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démocratie - Page 10

  • Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains

    « Quand on lève la garde pour se protéger le visage, on expose son cœur. Et inversement. » (Jo Nesbo, 2021).



     

     
     


    Ce qui se passe chez Les Républicains depuis les élections européennes pourraient faire rigoler à grands éclats. En effet, la journée du mercredi 12 juin 2024 restera certainement dans toutes les mémoires tant dans la rubrique humour que dans la rubrique politique.

    L'épisode (j'y reviendrai juste après) d'un président de parti enfermé dans son bureau et empêchant ses collègues de s'introduire dans le bâtiment, un peu comme les gosses le feraient dans une cour de récréation, me faisait penser à cette excellente bande dessinée de Christian Binet, l'auteur de la série des Bidochons, intitulée "Monsieur le Ministre" (en deux tomes). À un moment, les jeunes du parti veulent prendre le pouvoir en interne, alors ils se rebellent contre les vieux (les caciques qui dirigent le parti) et s'enferment dans les toilettes. Suit alors une négociation pour qu'ils rouvrent la porte des toilettes, etc. Le très observateur Binet faisait référence à la séquence des Rénovateurs de l'opposition, entre avril et juin 1989, où les jeunes loups quadragénaires de l'UDF et du RPR (dont Dominique Baudis, Michel Noir, François Bayrou et Philippe Séguin) voulaient mettre dehors Jacques Chirac et Valéry Giscard d'Estaing.

    D'autres mettent un parallèle avec la guéguerre entre Jean-François Copé et François Fillon pour s'emparer de la présidence de l'UMP en 2012-2013. Mais je pense que c'est beaucoup plus grave que cela. Ici, il ne s'agit pas de la tambouille interne d'un parti politique, mais de candidatures pour les élections législatives et donc, à terme, pour un futur gouvernement. Cela ne concerne donc pas seulement les adhérents (raréfiés) d'un (désormais petit) parti politique, mais l'ensemble des Français.

    J'écris "vaudeville", j'écris "rigoler", et on a raison de rire, un rire nerveux, car peut-être que les temps vont être durs, mais en fait, ce n'est pas drôle du tout, c'est même très grave et j'aurais même tendance à penser que ce qui se passe aux LR est une déflagration encore plus grave que celle provoquée par la dissolution.

    Venons-en aux faits. Après l'allocution du Président Emmanuel Macron, le président de LR, Éric Ciotti, conformément à la doctrine de ce parti depuis 2017, a annoncé dès le soir du 9 juin 2024 qu'il n'était pas question de faire alliance avec la majorité présidentielle. Pas de surprise, mais surtout, pas de réaction hostile de la part des hiérarques de LR. Et puis, est venue cette (malheureuse ?) déclaration d'Éric Ciotti interrogé au journal de 13 heures le mardi 11 juin 2024 sur TF1. Il a annoncé vouloir faire une alliance entre LR et le RN, afin de présenter des candidatures uniques dans toutes les circonscriptions : « Nous avons besoin d'une alliance. Il faut une alliance avec le RN, ses candidats. Je souhaite que ma famille aille dans ce sens. ».

    En quelque sorte, voyant le vent favorable au RN, il voudrait que les favoris lui fassent une place. Allez, Françoise Hardy manque, petit intermède (il y en aura deux autres dans cet article qui poursuit l'hommage à la chanteuse).

    « Fais-moi une place

    Dans ton avenir
    Pour que j'ressasse

    Moins mes souvenirs »





    Le raisonnement d'Éric Ciotti est cynique mais réaliste : face à trois blocs importants, le RN, la majorité présidentielle et la gauche qui s'est unifiée comme par magie (j'y reviendrai dans un autre article), Les Républicains ne peuvent pas rester seuls dans cette aventure électorale et risquent de tout perdre, de n'avoir plus aucun député. Dans la tradition de la Cinquième République, il leur faut donc faire alliance. Ce raisonnement est à mon avis tout à fait pertinent et valable, mais c'est la conclusion qui devient complètement débile.

    Car pour lui, LR doit donc s'allier au RN. Pas de candidature opposée à l'un ou à l'autre dans les circonscriptions. Marine Le Pen, qui s'est réjouie de cette prise de position, a tout de suite dit ok et, du coup, a jeté à la poubelle ses débuts de négociation avec Reconquête commencées lundi. Pour Éric Ciotti, dont la circonscription niçoise doit être très RN au lendemain des européennes, c'est la consécration.

    Pourtant, politiquement, c'est débile parce que le programme économique d'Éric Ciotti est diamétralement opposé aux vagues déclarations faites sur le sujet par le RN : il souhaite instaurer l'ultralibéralisme, supprimer quasiment tous les impôts mais aussi les dépenses publiques.

    Les réactions ne se sont pas fait attendre ! Tous les autres responsables LR ont condamné sans appel cette prise de position. Tous, sans exception, en particulier, bien sûr, Valérie Pécresse, Michel Barnier et Xavier Bertrand, ainsi que Gérard Larcher, ce qui était prévisible, mais aussi Laurent Wauquiez (qu'on n'entendait plus), Bruno Retailleau, Geoffroy Didier, même Nadine Morano, Brice Hortefeux, encore François-Xavier Bellamy et Cécile Imart, les acteurs LR des européennes. Tous ont condamné mais on ne sait pas toujours pour quelle raison, car il y a deux motifs à condamnation.

    Le premier est à la fois moral et politique : il n'est pas question que Les Républicains fassent alliance avec le parti de Jean-Marie Le Pen, fondé par des anciens de l'OAS qui voulaient la peau de De Gaulle. Le second est moins clair, surtout procédural, certains s'indignent qu'Éric Ciotti prenne une décision si lourde de sens sans concertation, sans consulter le bureau politique, sans consulter les adhérents, bref, comme un autocrate, comme l'a très bien décrit sur tous les plateaux de télévision la maire de Taverny Florence Portelli, vice-présidente de LR. D'un côté le fond, de l'autre la forme, mais les deux se rejoignent.

    Le problème de LR, c'est qu'Éric Ciotti est le président élu par les adhérents et que rien ne l'empêche de le rester. Problème juridique fort comme c'était le cas pour François Fillon désigné candidat à l'élection présidentielle par la primaire et rien juridiquement ne permettait de l'évincer. L'épreuve de force a donc eu lieu.


    Le lendemain, mercredi 12 juin 2024, c'était la guerre des tranchées. En prévision du grabuge, Éric Ciotti a fait évacuer le siège de LR de tous ses permanents censés désormais travailler en télétravail. À midi, les portes du bâtiment se sont fermées, place du Palais-Bourbon. L'idée était motivée par la réunion prochaine d'un bureau politique contre lui. Qu'importe, les membres du bureau politique se sont installés pas très loin, rue Las-Cases, au Musée Social (cela ne s'invente pas, même dans les plus mauvais romans d'anticipation politique).

    Résultat : la réunion du bureau politique de LR a été tenue, sans Éric Ciotti, et l'a exclu de LR pour avoir pris la décision de s'allier au RN. Ces membres du bureau politique ont d'ailleurs rappelé la célérité avec laquelle Éric Ciotti avait voulu exclure les membres de LR qui avaient rejoint Emmanuel Macron entre 2017 et 2022. Pendant ce temps, Éric Ciotti était dans son bureau au siège de LR et y est resté, bunkérisé ! Les responsables LR lui ont retiré les codes des comptes Twitter et de la boîte email de LR, ont retiré le chauffeur, si bien que pour retourner à Nice, Éric Ciotti devra prendre un taxi jusqu'à l'aéroport (quelle horreur !), etc. On retrouve ici les petites misères et humiliations que l'on peut trouver dans les affaires de harcèlement dans les entreprises.
     

     
     


    Éric Ciotti a refusé ce verdict et a rappelé qu'il a été élu président de LR par les adhérents et que beaucoup d'adhérents lui ont apporté leur soutien, ce qui est plausible d'ailleurs. J'y suis, j'y reste ! Il y a désormais un choc de deux légitimités. Ah, la nostalgie d'une équipe soudée (comment, il n'y en a jamais eu ?). Qu'importe, deuxième intermède avec toujours Françoise Hardy.

    « C'est le temps de l'amour
    Le temps des copains
    Et de l'aventure
    Quand le temps va et vient
    On ne pense à rien
    Malgré ses blessures »






    La situation est donc très grave car dans ce choc de légitimité politique, il y a des investitures qui doivent être données de manière urgente (le dépôt des candidatures se termine le 16 juin 2024). Ainsi, il y a une commission des investitures LR qui provient du bureau politique et refuse tout candidat LR voulant faire alliance avec le RN, tandis qu'Éric Ciotti lui-même délivre des investitures à "ses" candidats LR sur le terrain. De quoi rendre confus les choses non seulement auprès des électeurs, les leurs, mais aussi auprès des cadres locaux de LR. Quel pourrait être l'argumentaire de campagne avec des positions si différentes ?

    En gros, on a un Éric Ciotti qui est exclu de LR mais tout en restant président de LR. Le bureau politique a pourtant annoncé qu'une présidence collégiale était mise en place (ce n'est pas la première fois !) avec la députée Annie Genevard, secrétaire générale de LR, et François-Xavier Bellamy, l'ancienne tête de liste LR aux européennes.

    Cela me fait penser à 2015 quand Marine Le Pen avait fait adopter par le bureau politique du FN l'exclusion de son père, Jean-Marie Le Pen, mais juridiquement, ce dernier restait tout de même le président d'honneur du FN car c'était inscrit dans les statuts du FN (les statuts, c'est l'équivalent d'une constitution pour un parti politique, c'est difficile de les modifier, il faut l'accord des adhérents au cours d'une assemblée générale ou congrès).
     

     
     


    Ces événements sont graves pour Les Républicains car ils remettent en cause leur propre existence. Petite séquence nostalgie : dire que LR était ce gros mastodonte UMP qui était hégémonique dans les institutions avec 358 députés sur 577 ! Tout cela est bien fini, depuis 2017, la fleur a fané vite, et 2024 pourrait en être le point final. Comme pour l'amie la rose. Troisième et dernier intermède avec hardyesse.

    « Je me suis épanouie
    Heureuse et amoureuse
    Aux rayons du soleil
    Me suis fermée la nuit
    Me suis réveillée vieille
    Pourtant j'étais très belle
    Oui, j'étais la plus belle
    Des fleurs de ton jardin
    On est bien peu de chose
    Et mon amie la rose
    Me l'a dit ce matin
    Vois le dieu qui m'a faite
    Me fait courber la tête
    Et je sens que je tombe »






    Ce vaudeville n'est pas prêt d'être terminé. Cela va se jouer à coups de constat d'huissiers, voire de plaintes devant les tribunaux, sans aucun respect ni pour les électeurs ni pour leurs sympathisants. L'aspect administratif et juridique risque de mettre au second plan l'aspect politique qui est pourtant la seule chose qui compte dans une élection : que proposeront les candidats LR comme programme et avec qui comptent-ils gouverner.

    En ce qui me concerne, je me réjouis que la digue anti-RN soit maintenue chez les dirigeants de LR, hors Éric Ciotti dont on connaissait déjà l'architecture cérébrale ultradroitisée. En particulier, la réaction de Laurent Wauquiez, Nadine Morano, Brice Hortefeux, entre autres, montre que l'indignation est quasi-unanime vis-à-vis de leur président pourtant effectivement légitime.

    En revanche, je suis inquiet voire en colère contre les dirigeants LR supposés "modérés", en particulier Gérard Larcher : il condamne effectivement les propos d'Éric Ciotti, parce qu'il ne veut pas un gouvernement RN, mais il continue à dénigrer systématiquement Emmanuel Macron au lieu, au contraire, de chercher un terrain d'entente avec lui. En continuant à s'opposer de manière totalement stérile à Emmanuel Macron, Gérard Larcher et quelques autres font finalement le jeu du RN. Après tout, avec ses hypothèses, Éric Ciotti gagnerait dans ce jeu de dupes son Ministère de l'Intérieur et le reste de LR aurait tout perdu.


    Aussi sur le blog.


    Sylvain Rakotoarison (12 juin 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Sidération institutionnelle.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Résultats des élections européennes du dimanche 9 juin 2024.

     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240612-les-republicains.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/legislatives-2024-1-vaudeville-255197

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/06/13/article-sr-20240612-les-republicains.html





     

  • L'émergence du ciottisme

    « Quand on lève la garde pour se protéger le visage, on expose son cœur. Et inversement. » (Jo Nesbo, 2021).



     

     
     


    Ce qui se passe chez Les Républicains depuis les élections européennes pourraient faire rigoler à grands éclats. En effet, la journée du mercredi 12 juin 2024 restera certainement dans toutes les mémoires tant dans la rubrique humour que dans la rubrique politique.

    L'épisode (j'y reviendrai juste après) d'un président de parti enfermé dans son bureau et empêchant ses collègues de s'introduire dans le bâtiment, un peu comme les gosses le feraient dans une cour de récréation, me faisait penser à cette excellente bande dessinée de Christian Binet, l'auteur de la série des Bidochons, intitulée "Monsieur le Ministre" (en deux tomes). À un moment, les jeunes du parti veulent prendre le pouvoir en interne, alors ils se rebellent contre les vieux (les caciques qui dirigent le parti) et s'enferment dans les toilettes. Suit alors une négociation pour qu'ils rouvrent la porte des toilettes, etc. Le très observateur Binet faisait référence à la séquence des Rénovateurs de l'opposition, entre avril et juin 1989, où les jeunes loups quadragénaires de l'UDF et du RPR (dont Dominique Baudis, Michel Noir, François Bayrou et Philippe Séguin) voulaient mettre dehors Jacques Chirac et Valéry Giscard d'Estaing.

    D'autres mettent un parallèle avec la guéguerre entre Jean-François Copé et François Fillon pour s'emparer de la présidence de l'UMP en 2012-2013. Mais je pense que c'est beaucoup plus grave que cela. Ici, il ne s'agit pas de la tambouille interne d'un parti politique, mais de candidatures pour les élections législatives et donc, à terme, pour un futur gouvernement. Cela ne concerne donc pas seulement les adhérents (raréfiés) d'un (désormais petit) parti politique, mais l'ensemble des Français.

    J'écris "vaudeville", j'écris "rigoler", et on a raison de rire, un rire nerveux, car peut-être que les temps vont être durs, mais en fait, ce n'est pas drôle du tout, c'est même très grave et j'aurais même tendance à penser que ce qui se passe aux LR est une déflagration encore plus grave que celle provoquée par la dissolution.

    Venons-en aux faits. Après l'allocution du Président Emmanuel Macron, le président de LR, Éric Ciotti, conformément à la doctrine de ce parti depuis 2017, a annoncé dès le soir du 9 juin 2024 qu'il n'était pas question de faire alliance avec la majorité présidentielle. Pas de surprise, mais surtout, pas de réaction hostile de la part des hiérarques de LR. Et puis, est venue cette (malheureuse ?) déclaration d'Éric Ciotti interrogé au journal de 13 heures le mardi 11 juin 2024 sur TF1. Il a annoncé vouloir faire une alliance entre LR et le RN, afin de présenter des candidatures uniques dans toutes les circonscriptions : « Nous avons besoin d'une alliance. Il faut une alliance avec le RN, ses candidats. Je souhaite que ma famille aille dans ce sens. ».

    En quelque sorte, voyant le vent favorable au RN, il voudrait que les favoris lui fassent une place. Allez, Françoise Hardy manque, petit intermède (il y en aura deux autres dans cet article qui poursuit l'hommage à la chanteuse).

    « Fais-moi une place

    Dans ton avenir
    Pour que j'ressasse

    Moins mes souvenirs »





    Le raisonnement d'Éric Ciotti est cynique mais réaliste : face à trois blocs importants, le RN, la majorité présidentielle et la gauche qui s'est unifiée comme par magie (j'y reviendrai dans un autre article), Les Républicains ne peuvent pas rester seuls dans cette aventure électorale et risquent de tout perdre, de n'avoir plus aucun député. Dans la tradition de la Cinquième République, il leur faut donc faire alliance. Ce raisonnement est à mon avis tout à fait pertinent et valable, mais c'est la conclusion qui devient complètement débile.

    Car pour lui, LR doit donc s'allier au RN. Pas de candidature opposée à l'un ou à l'autre dans les circonscriptions. Marine Le Pen, qui s'est réjouie de cette prise de position, a tout de suite dit ok et, du coup, a jeté à la poubelle ses débuts de négociation avec Reconquête commencées lundi. Pour Éric Ciotti, dont la circonscription niçoise doit être très RN au lendemain des européennes, c'est la consécration.

    Pourtant, politiquement, c'est débile parce que le programme économique d'Éric Ciotti est diamétralement opposé aux vagues déclarations faites sur le sujet par le RN : il souhaite instaurer l'ultralibéralisme, supprimer quasiment tous les impôts mais aussi les dépenses publiques.

    Les réactions ne se sont pas fait attendre ! Tous les autres responsables LR ont condamné sans appel cette prise de position. Tous, sans exception, en particulier, bien sûr, Valérie Pécresse, Michel Barnier et Xavier Bertrand, ainsi que Gérard Larcher, ce qui était prévisible, mais aussi Laurent Wauquiez (qu'on n'entendait plus), Bruno Retailleau, Geoffroy Didier, même Nadine Morano, Brice Hortefeux, encore François-Xavier Bellamy et Cécile Imart, les acteurs LR des européennes. Tous ont condamné mais on ne sait pas toujours pour quelle raison, car il y a deux motifs à condamnation.

    Le premier est à la fois moral et politique : il n'est pas question que Les Républicains fassent alliance avec le parti de Jean-Marie Le Pen, fondé par des anciens de l'OAS qui voulaient la peau de De Gaulle. Le second est moins clair, surtout procédural, certains s'indignent qu'Éric Ciotti prenne une décision si lourde de sens sans concertation, sans consulter le bureau politique, sans consulter les adhérents, bref, comme un autocrate, comme l'a très bien décrit sur tous les plateaux de télévision la maire de Taverny Florence Portelli, vice-présidente de LR. D'un côté le fond, de l'autre la forme, mais les deux se rejoignent.

    Le problème de LR, c'est qu'Éric Ciotti est le président élu par les adhérents et que rien ne l'empêche de le rester. Problème juridique fort comme c'était le cas pour François Fillon désigné candidat à l'élection présidentielle par la primaire et rien juridiquement ne permettait de l'évincer. L'épreuve de force a donc eu lieu.


    Le lendemain, mercredi 12 juin 2024, c'était la guerre des tranchées. En prévision du grabuge, Éric Ciotti a fait évacuer le siège de LR de tous ses permanents censés désormais travailler en télétravail. À midi, les portes du bâtiment se sont fermées, place du Palais-Bourbon. L'idée était motivée par la réunion prochaine d'un bureau politique contre lui. Qu'importe, les membres du bureau politique se sont installés pas très loin, rue Las-Cases, au Musée Social (cela ne s'invente pas, même dans les plus mauvais romans d'anticipation politique).

    Résultat : la réunion du bureau politique de LR a été tenue, sans Éric Ciotti, et l'a exclu de LR pour avoir pris la décision de s'allier au RN. Ces membres du bureau politique ont d'ailleurs rappelé la célérité avec laquelle Éric Ciotti avait voulu exclure les membres de LR qui avaient rejoint Emmanuel Macron entre 2017 et 2022. Pendant ce temps, Éric Ciotti était dans son bureau au siège de LR et y est resté, bunkérisé ! Les responsables LR lui ont retiré les codes des comptes Twitter et de la boîte email de LR, ont retiré le chauffeur, si bien que pour retourner à Nice, Éric Ciotti devra prendre un taxi jusqu'à l'aéroport (quelle horreur !), etc. On retrouve ici les petites misères et humiliations que l'on peut trouver dans les affaires de harcèlement dans les entreprises.

     
     


    Éric Ciotti a refusé ce verdict et a rappelé qu'il a été élu président de LR par les adhérents et que beaucoup d'adhérents lui ont apporté leur soutien, ce qui est plausible d'ailleurs. J'y suis, j'y reste ! Il y a désormais un choc de deux légitimités. Ah, la nostalgie d'une équipe soudée (comment, il n'y en a jamais eu ?). Qu'importe, deuxième intermède avec toujours Françoise Hardy.

    « C'est le temps de l'amour
    Le temps des copains
    Et de l'aventure
    Quand le temps va et vient
    On ne pense à rien
    Malgré ses blessures »






    La situation est donc très grave car dans ce choc de légitimité politique, il y a des investitures qui doivent être données de manière urgente (le dépôt des candidatures se termine le 16 juin 2024). Ainsi, il y a une commission des investitures LR qui provient du bureau politique et refuse tout candidat LR voulant faire alliance avec le RN, tandis qu'Éric Ciotti lui-même délivre des investitures à "ses" candidats LR sur le terrain. De quoi rendre confus les choses non seulement auprès des électeurs, les leurs, mais aussi auprès des cadres locaux de LR. Quel pourrait être l'argumentaire de campagne avec des positions si différentes ?

    En gros, on a un Éric Ciotti qui est exclu de LR mais tout en restant président de LR. Le bureau politique a pourtant annoncé qu'une présidence collégiale était mise en place (ce n'est pas la première fois !) avec la députée Annie Genevard, secrétaire générale de LR, et François-Xavier Bellamy, l'ancienne tête de liste LR aux européennes.

    Cela me fait penser à 2015 quand Marine Le Pen avait fait adopter par le bureau politique du FN l'exclusion de son père, Jean-Marie Le Pen, mais juridiquement, ce dernier restait tout de même le président d'honneur du FN car c'était inscrit dans les statuts du FN (les statuts, c'est l'équivalent d'une constitution pour un parti politique, c'est difficile de les modifier, il faut l'accord des adhérents au cours d'une assemblée générale ou congrès).
     

     
     


    Ces événements sont graves pour Les Républicains car ils remettent en cause leur propre existence. Petite séquence nostalgie : dire que LR était ce gros mastodonte UMP qui était hégémonique dans les institutions avec 358 députés sur 577 ! Tout cela est bien fini, depuis 2017, la fleur a fané vite, et 2024 pourrait en être le point final. Comme pour l'amie la rose. Troisième et dernier intermède avec hardyesse.

    « Je me suis épanouie
    Heureuse et amoureuse
    Aux rayons du soleil
    Me suis fermée la nuit
    Me suis réveillée vieille
    Pourtant j'étais très belle
    Oui, j'étais la plus belle
    Des fleurs de ton jardin
    On est bien peu de chose
    Et mon amie la rose
    Me l'a dit ce matin
    Vois le dieu qui m'a faite
    Me fait courber la tête
    Et je sens que je tombe »






    Ce vaudeville n'est pas prêt d'être terminé. Cela va se jouer à coups de constat d'huissiers, voire de plaintes devant les tribunaux, sans aucun respect ni pour les électeurs ni pour leurs sympathisants. L'aspect administratif et juridique risque de mettre au second plan l'aspect politique qui est pourtant la seule chose qui compte dans une élection : que proposeront les candidats LR comme programme et avec qui comptent-ils gouverner.

    En ce qui me concerne, je me réjouis que la digue anti-RN soit maintenue chez les dirigeants de LR, hors Éric Ciotti dont on connaissait déjà l'architecture cérébrale ultradroitisée. En particulier, la réaction de Laurent Wauquiez, Nadine Morano, Brice Hortefeux, entre autres, montre que l'indignation est quasi-unanime vis-à-vis de leur président pourtant effectivement légitime.

    En revanche, je suis inquiet voire en colère contre les dirigeants LR supposés "modérés", en particulier Gérard Larcher : il condamne effectivement les propos d'Éric Ciotti, parce qu'il ne veut pas un gouvernement RN, mais il continue à dénigrer systématiquement Emmanuel Macron au lieu, au contraire, de chercher un terrain d'entente avec lui. En continuant à s'opposer de manière totalement stérile à Emmanuel Macron, Gérard Larcher et quelques autres font finalement le jeu du RN. Après tout, avec ses hypothèses, Éric Ciotti gagnerait dans ce jeu de dupes son Ministère de l'Intérieur et le reste de LR aurait tout perdu.


    Aussi sur le blog.


    Sylvain Rakotoarison (12 juin 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Sidération institutionnelle.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Résultats des élections européennes du dimanche 9 juin 2024.

     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240612-ciotti.html

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/06/21/article-sr-20240612-ciotti.html



     

  • Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !

    « Oui, 2024 sera vous l’avez compris un millésime français. Parce que c’est une fois par décennie que l’on commémore avec cette ampleur notre Libération. C’est une fois par siècle que l’on accueille les Jeux Olympiques et Paralympiques. Et c’est une fois par millénaire que l’on rebâtit une cathédrale. C’est une fois par génération que le destin de la suivante se joue comme sans doute il se joue maintenant. (…) Oui, cette année, beaucoup de notre avenir se détermine. Alors, à nous de faire ensemble. À nous de choisir plutôt que de subir, à nous de tracer la route plutôt que de suivre. » (Emmanuel Macron, allocution télévisée du 31 décembre 2023).




     

     
     


    Je reviens sur les résultats des élections européennes de ce dimanche 9 juin 2024 en France (j'évoquerai le reste de l'Union Européenne dans un article ultérieur). Il est des moments de l'histoire qui s'accélèrent à vitesse folle, et c'est le cas de ces semaines actuelles. Je me dépêche donc d'évoquer ces élections européennes qu'on a complètement oubliées en France après l'allocution présidentielle (il y a de quoi s'étonner qu'un Président aussi pro-européen efface aussi vite l'écho médiatique des européennes pour plonger la France dans la politique politicienne pendant un mois).

    Les résultats officiels (mais non définitifs) peuvent être lus à ce lien. Le premier enseignement est que, pour des élections européennes, la participation est à la hausse (légère hausse) par rapport à mai 2019, elles mêmes en hausse par rapport à 2014. C'est clair que lorsqu'il y a un enjeu, il y a une mobilisation. Néanmoins, avec 51,5% des inscrits, elle reste encore très faible et insuffisante : un électeur sur deux n'a pas pris part au vote. Dans le bureau de vote que je tenais, il y avait parfois la queue (une dizaine de personnes), mais aussi des moments de solitude (pas seul, je rassure, une urne ne doit jamais être sans la surveillance d'au moins deux personnes).

    Le dépouillement aurait pu être rapide mais avec le nombre de listes très élevé (trente-huit) et leur dénomination qui souvent ne fait intervenir ni le nom de la tête de liste ni le numéro d'ordre, c'est parfois difficile de ne pas se tromper de case. Ainsi, à une table de dépouillement, le bulletin de l'écologiste Jean-Marc Governatori a été confondu avec celui de l'écologiste Marie Toussaint. Combien d'électeurs ont-il peu se perdre dans la confusion ? Je l'ignore, mais c'est en tout cas astucieux de la part de Jean-Marc Governatori qui avait été candidat à la primaire des écologistes en 2021.

    Passons aux résultats en eux-mêmes et à leurs enseignements. Il n'y a pas eu de surprise puisque, pour les grandes listes, cela correspond à peu près aux derniers sondages, avec un resserrement entre Valérie Hayer et Raphaël Glucksmann, mais les courbes sans se croiser, une remontée de Manon Aubry et deux listes qui ont failli passer sous la barre de 5%.

    Il faut donc dire ce qui est, le défaite annoncée est bien là : pour la liste conduite par Valérie Hayer pour le compte de la majorité présidentielle, que j'ai soutenue, c'est une énorme défaite avec seulement 14,6% des voix, elle fait nettement moins que la liste macroniste de 2019 et ne fait rentrer au Parlement de Strasbourg que 13 élus, ce qui est faible pour peser sur un groupe, toujours le troisième, Renew, qui devrait peser 79 sièges sur 720. L'honneur est sauf de devancer la liste socialiste, mais il n'y a pas de quoi être fier avec seulement moins de 200 000 voix d'avance (0,8%). Selon certaines sources, l'Élysée était persuadé, même à la fin de la campagne, que Valérie Hayer remonterait à 20% des voix.

    Inversement, la liste de Jordan Bardella a obtenu une très belle victoire avec 31,4% des voix et 30 sièges. D'un point de vue historique, c'est le deuxième meilleur score pour des élections européennes depuis 1979, le premier étant les 43,0% de la liste menée par Simone Veil en juin 1984. Localement, c'est aussi la Bérézina partout : plus de 97% des communes de France ont placé la liste RN en première position, et à l'exception de deux départements, quasiment tous les départements, et toutes les régions ont placé la liste RN en première position. C'est donc un mouvement de fond et général sur tout le territoire. Se placer systématiquement en première position partout, cela signifie que dans quasiment toutes les 577 circonscriptions, le RN est assuré d'être présent au second tour si son candidat n'est pas élu dès le premier tour. C'est donc impressionnant et très rare dans l'histoire électorale de la France.

    Mettons cependant un petit bémol dans cette victoire du RN. Incontestablement, c'est la plus belle de ce parti depuis cinquante-deux ans, c'est vrai, et à ce titre, elle restera dans les livres d'histoire. Mais tentons de relativiser pour se donner la perspective des élections législatives anticipées qui arrivent. Il est parfois très instructif de prendre les résultats brut, c'est-à-dire, le nombre de voix, c'est-à-dire, derrière les chiffres, les personnes. Jordan Bardella a rassemblé près de 7,8 millions de voix, c'est beaucoup, mais un peu moins que Marine Le Pen au premier tour de l'élection présidentielle d'avril 2022 : 8,1 millions de voix. Comme il y a moins de participation, les pourcentages sont très différents entre 2024 et 2022, mais on peut imaginer que le RN a réussi à mobiliser quasiment tous ses primoélecteurs de 2022 (et cela, c'est un bel exploit). Inversement, Valérie Hayer n'a recueilli que 3,6 millions d'électeurs, tandis que candidat Emmanuel Macron avait obtenu au premier tour de l'élection présidentielle d'avril 2022 près de 9,8 millions d'électeurs. Où sont donc passés les 6,2 millions d'électeurs qui ont manqué à la liste de la majorité présidentielle ? J'insiste : c'était au premier tour (pas second), et Emmanuel Macron avait déjà exercé son premier mandat (ils le connaissaient donc). Certains de ses primoélecteurs de 2022 ont pu être déçus, évidemment, et l'abandonner en cours de route, mais les deux principales réformes clivantes qui ont été adoptées en deux ans, réforme des retraites et loi Immigration, avaient été annoncées pendant la campagne présidentielle, il n'a pas eu de surprise à ce sujet. Valérie Hayer n'a donc su mobiliser qu'un tiers de l'électorat macroniste. Elle est là, la réserve de voix de la Macronie pour les élections législatives anticipées. L'enjeu pour la majorité présidentielle, c'est de mobiliser son propre électorat !

    La bonne performance de la liste de Raphaël Glucksmann (13,8% des voix et 13 sièges aussi, François Kalfon élu in extremis) n'a rien à voir avec le PS, très peu visible et audible dans cette campagne. Son éloignement du PS dès ce lundi 10 juin 2024, puisqu'il refuse absolument toute alliance avec FI, montre que ses électeurs se sont fait duper : voter pour Raphaël Gluckmann était voter pour Jean-Luc Mélenchon, même s'il refusait de le reconnaître (et malgré lui !). En clair, la majorité présidentielle peut avoir une réserve de voix dans l'électorat de Raphaël Glucksmann (pas la totalité mais une bonne partie). La rapidité à se mettre ensemble des partis de la Nupes, même le PCF, montre qu'ils restent les mêmes, sous allégeance des insoumis qui, par ailleurs, ont fait plutôt bonne performance en frôlant les 10% (9,9% des voix et 9 sièges).

    La liste LR, si elle fait mieux que Valérie Pécresse en 2022, reste à plafonner comme en 2019, avec 7,3% des voix, soit 6 sièges, empêchant la réélection de Brice Hortefeux (pas celle de Nadine Morano qui a failli y passer). Cela confirme une nouvelle fois, depuis 2019, que le parti Les Républicains est devenu une petite formation politique, avec ce grand écart entre la tentation Le Pen et la tentation Macron (la campagne des législatives risque d'y apporter un point final).

    Les deux dernières "grandes" listes ont failli n'avoir aucun siège. Les écologistes de Marie Toussaint n'ont obtenu que 5,5% des voix (5 sièges), soit moins de la moitié de la liste de Yannick Jadot en 2019. Il est clair que les électeurs ont exprimé un ras-le-bol des contraintes voulues par la transition écologique, dont a été aussi victime la liste de la majorité présidentielle. En revanche, nouvelle formation dans le paysage politique, Reconquête, le parti d'Éric Zemmour, s'y ancre avec 5,5% aussi (moins de 9 000 voix d'écart avec les écologistes), envoyant cinq élus à Strasbourg : Marion Maréchal, Guillaume Peltier, tous les deux anciens députés, Sarah Knafo, très proche d'Éric Zemmour, Nicolas Bay, député européen sortant ex-RN, ainsi que Laurence Trochu, président ex-LR de Sens commun. En comptant cette liste, le niveau électoral de l'extrême droite est donc très élevé en France puisqu'il correspond à environ 37% de l'électorat. C'est énorme !

     

     
     


    Passons aux "petites" listes. Celle de Léon Deffontaines, du PCF, bénéficiant pourtant des plateaux de télévision comme les "grandes", n'a pas réussi à gagner de siège (le député européen sortant Emmanuel Maurel est donc battu). C'était sans surprise, et son score de 2,4% correspond aussi aux estimations des sondages. De tous les candidats qui n'ont pas bénéficié de cette devanture médiatique, la liste de Jean Lassalle est la première, avec 2,4% aussi, elle ne fait que 1 000 électeurs de moins que les communistes et pourtant, elle a été complètement négligée par le paysage audiovisuel français. C'était pourtant prévisible, en 2022, Jean Lassalle avait récolté sur son nom 3% des voix.

    Ensuite, arrive Hélène Thouy, du Parti animaliste, qui, comme en 2019, sans beaucoup de publicité, a fait encore une bonne performance, 2,0% des voix (près de 500 000 voix), ce qui n'est pas rien. En 2019, elle s'affichait avec un chien. L'affiche avait alors été décisive pour des électeurs hésitant encore devant leur bureau de vote avant d'aller voter. Cette année, l'affiche est encore plus attractive puisqu'il s'agit d'un chat sur une épaule humaine, et aujourd'hui en France, il y a plus de possesseurs de chats que de chiens.


    La onzième liste (sur trente-huit) est celle de l'écologiste centriste Jean-Marc Governatori, avec 1,3% des voix, la bouille plutôt sympa et bénéficiant peut-être d'une proximité graphique du bulletin de la liste EELV. Les deux suivants sont les frères ennemis du Frexit qui, décidément, n'est pas voulu par les Français (tant mieux !), avec l'ennuyeux François Asselineau 1,02% des voix et l'excité Florian Philippot 0,93%, seulement 23 000 voix les séparent.

    Je termine avec trois listes encore : celle de Nathalie Arthaud (Lutte ouvrière) qui a fait 0,5% des voix (on est loin de hauts scores d'Arlette Laguiller en juin 1999 : 5,2% des voix !), et deux listes écologistes périphériques, celle de Yann Wehrling (ex-EELV, ex-MoDem) à 0,4%, et Équinoxe de la souriante Marine Cholley à 0,3%. Je renonce à évoquer les 22 autres listes qui ont rassemblé chacune moins de 65 000 électeurs et moins de 0,26% des voix, sinon pour évoquer le sort du député européen sortant Pierre Larrouturou, élu sur la liste socialiste en 2019 et tête de liste de son nanoparti Nouvelle donne, qui n'a fait que 0,05% des voix (on est à la deuxième décimale, en général, je l'évite !) et 13 068 électeurs (à confirmer avec les résultats définitifs). Les élections sont souvent rudes pour l'ego des candidats. Et évoquer aussi le sort de la liste commune de Francis Lalanne et Dieudonné : 5 474 voix (sous réserve des résultats définitifs), soit 0,02% (ayé, on a levé l'hypothèque Lalanne !!).


    Ah si, j'en évoque pour l'anecdote une dernière, la toute dernière liste du tableau, c'est la liste Démocratie représentative menée par le militant communautariste Hadama Traoré, et il a rassemblé officiellement (sous réserve des résultats définitifs) ...749 voix ! (même pas 8 voix par département !), soit 0,003% (on est à la troisième décimale !).

    Je proposerai un article sur ce que cela va signifier sur le plan européen (où, finalement, il y aura peu de changements dans l'ensemble), mais la signification politique franco-française, elle est déjà largement dépassée avec la décision du Président de la République qui a immédiatement fait table rase.

    Emmanuel Macron aurait pu tendre le dos et attendre que cela se passe. Par exemple, l'échec de la majorité est moins cuisant que celui de François Hollande et Manuel Valls en mai 2014 (mais ce n'est pas un modèle), où les listes PS (de la majorité présidentielle) n'avait fait que 13,98% des voix face aux listes du RN 25,0% et celles de l'UMP 20,8%. Si la liste Hayer a fait moins de la moitié de la seule liste au-dessus d'elle, ce n'est pas un tiers ni placée en troisième position. La venue des Jeux olympiques et paralympiques auraient rapidement fait oublier la cuisante défaite, et la rentrée 2024 aurait été dans un autre contexte. Mais le Président de la République a préféré un coup de poker en usant de son outil de la dissolution. On verra donc ce qui surnagera dans quelques semaines, mais ça promet quelques remous et des lignes qui bougent voire des partis qui explosent en plein vol (à suivre !).


    Aussi sur le blog.


    Sylvain Rakotoarison (10 juin 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Résultats des élections européennes du dimanche 9 juin 2024.
    Élections européennes 2024 (3) : y aura-t-il une surprise dimanche soir ?
    Quel est le programme européen de la liste Renaissance ?
    Programme de la liste Hayer à télécharger (6 mai 2024).
    Ursula von der Leyen.
    L'hommage de l'Europe à Jacques Delors.
    Le débat Gabriel Attal vs Jordan Bardella du 23 mai 2024.
    Élections européennes (2) : 37 listes et un bulletin de vote !
    Le souverainisme européen selon Emmanuel Macron : puissance, prospérité et humanisme.
    L'hymne à l'Europe.
    Fête de l'Europe, joies et fiertés françaises.
    Le Tunnel sous la Manche.
    Les 120 ans de l'Entente cordiale.
    Eurovision 2024.
    La vision européenne d'Édouard Balladur.
    Débat Valérie Hayer vs Jordan Bardella : l'imposture démasquée de Coquille vide.
    Il y a 20 ans, l'élargissement de l'Union Européenne.
    La convergence des centres ?
    Élections européennes 2024 (1) : cote d'alerte pour Renaissance.
    Valérie Hayer, tête de la liste Renaissance.
    Charles Michel et Viktor Orban : l'Europe victime d'une histoire belge !
    Jacques Delors : il nous a juste passé le relais !
    Il y a 15 ans : Nicolas Sarkozy, l'Europe et les crises (déjà).
    La Méditerranée, mère de désolation et cimetière de nos valeurs ?
    Le 8 mai, l'émotion et la politique.
    Ukraine, un an après : "Chaque jour de guerre est le choix de Poutine".
    Le 60e anniversaire du Traité de l'Élysée le 22 janvier 2023.
    De Gaulle, l’Europe et le volapük intégré.
    L’inlassable pèlerin européen Emmanuel Macron.
    Valéry Giscard d’Estaing, le rêveur d’Europe.
    Enfin, une vision européenne !
    Relance européenne : le 21 juillet 2020, une étape historique !

     
     
     
     






    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240609-europeennes.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/elections-europeennes-2024-4-la-255131

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/06/10/article-sr-20240609-europeennes.html




     

  • Il y a 100 ans, la démission d'Alexandre Millerand

    « Cet homme n’a jamais pu s’exprimer pleinement : la seule fois qu’il détint véritablement le pouvoir, en 1920, il le quitta volontairement pour une Présidence de la République qui lui apporta davantage de désillusions que de satisfactions. » (Jean-Louis Rizzo, 2013).




     

     
     


    La France politique vit cette semaine une période d'agitation importante avec la dissolution décidée par Emmanuel Macron. Il y a exactement 100 ans, la France vivait déjà une période de fortes turbulences politiques. Une forte crise institutionnelle a terminé le 11 juin 1924 par la démission du Président Alexandre Millerand, un des rares Présidents de la Troisième République à avoir un peu d'autorité politique (avec Adolphe Thiers et Raymond Poincaré).

    Revenons au contexte politique de l'homme puis du moment. Alexandre Millerand avait 65 ans au moment de cette crise politique majeure de la République. Avocat et journaliste proche de Georges Clemenceau, Alexandre Millerand était d'abord l'une des deux figures du socialisme français, l'autre étant ...Jean Jaurès, né la même année que lui, 1859. Élu conseiller municipal de Paris en 1884 (il avait 25 ans), puis député de Paris de décembre 1885 à septembre 1920, d'abord avec l'étiquette radicale, puis socialiste à partir de 1893 (avec René Viviani), puis socialiste indépendant à partir de 1904. Le "indépendant" de socialiste signifiait qu'il acceptait de devenir ministre dans un gouvernement "bourgeois", partisan du réformisme de l'intérieur.

    Son célèbre discours de Saint-Mandé, le 30 mai 1896, lors d'un banquet à la Porte Dorée (c'était l'époque des grands banquets républicains), est resté dans l'histoire comme un appel à l'unité des socialistes et à la rédaction d'un programme commun (déjà !). Il représentait alors une cinquantaine de députés socialistes. Alexandre Millerand était au départ soutenu par Jean Jaurès mais sa volonté de se rapprocher des classes moyennes inquiétait les socialistes révolutionnaires. Aux élections législatives des 8 et 22 mai 1898, Alexandre Millerand est devenu le leader incontesté des socialistes en raison de la défaite de Jean Jaurès et de Jules Guesde. Il était également proche d'Aristide Briand dans son œuvre d'éditorialiste politique (qui était de sa génération comme Jean Jaurès, Raymond Poincaré, Paul Painlevé, Aristide Briand et René Viviani).

    Le 23 juin 1899 a marqué une date importante pour le socialisme français puisque, avec un accord entre son groupe socialiste et le centre droit, Alexandre Millerand a été le premier socialiste à siéger au gouvernement, celui de Pierre Waldeck-Rousseau, comme Ministre du Commerce, de l'Industrie, des Postes et Télégraphes jusqu'au 7 juin 1902. Également chargé du Travail, il a fait voter la loi du 30 mars 1900 sur une réduction du temps de travail de 12 à 10 heures par jour.


    Se rapprochant du centre droit, Alexandre Millerand était favorable à la loi de séparation des Églises et de l'État du 9 décembre 1905, mais s'est opposé fermement à la politique anticléricale du Président du Conseil radical Émile Combes. Pour cette raison, il fut exclu des socialistes en janvier 1904 et a rompu avec Jean Jaurès. Parmi ses proches, il y avait Charles Péguy et, plus tard, Maurice Barrès.

    Au fil de gouvernements, Alexandre Millerand a repris des responsabilités ministérielles : Ministre des Travaux publics, des Postes et Télégraphes du 24 juillet 1909 au 3 novembre 1910 dans le gouvernement d'Aristide Briand, puis Ministre de la Guerre du 14 janvier 1912 au 12 janvier 1914 dans le gouvernement de Raymond Poincaré qui lui a laissé une grande autonomie d'action, puis en pleine guerre, du 26 août 1914 au 29 octobre 1915 dans le gouvernement de René Viviani. Pendant cette période, Alexandre Millerand laissait une grande marge de liberté à l'armée dirigée par le général Joseph Joffre au point que Raymond Poincaré, devenu Président de la République, évoquait une "dictature militaire" (avec censure dans la presse).

    Évincé du gouvernement, Alexandre Millerand a continué à prôner l'Union sacrée et surtout, à souhaiter le retour de Clemenceau à la Présidence du Conseil. Ses conceptions institutionnelles, dès 1885, étaient qu'il fallait à la France un homme fort qui puisse gouverner le pays. Clemenceau était, pour lui, l'homme de la situation pour terminer la guerre (il fut investi le 16 novembre 1917).

     

     
     


    Après la Victoire du 11 novembre 1918, Alexandre Millerand fut chargé par Clemenceau du poste délicat de Commissaire général de la République à Strasbourg du 21 mars 1919 au 25 janvier 1920. Il était chargé, avec des pouvoirs importants, de réinsérer administrativement l'Alsace-Moselle dans la République française après la défaite de l'Allemagne. J'ai connu un futur prêtre qui a travaillé à ses côtés à Strasbourg. Hélas, j'étais trop jeune pour avoir une discussion passionnante avec lui et il est parti, très âgé, mais trop tôt pour ma maturité intellectuelle. Quelques années plus tard, j'aurais eu tellement de questions pour mieux connaître et comprendre Alexandre Millerand. J'étais aussi fasciné par cette échelle du temps si lointain avec des témoins contemporains (et en 2024, c'est encore bien pire puisque près d'une quarantaine d'années est passée par là !).

    Les choses arrivèrent avec les élections législatives du 16 novembre 1919, les premières depuis la fin de la guerre. Il s'est fait réélire député de Paris, avec l'étiquette du Bloc national, comme Clemenceau (Président du Conseil), mais aussi comme son rival Raymond Poincaré (Président de la République). C'est une formation située au centre droit rassemblant les partis républicains. Le Bloc national les a largement remportées, avec 412 sièges sur 613 et 53,4% des voix, face aux 68 députés socialistes de la SFIO dirigée par Paul Faure (21,2% des voix) et aux 86 députés radicaux dirigés par Édouard Herriot (20,9% des voix). Pour les socialistes et les radicaux, ce fut une lourde défaite.

    À la fin du septennat de Raymond Poincaré, une élection présidentielle fut organisée le 17 janvier 1920 pour désigner son successeur. Bien que réticent à cette idée, Clemenceau a accepté d'être candidat à la candidature, histoire d'honorer le Père la Victoire et lui attribuer une retraite confortable (après l'Académie française). Sous la Troisième République, l'élection présidentielle se passait en deux temps : d'abord, une réunion préparatoire entre les partis républicains pour désigner un candidat unique (on appellerait cela maintenant une primaire), ensuite l'élection elle-même, par tous les parlementaires (députés et sénateurs). Le favori était George Clemenceau, en raison de la grande victoire du Bloc national, mais par de sombres manœuvres d'Aristide Briand, liguant de nombreux députés du Bloc national contre la manière de négocier le Traité de Versailles, Clemenceau a été mis en minorité par les députés de son groupe au profit de Paul Deschanel, un candidat médiocre et sans personnalité. Clemenceau, qui méprisait beaucoup la classe politique, est tombé par là où il était le tombeur traditionnel, car pendant un quart de siècle, il a eu une influence majeure dans l'élection des Présidents de la République, favorisant les plus médiocres et empêchant les fortes personnalités d'atteindre l'Élysée (c'était avant Raymond Poincaré). Résultat, Clemenceau retira sa candidature et démissionna de la Présidence du Conseil, puisque désavoué par sa majorité, pour prendre sa retraite (au Sénat).

    Pour le remplacer à la tête du gouvernement, Alexandre Millerand a été élu Président du Conseil le 20 janvier 1920, poste qu'il a cumulé avec celui de Ministre des Affaires étrangères. André Tardieu était considéré encore comme trop inexpérimenté pour diriger le gouvernement (il faut rappeler que Clemenceau et Alexandre Millerand se connaissaient bien depuis 1884, et qu'Alexandre Millerand et André Tardieu furent les deux rares personnalités politiques de la Troisième République à avoir voulu réformer les institutions pour réduire le pouvoir législatif et accroître le pouvoir exécutif (les gouvernements tombaient souvent, pour un oui ou un non).

    À l'Élysée, Paul Deschanel a été élu sans surprise. Mais sa santé mentale fut mise en cause lors d'un incident plutôt cocasse (il est tombé de son train présidentiel en pyjama sur la voie ferrée et le chef de gare du coin ne croyait pas qu'il était le Président de la République comme il le prétendait). Finalement, il démissionna assez vite le 21 septembre 1920, ce qui provoqua une nouvelle élection présidentielle.

    Alexandre Millerand, l'homme fort du Bloc national après le départ de Clemenceau, préférait rester Président du Conseil et désigner Charles Jonnart puis Raoul Péret (Président de la Chambre), voire Léon Bourgeois (Président du Sénat) comme successeurs à l'Élysée. Mais ces derniers refusèrent successivement si bien qu'il se porta candidat et, revanche de Clemenceau, Alexandre Millerand fut élu Président de la République le 23 septembre 1920 avec 695 voix sur 786 (soit 88,4% des voix) face au socialiste Gustave Delory (69 voix), après avoir été choisi par les parlementaires républicains à la réunion préparatoire de la veille par 528 voix sur 804. Il fut le mieux élu de la République !

     
     


    Refusant de seulement inaugurer les chrysanthèmes, Alexandre Millerand a défendu le concept de Président partisan, apportant son soutien au Bloc national pour faire durer l'Union sacrée. Mais la gauche s'opposait vivement à lui. Il souhaitait une véritable révision constitutionnelle qui donnerait plus de pouvoirs au Président de la République, supprimant l'avis conforme du Sénat pour son droit de dissolution, la possibilité de référendum, etc. Il prônait aussi le droit des femmes, la décentralisation, la création d'une cour constitutionnelle, etc. et sa méthode pour élire le Président de la République a été reprise par les constituants de 1958 (élection par un collège électoral). Dans sa majorité, les proches de Clemenceau lui reprochaient de saboter le Traité de Versailles, et les partisans de Raymond Poincaré, redevenu Président du Conseil du 15 janvier 1922 au 1er juin 1924, s'inquiétaient de sa pratique présidentielle autoritaire.

    L'un des exemples marquants de sa pratique présidentielle fut la nomination du nouveau gouvernement à son élection à l'Élysée. Pour le remplacer à la tête du gouvernement, il nomma le 24 septembre 1920 un ancien ministre de Clemenceau, Georges Leygues, et ce dernier proposa les mêmes ministres que le gouvernement sortant d'Alexandre Millerand qui, par cette méthode, continuait à diriger le gouvernement. Perdant le soutien d'une composante de sa majorité, Georges Leygues s'effaça devant Aristide Briand le 16 janvier 1921.

    Dans la perspective des élections législatives des 11 et 25 mai 1924, Alexandre Millerand a prononcé un autre discours important le 14 octobre 1923 à Évreux où il faisait campagne pour sa coalition. Il a défendu l'action du gouvernement tant financière que diplomatique et a choqué parce qu'il ne restait pas cantonné à un rôle honorifique. Cela a aiguisé les critiques, pendant la campagne, de ses adversaires, les radicaux et les socialistes réunis dans le Cartel des gauches, qui gagna finalement les élections avec 287 sièges sur 552 (42,1% des voix) face au centre droit 249 sièges (47,1% des voix), avec une forte participation (80,7% des inscrits, soit 10,5 points de plus qu'en 1919). Le mode de scrutin (mixte entre majoritaire et proportionnel) profita au Cartel des gauches minoritaire en voix mais majoritaire en sièges.

    Comme il s'était personnellement engagé dans la campagne, Alexandre Millerand a vu contestée sa propre légitimité. Les radicaux puis les socialistes réclamèrent sa démission. Alexandre Millerand refusa, si bien que la nouvelle majorité décida de faire une grève des Présidents du Conseil : tant qu'Alexandre Millerand était à l'Élysée, elle refuserait la confiance à tout gouvernement. Raymond Poincaré, le chef du gouvernement sortant, refusa d'être reconduit et donna sa démission le 1er juin 1924, jour de l'installation de la nouvelle Chambre. Alexandre Millerand proposa le 5 juin 1924 à Édouard Herriot, en tant que chef des radicaux, la Présidence du Conseil, mais sous pression de ses amis, il refusa l'offre. Le Président de la République la proposa alors à son ancien Ministre de l'Intérieur Théodore Steeg qui la refusa également.

     
     


    Il nomma le Ministre des Finances en exercice Frédéric François-Marsal à la Présidence du Conseil le 8 juin 1924. Son objectif était de pouvoir communiquer avec les députés et d'intégrer le Cartel des gauche dans le gouvernement sans démission présidentielle. En outre, il fallait l'aval du Sénat (composé majoritairement de radicaux) pour dissoudre la Chambre nouvellement élue. Le 10 juin 1924, les sénateurs par 154 voix contre 144 et les députés par 327 voix contre 217 ont renversé le gouvernement François-Marsal. Le lendemain, 11 juin 1924, acculé, alors qu'il a « épuisé tous les moyens légaux », après une guéguerre de deux semaines entre lui et le Cartel des gauches, et même une rumeur de coup d'État (parce qu'il avait invité à l'Élysée un général), Alexandre Millerand donna sa démission.

    Par cette crise institutionnelle, la Troisième République se confirmait comme un régime des partis et un régime d'assemblées, la Chambre avait le dernier mot dans tous les cas, et après la célèbre phrase de Gambetta : « Il faudra se soumettre ou se démettre ! » adressée à Mac Mahon, Président monarchiste élu par hasard pour régler un problème de succession dynastique, seule l'option de la démission était laissée par Édouard Herriot à Alexandre Millerand. Gaston Doumergue lui succéda à l'Élysée.

    Avec le retrait provisoire de Raymond Poincaré (qui, toutefois, retrouva la Présidence du Conseil du 23 juillet 1926 au 26 juillet 1929), Alexandre Millerand resta une personnalité politique forte du Bloc national, visitant la France avec notamment André Maginot, Louis Marin et André François-Poncet, allant même jusqu'à se rapprocher des milieux nationalistes en 1924 et 1925, puis il se fit élire sénateur de la Seine en avril 1925, échoua pour sa réélection en janvier 1927, puis fut réélu sénateur de l'Orne en octobre 1927 et octobre 1935, jusqu'en juillet 1940. Cela lui donnait une belle tribune politique. Dans les années 1930, il s'opposa à Aristide Briand (à cause de sa politique extérieure), apporta son soutien à André Tardieu puis Pierre Laval (en 1935) pour leur politique économique.

    Alexandre Millerand est mort le 6 avril 1943 à 84 ans (né le 10 février 1859), des suites de la maladie de Parkinson. Sa disparition ne fut pas un événement en raison de la guerre. L'historien Jean-Louis Rizzo, auteur d'une biographie d'Alexandre Millerand, lâcha comme un goût de destin inachevé : « Cet homme n’a jamais pu s’exprimer pleinement : la seule fois qu’il détint véritablement le pouvoir, en 1920, il le quitta volontairement pour une Présidence de la République qui lui apporta davantage de désillusions que de satisfactions. Le reste du temps, son caractère ombrageux, ses obstinations ainsi que ses erreurs éloignèrent de lui nombre de ses amis politiques. (…) Il n’en demeure pas moins qu’il fut parfois un précurseur, aussi bien dans l’affirmation d'un socialisme démocratique que dans la volonté de voir émerger un pouvoir exécutif fort. ».



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (09 juin 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Alexandre Millerand.
    La victoire des impressionnistes.
    Les 120 ans de l'Entente cordiale.
    Mélinée et Missak Manouchian.
    Le Débarquement en Normandie.
    La crise du 6 février 1934.
    Gustave Eiffel.

    Maurice Barrès.
    Joseph Paul-Boncour.
    G. Bruno et son Tour de France par Deux Enfants.
    Pierre Mendès France.
    Léon Blum.
    Jean Jaurès.
    Jean Zay.
    Le général Georges Boulanger.
    Georges Clemenceau.
    Paul Déroulède.
    Seconde Guerre mondiale.
    Première Guerre mondiale.
    Le Pacte Briand-Kellogg.
    Le Traité de Versailles.
    Charles Maurras.
    L’école publique gratuite de Jules Ferry.
    La loi du 9 décembre 1905.
    Émile Combes.
    Henri Queuille.
    Rosa Luxemburg.
    La Commune de Paris.
    Le Front populaire.
    Le congrès de Tours.
    Georges Mandel.
    Les Accords de Munich.
    Édouard Daladier.
    Clemenceau a perdu.
    Au Panthéon de la République, Emmanuel Macron défend le droit au blasphème.
    150 ans de traditions républicaines françaises.
     

     
     






    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240611-millerand.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/il-y-a-100-ans-la-demission-d-254934

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/06/08/article-sr-20240611-millerand.html




     

  • Élections européennes 2024 (3) : y aura-t-il une surprise dimanche soir ?

    « Il est donc certain que le Parlement européen n’est pas une institution de la République et qu’il ne participe pas de l’expression de la souveraineté nationale. Pour autant, son élection est déterminante pour les institutions républicaines, le peuple français ayant bien l’intention d’y faire entendre sa voix souveraine. » (Jean-Philippe Derosier, le 3 juin 2024 dans "Le Nouvel Obs").




     

     
     


    Le dernier débat télévisé de la campagne des élections européennes a eu lieu le soir du mardi 4 juin 2024, animé en direct sur France 2 par Caroline Roux. Un double débat puisque, pour faire bonne mesure, France 2 a organisé à la suite de ce débat un autre débat mêlant huit autres têtes de liste (mais quid des vingt-deux autres, alors ?) en invitant les "petits candidats" avec Nathalie Arthaud (LO), Hélène Thouy (Parti animaliste), Jean-Marc Governatori (écologie centriste), Guillaume Lacroix (radical de gauche), Jean Lassalle (Alliance rurale), Florian Philippot (extrême droite), Pierre Larrouturou (Nouvelle donne) et François Asselineau (extrême droite).

    Jean Lassalle, passablement de mauvaise humeur de passer à minuit quand les téléspectateurs ont déjà déserté leur écran, a maugréé avec sa voix rocailleuse, proposant comme « une mesure pour faire changer la vie quotidienne des gens » de condamner les instituts de sondage (et la journaliste qui animait par la même occasion !) en rappelant qu'il avait fait en 2022 le double de voix du parti socialiste (ce qui est à peu près vrai) et qu'il n'y avait pas de raison d'être considéré comme un petit candidat. Il est vrai que ces huit outsiders paraissaient un peu une équipe de bras cassés, où profond ennui (bis), simplisme à outrance, difficulté à s'exprimer (bis), fantaisie joyeuse, obsession complotiste, extrémisme revendicatif étaient monnaies courantes (saurez-vous associer chacun de ces traits à une tête de liste ?). Et pourquoi d'autres candidats n'ont-ils pas été invités, comme Yann Wehrling, Marine Cholley, Francis Lalanne ou encore Caroline Zorn (du Parti pirate) ?

    Le premier débat faisait intervenir les huit têtes de liste habituelles de cette campagne, à savoir : Jordan Bardella (RN), Valérie Hayer (Renaissance), Raphaël Glucksmann (PS), François-Xavier Bellamy (LR), Manon Aubry (FI), Marion Maréchal (Reconquête), Marie Toussaint (EELV) et Léon Deffontaines (PCF). À cette occasion, le téléspectateur a été content d'entendre des échanges francs et directs, au prix de bousculer la règle de l'égalité des temps de parole, rendant le dernier débat plus vivant et plus théâtral, même si, globalement, cela n'aura pas fait changer les lignes.

    Je note cependant deux grossières erreurs (au moins) plus ou moins voulues qui n'ont pas été corrigées par la modératrice. Sur l'énergie, Jordan Bardella a prétendu que la France produisait de l'énergie nucléaire depuis De Gaulle, ce qui est bien évidemment faux, le programme nucléaire civil a démarré en 1973 et c'est sous Valéry Giscard d'Estaing que les premières centrales nucléaires ont fonctionné. En revanche, comme De Gaulle avait voulu l'indépendance pour l'énergie, la France s'est dotée de plusieurs raffineries qui permettaient de produire les carburants directement en France, ce qui assurait une certaine indépendance (pas totale puisqu'il fallait quand même importer le pétrole d'origine).

     

     
     


    L'autre erreur grossière et volontaire, c'est François-Xavier Bellamy qui n'a cessé de la répéter durant l'émission en disant que le groupe PPE (dans lequel LR siège) allait devenir le premier groupe du Parlement Européen en 2024, ce qui est complètement faux : le PPE est le premier groupe depuis 1999 ! et toutes les majorités (sur les votes) ont pour noyau dur le PPE, alors que la tête de liste LR laissait entendre que jusqu'à maintenant, les décisions du Parlement Européen étaient prises avec une majorité de gauche (sociaux-démocrates, macronistes et extrême gauche), ce qui est complètement faux, la preuve, c'est que la Présidente de la Commission Européenne est Ursula von der Leyen qui émane précisément du PPE.

    Quant à Valérie Hayer, il faut noter son annonce intéressante selon laquelle la Commission Européenne allait verser à la France, dès le lendemain 5 juin 2024, une somme de 7,5 milliards d'euros dans le cadre du plan de relance de 2020, qui servira notamment à la rénovation de 500 petites lignes ferroviaires et à multiplier les bornes électriques partout dans le territoire, histoire de montrer que l'Europe, c'est aussi l'investissement dans des projets concrets dans l'intérêt des Français.

     
     


    La campagne de la liste FI menée principalement par Jean-Luc Mélenchon et la candidate Rima Hassan s'est basés presque exclusivement sur des positions pro-palestiniennes et anti-israéliennes, et cela semble avoir aidé la liste de Manon Aubry à surnager au-dessus du seuil de 5% des intentions de vote (la liste aurait récupéré une grande partie du "vote des banlieues"). Ce qu'en dit l'humoriste Sophie Aram dans sa chronique publiée le 2 juin 2024 dans "Le Parisien" résume assez bien la situation : « Jusqu'au bout de l'ignoble. Nul doute que cette poignée d'élus insoumis continuera certainement d'alimenter la haine jusqu'au 9 juin, date à laquelle la liste du Rassemblement national menée par "Jordan TikTok Barre de lol" devrait atteindre des sommets dont aucun Le Pen n'avait osé rêver. Puisque, visiblement, dans le chaos dans lequel l'extrême gauche plonge le débat public, une majorité d'électeurs semblent préférer un ectoplasme gominé vendu à Poutine à toute autre proposition politique. On peut le regretter mais vu la concomitance du vacarme de la fanfare insoumise et de la progression sondagière d'un invertébré en costume cravate, on ne peut ignorer cette hypothèse. (…) Jamais la cause palestinienne n'aura donc été à ce point détournée par des islamistes, en Palestine, et utilisée par des militants d'extrême gauche, en Occident, pour alimenter leurs propres intérêts (…). Le plus surprenant pour moi étant de constater que cela ne les empêche visiblement pas de danser, de danser sur le chaos. ».
     

     
     


    Par ailleurs, à deux reprises, cette semaine (le 4 juin 2024) et la semaine dernière (le 28 mai 2024), un député FI a brandi le drapeau palestinien dans l'hémicycle, perturbant durablement deux séances de questions au gouvernement. Contrairement à ce que Raphaël Glucksmann laisse entendre, à savoir que le PS ne serait plus l'allié de FI, la solidarité dans la Nupes existe toujours à plein puisque le PS a soutenu les insoumis dans ces troubles parlementaires au nom de la reconnaissance d'un État palestinien, et le soutien du PS le 3 juin 2024 à la motion de censure déposée par les insoumis prouve bien que le PS reste complètement dépendant de Jean-Luc Mélenchon. Raphaël Glucksmann ne cesse de se référer à l'héritage de Jacques Delors, mais c'est abuser de sa mémoire car jamais Jacques Delors n'aurait accepté une telle compromission avec les idées de Jean-Luc Mélenchon pour un plat de lentilles.

    De son côté, Jordan Bardella n'a aucun respect ni pour les Français et ses lois, ni pour le directeur général de la gendarmerie nationale qui a signalé une affiche absolument abjecte du RN : « Je suis gendarme, je vote Bardella ». Pour se rendre compte de l'ineptie, prenez votre profession et imaginez une affiche qui vous associerait à un vote donné : « Je suis xxx (mettez votre profession) et je vote machin ». Sur le principe générique et généraliste, c'est déjà stupide et démagogique, mais concernant les forces de l'ordre, c'est abject puisqu'elles sont au service de la nation et qu'elles doivent la neutralité totale pour remplir ses missions, sinon, elles n'auraient plus d'autorité. Le pire, c'est que Jordan Bardella, 28 ans, même pas de service militaire, a donné des leçons à ce haut fonctionnaire qui a consacré toute sa carrière à la sécurité et à la protection des Français. Pour un politicard censé soutenir le parti de l'ordre, cela fait un peu trop rebelle et c'est une vraie boulette, car avec l'extrême droite, le naturel revient toujours au galop après la façade lisse d'une respectabilité creuse.

     

     
     


    Le président du RN et ses colistiers pourraient d'ailleurs être appelés des "députés européens de papier", pour reprendre une expression qui leur est commune, en ce sens qu'effectivement, ceux qui sont élus sont bien sur le papier (et sur leur compte en banque) des députés européens, mais ils ne font rien au Parlement Européen, ils ne travaillent pas activement pour l'intérêt des Français. Pour preuve, ce bilan particulièrement nul de Jordan Bardella dit Coquille creuse qui, en cinq ans de mandats, n'a pondu aucun rapport, n'a déposé que 21 amendements (4 par an !) alors que d'autres en ont déposé des milliers, il n'est intervenu que 52 fois en séance plénière (une fois toutes les cinq semaines !) et il a l'un des taux d'absentéisme record avec 70% depuis 2019. L'épouse de François Fillon a été épinglée par la justice pour n'avoir pas su démontrer qu'elle travaillait en rapport avec son salaire. Si on prenait ce principe en général, Jordan Bardella devrait être renvoyé ! Les Français veulent élire des députés européens qui fassent au moins leur boulot, pas des fainéants, ne serait-ce qu'être présents à Strasbourg ou Bruxelles.

    Chez Les Républicains, on s'inquiète d'une rumeur persistante en ce début de semaine : après le désastre électoral de la Macronie, Emmanuel Macron proposerait un gouvernement de coalition avec LR en nommant Gérard Larcher Premier Ministre. Le Président du Sénat a donc dû rapidement désamorcer la rumeur qui pourrait coûter de nombreuses voix à LR, lors de la réunion du groupe LR au Sénat le 4 juin 2024, en affirmant fermement qu'il n'était pas question qu'il accepte d'être le Premier Ministre d'Emmanuel Macron. Une dénégation qui n'aura certainement pas beaucoup d'effet sur les suspicions de ralliement à la Macronie, tant il y en a eu chez LR depuis 2017 (Jean-Paul Delevoye, Édouard Philippe, Gérald Darmanin, Bruno Le Maire, Franck Riester, Jean Castex, Roselyne Bachelot, Damien Abad, Christophe Béchu, Catherine Vautrin, Rachida Dati, etc.).

    Une campagne sert en général à faire bouger les lignes. Or, si l'on en croit les sondages d'intentions de vote, ces lignes ont peu bougé. Certes, il y a eu des évolutions, le RN à la hausse (en un an, passage de 24 à 30%), parallèlement à une baisse pour la liste Hayer (20 à 16%) et d'une hausse de Glucksmann (8 à 13%). Mais dans l'ensemble, il n'y a pas eu de fait singulier cassant des dynamiques "entropiques naturelles" comme j'oserais (mal) écrire, c'est-à-dire que si aucun n'avait fait campagne, on pourrait se retrouver avec les mêmes résultats.

    Y aura-t-il des surprises ? C'est probable. Il y a toujours des surprises dans chaque scrutin, ce qui laisse la liberté de choix plus ouverte que les sondages ne laissent apparaître. Selon ces enquêtes, un tiers des électeurs hésitent encore, c'est beaucoup. En 2019, il y a eu au dernier moment un regain de participation. Ainsi, l'effondrement du PS et celui de LR en 2019 n'étaient pas du tout prévus quelques jours avant le scrutin, tout comme la montée de la liste écologiste. De même, la forte audience des écologistes faisant jeu égal avec le PS en 2009 n'était pas prévue.

     

     
     


    Si on prend le concept de troisième homme (que connaît bien François Bayrou), en pensant à Raphaël Glucksmann qui meurt d'envie de dépasser la liste Hayer (le croisement tant pronostiqué n'a pour l'instant jamais eu lieu), on peut aussi rappeler opportunément qu'à l'élection présidentielle de 2002, le troisième homme dans les sondages était Jean-Pierre Chevènement avec une dynamique qui l'a poussé jusqu'à 15% des intentions de vote, et finalement, il n'a eu que 5,3%, classé sixième derrière Arlette Laguiller ! Il est des dynamiques déçues (ou décevantes) et généralement, les élections sont plus un cimetière des ambitions déçues que de victoires attendues.

    L'enjeu national est évidemment dans la mise à jour des rapports de force. Si l'on en croit les sondages, l'extrême droite aurait 40% des suffrages. Les écologistes "risquent" (pour ma part, je m'en réjouirais !) de ne pas avoir d'élus (car en dessous de 5%), le PS revaudrait le double de FI (mais les socialistes ont déjà refait allégeance à Jean-Luc Mélenchon pour 2027), et LR se maintiendrait (qu'il faudra comparer avec le score de Reconquête qui ont un électorat commun).

    Bien entendu, tout le monde scrutera avec attention (et médisance pour certains) le score de la liste Hayer, qui donnera une idée de l'audience du gouvernement et de la majorité présidentielle dans le pays, et dans tous les cas, même à 20%, ce sera très faible. Mais là encore, il faut se rappeler que ce sont des élections européennes et pas des élections législatives, elles n'auront aucun impact institutionnel en principe, et ce n'est pas parce qu'un jeune écervelé propre sur lui réclamera avec fracas la dissolution qu'il faudra dissoudre. Regardons encore le passé : en juin 1984, le PS au pouvoir n'a eu que 20,8% (face aux 43,0% de l'union UDF-RPR) et si le gouvernement de Pierre Mauroy a démissionné en juillet 1984, ce n'était pas à cause des élections européennes mais de la grave crise provoquée par le projet de loi contre l'enseignement libre qui a mis 2 millions de Français dans la rue. En 1989, le gouvernement de Michel Rocard n'a pas démissionné malgré les seulement 23,6% de la liste PS (face aux 28,9% de la liste de Valéry Giscard d'Estaing), ni le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin (reconduit en mars 2004 après les régionales) n'a démissionné en juin 2004 malgré les seulement 16,6% des listes de l'UMP (face aux 28,9% des listes socialistes), ni encore le gouvernement de Manuel Valls (nommé en avril 2014) n'a démissionné en mai 2014 malgré les seulement 14,0% des listes socialistes (face aux 24,9% du FN et aux 20,8% de l'UMP).

    C'est d'ailleurs ce dernier cas (en 2014) qui serait le plus proche de celui du gouvernement de Gabriel Attal, nommé en janvier 2024 et qui n'a que quelques mois d'existence, et on n'a jamais reproché à François Hollande, pourtant beaucoup plus impopulaire à l'époque qu'Emmanuel Macron aujourd'hui, de passer par pertes et profits ces élections européennes désastreuses pour son parti. Du reste, après les élections européennes, les médias seront très occupés par les Jeux olympiques et paralympiques pendant deux mois si bien que le désastre électoral, si désastre devait avoir lieu, sera vite oublié dans la mémoire collective.

    Il faut aussi se rappeler, puisqu'on l'évoque, que le RN est en tête de toutes les listes aux élections européennes depuis 2014 : en 2014, en 2019, et probablement en 2024 vu les sondages qui lui donneraient plus de 10 points d'avoir sur les autres listes. Mais depuis dix ans, qu'a fait le FN/RN de ses victoires aux européennes ? Rien, puisque ses élus ne participent pas aux débats, ne déposent pas d'amendement, ne rédigent aucun rapport pour améliorer la situation des Français et des Européens. Pour le RN, le Parlement Européen n'est qu'une banque, une sorte de tirelire partisane d'ailleurs un peu trop utilisée puisque Marine Le Pen et ses sbires vont être en procès en septembre procès pour cette raison.

    Pour finir sur les considérations de politique intérieure franco-française, il faut aussi affirmer que l'abstention, aujourd'hui (et depuis une dizaine d'années), joue en défaveur du RN et pas en sa faveur. En effet, le RN est devenu un parti attrape-tout, le premier en France, donc le parti du système, il devient ainsi le parti référence pour beaucoup de courants de pensée. S'il y a une augmentation du désir de participation à la fin de la semaine, elle ne se fera donc pas nécessairement contre le RN malgré son déjà très haut niveau dans les sondages.

    Je veux également évoquer les considérations européennes, car après tout, les élections européennes servent d'abord à désigner un nouveau Parlement Européen. 81 députés européens français sur 720 députés européens en tout des vingt-sept États. Pour la première fois, il n'y a plus de députés européens britanniques (Brexit effectif en 2020). Il y aura manifestation un véritable vague à droite, à savoir notamment de droite extrême, à l'instar du RN en France (mais probablement de moindre ampleur dans les autres pays). On regardera avec attention la situation notamment des Pays-Bas (où un parti centriste a fait alliance avec les populistes), de la Hongrie (où un parti dissident de Viktor Orban est en train de gagner des voix), de la Belgique (qui joue aussi son avenir national avec des élections législatives), de la Slovénie (où il y a aussi des référendums) et de l'Italie. Plus l'Allemagne avec une coalition du Chancelier Olaf Scholz qui est bien chancelante.

     

     
     


    En Italie, la situation est intéressante car la Première Ministre Giorgia Meloni a pris la tête de la liste de son parti, les Frères d'Italie, qui aujourd'hui est en tête des intentions de vote dans les sondages (autour de 25%, nettement devant ses deux partenaires de coalition, la Lega et Forza Italia, tous les deux autour de 8%). Le parti de Giorgia Meloni est dans le groupe des conservateurs et des réformistes européens (CRE), groupe opposé à l'autre groupe d'extrême droite où siègent les élus RN et de l'AfD. Giorgia Meloni refuse de voir les élus RN la rejoindre car elle veut conclure un accord avec Ursula von der Leyen, lui proposant son soutien pour sa reconduction en échange de concessions par la suite sur la politique migratoire. Dans cette configuration, les écologistes européens vont perdre beaucoup de plumes, mais Renew pourrait rester le troisième groupe du Parlement Européen devant les populistes et les trois premiers groupes (avec le PPE et S&D) pourraient donc continuer à régner (dans les projections, ils totaliseraient 404 sièges sur 720). Toutefois, 75 députés européens seraient non-inscrits, ou plutôt, n'auraient pas de groupe politique identifié à ce jour et pourraient créer quelques surprises.

    En Europe, nous avons la chance de pouvoir nous exprimer par un vote libre, secret et sincère. En France, près de 50 millions d'électeurs sont convoqués, dont près de 270 000 de ressortissants d'autres pays européens habitant en France (sur une liste électorale séparée). Le scrutin sera clos en France à 20 heures ce dimanche 9 juin 2024, l'heure des victoires et des déceptions. Que le meilleur gagne !



    1. Débat du 14 mars 2024 sur Public Sénat






    2. Débat du 5 mai 2024 sur LCP et M6






    3. Débat du 27 mai 2024 sur BFMTV







    4. Débat du 30 mai 2024 sur CNews






    5. Débats du 4 juin 2024 sur France 2












    6. Débats du 5 juin 2024 sur Mediapart





     

    Aussi sur le blog.


    Sylvain Rakotoarison (05 juin 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Élections européennes 2024 (3) : y aura-t-il une surprise dimanche soir ?
    Quel est le programme européen de la liste Renaissance ?
    Programme de la liste Hayer à télécharger (6 mai 2024).
    Ursula von der Leyen.
    L'hommage de l'Europe à Jacques Delors.
    Le débat Gabriel Attal vs Jordan Bardella du 23 mai 2024.
    Élections européennes (2) : 37 listes et un bulletin de vote !
    Le souverainisme européen selon Emmanuel Macron : puissance, prospérité et humanisme.
    L'hymne à l'Europe.
    Fête de l'Europe, joies et fiertés françaises.
    Le Tunnel sous la Manche.
    Les 120 ans de l'Entente cordiale.
    Eurovision 2024.
    La vision européenne d'Édouard Balladur.
    Débat Valérie Hayer vs Jordan Bardella : l'imposture démasquée de Coquille vide.
    Il y a 20 ans, l'élargissement de l'Union Européenne.
    La convergence des centres ?
    Élections européennes 2024 (1) : cote d'alerte pour Renaissance.
    Valérie Hayer, tête de la liste Renaissance.
    Charles Michel et Viktor Orban : l'Europe victime d'une histoire belge !
    Jacques Delors : il nous a juste passé le relais !
    Il y a 15 ans : Nicolas Sarkozy, l'Europe et les crises (déjà).
    La Méditerranée, mère de désolation et cimetière de nos valeurs ?
    Le 8 mai, l'émotion et la politique.
    Ukraine, un an après : "Chaque jour de guerre est le choix de Poutine".
    Le 60e anniversaire du Traité de l'Élysée le 22 janvier 2023.
    De Gaulle, l’Europe et le volapük intégré.
    L’inlassable pèlerin européen Emmanuel Macron.
    Valéry Giscard d’Estaing, le rêveur d’Europe.
    Enfin, une vision européenne !
    Relance européenne : le 21 juillet 2020, une étape historique !


     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240604-europeennes.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/elections-europeennes-2024-3-y-255024

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/06/04/article-sr-20240604-europeennes.html





     

  • Quel est le programme européen de la liste Renaissance ?

    « Parce que nous ne nous résoudrons jamais à nous faire imposer par d'autres nos valeurs, nos technologies, nos imaginaires, parce qu'il n'y aura pas de France forte sans Europe puissante, nous poursuivrons sans relâche notre combat en faveur de l'indépendance de l'Europe. » (Valérie Hayer, le 6 mai 2024).



     

     
     


    Dans cette fin de campagne des élections européennes, qui a à peine vraiment commencé, les considérations de politique politicienne ont largement dominé le débat public, et c'est dommage parce que ces dixièmes élections européennes ont une importance cruciale pour l'avenir de l'Europe mais aussi de la France. Parmi les listes susceptibles d'obtenir des élus (c'est-à-dire, qui sont raisonnablement capables d'avoir plus de 5% des voix), seulement deux ont fait une campagne sur des thèmes vraiment européens, la liste de Raphaël Glucksmann et la liste de Valérie Hayer.

    Le problème de la liste de Raphaël Glucksmann, téléguidée par le parti socialiste, c'est qu'il y a une incohérence entre ce qu'il dit, ce qu'il vote au sein de son groupe, le groupe socialiste, et son souhait de garder la gauche encore unifiée au sein de la Nupes pour 2027
    (le vote commun de la motion de censure ce lundi 3 juin 2024 en a donné une nouvelle preuve). Seule la liste de la majorité présidentielle soutenue donc par Renaissance, le MoDem, Horizons, le Parti radical, mais aussi au-delà par l'UDI (qui ne fait pas partie de la majorité présidentielle) fait une campagne européenne de manière sincère, cohérente et surtout claire. Mais quel est donc le programme de la liste Hayer, celui des pro-Européens déterminés et sincères ?

    Ce programme a été présenté au cours d'une conférence de presse le 6 mai 2024 à la veille d'un des trois grands meetings nationaux de la liste (à la Mutualité), qu'on peut réécouter en fin d'article. Il est sincère parce que ce sont des promoteurs de la construction de l'Europe qui le proposent, des promoteurs qui n'ont pas peur de le dire, qui n'ont pas peur de le faire. Il est cohérent parce qu'il est le résultat aussi d'un bilan qui a montré que tous les votes au Parlement Européen étaient déjà en phase avec ce programme. Enfin, il est déterminé parce qu'il souhaite une Europe puissante dans une France puissante, la seule voie pour permettre à la France de garder sa grandeur politique alors qu'elle n'est plus qu'une puissance moyenne depuis la fin de la guerre.

    Dans cette détermination, il y a l'influence de la France en Europe. Et quelle est-elle ? Trois grands partis européens font et défont les majorités au sein du Parlement Européen : le PPE (Parti populaire européen) qui est le centre droit démocrate chrétien, auquel adhère LR et Les Centristes, S&D (socialistes et démocrates) qui rassemble les sociaux-démocrates, enfin, le troisième groupe est le groupe central Renew (ou Renaissance) qui est composé de ceux qu'on appelait dans la politique européenne les libéraux démocrates, qui sont en France les centristes, auquel se sont joints les élus de la liste LREM de Nathalie Loiseau en 2019.

    Entre 2019 et 2024, les députés européens LR ont pris des décisions minoritaires au sein de leur groupe du PPE, au point de ne même pas soutenir leur candidate officielle Ursula von der Leyen, autant dire que les élus LR n'ont aucun poids ni au sein du PPE (dominé par les Allemands), ni au sein du Parlement Européen en général. Les députés européens issus de la liste socialiste de Raphaël Glucksmann se retrouvent dans la même situation, minoritaires au sein du groupe social-démocrate et sans influence notable (les députés européens socialistes votent contre les projets votés par le reste de leur groupe S&D !). En revanche, c'est une Française, l'actuelle tête de liste, Valérie Hayer, qui préside le groupe Renew et qui non seulement a une influence déterminante au sein de ce groupe, bien sûr (puisqu'elle le préside), mais aussi au sein des décisions prises par le Parlement Européen puisque les majorités se retrouvent toujours avec le groupe Renew. L'influence de la France est donc passée par ceux que représente aujourd'hui la liste Hayer, et eux seuls.

    Et son programme, qui est naturellement peu éloigné des vues du Président Emmanuel Macron, repose sur trois combats essentiels. J'en indique la philosophie générale et je n'énumère pas toutes les mesures proposées dans le détail (il y en a quarante-huit) qu'on peut lire dans le document téléchargeable.


     

     
     


    I. Faire de l'Europe une puissance forte, sûre et indépendante

    Défense, énergie, sécurité... trois domaines qui ont manqué de cohésion au sein de l'Europe depuis sa naissance et qui nécessitent d'en faire plus. La tentative d'invasion de l'Ukraine par les troupes de Vladimir Poutine a fait l'effet d'une douche froide chez les Européens, douche froide renforcée par la perspective d'un désengagement de plus en plus probable des États-Unis dans la défense du territoire européen. Les Européens sont maintenant mûrs pour comprendre qu'ils ne peuvent plus déléguer à d'autres leur défense et qu'ils doivent assumer eux-mêmes leur sécurité et la protection de leurs frontières. Emmanuel Macron a su prendre la mesure de l'enjeu et sensibiliser ainsi ses homologues au fil des rencontres européennes.

    La première des mesures, c'est d'investir de nouveau massivement dans l'industrie de défense, avec l'objectif de 3% du PIB pour chaque pays d'ici à 2030. Faire émerger une force de réaction rapide européenne pour les missions d'urgence, l'évacuation des populations et la sécurisation des routes maritimes.


    Sur le plan énergétique, le projet est de tripler la production de l'énergie nucléaire d'ici à 2050, au sein des pays européens qui le souhaitent à l'instar de la France. Sur le plan de la sécurité, mutualiser le renseignement au niveau européen pour lutter efficacement contre le terrorisme.

     

     
     


    II. Faire de l'Europe une puissance écologique, économique et sociale

    L'Europe est la deuxième puissance économique du monde et c'est important de le rappeler. Mais elle ne le restera pas si on ne fait rien pour cela. L'union fait toujours la force. Son problème a été les délocalisations dans les pays à plus faibles coûts du travail. L'enjeu, c'est donc de redevenir un continent de production pour réduire le chômage et gagner en valeur ajoutée. Mais aussi de refuser le dumping social en adoptant un minimum de justice sociale dans les pays qui n'en ont pas.

    L'idée est de ne pas se laisser mener par d'autres puissances économiques (États-Unis, Chine, etc.) : « Il fait se faire respecter : nos normes et nos principes ne sont pas négociables. ». Parce qu'au-delà du défi économique et social, il y a le défi écologique et les deux peuvent se faire en même temps dans une transition industrielle qui se voudra verte et numérique.

    L'essentiel est donc dans l'investissement massif des activités de transition. La liste Hayer propose la mobilisation de 1 000 milliards d'euros d'ici à 2030 pour l'énergie, les transports, le numérique, la santé, l'espace, la recherche, après le plan de 800 milliards d'euros décidés en juillet 2020 sur demande (et insistance) françaises. Son financement se fera notamment par une épargne spécifiquement européenne avec la création d'un « livret d'épargne européen pour orienter l'épargne réglementée vers l'investissement et la production en Europe ».

     

     
     


    III. Défendre le modèle européen et nos valeurs

    C'est un aspect plus philosophique et moral que matériel, économique, social. Aujourd'hui, en Ukraine, dans le Proche-Orient, voire aux États-Unis, dans de nombreuses régions du monde, nos valeurs sont remises en cause, et même de l'intérieur de l'Europe : valeurs de démocratie, d'État de droit, de liberté, d'égalité, de fraternité et aussi, et dans cette époque troublée, c'est très important, de laïcité.

    La liste Hayer propose d'inscrire le droit à l'IVG dans la Charte européenne des droits fondamentaux, qui constitue une sorte de conditions nécessaires à remplir pour chaque État membre (notamment pour bénéficier de fonds européens). Ce n'est pas un hasard si le fils aîné de Simone Veil, ancienne Présidente du Parlement Européen, se retrouve en fin de liste, son engagement est emblématique. Il s'agit aussi de proposer une majorité numérique à l'âge de 15 ans avec un contrôle parental par défaut sur les mobiles et une vérification systématique sur Internet pour les sites interdits aux mineurs.

    Il s'agit aussi de proposer des mesures pratiques et concrètes pour limiter voire empêcher efficacement l'immigration illégale à l'intérieur des frontières de l'Union Européenne en donnant des moyens à Frontex (30 000 garde-côtes européens). Créer un Pass culture européen, un Pass Rail européen illimité pour les jeunes (100 000 jeunes par an), renforcer l'harmonisation universitaire européenne, renforcer et généraliser le programme Erasmus, etc.

    Sur le plan institutionnel, et cette liste se distingue des autres sur la construction européenne, elle propose d'instaurer la principe de listes transnationales à partir des prochaines élections européennes de 2029, ainsi que de renforcer les institutions sur la majorité qualifiée dans des domaines essentiels comme la fiscalité, l'État de droit, afin de ne pas laisser l'Europe impuissante face aux défis qui viennent (par exemple, pour empêcher qu'un État puisse être un "paradis fiscal").



    Et dimanche prochain ?

    Comme dans toute élections, il y a les considérations à la petite semaine, celles en moyen terme et celles au long terme. Le moyen terme, c'est bien sûr l'échéance (cruciale) de l'élection présidentielle de 2027 et le Rassemblement national compte sur un triomphe en 2024 pour gagner en 2027. Il y a la colère de certains qui pensent que voter contre serait une sorte d'exutoire, et avec trente-huit listes, dont une seule issue de la majorité présidentielle, l'électeur en colère a le choix pour l'exprimer mais est-ce vraiment constructif, utile et surtout dans son intérêt ? Et puis, il y a le long terme, le regard à l'histoire, ce que penseront nos enfants de notre vote de 2024 dans dix, vingt, trente ans, ce qu'ils penseront de notre capacité à anticiper alors l'Europe est en danger, menacée même territorialement dans ses frontières orientales mais plus largement dans ses valeurs.

    Valérie Hayer n'a pas une âme de grand chef, elle n'a pas le charisme d'un grand animal politique, d'un vieux routard de la politique, elle n'a pas non plus passé son temps à faire du training de communication pour répondre de manière lisse et consensuelle à tous les médias. Elle l'a montré depuis cinq ans, elle a agi, elle a travaillé, elle est devenue l'une des rares experts, au sein du Parlement Européen, du budget communautaire, négociant de manière ferme, dans les nuits blanches, les intérêts de la France et des Français, elle, fille d'agriculteurs, connaît sur le bout des doigts tous les ressorts de la politique agricole commune (PAC) dont ont bénéficié largement les agriculteurs français depuis près de soixante ans. Elle est dans une logique de résultats et de construction : améliorer l'espace européen pour le bien et l'intérêt des Français.



    1. Meeting du 9 mars 2024 à Lille






    2. Conférence de presse du 6 mai 2024 à Paris (présentation du programme)






    3. Meeting du 7 mai 2024 à la Mutualité de Paris





    4. Meeting du 13 mai 2024 à Lyon






    5. Meeting du 28 mai 2024 à Boulogne-Billancourt






    6. Meeting du 1er juin 2024 aux Docks de Paris, à Aubervilliers






    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (03 juin 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Quel est le programme européen de la liste Renaissance ?
    Programme de la liste Hayer à télécharger (6 mai 2024).
    Ursula von der Leyen.
    L'hommage de l'Europe à Jacques Delors.
    Le débat Gabriel Attal vs Jordan Bardella du 23 mai 2024.
    Élections européennes 2024 (2) : 37 listes et un bulletin de vote !
    Le souverainisme européen selon Emmanuel Macron : puissance, prospérité et humanisme.
    L'hymne à l'Europe.
    Fête de l'Europe, joies et fiertés françaises.
    Le Tunnel sous la Manche.
    Les 120 ans de l'Entente cordiale.
    Eurovision 2024.
    La vision européenne d'Édouard Balladur.
    Débat Valérie Hayer vs Jordan Bardella : l'imposture démasquée de Coquille vide.
    Il y a 20 ans, l'élargissement de l'Union Européenne.
    La convergence des centres ?
    Élections européennes 2024 (1) : cote d'alerte pour Renaissance.
    Valérie Hayer, tête de la liste Renaissance.
    Charles Michel et Viktor Orban : l'Europe victime d'une histoire belge !
    Jacques Delors : il nous a juste passé le relais !
    Il y a 15 ans : Nicolas Sarkozy, l'Europe et les crises (déjà).
    La Méditerranée, mère de désolation et cimetière de nos valeurs ?
    Le 8 mai, l'émotion et la politique.
    Ukraine, un an après : "Chaque jour de guerre est le choix de Poutine".
    Le 60e anniversaire du Traité de l'Élysée le 22 janvier 2023.
    De Gaulle, l’Europe et le volapük intégré.
    L’inlassable pèlerin européen Emmanuel Macron.
    Valéry Giscard d’Estaing, le rêveur d’Europe.
    Enfin, une vision européenne !
    Relance européenne : le 21 juillet 2020, une étape historique !

     
     






    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240602-programme-renaissance.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/quel-est-le-programme-europeen-de-254541

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/05/14/article-sr-20240602-programme-renaissance.html



     

  • Débat Gabriel Attal vs Jordan Bardella : et le vainqueur est...

    « Votre programme, c'est un Banco ; il y a plein de promesses, mais quand on gratte, il n'y a rien derrière ! » (Gabriel Attal à Jordan Bardella, le 23 mai 2024 sur France 2).



     

     
     


    Il était attendu quasiment depuis janvier 2024, et c'est une chaîne de France Télévisions, en l'occurrence France 2, qui a eu le privilège d'organiser le premier débat entre le Premier Ministre Gabriel Attal et le président du RN et tête de liste Jordan Bardella. Cela s'est passé en début de soirée ce jeudi 23 mai 2024.

    Disons-le d'emblée : ce choc des jeunes titans n'aura sans doute pas fait bouger les lignes, on a même l'impression que rien ne fait bouger les lignes, enfin, les sondages, mais même l'accumulation d'événements plus malheureux qu'heureux, c'est vrai, depuis plusieurs mois, a peu d'effet. Disons aussi que les protestations des têtes de liste autres que celles du RN et de la majorité présidentielle sont justifiées... ou pas.

    Justifiées si on admet, et c'est le cas, que ce débat télévisé participe à la campagne des élections européennes. Pourquoi n'inviter que les représentants de deux listes sur trente-huit (trente-huit et pas trente-sept, le Conseil d'État a validé in extremis le 23 mai 2024 une trente-huitième liste, les murs des villes vont être joliment tapissés de ces très hideux panneaux gris) ? Du coup, cinq têtes de liste ont été interviewées à la suite du débat, mais pour François-Xavier Bellamy, il y a rupture d'égalité. Raphaël Glucksmann, qui se trouverait proche, dans les sondages, de la liste de la majorité présidentielle, a refusé d'y prendre part et a obtenu d'être invité jeudi prochain à la même heure de grande écoute. Mais selon ce principe d'équité, je l'avais évoqué pour le débat du 21 mai 2024 sur LCI, pourquoi ne pas avoir invité les trente autres têtes de liste ? La grande entorse à l'équité, c'est bien la différence de traitement médiatique entre la tête de la liste communiste Léon Deffontaines, crédité de 2% dans les sondages, et la tête de la liste du parti animaliste, Hélène Thouy, qui, elle, avait déjà eu 2% aux élections précédentes de 2019.

    La direction de France Télévisions a répondu qu'il s'agissait d'un "grand" débat, entre le Premier Ministre de la France, donc le chef de la majorité, et le président du premier parti d'opposition. Cela peut se défendre. Et c'est ainsi qu'on l'analysera.

    Ce débat ne sera pas un débat historique, mais sa postérité devrait être plus longue que la durée de la campagne électorale. Finalement, un débat télévisé en début de soirée faisant intervenir le Premier Ministre, c'est rare, très rare : on se souvient du débat entre Georges Pompidou et Pierre Mendès France le 27 février 1967, mais ce n'était pas à la télévision mais à Grenoble devant 6 000 personnes, celui entre Raymond Barre et François Mitterrand le 12 mai 1977 sur TF1, aussi entre Laurent Fabius et Jacques Chirac le 27 octobre 1985 sur TF1 (le choc des Premiers Ministres, celui en exercice et un ancien et futur Premier Ministre), mais cela se limite assez vite à ceux-là. Les autres avec un Premier Ministre en exercice étaient des débats de second tour à l'élection présidentielle, un en fait, il faut mettre au singulier, c'était le 28 avril 1988.

    Le débat entre Gabriel Attal et Jordan Bardella a ceci d'emblématique qu'il oppose deux jeunes loups de la politique qui sont déjà devenus de vieux crocodiles. Ils représentent à eux deux l'avenir de la classe politique dans ce qu'elle a de plus lisse et de plus aseptisé. Certains évoquent même des hommes politiques hors sol, qui n'ont jamais connu que la politique et qui ne savent rien de la vraie vie. C'est peut-être vrai, mais c'était le cas de tous leurs prédécesseurs, et notamment des plus illustres : François Hollande, Nicolas Sarkozy, Jacques Chirac, François Mitterrand, Valéry Giscard d'Estaing n'ont jamais fait que de la politique depuis leur jeunesse et ne représentaient pas des citoyens ordinaires.

    Gabriel Attal et Jordan Bardella ont pour eux d'être parmi les personnalités politiques les plus populaires de France. On se doute que la cote du Premier Ministre s'essoufflera puisqu'il est en charge de toute la politique de la nation et à ce titre, est responsable de tout, tandis que la baudruche Bardella, responsable de rien, lisse comme un robot d'Asimov, pourra encore croître (telle une baudruche).

     

     
     


    Pour Gabriel Attal, se prêter à ce débat valait surtout pour aider Valérie Hayer dans la campagne de la majorité présidentielle qui tarde à décoller (c'est le moins qu'on puisse dire). Pour Jordan Bardella, dans la théorie, il avait aussi tout intérêt à ce débat pour se hisser au niveau du Premier Ministre. Cela tombe bien : imitant Jean-Luc Mélenchon en 2022, Jordan Bardella s'est autoproclamé candidat au poste de Premier Ministre depuis quelques mois. Mais on frissonne à l'idée qu'il puisse être à la tête du gouvernement de la République, paresseux et peu travailleur qu'il est.

    Car il n'y a pas photo dans le résultat des courses : Gabriel Attal a très largement dominé ce débat, tandis que son contradicteur professionnel peinait à surnager dans ses dossiers. Si les deux avaient une aisance verbale bien nécessaire aux joutes des téméraires, Gabriel Attal est arrivé sans notes, connaissant tous les dossiers, les chiffres, les dates, les projets, les enjeux... tandis que Jordan Bardella rougissait lorsqu'il s'agissait de préciser une proposition, lorsqu'il fallait développer une mesure floue et sans intérêt. Ce n'est pas pour rien que Jordan Bardella a reçu quelques surnoms comme Coquille vide ou Bidon. Il a suivi des cours de communication, de l'entraînement, incontestablement, mais il singeait beaucoup trop de vrais responsables politiques qui avaient de la conviction et du fond, alors que lui, à l'évidence, n'avait que du creux à vendre (d'où le concept de la baudruche, classique pour l'extrême droite quand on commence à regarder les détails).


    Comme un chat jouant avec une souris sans avoir faim, Gabriel Attal a esquissé souvent le petit sourire gourmand mi-carnassier mi-tendre du joueur qui sent que la partie est facile et qu'il va se régaler. La partie intellectuelle était facile pour Gabriel Attal parce qu'il est d'une nettement autre stature que Jordan Bardella.

    J'en veux pour preuve quelques sujets. Par exemple, sur le marché de l'électricité. Jordan Bardella a avoué qu'il n'avait pas lu le projet adopté par le Parlement Européen et qu'il a rejeté, projet qui réformait le marché de l'électricité qui n'est pas encore entré en application puisque c'est à partir de 2026. Ou encore sur le droit de veto en Europe, notamment en matière fiscale qui empêche d'instaurer une taxe pour les gros du numérique en Europe (car l'Irlande et le Luxembourg s'y opposeront toujours).

    Jordan Bardella n'a cessé de faire de l'antimacronisme primaire et dans ses critiques, il a transformé, il a déformé la réalité. Ainsi, il a dit faussement que les véhicules thermiques seraient interdits en 2035. Gabriel Attal a rectifié magistralement : « 2035 n’est pas la fin de la voiture thermique, mais la fin de la vente des véhicules neufs à moteur thermique. ». Ce signifie qu'il y aura probablement des véhicules à moteur thermique en circulation encore en 2050.

    Les propositions du RN sont antiéconomiques. Ainsi, lorsque Jordan Bardella a proposé une priorité nationale dans les marchés publics : « Vous produisez sur le sol français, vous devez avoir un avantage dans la commande publique. », Gabriel Attal a rétorqué : « 80% de nos PME exportent, vous allez leur couper les jambes. ».

    Mais le pire est toujours sur le thème de l'immigration. Gabriel Attal a rappelé que les députés RN ont voté pour la loi Immigration et à ce titre, pour la régularisation des milliers de sans-papiers dans les secteurs en tension. L'objectif du RN de refuser l'accostage de bateaux de réfugiés est irréalisable. Mais plus encore, et Valérie Hayer l'avait systématiquement pointé du doigt, l'idée de la double frontière proposée par Jordan Bardella est du vent et du creux stupide.

    Cette idée, c'est de laisser la libre circulation des citoyens européens dans l'Espace de Schengen, mais pas celle des migrants qui auraient obtenu une carte de séjour dans l'un des États membres, eux n'auraient pas la possibilité de franchir les frontières de l'Europe. Mais Gabriel Attal a demandé à son contradicteur comment il allait appliquer une telle mesure. Jordan Bardella s'est enlisé en prenant la comparaison avec un aéroport où il y a deux files, une pour les Européens et une pour les extra-européens. En oubliant que dans les deux cas, les gens devront attendre et faire la queue au contraire d'aujourd'hui. Cela signifierait des contrôles aux frontières partout (il faudrait alors recruter massivement), et des queues épouvantables pour les 500 000 Français frontaliers qui travaillent de l'autre côté de la frontière.


    Jordan Bardella a alors reculé en disant que ce ne serait que des contrôles aléatoires aux frontières... affirmant que c'était permis avec Schengen. Gabriel Attal a alors salué l'idée puisque c'est déjà fait depuis 2015 pour assurer le contrôle des flux migratoires, mais que ces contrôles aléatoires n'empêcheront pas l'immigration illégale. Gabriel Attal de conclure : « En quelques secondes, on est passé d’une double frontière où tout le monde va être contrôlé aux frontières à "on augmente un peu les contrôles aléatoires". ». En somme, sous emballage de montrer une mesure forte (interdiction de l'immigration), le RN ne propose rien puisque les contrôles aléatoires existent déjà aujourd'hui ! Que du creux !

    De plus, la plupart des positions du RN révèlent une véritable supercherie, un double jeu, voire une imposture. Ainsi, Jordan Bardella soutiendrait l'Ukraine mais a refusé de voter toutes les motions soutenant l'Ukraine.

    Sur la plupart des sujets, Jordan Bardella refusait de répondre aux questions et voulait dérouler ses propres éléments de langage (qu'on connaît depuis longtemps puisqu'il ne sait réciter que cela). Il a bien tenté une échappée politique en lançant timidement au Premier Ministre : « Si vous êtes là ce soir, c'est que vous avez décidé d'engager votre responsabilité dans cette campagne. » (pour aider Valérie Hayer), mais cette critique n'a pas de prise. En confondant élections nationales et élections européennes, Jordan Bardella fait un contre-sens et ses électeurs aussi, car il n'y a aucune raison de dissoudre l'Assemblée Nationale après les élections européennes, quels qu'en soient les résultats, cela d'ailleurs ne s'est jamais produit, y compris quand le PS au pouvoir n'a obtenu que 20,8% aux élections européennes de juin1984, soit moins de la moitié de la première liste (UDF-RPR menée par Simone Veil) qui a obtenu 43,0%.

     

     
     


    La réaction des commentateurs est unanime : Gabriel Attal a dominé le débat et Jordan Bardella a eu du mal à justifier ses positions et ses propositions tant elles sont floues et tant les raisonnements sont incohérents. Au point que le Premier Ministre a dû balancer : « La méthode du Rassemblement national, c'est de dire : on est contre tout. Et puis, dans cinq ou dix ans, si on se rend compte qu'on s'est plantés, on dit qu'on a changé d'avis. C'est ça, votre méthode. Vous vous opposez à tout ce qu'on fait, et comme ça, ensuite, vous pourrez dire, si ça n'a pas marché, bah en fait, on a eu raison de s'opposer. ».

    La revue de presse du site Touteleurope est éloquente. "Libération" : « Le premier [Gabriel Attal] est apparu bien plus à l’aise que son cadet [Jordan Bardella], sur le fond comme sur la forme. ». "Politico" : « M. Bardella, homme politique qui a l'habitude des médias et a tendance à tenir son rang dans les débats, a parfois semblé mal à l'aise face à un Premier Ministre français qui s'exprimait sans notes et semblait maîtriser la situation. ». "Nouvel Obs" : « À l’offensive, Gabriel Attal a poussé son rival dans ses retranchements, révélant les faiblesses ou approximations des promesses du RN. ».

    Par ailleurs, Cyril Graziani, de France Télévisions, a analysé ainsi ce débat : « Sur le fond, indéniablement, [le vainqueur est] Gabriel Attal, arrivé sans notes, contrairement à Jordan Bardella, Attal, beaucoup plus précis, beaucoup plus tranchant, plus concret qu'un Bardella dans les cordes dès les premières minutes et surtout, sur le dossier phare qu'est l'immigration, incapable de dérouler des arguments, qui est resté sur la défensive, alors qu'on l'a connu plus tranchant, beaucoup plus destructeur dans ce genre d'exercice, mais acculé quand il reconnaît ne pas avoir lu le texte de la réforme du marché de l'électricité contre laquelle il a voté ("Vous ne lisez pas les lois avant de voter" s'est étonné le Premier Ministre), et incapable de répliquer, quand Attal lui assène : "Votre programme, c'est un Banco ; il y a plein de promesses, mais quand on gratte, il n'y a rien derrière !" ».

    Un internaute a commencé à comprendre la machine Bardella et a osé se poser la vraie question : « Et si l'élégant Bardella portant beau, bien mis, manucure et dents blanches, d'après les médias, bien sous tous rapports, prédisant à cet esprit sans malice un avenir politique radieux, demain Premier Ministre de la France, n'était qu'un piteux branleur et un lamentable opportuniste ? ».

    La mine réjouie de Gabriel Attal, prêt à la bataille intellectuelle contre son adversaire arrogant mais souriant d'extrême droite, me faisait penser justement à la mine réjouie de Raymond Barre (à l'époque, Raymond-la-science) face à un François Mitterrand qui ne comprenait rien à l'économie (en 1977, voir plus haut). Le débat de 1977 a eu lieu deux mois après les élections municipales qui furent une grande victoire de la gauche socialo-communiste. Mais c'était aussi quelques mois avant les élections législatives de mars 1978 qui, finalement, ont été gagnées par Raymond Barre : François Mitterrand n'a donc pas été Premier Ministre. Néanmoins, la comparaison s'arrête là, doit s'arrêter là, car à force de persévérance, François Mitterrand a fini par se faire élire Président de la République par des électeurs qui n'ont pas tardé à se sentir dupés. C'est vrai qu'à terme, les imposteurs sont toujours démasqués. Encore faut-il qu'entre-temps, la France et les Français n'en souffrent pas trop.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (24 mai 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Le débat Gabriel Attal vs Jordan Bardella du 23 mai 2024.
    Élections européennes 2024 (2) : 37 listes et un bulletin de vote !
    Le souverainisme européen selon Emmanuel Macron : puissance, prospérité et humanisme.
    L'hymne à l'Europe.
    Fête de l'Europe, joies et fiertés françaises.
    Le Tunnel sous la Manche.
    Les 120 ans de l'Entente cordiale.
    Eurovision 2024.
    La vision européenne d'Édouard Balladur.
    Débat Valérie Hayer vs Jordan Bardella : l'imposture démasquée de Coquille vide.
    Il y a 20 ans, l'élargissement de l'Union Européenne.
    La convergence des centres ?
    Élections européennes 2024 (1) : cote d'alerte pour Renaissance.
    Valérie Hayer, tête de la liste Renaissance.
    Charles Michel et Viktor Orban : l'Europe victime d'une histoire belge !
    Jacques Delors : il nous a juste passé le relais !
    Il y a 15 ans : Nicolas Sarkozy, l'Europe et les crises (déjà).
    La Méditerranée, mère de désolation et cimetière de nos valeurs ?
    Le 8 mai, l'émotion et la politique.
    Ukraine, un an après : "Chaque jour de guerre est le choix de Poutine".
    Le 60e anniversaire du Traité de l'Élysée le 22 janvier 2023.
    De Gaulle, l’Europe et le volapük intégré.
    L’inlassable pèlerin européen Emmanuel Macron.
    Valéry Giscard d’Estaing, le rêveur d’Europe.
    Enfin, une vision européenne !
    Relance européenne : le 21 juillet 2020, une étape historique !







    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240523-debat-attal-bardella.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/debat-gabriel-attal-vs-jordan-254808

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/05/24/article-sr-20240523-debat-attal-bardella.html





     

  • Élections européennes 2024 (2) : 37 listes et un bulletin de vote !

    « Et n'oublie pas : quand les autres s'abaissent, on s'élève ! » (Alafair Burke, 2018).



     

     
     


    Ce mardi 21 mai 2024 dans la soirée, sur la chaîne LCI, s'est tenu le premier débat dans lequel ont participé toutes les têtes de listes, du moins, celles des huit listes susceptibles d'obtenir des élus selon les sondages (avec une parité parfaite, quatre femmes et quatre hommes). L'émission, appelée "La grande confrontation" a obtenu 3,1% de part d'audience. Elle a duré près de trois heures dix (voir à la fin de l'article la vidéo). Un autre débat est prévu sur la chaîne concurrente BFMTV le lundi 27 mai 2024 à 20 heures 30.

    utant dire que le choix des invités était arbitraire puisque l'élection n'a pas encore eu lieu et que les sondages, par exemple, donnent autour de 2% d'intentions de vote la liste communiste menée par Léon Deffontaines, alors que la liste du parti animaliste menée par l'avocate Hélène Thouy avait obtenu 2,2% des voix en mai 2009 (c'était d'ailleurs une grande surprise) et cette liste se représente en 2024 et n'a pas eu droit à la parole. Notons d'ailleurs que les autres listes qui avaient obtenu au moins 2% des voix en 2019 et qui n'étaient pas représentées par les huit invités de ce mardi soir ne se présentent pas en 2024 : liste de Debout la France menée par Nicolas Dupont-Aignan (3,5%), liste de Générations menée par Benoît Hamon (3,3%) et liste Les Européens de l'UDI menée par Jean-Christophe Lagarde (2,5%). Pas sûr que si elles avaient été candidates, ces listes auraient été invitées au débat télévisé. Cette année, l'UDI fait cause commune avec la majorité présidentielle.

    Évoquons alors très rapidement ce très long débat. Finalement, celui qui l'a gagné n'est crédité que de 2% des intentions de vote : en effet, peu connu jusqu'alors, le candidat communiste Léon Deffontaines a surpris tout son monde. Le benjamin de l'étape (28 ans) a montré sa grande maîtrise de l'oral et son talent de débatteur, à l'aspect sympathique, lisse, propre sur lui, ce qui a amené l'éditorialiste Nicolas Domenach à en faire un "petit Bardella" pour le parti communiste. Même s'il n'est pas élu à ce scrutin, il aura probablement de l'avenir.

     

     
     


    Les autres participants : Valérie Hayer (majorité présidentielle), Jordan Bardella (RN), Raphaël Glucksmann (PS), François-Xavier Bellamy (LR), Marion Maréchal (Reconquête), Manon Aubry (FI) et Marie Toussaint (EELV) n'ont toutefois pas démérité, mais ils n'ont pas non plus surpris. Ils ont repris leurs arguments habituels de manière souvent talentueuse, comme le représentant de LR et le représentant du PS. Valérie Hayer a été plutôt bonne, mais elle est plus à l'aise dans l'exposé rationnel des arguments que dans l'exercice du débat où la passion peut convaincre. Elle a eu deux cibles, le RN et le PS, tandis que le candidat communiste attaquait surtout la représentante des insoumis qui ont le même cœur de cible (la gauche ultra).

    Jordan Bardella, le favori de ces élections, n'a pas fait de boulette malgré sa totale inconsistance intellectuelle, mais a montré une très grande arrogance (les sondages font gonfler les chevilles sinon la tête) qui inquiète jusqu'aux dirigeants du RN eux-mêmes. Mais il a eu l'habileté de désamorcer tous les sujets qui auraient pu le mettre en difficulté, le soutien à Vladimir Poutine (il a déclaré son soutien à l'Ukraine), la proximité avec une extrême droite européenne vraiment "craignos" (il a annoncé que les députés européens RN ne siégeraient plus dans le même groupe que ceux de l'AfD allemande), etc.

    Insistons quand même sur le fait que ce débat, difficile car à huit (long et personne n'a pu vraiment se faire entendre), a été de bonne tenue, et surtout, faisait participer des candidats têtes de liste jeunes, au point que le doyen d'âge, le plus vieux, était Raphaël Glucksmann (44 ans) ! Ce coup de jeune n'est cependant pas un coup de renouvellement puisque quatre des huit têtes de liste présentes étaient déjà têtes de liste aux élections européennes de 2019 (Jordan Bardella, François-Xavier Bellamy, Raphaël Glucksmann et Manon Aubry). C'est Valérie Hayer qui a la fonction plus influente au sein de l'Union Européenne, puisqu'elle est la présidente du groupe Renew sans lequel aucune majorité n'est possible dans l'hémicycle de Strasbourg.

     

     
     


    Abandonnons le débat et revenons aux listes. Le Ministère de l'Intérieur a publié le 17 mai 2024 la liste des listes officiellement candidates : il y en a trente-sept ! [Le Conseil d'État a validé in extremis le 23 mai 2024 une trente-huitième liste]. C'est un record historique pour un scrutin en France (en 2019, il n'y en avait que trente-quatre). Avec 81 candidats pour chaque liste, cela fait 2 997 candidats dont 1 505 hommes et 1 492 femmes (la différence de parité provient du nombre impair de candidats dans chaque liste : il y a plus de têtes de liste hommes que de têtes de liste femmes, 25 contre 12, d'où les 13 de différence). La liste de tous les candidats a été publiée le 18 mai 2024.

    Certaines listes ne se sont pas constituées, principalement faute de moyens ou faute de candidats. En effet, réunir autour de soi quatre-vingts autres personnes n'est pas évident, au niveau national, autour d'un projet commun (à définir), d'autant plus que les règles de la parité imposent quarante hommes et quarante femmes. Cela suppose une organisation très structurée sur le territoire (c'est le cas de la Fédération nationale des chasseurs, de Lutte ouvrière, etc.), ce qui peut être difficile pour des candidats à la seule promotion publicitaire personnelle. Ainsi, Debout la France (Nicolas Dupont-Aignan), Générations (Benoît Hamon), l'Alliance royale, le Mouvement écologiste indépendant (MEI), le Parti fédéraliste, l'Alliance centriste (Philippe Folliot) et Territoire en mouvement (Jean-Christophe Fromantin), etc. n'ont finalement pas déposé de candidature cette année pour diverses raisons (la principale étant le manque de financement).

    Avant de scruter la composition des huit listes principales (celles qui ont débattu le 21 mai 2024 sur LCI), regardons quelles sont donc les vingt-neuf autres listes (je ne comptabilise donc pas les huit principales listes).

    Il y a d'abord beaucoup de listes d'extrême gauche : dix dont celle de Free Palestine (Nagib Azergui), du Parti pirate (Caroline Zorn), de Lutte ouvrière (menée par Nathalie Arthaud et Jean-Pierre Mercier, et en queue de liste, Arlette Laguiller), celle de Georges Kuzmanovic (avec le prince Joachim Charles Napoléon Murat !), du NPA, du Parti des travailleurs (avec Daniel Gluckstein en sixième place), celle du militant communautariste Hadama Traoré.

    Il y a ensuite des listes souverainistes ou d'extrême droite : six dont celle de François Asselineau (UPR), celle de Florian Philippot (Les Patriotes) à laquelle s'est joint Jean-Frédéric Poisson (Via), celle d'Édouard Husson, celle des artistes antisionistes Francis Lalanne et Dieudonné.

    Il y a aussi quelques listes revendiquant l'écologie politique, quatre : Équinoxe de la souriante Marine Cholley, la liste de Yann Wehrling (ancien EELV, ancien MoDem et actuel vice-président du conseil région d'Île-de-France) qui rassemble entre autres Cap21 (le mouvement de Corinne Lepage), le mouvement pour les animaux, le parti nationaliste basque, etc. (et qui est soutenue par l'ancien ministre Jean-Jacques Aillagon, placé en fin de liste), la liste de la Ruche citoyenne, la liste de Jean-Marc Governatori (Écologie au centre).

    Il y a des listes qui ont une revendication particulière, et celle des animalistes d'Hélène Thouy (déjà citée) n'est pas la moins légitime puisqu'elle avait obtenu en 2019 plus de 2% des voix. Il y a aussi les défenseurs de l'esperanto avec Laure Patas d'Illiers, des droits des parents et de la protection de l'enfance avec Gaël Coste-Meunier, la défense de la ruralité avec l'inimitable Jean Lassalle (associé à Willy Schraen, président de la Fédération nationale des chasseurs !), et la défense de la démocratie directe avec Philippe Ponge.

    Il y a aussi des listes de petits partis politiques qui n'ont pas voulu se mettre ou remettre avec des grands partis, quatre : celle de Guillaume Lacroix (Parti radical de gauche), avec l'ancienne ministre Juliette Méadel en quatrième position, celle de Pierre Larrouturou (Nouvelle donne), pourtant député européen sortant de la liste socialiste en 2019, celle de Jean-Marc Fortané (Nous Citoyens), enfin, celle d'Audric Alexandre (Parti des citoyens européens, de tendance social-libérale).

    Si je compte bien, cela fait donc vingt-neuf listes, plus les huit principales, ce qui donne trente-sept, le compte est bon ! (ouf).

     

     
     


    Voyons maintenant les listes principales qui ont toutes concouru en 2019 à l'exception de la liste Reconquête dont le parti n'existait pas à l'époque. Le nombre entre parenthèse suivant le nom d'un candidat correspond à son ordre dans la liste, le n°81 étant le dernier. Il est de coutume de mettre en fin de liste des personnes honorifiques pour "pousser" la liste, c'est le cas du RN, de la majorité présidentielle, de FI, du PCF, (aussi de LO), entre autres. J'indique ainsi les candidats remarquables pour chacune de ces listes.

    Liste du RN : Jordan Bardella (1), Malika Sorel (2), Fabrice Leggeri (3), Jean-Paul Garraud (5), Matthieu Valet (7), Thierry Mariani (9), Philippe Olivier (11), Alexandre Varaut (13), Julien Sanchez (17), Marie Dauchy (22), Andréa Kotarac (35), Marine Le Pen (80, Louis Aliot (81). Commentaire : Malika Sorel a "harcelé" Emmanuel Macron encore en janvier 2024 pour être nommée Ministre de l'Éducation nationale, ce qui donne une idée de son arrivisme. Ancien directeur de Frontex, Fabrice Leggeri est accusé par la Ligue des droits de l'homme de crime contre l'humanité et complicité de crime de torture pour avoir refusé de secourir des réfugiés. Philippe Olivier est le mari de Marie-Caroline Le Pen et à ce titre, le beau-frère de Marine Le Pen (rappelons aussi que la compagne de Jordan Bardella est Nolwenn Olivier, fille de Philippe Olivier qui est donc le beau-père de la tête de liste ; auparavant, Jordan Bardella était en relation avec Kerridwen Chatillon, la fille de Frédéric Chatillon, selon Wikipédia).

    Liste de la majorité présidentielle (Renaissance, MoDem, Parti radical et Horizons) et de l'UDI : Valérie Hayer (1), Bernard Guetta (2), Marie-Pierre Vedrenne (3), Pascal Canfin (4), Nathalie Loiseau (5), Sandro Gozi (6), Fabienne Keller (7), Laurence Farreng (9), Gilles Boyer (10), Valérie Devaux (11), Christophe Grudler (12), Jérémy Decerle (14), Laurent Hénart (16), Bérangère Abba (17), Max Orville (18), Ambroise Méjean (20), Rachel-Flore Pardo (21), Catherine Amalric (27), James Chéron (28), Pierre Karlesking (30), Pierre Jakubowicz (64), Jean Veil (74), Violette Spillebout (75), Édouard Philippe (76), François Bayrou (78), Stéphane Séjourné (80), Élisabeth Borne (81). Commentaire : en fin de liste, la majorité a mobilisé deux anciens Premiers Ministres, un fils de Simone Veil et le président du MoDem habitué à mener des listes aux européennes.

    Liste du PS : Raphaël Glucksmann (1), Pierre Jouvet (3), Aurore Lalucq (4), Christophe Clergeau (5), Jean-Marc Germain (7), Chloé Ridel (10), François Kalfon (13). Commentaire : Pierre Jouvet a été celui qui a négocié avec Jean-Luc Mélenchon pour fonder la Nupes. Contrairement à ce que déclare Raphaël Glucksmann, ce dernier reste donc toujours dans une optique d'union avec le leader des insoumis pour 2027.

    Liste de LR : François-Xavier Bellamy (1), Céline Imart (2), Christophe Gomart (3), Isabelle Le Callennec (4), Nadine Morano (6), Brice Hortefeux (7), Nathalie Colin-Oesterlé (8), Geoffroy Didier (11), Emmanuelle Mignon (12), Frédéric Nihous (13), Valérie Boyer (14), Pascale Bories (28), Vincent Jeanbrun (81). Commentaire : la présence, en position éligible, des indéboulonnables Nadine Morano et Brice Hortefeux a provoqué beaucoup de protestation au sein de LR. Notons qu'Emmanuelle Mignon était la directrice de cabinet de Nicolas Sarkozy à l'Élysée. Pour terminer la liste, le maire de L'Haÿ-les-Roses, qui fut attaqué par des émeutiers l'été dernier (proche de Valérie Pécresse, il a été vice-président du conseil régional d'Île-de-France).

    Liste de FI : Manon Aubry (1), Leïla Chaibi (5), Rima Hassan (7), Damien Carême (8), Jean-Luc Mélenchon (80). Commentaire : Rima Hassan est une militante pro-palestinienne qui a importé le conflit israélo-palestinien dans les thèmes de campagne.

    Liste de Reconquête : Marion Maréchal (1), Guillaume Peltier (2), Sarah Knafo (3), Nicolas Bay (4), Laurence Trochu (5), Stanislas Rigault (6), Jean Messiha (7), Damien Rieu (12), Éric Zemmour (80). Commentaire : Sarah Knafo est la proche collaboratrice d'Éric Zemmour.

    Liste des écologistes : Marie Toussaint (1), David Cormand (2), Benoît Biteau (6), Caroline Roose (7), Priscillia Ludosky (9), Maël Rannou (54), Cédric Villani (76), Mélanie Vogel (77), Noël Mamère (78), Eva Joly (79), Yannick Jadot (80), Marine Tondelier (81). Commentaire : EELV a mis le paquet sur les soutiens en queue de liste (il ne manque plus que Dominique Voynet et Cécile Duflot !). Priscillia Ludoksy est l'une des leaders du mouvement des gilets jaunes.

    Liste du PCF : Léon Deffontaines (1), Emmanuel Maurel (3), André Chassaigne (5), Cécile Cukierman (80, Fabien Roussel (81). Commentaire : poussée par Fabien Roussel, la liste a intégré Emmanuel Maurel, ancien du PS et élu député européen en 2019 sur la liste des insoumis.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (22 mai 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Élections européennes 2024 (2) : 37 listes et un bulletin de vote !
    Le souverainisme européen selon Emmanuel Macron : puissance, prospérité et humanisme.
    L'hymne à l'Europe.
    Fête de l'Europe, joies et fiertés françaises.
    Le Tunnel sous la Manche.
    Les 120 ans de l'Entente cordiale.
    Eurovision 2024.
    La vision européenne d'Édouard Balladur.
    Débat Valérie Hayer vs Jordan Bardella : l'imposture démasquée de Coquille vide.
    Il y a 20 ans, l'élargissement de l'Union Européenne.
    La convergence des centres ?
    Élections européennes 2024 (1) : cote d'alerte pour Renaissance.
    Valérie Hayer, tête de la liste Renaissance.
    Charles Michel et Viktor Orban : l'Europe victime d'une histoire belge !
    Jacques Delors : il nous a juste passé le relais !
    Il y a 15 ans : Nicolas Sarkozy, l'Europe et les crises (déjà).
    La Méditerranée, mère de désolation et cimetière de nos valeurs ?
    Le 8 mai, l'émotion et la politique.
    Ukraine, un an après : "Chaque jour de guerre est le choix de Poutine".
    Le 60e anniversaire du Traité de l'Élysée le 22 janvier 2023.
    De Gaulle, l’Europe et le volapük intégré.
    L’inlassable pèlerin européen Emmanuel Macron.
    Valéry Giscard d’Estaing, le rêveur d’Europe.
    Enfin, une vision européenne !
    Relance européenne : le 21 juillet 2020, une étape historique !






    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240521-europeennes.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/elections-europeennes-2-37-listes-254785

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  • Émeutes en Nouvelle-Calédonie : l'enjeu, c'est la démocratie !

    « Des personnes qui sont nées en Nouvelle-Calédonie ou qui y résident depuis de nombreuses années, qui y ont leur vie personnelle et leurs activités professionnelles, qui y payent des impôts sont privées du droit de vote aux élections provinciales, c’est-à-dire à un scrutin local. Le dégel du corps électoral est donc un enjeu démocratique incontournable et demandé par le Conseil d’État. Il s’agit de permettre la tenue des prochaines élections provinciales et d’assurer la représentativité des élus, sans remettre en cause les équilibres fondamentaux de l’accord de Nouméa. » (Gabriel Attal, le 14 mai 2024 dans l'hémicycle de l'Assemblée Nationale).



     

     
     


    Depuis lundi 13 mai 2024, la Nouvelle-Calédonie est en proie, à nouveau, hélas, à la violence quasi-insurrectionnelle. Le bilan en deux jours est très lourd puisqu'il y a eu quatre morts, dont un gendarme de 22 ans, Nicolas Molinari, affecté à Melun, et plus d'une cinquantaine de blessés parmi les forces de l'ordre qui ont réagi avec rigueur sans mettre en danger la vie d'un manifestant.

    On se posera la question sérieuse de l'origine de ces émeutes, en particulier à Nouméa, qui ressemblent plus à du vandalisme de banlieue, comme en automne 2005 ou en été 2023, qu'à un acte de "résistance" politique des indépendantistes. S'en prendre aux personnes et aux biens, mettre le feu aux maisons, piller les commerces donne rarement un message politique mais indique surtout une colère floue et une volonté de détruire, de saccager.

    Le déclenchement de ces émeute serait l'examen à l'Assemblée Nationale du projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie. J'évoquerai ce texte ci-après, et disons clairement que le texte a été déposé dès janvier 2024, et voté par le Sénat en avril, pourquoi donc ce regain de violence soudain ?


    Il y a bien sûr des hypothèses, mais ce ne sont que des suppositions. Ce qui est sûr, c'est que la gauche, toute la gauche : socialistes, insoumis et communistes, sont vent debout contre cette réforme constitutionnelle ; ils ne croient plus en l'universalité du suffrage, c'est grave. D'autant plus qu'on prêterait aux insoumis d'être les porte-parole de puissances étrangères (Russie et Chine) qui seraient bien intéressées par la déstabilisation de la France en Nouvelle-Calédonie, en particulier, l'influence de la Chine dans le Pacifique est de plus en plus prégnante.

    Dans la nuit du 14 au 15 mai 2024, Gérald Darmanin a regretté dans l'hémicycle le manque de soutien aux forces de l'ordre de la part de la gauche : « Nous regrettons que l’Assemblée Nationale n’ait pas unanimement condamné les actions conduites contre les policiers et gendarmes. On aurait pu croire que les pillages, les incendies, les menaces de mort, visaient à exercer une pression politique sur les représentants du peuple. ».

    Le gouvernement a manifestement été surpris par cette forte flambée de violence alors que le Ministre de l'Intérieur et des Outre-mer s'est beaucoup investi pour trouver un accord tripartite (État, loyalistes, indépendantistes) pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie. Par exemple, il s'est rendu en Nouvelle-Calédonie cinq à sept fois en 2023. La réponse immédiate a été de réagir promptement : le Président Emmanuel Macron a convoqué un conseil de défense le mercredi 15 mai 2024 matin, repoussant le conseil des ministres dans l'après-midi. La principale décision a été de proclamer l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie à partir du 16 mai 2024 à 5 heures (heure locale), ainsi qu'un couvre-feu de 18 heures à 6 heures du matin, l'interdiction de rassemblement à Nouméa, et l'interdiction du transport et du port d'armes et d'alcool sur tout le territoire de Nouvelle-Calédonie.

    Pourtant, on ne peut pas dire qu'Emmanuel Macron n'avait pas joué le jeu rigoureux des Accords de Matignon de 1988 puis de Nouméa de 1998. Il était question d'organiser jusqu'à trois référendums sur l'indépendance, qui ont eu lieu le 4 novembre 2018, le 4 octobre 2020 et le 12 décembre 2021. Emmanuel Macron est resté très étrangement neutre, refusant d'influencer les électeurs alors qu'il aurait été normal (cela lui a été reproché) que le gouvernement français fît campagne pour le maintien dans la République française, ce qui a finalement été le cas, mais au troisième référendum, les indépendantistes, se sentant minoritaires, ont refusé de participer au scrutin, faisant chuter la participation alors qu'elle était très élevée aux deux premiers. Néanmoins, tout le monde pouvait faire son choix, librement consenti, dans la sincérité et le secret des règles d'une démocratie mature.

    C'est pour cela que depuis le début de l'année 2022, le gouvernement français est en négociation avec toutes les parties en Nouvelle-Calédonie pour construire les structures néo-calédoniennes définitives. Pour Emmanuel Macron, la question de l'indépendance a été définitivement tranchée le 12 décembre 2021 : « Les Calédoniennes et les Calédoniens ont choisi de rester Français. Ils l’ont décidé librement. Pour la Nation entière, ce choix est une fierté et une reconnaissance. Ce soir, la France est plus belle car la Nouvelle-Calédonie a décidé d’y rester. ». Encore faut-il se mettre d'accord pour cet avenir commun.


    Parallèlement, il y avait une réforme à faire qui ne pouvait pas être négociable au nom des valeurs de la démocratie : la composition du corps électoral qui est gelée depuis trente ans ! Cela signifie qu'un habitant français né en Nouvelle-Calédonie et vivant en Nouvelle-Calédonie depuis vingt-cinq ans ne peut pas, actuellement, voter aux élections néo-calédoniennes. C'est l'objet de ce projet de loi constitutionnelle d'en finir avec cette exception antidémocratique néo-calédonienne.
     

     
     


    Rappelons plus précisément le contenu de la loi constitutionnelle n°98-610 du 20 juillet 1998 relative à la Nouvelle-Calédonie qui crée un nouveau titre de la Constitution sur les dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie. En particulier, le dernier alinéa de l'article 77 de la Constitution dit (rajouté en 2007) : « Pour la définition du corps électoral appelé à élire les membres des assemblées délibérantes de la Nouvelle-Calédonie et des provinces, le tableau auquel se réfèrent l'accord mentionné à l'article 76 et les articles 188 et 189 de la loi organique n°99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie est le tableau dressé à l'occasion du scrutin prévu audit article 76 et comprenant les personnes non admises à y participer. ». Cela signifie le gel pur et simple du corps électoral depuis vingt-cinq ans ! (Je précise bien que cet alinéa n'avait pas été inscrit en 1998 mais en 2007 : auparavant, le corps électoral était régi uniquement par la seule loi organique de 1999).

    Que dit (entre autres) la loi organique n°99-209 du 19 mars 1999 ? Son article 6 : « Il est institué une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie dont bénéficient les personnes de nationalité française qui remplissent les conditions fixées à l'article 188. ». Et son article 188 : « I. - Le congrès et les assemblées de province sont élus par un corps électoral composé des électeurs satisfaisant à l'une des conditions suivantes : a) Remplir les conditions pour être inscrits sur les listes électorales de la Nouvelle-Calédonie établies en vue de la consultation du 8 novembre 1998 ; b) Être inscrits sur le tableau annexe et domiciliés depuis dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l'élection au congrès et aux assemblées de province ; c) Avoir atteint l'âge de la majorité après le 31 octobre 1998 et soit justifier de dix ans de domicile en Nouvelle-Calédonie en 1998, soit avoir eu un de leurs parents remplissant les conditions pour être électeur au scrutin du 8 novembre 1998, soit avoir un de leurs parents inscrit au tableau annexe et justifier d'une durée de domicile de dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l'élection. II. - Les périodes passées en dehors de la Nouvelle-Calédonie pour accomplir le service national, pour suivre des études ou une formation ou pour des raisons familiales, professionnelles ou médicales ne sont pas, pour les personnes qui y étaient antérieurement domiciliées, interruptives du délai pris en considération pour apprécier la condition de domicile. ». Cette règle avait été d'ailleurs blâmée par le Conseil Constitutionnel le 15 mars 1999, si bien que le Président Jacques Chirac l'avait finalement inscrite directement dans la Constitution par la loi constitutionnelle n°2007-237 du 23 février 2007.

    Concrètement, cela signifie qu'en 2023, 42 000 électeurs étaient exclus du corps électoral sur les 220 000, soit près de 20%, un électeur sur cinq interdit de vote ! Cette spécificité antidémocratique, cette exemption démocratique ne pouvait être tolérée par les "organes de contrôle" tels que le Conseil d'État et le Constitutionnel en France, mais aussi la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) que sous réserve que ce fût transitoire. Or, ici, le transitoire dure depuis plus de vingt-cinq ans.


    Dans le rapport du député Nicolas Metzdorf (le rapporteur du projet de loi constitutionnelle) déposé le 7 mai 2024, il est dit : « Le constituant doit tenir compte du droit international et européen : la supériorité de la Constitution dans l’ordre juridique interne n’épuise pas pour autant le débat juridique sur les dérogations aux principes d’universalité et d’égalité du suffrage. ». Autrement dit, aujourd'hui, la CEDH nous observe sur la nécessaire évolution de la définition du corps électoral.

    Il est quand même choquant que ceux qui, je pense particulièrement aux insoumis, militent depuis longtemps pour le droit de vote aux étrangers dans toute la France (ce qui serait une hérésie démocratique également), notamment pour les élections locales, refusent que des citoyens qui sont nés en Nouvelle-Calédonie et qui paient leurs impôts, Français, ne puissent pas voter chez eux à cause de ce gel des listes électorales. C'est même un scandale qui n'auraient jamais dû endosser les gouvernements de Michel Rocard et de Lionel Jospin. Une telle exception démocratique ne peut être maintenue aussi longtemps dans le temps : ce sont des générations de citoyens, ce qui y naissent et ceux qui s'y installent, qui sont privés scandaleusement de leur droit de vote ! C'est contraire à tous nos principes, toutes nos valeurs, tous nos standards !

    C'est du reste incroyable que certains associent démocratie et colonisation, comme si la décolonisation ne pouvait aboutir qu'à une non-démocratie. Les Néo-calédoniens ont parlé en 2021 et le maintien dans la République est un choix démocratique, il faut le respecter et rétablir un corps électoral compatible avec une démocratie adulte. D'ailleurs, selon des études, il semblerait que le rétablissement du corps électoral ne profitera à aucun des deux camps, loyaliste et indépendantiste, ce qui n'en ferait donc pas un élément crucial de l'avenir de la Nouvelle-Calédonie.


    La règle de l'État de droit est l'égalité de tous les citoyens devant les urnes. Ce projet de loi constitutionnelle a été déposé au Sénat par le gouvernement de Gabriel Attal le 29 janvier 2024. Après examen en commission puis en séances publiques, le texte a été adopté le 2 avril 2024 par 233 voix pour, 99 voix contre sur 339 votants et 332 exprimés (scrutin n°168). À son tour, les députés de l'Assemblée Nationale l'ont examiné en commission puis en séance publique et l'ont adopté dans les mêmes termes le soir du mardi 14 mai 2024, peu après minuit, par 351 voix pour, 153 voix contre sur 507 votants et 504 exprimés. Pour être définitif en tant que révision de la Constitution, ce texte doit passer un troisième scrutin (selon l'article 89 de la Constitution), soit un référendum national, soit l'adoption par le Congrès (à Versailles, réunion des députés et des sénateurs) avec la majorité des trois cinquièmes, ce qui est largement possible étant donné les scrutins de chaque assemblée (cette majorité serait à environ 70% ; les trois cinquièmes, c'est 60%).

    Que contient cette réforme constitutionnelle ? Il y a deux articles. Le premier article supprime le dernier alinéa de l'article 77 (cité plus haut) et le remplace par un article 77-1 ainsi rédigé : « Dans les conditions définies par une loi organique prise après avis du congrès de la Nouvelle Calédonie, le corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province est restreint aux électeurs qui, inscrits sur la liste électorale générale de Nouvelle Calédonie, y sont nés ou y sont domiciliés depuis au moins dix années. ».


    Il précise également : « En cas d’accord portant sur l’évolution politique et institutionnelle de la Nouvelle Calédonie en vue d’assurer à tous les citoyens de Nouvelle Calédonie un destin commun, négocié dans le cadre des discussions prévues par l’accord signé à Nouméa le 5 mai 1998, les critères d’admission au corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle Calédonie mentionnés à l’article 77 1 de la Constitution peuvent être modifiés par une loi organique. ». Ce point permet à cette réforme constitutionnelle de ne pas être un point final aux discussions mais au contraire d'en être un complément constitutionnel.

    Le second article indique que l'article premier entre en vigueur le 1er juillet 2024... sauf « si les Présidents des deux assemblées du Parlement saisis à cette fin par le Premier Ministre constatent qu’un accord portant sur l’évolution politique et institutionnelle de la Nouvelle Calédonie en vue d’assurer à tous les citoyens de Nouvelle Calédonie un destin commun, négocié dans le cadre des discussions prévues par l’accord signé à Nouméa le 5 mai 1998, a été conclu au plus tard dix jours avant la date des élections pour le premier renouvellement général du congrès et des assemblées de province postérieur à la publication de la présente loi constitutionnelle entre les partenaires de cet accord. Ils se prononcent dans un délai de huit jours à compter de leur saisine. Le gouvernement présente en conseil des ministres un projet de loi organique visant à reporter le premier renouvellement général du congrès et des assemblées de province postérieur à la publication de la présente loi constitutionnelle, afin de permettre l’adoption des mesures constitutionnelles, organiques et législatives nécessaires à la mise en œuvre dudit accord. L’adoption en conseil des ministres de ce projet de loi organique emporte, le cas échéant, report du décret de convocation des électeurs pour ledit scrutin. ».

    L'impact de cette réforme constitutionnelle est de réintégrer dans le corps électoral 25 000 électeurs des 42 000 exclus (car il faut encore résider pendant au moins dix ans en Nouvelle-Calédonie). C'est mieux mais encore très insuffisant pour les standards de la démocratie.

     

     
     


    Avant le vote, lors de la séance au gouvernement du 14 mai 2024, le Premier Ministre Gabriel Attal a montré un signe d'apaisement en ne convoquant pas immédiatement le Congrès à Versailles comme il en aurait la possibilité, afin de se donner du temps pour un accord global : « Au-delà, notre unique volonté est de trouver, avec les indépendantistes et avec les non-indépendantistes, un accord politique global et le plus large possible qui permette d’aller de l’avant et d’écrire le futur de la Nouvelle-Calédonie. J’y insiste : cet accord passera par le dialogue avec toutes les parties prenantes. C’est pourquoi notre main est toujours tendue. C’est pourquoi le Président de la République, vous l’avez rappelé, a proposé d’ouvrir de nouvelles discussions entre les responsables politiques calédoniens et le gouvernement. C’est pourquoi le Congrès ne sera pas convoqué immédiatement à l’issue des débats à l’Assemblée Nationale. Dans l’intervalle, j’invite les responsables politiques calédoniens à saisir cette main tendue et à venir discuter à Paris dans les prochaines semaines. L’important, c’est l’apaisement. L’important, c’est le dialogue. L’important, c’est la construction d’une solution politique commune et globale. L’important, c’est de trouver les moyens de faire respecter le choix souverain de la Nouvelle-Calédonie de rester dans la République et de définir le bon équilibre pour l’avenir du Caillou et de la jeunesse calédonienne, tout en respectant le droit à l’autodétermination. ».

    C'est peut-être le député LR Philippe Gosselin qui a expliqué le mieux la méthode de l'État dans ces négociations. Il l'a expliquée le 7 mai 2024 lors de l'examen en commission : « Certains collègues semblent s’étonner qu’un accord entre les parties puisse mettre un terme à la révision de la Constitution dont nous discutons. Or le processus est totalement dérogatoire au droit commun, depuis le début. C’est particulièrement le cas depuis la révision du titre XIII de la Constitution, mais cela l’était déjà avec les accords de Matignon et de Nouméa : au fond, le Parlement joue le rôle de greffier des accords locaux. Ce n’est pas un problème, et c’est même important, dans la mesure où les partis calédoniens sont directement concernés. ».

    Par ailleurs, le gouvernement a reporté au 15 décembre 2024 la date des prochaines élections provinciales afin d'obtenir un accord global avant cette date. Mais le FLNKS a quitté la table des négociations le 28 février 2024. Sa responsabilité est très grande sur les événements actuels très graves à Nouméa. Il faut négocier, mais sans transiger sur les principes qui fondent notre démocratie, et en particulier les principes d'égalité et d'universalité du suffrage. La politique demande toujours du courage pour tracer une route claire.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (15 mai 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Émeutes en Nouvelle-Calédonie : l'enjeu, c'est la démocratie !
    La messe est dite : la Nouvelle-Calédonie dit non à l’indépendance.
    Nouvelle-Calédonie : jamais deux sans trois !
    Bernard Pons.
    Nouvelle-Calédonie : le vent du boulet ?
    Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron le 4 octobre 2020 sur la Nouvelle-Calédonie.
    Résultats du référendum du 4 octobre 2020 en Nouvelle-Calédonie.
    Nouvelle-Calédonie : bis repetita ?
    Jean-Marie Tjibaou fut-il un martyr de la cause kanake ?
    Nouvelle-Calédonie : un timide oui pour la France.
    Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron le 4 novembre 2018 sur la Nouvelle-Calédonie.
    Résultats du référendum du 4 novembre 2018 en Nouvelle-Calédonie.
    Paris à l’écoute de la Nouvelle-Calédonie.
    Discours du Président Emmanuel Macron le 5 mai 2018 à Nouméa.
    Discours du Premier Ministre Édouard Philippe le 5 décembre 2017 à Nouméa.
    L’assaut de la grotte d’Ouvéa selon Michel Rocard.
    Jacques Lafleur.
    Dick Ukeiwé.
    Edgard Pisani.
     

     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240515-nouvelle-caledonie.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/emeutes-en-nouvelle-caledonie-l-254694

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  • Kohsro Besharat pendu pour corruption sur terre ce mercredi 15 mai 2024

    « Il est (…) temps pour les États de lancer des procédures pénales, en vertu du principe de compétence universelle, à l’encontre de toutes les personnes soupçonnées de responsabilité pénale pour des crimes relevant du droit international, même s’il s’agit de hauts responsables iraniens. » (Diana Eltahawy, le 24 janvier 2024).



     

     
     


    Ce matin, je me suis réveillé avec la nausée. J'ai appris que Khosro Besharat (39 ans) venait d'être exécuté par pendaison ce mercredi 15 mai 2024 dans la prison de Ghezel Hesar à Karadj, dans la province d'Alborz, en Iran. De quoi avoir envie de vomir toute la journée. Je n'ai pas entendu ceux qui, à l'indignation facile, occupaient l'IEP de Paris pour s'indigner de ce qui se passe à Gaza en fermant systématiquement les yeux sur ce qui se passe dans les régimes islamiques, en particulier en Iran, pays qui condamne à mort et exécute à tour de bras, le champion du monde de l'exécution, avec au moins 853 exécutions en 2023.

    La mère de cette énième victime des mollahs, Khadijeh Azar-Pouya avait adressé une lettre au rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l'homme en République islamique d'Iran, Javaid Rehman, en février 2020 pour lui demander de prendre des mesures juridiques afin d'arrêter et révoquer l'ordre d'exécution de son fils. Elle a accusé le Ministère iranien du Renseignement d'avoir orchestré un complot à Mahabad et Orumiyeh pour condamner son fils et les six autres co-accusés : « Mon fils n'avait que 24 ans quand il a été arrêté (…). Il a passé la fleur de sa jeunesse en détention sans avoir commis aucun crime. Je suis complètement brisée et vieillie, et les mots rire et joie n'ont plus de sens pour moi. (…) Ce qui est (…) douloureux et frustrant, c'est qu'après plus de dix ans d'attente pour l'acquittement et la libération de mon fils, uniquement en raison de l'absence de toute preuve ou fondement pour prouver sa culpabilité, la 41e chambre de la Cour suprême a malheureusement confirmé la condamnation à mort (…). Comment est-il possible que [cette chambre] de la Cour suprême puisse annuler la première condamnation à mort (…) sur la base de preuves et d'aveux insuffisants, mais que la deuxième fois, sans aucun changement dans l'affaire, elle confirme ce verdict ? ».

    Khosro Besharat était un Kurde sunnite et il ne faisait pas bon de vivre au pays des mollahs (chiites). Il avait 24 ans quand il a été arrêté en janvier 2010 à Mahabad, dans la province de l'Azerbaïdjan occidental, comme prisonnier politique de la minorité kurde.

    Dans une lettre écrite en 2021, Khosro Besharat a raconté son calvaire pendant sa détention (citée par le site Kurdistan Human Rights Network) : « C’était en janvier 2010 lorsque j’ai été arrêté par les forces de renseignement à Mahabad et immédiatement transféré au Ministère du Renseignement à Orumiyeh. Ils m’ont soumis à diverses formes de torture pendant un mois complet en cellule d'isolement. Souvent, de minuit au matin, des bruits terrifiants, des cris et des hurlements de quelqu’un en train d’être torturé remplissaient l’air, instillant la peur et le tremblement dans tout mon corps. Je n’ai pas pu dormir jusqu’au matin à cause de la peur, et cela m’a beaucoup affligé et torturé mentalement. Ils m’attaquaient souvent les mains par derrière, me faisant gémir de douleur. Plusieurs fois, ils m’ont suspendu au plafond pendant des heures avec des menottes, et à d’autres moments, ils m’ont retenu sur un lit, frappant violemment la plante de mes pieds avec des câbles électriques, faisant presque sortir mon cerveau de ma bouche, et mon mes yeux se détachaient de leurs orbites, tandis que mon cœur avait l’impression qu’il était sur le point d’éclater. (…) Ces tortures ont continué pendant trois semaines, après quoi ils ont menacé d’arrêter les membres de ma famille. Durant ces tortures et menaces, l’interrogateur a noté les charges retenues contre moi et, dans cet état, j’ai été obligé de signer et de laisser mes empreintes digitales sur le même papier. À ce moment-là, j’avais l’impression de ne pas exister dans ce monde et je ne savais pas que je signais. ».
     

     
     


    En mars 2016, un procès bâclé et très inéquitable l'a condamné, ainsi que six autres co-accusés, pour « action contre la sécurité nationale », « propagande contre le régime », « appartenance à des groupes salafistes » et « propagation de corruption sur terre ». Khosro Besharat et ses tristes compagnons d'infortune n'avaient pas pu se défendre de ces accusations fallacieuses. Jugés par la 28e chambre du célèbre et cruel tribunal révolutionnaire islamique de Téhéran, présidée par le juge Moghiseh, les prévenus ont été informés le 25 mai 2016 de leur condamnation à mort.

    Après un recours, l'affaire a été renvoyée devant la 41e chambre de la Cour suprême présidée par le juge Razini qui a annulé le verdict en 2017 et a renvoyé l'affaire à la 15e chambre du tribunal révolutionnaire islamique de Téhéran, présidée par le juge Abolghasem Salavati. Cette dernière a confirmé les sept condamnations à mort en juin 2018. Après un nouveau recours devant la 41e chambre de la Cour suprême, cette dernière a validé le verdict le 3 février 2020 sous la pression du Ministère du Renseignement. En septembre 2020, la 38e chambre de la Cour suprême a rejeté un nouveau recours pour obtenir un nouveau procès.

    Par ailleurs, Khosro Besharat et ses autres compagnons d'infortune ont été condamnés le 30 juin 2018 à dix ans de prison par la 12e chambre de la cour d'appel d'Orumiyeh, accusés dans une autre affaire d'un « implication dans un meurtre » par une collision avec une automobile (qu'ils ont nié farouchement ; on notera cependant qu'en Iran, il est moins dangereux d'être l'auteur d'un meurtre que d'une "corruption sur terre").

    Au contraire d'un semblant de procédure (avec appel, recours, etc.), ces procès étaient truqués, les juges ont abouti à leur verdict en quelques minutes seulement sur la seule base des aveux exprimés sous la torture.

    Khosro Besharat a été mis en isolement dans sa prison le 1er mai 2024, juste après l'exécution d'un de ses co-accusés, Anvar Khezri. Cela pressentait hélas une exécution imminente. Anvar Khezri avait lui-même été mis à l'isolement la veille de son exécution, le 30 avril 2024 et sa famille n'a pas été avertie pour un ultime adieu. Khosro Besharat, lui, a quand même pu revoir sa famille le 5 mai 2024, seulement vingt minutes, pour lui dire adieu. Quatre autres co-accusés ont été exécutés avant eux : Ghasem Abasteh le 5 novembre 2023 (torturé peu avant son exécution), Ayoub Karimi le 29 novembre 2023, Davoud Abdollahi le 2 janvier 2024 et Farhad Salimi le 23 janvier 2024.

     
     


    Le 24 janvier 2024, à la suite de cette troisième exécution, la directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Amnesty International Diana Eltahawy, avait vivement réagi : « L’exécution arbitraire de Farhad Salimi met en évidence une tendance alarmante des autorités iraniennes à recourir de manière disproportionnée à la peine de mort contre des membres de minorités ethniques opprimées d’Iran. L’exécution arbitraire de Mohammad Ghobadlou a sidéré ses proches et son avocat, qui attendaient qu’il soit rejugé, sans savoir que les autorités judiciaires au plus haut niveau contournaient secrètement les procédures et bafouaient de manière flagrante les principes fondamentaux de l’humanité et de l'État de droit. ». Mohammad Ghobadlou avait été exécuté le même jour que Farhard Salimi, et était un manifestant de 23 ans souffrant d'un handicap mental accusé d'avoir renversé un fonctionnaire pendant une manifestation (son procès avait pourtant été annulé le 25 juillet 2023 mais le nouveau procès n'a jamais eu lieu).

    Et Diana Eltahawy de poursuivre : « L’implacable frénésie meurtrière des autorités iraniennes à la suite du soulèvement ”Femme. Vie. Liberté“, qui a conduit à l’exécution arbitraire de centaines de personnes à l’issue de procès manifestement inéquitables au cours de l’année écoulée, souligne la nécessité de renouveler et d’étendre respectivement les mandats du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Iran et de la mission d’établissement des faits des Nations Unies, lors de la prochaine session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Il est également temps pour les États de lancer des procédures pénales, en vertu du principe de compétence universelle, à l’encontre de toutes les personnes soupçonnées de responsabilité pénale pour des crimes relevant du droit international, même s’il s’agit de hauts responsables iraniens. ».

    À la mort de leur co-accusés, en janvier 2024, Anvar Khezri, Khosro Besharat et Kamran Sheikheh avaient observé une grève de la faim pour protester contre leur procès inique. Sans effet sur les autorités iraniennes, froides et cyniques.


    Le septième co-accusé de cette imposture de procès est Kamran Sheikheh, lui aussi sous isolement depuis quinze jours, et tout indique qu'il sera hélas très prochainement exécuté. Honte à ce régime assassin, alors que dans les années 1970, l'Iran était un pays moderne avec les femmes capables de faire autant que les hommes, sans soumission de genre. Depuis 1979, la potence est devenue le seul outil pour se faire respecter. Que les victimes de ce régime abominable reposent en paix. Et que les tortionnaires s'inquiètent à jamais.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (15 mai 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Khosro Besharat.
    Mobilisons-nous pour Toomaj Salehi !
    Fatwa de mort contre Salman Rushdie.
    Alireza Akbari.
    Mehran Karimi Nasseri.
    Claude Malhuret contre la mollarchie.
    Masha Amini, les femmes iraniennes, leur liberté et Claude Malhuret.
    Révolution : du rêve républicain à l’enfer théocratique de Bani Sadr.
    L'Iran de Bani Sadr.
    De quoi fouetter un Shah (18 février 2009).
    N’oubliez pas le Guide (20 février 2009).
    Incompréhensions américaines (1) et (2).
    Émission de France 3 "L’Iran et l’Occident" (17-18 février 2009).
    Session de septembre 2006 à l’ONU : Bush, Ahmadinejad, Chirac.
    Dennis Ross et les Iraniens.
    Un émissaire français à Téhéran.
    Gérard Araud.
    Stanislas de Laboulaye.
    Des opposants exécutés par pendaison en Iran.
    Expulsion de Vakili Rad, assassin de Chapour Bakhtiar, dernier Premier Ministre du Shah d'Iran, par Brice Hortefeux à la suite du retour de l'étudiante Clotilde Reiss.
    Mort de l'ancien Premier Ministre iranien Mohammad Reza Mahdavi-Kani à 83 ans le 21 octobre 2014.
     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240515-khosro-besharat.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/kohsro-besharat-pendu-pour-254693

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/05/15/article-sr-20240515-khosro-besharat.html