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  • Le Pen : inéligibilité, exécution provisoire, récidive et ordre public

     « Bientôt le dé-rassemblement national ? Dans le parti, certains voient en Bardella le responsable du bide du meeting du 6 avril, quand d’autres estiment que Marine devraient comprendre "que c’est sans doute fini pour elle" ! Ça promet pour 2027… » ("Le Canard enchaîné" du 9 avril 2025).



     

     
     


    La mousse médiatique commence à se dissiper autour de la condamnation très lourde de Marine Le Pen et d'une vingtaine de cadres du RN. Au-delà du fond, il y a la forme, et la mauvaise foi des dirigeants du RN est assez instructive.

    Dans un premier temps, voyons quelques arguments sur les soutiens supposés populaires de Marine Le Pen. Et dans un second temps, je reviendrai sur les motivations des juges d'avoir assorti la peine d'inéligibilité de cinq ans de Marine Le Pen de son exécution provisoire, l'empêchant de se présenter à une élection au moins jusqu'au jugement en appel.

    Le meeting du dimanche 6 avril 2025 à Paris, place Vauban, a été un véritable bide avec seulement quelques milliers de participants, environ 5 000, échec de mobilisation qui a l'air plutôt de réjouir le gagnant de l'affaire, Jordan Bardella. C'est le parti macroniste Renaissance qui a gagné la bataille de la mobilisation, en rassemblant exactement 8 853 sympathisants au meeting de Gabriel Attal à Saint-Denis. L'amusant, c'est d'ailleurs que le président délégué du groupe RN à l'Assemblée a alerté la procureure de la République sur le fait qu'il y aurait eu trop de présents à ce meeting, ce qui n'aurait pas permis de respecter les jauges de sécurité. En somme, une reconnaissance des capacités de mobilisation de Renaissance.

     

     
     


    On peut aussi voir à quel point les discours sont foireux. Par exemple, on peut parler de la pétition visant à soutenir Marine Le Pen à la suite de sa condamnation très lourde du 31 mars 2025. Elle était la même pétition que celle qui était déjà en ligne le 14 novembre 2024, c'est ce que permettent de savoir les archives de l'Internet. Le RN aurait juste changé le texte de la pétition, ce qui paraît peu loyal pour les signataires d'origine, et elle a la même adresse Internet que celle de 2024. Les centaines de milliers de signatures ne sont donc pas venues en trois jours, mais en quatre mois, cela réduit la nature du soutien spontané.

    Du reste, il suffit de regarder le sondage qu'a organisé la chaîne CNews, pourtant assez proche idéologiquement du RN, pour comprendre l'absence générale de compassion du peuple français aux déboires judiciaires de Marine Le Pen : 71% des sondés trouveraient normale sa condamnation, selon le principe énoncé par Gabriel Attal « Tu voles ; tu paies ! », tandis que seulement 29% seraient choqués par la peine d'inéligibilité. La bataille de l'opinion est complètement perdue par le RN et beaucoup voudraient trouver rapidement une porte de sortie, car vouloir maintenir la candidature de Marine Le Pen serait un suicide collectif.
     

     
     


    Répétons : dans cette grave affaire de grande délinquance (plus de 4 millions d'euros d'argent public détournés !), Marine Le Pen n'est pas du tout une victime mais une coupable, condamnée en première instance à 4 ans de prison dont deux ans ferme (et présumée innocente pour son procès en appel).

    Lisons la chronique que le professeur Jean-Philippe Derosier, constitutionnaliste lillois, a publié le 7 avril 2025 dans "Le Nouvel Observateur" : « La peine ne doit pas faire oublier la culpabilité. (…) Il n’est question que des modalités d’exécution d’une peine complémentaire, car l’exécution provisoire n’est pas, en soi, une peine mais une modalité de son application et l’inéligibilité n’est pas la peine principale, mais une peine qui vient la compléter. ».
     

     
     


    Jean-Philippe Derosier a insisté sur la stratégie suicidaire de la défense tout au long du procès : « Refusant d’admettre toute culpabilité et, au contraire, en justifiant les faits (qu’elle reconnaît), car une activité politique serait indissociable de tout mandat parlementaire, elle laisse entendre qu’elle considère ne rien avoir commis d’illégal et de pénalement répréhensible. Par conséquent, placée dans une situation identique, elle serait susceptible de les commettre à nouveau. Ce seul élément serait suffisant pour justifier l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité, dont l’un des objectifs est d’empêcher la récidive : on voit que le risque existe. ».

    Marine Le Pen a été condamné surtout comme la responsable en chef d'un système durable de détournement massif d'argent public, pas seulement en tant que députée européenne mais surtout en tant que présidente du RN. Il n'est donc pas besoin qu'elle soit députée européenne pour craindre une récidive.
     

     
     


    Au contraire, le risque de récidive est d'autant plus sérieux que l'actualité judiciaire nous apporte deux événements qui confortent nettement l'appréciation inquiète des trois juges du tribunal correctionnel de Paris.

    Le premier événement, c'est la confirmation, le 19 juin 2024, par la Cour de Cassation, de la condamnation en appel de sept proches de Marine Le Pen et de trois personnes morales de la mouvance d'extrême droite, pour escroquerie aux dépens de l'État, abus de biens sociaux, abus de confiance, recel et blanchiment, rien que cela. Le RN a été condamné à une amende de 250 000 euros pour cette affaire dite des kits de campagne (vente à un prix exagérément surévalué d'un matériel de campagne aux candidats RN aux législatives de juin 2012 destiné à être remboursé par l'État si le score est supérieur à 5%). Cette condamnation est définitive depuis le rejet des pourvois en cassation. La cour d'appel avait alors estimé que ce système avait « porté atteinte aux règles de la démocratie ».
     

     
     


    Le second événement a été confirmé par France Inter ce mercredi 9 avril 2025 à partir d'une indiscrétion de l'hebdomadaire satirique "Le Canard enchaîné" du 9 avril 2025 : le président du RN Jordan Bardella souhaitait rémunérer son directeur de cabinet de parti avec l'argent des assistants parlementaires du Parlement Européen. C'est-à-dire exactement ce qu'on a reproché à Marine Le Pen et à une vingtaine de membres du RN !

    Effectivement, dans un courrier daté du 26 mars 2025, le secrétaire général du Parlement Européen a adressé à Jordan Bardella un refus de renouveler le contrat d'assistant parlementaire à temps partiel de François P., directeur de cabinet du président du RN à Paris et conseiller région d'Île-de-France (rappelons que le mandat de conseiller régional est lui-même rémunéré) : « Compte tenu de vos responsabilités en tant que président de parti, les missions de M. P. comme directeur de cabinet exigent un certain degré de disponibilité et de réactivité. Cela parait peu conciliable avec la régularité des tâches d'assistance parlementaire que vous envisagez de lui confier, du lundi au jeudi de 9 heures à 12h30. ».
     

     
     


    Dans l'affaire Le Pen, on avait reproché exactement la même chose : que des assistants parlementaires en temps partiel soient officiellement embauchés pour, en fait, rémunérer sur fonds publics, les nôtres, ceux du contribuable, le majordome de Jean-Marie Le Pen, sa secrétaire et son directeur de cabinet, le garde du corps de Marine Le Pen, etc. Il est là, le scandale, et visiblement, Jordan Bardella voudrait continuer ce système malgré près de dix ans d'instruction, un long procès et un jugement qui a fait polémique. C'est à se demander si Jordan Bardella a lu une seule fois un journal ces derniers mois.

    Le risque que Marine Le Pen supervise ce système de détournement de fonds publics une nouvelle fois n'est donc pas mince puisqu'elle refuse obstinément de reconnaître sa faute (tout en reconnaissant les faits !).


    La seconde motivation qui ont conduit les juges à assortir la peine d'inéligibilité de son exécution provisoire, c'est ce qu'on appelle le trouble public. Jean-Philippe Derosier a ainsi justifié cette seconde motivation des juges : « Dès lors que Madame Le Pen a été reconnue coupable et condamnée par le tribunal, ce dernier est légitime à relever que les faits commis sont de nature à porter une atteinte tant à la confiance des citoyens dans la vie publique, qu’à la probité et à l’exemplarité qui doivent s’attacher aux élus, dans l’exercice de leur mandat. Ainsi, permettre qu’une telle personne, reconnue coupable et condamnée par un tribunal, puisse concourir à une élection, en particulier l’élection présidentielle et puisse a fortiori être élue, constitue un trouble majeur à l’ordre public démocratique. On peut ajouter que si Marine Le Pen était élue Présidente de la République dans ces circonstances, elle échapperait à la justice pendant tout le temps de son mandat et serait en position de faire évoluer la législation pénale pour l’exonérer de sa responsabilité, en influant sur le travail gouvernemental et législatif comme le fait tout Président de la République. ».
     

     
     


    Le professeur de droit constitutionnel a conclu ainsi : « Il est donc parfaitement légitime et juridiquement fondé que le tribunal conclue qu’il lui appartient de veiller à ce que les élus, comme tous les justiciables, ne bénéficient pas d’un régime de faveur, incompatible avec la confiance recherchée par les citoyens dans la vie politique. Il prononce donc l’exécution provisoire de l’inéligibilité, afin de la rendre applicable immédiatement. Cette exécution provisoire ne contrevient ni au procès équitable, ni au droit au recours, ni à la présomption d’innocence. ».

    Il a rappelé en outre que, contrairement à ce qu'a vaguement affirmé, le 1er avril 2025, le Premier Ministre François Bayrou (à savoir : « En principe de droit, toute décision lourde et grave en matière pénale doit pouvoir faire l’objet d’une procédure en appel et d’un recours. Cependant, le dispositif de l’exécution provisoire conduit à ce que des décisions lourdes et graves ne soient pas susceptibles de recours. Il n’est alors plus possible de faire appel de décisions qui, pourtant, peuvent entraîner des conséquences irréversibles. J’ai toujours, comme citoyen, considéré ce point comme problématique. »), la peine d'inéligibilité n'est pas définitive et qu'il y a possibilité de recours puisqu'il aura appel : « Marine Le Pen a interjeté appel et verra donc sa cause de nouveau entendue. D’après ce qui a été annoncé, la cour d’appel pourrait même se prononcer avant l’élection présidentielle. Elle exerce donc son droit au recours et pourra de nouveau faire valoir ses arguments, de façon contradictoire, devant une juridiction indépendante et impartiale, comme elle l’a fait devant le tribunal correctionnel. Elle continue de bénéficier de la présomption d’innocence et l’exécution provisoire de l’inéligibilité ne la remet pas en cause car son objectif est simplement de préserver l’ordre public démocratique à l’égard d’une personne susceptible de lui porter une atteinte irréparable. ».
     

     
     


    Jean-Philippe Derosier a d'ailleurs fait la comparaison avec des affaires criminelles, en en pointant bien sûr les différences : « Imaginerait-on contester le placement en détention provisoire d’un individu soupçonné de multiples meurtres ? Certainement pas : bien qu’il bénéficie, comme tout justiciable, de la présomption d’innocence, l’objectif constitutionnel de préservation de l’ordre public justifie une telle mesure privative de liberté, car il présente un réel danger pour la société. Peut-on oser comparer la situation d’un meurtrier avec celle d’une élue ? Non. Les situations sont évidemment différentes. Mais la détention provisoire n’est précisément pas de même nature que l’inéligibilité provisoire. Cependant, la justification participe de la même dynamique : il existe non un danger pour la société, mais un danger pour la démocratie et il est du rôle de la justice de nous en préserver, au nom de tout le peuple français. Marine Le Pen dispose alors du droit de se défendre. ».

    Il faut rappeler que l'utilisation des 4,1 millions d'euros que le tribunal correctionnel de Paris a considérés comme de l'argent public détourné par le RN a contribué au renforcement déloyal de la puissance électorale du RN par rapport aux autres formations politiques qui ont respecté la loi et a donc faussé le jeu démocratique (a troublé l'ordre public démocratique) au profit du RN qui aurait pu obtenir moins d'élus sans cette force de frappe (mais ça, on ne le saura jamais et c'est peut-être faux, mais le simple fait qu'on puisse l'imaginer dénature la loyauté et la sincérité de la vie démocratique pendant toute cette période).

    Comme je l'ai déjà expliqué, la peine d'inéligibilité de Marine Le Pen n'a rien d'exceptionnel. Plusieurs personnalités politiques l'ont déjà eue récemment assortie d'une exécution provisoire, parfois de dix ans !
     

     
     


    Les statistiques du Ministère de la Justice donnent d'ailleurs des indications précieuses : en 2023, 639 personnes ont été condamnées en France à une peine d'inéligibilité assortie d'une exécution provisoire. Le cas de Marine Le Pen n'est donc pas rare. Au total, en 2023, les tribunaux de France ont condamné 16 364 personnes à une peine d'inéligibilité, l'exécution provisoire correspond donc à 4% des peines d'inéligibilité en 2023 (qui ont été en forte augmentation, elles étaient au nombre de 9 125 en 2022, dont plus de 300 avec exécution provisoire). De ces données, dans un article de France Info publié le 3 avril 2025, Armêl Balogog en a déduit ainsi : « Il est donc possible d'en conclure que le principe de l'exécution provisoire n'a rien d'exceptionnel et qu'il fait intrinsèquement partie de l'exercice de la justice. ».


    Toutes ces observations montrent que la condamnation lourde de Marine Le Pen ne provient pas un supposé complot contre elle et son parti (qui pourra toujours présenter un candidat à la prochaine élection présidentielle), mais l'exercice ordinaire de la justice qui doit s'appliquer avec la même sévérité, ni plus ni moins, quels que soient les délinquants mis en cause. Cela ne fera pas changer d'avis les militants convaincus et apparatchiks du RN, mais va sérieusement compliquer la tâche de ce parti pour trouver de nouveaux électeurs et tenter de faire exploser le plafond de verre qui sévit depuis 1972. Le meilleur moyen aurait été sans aucun doute de ne pas détourner de fonds publics et d'être honnête avec l'argent des contribuables. C'est le minimum qu'on peut attendre de tout futur élu.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (09 avril 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Le Pen : inéligibilité, exécution provisoire, récidive et ordre public.
    Marine Le Pen, est-elle si clean que cela ? (22 février 2017).
    Condamnation Le Pen : la justice vole-t-elle l'élection présidentielle de 2027 ?
    Le fond accablant de l'affaire Le Pen.
    Texte intégral du jugement délibéré du 31 mars 2025 sur l'affaire Le Pen (à télécharger).
    Affaire Le Pen : ne confondons pas victime et coupable !
    Marine Le Pen : voler l'argent des Français !
    Marine Le Pen et la sérénité d'une future condamnée ?
    L'avenir judiciaire de Marine Le Pen dans une décision du Conseil Constitutionnel ?
    Jean-Marie Le Pen : extrême droite tenace et gauche débile...
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    Législatives 2024 (18) : la fin du cauchemar Bardella (pour le moment).
    Fake news : la scandaleuse manipulation politique du RN.
    Législatives 2024 (12) : un isoloir, ce n'est pas un cabine d'essayage !
    Législatives 2024 (11) : front, rassemblement, union nationale, barrage, consignes de vote...
    Législatives 2024 (10) : il était une fois Jordan Bardella, Gabriel Attal et Manuel Bompard.
    Législatives 2024 (9) : Emmanuel Macron et son n'ayez-pas-peur !
    Jean-Marie Le Pen, retour aux sources du RN.
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Le débat Gabriel Attal vs Jordan Bardella du 23 mai 2024.
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    La tactique politicienne du RN.
    La sanction disciplinaire la plus lourde de la Cinquième.

    Louis Aliot.
    Le congrès du RN.
    Grégoire de Fournas.
    Incident raciste : 89 nuances de haine à la veille du congrès du RN ?

    Le Front national des Le Pen, 50 ans plus tard...

     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250407-condamnation-le-pen.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/le-pen-ineligibilite-execution-260351

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/04/08/article-sr-20250407-condamnation-le-pen.html


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  • Condamnation Le Pen : la justice vole-t-elle l'élection présidentielle de 2027 ?

    « Ce n'est pas une décision de justice, c'est une décision politique. » (Marine Le Pen, le 6 avril 2025 à Paris).



     

     
     


    Meeting du RN à Paris ce dimanche 6 avril 2025. Étrange réflexe de vouloir faire un rassemblement pour protester contre la condamnation très lourde de Marine Le Pen en première instance (quatre ans de prison dont deux ferme, 100 000 euros d'amende, cinq ans d'inéligibilité avec exécution provisoire). Réponse de l'ancien Premier Ministre Gabriel Attal : « Tu voles, tu paies ! », en remarquant : « Le RN, c'est le parti qui demande de la fermeté pour tous, sauf pour lui ! ». D'autres, à l'Assemblée, se contentaient de rétorquer : « Rends l'argent ! ».

    Ce ne sont pas quelques milliers de militants du RN venus soutenir Marine Le Pen (dans sa condamnation pour détournement massif de fonds publics ?) qui changeront les choses : Marine Le Pen a été reconnue par le tribunal judiciaire de Paris comme la responsable de tout un système de financement de son parti sans lequel le RN aurait certainement eu moins d'audience électorale. Le texte du jugement est accablant.

    Le mot d'ordre "Sauvons la démocratie" est du langage orwellien, ou, du moins, du trumpisme de bas étage : la démocratie, c'est le suffrage universel (les urnes, et pour l'instant, le RN n'a jamais gagné une élection nationale, il faut le rappeler), mais c'est aussi l'État de droit, c'est-à-dire les valeurs de la République : la majorité doit gouverner dans le cadre de nos valeurs précisées dans notre Constitution, elle ne peut pas tout.

     

     
     


    La réaction colérique de Marine Le Pen, qui, soit dit en passant, n'est pas approuvée par ceux qui, au RN, voudraient conquérir le pouvoir et préféreraient donc un autre cheval un peu plus présentable, c'est le refus de la règle commune, c'est le refus de la justice, c'est surtout le refus de la démocratie qui est d'accepter (même sans l'approuver) une décision de justice car elle s'impose à tous (y compris au gouvernement).

    Fuite en avant insensée, voire suicidaire, que vouloir à tout prix rester candidate. Elle a déjà perdu la bataille de "l'opinion publique" qui est aux deux tiers favorables au principe de sa condamnation sévère, selon l'adage de Gabriel Attal, tu voles, tu paies. C'était du reste le discours du RN/FN depuis cinquante ans, pestant contre le laxisme des juges, pestant contre la libération de délinquants, et pour les affaires politico-judiciaires, prônant une peine d'inéligibilité à vie (ce qui me paraissait d'ailleurs complètement disproportionnée). Marine Le Pen va avoir du mal à justifier les deux poids deux mesures : je suis pour la sévérité des juges... sauf pour moi ! C'est trop gros, et pour l'instant, nous ne sommes pas des citoyens américains prêts à avaler n'importe quoi.

    J'ai relu ce que j'en disais... le 22 février 2017. Nous étions en pleine campagne présidentielle, l'affaire Fillon venait d'éclater, et les juges ont perquisitionné les locaux du FN/RN. Marine Le Pen, au contraire de François Fillon, avait alors déclaré par anticipation qu'elle resterait candidate à l'élection présidentielle même si elle était mise en examen. Concrètement, elle a même eu le temps d'être candidate aux deux élections présidentielles qui ont suivi ces perquisitions, 2017 et 2022. La justice ne l'a donc jamais "empêchée".

    Car ces perquisitions, il s'agissait bien d'une démarche provenant de l'affaire qui l'a condamnée le 31 mars 2025 : non seulement ce sont trois juges, et pas une seule, qui ont condamné lourdement Marine Le Pen le 31 mars 2025, mais c'est près d'une centaine de juges différents qui ont dû se prononcer, tout au long de cette longue procédure, toujours en défaveur du RN et de Marine Le Pen, en raison des 45 recours faits à l'initiative des Le Pen.

     

     
     


    On ne s'étonnera donc pas de sa faible considération pour la justice en politisant elle-même la justice (elle aurait pu dire aussi que la justice était misogyne puisqu'elle a condamné une femme). Effectivement, dans "Le Monde" du 2 février 2017, Marine Le Pen disait déjà : « Un juge pourrait décider qui est candidat et qui n’est pas candidat. C’est la fin de la démocratie. ». À l'époque, il s'agissait juste d'une possible mise en examen, ce qui est très différent d'une condamnation à quatre ans de prison dont deux ferme. Elle bénéficiait encore de la présomption d'innocence.

    L'un des arguments employés par le RN aujourd'hui est de dire que la justice aurait volé l'élection présidentielle de 2027 en empêchant Marine Le Pen d'être candidate à cette élection. L'affirmation est totalement dénuée de raison ! D'une part, en raison d'un favoritisme qui devrait aussi en faire bénéficier tous les justiciables, Marine Le Pen a, semble-t-il, bénéficié d'une accélération pour la tenue de son procès en appel. Tant mieux et c'est la porte étroite qui lui fait dire qu'elle pourrait être candidate malgré tout. Mais pourquoi les juges en appel renieraient-il les faits établis en première instance qui seraient accablants ? D'autre part, c'est factuellement faux : même si Marine Le Pen est empêchée, le RN aura naturellement un candidat pour le représenter à l'élection présidentielle, et le plan B qui se précise, à savoir Jordan Bardella, fait déjà jeu égal avec Marine Le Pen dans les sondages d'intentions de vote. Donc, non seulement l'empêchement de Marine Le Pen n'est pas un empêchement du RN (et c'est tant mieux), mais le fait qu'il y ait un autre candidat n'handicaperait pas ce parti électoralement à ce jour.
     

     
     


    C'est surtout l'illustration d'une vanité monstrueuse de l'ex-présidente du RN. Moi moi moi. Sans moi, la démocratie serait en danger ! J'aurais plutôt tendance à penser le contraire quand elle fustige ainsi les juges et la justice, au point de devoir mettre une protection rapprochée auprès de certains juges dont les coordonnées ont été divulguées dans les réseaux asociaux et qui ont reçu des menaces de mort.

    L'idée de se croire irremplaçable n'est pas réservée à Marine Le Pen, bien entendu, et je crois que les grands candidats à l'élection présidentielle ont tous eu ce sentiment sans lequel ils ne se battraient pas. En revanche, l'idée que c'est uniquement Marine Le Pen qui est empêchée par la justice est complètement fausse.

    D'une part, les peines d'inéligibilité prononcées avec exécution provisoire en première instance sont très nombreuses. François Fillon a été ainsi interdit de se présenter pendant dix ans dès sa condamnation en première instance en 2020. Pareil pour les époux Balkany en 2019. Un petit schéma propose dix exemples, et on constate que Marine Le Pen n'a pas eu l'inéligibilité la plus sévère.

     

     
     


    D'autre part, elle pourrait répliquer en disant qu'elle est la seule candidate à l'élection présidentielle en capacité de gagner à être empêchée par la justice. Là encore, c'est complètement faux. Si l'on regarde les dernières élections présidentielles, je note au moins quatre élections présidentielles dont on pourrait dire, avec la même logique, qu'elles auraient été "volées".

    Pour l'élection de 1995, Lionel Jospin a été le candidat socialiste un peu par défaut, mais au-delà de Michel Rocard, un autre candidat évident était voulu et préparé par François Mitterrand, à savoir Laurent Fabius. C'est sa mise en examen dans l'affaire du sang contaminé qui l'a empêché politiquement (et pas juridiquement) d'être candidat à 1995.

    Pour l'élection de 2007, Nicolas Sarkozy a emporté assez facilement l'investiture de l'UMP pour sa candidature, mais à l'origine, le dauphin de Jacques Chirac était plutôt Alain Juppé qui, condamné en 2004, a dû renoncer à la candidature présidentielle.

    Pour l'élection de 2012, c'est la justice américaine qui a empêché, là encore politiquement, la candidature de Dominique Strauss-Kahn, pourtant le favori des sondages et quasi-sûr de gagner le scrutin.

    Enfin, pour l'élection de 2017, la campagne de François Fillon, également le favori du scrutin, a été freinée par sa mise en examen à quelques semaines du premier tour, empêchant son parti de choisir un candidat de remplacement (et c'esit été cocasse que ce candidat de remplacement aurait pu s'appeler Alain Juppé !).


    Bref, bien sûr que l'empêchement de Marine Le Pen aura des conséquences sur le déroulement de l'élection présidentielle de 2027, mais pas plus que toutes les élections présidentielles précédentes où des faits d'actualité ont changé le cours normal des choses. Si ma tante en avait... À la différence de la plupart des candidats empêchés que je viens de citer, Marine Le Pen a été condamnée, et pas seulement mise en examen, ce qui est beaucoup plus grave. Le responsabilité n'incombe pas aux juges qui aurait dû être plus laxistes, mais à Marine Le Pen elle-même qui aurait dû éviter de détourner massivement et durablement l'argent public des contribuables.

    Alors, il faut raison garder : comme certains, on peut penser qu'il est regrettable qu'une candidate avec ce niveau très élevé d'intentions de vote dans les sondages soit inéligible, mais il est regrettable avant tout qu'elle soit elle-même à l'origine de ce système de détournement massif de fonds publics, car de ce fait, elle a contribué à la défiance des citoyens vis-à-vis de la classe politique. Comment imaginer une personne élue Présidente de la République avec de telles casseroles ? Comme Patrick Cohen dans sa chronique du 3 avril 2025 sur France Inter, je soupirerais ainsi : « Fatigue. On a le sentiment parfois depuis trois jours que le débat public a perdu pied, ballotté par les outrances et les mensonges du RN et de ses puissants porte-voix médiatiques. ».


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (06 avril 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Marine Le Pen, est-elle si clean que cela ? (22 février 2017).
    Condamnation Le Pen : la justice vole-t-elle l'élection présidentielle de 2027 ?
    Le fond accablant de l'affaire Le Pen.
    Texte intégral du jugement délibéré du 31 mars 2025 sur l'affaire Le Pen (à télécharger).
    Affaire Le Pen : ne confondons pas victime et coupable !
    Marine Le Pen : voler l'argent des Français !
    Marine Le Pen et la sérénité d'une future condamnée ?
    L'avenir judiciaire de Marine Le Pen dans une décision du Conseil Constitutionnel ?
    Jean-Marie Le Pen : extrême droite tenace et gauche débile...
    Mort de Jean-Marie Le Pen : la part de l'héritage.
    Procès de Marine Le Pen : surprise de gazelles et cynisme de vieux loups.
    Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
    Législatives 2024 (18) : la fin du cauchemar Bardella (pour le moment).
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    Législatives 2024 (12) : un isoloir, ce n'est pas un cabine d'essayage !
    Législatives 2024 (11) : front, rassemblement, union nationale, barrage, consignes de vote...
    Législatives 2024 (10) : il était une fois Jordan Bardella, Gabriel Attal et Manuel Bompard.
    Législatives 2024 (9) : Emmanuel Macron et son n'ayez-pas-peur !
    Jean-Marie Le Pen, retour aux sources du RN.
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Le débat Gabriel Attal vs Jordan Bardella du 23 mai 2024.
    Débat Valérie Hayer vs Jordan Bardella : l'imposture démasquée de Coquille vide.
    Ukraine : Claude Malhuret se gausse de Jordan Selfie !
    Ukraine : Gabriel Attal attaque durement le RN et Marine Le Pen !
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    FN/RN : fais-moi peur ! (27 octobre 2015).
    Marine Le Pen en tête dans un sondage : attention au buzz !
    Christine Boutin.
    André Figueras.
    Patrick Buisson.

    Rassemblement national : objectif 2027... ou avant !
    Jordan Bardella.
    Le nouveau JDD et la récupération des Enzo...
    Geoffroy Lejeune.
    Attention, un train de violence peut en cacher un autre...
    Éric Caliméro Zemmour.
    Jean-Marie Le Pen et sa marque dans l'histoire.
    La tactique politicienne du RN.
    La sanction disciplinaire la plus lourde de la Cinquième.

    Louis Aliot.
    Le congrès du RN.
    Grégoire de Fournas.
    Incident raciste : 89 nuances de haine à la veille du congrès du RN ?

    Le Front national des Le Pen, 50 ans plus tard...



     

     
     



    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250406-condamnation-le-pen.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/condamnation-le-pen-la-justice-260346

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/04/06/article-sr-20250406-condamnation-le-pen.html


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  • Le fond accablant de l'affaire Le Pen

    « Marine Le Pen est moins victime du "système", que de son propre système de défense, aberrant, suicidaire. C’est simple, du début à la fin et du sol au plafond, elle a TOUT renié, TOUT contesté : les règles européennes, la plainte du Parlement, l’autorité du tribunal, les décisions qui ont validé la procédure, y compris en Cassation, et naturellement l’existence du moindre délit. Le tribunal parle d’une "impunité revendiquée", se désole qu’après dix ans d’enquête, le système de défense continue de se déployer au mépris des faits et de la manifestation de la vérité. En révélant, je cite "une conception peu démocratique de l’exercice politique ainsi que des responsabilités qui s’y attachent". » (Patrick Cohen, le 3 avril 2025 sur France Inter).



     

     
     


    En clair, c'est comme le chauffard qui a brûlé un feu rouge et qui conteste l'idée même qu'il y avait un feu tricolore !...

    Dimanche prochain, 6 avril 2025, le RN a appelé à une manifestation à Paris pour protester contre... contre quoi, au fait ? Contre la justice qui n'est plus laxiste ? Contre la justice qui sait sanctionner comme il le faut les délinquants ? S'il y a bien un scandale avec la justice, c'est qu'elle est un peu trop favorable à Marine Le Pen : en effet, les assurances pour que son procès en appel soit fait dès l'été 2026 et que la Cour de Cassation se prononce avant janvier 2027 alors que ces procédures durent généralement plus de deux ou trois ans, relève d'un favoritisme injustifiable. C'est une justice qui n'est pas la même pour tous. Les autres justiciables, certains incarcérés, attendront alors encore un peu plus longtemps tandis que Marine Le Pen bénéficie d'un coupe-file.

    La condamnation de Marine Le Pen commence à quitter l'actualité. Il faut dire que les annonces de Donald Trump avec ses taxes douanières, l'écroulement depuis deux jours des bourses mondiales et l'inquiétude de tous les citoyens du monde devaient occuper l'actualité. D'un côté, un fait-divers anecdotique d'une délinquance en col blanc ordinaire, de l'autre, un fait historique qui risque d'hypothéquer l'avenir du monde des dix prochaines années.

    Ce qui est étonnant, c'est l'absence totale de préparation de ce qui arrive au RN. Les premiers défenseurs de Marine Le Pen avaient quitté la place le 31 mars 2025, Jordan Bardella allait à Strasbourg, Laure Lavalette était dans le Var et Laurent Jacobelli devait dîner à l'Élysée (eh oui, on n'est pas dans le système mais on en profite avec le roi du Danemark), etc. Bref, rien n'était prévu en cas de peine d'inéligibilité assortie d'une exécution provisoire alors que c'était pourtant la peine complémentaire plus probable. Encore aujourd'hui, en soutenant qu'elle sera candidate, il y a une véritable part de déni de réalité provenant de Marine Le Pen.

    Dans tous les cas, il faut rassurer les électeurs du RN ; "on" n'empêchera pas le RN d'être présent à la prochaine élection présidentielle, même si Marine Le Pen est empêchée : pour la remplacer, il y aura plutôt le trop-plein, principalement Jordan Bardella ...et Marion Maréchal, dont la candidature aura l'avantage de garder l'emprise de la famille régnante sur le parti.

    Vouloir coûte que coûte aller à la candidature jusqu'au bout malgré le procès en appel qui ne l'innocentera probablement pas car les faits reprochés sont établis et confirmés, c'est une tentative désespérée de continuer à exister politiquement jusqu'à la chute finale. Un journaliste proposait cette image assez pertinente : Marine Le Pen est la pilote d'un avion en chute libre, qui va bientôt s'écraser et, paniquée, elle est en train d'appuyer sur tous les boutons en même temps, même les plus improbables (comme la CEDH, qu'elle voulait voir la France quitter encore récemment et qui, de toute façon, ne s'occupe que des situations où il n'existe plus de recours dans le pays concerné).

    Le vrai problème de Marine Le Pen, c'est qu'elle a basé son populisme anti-système sur la délinquance de la classe politique en général, en excluant son parti qui serait mains propres et tête haute. Cet écart encore le discours revendiqué et la réalité (le RN est aussi pourri que les autres, voire plus, si l'on lit le jugement) peut être électoralement dévastateur, tout autant que ce discours sur le laxisme de la justice, sur la faible sévérité des peines (Marine Le Pen réclamait en 2013 des peines d'inéligibilité à vie !), se retourne évidemment contre l'ancienne présidente du RN.

     

     
     


    Du coup, les demandes contraires (réviser la loi pour y mettre plus de laxisme) ont de quoi étonner. L'éditorialiste politique Patrick Cohen s'est posé la question le 3 avril 2025 sur France Inter : « Qui pense dans ce pays qu’il est urgent d’alléger les contrôles et les sanctions contre les élus suspects d’un manque de probité ? Qui peut soutenir que notre démocratie se porterait mieux si elle laissait des individus ayant commis des actes répréhensibles accéder à des positions de pouvoir ? Qui peut croire que la confiance à l’égard de l’action publique, qui va si bien comme chacun sait, sortirait plus forte du retour des corrompus ou des repris de justice dans le jeu démocratique ? Notez que ce serait une grande première : depuis des lustres, chaque scandale fait bouger la loi vers une plus grande exigence d’exemplarité. Comme le notait le rapport Nadal en 2015, "le droit de la probité est lié à l’histoire de ses atteintes". Sans Cahuzac et ses comptes à l’étranger, pas de Parquet financier et de Haute autorité de la transparence. Sans la phobie administrative de Thévenoud, pas d’inéligibilité automatique. Eh bien là, on est tranquillement en train de débattre du contraire : de l’idée que les assistants fictifs du RN devraient nous conduire à lever le pied sur l’inéligibilité… ».

    En clair, il faudrait faire une loi d'exception pour les apparatchiks du RN : tout citoyen délinquant doit être sévèrement condamné et purger sa peine (pas question d'aménagement de peine, comme le réclamait le RN), sauf s'il s'agit d'un adhérent du RN. Sinon, ce serait une atteinte honteuse à la liberté politique, à la démocratie, au droit de détourner des millions d'euros d'argent public comme on veut. Avec cet état d'esprit, on ose imaginer le RN au pouvoir !

     

     
     


    Tout est accablant dans l'affaire Le Pen, mais surtout, le fond de l'affaire. Car c'est un détournement massif d'argent public qui a eu lieu. Tous les journalistes qui ont assisté tous les jours au long procès du 30 septembre 2024 au 27 novembre 2024 sont déconcertés par le caractère accablant des faits cités et aucun n'est étonné par la dureté des sanctions.

    Il faut lire les 154 pages du jugement du 31 mars 2025 pour se rendre compte que les trois juges (ils sont trois) ont prononcé la condamnation avec de très solides arguments et motivations.

    Oui, la défense de Marine Le Pen, quasiment infantile, comme un enfant pris la main dans le pot de confiture et qui nierait tout, lui a fait beaucoup de tort. Car les juges, qui n'apprécient pas qu'on se moque d'eux, lui ont donné les clefs pour sa condamnation. En refusant d'admettre les faits délictueux qu'ils ont commis, la plupart des prévenus ont manqué de jugeote et ont creusé leur propre inéligibilité immédiate.


    C'est ce que dit le délibéré : « Il convient de relever que, dix ans après la dénonciation des faits, toutes les personnes condamnées contestent les faits, ce qui est évidemment leur droit. Elles n'ont dès lors exprimé aucune prise de conscience de la violation de la loi qu'elles ont commise ni a fortiori de l’exigence particulière de probité et d’exemplarité qui s’attache aux élus. Dans le cadre d’une information judiciaire contradictoire qui a duré sept ans, de très nombreux recours ont été exercés, comme le permettent les règles de procédure pénale. Ils ont fait l’objet de décisions de rejet par les juges d’instruction, dans leur quasi-totalité, soumises à la chambre de l’instruction et confirmées par elle. Lorsque des pourvois ont été formés devant la Cour de Cassation, ils ont été rejetés. ».

    Les juges insistent ainsi sur ce fait : « La défense revendiquait une impunité totale et absolue reposant sur le fait que les assistants parlementaires auraient effectué un travail politique, non détachable du mandat de leur député, au profit d’un parti politique. ».
     

     
     


    À cette occasion, Marine Le Pen reconnaissait elle-même les faits reprochés : « Ainsi, elle assumait avoir fait travailler pour le parti les assistants parlementaires qui n’étaient, selon elle, pas très occupés par le travail législatif. Elle considérait n’avoir pas d’instruction à recevoir du Parlement Européen concernant le travail des assistants parlementaires, serait-ce à travers les règles internes qu’il édicte. Elle affirmait que l’autorité judiciaire ne pouvait contrôler le travail de ces assistants, sans violer la séparation des pouvoirs. ».

    Le jugement rappelle la première déclaration de Marine Le Pen à l'audience du 2 octobre 2024, en tant que représentante du RN : « L’activité politique est indissociable du mandat parlementaire. Nous ne sommes pas des fonctionnaires. Nous ne sommes pas des fonctionnaires, nous sommes des élus du peuple. Dans le cadre de cette activité politique qui est indissociable de notre mandat, nous sommes assistés par des assistants parlementaires. Il y a ceux qui font avec nous de la politique. ».

    D'où la déduction des juges : « Ce système de défense constitue, selon le tribunal, une construction théorique qui méprise les règles du Parlement Européen, les lois de la République et les décisions de justice rendues notamment au cours de la présente information judiciaire, en ne s’attachant qu’à ses propres principes. Il révèle de la part de personnes condamnées qui ont, pour les principales, une formation de juriste ou d’avocat, une conception peu démocratique de l’exercice politique ainsi que des exigences et responsabilités qui s’y attachent. ».
     

     
     


    Selon les juges, le système de défense s'est fait au mépris de la manifestation de la vérité : « Dès les premiers jours du procès, la défense a également manifesté son refus du débat contradictoire, sollicitant par voie de conclusions d’incident le renvoi de la procédure pour régularisation suite à la présentation par le tribunal de tableaux d’évaluation des détournements visés par la prévention qui étaient précisément destinés à servir de base au débat contradictoire. Au-delà de la volonté d’éviter ou de retarder le débat sur les faits qui leur étaient reprochés, les prévenus ont tenté de s’écarter du débat au fond. Ils n’ont pour la plupart manifesté aucune volonté de participer à la manifestation de la vérité, avec laquelle ils ont pour certains un rapport très distendu, niant parfois jusqu’aux évidences, y compris leurs propres écrits de l’époque. ».

    Des déclarations des responsables du RN aux audiences ont révélé ceci : « Au mépris des faits, ces déclarations relèvent d’une conception à tout le moins narrative de la vérité. ». Elles expliquent à elles seules la nécessité d'une exécution provisoire des peines d'inéligibilité : « Ainsi, dans le cadre de ce système de défense d’un parti autant que de ses dirigeants, qui tend à contester la compétence matérielle du tribunal autant que les faits, dans une conception narrative de la vérité, le risque de récidive est objectivement caractérisé. Le tribunal relève encore, en fil conducteur, de la question de la prescription à celle de la faute de la victime qui serait de nature à réduire à néant son droit à réparation, la position de la défense à l’égard du Parlement européen, qui n’est pas de nature à considérer que les intérêts de la victime sont à ce jour sauvegardés. Outre les critères de gravité qui président au prononcé des peines d’inéligibilité pour certains prévenus, il convient de rappeler que l’existence de mandats en cours, de même que les prétentions à briguer de tels mandats sont de nature à laisser persister un risque d’utilisation frauduleuse des deniers publics que les intéressés seraient amenés à percevoir, détenir, octroyer ou utiliser dans le cadre des dits mandats, ce que seule l’exécution provisoire permet de prévenir. ».

    À la page 45, les juges discutent du principe d'une exécution provisoire de l'inéligibilité : « C’est dans ce contexte que se pose la question de la délicate conciliation entre le droit à un double degré de juridiction et une éventuelle exécution provisoire de cette peine d’inéligibilité. La véritable question n’est pas celle de l’absence de recours mais plus précisément celle de l’absence d’effet suspensif du recours en cas d’exécution provisoire. Les personnes condamnées à une peine d’inéligibilité ont en effet bien entendu le droit d’interjeter appel du présent jugement. Néanmoins si le tribunal ordonne l’exécution provisoire de ces peines d’inéligibilité, ces dernières seraient effectives par provision, c’est-à-dire immédiatement, avant la décision de la cour d’appel susceptible d’intervenir un à deux ans plus tard, et avant le cas échéant celle de la Cour de Cassation. En vue de favoriser l’exécution de la peine, eu égard notamment au risque de récidive, il conviendrait dès lors d’ordonner l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité, tandis qu’en l’absence de recours suspensif contre cette mesure d’exécution provisoire, il conviendrait selon la défense de ne pas l’ordonner. ».

    En exprimant clairement les deux enjeux contradictoires : « Il revient donc plus précisément au tribunal, conscient de la nécessaire humilité qui s’attache à une décision de première instance, d’apprécier et de mettre en balance deux risques :
    1) au regard des droits de la défense, le risque que cette peine complémentaire assortie de l’exécution provisoire ne soit pas confirmée en appel, alors que la peine d’inéligibilité aurait déjà été exécutée par provision.
    2) Dans l’hypothèse où le tribunal n’assortirait pas la peine d’inéligibilité de l’exécution provisoire, le risque de voir les personnes condamnées être candidates, voire élues, alors qu’elles ont été condamnées à une peine d’inéligibilité en première instance notamment pour des faits de détournement de fonds publics, et pourraient l’être par la suite de façon définitive.
    La deuxième hypothèse pose la question de l’effectivité de la peine d’inéligibilité prononcée par le tribunal, confirmée en appel, et dont l’exécution serait réduite à néant dans le cadre d’élections intervenues avant que cette condamnation ne soit devenue définitive. ».

    Et d'en conclure la nature des peines par l'individualisation des jugements : « L'effectivité de l'exécution des peines poursuit un but d'intérêt général (QPC n°2016-569). Le tribunal prend en considération, outre le risque de récidive, le trouble majeur à l’ordre public démocratique qu’engendrerait en l’espèce le fait que soit candidat, par exemple et notamment à l’élection présidentielle, voire élue, une personne qui aurait déjà été condamnée en première instance, notamment à une peine complémentaire d’inéligibilité, pour des faits de détournements de fonds publics et pourrait l’être par la suite définitivement. Il s’agit ainsi pour le tribunal de veiller à ce que les élus, comme tous justiciables, ne bénéficient pas d’un régime de faveur, incompatible avec la confiance recherchée par les citoyens dans la vie politique. Dès lors, dans le contexte décrit, eu égard à l’importance de ce trouble irréparable, le droit au recours n’étant pas un droit acquis à la lenteur de la justice, il apparaît nécessaire selon le tribunal, à titre conservatoire, d’assortir les peines d’inéligibilité prononcées de l’exécution provisoire. Il ne s’agit pas d’une peine définitive mais d’une peine complémentaire prononcée en première instance qui, afin de garantir l’effectivité de son exécution et d’éviter un trouble irréparable à l’ordre public démocratique, sera exécutée immédiatement, dans l’attente de l’arrêt de la cour d’appel susceptible d’intervenir d’ici un à deux ans. Dans le cadre d’une décision rendue au nom du peuple français dans son ensemble, cette mesure est en effet proportionnée aux objectifs à valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et de bonne administration de la justice. C’est au regard de ces considérations que le tribunal apprécie, pour chaque personne condamnée, en tenant compte de sa situation individuelle, le caractère nécessaire et proportionné d’une peine d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire. ».
     

     
     


    Contrairement à ce qu'a prétendu Marine Le Pen, il ne s'agit donc pas d'un ciblage contre sa personne (quelle vanité de le croire), mais d'une déclaration de principe pour savoir si les personnes condamnées devaient accomplir leur peine d'inéligibilité immédiatement ou pas. Et cela dépendait surtout des déclarations de chacun pendant le procès.

    Mais revenons au fond du fond, le détournement massif d'argent public.

    Voici, pour les juges, ce pour quoi les responsables RN ont été condamnés : « Les faits dans leur ensemble ont consisté en la mise en place d’un système permettant au parti FRONT NATIONAL devenu RASSEMBLEMENT NATIONAL de "faire des économies" et d’être ainsi indirectement financé par des fonds du Parlement Européen. Sous couvert de plus de quarante contrats d’assistant parlementaire fictifs conclus par onze députés européens, douze personnes ont travaillé au cours de trois législatures en réalité pour le parti. Leurs salaires et les charges sociales y afférents étaient réglées par les fonds du Parlement Européen. Les détournements de fonds publics pour lesquels le parti est déclaré coupable des chefs de complicité et de recel s’élèvent à plus de 4,4 millions d’euros. Dans le cadre de procédures administratives en répétition de l’indu le Parlement Européen a recouvré plus de 1,1 million d’euros. Ces fonds détournés à hauteur de 4,4 millions d’euros ont été utilisés à hauteur de près de 4,1 millions d’euros pour rémunérer les sept personnes suivantes (…). ».

    Non seulement l'argument anti-système du RN est stupide quand on prétend être le premier parti de France, mais en plus, le RN a créé son propre système de financement : « Si la défense a rejeté la notion de système, elle apparaît néanmoins établie et même au cœur de la présente affaire. Un système peut en effet être défini comme un ensemble de pratiques organisées en fonction d’un but. La présente procédure a révélé un véritable système destiné à alléger les charges du FN mis en place dès 2004, qui s’est perfectionné au fil des années et devait à partir de juillet 2014, avec l’élection de 23 députés au Parlement Européen, produire des effets plus importants encore que ceux qu’il a effectivement produits. ».

    Le système a commencé dès la 6e législature entre 2004 et 2009 : « Dès le début de la 6e législature, à partir du mois de juillet 2004, dans le cadre d’une organisation artisanale ou familiale au service du parti, quatre députés historiques (sur les sept élus au Parlement Européen) mettaient en œuvre des contrats fictifs destinés à financer sur les fonds du Parlement Européen le fonctionnement du parti, ou à tout le moins à en alléger les charges. Il convient à cet égard de préciser que Marine LE PEN n’est pas poursuivie ni déclarée coupable au titre de cette 6e législature. Néanmoins le parti, dont la responsabilité pénale a été engagée par Jean-Marie LE PEN, son président, est déclaré coupable de faits de complicité et de recel de détournement de fonds publics au titre des contrats la concernant. Marine LE PEN, sur instigation de son père, puis Jean-Marie LE PEN engageaient comme assistant parlementaire Jean-François J., adhérent du RN depuis 1974 (FNJ), cadre historique du parti et proche collaborateur de son président, qui a été, à partir de 2010 secrétaire général puis délégué général du parti, membre du comité exécutif, vice-président en charge des élections et des contentieux électoraux puis en charge des affaires juridiques. Il apparaissait sur l’organigramme du FN de 2008 comme secrétaire national aux élections et aux analyses électorales. (…) Pour cette seule 6e législature, les détournements de fonds publics afférents à ces contrats représentent un montant total de près de 1,5 million d’euros, soit plus du tiers de l’ensemble des détournements pour lesquels le RASSEMBLEMENT NATIONAL est déclaré coupable sur l’ensemble de la période. Ainsi si le système mis en place dès 2004 l’a été manifestement par Jean-Marie LE PEN de façon quasi-familiale et le nombre d’assistants parlementaires concernés est moins important, les montants détournés n’en sont pas moins significatifs, au regard surtout des difficultés financières que le parti rencontrait à l’époque. ».

    Les déclarations pendant le procès de Fernand Le Rachinel, ancien député européen et qui a prêté de l'argent au parti, et également de Jean-Marie Le Pen lui-même ont été accablantes : « Fernand LE RACHINEL a reconnu que ni Thierry L., qui était agent de protection et s’occupait de la sécurité de Jean-Marie LE PEN à temps complet, ni Micheline B., secrétaire particulière de Jean-Marie LE PEN travaillant exclusivement pour ce dernier, n’avait jamais travaillé pour lui. Il a exposé dès sa première audition que le "FRONT NATIONAL vivait grâce à ce système de rémunération via le Parlement européen pour rémunérer les personnes du FRONT NATIONAL". Il précisait encore que "le principe était que chaque député arrivait à avoir peu ou prou un assistant ou collaborateur qui lui était réellement dédié et le reste de l’enveloppe était dédié à la rémunération des personnes choisies par Jean-Marie LE PEN. Il s’agissait de caser le staff du groupe". Jean-Marie LE PEN a admis que Thierry L. avait toujours été son garde du corps, puis celui de Marine LE PEN à partir de janvier 2011 et que Micheline B. avait toujours été sa secrétaire particulière. Les déclarations de Jean-Marie LE PEN, qui reconnaît avoir, dans le cadre d’un fonctionnement "en pool", "réparti les budgets au mieux de (leur) fonctionnement parlementaire" ne sont pas en contradiction avec celles de Fernand LE RACHINEL sur ce point. Elles corroborent celles de Thierry L., qui a admis que sa rémunération était affectée sur tel ou tel député dans le cadre d’un contrat d’assistant parlementaire selon le montant disponible des enveloppes, ou encore celles de Michèle B. qui déclarait avoir subi les changements de contrats qu’elle ne décidait pas. Pas plus que les autres eurodéputés, Fernand LE RACHINEL ne s’est personnellement directement enrichi du fait des contrats fictifs d’assistant parlementaire qu’il a signés au cours de la 6e législature pour faire financer par le parlement européen les salaires et charges de Thierry L. (495 k€) et de Micheline B. (320 k€) pour un montant total de 815 k€. Néanmoins ses déclarations illustrent l’intérêt personnel qu’il trouvait à voir alléger les charges du parti dont la situation financière était tendue. Après avoir démissionné du RASSEMBLEMENT NATIONAL à la rentrée 2008, il n’a d’ailleurs pas mis fin aux contrats de Thierry L. et Micheline B. qui ont continué à être rémunérés sur son enveloppe de frais d’assistance jusqu’à la fin de la 6e législature, à l’été 2009. Il peut à cet égard être relevé que si Jean-Marie LE PEN n’a pas non plus directement retiré d’enrichissement personnel de ces détournements, ils lui ont néanmoins procuré un confort de vie et de travail que la situation financière du parti ne lui aurait pas permis d’assumer. ».

    Je ne poursuis pas avec les législatures suivantes (2009-2014 et 2014-2016) avec autant de précisions car ce serait trop long. Je ne garde que le principal.


    7e législature (2009-2014) : « Les trois députés historiques ont donc fait perdurer le système pour continuer à faire financer par le Parlement Européen les salaires des sept mêmes personnes que pendant la législature précédente, qui travaillaient toujours pour le parti. Les fonds détournés au cours de cette 7e législature à travers les contrats d’assistant parlementaire fictifs signés par Jean-Marie LE PEN, Marine LE PEN et Bruno G. sont évalués à plus de 2,2 millions d’euros, ce qui représente presque un doublement du ratio des fonds détournés par député par rapport à la législature précédente. Le système mis en place en 2004 a en effet été "optimisé", avant même l’accession de Marine LE PEN à la présidence du parti. ».
     

     
     


    8e législature (2014-2016) : « En ce qui concerne Yann LE PEN, son salaire en tant que responsable de l’événementiel au sein du parti avait été pris en charge par le Parlement européen depuis le 1er janvier 2009, au cours des 6e et 7e législatures, sous couvert de contrats d’assistance parlementaire successifs de Bruno G., pour un montant total de 417 k€. (…) Les fonds détournés s’élèvent à moins de 300 k€ pour ces trois députés "historiques" et environ 370 k€ pour les sept nouveaux députés, soit environ 670 k€ entre juillet 2014 et février 2016, au cours d’une période de 20 mois. Si ces chiffres apparaissent moins significatifs que pour les législatures précédentes, ce constat mérite néanmoins quelques observations. (…) Les détournements de la 8e législature concernent donc un nombre de députés et d’assistants parlementaires plus important, mais une période de temps beaucoup plus limitée que celle des précédentes législatures. La dénonciation et les procédures administratives mises en œuvre par le Parlement Européen ont manifestement porté un coût d’arrêt aux contrats en cours. Ainsi, à l’été 2014, alors que 23 députés du RASSEMBLEMENT NATIONAL étaient élus au Parlement Européen, le système était destiné à constituer une véritable manne financière pour le parti. Avec 23 députés élus, les frais d’assistance parlementaire représentaient en effet désormais près de 6,6 millions d’euros par an, soit environ le double de la masse salariale du RN à l’époque, de l’ordre de 3 millions d’euros sur un budget de 10,2 millions d’euros. Les contrats conclus au cours de la 8e législature étaient donc susceptibles de contribuer de façon de plus en plus significative au financement des charges de personnel du parti. Le système élaboré mis en place n’a trouvé de limite que dans la dénonciation des faits et l’ouverture de la présente procédure judiciaire. ».

    Et de poursuivre : « Le principe était le même que celui mis en place en 2004 et décrit par Fernand LE RACHINEL : les eurodéputés pouvaient recruter un assistant parlementaire de leur choix et devaient laisser le reste de l’enveloppe à destination du parti. Aucun des députés poursuivis, à l’exception de Fernand LE RACHINEL (qui conteste avoir agi intentionnellement), n’a reconnu les faits. Néanmoins, le déroulement de la réunion du 4 juin 2014 décrit par plusieurs députés ayant refusé le système ou ayant quitté le parti depuis ne fait aucun doute. Marine LE PEN avait bien donné comme instruction aux nouveaux députés de donner une procuration à Charles V. H. pour suivre leur dotation budgétaire et de choisir le cabinet X de Nicolas C. comme tiers-payant. Malgré ses dénégations, elle leur a aussi dit qu’ils n’avaient pas besoin de plus d’un assistant dédié à (leurs) tâches parlementaires et qu’ils allaient laisser le solde de leur enveloppe à la disposition du parti. (…) Le système en place depuis dix ans à l’époque avait été "optimisé" avant même le début de la 8e législature. Un système global de gestion des enveloppes budgétaires des assistants parlementaires était opérationnel et proposé à l’ensemble des eurodéputés afin de permettre au parti "de faire des économies grâce au Parlement Européen". ».

    Le rôle de Marine Le Pen est considéré comme essentiel par le tribunal : « Au cœur de ce système depuis 2009, Marine LE PEN, s’est inscrite avec autorité et détermination dans le fonctionnement instauré par son père auquel elle participait depuis 2004. Elle va s’entourer dès 2009 de Charles V. H., comptable et spécialiste des instances du Parlement Européen recruté comme APA, qui va jouer un rôle de facilitateur auprès des services financiers du Parlement Européen et être chargé d’optimiser la gestion centralisée des enveloppes. Sur la base des propositions de Charles V. H., Marine LE PEN va arbitrer. Les mouvements entre les enveloppes et les transferts de contrats vont se multiplier. Le but est de répartir les assistants selon les disponibilités des enveloppes, sans aucun lien avec une quelconque activité pour un eurodéputé. Marine LE PEN a été poursuivie et déclarée coupable en tant qu’auteur principal pour les contrats d’assistant parlementaire fictifs représentant un montant total de 474 k€ sur une période du 1er septembre 2009 au 14 février 2016. À l’occasion de procédures administratives en répétition de l’indu, le Parlement Européen a recouvré à son encontre une somme totale de 340 k€. ».

    Mais ce n'est pas tout ce qu'on reproche à Marine Le Pen. Il y a aussi ceci : « Elle est en outre déclarée coupable de faits de complicité des détournements commis par les autres eurodéputés depuis son accession à la présidence du parti en janvier 2011. Ces faits de complicité portent sur un montant total que le tribunal évalue à 801 k€ au titre de la complicité de Jean-Marie LE PEN, à 665 k€ au titre de la complicité de Bruno G. et à 370 k€ au titre de la complicité des sept nouveaux députés de la 8e législature, soit au total plus de 1,8 million d’euros sur la période du 16 janvier 2011 au 17 janvier 2016. En effet, compte tenu des relaxes partielles prononcées pour les trois contrats conclus par Marie-Christine A. en 2016 au titre desquels tous les prévenus poursuivis (notamment Marine LE PEN et le RASSEMBLEMENT NATIONAL) ont été relaxés des faits de complicité et/ou de recel qui leur étaient reprochés, les faits de complicité la concernant ne prennent plus fin le 31 décembre 2016 comme visé à la prévention, mais le 17 janvier 2016. ». Cela signifie que les dispositions de la loi Sapin II ne s'appliquent pas.
     

     
     


    Sur le trouble causé par l'infraction, qui a contourné le fonctionnement démocratique, le tribunal est très précis : « S’ils n’ont pas généré d’enrichissement personnel direct des députés condamnés ni de leurs assistants parlementaires, les faits constituent, au-delà des manquements à l’exigence de probité des élus, un contournement démocratique qui réside dans une double tromperie, aux dépens du Parlement Européen et des électeurs. L’article 4 de la Constitution du 4 octobre 1958 prévoit que les partis politiques, s’ils se forment et exercent leur activité librement, doivent respecter les principes de la démocratie. Par des lois successives depuis les lois fondatrices n°88-226 et n°88-227 du 11 mars 1988 relatives à la transparence financière de la vie politique, le législateur s’est employé à encadrer le financement de la vie politique française afin, principalement, d’en garantir la transparence et d’assurer l’égalité des chances des candidats dans la compétition politique. Le respect de ces dispositions législatives par tous les partis politiques doit assurer le fonctionnement vertueux de la démocratie représentative. En outrepassant le cadre ainsi posé par le législateur, les auteurs, complices et receleurs de détournements de fonds publics, qui ont procuré un enrichissement au FRONT NATIONAL devenu RASSEMBLEMENT NATIONAL, ont provoqué une rupture d’égalité, favorisant ainsi leurs candidats et leur parti politique, au détriment des autres. S’agissant du Parlement Européen, sa légitime confiance en ses élus a été abusée par des moyens sophistiqués de détournements à des fins partisanes des fonds payés pour renforcer la qualité du débat démocratique. L'indemnité d'assistance parlementaire a en effet pour finalité de permettre aux députés européens de s'entourer librement de collaborateurs pour pouvoir notamment s'emparer de sujets d'intérêt général, en particulier complexes ou techniques, et en débattre utilement dans l'enceinte parlementaire ou en dehors. Imputée sur le budget de l'Union Européenne, cette indemnité est ainsi une pièce importante du dispositif parlementaire européen et contribue à la continuité du projet européen. Le tribunal prendra par conséquent en considération la nature des fonds détournés pour la détermination des peines. S’agissant du corps électoral, les manquements commis par les députés européens portent fortement atteinte à la confiance légitime qu’ils doivent inspirer aux citoyens de l’Union Européenne en général et aux électeurs français en particulier. Représentants de l’institution la plus démocratique de l’Union Européenne, ils sont les porteurs des valeurs proclamées à l’article 2 du Traité sur l’Union Européenne, notamment le respect de la démocratie, de l’égalité et de l’État de droit. Ainsi, ces faits ont porté une atteinte grave et durable aux règles du jeu démocratique, européen mais surtout français et à la transparence de la vie publique. L’atteinte aux intérêts de l’Union Européenne revêt une gravité particulière dans la mesure où elle est portée, non sans un certain cynisme mais avec détermination, par un parti politique qui revendique son opposition aux institutions européennes. La gravité des faits dans leur ensemble résulte donc de leur nature systématique, de leur durée, du montant des fonds publics détournés au bénéfice d’un parti politique, mais aussi de la qualité d’élus des personnes condamnées comme auteurs de ces détournements, ainsi que de l’atteinte portée à la confiance publique et aux règles du jeu démocratique. Le tribunal prend en considération pour la fixation de la nature et du quantum des peines principales prononcées à l’encontre de chacun des auteurs, complices ou receleurs, le rôle et la responsabilité de chacun, le montant des détournements au titre desquels il est déclaré coupable, outre des motivations individuelles relatives à la personnalité et à la situation personnelle ci-après développées. ».

    C'est vrai qu'il est un peu ardu de lire les 154 pages d'un texte parfois un peu compliqué, mais il est établi que ce système, mis au clair par les enquêteurs, une dizaine d'années d'instruction et un procès de près de deux mois, a conduit à un détournement massif de fonds publics entre 2004 et 2016 d'un montant qui correspond à 1,2 million de repas au CROUS pour les étudiants ou encore à 209 années de travail au SMIC !
     

     
     


    Vouloir déplacer le débat sur la prétendue politisation des juges alors que ces derniers n'ont fait que leur travail avec débat contradictoire et droits de la défense relève avant tout d'une mauvaise foi, d'une stupéfaction étonnante provenant d'amateurs (ils auraient dû imaginer cette possibilité de condamnation) et enfin, d'une fuite en avant qui me paraît suicidaire politiquement et électoralement.
     

     
     


    La bataille de "l'opinion publique" est déjà perdue. Environ deux tiers des sondés, dans plusieurs sondages depuis plusieurs jours, trouvent tout à fait normal que les délinquants, même une future candidate à l'élection présidentielle, soient condamnés tant à de la prison ferme à une peine d'inéligibilité avec exécution provisoire. Le paradoxe, c'est que le RN a lui-même contribué, dans ses campagnes démagogiques antérieures, à rendre les citoyens plus exigeants sur la probité de leurs représentants.

    La réaction épidermique et à la limite de l'insurrectionnel des responsables RN depuis l'annonce du jugement confirme l'efficacité de l'exécution provisoire de la peine d'inéligibilité. C'est la conclusion du journaliste de Mediapart Fabrice Arfi le 3 avril 2025 : « Être reconnus coupables, condamnés à de la prison, à des amendes, ils s'en foutent. Ce qu'ils ne supportent pas, c'est l'inéligibilité. Ça montre que c'est la seule sanction efficace. ». Rideau !


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (04 avril 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Le fond accablant de l'affaire Le Pen.
    Texte intégral du jugement délibéré du 31 mars 2025 sur l'affaire Le Pen (à télécharger).
    Affaire Le Pen : ne confondons pas victime et coupable !
    Marine Le Pen : voler l'argent des Français !
    Marine Le Pen et la sérénité d'une future condamnée ?
    L'avenir judiciaire de Marine Le Pen dans une décision du Conseil Constitutionnel ?
    Jean-Marie Le Pen : extrême droite tenace et gauche débile...
    Mort de Jean-Marie Le Pen : la part de l'héritage.
    Procès de Marine Le Pen : surprise de gazelles et cynisme de vieux loups.
    Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
    Législatives 2024 (18) : la fin du cauchemar Bardella (pour le moment).
    Fake news : la scandaleuse manipulation politique du RN.
    Législatives 2024 (12) : un isoloir, ce n'est pas un cabine d'essayage !
    Législatives 2024 (11) : front, rassemblement, union nationale, barrage, consignes de vote...
    Législatives 2024 (10) : il était une fois Jordan Bardella, Gabriel Attal et Manuel Bompard.
    Législatives 2024 (9) : Emmanuel Macron et son n'ayez-pas-peur !
    Jean-Marie Le Pen, retour aux sources du RN.
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Le débat Gabriel Attal vs Jordan Bardella du 23 mai 2024.
    Débat Valérie Hayer vs Jordan Bardella : l'imposture démasquée de Coquille vide.
    Ukraine : Claude Malhuret se gausse de Jordan Selfie !
    Ukraine : Gabriel Attal attaque durement le RN et Marine Le Pen !
    Sondage secret : en cas de législatives anticipées, une victoire du RN ?
    FN/RN : fais-moi peur ! (27 octobre 2015).
    Marine Le Pen en tête dans un sondage : attention au buzz !
    Christine Boutin.
    André Figueras.
    Patrick Buisson.

    Rassemblement national : objectif 2027... ou avant !
    Jordan Bardella.
    Le nouveau JDD et la récupération des Enzo...
    Geoffroy Lejeune.
    Attention, un train de violence peut en cacher un autre...
    Éric Caliméro Zemmour.
    Jean-Marie Le Pen et sa marque dans l'histoire.
    La tactique politicienne du RN.
    La sanction disciplinaire la plus lourde de la Cinquième.

    Louis Aliot.
    Le congrès du RN.
    Grégoire de Fournas.
    Incident raciste : 89 nuances de haine à la veille du congrès du RN ?

    Le Front national des Le Pen, 50 ans plus tard...


     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250404-marine-le-pen.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/le-fond-accablant-de-l-affaire-le-260277

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/04/02/article-sr-20250404-marine-le-pen-html.html


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  • Affaire Le Pen : ne confondons pas victime et coupable !

    « Le majordome de Jean-Marie Le Pen avait-il le droit d'être payé par les contribuables français ? » (Gilles Bouleau à Marine Le Pen, Journal de 20 heures, le 31 mars 2025 sur TF1).



     

     
     


    La question du journaliste Gilles Bouleau le 31 mars 2025 au journal de 20 heures de TF1 posée à la présidente du groupe RN à l'Assemblée Marine Le Pen était pertinente. Mais il aurait fallu aller un peu plus loin, car les réactions du RN, de colère bien normale après l'annonce de la multicondamnation de la leader du RN et de ses proches, semblent complètement inverser les rôles. Dans cette affaire, Marine Le Pen n'est pas une victime (supposée victime du "système" dans lequel elle s'est complètement acclimatée à tel point qu'elle a tenté d'en profiter au maximum), mais une coupable. Une coupable qui a été condamnée en première instance. La victime, dans cette affaire, c'est le peuple français, ce sont les contribuables français à qui on a spolié leur contribution financière à la nation.

    Et je suis désolé de l'écrire, mais Marine Le Pen a été condamnée pour des détournements de fonds public à hauteur de 4,1 millions d'euros, ce n'est pas rien. Ce n'est pas 200 000 euros, 500 000 euros, mais 4,1 millions d'euros : combien de restos du cœur, combien d'opérations pièces jaunes peut-on avoir avec 4,1 millions d'euros ? Je ne fais que poser sa question du 9 février 2004 sur France 2, je n'insiste pas sur l'argent volé aux Français !

    Je suis un peu inquiet de la tournure du débat public à propos de cette condamnation car j'ai l'impression qu'on la classe politico-médiatique ne s'est arrêtée que sur la peine complémentaire de cinq années d'inéligibilité assortie d'une exécution provisoire, ce qui va peut-être l'empêcher de se présenter à la prochaine élection présidentielle.


    Attention, je suis bien conscient tant de la gravité de cette peine complémentaire et de ses conséquences sur la vie démocratique de notre pays. Une candidate qui ferait actuellement autour d'un tiers des sondés dans les sondages d'intentions de vote pour le premier tour d'une élection présidentielle qui se trouve empêchée de se présenter est un véritable problème, c'est l'évidence, et surtout, un véritable événement politique, sans doute aussi grave et historique que la dissolution du 9 juin 2024 ou la censure du gouvernement du 4 décembre 2024.

    Mais à qui la faute ? Au système dont elle a nettement profité jusqu'à plus soif ? Aux méchants juges qui n'ont fait que leur travail honnêtement en se basant sur les lois qu'ils n'ont pas rédigées ni votées et sur les faits délictueux qu'ils ont établis sans laisser planer aucun doute ? Ou à l'ancienne présidente d'un parti vorace qui a voulu utiliser l'argent public pour faire fructifier son affaire politique ?


    Car le plus choquant, c'est la raison des détournements. Depuis le 31 mars 2025, les apparatchiks du RN parlent d'un simple "différend administratif" ! On rêve !! Voilà de la réalité alternative, comme on dit ! Non, ce n'est pas un problème administratif, c'est carrément du détournement massif de fonds publics. Les députés européens sont censés travailler au Parlement Européen avec leurs assistants parlementaires pour défendre les intérêts des Français en Europe. On peut être contre l'Union Européenne et considérer que l'intérêt de la France est d'être contre l'Europe, mais même ainsi, comme l'a fait par exemple Nigel Farage au Royaume-Uni, il faut bosser auprès des instances européennes contre les institutions européennes, dès lors que leur parti a élu des représentants (c'est la démocratie). Mais non ! Les députés européens du RN n'ont rien fait (il suffit de voir le bilan de Jordan Bardella à Strasbourg depuis 2019 !), et pendant longtemps (de 2004 à 2016), leurs assistants parlementaires n'ont fait que bosser pour la présidente du FN et l'appareil de leur parti, pas pour les intérêts français (selon eux) en Europe.

    Le plus choquant, dans la multicondamnation de Marine Le Pen, ce n'est pas la peine d'inéligibilité, qui est juste complémentaire, mais plutôt la peine de deux ans de prison ferme (quatre ans de prison en tout), avec mesure d'aménagement ab initio sous le régime de détention à domicile sus surveillance électronique. Deux ans ferme ! Imagine-t-on un candidat à l'élection présidentielle avec une condamnation à deux ans de prison ferme pour des délits de détournement de fonds public ?! Et qu'il puisse être élu ? Il est là, le scandale. Il a beau y avoir appel et présomption d'innocence, la condamnation en première instance n'est pas effacée pour autant.

     

     
     
     
     
     
     


    Le 31 mars 2025 sur France 5, le constitutionnaliste Dominique Roussau rappelait une évidence : « Pour que les électeurs aient confiance en leurs élus, il faut qu’ils soient intègres. Ce qui met en cause la démocratie c’est le tous pourris. Ce qui n’est pas sain pour la démocratie, c’est de laisser élire des gens qui ont fraudé. ». Le thème favori du lepénisme électoral s'est effondré dans un sketch de l'arroseur arrosé.

    Même si elle va faire appel, Marine Le Pen a quand même été condamnée en première instance à de la prison ferme et surtout, les faits ont été établis et sans laisser aucun doute. Cela signifie que, contrairement à d'autres affaires où l'incertitude peut planer, la culpabilité de Marine Le Pen sera probablement confirmée et que la seule différence portera peut-être dans la nature des peines qu'elle aura en appel.

    Ce qui m'inquiète, c'est que dans les nombreux commentaires dans cette affaire, tant les responsables politiques (hors RN) que les journalistes sont focalisés sur l'exécution provisoire de la peine d'inéligibilité et ses conséquences dans la course de petits chevaux présidentiels alors que le plus important est la peine de deux ans de prison ferme et surtout, les 4,1 millions d'euros d'argent public détourné. Où est la tolérance zéro ? Où est la condamnation du laxisme des juges contre la délinquance ? Où est la volonté de condamner à l'inéligibilité à vie les responsables politiques tombés dans la délinquance ?

    J'ai ressenti dans ce paysage politico-médiatique une double trouille. La trouille des journalistes qui, du coup, sont très mesurés parce que si, pour beaucoup d'entre eux, ils sont au fond ravis, ils ont peur que malgré tout, le RN arrive au pouvoir et ils doivent le cas échéant éviter une future disgrâce (c'est aussi cette trouille qui domine la presse américaine actuellement). Mais aussi la trouille des responsables politiques (hors RN), pas vis-à-vis du RN, mais vis-à-vis des lois et de la justice, comme s'il y avait un réflexe corporatiste, de système (celui dans lequel RN évolue allègrement, comme les autres), de se retrouver à la place du RN dans le box des accusés... et des condamnés. C'est particulièrement clair pour Jean-Luc Mélenchon et ses insoumis, pour LR également (le parti a été ébranlé par les condamnations de François Fillon et, plus récemment, de Nicolas Sarkozy), mais aussi, un peu plus subtilement, pour le Premier Ministre François Bayrou dont les déclarations, plus nuancées qu'on pourrait le croire, restent néanmoins assez décevantes (j'y reviens plus loin).

    Si Marine Le Pen a été relativement mesurée le 31 mars 2025 en voulant respecter la stratégie de la respectabilité qu'elle avait mis en place en juin 2022, celle-ci a complètement explosé le lendemain, mardi 1er avril 2025, peut-être en guise de poisson d'avril. La conférence de presse de Marine Le Pen et Jordan Bardella qui s'est tenue le mardi matin à l'Assemblée et, encore pire, la séance des questions au gouvernement le mardi après-midi ont montré que le RN venait d'adopter une stratégie complètement suicidaire avec des propos insurrectionnels, populistes, violemment démagogiques, remettant en cause l'État de droit, les juges, les lois, en somme, le RN vient de tomber dans le trumpisme le plus obscur !

     

     
     


    Les caciques du RN crient au gouvernement des juges. C'est tout le contraire qui s'est passé. Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l'Université de Lille et membre de l'Institut Universitaire de France, l'a expliqué très clairement dans un article publié le 1er avril 2025 dans "Libération" : « À ceux qui dénoncent une justice politique, soustrayant le pouvoir des juges au pouvoir du peuple, il faut répondre, d’abord, que la justice est rendue au nom du peuple français. Les juges tiennent leur légitimité de l’édifice juridique qui constitue notre droit et au fondement duquel se trouve notre Constitution, que le peuple a adopté soit directement, soit par la voie de ses représentants. Les juges tiennent également leur légitimité de leur indépendance et de leur impartialité, constitutionnellement garanties, les contraignant à agir conformément au droit, qu’ils sont chargés d’appliquer, indépendamment de tout intérêt privé, partial ou partisan. Ils appliquent donc le droit, au nom du peuple, exerçant une mission de souveraineté qui leur est juridiquement et légitimement confiée par ce même peuple. ».

    Et d'ajouter : « Ensuite, il faut ajouter que la justice nous protège, en veillant à la bonne application du droit et en sanctionnant ceux qui le violent. Pour cela, des procédures sont établies destinées à préserver les droits des justiciables : enquête, instruction, audience, délibéré, collégialité, verdict, appel, cassation. Ce sont autant d’éléments, parmi d’autres, qui permettent d’assurer que la justice n’est pas inique, mais sert le droit et l’intérêt général. Marine Le Pen a eu l’occasion, tout au long de cette procédure, de faire valoir ses arguments, devant plusieurs juges, à différentes étapes. In fine, une formation collégiale de trois juges, après un délibéré de plusieurs mois, a retenu que les faits qui lui étaient reprochés étaient suffisamment probants et convaincants pour constater qu’elle avait effectivement commis une infraction. Dès lors, le droit s’applique : s’il y a culpabilité, il y a peine et, en l’espèce, il y a également peine complémentaire d’inéligibilité, les juges retenant que les circonstances particulières de l’espèce commandent de l’assortir de l’exécution provisoire, c’est-à-dire de la rendre applicable immédiatement. Au nom de la loi, ils viennent exprimer le "non" de la loi : ce ne sont pas les juges qui décident de déclarer Marine Le Pen inéligible immédiatement, mais c’est bien la loi qui l’impose. ».

    L'État de droit, c'est respecter les juges et la justice : « Dénoncer un "gouvernement des juges" revient donc à commettre une grave erreur d’appréciation. Pis, en soutenant qu’il reviendrait au peuple de décider du sort de Marine Le Pen, on argumente en faveur d’une justice populaire, partiale et partisane. Serait-ce au peuple de juger tous les prévenus ? Serait-ce au peuple de décider si Untel est un violeur, si Untel est un meurtrier ou si Untel doit être acquitté ? Et, dans ce cas, en vertu de quels arguments et de quel cadre ? Si on est désireux d’une justice indépendante, objective et impartiale, on ne peut la confier au peuple, dont les prises de positions collectives, exprimées lors d’un vote, reposent sur une argumentation et un débat politiques. Et c’est précisément ce qui correspondrait à un "gouvernement des juges" voire, pire encore, à un "gouvernement sans juge". Au contraire, l’indépendance de la justice, établie et garantie au nom du peuple, permet que le droit soit objectivement appliqué et c’est exactement ce que révèle le verdict dans cette affaire. ».

    Jean-Philippe Derosier a aussi justifié l'exécution provisoire de la peine d'inéligibilité ainsi : « [Les juges] ont enfin fait application du principe constitutionnel d’individualisation des peines, en retenant que Marine Le Pen, qui, selon les faits, se trouvait au cœur de l’infraction, devait être condamnée à une lourde peine. Eu égard à son rôle dans la commission de cette infraction, à son refus persistant de la reconnaître et aux fonctions qu’elle occupe, deux risques ont enfin pu être identifiés, justifiant l’application immédiate de la peine d’inéligibilité : d’une part, un risque de récidive, dès lors qu’elle ne reconnaît pas le caractère délictuel des faits et, d’autre part, un risque d’échapper à la justice pendant un temps, précisément si elle était élue Présidente de la République, ce qui lui conférerait une immunité. ».

    Dans leur délibéré du 31 mars 2025, les juges ont eux-mêmes commenté ainsi leur jugement : « Le tribunal prend en considération, outre le risque de récidive, le trouble majeur à l’ordre public démocratique qu’engendrerait en l’espèce le fait que soit candidat, par exemple et notamment à l’élection présidentielle, voire élue, une personne qui aurait déjà été condamnée en première instance, notamment à une peine complémentaire d’inéligibilité, pour des faits de détournements de fonds publics et pourrait l’être par la suite définitivement. Il s’agit ainsi pour le tribunal de veiller à ce que les élus, comme tout justiciable, ne bénéficient pas d’un régime de faveur, incompatible avec la confiance recherchée par les citoyens dans la vie politique. Dès lors, dans le contexte décrit, eu égard à l’importance de ce trouble irréparable, le droit au recours n’étant pas un droit acquis à la lenteur de la justice, il apparaît nécessaire selon le tribunal, à titre conservatoire, d’assortir les peines d’inéligibilité prononcées de l’exécution provisoire. Il ne s’agit pas d’une peine définitive mais d’une peine complémentaire prononcée en première instance qui, afin de garantir l’effectivité de son exécution et d’éviter un trouble irréparable à l’ordre public démocratique, sera exécutée immédiatement, dans l’attente de l’arrêt de la cour d’appel susceptible d’intervenir d’ici un à deux ans. Dans le cadre d’une décision rendue au nom du peuple français dans son ensemble, cette mesure est en effet proportionnée aux objectifs à valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de bonne administration de la justice. C’est au regard de ces considérations que le tribunal apprécie, pour chaque personne condamnée, en tenant compte de sa situation individuelle, le caractère nécessaire et proportionné d’une peine d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire. ».
     

     
     


    En d'autres termes, les juges ont considéré que, condamnée en première instance à quatre ans de prison dont deux ferme, Marine Le Pen ne pourrait pas accomplir sa peine si elle était élue à l'élection présidentielle et l'application de sa peine serait reportée à 2032 pour des faits délictueux établis qui datent de 2004 !

    Je précise d'ailleurs que le temps long de la justice ici ne vient pas des juges mais du RN lui-même qui a, pendant toute l'instruction, fait 45 recours depuis 2017 ! sans compter le fait que Marine Le Pen ne s'est pas rendue aux convocations des juges. Le RN a tout fait pour repousser le plus tard possible le procès ainsi que le jugement. On s'étonnera donc de la volonté d'accélérer la procédure d'appel en faisant pression dans les médias et dans la rue.

    J'ajoute aussi que l'individualisation des peines est réelle et on peut le constater dans le délibéré qui compte tout de même 154 pages ! (On peut le lire ici). L'exécution provisoire de la peine d'inéligibilité de trois ans n'a pas été décidée par exemple pour un autre prévenu, Fernand Le Rachinel, condamné à deux ans de prison avec sursis, parce que lui, au moment du procès, avait reconnu ses torts.

    Revenons aux citations de la journée du mardi 1er avril 2025 dans l'hémicycle, au cours de la séance des questions au gouvernement, car il s'agit d'éléments importants de la vie politique française. Pas moins de sept questions ont été posées au gouvernement en une heure et quart sur la condamnation de Marine Le Pen.

     

     
     


    Posant la première question du jour, le député RN Jean-Philippe Tanguy est parti comme une mitraillette en mélangeant tout, en osant évoquer le Général De Gaulle et en faisant dans l'excessif extrêmement insignifiant : « Le Général De Gaulle l’avait dit : en France, la seule et unique cour suprême, c’est le peuple ! Hélas, en vérité, jamais l’oligarchie n’a accepté que le peuple décide ni ne vote. Le système ne respecte que les urnes qui confortent son pouvoir mais renie les suffrages qui lui déplaisent. Un quarteron de procureurs et de juges prétend à présent sortir du droit pour exercer la vendetta du système contre son seul opposant, le Rassemblement national, et contre sa principale incarnation, Marine Le Pen. Il y a des tyrannies qui enferment leurs opposants, il y a désormais des juges tyrans qui exécutent l’État de droit en place publique ! Ces magistrats, en appliquant l’esprit d’une loi postérieure aux faits qui lui sont reprochés, refusent à Marine Le Pen le droit effectif d’appel et la présomption d’innocence qu’il confère. Ils lui refusent le droit d’être candidate ! Ces magistrats criminalisent le droit à la défense en aggravant la peine de Marine Le Pen, dont le seul tort est d’avoir voulu faire valoir son innocence ! Ces magistrats ont laissé envoyer hier à toute la presse parisienne et à nos adversaires, le jugement que nos avocats n’ont eu que ce matin ! Ces magistrats avouent, dans ce jugement, que la candidature, que l’élection de Marine Le Pen constituerait un trouble à l’ordre public ! Ces magistrats appliquent finalement la promesse du Syndicat de la magistrature : faire barrage à Marine Le Pen par tous les moyens, les pires des moyens ! Le groupe Rassemblement national ne vous laissera pas voler l’élection présidentielle comme vous avez volé des dizaines de sièges lors des dernières législatives ! Aucun de nos députés ne laissera diffamer celle qui incarne l’espérance du peuple de France ! De quoi est accusée Marine Le Pen, sinon de sa capacité à vaincre ce système ? ».

    La réponse du Ministre d'État, Ministre de la Justice, Gérald Darmanin a été (évidemment) beaucoup plus mesurée : « Une décision de justice importante a été rendue hier. Elle concerne Mme la présidente Le Pen, comme de nombreux membres du Rassemblement national. Dans cette affaire, les personnes qui le voudraient ont dix jours pour interjeter appel. Cet appel est de droit : tout citoyen doit pouvoir exercer son droit au recours, afin d’être jugé par une cour d’appel. Si madame Le Pen décidait d’interjeter appel, je souhaite, à titre personnel, que l’audience d’appel puisse être organisée dans le délai le plus raisonnable possible, conformément à l’esprit de sa démarche. Il appartiendra à la cour d’appel de Paris, parfaitement indépendante, de fixer la date de cet appel. Monsieur le député, votre intervention m’a semblé contenir deux erreurs, pardonnez-moi si je n’ai pas bien entendu dans le brouhaha. La première, c’est que nous n’avons volé aucun siège de député ! Nous avons tous été élus au suffrage universel direct que vous réclamez ; nous sommes des parlementaires égaux ! C’est ainsi : le scrutin législatif comporte deux tours ; aucun citoyen n’a été forcé de voter pour aucun des députés ici présents. Deuxième erreur : vous avez sans doute oublié d’apporter votre soutien aux magistrats menacés depuis hier… En démocratie, il est inacceptable que des personnes puissent menacer physiquement des magistrats. Il me semble que lorsque l’on réclame un État de droit, cette réclamation ne peut souffrir aucune exception parmi les magistrats libres et indépendants de ce pays. ».

    Certains ont vu cette opinion personnelle sur le calendrier de la justice comme une pression sur celle-ci. Quelques heures plus tard, on a appris qu'en cas d'appel, la cour d'appel de Paris tenterait de faire ce procès en appel avant la fin de l'été 2026. Sur le principe, accélérer la justice est une nécessité de bon sens, mais d'une part, la lenteur de l'affaire Le Pen vient du RN lui-même (déjà écrit) et d'autre part, en donnant la priorité à l'affaire Le Pen sur d'autres affaires, cela va impacter sur d'autres affaires judiciaires et d'autres personnes condamnées en première instance et actuellement incarcérées. Selon la magistrate Évelyne Sire-Marin, membre du bureau de la Ligue des droits de l'homme (interviewée le 1er avril 2025 sur LCI), il y a, à ce jour, déjà 4 000 affaires dont l'instruction est terminée en attente de procès en appel !


    En outre, je ne vois pas en quoi ce procès en appel ferait les affaires de Marine Le Pen, en ce sens qu'une nouvelle condamnation resterait très probable en appel et qu'une peine en appel serait encore plus dure à faire accepter auprès de ses propres électeurs.
     

     
     


    Sur la tirade particulièrement excessive de Jean-Philippe Tanguy, l'éditorialiste politique Patrick Cohen a proposé le lendemain, dans sa chronique sur France Inter, ce commentaire : « C’est politiquement inepte et judiciairement stupide. La colère est sûrement sincère, mais les adversaires du RN auront beau jeu d’expliquer que ce jour-là, le vernis a craqué, que l’extrême-droite a montré son vrai visage. Que la normalisation et la stratégie de la cravate n’étaient que des leurres. Or ce discours victimaire, antisystème et antirépublicain, s’il peut susciter l’adhésion d’une partie de la base, des 30 à 35% d’électeurs de premier tour, il a tout pour effrayer ceux qui manquent pour faire 50 au second, surtout dans une présidentielle. Un RN dédiabolisé peut espérer briser le plafond. Un RN trumpiste, c’est beaucoup moins sûr. Et puis sur le plan judiciaire, c’est tout aussi curieux. Maudire les magistrats qui vont vous rejuger, insulter ceux qui viennent de le faire, appeler à manifester contre les juges, comme l’avait fait Jean-Marie Le Pen déclaré inéligible en 98, n’est pas la meilleure des stratégies. Surtout quand vos premiers juges vous reprochent de ne pas avoir pris conscience de la gravité des détournements dont vous êtes coupables. ».

    Répondant à une question du président du groupe socialiste Boris Vallaud, François Bayrou a déclaré : « Le soutien que nous devons apporter aux magistrats, dans l’exercice de leurs fonctions, doit en effet être inconditionnel, non mesuré, puissant. Il est très important que l’ensemble de la représentation nationale exprime un tel soutien. ». Mais il a continué ainsi : « Il est vrai que des interrogations subsistent, j’en ai moi-même souvent formulé sur le seul sujet qui me paraît devoir être abordé dans cette affaire : la possibilité de former des recours. En principe de droit, toute décision lourde et grave en matière pénale doit pouvoir faire l’objet d’une procédure en appel et d’un recours. Cependant, le dispositif de l’exécution provisoire conduit à ce que des décisions lourdes et graves ne soient pas susceptibles de recours. Il n’est alors plus possible de faire appel de décisions qui, pourtant, peuvent entraîner des conséquences irréversibles. J’ai toujours, comme citoyen, considéré ce point comme problématique ; je m’étais déjà exprimé en ce sens lors de la condamnation du maire de Toulon, Hubert Falco. En effet, je considère, comme citoyen… Je suis un citoyen. Conformément aux principes du droit, les décisions de justice sont protégées et les magistrats doivent être soutenus. Cependant, lorsqu’il s’agit de s’interroger sur l’état de la loi, il revient au Parlement de prendre ses responsabilités. ».


    Répondant ensuite à la présidente du groupe écologiste Cyrielle Chatelain : « Il est indiscutable et il doit être indiscuté, sur tous les bancs, que les décisions de justice ont à être soutenues et les magistrats protégés dans l’exercice de leur mission. J’affirme, au nom du gouvernement, que c’est le cas : vous l’avez dit, il n’y a pas de passe-droit, quel qu’il soit et quelle que soit la loi concernée. Les magistrats exercent leur mission lorsqu’ils prononcent des jugements. Il est donc légitime que nous leur apportions, unanimement, sur tous les bancs, notre soutien. Toutefois, certains exemples… Pardonnez-moi de le dire : c’est vous, c’est le Parlement qui fait la loi. J’ai lu les déclarations des Insoumis à ce sujet, qui étaient très claires… Je considère que le Parlement a une réflexion à mener. Cependant, je n’ai pas l’intention de confondre la discussion portant sur un jugement, que je ne commente pas et que je soutiens, avec la réflexion sur l’état de la loi, qui appartient au Parlement et qui mérite d’être constamment reprise. ».
     

     
     


    Ainsi, François Bayrou a renvoyé le Parlement à ses responsabilités et a mollement défendu les juges (il ne pouvait pas faire autrement), mais c'est quand même assez décevant notamment pour un leader politique qui a fait de la moralisation de vie politique l'un de ses plus marquants dadas.

    Gérald Darmanin est réintervenu également après une question de la députée RN Laure Lavalette : « Je pense également avoir été clair, tout comme M. le Premier Ministre, sur le respect du droit inaliénable de faire appel, pour toutes les citoyennes et pour tous les citoyens, pour madame la présidente Le Pen comme pour toutes les autres personnes mises en cause par le tribunal de Paris. Il ne m’appartient pas, au titre de l’article 64 de la Constitution, d’en dire plus. Nous souhaitons tous, et je m’adresse ici aux membres du groupe Rassemblement national, un climat politique apaisé et des élections qui permettent à chacun de voter pour le candidat de son choix. Madame Lavalette, permettez-moi cependant de remarquer, vous êtes vous-même élue du Var, que M. Falco, ancien maire de Toulon, a été, lui aussi, frappé d’une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire. Vous aviez déclaré à l’époque, dans la presse locale : "S’il ne m’appartient pas de commenter cette décision de justice (…), j’appelle de mes vœux à l’apaisement et au respect de chacun". Je ne saurais dire mieux. ».

    Dans sa question, l'ancien président de LR et désormais complètement lepénisé, Éric Ciotti, a fait dans l'amalgame populiste (repris souvent dans les réseaux sociaux) : « Le candidat de l’opposition, François Fillon, largement favori dans l’élection présidentielle de 2017 : éliminé. La chaîne de télévision la plus populaire de la TNT : rayée de la carte. Aujourd’hui, enfin, la candidate donnée gagnante par tous les sondages pour l’élection présidentielle de 2027 est empêchée de se présenter par certaines personnes. Je veux dire tout mon soutien, dans ces conditions, à Marine Le Pen. Ce qui se passe est d’une gravité extrême. Alors que le pouvoir exécutif n’exécute plus rien, alors que le pouvoir législatif ne légifère sur rien, nous observons la prise de pouvoir de l’autorité judiciaire. Le gouvernement des juges s’installe contre le peuple souverain. D’éminents juristes, pourtant opposés à Marine Le Pen, ont fait entendre leur inquiétude : l’exécution provisoire instaure une peine de mort politique. Notre groupe défendra donc, dans le cadre de sa niche parlementaire de juin, une proposition de loi tendant à supprimer l’exécution provisoire pour les peines d’inéligibilité. ». Sur le "gouvernement des juges", je renvoie à l'explication du professeur Jean-Philippe Derosier, plus haut.

    La réponse de François Bayrou n'a pas changé : « Je ne veux pas laisser dire ici que notre démocratie serait mise à mal par l’autorité judiciaire. Ce n’est pas vrai. (…) Dès lors que nous prenons acte de la répartition des rôles qui assure l’équilibre de la démocratie et de la République, la marche à suivre est très simple : vous annoncez que vous allez déposer une proposition de loi, celle-ci sera examinée par les deux chambres et c’est donc le Parlement qui décidera si, oui ou non, il convient de toucher à l’écriture de la loi à partir de laquelle les magistrats jugent. ». Je reviendrai dans un autre article sur le fait de faire une nouvelle loi sur le sujet.

    La députée PS Sandine Runel, quant à elle, a rappelé un article du code pénal : « "Le fait de chercher à jeter le discrédit, publiquement par actes, paroles, écrits ou images de toute nature, sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende". Cet article du code pénal semble avoir échappé à certains, mais après tout, ils ne sont plus à ça près. Car, depuis hier, nombre de réactions se sont fait entendre, en premier lieu celles de l’extrême droite mondiale qui dénonce une décision de justice qualifiée de politique. MM. Poutine, Musk et Orban sont d’ailleurs les premiers à crier au scandale démocratique. S’en est suivi un déferlement de réactions dangereuses et populistes de la part de tout l’état-major du Rassemblement national. (…) Alors redisons-le avec force : en France, il n’y a pas de dictature judiciaire. Il n’y a pas de justice politique ni de tyrannie des juges. Car dans un État de droit, la loi s’applique sans privilège. Aucun sondage, aucune intention ne saurait vous donner un totem d’impunité. ».

     

     
     


    La question du député RN Sébastien Chenu n'a pas manqué, comme ses autres collègues du groupe RN, d'être polémique, tandis que d'autre députés lui ont crié "Rendez plutôt l'argent !" : « En laissant s’abîmer notre État de droit, la France, seul pays où il faut avoir perdu les élections pour gouverner, s’abîme sur la scène internationale. Craignant le jugement du peuple, certains se rassurent en s’appuyant sur celui de magistrats politisés. (…) Vous qui parlez à Tebboune et à Al-Charaa, vous acceptez qu’on piétine ici notre État de droit. Vous qui aimez tant donner des leçons de morale au monde entier, comment défendrez-vous demain Navalny ou Imamoglu, l’opposant d’Erdogan, quand vous acceptez ici que le peuple ne puisse ni choisir, ni voter pour la candidate du peuple, Marine Le Pen ? ».

    La réponse de Gérald Darmanin : « L’affaire est si importante que je ne cherche en rien à polémiquer. Il est question d’une décision de justice, rendue par trois magistrats indépendants, après un procès. Je ne vous permets pas de mettre en doute l’indépendance des magistrats ! Dans un État de droit, il est possible de faire appel. L’appel de madame la présidente Le Pen et des autres condamnés en première instance doit d’abord être audiencé. Après l’audiencement, le procès, qui sera équitable, et le verdict, prononcé par des magistrats indépendants, chacun devra accepter la décision de justice, c’est le principe dans un État de droit. Vous évoquez le respect de la démocratie. Comme vous l’a rappelé le Premier Ministre, les dispositions que vous dénoncez figurent dans une loi de 2016, la loi Sapin II, que je n’ai pas votée. Aujourd’hui, c’est la loi de la République. Comme l’a indiqué le Premier Ministre au président Ciotti, il appartient maintenant au Parlement de la modifier, s’il le souhaite. ».


    Et de préciser un point : « Je veux revenir sur un point également soulevé par M. Tanguy. Il n’existe pas une candidate du peuple et d’autres qui ne le seraient pas. Nous avons tous ici été élus par le peuple. Depuis le début de la Ve République, aucun candidat d’extrême droite n’a été choisi par le peuple à l’occasion de l’élection présidentielle, contrairement à M. Macron, qui l’a été deux fois, ne vous en déplaise ! Le peuple ne serait-il plus le peuple quand il vote mal ? Il devrait vous être possible d’avancer de bons arguments juridiques et politiques tout en respectant le vote du peuple, même quand il ne vote pas pour vous ! ».

    Dans la soirée du 1er avril 2025, Marine Le Pen a confirmé dans une interview au quotidien "Le Parisien" publiée le lendemain, qu'elle explorerait toutes les voies de recours possible : « Nous allons saisir le Conseil Constitutionnel par une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), dont le but est de se prononcer sur l'incompatibilité qu'il y a entre une décision d'inéligibilité avec exécution provisoire, et la liberté des électeurs qui est inscrite dans la Constitution. Par ailleurs, je souhaite saisir aussi en référé la Cour européenne des droits de l'homme. ». La QPC devrait être recevable si l'on lit bien entre les lignes la décision n°2025-1129 QPC du 28 mars 2025 du Conseil Constitutionnel. Quant à la CEDH, il fut un temps où Marine Le Pen la conspuait !

    Malgré toute cette agitation politicienne, il n'en demeure pas moins que la condamnation de Marine Le Pen en première réelle est bien réelle. Elle est d'une gravité exceptionnelle, de quatre ans de prison dont deux ans ferme, portant sur des détournements de fonds publics dans un système de financement qui n'a rien de fortuit et qui a duré douze ans. L'inéligibilité n'est que l'écume de cette lourde condamnation.


    Le principal sera la bataille de "l'opinion publique". Dans les premiers sondages, la tendance n'est pas favorable à Marine Le Pen. Une majorité des sondés considérerait normale la condamnation de Marine Le Pen et serait d'accord avec le principe d'une exécution provisoire d'une peine d'inéligibilité.

    En effet, dans le sondage Elabe pour BFMTV publié le 31 mars 2025 (avec un échantillon représentatif de 1 008 personnes interrogées par Internet après l'annonce de la condamnation de Marine Le Pen), pour 57,0% des sondés, cette décision de justice serait avant tout « une décision de justice normale ». De plus, 68% des sondés dans ce même sondage diraient que cette règle de l'exécution provisoire est juste.
     

     
     
     
     


    La candidature de Marine Le Pen a donc beaucoup de plomb dans l'aile pour l'élection présidentielle de 2027. Elle aura du mal à aller jusqu'au bout avec tous ces obstacles judiciaires mais aussi politiques. Sa combativité l'honore, mais on l'aimerait plus au service de l'intérêt du peuple français.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (02 avril 2025)
    http://www.rakotoarison.eu
     


    Pour aller plus loin :
    Texte intégral du jugement délibéré du 31 mars 2025 sur l'affaire Le Pen (à télécharger).
    Affaire Le Pen : ne confondons pas victime et coupable !
    Marine Le Pen : voler l'argent des Français !
    Marine Le Pen et la sérénité d'une future condamnée ?
    L'avenir judiciaire de Marine Le Pen dans une décision du Conseil Constitutionnel ?
    Jean-Marie Le Pen : extrême droite tenace et gauche débile...
    Mort de Jean-Marie Le Pen : la part de l'héritage.
    Procès de Marine Le Pen : surprise de gazelles et cynisme de vieux loups.
    Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
    Législatives 2024 (18) : la fin du cauchemar Bardella (pour le moment).
    Fake news : la scandaleuse manipulation politique du RN.
    Législatives 2024 (12) : un isoloir, ce n'est pas un cabine d'essayage !
    Législatives 2024 (11) : front, rassemblement, union nationale, barrage, consignes de vote...
    Législatives 2024 (10) : il était une fois Jordan Bardella, Gabriel Attal et Manuel Bompard.
    Législatives 2024 (9) : Emmanuel Macron et son n'ayez-pas-peur !
    Jean-Marie Le Pen, retour aux sources du RN.
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Le débat Gabriel Attal vs Jordan Bardella du 23 mai 2024.
    Débat Valérie Hayer vs Jordan Bardella : l'imposture démasquée de Coquille vide.
    Ukraine : Claude Malhuret se gausse de Jordan Selfie !
    Ukraine : Gabriel Attal attaque durement le RN et Marine Le Pen !
    Sondage secret : en cas de législatives anticipées, une victoire du RN ?
    FN/RN : fais-moi peur ! (27 octobre 2015).
    Marine Le Pen en tête dans un sondage : attention au buzz !
    Christine Boutin.
    André Figueras.
    Patrick Buisson.

    Rassemblement national : objectif 2027... ou avant !
    Jordan Bardella.
    Le nouveau JDD et la récupération des Enzo...
    Geoffroy Lejeune.
    Attention, un train de violence peut en cacher un autre...
    Éric Caliméro Zemmour.
    Jean-Marie Le Pen et sa marque dans l'histoire.
    La tactique politicienne du RN.
    La sanction disciplinaire la plus lourde de la Cinquième.

    Louis Aliot.
    Le congrès du RN.
    Grégoire de Fournas.
    Incident raciste : 89 nuances de haine à la veille du congrès du RN ?

    Le Front national des Le Pen, 50 ans plus tard...













    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250401-marine-le-pen.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/affaire-le-pen-ne-confondons-pas-260249

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/04/01/article-sr-20250401-marine-le-pen.html


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  • Marine Le Pen : voler l'argent des Français !

    « Marine Le Pen est au cœur de ce système. (…) Les embauches sont décidées par Marine Le Pen sans que les députés soient consultés. » (La présidente du tribunal correctionnel de Paris, le 31 mars 2025).




     

     
     


    Coup de semonce ce lundi 31 mars 2025 dans la matinée : le tribunal correctionnel de Paris a rendu public son jugement dans l'affaire des assistants parlementaires du RN. La principale prévenue, Marine Le Pen, considérée comme étant au cœur de tout un système de détournement de fonds publics, a été condamnée en première instance à quatre ans de prison dont deux ans ferme, avec bracelet électronique a domicile, à 100 000 euros d'amende et, surtout, en peine complémentaire, à cinq ans d'inéligibilité assortis d'une exécution provisoire. Cela signifie que Marine Le Pen ne pourra pas se présenter à une élection présidentielle entre le 31 mars 2025 et le 31 mars 2030. De plus, son mandat de conseillère départementale du Pas-de-Calais est déchu (pas celui de députée).

    C'est bien sûr un événement politique important, de la même importance que la condamnation à de la prison ferme de Nicolas Sarkozy ou que la mise en examen, en plein campagne présidentielle, de François Fillon. Mais il ne faut pas oublier que la justice est indépendante et les juges (ils sont plusieurs à avoir pris cette décision) ont dû résister aux nombreuses pressions politiques de ces dernières semaines.

    Il ne faut pas se tromper, le RN et Marine Le Pen, loin d'être anti-système, ont voulu, pendant de nombreuses années, entre 2004 et 2016, profiter du système avec de l'argent public. Le RN a d'ailleurs été lui aussi condamné à une lourde amende de 2 millions d'euros dont un million avec sursis. Le préjudice serait de 4,1 millions d'euros, ce qui est une somme colossale dans les affaires politico-financières.


    Ce n'est pas la première fois que des élus de la République ont été condamnés à des peine d'inéligibilité avec exécution provisoire : Hubert Falco (maire de Toulon et ancien ministre), Gaston Flosse (ancien président de Polynésie française et ancien ministre), le couple Balkany (en particulier Patrick Balkany, maire de Levallois-Perret), etc. En ce sens, le jugement particulièrement sévère à l'encontre de Marine Le Pen n'a rien d'exceptionnel et est au contraire une règle... voulue par les parlementaires eux-mêmes !

    C'est intéressant d'observer la réaction de la classe politique et du monde médiatique. Parmi les politiques, les proches du RN sont évidemment vent debout contre une décision qu'ils considèrent comme politique, celle d'un gouvernement des juges (ce qui est faux, voir plus loin l'explication du professeur Dominique Rousseau). Les insoumis aussi sont opposés à ce jugement. Le PS et les écologistes sont plus mesurés en se contentant de vouloir préserver l'indépendance de la justice mais ne peuvent s'empêcher d'être ravis. Quant à la majorité gouvernementale, elle est très mesurée, le Premier Ministre François Bayrou a laissé croire qu'il était « troublé » tout en refusant de commenter une décision de justice, et la veille, il expliquait au journal "Le Figaro" : « Si Marine Le Pen ne peut pas se présenter, il y a un risque de choc dans l'opinion. ». En outre, un candidat à la présidence de LR a protesté vigoureusement.


     

     
     


    Peut-être que c'est l'ancienne ministre et actuelle députée EPR Prisca Thevenot qui a eu la meilleure réaction, la plus rationnelle. Elle a posé la simple question : à partir de quel pourcentage dans les sondages une candidate peut-elle être au-dessus des lois ? La réponse est évidente : la loi s'applique à tous !

    Quant aux journalistes, ils sont manifestement gênés, tentent de ménager la chèvre et le chou, pour beaucoup, sont secrètement ravis mais ont peur des réactions peut-être explosives d'une partie de l'électorat et ont complètement oublié que l'État de droit, c'est d'abord de respecter les lois et les juges veillent justement à ce respect.

    Très instructives aussi ont été les réactions internationales de soutien. Là, c'est clair, les masques tombent ! L'internationale de l'extrême droite populiste est à l'œuvre et s'est trahie elle-même ce lundi ! Tous ceux qui ont apporté un soutien à Marine Le Pen veulent l'échec de la France. Cela dit beaucoup du patriotisme de pacotille des élus RN ! La première réaction est même venue du Kremlin, ce n'est pas un poisson d'avril, ce n'est pas une caricature, ce n'est même pas de l'humour, c'est la réalité glaçante par la voix du porte-parole de Vladimir Poutine, Dmitri Peskov : « De plus en plus de capitales européennes empruntent la voie de la violation des normes démocratiques. ». La France des Lumières n'a pas de leçon à recevoir d'un sbire de Vladimir Poutine !

    Dis-moi qui te soutient, je te dirai qui tu es ! Viktor Orban : « Je suis Marine ! ». Elon Musk : « Lorsque la gauche radicale ne peut pas gagner par le biais d'un vote démocratique, elle abuse du système judiciaire pour emprisonner ses opposants. C'est la règle du jeu qu'ils appliquent partout dans le monde. ». Matteo Salivini : « Ceux qui craignent le jugement des électeurs cherchent souvent à se rassurer par celui des tribunaux. À Paris, ils ont condamné Marine Le Pen et aimeraient l'écarter de la vie politique. Un mauvais film que l'on observe également dans d'autres pays comme la Roumanie. ». Geert Wilders : « Je suis choqué par le verdict incroyablement sévère rendu contre Marine Le Pen. Je la soutiens et je crois en elle à 100% et je pense qu'elle gagnera son appel et deviendra Présidente de la France. ». Le pire est sans doute l'ancien Président russe Dmitri Medvedev qui n'a pas hésité à confirmer les visions expansionnistes de son pays : « Après la décision de justice rendue, il me semble que, comme le 31 mars 1814, seuls les cosaques russes puissent ramener la liberté en France. Mais est-ce que Marine Le Pen les attendra ? ». Qu'est-ce que c'est que toutes ces ingérences de dirigeants politiques étrangers à l'égard de la France ? La patriotisme du RN se réduit à rien du tout !


     

     
     


    Avant de poursuivre, je ne peux pas m'empêcher de revoir Marine Le Pen dans la position si connue de Mains propres, tête haute ! Ainsi, le 9 février 2004 dans "Mots croisés" sur France 2, Marine Le Pen débattait avec Jean-François Copé, Arlette Laguiller et Malek Boutih. Elle a notamment déclaré, à propos de la condamnation d'Alain Juppé : « Tout le monde a piqué de l'argent dans la caisse sauf le front national. Et on trouve ça normal ? Oh mais non, c'est pas très grave, à la limite. Les Français en ont marre, mais les Français n'en ont pas marre d'entendre parler des affaires, ils en ont marre qu'il y ait des affaires, ils en ont marre de voir les élus, je suis navrée de vous le dire, qui détournent de l'argent, c'est ça qui est scandaleux. Parce que je vais vous dire, avec tout cet argent, ce qu'on aurait fait. Ah, en termes de restos du cœur, en termes d'opérations pièces jaunes, c'est combien d'opérations pièces jaunes, tout l'argent qui a été détourné par les élus ? (…) Monsieur Copé, on ne vole pas l'argent des Français ! Vous savez ce que ça veut dire ? Voler l'argent des Français, voler l'argent des Français ! Ça, c'est respecter la démocratie, c'est de ne pas voler l'argent des Français. Voilà, vous voyez ? ». Il faut bien comprendre que la condamnation de Marine Le Pen se base de faits qui ont commencé en ...2004 !

    Neuf ans plus tard, le 5 avril 2013 sur Public Sénat, Marine Le Pen répétait la tirade de celle qui lave plus blanc que blanc : « Moi, j'ai entendu le Président de la République dire : oui, ce qu'il faudrait, c'est rendre inéligible à vie ceux qui ont été condamnés. Jusque là, je suis parfaitement d'accord. C'était dans mon projet présidentiel. Pour corruption et fraude fiscale. Ah bon ? Et pourquoi pas le reste ? Mais alors, pourquoi pas pour favoritisme ? Pourquoi pas pour détournement du fonds public ? Pourquoi pas pour emplois fictifs ? ». Si elle avait su...

     

     
     


    La (encore) députée Marine Le Pen s'est invitée au journal de 20 heures de TF1 ce lundi 31 mars 2025. Elle a eu, à mon avis, la mauvaise idée de proclamer encore son innocence, un système de défense utilisé déjà pendant tout son procès qui a encouragé les juges à prononcer l'exécution provisoire pour éviter la récidive, puisqu'elle n'a pas compris que ce qu'elle avait fait était illégal.

    Se proclamer innocent même après une condamnation définitive, l'un des hommes politiques qui a passé le plus de temps en prison, Alain Carignon, en a fait une règle personnelle : ne jamais reconnaître sa culpabilité. C'est efficace politiquement car cela permet à ses fidèles de continuer à le soutenir. En revanche, c'est très contre-productif lors d'un procès car c'est insupportable pour les juges qui considèrent que décidément, ce justiciable est irrécupérable.

    Mais Marine Le Pen a dit des contre-vérités sur TF1, en particulier en disant que la loi Sapin II ne s'appliquait pas à sa situation. Bien sûr que si ! La loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin II (du nom du Ministre de l'Économie et des Finances Michel Sapin) a introduit dans le code pénal (article 131-26-2) ce principe : toute condamnation pénale pour délit d’atteinte à la probité (par exemple, détournement de fonds publics, abus de confiance, corruption, favoritisme, etc.) doit obligatoirement être assortie d’une peine complémentaire d’inéligibilité, sauf décision spécialement motivée du juge.

    L'exécution provisoire (inéligibilité immédiatement applicable, même en cas d'appel), provient en partie de la loi n°2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire défendue par le garde des sceaux de l'époque, Éric Dupond-Moretti.


    Les juges ont donc appliqué simplement les lois voulues par les parlementaires élus au suffrage universel direct et donc, dépositaire de la volonté du peuple. Elle est là, la majorité ; il est là, le peuple. Les juges étaient même blâmés pour leur laxisme, d'où le renforcement par la loi.

    Le constitutionnaliste Dominique Rousseau, professeur émérite de droit public à l'Université Panthéon-Sorbonne, l'a rappelé le 31 mars 2025 à Public Sénat : « J'entends effectivement, depuis ce matin, haro sur les juges. Alors, je vais essayer de remettre les choses sur leurs pieds. Jusqu'à la loi Sapin, la peine d'inéligibilité, et l'exécution provisoire, était facultative, et les juges ne la prononçait quasiment jamais, afin justement d'éviter qu'on leur dise : ils se mêlent du politique. Devant cela, c'est le législateur, les élus, qui ont décidé non plus qu'elle serait facultative, mais obligatoire. Obligatoire ne voulant pas dire automatique, puisque les juges ont la possibilité de dire pas de peine d'inéligibilité. Autrement dit, pas haro sur les juges, haro sur le législateur, si on veut. C'est le législateur, qui a demandé aux juges qui n'étaient pas sévères, d'appliquer de manière obligatoire la peine d'inéligibilité pour un certain nombre d'infraction violences sexistes et sexuelles, et détournement de fonds publics. Donc, stop ! Stop ! Il ne faut pas tout mélanger. On oublie depuis ce matin les causes. (…) Les élus du peuple ont utilisé l'argent du peuple pour autre chose que ce pour quoi ils ont été élus. Ils ont été élus pour défendre les intérêts de la France au Parlement Européen, et ils ont utilisé l'argent pour autre chose que défendre les intérêts de la France au Parlement Européen. Ce qui fait mal à la démocratie, ce qui exécute la démocratie, c'est des élus qui ne remplissent pas leur travail, qui ne font pas leur travail. La démocratie se perd quand les élus ne sont pas intègres. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est ce qui est écrit dans la Déclaration de 1789. ».

    Nous sommes en plein Orwell quand on entend Marine Le Pen dire qu'avec sa condamnation, il n'y a plus d'État de droit. C'est au contraire l'indépendance des juges qui garantit l'État de droit. Le suffrage universel ne permet pas tout et surtout pas d'être au-dessus des lois que les parlementaires ont eux-mêmes rédigées. Ce frein aux abus, c'est la justice, comme ce sont aussi l'université et la presse, pour le professeur Dominique Rousseau : « Les juges ont comme références pour prononcer leur jugement la loi ou la Constitution si c'est le Conseil Constitutionnel. (…) Sur cette affaire-là, c'est le politique qui a voulu que la sanction soit plus sévère parce qu'il constatait que le juge ne prononçait pas la peine d'inéligibilité. (…) Il n'y a pas de pouvoir des juges. (…) Quel est le rôle des juges ? Le rôle des juges, c'est d'empêcher un pouvoir d'abuser de sa situation majoritaire. C'est du Montesquieu, hein. Il y a la faculté de statuer, et la faculté d'empêcher. Les juges n'empêchent pas le pouvoir de gouverner, ils empêchent le gouvernement d'abuser de sa situation pour porter atteinte aux droits et libertés. Et je dirais qu'en l'espèce, d'une certaine manière, les juges protègent la démocratie. Un des piliers de la démocratie, c'est le suffrage universel, on est bien d'accord ? Bon, et pour que la démocratie fonctionne, il faut qu'il y ait une confiance entre les électeurs et les élus. Si on ne prévient pas la possibilité d'élire des gens qui ont commis des infractions, détournement de pouvoir, violence, sexisme, détournement etc., on sape la confiance dans les institutions. (…) Trois piliers (…) : la liberté de la presse, la liberté et l'indépendance des juges, et la liberté universitaire. Ce sont les trois qui sont attaqués par tous ceux qui veulent remettre en cause la démocratie. ».

    La combativité de Marine Le Pen qui a décidé de continuer sa campagne présidentielle malgré sa condamnation est une forme de déni étonnant. Car il y a peu de chance que le jugement en appel soit rendu avant l'élection présidentielle et encore moins de probabilité pour qu'il soit plus clément qu'en première instance alors que les juges n'ont émis aucun doute sur la réalité des faits. De plus, il n'y a pas d'empêchement politique de se présenter, le RN a bien d'autres candidats possibles pour être représenté sérieusement à l'élection présidentielle. D'ailleurs, Jordan Bardella et Marion Maréchal piaffent d'impatience. Sauront-il attendre un délai raisonnable pour préserver la décence vis-à-vis de Tata Le Pen ?



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (31 mars 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


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    Débat Valérie Hayer vs Jordan Bardella : l'imposture démasquée de Coquille vide.
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    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250331-marine-le-pen.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/marine-le-pen-voler-l-argent-des-260217

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/03/31/article-sr-20250331-marine-le-pen.html


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  • Marine Le Pen et la sérénité d'une future condamnée ?

    « Je comprends que des gens ne soient pas sereins, mais moi, je le suis. » (Marine Le Pen, le 30 mars 2025 sur TF1).





     

     
     


    Il est des jours plus cruciaux que d'autres. On peut penser que le jour le plus crucial pour une personnalité politique, qui ne pense qu'à la politique depuis des décennies, c'est le jour de l'élection, mais maintenant, il faut être moderne : le jour crucial, c'est désormais le jour de l'annonce du jugement. Pour Marine Le Pen, candidate putative à l'élection présidentielle de 2027 (après déjà trois échecs cinglants !), ce jour-là, c'est ce lundi 31 mars 2025. Suspense dramatique. D'une tragédie, ou d'une comédie.

    En jeu, son avenir judiciaire, et donc, son agenda politique. Le réquisitoire du procureur dans l'affaire des assistants parlementaires du RN au Parlement Européen était d'une très grande sévérité le 13 novembre 2024 : il a requis, entre autres, une peine complémentaire de cinq années d'inéligibilité assortie d'une exécution provisoire. C'est cette "exécution provisoire" qui fait polémique, car cela rendrait l'ancienne présidente du RN inéligible malgré un recours en appel, c'est-à-dire alors qu'elle ne serait pas encore condamnée définitivement. De quoi rater le train électoral de 2027.

    On le comprend bien : l'exécution provisoire est une forme d'exécution tout court. Marine Le Pen l'a d'ailleurs vu ainsi dans une interview le 30 mars 2025 sur TF1 : « Je ne peux pas imaginer un tel trouble à l'ordre démocratique, on parle d'une mise à mort, d'une guillotine judiciaire. ». Même si cela pourrait faire plaisir à beaucoup de monde, serait-ce judicieux d'un point de vue démocratique ?

     

     
     


    Les autres peines requises par le parquet sont cinq ans de prison dont deux ans ferme et 300 000 euros d'amendes. Revenons aux fondamentaux, c'est-à-dire ici au contexte. La justice reproche à Marine Le Pen quelque chose de très grave : on parle d'un préjudice évalué entre 5,0 et 7,5 millions d'euros de détournement d'argent public. En utilisant l'enveloppe budgétaire prévue pour les collaborateurs des députés européens pour des individus qui avaient un autre emploi, comme garde-du-corps. Cela concernerait une vingtaine de personnes. Rien à voir avec l'affaire du MoDem, où il était de seulement quelques centaines de milliers d'euros. Un des supposés assistants parlementaires était, à l'époque, le compagnon de la présidente du FN ; une autre son (ancienne) belle-sœur.
     

     
     


    On peut comprendre que les juges pourraient considérer qu'une personnalité incapable de respecter le droit et la loi (et du reste incapable de gérer correctement les finances de son parti) ne devrait pas pouvoir postuler à un poste aussi important que Président de la République où il faudrait gérer le budget de l'État. Mais on pourrait aussi rétorquer, a contrario, que ceux qui ont géré l'argent public depuis une cinquantaine d'années ont creusé collectivement un trou de 3 305 milliards d'euros au 31 décembre 2024 !

    Marine Le Pen veut garder sa sérénité parce qu'elle ne peut pas imaginer un autre sort que celui d'une future candidate. La méthode Coué est-elle efficace ? Il faudra, pour le savoir, attendre le jugement de lundi : « Je pense que les magistrats ne décideront pas de l'exécution provisoire parce que je ne peux imaginer qu'ils le fassent. ».

    Ce qui est intéressant dans le discours de Marine Le Pen, c'est que, dans son esprit, sa condamnation ne fait l'objet d'aucune incertitude, et même, une peine d'inéligibilité contre elle ne fait aucun doute. Ce qui reste incertain, pour elle comme pour les observateurs de la vie politique, c'est si cette peine d'inéligibilité est assortie d'une exécution provisoire, ce qui aurait pour effet de rendre impossible sa candidature à l'élection présidentielle pour 2027. Du moins, en théorie, car elle aurait, dans ce cas-là, d'autres types de recours comme une QPC sur le sujet.

    Je rappelle que la décision du Conseil Constitutionnel prise le 28 mars 2025 n'avait pas l'effet de la rassurer puisqu'elle confirmait que l'exécution provisoire d'une peine d'inéligibilité était conforme à la Constitution sous réserve qu'il y ait un débat contradictoire, que les motivations soient écrites et qu'il n'y ait pas atteinte à la proportionnalité de la peine (ce dernier point est essentiel dans le cas de Marine Le Pen). Mais le Conseil Constitutionnel, qui n'a donc pas montré une grande empathie pour le cas de Marine Le Pen, lui a laissé une porte de sortie, ou plutôt, une sortie de secours : cette décision du Conseil Constitutionnel ne concerne que le cas des élus locaux, et pas des parlementaires. Par conséquent, cette décision ouvre bien la voie possible d'une QPC sur le sujet pour les parlementaires, ce qui est le cas de Marine Le Pen.


     

     
     


    D'un point de vue politique, l'inéligibilité effective de Marine Le Pen serait quand même un énorme coup de semonce sur la vie politique. Elle serait regrettable en ce sens que sa candidature est aujourd'hui créditée d'un score assez élevé dans les sondages d'intentions de vote, autour de 30%. Cette décision de justice remettrait en cause le jeu normal des candidatures, mais pas plus qu'avec la mise en examen, en plein campagne présidentielle, de François Fillon en mars 2017.

    Ce qui est sûr, malgré tous les soupçons qu'on pourrait avoir (avec l'existence d'un mur des c@ns dans le local d'un syndicat de juges, par exemple), c'est que le juge n'aura pas un raisonnement politique mais juridique. En clair, il devra déterminer si l'exécution provisoire de la peine d'inéligibilité remet en cause ou pas le droit des électeurs (en l'occurrence ici du RN).


    Rappelons que Marine Le Pen a longtemps été favorable à la sévérité des peines, et même à leur automaticité, estimant les juges beaucoup trop laxistes vis-à-vis des délinquants. La tolérance zéro ne doit-elle pas s'appliquer aussi à la classe politique ? Moins convaincante, Marine Le Pen avait pourtant fait de la moralité en politique son cheval de bataille en 2012 et souhaitait renforcer l'inéligibilité des responsables politiques qui auraient commis des délits.
     

     
     


    L'exécution provisoire de l'éventuelle peine d'inéligibilité de Marine Le Pen serait évidemment un coup dur pour elle, pour sa carrière politique et pour le RN, mais la nature a toujours horreur du vide et il y a une véritable vanité de se croire indispensable (au parti, à la nation).
     

     
     


    Jordan Bardella serait-il à Marine Le Pen ce qu'a été Édouard Balladur à Jacques Chirac ? Car au RN, tout est déjà acquis avec un "candidat de remplacement" en la personne de Jordan Bardella. La candidature de ce dernier aurait même la préférence de certains élus RN car il serait le plus apte à faire un rassemblement des droites là où Marine Le Pen voudrait encore surfer sur le ni droite ni gauche.

    Cette analyse néglige cependant le facteur très personnel d'une élection présidentielle. Certes, on vote pour une tendance, un courant politique, un projet présidentiel, mais aussi pour une personnalité qu'on croit apte, ou pas, aux fonctions de Président de la République. Ce serait difficile de faire confiance en un jeune homme de 28 ans qui, certes, communique bien sur les réseaux sociaux, mais qui n'a jamais travaillé autrement que dans un appareil politique, qui ne connaît pas la vraie vie des Français, fainéant en n'allant jamais au Parlement Européen pour lequel il est élu, et qui n'a jamais bossé ses dossiers.

     

     
     


    Ainsi, les électeurs de Marine Le Pen pourraient se détourner du RN pour un autre candidat qui serait, selon eux, aussi sérieux voire plus sérieux que l'ancienne présidente du RN. Aujourd'hui, ce candidat de substitution n'est pas au RN mais... au gouvernement : Bruno Retailleau, candidat actuel à la présidence de LR !


    Il pourrait toutefois y avoir une solution médiane pour le juge. Ce serait de prononcer une peine d'inéligibilité d'un ou deux ans assortie d'une exécution provisoire. Cela n'empêcherait pas Marine Le Pen de se porter candidate en avril 2027, mais cela montrerait la gravité du délit reconnu le cas échéant.
     

     
     


    Ah, au fait... On a appris par un article de Laurent Léger, publié le 28 mars 2025 dans "Libération", que Jean-Luc Mélenchon aurait lui aussi des poursuites judiciaires pour la même raison (emploi fictif d'assistants parlementaires européens)... depuis 2017 ! L'information, pourtant connue depuis le 18 juillet 2017, était bien cachée et l'avancée de l'enquête judiciaire est restée fort discrète...


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    Sylvain Rakotoarison (30 mars 2025)
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  • L'avenir judiciaire de Marine Le Pen dans une décision du Conseil Constitutionnel ?

    « Le Conseil Constitutionnel juge conformes à la Constitution, sous une réserve d’interprétation, des dispositions du code électoral organisant la procédure de démission d’office applicable à un conseiller municipal privé de son droit électoral à la suite d’une condamnation pénale. » (communiqué du 28 mars 2025).




     

     
     


    Ce vendredi 28 mars 2025 à 10 heures a été rendue publique une décision très attendue du Conseil Constitutionnel. Elle était attendue parce qu'elle pourrait avoir un effet sur l'avenir judiciaire et donc l'avenir politique de Marine Le Pen, et parce qu'elle était, en quelque sorte, l'épreuve du feu du nouveau Président du Conseil Constitutionnel Richard Ferrand, installé le 7 mars 2025. Il s'agit de la décision n°2025-1129 QPC du 28 mars 2025.

    En droit français, nous avons ces deux éléments. Premièrement : « En vertu de l’article 131-26-2 du code pénal, sauf décision contraire spécialement motivée, la peine complémentaire d’inéligibilité est obligatoirement prononcée à l’encontre des personnes coupables d’un crime ou de certains délits. ». Deuxièmement : « Il résulte du quatrième alinéa de l’article 471 du code de procédure pénale que le juge peut ordonner l’exécution provisoire de cette peine. ».


    Le problème est le suivant : « Il était notamment reproché à ces dispositions, telles qu’interprétées par la jurisprudence constante du Conseil d’État, de porter une atteinte disproportionnée au droit d’éligibilité en imposant que soit immédiatement déclaré démissionnaire d’office le conseiller municipal condamné à une peine d’inéligibilité, y compris lorsque le juge pénal en ordonne l’exécution provisoire. ».

    Reprenons depuis le début pour être clair, car cela peut être un peu compliqué. Une QPC est une question prioritaire de constitutionnalité : introduite dans la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 voulue par Nicolas Sarkozy, elle permet aux justiciables de remettre en cause une disposition d'une loi (déjà en application, donc) qui les défavoriserait en raison de sa non-conformité à la Constitution. En effet, lorsqu'elle est adoptée par le Parlement, une loi peut, avant d'être promulguée, faire l'objet d'une saisine par des parlementaires sur sa conformité, ou pas, à la Constitution, mais lorsqu'il n'y a pas de saisine, cela ne signifie pas que tout le texte est conforme, et lorsqu'il est promulgué, il s'applique. C'est donc une révolution juridique énorme puisque toutes les lois peuvent être remises en cause. La charge de travail du Conseil Constitutionnel a ainsi décuplé depuis son introduction effective le 1er mars 2010.

    Le Conseil Constitutionnel a ainsi été saisi par le Conseil d'État (décision n° 498271 du 27 décembre 2024) sur le cas d'un conseiller municipal de Mayotte qui a été condamné en première instance en particulier à l'inéligibilité avec exécution provisoire, ce qui a pour effet sa démission d'office de son mandat de conseiller municipal de manière immédiate.


    L'exécution provisoire de l'inéligibilité peut avoir de graves conséquences puisqu'elle oblige l'exécution d'une peine en première instance même si un appel a lieu, et donc, même si le procès doit de nouveau se tenir. Elle provient de la la loi n°2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, adoptée à la suite de l'affaire Cahuzac.

    Même si la décision n'a rien à voir avec la situation de Marine Le Pen, elle est concernée en ce sens que le procureur, dans son réquisitoire du 13 novembre 2024, avait demandé, entre autres, une peine d'inéligibilité de cinq ans avec exécution provisoire. Ce qui signifie, si elle était prononcée, il faut attendre le 31 mars 2025 pour avoir connaissance de la décision du juge, que la leader du RN ne pourrait pas se représenter à l'élection présidentielle avant le 31 mars ...2030, soit, bien après 2027, à moins qu'un procès en appel soit tenu avant 2027 et l'innocente, ce qui paraît peu probable en raison des lenteurs de la justice (lenteur, dans le cas de Marine Le Pen, qui est surtout la conséquence de ses propres avocats qui ont fait traîner les choses en réclamant expertise sur expertise).


    Quant au Conseil Constitutionnel, il devait prendre la décision en question avant le 3 avril 2025 (il a trois mois pour statuer) et a opté pour la date du 28 mars 2025, c'est-à-dire trois jours avant la décision de justice pour Marine Le Pen qui, en principe, est indépendante, mais on imaginerait mal les juges condamner à une peine d'inéligibilité à exécution provisoire si le Conseil Constitutionnel venait de dire, pour une autre affaire, que cette exécution provisoire serait anticonstitutionnelle (insistons, le litige constitutionnel, ce n'est pas l'inéligibilité, mais le principe d'une exécution provisoire avant un jugement définitif).

     

     
     


    Le requérant considérait, dans cette affaire qu' « en imposant que soit immédiatement déclaré démissionnaire d’office le conseiller municipal condamné à une peine d’inéligibilité, y compris lorsque le juge pénal en ordonne l’exécution provisoire, ces dispositions, telles qu’interprétées par la jurisprudence constante du Conseil d’État, porteraient une atteinte disproportionnée au droit d’éligibilité. Au soutien de ce grief, il fait valoir que ces dispositions auraient pour effet de priver l’élu concerné de son mandat avant même qu’il ait été statué définitivement sur le recours contre sa condamnation, alors qu’aucune disposition ne garantirait en outre que le juge ait pris en compte toutes les conséquences pour l’élu de l’exécution provisoire de la peine. ».

    La conclusion de la décision du Conseil Constitutionnel, c'est que l'exécution provisoire de la peine d'inéligibilité est conforme à la Constitution. En ce sens, le Conseil Constitutionnel a pris une position peu favorable à la situation de Marine Le Pen... ou un peu favorable, car tout est dans les détails, bien sûr.

    D'abord, lisons précisément la conclusion : « Sous la réserve énoncée au paragraphe 17, le renvoi opéré, au sein de l’article L. 236 du code électoral, dans sa rédaction résultant de la loi n°2001-1248 du 21 décembre 2001 relative aux chambres régionales des comptes et à la Cour des Comptes, au 1° de l’article L. 230 du même code, est conforme à la Constitution. ».

    Le paragraphe 12 est très clair dans la formulation : « Il résulte de la jurisprudence constante du Conseil d’État, telle qu’elle ressort notamment de la décision de renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité, que le préfet est tenu de déclarer immédiatement démissionnaire d’office le conseiller municipal non seulement en cas de condamnation à une peine d’inéligibilité devenue définitive, mais aussi lorsque la condamnation est assortie de l’exécution provisoire. ».

    L'argumentation de l'exécution provisoire, c'est l'efficacité et la prévention de la récidive : « Les dispositions contestées visent à garantir l’effectivité de la décision du juge ordonnant l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité afin d’assurer, en cas de recours, l’efficacité de la peine et de prévenir la récidive. » (paragraphe 13). Ajoutant : « Ce faisant, d’une part, elles mettent en œuvre l’exigence constitutionnelle qui s’attache à l’exécution des décisions de justice en matière pénale. D’autre part, elles contribuent à renforcer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus et la confiance des électeurs dans leurs représentants. Ainsi, elles mettent en œuvre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public. » (paragraphe 14). Ce dernier point est essentiel : parce qu'il est dépositaire de la souveraineté nationale et qu'il représente les citoyens, un élu de la République doit être encore plus honnête et plus exemplaire qu'un simple citoyen. C'est le sens de la peine d'inéligibilité.

    Le Conseil Constitutionnel précise également les conditions d'une peine d'inéligibilité avec exécution provisoire : « Le juge décide si la peine doit être assortie de l’exécution provisoire à la suite d’un débat contradictoire au cours duquel la personne peut présenter ses moyens de défense, notamment par le dépôt de conclusions, et faire valoir sa situation. » (paragraphe 16).

    Dans la décision, l'expression importante est évidemment « sous la réserve énoncée au paragraphe 17 ». Quel est-il ? Lisons-le aussi : « Sauf à méconnaître le droit d’éligibilité garanti par l’article 6 de la Déclaration de 1789, il revient alors au juge, dans sa décision, d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur. ».

     

     
     


    C'est là l'essentiel, le crucial : il faut une peine au caractère proportionné, et en particulier, préserver la liberté de l'électeur, ce qui signifie que l'inéligibilité doit être exécutée de manière très motivée. Ici, on parle de deux choses parallèles : la démission d'office de l'élu de son mandat en cours et son inéligibilité.

    Pour la démission d'office, il s'agit d'un arrêté du préfet, et à ce titre, il peut être contesté par un recours au tribunal administratif voire au Conseil d'État : « L’intéressé peut former contre l’arrêté prononçant la démission d’office une réclamation devant le tribunal administratif ainsi qu’un recours devant le Conseil d’État. Il résulte par ailleurs de la jurisprudence constante du Conseil d’État que cette réclamation a pour effet de suspendre l’exécution de l’arrêté, sauf dans le cas où c’est à la suite d’une condamnation pénale définitive que la démission d’office est notifiée. ».

    Rappelons qu'il existe une différence importante entre parlementaire et élu local : en cas d'exécution de la peine d'inéligibilité, l'élu local est démissionné d'office (par le préfet), et ne peut pas se représenter (à aucune élection pendant la durée de la peine). Pour un parlementaire, c'est un peu différent, il n'a pas le droit de se présenter à des élections durant la durée de sa peine, mais il n'est pas démissionné d'office, il peut donc accomplir le reste de son mandat de parlementaire (c'est le cas pour Marine Le Pen : dans tous les cas, elle restera députée jusqu'à la fin de la législature, sauf si elle démissionne par sa propre volonté).

    L'élément stratégique, c'est la capacité de se représenter à une élection avant un jugement définitif. La liberté de l'électeur, ce pourrait être de pouvoir voter pour un candidat qui n'est pas encore condamné définitivement à une peine d'inéligibilité. Sauf si le juge en décidait autrement.

    Bref, pour résumer, la décision du Conseil Constitutionnel de ce vendredi 28 mars 2025 reste assez incertaine sur l'avenir judiciaire de Marine Le Pen en ce sens que le sujet ne la concernait pas. Ce qui est important de savoir, et c'est un mauvais signe pour elle, c'est que le principe même de l'exécution provisoire d'une peine d'inéligibilité avant tout jugement définitif n'est pas contraire à la Constitution dans son principe.

    En revanche, le juge constitutionnel a précisé les conditions de cette exécution provisoire. La première chose, c'est que la décision du juge doit résulter d'un débat contradictoire et le juge doit préciser les motivations qui l'ont conduit à prononcer l'exécution provisoire. Ces motivations sont importantes pour la défense puisque chaque mot pourra être contesté par la défense et aboutir à l'annulation de l'exécution provisoire si les motivations ne tiennent pas la route. Le deuxième élément, c'est que la peine doit correspondre à un principe de proportionnalité : la gravité d'un empêchement de Marine Le Pen à se présenter à l'élection présidentielle de 2027 alors qu'elle flirte les 30% voire 40% au premier tour est telle que l'exécution provisoire éventuelle d'une peine d'inéligibilité devra être sérieusement motivée par le juge.

    Enfin, afin de botter en touche, le Conseil Constitutionnel précise bien que sa décision s'applique aux conseillers municipaux et pas aux parlementaires, laissant ainsi la jurisprudence vacante en ce qui concerne le sort de Marine Le Pen. C'est donc une décision très habilement rédigée. (Plus exactement, cela concerne uniquement le mandat de conseillère départementale du Pas-de-Calais qu'elle a obtenu en juin 2021).

    Habile sur le fond car elle ne statue pas par avance sur une QPC éventuelle déposée par Marine Le Pen en cas d'exécution provisoire d'une peine d'inéligibilité. Habile car elle montre que le (nouveau) Conseil Constitutionnel conserve sa totale indépendance ; s'il avait décrété que l'exécution provisoire avant jugement définitif était contraire aux droits de la défense, on aurait alors dit qu'il était vendu au RN, tandis qu'il y avait déjà des soupçons d'éventuelles collusions en raison de l'abstention des députés RN. Enfin, habile aussi en ce sens que la décision laisse une totale liberté au juge du 31 mars 2025 de prononcer une peine très sévère, ou moins sévère, sans effet sur une éventuelle non-conformité aux principes constitutionnels qui guident nos libertés et nos droits.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (28 mars 2025)
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    Pour aller plus loin :
    Question prioritaire de constitutionnalité (QPC).
    Procès de Marine Le Pen : surprise de gazelles et cynisme de vieux loups.
    L'avenir judiciaire de Marine Le Pen dans une décision du Conseil Constitutionnel ?
    L'installation du nouveau Conseil Constitutionnel présidé par Richard Ferrand.
    Laurence Vichnievsky.
    Philippe Bas.
    Richard Ferrand validé de justesse par le Parlement.
    Alain Juppé à la rescousse de Richard Ferrand ?
    Richard Ferrand bientôt proposé rue de Montpensier ?
    Laurent Fabius.
    Nominations au Conseil Constitutionnel en février 2010.
    Les nominations présidentielles.
    Jean-Louis Debré.
    Pierre Mazeaud.
    Yves Guéna.
    Roland Dumas.
    Robert Badinter.
    Daniel Mayer.

     

     

     

     

     

     


    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250328-qpc-conseil-constitutionnel.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/l-avenir-judiciaire-de-marine-le-260172

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/03/28/article-sr-20250328-qpc-conseil-constitutionnel.html



     

  • Jean-Marie Le Pen : extrême droite tenace et gauche débile...

    « Au-delà des polémiques qui étaient son arme préférée et des affrontements nécessaires sur le fond, Jean-Marie Le Pen aura été une figure de la vie politique française. On savait, en le combattant, quel combattant il était. » (François Bayrou, le 7 janvier 2025 sur Twitter).




     

     
     


    Quand la mort d'une personnalité publique devient-elle un événement à part entière ? Je parle bien sûr d'une mort non-violente puisque les morts violentes (attentats, meurtres, accidents, catastrophes, etc.) sont en elles-mêmes, par définition, des événements. Il y a bien sûr la mort de chefs d'État ou de gouvernement, ou spirituels, comme Georges Pompidou ou les papes (excepté Benoît XVI), dont le besoin de remplacement est un événement en lui-même. Mais au-delà de l'émotion, c'est très rare : la mort de Newton, la mort de Voltaire, la mort de Victor Hugo, la mort aussi de De Gaulle, peut-être oserais-je aussi citer Johnny Hallyday ? Peut-être aussi François Mitterrand et Jacques Chirac ? (Pas Valéry Giscard d'Estaing, parti discrètement). Même les grandes stars, les grands personnages de l'État, les grands écrivains disparaissent en général dans une extinction calme, discrète et simplement émue. Faut-il rajouter à cette courte liste le "Menhir", pas pour le chagrin légitime que sa mort a provoqué pour sa famille, politique et sa famille tout court, mais au contraire pour les cris de joie qu'on a entendus Place de la République à Paris durant la nuit ? Peut-on vraiment danser sur un cadavre encore chaud et se croire sincèrement humaniste ?

    Le "rappel à Dieu" du vieux leader de l'extrême droite Jean-Marie Le Pen (dans une maison médicalisée à Garches) ce mardi 7 janvier 2025 a suscité beaucoup de réactions (et de non-réactions !). Celui qui a été élu député pour la première fois il y a soixante-neuf ans a en effet provoqué tout au long de sa vie passions, combats, polémiques et scandales et n'a laissé quasiment personne indifférent. La réaction très sobre du Premier Ministre François Bayrou était normale puisqu'au-delà du respect dû aux disparus, il doit aussi ménager Marine Le Pen à l'Assemblée Nationale et donc, évidemment, respecter son deuil.


     

     
     


    Même sobriété pour le Président de la République Emmanuel Macron : « Figure historique de l'extrême droite, il a ainsi joué un rôle dans la vie publique de notre pays pendant près de soixante-dix ans, qui relève désormais du jugement de l'Histoire. Le Président de la République exprime ses condoléances à sa famille et ses proches. ».

    Les deux têtes de l'Exécutif n'ont aucune raison de mettre dans l'huile dans des braises et provoquer une polémique supplémentaire sur Jean-Marie Le Pen alors que le gouvernement doit vivre son heure de vérité dans quelques jours. Pour les socialistes, leur réaction n'est pas sur l'événement lui-même mais sur la réaction du Premier Ministre. Quand est-ce que ces socialistes vont penser enfin par eux-mêmes ?


    Même Jean-Luc Mélenchon a été assez sobre, faisant la part de l'homme qui est parti et de ses idées qu'il veut (et doit) combattre : « Le respect de la dignité des morts et du chagrin de leurs proches n'efface pas le droit de juger leurs actes. Ceux de Jean-Marie Le Pen restent insupportables. Le combat contre l'homme est fini. Celui contre la haine, le racisme, l'islamophobie et l'antisémitisme qu'il a répandus continue. ».
     

     
     


    Mais alors, que s'est-il passé Place de la République ? Des centaines de personnes (ou des milliers ?) se sont réunies plus ou moins spontanément (merci les réseaux sociaux) pour "fêter" la mort de Jean-Marie Le Pen. Oui, Jean-Marie Le Pen a fait beaucoup de mal à son pays, mais seulement de façon tribunitienne, il a été un aiguillon malsain, mais il n'est pas un dictateur, ce n'est pas Kadhafi ni Ceausescu. On a dit qu'il avait torturé, peut-être, et si c'est le cas, c'est un scandale, mais je ne suis pas juge et cela n'a jamais été formellement établi et je suppose en plus que c'était avec la bénédiction du gouvernement socialiste de l'époque. Ces rassemblements (car il y en a aussi en province) ont été organisés par le NPA qui, insistons !, fait partie de la nouvelle farce populaire (NFP) et ont été approuvés par des responsables des insoumis (comme Mathilde Panot qui a pensé que c'était "normal").

    Quelle honte que ces gens-là ! Qui sont-ils ? Apparemment, surtout des jeunes, donc pas les jeunes en masse qui ont voté Jacques Chirac en 2002 (ils ont maintenant vingt-trois ans de plus, au mieux des quadragénaires !). Des jeunes sans respect, sans repère, sans référence, qui pensent lutter contre l'extrême droite en l'aidant à se victimiser. Car c'est bien cela, la gauche la plus débile du monde, c'est de croire qu'on peut lutter contre la haine par la haine elle-même. Un discours, des actes complètement contre-productifs !

     

     
     


    Le Ministre d'État, Ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau l'a bien compris d'ailleurs, en réagissant en début de soirée par ces mots forts : « Rien, absolument rien ne justifie qu'on danse sur un cadavre ». Fêter la mort d'un vieillard qui, depuis au moins 2015, n'a plus participé au débat national, quelle preuve de courage, quelle victoire ! Ont-ils compris que le danger, si danger il y a (ce que je crois), ne vient plus de Jean-Marie Le Pen, un presque centenaire qui ne pouvait plus se déplacer facilement et placé en maison médicalisée depuis plusieurs mois ? Pensent-ils que l'efficacité des comités "Ras le front" dans les années 1990-2000, c'était d'attendre tranquillement la mort naturelle du leader charismatique de tout ce qu'ils détestent ? Où est la victoire politique ? Quel aveu d'impuissance, surtout !

    Il y a une violence effroyable à s'en prendre à un mort. Il n'y a que les terroristes du Hamas qui refusent de redonner les corps de leurs victimes à leur famille. C'est, avec la libération des otages, l'une des revendications de l'État d'Israël pour arrêter la guerre contre ce groupe terroriste à Gaza. Tous les modérés de droite, du centre et de gauche, sont ulcérés de voir ces agissements qui ne sont pas dignes d'un pays civilisé et cultivé, ou tout simplement, qui ne sont pas dignes d'être humain. Plus cette gauche débile montre son irrespect des valeurs fondamentales, plus elle place l'extrême droite dans la position de garante de ces valeurs fondamentales, ce qui me désole.


     

     
     


    À l'annonce du décès, Marion Maréchal (la petite-fille), Marie-Caroline et Yann (les deux filles aînées), individuellement, se sont rendues auprès de leur grand-père et père à Garches dans un établissement protégé par la police. On imagine qu'il faudra mobiliser beaucoup de forces de police samedi 11 janvier 2025 pour l'enterrement à la Trinité-sur-mer et éviter tous les dérapages possible de la gauche débile sans valeurs.

    Quant à Marine Le Pen, elle revenait de Mayotte et a appris la nouvelle à une escale à Nairobi. Malgré les désaccords stratégiques graves qu'elle a eus avec son père au point de le virer du parti qu'il a fondé (elle a tué, politiquement, le père pour de bon), mais après aussi une réconciliation il y a trois ans, on imagine la perte d'un père. Elle a juste tweeté le 8 janvier 2025 : « Un âge vénérable avait pris le guerrier mais nous avait rendu notre père. La mort est venue nous le reprendre. Beaucoup de gens qu'il aime l'attendent là-haut. Beaucoup de gens qui l'aiment le pleurent ici-bas. Bon vent, bonne mer Papa ! ». À votre avis, qui de la fille ou de ces militants irrespectueux de la Place de la République vont susciter de la sympathie aux Français ? La réponse est évidente.

    Gauche débile, mais extrême droite tenace aussi. Le politiquement correct d'un RN aseptisé et délepénisé n'a pas tenu longtemps si l'on lit le tweet complet de Jordan Bardella : « Jean-Marie Le Pen est mort. Engagé sous l'uniforme de l'armée française en Indochine et en Algérie, tribun du peuple à l'Assemblée Nationale et au Parlement Européen, il a toujours servi la France, défendu son identité et sa souveraineté. Je pense aujourd'hui avec tristesse à sa famille, à ses proches, et bien sûr à Marine Le Pen dont le deuil doit être respecté. ». La filiation du FN/RN avec son fondateur est clairement assumée. Même idées, même programme, même si c'est emballé de manière plus subtile et trompeuse. Du home-staging en quelque sorte.

    Les chaînes d'info continue avaient prévu de parler des dix ans des attentats de "Charlie Hebdo" et voici qu'en milieu de journée, la disparition de Jean-Marie Le Pen est arrivée, plongeant les rédactions dans la stupeur. Dans le meilleur rôle, CNews avait évidemment quelques longueurs d'avance dans ce rayon. Son invité du soir, Bruno Gollnisch, ancien numéro deux du FN et probable Premier Ministre en cas de victoire électorale en 2002, a assuré que Jean-Marie Le Pen voulait le pouvoir. Qu'il s'agissait d'une rumeur urbaine de croire qu'il a tout fait pour ne pas avoir le pouvoir. Il lui disait ainsi qu'on laissait croire qu'on lui avait proposé le pouvoir et qu'il l'avait refusé, mais ce n'était pas ça, il n'a simplement pas réussi à la conquérir. De plus, son désaccord avec sa fille était sur la méthode : il pensait que la "dédiabolisation" se ferait naturellement au fur et à mesure que l'audience électorale du parti d'extrême droite grandirait, sans changer ni édulcorer ses positions.


     

     
     


    On disait bien avant la mort de Georges Marchais que son remplaçant dans le style "grande gueule politique" était Jean-Marie Le Pen. Depuis une dizaine d'années (au moins), on peut dire sans hésitation que le remplaçant de Jean-Marie Le Pen est Jean-Luc Mélenchon avec quatre signes qui ne trompent pas : dire n'importe quoi, avec un grand talent, avec beaucoup d'écho médiatique et susceptible d'influencer beaucoup de monde ! Quand au fond intellectuel, on pense bien sûr à Éric Zemmour, mais la personnalité sanguine n'a rien à voir avec cet éditocrate cérébral.

     

     
     


    Si l'on prend l'homme qu'était Jean-Marie Le Pen, on pouvait sans doute s'agacer des propos volontiers sexistes, machistes qu'il tenait en privé, mais il avait aussi beaucoup d'humour, riait voire chantait (comme un légionnaire), il était bon vivant, a su entraîner beaucoup d'adhésion, d'espérance (lui-même parlait pour sa propre mort d'un « espoir d'espérance »). Une petite preuve de son humour avec cette émission en direct du fameux "Tribunal des flagrant délire" avec Claude Villers pour juge, Pierre Desproges pour procureur et Luis Rego pour avocat du prévenu... Jean-Marie Le Pen lors de l'audience du 28 septembre 1982 (l'une des rares émissions filmées) à une époque où il n'était pas encore un danger (mais avait déjà largement exprimé ses positions d'extrême droite : ses interlocuteurs rieurs ne pouvaient pas être taxés d'amis politiques).

    Au fond, quand on parle de "grande gueule politique", d'influencer, de dire n'importe quoi, de provoquer, cela ne vous rappelle-t-il pas quelqu'un ? Bien sûr, Donald Trump, qui se réinstallera à la Maison-Blanche dans moins de deux semaines, qui fait partie de ce même bois, insubmersible (et peut-être aussi durable).

    Indépendamment de la personnalité politique qui pouvait manier la mauvaise foi et l'insulte, Jean-Marie Le Pen, par sa bonne connaissance de la vie politique française, était capable d'excellentes analyses politiques avec des perspectives historiques, comme c'est souvent le cas pour des militants d'extrême droite (je pense à Patrick Buisson).

    Alors non ! Il ne faut pas danser sur un cadavre chaud, d'autant plus qu'il n'était plus depuis longtemps une menace pour la France. Mais ses idées sont toujours là, ont fleuri, se sont consolidées. Le meilleur moyen de les combattre, c'est d'abord de respecter le deuil des proches, c'est la moindre des choses, et ensuite de rappeler ce qu'est être français par Manuel Valls le 9 janvier 2016 : « Être français, ce n’est pas renoncer à ses origines, ce n’est pas renoncer à son identité, c’est les verser au pot commun. C’est une citoyenneté qui n’est pas petite, qui n’est pas réduite à l’origine de chacun, du sang, du sol ou par naturalisation, mais qui est grande, ouverte, fondée sur la volonté de construire l’avenir ensemble ! C’est ce nouveau patriotisme que j’appelle de mes vœux ! » (au fait, ne vous ai-je pas dit que je ne me lasserais jamais de citer ces paroles ?).



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    Sylvain Rakotoarison (08 janvier 2025)
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    Pour aller plus loin :
    Jean-Marie Le Pen : extrême droite tenace et gauche débile...
    Mort de Jean-Marie Le Pen : la part de l'héritage.
    Procès de Marine Le Pen : surprise de gazelles et cynisme de vieux loups.
    Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
    Législatives 2024 (18) : la fin du cauchemar Bardella (pour le moment).
    Fake news : la scandaleuse manipulation politique du RN.
    Législatives 2024 (12) : un isoloir, ce n'est pas un cabine d'essayage !
    Législatives 2024 (11) : front, rassemblement, union nationale, barrage, consignes de vote...
    Législatives 2024 (10) : il était une fois Jordan Bardella, Gabriel Attal et Manuel Bompard.
    Législatives 2024 (9) : Emmanuel Macron et son n'ayez-pas-peur !
    Jean-Marie Le Pen, retour aux sources du RN.
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Le débat Gabriel Attal vs Jordan Bardella du 23 mai 2024.
    Débat Valérie Hayer vs Jordan Bardella : l'imposture démasquée de Coquille vide.
    Ukraine : Claude Malhuret se gausse de Jordan Selfie !
    Ukraine : Gabriel Attal attaque durement le RN et Marine Le Pen !
    Sondage secret : en cas de législatives anticipées, une victoire du RN ?
    FN/RN : fais-moi peur ! (27 octobre 2015).
    Marine Le Pen en tête dans un sondage : attention au buzz !
    Christine Boutin.
    André Figueras.
    Patrick Buisson.

    Rassemblement national : objectif 2027... ou avant !
    Jordan Bardella.
    Le nouveau JDD et la récupération des Enzo...
    Geoffroy Lejeune.
    Attention, un train de violence peut en cacher un autre...
    Éric Caliméro Zemmour.
    Jean-Marie Le Pen et sa marque dans l'histoire.
    La tactique politicienne du RN.
    La sanction disciplinaire la plus lourde de la Cinquième.

    Louis Aliot.
    Le congrès du RN.
    Grégoire de Fournas.
    Incident raciste : 89 nuances de haine à la veille du congrès du RN ?

    Le Front national des Le Pen, 50 ans plus tard...

     

     
     



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    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/jean-marie-le-pen-extreme-droite-258554

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  • Mort de Jean-Marie Le Pen : la part de l'héritage

    « Je me pose un certain nombre de questions. Je ne dis pas que les chambres à gaz n’ont pas existé. Je n'ai pas étudié spécialement la question, mais je crois que c'est un point de détail de l'histoire de la Deuxième Guerre mondiale. » (Jean-Marie Le Pen, le 13 septembre 1987 sur RTL).



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    Sa famille a annoncé la mort de Jean-Marie Le Pen ce mardi 7 janvier 2025 à midi à Garches, dans les Hauts-de-Seine. Il était dans sa 97e année et devait être jugé en même temps que sa fille Marine Le Pen pour l'affaire des assistants parlementaires. C'est un peu par hasard qu'il a cofondé le Front national en 1972 qui allait devenir le Rassemblement national.

    J'aurai du mal à verser une larme sur ce dinosaure de la vie politique française, qui a survécu à la "Bande des Quatre" qu'il a tant fustigée dans les années 1980 (François Mitterrand, Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Chirac et Georges Marchais). Mais je lui reconnais le talent politique que sa fille est loin d'avoir hérité : Jean-Marie Le Pen était un homme qui a dit n'importe quoi, qui a fait dans la provocation, qui s'est laissé aller dans ses déclarations parce que son ego l'encourageait à ne pas ménager le système médiatico-politique, mais il avait une grande connaissance de la France politique d'après-guerre (il était député sous la Quatrième République !). Marine Le Pen serait plutôt une imposture puisqu'elle essaie de gommer tout ce qui, au contraire, pourrait provoquer de l'indignation afin d'appâter un électorat raisonnable (au moins, avec son procès, c'est clair, le RN fait partie du système politique tant dénoncé par son père !). Mais c'est le même parti, c'est le même nom, c'est la même famille, et surtout, ce sont les mêmes idées. Jean-Marie Le Pen avait au moins une grande culture politique, on était loin de la tiktokisation de vie politique par bardellisation sociétale.

    Avec Jean-Marie Le Pen se tourne donc une page de l'histoire politique de la France. Certains étaient moins clairvoyants que d'autres. François Mitterrand, c'est désormais prouvé, a délibérément favorisé à la télévision (qui n'était que publique), en 1984, l'ascension médiatique de Jean-Marie Le Pen et comme celui-ci avait du talent, celui d'orateur, il a saisi sa chance et l'a beaucoup trop bien fait fructifier pour les socialistes puisque ceux-ci ont été privés de second tour présidentiel en 2002 à cause de ce monstre qu'ils avaient eux-mêmes créé. Exit Lionel Jospin.


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    Jean-Marie Le Pen a toutefois utile à la vie politique car il a démontré l'excellence démocratique de la Cinquième République puisqu'un parti ne valant que 0,7% des voix en 1974 pouvait atteindre les sommets qu'on connaît depuis une vingtaine d'années. Emmanuel Macron a prouvé aussi qu'un nouveau parti politique pouvait obtenir la majorité absolue à l'Assemblée Nationale dès lors qu'il était capable de provoquer suffisamment d'échos médiatiques.

    Au moins, l'inspiration du RN n'est plus cachée : Jordan Bardella a émis une vibrant hommage à celui qu'on pourrait appeler son beau-grand-père. Faut-il rappeler l'idéologie de ce parti ? Jean-Marie Le Pen avait bien précisé, à la fin de sa vie, encore l'année dernière, que ses provocations verbales n'étaient pas des dérapages et qu'il pensait vraiment ce qu'il disait.

    "Le Monde" a fait un petit résumé il y a dix ans, à l'époque où justement Marine Le Pen, par ambition, s'est sentie obligée d'exclure son père pour rester politiquement correcte (Albert Camus avait plus le sens de la famille). Comparez avec les petites phrases reprochées à Emmanuel Macron depuis dix ans.


     


    Toute la classe politique n'avait pas compris exactement le phénomène Le Pen. Par exemple, en 1984, Jacques Chirac avait pensé que ce ne serait qu'un épiphénomène provisoire, motivé par la gauche au pouvoir et l'exacerbation de l'opposition de droite, et que dès 1986, tout rentrerait dans l'ordre. C'était évidemment une erreur, et on peut saluer le courage de Jacques Chirac, pourtant assez changeant dans ses convictions, par ses valeurs républicaines qui ont fait qu'en tant que président du RPR, il a été intraitable pour rejeter tout soupçon d'alliance avec le FN. Rappelons qu'à l'époque, François Mitterrand encourageait le FN (accès aux médias, proportionnelle qui a fait élire 36 députés FN, etc.).

    Pas étonnant que l'adversaire politique le plus grand de Jean-Marie Le Pen était, selon ce dernier, Jacques Chirac (et pas un responsable de gauche). Le combat final entre les deux hommes, le seul d'ailleurs, cela a été au second tour de l'élection présidentielle de 2002 et s'est terminé sans appel : 82,2% pour le Président gaulliste sortant, 17,8% pour le candidat de l'extrême droite. On rêve sans doute de cette époque, pas si lointaine (vingt-trois ans, une génération quand même), car cet écart s'est dangereusement rétréci, avec l'absence de la gauche au second tour, puisque Marine Le Pen a atteint 41,4% face à Emmanuel Macron 58,6%.

    Alors, en ce jour où le relativisme politique sera à fond avec certains hommages indécents à Jean-Marie Le Pen, je rappellerai simplement quelques phrases du Président Jacques Chirac à la fin de son second mandat le 11 mars 2007, sa dernière allocution télévisée, aussi sa dernière occasion de s'exprimer aux Français : « Au nom de la confiance que vous m'avez témoignée, je voudrais vous adresser plusieurs messages. D'abord, ne composez jamais avec l'extrémisme, le racisme, l'antisémitisme ou le rejet de l'autre. Dans notre histoire, l'extrémisme a déjà failli nous conduire à l'abîme. C'est un poison. Il divise. Il pervertit, il détruit. Tout dans l'âme de la France dit non à l'extrémisme. Le vrai combat de la France, le beau combat de la France, c'est celui de l'unité, c'est celui de la cohésion. Oui, nos valeurs ont un sens ! Oui, la France est riche de sa diversité ! Oui, l'honneur de la politique, c'est d'agir d'abord pour l'égalité des chances ! C'est de permettre à chacun, à chaque jeune, d'avoir sa chance. Ce combat, malgré tous les obstacles, et même si je mesure le chemin qui reste à parcourir, il est désormais bien engagé. Il doit nous unir dans la durée. C'est l'une des clefs de notre avenir. ».

    Pour l'heure, la panthéonisation de Jean-Marie Le Pen est exclue ! Mais sait-on jamais...



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    Sylvain Rakotoarison (07 janvier 2025)
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    Mort de Jean-Marie Le Pen : la part de l'héritage.
    Procès de Marine Le Pen : surprise de gazelles et cynisme de vieux loups.
    Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
    Législatives 2024 (18) : la fin du cauchemar Bardella (pour le moment).
    Fake news : la scandaleuse manipulation politique du RN.
    Législatives 2024 (12) : un isoloir, ce n'est pas un cabine d'essayage !
    Législatives 2024 (11) : front, rassemblement, union nationale, barrage, consignes de vote...
    Législatives 2024 (10) : il était une fois Jordan Bardella, Gabriel Attal et Manuel Bompard.
    Législatives 2024 (9) : Emmanuel Macron et son n'ayez-pas-peur !
    Jean-Marie Le Pen, retour aux sources du RN.
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Le débat Gabriel Attal vs Jordan Bardella du 23 mai 2024.
    Débat Valérie Hayer vs Jordan Bardella : l'imposture démasquée de Coquille vide.
    Ukraine : Claude Malhuret se gausse de Jordan Selfie !
    Ukraine : Gabriel Attal attaque durement le RN et Marine Le Pen !
    Sondage secret : en cas de législatives anticipées, une victoire du RN ?
    FN/RN : fais-moi peur ! (27 octobre 2015).
    Marine Le Pen en tête dans un sondage : attention au buzz !
    Christine Boutin.
    André Figueras.
    Patrick Buisson.

    Rassemblement national : objectif 2027... ou avant !
    Jordan Bardella.
    Le nouveau JDD et la récupération des Enzo...
    Geoffroy Lejeune.
    Attention, un train de violence peut en cacher un autre...
    Éric Caliméro Zemmour.
    Jean-Marie Le Pen et sa marque dans l'histoire.
    La tactique politicienne du RN.
    La sanction disciplinaire la plus lourde de la Cinquième.

    Louis Aliot.
    Le congrès du RN.
    Grégoire de Fournas.
    Incident raciste : 89 nuances de haine à la veille du congrès du RN ?

    Le Front national des Le Pen, 50 ans plus tard...

     

     

     

     
     



    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250107-jean-marie-le-pen.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/mort-de-jean-marie-le-pen-la-part-258538

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/01/07/article-sr-20250107-jean-marie-le-pen.html






     

  • Le paysage politique français postcensure

    « Ce qui est en jeu, c’est notre capacité à faire des pas les uns vers les autres, à dépasser les tensions et les clivages qui font tant de mal à notre pays, à n’avoir comme boussole que l’intérêt général. Ce qui devrait nous rassembler, c’est la politique, au sens où je l’entends, qui consiste à créer du progrès collectif, parfois de petits progrès, parfois de grands progrès pour les Français, et de la stabilité. Les citoyens, les entreprises, les acteurs sociaux et économiques en ont tant besoin et si forte envie. » (Michel Barnier, le 4 décembre 2024 dans l'hémicycle).




     

     
     


    Contrairement à ceux des députés censeurs qui ont tenté de dédramatiser l'adoption de la motion de censure, le 4 décembre 2024 contre le gouvernement Barnier, cette adoption a provoqué un bouleversement politique majeur et beaucoup de choses changent dans la situation politique. C'est ce paysage politique français postcensure qui est assez différent de celui d'avant la censure. Pour autant, ce n'est pas un paysage apocalyptique postnucléarisé.

    Comme je l'indiquais précédemment, cette motion de censure a remis sur le devant de la scène politique le Président de la République Emmanuel Macron, par nécessité puisqu'il doit, constitutionnellement, nommer le nouveau Premier Ministre. C'est paradoxale car la collusion des populistes irresponsables et cyniques, d'extrême droite et d'extrême gauche, avait justement pour but de mettre hors-jeu le Président de la République. C'est raté !

    Au contraire, Emmanuel Macron s'est investi à la tâche. Après avoir rencontré individuellement la plupart des partis politiques, hors extrêmes, ce lundi 9 décembre 2024, c'est au tour, le lendemain à 14 heures à l'Élysée, d'une réunion collective dans un format "Saint-Denis". Les partisans d'un régime exclusivement parlementaire pourraient s'offusquer que cette réunion ait lieu sous l'autorité du Président de la République, mais ces députés pouvaient depuis le 7 juillet 2024 se réunir à l'Assemblée Nationale. Comme ils en étaient incapables par eux-mêmes, il a bien fallu que le Président de la République, à la fois le véritable arbitre des élégances et le de nouveau maître des horloges, s'en occupât lui-même.

     

     
     


    Les journalistes qui, la veille de la censure, avaient cru comprendre d'un conseiller du Palais que le Président de la République nommerait le nouveau Premier Ministre en vingt-quatre heures, ont visiblement été mal informés. Non seulement Emmanuel Macron prend du temps, mais à l'heure actuelle, si le nouveau locataire de Matignon était nommé à la fin de cette semaine, ce serait déjà un bel exploit. On sait qu'Emmanuel Macron a toujours voulu prendre son temps dans les nominations, et en plus, se tromper pourrait ici avoir de graves conséquences institutionnelles.

    De plus, le fait qu'un conseil des ministres a été convoqué pour le 11 décembre 2024, malgré le caractère démissionnaire du gouvernement, pour adopter le projet de loi spéciale qui reconduira pour le 1er janvier 2025 la loi de finances pour 2024, ce qui permettra de continuer à collecter les impôts et à payer les fonctionnaires sans nouveau budget, dans l'attente de celui-ci, laisse ainsi un peu de temps à la nomination du prochain gouvernement, car il n'y aura plus d'urgence budgétaire.

    Du reste, le casting n'est pas la principale tâche du Président de la République. Son objectif est plutôt de conclure un accord de non-censure avec l'ensemble des formations politiques de l'arc de gouvernement, de LR au PCF en passant par EPR (macronistes) et le PS, en sachant qu'à eux deux, le RN et FI ne pourraient pas faire adopter une motion de censure (140 députés RN et alliés et 71 députés insoumis ne font pas 289).

     

     
     


    Au-delà de cette remise à l'avant-scène d'Emmanuel Macron, ce dernier a quand même réussi un double voire triple exploit le samedi 7 décembre 2024 avec la réouverture de Notre-Dame de Paris. D'une part, c'est un exploit diplomatique car il a réussi à convaincre Donald Trump de venir à Paris, et cela a montré à l'évidence que malgré ses déboires intérieurs, Emmanuel Macron n'était pas isolé. C'est d'ailleurs à peu près l'un des rares chefs d'État ou de gouvernement que Donald Trump connaît bien à son retour à la Maison-Blanche, avec Georgia Meloni et Viktor Orban (et Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan, bien sûr). D'autre part, le délai respecté de cinq ans pour reconstruire la cathédrale a montré que le volontarisme politique pouvait fonctionner, même avec des défis audacieux, et disons-le, un peu fous, et cela a apporté la confirmation d'une composante jupitérienne au chef de l'État, quoi qu'on en dise. Enfin, ce week-end a été l'occasion pour les Français d'être fiers d'eux-mêmes, d'être à nouveau le centre du monde, et dans ce climat de dénigrement généralisé, c'est toujours bon à prendre, et avec la trêve des confiseurs qui va se profiler rapidement à partir de mi-décembre jusqu'au début de janvier prochain, cela fait repenser à la trêve olympique qui a mis le monde politique en suspension pendant tout l'été.

     

     
     


    En face du Président de la République, il y a eu des évolutions notables dans la classe politique. Si LR a confirmé son esprit de responsabilité déjà démontré avec la nomination de Michel Barnier à Matignon (on aurait aimé que LR l'adoptât dès juin 2022, ce qui aurait évité la dissolution), d'autres partis ont évolué énormément dans leur approche du problème. La fable insoumise d'une victoire de la nouvelle farce populaire (NFP) a été enfin jetée à la poubelle pour prendre en compte la réalité arithmétique de l'Assemblée.

    C'est le parti socialiste qui a bougé le plus ses lignes, en acceptant l'idée d'un accord de non-censure avec le reste de l'arc de gouvernement. Sur son sillon, il a amené également les écologistes et les communistes, ce qui a pour conséquence d'isoler politiquement les insoumis. Jean-Luc Mélenchon enrage actuellement de ne plus rien contrôler du NFP. Il enrage mais il n'est pas non plus si mécontent que cela, car il sait que cela l'aidera à l'élection présidentielle pour convaincre qu'il serait la seule "alternative" possible à gauche, au contraire des "sociaux-traîtres".

     

     
     


    Le premier secrétaire du PS Olivier Faure, pourtant considéré comme ultramélenchonisé, a lui aussi changé de pied : la perspective du prochain congrès socialiste et sa forte impopularité parmi les militants et surtout parmi les grands élus territoriaux (maires de grandes villes et présidents de conseils régionaux) l'ont incité à modifier sa tactique.

    Comme l'a expliqué Carole Delga, la très écoutée présidente du conseil régional d'Occitanie, qui est favorable à un accord de gouvernement, dans "La Tribune Dimanche" le 8 décembre 2024 : « Face à une crise exceptionnelle, et à un haut niveau d'irresponsabilité de beaucoup de politiques (…), nous devons être à la hauteur pour notre pays. Les Français nous en veulent. Ils sont déboussolés, désespérés par le spectacle que donne la classe politique, inquiets de l'avenir sur les plans social, économique et climatique. Loin des jeux d'appareils et des ambitions présidentielles, tout doit être mis en œuvre pour l'adoption du budget de la France dans les prochaines semaines. ».


    La pire irresponsabilité est sans doute la censure d'un ancien Président de la République, d'autant plus que François Hollande aurait même été à mélenchoniser dans une réunion socialiste en expliquant que le Président de la République devrait partir après l'adoption d'une motion de censure (ce sont des propos rapportés et pas confirmés par l'intéressé). L'emmurement (au sens propre) de sa permanence électorale en Corrèze par des agriculteurs en colère l'a un peu refroidi : aujourd'hui, il n'ose plus beaucoup intervenir dans le débat public.

    À l'extrême droite, la situation aussi a évolué. Comme le disait Gabriel Attal, qui vient d'être élu secrétaire général de Renaissance : « Chassez le naturel, il revient au chaos ! ». L'évolution date en fait des réquisitoires très sévères du parquet contre Marine Le Pen et ses sbires dans le procès fleuve des assistants parlementaires du RN. Elle risque l'inéligibilité immédiatement exécutoire. Le vote de la motion de censure des insoumis, qui fustigeait une nouvelle loi Immigration et la remise en cause de l'aide médicale d'État, en évoquant les « plus viles obsessions » du RN, a rendu un peu dubitatifs, sinon dérouté, les militants du RN. Surtout, ceux qui avaient cru que la respectabilité, la tactique de la cravate, devait les mener au pouvoir. Les agriculteurs en colère en veulent aux députés RN d'avoir voté la censure car les mesures qu'ils avaient obtenues ont été éliminées par la censure.


     

     
     


    Pour preuve les résultats de la première élection législative partielle depuis le 7 juillet 2024. C'est intéressant car ce sont des signaux faibles qui ne sont pas sans signification. Actuellement, trois sièges de députés sont vacants et deux autres élections législatives partielles seront organisées au début de 2025 (pour les circonscriptions d'Hugo Prevost à Grenoble et de Stéphane Séjourné à Boulogne-Billancourt). Celle qui a eu lieu les 1er et 8 décembre 2024 concerne la première circonscription des Ardennes, celle de Charleville-Mézières.

    En juin 2022, cette circonscription a été conquise par Lionel Vuibert, candidat macroniste, alors que la députée sortante, qui ne se représentait pas, était LR. Le candidat LR a obtenu près de 300 voix de moins que son concurrent macroniste au premier tour et s'est désisté en sa faveur. Au second tour, Lionel Vuibert a gagné avec 200 voix d'avance sur le candidat RN pour une participation de 45,1%.

    Cet été 2024, Lionel Vuibert a perdu largement le second tour avec plus de 2 500 voix de retard sur son jeune concurrent RN Flavien Termet, avec une participation de 67,5%, alors que le candidat macroniste n'avait plus de candidat LR sérieux au premier tour (la candidate officielle de LR n'a fait que 3,8% au premier tour). Flavien Termet, le benjamin de l'Assemblée que certains députés sectaires de gauche n'ont pas voulu saluer au moment de voter pour l'élection au perchoir, a démissionné le 30 septembre 2024 pour des raisons médicales graves. Il aurait aussi quitté le RN en mauvais termes (selon certains journalistes).

    En décembre 2024, la participation a chuté, comme dans les partielles en général, néanmoins, c'est important de noter le résultat. Le candidat RN a fait mieux au premier tour en pourcentages que Flavien Termet en juin (39,1% au lieu de 38,3%) tandis que Lionel Vuibert a fait un peu moins en pourcentages qu'il y a cinq mois (25,4% au lieu de 26,2%), cette fois-ci, concurrencé par un candidat LR qui a fait 16,0% au premier tour (avec une participation de seulement 30,5%). Au second tour, Lionel Vuibert a réussi néanmoins à reconquérir la circonscription en gagnant face au candidat RN avec près de 400 voix d'avance. Il a bénéficié du soutien de LR au second tour. Certes, la participation au second tour était très faible aussi, 30,9%, mais la différence en nombre de voix est quand même notable puisqu'il a gagné avec plus d'écart en voix en décembre 2024 qu'en juin 2022 avec une participation 50% plus grande.


    On ne peut bien sûr pas généraliser au niveau national, mais cela montre cependant que le RN n'a pas su mobiliser ses propres électeurs pour l'emporter, sans doute en raison d'une censure qui est peu compréhensible : pourquoi avoir joué le jeu de la respectabilité pendant trois mois, puis tout d'un coup, se ranger comme Jean-Luc Mélenchon, c'est-à-dire enrager ? Il faut aussi rappeler que depuis plusieurs années, l'abstention nuit au RN au contraire des décennies précédentes où c'était le contraire.

     

     
     


    Mais retour à la situation du moment. Les noms des possibles successeurs de Michel Barnier à Matignon passent à une vitesse folle : Sébastien Lecornu, François Bayrou, Bruno Retailleau, François Baroin, Catherine Vautrin, Bernard Cazeneuve, Manuel Valls (oui, on a parlé de lui !!), Pierre Moscovici, Didier Migaud, Laurent Berger, Thierry Beaudet, et même... François Villeroy de Galhau, supposé être de gauche et gouverneur de la Banque de France depuis novembre 2015. J'ai l'intuition que si c'est ce dernier, son gouvernement sera très impopulaire...


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (10 décembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Le paysage politique français postcensure.
    Motion de sangsue : les conséquences économiques désastreuses de la censure.
    Philippe Vigier défend les Français face au renoncement national.
    Laurent Wauquiez met en garde contre l'instabilité institutionnelle.
    Emmanuel Macron face à ses choix.
    Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron le 5 décembre 2024 (texte intégral).
    La motion RNFP : Chassez le naturel, il revient au chaos !
    L'émotion de censure de Michel Barnier.
    La collusion des irresponsables.
    Gouvernement Barnier : les yeux du monde rivés sur la France.
    Risque de censure : Non, le RN n'est pas l'arbitre des élégances !
    Michel Barnier plaide pour la sobriété normative et procédurale !
    Discours du Premier Ministre Michel Barnier le 21 novembre 2024 à la Porte de Versailles (vidéo et texte intégral).
    Michel Barnier sur les pas de Pierre Mendès France.
    Discours du Premier Ministre Michel Barnier le 15 novembre 2024 à Angers (vidéo et texte intégral).
    PLF 2025 : la majorité de rejet !
    Michel Barnier : déjà deux mois !
    François Guizot à Matignon ?
    5 euros pour visiter Notre-Dame de Paris ?
    Achats dans la fonction publique : des économies à faire ?
    Doliprane : l'impéritie politique.
    Proche-Orient : l'incompréhension de Roger Karoutchi.
    Motion de censure : le quart d'heure de gloire d'Olivier Faure.
    Budget 2025 : l'impossible mission de Michel Barnier.
    Claude Malhuret : du vol des élections aux chefs d'escadrille...
    Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
    La quadrature du cercle de Michel Barnier.

     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241209-paysage-politique-postcensure.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/le-paysage-politique-francais-258081

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/12/10/article-sr-20241209-paysage-politique-postcensure.html