours de Gabriel Attal à Matignon

    « Moi, je pense que la politique et que ma responsabilité en tout cas, ce n'est pas seulement de faire des grands récits, c'est aussi de répondre à des petits problèmes et de faire des progrès dans la vie quotidienne des Français. » (Gabriel Attal, le 18 avril 2024 sur BFMTV).



     

     
     


    Journée importante pour le Premier Ministre Gabriel Attal que ce jeudi 18 avril 2024 censé "fêter" (façon de parler) ses 100 jours à Matignon. Et pas n'importe comment : le matin, un discours important à Viry-Châtillon sur le retour à l'autorité chez les enfants et adolescents, et le soir, une émission politique importante sur BFMTV.

    Comme pour tous les Premiers Ministres, le job est un contrat à durée déterminée indéterminée. Le Premier Ministre peut être remplacé du jour au lendemain. Ce qui fait que chaque journée, chaque minute compte, bien évidemment. Pas étonnant qu'au bout de six mois, ils sont d'office décoré de l'ordre national du Mérite. C'est sans doute la fonction la plus épuisante de France, de toutes les fonctions, privées et publiques confondues.


    Sur l'autorité à l'école, Gabriel Attal a tenté de répondre aux faits-divers qui ont endeuillé plusieurs famille pour avoir touché la vie de plusieurs collégiens, en particulier à Viry-Châtillon où un adolescent est mort après avoir été battu près de son collège. Pour le chef du gouvernement, la violence des mineurs provient d'un manque de respect à l'autorité. Gabriel Attal a énuméré un certain nombre de mesures comme l'inscription dans Parcoursup des protestations et des contestations de l'autorité de l'école, ce qui pourra handicaper des élèves violents dans la poursuite de leurs études supérieures, de la signature d'un contrat d'engagement à respecter l'autorité et les valeurs de la République chaque année entre les parents, les établissements et les élèves, la généralisation à l'école primaire des cours d'empathie, la possibilité d'une place en internat pour les jeunes violents pour les éloigner de leurs mauvaises fréquentations, le contrôle de l'âge réel des jeunes qui s'inscrivent dans les réseaux sociaux (il doit être supérieur à 15 ans), avec la possibilité d'une vérification entre l'opérateur et le fichier des inscriptions dans un établissement scolaire, une responsabilisation accrue des parents, en particulier la responsabilité solidaire des réparations financières des deux parents, même s'ils sont séparés, en cas de dégâts provoqués par leur enfant, etc. Pour Alain Duhamel, Gabriel Attal est très crédible dans ce domaine qui a été son leitmotiv quand il a été Ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse.

    L'émission du jeudi soir sur BFMTV était un exercice beaucoup plus périlleux pour le Premier Ministre. Cinq journalistes l'ont interrogé selon des thèmes précis. Gabriel Attal s'est montré à la fois humble et modeste face à sa tâche, et aussi factuel, concret, précis sur les mesures qu'il a prises, souvent en corrigeant les fake-news ou les mauvaises interprétations. Un exemple parmi d'autres : la suppression d'une prime spéciale pour l'alternance. Depuis 2017, il y a eu une forte augmentation des formations en alternance, voulue par le Président de la République. Pendant la crise du covid-19, le gouvernement avait mis en place une prime spéciale pour soutenir l'alternance. La crise étant finie, le gouvernement vient de la supprimer. Ce n'était pas cette prime qui avait permis la progression de l'alternance en France et il faut savoir si on critique le déficit budgétaire (en s'aidant de la Cour des Comptes en passant) ou si on critique le fait de réduire les dépenses publiques (en particulier, la suppression de cette prime spéciale était une mesure préconisée par la Cour des Comptes).

    Toutefois, on pourra regretter que les journalistes qui l'ont interrogé ne l'écoutaient pas et l'interrompaient sans cesse, histoire de montrer qu'ils ne seraient pas allégeants. Comme le veut leur profession, ils essayaient avant tout de faire sortir "la" petite phrase qui ferait le buzz dans les prochains jours, tout en faisant la promotion de leur employeur (en l'occurrence BFMTV). Déviation professionnelle particulièrement néfaste pour avoir une vue éclairée de la vie politique, puisque ce qui compte, à leurs yeux, n'est que de vaines polémiques anecdotiques. Évidemment, pour le professionnel de la communication qu'est Gabriel Attal, il y avait peu de chance qu'il tombât dans les nombreux pièges parfois subtils de ses interviewers, et même de ce côté : tout est de la com' ! En effet, Gabriel Attal a répondu en disant que si tout ce qu'il faisait était de la communication, on ne l'attaquerait pas sur des mesures concrètes, il n'y aurait pas de débat, sur l'assurance-chômage, sur le RSA, etc.

     

     
     


    Parmi les pièges, Ulysse Gosset a beaucoup interrogé Gabriel Attal sur la situation en Ukraine et au Proche-Orient (on note au passage que le Premier Ministre était assez convaincant sur ces sujets qu'ils connaissaient pourtant assez mal par son expérience gouvernementale, même si le Premier Ministre est responsable de la défense nationale et qu'à ce titre, il est membre du conseil de défense).

    Ulysse Gosset lui a demandé quelle serait la position de la France, qui soutiendrait-elle ?, en cas d'escalade et de guerre directe entre Israël et l'Iran. Malgré l'insistance du questionneur chevronné, Gabriel Attal s'est bien gardé de répondre à cette question qui se base sur une hypothèse dans laquelle il refuse de se placer puisque la France fait tout diplomatiquement pour éviter une telle escalade et une telle guerre. En se plaçant dans ces conditions de guerre, cela signifierait que la France les aurait déjà tenues pour acquises.

    Mais la palme revient à Benjamin Duhamel pour les questions de politique politicienne particulièrement sans intérêt. Gabriel Attal a sans doute peu convaincu lorsqu'il a dit qu'il ne songeait pas à l'élection présidentielle de 2027 (contrairement à certains rivaux dans la majorité comme Édouard Philippe, Bruno Le Maire et Gérald Darmanin), mais finalement, on peut imaginer sa sincérité. Il est Premier Ministre, donc, comme le disait Georges Pompidou, dès qu'il a posé le pied à Matignon, l'hypothèse de l'Élysée se diffuse, mais d'un autre côté, cette fonction étant terriblement à court terme, où il doit éteindre des incendies, répondre à des urgences, qu'il n'a même pas le temps de voir un horizon à trois mois, alors, à trois ans, c'est très loin et personne ne pourra dire où il sera à cette date. En revanche, lui se voit mal encore dans la vie politique dans vingt ou trente ans.

     

     
     


    La question de Benjamin Duhamel sur le vote d'une éventuelle motion de censure cet automne contre le projet de loi de finance, comme le menace le groupe LR, paraît aussi fantaisiste qu'une guerre réelle entre Israël et l'Iran : pourquoi dire ce que ferait le gouvernement dans un tel cas alors qu'il pourrait ne jamais survenir ? Il faut noter qu'en cas de vote d'une motion de censure, Gabriel Attal le considérerait comme un événement politique majeur (il n'a pas tort). Et la réaction à un tel événement n'est d'ailleurs pas du ressort du Premier Ministre mais du Président de la République (changement de Premier Ministre, dissolution, référendum...).

    Pas de réponse satisfaisante pour les porteurs d'audience non plus à propos de la petite phrase de Laurent Fabius évoquée de manière très imprécise par Benjamin Duhamel. À l'époque, c'était son oncle Alain Duhamel qui avait posé la question le 5 septembre 1984 dans "L'Heure de vérité" sur Antenne 2 au tout jeune Premier Ministre Laurent Fabius : « Vous avez tout appris de la politique auprès de François Mitterrand. Peut-on être un chef de gouvernement autonome lorsque l’on devient le premier collaborateur de celui dont on a toujours été le collaborateur ? ». Et Laurent Fabius de répondre : « Je vais vous faire une révélation, lui, c’est lui, moi c’est moi ! ». Benjamin Duhamel aurait rêvé d'une telle nouvelle petite phrase qui resterait dans les annales de l'histoire audiovisuelle. Mais il faut pour cela être un peu plus malin ! Démentant les éventuels désaccords entre Emmanuel Macron et lui-même, Gabriel Attal a insisté pour dire que ces rumeurs existent depuis qu'existe le couple Président/Premier Ministre et que, de toute façon, ils sont deux personnes différentes, donc forcément il y a des nuances.

    Gabriel Attal a voulu montrer d'abord l'image d'un Premier Ministre qui allait au charbon, qui travaillait, qui s'occupait des gens, qui ne pensait pas en se rasant ce qu'il deviendrait plus tard mais qui se demandait ce qu'il pourrait faire tout de suite pour servir le pays et les Français. S'il a été très pugnace dans ses critiques contre le RN (en particulier, leur vulgarité de langage qui n'est pas sans faire penser aussi aux comportements violents à l'école), il n'a pas montré beaucoup d'arrogance et a même laissé entendre qu'il restait impressionné par ses fonctions. Il a refusé de parler d'enfer de Matignon alors que c'est une mission exaltante et qu'on peut toujours quitter si c'est trop difficile. À la question sur : à qui demandez-vous conseil pour certaines questions difficiles ?, le Premier Ministre a été étonnamment sincère : il en parle avec ses conseillers (qui en douterait ?), ses ministres concernés ...et sa famille. Mais il ne consulte pas des personnalités comme François Bayrou ou Édouard Philippe, par exemple. Sa réponse franche montre surtout à quel point, au sommet de l'État, le pouvoir est excessivement solitaire.

    Quant à la campagne des élections européennes, Gabriel Attal a estimé qu'elle n'avait pas encore vraiment commencé et que la question sur l'avenir de l'Europe n'intéressait pas les journalistes ni l'opposition qui ne pensent qu'à en faire une étape nationale sur le chemin de la prochaine présidentielle. Seule la liste menée par Valérie Hayer pense réellement à l'Europe, avec des projets concrets. En somme, Gabriel Attal devrait tout être : chef du gouvernement, ministre de tout... et tête de liste aux européennes. En tout cas, il a expliqué que son adversaire n'était pas Jordan Bardella, député européen, mais Marine Le Pen puisqu'en tant que Premier Ministre, il est avant tout responsable devant le Parlement et que Marine Le Pen est la présidente du plus grand groupe d'opposition. C'est donc un débat avec Marine Le Pen, qu'elle refuse, qu'il a proposé à nouveau pour faire comprendre aux Français les différences (majeures) de l'offre politique.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (18 avril 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Les Cent jours de Gabriel Attal à Matignon.
    Ukraine : Gabriel Attal attaque durement le RN et Marine Le Pen !
    Séminaire gouvernemental, conseil de cabinet et conseil des ministres.
    Les souris du gouvernement de Gabriel Attal.
    Liste complète de tous membres du premier gouvernement de Gabriel Attal au 8 février 2024.
    Mais quelle mouche a donc piqué François Bayrou ?!
    Le capitaine Gabriel Attal fixe le cap du réarmement de la France.
    Discours de politique générale du Premier Ministre Gabriel Attal le 30 janvier 2024 à l'Assemblée Nationale (texte intégral et vidéo).
    Les 10 mesures de Gabriel Attal insuffisantes pour éteindre la crise agricole.
    Gabriel Attal répond à Patrick Kanner sur les crédits pour l'hôpital.
    Pour que la France reste la France !

    Conférence de presse du Président Emmanuel Macron le 16 janvier 2024 à 20 heures 15 à l'Élysée (texte intégral et vidéo).
    Gabriel Macron.
    Tribune du Président Emmanuel Macron dans "Le Monde" du 29 décembre 2023.

    Le gouvernement de Gabriel Attal sarkozysé.
    Liste complète des membres du premier gouvernement de Gabriel Attal.
    Cérémonie de passation des pouvoirs à Matignon le 9 janvier 2024 (texte intégral et vidéo).
    Gabriel Attal plongé dans l'enfer de Matignon.
    Élisabeth Borne remerciée !
    Macron 2024 : bientôt le grand remplacement ...à Matignon ?
    Vœux 2024 d'Emmanuel Macron : mes chers compatriotes, l’action n’est pas une option !












    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240418-gabriel-attal.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/les-cent-jours-de-gabriel-attal-a-254233

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/18/article-sr-20240418-gabriel-attal.html




     

  • Mon Raymond Barre à moi !

    « Les porteurs de pancartes, ceux qui scribouillent, jacassent et babillent, le chœur des pleureuses et le cortège des beaux esprits, des milieux qui ne vivent que de manœuvres, d’intrigues et de ragots. » (Raymond Barre, le 26 septembre 1978).



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    Pourquoi ne suis-je pas étonné que le centenaire de Raymond Barre semble laisser complètement indifférente la classe médiatico-politique actuelle ? En effet, l'ancien Premier Ministre est né il y a 100 ans, le 12 avril 1924, à Saint-Denis, à La Réunion. Très malade et hospitalisé depuis plusieurs mois, il est mort d'une crise cardiaque à 83 ans le 25 août 2007 au Val-de-Grâce, l'hôpital parisien des grands politiques (aujourd'hui fermé). Ève Hegedüs, d'origine hongroise, qu'il a épousée en novembre 1954, est morte à 97 ans au début du mois de novembre 2017 à Genève. Je ne suis pas étonné de cet oubli généralisé parce que Raymond Barre était un homme d'État qui, aujourd'hui, fait figure de passé révolu (on n'en fait plus comme ça !). Et probablement aussi parce qu'il y a eu quelques révélations posthumes qui n'étaient pas du meilleur effet pour sa postérité (lire plus loin).

    J'ai toujours claironné mon barrisme et je le claironne encore aujourd'hui ("quoi qu'il en coûte" !), même si c'est un peu vain et même s'il devient très difficile d'expliquer ce qu'est le barrisme en 2024. Comme avec De Gaulle, il n'est pas question d'imaginer ce qu'aurait pu penser, dire, faire une personnalité qui, aujourd'hui, a disparu, mais ses leçons de vie ont toujours été très instructives.

    Si je me suis engagé en politique, c'était pour le soutenir, lui, Raymond Barre, candidat à l'élection présidentielle de 1988. Je notais d'ailleurs frénétiquement les noms de ceux qui le soutenaient aussi, en puisant dans les nombreuses notes confidentielles des journaux, des soutiens clairs et publics et des soutiens plus flous, qui n'osaient pas trop de le dire en raison de leurs attaches partisanes à droite mais aussi à gauche. D'ailleurs, certains de ces soutiens ont pu décevoir par la suite (c'était le cas de Philippe de Villiers, Christine Boutin, Charles Millon, etc.). J'étais même content d'avoir pu convaincre quelques électeurs socialistes modérés déçus par le cynisme de François Mitterrand.

    Ce qui est terrible lorsqu'on s'engage pour une personne, c'est qu'on risque de penser que seule sa pensée est la bonne. Le problème, c'est qu'elle n'est pas immortelle, au-delà de ne pas être infaillible, et que la pensée politique ne peut pas se référer qu'à une seule personne pour l'incarner. C'était longtemps le problème du gaullisme, mais De Gaulle avait pour lui non seulement son mythe de l'homme du 18 juin, mais aussi celui du fondateur de la Cinquième République. C'est aussi le problème de l'actuel Président Emmanuel Macron que je soutiens : sur quels fondements de philosophie politique agissent les responsables politiques ?

    C'est donc mon engagement auprès de Raymond Barre qui m'a permis d'affiner mes convictions politiques et philosophiques et pas l'inverse. Très globalement, la philosophie générale du centre droit, on pourrait parler du parti bourgeois ou orléaniste, c'est le pragmatisme économique, à savoir la paix par la prospérité. Avec un zeste de social et d'humanisme. Mais dans notre monde complexe, c'est très réducteur et surtout, très incomplet.

    Pour autant, Raymond Barre n'était pas mon gourou et, heureusement, contrairement à d'autres leaders politiques (comme chez les insoumis par exemple), il n'a créé aucune secte ! Raymond Barre était un humain avec ses failles. Il en avait beaucoup : il n'a pas participé à la Résistance alors que des plus jeunes que lui l'ont fait (il avait 20 ans en avril 1944 ; il a fait son service militaire en 1945 à Madagascar), il a été parfois maladroit (avec des phrases franchement limite comme celle-ci, lors de l'attentat de la rue Copernic le 3 octobre 1980 : « Je rentre de Lyon plein d'indignation à l'égard de cet attentat odieux qui voulait frapper des Israélites qui se rendaient à la synagogue et qui a frappé des Français innocents qui traversaient la rue Copernic. C'est un acte qui mérite d'être sévèrement sanctionné. », laissant croire, sémantiquement, que les Juifs n'auraient pas été innocents), et à la fin de la vie, plus par entêtement narcissique qu'autre chose, il a tenu des propos proches de l'antisémitisme qui pourraient illustrer le naufrage de la vieillesse. Enfin, après sa mort, le 3 juillet 2019, une enquête journalistique a dévoilé qu'il avait gardé en Suisse quelques millions cachés au fisc, j'avais l'intention d'écrire sur ce sujet mais je ne l'ai pas encore fait (à l'époque, tous les grands candidats avaient des relations troubles avec l'argent, car une campagne présidentielle coûte cher et il n'y avait pas encore de financement public de la vie politique).

    Si j'appréciais Raymond Barre, c'était parce qu'il synthétisait à lui seul deux amours, l'amour de la France et l'amour de l'Europe. Il synthétisait aussi deux courants politiques qui, souvent, se sont combattus : le gaullisme, et la démocratie chrétienne. J'utilise l'expression "démocratie chrétienne" à défaut d'une meilleure expression, qui pourrait être aussi "catholicisme social" mais ce serait encore plus réducteur, car la France est un pays laïque, et c'est très bien, mais ce courant se retrouve dans le reste de l'Europe et aussi en Amérique latine. On pourrait l'appeler le courant démocrate social à condition de ne pas le confondre avec le courant social-démocrate. Aujourd'hui, il pourrait être appelé le courant démocrate européen.

    Le gaullisme comme un serviteur de l'État. Lors du conseil des ministres du 21 juin 1967, Georges Pompidou, alors Premier Ministre, a proposé le nom de Raymond Barre pour la prochaine Commission Européenne. Il était déjà très réputé en économie, auteur à 35 ans des deux tomes "Économie politique" de la collection Thémis des PUF (Presses Universitaires de France) que des générations d'étudiants ont potassés (sortis en 1959 et réédités plus d'une quinzaine de fois, traduit en anglais, allemand, espagnol, russe, arabe, etc.), « le premier manuel moderne d'économie des facultés de droit » selon Jean-Claude Casanova, ancien élève et futur collaborateur. De Gaulle n'y a vu aucune objection, et son Ministre des Affaires sociales Jean-Marcel Jeanneney a approuvé dans la même instance, selon les notes d'Alain Peyrefitte : « Je me félicite du choix de Raymond Barre. C'est un gaulliste sûr et un économiste de premier ordre. Je suis convaincu qu'il aura dans la Commission autant d'autorité morale que Marjolin [auquel il allait succéder]. ». Jean-Marcel Jeanneney le connaissait bien car Raymond Barre avait travaillé dans son cabinet lorsqu'il était Ministre de l'Industrie entre 1959 et 1962, en tant que son chef de cabinet et ils ont été amené à mettre en application le Traité de Rome dans les secteurs industriels.

    Raymond Barre, lui, aurait voulu être nommé en 1967 Commissaire général au Plan, mais De Gaulle préférait bénéficier de son expertise à Bruxelles, ce qui montrait que De Gaulle ne négligeait pas du tout les instances européennes. Raymond Barre avait démarré sa carrière d'universitaire à Tunis (en tant que professeur agrégé de droit et de sciences économiques), où il a rencontré sa future épouse, et aussi un de ses étudiants, Jean-Claude Paye qui a dit plus tard : « Ce qui nous frappait le plus : son aptitude à établir des liens entre l'économie, la politique et l'histoire. ». Observateur et transmetteur, il est devenu rapidement acteur comme Vice-Président de la Commission Européenne chargé de l'Économie et des Finances du 7 juillet 1967 au 5 janvier 1973. Il a en particulier conçu la future Union économique et monétaire qui allait conduire au Serpent monétaire européen (SME), lui-même débouchant sur la future monnaie unique de l'Europe, l'euro (le SME consistait à encadrer le cours des monnaies européennes entre une cote maximale et une cote minimale, si bien que cela stabilisait les monnaies européennes et réduisait les risques de spéculations).

    Plus gaulliste que son prédécesseur Roberd Marjolin (porté par un certain supranationalisme) à la Commission, Raymond Barre a tout de suite suscité, malgré la méfiance initiale, la sympathie de ses partenaires européens pour son réalisme, son pragmatisme, son professionnalisme et sa convivialité (il était un bon vivant, comme sa silhouette pouvait en témoigner), ce qui a agrandi sa crédibilité internationale. Et aussi sa crédibilité auprès de De Gaulle qu'il a convaincu de ne pas dévaluer le franc en décembre 1968 malgré des spéculations consécutives à mai 68. Pour autant, le franc a été de nouveau attaqué en raison de l'incertitude créée par le référendum d'avril 1969 dont l'échec était prévisible, si bien qu'arrivé à l'Élysée, Georges Pompidou a pris la décision finalement de dévaluer le franc en août 1969. Pour Raymond Barre, c'était le point de départ d'une longue période d'inflation (toutes les années 1970 et première moitié des années 1980).

    Valéry Giscard d'Estaing l'a bien compris et l'a choisi pour diriger ensuite la France : Président, il l'a nommé Ministre du Commerce extérieur du gouvernement de Jacques Chirac le 12 janvier 1976, puis, alors qu'il était encore inconnu du grand public, Premier Ministre le 25 août 1976 (cumulant le Ministère de l'Économie et des Finances jusqu'au 31 mars 1978), et il est resté à Matignon jusqu'au 21 mai 1981, à la fin du septennat, malgré des périodes de surmenage (comme en octobre 1979). L'économiste s'est plu à faire de la politique (et c'était difficile avec, dans sa majorité, les empêcheurs de gouverner en rond qu'étaient les députés RPR),

    C'est la raison pour laquelle j'ai évoqué la synthèse Europe et France. Europe, car l'Européen convaincu a construit l'union économique et monétaire, seule la puissance européenne pourrait rivaliser économiquement avec les autres grands ensembles régionaux, mais aussi France, car il était un gardien pointilleux des institutions de la Cinquième République, et c'est d'ailleurs étonnant qu'il le fût plus que des gaullistes qui s'autoproclamaient du Général De Gaulle. Ainsi, il a soutenu le septennat et a toujours rejeté le quinquennat, il a aussi rejeté le principe de la cohabitation, considérant qu'un Président de la République qui n'avait plus de majorité à l'Assemblée Nationale, avait perdu la confiance du peuple et qu'il fallait relégitimer cette confiance d'une manière ou d'une autre. Le 7 octobre 1984, il affirmait : « Il y a là [avec l'idée de cohabitation] une trahison du principe fondamental de la Cinquième République et derrière cela, se profile le retour à un Président qui inaugure les chrysanthèmes avec un Premier Ministre et un gouvernement entre les mains des rivalités des partis. ».

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    Raymond Barre était contre le régime des partis, et d'ailleurs, il était contre le principe des partis, refusant de se faire enrégimenter par un appareil de parti, beaucoup trop électron libre pour suivre des consignes partisanes (ou en donner, d'ailleurs). Mais cet état d'esprit fut aussi sa perte car au moment de se présenter à l'élection présidentielle, il lui manquait une machine de guerre électorale efficace face au RPR (Jacques Chirac) et au PS (François Mitterrand). Lui ne pouvait se reposer que sur ses propres réseaux politiques (REEL, dirigés par Charles Millon) et sur l'UDF, une confédération de partis d'élus et pas de militants, eux-mêmes composés de nombreux électrons libres, souvent jaloux de leur indépendance politique et qui, souvent, monnayaient leur soutien au candidat le plus offrant.

    J'appréciais en effet beaucoup son indépendance d'esprit, sa capacité de réfléchir par lui-même, indépendamment des modes et des sondages, quitte à soutenir des dispositions impopulaires le cas échéant (il proclamait à Matignon : « Je préfère être impopulaire qu'irresponsable ! »). J'appréciais également son ton professoral (très peu électoraliste !), qui lui donnait une réelle autorité. J'étais d'ailleurs très étonné par sa grande popularité après 1981, qu'on pouvait sans doute expliquer par le besoin d'avoir un peu de sérieux dans l'économie alors que le gouvernement socialo-communiste faisait dans la surenchère des dépenses publiques (qu'on paie encore aujourd'hui, quarante-trois ans plus tard). Cela n'a pas suffi à le faire élire à l'Élysée en 1988 parce qu'il avait été un candidat assez médiocre, incapable de faire rêver, une campagne très peu dynamique (mal-menée d'abord par Philippe Mestre), il aurait dû être présent partout, réagir à tout, initier trente-six mille débats sur des sujets importants ou anecdotiques. Bref, dans la compétence de candidat, Jacques Chirac et François Mitterrand était nettement meilleurs que lui.

    Au lieu de se retirer de la vie politique après son échec de 1988, Raymond Barre s'est finalement prêté au jeu politique classique. Député de Lyon depuis 1978 (André Santini, député UDF, s'amusait à témoigner : « Barre, c'est mon compagnon de chambre : il dort à côté de moi à l'Assemblée ! »), il a été élu maire de Lyon de juin 1995 à mars 2001, et à ce jour, les Lyonnais le considèrent comme le meilleur maire qu'ils ont eu. Il faut dire qu'il a poursuivi avec succès le projet de Michel Noir d'ouvrir la ville traditionnellement très repliée sur elle-même pour la faire rayonner internationalement, ce que savait faire Raymond Barre par sa grande expérience du pouvoir. Une ville lumière !

    Parmi les défauts de Raymond Barre, on pourrait bien sûr affirmer qu'il manquait un peu d'anticipation sur la réalité des dangers politiques de l'avenir. Il restait très anticommuniste, et il était très prudent sur la politique d'ouverture de l'URSS de Mikhaïl Gorbatchev, ne tombant pas dans la gorbamania comme la plupart des dirigeants ouest-européens. En revanche, il n'avait pas vu venir, malgré le développement de l'audience électorale de Jean-Marie Le Pen, la menace durable et inquiétante d'une extrême droite populiste non seulement en France, mais aussi en Europe voire dans le monde entier (en particulier sur le continent américain). Sans doute était-ce sa génération qui voulait cela, puisqu'il est né quand l'Union Soviétique avait un an. Toutefois, son humanisme l'encourageait à prôner des idées que rejette l'extrême droite, en particulier sur le respect des immigrés. En 1988, Raymond Barre disait ainsi : « La France a été dans le passé et sera dans l'avenir une société composée de communautés de provenances diverses et de cultures variées. La France, comme les États-Unis, est un creuset. Aucun autre pays, à l'exception de la Yougoslavie, n'a une composition ethnique si hétérogène. (…) L'unité française s'est construite sur, et contre, une extraordinaire diversité ethnique et culturelle. ».

    J'expliquais que l'UDF l'avait soutenu à l'élection présidentielle de 1988 et pas le RPR. Il était gaulliste et démocrate chrétien, un courant qui a existé avec le MRP, des résistants gaullistes et centristes (comme Edmond Michelet, Maurice Schumann), mais Raymond Barre n'était pas un ancien résistant. Les gaullistes étaient totalement polarisés par Jacques Chirac et le RPR, et seul le courant centriste a soutenu Raymond Barre, le CDS (Centre des démocrates sociaux) d'ailleurs nettement plus sincèrement que le Parti républicain (ex-RI, parti de VGE), ce qui a justifié mon engagement au CDS à l'époque.

    Malheureusement, il n'existe plus de Raymond Barre dans la classe politique d'aujourd'hui. Les centristes, dont le courant est aujourd'hui représenté par Emmanuel Macron, même si c'est très différent historiquement, car les centristes, c'est l'Europe et la décentralisation (la subsidiarité), or, le macronisme est certes européen mais plutôt jacobin, les centristes restent avec ce péché originel de vouloir revenir à la Quatrième République (avec le MoDem, le Parti radical, l'UDI, etc.). Ce n'est pas exactement cela, mais leur propension à soutenir par exemple le scrutin proportionnel en est un symptôme. Au contraire, Raymond Barre défendait les institutions gaulliennes avec le scrutin majoritaire qui permettent d'avoir un gouvernement fort, efficace et démocratique, avec une majorité solide (pas toujours !), alors que les centristes aiment rarement la figure de l'homme providentiel (ou de la femme providentielle).

    À ma connaissance, seulement quatre grandes biographies ont été publiées sur Raymond Barre : "Un certain Raymond Barre" de Pierre Pélissier (éd. Hachette, 1977), "Monsieur Barre" d'Henri Amouroux (éd. Robert Laffont, 1986), "Raymond Barre" de Christiane Rimbaud (éd. Perrin, 2015) et "Raymond Barre aujourd'hui" de Jacques Bille (éd. Temporis, 2020). Nul doute qu'on le découvrira plus tard, après une traversée du désert...


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (07 avril 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Mon Raymond Barre à moi !
    Un véritable homme d’État (25 août 2017).
    Disparition de Raymond Barre (25 août 2007).
    Raymond Barre absent de l’élection présidentielle (12 avril 2007).
    La dernière interview de Raymond Barre le 1er mars 2007 sur France Culture (texte intégral).
    Triste vieillesse (8 mars 2007).

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    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240412-raymond-barre.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/mon-raymond-barre-a-moi-253864

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/12/article-sr-20240412-raymond-barre.html