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institutions - Page 3

  • François Bayrou et le Chemin

    « Il n'y aura pas une minute où je ne serai pas à votre disposition, à votre service. » (François Bayrou à ses ministres, le 3 janvier 2025).



     

     
     


    Rentrée... ou plutôt, entrée du gouvernement Bayrou ce vendredi 3 janvier 2024 : le nouveau Premier Ministre François Bayrou a réuni ce matin son gouvernement au cours d'un petit-déjeuner Place Beauvau, au Ministère de l'Intérieur, puis ils ont marché jusqu'à l'Élysée pour participer au premier conseil des ministres présidé par le Président Emmanuel Macron. Au cours du petit-déjeuner commun, le Premier Ministre a déclaré à ses ministres : « Ma responsabilité, c'est que cette équipe soit unie et courageuse. (…) Si nous sommes unis, nous pourrons déplacer un certain nombre d'obstacles devant nous. ». Pour expliquer : « Il existe un chemin pour sortir de la période d'instabilité. ». Comme dirait André Gide, la porte est étroite !

    Dans l'action politique, il y a toujours une part de communication politique. Les élèves ingénieurs qui sont formés aux métiers les plus technologiques le savent : 50% de leur temps de travail sera réservé à la communication. Le savoir-faire ne sert à rien sans faire-savoir. Pour la politique, c'est plus proche de 80% ! Alors, quand on commence comme François Bayrou à l'aube des fêtes de fin d'année, il y a une part d'images autant que d'actes pour commencer les premières impressions.


    Lorsqu'il s'est installé à Matignon en mars 1993, Édouard Balladur avait annoncé qu'il quitterait son bureau à 19 heures comme beaucoup de cadres en France. Et pas minuit, 1 heure du matin. Il avait beau avoir déjà 63 ans et demi, il était un peu trop ambitieux dans sa sobriété gouvernementale. Car s'il y a un poste qui n'est pas pour fainéant, c'est bien celui de Premier Ministre : c'est sans doute la fonction la plus dense de France, de toutes les fonctions privées et publiques réunies. N'oublions pas Pierre Bérégovoy (si le suicide est avéré), la fonction de Premier Ministre peut entraîner un burn-out. Période de vie relativement courte et ultra-intense.

     

     
     


    Le Premier Ministre doit s'occuper de mille choses à la minute, il doit faire des arbitrages, il doit gérer le quotidien, les urgences, et il doit voir l'avenir, anticiper les évolutions, esquisser une véritable vision politique. Tout en faisant de l'ultrapolitique bien sûr (éviter les pièges de ses amis politiques et les traquenards de ses adversaires les plus redoutables). Ce qui était valable en période dite normale est encore plus vraie quand le gouvernement peut se faire dégommer d'un coup de censure au détour d'une motion, et ce ne sont pas de vains mots puisque Michel Barnier l'a amèrement expérimenté.

    François Bayrou a dix ans de plus qu'Édouard Balladur, mais il paraît encore quadragénaire comparativement à son lointain prédécesseur. Il est indéniable qu'il est à l'aise avec la fonction de Premier Ministre alors que c'était pourtant la Présidence de la République qu'il reluquait depuis des décennies. Comme s'il était dans les murs depuis longtemps, comme s'il s'agissait d'un job planifié depuis des années. Face à l'Himalaya, comme il le qualifie, des sujets, François Bayrou affiche une incroyable sérénité, une confiance en lui qui n'est pourtant pas une arrogance, ou alors, c'est une arrogance bienveillante ! Il est maintenant aux responsabilités et il a maintenant tout l'envergure politique pour prouver ce qu'il prônait depuis une vingtaine d'années : la bienveillance politique, le compromis entre des avis divergents, à l'image d'un roi Henri IV pas forcément bien compris des Français, déplaceraient des montagnes. C'est à voir.

    Les premiers pas de François Bayrou étaient pourtant chaotiques. La catastrophe climatique de Mayotte est survenue quelques heures après sa nomination. Pas de chance (surtout pour les Mahorais) ! Difficile de faire passer l'idée qu'il était préoccupé du sort des Mahorais tout en donnant un gouvernement à la France. À l'évidence, sa volonté de ne pas annuler ou reporter son conseil municipal de Pau un soir de conseil interministériel de crise sur Mayotte (qui en avait deux par jour) a été une erreur politique. Une erreur de communication politique à court terme, seulement : de communication, car la réalité des secours n'a pas été impactée par une visioconférence à la place d'une présence à une réunion ; à court terme car François Bayrou a eu raison de rappeler qu'il est encore maire de Pau et les Français savent bien que les maires ont les pieds sur terre, s'occupent parfois de sujets très basiques et sentent le pouls de la population par le retour direct des habitants, souvent mécontents mais pas seulement.


     

     
     


    À cela, il s'est enfoncé avec deux erreurs : l'une de vouloir remettre le thème du cumul des mandats dans l'actualité alors qu'il y a beaucoup plus urgent, et l'autre d'avoir laissé croire à deux reprises, notamment dans une réponse à une question à l'Assemblée, que le département de Mayotte ne serait pas sur le « territoire national ». C'est une boulette, évidemment, mais elle n'influe pas sur les secours non plus. L'erreur est humaine et j'aimerais voir tous ceux qui le critiquent à sa place ici et maintenant et savoir ce qu'ils ont fait pour les Mahorais à part (au mieux) leur donner quelques malheureuses dizaines d'euros.

    Tant que son gouvernement n'était pas formé, François Bayrou n'était pas très à l'aise, et le temps du rodage politique laissait à désirer. Mais il s'est vite rattrapé. D'abord, dans ses (rares) interventions dans les médias, en particulier sur BFMTV le 23 décembre 2024, il a su expliquer son cœur d'action, sa volonté de travailler pour l'intérêt général. Son art du compromis est sa valeur ajoutée, il est sans doute plus crédible que celui de Michel Barnier pourtant très crédible dans ce domaine, mais peut-être pas dans le milieu glauque d'un hémicycle rempli de crocodiles (rouges verts et bruns). Ensuite, il s'est aussi rattrapé dans ses premières actions.

    Son premier voyage, hors Pau, a été bien sûr pour Mayotte le lundi 30 décembre 2024. Il y est venu accompagné de cinq ministres dont Élisabeth Borne (Éducation nationale) et Manuel Valls (Outre-mer). On l'a vu sans veste (mais avec une cravate, ce que ne portait pas Emmanuel Macron car c'est l'usage de ne pas en porter), en bras de chemise, "au travail" donc, assez dynamique, prenant les problèmes en pleine figure.


     

     
     


    Il a fait sa conférence de presse l'après-midi au milieu des élus du département, de manière pratique et efficace. Il a évoqué le dépôt d'un projet de loi qui passerait dès le conseil des ministres du 8 janvier 2025 (il avait d'abord parlé de la date du 3 janvier mais c'était trop tôt pour avoir un texte achevé), ce texte aurait pour but, comme ce fut le cas pour la reconstruction de Notre-Dame de Paris et l'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris, d'accélérer les procédures administratives dans la cadre de la reconstruction de Mayotte.

    On lui a reproché deux déclarations à Mayotte. L'une sur l'objectif de deux ans très audacieux pour tout reconstruire. Un commentaire personnel ici. Il y a 320 000 habitants à Mayotte, c'est-à-dire un peu moins que l'équivalent de la population d'une agglomération comme Nancy, ce n'est pas un territoire de 10 millions d'habitants : les aides devraient donc s'évaluer de l'ordre de la centaine de millions d'euros et pas du milliard d'euros. On devrait pouvoir trouver assez rapidement cet argent.


    L'autre est plus incertaine : François Bayrou a parlé des rumeurs faisant état de milliers de morts dans la catastrophe de Mayotte. Ce n'étaient pas des rumeurs, mais une supposition ouverte du préfet lui-même. Le bilan humain, qui était officiellement de 39 morts (et des milliers de blessés) au moment de sa visite, est pourtant anormalement bas et on pense que les services de l'État ne sont pas encore allés dans les bidonvilles dévastés par la boue où de milliers d'immigrés clandestins (et donc non recensés) auraient pu périr dans des habitations qui ne les protégeaient pas. François Bayrou, lui, est convaincu que le nombre de victimes se chiffrera "seulement" en dizaines voire en centaines de personnes, mais pas en milliers. Je ne sais pas s'il a des informations précises à ce sujet très sensible pour les Mahorais, on le devine bien, mais il apparaît avec une très grande assurance dans ce chiffrage "bas". De toute façon, une enquête spéciale a été ouverte pour connaître le nombre exact de victimes, ce qui devrait tout de même donner à la fin de quoi avoir une idée précise et proche de la réalité de ce bilan humain.
     

     
     


    Le Premier Ministre a eu raison de rappeler que le maintien des bidonvilles qui auraient dû être détruits il y a quelques années a été un facteur de mort dans cette catastrophe et que ceux qui croyaient défendre les personnes en situation irrégulière les ont précipités dans la tombe (il n'a pas dit exactement cela mais la responsabilité de ces activistes qui ont fait échouer l'Opération Wuambushu du 24 avril 2023 est gigantesque).

    C'est justement parce que François Bayrou est un partisan du droit du sol (qui fait partie du socle des valeurs républicaines en France) qu'il souhaite créer une exception à Mayotte (qui est aussi la France) où les maternités sont surchargées en raison de ce même droit du sol. Il faut être pragmatique et la situation créée par le droit du sol à Mayotte n'est humainement pas tenable. Mais cet aspect des choses ne doit pas être abordé avant la fin des secours et le retour à la normale pour l'eau courante, l'alimentation, l'électricité, les réseaux téléphoniques. Mélanger ces sujets apporte plus de confusion qu'autre chose. D'abord sauver les vies, ensuite réguler l'immigration. Priorité des démocrates chrétiens.
     

     
     


    Il faut aussi noter que le gouvernement travaille. Manuel Valls, par exemple, a passé toute cette semaine à Mayotte et est rentré à Paris ce vendredi matin pour le conseil des ministres. On l'aime ou on le déteste, on ironise sur son arrivisme ou sur ses hésitations géographiques voire nationales, mais il ne faut pas oublier qu'il fait partie de la gauche, l'authentique gauche républicaine, celle qui, à l'instar de Jaurès et de Léon Blum, se réclame des valeurs républicaines et lutte contre les communautarismes et contre les extrémismes, et il l'a prouvé il y a juste dix ans avec la série des attentats islamiques (discours du 13 janvier 2015 et discours du 9 janvier 2016).

    On peut aussi parler de Jean-Noël Barrot qui a été absent du premier conseil des ministres parce qu'il a rencontré le chef des rebelles qui ont pris le pouvoir à Damas. Il a porté la voix de la France et aussi la voix de l'Europe avec son homologue allemande Annalena Baerbock.

    La deuxième image s'est observée ce vendredi 3 janvier 2025 dans la matinée. Le premier conseil des ministres à l'Élysée était prévu à 10 heures, mais François Bayrou a voulu réunir son équipe gouvernementale pour un petit-déjeuner dans les environs. Quoi de mieux que de choisir le Ministère de l'Intérieur, Place Beauvau, à quelques centaines de mètres de l'Élysée ? De plus, François Bayrou a ainsi honoré le locataire des lieux, Bruno Retailleau.


     

     
     


    Tous les ministres, avec François Bayrou, se sont donc rendus ensemble à pied à l'Élysée devant les journalistes. Cette image avait un message triple : d'une part, l'équipe gouvernementale est unie, et François Bayrou y est très sensible ; d'autre part, elle est dynamique, arrivant à pied, à pas rapides, prête à agir (ce n'est qu'une image, mais pour un chef de gouvernement septuagénaire, elle a son importance) ; enfin, elle montre aussi une sobriété énergétique, avec le déplacement à pied, ce qui est bien sûr fausse, puisque les voitures de fonction se sont garées Place Beauvau et ont recherché leurs ministres dans la cour de l'Élysée.

    On sait bien que les images ne sont pas des réalités, et il faut rappeler des précédents, comme Christiane Taubira, Ministre de la Justice, arrivant à l'Élysée pour les conseils des ministres à vélo, partie de la Place Vendôme (c'est tout près) et ses conseillers venaient en voiture avec ses dossiers et sac à main ! Ou encore François Hollande allant à Bruxelles en TVG mais ses conseillers le suivaient en avion ou en voiture. En politique, comme je l'ai dit, beaucoup est image et communication politique, mais on ne peut pas dire qu'arriver à pied est du vent et en même temps, critiquer François Bayrou pour sa boulette de Pau, regretter qu'il ne soit pas allé immédiatement à Mayotte sans rien dans ses bagages, sans apporter de quoi aider les Mahorais, ce qui aurait été aussi du vent et de la seule communication politique.

    On retiendra surtout le premier message de cette image de marche du Ministère de l'Intérieur à l'Élysée : celui de l'unité du gouvernement, ce qui avait furieusement manqué à Michel Barnier. Avec un gouvernement de têtes politiques connues des Français, qui est très différent de celui de Michel Barnier, François Bayrou a voulu faire participer les forces vives de sa majorité, même si Édouard Philippe, Gabriel Attal et Laurent Wauquiez (qui ne voulait que l'Économie et les Finances, portefeuille qu'on ne lui a pas proposé) demeurent absents de l'équipe de France. Il reste que c'est le premier gouvernement de la Cinquième République qui a intégré deux anciens Premiers Ministres.
     

     
     


    Ce qui est important sur le fond, c'est le dépôt d'un projet d'urgence pour Mayotte le 8 janvier 2025, c'est une loi qui sera votée probablement avant le budget 2025 et elle devra être votée par une large majorité des parlementaires, ce qui augure bien la fonction première de François Bayrou : trouver des compromis pour faire avancer la France avec une telle Assemblée éclatée. Il ne faut pas oublier que le Ministre de l'Économie et des Finances Éric Lombard était justement une proposition de Premier Ministre du premier secrétaire du PS Olivier Faure après le renversement de Michel Barnier.

     

     
     


    Bien sûr, le plus dur n'est pas encore passé pour François Bayrou : la déclaration de politique générale du 14 janvier 2025 préfigurera sa propre existence politique, et la motion de censure déposée par les insoumis et examinée probablement le 16 janvier 2025 pourrait signer son acte de décès prématuré. Je lui souhaite bien du plaisir. Avec émotion.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (03 janvier 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    François Bayrou et le Chemin.
    Vœux 2025 d'Emmanuel Macron : aux Français de trancher ?
    Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron, le 31 décembre 2024 à Paris (texte intégral et vidéo).
    François Bayrou au travail !
    Gouvernement Bayrou : un choc d'autorité ?
    Composition du Gouvernement François Bayrou I nommé le 23 décembre 2024.
    Le difficile accouchement du gouvernement Bayrou.
    La méthode Bayrou réussira-t-elle ?
    Terre de désolation.
    La folle histoire de la nomination de François Bayrou.
    François Bayrou, le papa Macron !
    Le tour de François Bayrou !
    La polémique entre Maurice Druon et François Bayrou en juillet 2004.
    Le paysage politique français postcensure.
    Motion de sangsue : les conséquences économiques désastreuses de la censure.
    Philippe Vigier défend les Français face au renoncement national.
    Laurent Wauquiez met en garde contre l'instabilité institutionnelle.
    Emmanuel Macron face à ses choix.
    Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron le 5 décembre 2024 (texte intégral).
    La motion RNFP : Chassez le naturel, il revient au chaos !
    L'émotion de censure de Michel Barnier.
    La collusion des irresponsables.
    Gouvernement Barnier : les yeux du monde rivés sur la France.
    Risque de censure : Non, le RN n'est pas l'arbitre des élégances !
    Michel Barnier plaide pour la sobriété normative et procédurale !
    Discours du Premier Ministre Michel Barnier le 21 novembre 2024 à la Porte de Versailles (vidéo et texte intégral).
    Michel Barnier sur les pas de Pierre Mendès France.
    Discours du Premier Ministre Michel Barnier le 15 novembre 2024 à Angers (vidéo et texte intégral).
    PLF 2025 : la majorité de rejet !
    Michel Barnier : déjà deux mois !
    François Guizot à Matignon ?
    5 euros pour visiter Notre-Dame de Paris ?
    Achats dans la fonction publique : des économies à faire ?
    Doliprane : l'impéritie politique.
    Proche-Orient : l'incompréhension de Roger Karoutchi.
    Motion de censure : le quart d'heure de gloire d'Olivier Faure.
    Budget 2025 : l'impossible mission de Michel Barnier.
    Claude Malhuret : du vol des élections aux chefs d'escadrille...
    Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
    La quadrature du cercle de Michel Barnier.
     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250103-bayrou.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/francois-bayrou-et-le-chemin-258424

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/01/03/article-sr-20250103-bayrou.html



     

  • Vœux 2025 d'Emmanuel Macron : aux Français de trancher ?

    « C’est pour cela qu’en 2025, nous continuerons de décider et je vous demanderai aussi de trancher certains de ces sujets déterminants. » (Emmanuel Macron, allocution du 31 décembre 2024).



     

     
     


    S'il n'y avait qu'une seule phrase à retenir des vœux présidentiels de ce mardi 31 décembre 2024, c'est bien celle-ci : Emmanuel Macron demandera aux Français de trancher certains des sujets déterminants l'avenir de la France.

    Dans son allocution télévisée traditionnelle pour présenter pendant une dizaine de minutes ses vœux aux Français pour la nouvelle année 2025, le Président de la République a innové. Pas de décor en arrière-fond, pas de bureau présidentiel, pas de jardin de l'Élysée. Seulement le double drapeau (français et européen) un peu flou, et un buste en grand sur l'écran.

    L'autre innovation, c'était de faire commencer son allocution avec quelques images retraçant les réussites de l'année 2024 avec sa voix off pour les décrire. Il a ainsi voulu rappeler, malgré le Macron-bashing mais aussi le France-bashing, que la France a su honorer ses rendez-vous avec l'histoire, en particulier sur plusieurs sujets qui, pour quelques-uns (pas pour tous), c'est vrai, peuvent être anecdotiques : « Ensemble cette année, nous avons prouvé qu'impossible n'était pas français. ».


    Ainsi, il a salué l'inscription de la liberté d'avorter dans la Constitution (premier pays au monde à l'avoir fait, et engagement d'Emmanuel Macron pendant sa campagne présidentielle), la baisse des émissions carbone visant à lutter contre le changement climatique (la France est un des meilleurs "élèves" du monde et ce sujet, lui, n'est pas anecdotique !), l'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris (« Une France qui rayonne avec ses exploits sportifs, ses émotions, sa générosité, une ville de Paris magnifiée. »), enfin la réouverture de Notre-Dame de Paris reconstruite en cinq ans après le terrible incendie de 2019.

    Un peu plus tard, Emmanuel Macron a aussi salué le lancement de la fusée Ariane 6 et le raccordement tant attendu du nouveau réacteur nucléaire de Flamanville dans le réseau national : « Là se bâtit notre indépendance et nous devons rester forts et crédibles au cœur d’une Europe qui doit accélérer. ».


    Il serait peu pertinent de critiquer le Président de la République sur son insistance à retracer les succès d'une France qui travaille et qui gagne alors que les médias et la classe politique, pour la plupart, ne sont constitués que de mauvais coucheurs (et de faux patriotes) qui ne savent que dénigrer matin midi et soir le travail et le talent des Français.

    Par ce rappel, il a aussi rappelé qu'il était possible d'aller au-delà des limites de la fatalité avec une volonté politique très forte. Les exemples tant des Jeux olympiques et paralympiques (tout le monde s'inquiétait de la sécurité et annonçait des catastrophes) que de Notre-Dame (on considérait l'objectif de cinq ans complètement fou, moi compris), ont montré qu'il était possible de fixer des objectifs très ambitieux et de les atteindre, à la condition d'y mettre les moyens, en particulier en faisant adopter des lois spéciales pour réduire les délais administratifs et la réglementation submergée par la bureaucratie.


    Et c'est probablement le véritable défi de 2025 pour la reconstruction de Mayotte (pour François Bayrou, l'objectif serait de deux ans, même si, à Mayotte, il faudrait plus parler de construction que de reconstruction tant ce nouveau département français est pauvre) : « Demain, sachons garder le meilleur de ce que nous avons été durant cette année 2024. Unis, déterminés, solidaires et face à chacune des grandes épreuves, face à ce que tant et tant disaient impossible, nous avons réussi parce que nous avons été ensemble. (…) Ensemble, nous sommes aujourd’hui aux côtés des habitants de Mayotte auxquels nous pensons avec émotion et fraternité. ».

     

     
     


    Emmanuel Macron a toutefois aussi évoqué les sujets qui fâchaient. Ainsi a-t-il parlé des crises actuelles, celle du monde agricole, les catastrophes climatiques, le ralentissement économique mondial... et surtout la crise politique provoquée par la dissolution de l'Assemblée Nationale, une décision qu'il a prise dans son entière, pleine et solitaire prérogative constitutionnelle, même s'il a cité également l'Allemagne pour illustrer le caractère plus général que national de « l'instabilité politique ».

    Et cette reconnaissance de responsabilité, c'est sans doute la deuxième phrase la plus importante de son allocution télévisée, assez joliment formulée pour expliquer que le Président nous a mis dans la mouise ! Ainsi : « Je dois bien reconnaître ce soir que la dissolution a apporté, pour le moment, davantage de divisions à l’Assemblée que de solutions pour les Français. ».


    C'est qui est intéressant, c'est la pondération de la phrase par « pour le moment », avec l'espoir que, finalement, la dissolution puisse aboutir à une solution politique satisfaisante pour les Français.

    Dans sa justification, il a donc reconnu que les problèmes ne s'étaient pas résolus par la dissolution : « Si j’ai décidé de dissoudre c’était pour vous redonner la parole, pour retrouver de la clarté et éviter l’immobilisme qui menaçait. Mais la lucidité et l’humilité commandent de reconnaître qu’à cette heure, cette décision a produit plus d’instabilité que de sérénité et j’en prends toute ma part. ».

    Il a fallu pourtant du courage à dissoudre. On ne pourra pas lui reprocher d'avoir redonné la parole au peuple, mais on peut s'inquiéter que le peuple, pour une rare fois, n'a pas su donner une réponse claire et simple, parce qu'il est très profondément divisé : « L’Assemblée actuelle représente néanmoins le pays dans sa diversité, et donc aussi dans ses divisions. Elle est pleinement légitime et dans cette configuration inédite mais démocratique, elle doit savoir dégager des majorités, comme le font d’ailleurs les Parlements des grandes démocraties, et notre gouvernement doit pouvoir tenir un chemin de compromis pour agir. ».

    En adressant tout spécialement tous ses vœux de réussite au nouveau Premier Ministre François Bayrou, Emmanuel Macron a d'abord pensé aux Français : « Je souhaite que l’année qui s’ouvre soit celle du ressaisissement collectif, qu’elle permette la stabilité, les bons compromis pour prendre les bonnes décisions au service des Français. Car nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre. (…) Nous pouvons rendre la vie meilleure en nous mettant d’accord sur quelques sujets simples : faciliter la vie de tous ceux qui travaillent dur, améliorer la sécurité au quotidien, juger plus vite et permettre à chaque famille d’avoir accès à la meilleure instruction pour ses enfants, à la santé et aux services publics de base. À nous de le faire donc. ». En écoutant cela, les Français pourraient légitimement se poser la question : pourquoi cela ne serait-il pas déjà fait après sept années à l'Élysée ?

     

     
     


    Le Président de la République a aussi abordé les relations internationales de plus en plus compliquées, à la veille du retour au pouvoir de Donald Trump : « L’année 2025 doit aussi être une année d’unité, de responsabilité pour bâtir une France plus forte, plus indépendante face aux dérèglements du monde. Les guerres en Ukraine et au Proche-Orient ne sont pas des conflits lointains. Elles nous concernent directement et menacent notre sécurité, notre unité, notre économie. (…) C’est pourquoi l’Europe ne peut plus déléguer à d’autres puissances sa sécurité et sa défense. (…) Nous devons lucidement voir que le monde avance plus vite et bouscule nombre de nos certitudes. Ce que nous tenions pour acquis ne l’est plus. Il n’y aura pas de prospérité sans sécurité et la France, par sa puissance diplomatique et militaire, à cet égard, a toujours un rôle à jouer. ».

    Cette phrase : « Nous devons lucidement voir que le monde avance plus vite et bouscule nombre de nos certitudes. » est sans doute la troisième et dernière phrase cruciale de cette allocution de vœux. Emmanuel Macron a aussi touché un mot de sa vision européenne, sans ménagement : « Les Européens doivent en finir avec la naïveté. Dire non aux lois du commerce édictées par d’autres et que nous sommes les seuls à encore respecter, dire non à tout ce qui nous fait dépendre des autres, sans contrepartie et sans préparer notre avenir. À l‘inverse, il nous faut le réveil européen, réveil scientifique, intellectuel, technologique, industriel, réveil agricole, énergétique et écologique. Il faut pour cela aller plus vite, prendre nos décisions plus rapidement, plus fortement en Européens, simplifier nos règles pour nos compatriotes comme nos entreprises et investir davantage. Cela suppose une France qui continue d’être attractive, qui travaille et innove plus, qui continue de créer des emplois et qui assure sa croissance en tenant ses finances. J’y veillerai. ».


    Sa conclusion est donc, comme dit au début, l'annonce de référendums ou de consultations dites citoyennes à venir (ou encore d'une prochaine dissolution ?) : « Pour le quart de siècle qui vient, je veux que nous puissions décider et agir, avec 2050 en ligne de mire. Nous aurons des choix à faire pour notre économie, notre démocratie, notre sécurité, nos enfants. Oui, l’espérance, la prospérité et la paix du quart de siècle qui vient dépendent de nos choix, aujourd’hui. C’est pour cela qu’en 2025, nous continuerons de décider et je vous demanderai aussi de trancher certains de ces sujets déterminants. Car chacun d’entre vous aura un rôle à jouer. ». La question sera de savoir si les sujets proposés vont diviser davantage ou rassembler davantage les Français.

    Et enfin de finir par sa formule toute macronienne : « Je nous souhaite pour 2025 d’être unis, déterminés et fraternels ! ». Le "je nous" reste relativement rare dans le discours politique. Je nous souhaite donc une excellente année 2025 !


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (31 décembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Vœux 2025 d'Emmanuel Macron : aux Français de trancher ?
    Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron, le 31 décembre 2024 à Paris (texte intégral et vidéo).
    François Bayrou au travail !
    Gouvernement Bayrou : un choc d'autorité ?
    Composition du Gouvernement François Bayrou I nommé le 23 décembre 2024.
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    Le tour de François Bayrou !
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    Le paysage politique français postcensure.
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    Emmanuel Macron face à ses choix.
    Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron le 5 décembre 2024 (texte intégral).
    La motion RNFP : Chassez le naturel, il revient au chaos !
    L'émotion de censure de Michel Barnier.
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    Discours du Premier Ministre Michel Barnier le 21 novembre 2024 à la Porte de Versailles (vidéo et texte intégral).
    Michel Barnier sur les pas de Pierre Mendès France.
    Discours du Premier Ministre Michel Barnier le 15 novembre 2024 à Angers (vidéo et texte intégral).
    PLF 2025 : la majorité de rejet !
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    François Guizot à Matignon ?
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    Achats dans la fonction publique : des économies à faire ?
    Doliprane : l'impéritie politique.
    Proche-Orient : l'incompréhension de Roger Karoutchi.
    Motion de censure : le quart d'heure de gloire d'Olivier Faure.
    Budget 2025 : l'impossible mission de Michel Barnier.
    Claude Malhuret : du vol des élections aux chefs d'escadrille...
    Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
    La quadrature du cercle de Michel Barnier.
     

     
     



    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241231-macron.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/voeux-2025-d-emmanuel-macron-aux-258428

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/12/31/article-sr-20241231-macron.html



     

  • François Bayrou au travail !

    « Il n'y aura pas une minute où je ne serai pas à votre disposition, à votre service. » (François Bayrou à ses ministres, le 3 janvier 2025).



     

     
     


    Rentrée... ou plutôt, entrée du gouvernement Bayrou ce vendredi 3 janvier 2024 : le nouveau Premier Ministre François Bayrou a réuni ce matin son gouvernement au cours d'un petit-déjeuner Place Beauvau, au Ministère de l'Intérieur, puis ils ont marché jusqu'à l'Élysée pour participer au premier conseil des ministres présidé par le Président Emmanuel Macron. Au cours du petit-déjeuner commun, le Premier Ministre a déclaré à ses ministres : « Ma responsabilité, c'est que cette équipe soit unie et courageuse. (…) Si nous sommes unis, nous pourrons déplacer un certain nombre d'obstacles devant nous. ». Pour expliquer : « Il existe un chemin pour sortir de la période d'instabilité. ». Comme dirait André Gide, la porte est étroite !

    Dans l'action politique, il y a toujours une part de communication politique. Les élèves ingénieurs qui sont formés aux métiers les plus technologiques le savent : 50% de leur temps de travail sera réservé à la communication. Le savoir-faire ne sert à rien sans faire-savoir. Pour la politique, c'est plus proche de 80% ! Alors, quand on commence comme François Bayrou à l'aube des fêtes de fin d'année, il y a une part d'images autant que d'actes pour commencer les premières impressions.


    Lorsqu'il s'est installé à Matignon en mars 1993, Édouard Balladur avait annoncé qu'il quitterait son bureau à 19 heures comme beaucoup de cadres en France. Et pas minuit, 1 heure du matin. Il avait beau avoir déjà 63 ans et demi, il était un peu trop ambitieux dans sa sobriété gouvernementale. Car s'il y a un poste qui n'est pas pour fainéant, c'est bien celui de Premier Ministre : c'est sans doute la fonction la plus dense de France, de toutes les fonctions privées et publiques réunies. N'oublions pas Pierre Bérégovoy (si le suicide est avéré), la fonction de Premier Ministre peut entraîner un burn-out. Période de vie relativement courte et ultra-intense.
     

     
     


    Le Premier Ministre doit s'occuper de mille choses à la minute, il doit faire des arbitrages, il doit gérer le quotidien, les urgences, et il doit voir l'avenir, anticiper les évolutions, esquisser une véritable vision politique. Tout en faisant de l'ultrapolitique bien sûr (éviter les pièges de ses amis politiques et les traquenards de ses adversaires les plus redoutables). Ce qui était valable en période dite normale est encore plus vraie quand le gouvernement peut se faire dégommer d'un coup de censure au détour d'une motion, et ce ne sont pas de vains mots puisque Michel Barnier l'a amèrement expérimenté.

    François Bayrou a dix ans de plus qu'Édouard Balladur, mais il paraît encore quadragénaire comparativement à son lointain prédécesseur. Il est indéniable qu'il est à l'aise avec la fonction de Premier Ministre alors que c'était pourtant la Présidence de la République qu'il reluquait depuis des décennies. Comme s'il était dans les murs depuis longtemps, comme s'il s'agissait d'un job planifié depuis des années. Face à l'Himalaya, comme il le qualifie, des sujets, François Bayrou affiche une incroyable sérénité, une confiance en lui qui n'est pourtant pas une arrogance, ou alors, c'est une arrogance bienveillante ! Il est maintenant aux responsabilités et il a maintenant tout l'envergure politique pour prouver ce qu'il prônait depuis une vingtaine d'années : la bienveillance politique, le compromis entre des avis divergents, à l'image d'un roi Henri IV pas forcément bien compris des Français, déplaceraient des montagnes. C'est à voir.

    Les premiers pas de François Bayrou étaient pourtant chaotiques. La catastrophe climatique de Mayotte est survenue quelques heures après sa nomination. Pas de chance (surtout pour les Mahorais) ! Difficile de faire passer l'idée qu'il était préoccupé du sort des Mahorais tout en donnant un gouvernement à la France. À l'évidence, sa volonté de ne pas annuler ou reporter son conseil municipal de Pau un soir de conseil interministériel de crise sur Mayotte (qui en avait deux par jour) a été une erreur politique. Une erreur de communication politique à court terme, seulement : de communication, car la réalité des secours n'a pas été impactée par une visioconférence à la place d'une présence à une réunion ; à court terme car François Bayrou a eu raison de rappeler qu'il est encore maire de Pau et les Français savent bien que les maires ont les pieds sur terre, s'occupent parfois de sujets très basiques et sentent le pouls de la population par le retour direct des habitants, souvent mécontents mais pas seulement.


     

     
     


    À cela, il s'est enfoncé avec deux erreurs : l'une de vouloir remettre le thème du cumul des mandats dans l'actualité alors qu'il y a beaucoup plus urgent, et l'autre d'avoir laissé croire à deux reprises, notamment dans une réponse à une question à l'Assemblée, que le département de Mayotte ne serait pas sur le « territoire national ». C'est une boulette, évidemment, mais elle n'influe pas sur les secours non plus. L'erreur est humaine et j'aimerais voir tous ceux qui le critiquent à sa place ici et maintenant et savoir ce qu'ils ont fait pour les Mahorais à part (au mieux) leur donner quelques malheureuses dizaines d'euros.

    Tant que son gouvernement n'était pas formé, François Bayrou n'était pas très à l'aise, et le temps du rodage politique laissait à désirer. Mais il s'est vite rattrapé. D'abord, dans ses (rares) interventions dans les médias, en particulier sur BFMTV le 23 décembre 2024, il a su expliquer son cœur d'action, sa volonté de travailler pour l'intérêt général. Son art du compromis est sa valeur ajoutée, il est sans doute plus crédible que celui de Michel Barnier pourtant très crédible dans ce domaine, mais peut-être pas dans le milieu glauque d'un hémicycle rempli de crocodiles (rouges verts et bruns). Ensuite, il s'est aussi rattrapé dans ses premières actions.

    Son premier voyage, hors Pau, a été bien sûr pour Mayotte le lundi 30 décembre 2024. Il y est venu accompagné de cinq ministres dont Élisabeth Borne (Éducation nationale) et Manuel Valls (Outre-mer). On l'a vu sans veste (mais avec une cravate, ce que ne portait pas Emmanuel Macron car c'est l'usage de ne pas en porter), en bras de chemise, "au travail" donc, assez dynamique, prenant les problèmes en pleine figure.

     

     
     


    Il a fait sa conférence de presse l'après-midi au milieu des élus du département, de manière pratique et efficace. Il a évoqué le dépôt d'un projet de loi qui passerait dès le conseil des ministres du 8 janvier 2025 (il avait d'abord parlé de la date du 3 janvier mais c'était trop tôt pour avoir un texte achevé), ce texte aurait pour but, comme ce fut le cas pour la reconstruction de Notre-Dame de Paris et l'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris, d'accélérer les procédures administratives dans la cadre de la reconstruction de Mayotte.

    On lui a reproché deux déclarations à Mayotte. L'une sur l'objectif de deux ans très audacieux pour tout reconstruire. Un commentaire personnel ici. Il y a 320 000 habitants à Mayotte, c'est-à-dire un peu moins que l'équivalent de la population d'une agglomération comme Nancy, ce n'est pas un territoire de 10 millions d'habitants : les aides devraient donc s'évaluer de l'ordre de la centaine de millions d'euros et pas du milliard d'euros. On devrait pouvoir trouver assez rapidement cet argent.


    L'autre est plus incertaine : François Bayrou a parlé des rumeurs faisant état de milliers de morts dans la catastrophe de Mayotte. Ce n'étaient pas des rumeurs, mais une supposition ouverte du préfet lui-même. Le bilan humain, qui était officiellement de 39 morts (et des milliers de blessés) au moment de sa visite, est pourtant anormalement bas et on pense que les services de l'État ne sont pas encore allés dans les bidonvilles dévastés par la boue où de milliers d'immigrés clandestins (et donc non recensés) auraient pu périr dans des habitations qui ne les protégeaient pas. François Bayrou, lui, est convaincu que le nombre de victimes se chiffrera "seulement" en dizaines voire en centaines de personnes, mais pas en milliers. Je ne sais pas s'il a des informations précises à ce sujet très sensible pour les Mahorais, on le devine bien, mais il apparaît avec une très grande assurance dans ce chiffrage "bas". De toute façon, une enquête spéciale a été ouverte pour connaître le nombre exact de victimes, ce qui devrait tout de même donner à la fin de quoi avoir une idée précise et proche de la réalité de ce bilan humain.

     
     


    Le Premier Ministre a eu raison de rappeler que le maintien des bidonvilles qui auraient dû être détruits il y a quelques années a été un facteur de mort dans cette catastrophe et que ceux qui croyaient défendre les personnes en situation irrégulière les ont précipités dans la tombe (il n'a pas dit exactement cela mais la responsabilité de ces activistes qui ont fait échouer l'Opération Wuambushu du 24 avril 2023 est gigantesque).

    C'est justement parce que François Bayrou est un partisan du droit du sol (qui fait partie du socle des valeurs républicaines en France) qu'il souhaite créer une exception à Mayotte (qui est aussi la France) où les maternités sont surchargées en raison de ce même droit du sol. Il faut être pragmatique et la situation créée par le droit du sol à Mayotte n'est humainement pas tenable. Mais cet aspect des choses ne doit pas être abordé avant la fin des secours et le retour à la normale pour l'eau courante, l'alimentation, l'électricité, les réseaux téléphoniques. Mélanger ces sujets apporte plus de confusion qu'autre chose. D'abord sauver les vies, ensuite réguler l'immigration. Priorité des démocrates chrétiens.
     

     
     


    Il faut aussi noter que le gouvernement travaille. Manuel Valls, par exemple, a passé toute cette semaine à Mayotte et est rentré à Paris ce vendredi matin pour le conseil des ministres. On l'aime ou on le déteste, on ironise sur son arrivisme ou sur ses hésitations géographiques voire nationales, mais il ne faut pas oublier qu'il fait partie de la gauche, l'authentique gauche républicaine, celle qui, à l'instar de Jaurès et de Léon Blum, se réclame des valeurs républicaines et lutte contre les communautarismes et contre les extrémismes, et il l'a prouvé il y a juste dix ans avec la série des attentats islamiques (discours du 13 janvier 2015 et discours du 9 janvier 2016).

    On peut aussi parler de Jean-Noël Barrot qui a été absent du premier conseil des ministres parce qu'il a rencontré le chef des rebelles qui ont pris le pouvoir à Damas. Il a porté la voix de la France et aussi la voix de l'Europe avec son homologue allemande Annalena Baerbock.

    La deuxième image s'est observée ce vendredi 3 janvier 2025 dans la matinée. Le premier conseil des ministres à l'Élysée était prévu à 10 heures, mais François Bayrou a voulu réunir son équipe gouvernementale pour un petit-déjeuner dans les environs. Quoi de mieux que de choisir le Ministère de l'Intérieur, Place Beauvau, à quelques centaines de mètres de l'Élysée ? De plus, François Bayrou a ainsi honoré le locataire des lieux, Bruno Retailleau.


     

     
     


    Tous les ministres, avec François Bayrou, se sont donc rendus ensemble à pied à l'Élysée devant les journalistes. Cette image avait un message triple : d'une part, l'équipe gouvernementale est unie, et François Bayrou y est très sensible ; d'autre part, elle est dynamique, arrivant à pied, à pas rapides, prête à agir (ce n'est qu'une image, mais pour un chef de gouvernement septuagénaire, elle a son importance) ; enfin, elle montre aussi une sobriété énergétique, avec le déplacement à pied, ce qui est bien sûr fausse, puisque les voitures de fonction se sont garées Place Beauvau et ont recherché leurs ministres dans la cour de l'Élysée.

    On sait bien que les images ne sont pas des réalités, et il faut rappeler des précédents, comme Christiane Taubira, Ministre de la Justice, arrivant à l'Élysée pour les conseils des ministres à vélo, partie de la Place Vendôme (c'est tout près) et ses conseillers venaient en voiture avec ses dossiers et sac à main ! Ou encore François Hollande allant à Bruxelles en TVG mais ses conseillers le suivaient en avion ou en voiture. En politique, comme je l'ai dit, beaucoup est image et communication politique, mais on ne peut pas dire qu'arriver à pied est du vent et en même temps, critiquer François Bayrou pour sa boulette de Pau, regretter qu'il ne soit pas allé immédiatement à Mayotte sans rien dans ses bagages, sans apporter de quoi aider les Mahorais, ce qui aurait été aussi du vent et de la seule communication politique.

    On retiendra surtout le premier message de cette image de marche du Ministère de l'Intérieur à l'Élysée : celui de l'unité du gouvernement, ce qui avait furieusement manqué à Michel Barnier. Avec un gouvernement de têtes politiques connues des Français, qui est très différent de celui de Michel Barnier, François Bayrou a voulu faire participer les forces vives de sa majorité, même si Édouard Philippe, Gabriel Attal et Laurent Wauquiez (qui ne voulait que l'Économie et les Finances, portefeuille qu'on ne lui a pas proposé) demeurent absents de l'équipe de France. Il reste que c'est le premier gouvernement de la Cinquième République qui a intégré deux anciens Premiers Ministres.
     

     
     


    Ce qui est important sur le fond, c'est le dépôt d'un projet d'urgence pour Mayotte le 8 janvier 2025, c'est une loi qui sera votée probablement avant le budget 2025 et elle devra être votée par une large majorité des parlementaires, ce qui augure bien la fonction première de François Bayrou : trouver des compromis pour faire avancer la France avec une telle Assemblée éclatée. Il ne faut pas oublier que le Ministre de l'Économie et des Finances Éric Lombard était justement une proposition de Premier Ministre du premier secrétaire du PS Olivier Faure après le renversement de Michel Barnier.

     

     
     


    Bien sûr, le plus dur n'est pas encore passé pour François Bayrou : la déclaration de politique générale du 14 janvier 2025 préfigurera sa propre existence politique, et la motion de censure déposée par les insoumis et examinée probablement le 16 janvier 2025 pourrait signer son acte de décès prématuré. Je lui souhaite bien du plaisir. Avec émotion.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (03 janvier 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    François Bayrou et le Chemin.
    Vœux 2025 d'Emmanuel Macron : aux Français de trancher ?
    Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron, le 31 décembre 2024 à Paris (texte intégral et vidéo).
    François Bayrou au travail !
    Gouvernement Bayrou : un choc d'autorité ?
    Composition du Gouvernement François Bayrou I nommé le 23 décembre 2024.
    Le difficile accouchement du gouvernement Bayrou.
    La méthode Bayrou réussira-t-elle ?
    Terre de désolation.
    La folle histoire de la nomination de François Bayrou.
    François Bayrou, le papa Macron !
    Le tour de François Bayrou !
    La polémique entre Maurice Druon et François Bayrou en juillet 2004.
    Le paysage politique français postcensure.
    Motion de sangsue : les conséquences économiques désastreuses de la censure.
    Philippe Vigier défend les Français face au renoncement national.
    Laurent Wauquiez met en garde contre l'instabilité institutionnelle.
    Emmanuel Macron face à ses choix.
    Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron le 5 décembre 2024 (texte intégral).
    La motion RNFP : Chassez le naturel, il revient au chaos !
    L'émotion de censure de Michel Barnier.
    La collusion des irresponsables.
    Gouvernement Barnier : les yeux du monde rivés sur la France.
    Risque de censure : Non, le RN n'est pas l'arbitre des élégances !
    Michel Barnier plaide pour la sobriété normative et procédurale !
    Discours du Premier Ministre Michel Barnier le 21 novembre 2024 à la Porte de Versailles (vidéo et texte intégral).
    Michel Barnier sur les pas de Pierre Mendès France.
    Discours du Premier Ministre Michel Barnier le 15 novembre 2024 à Angers (vidéo et texte intégral).
    PLF 2025 : la majorité de rejet !
    Michel Barnier : déjà deux mois !
    François Guizot à Matignon ?
    5 euros pour visiter Notre-Dame de Paris ?
    Achats dans la fonction publique : des économies à faire ?
    Doliprane : l'impéritie politique.
    Proche-Orient : l'incompréhension de Roger Karoutchi.
    Motion de censure : le quart d'heure de gloire d'Olivier Faure.
    Budget 2025 : l'impossible mission de Michel Barnier.
    Claude Malhuret : du vol des élections aux chefs d'escadrille...
    Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
    La quadrature du cercle de Michel Barnier.
     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241230-bayrou.html



    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/12/31/article-sr-20241230-bayrou.html





     

  • Gouvernement Bayrou : un choc d'autorité ?

    « Il n'y a aucune sorte de conflit, de compétition (…). L'idée qu'il faille nécessairement créer un affrontement entre le Président de la République et le Premier Ministre, idée très répandue (…), cette idée-là n'est pas la mienne. Et l'idée qui est la mienne, je l'ai formulée il y a longtemps (…), c'est la coresponsabilité. Nous sommes dans des responsabilités différentes coresponsables de l'avenir du pays. » (François Bayrou, le 23 décembre 2024 sur BFMTV).



     

     
     


    Le gouvernement Bayrou a (enfin) été nommé ce lundi 23 décembre 2024 à 18 heures 45 (on pourra lire l'intégralité de sa composition ici). Longue gestation, mais moins longue que le gouvernement Barnier, dix jours au lieu de quinze jours. Au contraire de Michel Barnier qui a fait nommer quarante et un ministres inconnus et un ministre médiatique (Bruno Retailleau), François Bayrou a voulu mettre des pointures.

    Qui dit pointures dit personnalités d'expérience. Ainsi, on ne pourra pas s'étonner qu'il y ait des "revenants" puisque pour être pointure, il faut avoir été. Et cet objectif-là a été rempli, avec un défi, pouvoir diriger l'orchestre sans fausse note.


    Le nouveau gouvernement comporte quatre ministres d'État. Déjà, un petit mot sur les ministres d'État : ce sont des "grands" ministres, des sortes de numéros deux, c'est des ministres avec un rang honorifique. François Bayrou en a choisit quatre, c'est beaucoup mais il y a eu plus. François Mitterrand en usait et en abusait, cinq dès 1981, représentant chaque tendance du PS. Il y avait même, à l'époque, Nicole Questiaux aux Affaires sociales, qui n'est finalement pas sortie de son anonymat (qui a fêté son 94e anniversaire jeudi dernier). Jacques Chirac, pendant la première cohabitation, avec fait de son (à l'époque) fidèle Édouard Balladur son unique ministre d'État, une sorte de Vice-Premier Ministre.

    Mais le modèle de François Bayrou en la matière est certainement le gouvernement du même Balladur, formé le 29 mars 1993 : ce dernier avait choisi de nommer tous les chefs de parti de la majorité, pour les mouiller et avoir une certaine discipline gouvernementale. Quatre ministres d'État étaient nommés pour représenter les différentes sensibilités, en n'oubliant personne : Simone Veil (indépendante) à la Santé, Charles Pasqua (RPR) à l'Intérieur, Pierre Méhaignerie (UDF-CDS) à a Justice et François Léotard (UDF-PR) à la Défense. Puis Alain Juppé aux Affaires étrangères, François Bayrou (dont c'était la première participation à un gouvernement, il y a trente et un ans) à l'Éducation nationale, etc. Que des pointures politiques !


    Et c'est le cas aussi pour le gouvernement Bayrou. Quatre ministres d'État, dont deux anciens Premiers Ministres : Élisabeth Borne à l'Éducation nationale, à l'Enseignement supérieur et à la Recherche ; Manuel Valls aux Outre-mer ; Gérald Darmanin à la Justice ; et Bruno Retailleau à l'Intérieur. De ces quatre grands ministres, Bruno Retailleau est le moins expérimenté.

     

     
     


    Plusieurs remarques sur ces quatre ministres. Ce n'est pas nouveau, sous la Cinquième République, qu'un ancien Premier Ministre soit nommé à un ministère après avoir dirigé un gouvernement, mais c'est nouveau d'avoir deux anciens Premiers Ministres ! Quand on cherche des pointures, la parité homme/femme s'effondre : pour les cinq premiers membres du gouvernement, Premier Ministre compris, une seule femme. La parité du gouvernement, globalement, est respectée, mais pas pour les ministres d'État.

    En outre, Gérald Darmanin était plutôt attendu aux Affaires étrangères. François Bayrou avait proposé la Justice à Xavier Bertrand. Cela ne s'est pas fait. Pour l'impétrant, il s'est agi d'obéir au RN qui refusait toute idée d'avoir Xavier Bertrand à la Justice (croyant à tort que l'ennemi intime de Marine Le Pen aurait alors une influence sur le verdict des juges le 31 mars 2025 dans l'affaire qui va risquer sa carrière politique, mais c'est mal comprendre le fonctionnement de la justice puisque François Bayrou lui-même, Ministre de la Justice, loin d'influer sur le cours de la justice, a dû quitter son ministère pour une affaire dont il a été finalement relaxé). Pour François Bayrou, c'est la conception de la justice de Xavier Bertrand qui n'aurait pas collé (il l'avait reçu pour en discuter). On imagine qu'avec Xavier Bertrand à la Justice et Gérald Darmanin aux Affaires étrangères, il y aurait eu cinq ministres d'État.

    Ou avec Laurent Wauquiez à l'Économie et aux Finances (il aurait été certainement ministre d'État), mais ce dernier n'a pas eu le courage de sortir de sa zone de confort pour agir dans l'intérêt des Français.

    Élisabeth Borne a travaillé avec Lionel Jospin, mais il serait bien sûr inadéquat de dire qu'elle représenterait ici le PS, voire, plus généralement, la gauche. Élisabeth Borne ne s'est construite politiquement que dans le sillage du Président Emmanuel Macron. Elle ne peut représenter que le macronisme, donc le bloc central.


     

     
     


    En revanche, ce n'est pas le cas des trois anciens membres éminents du parti socialistes qui font désormais partie du gouvernement Bayrou. Manuel Valls, ancien Premier Ministre de François Hollande, est une recrue de choix. On a parlé de trahison depuis longtemps. Il reste qu'il a marqué le dernier quinquennat socialiste et qu'il était même candidat à la primaire du PS en 2011 et en 2017, il était un proche collaborateur de Lionel Jospin (toujours lui) et a représenté un courant social-libéral et rocardien très présent au PS, bien que minoritaire. On sait que Manuel Valls avait abandonné la politique française pour Barcelone, puis qu'il est revenu. Le fait aujourd'hui de se mouiller est courageux. Il a toujours eu des positions d'autorité très claires, notamment sur l'antisémitisme, sur la sécurité, sur le respect des valeurs républicaines, sur la lutte contre l'extrême droite. Une véritable complicité politique s'est nouée entre François Bayrou et Manuel Valls en 2012, mais insuffisante pour casser les frontières du PS. On peut ajouter que donner à un ancien Premier Ministre, au troisième rang gouvernemental, le portefeuille des Outre-mer, c'est aussi montrer que les Outre-mer sont une priorité, pour corriger le tir après la maladresse de ne pas être allé à Mayotte immédiatement après la catastrophe.

    Deux autres socialistes sont aussi importants, toujours dans la planète François Hollande : François Rebsamen, à l'Aménagement du territoire et la Décentralisation (avec quatre sous-ministres, donc poste très important !), a été le Ministre du Travail de François Hollande, mais surtout, le numéro deux du PS quand le numéro un s'appelait François Hollande. L'ancien maire de Dijon connaît bien François Bayrou car dans sa municipalité, le MoDem a fait partie de sa majorité dès 2008. Quant à Juliette Méadel, énarque proche de Laurent Fabius et de Ségolène Royal, elle fut porte-parole du PS d'août 2014 à décembre 2016, puis Secrétaire d'État chargée de l'aide aux victimes (en particulier du terrorisme) du 11 février 2016 au 10 mai 2017. Certes, elle s'est éloignée du PS (et s'est éloignée de la politique pour travailler à la Cour des Comptes), mais son engagement au sein du PS n'était pas "léger". Elle est nommée Ministre déléguée à la Ville.

    Ces trois anciennes gloires du parti socialiste n'ont donc rien à voir avec Didier Migaud qui est parti aussi discrètement qu'il n'est venu (ce qui n'est pas gentil de la part des médias), car Didier Migaud était déjà loin du PS dès 2010, lorsqu'il a été nommé à la tête de la Cour des Comptes.

    Regardons à l'histoire politique de la France. J'ai écrit que le modèle de François Bayrou est le gouvernement Balladur (1993-1995). On peut aussi voir l'analogie avec deux gouvernements de la Troisième République.

    Le premier est le gouvernement constitué juste après les émeutes meurtrières du 6 février 1934 : on a recherché un ancien Président de la République de sa retraite, Gaston Doumergue (70 ans), et il a formé un gouvernement d'union nationale avec deux ministres d'État anciens Présidents du Conseil, un radical (gauche) Édouard Herriot et un républicain modéré (centre droit) André Tardieu. Dans ce gouvernement, il y avait de grosses pointures : Philippe Pétain, Louis Barthou, Pierre Laval, Albert Sarraut, Henri Queuille, Pierre-Étienne Flandin et Louis Marin.

    Le second, en remontant encore plus loin, est le gouvernement le plus stable de la Troisième République, trois ans, celui dirigé par Pierre Waldeck-Rousseau, du 22 juin 1899 au 3 juin 1902. La montée de l'extrême droite consécutive aux passions suscitées par l'affaire Dreyfus a rendu obligatoire un gouvernement qui rassemblait de la gauche socialiste à la droite modérée. Pour cela, Pierre Waldeck-Rousseau a nommé à la fois le général Gaston de Galliffet, appelé par certains le "massacreur de la Commune", et son opposé, un transfuge du parti socialiste français, Alexandre Millerand (qui fut exclu de son parti pour avoir participé à un gouvernement "bourgeois"). On retrouve ici les transfuges de gauche considérés comme traîtres par leur ancien parti. Dans ce gouvernement, on y trouvait aussi Joseph Caillaux, l'inventeur de l'impôt sur les revenus, Théophile Delcassé, Ernest Monis et Georges Leygues.

    La grande différence entre ces deux gouvernements et celui de François Bayrou, c'est qu'ils bénéficiaient, même provisoirement, d'une majorité parfois courte, à la Chambre des députés. Le gouvernement Waldeck-Rousseau bénéficiait ainsi d'un soutien de 262 députés sur 499, et le second gouvernement Doumergue de 456 députés sur 607. Le gouvernement Balladur a été sans doute le mieux servi de l'histoire avec un soutien durable de 492 députés sur 577. Le gouvernement Bayrou, en revanche, ne bénéficierait, actuellement, que du soutien positif de 210 députés sur 577. Peut-être plus avec le groupe LIOT.


    Revenons à sa composition. Plusieurs ministres restent en place dans leur ministère, comme Sébastien Lecornu, Jean-Noël Barrot, Rachida Dati, Agnès Pannier-Runacher, Annie Genevard, Valérie Létard, Astrid Panosyan-Bouvet, Benjamin Haddad, Marc Ferracci, Thani Mohamed Soilihi (l'unique ministre mahorais, personnellement touché par la catastrophe à Mayotte), ou retrouvent leur ministère d'avant gouvernement Barnier, comme Catherine Vautrin, Aurore Bergé et Patricia Mirallès. Ce gouvernement a duré neuf mois, du 8 février 1934 au 8 novembre 1934.

     

     
     


    Trois nouveaux ministres de plein exercice font leur entrée.

    Éric Lombard, un "technicien", à l'Économie et aux Finances, pour rassurer les marchés : HEC, ancien patron de Generalli France de 2013 à 2017, il était le directeur général de la Caisse des dépôts et consignation depuis le 8 décembre 2017. Mais il présente aussi l'avantage de bien connaître la politique pour avoir fréquenté les cabinets ministériels des gouvernements de gauche pendant le second septennat de François Mitterrand dans les années 1990, en particulier auprès des ministres Louis Le Pensec et Michel Sapin, le Ministre de l'Économie de François Hollande dans les années 2010. Très grands, crâne d'œuf à l'allure quasi-giscardienne, Éric Lombard a été membre des Gracques, ces hauts fonctionnaires anonymes du parti socialiste qui avaient appelé à voter pour François Bayrou en 2007 dans une alliance PS-UDF (parmi les membres des Gracques, on peut aussi y voir Jean-Pierre Jouyet, François Villeroy de Galhau, l'actuel gouverneur de la Banque de France, pressenti lui aussi pour Bercy, Matthieu Pigasse, Denis Olivennes, ...et même un certain Emmanuel Macron). Certains imaginent d'ailleurs que le successeur d'Éric Lombard à la Caisse des dépôts et consignation, pourrait être le Secrétaire Général de l'Élysée Alexis Kohler, ce qui pourrait être perçu comme une sorte de désertion d'un Titanic élyséen (beaucoup de secrétaires généraux de l'Élysée ont dirigé cette Caisse). Éric Lombard supervise désormais la ministre déléguée chargée du Budget (plus exactement des Comptes publics), Amélie de Montchalin, qui est, elle aussi, une "revenante".

    Laurent Marcangeli fait aussi son entrée au gouvernement à la Fonction publique. Il est depuis 2022 le président du groupe Horizons à l'Assemblée Nationale, il a été le maire d'Ajaccio de 2014 à 2022 et il a été élu pour la première fois député à l'âge de 31 ans, en juin 2012. La troisième nouvelle ministre "plein" est Marie Barsacq, aux Sports, à la Jeunesse et à la Vie associative, pour son expérience dans les associations et organisations sportives ; ses dernières responsabilités furent pour les Jeux olympiques et paralympiques de 2024, elle était la directrice de l'impact et de l'héritage au comité d'organisation.


     

     
     


    Parmi les ministres délégués, on peut citer l'arrivée de Yannick Neuder (LR), député-cardiologue du Centre-Isère, à la Santé, de Véronique Louwagie (LR) au Commerce, tandis que Laurent Saint-Martin (et pas Laurent de Saint-Martin comme certains journalistes le disent), recasé du Budget au Commerce extérieur et Français de l'étranger.

    Comme je l'ai expliqué précédemment, la composition d'un gouvernement ne peut soulever les passions car elle n'est rien en elle-même, seuls les actes comptent. Le PS a beau jeu d'affirmer que ce gouvernement serait d'extrême droite (avec Manuel Valls, François Rebsamen et Juliette Méadel, c'est un peu fort de café, Olivier Faure a abusé de substances hallucinogènes ou quoi ?), et il suffit d'aller voir ce qu'en pensent les hiérarques du RN pour se donner un avis complémentaire.

     

     
     


    La vérité, c'est que le PS n'a pas eu le courage politique de participer au redressement national. François Bayrou leur avait réservé un tiers des ministères, c'était très généreux, et chacun dans son ministère aurait pu faire avancer ses idées. Il n'y a pas de lignes rouges qui comptent quand on travaille pour l'intérêt national. Il y a d'abord des compromis, des décisions communes sur des sujets qui suscitent beaucoup d'attente chez les Français, en particulier sur le pouvoir d'achat et sur le logement. Le PS, une fois encore, a raté son train de responsabilité.

    Invité de BFMTV ce lundi soir, François Bayrou a tenté d'expliquer pourquoi il était certain qu'il saurait trouver les compromis pour lui permettre une stabilité gouvernementale. Après avoir lâché : « On ne va pas se jeter la censure à la figure ! », il a précisé ses intentions sur l'article 49 alinéa 3 de la Constitution : « Je n'utiliserais le 49-3 qu'à la dernière extrémité sur le budget. Je vais expliquer pourquoi. (…) Si on ne vote pas le budget, la Constitution ne laisse que deux issues au terme des débats. La première de ces issues, c'est le 49-3. C'est-à-dire, on dit à l'Assemblée Nationale : le gouvernement est engagé sur ce texte, et si vous votez contre, eh bien, vous emportez le gouvernement. C'est ce que l'on vient de vivre. Et il y a une deuxième issue proposée par la Constitution, c'est les ordonnances. C'est-à-dire, vous ne votez pas le budget, c'est moi le gouvernement qui vais décider tout seul. Et je pense qu'il vaut mieux utiliser, si le climat s'y prête et je ne m'engage, sur le budget, à rien, il vaut mieux utiliser le débat parlementaire plutôt que de faire des ordonnances. (…) Pour les autres textes, je n'ai pas l'intention d'utiliser le 49-3. (…) Pour les autres textes, j'ai l'intention d'aller au bout des débats. Il se trouve que je suis quelqu'un qui aime la démocratie parlementaire. Je suis de ce grand courant qui aime la démocratie au Parlement. Pourquoi ? Parce que les conflits qui s'opposent au Parlement, ce n'est pas des conflits qui éclatent dans la rue. Et donc, je suis pour que le Parlement fasse son travail, et qu'on le respecte. (…) Le Parlement, je veux qu'il aille au bout des débats. On lui proposera des textes, il votera pour, il votera contre. Et s'il vote contre, Assemblée Nationale et Sénat, eh bien on continuera avec les textes qu'il y avait avant. Je ne comprends pas pourquoi on veut transformer tout en psychodrame. Vous voyez bien (…), les Français... (…) La démocratie parlementaire, pourquoi est-ce qu'on est dans ces hurlements perpétuels ? Pourquoi est-ce qu'on se trouve avec des injures, des cris ? ».

    Dans cette longue interview, le Premier Ministre paraissait à l'aise dans son rôle de chef d'orchestre. Il n'a plus qu'à distribuer la partition à ses musicien. Ce sera le 14 janvier 2025 à 15 heures, dans l'hémicycle. Son premier conseil des ministres aura lieu le 3 janvier 2025 à 10 heures. Ce temps de trêve des confiseurs sera mis à profit dans la préparation de sa déclaration de politique générale. François Bayrou l'a attendu des années. Il ne devra pas à la rater. Au-delà de sa petite personne, c'est la France qu'il ne faut pas rater.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (23 décembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Gouvernement Bayrou : un choc d'autorité ?
    Composition du Gouvernement François Bayrou I nommé le 23 décembre 2024.
    Le difficile accouchement du gouvernement Bayrou.
    La méthode Bayrou réussira-t-elle ?
    Terre de désolation.
    La folle histoire de la nomination de François Bayrou.
    François Bayrou, le papa Macron !
    Le tour de François Bayrou !
    La polémique entre Maurice Druon et François Bayrou en juillet 2004.
    Le paysage politique français postcensure.
    Motion de sangsue : les conséquences économiques désastreuses de la censure.
    Philippe Vigier défend les Français face au renoncement national.
    Laurent Wauquiez met en garde contre l'instabilité institutionnelle.
    Emmanuel Macron face à ses choix.
    Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron le 5 décembre 2024 (texte intégral).
    La motion RNFP : Chassez le naturel, il revient au chaos !
    L'émotion de censure de Michel Barnier.
    La collusion des irresponsables.
    Gouvernement Barnier : les yeux du monde rivés sur la France.
    Risque de censure : Non, le RN n'est pas l'arbitre des élégances !
    Michel Barnier plaide pour la sobriété normative et procédurale !
    Discours du Premier Ministre Michel Barnier le 21 novembre 2024 à la Porte de Versailles (vidéo et texte intégral).
    Michel Barnier sur les pas de Pierre Mendès France.
    Discours du Premier Ministre Michel Barnier le 15 novembre 2024 à Angers (vidéo et texte intégral).
    PLF 2025 : la majorité de rejet !
    Michel Barnier : déjà deux mois !
    François Guizot à Matignon ?
    5 euros pour visiter Notre-Dame de Paris ?
    Achats dans la fonction publique : des économies à faire ?
    Doliprane : l'impéritie politique.
    Proche-Orient : l'incompréhension de Roger Karoutchi.
    Motion de censure : le quart d'heure de gloire d'Olivier Faure.
    Budget 2025 : l'impossible mission de Michel Barnier.
    Claude Malhuret : du vol des élections aux chefs d'escadrille...
    Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
    La quadrature du cercle de Michel Barnier.





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241223-gouvernement-bayrou.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/gouvernement-bayrou-un-choc-d-258313

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/12/23/article-sr-20241223-gouvernement-bayrou.html


     

  • Le difficile accouchement du gouvernement Bayrou

    « C'était une nature... Un ancien modèle... Je l'ai su plus tard... C'est un genre qui me plaisait bien. » (Céline dans "Mort à crédit", 1936).



     

     
     


    Comme maintenant on peut en avoir l'habitude, la formation du gouvernement Bayrou ne se fait pas de manière très facile (ni rapide). Je ne sais pas quand il sera (définitivement) nommé, probablement ce lundi (déclaré jour de deuil national pour Mayotte), mardi en dernière limite, veille de Noël, mais on peut déjà prévoir le message général des commentateurs, éditocrates et dénigreurs de service après le décret de nomination : tout ça pour ça ! Eh oui, la nomination d'un gouvernement, même si elle est faite par le Père Noël à quelques heures de Noël, n'a jamais rien de magique et ne résout pas grand-chose en elle-même, bien sûr.

    De toute façon, à cause de l'irresponsabilité de tous les partis et groupes parlementaires qui, décidément, ne sont pas à la hauteur tant de cette Assemblée éclatée exceptionnelle que des enjeux nationaux (dette publique, guerre en Ukraine, transition écologique), on préfère la posture à la responsabilité.

    À l'origine, François Bayrou souhaitait un gouvernement tripartite : LR, bloc central et PS (et alliés). Le PS a refusé alors qu'il préjugeait de la politique qui sera suivie par François Bayrou. Le PS a surtout eu peur de son ombre, car tonton Mélenchon a rouspété un peu trop fort ces temps-ci. Pourtant, François Bayrou est sincère quand il veut faire gouverner une grande coalition : il a assez de stature et d'expérience pour tenir tête à Emmanuel Macron et faire une politique qui unit et pas qui divise.

     

     
     


    Ces derniers temps, le monde médiatico-politique a utilisé des expressions particulièrement horribles : "lignes rouges", "bougé", "feuille de route", "accord de non-censure", etc.

    François Bayrou refuse le principe des lignes rouges : comment trois individus peuvent se mettre d'accord s'ils disent, avant tout, tout ce qui les sépare ? Le nouveau Premier Ministre veut au contraire chercher ce qui les unit, et il y a pas mal de choses, mine de rien, qui permettraient à la France d'avancer. J'en cite quelques-uns urgents : une loi pour renforcer l'aide à Mayotte, une loi pour aider les agriculteurs, une loi pour mieux combattre les narcotrafiquants, une relance de la politique du logement, secteur sinistré depuis 2012.


    Bien sûr, l'urgence suprême est le vote de la loi de finances pour 2025, ce qui ne sera pas une mince affaire. D'où l'importance de la personne qui s'en occupera. Et on aurait pu imaginer Bernard Cazeneuve qui aurait été à la fois responsable et compétent (il a été Ministre du Budget). Le problème, c'est que Bernard Cazeneuve, loin d'être un saint, se positionne lui aussi pour l'élection présidentielle de 2027, si bien que pour lui, c'est Matignon ou rien, l'autre version de aut caesar aut nihil ! On a aussi proposé ce poste à Laurent Wauquiez mais pas question qu'il se salisse les mains, trop occupées à façonner 2027 !

    C'est dommage, car cela aurait mis ces responsables politiques devant leurs responsabilités. Et l'idée (c'est la mienne !) de nommer à Bercy Charles de Courson, l'actuel rapporteur général du budget, le premier dans l'opposition, ne serait pas inadaptée car c'est un anti-macroniste notoire (en plus d'avoir fréquenté pendant plusieurs décennies le même parti que le Premier Ministre, à savoir le CDS).

    Alors que ce même Laurent Wauquiez demande à François Bayrou une "feuille de route" (écrite si possible pour Édouard Philippe, on voit le niveau de confiance qui règne), le "bougé" de la troïka socialiste, les pieds nickelés du PS (Olivier Faure, Boris Vallaud et Patrick Kanner) n'a accouché de rien du tout, le PS a rougi de son audace et est rentré à la maison mère (la nouvelle farce populaire) honteusement, trop content de se faire manipuler par le gourou insoumis.


     

     
     


    Ainsi, le risque d'être accusé de traître à la gauche, d'être exclu du PS, de devenir un pestiféré a fait renoncer beaucoup de monde à tenter le compromis en participant au gouvernement Bayrou, comme Carole Delga, Stéphane Le Foll, Marisol Touraine, etc. Seul François Rebsamen, un hollandiste de la première heure, semble s'écarter du droit chemin du NFP. Laurent Berger aussi aurait été approché et aurait refusé. Bref, à gauche, c'est courage, fuyons ! Ne resterait plus que Ségolène Royal... et pourquoi pas ? Cela aurait de la gueule, elle a recueilli plus de 16 millions de voix en 2007, elle, au moins, représente (vraiment) beaucoup d'électeurs de gauche, et ils ne sont pas si nombreux que ça !

    À droite et au centre, ce n'est pas non plus un long fleuve tranquille. Il semblerait que François Bayrou souhaiterait nommer Xavier Bertrand à la Justice, mais le RN dégaine immédiatement, la haine personnelle de Marine Le Pen est-elle plus forte que les enjeux de la nation ? Piètre patriotisme. Aux Affaires étrangères, un choix cornélien entre le sortant Jean-Noël Barrot (du MoDem), et Gérald Darmanin qui ronge son frein, devrait être arbitré à l'Élysée. Quant à Élisabeth Borne, elle irait dans le secteur prioritaire de l'Éducation nationale.


     

     
     


    La seule chose à peu près sûre, c'est le maintien de Bruno Retailleau à l'Intérieur, Rachida Dati à la Culture, et (probablement) d'Annie Genevard à l'Agriculture où elle semble appréciée.

    Il faut bien comprendre que pour les journalistes et les experts en gouvernementologie, c'est un exercice épuisant que ces changements de gouvernement : il faut être sur le pont matin midi et soir, et voici que les non-vacances de Noël se profilent. Et cela tous les trimestres. Les députés doivent vraiment y aller mollo avec la censure, il y va de la santé mentale de nos journalistes politiques, il faut les ménager, ce n'est pas vrai qu'on puisse parler des heures et des heures pour ne rien dire sans avoir à la longue des conséquences fâcheuses pour sa santé mentale.

    Il y a, dans cette valse des portefeuilles ministériels, un petit air de Quatrième République, celle-là même que certains voudraient nous ramener de force avec leur stupide Sixième République (rappelons que la Cinquième a été approuvée très largement par le peuple français). Mais la faute, pour une fois, n'est pas à Emmanuel Macron. La faute est d'abord aux électeurs qui ont choisi ces 577 députés (ce n'est pas vraiment une faute, c'est la démocratie, mais Emmanuel Macron n'est pas responsable du vote des électeurs), et ensuite, la faute à ces 577 députés incapables de s'entendre pour constituer une majorité. Pour cela, il n'y a ni besoin de Président de la République ni de Premier Ministre, sortant, censuré ou nouvellement nommé. Il suffit que 289 députés se réunissent (il y a plein de grandes salles à l'Assemblée) et se mettent d'accord ensemble. Rien à voir avec ce NFP qui voulait imposer Lucie Castets alors qu'il n'était même pas capable d'imposer André Chassaigne au perchoir.


     

     
     


    C'est une mission quasi-impossible car ni le PS ni LR ne veulent agir de bonne volonté. Au moins, LR a pris ses responsabilités, mais ce n'est pas le cas du PS. Ces députés socialistes irresponsables qui ont mélangé leurs votes avec l'extrême droite et l'extrême gauche n'ont plus aucune leçon de morale à donner à Emmanuel Macron. Ils sont restés dans la posture politicienne aux dépens du bien-être des Français et on voit bien que lorsqu'on les prend au mot, ce qu'a fait François Bayrou, ils reculent. Il faut quand même être gogos pour en arriver à dire, le 19 décembre 2024 : « Nous n'avons pas trouvé de raison de ne pas le censurer. » (Olivier Faure, mais aussi Marine Tondelier). Et l'intérêt national, ce n'est pas une raison ?

    La question reste la même qu'avec Michel Barnier : qui veut l'échec du gouvernement Bayrou ? Certainement pas ceux qui pensent à l'intérêt national et aux Français, les patriotes qui voient bien que la nation est en danger et qu'elle pourrait être bientôt gouvernée par des extrémismes et des populismes. Le pire n'est jamais sûr. François Bayrou avait donné son objectif d'avoir un budget dans deux mois : « J'espère qu'on peut l'avoir à la mi-février. Je ne suis pas sûr d'y arriver. ». Laissez-lui au moins le courage d'essayer !



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    Sylvain Rakotoarison (22 décembre 2024)
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    Michel Barnier : déjà deux mois !
    François Guizot à Matignon ?
    5 euros pour visiter Notre-Dame de Paris ?
    Achats dans la fonction publique : des économies à faire ?
    Doliprane : l'impéritie politique.
    Proche-Orient : l'incompréhension de Roger Karoutchi.
    Motion de censure : le quart d'heure de gloire d'Olivier Faure.
    Budget 2025 : l'impossible mission de Michel Barnier.
    Claude Malhuret : du vol des élections aux chefs d'escadrille...
    Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
    La quadrature du cercle de Michel Barnier.
     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241222-gouvernement-bayrou.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/le-difficile-accouchement-du-258299

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/12/22/article-sr-20241222-gouvernement-bayrou.html


     

  • La méthode Bayrou réussira-t-elle ?

    « Vous demandez (…) où je me situe dans la crise que le pays traverse. Je l’ai dit et je le répète : aucun des sujets que vous avez énumérés ne sera mis de côté, aucun ne sera exclu de l’action du gouvernement. J’espère, comme vous, que nous participerons tous à la mise au point des réponses. Ma méthode, c’est celle-là. » (François Bayrou, le 17 décembre 2024 dans l'hémicycle).




     

     
     


    C'était la réponse du nouveau Premier Ministre, François Bayrou, au président du groupe socialiste Boris Vallaud, groupe essentiel pour le chef du gouvernement, lors de la très insolite séance de questions au gouvernement à l'Assemblée Nationale le mardi 17 décembre 2024. Faute de nomination encore, François Bayrou était le gouvernement à lui seul, cela faisait penser un peu à Lucien Grandgarçon dans l'excellente bande dessinée "Monsieur le Ministre" de Christian Binet, personnage devenu ministre de tout, personne ne voulant les ministères à problèmes (qu'ils sont tous).

    Le groupe socialiste est en effet essentiel, crucial même, pour le nouveau gouvernement si celui-ci ne veut pas se retrouver, comme le gouvernement Barnier, à la merci du RN. Car il faut voir clair : si les députés socialistes n'avaient pas mêlé d'une manière totalement irresponsable leurs voix à celles des insoumis et de l'extrême droite le 4 décembre 2024, la motion de censure n'aurait pas été adoptée et le pays aurait été "moins en crise", avec au moins un budget pour 2025.

    En cas d'absence de bienveillante non-censure, François Bayrou, avec la mauvaise volonté des uns (socialistes, écologistes) et des autres (LR), risque bien de se retrouver dans la même situation que Michel Barnier.


     

     
     


    Répondant aux questions des députés, François Bayrou a bien entendu évoqué la catastrophe à Mayotte (il l'a redit deux jours plus tard à la télévision, il n'y a pas eu en France de catastrophe aussi dévastatrice depuis l'éruption de la Montagne Pelée en Martinique le 23 avril 1902 où 30 000 personnes ont perdu la vie). On a pu ressentir son sentimentalisme à plusieurs occasions, notamment pour Mayotte où il a rappelé la mémoire de vieux amis : « Je garde en mémoire le visage de ceux qui se sont battus pour que Mayotte soit française et devienne un département. Plusieurs d’entre eux étaient mes amis et mes aînés, Marcel Henry, Henry Jean-Baptiste, pour ne parler que des personnalités de la fin du siècle précédent. Ces hommes considéraient que la vocation de Mayotte était d’être le visage de la France dans la région. Ils ont fait confiance à la France et nous devons prouver qu’ils ont eu raison, à présent que Mayotte est confrontée à l’une des pires tragédies possibles. ».

     

     
     


    S'il a obtenu Matignon tant convoité depuis 2007 et surtout depuis 2017, c'est probablement au pire moment institutionnel de la Cinquième République : à trois jours de Noël, pas de budget, une Assemblée éclatée en trois blocs fortement antagonistes, une situation des finances publiques déplorable avec une dette de 112% du PIB et un déficit de 6,1% du PIB. Pas étonnant qu'en prenant ses fonctions, il ait parlé d'être au pied de l'Himalaya. Mais il n'est pas un magicien.

    À l'évidence, François Bayrou n'est pas l'homme providentiel. Il a ses limites et il pourrait bien montrer ce qu'est un artisan par rapport à un grand groupe international. Ou alors ce qu'est une petite voiture diesel (je n'ose pas écrire un tracteur !) par rapport à un SUV électrique. On l'a appelé à Matignon au pire moment, j'écris "on" car finalement, même si les conditions de sa désignation étaient assez rocambolesques, le fait que le Président Emmanuel Macron l'a nommé constitue une évolution sensible du cours de ce second quinquennat.


     

     
     


    L'analogie avec une voiture diesel est pertinente en ce sens que la locomotive Bayrou est assez longue à démarrer. Il faut d'abord bien la chauffer. La polémique sur son déplacement à Pau au lieu de Mayotte était assez stérile et très politicienne. J'ai évoqué cette maladresse (car c'en est une) mais qui ne devrait pas avoir de conséquence sur les secours : le fait d'assister à un conseil interministériel de crise par visioconférence ne change rien à l'affaire, aux secours apportés aux Mahorais, et le fait de rester en métropole le temps de déterminer la composition du gouvernement n'est pas absurde. Il a choisi ses priorités, et l'absence de gouvernement peut aussi avoir un impact sur l'aide pour Mayotte et la préparation d'une future loi pour la reconstruction de Mayotte.

    Il n'y a pas que cette maladresse. François Bayrou n'a plus été au gouvernement depuis juin 1997, sauf quelques semaines au printemps 2017. Depuis une trentaine d'années, il a soutenu le rythme qu'il s'est lui-même choisi, parfois très soutenu pendant ses campagnes présidentielles, mais souvenons-nous qu'en mars 2007, alors que sa campagne montait énormément en puissance, il a eu un petit coup de mou. Le poste de Premier Ministre est sans doute celui en France qui a l'emploi du temps le plus fou. Cela plus le fait qu'il est quand même septuagénaire, ce n'est pas comme il y a cinquante ans, mais il y a quand même une part de fatigue supplémentaire, font que François Bayrou doit gérer mille priorités à la seconde et que c'est épuisant. Il doit donc lui-même trouver une vitesse de croissance. Pour l'instant, il se focalise sur la formation du gouvernement et il n'a pas tort.

     

     
     


    Quelle est la méthode Bayrou ? C'est de se réunir autour d'une table et de déterminer ce qui unit et pas ce qui divise. C'est pour cela que le Premier Ministre s'agace lorsqu'on lui parle de "lignes rouges". Ça ne sert à rien de tenter de se rassembler si c'est pour parler de ce qui fâche. Ceux qui en parlent en priorité n'ont rien de sincères lorsqu'ils prétendent vouloir être constructifs.

     

     
     


    François Bayrou a consulté les partis politiques individuellement lundi, mardi et mercredi. Jeudi 19 décembre 2024, il a réuni, ensemble, ceux des partis politiques susceptibles de s'entendre, c'est-à-dire tous les partis représentés à l'Assemblée exceptés FI et le RN, mais il a bien insisté qu'il continuerait les contacts avec ces deux partis, qu'eux-mêmes avaient exclu toute idée de coopération.

    Il leur a donné un jour pour savoir ce qu'ils comptent faire. François Bayrou a donné beaucoup de gages d'ouverture mais pour le PS et EELV, cela ne compterait pas.

    Passons d'abord rapidement avec Les Républicains. Leur blocage est assez étonnant. Bruno Retailleau se plaît au Ministère de l'Intérieur et François Bayrou veut le garder à ce poste régalien majeur : « Je pense que M. Retailleau a montré ces dernières semaines et derniers mois qu'il avait trouvé des décisions et des orientations qui répondaient à une partie de ce que l'opinion demande. ». Alors, qu'est-ce qui cloche chez LR ? Probablement cette question très personnelle : Laurent Wauquiez intégrera-t-il le prochain gouvernement ? Lâchement, il avait refusé pour le gouvernement Barnier, mais François Bayrou tient à ce que les chefs de parti ne soient pas hors jeu pour éviter les sabotages internes.

     

     
     


    Tout en précisant bien qu'un Premier Ministre ne devait pas commenter une décision de justice, François Bayrou a aussi eu une petite pensée amicale pour Nicolas Sarkozy qui a été condamné définitivement à un an de prison ferme la veille : « J'ai affronté Nicolas Sarkozy durement dans ma vie, et quand j'ai appris ce verdict, ça m'a fait peine pour lui, ça m'a fait peine pour les siens. Et je sais ce que c'est que de se trouver devant l'appareil de la justice et ce sentiment-là, je ne l'efface pas. ». C'était aussi une réponse à l'entourage de Nicolas Sarkozy qui avait affirmé que, contrairement aux rumeurs, l'ancien Président de la République n'avait pas du tout fait de campagne souterraine pour empêcher la nomination du maire de Pau à Matignon.

    Venons ensuite à la gauche républicaine. Elle se situe résolument dans l'opposition, mais contrairement à l'époque Barnier (pourtant pas si lointaine), elle semblerait devenir plus responsable avec la stabilité du pays (pressée aussi par les forces vives, les partenaires sociaux ayant fait un appel à la responsabilité).


    Que veut cette gauche de gouvernement ? S'invitant sur France 2 dans l'émission "L'événement" ce jeudi 19 décembre 2024, François Bayrou leur a donné deux ouvertures majeures.
     

     
     


    La première sur la réforme des retraites. Il a refusé la suspension de celle-ci (comme la gauche le demandait) car si on suspendait, on n'y reviendrait plus (« parce que, quand on suspend, évidemment, on ne reprend jamais »). Et en plus, les mesures avantageuses pour les petites retraites seraient alors supprimées. Il a souhaité la tenue d'une conférence sociale avec, autour de la table, le gouvernement, les groupes parlementaires et les partenaires sociaux. À l'écoute de l'écologiste complètement agitée Marine Tondelier sur BFMTV dans la soirée, on a compris qu'elle n'avait rien écouté de ce que proposait le Premier Ministre, à Matignon ou à la télévision. C'est pourtant une ouverture majeure, que François Bayrou a dû initier à l'arraché contre la volonté présidentielle. Modifier tout ce qui mériterait d'être modifié dans la réforme des retraites : les carrières longues, les femmes, etc.

     

     
     


    L'autre ouverture, c'est qu'il ne compte pas utiliser l'article 49 alinéa 3 de la Constitution, sauf en cas de blocage majeur, cela concerne le budget, car il faut bien en faire un (il compte le finaliser au milieu du mois de février 2025, ce qui est très ambitieux) : « Je n'utiliserai pas le 49 al. 3, sauf s'il y a blocage absolu sur le budget (…). Je souhaite le plus de dialogue possible. Et sur les autres textes, je n'utiliserai pas le 49 al. 3, sauf catastrophe. ».

    Ces deux mesures étaient des demandes répétées de cette gauche qui se retrouve ainsi, aujourd'hui, devant ses responsabilités. C'est clair que la sincérité des positions de cette gauche depuis le 4 décembre 2024 s'effondrerait totalement si elle comptait malgré tout voter la censure du gouvernement. Ce serait la preuve que ses positions ne seraient que des postures politiciennes, exactement comme Marine Le Pen et son groupe RN lorsqu'il a fallu expliquer pourquoi ils allaient censurer le gouvernement Barnier alors que les trois quarts de leurs revendications avaient obtenu l'accord du Premier Ministre.

     

     
     


    Sur France 2, François Bayrou a aussi rendu hommage au grand courage de Gisèle Pélicot, la multivictime des viols de Mazan, qu'il a remercié pour son souci de transparence.

    L'insoumise enragée Mathilde Panot promet que le gouvernement Bayrou ne passera pas l'hiver. François Bayrou devra faire preuve de beaucoup de doigté et de diplomatie pour arriver à ce que la France soit (enfin) gouvernée. Encore faut-il que la classe politique le veuille bien ! Les Français observent et seront très sévères contre les irresponsables. C'est cette bataille de "l'opinion publique" que veut gagner François Bayrou avec ses deux ouvertures. C'est la seule qui compte, puisque tous ses interlocuteurs restent bloqués sur des considérations simplement électoralistes. On peut être sûr qu'il y a au moins un responsable politique, lui, François Bayrou, qui se préoccupe de l'intérêt national. Et même deux !



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    Sylvain Rakotoarison (19 décembre 2024)
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    Le tour de François Bayrou !
    La polémique entre Maurice Druon et François Bayrou en juillet 2004.
    Le paysage politique français postcensure.
    Motion de sangsue : les conséquences économiques désastreuses de la censure.
    Philippe Vigier défend les Français face au renoncement national.
    Laurent Wauquiez met en garde contre l'instabilité institutionnelle.
    Emmanuel Macron face à ses choix.
    Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron le 5 décembre 2024 (texte intégral).
    La motion RNFP : Chassez le naturel, il revient au chaos !
    L'émotion de censure de Michel Barnier.
    La collusion des irresponsables.
    Gouvernement Barnier : les yeux du monde rivés sur la France.
    Risque de censure : Non, le RN n'est pas l'arbitre des élégances !
    Michel Barnier plaide pour la sobriété normative et procédurale !
    Discours du Premier Ministre Michel Barnier le 21 novembre 2024 à la Porte de Versailles (vidéo et texte intégral).
    Michel Barnier sur les pas de Pierre Mendès France.
    Discours du Premier Ministre Michel Barnier le 15 novembre 2024 à Angers (vidéo et texte intégral).
    PLF 2025 : la majorité de rejet !
    Michel Barnier : déjà deux mois !
    François Guizot à Matignon ?
    5 euros pour visiter Notre-Dame de Paris ?
    Achats dans la fonction publique : des économies à faire ?
    Doliprane : l'impéritie politique.
    Proche-Orient : l'incompréhension de Roger Karoutchi.
    Motion de censure : le quart d'heure de gloire d'Olivier Faure.
    Budget 2025 : l'impossible mission de Michel Barnier.
    Claude Malhuret : du vol des élections aux chefs d'escadrille...
    Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
    La quadrature du cercle de Michel Barnier.











    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241219-bayrou.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/la-methode-bayrou-reussira-t-elle-258254

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/12/19/article-sr-20241219-bayrou.html




     

  • La folle histoire de la nomination de François Bayrou

    « La politique ne peut pas se réduire à un champ de manœuvres, dans une sorte d’entre-soi d’où les citoyens sont exclus. » (Michel Barnier, le 13 décembre 2024 à Matignon).




     

     
     


    Folle et éprouvant histoire. Après le montagnard Michel Barnier, voici le montagnard François Bayrou installé à Matignon ce vendredi 13 décembre 2024. La mission du nouveau Premier Ministre reste toujours impossible depuis le 7 juillet 2024, dès lors qu'aucune majorité constructive n'est capable de se former pour gouverner la France. Impossible ou, du moins, périlleuse, car François Bayrou croit aux miracles. Il doit avoir au moins un regret, celui que son indispensable Marielle de Sarnez ne fût plus là pour vivre ces moments mémorables.

    Il a reçu dès le soir de son installation le Ministre de l'Intérieur démissionnaire, l'influent Bruno Retailleau, ancien président du groupe LR au Sénat, puis, ce samedi 14 décembre 2024, il a reçu, l'un après l'autre, le Premier Président de la Cour des Comptes Pierre Moscovici (ancien ministre socialiste), le gouverneur de la Banque de France François Villeroy de Galhau, la Présidente de l'Assemblée Nationale Yaël Braun-Pivet, enfin le Président du Sénat Gérard Larcher. D'autres consultions sont prévues dans son agenda, avec les chefs de groupes parlementaires et de partis.

    La composition du gouvernement Barnier a été très longue à venir, seize jours en septembre. François Bayrou espère que la composition du sien ira plus vite car il y a des échéances. La première échéance est le début des vacances de Noël, et après le vendredi 20 décembre 2024, les Français ne seront plus réceptifs aux événements politiques avant le Nouvel An. Et puis, il y a cette loi spéciale, adoptée en commission le 12 décembre 2024, qui est examinée le lundi 16 décembre 2024 en séance publique. Ce sera étonnant qu'une telle loi, urgente pour percevoir les impôts et faire des emprunts, soit discutée avec des ministres démissionnaires et un Premier Ministre nouvellement désigné.

    Il faut revenir sur les conditions de la nomination de François Bayrou à Matignon. Tout indique que la matinée du 13 décembre 2024 fut rude. Elle le fut pour le principal intéressé, François Bayrou, ce qui a été une première épreuve du feu qui vaut mille diplômes de forte personnalité. Mais elle le fut aussi pour les journalistes, tous mobilisés depuis la veille pour pronostiquer puis commenter la nomination du nouveau Premier Ministre. Au cours de la matinée, beaucoup se sont discrédités par leurs contacts "bien informés" et leurs "sources propres" en distillant des confidences qu'ils croyaient définitives, au point qu'on ne peut que penser au fameux sketch de Coluche sur les personnes bien informées.

    François Bayrou est véritablement un miraculé ! Les Pyrénées ont remplacé les Alpes à Matignon, mais dans tous les cas, le locataire des lieux est un dur à cuire. En fait de chaîne de montagnes, c'est plutôt l'Himalaya au pied duquel il se trouverait, un « Himalaya de difficultés ». "Le Monde" est revenu sur les conditions de nomination de François Bayrou, alors qu'il avait malencontreusement annoncé avec assurance la non-nomination de François Bayrou. Dans un article publié le samedi 14 décembre 2024, les journalistes Claire Gatinois et Nathalie Segaunes ont précisé la chronologie de cette folle matinée.

     

     
     


    Selon elles, le Président de la République avait fixé son choix : cela devait être Sébastien Lecornu. Pourquoi ? Pour justement ce que l'opposition de gauche reproche à Emmanuel Macron : pour que le Président puisse reprendre la main après avoir été éloigné des affaires pendant le gouvernement Barnier. À l'évidence, cette idée était complètement absurde dans le cadre d'une Assemblée comme celle qu'on a aujourd'hui. Cela aurait été une provocation frontale inutile qui pouvait avoir de fâcheuses conséquences pour les institutions et même pour lui-même. Comment peut-on avoir aussi peu le sens politique que lui ?

    Vers 9 heures du matin, ce vendredi, Michel Barnier a fait installer dans la cour de Matignon tapis rouge et micros, mais sans savoir à qui il ferait la passation des pouvoirs. Le tapis rouge est donc resté toute la journée puisque la passation a eu lieu à 17 heures.


    Entre-temps, c'était très éprouvant pour certains acteurs politiques. Un coup de téléphone à 5 heures du matin d'Emmanuel Macron à François Bayrou pour dire qu'il ne serait pas nommé Premier Ministre, puis, une rencontre à l'Élysée à 8 heures du matin, qui a duré près de deux heures. En ce début de matinée, pour les éditorialistes matinaux, c'était clair : François Bayrou allait être nommé Premier Ministre. Logique d'être reçu par le Président de la République, et longuement, pour envisager la composition du gouvernement et ses orientations politiques.

    Mais des petits détails ont vite choqué les journalistes de la télévision d'information continue : par exemple, François Bayrou n'est pas sorti officiellement de l'Élysée, mais par une porte "dérobée", sans image, sans déclaration, discrètement. Puis, c'était l'attente, une longue attente. Incompréhensible alors que tout était en principe fixé. Le communiqué devait être publié avant midi. Le tapis rouge s'inquiétait et s'ennuyait. Les horloges s'excitaient.

    Puis, des journalistes ont réussi à capter l'image de François Bayrou, rentrant à son bureau de Haut Commissaire au Plan : il faisait froid, François Bayrou, sans sourire mais sans tristesse non plus, a conseillé aux journalistes présents de ne pas rester là « se geler » et il expliquait : « ça ne servirait à rien ». La grande porte s'est refermée. Cette petite phrase était la confirmation de rumeurs qui parcouraient déjà le tout Paris : François Bayrou ne serait finalement pas nommé. On comprendra plus tard qu'il y a eu beaucoup de gens prétendument bien informés qui n'avaient aucune information fiable. Sans compter les manipulateurs.

    D'après l'article du "Monde", François Bayrou aurait expliqué à Emmanuel Macron pourquoi ce serait une erreur de nommer Sébastien Lecornu, considéré comme un courtisan. Cette nomination rendrait le Président très « vulnérable ». Au contraire, pour François Bayrou qui s'est préparé depuis longtemps à la fonction, il s'agit justement de gouverner au centre, afin de construire des compromis dans cette Chambre ingouvernable. Le président du MoDem était très en colère et a tenté surtout de persuader le Président qu'il faisait fausse route : il perdrait certainement dans une confrontation aussi brutale que douteuse, puisqu'il ne bénéficie plus de majorité à l'Assemblée.

    Et le dernier argument a pu faire pencher la balance : « La discussion entre les deux hommes, tendue, dure près de deux heures. Pour la première fois depuis 2017, François Bayrou menace de rompre, assuré que son parti suivra. "Je vous ai rejoint pour faire de grandes choses, pas de petites choses, lance-t-il à l’hôte de l’Élysée. Donc c’est très simple : si vous ne me nommez pas, je retire mes billes". ».

    Le retrait du MoDem, un peu moins d'une quarantaine de députés, serait un sérieux coup porté contre le bloc central et rendrait inopérant l'argument crucial que le "socle commun" (bloc central et LR) est appelé à gouverner car il est numériquement plus fort que la nouvelle farce populaire (NFP).

    La fin du premier entretien n'a donc pas été conclusif : « "Je réfléchis encore, et je vous tiens au courant", lui répond Emmanuel Macron. Le Béarnais s’éclipse par une porte dérobée, rue de l'Élysée, afin d’éviter les caméras postées devant le palais. Il a brûlé ses vaisseaux, se retrouvant dans la rue sans aucune certitude. ». Emmanuel Macron a alors sondé ses proches. Le nom de Roland Lescure est apparu, puis vite abandonné.


    Mais l'incertitude n'a pas duré trop longtemps : « Emmanuel Macron rappelle le centriste quinze minutes après son départ, et lui demande de revenir à l’Élysée à 11 heures 30. Sa décision est prise : François Bayrou occupera Matignon. "C’est un homme qui en impose", ironise-t-on au palais, laissant entendre que l’agrégé de lettres classiques aurait forcé la main du chef de l’État. "François a une force de persuasion et des convictions. Certains disent des 'coups de colère'…", commente Erwan Balanant, député (MoDem) du Finistère. Une lecture de cet incroyable retournement qui plaît aux amis du désormais Premier Ministre. En s’imposant au chef de l’État, François Bayrou a "affirmé d’emblée son autonomie, car il est désormais de notoriété publique que le Président n’en voulait pas", affirme un intime du maire de Pau. De quoi permettre au Premier Ministre de ne pas être seulement perçu comme l’homme du Président, dans l’opinion. ».
     

     
     


    Pour aller dans le même sens que cette narration, l'éditorialiste Alain Duhamel avait affirmé dès la veille que si François Bayrou n'était pas nommé cette fois-ci, il ferait un "carnage" ! On voit bien ici la grande différence avec Michel Barnier : ce dernier n'avait aucun contrôle sur le groupe LR à l'Assemblée, tenu d'une main de fer par Laurent Wauquiez. Au contraire, François Bayrou maîtrise totalement les positions du groupe MoDem à l'Assemblée.

    Cette histoire est très étonnante. L'indécision, l'hésitation ont été réelles et récurrentes. Ce flottement a été en fait perçu dès avril 2022 : que faire de son second mandat alors qu'il a été réélu sans véritable campagne électorale en pleine guerre en Ukraine et Présidence française de l'Europe ?

    Un Premier Ministre qui va imposer sa nomination au Président de la République, c'est une attitude peu gaullienne, mais elle n'est pas la première et a déjà été adoptée par ...un supposé gaulliste. En effet, Dominique de Villepin l'a fait aussi après l'échec du référendum sur le TCE en mai 2005, imposant sa nomination au Président Jacques Chirac qui avait pourtant choisi, selon "Le Monde", sa ministre Michèle Alliot-Marie.

    Bien avant sa nomination, François Bayrou avait confié à des journalistes son point de vue sur la formation du gouvernement : « Ces négociations de partis, où chacun a ses lignes rouges, c’est pour moi inimaginable, ça ne peut pas marcher. ». Le principe des lignes rouges, c'est la censure assurée, puisque les uns vont faire d'une mesure leur ligne rouge et les autres, la mesure contraire leur ligne rouge à eux. Cela enferme le gouvernement nécessairement dans une impossibilité conceptuelle.

    C'est pourquoi l'arrivée de François Bayrou est un signal très différent d'une nomination Lecornu. La gauche tend à tout amalgamer en prétendant que François Bayrou serait un "homme" du Président : comme je l'ai expliqué précédemment, il n'est pas un "bébé Macron" mais un "papa Macron". François Bayrou ne doit rien à Emmanuel Macron ; en revanche, la réciproque est fausse. De plus, François Bayrou a toujours exprimé ses désaccords le cas échéant devant le Président de la République. Librement.

    Parmi les personnes heureuses de la nomination de François Bayrou, l'écologiste Daniel Cohn-Bendit qui, dès le 10 août 2024, avait adressé une lettre ouverte au Président de la République pour cette nomination, en concluant : « Macron n’est plus à la barre et Bayrou sera un Premier Ministre libre. ». On se dit que Dany le Vert n'est pas rancunier quand on se souvient de la campagne des élections européennes de juin 2009 où François Bayrou l'avait particulièrement taclé le 4 juin 2009 dans un débat télévisé. Autre temps, autre mœurs.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (14 décembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    La folle histoire de la nomination de François Bayrou.
    François Bayrou, le papa Macron !
    Le tour de François Bayrou !
    La polémique entre Maurice Druon et François Bayrou en juillet 2004.
    Le paysage politique français postcensure.
    Motion de sangsue : les conséquences économiques désastreuses de la censure.
    Philippe Vigier défend les Français face au renoncement national.
    Laurent Wauquiez met en garde contre l'instabilité institutionnelle.
    Emmanuel Macron face à ses choix.
    Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron le 5 décembre 2024 (texte intégral).
    La motion RNFP : Chassez le naturel, il revient au chaos !
    L'émotion de censure de Michel Barnier.
    La collusion des irresponsables.
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    Discours du Premier Ministre Michel Barnier le 21 novembre 2024 à la Porte de Versailles (vidéo et texte intégral).
    Michel Barnier sur les pas de Pierre Mendès France.
    Discours du Premier Ministre Michel Barnier le 15 novembre 2024 à Angers (vidéo et texte intégral).
    PLF 2025 : la majorité de rejet !
    Michel Barnier : déjà deux mois !
    François Guizot à Matignon ?
    5 euros pour visiter Notre-Dame de Paris ?
    Achats dans la fonction publique : des économies à faire ?
    Doliprane : l'impéritie politique.
    Proche-Orient : l'incompréhension de Roger Karoutchi.
    Motion de censure : le quart d'heure de gloire d'Olivier Faure.
    Budget 2025 : l'impossible mission de Michel Barnier.
    Claude Malhuret : du vol des élections aux chefs d'escadrille...
    Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
    La quadrature du cercle de Michel Barnier.

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241214-bayrou.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/la-folle-histoire-de-la-nomination-258176

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/12/14/article-sr-20241214-bayrou.html


     

  • François Bayrou, le papa Macron !

    « Je viens de milieux sociaux et de villages qui n’ont pas la chance d’être protégés, favorisés. Je trouve que notre devoir de citoyen, de père de famille, notre devoir de républicain, c’est que nous soyons obsédés pour rendre des chances à ceux qui n’en ont pas. C’est pour moi un devoir sacré. » (François Bayrou, le 13 décembre 2024 à Matignon).





     

     
     


    Ce texte ci-dessus est une formulation assez inattendue pour une allocution de prise de fonction à Matignon. L'origine modeste et paysanne de François Bayrou l'ont marqué au point qu'il voudrait donner sa chance à chaque Français qui le mérite et qui travaille. C'est aussi le dada du Président Emmanuel Macron formulé autrement, et finalement, c'est le rêve américain exprimé, fantasmé aux États-Unis : l'ouverture des possibles, le champ infini des possibles, la fin d'un fatalisme social, versus l'étiquetage, la réduction dans des cases dont on ne sortira pas de toute sa vie.

    Lorsque François Bayrou est arrivé à pied à Matignon, en traversant toute la cour pour atteindre le tapis rouge où l'attendait Michel Barnier, une étrange sérénité accompagnait ses pas. Un sourire, mais pas celui de l'arrivé, pas celui du consacré. C'est vrai, Matignon, il y pensait depuis 2007, et plus encore depuis 2017. Il pensait au sort injuste qui l'avait écarté du pouvoir à cause d'une affaire judiciaire dont il a été totalement blanchi... mais il lui a fallu attendre près de sept années.

    Sur son visage ne figurait pas ce sentiment de revanche, sociale (lorsqu'il a été ministre, c'était un peu difficile pour son entourage politique car, pour parodier Jacques Séguéla, si tu n'es pas ministre à 40 ans, c'est que tu as échoué dans la vie !), ni de revanche politique (Dieu sait comment il a été détesté, moqué, par des personnalités de droite, de gauche, par les journalistes qui, aujourd'hui, le plus sérieusement du monde, lui trouvent mille qualités). La marche d'un homme d'un certain âge, pas de celui qui part la conquête, mais de cette sérénité qui fait dire qu'il faisait déjà partie des meubles (c'est un peu vrai comme Haut Commissaire au plan), comme s'il avait toujours été Premier Ministre, qu'il ne s'en étonnait pas, comme c'était nécessairement inscrit dans l'histoire.

    Ce qui frappait aussi, dans ce même ordre d'idée, c'est qu'on ne sentait pas le vertige devant la fonction, comme beaucoup de ses prédécesseurs le montraient le premier jour dans cette cour. Il n'était pas intimidé par les responsabilités gigantesques qui l'attendent. Lui est trop sûr de son destin, et pourtant, il n'y a aussi qu'humilité, il sait qu'il a tout à perdre, pas grand-chose à gagner, avec peu de chance de réussite. Mais à son âge, c'est le moment ou jamais de donner le plus de lui-même. De montrer à quel point la France a besoin de l'art du compromis, a besoin de la méthode Bayrou. Fini de donner des leçons, le voici à l'œuvre, avec la difficile mission d'agir.


    Et pas question de faire du surplace, comme on le lui a souvent reproché à l'Éducation nationale. Pas question de ne pas s'occuper de tous les sujets importants, malgré l'absence de majorité : « Devant une situation d’une telle gravité, ma ligne de conduite sera de ne rien cacher, de ne rien négliger et de ne rien laisser de côté. (…) Je pense que nous avons le devoir, dans un moment aussi grave pour le pays, pour l’Europe et devant tous les risques de la planète, d’affronter les yeux ouverts, sans timidité, la situation qui est héritée de décennies entières. ».

    François Bayrou a donc trois priorités : la dette avec le budget 2025 à refaire (le thème de la dette est ancien chez François Bayrou ; dès 2002, il en parlait, comme il parlait de la réindustrialisation), l'école qui est essentielle pour structurer une nation, et ce qu'on pourrait dire l'ascension sociale ou l'égalité des chances. "Ceux qui ne sont rien" doivent pouvoir être hissés avec ceux qui ont réussi, les "premiers de cordée".

    Très sagement, François Bayrou ne s'est pas (encore ?) engagé à ne pas recourir à l'article 49 alinéa 3 de la Constitution, alors que les socialistes voudraient faire chanter le gouvernement en monnayant leur non-censure avec l'engagement de ne pas recourir à cet article de la Constitution qui engage la responsabilité du gouvernement sur un texte de loi. C'est sage car justement, cet outil constitutionnel, inspiré par les propositions continues de Jean Jaurès, Léon Blum et Guy Mollet, avait pour but de permettre au gouvernement de gouverner en l'absence de majorité à l'Assemblée, le cas aujourd'hui précisément. Et je ne vois pas comment les lois de finances pourraient être adoptées sans cet outil avec une Assemblée aussi émiettée.

    Dès les premiers mots de son allocution, François Bayrou a rappelé combien il connaissait Michel Barnier, il avait travaillé avec lui à la rénovation de la vie politique sous l'appellation des Douze Rénovateurs, au printemps 1989, avec François Fillon, Philippe Séguin, Dominique Baudis, Bernard Bosson, Michel Noir, Philippe de Villiers, Charles Millon, etc.


     

     
     


    Sur le plan historique, il a rappelé une coïncidence. Ce vendredi 13 est un jour de chance pour François Bayrou. C'est l'anniversaire de la naissance du roi Henri IV, "son" roi, celui qu'il a étudié, sur qui il a écrit des ouvrages, celui qui a voulu réconcilier les Français, celui qui a « fondé sa rencontre avec la France dans des temps aussi difficiles, plus difficiles que ceux que nous vivons aujourd’hui. (…) Si je peux, à mon tour, j’essaierai de servir cette réconciliation nécessaire et je pense que c’est là le seul chemin possible vers le succès. ». Henri IV, pour qui Paris vaut bien une messe (et qui a démarré la branche des Bourbons), est en effet né le 13 décembre 1553, pas un vendredi mais un dimanche, mais à Pau, dont François Bayrou est le maire depuis avril 2014. Du reste, à propos de messe, il était présent à la cérémonie de réouverture de Notre-Dame de Paris, le 7 décembre 2024, et il était joyeux, tout excité à l'idée de devenir Premier Ministre.

    Il aurait pu aussi rappeler une autre date, le trentième anniversaire de la mort de l'illustre Antoine Pinay, le 13 décembre 1994 à presque 103 ans. Antoine Pinay est devenu Président du Conseil assez âgé (mais plus jeune que François Bayrou : à 60 ans). Antoine Pinay a la particularité d'avoir sauvé le franc et les finances publiques. Raymond Poincaré, Antoine Pinay, Raymond Barre, Pierre Bérégovoy... voudrait-il, François Bayrou, compléter la liste avec son nom ?

    Restons en histoire. On a parlé de la situation historique, catastrophique, d'avoir en France quatre Premiers Ministres dans la seule année civile 2024 : Élisabeth Borne, Gabriel Attal, Michel Barnier et François Bayrou. Si Gabriel Attal a été installé par Emmanuel Macron et que la responsabilité de la démission du même provient aussi du Président de la République qui a décidé la dissolution de l'Assemblée, le renversement du gouvernement Barnier n'est pas du fait d'Emmanuel Macron mais de la censure votée par la collusion d'irresponsables, de l'extrême droite, de l'extrême gauche et de la gauche prétendument gouvernementale.

    En prenant sur une seule année civile, c'est évidemment biaiser, car Élisabeth Borne a supervisé le gouvernement sur trois années civiles (de 2022 à 2024) et finalement, la plupart des Premiers Ministres entre 2017 et 2024 ont eu une longévité tout à fait ordinaire d'un Premier Ministre sous la Cinquième République. Édouard Philippe est même classé au septième rang des Premiers Ministres les plus longs, bien au-delà de Michel Rocard, Jacques Chaban-Delmas, Édouard Balladur, etc.

    Si on veut regarder en arrière les exemples où quatre chefs de gouvernement (différents) se sont succédé dans la même année civile, eh bien, on dira que c'était rare sous la Quatrième République. Il n'y a eu que l'année 1946 qui a connu cela, une année de crise politique majeure qui a commencé par la démission de De Gaulle. En 1946, De Gaulle, donc, jusqu'au 20 janvier 1946, puis Félix Gouin du 26 janvier au 24 juin 1946, puis Georges Bidault du 24 juin au 28 novembre 1946, enfin Léon Blum à partir du 16 décembre 1946. On remonterait moins loin, en 1948, si on prenait quatre gouvernements qui s'y sont succédé, mais avec seulement trois Présidents du Conseil différents.

    Ensuite, il faut remonter à avant la guerre, sous la Troisième République, où c'était très courant. Il y a quatre-vingt-dix ans. En 1934 (année particulière de crises et d'émeutes) : Camille Chautemps, Édouard Daladier, Gaston Doumergue et Pierre-Étienne Flandin. En 1933 : Joseph Paul-Boncour, Édouard Daladier, Albert Sarraut et Camille Chautemps. En 1932 : Pierre Laval, André Tardieu, Édouard Herriot et Joseph Paul-Boncour. En 1930, on est dans la même situation qu'en 1948 : quatre gouvernements et trois chefs de gouvernement.


    Donc, oui, depuis quatre-vingt-dix ans, il ne s'est passé que deux années civiles avec autant d'instabilité gouvernementale. À qui la faute ? D'abord bien sûr au Président de la République qui aurait dû garder Élisabeth Borne jusqu'aux élections européennes de juin 2024, ce qui, après un échec désastreux, l'aurait amené à nommer Gabriel Attal juste après, au lieu de dissoudre. Mais la responsabilité est partagée car il y a aussi le peuple qui a offert à la France une Assemblée composée de trois blocs incompatibles de même force, sans majorité, et enfin, pour la censure du 4 décembre 2024, la responsabilité est entièrement portée par les députés censeurs. Notons d'ailleurs que l'adoption de la motion de censure a créé un choc psychologique et un malaise de sidération dans les groupes d'opposition comme la dissolution avait créé un malaise dans les groupes du socle commun.

     

     
     


    J'en viens à Michel Houellebecq. Dans son roman "Soumission", sorti chez Flammarion le 7 janvier 2015, le jour des attentats de "Charlie Hebdo" (il y a presque dix ans), l'auteur a proposé une anticipation politique originale : en 2022, un candidat énarque issu d'un parti musulman est élu Président de la République au second tour dans un duel face à l'extrême droite. François Bayrou est alors choisi pour Matignon à la tête d'un gouvernement rassemblant droite, centre et gauche gouvernementale. Le livre n'est pas très flatteur pour François Bayrou mais ce dernier peut se vanter de devenir un personnage de roman, qui plus est, pas très éloigné de la réalité, à deux ans près.

    Au fait, pourquoi mon titre ? Jean-Louis Bourlanges, ancien président de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée et membre du MoDem, était l'invité de LCI le soir du 13 décembre 2024. Il a expliqué que jusqu'à maintenant, jusqu'à l'été 2024, tous les Premiers Ministres nommés par Emmanuel Macron étaient des "bébés Macron", c'est-à-dire qui n'avaient pas d'existence politique propre sans Emmanuel Macron. Or, avec la configuration impossible de l'Assemblée d'aujourd'hui, Emmanuel Macron a beaucoup hésité, il aurait pu nommer encore un "bébé Macron", comme Roland Lescure ou Sébastien Lecornu.

    Finalement, avec François Bayrou, il a nommé un "papa Macron", et c'est une grande différence : François Bayrou ne doit rien à Emmanuel Macron alors qu'Emmanuel Macron doit tout à François Bayrou, à commencer par son soutien décisif à l'élection présidentielle de 2017. Ceux qui, à gauche, pensent qu'avec François Bayrou, c'est continuer la politique d'Emmanuel Macron, sont dans le procès d'intention et dans l'erreur de discernement, c'est mal connaître François Bayrou dont la grande expérience d'élu local (député, président de conseil général, maire de grande ville) lui permet de "sentir" le pouls des Français, de les écouter, au contraire du Président de la République enfermé dans sa tour d'ivoire avec ses collaborateurs technocrates et ses idées originales.

    Les prochaines étapes, ce sont la désignation de son gouvernement qu'il voudrait surtout composé de grands politiques, et la déclaration de politique générale. Ce sera à ce moment-là, probablement après le Nouvel An, que les députés pourront être fixés sur les intentions du nouveau Premier Ministre et de sa volonté d'aborder les réformes avec un large consensus.



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    Sylvain Rakotoarison (13 décembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    François Bayrou, le papa Macron !
    Le tour de François Bayrou !
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    Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
    La quadrature du cercle de Michel Barnier.







    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241213-bayrou-matignon.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/francois-bayrou-le-papa-macron-258148

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/12/13/article-sr-20241213-bayrou-matignon.html


     

  • Le tour de François Bayrou !

    « Un certain nombre de personnalités politiques éminentes l'ont dit : qui a la capacité à parler à tous aujourd'hui ? Qui a tenu des propos, à pousser des idées selon lesquelles chacun doit trouver sa place ? Qui, parmi les premiers, a défendu le redressement des finances publiques ou la réindustrialisation du pays ? La liste n'est pas si longue. » (Jean-Noël Barrot, le 9 décembre 2024 sur franceinfo).




     

     
     


    Après de laborieuses réflexions, le Président de la République Emmanuel Macron a nommé François Bayrou à Matignon ce vendredi 13 décembre 2024 à 12 heures 40 (je reviendrai certainement sur les conditions rocambolesques de cette nomination). Le Premier Ministre du vendredi 13 ! Beaucoup attendaient une surprise du chef de l'État et finalement, il est la personne qui était la plus probable à ce poste de toutes celles qui avaient été nommées depuis l'adoption de la motion censure, le 4 décembre 2024, contre le gouvernement Barnier. Dans un journal breton, l'ancien ministre Jean-Yves Le Drian a confirmé ce vendredi matin qu'il avait été contacté et qu'il avait refusé Matignon à cause de son âge. Hier, la nomination (fantaisiste) de Roland Lescure était (sérieusement) évoquée, peut-être pour l'abandonner aussi vite (pas si vite que cela, apparemment).

    Pour l'avoir connu dès 1989, je peux dire évidemment que ce jour est, pour François Bayrou, la consécration d'une carrière politique d'une petite cinquantaine d'années, un peu moins longue que celle de Michel Barnier même s'ils ont à peu près le même âge (73 ans). Il y a une certaine émotion à écrire ces lignes. Mais c'est mal le connaître que de croire qu'il se croirait "arrivé" ! Au contraire, tout commence, il part, il n'arrive pas. Il part dans une aventure incertaine, limitée dans le temps, peut-être, au mieux, jusqu'à mai 2027, la prochaine élection présidentielle, plus probablement jusqu'en automne 2025, les potentielles prochaines élections législatives après nouvelle dissolution, si ce n'est quelques semaines ou mois. Au contraire de Michel Barnier qui n'avait plus de relais au sein de l'hémicycle, François Bayrou est un homme qui connaît encore bien les parlementaires actuels qui seront les éléments clefs de sa stabilité.

    François Bayrou est actuellement maire de Pau, président du MoDem et Haut Commissaire au Plan. Il avait donc déjà un bureau à Matignon. Un pied à Matignon. Son objectif n'est pas de durer, bien sûr, mais d'éviter les erreurs de Michel Barnier, trop confiant sur sa capacité de négociation. On ne négocie pas à l'Assemblée avec un temps court comme on négocie en Europe avec un temps long.

     

     
     


    Un membre de l'entourage de Nicolas Sarkozy a démenti le fait que l'ancien Président se serait mobilisé auprès de l'Élysée pour éviter François Bayrou à Matignon. Certes, les deux hommes ne s'apprécient pas beaucoup et Nicolas Sarkozy a souffert de l'opposition irréductible de son ancien alter ego des années 1990 (Nicolas Sarkozy secrétaire général adjoint du RPR et François Bayrou secrétaire général adjoint de l'UDF) lors des élections présidentielles de 2007 et de 2012 : dans la première, François Bayrou s'est abstenu au second tour (contrairement à ce qu'affirment certains journalistes à la mémoire défaillante, il n'a pas voté pour Ségolène Royal) et dans la seconde, il a voté pour François Hollande au second tour, sans retour puisque l'ancien premier secrétaire du PS est resté obstinément dans une majorité dite de gauche (étriquée à cause des frondeurs).

    En revanche, il ne faut pas oublier que les dirigeants de LR ne détestent pas tous François Bayrou qui, entre autres, avait fait alliance avec Valérie Pécresse en Île-de-France, Xavier Bertrand aux Hauts-de-France et Laurent Wauquiez en Auvergne-Rhône-Alpes aux élections régionales en 2015.

    On a reproché à François Bayrou, qui n'a été "que" Ministre de l'Éducation nationale de mars 1993 à juin 1997 (il aurai voulu les Affaires étrangère en mai 1995 ; et il est resté à la Justice un mois et demi en mai-juin 2017), de n'avoir rien fait. Peut-être. Mais en l'occurrence, en décembre 2024, c'est un avantage ! Dans une Assemblée aussi impossible que celle sortie des urnes le 7 juillet 2024, il est impossible d'avoir l'ambition des grandes réformes. Parce qu'il n'y aurait aucune majorité pour les faire adopter. L'urgence, c'est donc le budget.

    Or, la dette était son dada. Je me souviens très bien que pendant sa première campagne présidentielle, en 2002, il prêchait déjà dans le désert sur la gravité de la dette et les conséquences sur les Français et les générations à venir. Ce n'était pas très sexy et il a su se distinguer des "petits candidats" par une gifle spontanée (et publique) qu'il a donnée à un gamin qui lui faisait les poches (il est arrivé en quatrième position derrière Jacques Chirac, Jean-Marie Le Pen et Lionel Jospin, mais devant Jean-Pierre Chevènement, ce dernier surnommé un moment "le troisième homme" avec des sondages faussement flatteurs.

    Bien entendu, à l'époque, la situation budgétaire était bien moins grave que par la suite, mais cette gravité de la dette semble avoir maintenant été entendue en 2024, même si la classe politique en général joue hypocritement. Le PS et le RN dénoncent le trop fort endettement de la France, mais n'hésitent pas à prôner des dépenses publiques en plus (en particulier la gauche qui veut abroger la réforme des retraites de 2023 alors qu'il faudrait en refaire une nouvelle pour assurer la pérennisation de leur financement).

    Son autre aspect particulier, c'est de pouvoir discuter avec tout le monde. S'il y a une personne capable de cultiver l'art du compromis dans la classe politique, c'est bien lui. Sans doute son caractère est difficile, ce qui veut dire que la cohabitation avec Emmanuel Macron ne sera pas de tout repos pour le Président : au contraire de ses précédents Premiers Ministre, Michel Barnier compris (qui était en retrait politique depuis 2021), François Bayrou a toujours existé politiquement de manière autonome et indépendamment d'Emmanuel Macron. Il a été un candidat à l'élection présidentielle qui a recueilli 18,5% des suffrages en 2007, ça compte dans la vie politique.


     

     
     


    En particulier, le président du MoDem a été assez sévère contre la méthode de la réforme des retraites et l'idée de remettre en chantier certains éléments de cette réforme semble possible, sans remettre en cause l'essentiel, son financement, mais ce petit pas peut être un grand pas pour obtenir la non-censure du PS pour qui c'est un marqueur politique et électoral fort.

    Si des réformes structurelles pour réduire durablement les dépenses de l'État semblent assez peu probables, François Bayrou sera amené à faire des réformes qui pourraient obtenir des consensus pour aider les agriculteurs, pour relancer le logement et pour réfléchir sur la transition énergétique, notamment par le redémarrage du programme nucléaire. Ce sont des sujets qui sont peu des marqueurs politiques et qui concernent la vie concrète des Français. C'est ce qu'ils attendent.

    On imagine toutefois mal François Bayrou capable d'obtenir l'accord d'une majorité de députés sur une nouvelle loi sur l'immigration. Apparemment, il serait partisan de maintenir Bruno Retailleau à l'Intérieur afin de donner de gages à LR, tandis que des personnalités comme Bernard Cazeneuve pourraient entrer au gouvernement avec des ministères importants.

    Pour beaucoup dans la classe politique, il est le plus grand commun diviseur, j'insiste sur le plus "grand" et pas le plus petit ! En classe de cinquième, j'ai appris ce qu'étaient le PGCD et le PPCM, que tous les journalistes, qui ne comprennent rien à ce qu'ils disent, relisent leurs anciens cours de mathématiques ! Le PGCD, en politique, c'est le compromis le plus grand qu'on peut avoir dans une situation de division généralisée. Ou la personne qui le porte.


    Ce qui est clair, c'est que François Bayrou sera indépendant d'Emmanuel Macron. C'est mal le connaître de croire qu'il se serait qu'un fondé de pouvoir de l'Élysée. Du reste, c'était le cas aussi pour Michel Barnier. Reste à voir si la méthode Bayrou sera plus concluante que la méthde Barnier. La passation des pouvoirs avec Michel Barnier, retenu à l'Élysée en fin de matinée pour une décoration, est en train de se faire dans la foulée de la nomination de François Bayrou. Bonne chance à lui et à la France !


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (13 décembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Le tour de François Bayrou !
    Le paysage politique français postcensure.
    Motion de sangsue : les conséquences économiques désastreuses de la censure.
    Philippe Vigier défend les Français face au renoncement national.
    Laurent Wauquiez met en garde contre l'instabilité institutionnelle.
    Emmanuel Macron face à ses choix.
    Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron le 5 décembre 2024 (texte intégral).
    La motion RNFP : Chassez le naturel, il revient au chaos !
    L'émotion de censure de Michel Barnier.
    La collusion des irresponsables.
    Gouvernement Barnier : les yeux du monde rivés sur la France.
    Risque de censure : Non, le RN n'est pas l'arbitre des élégances !
    Michel Barnier plaide pour la sobriété normative et procédurale !
    Discours du Premier Ministre Michel Barnier le 21 novembre 2024 à la Porte de Versailles (vidéo et texte intégral).
    Michel Barnier sur les pas de Pierre Mendès France.
    Discours du Premier Ministre Michel Barnier le 15 novembre 2024 à Angers (vidéo et texte intégral).
    PLF 2025 : la majorité de rejet !
    Michel Barnier : déjà deux mois !
    François Guizot à Matignon ?
    5 euros pour visiter Notre-Dame de Paris ?
    Achats dans la fonction publique : des économies à faire ?
    Doliprane : l'impéritie politique.
    Proche-Orient : l'incompréhension de Roger Karoutchi.
    Motion de censure : le quart d'heure de gloire d'Olivier Faure.
    Budget 2025 : l'impossible mission de Michel Barnier.
    Claude Malhuret : du vol des élections aux chefs d'escadrille...
    Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
    La quadrature du cercle de Michel Barnier.

     

     
     


    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241213-bayrou.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/le-tour-de-francois-bayrou-258146

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/12/13/article-sr-20241213-bayrou.html


     

  • Yvon Gattaz, vite et bien !

    « Familier des métaphores, infatigable inventeur de mots et de sigles, qu’il appelait lui-même "gattazismes, gattazeries et gattazinades", ce premier créateur d’entreprise à être entré à l’Académie des sciences morales et politiques surnommait la mort "EDF", comme "extinction des feux". Jusqu’au bout, celui qui se flattait de s’éloigner de plus en plus d’une retraite qu’il n’avait jamais prise, a déployé une énergie sans limites. » (Michel Noblecourt, le 12 décembre 2024 dans "Le Monde").



     

     
     


    Vite et bien, c'était sa devise d'entrepreneur. L'ancien patron des patrons Yvon Gattaz vient de mourir ce jeudi 12 décembre 2024 à l'âge de 99 ans (il allait avoir 100 ans le 17 juin prochain). Il y a quelques années, j'avais évoqué cette grande figure de l'industrie française.

    Major de l'École centrale, après quelques années comme ingénieur, il a créé en juin 1952 avec son frère Lucien (lui aussi ingénieur) une entreprise qui a eu un grand succès dans l'électronique, Radiall, basée en Isère (à Voreppe). Il en est resté le patron jusqu'en 1993. Membre du Conseil Économique et Social (futur CESE) de 1979 à 1989, Yvon Gattaz est devenu très connu du grand public entre le 15 décembre 1981 et le 16 décembre 1986 alors qu'il présidait le CNPF (Conseil national des patronat français) face à une gauche socialo-communiste arrivée au pouvoir avec l'élection de François Mitterrand.

     

     
     


    Sans brutalité et avec beaucoup de diplomatie, il a ainsi mené de nombreuses batailles politiques sur la flexibilité du temps de travail, contre les 39 heures, la hausse énorme des charges sur les salaires, l'impôt sur la grande fortune, et surtout, sur les nationalisations qui ont mobilisé beaucoup de capitaux. Yvon Gattaz a montré son talent de mobilisation en rassemblant près de 30 000 chefs d'entreprise le 14 décembre 1982 au parc des exposition de Villepinte pour mettre en garde le gouvernement contre les risques pour l'économie française. Ce grand investissement personnel lui a permis de négocier avec le gouvernement et de conclure un accord le 16 avril 1982 pour limiter la casse des investissements.

    Ce fut sous sa présidence du CNPF que l'entreprise, paradoxalement, a été réhabilitée voire célébrée par les Français dans leur esprit (à tel point qu'on appelle cette décennie les années Tapie !). Yvon Gattaz a été aussi membre du conseil d'administration du Centre français du commerce extérieur de 1979 à 1981, du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) de 1979 à 1981, de Moulinex de 1988 à 1993 et de la Fondation Fourmentin-Guilbert pour la recherche en biologie moléculaire à partir de 1989.

     

     
     


    Son fils qui lui a succédé à la tête de Radiall a aussi, dans une sorte de drôle de coïncidence dynastique, succédé à la présidence du Medef de 2013 à 2018, l'organisation qui a pris le relais sur le CNPF. Pierre Gattaz a eu aussi à batailler face à un Président de la République socialiste qui a alourdi les impôts et taxes dès le début de son quinquennat.

    Malgré l'âge qui avançait lentement, Yvon Gattaz n'a jamais pris sa retraite. Il a présidé jusqu'à sa mort l'Association Jeunesse et Entreprise qu'il a créée en 1986, et il a créé bien d'autres organisations (comme Ethic, les entreprises de taille humaine indépendante et de croissance, en 1976).


    Yvon Gattaz a été élu le 29 mai 1989 à l'Académie des sciences morales et politiques, dans la section Économie politique, statistique et finances, et il en fut l'un des membres les plus actifs (il présida même cette académie en 1999).

    Au-delà des honneurs, Yvon Gattaz avait le goût de la transmission, celle de sa passion d'entreprendre, celle de former les jeunes pour créer les entreprises de demain, car l'économie évolue très vite. Ce n'est pas pour rien qu'il avait adopté cette devise pour son entreprise, "vite et bien" au point de bousculer la tiédeur des fauteuils par des formules choc.

    Il disait notamment, à propos de sa devise : « Cette maxime peut sembler simple voire simpliste. En fait, elle est d’une rare difficulté. Il est courant de rencontrer des lents qui n’ont pas compris que la vitesse, c’est la vie moderne et qu’on ne peut la traverser en gastéropode sans souci des autres et de l’environnement. Bien sûr, le conseil "Il faut tuer les lents" est une image brutale et simplement satirique. Il serait plus humain de les parquer dans des cités réservées où tout se ferait lentement… lentement… lentement… Le lent ne sait pas qu’il freine tout le monde : le flot des voitures comme les études des élèves normaux. Au feu rouge de 15 secondes, le lent qui met 5 secondes à démarrer diminue le trafic d’un tiers, avec des conséquences économiques qu’on ne veut pas évaluer. Si le perfectionniste est dangereux, le "trop rapide" risque de bâcler. La vie moderne exige le "bien fait", de même qu’elle veut des réponses rapides, ce qu’on appelle dans l’entreprise de la réactivité. Le compromis incontestable est le "vite et bien" que peu de nos compatriotes savent vraiment réaliser. On a pu dire que cette expression n’était pas une devise mais une asymptote ! ».

    Dans le même registre, Yvon Gattaz considérait que tout le monde n'avait pas le profil d'un entrepreneur. Il faut quelques qualités qui ne sont pas données à tous. D'abord, une volonté et une ténacité de fer, une résistance aux épreuves. Ensuite, des qualités de réception : la compréhension rapide, la faculté d'analyse, la faculté de synthèse et la mémoire. Mais ce n'est pas suffisant, il faut aussi des qualités d'émission : de l'imagination créatrice, de la combativité. Il rappelait qu'il faut mille fois moins d'énergie pour recevoir un signal radio que pour en émettre. Or, on a toujours favorisé les réceptions (les bons diplômés) alors qu'il faudrait favoriser les émissions, les créations. De plus, comme il le dit, il faut de la résistance : « Les épreuves tuent les faibles et endurcissent les forts. ».

     

     
     


    Parmi toutes les réflexions qu'il a émises pendant sa longue retraite, Yvon Gattaz n'hésitait pas à casser le tabou sur les syndicats, facteurs de blocage en France. Dans une tribune publiée le 3 décembre 2003 dans "Le Figaro", il n'y allait pas avec le dos de la cuillère : « Les sondages sont tous concordants : pour défendre leurs intérêts, les salariés font plus confiance à leur patron qu'aux syndicats. (…) On ose enfin attaquer de front la plus grande puissance cachée de la France, le syndicalisme, toujours tabou, encore sanctifié, éternellement intouchable, jouissant de façon incroyable d'une sorte d'immunité psychologique, morale, fiscale et même judiciaire. Ce n'est pas un état dans l'État. C'est une divinité dans l'État. Si on peut moquer, décrier, ridiculiser les parlementaires, les ministres, le chef de l'État, les policiers, les militaires, les enseignants, les patrons, les religieux et le pape lui-même, on ne peut toucher à un cheveu d'un syndicaliste, ce qui, d'ailleurs, ne ferait rire personne. La sanctuarisation est profonde. ».

    Il critiquait ainsi le fonctionnement des syndicats réduits à leur principe de base, leur outil unique et leur méthode d'influence : « Le principe de base des syndicats est cette indestructible IAA, l'Irréversibilité des Avantages Acquis, érigée en dogme définitivement calcifié. Quelles que soient les circonstances politiques, économiques, financières ou humaines, on ne change rien, jamais rien, en contradiction avec tous les pays modernes dont l'adaptabilité est le maître-mot dans un monde en mutation de plus en plus rapide. L'outil des syndicats est unique, et ce n'est pas à proprement parlé un outil pour construire, mais une arme pour détruire : la grève. (…) La méthode d'influence des syndicats est elle aussi d'une extrême simplicité et d'une redoutable efficacité : le TDN, le Taux De Nocivité. Quelle influence pourrait avoir sur les pouvoirs publics un syndicat inoffensif ? Basé sur l'IAA et utilisant la grève dévastatrice, le TDN éclate au grand jour et fait trembler les décideurs. Le noyautage des services publics démontre l'effroyable efficacité de ce TDN. ».


    Je propose ici quatre interventions d'Yvon Gattaz, souvent dans le cadre de conférences à des étudiants. Ses grands-parents étaient directeurs d'école, ses parents enseignants, et lui-même ne s'estimait pas vraiment préparé à créer une entreprise. C'est pourquoi il n'a pas cessé de vouloir expliquer ce que c'est pour donner cette passion aux jeunes qui est déjà la passion de l'effort et du résultat. Il aura été un très grand patron. Condoléances à la famille.



    1. Interview du 17 février 2014 à "La Tribune des Décideurs"







    2. Conférence du 26 février 2015 à l'École de Management Léonard de Vinci






    3. Conférence en novembre 2018 à HEC







    4. Interview du 11 juin 2019 à Saint-Raphaël






    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (12 décembre 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Comment créer les emplois de demain ?
    Yvon Gattaz.
    Gilberte Beaux.
    Carlos Tavares.
    Carlos Ghosn.
    Bernard Madoff.
    Jacques Séguéla.
    Gustave Eiffel.
    Francis Mer.
     

     
     





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    https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/yvon-gattaz-vite-et-bien-258121

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