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démocratie - Page 8

  • Législatives 2024 (15) : les promesses n'engagent que ceux qui y croient !

    « N’acceptez jamais que s’impose à vous une chape de plomb conservatrice et pessimiste, fondée sur le postulat que ce qui a été fait, bâti, créé hier serait nécessairement meilleur que ce qui pourrait être fait, bâti, créé demain. La France est le pays de la querelle des anciens et des modernes. Elle a vocation à bousculer les idées, les mœurs, les habitudes, les prétendues certitudes. » (Jacques Chirac, 2011).



     

     
     



    Dans un article publié le 24 septembre 2021, j'introduisais ces propos chiraquiens avec la remarque suivante : « Tous ceux qui passent leur temps à dénigrer la France, à cracher et à chier sur ce beau pays, à verser matin midi et soir leur bile sur la France, sur les Français, sur le peuple français, sur les dirigeants de la France (quels qu’ils soient), sur l’avenir de la France, ce ne sont pas des patriotes, contrairement à ce qu’ils prétendent être, ce sont des ennemis de la France. » (désolé pour l'auto-citation). Aujourd'hui, on semble revenus, dans les débats politiques, à un siècle en arrière, avec de la violence verbale et aucune frontière sur la bienveillance de son adversaire et surtout, sur la convenance des propos.

    Malheureusement dans cette campagne législative ultra-courte, la raison est absolument inaudible. La France est-elle en ruines ? Pas du tout, au contraire, mais qu'importe ! Il faut qu'elle soit en ruines si on veut être choisi pour sa reconstruction. Le problème, ce sont les formulations autoréalisatrices : à force de croire que la France est en ruines, on choisit les futurs gouvernants qui vont effectivement ruiner la France. Paradoxal.

    La petite phrase du titre est très connue et est fréquemment attribuée à Charles Pasqua ou à Jacques Chirac (on ne prête qu'aux riches !). Elle proviendrait en fait d'un barbier malin qui, devant sa boutique, avait affiché : "Demain, on rase gratis !". L'astuce, c'est qu'il laissait cette affiche tous les jours, et donc, tous les jours, c'était gratuit le lendemain ! Avec le programme du RN, on a un peu cela, et malheureusement, comme pour les clients du barbier, beaucoup d'électeurs y croient et risquent de voter pour un candidat du RN au second tour des élections législatives. Leur sincérité n'est pas en cause : les Français ont toujours voulu croire au Père Noël et celui-ci a eu plusieurs noms : Thiers, Clemenceau, Raymond Poincaré, Pétain, Pierre Mendès France, De Gaulle, François Mitterrand, Nicolas Sarkozy, Emmanuel Macron... et maintenant, le Père Bardella ?

     

     
     


    Que ce soit à la campagne des élections européennes comme à celle des élections législatives, ce que dit Jordan Bardella est absolument faux. Quand il déclare qu'il est pour l'Ukraine, les faits le démentent : tous ses votes au Parlement Européen entre 2019 et 2024 montrent le contraire, refusant les sanctions économiques contre la Russie ou les motions soutenant l'Ukraine. Jordan Bardella peut même considéré comme un troll de Vladimir Poutine à Strasbourg, comme, du reste, la plupart des autres députés RN. Bravo le patriotisme de pacotille ! Ça craint pour mon pays !

    Le dessin assez connu du loup qui promet d'être végétarien (trouvé sur le site L'Actu citoyenne, le titre en rouge a été rajouté par votre serviteur) fait beaucoup penser à Jordan Bardella. Tout dans la communication : bien habillé, poli, respectable (j'avoue que c'est un soulagement relatif par comparaison quand on regarde de l'autre côté de l'échiquier), un bureau où aucune note ne dépasse (pour une fois), un fauteuil, et puis ce discours robotisé, une leçon bien apprise, du plagiat systématique qui ne fait même pas rire et pourtant, quelle parodie de bras cassés, par exemple, dans un échange avant le premier tour, jeudi 27 juin 2024 sur France 2, Jordan Bardella s'est obligé de dire « Vous n'avez pas le monopole du cœur ! » sans se rendre compte du ridicule de la situation (n'est pas De Gaulle qui veut, mais n'est pas Valéry Giscard d'Estaing qui veut non plus !).

    Le ridicule, à la rigueur, mais l'ignominie, sans réaction de part et d'autre, c'est véritablement scandaleux ; quand Jordan Bardella a lancé après quelques « Ben voyons ! » un : « Revoilà Jean Moulin ! » au premier secrétaire du PS Olivier Faure (par ailleurs complètement mélenchonisé). Ce cynisme montre bien le double langage qu'on retrouve aussi sur différents points de programme (et pas des points de détail !), par exemple sur la binationalité (j'y reviendrai).


    La contre-attaque du RN face à cette campagne de désistement des candidatures pour renforcer un front républicain dont on ne connaîtra réellement l'efficacité que dimanche soir prochain, c'est de dire que c'est de la cuisine, de la manœuvre politicienne. Il n'y a pourtant aucune cuisine nulle part : un candidat arrivé en troisième position qui, selon les cas, voit bien que son élection au second tour est compromise (pas toujours : il peut agréger des reports de voix des candidats non qualifiés, mais c'est assez rare car les électeurs ont voté en bloc pour les trois pôles à 90-95% si bien qu'aucun des candidats restants en lice, dans une triangulaire, n'a véritablement de réserves de voix, sauf dans quelques circonscriptions exceptionnelles), ce candidat n'a aucune raison de s'accrocher à une candidature vouée à l'échec certain.

    D'ailleurs, en matière de manœuvres et de cuisine électorales, le RN et ses alliés ne sont pas non plus absents. Ainsi, dans la cinquième circonscription du Maine-et-Loire, le candidat ciottiste soutenu par le RN Gilles Bourdouleix, maire de Cholet depuis 1995, qui avait obtenu 30,5%, avait annoncé lundi qu'il se désistait parce qu'il en avait marre de ces élections nauséabondes. Du coup, les deux autres candidats, le député sortant de la majorité présidentielle Denis Masseglia (qui l'avait battu en 2017 et 2022), arrivé en tête au premier tour avec 33,7% et la candidate insoumise France Moreau, en troisième position avec 21,3%, se sont tous les deux maintenus, croyant avoir affaire à duel Ensemble vs FI (le quatrième candidat, Jacquelin Ligot, de LR, avec seulement 10,2%, n'a pas pu se qualifier pour le second tour). Mais le suppléant de Gilles Bourdouleix a quand même déposé discrètement leur candidature au second tour à la préfecture à la dernière heure avant les 18 heures fatidiques. Résultat, il a manœuvré pour rester dans une configuration de triangulaire qui pourrait l'avantager. Il faut se rappeler que Gilles Bourdouleix, successeur du sénateur Maurice Ligot (dont il était le directeur de cabinet) à la mairie de Cholet, était aussi le député de la circonscription de 2002 à 2017 et qu'il a appartenu successivement au PPDF (parti giscardien d'Hervé de Charette), à l'UDF, à l'UMP, à l'UDI, à LR, et maintenant au RN-ciottiste, et il a même présidé le CNIP de 2009 à 2015 (résidu non giscardien du parti d'Antoine Pinay). Bref, le RN semble finalement bien connaître des recettes de cuisine électorale, bien mieux que ses adversaires, qu'il dénonce pourtant avec véhémence !

    Ce qui est plus étrange, c'est que certains éditorialistes reprennent cette petite musique très populiste de la supposée magouille des désistements alors qu'il n'y a aucune magouille, au contraire, cela clarifie le jeu. Ces éditorialistes (que je ne citerais pas mais dont certains étaient pourtant, anciennement, les cibles privilégiés du RN) seraient-ils en train de préparer une reconversion idéologique pour se retrouver à l'aise dans un supposé nouveau régime ?

    Car c'est bien cela l'enjeu : quand on donne le pouvoir à l'extrême droite, on ne sait jamais quand on pourra le reprendre. Toujours l'histoire du loup et des moutons. Il y a un côté irréversible qui pourrait angoisser tous les passionnés de Jankélévitch. Dans les pays illibéraux (un terme très mal assorti), la liberté de la presse, des médias, les contre-pouvoirs, la justice, beaucoup d'institutions sont attaquées par le pouvoir en place avec ce risque du point de non-retour.

    La consigne du front républicain, à savoir celle par exemple (il n'est pas le seul) de Gabriel Attal : pas une seule voix à un candidat du RN, est malheureusement le résultat d'un profond aveuglément, mais je la soutiens car je ne vois pas quoi faire d'autre. L'aveuglément, c'est qu'une grande partie de la population, de celle qui vote RN (10,6 millions dimanche dernier) ne croit pas que le RN est un parti d'extrême droite mais simplement un parti de droite comme les autres. Pour eux, Emmanuel Macron est un dangereux gauchiste, ce qui en fait le gauchiste le plus détesté des gauchistes, si l'on en juge par le jugement de l'extrême gauche qui considère qu'Emmanuel Macron est un dangereux homme de droite vendu aux sales capitalistes apatrides... Si on était dans les années 1970, on dirait d'Emmanuel Macron : ni Pinochet, ni Brejnev ! Et le peuple a compris : et Pinochet, et Brejnev !

    Que peut penser de ce front républicain un ancien électeur modéré qui vote aujourd'hui pour le RN en pensant que c'est un parti de simple droite et en croyant les discours démagogiques et aseptisés de ses quelques porte-parole ? Que c'est une opération qui tendrait à prouver que tous ceux qui ne sont pas du RN sont de gauche. Dans une logique manichéenne du vieux retour du clivage gauche/droite.


    Pourtant, les déclarations de Marine Le Pen pour préparer le terrain d'une cohabitation affrontement ont de quoi inquiéter : avant le premier tour, elle évoquait le chef de l'État qui serait « chef des armées à titre honorifique » ! Et maintenant, ce mardi, elle évoquait un « coup d'État administratif » alors qu'il y a chaque semaine au conseil des ministres des nominations à des emplois publics (c'est classique), et parler de "coup d'État" (qui est très fort) alors que c'est la loi et la Constitution qui l'imposent, c'est avant-coureur d'un véritable déni de démocratie et de déni de Constitution.

    Pourtant aussi, les échappées solitaires qui font polémiques parmi de candidats RN mal étudiés, mal investis, ne sont pas des exceptions. Ceux qui risquent de venir occuper (et j'emploie à dessein ce verbe) les bancs de l'hémicycle ne sont pas tous de gentils démocrates la main sur le cœur (on parlait de monopole du cœur). Je propose d'aller lire le coup de gueule d'un élu local de l'Essonne, Christian Schoettl, maire de Janvry, petite ville mais ambition folle, allez visiter son marché de Noël (plusieurs dizaines de milliers de visiteurs !), allez participer au salon mondial du chameau (et du dromadaire) avec des invités internationaux de prestige, allez profiter du bar de la plage (même s'il n'y a pas de mer, il n'y a pas que Paris Plage, qui a ouvert ses portes samedi dernier), pour vous rendre compte de ce qu'un élu local est capable de faire avec peu de moyens mais une détermination folle. Cet élu détestait la députée de sa circonscription par son absence sur le terrain, mais il demande aujourd'hui de ne pas trembler ni hésiter à voter pour elle car en face, il y a un candidat du RN qui a vite effacé ses écrits particulièrement puants publiés dans un blog, mais le maire en avait gardé des traces.


    J'y mets un extrait de son billet : « Alors voilà les propos du candidat Rassemblement national, vous noterez que, s'il a tout supprimé, c'est qu'il a, au fond de sa conscience, l'idée que ses idées qu'il défend avec sa plume ne lui vaudront pas que des voix, qu'il faut travestir et avancer masqué.
    "de nos aïeux Francs et Aryens". "Les descendants des Aryens, eux possèdent un génie pour le courage", écrit Jérôme Carbriand, en janvier 2014.
    "On comprend aisément pourquoi aujourd’hui les représentants de la communauté juive (…) s’emploient à appliquer à l’humanité tout entière leur mode de vie nomade."
    "Quant aux 'pédérastes' (dixit le candidat), l’homosexualité est une forme de pathologie, l’homosexuel cherche souvent à imiter la femme, il n’est pas excessivement courageux, se laisse corrompre par tout ce qui est propre à son monde, par le matérialisme et la débauche, sa féminisation venant du fait qu’il s’identifie à sa mère."
    Cet individu [le candidat RN en question] a eu le culot de m'appeler ce matin pour s'expliquer...
    Il commence par me demander si j'ai lu son "droit de réponse".
    Je lui demande : "Monsieur, je veux savoir si vous avez écrit oui ou non cela ?"
    Il me réponds : "Mais c'est au milieu de 15 articles".
    "Avez-vous écrit cela, oui ou non ?"
    "Mais cela a été sorti du contexte" (vous imaginez le contexte qui permettrait de justifier ce vomi).
    À la quatrième ou cinquième interrogation, il finit par dire "oui".
    Du coup, j'ai raccroché en lui disant que je n'avais plus rien à lui dire.
    Il faut vraiment que personne ne nous dise "je ne savais pas", "ils ont changé", "il faut bien essayer".
    Maintenant chacun sait.
    Ils n'ont pas changé.
    Quant à "essayer", cela s'est déjà fait à Vichy.
    Cela s'est vu quand ils cherchaient à assassiner le Général De Gaulle.

    Cela s'est vu lors de leur participation aux festivités néo-nazies en Autriche (ah les bals de Vienne auxquels participait Marine Le Pen au milieu des néo-nazis autrichiens le jour anniversaire de l'Holocauste)... ».

    "Le Monde" a fait son dernier décompte à la limite du dépôt des candidatures du second tour ce mardi 2 juillet 2024 à 18 heures. Au départ, il y avait le 30 juin 2024 au soir la possibilité de 306 triangulaires et 5 quadrangulaires. Selon le quotidien du soir, qui s'est basé sur les déclarations des personnes concernées (il restera à ce que ce soit confirmé par la publication des candidatures le 3 juillet 2024), 218 candidats de triangulaire se sont désistés, dont 131 issus de la gauche et extrême gauche, 82 de la majorité présidentielle (Ensemble pour la République), 2 de LR et 2 du RN (même des candidats du RN se désistent ! C'est dire s'ils croient à leurs déclarations sur la supposée cuisine électorale qu'ils prétendent fustiger).


    Ces désistements ne réduiront peut-être pas la victoire annoncée du RN puisqu'en 2022, le RN avait gagné 89 sièges dans des duels, montrant ainsi qu'il avait fait éclater le plafond de verre. En anticipant à longueur de journée la victoire du RN, avec les nouveaux Évangiles que sont les sacro-saints sondages, les médias se trouvent finalement être beaucoup plus complices, de fait, de la montée du RN que la classe politique elle-même. Étonnant, non ?


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (02 juillet 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    (Les trois illustrations ont été diffusées sur Twitter, d'auteurs inconnus).

    Pour aller plus loin :
    Législatives 2024 (15) : les promesses n'engagent que ceux qui y croient !
    Législatives 2024 (14) : la revanche des gilets jaunes ?
    Législatives 2024 (13) : fortes mobilisations au premier tour.
    Résultats du premier tour des élections législatives du 30 juin 2024.
    Appel aux sociaux-démocrates.
    Éric Le Boucher : la France va plutôt bien (27 juin 2024).
    Législatives 2024 (12) : un isoloir, ce n'est pas un cabine d'essayage !
    Législatives 2024 (11) : front, rassemblement, union nationale, barrage, consignes de vote...
    Législatives 2024 (10) : il était une fois Jordan Bardella, Gabriel Attal et Manuel Bompard.
    Législatives 2024 (9) : Emmanuel Macron et son n'ayez-pas-peur !
    Interview d'Emmanuel Macron à Génération Do It Yourself le 24 juin 2024 (podcast intégral).
    Lettre aux Français d'Emmanuel Macron le 23 juin 2024 (texte intégral).
    Législatives 2024 (8) : la bataille de Matignon.
    Le programme aux élections législatives du 30 juin 2024 d'Ensemble pour la République (document à télécharger).
    Législatives 2024 (7) : Ensemble pour la République.
    Législatives 2024 (6) : Nicolas Sarkozy et François Fillon bougent encore !
    Législatives 2024 (5) : le trouble de Lionel Jospin.
    Législatives 2024 (4) : l'angoisse de Manuel Valls.
    Législatives 2024 (3) : François Hollande dans l'irresponsabilité totale !
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Sidération institutionnelle.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Résultats des élections européennes du dimanche 9 juin 2024.

     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240702-legislatives.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/legislatives-2024-15-les-promesses-255560

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/07/02/article-sr-20240702-legislatives.html



     

  • Législatives 2024 (14) : la revanche des gilets jaunes ?

    « L’extrême droite pourrait diriger, lundi prochain, le gouvernement de la France. Et ça, je m’y opposerai comme je m’oppose à La France insoumise et à ses outrances. » (Xavier Bertrand le 1er juillet 2024 sur TF1).



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    Alors que la campagne de l'élection présidentielle de 2022 avait été bâclée, Emmanuel Macron s'en étant d'ailleurs excusé parce qu'il aurait été trop pris avec l'Ukraine et l'Europe, ce qui était un tantinet méprisant pour les électeurs, il manquait à l'évidence une véritable campagne électorale : en quelques jours, ces élections législatives anticipées ont ainsi rattrapé le retard de six mois de campagne. Les sondages ont dit que les Français auraient été aussi déboussolés par la dissolution que lors du confinement à cause de la crise sanitaire du covid-19. En quelque sorte, avec ces législatives, on solde les années covid, on solde aussi la crise des gilets jaunes qui s'était arrêtée sans conclusion par (si je veux simplifier à outrance) un feu de tristesse. Et de la colère rentrée.

    Plus que les 33,2%, c'est le nombre de voix en valeur absolue qui donne le vertige : 10,6 millions de Français ont glissé le bulletin d'un candidat RN dans l'urne au premier tour, ce qui est inédit (le précédent record à l'élection présidentielle d'avril 2022 : Marine Le Pen avait recueilli 8,1 millions de voix au premier tour et 13,3 millions de voix au second tour). Au premier tour des élections législatives de juin 2022, le RN et Reconquête avaient recueilli 5,2 millions de voix. Cela a doublé en deux ans ! Toutes les couches de la population, les âges, les catégories sociales, les régions votent désormais RN, mais on peut voir cependant des différences encore : plus on est diplômé, moins on vote RN ; plus le salaire est élevé, moins on vote RN ; plus on habite dans les centre-villes, dans les agglomérations, moins on vote RN.

    Jusqu'à la limite du dépôt de candidature pour le second tour, mardi 2 juillet 2024 à 18 heures, l'urgence actuelle des états-majors des partis, depuis les résultats, est le maintien ou le retrait des candidats qualifiés pour le second tour. Avec en résonance le front républicain. Avec les premiers désistements dès le dimanche soir, le RN ne s'attendait pas à autant de désistements, surtout de la part du NFP en faveur d'un candidat macroniste mieux placé pour battre un candidat RN.


    Au contraire de 2002, la stratégie du front républicain contre l'extrême droite ne fonctionnait plus dès 2011. Mais pourquoi cette stratégie semble-t-elle revenir en pleine lumière en 2024 ? Sans doute pour une raison simple : le RN est aux portes du pouvoir, la question est de savoir s'il va avoir une majorité absolue ou pas. Bref, il ne s'agit plus de théorie, il s'agit de savoir si dans quelques jours, Jordan Bardella va s'installer à Matignon, avec son incompétence, son inexpérience, son idéologie puante et surtout, ses troupes qui puent le racisme à plein nez (ça dégouline de partout depuis quelques jours). Bref, il y a péril en la demeure. Mais le péril arrive par les urnes, c'est là la difficulté intellectuelle : les électeurs du RN ne considèrent plus que le RN est un parti extrémiste et pour les plus jeunes, ne savent même pas son origine.
     

     
     


    Un exemple entendu le 1er juillet 2024 à la télévision Bolloré. Débat sur CNews sur la préférence nationale pour un logement social : on vire l'étranger en fin de bail. Laurence Sailliet, députée européenne LR et candidate LR battue (dans la première circonscription de Paris), expliquait (en vain) à Philippe Ballard, réélu député RN de l'Oise dès le premier tour, que ce n'est pas l'étranger qu'il faut virer mais le factieux : un étranger qui respecte tout, paie ses impôts et ne dérange personne devrait avoir les mêmes droits économiques. L'autre n'en démordait pas. Il a dit : on n'est pas brutal, on attend la fin du bail avant de le virer. Puis interview en duplex avec un "philosophe et essayiste" (Tom Benoît), plutôt jeune, accent du midi et de la barbe, qui, comme c'est bizarre !, appuyait Ballard en disant que c'était normal, la préférence nationale... et citait sans rire : "Comme disait Jean-Marie Le Pen je ne sais plus quand, je préfère ma famille à mes cousins, les cousins à mes voisins, mes voisins à mes..." etc., dit comme si Le Pen le vieux était une sorte de grand penseur intouchable. Sur le bandeau rouge, le titre du débat : "La préférence nationale qui fait peur à la gauche". L'animateur agaçant et partial (car ne ponctuant qu'en faveur de Ballard) était Morandini (le trash animateur). Et il rajoute, à force de répéter le titre, "qui fait peur à la gauche et à certains LR" du coup, alors qu'il n'y avait qu'une élue LR pour s'y opposer. Laurence Sailliet a été très bonne pour dire que c'est complètement stupide et que cela ne s'attaque pas aux vrais problème. De plus, ce n'est pas une question de "peur". En outre, Ballard lui a dit : comme ça, vos enfants seront prioritaires sur des étrangers. Voilà ce qu'on peut entendre à longueurs de médias aujourd'hui. Un peu plus tard, sur la même chaîne, j'ai entendu Manon Aubry (FI) parler de bébés morts décapités comme un argument politique. Saleté de débat public, cela fait longtemps qu'il est vicié.

    Contrairement à ce qui est dit, la gauche de Jean-Luc Mélenchon n'est pas plus claire que la majorité présidentielle dans les consignes de désistement au second tour. Ainsi, il était dit que le candidat FI en troisième position se désisterait si le RN était en première position. Mais s'il était en deuxième position, comme dans la circonscription de Gérald Darmanin (dixième circonscription du Nord), il y a risque quand même (Ensemble 36,0% et RN 34,3%). À l'origine, FI voulait maintenir sa candidate qui a fait 24,8%, ce qui ne contrevenait pas à la consigne initiale mais risquait quand même de faire élire un député RN, et puis, finalement, la candidate FI s'est retirée.

    En raison de la forte participation, le premier tour a entraîné la possibilité de 306 triangulaires et de 5 quadrangulaires au second tour. Dans une telle configuration, le candidat arrivé en tête, même s'il n'obtient pas 50% des voix, gagne au second tour. Le RN a alors globalement un avantage puisqu'au niveau national, il fait nettement plus de voix que les autres partis. Sauf si les triangulaires se transforment en des duels grâce au retrait du candidat le moins bien placé.


    Selon un décompte (provisoire) du journal "Le Monde" à 23 heures le lundi 1er juillet 2024, 185 candidats arrivés en troisième position (dont 121 du NFP et 60 de la majorité présidentielle) se sont retirés pour le second tour malgré leur qualification, ce qui ferait qu'il resterait 131 triangulaires et 2 quadrangulaires (il reste presque un jour pour une éventuelle évolution). Assez mécaniquement, même si ce n'est pas systématiquement, à fur et à mesure que les triangulaires deviennent des duels, la perspective d'une majorité absolue de député RN s'éloigne.

    Néanmoins, le risque reste réel, comme l'a répété le Premier Ministre Gabriel Attal invité du journal de 20 heures le lundi 1er juillet 2024 sur TF1 : « Le risque, c’est que le Rassemblement national dispose d’une majorité absolue. Je le dis très sincèrement, du plus profond de mes tripes, ce serait catastrophique pour les Français. ».

    Et un des arguments donné par le NFP, en particulier Marine Tondelier, porte-parole d'EELV, c'est que le choix, pour un électeur modéré, entre un candidat RN et un candidat FI ne devrait pas se faire avec hésitation car il y a une réelle possibilité que le RN soit au pouvoir tandis qu'il serait impossible que le NFP obtienne une majorité absolue de sièges. Donc en votant pour le NFP même si on est opposé à son programme, on ne risquerait rien. C'est un argument pourtant assez stupide donné par des gens de gauche qui croient s'adresser à des électeurs modérés mais qui s'adressent en fait à des gens qui sont déjà convaincus par eux. Cet argument a certes plus de poids après la connaissance des résultats du premier tour qu'avant (il était proposé depuis une ou deux semaines). Mais surtout, c'est une curieuse façon de pratiquer la démocratie : pour assumer le vote, je dois nécessairement me dire que je ne regretterais pas mon vote si celui à qui il est destiné était élu voire avait le pouvoir. Je rappelle que si le vote est libre et secret, il est également sincère.


    On peut voter pour un candidat inconnu au bénéfice du doute. Mais quand on le connaît, on ne pourra pas dire qu'on ne savait pas. Je prends un exemple : je soutiens totalement la décision du porte-parole de Renaissance Loïc Signor, candidat Ensemble de la troisième circonscription du Val-de-Marne, arrivé en troisième position avec 23,8% derrière Louis Boyard (FI) à 42,2% et le candidat soutenu par le RN à 27,3%. D'une part, la configuration donne peu de risque de faire élire le candidat RN ; d'autre part, obliger les électeurs qui ont voté pour vous à choisir entre le RN et Louis Boyard relève du sacrifice démocratique !

    C'est surtout que les consignes de vote et les arguments de vote agacent particulièrement les électeurs qui s'en trouvent infantilisés alors qu'ils sont capables de réfléchir par eux-mêmes et en conscience sur le meilleur choix pour la France. Le risque est de dire aux électeurs modérés qu'il n'y a plus de choix qu'entre deux extrémismes, l'un de gauche et l'autre de droite.

    C'est d'ailleurs le filon argumentaire de Jordan Bardella pour riposter à ces désistements. Premier argument : c'est dire que c'est de la cuisine politicienne pour sauver ses places et ce n'est pas pour l'intérêt de la France (je pense que l'objectif d'empêcher le RN de gouverner me paraît au contraire de l'intérêt supérieur de la France). Second argument : voter RN serait la garantie de ne pas avoir les insoumis au gouvernement (là encore, c'est stupide, l'hypothèse d'un gouvernement insoumis dans quelques jours est exclue).

    Ainsi, Jordan Bardella a demandé à Jean-Luc Mélenchon de débattre avec lui. Un moyen de bien insister que Jean-Luc Mélenchon à Matignon était la seule autre possibilité que lui-même à Matignon. Et le gourou des insoumis ne l'a pas démenti puisqu'il a confirmé que les insoumis étaient les maîtres du NFP mais qu'il faudrait demander à Manuel Bompard ou à Mathilde Panot pour débattre. Marine Tondelier, elle, s'est portée candidate en insistant pour dire que c'était son tour, le tour d'une femme et le tour d'une écologiste.

    Le NFP est-il vraiment Mélenchon ? Cela arrangerait Jordan Bardella et malheureusement, c'est pourtant la réalité. Il suffit de regarder la nature des candidats de gauche élus dès le premier tour : en général, des FI canal Mélenchon parce que ce parti s'est réservé les meilleures circonscriptions (à Paris, Seine-Saint-Denis et Petite Couronne, Bouches-du-Rhône, etc.). Pas étonnant que les insoumis soient le groupe prédominant au sein du NFP (même Olivier Faure a été réélu grâce à FI).

    Ses déclarations le soir du 30 juin 2024 n'ont d'ailleurs pas de quoi rassurer les électeurs modérés : il a parlé place de la République aux côtés de Manuel Bompard, Mathilde Panot, Olivier Besancenot et surtout Rima Hassan habillée d'une manière telle qu'il a bien fait comprendre que son combat pour importer le conflit israélo-palestinien en France est toujours d'actualité.

    Cela dit, ce qui m'agace le plus dans les médias depuis le début de cette campagne, c'est de considérer pour acquis que la France est en ruine, dans un triste état alors que c'est absolument faux, et ce qui m'interroge, c'est que les candidats Ensemble eux-mêmes laissent ce genre de propos se dire sans y apporter la contradiction. C'est aussi l'interrogation du chroniqueur Éric Le Boucher dans "Les Échos" le 27 juin 2024 : « On en arrive à ces législatives folles où l'on a écarté les vrais sujets de l'Ukraine, du climat, des technologies, de la croissance, de la Chine, pour se focaliser sur les faux que sont le pouvoir d'achat, la retraite ou l'insécurité. ». En particulier sur les retraites : « C'est le mensonge national absolu : faire croire qu'on peut distribuer plus sans travailler plus. ». Le journaliste s'en est pris aux médias : « Le défaitisme général ne l'aurait pas emporté si les médias traditionnels ne l'avaient pas relayé. En mal d'audience, refusant de prendre du recul et de donner le contexte, ayant inventé le "décryptage" pour mieux noyer le poisson et s'étant laissé avaler par l'idéologie populiste, ils sont devenus les premiers artisans du mensonge. » (j'y reviendrai peut-être).



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (01er juillet 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    Législatives 2024 (14) : la revanche des gilets jaunes ?
    Législatives 2024 (13) : fortes mobilisations au premier tour.
    Résultats du premier tour des élections législatives du 30 juin 2024.
    Appel aux sociaux-démocrates.
    Éric Le Boucher : la France va plutôt bien (27 juin 2024).
    Législatives 2024 (12) : un isoloir, ce n'est pas un cabine d'essayage !
    Législatives 2024 (11) : front, rassemblement, union nationale, barrage, consignes de vote...
    Législatives 2024 (10) : il était une fois Jordan Bardella, Gabriel Attal et Manuel Bompard.
    Législatives 2024 (9) : Emmanuel Macron et son n'ayez-pas-peur !
    Interview d'Emmanuel Macron à Génération Do It Yourself le 24 juin 2024 (podcast intégral).
    Lettre aux Français d'Emmanuel Macron le 23 juin 2024 (texte intégral).
    Législatives 2024 (8) : la bataille de Matignon.
    Le programme aux élections législatives du 30 juin 2024 d'Ensemble pour la République (document à télécharger).
    Législatives 2024 (7) : Ensemble pour la République.
    Législatives 2024 (6) : Nicolas Sarkozy et François Fillon bougent encore !
    Législatives 2024 (5) : le trouble de Lionel Jospin.
    Législatives 2024 (4) : l'angoisse de Manuel Valls.
    Législatives 2024 (3) : François Hollande dans l'irresponsabilité totale !
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Sidération institutionnelle.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Résultats des élections européennes du dimanche 9 juin 2024.

     

     
     






    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240701-legislatives.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/legislatives-2024-14-la-revanche-255543

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/07/01/article-sr-20240701-legislatives.html






     

  • Législatives 2024 (13) : fortes mobilisations au premier tour

    « Face au Rassemblement national, l'heure est à un large rassemblement clairement démocrate et républicain pour le second tour. (…) La participation élevée au premier tour (…) témoigne de l'importance de ce vote pour tous nos compatriotes et de la volonté de clarifier la situation politique. Leur choix démocratique nous oblige. » (Emmanuel Macron, le 30 juin 2024 vers 20 heures).



     

     
     


    Inutile de tourner autour du pot : jamais ce premier tour d'élections législatives n'a été accompagné d'autant d'inquiétude pour l'avenir du pays. Et le sursaut de participation que nous avons constaté ce dimanche 30 juin 2024 a montré que les Français dans leur ensemble ont considéré qu'ils vivaient un de ces instants cruciaux de leur histoire politique. 66,7% de participation. Par rapport à juin 2022, c'est 19,2 points de plus.

    Et la question fondamentale reste la suivante : à qui cette sur-participation a-t-elle profité ? La réponse pourrait paraître décevante et c'est bien là le problème français du moment : ce sursaut de population a profité aux trois blocs, au RN bien sûr qui a su agréger beaucoup de votes d'adhésion et d'espoir populaire, à la nouvelle farce populaire sur fond de front anti-RN mais aussi de nouvel espoir à gauche comme son nom voudrait le faire croire, et enfin, à un sursaut de l'électorat macroniste et plus généralement du bloc central.

    Le résultat est décevant car tous ces blocs ont des raisons d'être déçus : le RN parce que sa mobilisation, si elle est réelle, n'est pas suffisante pour espérer à coup sûr d'être le grand gagnant du second tour ; le NFP qui a démontré qu'à gauche, ils ne seraient jamais majoritaires ; et puis quand même dans la majorité présidentielle dont la Bérézina annoncée commence à esquisser ses contours de réalité électorale.

    Les résultats en suffrages exprimés correspondent grosso modo aux estimations des sondages : selon des résultats officiels non définitifs, le RN et alliés seraient à 33,1%, NFP à 28,0%, Ensemble à 20,0% et LR et DIV à 10,2%. Lorsque j'écris "LR", je n'inclus pas LR canal Éric Ciotti même si ce dernier peut espérer faire élire plus de députés que LR canal historique qui n'a pas pu présenter ses candidats avec l'étiquette spécifiquement LR (en général, ils sont répertoriés par DVD, divers droite).

    On pourrait dire, bien sûr, que le RN serait un peu moins élevé que les dernières estimations proches de 36%, ou encore que si l'on prend la pompe aspirante de l'élan, il faudrait additionner des élections européennes du 9 juin 2024, pour comparaison, le score de liste de Jordan Bardella, celui de Marion Maréchal, et une partie de celui de François-Xavier Bellamy (l'addition donnerait 38-40%, beaucoup plus que les 33,1%). Mais il reste que pour un parti, en général, un tel score est très important et très imposant et la perspective tant d'une majorité absolue de sièges détenus par le RN que d'un gouvernement RN dirigé par Jordan Bardella est très loin d'être exclue. En siège, le RN a déjà gagné, dès ce premier tour, au moins 37 sièges (dont Marine Le Pen, Sébastien Chenu, Philippe Mallard, etc.). Dans de nombreuses circonscriptions, le candidat RN a flirté parfois les 48-49% et serait quasiment sûr d'être réélu au second tour. Les candidats ciottistes ont fait de belles performances, Éric Ciotti semblerait en bonne position pour sa réélection au second tour, ainsi que le président des jeunes LR qui l'a suivi dans cette folle trahison du ralliement pur et simple au RN. En revanche, l'effet de siphonnage du RN a fait que les candidats de l'ancien candidat Éric Zemmour ont été laminés au point de ne recueillir qu'environ 1%.

    Quant à LR canal historique, le départ d'Éric Ciotti a bénéficié aux restants qui ont fait nettement mieux que la liste LR aux élections européennes.

    On pourrait s'amuser à additionner le RN et le NFP, comme l'a fait imprudemment Yves Thréard sur LCP, pour en conclure que ce premier tour était un référendum anti-Macron et que 62% des Français avaient prononcé un non cinglant au Président de la République. Mais doit-on nécessairement additionner des torchons et des serviettes ?

    Car d'autres, en particulier la gauche désunie, voudraient faire maintenant du second tour un référendum pour ou contre Jordan Bardella, lui assurant par là même une position de favori qui l'aiderait beaucoup dans cette progressive acceptation d'un désir autoréalisateur.

    À mon sens, il faudrait plutôt additionner les scores d'Ensemble pour la République et de LR, ce qui fait autour de 30%, soit supérieur au NFP mais inférieur au RN. Cela a un sens même si LR ne voudrait pas trop se mélanger avec les macronistes, car la réalité sur le terrain, c'est que LR et Ensemble ont très peu mis des candidatures concurrentes les unes contre les autres et quand c'est le cas, c'étaient des exceptions comme dans la cinquième circonscription de l'Essonne où le danger d'une élimination des deux au second tour était clairement absent. Ainsi, dans la cinquième circonscription des Yvelines, le Président du Sénat Gérard Larcher a clairement apporté son soutien, dès le premier tour, à Yaël Braun-Pivet, la Présidente de l'Assemblée Nationale sortante, un soutien gagnant puisqu'elle a recueilli 42,8% alors qu'elle avait face à elle un candidat NFP qui a fait 27,2% et l'ancien député LR Jacques Myard soutenu par le RN et qui a fait 22,9%.

    En raisonnant ainsi, en considérant le bloc central comme l'addition d'Ensemble et de LR, on se retrouve avec trois gros blocs à peu près d'égales audiences électorales, s'accaparant l'ensemble de l'éventail électoral (entre 90 et 95% des voix) et dont les différences, selon les circonscriptions, avantageront l'un ou un autre. L'exemple de la quatrième circonscription de l'Essonne est très frappant à cet égard : la candidate Ensemble a obtenu 33,9% des voix, le candidat RN 31,0% et le candidat NFP 30,8% : aucune réserve de voix pour aucun des candidats et chaque candidat "se vaut" autour de 30-33%.

    Cette tripolisation du paysage politique n'est pas nouvelle et s'est déjà déclaré à l'élection présidentielle de 2022 où les trois candidats Emmanuel Macron, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon représentaient la grande part de l'électorat avec chacun entre 20 et 30% des voix. Dans certaines circonscriptions, on voit des résultats très tripolaires parfois presque d'égale amplitude, autour de 30% chacun. Et comme je l'ai écrit pour le bloc central, ce dernier est supérieur en voix au NFP et avec l'hypothèse d'un report de voix, cela signifie que le nombre de sièges pour le NFP pourrait être équivalent à celui de sièges pour le bloc central au second tour.

    Je reviens sur la mobilisation : les Français se sont mobilisés pour aller voter, mais pour ne voter que pour les trois pôles présentés ainsi, au détriment de tous les autres. Selon la sociologie des circonscriptions, ils ont donc privilégié parfois l'un ou l'autre des pôles.

    Dans les résultats, il faut évoquer les candidatures pour le second tour. Un candidat peut se maintenir si et seulement s'il obtient au moins 12,5% des inscrits, soit, selon la participation, environ 18% des suffrages exprimés pour une participation à 70%. Quant à son élection dès le premier tour, il faut que le candidat obtienne bien sûr au moins 50% des suffrages exprimés, mais également 25% des inscrits, ce qui est forcément obtenu avec une participation supérieure à 50%.

    Ainsi, il y aurait environ 300 circonscriptions où trois candidats pourraient se maintenir au second tour, ce qu'on appelle des triangulaires. Bien entendu, dans une telle configuration, le candidat ayant obtenu le score le plus élevé au second tour est élu, même s'il obtient moins de 50%. Avec un RN en tête avec 34%, globalement, le RN est favorisé par les triangulaires et l'idée d'un front anti-RN, c'est d'abord de retirer des candidats qui ne pourraient pas gagner et qui empêcheraient l'autre candidat non-RN de battre le troisième candidat RN, en évitant la déperdition des voix. Cela dans un raisonnement logique qui est parfois violé par le comportement électoral qui peut surprendre.

    Les réactions ? Du côté RN, l'affaire n'est pas encore acquise et l'effort de mobilisation va se faire pendant toute cette semaine. Au moins, il n'y a pas de discussion, tous les candidats qui peuvent se maintenir au second tour se maintiendront, ce qui en fait beaucoup, même certains qui n'ont quasiment pas fait campagne, ni participé à aucune réunion publique, ni même imprimé d'affiche pour les panneaux officiels.

    Emmanuel Macron a surpris tout le monde en publiant un communiqué très vite après la fermeture des derniers bureaux de vote. Quand ce dernier a donné son intention de publier un communiqué, l'éditorialiste Ruth Elkrief a eu peur d'une nouvelle décision présidentielle comme la dissolution ! Le contenu de son message était d'en appeler sans ambiguïté au rassemblement des démocrates et des républicains contre le RN, mais sans préciser par quel moyen. Deux heures plus tard, le Premier Ministre Gabriel Attal a été plus clair en refusant activement toute candidature RN.

    À gauche, la situation est moins claire. Certes, le PS, le PCF et EELV ont toujours été clairs sur le désistement du candidat le moins bien placé pour battre le candidat RN dans une triangulaire, mais FI est beaucoup plus vague même si le barrage au RN est de rigueur. Ce qui est beaucoup moins clair, c'est ce meeting place de la République à Paris où se sont exprimés dans la soirée d'abord Marine Tondelier, la porte-parole d'EELV, puis Olivier Faure, le premier secrétaire du PS, réélu dès le premier tour, puis Jean-Luc Mélenchon qui était entouré de Manuel Bompard, réélu dès le premier tour, Mathilde Panot et... Rima Hassan et même Olivier Besancenot, prouvant définitivement que le NFP était effectivement piloté par les insoumis de Jean-Luc Mélenchon (ce qui était bien mal venu pour éviter d'inquiéter un électorat modéré encouragé à voter pour le NFP contre le RN).

    Si le désistement automatique paraît être une mécanique bien huilée à gauche, elle est beaucoup moins évidente pour le bloc central. Pourquoi ? Déjà parce que LR n'a donné aucune consigne ni de désistement, ni de vote et laisse les locaux évaluer les situations, sachant qu'une part de son électorat préfère le RN au NFP. Pour la majorité présidentielle, il n'est plus question du ni-ni mais bien d'éviter une majorité absolue de députés RN. Pour cela, cependant, il paraît opportun de ne pas fixer une règle trop générale, à savoir dans les triangulaires, faire désister le candidat Ensemble dans le cas où il est le moins bien placé pour battre le RN.

    D'une part, en effet, il y a le cas où le candidat RN au second tour a peu de chance d'être élu car loin de la première place et dans ce cas-là, il est plus pertinent de laisser les électeurs s'exprimer selon leurs tendances politiques. D'autre part, il existe des cas où l'écart entre le candidat NFP et le candidat Ensemble est très faible en voix, et où, même moins bien placé, le candidat Ensemble aurait une réserve de voix avec un candidat LR qui le mettrait en situation de mieux battre le candidat RN que le candidat NFP. Bref, toutes ces situations s'apprécient précisément et de manière pragmatique pour éviter qu'il y ait aussi le seul choix du RN ou d'un front anti-RN qui, s'il permettrait d'être efficace aujourd'hui, serait probablement désastreux demain.

    Je vais prendre quelques exemples. Dans la septième circonscription de l'Essonne, Robin Reda, ancien député LR de 2017 élu député macroniste en 2022, n'est arrivé qu'en deuxième position avec 32,3% derrière la candidate NFP 38,1%, et la candidate RN est en troisième position avec 25,5%. A priori, le maintien des deux candidats Ensemble et NFP n'entraînerait pas l'élection de la candidate RN et leur maintien permettrait à leur électorat respectif de ne pas se déjuger, même si la réélection de Robin Reda paraît compromise. Idem dans la première circonscription de l'Essonne (l'ancienne de Manuel Valls) où la députée FI sortante Farida Amrani a obtenu 43,1% devant Stéphane Beaudet, le maire ex-LR d'Évry-Courcouronnes 31,7% et le candidat RN n'a recueilli que 21,7%. Idem dans deuxième circonscription de Meurthe-et-Moselle où le maire PS de Vandœuvre-lès-Nancy Stéphane Hablot a obtenu 39,9% devant le député Ensemble sortant Emmanuel Lacresse 30,7% et la candidate RN 22,4%. Il en est encore de même dans la première circonscription de l'Isère où l'ancien ministre Olivier Véran est en ballottage très défavorable avec 32,6% derrière le candidat NFP 40,2% et devant le candidat RN 18,3%. Dans la cinquième circonscription de Loire-Atlantique, il n'y a pas de raison non plus pour que la ministre Sarah El Haïry, arrivée deuxième avec 36,1% s'efface derrière le candidat NFP 37,7% alors que le candidat RN n'a que 24,7%.

    Dans la septième circonscription des Yvelines (l'ancienne de Michel Rocard), la députée sortante Ensemble Nadia Hai n'est qu'en deuxième place avec 29,3% derrière l'ancien ministre Aurélien Rousseau (devenu candidat NFP) 34,7% et devant la candidate RN Babette de Rozières 25,8%. Elle pourrait donc s'effacer derrière le candidat NFP, mais elle pourrait bénéficier aussi des réserves de voix avec un candidat LR qui a obtenu 7,6%. En revanche, dans la première circonscription de la Somme, la candidate Ensemble avec 22,7% s'est désisté en faveur du député FI sortant en ballottage défavorable François Ruffin avec 33,9% derrière la candidate RN 40,7%. Il faudra donc bien observer l'efficacité des reports de voix d'Ensemble vers FI pour faire barrage au RN.

    Il est parfois politiquement heureux qu'un candidat n'obtienne pas le droit de se maintenir au second tour, car cela lui évite de devoir se désister en faveur d'un candidat qui lui est politiquement très éloigné pour faire barrage au RN. Ainsi, dans la troisième circonscription du Lot-et-Garonne, la députée RN sortante Annick Cousin est arrivée en tête avec 41,1% devant le candidat LR 25,0% et le troisième candidat FI n'a pas obtenu la qualification au second tour avec seulement 18,4% (le quatrième candidat est un ancien ministre condamné, voir ci-dessous dans les battus). C'est le cas aussi de la première circonscription de l'Aude où Philippe Poutou est qualifié de justesse pour le second tour avec 18,7% (12,57% des inscrits !) derrière le député RN sortant Christophe Barthès qui a raté de peu sa réélection avec 49,3% tandis que le candidat Ensemble, n'ayant obtenu que 16,9% (11,3% des inscrits), n'aura pas à devoir se désister pour le candidat du NPA.

    La candidate NFP qui a obtenu 24,1% dans la septième circonscription de Loire-Atlantique, a annoncé son désistement en faveur de la députée sortante Ensemble Sandrine Josso 28,5% en position très incertaine face au candidat soutenu par le RN, ancien député UMP (entre 1993 et 2012) Michel Hunault, 28,2% (il avait obtenu 0,9% dans une autre circonscription lors d'une élection législative partielle en mars 2018 !). Dans la quatrième circonscription de la Vienne, le député MoDem sortant Nicolas Turquois se retrouverait en ballottage défavorable avec 32,1% face à la candidate RN 41,0% même si le candidat NFP avec 21,1% se désistait. En revanche, cela va être difficile au député LR sortant Francis Dubois, arrivé en troisième position dans la première circonscription de la Corrèze, qui peut se maintenir au second tour avec 28,6%, de se désister pour l'ancien Président de la République François Hollande qui a été bombardé à la première place avec 37,6% devant la candidate RN 30,9%.

    Autre circonscription symbole, la première des Alpes-Maritimes où le député sortant Éric Ciotti, avec le soutien de RN, a obtenu 41,0% et aurait en principe deux concurrents, le candidat NFP 26,6% et le candidat Ensemble 22,8% qui pourrait se désister pour tenter de battre Éric Ciotti. LR avait investi un autre candidat LR contre l'encore président de LR mais n'a obtenu que 5,8%.

    Dans la huitième circonscription de l'Essonne, la situation reste très incertaine : Nicolas Dupont-Aignan, soutenu par le RN, n'est qu'en deuxième position avec 33,0% derrière le candidat NFP 34,4% et devant le président du conseil départemental de l'Essonne François Durovray ex-LR 27,4% qui a bénéficié de l'absence de candidat Ensemble. Dans le même département, dans la sixième circonscription de l'Essonne (l'ancienne d'Amélie de Montchalin), c'est le député sortant PS Jérôme Guedj qui a bénéficié de l'absence de candidat Ensemble, ce qui lui a permis d'arriver en tête avec 34,1%, soutenu par le NFP mais il a refusé cette étiquette, devant la candidate RN 24,0% et la candidate dissidente insoumise 20,2% qui devrait se désister (LR avait investi une candidate qui n'a obtenu que 16,7% soit 11,4% des inscrits).

    Parmi les candidats battus dès le premier tour, on peut citer notamment Fabien Roussel, le secrétaire national du PCF, l'ancien ministre Clément Beaune, Jérôme Cahuzac, Arnaud Dassier, Rachel-Flore Pardo, Pierre-Louis Giscard d'Estaing, Yann Wehrling, Pierre-Yves Bournazel, Damien Abad, etc.

    Parmi les candidats élus dès le premier tour, il y a entre autres Philippe Juvin, bénéficiant d'une absence de concurrent Ensemble, Clémentine Autain, Marine Le Pen, Sébastien Chenu, Manuel Bompard, Bastien Lachaud, Olivier Faure, Philippe Ballard, Pouria Amirshahi, Danièle Obono, Sandrine Rousseau, Sophia Chikirou, Eva Sas, Emmanuel Grégoire, Aymeric Caron, etc. En tout, 76 candidats ont été élus dès le premier tour : 39 RN, 32 NFP, 2 Ensemble et 3 LR et DVD.

    En ballottage favorable : le Premier Ministre Gabriel Attal, le ministre Stéphane Séjourné, la ministre Marie Lebec, le ministre Jean-Noël Barrot, l'ancien ministre Stéphane Travert, Éric Ciotti, Yaël Braun-Pivet, François Hollande, Jérôme Guedj, Laurent Wauquiez, Alexis Corbière, Sylvain Maillard, Olivia Grégoire, David Amiel, Benjamin Haddad, Danielle Simonnet, Ugo Bernalicis, Rachel Kéké, etc.

    En ballottage défavorable ou difficile : Charles de Courson, la ministre Marie Guévenoux, Sarah El Haïry, Robin Reda, Stéphane Beaudet, François Ruffin, François Durovray, Aude Lagarde, Raquel Garrido, Frédéric Valletoux, Aude Luquet, Gilles Le Gendre, Philippe Poutou, Maud Gatel, Sébastien Huyghe, Victor Habert-Dassault, Éric Woerth, Vincent Jeanbrun, etc.

    En ballottage très incertain : Gérald Darmanin, Élisabeth Borne, Stanislas Guérini, Nicolas Dupont-Aignan, Jérôme Sainte-Marie, etc.

    Ce qui est sûr, c'est qu'en cas d'efficacité du barrage contre le RN, il n'existera pas au sein de l'hémicycle de majorité homogène. Imaginer un gouvernement de François Ruffin à Jean-François Copé est une tournure d'esprit assez compliqué, et certainement plus compliqué que la situation de juin 2022 à juin 2024 : dans tous les cas, la dissolution n'aura pas permis d'améliorer la situation parlementaire et ne fait qu'accroître le bazar dans le meilleur des cas.

    La mobilisation des électeurs RN restera très élevée au second tour parce qu'ils y voient une occasion historique de conquérir le pouvoir. Mais la mobilisation des autres électorats (NFP et Ensemble) est en revanche moins évidente pour ce second tour dans la mesure où les désistements vont parfois décourager les électeurs des candidats éclipsés de se rendre aux urnes. Et cela sans compter que c'est le première week-end des vacances scolaires, ce qui peut expliquer le grand nombre de procurations.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (30 juin 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    Législatives 2024 (13) : fortes mobilisations au premier tour.
    Résultats du premier tour des élections législatives du 30 juin 2024.
    Appel aux sociaux-démocrates.
    Éric Le Boucher : la France va plutôt bien (27 juin 2024).
    Législatives 2024 (12) : un isoloir, ce n'est pas un cabine d'essayage !
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    Lettre aux Français d'Emmanuel Macron le 23 juin 2024 (texte intégral).
    Législatives 2024 (8) : la bataille de Matignon.
    Le programme aux élections législatives du 30 juin 2024 d'Ensemble pour la République (document à télécharger).
    Législatives 2024 (7) : Ensemble pour la République.
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    Législatives 2024 (4) : l'angoisse de Manuel Valls.
    Législatives 2024 (3) : François Hollande dans l'irresponsabilité totale !
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    Sidération institutionnelle.
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    Résultats des élections européennes du dimanche 9 juin 2024.

     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240630-legislatives.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/legislatives-2024-13-fortes-255523

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  • Le droit de vote à 18 ans, c'était il y a 50 ans grâce à Giscard !

    « De ce jour date une ère nouvelle de la politique française, celle du rajeunissement, et du changement de la France. » (VGE, le 27 mai 1974).

     

     
     


    L'affiche est connue, c'était le début de l'ère moderne de la communication politique. Valéry Giscard d'Estaing avait fait contribuer sa plus jeune fille Jacinte, elle venait alors d'avoir 14 ans (elle est morte avant son père en janvier 2018), pour sa campagne présidentielle de 1974. Dans ses bagages, avec son élection très serrée face au candidat socialiste François Mitterrand, le droit de vote à 18 ans. Plus exactement, la majorité à 18 ans qui a été adoptée définitivement par le Parlement français il y a cinquante ans, le 28 juin 1974.

    Le droit de vote est toute une histoire. La majorité civile était fixée par décret le 20 septembre 1792 à l'âge de 21 ans pour les hommes et les femmes (au lieu de 25 ans), ce décret complétait le décret du 28 août 1792 qui avait aboli les droits des pères sur leurs enfants majeurs. Le Code Napoléon l'a ensuite modifiée en 1804 en la fixant à 21 ans pour les femmes et 25 ans pour les hommes. Puis, la majorité a été fixée à 21 ans pour tous par la loi du 21 juin 1907.

    Mais le droit de vote n'était pas vraiment couplé avec la majorité civile. D'abord, les femmes n'ont eu le droit de vote que le 21 avril 1944. Quant aux hommes, après la Révolution, le suffrage était souvent censitaire : sous la Restauration, en 1815, ils pouvaient voter seulement à partir de 30 ans et seulement s'ils payaient beaucoup d'impôts. Avec la Monarchie de Juillet, en 1830, les conditions se sont assouplies : l'âge à partir duquel un homme pouvait voter a été abaissé à 25 ans et le seuil des impôts payés réduit du tiers. En 1848, l'âge a encore baissé et le suffrage est devenu universel au lieu de censitaire, c'est-à-dire que tous les hommes de plus de 21 ans, quel qu'ils fussent devant l'impôt, pouvaient voter.

    Valéry Giscard d'Estaing a été élu le 19 mai 1974 et a pris ses fonctions le 27 mai 1974. Son objectif : faire de la France (qui était en retard pour l'âge du droit de vote par rapport à ses voisins) une « société libérale avancée ».Il n'a donc pas perdu de temps et a fait très rapidement adopter sa première réforme de société, très attendue par les jeunes : l'Assemblée Nationale a adopté en procédure d'urgence (sur le rapport d'Alain Terrenoire) à main levée et à la quasi-unanimité le projet de loi fixant la majorité civile à 18 ans (au lieu de 21 ans) le 25 juin 1974 et le Sénat l'a adopté dans la lancée le 28 juin 1974 (sur le rapport de Jacques Genton). Cette adoption définitive a entraîné logiquement la promulgation de la loi le 5 juillet 1974 (loi n°74-631 du 5 juillet 1974 fixant à 18 ans l'âge de la majorité) par le nouveau Président de la République, élu à 48 ans, ce qui était le record de jeunesse depuis 1870 (en 2017, Emmanuel Macron l'a battu à 39 ans). Ont signé aussi ce texte le Premier Ministre Jacques Chirac et les ministres Michel Poniatowski (Intérieur), Jean Lecanuet (Justice), Jacques Soufflet (Défense) et Olivier Stirn (DOM-TOM).
     

     
     


    À l'origine, le garde des sceaux Jean Lecanuet avait voulu proposer le droit de vote à 18 ans tout en maintenant la majorité civile à 21 ans. Ce furent les députés, au cours de l'examen en séance publique, qui ont voulu carrément abaisser l'âge de la majorité civile à 18 ans. C'était une révolution puisque cela modifiait l'âge adopté en 1848 ! Cela signifiait par exemple qu'au-delà du droit de vote, les jeunes de 18 à 21 ans pouvaient aussi se marier et ouvrir un compte bancaire sans obtenir l'accord de leurs parents.

    Beaucoup ont dit que cette réforme était une conséquence de la révolte étudiante de mai 1968. Valéry Giscard d'Estaing était arrivé à l'Élysée sous le signe de la jeunesse et c'est pourquoi il a voulu faire cette réforme la premier signe emblématique du renouveau sociétal. Son concurrent du second tour François Mitterrand y était également favorable puisque cette mesure faisait partie du programme commun de la gauche. Du reste, le Premier Ministre Pierre Messmer, avant VGE, avait proposé un même texte dès 1972 mais son processus législatif n'a pas pu aboutir à cause de la mort de Georges Pompidou (et aussi parce que ce dernier y était plutôt opposé).

    C'étaient 2,4 millions de jeunes entre 18 et 21 ans qui étaient concernés mais ceux-ci se sont finalement sentis un peu floués car il n'y a pas eu d'élections importantes avant les élections municipales de mars 1977, c'est-à-dire que les jeunes de 18 ans en 1974 allaient avoir de toute façon 21 ans en 1977 (il y avait cependant des élections cantonales en mars 1976 mais seulement pour la moitié des cantons).
     

     
     


    Cette réforme a fait donc partie d'une série de réformes faites dans les premières années du septennat de VGE visant à moderniser la France, à adapter la loi aux mœurs, et après la majorité à 18 ans, il y a eu le remboursement de la pilule le 4 décembre 1974 (la contraception est devenue un "droit individuel"), la dépénalisation de l'IVG le 17 janvier 1975, portée par Simone Veil, la libéralisation de l'audiovisuel par l'éclatement de l'ORTF le 6 janvier 1975, le divorce par consentement mutuelle le 11 juillet 1975, etc. À cela, il faut ajouter une révolution constitutionnelle avec la révision du 29 octobre 1974 permettant à 60 parlementaires de saisir le Conseil Constitutionnel sur la conformité d'un projet de loi adopté définitivement au Parlement (ce qui a donné un grand pouvoir à l'opposition pour s'opposer juridiquement aux textes de la majorité ; auparavant la saisine du Conseil Constitutionnel était réservée aux seuls Président de la République et Présidents des deux assemblées).

    Le politologue Raymond Aron a ainsi commenté cette réforme le 22 novembre 1974 sur France Culture, de manière un peu dubitative : « Il [VGE] a voulu mettre, pour ainsi dire, au défi, les commentateurs, les adversaires, les critiques et être le Président le plus jeune de l'histoire de France qui accordait le droit de vote aux garçons et aux jeunes filles de 18 ans. (…) Il est évident que demander aux garçons et aux jeunes filles de 18 ans de décider de ceux qui nous gouverneront est un pari. ».
     

     
     


    Et effectivement, si le pari pour la capacité des jeunes était gagné d'avance (même si le problème ultérieur serait plutôt que beaucoup de jeunes s'en moqueraient, soit ne s'inscrivant pas sur les listes électorales soit s'abstenant massivement), le pari était plutôt sociologique et politique pour Valéry Giscard d'Estaing puisque les enquêtes d'opinion montraient clairement que les jeunes de 18 à 21 ans lui préféraient le leader de gauche. C'était là le courage politique de Valéry Giscard d'Estaing dont les décisions relevaient de l'intérêt général et pas de son intérêt électoral immédiat. Car en 1981, la jeunesse française a voté massivement pour François Mitterrand, ce qui a contribué à sa défaite sévère (défaite toutefois qui aurait sans doute eu lieu sans cette réforme).

    Depuis quelques années, on parle maintenant du droit de vote dès l'âge de 16 ans (éventuellement seulement pour les élections municipales), à l'image de l'Équateur, du Brésil ou de l'Autriche, mais les propositions de loi allant dans ce sens n'ont pour l'instant jamais abouti. Après tout, depuis le 1er janvier 2024, on peut passer le permis de conduire de série B dès l'âge de 17 ans révolu, selon le décret du 20 décembre 2023.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (28 juin 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Le droit de vote à 18 ans, c'était il y a 50 ans grâce à Giscard !
    Lucien Neuwirth  et la contraception.
    Le vote des femmes en France.
    Femmes, je vous aime !
    Ni claque ni fessée aux enfants, ni violences conjugales !
    Violences conjugales : le massacre des femmes continue.
    L'IVG dans la Constitution (3) : Emmanuel Macron en fait-il trop ?
    Discours du Président Emmanuel Macron le 8 mars 2024, place Vendôme à Paris, sur l'IVG (texte intégral et vidéo).
    L'IVG dans la Constitution (2) : haute tenue !
    L'IVG dans la Constitution (1) : l'émotion en Congrès.
    La convocation du Parlement en Congrès pour l'IVG.
    L'inscription de l'IVG dans la Constitution ?
    Simone Veil, l’avortement, hier et aujourd’hui…
    L’avortement et Simone Veil.
    Le fœtus est-il une personne à part entière ?
    Le mariage pour tous, 10 ans plus tard.
    Rapport 2023 de SOS Homophobie (à télécharger).
    Six ans plus tard.
    Mariage lesbien à Nancy.
    Mariage posthume, mariage "nécrophile" ? et pourquoi pas entre homosexuels ?
    Mariage annulé : le scandaleux jugement en faveur de la virginité des jeunes mariées.
    Ciel gris sur les mariages.

    Les 20 ans du PACS.
    Ces gens-là.
    L’homosexualité, une maladie occidentale ?
    Le coming out d’une star de la culture.
    Transgenres adolescentes en Suède : la génération sacrifiée.
    PMA : la levée de l’anonymat du donneur.
    La PMA pour toutes les femmes.










    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240628-majorite-18-ans.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/le-droit-de-vote-a-18-ans-c-etait-255289

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/06/27/article-sr-20240628-majorite-18-ans.html


     

  • Législatives 2024 (12) : un isoloir, ce n'est pas un cabine d'essayage !

    « Je trouve que c'est assez frappant d'entendre "on n'a jamais essayé". On a essayé. (…) Regardez Perpignan. Regardez la première décision de Louis Aliot quand il a été nommé maire, c'est d'augmenter de 17%. (…) "Femme actuelle" (…) : classement des cinquante villes où il fait bon ou mauvais de vivre en France quand on est une femme. Quelle est la cinquantième ville sur cinquante ? Perpignan. Plus de financement d'associations féministes, l'insécurité qui explose. Mantes-la-ville, c'était pareil, 10% d'augmentation pour le maire. Fréjus. David Rachline : une enquête ouverte pour corruption, pour des marchés publics truqués (…). Je veux juste dire : on a essayé, il y a des villes Fréjus, Perpignan, regardez le bilan et lisez les programmes, projetez-vous dans l'après. Ce n'est pas le ni-ni, le non-non qui compte, c'est ce que les politiques vont faire pour vous ou contre vous ! » (Olivia Grégoire, le 27 juin 2024 sur BFMTV).




     

     
     


    Ce qu'a raconté la ministre Olivia Grégoire ce jeudi matin avait du sens : tenter de se projeter dans l'avenir avec les programmes des uns et des autres. Mais elle donnait des arguments de raison là où le rejet du Président Emmanuel Macron est de l'ordre de l'émotion. Même les plus aptes, parmi les LR modérés, à soutenir la politique du gouvernement, ils rejettent la méthode beaucoup trop autoritaire du Président de la République.

    Pour ce dernier jour de campagne des élections législatives, la situation semble bloquée dans les sondages sur "presque" une majorité absolue pour le RN. C'est le "presque" qui fait tout et qui ne fait rien. Y aura-t-il une autre majorité, alternative, une impossible majorité ?

    Malgré les sondages, jamais la situation n'a été aussi inquiétante pour les Français, qui ressentent à plus de 80% dans les sondages un réel malaise depuis la dissolution, un malaise du même ordre que lors du premier confinement contre le covid-19. Où nous emmène-t-elle donc, cette dissolution ? Vers un cauchemar où il faudrait choisir en gros entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ? Ce cauchemar que j'avais craint faire en 2017 et en 2022.

    Ce qui est clair, et les instituts de sondage l'ont repéré aussi, c'est qu'il y aura une forte participation le 30 juin 2024 : au moins les deux tiers des inscrits (au lieu de moins que la moitié il y a deux ans). Cela rejoint la participation des dernières élections législatives non couplées avec une élection présidentielle, à savoir 1997. D'autres petits signes le confirment. Ainsi, 410 000 Français de l'étranger ont déjà voté en deux jours depuis mercredi, au lieu des 250 000 au total aux dernières élections. Le site Internet a même été saturé par la trop forte demande. Les procurations, qui se font plus facilement maintenant, ont explosé, cinq fois plus qu'en juin 2022, avec au soir du 26 juin 2024, « 2 124 918 millions » de procurations délivrées (retirez le mot "millions" et vous corrigerez l'amusante erreur de LCI).

    À qui la participation va-t-elle profiter ? A priori, à tous les candidats, à tous les camps. Toutes les catégories sociales envisagent de participer plus, les jeunes, les moins jeunes, les ouvriers, les cadres supérieurs, les retraités, etc. C'est clair que ces élections éclair sont considérées comme cruciales. Avec toujours cette petite rancœur contre celui qui les a imposées. Elles sont l'occasion de retour de vieilles connaissances comme Jean Myard (gaulliste outrageusement soutenu par le RN), Dominique Voynet, François Hollande, etc. Certains autres se démasquent comme Jérôme Sainte-Marie qui est candidat RN après avoir vaguement fait semblant d'être un politologue sondagier sur les plateaux de télévision pendant des années.

    Le dernier débat qui a fait intervenir Gabriel Attal, Jordan Bardella et Olivier Faure le jeudi 27 juin 2024 sur France 2 (qu'on peut revoir à la fin de cet article) n'apporte pas beaucoup d'éléments nouveaux et ne fera probablement pas changer les lignes. Après Jean-Marc Ayrault la première semaine, Martine Aubry, maire de Lille, depuis sa mairie, s'est exprimée ce 27 juin 2024 pour soutenir les candidats de la nouvelle farce populaire. Cependant, ces socialistes dont je ne doute pas de la sincérité n'ont pas compris qu'en s'alliant avec France insoumise, ils se sont interdit le vaste front républicain qu'ils réclamaient face au RN.

    Je m'arrêterai à ces deux points-là : France insoumise considérée comme l'extrême gauche et le ressentiment contre Emmanuel Macron. Au-delà du fait que FI a donné son investiture entre autres à Philippe Poutou, qui est du NPA, le comportement des insoumis a de quoi s'inquiéter.

     

     
     


    Au cours d'une réunion publique qui avait invité successivement tous les candidats de ma circonscription (cinq sont venus sur les huit), j'étais intéressé par la réponse des deux questions de la salle en rapport avec ces deux sujets, du député sortant Paul Midy, candidat à sa succession.

    La première question était : pourquoi, vous, la majorité présidentielle, considérez que les insoumis sont d'extrême gauche alors que le Conseil d'État ne les considèrent pas comme tels ? Paul Midy a répondu ainsi : le Conseil d'État donne une réponse juridique et pas politique mais lui-même considère en effet que les insoumis sont des extrémistes et des populistes : « Je les qualifie de force extrémiste populiste ». Pour trois raisons.

    La première raison : les dépassements fréquents de nombreuses lignes rouges. Quelques exemples : quand Jean-Luc Mélenchon a parlé de « camper » pour Yaël Braun-Pivet dont le nom est d'origine juive, l'allusion était très claire et volontaire. Idem pour Mathilde Panot qui a parlé de « rescapée » pour la Première Ministre Élisabeth Borne qui a eu de la famille rescapée des camps, c'est pareil, c'était dit intentionnellement, ce n'était pas une maladresse mais dit en conscience. Le soutien à Sainte-Soline avant, pendant et après les manifestations très violentes étaient des soutiens clairs des actes de guerre et des appels à la violence.

    La deuxième raison : Jean-Luc Mélenchon s'appuie sur la remise en cause des institutions par la violence. Notamment dans l'hémicycle. Paul Midy a eu cette formule : « On bosse tous les jours en open space ! » (dans l'hémicycle). Les insoumis sont des gens intelligents, tout cela est conscientisé, voulu. Cette violence n'est pas une manière d'exercer sereinement la démocratie. France insoumise a aussi investi un candidat fiché S. Ce n'est pas une erreur des services de renseignement. Le candidat a été fiché S parce qu'il préside un groupe, Jeune garde, qui serait antifasciste. Mais Paul Midy, qui fut directeur général de LREM, a connu des personnes de son équipe, appartenant aux Jeunes avec Macron, qui ont été tabassés par ce groupe très violent Jeune garde. FI choisit la méthode de la violence.


    La troisième et dernière raison : le programme du NFP est ouvertement populiste. Il n'est pas fait pour être le meilleur programme pour la France, non. Il est simplement fait d'une liste de promesses, juste pour faire plaisir aux électeurs, sans considération de l'intérêt général.

    Pour ma part, je reste encore sidéré que les autres partis de gauche (PS, PCF, EELV) aient accepté, en deux jours, de se lier ainsi tant électoralement que programmatiquement avec un tel parti extrémiste. Ce sera sans doute une grande énigme politique (dans ces élections, il y en a d'autres qui seront aussi analysées encore dans quelques décennies dans les livres de sciences politiques).
     

     
     


    L'autre question très pertinente posée à Paul Midy, elle l'a été par un ancien électeur d'Emmanuel Macron de 2017 qui semble être déçu (je ne suis pas sûr de son vote actuel) : selon vous, qu'est-ce qui a cloché avec Emmanuel Macron depuis sept ans ? Paul Midy a répondu deux choses : d'abord, ils n'ont pas été crédibles sur la transition écologique, ce qu'il a expliqué par une mauvaise communication (mais c'est peut-être plus que cela), les gens ont eu peur, en ont marre et ils n'ont pas su faire embarquer dans ce grand enjeu la plupart des gens ; ensuite, il pense qu'ils ont raté le sujet de l'immigration. Ils avaient une politique équilibrée et raisonnée sur l'immigration, applicable dans le cadre des valeurs républicaines, et ils n'ont pas été compris ou ils n'ont pas convaincu.

    Sa circonscription a beaucoup bougé politiquement, a souvent alterné, dans le passé, entre un député UMP et un député PS, et en 2022, Paul Midy a conquis la circonscription face au député sortant avec 18 voix seulement d'écart (sur 68 469 inscrits !). Comme il s'est pas mal démené pour l'innovation, la recherche et le financement des jeunes entreprises (jusqu'à créer 50 000 emplois), partisan du plein emploi qui changera fondamentalement les rapports entre les employeurs et les employés, et apportera des ressources supplémentaires pour l'école, la santé, l'armée, etc., il pourrait croire que les électeurs lui en seraient reconnaissants. Toutefois, les élections législatives suivent souvent des lois politiques particulièrement déchirantes pour les hommes et les femmes en quête de réélection, en particulier lui qui assume totalement son soutien à Emmanuel Macron dont la photographie est sur ses documents de campagne (au contraire d'autres collègues), aux côtés de Gabriel Attal et de son prédécesseur Édouard Philippe.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (27 juin 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    Paul Midy.
    Législatives 2024 (12) : un isoloir, ce n'est pas un cabine d'essayage !
    Législatives 2024 (11) : front, rassemblement, union nationale, barrage, consignes de vote...
    Législatives 2024 (10) : il était une fois Jordan Bardella, Gabriel Attal et Manuel Bompard.
    Législatives 2024 (9) : Emmanuel Macron et son n'ayez-pas-peur !
    Interview d'Emmanuel Macron à Génération Do It Yourself le 24 juin 2024 (podcast intégral).
    Lettre aux Français d'Emmanuel Macron le 23 juin 2024 (texte intégral).
    Législatives 2024 (8) : la bataille de Matignon.
    Le programme aux élections législatives du 30 juin 2024 d'Ensemble pour la République (document à télécharger).
    Législatives 2024 (7) : Ensemble pour la République.
    Législatives 2024 (6) : Nicolas Sarkozy et François Fillon bougent encore !
    Législatives 2024 (5) : le trouble de Lionel Jospin.
    Législatives 2024 (4) : l'angoisse de Manuel Valls.
    Législatives 2024 (3) : François Hollande dans l'irresponsabilité totale !
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Sidération institutionnelle.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Résultats des élections européennes du dimanche 9 juin 2024.







    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240627-legislatives.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/legislatives-2024-12-un-isoloir-ce-255464

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/06/27/article-sr-20240627-legislatives.html




     

  • Paul Midy explique pourquoi les insoumis sont une force extrémiste et populiste

    « Je trouve que c'est assez frappant d'entendre "on n'a jamais essayé". On a essayé. (…) Regardez Perpignan. Regardez la première décision de Louis Aliot quand il a été nommé maire, c'est d'augmenter de 17%. (…) "Femme actuelle" (…) : classement des cinquante villes où il fait bon ou mauvais de vivre en France quand on est une femme. Quelle est la cinquantième ville sur cinquante ? Perpignan. Plus de financement d'associations féministes, l'insécurité qui explose. Mantes-la-ville, c'était pareil, 10% d'augmentation pour le maire. Fréjus. David Rachline : une enquête ouverte pour corruption, pour des marchés publics truqués (…). Je veux juste dire : on a essayé, il y a des villes Fréjus, Perpignan, regardez le bilan et lisez les programmes, projetez-vous dans l'après. Ce n'est pas le ni-ni, le non-non qui compte, c'est ce que les politiques vont faire pour vous ou contre vous ! » (Olivia Grégoire, le 27 juin 2024 sur BFMTV).




     

     
     


    Ce qu'a raconté la ministre Olivia Grégoire ce jeudi matin avait du sens : tenter de se projeter dans l'avenir avec les programmes des uns et des autres. Mais elle donnait des arguments de raison là où le rejet du Président Emmanuel Macron est de l'ordre de l'émotion. Même les plus aptes, parmi les LR modérés, à soutenir la politique du gouvernement, ils rejettent la méthode beaucoup trop autoritaire du Président de la République.

    Pour ce dernier jour de campagne des élections législatives, la situation semble bloquée dans les sondages sur "presque" une majorité absolue pour le RN. C'est le "presque" qui fait tout et qui ne fait rien. Y aura-t-il une autre majorité, alternative, une impossible majorité ?

    Malgré les sondages, jamais la situation n'a été aussi inquiétante pour les Français, qui ressentent à plus de 80% dans les sondages un réel malaise depuis la dissolution, un malaise du même ordre que lors du premier confinement contre le covid-19. Où nous emmène-t-elle donc, cette dissolution ? Vers un cauchemar où il faudrait choisir en gros entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ? Ce cauchemar que j'avais craint faire en 2017 et en 2022.

    Ce qui est clair, et les instituts de sondage l'ont repéré aussi, c'est qu'il y aura une forte participation le 30 juin 2024 : au moins les deux tiers des inscrits (au lieu de moins que la moitié il y a deux ans). Cela rejoint la participation des dernières élections législatives non couplées avec une élection présidentielle, à savoir 1997. D'autres petits signes le confirment. Ainsi, 410 000 Français de l'étranger ont déjà voté en deux jours depuis mercredi, au lieu des 250 000 au total aux dernières élections. Le site Internet a même été saturé par la trop forte demande. Les procurations, qui se font plus facilement maintenant, ont explosé, cinq fois plus qu'en juin 2022, avec au soir du 26 juin 2024, « 2 124 918 millions » de procurations délivrées (retirez le mot "millions" et vous corrigerez l'amusante erreur de LCI).

    À qui la participation va-t-elle profiter ? A priori, à tous les candidats, à tous les camps. Toutes les catégories sociales envisagent de participer plus, les jeunes, les moins jeunes, les ouvriers, les cadres supérieurs, les retraités, etc. C'est clair que ces élections éclair sont considérées comme cruciales. Avec toujours cette petite rancœur contre celui qui les a imposées. Elles sont l'occasion de retour de vieilles connaissances comme Jean Myard (gaulliste outrageusement soutenu par le RN), Dominique Voynet, François Hollande, etc. Certains autres se démasquent comme Jérôme Sainte-Marie qui est candidat RN après avoir vaguement fait semblant d'être un politologue sondagier sur les plateaux de télévision pendant des années.

    Le dernier débat qui a fait intervenir Gabriel Attal, Jordan Bardella et Olivier Faure le jeudi 27 juin 2024 sur France 2 (qu'on peut revoir à la fin de cet article) n'apporte pas beaucoup d'éléments nouveaux et ne fera probablement pas changer les lignes. Après Jean-Marc Ayrault la première semaine, Martine Aubry, maire de Lille, depuis sa mairie, s'est exprimée ce 27 juin 2024 pour soutenir les candidats de la nouvelle farce populaire. Cependant, ces socialistes dont je ne doute pas de la sincérité n'ont pas compris qu'en s'alliant avec France insoumise, ils se sont interdit le vaste front républicain qu'ils réclamaient face au RN.


     

     
     


    Je m'arrêterai à ces deux points-là : France insoumise considérée comme l'extrême gauche et le ressentiment contre Emmanuel Macron. Au-delà du fait que FI a donné son investiture entre autres à Philippe Poutou, qui est du NPA, le comportement des insoumis a de quoi s'inquiéter.

    Au cours d'une réunion publique qui avait invité successivement tous les candidats de ma circonscription (cinq sont venus sur les huit), j'étais intéressé par la réponse des deux questions de la salle en rapport avec ces deux sujets, du député sortant Paul Midy, candidat à sa succession.

    La première question était : pourquoi, vous, la majorité présidentielle, considérez que les insoumis sont d'extrême gauche alors que le Conseil d'État ne les considèrent pas comme tels ? Paul Midy a répondu ainsi : le Conseil d'État donne une réponse juridique et pas politique mais lui-même considère en effet que les insoumis sont des extrémistes et des populistes : « Je les qualifie de force extrémiste populiste ». Pour trois raisons.

    La première raison : les dépassements fréquents de nombreuses lignes rouges. Quelques exemples : quand Jean-Luc Mélenchon a parlé de « camper » pour Yaël Braun-Pivet dont le nom est d'origine juive, l'allusion était très claire et volontaire. Idem pour Mathilde Panot qui a parlé de « rescapée » pour la Première Ministre Élisabeth Borne qui a eu de la famille rescapée des camps, c'est pareil, c'était dit intentionnellement, ce n'était pas une maladresse mais dit en conscience. Le soutien à Sainte-Soline avant, pendant et après les manifestations très violentes étaient des soutiens clairs des actes de guerre et des appels à la violence.

    La deuxième raison : Jean-Luc Mélenchon s'appuie sur la remise en cause des institutions par la violence. Notamment dans l'hémicycle. Paul Midy a eu cette formule : « On bosse tous les jours en open space ! » (dans l'hémicycle). Les insoumis sont des gens intelligents, tout cela est conscientisé, voulu. Cette violence n'est pas une manière d'exercer sereinement la démocratie. France insoumise a aussi investi un candidat fiché S. Ce n'est pas une erreur des services de renseignement. Le candidat a été fiché S parce qu'il préside un groupe, Jeune garde, qui serait antifasciste. Mais Paul Midy, qui fut directeur général de LREM, a connu des personnes de son équipe, appartenant aux Jeunes avec Macron, qui ont été tabassés par ce groupe très violent Jeune garde. FI choisit la méthode de la violence.


    La troisième et dernière raison : le programme du NFP est ouvertement populiste. Il n'est pas fait pour être le meilleur programme pour la France, non. Il est simplement fait d'une liste de promesses, juste pour faire plaisir aux électeurs, sans considération de l'intérêt général.

    Pour ma part, je reste encore sidéré que les autres partis de gauche (PS, PCF, EELV) aient accepté, en deux jours, de se lier ainsi tant électoralement que programmatiquement avec un tel parti extrémiste. Ce sera sans doute une grande énigme politique (dans ces élections, il y en a d'autres qui seront aussi analysées encore dans quelques décennies dans les livres de sciences politiques).

     
     


    L'autre question très pertinente posée à Paul Midy, elle l'a été par un ancien électeur d'Emmanuel Macron de 2017 qui semble être déçu (je ne suis pas sûr de son vote actuel) : selon vous, qu'est-ce qui a cloché avec Emmanuel Macron depuis sept ans ? Paul Midy a répondu deux choses : d'abord, ils n'ont pas été crédibles sur la transition écologique, ce qu'il a expliqué par une mauvaise communication (mais c'est peut-être plus que cela), les gens ont eu peur, en ont marre et ils n'ont pas su faire embarquer dans ce grand enjeu la plupart des gens ; ensuite, il pense qu'ils ont raté le sujet de l'immigration. Ils avaient une politique équilibrée et raisonnée sur l'immigration, applicable dans le cadre des valeurs républicaines, et ils n'ont pas été compris ou ils n'ont pas convaincu.

    Sa circonscription a beaucoup bougé politiquement, a souvent alterné, dans le passé, entre un député UMP et un député PS, et en 2022, Paul Midy a conquis la circonscription face au député sortant avec 18 voix seulement d'écart (sur 68 469 inscrits !). Comme il s'est pas mal démené pour l'innovation, la recherche et le financement des jeunes entreprises (jusqu'à créer 50 000 emplois), partisan du plein emploi qui changera fondamentalement les rapports entre les employeurs et les employés, et apportera des ressources supplémentaires pour l'école, la santé, l'armée, etc., il pourrait croire que les électeurs lui en seraient reconnaissants. Toutefois, les élections législatives suivent souvent des lois politiques particulièrement déchirantes pour les hommes et les femmes en quête de réélection, en particulier lui qui assume totalement son soutien à Emmanuel Macron dont la photographie est sur ses documents de campagne (au contraire d'autres collègues), aux côtés de Gabriel Attal et de son prédécesseur Édouard Philippe.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (27 juin 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    Paul Midy.
    Législatives 2024 (12) : un isoloir, ce n'est pas un cabine d'essayage !
    Législatives 2024 (11) : front, rassemblement, union nationale, barrage, consignes de vote...
    Législatives 2024 (10) : il était une fois Jordan Bardella, Gabriel Attal et Manuel Bompard.
    Législatives 2024 (9) : Emmanuel Macron et son n'ayez-pas-peur !
    Interview d'Emmanuel Macron à Génération Do It Yourself le 24 juin 2024 (podcast intégral).
    Lettre aux Français d'Emmanuel Macron le 23 juin 2024 (texte intégral).
    Législatives 2024 (8) : la bataille de Matignon.
    Le programme aux élections législatives du 30 juin 2024 d'Ensemble pour la République (document à télécharger).
    Législatives 2024 (7) : Ensemble pour la République.
    Législatives 2024 (6) : Nicolas Sarkozy et François Fillon bougent encore !
    Législatives 2024 (5) : le trouble de Lionel Jospin.
    Législatives 2024 (4) : l'angoisse de Manuel Valls.
    Législatives 2024 (3) : François Hollande dans l'irresponsabilité totale !
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Sidération institutionnelle.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Résultats des élections européennes du dimanche 9 juin 2024.






    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240627-paul-midy.html

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/06/28/article-sr-20240627-paul-midy.html





     

  • Législatives 2024 (11) : front, rassemblement, union nationale, barrage, consignes de vote...

    « [Ensemble pour la République] propose de continuer les réformes pour le travail, la réindustrialisation, une écologie des résultats, pour investir dans les services publics sans impôts ni dette supplémentaire et de défendre une laïcité assumée et une autorité restaurée depuis l’école jusqu’à la justice. Elle défend des choix clairs sur Israël et Gaza comme sur l’Ukraine et a bâti depuis sept ans une armée plus forte dont nous aurons doublé le budget. Cette troisième voie est la meilleure pour notre pays. Non seulement parce qu'elle protège les Français et prépare l'avenir. Mais parce qu'elle est la seule à pouvoir à coup sûr faire barrage à l'extrême droite comme à l'extrême gauche au second tour. » (Emmanuel Macron, le 24 juin 2024).




     

     
     


    Il ne reste plus que deux jours de cette très étrange campagne des élections législatives. Il faut le rappeler, les électeurs ne se sont pas encore prononcés pour élire leurs députés mais les sondages semblent dire que c'est déjà fait. Si les tendances des différents courants politiques sont assez bien évaluées par les sondages (qui ne s'étaient pas trompés pour les élections européennes, il faut insister sur ce point), les sondages sont incapables de donner des estimations correctes sur la situation des 577 circonscriptions car ces multiples situations dépendent de la configuration des candidatures qui s'offrent aux électeurs (alliance RN-Ciotti, un candidat ciottiste est différent d'un candidat RN, couleur politique du candidat NFP, présence ou absence de candidat Ensemble ou LR, etc.), de la personnalité des candidats (implantation locale, etc.), et surtout, pour les projections en sièges, des décisions des candidats encore en course entre les deux tours (maintien ou désistement, décisions qui, par définition, ne sont pas encore connues).

    Mais les journalistes dans leur grande majorité et aussi certains responsables politiques font comme si les élections avaient déjà eu lieu. Le premier politique à considérer l'élection acquise, c'est bien sûr le président du RN, Jordan Bardella, et il a bien raison puisque cela a bien marché pour lui : avec son bluff, il avait réclamé la dissolution s'il arrivait nettement en tête aux élections européennes et le Président Emmanuel Macron lui a offert la dissolution sur un plateau d'argent. Depuis le 9 juin 2024, il ne cesse pas d'y aller au bluff en disant qu'il sera le prochain Premier Ministre et que c'est acquis. Le pire, c'est que le petit monde médiatico-politique a tendance à penser de même, plus par commodité intellectuelle et manque d'imagination que par adhésion farouche et ferme au gendre du clan Le Pen.

    Alors, évidemment, l'idéologie ou la tradition politique des uns ou des autres y sont pour quelque chose. Beaucoup de journalistes sont de gauche et s'inquiètent légitimement du risque de l'arrivée au pouvoir du RN. Mais considérant, comme dans les sondages, que les candidats de la majorité présidentielle seraient hors jeu (ce qui est faux, les sondages montrent trois blocs et pas un qui s'est effondré, ceux qui se sont effondrés, ce sont d'abord les candidats LR canal historique, c'est-à-dire anti-ciottistes), et ils ont montré un soulagement à peine dissimulé à l'accord complètement dément de la nouvelle farce populaire (NFP) où les socialistes, les écologistes et les communistes, pour quelques plats de lentilles (et circonscriptions !), se sont déculottés idéologiquement devant les insoumis, Jean-Luc Mélenchon et Manuel Bompard.

    Résultat, comme toujours, les journalistes vont plus vite que la musique et demandent depuis deux semaines aux candidats Ensemble pour la République ce qu'ils feraient entre un candidat RN et un candidat NFP. Il faut bien comprendre que cette question en elle-même est idéologisée puisqu'elle exclut la possibilité que le candidat Ensemble soit présent et puisse même gagner au second tour. Pourtant, dans leurs projections incertaines, les sondages attribuent malgré tout une petite centaine de circonscriptions à la majorité présidentielle (qui, je le rappelle, resterait majorité présidentielle même si elle perdait ces élections législatives puisqu'une majorité des Français a choisi Emmanuel Macron en 2022 comme Président de la République pour cinq ans).

    Il y a bien sûr les autres que ceux de la majorité présidentielle qui y répondent. Parfois parce qu'ils ne sont pas politiques, comme Bernard-Henri Lévy qui, le 26 juin 2024 sur BFMTV, a déclaré qu'il ne choisirait pas si le choix était entre un candidat RN et un candidat insoumis. Le même jour sur la même chaîne, un autre philosophe, académicien lui, Alain Finkielkraut (qui va fêter son 75e anniversaire au cours du premier tour) a la même position et a annoncé du coup son vote pour un candidat de la majorité présidentielle.

    En fait, beaucoup, même issus de la gauche, ont cette démarche de refuser tous les extrêmes, l'extrême droite, bien sûr, et aussi l'extrême gauche. Et je veux souligner un fait important : l'extrême gauche n'est pas seulement France insoumise, c'est tout le NFP car cette alliance est une alliance bancale et quoi que disent les responsables du PS, du PCF, d'EELV, au soir du 7 juillet 2024, il y aura une majorité d'élus insoumis au sein du NFP. Pas étonnant : Jean-Luc Mélenchon et ses sbires se sont réservés les circonscriptions les plus gagnables, sur une analyse des élections européennes. Et l'éviction, dans les investitures, de candidats insoumis dissidents (parler de dissidents est significatif d'un régime qui tend à l'autoritaire), comme celle de Raquel Garrido et Alexis Corbière (qui en deviendraient presque sympathiques !), montre à l'évidence que Jean-Luc Mélenchon veut avoir le contrôle absolu du futur Premier Ministre si le NFP venait à gagner (pour le malheur de la France).


    Il faut d'ailleurs bien dire les choses : certains candidats socialistes, écologistes ou communistes sont bien ennuyés de s'être ligoté les mains avec la corde des insoumis car, par leur inconséquence, ils s'empêchent de former un réel front républicain allant jusqu'au centre droit voire la droite contre la possible arrivée au pouvoir du RN. Pour la majorité présidentielle, la situation est de toute façon simple : aucun extrême ! Vouloir combattre l'extrême droite en soutenant les insoumis serait paradoxal puisque cela irait à l'encontre les valeurs républicaines qui l'ont fait s'opposer à l'extrême droite.

    La difficulté, c'est d'imager un plan B après le second tour, la formation d'une grande coalition qui irait de la droite à la gauche, excluant les insoumis, mais comment combattre le NFP et essayer d'en récupérer quelques composantes ? C'est pourquoi ces alliés aux insoumis non seulement se sont mis eux-mêmes dans le pétrin mais vont plonger la France dans une aventure politique et institutionnelle durable.

    Une fois évoqué cela, beaucoup de responsables politiques et de journalistes (tous de gauche) disent que de toute façon, le NFP ne pourrait pas gagner la majorité absolue, donc ne serait pas au pouvoir, et donc, son programme démentiel ne serait pas appliqué. Et en profitent pour cyniquement dire : préférez donc un candidat même insoumis à un candidat RN, ça ferait toujours un siège de moins pour le RN et ça n'impacterait pas sur l'avenir de la France. Même Dominique Strauss-Kahn est tombé dans ce piège dans une interview le 25 juin 2024 à "Challenges" par une sorte de pari renouvelé de Pascal. J'imagine que de la pensée et de la philosophie (de chambre d'hôtel) de DSK, la plupart des électeurs, même sociaux-démocrates, s'en moquent, mais c'est utile de signaler l'arnaque intellectuelle, car la seule voie pour éviter le bloc d'extrême droite et le bloc des insoumis, c'est de voter pour le bloc central, il n'y a pas d'autre voie.

    En fait, la haine contre Emmanuel Macron est parfois plus forte, dans cette gauche modérée, ou les arrière-pensées de boutiquier (augmenter le nombre de sièges) plus fortes, que l'esprit de responsabilité et l'intérêt national. Cela fait peur ! Et la mauvaise foi est à tous les étages.

     

     
     


    Refusant de répondre à l'ultimatum un peu surréaliste de Marine Tondelier, la porte-parole d'EELV, sur la position de la majorité présidentielle entre le RN et le NFP, le président du MoDem François Bayrou, invité de France 5 le 26 juin 2024, a déclaré qu'il ne fallait pas parler de second tour alors que le premier tour n'a pas encore eu lieu. Et a rappelé que de toute façon, il ne pouvait se satisfaire d'un choix exclusivement entre le RN et FI. C'est pour cela qu'il a appelé les modérés à rejoindre les candidats de la majorité, seuls susceptibles d'éviter les extrêmes et de permettre à la France de continuer à progresser dans son économie et sa transition écologique. Ceux qui répondent à cette question lancée à gauche se placent déjà en état de défaite, et dans ce cas-là, ce n'est même plus la peine d'être candidat ! Il ne faut donc pas tomber dans ce piège.

    J'aime beaucoup François Bayrou et j'ai souvent voté pour lui (et étais membre du CDS et de l'UDF), mais je ne suis pas du tout d'accord avec lui sur le scrutin proportionnel car il a dit, sans avoir de contradiction sur le plateau, qu'il en avait marre d'avoir raison avant tout le monde en disant que le scrutin proportionnel empêchait les extrêmes, ce qui est pourtant complètement faux (c'est d'ailleurs la proportionnelle en 1986 qui a fait élire les premières dizaines de députés FN). Le problème de cette analyse, c'est que cela fait fi de la volonté des électeurs : quel que soit le mode de scrutin, la volonté des électeurs sera de toute façon servie et déclinée en majorité. François Bayrou se trompe en confondant le contenant avec le contenu. Le scrutin majoritaire a la grande qualité de permettre (la plupart du temps) de dégager des majorités pour gouverner et on a vu entre 2022 et 2024 comme c'est difficile quand il n'y en a pas (la proportionnelle empêchera la plupart du temps de dégager des majorités absolues). Je publierai un article sur ce sujet spécifique comme j'en avais l'intention, mais après ces élections législatives.

    Ce qui est fort de café, c'est de considérer que l'extrémisme mélenchonesque serait moins grave pour le pays que l'extrémisme du RN. Mais comme beaucoup de responsables de la majorité, je considère que la France ne s'en remettrait pas plus avec Jean-Luc Mélenchon ou son clone Manuel Bompard. Il faut aussi rejeter l'idée que le programme du NFP ne sert à rien, ce qui est d'un cynisme sans limite. Ceux qui ont signé pour un programme aussi irresponsable et inconséquent, mettant les finances publiques dans un état de faillite complète (200 à 300 milliards d'euros de déficit supplémentaire !) doivent assumer politiquement mais aussi électoralement leur signature. Je pense notamment à Olivier Faure mais aussi à François Hollande.

    Enfin, l'argument d'avoir voté Emmanuel Macron au second tour en 2022 et en 2017 a bon dos pour faire voter aux législatives pour Jean-Luc Mélenchon : les observateurs de la vie politique qui n'ont pas la mémoire d'un poisson rouge se rappelleront que Jean-Luc Mélenchon avait obstinément refusé de choisir entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron tant en 2017 qu'en 2022, alors qu'en 2002, je n'ai pas oublié qu'il avait été parmi les premiers à appeler à voter pour Jacques Chirac pour faire barrage à Jean-Marie Le Pen. Il faut dire aussi qu'une large partie de son électorat allait de toute façon voter pour Marine Le Pen qui était, par ailleurs, une amie à Strasbourg lorsqu'ils étaient tous les deux députés européens. C'est donc très culotté de vouloir faire aujourd'hui à la majorité présidentielle des leçons de morale sur la manière de considérer ce qui est l'intérêt national ou pas.

    Il y a aussi les mots de vocabulaire. On parle de consignes de vote, mais on sait très bien que les électeurs se moquent des consignes de vote, ils sont adultes (et vaccinés) et n'ont besoin de personne pour faire leur choix. Il y a en revanche les consignes données aux candidats qui restent au second tour et la question de s'effacer ou de se maintenir pour éviter l'élection d'un candidat RN ou FI (et le candidat respectera-t-il les consignes nationales ?). On parle de front, il est national, populaire ou républicain mais il ne veut plus rien dire, comme l'expression faire barrage, mais faire barrage à qui ? Il y a ceux qui veulent faire barrage au RN, d'autres à Jean-Luc Mélenchon, d'autres encore à Emmanuel Macron, et ces trois barrages s'auto-compensent dans la tragédie électorale que nous vivons. Enfin, il y a deux expressions, le rassemblement et l'union nationale, toutes les deux préemptées par Jordan Bardella qui appelle à un gouvernement d'union nationale, comprendre d'union entre le Rassemblement nationale et LR canal Ciotti. Tous ces mots de vocabulaire sont dépassés, abusés, fatigués, épuisés et c'est bien pour cela que faire de la politique est compliqué, car les mots ont souvent trompé, trahi les électeurs et ont désormais des connotations négatives.

    Enfin, je termine sur la majorité sortante. Aller plus vite que la musique, c'est aussi penser à 2027 et à la prochaine élection présidentielle, et certains responsables de la majorité sont particulièrement décevants à ce sujet. Car 2027 est très loin, à des siècles de ce qui va se passer dans quelques jours. Vouloir se placer, se positionner pour 2027, c'est simplement oublier les Français et la France.

    Si la déclaration de Gérald Darmanin d'annoncer que s'il était réélu député, il resterait à l'Assemblée Nationale et quitterait le gouvernement pourrait sembler normale avant l'élection (dire à ses électeurs qu'il s'occupera d'eux), en revanche, les déclarations ambiguës de l'ancien Premier Ministre Édouard Philippe (il a dit le 20 juin 2024 sur LCI : « C'est le Président de la République qui a tué la majorité présidentielle, il a décidé de la dissoudre. ») et du Ministre de l'Économie et des Finances Bruno Le Maire (ce dernier a dit le 20 juin 2024 sur TV5 Monde : « Vous savez, les parquets des ministères et des palais de la République sont pleins de cloportes. Il y a toujours eu des cloportes, ça fait partie de la vie politique française, ils sont dans les parquets, dans les rainures des parquets, c'est très difficile de s'en débarrasser. Le mieux, c'est de ne pas les écouter et de rester à sa place, qu'on soit Président de la République, Premier Ministre, ministre, et prendre ses décisions en conscience. ») ne montrent que de l'amertume voire de l'acidité inutile et inefficace en période de campagne. En revanche, Gabriel Attal a su tourner la page et s'attaquer à la campagne en la menant avec dynamisme et enthousiasme, et François Bayrou a rappelé il y a quelques jours que le temps de l'analyse ne peut venir qu'après les élections, pour l'instant, il faut faire campagne et les Français les attendent aussi.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (26 juin 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    Législatives 2024 (11) : front, rassemblement, union nationale, barrage, consignes de vote...
    Législatives 2024 (10) : il était une fois Jordan Bardella, Gabriel Attal et Manuel Bompard.
    Législatives 2024 (9) : Emmanuel Macron et son n'ayez-pas-peur !
    Interview d'Emmanuel Macron à Génération Do It Yourself le 24 juin 2024 (podcast intégral).
    Lettre aux Français d'Emmanuel Macron le 23 juin 2024 (texte intégral).
    Législatives 2024 (8) : la bataille de Matignon.
    Le programme aux élections législatives du 30 juin 2024 d'Ensemble pour la République (document à télécharger).
    Législatives 2024 (7) : Ensemble pour la République.
    Législatives 2024 (6) : Nicolas Sarkozy et François Fillon bougent encore !
    Législatives 2024 (5) : le trouble de Lionel Jospin.
    Législatives 2024 (4) : l'angoisse de Manuel Valls.
    Législatives 2024 (3) : François Hollande dans l'irresponsabilité totale !
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Sidération institutionnelle.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Résultats des élections européennes du dimanche 9 juin 2024.

     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240626-legislatives.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/legislatives-2024-11-front-255462

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/06/27/article-sr-20240626-legislatives.html





     

  • Législatives 2024 (10) : il était une fois Jordan Bardella, Gabriel Attal et Manuel Bompard

    « Je propose (…) une règle d'or : pas d'augmentation d'impôts pour les Français. C'est clair, c'est dit, je le signe, il n'y aura pas, si les candidats Ensemble pour la République forment une majorité, d'augmentation des impôts des Français. Je rappelle que ces dernières années (…), on a supprimé la taxe d'habitation, compensée aux collectivités locales, supprimé la redevance audiovisuelle que payaient les Français auparavant, vous avez tous les deux voter contre à l'époque, en tout cas, vos partis, aucun de vous ne propose de rétablir ces taxes, ce qui montre que finalement, on ne devait pas avoir totalement tort de les supprimer même si à l'époque, vous vous êtes opposés à cette suppression. On continuera à ne pas augmenter les impôts des Français. » (Gabriel Attal, le 25 juin 2024 sur TF1).



     

     
     


    Probablement que le sommet de la très courte campagne de ces élections législatives anticipées a eu lieu ce mardi 25 juin 2024 dans la soirée sur TF1, avec le débat entre trois ténors des protagonistes : Jordan Bardella (28 ans) pour le RN, Gabriel Attal (35 ans) pour la majorité présidentielle et Manuel Bompard (38 ans) pour la nouvelle farce populaire (NFP).

    La première réflexion que je me suis faite à ce débat, certes anecdotique, c'est que tous les trois portaient une cravate. Si c'était très ordinaire pour les deux premiers, il me semble bien que je n'avais jamais vu Manuel Bompard avec une cravate. Ce n'est pas si anecdotique que cela, en fait, car si le gourou suprême des insoumis est généralement (pas toujours) très bien habillé et cravaté, le groupe des insoumis avait obtenu le 19 juillet 2017 du bureau de l'Assemblée Nationale que le port de la cravate ne soit plus obligatoire. Et même qu'il n'avait jamais été obligatoire.

    Soudain, je me suis dit alors, en forme de cauchemar, même si je ne suis pas contre la cravate a priori : diable, avec le RN au pouvoir, le port de la cravate deviendrait-il obligatoire dans les espaces publics ? Déjà qu'il voudrait imposer le port de l'uniforme aux gosses, une idée assez stupide par ailleurs ne venant pas du RN mais de François Fillon et reprise par Emmanuel Macron et Gabriel Attal lui-même.

    Le RN a bien compris que la cravate était une marque de respect à ses interlocuteurs. Évidemment, non, le port de la cravate n'est pas obligatoire, et ne le sera pas, mais d'un côté, Jordan Bardella a justement suivi à la lettre la consigne que Marine Le Pen avait imposée à ses 88 députés élus en juin 2022 : porter la cravate en guise de respectabilité, et comme Jordan Bardella porte beau, ça le fait, on le croit, l'acteur est conforme au miroir ; d'un d'autre côté, quoi de plus naturel que le Premier Ministre porte la cravate.

    Et Manuel Bompard, alors ? Il suffisait d'attendre quelques minutes pour voir fuser le tweet de Jean-Luc Mélenchon : « Ce soir, Manuel Bompard a démontré une force, un niveau de connaissance et une sensibilité humaine que les autres n'ont pas égalé [sic : en principe, on accord le participe passé, alors soyons vieux jeu, donc égalés]. Ce débat entre futurs Premiers Ministres montre qu'il est mieux qu'au niveau. ». Et là, tout s'éclaire : Jean-Luc Mélenchon va proposer que Manuel Bompard soit le Premier Ministre du NFP ! C'est vrai qu'il a été bon dans ce débat, ne coupant pas la parole, ce qui lui donnait presque des airs sympathiques (ce que je ne doute pas sur le plan personnel).

    Mais il faut aussi regarder derrière lui, qui était présent : que des insoumis, et pas n'importe lesquels, des Louis Boyard etc. Aucun du PS, aucun du PCF, aucun d'EELV. Bref, voici une conception de l'union NFP qui montre bien sa nature : l'hégémonie des insoumis ne serait pas que pesante, mais exclusive. Il n'y en aurait que pour eux. NFP = FI, cette équation est évidente autant qu'en 2022, NUPES = FI. Attention aux électeurs égarés à gauche, qu'ils se rappellent que même non insoumis, un candidat NFP qui gagnerait, ce serait un risque de plus pour que Jean-Luc Mélenchon ou Manuel Bompard soit à Matignon.

     

     
     


    Si derrière Jordan Bardella, il n'y avait que des RN, c'était un peu évident puisque le RN prétend faire la course en tête tout seul, alors que derrière Gabriel Attal, aux côtés de participants de Renaissance, il y avait les autres composantes de la majorité représentées, en particulier le MoDem et Horizons. Cette exclusive représentation des insoumis derrière Manuel Bompard est donc très symptomatique de la manière dont Jean-Luc Mélenchon traite ses alliés-vassaux : comme de la sous-crotte inexistante.

    Je ne reprendrai pas tout le débat (on peut le voir ou revoir à la fin de l'article) mais il est important de prendre quelques mesures proposées par Jordan Bardella, candidat autoproclamé au poste de chef du gouvernement. Depuis quelques semaines, il marche sur des œufs avec cette obsession : être lisse, rester propre sur lui, ne rien faire qui puisse semer le doute tant sur sa capacité à gouverner que sur le caractère positif (et consistant) de son programme.

    Au-delà du fait que ce grand gaillard de 28 ans n'a aucune expérience professionnelle sinon dans les jupes de députés européens FN (collaborateur parlementaire) et des mandats (député européen et conseiller régional d'Île-de-France) qu'il honore peu de sa présence, il a bien du mal à convaincre qu'il serait capable de diriger le gouvernement de la sixième puissance mondiale. Si les Français, même électeurs du RN, travaillaient à la direction des ressources humaines du paquebot France, ils lui diraient : ok, mais d'abord, il va falloir faire tes preuves. Sauf que les Français ne se croient pas dans un vaste espace de recrutement mais dans une sorte de téléréalité où celui qui a les dents les plus blanches l'emporterait sur les autres. Toutefois, tout montre que Jordan Bardella aux-petites-fiches (doctus cum libro, asinus in prato) a de l'appréhension à aller jusqu'au bout.

    Alors, venons-en aux faits et prenons quelques mesures qui sont très claires.

    Par exemple, la retraite. Petite introduction : malgré les nombreuses alternances depuis 1991 (et le livre blanc des retraites à l'époque du Premier Ministre Michel Rocard qui affirmait que les retraites seraient un sujet qui pourrait faire chuter beaucoup de gouvernements dans l'avenir), aucun gouvernement n'est jamais revenu sur les réformes des retraites antérieures tout simplement parce qu'elles étaient nécessaires et leurs prédécesseurs avaient assumé politiquement leur mise en œuvre. Pour les successeurs, c'était "tout-bénef" !

    Que propose Jordan Bardella ? En fait, dans la réalité, la retraite à 66 ans au lieu de la retraite à 64 ans ! Eh oui, il vient de comprendre qu'il y avait deux données au problème : l'âge de la retraite et le nombre d'annuités. Ainsi, voici son raisonnement : « Une progressivité qui va se mettre en œuvre, et qui tournera autour d'un âge pivot de 62 ans et de 42 annuités. Par conséquent, j'ai noté l'exemple que vous avez mentionné, à 24 ans, vous partirez avec 42 années de cotisation, c'est-à-dire, 66 ans ! (…) Quand vous avez commencé à travailler plus tard, il est normal que vous soyez amenés à travailler plus tard. ». À la différence de la retraite actuellement, où l'on peut quand même prendre sa retraite à 64 ans mais avec une pénalité pour le montant dans la pension, avec le RN, c'est devenu impossible. Or, le cas de commencer à travailler à 24 ans est assez ordinaire puisque c'est l'âge classique après des études supérieures. Quant aux carrières longues (commencées à 18 ans), la retraite est déjà à 60 ans dans le dispositif actuel. En clair, Jordan Bardella a inventé l'eau tiède.

    La réaction de Gabriel Attal, tant face à Jordan Bardella qu'à Manuel Bompard qui veut la retraite à 60 ans, c'est de rappeler une évidence : « Notre système de retraite est par répartition, c'est-à-dire que les pensions de nos retraités sont payées par les Français qui travaillent. (…) Vous abaissez l'âge de départ à la retraite, ça veut dire qu'il y aura encore plus de retraités dont il faudra financer la pension et moins de personnes qui travaillent, et donc, ça veut dire qu'il faudra diminuer les pensions de retraite. Et ensuite, c'est les actifs eux-mêmes, ce que vous proposez, c'est une immense usine à décote, et ce que vous proposez, c'est une réforme qui coûte soit 43 milliards d'euros, même si maintenant, j'ai un doute car ce n'est pas clair ce que vous avez dit [adressé à Jordan Bardella] (…), soit une centaine de milliards d'euros pour vous (…) qui nécessairement se financera par une baisse de pension des retraités ou par une augmentation des cotisations des actifs. ». Ainsi, augmentation des cotisations assumée pour le NFP, masquée pour le RN. De plus, Gabriel Attal a pointé les contradictions dans les deux camps : le RN est en alliance avec Éric Ciotti partisan des retraites à 65 ans ! Tandis que le NFP a investi Aurélien Rousseau, ancien Ministre de la Santé qui a mis en place la dernière réforme des retraites du gouvernement, ainsi que François Hollande qui avait déjà mis progressivement en place les 43 ans d'annuités avec la réforme Touraine (et pas 40 ans comme le propose Manuel Bompard).

     

     
     


    Une autre mesure, c'est l'exonération de l'impôt sur le revenu pour les contribuables de moins de 30 ans. Là encore, c'est une mesure très démagogique d'une grave injustice. Indépendamment du fait que Jordan Bardella gagne bien sa vie à moins de 30 ans avec ses indemnités de parlementaire européen et de conseiller régional (ces indemnités sont versées après impôt, donc il n'y a pas grand-chose à dire là-dessus), cela signifierait que des personnes de moins de 30 ans qui gagneraient bien leur vie, des sportifs de haut niveau (comme Kylian Mbappé), des acteurs, des chanteurs, des stars ou même de patrons de start-up (comme l'équivalent d'un créateur de Facebook) seraient exonérés d'impôts alors qu'ils gagneraient des millions ?

    Le programme du RN, c'est des mauvaises réponses aux problèmes des Français. Les mauvais leviers. Ce n'est évidemment pas l'âge qui doit dire si on peut payer des impôts ou pas, mais le niveau des rémunérations, bien sûr. Comme à tout âge.


    Mauvais paramètre, c'est aussi le cas, et je pense que pour le coup, c'est très grave pour la popularité de Jordan Bardella, une sortie de route, c'est son blabla contre les personnes ayant la double nationalité. Il a dit que dans les emplois dits sensibles (à définir), ceux qui ont une double nationalité seraient exclus.


    Comme il ne voulait pas interdire carrément la double nationalité, la proposition qu'il a faite visait donc à évoquer toujours la double nationalité, mais de manière soft, c'est-à-dire sans beaucoup de conséquence. Mais là, c'est carrément stupide. Exemple : si une personne française est d'origine russe, c'est normal qu'elle ait également la nationalité russe. En quoi serait-elle inapte à occuper un emploi dit sensible dans la vie diplomatique voire militaire ?

    C'est toute la conception du RN que de mettre des étiquettes... dès la naissance, car il s'agit bien de cela. C'est une autre manière de dire qu'on est raciste : catégoriser dès la naissance. Pourtant, telle personnalité à la double nationalité franco-russe pourrait être, au contraire, un diplomate essentiel pour imposer à la Russie nos conditions. Ce n'est pas la nationalité ou la binationalité qui fait une personne sûre ou pas sûre dans un emploi sensible. Les critères sont bien plus contraignants, il y a une enquête de moralité, on regarde même du côté des parents, des conjoints, des enfants, pour éviter tout risque de trahison volontaire ou involontaire. Réduire à la binationalité montre une bien piètre idée de la complexité du monde.

    Mais cela montre aussi deux choses essentielles : la division du peuple français. Le RN ne considère pas qu'une personne qui a la binationalité dont française est une personne de nationalité française en tant que telle et dans sa plénitude des droits et devoirs. Pourtant, c'est le cas, il n'y a qu'une seule catégorie de citoyens français, pas plusieurs. Cette séparation du peuple français est très grave, philosophiquement autant que constitutionnellement. De plus, la binationalité est un sujet très sensible chez les Français, au même titre que le choix du prénom à ses enfants (erreur du candidat Éric Zemmour de vouloir régenter le choix des prénoms des citoyens français). En effet, la binationalité n'est pas seulement un fait provenant de personne immigrée (nationalité du pays de provenance et nationalité du pays de destination), mais plus encore le résultat de parents qui n'ont pas la même nationalité. Toucher à la binationalité, c'est simplement vouloir s'occuper de l'intimité des histoires familiales, et tout le monde serait touché, d'une manière ou d'une autre !
     

     
     


    Ces trois mesures professées par Jordan Bardella montrent d'une part une méconnaissance de la société française, de son mode de fonctionnement, de sa complexité, mais aussi d'autre part une incompétence pour s'emparer des vrais enjeux qui nous attendent, en particulier la transition écologique et le plein emploi, et sur ces deux sujets, à l'évidence, le gouvernement actuel de Gabriel Attal prépare mieux l'avenir de la France que les deux autres contradicteurs qui n'ont aucun sens des responsabilités budgétaires.


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    Sylvain Rakotoarison (25 juin 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    Législatives 2024 (10) : il était une fois Jordan Bardella, Gabriel Attal et Manuel Bompard.
    Législatives 2024 (9) : Emmanuel Macron et son n'ayez-pas-peur !
    Interview d'Emmanuel Macron à Génération Do It Yourself le 24 juin 2024 (podcast intégral).
    Lettre aux Français d'Emmanuel Macron le 23 juin 2024 (texte intégral).
    Législatives 2024 (8) : la bataille de Matignon.
    Le programme aux élections législatives du 30 juin 2024 d'Ensemble pour la République (document à télécharger).
    Législatives 2024 (7) : Ensemble pour la République.
    Législatives 2024 (6) : Nicolas Sarkozy et François Fillon bougent encore !
    Législatives 2024 (5) : le trouble de Lionel Jospin.
    Législatives 2024 (4) : l'angoisse de Manuel Valls.
    Législatives 2024 (3) : François Hollande dans l'irresponsabilité totale !
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Sidération institutionnelle.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Résultats des élections européennes du dimanche 9 juin 2024.








    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240625-legislatives.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/legislatives-2024-10-il-etait-une-255436

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/06/25/article-sr-20240625-legislatives.html




     

  • Législatives 2024 (9) : Emmanuel Macron et son n'ayez-pas-peur !

    « L’élection qui vient est un rendez-vous de confiance, grave, sérieux, à l’occasion duquel nous devons clarifier le choix pour notre pays et pour nos vies. Car cette élection n’est pas l’élection d’une femme ou d’un homme, ce n’est ni une élection présidentielle, ni un vote de confiance envers le Président de la République. C’est celle de 577 députés. C’est celle d’une majorité de gouvernement. C’est celle d’une seule question : qui pour gouverner la France ? » (Emmanuel Macron, le 23 juin 2024).




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    Avec la lettre qu'il a adressé aux Français ce dimanche 23 juin 2024, le Président de la République Emmanuel Macron a repris la méthode de François Mitterrand le 7 avril 1988 pour sa campagne présidentielle, imité par Nicolas Sarkozy le 5 avril 2012 pour sa campagne présidentielle ; il avait déjà adressé deux lettres aux Français, une le 13 janvier 2019 pour annoncer le grand débat, et une autre le 3 mars 2022 pour sa campagne présidentielle. Mais c'est sans doute De Gaulle qui a été le modèle de sa communication politique du moment en disant en quelque sorte : moi ou le chaos.

    Dans cette lettre, Emmanuel Macron a justifié sa décision de dissolution par le besoin de renouveler l'Assemblée Nationale : « Le désordre des derniers mois ne pouvaient plus durer. Les oppositions s’apprêtaient à renverser le gouvernement à l’automne, ce qui aurait plongé notre pays dans une crise au moment même du budget. ». L'autre raison, c'est la débâcle électorale de la majorité aux élections européennes du 9 juin 2024 : « J’aurais pu ne pas en tenir compte. C’était, croyez-moi, la solution du confort à laquelle je n'ai pas cédé. J’aurais pu changer de Premier Ministre et de gouvernement et tirer là les leçons d’une élection où le chef du gouvernement à ma demande s’était engagé. Nombre de mes prédécesseurs ont fait ainsi. C’eut été facile pour moi. Mais cela ne réglait aucun problème. ».

    Le Président a bien sûr entendu l'inquiétude de ses propres partisans : « Je sais que, pour beaucoup d’entre vous, cela a été une surprise qui suscite de l’inquiétude, du rejet, parfois même une colère tournée contre moi. Je la comprends et je l’entends. (…) Vous demander de choisir, vous faire confiance, n’est-ce pas là le sens-même de la démocratie et de notre République ? ». Également sur le fond : « Je ne suis pas aveugle : je mesure le malaise démocratique. Cette fracture entre le peuple et ceux qui dirigent le pays que nous n’avons pas réussi à résorber. Oui, la manière de gouverner doit changer profondément. Le gouvernement à venir, qui reflétera nécessairement votre vote, rassemblera, je le souhaite, les républicains de sensibilités diverses qui auront su par leur courage s'opposer aux extrêmes. ».

    Car Emmanuel Macron a fait de ces élections un choix entre trois pôles, dont deux extrémismes. L'extrême droite autour du RN : « Elle divise la Nation en opposant ceux qu’elle nomme de vrais Français et des Français de papier. Elle ignore le changement climatique et ses conséquences. Elle prétend vous rendre du pouvoir d’achat mais en revenant sur les réformes des retraites ou en faisant des promesses sur le prix de l’énergie, elle augmentera vos impôts. ». France insoumise : « Elle refuse la clarté sur la laïcité et l’antisémitisme. Elle est divisée sur la réponse à apporter au changement climatique. Elle prétend répondre aux injustices de notre société par une augmentation massive des impôts pour tous, et pas seulement pour les plus riches. ».

    Et enfin, Ensemble pour la République : « Elle est portée par un Premier Ministre et des responsables politiques que vous connaissez, et propose de continuer les réformes pour le travail, la réindustrialisation, une écologie des résultats, pour investir dans les services publics sans impôts ni dette supplémentaire et de défendre une laïcité assumée et une autorité restaurée depuis l’école jusqu’à la justice. Elle défend des choix clairs sur Israël et Gaza comme sur l’Ukraine et a bâti depuis sept ans une armée plus forte dont nous aurons doublé le budget. Cette troisième voie est la meilleure pour notre pays. Non seulement parce qu'elle protège les Français et prépare l'avenir. Mais parce qu'elle est la seule à pouvoir à coup sûr faire barrage à l'extrême droite comme à l'extrême gauche au second tour. ».

    Si le bilan est, au contraire de ce qui se dit, très flatteur (demandez aux Allemands ce qu'ils pensent de la situation économique de la France), le problème, c'est que le dernier argument, faire barrage aux extrémismes, ne paraît plus crédible lorsque les sondages indiquent que Ensemble serait le pôle le moins fort électoralement des trois.

    Le bilan décrit par le chef de l'État : « Depuis sept ans, beaucoup a été fait : l’attractivité retrouvée, les usines rouvertes, les plus de 2 millions d’emplois créés, les baisses d’impôts, les hausses de salaires notamment pour nos soignants et nos professeurs, l’écologie à la française qui permet de faire baisser les émissions six fois plus vite, le renforcement de nos services publics en Hexagone comme en outre-mer, l’action pour l’égalité entre les femmes et les hommes, l’accompagnement et l'inclusion des personnes en situation de handicap, la protection face aux crises comme le covid, la guerre en Ukraine ou l’inflation. ». Mais une élection n'a jamais été gagnée sur un bilan, même excellent.

    Malgré les sondages, et tablant sur une forte participation, Emmanuel Macron reste un indécrottable optimiste. La conclusion de sa lettre est en effet digne du pape Jean-Paul II : « Cette élection est la nôtre. C’est vous qui la ferez. Alors n’ayez pas peur, ne vous résignez pas. Votez. Choisissez le respect, l’ambition et la justice pour notre Nation. Nous le méritons. La France le mérite. ».

    Le moi-ou-le-chaos, Emmanuel Macron l'a refait aussi dans une autre communication beaucoup moins conventionnelle : le Président de la République a en effet répondu pendant près de deux heures à une interview de Matthieu Stefani sur Génération Do It Yourself dont on pourra écouter le podcast ici. Il ne s'agit pas ici d'évoquer tous les sujets, mais de revenir à l'argument choc qui inspire peur et colère, la montée des extrêmes et le risque d'être gouverné, dans quelques jours, par ceux-ci.

     

     
     


    Beaucoup de députés sortants de la majorité présidentielle, candidats à leur réélection, ont rejeté le terme qu'Emmanuel Macron a employé plusieurs fois dans cette interview, à savoir le risque de « guerre civile », l'expression est très forte et son choix est réfléchi et assumé. Et cette expression s'intègre dans une analyse politique et sociologique plus générale.

    Dans un premier temps, Emmanuel Macron a évoqué l'effet des réseaux sociaux dans le débat politique : « Nos sociétés se polarisent. Beaucoup à cause du fonctionnement du rapport à l'information par rapport à l'opinion publique et aux réseaux. ». Il y voit deux raisons. La première raison : « Avec les réseaux sociaux, l'émotion est plus forte que l'argument. Et l'émotion négative est plus forte que l'émotion positive. (…) Structurellement, vous êtes dans un espace où les extrêmes sont meilleurs parce qu'ils jouent mieux sur les émotions négatives. ». Et la seconde raison : « Les réseaux, la manière de fonctionner des gens qui utilisent les réseaux et tous ces canaux pour s'informer, les enferment de plus en plus dans des bulles cognitives. (…) Dans ces bulles cognitives, c'est celui qui est le plus radical qui tire les autres. Et donc, ça accroît le premier phénomène. ».

    Pour le Président, l'enjeu est donc de refaire de l'information factuelle : « La question, c'est comment vous arrivez à remettre de l'argument, du fait et de l'émotion positive dans tout ça, parce que sinon, c'est les extrêmes qui gagnent, qui vous écrasent. (…) On a besoin de retrouver, dans cet espace, (…) des médiateurs positifs (…) et on a besoin aussi de retrouver des tiers de confiance. (…) Si les gens choisissent sur des émotions plus que sur des informations, alors peut-être qu'ils choisissent le pire. ».

    Dans un deuxième temps, il a évoqué les extrêmes, à droite et à gauche : « Beaucoup de gens qui votent aujourd'hui avec les extrêmes n'ont pas le sentiment d'être aux extrêmes. ». Le RN : « C'est un parti (…) qui a attiré des gens qui sont en colère mais qui ne sont pas du tout des gens qui se vivent aux extrêmes et qui n'ont pas des idées extrêmes. ». Et FI : « C'est une extrême gauche (…) et d'autres s'y associent, qui ne sont pas d'extrême gauche. Mais quand le cœur du programme est défini par cette extrême gauche, qui, dans ses rapports avec l'antisémitisme, assume de ne pas être claire, quand elle ne fait pas pire, qui ont des pratiques antiparlementaristes (…), c'est un extrême. ».

    Face à ces extrêmes, Emmanuel Macron veut promouvoir le bloc central : « Ce qu'il faut clarifier, c'est est-ce que vous êtes dans le champ de la République pour exprimer ces différences (…) ou est-ce que vous voulez, pour gagner, vous associer aux extrêmes, quitte à assumer des incohérences ? ».

    Et au constat d'un véritable fossé communautaire, le Président a répondu : « Si on va au bout de votre raisonnement, le pays explose ou c'est la guerre civile !  Et c'est ça mon grand désaccord avec les deux extrêmes et ceux qui les suivent. (…) La réponse de l'extrême droite, principalement, idéologiquement, c'est (...) : la République ne vous protège pas bien. ». En stigmatisant une catégorie de la population, cela créée du séparatisme : « Ils mettent les Français les uns contre les autres (…). Si la réponse passe par la stigmatisation et par la division, on est foutus. (...) C'est juste de dire : on doit régler le problème de sécurité. Je me fiche de savoir le prénom, la religion de la personne qui a fait ça. C'est juste qu'il faut réapprendre les règles, la partie éducative, réaccompagner les familles, la partie sociale d'investissement, et réprimer de manière beaucoup plus claire et rapide, c'est la partie répressive. Et moi, je pense que c'est hors sujet, la réponse de l'extrême droite, parce qu'elle renvoie les gens ou une religion ou à une origine. Et c'est en cela qu'elle divise et qu'elle pousse à la guerre civile. ».

    De même, le discours d'extrême gauche se nourrit d'un manque de reconnaissance de certains citoyens : « Il y a beaucoup de nos compatriotes qui sont de confession musulmane ou issus de l'immigration, parce que l'un ne va pas avec l'autre (…), qui se disent : je ne suis pas bien défendu, qui ont peur de l'extrême droite, qui disent : la République ne me donne pas bien ma place, et qui vont vers une offre qui est une forme de communautarisme, puisqu'elle n'assume plus du tout le cadre de la laïcité, c'est-à-dire une République neutre et bienveillante pour les religions, et elle les enferme dans un communautarisme, qui est un peu électoral, mais ça, c'est aussi la guerre civile derrière, parce que c'est d'abord renvoyer des gens exclusivement à leur appartenance, ou religieuse ou communautaire, c'est de justifier leur écartement en quelque sorte de la communauté nationale, et c'est la guerre civile avec ceux qui ne partagent pas ces valeurs, et puis, c'est mettre le voile sur des gens qui en même temps fragilisent notre République dans beaucoup de quartiers. (…) Dans la conception aujourd'hui de la France insoumise, il y a ça, et moi, je pense que c'est un danger. ».

    Pour résumer : « Et le Rassemblement national, et la France insoumise, elles répondent à des vrais problèmes, je veux dire, elles répondent à de vraies colères, à de vraies angoisses, celles de la personne qui se dit : on ne répond pas à mon problème de sécurité, celles qui se dit : je ne suis pas reconnu parce que je suis musulman. Mais elle y répond mal à mes yeux parce qu'elle y répond, en quelque sorte, en accroissant la conflictualité et la guerre civile. Moi, je crois qu'il y a une réponse par plus d'efficacité, mais dans la République. ».

    Ainsi, le double thème de campagne d'Emmanuel Macron, c'est d'être plus efficace pour la sécurité et d'être plus à l'écoute de l'égalité des chances, en rappelant avant tout la diversité française mais aussi le creuset républicain :« La France est un fleuve, il y a plein d'affluents, mais c'est un grand fleuve. Il vient de très loin. ».

    Dans un troisième temps, il a répété son opposition aux extrêmes : « Moi, je ne crois pas du tout, et je combattrai de toutes mes forces, les théories de la guerre civile. ». Et a repris la présentation de l'offre électorale de sa lettre aux Français : « Il y a trois offres. Il y a un bloc avec l'extrême gauche et une partie de la gauche. Moi, je pense que ce n'est pas la bonne réponse. Je respecte tous les gens qui votent pour ces personnes, mais je pense que ce n'est pas la bonne réponse et je pense aussi que sur le plan économique, c'est un programme qui est pour le coup dangereux pour le pays, qui nous ferait reculer, parce que c'est un programme d'impôts cachés. Et puis, il y a l'extrême droite et ses associés, le RN. Et pareil, je respecte profondément les gens qui rejoignent ce vote et qui l'ont fait, mais je pense que ce n'est pas la bonne réponse pour le pays, parce qu'elle mène à la guerre civile, et surtout parce que c'est aussi un programme d'appauvrissement, parce que c'est plusieurs milliers d'euros d'impôts cachés chaque jour et l'impossibilité de payer les retraites et de bien payer les salariés. Voilà. Et au milieu, il y a cette troisième offre, qui est Ensemble pour la République, qui, en plus je le crois, a la possibilité d'agréger des gens raisonnables des deux rives qui sont prêts à travailler ensemble. ».

    Ce discours sur les gens raisonnables et ceux qui sont soumis aux émotions, la peur et la colère, est assez bien rodé et très macronien. Il a refusé l'idée qu'il était lui-même créateur du désordre par la dissolution. Au contraire, il veut y mettre fin.

    Car voici sa justification de la dissolution : « Et qu'est-ce qui était en train de se préparer ? Une motion de censure pour faire tomber le gouvernement. C'est ça, la réalité. Ils l'avaient dit. Plusieurs fois, l'extrême gauche qui veut nous faire croire aujourd'hui qu'elle serait le rempart à l'extrême droite, mais l'extrême gauche, elle a voté plusieurs motions de censure de l'extrême droite contre le gouvernement. Elle allait voter celle-ci sur le budget. Et la droite, dite républicaine à l'époque, de monsieur Ciotti, elle nous disait : on va essayer de faire une alliance, mettez-vous d'accord. On l'a fait plein de fois, jamais ! Pourquoi ? Parce qu'il préparait son coup avec le Rassemblement national. Donc, ça allait arriver, dans un chaos complet (…). Il n'y a rien de plus grand et de plus juste dans une démocratie que la confiance dans le peuple. ».

    Refusant de se focaliser sur le thermomètre, et préférant évoquer la température, Emmanuel Macron a déclaré : « Ce ne sera la faute de personne, le soir du deuxième tour, ce sera la responsabilité des Français. ».


    Ses propos peuvent être critiquables et paradoxaux, car d'un côté, il dit qu'il respecte les gens qui votent pour les extrêmes, de l'autre, il dit que les gens ne sont pas fous, ils ne vont quand même pas voter pour les extrêmes. Et si on peut s'étonner qu'il dise "je ne fais pas de pari" (celui de la dissolution), puis qu'il fasse finalement le "pari" de l'intelligence des Français (ce n'est pas le même pari mais ce vocabulaire pollue un peu sa réflexion), son analyse de fond peut cependant se concevoir : « Et moi, ce n'est pas un pari, c'est une confiance. C'est que je dis : les gens ne sont pas des idiots. Tout le système pense que les gens sont idiots. C'est ça, la réalité. (…) Vous pensez que les gens sont fous et veulent ou le blocage ou les extrêmes si on explique calmement quels sont les projets ? Moi, je ne crois pas. J'ai toujours fait ce pari-là : les gens sont intelligents. Les gens, ils ont des coups de colère, et qui sont parfois justes. Ils ont des vies qui sont difficiles. Et est-ce qu'on a tout bien fait ? Non. Et au bout de sept ans, est-ce que les gens n'ont pas envie de vous mettre un coup de pied aux fesses ? Oui. Et qu'est-ce qu'ils ont fait de neuf ? Ça. Mais je leur dis : ok, message reçu ! Maintenant, le 30 juin, quel projet pour gouverner le pays vous voulez ? Quel projet tient la route ou pas ? Et moi, je leur dis : j'ai besoin d'une majorité d'action, j'ai besoin, pour que notre pays avance, que les femmes et les hommes qui croient dans les idées de progrès, de respect, qui ont de l'ambition pour le pays, puissent se mettre d'accord. Et ma responsabilité comme Président, ce sera de choisir à la lumière de ce choix que feront les Français, les personnes pour mener cette politique et m'assurer qu'elle permet au pays d'avancer. Donc, c'est tout sauf le désordre. C'est parce qu'il y avait la chienlit, si je peux m'exprimer ainsi, que je devais dissoudre. Sinon, la colère serait sortie. ».

    Incontestablement, il y a dans ce discours une double ambiguïté. Celle de s'opposer aux extrêmes tout en leur offrant, objectivement, l'occasion de conquérir le pouvoir sur un plateau d'argent, et cela, c'est surtout ses propres partisans qui peuvent ressentir ce paradoxe. Mais aussi celle de la guerre civile. Si le Président de la République veut défendre l'intérêt national et empêcher la guerre civile, qui est un réel risque (les quartiers de banlieue seraient très chauds en cas de victoire du RN), la question légitime est : pourquoi a-t-il donné l'occasion de ce risque de victoire ? Et sa réponse reste : on m'aurait reproché de ne rien avoir écouté du scrutin des élections européennes et la colère se serait exprimée d'une autre manière. Et de toute façon, la majorité relative allait exploser à l'automne avec l'adoption d'une motion de censure. Donc rien de plus beau qu'un retour aux urnes.

    Tout le raisonnement du Président de la République se tient intellectuellement, mais ce n'est pas de la politique. La politique a un besoin d'incarnation très fort et depuis la dissolution, la cote de popularité d'Emmanuel Macron a chuté de 6 points, principalement par ses propres soutiens mis en état de sidération avec la dissolution. Emmanuel Macron a eu l'expérience des bains de foule pendant les commémorations du Débarquement de Normandie qui lui a faussé la lucidité sur sa propre image dans "l'opinion publique". Dans sa majorité, l'histoire tourne plutôt au "sauve-qui-peut" général. Mais peut-être Emmanuel Macron aura-t-il eu raison, contre les sondages, contre ses troupes et contre l'opposition ? Réponse dimanche. Tout ce qu'on peut espérer, c'est qu'il n'aura pas eu raison contre les Français eux-mêmes.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (24 juin 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    Législatives 2024 (9) : Emmanuel Macron et son n'ayez-pas-peur !
    Interview d'Emmanuel Macron à Génération Do It Yourself le 24 juin 2024 (podcast intégral).
    Lettre aux Français d'Emmanuel Macron le 23 juin 2024 (texte intégral).
    Législatives 2024 (8) : la bataille de Matignon.
    Le programme aux élections législatives du 30 juin 2024 d'Ensemble pour la République (document à télécharger).
    Législatives 2024 (7) : Ensemble pour la République.
    Législatives 2024 (6) : Nicolas Sarkozy et François Fillon bougent encore !
    Législatives 2024 (5) : le trouble de Lionel Jospin.
    Législatives 2024 (4) : l'angoisse de Manuel Valls.
    Législatives 2024 (3) : François Hollande dans l'irresponsabilité totale !
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Sidération institutionnelle.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Résultats des élections européennes du dimanche 9 juin 2024.

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    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240624-macron.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/legislatives-2024-9-emmanuel-255404

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/06/24/article-sr-20240624-macron.html




     

  • Législatives 2024 (8) : la bataille de Matignon entre Jean-Luc Mélenchon, Jordan Bardella et Gabriel Attal

    « Elle songea qu'ils se trompaient probablement tous les uns les autres et qu'ils vivaient dans une illusion. » (Marie Vareille, "Ma vie, mon ex et autres calamités", éd. Charleston, 2019).




     

     
     


    L'enjeu qu'a voulu placer le Premier Ministre Gabriel Attal dans ces élections législatives, c'est le choix du Premier Ministre le 8 juillet 2024. C'est aussi l'enjeu de Jordan Bardella, le président du RN, et également, mais de façon un peu plus confus, de la nouvelle farce populaire. Pourtant, je l'ai déjà écrit, la nomination du Premier Ministre est une prérogative exclusive du Président de la République. En d'autres termes, sur le principe, on n'est jamais candidat à Matignon. Ce serait presque un crime de lèse-Président, voire un manière très peu constitutionnelle d'appréhender les institutions.

    Toutefois, dans la pratique, il est bien autrement. On a pu découvrir et se convaincre, avec les trois expériences de la cohabitation (1986-1988, 1993-1995 et 1997-2002), que le pouvoir se trouvait réellement, en pratique, je répète, à Matignon et pas à l'Élysée. Sans pour autant perdre de l'efficacité des institutions de la Cinquième République puisque pendant ces trois périodes de cohabitation, la France a été gouvernée pas moins efficacement que dans les autres périodes.

    Faire un enjeu du choix du Premier Ministre dans une campagne d'élections législatives, c'est le cas en fait quand celles-ci ne suivent pas directement une élection présidentielle, au contraire de juin 1981, juin 1988, juin 2002, juin 2007, juin 2012, juin 2017 et juin 2022. Ces cas sont rares depuis vingt-cinq ans, mais ils étaient auparavant le cas général. Pour les quatre derniers cas, il fut toujours question de la cohabitation : en mars 1978, en mars 1986, en mars 1993 et en juin 1997. Et c'était bien un enjeu personnel (qui serait le Premier Ministre ?) qui était associé à un enjeu politique (quelle politique serait appliquée ?).

    En 1978, les sondages donnaient la gauche gagnante et le Président Valéry Giscard d'Estaing avait mis en garde : il ne pourrait nommer qu'un Premier Ministre de gauche si elle gagnait les élections. Le terrain de campagne s'est donc porté sur le duel entre le Premier Ministre sortant Raymond Barre et le premier secrétaire du PS François Mitterrand. Ce dernier a finalement perdu et a dû attendre 1981 pour arriver au pouvoir par la grande porte de l'Élysée.

    En 1986, les sondages donnaient gagnante l'union UDF-RPR et ils ont eu raison, de justesse. Au-delà de l'alternance politique, le débat est devenu le duel entre le Premier Ministre sortant Laurent Fabius et son probable successeur, président du RPR, Jacques Chirac. À l'époque, d'autres hypothèses de Premier Ministre avaient germé pour la première cohabitation avec Alain Peyrefitte, Jacques Chaban-Delmas, René Monory, Simone Veil (43,0% aux élections européennes de juin 1984) et même Valéry Giscard d'Estaing, mais aucune de celles-là n'était politiquement crédible en raison de l'hégémonie du chiraquisme.

    En 1993, rebelote pour la deuxième cohabitation. Jacques Chirac ayant échoué à l'élection présidentielle de 1988 a préféré se réserver pour l'élection présidentielle de 1995. Édouard Balladur était le candidat désigné bien avant les élections législatives pour devenir ce Premier Ministre de cohabitation, adoubé autant par l'UDF que le RPR. En face lui, il n'avait aucun adversaire, tant la défaite du PS était attendue.

    En 1997, le cas historique le plus proche de 2024 avec la dissolution, le débat politique continuait à donner le clivage traditionnel entre le RPR (au pouvoir) et le PS (le principal parti d'opposition). À la tête du PS, son premier secrétaire Lionel Jospin (premier au premier tour de l'élection présidentielle de 1995), face au Premier Ministre sortant Alain Juppé, a priori candidat à sa succession, si ce n'est qu'après un premier tour désastreux, la majorité a présenté pour Matignon la perspective de la nomination de Philippe Séguin, plus populaire. C'était trop tard et, grâce à de nombreuses triangulaires où le FN a perturbé le jeu entre UDF-RPR et PS, la gauche a gagné et Lionel Jospin est resté au pouvoir pendant cinq ans, jusqu'à la fin du septennat de Jacques Chirac.


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    On conçoit, à ces évocations historiques, que les élections législatives de 2024 qui donnent aussi un enjeu de personnes à Matignon, répondent à la classique envie des Français de personnaliser le débat publique comme il a toujours aimé le faire avec les élections présidentielles depuis 1965. Ces élections législatives, qui sortent des clous de la présidentielle, sont donc, comme dans les quatre cas présentés en introduction, une mini-présidentielle en attendant la grande échéance de 2027... ou avant.

    Les dernières élections qui sont consécutives à une dissolution, en 1997, si la France était majoritairement à droite, elles ont donné un gouvernement de la gauche plurielle pendant cinq ans dans une sorte de bipolarisation troublée par le FN. En 2024, la tripolarisation est réelle, même si elle n'est pas nouvelle puisqu'elle structure la vie politique française depuis 2017 dans le choc de trois (fortes) personnalités Emmanuel Macron, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon qui, en 2017 et en 2022, ont représenté autour d'un cinquième (voire un quart) de l'électorat.

    Avec l'union obtenue à gauche, qui fait de cette coalition hétéroclite du NFP un étrange attelage assez hypocrite voire mensonger (à l'instar de Danièle Obono, aucun membre du NFP n'est capable de dire si le seuil fixé du SMIC dans ce programme est net ou brut, par exemple !), un simple cartel électoral, puisqu'ils ne sont d'accord sur rien, trois "blocs" s'opposent : le RN, le NFP et la majorité présidentielle, Ensemble pour la République. Au-delà des programmes dont ceux des deux extrémismes populistes (de droite et de gauche) sont tellement n'importe-quoi qu'ils ne sont pas crédibles dans leur forme (et les électeurs, apparemment, s'en fichent), le débat s'est aussi déplacé sur le plan personnel entre ces trois personnalités marquantes de la vie politique.


    1. Jean-Luc Mélenchon, le candidat à Matignon du NFP/Nupes

    C'est sans doute la coalition qui est la plus confuse sur le choix du Premier Ministre, preuve qu'elle n'a aucun but de gouverner un jour la France puisqu'ils n'ont ni programme cohérent ni chef. Jean-Luc Mélenchon a été le premier à annoncer son ambition de Matignon, mais on l'a vite fait taire. Comme Emmanuel Macron au centre, Marine Le Pen à l'extrême droite, l'évocation de Jean-Luc Mélenchon est un repoussoir et discrédite son camp.

    Mais son (pseudo-)silence ne signifie pas qu'il a renoncé, car les purges qu'il a provoquées dans les investitures des candidats insoumis le prouvent (Raquel Garrido, Alexis Corbière, Danièle Simonnet, etc.), ainsi que les investitures attribuées sur le bout des lèvres en se bouchant son nez (Clémentine Autain, François Ruffin, etc.), et même celles qui, finalement, ont échoué parce que c'était (vraiment) "trop" mélenchonesque (Adrien Quatennens). Sans compter l'investiture de Philippe Poutou, du NPA, avec ses slogans anti-force de l'ordre, dans la circonscription même où le colonel Beltrame a donné la vie.

    Ainsi, comme à la foire au slip, tout le monde, à la Nupes, était candidat à Matignon : Laurent Berger, Valérie Rabault, Carole Delga, François Ruffin, Clémentine Autain, Fabien Roussel, Olivier Faure, François Hollande (ou alors il veut le perchoir ?), et j'en oublie certainement (qu'ils me pardonnent !), mais finalement, cette multiplicité fait bien le jeu de Jean-Luc Mélenchon dont la candidature, quoi qu'on en dise, est évidente car il n'a, en interne, personne face à lui, et Gabriel Attal l'a bien observé le 20 juin 2024 : « Dissimulation sur le programme dont chacun conteste le chiffrage et dissimulation en maintenant un écran de fumée sur l'identité du locataire de Matignon en cas de victoire de la Nupes. Ils semblent ne pas s'entendre sur un nom, en tout cas, faire mine de ne pas s'entendre sur un nom, et pourtant, le résultat est couru d'avance : ils l'ont dit eux-mêmes, le plus grand groupe de la Nupes choisira le Premier Ministre. Le groupe qui a le plus de candidats et le plus sortants, c'est la France insoumise. C'est elle qui a d'ores et déjà imposé son programme aux autres partis de gauche,et donc, en cas de victoire de la Nupes, le Premier Ministre, ce serait nécessairement Jean-Luc Mélenchon. ».

    Car c'est la différence avec 1936 et 1981, puisque ces références historiques sont utilisées par les protagonistes : en 1936, les radicaux dominaient le Front populaire et le PCF était très minoritaire au sein de l'alliance, et en 1981, la gauche a pu venir au pouvoir justement parce que le PS avait pris l'ascendant sur le PCF. En 2024, au contraire, les insoumis restent très majoritaires au sein de la Nupes.


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    Du reste, Jean-Luc Mélenchon, qui avait fait sa campagne aux élections législatives de 2022 sur le thème "moi Premier Ministre", est « bien évidemment » prêt à Matignon. Le samedi 22 juin 2024 sur France 5, le gourou des insoumis l'a confirmé pour ceux qui auraient mal compris : « J'ai l'intention de gouverner le pays (…). Je ne suis pas en retrait (…). Je ne m'élimine pas ! », même si, selon lui, il ne voudrait pas « s'imposer » ! Au moins, ça a le mérite de la clarté.

    La question lorsqu'on veut voter NFP est donc bien celle-ci, et seulement celle-ci : veut-on avoir Jean-Luc Mélenchon à Matignon ? Veut-on un "je-suis-la-République" au pouvoir avec une conception très castriste et bolivarienne de la démocratie (dont les purges aux investitures ont donné un avant-goût), avec le communautarisme élevé au rang de valeur suprême, en encourageant le stupide wokisme, en scandant le slogan scandaleux "la police tue", et, même, en flirtant plus ou moins habilement avec l'antisémitisme ? Les sociaux-démocrates, les électeurs trahis de Raphaël Glucksmann en 2024, et même ceux de Fabien Roussel en 2022, devraient réfléchir à deux fois avant de se ligoter l'esprit sur l'autel des valeurs républicaines.



    2. Jordan Bardella, le candidat à Matignon du RN

    Le cas de Jordan Bardella est très différent de Jean-Luc Mélenchon. Loin d'être un repoussoir, c'est une personnalité (étrangement) attractive. Il faut le reconnaître, il est populaire et ce jeune homme très lisse est loin d'être un repoussoir pour les électeurs susceptibles de voter pour le RN. Le diable ne se présente jamais dans un apparat affreux, sinon, ce serait trop facile. Marine Le Pen a commencé à "l'utiliser" (j'emploie ce verbe à dessein) en 2019 (il avait 23 ans) pour concurrencer sa jeune nièce Marion Maréchal (mais moins jeune que le "gendre Jordan" qu'il était dans la famille Le Pen, compagnon d'une autre nièce de Marine Le Pen).


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    La question n'est pas encore là, mais si jamais Jordan Bardella accédait à Matignon, la question se poserait véritablement d'une rivalité de fait entre lui et Marine Le Pen, à l'instar du couple formé en 1993 par Édouard Balladur et Jacques Chirac. J'espère qu'on n'en sera pas là, mais connaissant les institutions de la Cinquième République, je me pose vraiment la question de l'intérêt de Marine Le Pen qui a tout à y perdre : soit l'expérience Bardella est un échec et alors, il rejaillira sur le RN et sur elle à l'élection présidentielle, soit au contraire, c'est un succès et la candidature de Jordan Bardella à l'élection présidentielle s'imposera naturellement au clan Le Pen.

    On reste étonné par l'efficacité d'une campagne de communication qui laisse croire que cet individu à peine fini, à 28 ans, sans diplôme universitaire (il n'a pas fini ses études, a-t-il achevé au moins quelque chose ?), sans qu'il n'ait d'autres expériences que deux mandats très peu assidus de député européen et de conseiller régional d'Île-de-France, sans même avoir été élu à l'Assemblée Nationale, sans avoir géré un seul exécutif local, même la mairie d'un petit village, puisse se retrouver à la tête du gouvernement de la sixième puissance mondiale ! Tout dans son image lisse et dans ses propos creux montre une grande incompétence et un bluff formidable, comme s'il n'était qu'un acteur qui ne tiendrait que par les oreillettes et les prompteurs. Est-ce dans l'intérêt de la France, grand pays d'innovations technologiques et politiques ?

    Dans son clip bien ficelé de la campagne officielle, on voit Jordan Bardella dans son fauteuil de président (du RN !), rien sur le bureau, et derrière le fauteuil, un seul drapeau, le drapeau tricolore de la France. Et cette petite question à ses électeurs potentiels : cela ne vous ferait-il rien si le drapeau européen était systématiquement supprimé de toutes les tribunes, de Matignon, des ministères, de l'hémicycle ? Eh bien moi, si, je le regretterais beaucoup, je le vivrais comme un retour en arrière profondément malsain alors que le monde bouge et s'accélère (on le voit avec la guerre en Ukraine voulue par Vladimir Poutine qui soutient le RN dans ces élections, ravi des sondages actuels).

    De plus, sa campagne aujourd'hui se base sur des inversions accusatoires extraordinaires. Jordan Bardella se présente comme le meilleur redresseur de l'ordre, comme le meilleur combattant de l'antisémitisme, comme le meilleur meneur de l'union nationale : « Moi, je veux réconcilier les Français et être le Premier Ministre de tous les Français, dans aucune distinction. Une fois devenu chef de la majorité, je serai le Premier Ministre de tous, y compris de ceux qui n'auront pas voté pour moi. Mon objectif est de recréer du consensus dans le pays. ».


    Du blabla d'autant plus déconnecté du réel que c'est un discours de Président (qui est celui de tous les Français) et pas de Premier Ministre qui est, comme il le dit paradoxalement d'ailleurs en même, de chef de majorité, donc, nécessairement très partisan. Mais ce gloubi-boulga sert à attirer les indécis et surtout, les ignorants des mécanismes institutionnels et politiques, en reprenant des phrases dites par d'autres dans le passé. Dans son débat face à Gabriel Attal, Jordan Bardella avait répété des phrases d'Emmanuel Macron dans son face-à-face avec Marine Le Pen, un vrai plagiat ! Bardella, paresseux et imitateur. Acteur.

    De plus, au contraire de ce qu'ils prétendent, les dirigeants du RN ont été pris de court par la dissolution. La preuve, ils ont bâclé leurs candidatures en investissant certains candidats pas très politiquement corrects notamment à cause des appels à la haine ou l'antisémitisme (en particulier, dans leur passé sur les réseaux sociaux), au point de retirer leur investiture a posteriori, sans que cela n'ait d'ailleurs de conséquence puisqu'ils ne peuvent plus mettre d'autres candidats.

    Dans une situation plutôt favorable de favori, Jordan Bardella se permet même d'enfoncer le clou en laissant planer le risque d'une crise institutionnelle s'il n'y a pas de majorité absolue. Il l'a confirmé au JDD le 22 juin 2024 : « Sans majorité absolue, je serais à la merci d'une motion de censure et je partirais naturellement au bout de quelques jours. J'accepterai d'être nommé à Matignon seulement si j'ai le pouvoir d'agir et la légitimité démocratique et institutionnelle. ». Pas d'inquiétude, même avec une majorité relative, ils ne prendront pas le risque de voir le pouvoir passer devant eux. En revanche, c'est un discours électoraliste qui veut mobiliser tout son électorat nationaliste, ceux qui pourraient être tentés par des candidats de Reconquête et même LR ciottistes, seront amenés à voter utile en faveur du RN. Un discours qui peut en effet être assez efficace.


    3. Gabriel Attal, le candidat à Matignon d'Ensemble pour la République

    Nommé il y a à peine six mois (le 9 janvier 2024), le Premier Ministre Gabriel Attal, après deux jours de sidération, a su prendre le leadership de la majorité présidentielle dans cette courte campagne des élections législatives. Son dynamisme et sa popularité sont deux grands atouts pour la majorité, j'aurais tendance à écrire, pour tenter d'éviter la débâcle. Ce n'est donc pas étonnant que, contrairement à la Nupes, il ait mis au cœur de la campagne le choix de la personnalité pour Matignon.


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    L'avantage du sortant est qu'il a fait ses preuves : malgré son très jeune âge (35 ans maintenant), il a déjà derrière lui une carrière politique prestigieuse. Expérience et compétence : deux fois élu député, membre du gouvernement sans discontinuer depuis plus de cinq ans (depuis le 16 octobre 2018), porte-parole du gouvernement pendant la difficile crise du covid-19, Ministre du Budget (délégué aux Comptes publics), Ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse adulé et Premier Ministre.

    À l'écoute des Français, Gabriel Attal a montré depuis longtemps qu'il l'était, sur le terrain comme dans les ministères. En présentant le programme de la majorité le 20 juin 2024, il a apporté une clarification sur ce que pouvaient espérer les Français sans mettre en danger tant la crédibilité financière de la France que sa politique économique qui a montré ses fruits avec la baisse continue du chômage depuis 2017 et la réindustralisation du territoire, politique qui fait désormais des jaloux en Allemagne.


    Dans quelques jours...


    La dédiabolisation (terme assez médiocre) qui signifie une certaine normalisation de l'extrême droite ainsi que le fatalisme qui accompagne la forte popularité de Jordan Bardella donnent tous les atouts du côté du RN. Le fatalisme, c'est aussi une certaine passivité sur les événements programmés par les sondages.

    Je passe sur l'argument stupide "on-n'a-pas-essayé" qui ouvre sur le n'importe-quoi (on n'a pas essayé de se jeter du haut d'un précipice, on n'a pas essayé de lutter contre un crocodile, on n'a pas essayé de déclencher une guerre thermonucléaire, etc.), mais l'argument de la levée de l'hypothèque RN reste encore assez bon marché dans l'esprit d'un certain nombre d'électeurs, y compris d'opposants au RN.

    En gros, il signifie ceci : laissons-les gouverner, et très rapidement, ils vont être impopulaires et on n'en reparlera plus. Je crains d'ailleurs que ce fût l'idée d'origine du Président Emmanuel Macron en dissolvant : montrons au peuple qu'ils sont incapables lorsqu'ils sont en situation et retournons le paradigme. Sauf qu'aujourd'hui, Giorgia Meloni, après un peu moins de deux ans au pouvoir, s'est hissée à la tête du paysage politique italien à ces élections européennes. Même Donald Trump, les Américains en redemandent après quatre années passées à la Maison-Blanche (2017-2021).

    Et je ne doute pas que l'efficacité de l'effet Bardella depuis deux ans se poursuivra même une fois au pouvoir. Le RN sera suffisamment habile (et démagogique) pour prendre des mesures qui vont plaire ; c'est très facile de plaire quand on gouverne, c'est beaucoup moins facile d'être responsable et de penser à l'intérêt national. En revanche, au pouvoir dès dans deux semaines, cela permettrait de démontrer que le RN serait un parti démocratique comme les autres, capables de gouverner et cela le renforcerait dans la perspective de la prochaine élection présidentielle en levant non pas l'hypothèque du RN mais l'hypothèque de l'équivalence RN = fascisme.


    C'est pour cela que la seule voie possible de s'opposer aux matraquages électoraux actuels du RN, ce n'est pas de laisser faire, ce n'est pas de parler de barrage plein de moraline qui n'a plus rien d'efficace, c'est d'abord d'aller sur le terrain des idées, de ses idées, de ses propositions (ou non-propositions), et de leurs conséquences sur l'avenir de la France, pour sa sécurité, sa prospérité, sa crédibilité internationale et sa cohésion sociale.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (22 juin 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    Législatives 2024 (8) : la bataille de Matignon.
    Le programme aux élections législatives du 30 juin 2024 d'Ensemble pour la République (document à télécharger).
    Législatives 2024 (7) : Ensemble pour la République.
    Législatives 2024 (6) : Nicolas Sarkozy et François Fillon bougent encore !
    Législatives 2024 (5) : le trouble de Lionel Jospin.
    Législatives 2024 (4) : l'angoisse de Manuel Valls.
    Législatives 2024 (3) : François Hollande dans l'irresponsabilité totale !
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Sidération institutionnelle.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Résultats des élections européennes du dimanche 9 juin 2024.


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    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240622-matignon.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/legislatives-2024-8-la-bataille-de-255349

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/06/22/article-sr-20240622-matignon.html