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  • Alain Delon soutenait Raymond Barre

    « Et j'en arrive à Raymond Barre : c'est pour moi l'homme le plus proche du Général De Gaulle, c'est un homme hors des partis, c'est un homme qui veut un État impartial au service du peuple et au service de la France, c'est un homme exceptionnel comme l'était le Général De Gaulle. » (Alain Delon, le 30 octobre 1988 sur TF1).



     

     
     


    L'enterrement a lieu ce samedi 24 août 2024 dans la chapelle de sa propriété à Douchy, et dans l'intimité familiale, comme on dit. Toute cette semaine, beaucoup de monde a parlé de l'acteur français Alain Delon, et notamment dans les réseaux sociaux, où les gens se lâchent, on a vu qu'une certaine gauche, la plus sectaire, était capable de continuer à détester un homme même mort. Simplement parce qu'il ne cachait pas ses convictions de droite. Et probablement aussi parce qu'il était très riche, mais d'une richesse qu'il a acquise par son travail et par son talent.

    On en profite d'ailleurs pour dire n'importe quoi, par exemple, qu'il soutenait électoralement Jean-Marie Le Pen et le Front national, que c'était un abominable extrémiste de droite. Alors, il faut rétablir un peu les choses.

    Alain Delon était un gaulliste et parce qu'il était un gaulliste, il avait soutenu très activement la candidature de Raymond Barre à l'élection présidentielle du printemps 1988. En particulier, il a assisté, parmi le public invité, à plusieurs émissions politiques de "L'Heure de Vérité" (animées sur Antenne 2 par François-Henri de Virieu) dont l'invité était Raymond Barre, en particulier le 7 janvier 1987 (à côté de Jean-Pierre Soisson et de Catherine Pironi), et aussi après l'élection présidentielle, le 7 novembre 1988 (il était à côté de l'épouse de l'homme politique, Eva Barre et de Gilberte Beaux). De plus, il était présent au grand meeting de campagne de Raymond Barre le 19 avril 1988 à Lyon (quelques jours avant le premier tour). Enfin, on l'a retrouvé naturellement aux obsèques de l'ancien Premier Ministre le 29 août 2007 à la chapelle de l'hôpital du Val-de-Grâce, à Paris, où il est mort, au milieu d'une classe politique assez secouée.

    En quelque sorte, le barrisme d'Alain Delon était incontestable et il n'a pas fait simplement qu'ajouter passivement une signature à une liste de comité de soutien, mais il était présent aux grands moments de la campagne présidentielle du futur maire de Lyon. En tant que barriste, je m'en réjouissais, même si je n'avais pas toujours les mêmes idées qu'Alain Delon, en particulier sur la peine de mort (voir plus loin). Et ça tombait bien, Alain Delon n'était pas un homme politique, donc, ses convictions ont eu peu d'influence sur le cours des événements (la construction de la loi). Comme lui, mon barrisme était du gaullisme moderne. Mais aucune personnalité n'est sacrée et toutes ont eu leur faille.

    Quant à Jean-Marie Le Pen, effectivement, Alain Delon le connaissait très bien, c'étaient même deux amis très proches depuis la fin des années 1960, Alain Delon le connaissait avant qu'il ne devînt président du FN et si pour l'acteur, l'amitié n'était pas un vain mot, il faisait la différence entre amitié et politique et il n'a pas soutenu politiquement Jean-Marie Le Pen, contrairement à ce qu'on voudrait nous faire croire.

    Dans le cadre de son hommage dominical, la chaîne LCI a eu la bonne idée de retransmettre le dimanche 18 août 2024 à 15 heures des extraits d'une émission politique importante du dimanche soir dont Alain Delon était l'invité, le fameux "7 sur 7" animé sur TF1 par la journaliste vedette Anne Sinclair. Elle était datée de "septembre 1988" mais renseignements pris, elle aurait été enregistrée et diffusée plutôt le 30 octobre 1988, donc non seulement après l'élection présidentielle mais aussi avant le référendum du 6 novembre 1988 sur les Accords de Matignon sur la Nouvelle-Calédonie : Alain Delon avait été invité à Matignon par le Premier Ministre Michel Rocard parce qu'il était de droite, avec un autre acteur, Michel Piccoli, qui lui était notoirement de gauche, pour qu'ils fissent campagne ensemble pour le "oui" de manière consensuelle. Alain Delon a répondu à cette demande en donnant les arguments pour le "oui", oui à la paix en Nouvelle-Calédonie et s'était un peu fâché, d'ailleurs, avec quelques leaders de droite qui, refusant d'aider politiquement François Mitterrand, avaient prôné une lâche abstention.

     

     
     


    Dès le début de l'émission, alors qu'Anne Sinclair parlait pour introduire longuement son émission et son illustre (et rare) invité, on pouvait voir Alain Delon, silencieux, l'écouter attentivement, le regard parfois dans le vide mais montrant surtout un charisme, une présence, même dans le silence ! On imaginait alors facilement, comme avec Yves Montand ou Vincent Lindon dans un autre registre, qu'Alain Delon aurait pu avoir une carrière politique, un peu à l'instar de la classe politique américaine, les acteurs professionnels étant les meilleurs pour convaincre les électeurs puisqu'ils jouent leur rôle bien mieux que des acteurs amateurs, à savoir des candidats technocrates qui lisent des discours que des collaborateurs leur auraient rédigés.

    Et puis très vite, Alain Delon expliquait qu'il ne pouvait pas être homme politique car il avait une très grande sensibilité. On pouvait aussi se dire : tout le monde a sa sensibilité. Mais quand Anne Sinclair lui a fait parler d'un fait-divers récent à l'époque, et atroce, le viol de petites filles, Alain Delon a montré qu'il valait mieux qu'il restât comédien et qu'il ne se risquât pas à aller sur le terrain de l'action politique.

     

     
     


    J'ai écrit que je n'avais les mêmes idées que lui sur la justice, en voici un exemple énorme, Alain Delon reconnaissant qu'il était entier et "un peu" excessif : « Moi, je suis pour la peine de mort, je l'ai toujours été, donc je le dis comme je le pense. Et en ce qui concerne les viols d'enfant, je suis carrément pour un tribunal d'exception et une justice expéditive. (…) Ces monstres-là, pour moi, n'ont pas le droit de vivre. (…) Ces êtres-là ne sont pas des êtres humains, ni des animaux. Pour moi, ce sont des monstres. (…) Si ces gens-là savaient que dans les quinze jours, une fois les aveux passés, les preuves faites, dans les quinze jours, ils allaient avoir le châtiment suprême, sentence exécutoire sur le champ, je vous promets qu'ils réfléchiraient, s'ils sont encore capables de réfléchir. Mais s'ils ne sont pas capables de réfléchir, vous savez, on va vous dire, ils n'ont pas demandé à naître, ils n'ont pas demandé à venir sur Terre. Le chardon non plus, entre la pelouse, il n'a pas demandé à venir sur Terre. Le charbon, chez moi, je l'arrache, et je le retire. C'est un phénomène de société, ces gens-là n'ont pas le droit de faire partie de notre société. Je suis peut-être un peu excessif, c'est mon sentiment, je ne le demande pas de le partager. Je n'excuse pas. ».

    Cela n'a pas empêché Alain Delon de voter Raymond Barre et pas Jean-Marie Le Pen. Un peu plus tard dans l'émission, il a tenté d'expliquer son barrisme par son gaullisme. Il a déclaré qu'à 21 ans, il avait manifesté pour demander le retour du Général De Gaulle. Pour lui qui était enfant sous l'Occupation, De Gaulle était un héros, le libérateur de la France (on fête les 80 ans de la Libération de Paris ce dimanche 25 août 2024).
     

     
     


    Et, sur le ton d'un vendeur de dentifrice, ou de maison individuelle, Alain Delon a expliqué rapidement (car l'émission se terminait) : « Vous savez, j'aime les hommes, les vrais hommes, sans que ce soit équivoque. Alors, les vrais hommes à commencer par le Général De Gaulle (…). Pourquoi le Général De Gaulle ? Simplement, et par le Général De Gaulle, vous comprendrez mieux Raymond Barre, parce qu'ils ont les mêmes vues sur ce que j'appelle la France, la même idée de la France. (…) Et j'en arrive à Raymond Barre : c'est pour moi l'homme le plus proche du Général De Gaulle, c'est un homme hors des partis, c'est un homme qui veut un État impartial au service du peuple et au service de la France, c'est un homme exceptionnel comme l'était le Général De Gaulle, on ne le comprend pas aujourd'hui, on le comprendra demain. Voilà pourquoi j'ai soutenu Raymond Barre, voilà pourquoi je continuerai à le soutenir. C'est un homme qui n'a aucun intérêt personnel, qui ne voit que les intérêts de la France et des Français, pour qui une seule chose compte, l'intérêt supérieur de la France, et il l'a dit lui-même quand on lui a reproché d'avoir été reçu par le Président Mitterrand ou d'avoir été reçu par le gouvernement en place aujourd'hui. Je ne vois pas le mal d'être reçu par un gouvernement légitime et par un Président légitime. Ce n'est pas un gouvernement d'occupation. Ça, c'est Raymond Barre, il n'y a pas de gauche, il n'y a pas de droite, il y a les intérêts de la France. ».

    En l'écoutant, on écoutait ainsi une déclaration d'amour pour Raymond Barre. Un barrisme de tripes et pas d'intellectuel qu'il n'a jamais été. Le barrisme d'un ancien combattant, pour qui l'amour de la France est intrinsèque à son enfance. Alors, bien sûr, avec le recul, on pourra toujours sourire dans sa barbe, penser que l'amour de la France pouvait aussi s'accommoder d'une belle optimisation fiscale à la suisse (il est mort en France selon ses vœux), on pourra aussi s'interroger sur le Raymond Barre qui n'a pas d'intérêt personnel et que l'intérêt national chevillé au corps, depuis qu'on a soupçonné l'ancien meilleur économiste de France d'avoir caché de l'argent au fisc (comme il est mort, il n'y a pas de procès et surtout, on ne connaît pas vraiment ce qui est vrai et ce qui est supposé). Il reste que Raymond Barre était aimé de ceux qui aimaient la France en dehors de tout esprit partisan, et c'était cela l'essentiel pour la politique.

    Ce n'était sans doute pas une bonne chose, pour les leaders du RPR, qu'Alain Delon fût dans leur camp car il se permettait beaucoup plus de liberté de ton que s'il n'en était pas. Ainsi, pour la campagne du référendum sur la Nouvelle-Calédonie, il a beaucoup blâmé Nicolas Sarkozy qui défendait l'abstention, mais, dans l'émission d'Anne Sinclair, un autre a été encore plus victime de sa sévère franchise. Il s'agit du futur Premier Ministre, à l'époque simple secrétaire général du RPR (ancien Ministre du Budget) Alain Juppé qui, dans l'émission "Questions à domicile" (sur TF1), a, selon l'acteur, exprimé des idées beaucoup trop compliquées qui ne s'adresseraient qu'au microcosme, ou alors, sur le référendum, qui a pris les Français pour des "débiles".

    Le mot est bien d'Alain Delon : « J'ai été frappé par ce qu'Alain Juppé, en tant que secrétaire général du plus grand parti d'opposition, (…) j'ai trouvé qu'il avait un langage (…), il s'est adressé à des débiles, il s'est adressé aux Français comme s'ils étaient des débiles. Les Français ont souvent des réactions d'imbéciles, moi le premier, mais c'est tout sauf des débiles, et je n'ai pas compris, si vous voulez, qu'un homme aussi éminent d'un parti aussi important s'adresse à des Français pour un sujet aussi important (…), on ne peut pas s'adresser pour une chose aussi importante à des Français en leur parlant comme à des débiles ! ».

     

     
     


    Cela ne l'a pas empêché, vingt-huit ans plus tard, de soutenir Alain Juppé en 2016 lors de la primaire LR pour trouver un candidat LR à l'élection présidentielle qui succéderait au déplorable François Hollande. Eh oui, Alain Delon a soutenu Alain Juppé, le candidat de "l'identité heureuse" tant chahuté par les militants du FN/RN jusqu'à se faire appeler Ali Juppé. Alors, les votes d'Alain Delon n'ont pas grand-chose à voir avec le supposé extrémiste de droite que certains, à gauche, sans doute aigris sinon jaloux, ont tant fustigé, même après sa mort, ou plutôt, surtout après sa mort.

    Samedi, c'est Mgr Jean-Michel Di Falco (82 ans) qui célèbre la messe d'enterrement d'Alain Delon, il avait déjà enterré la très chère Mireille Darc il y a sept ans, le 1er septembre 2017, et Alain Delon, au contraire de l'égoïsme qu'on lui a souvent collé à la peau, a été très généreux en faisant discrètement des dons pour la recherche sur les maladies cardiaques. De toute façon, quelqu'un (de riche), qui a acquis des tableaux de Pierre Soulages, de Nicolas de Staël, de Hans Hartung et de Zao Wou-Ki, ne peut pas être tout à fait mauvais...



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (20 août 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Alain Delon soutenait Raymond Barre.
    Le charisme d'Alain Delon : The Girl on a Motorcycle.
    Le grand Alain Delon
    Affaire Alain Delon : ce que cela nous dit de la fin de vie.
    Comment va Alain Delon ?

     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240820-alain-delon.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/alain-delon-soutenait-raymond-256386

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/08/18/article-sr-20240820-alain-delon.html



     

  • Législatives 2024 (10) : il était une fois Jordan Bardella, Gabriel Attal et Manuel Bompard

    « Je propose (…) une règle d'or : pas d'augmentation d'impôts pour les Français. C'est clair, c'est dit, je le signe, il n'y aura pas, si les candidats Ensemble pour la République forment une majorité, d'augmentation des impôts des Français. Je rappelle que ces dernières années (…), on a supprimé la taxe d'habitation, compensée aux collectivités locales, supprimé la redevance audiovisuelle que payaient les Français auparavant, vous avez tous les deux voter contre à l'époque, en tout cas, vos partis, aucun de vous ne propose de rétablir ces taxes, ce qui montre que finalement, on ne devait pas avoir totalement tort de les supprimer même si à l'époque, vous vous êtes opposés à cette suppression. On continuera à ne pas augmenter les impôts des Français. » (Gabriel Attal, le 25 juin 2024 sur TF1).



     

     
     


    Probablement que le sommet de la très courte campagne de ces élections législatives anticipées a eu lieu ce mardi 25 juin 2024 dans la soirée sur TF1, avec le débat entre trois ténors des protagonistes : Jordan Bardella (28 ans) pour le RN, Gabriel Attal (35 ans) pour la majorité présidentielle et Manuel Bompard (38 ans) pour la nouvelle farce populaire (NFP).

    La première réflexion que je me suis faite à ce débat, certes anecdotique, c'est que tous les trois portaient une cravate. Si c'était très ordinaire pour les deux premiers, il me semble bien que je n'avais jamais vu Manuel Bompard avec une cravate. Ce n'est pas si anecdotique que cela, en fait, car si le gourou suprême des insoumis est généralement (pas toujours) très bien habillé et cravaté, le groupe des insoumis avait obtenu le 19 juillet 2017 du bureau de l'Assemblée Nationale que le port de la cravate ne soit plus obligatoire. Et même qu'il n'avait jamais été obligatoire.

    Soudain, je me suis dit alors, en forme de cauchemar, même si je ne suis pas contre la cravate a priori : diable, avec le RN au pouvoir, le port de la cravate deviendrait-il obligatoire dans les espaces publics ? Déjà qu'il voudrait imposer le port de l'uniforme aux gosses, une idée assez stupide par ailleurs ne venant pas du RN mais de François Fillon et reprise par Emmanuel Macron et Gabriel Attal lui-même.

    Le RN a bien compris que la cravate était une marque de respect à ses interlocuteurs. Évidemment, non, le port de la cravate n'est pas obligatoire, et ne le sera pas, mais d'un côté, Jordan Bardella a justement suivi à la lettre la consigne que Marine Le Pen avait imposée à ses 88 députés élus en juin 2022 : porter la cravate en guise de respectabilité, et comme Jordan Bardella porte beau, ça le fait, on le croit, l'acteur est conforme au miroir ; d'un d'autre côté, quoi de plus naturel que le Premier Ministre porte la cravate.

    Et Manuel Bompard, alors ? Il suffisait d'attendre quelques minutes pour voir fuser le tweet de Jean-Luc Mélenchon : « Ce soir, Manuel Bompard a démontré une force, un niveau de connaissance et une sensibilité humaine que les autres n'ont pas égalé [sic : en principe, on accord le participe passé, alors soyons vieux jeu, donc égalés]. Ce débat entre futurs Premiers Ministres montre qu'il est mieux qu'au niveau. ». Et là, tout s'éclaire : Jean-Luc Mélenchon va proposer que Manuel Bompard soit le Premier Ministre du NFP ! C'est vrai qu'il a été bon dans ce débat, ne coupant pas la parole, ce qui lui donnait presque des airs sympathiques (ce que je ne doute pas sur le plan personnel).

    Mais il faut aussi regarder derrière lui, qui était présent : que des insoumis, et pas n'importe lesquels, des Louis Boyard etc. Aucun du PS, aucun du PCF, aucun d'EELV. Bref, voici une conception de l'union NFP qui montre bien sa nature : l'hégémonie des insoumis ne serait pas que pesante, mais exclusive. Il n'y en aurait que pour eux. NFP = FI, cette équation est évidente autant qu'en 2022, NUPES = FI. Attention aux électeurs égarés à gauche, qu'ils se rappellent que même non insoumis, un candidat NFP qui gagnerait, ce serait un risque de plus pour que Jean-Luc Mélenchon ou Manuel Bompard soit à Matignon.

     

     
     


    Si derrière Jordan Bardella, il n'y avait que des RN, c'était un peu évident puisque le RN prétend faire la course en tête tout seul, alors que derrière Gabriel Attal, aux côtés de participants de Renaissance, il y avait les autres composantes de la majorité représentées, en particulier le MoDem et Horizons. Cette exclusive représentation des insoumis derrière Manuel Bompard est donc très symptomatique de la manière dont Jean-Luc Mélenchon traite ses alliés-vassaux : comme de la sous-crotte inexistante.

    Je ne reprendrai pas tout le débat (on peut le voir ou revoir à la fin de l'article) mais il est important de prendre quelques mesures proposées par Jordan Bardella, candidat autoproclamé au poste de chef du gouvernement. Depuis quelques semaines, il marche sur des œufs avec cette obsession : être lisse, rester propre sur lui, ne rien faire qui puisse semer le doute tant sur sa capacité à gouverner que sur le caractère positif (et consistant) de son programme.

    Au-delà du fait que ce grand gaillard de 28 ans n'a aucune expérience professionnelle sinon dans les jupes de députés européens FN (collaborateur parlementaire) et des mandats (député européen et conseiller régional d'Île-de-France) qu'il honore peu de sa présence, il a bien du mal à convaincre qu'il serait capable de diriger le gouvernement de la sixième puissance mondiale. Si les Français, même électeurs du RN, travaillaient à la direction des ressources humaines du paquebot France, ils lui diraient : ok, mais d'abord, il va falloir faire tes preuves. Sauf que les Français ne se croient pas dans un vaste espace de recrutement mais dans une sorte de téléréalité où celui qui a les dents les plus blanches l'emporterait sur les autres. Toutefois, tout montre que Jordan Bardella aux-petites-fiches (doctus cum libro, asinus in prato) a de l'appréhension à aller jusqu'au bout.

    Alors, venons-en aux faits et prenons quelques mesures qui sont très claires.

    Par exemple, la retraite. Petite introduction : malgré les nombreuses alternances depuis 1991 (et le livre blanc des retraites à l'époque du Premier Ministre Michel Rocard qui affirmait que les retraites seraient un sujet qui pourrait faire chuter beaucoup de gouvernements dans l'avenir), aucun gouvernement n'est jamais revenu sur les réformes des retraites antérieures tout simplement parce qu'elles étaient nécessaires et leurs prédécesseurs avaient assumé politiquement leur mise en œuvre. Pour les successeurs, c'était "tout-bénef" !

    Que propose Jordan Bardella ? En fait, dans la réalité, la retraite à 66 ans au lieu de la retraite à 64 ans ! Eh oui, il vient de comprendre qu'il y avait deux données au problème : l'âge de la retraite et le nombre d'annuités. Ainsi, voici son raisonnement : « Une progressivité qui va se mettre en œuvre, et qui tournera autour d'un âge pivot de 62 ans et de 42 annuités. Par conséquent, j'ai noté l'exemple que vous avez mentionné, à 24 ans, vous partirez avec 42 années de cotisation, c'est-à-dire, 66 ans ! (…) Quand vous avez commencé à travailler plus tard, il est normal que vous soyez amenés à travailler plus tard. ». À la différence de la retraite actuellement, où l'on peut quand même prendre sa retraite à 64 ans mais avec une pénalité pour le montant dans la pension, avec le RN, c'est devenu impossible. Or, le cas de commencer à travailler à 24 ans est assez ordinaire puisque c'est l'âge classique après des études supérieures. Quant aux carrières longues (commencées à 18 ans), la retraite est déjà à 60 ans dans le dispositif actuel. En clair, Jordan Bardella a inventé l'eau tiède.

    La réaction de Gabriel Attal, tant face à Jordan Bardella qu'à Manuel Bompard qui veut la retraite à 60 ans, c'est de rappeler une évidence : « Notre système de retraite est par répartition, c'est-à-dire que les pensions de nos retraités sont payées par les Français qui travaillent. (…) Vous abaissez l'âge de départ à la retraite, ça veut dire qu'il y aura encore plus de retraités dont il faudra financer la pension et moins de personnes qui travaillent, et donc, ça veut dire qu'il faudra diminuer les pensions de retraite. Et ensuite, c'est les actifs eux-mêmes, ce que vous proposez, c'est une immense usine à décote, et ce que vous proposez, c'est une réforme qui coûte soit 43 milliards d'euros, même si maintenant, j'ai un doute car ce n'est pas clair ce que vous avez dit [adressé à Jordan Bardella] (…), soit une centaine de milliards d'euros pour vous (…) qui nécessairement se financera par une baisse de pension des retraités ou par une augmentation des cotisations des actifs. ». Ainsi, augmentation des cotisations assumée pour le NFP, masquée pour le RN. De plus, Gabriel Attal a pointé les contradictions dans les deux camps : le RN est en alliance avec Éric Ciotti partisan des retraites à 65 ans ! Tandis que le NFP a investi Aurélien Rousseau, ancien Ministre de la Santé qui a mis en place la dernière réforme des retraites du gouvernement, ainsi que François Hollande qui avait déjà mis progressivement en place les 43 ans d'annuités avec la réforme Touraine (et pas 40 ans comme le propose Manuel Bompard).

     

     
     


    Une autre mesure, c'est l'exonération de l'impôt sur le revenu pour les contribuables de moins de 30 ans. Là encore, c'est une mesure très démagogique d'une grave injustice. Indépendamment du fait que Jordan Bardella gagne bien sa vie à moins de 30 ans avec ses indemnités de parlementaire européen et de conseiller régional (ces indemnités sont versées après impôt, donc il n'y a pas grand-chose à dire là-dessus), cela signifierait que des personnes de moins de 30 ans qui gagneraient bien leur vie, des sportifs de haut niveau (comme Kylian Mbappé), des acteurs, des chanteurs, des stars ou même de patrons de start-up (comme l'équivalent d'un créateur de Facebook) seraient exonérés d'impôts alors qu'ils gagneraient des millions ?

    Le programme du RN, c'est des mauvaises réponses aux problèmes des Français. Les mauvais leviers. Ce n'est évidemment pas l'âge qui doit dire si on peut payer des impôts ou pas, mais le niveau des rémunérations, bien sûr. Comme à tout âge.


    Mauvais paramètre, c'est aussi le cas, et je pense que pour le coup, c'est très grave pour la popularité de Jordan Bardella, une sortie de route, c'est son blabla contre les personnes ayant la double nationalité. Il a dit que dans les emplois dits sensibles (à définir), ceux qui ont une double nationalité seraient exclus.


    Comme il ne voulait pas interdire carrément la double nationalité, la proposition qu'il a faite visait donc à évoquer toujours la double nationalité, mais de manière soft, c'est-à-dire sans beaucoup de conséquence. Mais là, c'est carrément stupide. Exemple : si une personne française est d'origine russe, c'est normal qu'elle ait également la nationalité russe. En quoi serait-elle inapte à occuper un emploi dit sensible dans la vie diplomatique voire militaire ?

    C'est toute la conception du RN que de mettre des étiquettes... dès la naissance, car il s'agit bien de cela. C'est une autre manière de dire qu'on est raciste : catégoriser dès la naissance. Pourtant, telle personnalité à la double nationalité franco-russe pourrait être, au contraire, un diplomate essentiel pour imposer à la Russie nos conditions. Ce n'est pas la nationalité ou la binationalité qui fait une personne sûre ou pas sûre dans un emploi sensible. Les critères sont bien plus contraignants, il y a une enquête de moralité, on regarde même du côté des parents, des conjoints, des enfants, pour éviter tout risque de trahison volontaire ou involontaire. Réduire à la binationalité montre une bien piètre idée de la complexité du monde.

    Mais cela montre aussi deux choses essentielles : la division du peuple français. Le RN ne considère pas qu'une personne qui a la binationalité dont française est une personne de nationalité française en tant que telle et dans sa plénitude des droits et devoirs. Pourtant, c'est le cas, il n'y a qu'une seule catégorie de citoyens français, pas plusieurs. Cette séparation du peuple français est très grave, philosophiquement autant que constitutionnellement. De plus, la binationalité est un sujet très sensible chez les Français, au même titre que le choix du prénom à ses enfants (erreur du candidat Éric Zemmour de vouloir régenter le choix des prénoms des citoyens français). En effet, la binationalité n'est pas seulement un fait provenant de personne immigrée (nationalité du pays de provenance et nationalité du pays de destination), mais plus encore le résultat de parents qui n'ont pas la même nationalité. Toucher à la binationalité, c'est simplement vouloir s'occuper de l'intimité des histoires familiales, et tout le monde serait touché, d'une manière ou d'une autre !
     

     
     


    Ces trois mesures professées par Jordan Bardella montrent d'une part une méconnaissance de la société française, de son mode de fonctionnement, de sa complexité, mais aussi d'autre part une incompétence pour s'emparer des vrais enjeux qui nous attendent, en particulier la transition écologique et le plein emploi, et sur ces deux sujets, à l'évidence, le gouvernement actuel de Gabriel Attal prépare mieux l'avenir de la France que les deux autres contradicteurs qui n'ont aucun sens des responsabilités budgétaires.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (25 juin 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    Législatives 2024 (10) : il était une fois Jordan Bardella, Gabriel Attal et Manuel Bompard.
    Législatives 2024 (9) : Emmanuel Macron et son n'ayez-pas-peur !
    Interview d'Emmanuel Macron à Génération Do It Yourself le 24 juin 2024 (podcast intégral).
    Lettre aux Français d'Emmanuel Macron le 23 juin 2024 (texte intégral).
    Législatives 2024 (8) : la bataille de Matignon.
    Le programme aux élections législatives du 30 juin 2024 d'Ensemble pour la République (document à télécharger).
    Législatives 2024 (7) : Ensemble pour la République.
    Législatives 2024 (6) : Nicolas Sarkozy et François Fillon bougent encore !
    Législatives 2024 (5) : le trouble de Lionel Jospin.
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    Résultats des élections européennes du dimanche 9 juin 2024.








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    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/legislatives-2024-10-il-etait-une-255436

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