« On y est. On est au pied du mur. Et comme disait un de mes amis, c'est au pied du mur qu'on voit le mieux le mur ! » (François Bayrou, le 27 janvier 2025 sur LCI).
Le Premier Ministre François Bayrou était l'invité de Darius Rochebin ce lundi 27 janvier 2025 sur LCI pendant près de deux heures, l'occasion d'évoquer les principales affaires du pays avant une semaine décisive, celle du budget qui pourrait le faire tomber par une nouvelle motion de censure.
Dans cette émission, deux mots viennent à l'esprit : cohérence et pacification. Cohérence de ce qu'a toujours dit François Bayrou depuis des décennies, sur l'importance de réduire le déficit, sur le besoin de rassembler les Français. Il est maintenant aux manettes et il doit prendre les mesures pour rassembler. Pacification du débat politique : en deux heures, pas une seule petite phrase contre un adversaire, contre un opposant, contre un rival. L'éditorialiste Patrick Cohen en a même été étonné dans sa chronique du 28 janvier 2025 sur France Inter : « Il y avait hier soir quelque chose de rafraîchissant, d'inattendu, à entendre une si longue interview sans la moindre critique, sans la plus petite pique envers quiconque. ».
Évidemment, François Bayrou a une raison cruciale d'agir ainsi : il a besoin de tous les groupes politiques pour pouvoir continuer à gouverner sans majorité. Il doit donc à la fois respecter tous les groupes politiques et rester un peu dans le flou sur le projet de loi de finances pour 2025 qu'il voudra soumettre à l'Assemblée d'une manière ou d'une autre (vote solennel après commission mixte paritaire ou article 49 alinéa 3 de la Constitution ; en principe, si la commission mixte paritaire est un succès, il y aura un vote du projet la première semaine de février 2025).
Je propose ici quelques éléments de cette interview. François Bayrou a exprimé sa conception du chef d'orchestre comme ceci : « Moi, j'ai confiance dans le sentiment de responsabilité de tous. (…) Il faut que chacun ait la certitude qu'il est entendu. Et il faut que les aspirations des uns deviennent compatibles avec les aspirations des autres. Et c'est ma responsabilité. ». Autant dire que c'est la musique de "Mission impossible" !
Sa mission est herculéenne : « J'ai décrit l'urgence dans laquelle nous sommes. On n'a pas de budget. On n'a pas de majorité. Il est vital pour le pays qu'on ait un budget et qu'il soit adopté. Mais ça ne veut pas dire qu'il faut s'arrêter là. J'avais employé l'expression de l'Himalaya lorsque je suis entré... mais l'Himalaya, c'est une chaîne de montagnes qui fait plus de deux mille kilomètres de long et qui comporte, je crois, huit sommets de plus de 8 000 mètres. Eh bien, il faut partir à l'assaut de tous ces sommets. Nous ne pouvons pas baisser les bras et nous trouver dans une situation où nous constatons la gravité des problèmes du pays et où nous attendons pour les régler. Et la détermination qui est la nôtre, qui est celle du gouvernement et la mienne, c'est que, une fois le budget adopté, alors nous allons partir à l'assaut, sans exception, sans exception, de tous les problèmes que nous identifions et qui font aujourd'hui l'extrême difficulté du pays. ».
Sur l'immigration, François Bayrou a voulu regarder la situation avec un regard à la fois humaniste, mais lucide : « Vous voyez le sentiment de blocage qu'il y a d'un certain nombre de gens... Mais il y a des métiers qui ouvrent à la possibilité d'une intégration. Et je vous répète que pour moi, c'est le travail, la langue et les principes de vie qui sont les trois conditions pour que cette intégration se fasse. ». Un article spécifique est proposé pour parler de l'expression qui a créé une polémique sémantique de la part du PS, le « sentiment d'une submersion ». Devant un mot, il faut se rappeler les actes : François Bayrou a refusé une nouvelle loi Immigration et il a refusé la suppression de l'aide médicale d'État (AME). Il est donc très loin des positions du RN !
La laïcité peut concerner autant la politique que la religion : « L'identité de la France, c'est la tolérance et, au-delà de la tolérance, un jour, la compréhension mutuelle. (…) On a découvert les vertus de la laïcité pour la religion ou la philosophie. C'est-à-dire, ce n'est pas parce que vous ne croyez pas la même chose que moi que je vous dénie la qualité d'être un citoyen français. Eh bien, je suis persuadé que cet effort de laïcité, on doit aussi le faire en politique. Ce n'est pas parce qu'il y a des gens qui ne croient pas la même chose que moi que je peux leur dénier le droit d'être Français. ». Le fidèle du roi Henri IV ne pouvait que promouvoir une telle laïcité.
Justifiant l'aide qu'il a apportée à Marine Le Pen pour ses parrainages en 2022 au nom de la démocratie, le chef du gouvernement a confirmé qu'il en était toutefois un adversaire politique résolu : « Je pense que la lutte contre les extrêmes (…), en tout cas le combat contre les extrêmes, le fait qu'on refuse de leur céder le terrain, je pense que ce combat-là, il ne peut être conduit qu'en montrant qu'on n'est pas soi-même dans la violence.(...) Je pense à la France sous l'abord du respect que j'ai pour les citoyens français quels qu'ils soient. Je combats les idées. Je combats encore davantage les arrière-pensées. Je n'ai jamais manqué une seule fois à ce combat-là. J'ai participé au front républicain parce qu'on était en train de voir un des deux extrêmes, l'extrême droite, prendre le pouvoir. Et pour moi, ce n'est pas acceptable. ».
Il serait aussi choqué par une peine d'inéligibilité exécutoire avant la condamnation définitive : « La responsabilité du gouvernement ne peut pas porter sur la justice. Mais je pense qu'il est très dérangeant que des jugements soient prononcés sans qu'on puisse faire appel. Et deuxièmement, je considère que cette accusation-là, c'est-à-dire, l'idée que l'aide que le Parlement Européen mobilise pour aider les parlementaires européens à faire leur travail, il est une accusation injuste que de penser que le parti politique ne les aide pas. Le parti politique, ça fait élire un député européen, puisque c'est sur une liste, c'est lui qui les choisit, ça les aide à défendre leurs idées surtout quand ils sont minoritaires. Et enfin, troisièmement, c'est le seul vecteur pour les faire réélire. (…) Mais je ne trouve pas que ce soit juste. ».
Dans sa chronique déjà citée, Patrick Cohen a modéré son enthousiasme initial en disant : « Qualifier "d’accusation injuste" le procès qui est fait à la leader du RN sur l’usage de ses assistants européens est une faute. Qui revient à délégitimer par avance une décision de justice. C’est un très mauvais coup au pouvoir judiciaire. Un Premier Ministre ne devrait pas dire cela. ».
Sur le budget, François Bayrou a différencié le budget 2025 qu'il faut faire dans l'urgence, et le budget 2026 où il a le soutien d'une personnalité comme Alain Madelin (invité de LCI juste avant lui) pour remettre tout à plat. Par exemple, il a donné le nombre, peut-être incomplet, de 1 244 agences de l'État pour un budget de 83 milliards d'euros en 2024. Certaines agences sont indispensables, mais d'autres devront justifier leur existence et leurs coûts.
La préparation du budget 2026 se fera très en amont : « Je crois que le budget 2026 doit être très différent du budget 2025, parce que je compte bien que nous allons, ensemble, construire une action publique de l'État qui sera très différente de la situation que nous avons aujourd'hui. Je pense qu'il faut que nous reprenions, comme sur une page blanche, les politiques publiques que nous adoptons et que nous examinions les moyens que nous y mettons. ».
Le Premier Ministre voudrait avant tout que les Français retrouvent leur dynamisme et leur optimisme : « Réveillez-vous ! Les Européens et les Français, réveillez-vous ! Nous avons les chercheurs en intelligence artificielle les plus reconnus de la planète entière. Ils partent aux États-Unis parce qu'on les paie. Eh bien, qu'on se ressaisisse ! ».
Et sur les retraites, il a répété qu'il n'y aurait pas de problème de financement de notre système s'il y avait autant de travailleurs que chez nos voisins : « Si nous avions le taux d'emploi de nos voisins, il n'y aurait, à l'heure actuelle, pas de problème de financement des retraites. Si nous avions la production, la productivité, la capacité du pays par personne à produire, nous n'aurions pas de problème de financement des retraites. Et si nous avions le taux d'emploi des seniors comparable aux autres pays, eh bien, il n'y aurait pas de problème de financement des retraites. (…) D'autres organisations du travail, d'autres créations d'emplois et d'autres progrès de la productivité peuvent faire que nous ne soyons plus devant ce mur de dettes que les retraites représentent. Je suis persuadé qu'on peut y arriver (…). J'espère qu'on peut y arriver par des accords qui feront qu'il y aura plus de départs à la carte. Je pars plus tôt avec moins, je pars plus tard avec plus. (…) [J'étais favorable à] la retraite à points. Qu'est-ce que c'est la retraite à point ? C'est une retraite plus souple, à la carte, où chacun peut aménager son temps de travail de manière à la fois à équilibrer les régimes de retraite et à garantir sa vie personnelle. ». Son objectif, c'est donc de rehausser l'appareil productif, comme l'Allemagne l'avait fait dans les années 2000 malgré l'absorption monétaire très compliquée de l'Allemagne de l'Est. C'était aussi l'objectif du Président Emmanuel Macron.
Pas question de demander aux retraités de payer la dette : « Vous voyez très bien ce qu'on risque de faire. Vous avez une société qui a déjà des problèmes formidables et vous voulez insécuriser tout le monde, y compris les retraités. Peut-être qu'un jour il faudra qu'on pose ce type de questions, mais je n'ai pas envie que cette émission fasse penser dans la tête de tous ceux qui ont travaillé toute leur vie et qui ont des pensions, je n'ai pas envie qu'on leur fasse penser qu'on va vous cibler et c'est vous qui allez payer tout ça. Je ne crois pas ça. Je pense que notre problème, le premier de nos problèmes, c'est que nous ne produisons pas assez, nous n'avons pas assez d'emplois, je l'ai déjà dit, nous avons pas assez de capacité agricole, industrielle, intellectuelle. Nous ne valorisons pas ce que nous sommes. Et tout le but qui est le mien, c'est qu'on sorte de la dépression générale, qu'on sorte de cet abattement dans lequel on se trouve, et qu'on trouve des raisons d'y croire, parce qu'il y a plein de raisons d'y croire. ».
François Bayrou a aussi été interrogé sur la fin de vie, cela fera l'objet d'un article ultérieur.
Celui qui a une expérience d'engagement politique de cinquante et un ans savait de quoi il parlait quand il tentait une définition de l'action politique : « Qu'est-ce que c'est, faire de la politique ? C'est accepter d'être citoyen. C'est-à-dire, accepter qu'on est en partie responsable, aussi faible qu'on soit, on est en partie responsable de ce qui se passe. On n'est pas des spectateurs assis sur le bord de la route qui regardent les coureurs passer en disant : pédale, fainéant ! Moi, j'ai vu ça assez souvent dans les cols des Pyrénées. Le mec, il est sur un transat, il a le Ricard à côté de lui, et les coureurs cyclistes passent, et il dit : pédale, fainéant ! Être citoyen, c'est le contraire de ça ! ». En clair, au lieu de dénigrer, venez aider le gouvernement ! Ou : la critique est aisée, l'art est difficile.
Réfutant énergiquement l'idée émise par Édouard Philippe que les deux prochaines années (2025-2027) seraient inutiles car on ne pourrait faire aucune réforme, François Bayrou pense exactement l'inverse, en citant De Gaulle et Pierre Mendès France : « Non seulement on peut, mais on doit [faire quelque chose pendant ces deux ans]. Vous comprenez bien ce que je décris. Un pays désespéré qui a le devoir de retrouver de l'espoir, de l'optimisme, de la volonté, du savoir-faire, et de l'inventivité. (…) Je pense que c'est très difficile, que, honnêtement, si on était raisonnable, on n'aurait pas relevé ce pari, je n'aurais pas relevé ce pari, mais je pense qu'il y a un chemin ! (…) De Gaulle était seul face à l'envahissement de l'armée allemande qui venait d'écraser notre armée et il était un pauvre colonel qui a été promu général à titre temporaire, et il a dit : on ne laissera pas tomber tout ça ! Et Mendès, il a dit : écoutez, on n'a peut-être aucune chance, mais je vais le faire ! (…) C'est dans ce camp-là que je me range, c'est-à-dire ceux qui pensent que ce n'est pas parce qu'il n'y a aucune chance qu'il ne faut rien faire ! Je pense (…) que précisément, on se taille un chemin, à la serpe, à la machette, au sabre d'abordage, je ne sais quoi, mais il faut le faire avec un minimum de compréhension. ».
Enfin, François Bayrou s'est fait un promoteur très engagé de la Cinquième République, ce qui me réjouit : « Les partis ont le droit et le devoir d'exister. Je crois même qu'ils sont d'utilité publique. Mais le devoir du gouvernement est de ne pas être prisonnier des partis. (…) La Cinquième République est vitale parce que la Cinquième République apporte une réponse à ce que vous décrivez de ce qui est inquiétant, c'est-à-dire le fait que les uns empêchent les autres d'avancer. La Cinquième République, comme elle a élu un Président au suffrage universel, ce Président, il organise les choses pour que le pluralisme ne soit pas paralysant. Et c'est ce qu'on essaie de faire. ».
Durant cette longue émission, dont l'animateur écoutait peu son invité et l'interrompait sans cesse (c'est vrai que l'invité en question parlait lentement), François Bayrou a montré beaucoup d'assurance et de vision sur la politique à tenir. Il ne craint pas les épreuves et il l'a réaffirmé, la raison aurait dû lui commander de ne pas relever le défi, mais dans cette période politiquement très difficile, il est vrai que François Bayrou a une carte maîtresse : il n'a dénigré personne !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (28 janvier 2025)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250127-bayrou.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/francois-bayrou-la-coherence-du-258947
http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/01/27/article-sr-20250127-bayrou.html
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