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déclaration de politique générale

  • François Bayrou, la cohérence du pacificateur

    « On y est. On est au pied du mur. Et comme disait un de mes amis, c'est au pied du mur qu'on voit le mieux le mur ! » (François Bayrou, le 27 janvier 2025 sur LCI).



     

     
     


    Le Premier Ministre François Bayrou était l'invité de Darius Rochebin ce lundi 27 janvier 2025 sur LCI pendant près de deux heures, l'occasion d'évoquer les principales affaires du pays avant une semaine décisive, celle du budget qui pourrait le faire tomber par une nouvelle motion de censure.

    Dans cette émission, deux mots viennent à l'esprit : cohérence et pacification. Cohérence de ce qu'a toujours dit François Bayrou depuis des décennies, sur l'importance de réduire le déficit, sur le besoin de rassembler les Français. Il est maintenant aux manettes et il doit prendre les mesures pour rassembler. Pacification du débat politique : en deux heures, pas une seule petite phrase contre un adversaire, contre un opposant, contre un rival. L'éditorialiste Patrick Cohen en a même été étonné dans sa chronique du 28 janvier 2025 sur France Inter : « Il y avait hier soir quelque chose de rafraîchissant, d'inattendu, à entendre une si longue interview sans la moindre critique, sans la plus petite pique envers quiconque. ».

    Évidemment, François Bayrou a une raison cruciale d'agir ainsi : il a besoin de tous les groupes politiques pour pouvoir continuer à gouverner sans majorité. Il doit donc à la fois respecter tous les groupes politiques et rester un peu dans le flou sur le projet de loi de finances pour 2025 qu'il voudra soumettre à l'Assemblée d'une manière ou d'une autre (vote solennel après commission mixte paritaire ou article 49 alinéa 3 de la Constitution ; en principe, si la commission mixte paritaire est un succès, il y aura un vote du projet la première semaine de février 2025).

    Je propose ici quelques éléments de cette interview. François Bayrou a exprimé sa conception du chef d'orchestre comme ceci : « Moi, j'ai confiance dans le sentiment de responsabilité de tous. (…) Il faut que chacun ait la certitude qu'il est entendu. Et il faut que les aspirations des uns deviennent compatibles avec les aspirations des autres. Et c'est ma responsabilité. ». Autant dire que c'est la musique de "Mission impossible" !


    Sa mission est herculéenne : « J'ai décrit l'urgence dans laquelle nous sommes. On n'a pas de budget. On n'a pas de majorité. Il est vital pour le pays qu'on ait un budget et qu'il soit adopté. Mais ça ne veut pas dire qu'il faut s'arrêter là. J'avais employé l'expression de l'Himalaya lorsque je suis entré... mais l'Himalaya, c'est une chaîne de montagnes qui fait plus de deux mille kilomètres de long et qui comporte, je crois, huit sommets de plus de 8 000 mètres. Eh bien, il faut partir à l'assaut de tous ces sommets. Nous ne pouvons pas baisser les bras et nous trouver dans une situation où nous constatons la gravité des problèmes du pays et où nous attendons pour les régler. Et la détermination qui est la nôtre, qui est celle du gouvernement et la mienne, c'est que, une fois le budget adopté, alors nous allons partir à l'assaut, sans exception, sans exception, de tous les problèmes que nous identifions et qui font aujourd'hui l'extrême difficulté du pays. ».

    Sur l'immigration, François Bayrou a voulu regarder la situation avec un regard à la fois humaniste, mais lucide : « Vous voyez le sentiment de blocage qu'il y a d'un certain nombre de gens... Mais il y a des métiers qui ouvrent à la possibilité d'une intégration. Et je vous répète que pour moi, c'est le travail, la langue et les principes de vie qui sont les trois conditions pour que cette intégration se fasse. ». Un article spécifique est proposé pour parler de l'expression qui a créé une polémique sémantique de la part du PS, le « sentiment d'une submersion ». Devant un mot, il faut se rappeler les actes : François Bayrou a refusé une nouvelle loi Immigration et il a refusé la suppression de l'aide médicale d'État (AME). Il est donc très loin des positions du RN !

     

     
     


    La laïcité peut concerner autant la politique que la religion : « L'identité de la France, c'est la tolérance et, au-delà de la tolérance, un jour, la compréhension mutuelle. (…) On a découvert les vertus de la laïcité pour la religion ou la philosophie. C'est-à-dire, ce n'est pas parce que vous ne croyez pas la même chose que moi que je vous dénie la qualité d'être un citoyen français. Eh bien, je suis persuadé que cet effort de laïcité, on doit aussi le faire en politique. Ce n'est pas parce qu'il y a des gens qui ne croient pas la même chose que moi que je peux leur dénier le droit d'être Français. ». Le fidèle du roi Henri IV ne pouvait que promouvoir une telle laïcité.

    Justifiant l'aide qu'il a apportée à Marine Le Pen pour ses parrainages en 2022 au nom de la démocratie, le chef du gouvernement a confirmé qu'il en était toutefois un adversaire politique résolu : « Je pense que la lutte contre les extrêmes (…), en tout cas le combat contre les extrêmes, le fait qu'on refuse de leur céder le terrain, je pense que ce combat-là, il ne peut être conduit qu'en montrant qu'on n'est pas soi-même dans la violence.(...) Je pense à la France sous l'abord du respect que j'ai pour les citoyens français quels qu'ils soient. Je combats les idées. Je combats encore davantage les arrière-pensées. Je n'ai jamais manqué une seule fois à ce combat-là. J'ai participé au front républicain parce qu'on était en train de voir un des deux extrêmes, l'extrême droite, prendre le pouvoir. Et pour moi, ce n'est pas acceptable. ».


     

     
     


    Il serait aussi choqué par une peine d'inéligibilité exécutoire avant la condamnation définitive : « La responsabilité du gouvernement ne peut pas porter sur la justice. Mais je pense qu'il est très dérangeant que des jugements soient prononcés sans qu'on puisse faire appel. Et deuxièmement, je considère que cette accusation-là, c'est-à-dire, l'idée que l'aide que le Parlement Européen mobilise pour aider les parlementaires européens à faire leur travail, il est une accusation injuste que de penser que le parti politique ne les aide pas. Le parti politique, ça fait élire un député européen, puisque c'est sur une liste, c'est lui qui les choisit, ça les aide à défendre leurs idées surtout quand ils sont minoritaires. Et enfin, troisièmement, c'est le seul vecteur pour les faire réélire. (…) Mais je ne trouve pas que ce soit juste. ».

    Dans sa chronique déjà citée, Patrick Cohen a modéré son enthousiasme initial en disant : « Qualifier "d’accusation injuste" le procès qui est fait à la leader du RN sur l’usage de ses assistants européens est une faute. Qui revient à délégitimer par avance une décision de justice. C’est un très mauvais coup au pouvoir judiciaire. Un Premier Ministre ne devrait pas dire cela. ».

    Sur le budget, François Bayrou a différencié le budget 2025 qu'il faut faire dans l'urgence, et le budget 2026 où il a le soutien d'une personnalité comme Alain Madelin (invité de LCI juste avant lui) pour remettre tout à plat. Par exemple, il a donné le nombre, peut-être incomplet, de 1 244 agences de l'État pour un budget de 83 milliards d'euros en 2024. Certaines agences sont indispensables, mais d'autres devront justifier leur existence et leurs coûts.

    La préparation du budget 2026 se fera très en amont : « Je crois que le budget 2026 doit être très différent du budget 2025, parce que je compte bien que nous allons, ensemble, construire une action publique de l'État qui sera très différente de la situation que nous avons aujourd'hui. Je pense qu'il faut que nous reprenions, comme sur une page blanche, les politiques publiques que nous adoptons et que nous examinions les moyens que nous y mettons. ».


    Le Premier Ministre voudrait avant tout que les Français retrouvent leur dynamisme et leur optimisme : « Réveillez-vous ! Les Européens et les Français, réveillez-vous ! Nous avons les chercheurs en intelligence artificielle les plus reconnus de la planète entière. Ils partent aux États-Unis parce qu'on les paie. Eh bien, qu'on se ressaisisse ! ».

     

     
     


    Et sur les retraites, il a répété qu'il n'y aurait pas de problème de financement de notre système s'il y avait autant de travailleurs que chez nos voisins : « Si nous avions le taux d'emploi de nos voisins, il n'y aurait, à l'heure actuelle, pas de problème de financement des retraites. Si nous avions la production, la productivité, la capacité du pays par personne à produire, nous n'aurions pas de problème de financement des retraites. Et si nous avions le taux d'emploi des seniors comparable aux autres pays, eh bien, il n'y aurait pas de problème de financement des retraites. (…) D'autres organisations du travail, d'autres créations d'emplois et d'autres progrès de la productivité peuvent faire que nous ne soyons plus devant ce mur de dettes que les retraites représentent. Je suis persuadé qu'on peut y arriver (…). J'espère qu'on peut y arriver par des accords qui feront qu'il y aura plus de départs à la carte. Je pars plus tôt avec moins, je pars plus tard avec plus. (…) [J'étais favorable à] la retraite à points. Qu'est-ce que c'est la retraite à point ? C'est une retraite plus souple, à la carte, où chacun peut aménager son temps de travail de manière à la fois à équilibrer les régimes de retraite et à garantir sa vie personnelle. ». Son objectif, c'est donc de rehausser l'appareil productif, comme l'Allemagne l'avait fait dans les années 2000 malgré l'absorption monétaire très compliquée de l'Allemagne de l'Est. C'était aussi l'objectif du Président Emmanuel Macron.

    Pas question de demander aux retraités de payer la dette : « Vous voyez très bien ce qu'on risque de faire. Vous avez une société qui a déjà des problèmes formidables et vous voulez insécuriser tout le monde, y compris les retraités. Peut-être qu'un jour il faudra qu'on pose ce type de questions, mais je n'ai pas envie que cette émission fasse penser dans la tête de tous ceux qui ont travaillé toute leur vie et qui ont des pensions, je n'ai pas envie qu'on leur fasse penser qu'on va vous cibler et c'est vous qui allez payer tout ça. Je ne crois pas ça. Je pense que notre problème, le premier de nos problèmes, c'est que nous ne produisons pas assez, nous n'avons pas assez d'emplois, je l'ai déjà dit, nous avons pas assez de capacité agricole, industrielle, intellectuelle. Nous ne valorisons pas ce que nous sommes. Et tout le but qui est le mien, c'est qu'on sorte de la dépression générale, qu'on sorte de cet abattement dans lequel on se trouve, et qu'on trouve des raisons d'y croire, parce qu'il y a plein de raisons d'y croire. ».


    François Bayrou a aussi été interrogé sur la fin de vie, cela fera l'objet d'un article ultérieur.

    Celui qui a une expérience d'engagement politique de cinquante et un ans savait de quoi il parlait quand il tentait une définition de l'action politique : « Qu'est-ce que c'est, faire de la politique ? C'est accepter d'être citoyen. C'est-à-dire, accepter qu'on est en partie responsable, aussi faible qu'on soit, on est en partie responsable de ce qui se passe. On n'est pas des spectateurs assis sur le bord de la route qui regardent les coureurs passer en disant : pédale, fainéant ! Moi, j'ai vu ça assez souvent dans les cols des Pyrénées. Le mec, il est sur un transat, il a le Ricard à côté de lui, et les coureurs cyclistes passent, et il dit : pédale, fainéant ! Être citoyen, c'est le contraire de ça ! ». En clair, au lieu de dénigrer, venez aider le gouvernement ! Ou : la critique est aisée, l'art est difficile.

     

     
     


    Réfutant énergiquement l'idée émise par Édouard Philippe que les deux prochaines années (2025-2027) seraient inutiles car on ne pourrait faire aucune réforme, François Bayrou pense exactement l'inverse, en citant De Gaulle et Pierre Mendès France : « Non seulement on peut, mais on doit [faire quelque chose pendant ces deux ans]. Vous comprenez bien ce que je décris. Un pays désespéré qui a le devoir de retrouver de l'espoir, de l'optimisme, de la volonté, du savoir-faire, et de l'inventivité. (…) Je pense que c'est très difficile, que, honnêtement, si on était raisonnable, on n'aurait pas relevé ce pari, je n'aurais pas relevé ce pari, mais je pense qu'il y a un chemin ! (…) De Gaulle était seul face à l'envahissement de l'armée allemande qui venait d'écraser notre armée et il était un pauvre colonel qui a été promu général à titre temporaire, et il a dit : on ne laissera pas tomber tout ça ! Et Mendès, il a dit : écoutez, on n'a peut-être aucune chance, mais je vais le faire ! (…) C'est dans ce camp-là que je me range, c'est-à-dire ceux qui pensent que ce n'est pas parce qu'il n'y a aucune chance qu'il ne faut rien faire ! Je pense (…) que précisément, on se taille un chemin, à la serpe, à la machette, au sabre d'abordage, je ne sais quoi, mais il faut le faire avec un minimum de compréhension. ».

    Enfin, François Bayrou s'est fait un promoteur très engagé de la Cinquième République, ce qui me réjouit : « Les partis ont le droit et le devoir d'exister. Je crois même qu'ils sont d'utilité publique. Mais le devoir du gouvernement est de ne pas être prisonnier des partis. (…) La Cinquième République est vitale parce que la Cinquième République apporte une réponse à ce que vous décrivez de ce qui est inquiétant, c'est-à-dire le fait que les uns empêchent les autres d'avancer. La Cinquième République, comme elle a élu un Président au suffrage universel, ce Président, il organise les choses pour que le pluralisme ne soit pas paralysant. Et c'est ce qu'on essaie de faire. ».

    Durant cette longue émission, dont l'animateur écoutait peu son invité et l'interrompait sans cesse (c'est vrai que l'invité en question parlait lentement), François Bayrou a montré beaucoup d'assurance et de vision sur la politique à tenir. Il ne craint pas les épreuves et il l'a réaffirmé, la raison aurait dû lui commander de ne pas relever le défi, mais dans cette période politiquement très difficile, il est vrai que François Bayrou a une carte maîtresse : il n'a dénigré personne !



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (28 janvier 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    François Bayrou et le sentiment de submersion.
    François Bayrou, la cohérence du pacificateur.
    Ce Bayrou, c'qu'il est Faure !
    François Bayrou sera-t-il censuré ?
    Les conclaves du cardinal Bayrou.
    Déclaration de politique générale du Premier Ministre François Bayrou le 14 janvier 2025 au Palais-Bourbon (vidéo et texte intégral).
    François Bayrou au jour J.
    Édouard Philippe et sa partition particulière contre l'indolence.
    François Bayrou et le Chemin.
    Vœux 2025 d'Emmanuel Macron : aux Français de trancher ?
    Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron, le 31 décembre 2024 à Paris (texte intégral et vidéo).
    François Bayrou au travail !
    Gouvernement Bayrou : un choc d'autorité ?
    Composition du Gouvernement François Bayrou I nommé le 23 décembre 2024.
    Le difficile accouchement du gouvernement Bayrou.
    La méthode Bayrou réussira-t-elle ?
    Terre de désolation.
    La folle histoire de la nomination de François Bayrou.
    François Bayrou, le papa Macron !
    Le tour de François Bayrou !
    La polémique entre Maurice Druon et François Bayrou en juillet 2004.
    Le paysage politique français postcensure.
    Motion de sangsue : les conséquences économiques désastreuses de la censure.
    Philippe Vigier défend les Français face au renoncement national.
    Laurent Wauquiez met en garde contre l'instabilité institutionnelle.
    Emmanuel Macron face à ses choix.
    Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron le 5 décembre 2024 (texte intégral).
    La motion RNFP : Chassez le naturel, il revient au chaos !
    L'émotion de censure de Michel Barnier.
    La collusion des irresponsables.
    Gouvernement Barnier : les yeux du monde rivés sur la France.
    Risque de censure : Non, le RN n'est pas l'arbitre des élégances !
    Michel Barnier plaide pour la sobriété normative et procédurale !
    Discours du Premier Ministre Michel Barnier le 21 novembre 2024 à la Porte de Versailles (vidéo et texte intégral).
    Michel Barnier sur les pas de Pierre Mendès France.
    Discours du Premier Ministre Michel Barnier le 15 novembre 2024 à Angers (vidéo et texte intégral).
    PLF 2025 : la majorité de rejet !
    Michel Barnier : déjà deux mois !
    François Guizot à Matignon ?
    5 euros pour visiter Notre-Dame de Paris ?
    Achats dans la fonction publique : des économies à faire ?
    Doliprane : l'impéritie politique.
    Proche-Orient : l'incompréhension de Roger Karoutchi.
    Motion de censure : le quart d'heure de gloire d'Olivier Faure.
    Budget 2025 : l'impossible mission de Michel Barnier.
    Claude Malhuret : du vol des élections aux chefs d'escadrille...
    Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
    La quadrature du cercle de Michel Barnier.

     






    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250127-bayrou.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/francois-bayrou-la-coherence-du-258947

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/01/27/article-sr-20250127-bayrou.html



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  • François Bayrou et le sentiment de submersion

    « Je n’ai aucune connivence avec personne : ni avec ceux qui exagèrent les réalités ni avec ceux qui les nient. Nous sommes engagés au service des Français pour résoudre les problèmes qui se posent, non pas pour les nier, non pas pour les exagérer, mais pour leur apporter, j’y insiste, des réponses. C’est notre responsabilité de républicains. » (François Bayrou, le 28 janvier 2025 dans l'hémicycle).




     

     
     


    Tempête dans un verre d'eau ? Orage sémantique ? Prémices d'une lepénisation des esprits ? En tout cas, la probabilité d'une censure vient d'augment d'un cran ce mardi 28 janvier 2025 après les propos du Premier Ministre François Bayou lors de sa longue interview du 27 janvier 2025 dans une émission animée par Darius Rochebin sur LCI.

    Et surtout, le résultat, c'est que les socialistes ont suspendu leurs négociations avec le gouvernement sur le projet de loi de finances pour 2025. Il y a pourtant une urgence puisque la commission mixte paritaire devra en établir la version définitive les 30 et 31 janvier 2025. La cause ? Des propos que les socialistes ont jugé inadmissibles (mais qui n'ont aucune incidence sur le budget 2025).

    Reprenons les mots du 27 janvier 2025. François Bayrou s'est permis de déclarer, répondant à une question que j'ai trouvée très mal posée : « Je ne crois pas que ce soit mieux d'être métissé que de ne pas l'être. Je pense que les apports étrangers sont positifs pour un peuple à condition qu'ils ne dépassent pas une proportion. Je pense que la rencontre des cultures est positive. Mais dès l'instant que vous avez le sentiment d'une submersion, de ne plus reconnaître votre pays, de ne plus reconnaître les modes de vie ou la culture, dès cet instant-là, vous avez rejet. (…) Un certain nombre de villes ou de régions sont dans ce sentiment-là. Je répète : pour moi, c'est une question de proportion. Et cette question de proportion, elle est très rapidement et très souvent atteinte. Je reprends l'exemple de Mayotte, il est très intéressant. (…) Mayotte (…), ce sont des rejets qui deviennent violents et avec des tas d'exclusion et de racisme, alors que ce sont les même culture, même religion, même langue et même famille. Simplement, les apports des îles voisines sont ressenties comme une agression. ».


    Ce qui me choque vraiment dans cet échange avec Darius Rochebin, c'est que ce dernier considérait que la couleur de la peau donnait une idée de la culture d'une personne, ce qui n'a rien à voir (il se fiait à une photo de classe de l'écolier Bayrou dans les années 1950). Et ce qui peut être choquant, c'est que François Bayrou ne l'a pas relevé et est entré dans le jeu du présentateur-souriant à propos du "métissage" alors que toutes les populations humaines sont des mélanges et des métissages depuis les débuts de l'homo sapiens. En d'autres termes, il n'existe pas de groupe ethnique "pur" ! En revanche, François Bayrou a rappelé que l'arrivée massive des immigrés comoriens à Mayotte entraînait un rejet tout aussi massif alors que cette population est de même culture et religion.

    Mais ce n'est pas cela qui a choqué la "bien-pensance" socialiste. C'est le mot "submersion". Quand on parle d'immigration, c'est un mot subversif, comme "invasion" (Valéry Giscard d'Estaing), "bruit et odeurs" (Jacques Chirac) et surtout "grand remplacement" (extrême droite). Même la Présidente de l'Assemblée Nationale Yaël Braun-Pivet a confié sa gêne sur BFMTV à la matinale du 28 janvier 2025. Elle n'est pas la seule dans la classe politique.

     

     
     


    Pourtant, François Bayrou a parlé, non pas de « submersion » mais d'un « sentiment de submersion », ce qui est très différent : le Premier Ministre exprimait ainsi un sentiment qui est vécu comme tel, un fait, sans forcément le prendre pour lui. Un constat. Darius Rochebin, très friand de la moindre chose de son émission qui puisse faire du buzz, a bien entendu saisi la balle au bond pour faire expliciter le mot.

    François Bayrou a développé ainsi l'idée, sans reprendre le mot : « Je pense que beaucoup de Français, et beaucoup de quartiers ou beaucoup de villes ont le sentiment que ce n'est plus maîtrisé. Et il suffit de voir les faits-divers pour mesurer que les manquements, les délits, se concentrent et on ne voit plus que ça. Ceux qui regardent vos écrans, ne voient plus que ça. Ils ont le sentiment que c'est forcément des étrangers ou des immigrés qui manquent aux devoirs que nous avons. Et tant que nous n'aurons pas garanti l'ordre sur notre sol, c'est-à-dire la certitude que quand quelqu'un est en situation irrégulière, celui-là, eh bien, on peut le raccompagner chez lui avec le respect qu'on doit aux personnes humaines, mais pour garantir que notre loi est respectée, que nos décisions sont respectées... ».

    Alors, le "binôme" Bruno Retailleau (à l'Intérieur) et Gérald Darmanin (à la Justice) est-il le symbole d'un changement de politique ? La réponse du chef du gouvernement : « En tout cas, il a été voulu comme ça. Ça fait des temps immémoriaux que la police dit : nous, on les arrête, mais les juges les libèrent. Et on les retrouve le lendemain matin dans les quartiers. "Les", ça veut dire, les jeunes, c'est souvent des jeunes, délinquants, et souvent, en effet, culturellement, en situation de rupture. ». Le langage est clair, il est crû, il est ressenti par de nombreux Français. Ce n'est pas de la langue de bois.

     

     
     


    Le journaliste vedette est allé alors plus loin en poussant François Bayrou dans un procès en manipulation. Ce mot, serait-ce pour racoler des voix du RN ? Réponse de l'intéressé : « C'est la plus mauvaise manière de réfléchir. Si vous faites les choses pour gagner des parts de marché sur des adversaires politiques, alors c'est que vous n'avez pas de convictions personnelles. Moi, j'ai une conviction personnelle. C'est que l'ordre, c'est pour les plus fragiles. L'ordre, c'est pour les plus pauvres. L'ordre, c'est pour ceux qui ne peuvent pas se défendre tout seuls. Autrement, vous vous trouvez dans une société de type américain dans laquelle vous constituez un quartier avec une milice, avec une sécurité privée que vous payez pour être tranquille dans votre quartier. C'est le contraire de la République française. ».

    On peut ne pas aimer François Bayrou ni ce qu'il dit, tout se discute, mais on ne peut pas lui retirer les convictions qu'il a toujours exprimées depuis des années. Ce "sentiment de submersion", il a été rencontré, presque généralisé à Mayotte lorsque les ministres sont allés voire la population après la tempête Chido. François Bayrou a une "doctrine" qui est assez claire : il n'est pas contre le principe d'une immigration, mais il constate qu'il y a une proportion au-delà de laquelle ce n'est plus possible de vivre ensemble, il y a un rejet. C'est le fameux "seuil de tolérance" évoqué dans les années 1980. Ce que dit François Bayrou, c'est que ce sentiment de "submersion" a été atteint à Mayotte et aussi dans d'autres territoires, comme la Guyane.

    Déjà dans sa déclaration de politique générale le 14 janvier 2025, François Bayrou énonçait ce principe : « J’ai la conviction profonde que l’immigration, qui, je le répète, se développe sous toutes les latitudes, est une question de proportion. L’installation d’une famille étrangère dans un village pyrénéen ou cévenol, c’est un mouvement de générosité qui se déploie, des enfants fêtés et entourés à l’école, des parents qui reçoivent tous les signes de l’entraide. Que trente familles s’installent, le village se sent menacé et des vagues de rejet apparaissent. Telle est exactement la situation que nous connaissons à Mayotte, où les illégaux représentent 80 000 habitants sur 300 000. C’est comme si Paris intra-muros comptait 500 000 illégaux établis dans des bidonvilles : nos compatriotes mahorais ne le supportent pas. Nier que cette immigration illégale soit pour la société mahoraise un facteur de déstabilisation, c’est se voiler la face, se mentir et leur mentir ! ».


     

     
     


    Le lendemain de l'émission de LCI, lors de la séance des questions au gouvernement du mardi 28 janvier 2025 à l'Assemblée, le président du groupe socialiste Boris Vallaud a voulu bien comprendre ce qu'avait voulu dire le Premier Ministre. La question de Boris Vallaud s'est placée dans le registre de la morale et pas de la politique : « "Submersion" : (…) C’est un mot qui blesse autant qu’il ment. (…) La question migratoire est une affaire sérieuse pour les Français, trop sérieuse pour se laisser dicter par l’extrême droite les termes dans lesquels on l’aborde. Ce débat mérite mieux que cette funeste coalition de l’ignorance, des préjugés et de l’opportunisme au prix de tous nos principes républicains. Tout plutôt que cet ordre qui puise ses pouvoirs dans la haine de l’autre, que la corruption de nos principes ! Monsieur le Premier Ministre, je vous appelle au sursaut : montrez-vous républicain et fidèle à votre famille politique, celle des démocrates chrétiens. Je vous demande d’être clair : maintenez-vous ce mot de submersion ? ».

    La réponse de François Bayrou a été très combative, ce qui a pu surprendre le dirigeant socialiste. Concrètement, le Premier Ministre n'a pas répondu précisément à la question, il n'a pas repris l'expression "sentiment de submersion" mais il ne l'a pas non plus réfutée puisqu'il a répété le mot lui-même "submersion" : « Quiconque s’est rendu à Mayotte, a parlé avec ses habitants, s’est confronté à la situation de ce département, d’autres endroits de France en connaissent de comparables, mesure que le mot de submersion est le plus adapté. C’est le plus adapté parce que tout un pays, toute une communauté de départements français doit faire face à des vagues d’immigration illégale telles que les populations migrantes représentent jusqu’à 25% de la population des territoires concernés. Cela suscite le désespoir. Qui parmi nous peut dire que ce n’est pas vrai ? ». On pourra toujours reprocher à François Bayrou un vocabulaire maladroit : "vagues d'immigration" et même "illégaux" (au lieu de personnes en situation irrégulière) alors qu'il s'agit de personnes humaines. Mais la réalité est là et refuser de la voir est le principal facteur de la montée de l'extrême droite.
     

     
     


    François Bayrou a poursuivi sa réponse au milieu des exclamations de la gauche : « Ce ne sont pas les mots qui sont choquants mais la réalité. (…) Cette réalité est celle que ressentent nos compatriotes. Notre responsabilité est de changer les choses. (…) L’immigration n’est pas la cause des problèmes de la France, ce sont les problèmes de la France qui sont la cause de ce que l’immigration est désormais une impasse parce qu’il n’y a pas d’intégration, comme nous le voulons, par le travail, par la langue et par les principes. Notre responsabilité, quelle que soit notre appartenance politique, c’est de changer la situation du pays, celle qui conduit à des vagues de xénophobie qui sont pour nous, républicains, insupportables. ».

    Boris Vallaud a pu reprendre très brièvement la parole parce qu'il lui restait un peu de temps de parole, en citant Jean-Jacques Rousseau : « Je ne peux qu’être consterné par votre réponse et même "submergé" par la consternation. (…) Si vous gouvernez avec les préjugés de l’extrême droite, nous finirons gouvernés par l’extrême droite et vous en aurez été le complice. ».
     

     
     


    Ce procès en supplétif de l'extrême droite, c'est une très ancienne tactique manipulatoire de la gauche pour empêcher les autres partis de s'attaquer à un véritable problème des Français. François Bayrou l'a rejeté fermement en y mêlant conviction et ambition : « Les préjugés sont nourris par le réel. Et ceux qui, ici, considèrent qu’on doit faire de ces sujets des sujets d’affrontement, à mon avis trahissent notre mission. Je n’ai aucune connivence avec personne : ni avec ceux qui exagèrent les réalités ni avec ceux qui les nient. Nous sommes engagés au service des Français pour résoudre les problèmes qui se posent, non pas pour les nier, non pas pour les exagérer, mais pour leur apporter, j’y insiste, des réponses. C’est notre responsabilité de républicains. ».

    Les députés RN ont fortement applaudi le Premier Ministre, même si, dans les médias, ils ont estimé que ce n'étaient que des mots non suivis des faits. François Bayrou, au contraire, veut prouver que la politique de Bruno Retailleau est un changement radical dans la manière de traiter le sujet par les autorités. Le fait que la politique vienne du choix des mots du Premier Ministre et pas de son Ministre de l'Intérieur fera sans doute encore beaucoup couler d'encre.

    À court terme, le PS a refusé de poursuivre les discussions qu'il avait avec le gouvernement pour élaborer la dernière version du projet de loi de finances, alors que cela n'a rien à voir. Est-ce un moyen commode (et hypocrite) de revenir à la niche de Jean-Luc Mélenchon, ayant eu trop peur de son audacieuse liberté ? Cela a permis de montrer un Premier Ministre déterminé, qui sait où aller, et surtout, indépendant. Mais peut-être plus pour longtemps.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (28 janvier 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    François Bayrou et le sentiment de submersion.
    François Bayrou, la cohérence du pacificateur.
    Ce Bayrou, c'qu'il est Faure !
    François Bayrou sera-t-il censuré ?
    Les conclaves du cardinal Bayrou.
    Déclaration de politique générale du Premier Ministre François Bayrou le 14 janvier 2025 au Palais-Bourbon (vidéo et texte intégral).
    François Bayrou au jour J.
    Édouard Philippe et sa partition particulière contre l'indolence.
    François Bayrou et le Chemin.
    Vœux 2025 d'Emmanuel Macron : aux Français de trancher ?
    Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron, le 31 décembre 2024 à Paris (texte intégral et vidéo).
    François Bayrou au travail !
    Gouvernement Bayrou : un choc d'autorité ?
    Composition du Gouvernement François Bayrou I nommé le 23 décembre 2024.
    Le difficile accouchement du gouvernement Bayrou.
    La méthode Bayrou réussira-t-elle ?
    Terre de désolation.
    La folle histoire de la nomination de François Bayrou.
    François Bayrou, le papa Macron !
    Le tour de François Bayrou !
    La polémique entre Maurice Druon et François Bayrou en juillet 2004.
    Le paysage politique français postcensure.
    Motion de sangsue : les conséquences économiques désastreuses de la censure.
    Philippe Vigier défend les Français face au renoncement national.
    Laurent Wauquiez met en garde contre l'instabilité institutionnelle.
    Emmanuel Macron face à ses choix.
    Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron le 5 décembre 2024 (texte intégral).
    La motion RNFP : Chassez le naturel, il revient au chaos !
    L'émotion de censure de Michel Barnier.
    La collusion des irresponsables.
    Gouvernement Barnier : les yeux du monde rivés sur la France.
    Risque de censure : Non, le RN n'est pas l'arbitre des élégances !
    Michel Barnier plaide pour la sobriété normative et procédurale !
    Discours du Premier Ministre Michel Barnier le 21 novembre 2024 à la Porte de Versailles (vidéo et texte intégral).
    Michel Barnier sur les pas de Pierre Mendès France.
    Discours du Premier Ministre Michel Barnier le 15 novembre 2024 à Angers (vidéo et texte intégral).
    PLF 2025 : la majorité de rejet !
    Michel Barnier : déjà deux mois !
    François Guizot à Matignon ?
    5 euros pour visiter Notre-Dame de Paris ?
    Achats dans la fonction publique : des économies à faire ?
    Doliprane : l'impéritie politique.
    Proche-Orient : l'incompréhension de Roger Karoutchi.
    Motion de censure : le quart d'heure de gloire d'Olivier Faure.
    Budget 2025 : l'impossible mission de Michel Barnier.
    Claude Malhuret : du vol des élections aux chefs d'escadrille...
    Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
    La quadrature du cercle de Michel Barnier.

     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250128-bayrou.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/francois-bayrou-et-le-sentiment-de-258965

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/01/28/article-sr-20250128-bayrou.html



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  • Ce Bayrou, c'qu'il est Faure !

    « La motion de censure, monsieur Bompard, que vous avez présentée, elle a une signification. Elle dit : nous voulons rester dans l'affrontement, au sein de notre peuple, entre les... c'est ça que vous dites, nous ne voulons pas, dit votre motion de censure, nous ne voulons pas qu'on sorte de l'affrontement pour entrer dans la pratique du dialogue, de la négociation, de la construction de l'avenir que nous avons à faire ensemble. C'est la raison pour laquelle les bancs que vous appelez à vous soutenir sont totalement vides. (…) Vous êtes dans une situation où vous voulez choisir la guerre intestine au sein de notre pays. Vous voulez que l'affrontement soit la loi et vous voulez (…) la conflictualisation... (…) Un autre chemin se dégage ! » (François Bayrou, le 16 janvier 2025 dans l'hémicycle).




     

     
     


    Les motions de censure se suivent et ne se ressemblent pas. La motion de censure déposée par les insoumis et en débat ce jeudi 16 janvier 2025 à 15 heures a été très largement rejetée. C'est autour de 18 heures que le résultat a été annoncé : seulement 131 députés ont voté en sa faveur (seulement 22,8% des députés) alors qu'il fallait une majorité absolue, soit plus du double, 288 votes. Immense défaite politique de Jean-Luc Mélenchon !

    Ce jeudi soir, c'était donc un grand événement politique. Les socialistes ont enfin su quitter la niche mortifère du mélenchonisme ambiant. Cela a rompu avec près de trois années d'une alliance contre nature avec le populisme d'extrême gauche. Le PS a voulu retrouver ses lettres de noblesse, son esprit de responsabilité, sa capacité, un jour, à gouverner à nouveau la France. Il faut souligner le courage de ces 58 députés socialistes (sur 66) qui ont refusé de voter cette motion de censure qui n'apportait rien d'autre que le chaos politique et institutionnel.

    Il faut bien sûr aussi souligner la réussite politique de François Bayrou. En fait, dans son entreprise, à peu près lui seul y croyait depuis sa nomination à Matignon ! Lui seul croyait qu'il avait les capacités à réunir les députés autour d'un socle de compromis pour assurer la stabilité du gouvernement. Il l'a fait au prix de coûteuses concessions, chiffrées à près de 6 milliards d'euros sans compter le devenir de la réforme des retraites, mais une nouvelle censure aurait coûté bien plus cher à la France. (Il faut néanmoins préciser que c'est coûteux pour la France à cause des socialistes eux-mêmes qui attendaient du gouvernement quelques mesures de largesse pour justifier leur non-censure).

    C'est la différence avec Emmanuel Macron qui voulait faire travailler la gauche et la droite en imposant un agenda et un ordre du jour venus d'en haut, de l'Élysée. Le girondin Bayrou, au contraire, veut faire vivre ce travail de co-construction par la base, ce qui pouvait expliquer certains points relativement flous de son programme gouvernemental car il n'est pas arrivé avec une solution toute faite dans ses bagages.

    Dans la débat parlementaire, François Bayrou a ainsi assuré : « Le choix qui est devant nous, dans la situation si grave que connaît notre pays et qui menace et fait souffrir l’ensemble de ses activités et de ses travailleurs, ce choix est entre l’affrontement intérieur perpétuel et la tentative de chercher un chemin de dialogue, de réflexion, de compromis, de négociation pour que les choses avancent. C’est la raison pour laquelle le scrutin qui va être organisé sur cette motion est significatif. La démocratie, ce n’est pas l’affrontement perpétuel. Nous avons choisi un autre chemin, celui de la tentative, je ne suis pas assuré qu’elle réussisse, de construire un avenir différent à partir de la contribution de tous ceux qui, en raison de leur expérience sociale et politique, savent et affirment qu’ils pourront améliorer la situation de notre pays. (…) Au fond, ceux qui veulent l’affrontement et ceux qui veulent la domination sont du même avis : tous se refusent à laisser leur place au compromis, à la discussion, à la réflexion, au progrès graduel. ».


    L'hémicycle était quasiment vide, seuls les bancs de l'extrême gauche étaient remplis, tandis qu'ailleurs, les groupes avaient dépêché seulement quelques rares porte-parole. À l'évidence, on pouvait dire dès le début de la séance que cette motion de censure ne serait pas adoptée. La séance était tellement peu historique que la Présidente de l'Assemblée Nationale Yaël Braun-Pivet s'est permise de quitter son siège de présidence pour le laisser au vice-président Xavier Breton au cours de la discussion. C'est elle qui a néanmoins repris la séance après le vote pour annoncer le résultat.

     

     
     


    En présentant sa motion de censure, le coordinateur (non-élu) des insoumis Manuel Bompard a multiplié les outrances notamment envers le Président de la République et nos institutions (en oubliant qu'Emmanuel Macron a été réélu par le peuple français en 2022 avec plus de 58% pour un mandat de cinq ans) : « Celui qui sème le chaos, c’est le Président de la République. Il a gaspillé trois Premiers Ministres en un an. Vous êtes le quatrième et vos heures sont déjà comptées ; vous êtes en CDD. Vous tomberez aujourd’hui, ou dans quelques jours, car l’entêtement du monarque à s’accrocher au pouvoir malgré le vote des Français condamne le pays à une instabilité durable. Seuls son départ et le retour aux urnes permettront de sortir le pays de l’impasse dans laquelle il l’a plongé. Le roi Henri IV était notamment connu pour son goût de la ruse. En fidèle admirateur, vous vous êtes livré mardi à un bel exercice d’enfumage, monsieur le Premier Ministre. En vous présentant comme un novice, vous pensiez peut-être nous intoxiquer. (…) Nous évoluons dans ce clair-obscur d’où surgissent les monstres dont parlait le philosophe italien Antonio Gramsci. Ce gouvernement de bric et de broc en est la plus cruelle démonstration. Il figure l’ultime affront d’un président ivre de son pouvoir. Monsieur le Premier Ministre, les jours de votre gouvernement de malheur sont comptés. Quand il tombera, le monarque suivra. ».

    La réponse de François Bayrou a consisté, d'abord, à relire la lettre sans précédent, publiée le 17 décembre 2024 « par la totalité des organisations représentant les entreprises et la grande majorité des organisations syndicales » qui a appelé la classe politique au dialogue et à la responsabilité pour empêcher l'instabilité politique porteuse de chaos économique. Et a consisté, ensuite, à comparer la France et l'Europe à « une citadelle assiégée » : « Nous sommes, la France et l’Europe, confrontés à des puissances qui ont désormais choisi le parti de la domination sur la société que nous formons et la civilisation que nous défendons. ».


    Et la conclusion de sa courte intervention a été : « Difficilement, avec beaucoup de travail, de discussion, de négociation, chacun apportant ce qu’il croit bon et ce qu’il a de plus précieux, un autre chemin apparaît, une entente susceptible de construire un avenir différent. ».

    Le premier orateur pour la prise de position des groupes était justement le premier secrétaire du PS Olivier Faure. Cela permettait ainsi d'en finir avec l'incertitude de ce groupe. Il a commencé par la double volonté de rester dans l'opposition mais de faire avancer le pays : « Nous sommes dans l'opposition mais nous avons aussi signifié notre ouverture au compromis. ».

    Et d'expliciter : « Depuis dix jours, nous sommes entrés en négociation avec vous et vos ministres. Nous avons fait ce choix, non pour négocier une place, obtenir un ministère ou un avantage quelconque, mais pour vous arracher des concessions qui n’auraient pas vu le jour sans cette discussion. Nous n’avons pas la négociation honteuse et vous ne devriez pas davantage en avoir honte. ».


    Ainsi, Olivier Faure a énuméré ses trophées : « Grâce à la négociation, il n’y aura pas de nouveau gel des pensions de retraite en 2025, pas d’augmentation des taxes sur l’électricité, pas de déremboursement des consultations chez le médecin et pas d’aggravation du déremboursement des médicaments. De plus, 12 000 postes de personnel soignant hospitalier seront créés ou maintenus ; il n’y aura pas de passage d’un à trois jours de carence dans la fonction publique, pas de suppression de 4 000 postes d’enseignants ; quelque 2 000 postes d’accompagnants d’élèves en situation de handicap seront créés ; il n’y aura pas de baisse du budget des outre-mer comme le proposait le budget Barnier. Le prêt à taux zéro sera étendu aux logements neufs et à tout le territoire, et les maires seront financièrement incités à construire davantage de logements sociaux. Nous avons également obtenu le minimum de justice fiscale : la spéculation financière et les dividendes seront mieux taxés ; le crédit d’impôt recherche (CIR), la niche fiscale la plus coûteuse, sera limité, et les patrimoines les plus insolents seront à nouveau taxés, ce que nous demandions avec Gabriel Zucman depuis des années et que vous refusiez obstinément depuis la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Pourquoi n’assumez-vous pas, je vous le dis comme un conseil presque amical, ces 21 milliards de recettes nouvelles ? (…) C’est notre honneur, oui, notre honneur, d’avoir évité aux Françaises et aux Français ces mesures qui ont un effet direct sur leur pouvoir d’achat, leur capacité à se soigner, à offrir une éducation de qualité à leurs enfants, et d’avoir permis de rétablir un minimum de justice fiscale dans un pays où le CAC40 sable le champagne tandis que 9 millions de nos concitoyens vivent sous le seuil de pauvreté. (…) Souvent, nous nous sommes interrogés sur notre utilité, celle de ces heures et de ces nuits passées sur ces bancs, sans conséquences sur la vie des Français. Notre vocation n’est pas de toujours nous limiter à prendre date, en attendant la prochaine élection ; elle est d’arracher, jour après jour, toutes les victoires possibles. ».

    Et, après avoir exposé une situation internationale alarmante, il a annoncé la position de son groupe, une non-censure exigeante : « Ce qui se joue maintenant est proprement historique et présuppose une certaine hauteur de vue. En ne censurant pas dès ses premiers pas votre gouvernement, monsieur le Premier Ministre, et comme vous l’aurez compris, nous ne vous accordons pas pour autant notre confiance. Mais nous avons choisi de ne pas pratiquer la politique du pire, parce qu’elle peut conduire à la pire des politiques, c’est-à-dire l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir. C’est la raison pour laquelle nous ne vous censurerons pas. ».

     

     
     


    Manuel Bompard lui avait déjà répondu par anticipation quelques minutes auparavant : « Ce qui n’empêche pas certains députés, pourtant élus pour en finir avec le macronisme, de s’apprêter à sauver votre gouvernement et à servir de béquille à sa politique. Ceux-là prétendent qu’il faut attendre de voir quelques jours ou quelques semaines. D’ailleurs, plusieurs d’entre eux sont tout simplement absents pour voter la motion de censure. Attendre quelques jours ou quelques semaines pour voir : quelle ridicule justification ! Nous connaissons tout des orientations politiques de ce gouvernement, de ses grandes lignes budgétaires et de sa composition, incluant des anciens Premiers Ministres de Macron, des mercenaires sans conviction et des ministres de la droite extrême. Quelle irresponsabilité, surtout ! Pensez-vous que le pays peut se payer le luxe de tels atermoiements ? ».

    Plutôt en fin de discussion, de permanence pour exprimer la parole du groupe RN en l'absence de Marine Le Pen, Sébastien Chenu a fustigé le gouvernement et la déclaration de politique générale du 14 janvier 2025 sans pour autant vouloir dans un premier temps le censurer : « Quatre-vingt-dix minutes, c’est le temps d’un cycle de sommeil ; c’est aussi le temps qu’a duré votre déclaration de politique générale. Comme un cycle de sommeil qui comporte trois phases, légère, profonde et paradoxale, votre discours commençait par une phase légère, lente, se voulant même drôle, parfois malgré vous, se poursuivait par une phase profonde, sombre, tutoyant le néant, et s’achevait par une phase paradoxale, contradictoire. Trois phases d’un discours, comme celles d’un mauvais sommeil, dont on se réveille sans qu’il ait rien réparé. (…) On lit ici et là que vous avez passé des jours, des semaines et même des années à préparer ce discours, mais on n’a entendu que des lieux communs, des poncifs et des facilités de langage, pour une seule et bonne raison : vous êtes l’homme d’une petite politique et de petits arrangements. En écoutant ce non-discours de politique générale, on comprenait que votre priorité était moins de trouver les voies et moyens de sortir le pays de l’ornière que de permettre au parti socialiste de sortir de l’ornière de l’alliance avec la France insoumise. Tout cela afin de vous sortir vous-même de l’ornière de la censure. (…) En négociant avec un parti ultraminoritaire, le parti socialiste, qui a toujours trahi la cause des travailleurs, toujours trahi celle des entrepreneurs, toujours trahi les classes populaires, les femmes et les retraités, avec une belle constance, il n’a jamais manqué au rendez-vous de la traîtrise sociale, vous avez œuvré pour tenir, pour passer entre les gouttes. Comme ce parti, celui de toutes les trahisons, s’achète à pas cher, vous l’avez amadoué, telle une tribu indigène, avec de la verroterie. Pour sortir de leur alliance honteuse avec l’extrême gauche, les socialistes acceptent de croire votre mensonge, celui d’une remise en question de la réforme phare de la Macronie, celui d’une renégociation qui pourrait aboutir sans coût supplémentaire. En avalant ce mensonge, les yeux et la bouche grands ouverts, et en toute conscience, les socialistes vous aident à gagner du temps, d’autant qu’ils en ont eux-mêmes besoin. Tout cela, sur le dos des Français ! (…) Vous avez déclaré, mardi, vouloir réconcilier les Français, "un peu comme Mandela", renchérissait le même Rebsamen, dans une piteuse courbette de courtisan qui nous a rappelé la citation de Bernanos : "Les ratés ne vous rateront pas !". En laissant ostraciser le premier parti de France, vous montez sur la première marche de l’escalier qui mène à la censure, comme Michel Barnier avec les propos de l’éphémère M. Armand. Au-delà des arrangements, ce qui nous interpelle, c’est votre absence totale de cap, de vision, de courage, de solutions pour notre pays. En réalité, votre moteur c’est l’inertie, l’énergie intermittente préférée des écologistes, soit dit en passant. (…) Comme le dit Marine Le Pen, c’est en champion du rodéo que vous abordez votre mission. Peu importe où va le cheval, avec qui il va et pour quoi faire, l’important est de se maintenir sur la bête ! (…) Vous n’êtes pas le chef d’une quelconque majorité : elle n’existe pas. Vous êtes le subalterne d’un système qui se délite sous nos yeux, plus proche de la girouette que de Richard Gere. (…) qu’y a-t-il à censurer ce soir ? Une liste de platitudes, une bordée d’insultes, vos arrangements et vos compromissions ? Vous mériterez d’être sanctionné et nous avons déjà démontré que la censure ne nous faisait pas peur, les Français nous ont soutenus quand nous avons censuré votre prédécesseur. C’est sur vos actes que nous vous attendons. (…) Nous ne croyons rien de vos discours, nous ne croyons rien de votre logique, nous n’attendons rien de votre politique. Nous ne vous menaçons de rien, mais nous vous attendons sur des actes. Nous ne vous prendrons pas plus que Michel Barnier en traître. ».

     

     
     


    Quant à l'oratrice du groupe EPR (macronistes), Annaïg Le Meur, elle a tout dit lorsqu'elle a résumé la situation ainsi : « Avec ces motions de censure à répétition, déposées en rafale à la moindre occasion dans l’espoir de provoquer un chaos institutionnel, l’extrême gauche perd de vue l’intérêt de la France et des Français. Ces attaques, ces outrances ne servent qu’à déstabiliser le pays et, au lieu de positionner la gauche comme principale force de dialogue, elles offrent une place de choix à l’extrême droite dans la survie du gouvernement. Quel paradoxe ! ».

    Dans l'analyse du scrutin (n°526), parmi les 131 députés ayant voté pour la motion de censure, 71 étaient des insoumis (sur 71), 36 des écologistes (sur 38), 16 des communistes (sur 17) et 8 des socialistes (sur 66), qui n'ont pas voulu suivre les consignes édictées par le bureau national du PS.
     

     
     


    De toute façon, avec la décision du RN de ne pas censurer le gouvernement, François Bayrou ne craignait rien ce 16 janvier 2025. En revanche, si ce scrutin est prometteur car le PS a révolutionné son positionnement par rapport aux six derniers mois, l'avenir politique reste toujours incertain.

    D'une part, Olivier Faure l'a rappelé : « Il n’est donc [pas] question de pacte de non-censure, comme cela peut exister dans d’autres pays qui connaissent des gouvernements minoritaires. Un vote de censure est donc possible à tout moment. ». D'autre part, même avec le maintien de la non-censure des socialistes tel qu'il s'est appliqué ce jeudi (c'est-à-dire, avec quand même 8 députés PS la votant), le risque de censure ultérieure n'est pas écarté.

    En effet, des trois groupes de gauche et d'extrême gauche qui ont voté la censure, il manquait 3 voix, à rajouter au matelas de base de 131 voix. Il faut rajouter le RN et les ciottistes, soit 140 voix. Cela donne un total de 274. Il n'y a pas loin de la majorité absolue (288 et à partir de lundi, après l'élection partielle à Grenoble-Meylan, 289). Ces 15 voix manquantes pour renverser le gouvernement pourraient se retrouver parmi d'autres socialistes frondeurs (après des pressions électorales euh amicales des insoumis ou un recul personnel), et aussi parmi le 23 députés du mystérieux (plutôt insolite) groupe LIOT, centriste et ultramarin, qui se dit d'opposition (même si une de ses membres, Valérie Létard, est au gouvernement) et qui a affirmé ne pas avoir été convaincu par la déclaration de politique générale.

    Son président Stéphane Lenormand a en effet déclaré : « La déclaration de politique générale du Premier Ministre ne nous a pas vraiment convaincus, ni sur la forme ni sur le fond ; mais il est vrai que, sans majorité claire, l’exercice était sans doute difficile. (…) Souffrez d’entendre, monsieur le Premier Ministre, qu’il y a loin de la coupe aux lèvres. Face à l’inquiétude et à la colère des Français, au malaise des très petites, petites et moyennes entreprises, à la souffrance des soignants, à la détresse du monde agricole, la liste n’est pas exhaustive, vous offrez un retour au cumul des mandats et ouvrez la porte au scrutin proportionnel, soit des mesures en décalage avec les priorités évoquées par nos concitoyens en circonscription. Concédez que, faute de poule au pot pour tous, vous nous avez servi un pâté de cheval et d’alouette. (…) Dans les semaines qui viennent, nous serons intransigeants quant aux signaux envoyés. Humilité, responsabilité et transparence doivent guider vos pas et ceux des membres du gouvernement, ainsi que je l’ai précisé mardi dernier. Les députés du groupe LIOT jugeront avec rigueur votre volonté de travailler avec l’ensemble des composantes politiques de l’Assemblée. C’est dans cet esprit d’ouverture qui nous a toujours caractérisés comme groupe d’opposition-construction, mais aussi conscients de notre responsabilité, dans un pays qui n’a pas de budget, que nous ne voterons pas la motion de censure. Nous ne souhaitons pas vous sanctionner a priori mais sachez, et mes propos l’attestent, qu’il ne s’agit en rien d’un chèque en blanc. ».

    Tout ce qu'on peut dire, c'est que François Bayrou a réussi son premier pari, celui désamarrer les socialistes du navire mélenchonien. Cela a pour conséquence de faire pencher l'action gouvernementale vers le centre gauche. La suite sera pavé de mines antigouvernementales, les deux lois de finances pour 2025, bien sûr, mais aussi la conférence sociale sur les retraites. Jean-Pierre Raffarin a conclu la journée sur BFMTV en lâchant, en fin connaisseur comme ancien Premier Ministre : « Bravo l'artiste ! ».



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (16 janvier 2025)
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    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250116-motion-de-censure.html

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  • François Bayrou sera-t-il censuré ?

    « Pas moins de 84% des Français jugent, paraît-il, que le gouvernement ne passera pas l’année. Il m’arrive même de me demander où les 16% restants puisent leur optimisme. » (François Bayrou, le 14 janvier 2025 dans l'hémicycle).




     

     
     


    Dès la nomination de François Bayrou à Matignon, le 13 décembre 2024, on se posait tous la question : son gouvernement durera-t-il plus longtemps que celui de Michel Barnier ? Sera-t-il censuré ? Et les plus pessimistes : quand sera-t-il censuré ?

    Le 14 janvier 2025, à l'issue de la déclaration de politique générale de François Bayrou et de la discussion parlementaire qui a suivi, le groupe des insoumis a déposé une motion de censure qui sera examinée ce jeudi 16 janvier 2025 (le même jour que la cérémonie d'hommage à Jean-Marie Le Pen à Paris !).

    Mais avant de m'appesantir sur la situation du gouvernement Bayrou, reprenons d'abord les fondamentaux de la Constitution. D'un point de vue théorique, le principe de la censure, c'est-à-dire de renversement d'un gouvernement par une motion de censure lorsqu'il y a une majorité absolue de députés qui le rejette, me paraît être un pilier essentiel de notre démocratie parlementaire et permet d'affirmer, même sans vote d'investiture (comme sous la Quatrième République), même sans vote de confiance (facultatif), que tous les gouvernements sont légitimes et démocratiques, car ils pourraient être renversés.

    La censure est l'une des deux armes des relations entre l'exécutif et le législatif. Avant 2024, elle n'a été utilisée qu'une seule fois en 1962 (dans des conditions bien particulières, je n'y reviens pas) sous la Cinquième République. L'autre arme, c'est la possibilité de réponse, par le Président de la République, d'une censure par l'Assemblée : sa dissolution. Les deux armes peuvent être utilisées bien sûr l'une indépendamment de l'autre. En 1962, la dissolution avait suivi immédiatement la censure du gouvernement de Georges Pompidou. Mais elle a été utilisée aussi de nombreuses fois, soit à la suite d'une élection présidentielle (1981 et 1988), soit pour répondre à des crises politiques (1962 et 1968), soit encore à froid (1997). Je laisse les historiens classer la dissolution de 2024 (crise ? à froid ?). Le jeu de la censure est donc un jeu d'équilibre de la terreur : les députés qui censurent risquent leur propre dissolution. Cela ne fonctionne plus en 2024, car l'Assemblée ne peut pas être dissoute avant une année pleine après les dernières élections anticipées.

    D'où la situation doublement nouvelle de la XVIIe législature, celle issue des urnes de l'été 2024 : non seulement l'Assemblée bénéficie d'une impossibilité (temporaire) d'être dissoute (un gros avantage pour les générateurs de chaos politique), mais aussi les électeurs (et eux seuls ! pas Emmanuel Macron, je précise !) ont élu une Assemblée éclatée en trois blocs incompatibles et équivalents, d'où l'impossibilité d'y trouver une majorité même relative. Dans cette situation inédite sous la Cinquième République, les groupes parlementaires devraient s'entendre sur un programme minimal pour permettre à la France d'être gouvernée. Aucun groupe ne peut prétendre avoir gagné et appliquer son programme politique. Une censure, dans ce contexte, est aussi improductive qu'inutile, voire génératrice de chaos.

    Et puis, il y a la pratique. La réalité, c'est que la censure du 4 décembre 2024 a été un choc politique très violent. Quasiment aussi violent pour les Français que le choc de la dissolution le 9 juin 2024. Un effet de sidération et des conséquences désastreuses malgré tous ces professionnels de la censure qui prétendaient à tort que cela n'aurait aucun impact. Bien sûr que si que l'instabilité politique de la France aurait un impact direct.

    D'abord sur les Français eux-mêmes qui perdent un temps fou pour avoir des solutions parfois consensuelles : les agriculteurs, les nouveaux emplois à pouvoir dans la fonction publique (gendarmes, juges, etc.) qui ne pourront pas être pourvus faute de vote budgétaire, les entreprises (qui attendent au lieu d'investir), les consommateurs (qui préfèrent épargner avant de savoir comment ils seront mangés) et même les contribuables dont certains, à bas revenus, seront nouvellement imposés à cause des barèmes 2024 qui ont été reconduits par la loi spéciale sans ajustement de l'inflation, etc.


    Ensuite, des conséquences extérieures, non seulement l'image de la France à l'étranger, mais surtout sa crédibilité financière, le risque d'augmentation des taux d'intérêt sur la dette (la France empruntera 350 milliards d'euros cette année 2025), car l'instabilité politique engendre systématiquement une instabilité économique et une incertitude fiscale et sociale, d'autant plus que la stabilité politique restait l'un des derniers atouts de la France par rapport à ses voisins européens.
     

     
     


    Je n'aurais pas imaginé une telle violence ressentie par la censure du 4 décembre 2024 qu'on pourrait comparer à Hiroshima et Nagasaki pour la dissuasion nucléaire. Si le RN et la nouvelle farce populaire (NFP) ont prouvé qu'ils étaient capables de s'allier pour jouer au chamboule-tout, leur collusion irresponsable n'a rien apporté à la France, n'a rien construit, n'a apporté aucune solution, aucun gouvernement, n'a en rien aidé les Français, y compris leurs propres électeurs.

    C'est dans ce contexte postapocalyptique dont a fait les frais le gouvernement Barnier que la question de la censure se pose pour son successeur. Le gouvernement Bayrou a ainsi deux avantages sur le gouvernement Barnier : celui de montrer qu'une censure n'est pas un acte à prendre à la légère et les électeurs seront très sévères face à l'irresponsabilité destructive des mouvements populistes (il faut lire les sondages actuels ou aller écouter les Français dans les multiples cérémonies des vœux dans tous les territoires) ; et la méthode qui a changé, ne serait-ce qu'en nommant un Ministre de l'Économie et des Finances compatible avec les socialistes, donc pas macroniste (en l'occurrence Éric Lombard est un grand ami d'Olivier Faure qui l'avait même proposé comme Premier Ministre en décembre dernier !).


     

     
     


    Il semble à peu près certain que François Bayrou ne doit pas craindre la motion de censure du 16 janvier 2025 car elle devrait être rejetée, le groupe RN ayant annoncé qu'il refuserait de censurer à froid le gouvernement. Mais la question se pose sur la décision du groupe socialiste car François Bayrou a noué des relations avec lui ces dernières semaines dans un cadre de non-censure : si François Bayrou veut pouvoir faire adopter les deux lois de finances 2025 (État et sécurité sociale), il lui faut absolument la neutralité bienveillante du PS pendant quelques mois au moins, puisque celle du RN n'est pas fiable.

    Or, le groupe PS est traversé par deux impératifs contradictoires : l'impératif électoral, qui nécessite une alliance avec les insoumis qui ne manqueraient pas de les traiter de traîtres et de présenter des candidats contre ceux qui ne voteraient pas la censure (d'où le retour à la niche de Jean-Luc Mélenchon des communistes et des écologistes, plus trouillards que les socialistes), et l'impératif de responsabilité, car le PS veut encore rester un parti gouvernemental avec un fort courant interne qui pourrait renverser Olivier Faure au prochain congrès du PS en cas de nouveau vote de censure.

    François Bayrou a bien compris la problématique et la question est de savoir s'il veut être sincère ou tromper les socialistes. Beaucoup de socialistes doutent et ils ont raison dans l'absolu, mais la sincérité de François Bayrou, ici, ne peut pas être mise en doute car l'ancien candidat avait déjà montré de signes de socialo-compatibilité assez nets, notamment à l'élection présidentielle de 2012 avec le soutien à François Hollande et dans certaines municipalités dès 2008, en particulier à Dijon.


     

     
     


    En clair, les socialistes ne veulent plus censurer le gouvernement car ils ne sont pas prêts pour une crise de régime qui pourrait aboutir à une élection présidentielle anticipée. Ils ont besoin d'un temps long, bien au-delà de l'été 2025, pour se crédibiliser politiquement hors d'une alliance avec l'extrême gauche. Ainsi, les dirigeants hésitent à franchir le pas, le pas de la non-censure. Dans la matinée juste avant la déclaration de politique générale, ils estimaient que le gouvernement les avait écoutés et qu'ils ne le censureraient pas. Mais après le grand oral, comme rien ne leur a été apparemment donné, pas de suspension de la réforme des retraites, ils reculaient et envisageaient sérieusement de revenir à la censure (du reste, comme la veille au soir). On leur a dit que la journée du mercredi 15 janvier 2025 pourrait leur apporter des garanties supplémentaires.

    En effet, à deux occasions, François Bayrou pouvait un peu évoluer sur la réforme des retraites : au débat de politique générale au Sénat, une sorte de redite de la veille à l'Assemblée, mais pas forcément identique, et juste avant, en début d'après-midi, une séance de questions au gouvernement à l'Assemblée.

    Au Sénat, François Bayrou est intervenu trente minutes au lieu des quatre-vingt-dix minutes de la veille. Il a fait plus du commentaire que du déclaratif solennel. En revanche, à l'Assemblée, il a répondu clairement à une question du premier secrétaire du PS un peu ennuyé de ne pas avoir de prétexte clair vis-à-vis de leurs électeurs pour ne pas censurer le gouvernement.


    Olivier Faure a clairement indiqué son positionnement : « Nous sommes dans l’opposition mais nous avons fait un choix : celui de néanmoins rechercher un compromis. ».
     

     
     


    Et sa question a posé le problème tout aussi clairement : « Au cours de la semaine passée, nous avons beaucoup discuté avec vos ministres et avec vous-même et cherché à avancer sur nombre de questions qui touchent à la vie quotidienne des Français : la santé, le service public, les jours de carence… Autant de sujets qui les inquiètent et sur lesquels vous êtes en partie revenus hier, lors de votre déclaration de politique générale. Vous le savez : la clef de voûte de cette discussion est la réforme des retraites, cette réforme restée comme une blessure à la fois sociale et démocratique. Le départ à la retraite des Françaises et des Français va être progressivement reporté, jusqu’à l’âge de 64 ans. Ce sont les classes populaires, les femmes, les personnes avec des carrières longues, hachées, pénibles, qui seront les premiers pénalisés. Vous avez déclaré hier que cette réforme pouvait être "plus juste". Voilà un point d’accord entre nous car la réforme est selon nous terriblement injuste. Vous avez annoncé une conférence sociale ; c’est un premier pas. Cette conférence devra, en toute sincérité et transparence, tout mettre sur la table : l’âge légal de départ à la retraite, la durée de cotisation, la pénibilité du travail, les carrières des femmes, les sources de financement. Je vous le dis : elle ne pourra pas se clore par un retour à la réforme de 2023. Pour les socialistes, le statu quo n’est pas possible. Dans l’hypothèse où syndicats et patronat ne trouveraient pas d’accord, il reviendra à la démocratie parlementaire de s’exprimer. Dans ce cas, le Parlement doit avoir le dernier mot. Voilà notre position. Elle est claire. Elle est publique. À ce stade, le compte n’y est pas. Vous le savez : votre réponse à cette question conditionnera notre vote sur la motion de censure demain. ».

    La perspective d'un échec de la conférence sociale qui maintiendrait la réforme en l'état inquiète les socialistes. C'est toutefois ne pas croire aux négociations sociales alors que c'est le leitmotiv du PS depuis des décennies. François Bayrou a évolué depuis le début puisqu'il a proposé que cette conférence sociale se fasse immédiatement (dès vendredi 17 janvier 2025 à 11 heures, gare à ceux qui la censureraient la veille !) et rapidement (elle ne durerait que trois mois, sous forme d'un conclave : on boucle tout jusqu'à ce qu'il y a un accord ! pas exactement, mais c'est l'idée).
     

     
     


    La réponse de François Bayrou a été celle-ci : « S'agissant de la réforme des retraites, nous avons décidé de demander aux partenaires sociaux et au gouvernement, qui a la responsabilité de l’emploi public, de se réunir pour examiner les voies de progression identifiées après la réforme qu’Élisabeth Borne, après tant d’autres chefs du gouvernement, a conduite, je signale au passage que votre groupe ou votre courant de pensée, bien que s’étant opposé aux réformes précédentes, n’est jamais revenu dessus, car la réalité s’impose à nous tous. Je vais vous répondre clairement. Cette conférence sociale permettra, nous le croyons, de déboucher sur un accord. Nous le croyons parce que nous croyons, tout comme vous, j’imagine, à la capacité des partenaires sociaux à progresser. La démocratie sociale est un des piliers de la démocratie française et je peux attester, à la suite des conversations qu’ils ont eues avec moi, que les partenaires sociaux sont déterminés à avancer. Ils ont eux aussi identifié des marges de succès. ».

    Et le chef du gouvernement a essayé de se montrer pédagogue sur les possibles issues de cette conférence sociale : « Il y a donc trois possibilités. La première est qu’un accord se dégage. Il fera alors l’objet d’un texte soumis au Parlement. S’il n’y a aucune sorte d’accord, c’est la réforme précédente qui continuera à s’imposer. Excusez-moi mais c’est la moindre des choses ! Il peut néanmoins arriver, et c’est même probable, qu’on se trouve dans une situation où des marges de progression, des mouvements, des changements, des adaptations auront été identifiés sans qu’il y ait un accord général. Si c’est le cas, nous proposerons un texte qui reprendra ces adaptations et nous le soumettrons à l’Assemblée. Il n’y a rien de plus simple, de plus clair, de plus franc. Nous ne pouvons considérer à l’avance que les partenaires sociaux sont incapables de progression, je crois exactement le contraire. Je prends l’engagement devant vous que si nous identifions des possibilités de changements positifs, dans lesquels on discernerait des progrès, nous les présenterons au Parlement dans le cadre d’un projet de loi. ».

     

     
     


    Dans cette réponse, il y a à boire et à manger, et c'est sans doute la grande habileté de François Bayrou. Lui-même doit préserver la crédibilité financière de la France qu'il perdrait en cas de suspension ou d'abrogation de la réforme des retraites, ainsi que la crédibilité politique, éviter la perte d'un allié utile, LR, dont le principal ministre Bruno Retailleau est une pièce maîtresse dans son gouvernement.

    On pourrait penser que la conférence sociale se solderait soit par un succès (alors un projet de loi serait déposé pour appliquer l'accord) soit par un échec (alors ce serait le statu quo). Cette deuxième possibilité inquiète les socialistes car ils se disent que le Medef pourrait faire capoter la conférence sociale. Alors, François Bayrou casse cette dualité, cette bipolarité en proposant une troisième possibilité, une troisième voie, la plus probable : pas d'accord global mais quelques points d'accord sur des sujets particuliers, et dans ce cas-là aussi, le gouvernement déposerait un projet de loi.


    La probabilité qu'il puisse y avoir quelques points d'entente est quand même très élevée. Qu'importe lesquels, finalement, car pour les socialistes, l'élément majeur, c'est que le gouvernement puisse déposer un projet de loi qui amenderait la réforme des retraites. Car à partir de ce texte, tout serait possible à l'Assemblée en sachant qu'il y a une majorité absolue de députés favorables au retour à l'âge légal de 62 ans. C'est donc une grande concession pour François Bayrou qui, de son côté, lui permet de gagner du temps pour faire adopter le budget.

     

     
     


    Du côté des socialistes, on parle d'un réel changement, mais très petit changement, et pour certains, faisant le procès de l'hypocrisie, cela n'empêcherait quand même pas la censure. En fait, tout va dépendre du courage des dirigeants socialistes et de leur décision dépendra certainement leur avenir comme parti gouvernemental aux yeux des Français.

    Dans la soirée du mercredi 15 janvier 2025, les socialistes réunis en bureau n'ont pas réussi à adopter une position claire sur la motion de censure du lendemain : la voteront-ils, ne la voteront-ils pas ? La logique voudrait qu'une discipline de groupe soit appliquée dans cette décision, car la réponse collective éviterait de parler de "trahison" de quelques individus. Une nouvelle réunion est prévue jeudi matin. À court terme, François Bayrou ne risque pas grand-chose. Mais le risque est pour les semaines à venir et les prochaines discussions budgétaires. L'éthique de responsabilité est difficile à accoucher. Il faut souligner le courage des socialistes prêts à quitter le giron mélenchonien pour s'occuper réellement de l'intérêt des Français. Allez, encore un petit effort !


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (15 janvier 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    François Bayrou sera-t-il censuré ?
    Les conclaves du cardinal Bayrou.
    Déclaration de politique générale du Premier Ministre François Bayrou le 14 janvier 2025 au Palais-Bourbon (vidéo et texte intégral).
    François Bayrou au jour J.
    Édouard Philippe et sa partition particulière contre l'indolence.
    François Bayrou et le Chemin.
    Vœux 2025 d'Emmanuel Macron : aux Français de trancher ?
    Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron, le 31 décembre 2024 à Paris (texte intégral et vidéo).
    François Bayrou au travail !
    Gouvernement Bayrou : un choc d'autorité ?
    Composition du Gouvernement François Bayrou I nommé le 23 décembre 2024.
    Le difficile accouchement du gouvernement Bayrou.
    La méthode Bayrou réussira-t-elle ?
    Terre de désolation.
    La folle histoire de la nomination de François Bayrou.
    François Bayrou, le papa Macron !
    Le tour de François Bayrou !
    La polémique entre Maurice Druon et François Bayrou en juillet 2004.
    Le paysage politique français postcensure.
    Motion de sangsue : les conséquences économiques désastreuses de la censure.
    Philippe Vigier défend les Français face au renoncement national.
    Laurent Wauquiez met en garde contre l'instabilité institutionnelle.
    Emmanuel Macron face à ses choix.
    Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron le 5 décembre 2024 (texte intégral).
    La motion RNFP : Chassez le naturel, il revient au chaos !
    L'émotion de censure de Michel Barnier.
    La collusion des irresponsables.
    Gouvernement Barnier : les yeux du monde rivés sur la France.
    Risque de censure : Non, le RN n'est pas l'arbitre des élégances !
    Michel Barnier plaide pour la sobriété normative et procédurale !
    Discours du Premier Ministre Michel Barnier le 21 novembre 2024 à la Porte de Versailles (vidéo et texte intégral).
    Michel Barnier sur les pas de Pierre Mendès France.
    Discours du Premier Ministre Michel Barnier le 15 novembre 2024 à Angers (vidéo et texte intégral).
    PLF 2025 : la majorité de rejet !
    Michel Barnier : déjà deux mois !
    François Guizot à Matignon ?
    5 euros pour visiter Notre-Dame de Paris ?
    Achats dans la fonction publique : des économies à faire ?
    Doliprane : l'impéritie politique.
    Proche-Orient : l'incompréhension de Roger Karoutchi.
    Motion de censure : le quart d'heure de gloire d'Olivier Faure.
    Budget 2025 : l'impossible mission de Michel Barnier.
    Claude Malhuret : du vol des élections aux chefs d'escadrille...
    Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
    La quadrature du cercle de Michel Barnier.


     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250115-bayrou.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/francois-bayrou-sera-t-il-censure-258668

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/01/15/article-sr-20250115-bayrou.html




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  • Les conclaves du cardinal Bayrou

    « Cette œuvre de réconciliation à laquelle nous sommes appelés ne deviendra possible que si nous offrons une perspective à notre pays. Nos efforts doivent être tendus vers un but qui suppose la lucidité et le courage que je décrivais à l’instant : une nouvelle promesse française. » (François Bayrou, le 14 janvier 2025 dans l'hémicycle).



     

     
     


    Démarrage en fanfare pour le grand oral du Premier Ministre : « En vérité, contrairement à ce que beaucoup pensent, la situation de ce gouvernement présente un avantage considérable. Sur ces bancs, même parmi ceux qui sont violemment hostiles à ce que nous pensons ou à ce qu’ils croient que nous pensons, pas un ne trouve notre position enviable. Pas moins de 84% des Français jugent, paraît-il, que le gouvernement ne passera pas l’année. Il m’arrive même de me demander où les 16% restants puisent leur optimisme. Eh bien, au risque de vous surprendre, j’y vois un atout : quand tout va bien, on s’endort sur ses lauriers, mais quand tout paraît aller mal, on est contraint au courage. Le gouvernement dispose d’un deuxième atout décisif. C’est le besoin, l’exigence, l’injonction que le pays nous assigne : retrouver la stabilité. Tous les Français en ont besoin. Ils comprennent bien que nous ne sommes pas d’accord sur tout, mais ils nous enjoignent de joindre nos forces pour forcer les issues. ».

    Ce mardi 14 janvier 2025 à 15 heures, François Bayrou est donc venu devant les députés prononcer sa déclaration de politique générale (on peut lire ou écouter cette déclaration ici). Un discours de quatre-vingt-dix minutes. Pour le leader centriste, cette journée a été à son image. Un fond très travaillé, une aisance dans ses fonctions et dans son environnement, l'Assemblée, malgré un peu de désordre (mélange des feuilles de son discours), et quelques pincées d'humour, plus de l'autodérision (« Les pages de mon discours sont un peu mélangées, parce que je suis un néophyte. Je suis donc bien obligé d’apprendre ce métier. ») que l'ironie pince-sans-rire et grinçante de son prédécesseur Michel Barnier.

    Comme dans toute déclaration de politique générale, il y a une forte densité de fond, sans pour autant devenir un catalogue à la Prévert de mesures gouvernementales. Au contraire, à la fin, on lui a reproché d'être resté trop vague. Mais justement ! Lui ne vient pas en service commandé du Président de la République. Il ne vient pas en bénéficiant d'une majorité absolue à l'Assemblée. Il ne se dresse pas devant les députés en conquérant, en imperator. Au contraire ! Il arrive sur un terrain miné, sans majorité et avec un risque très fort de censure (comme son prédécesseur). Alors, il est venu avec quelques idées claires, mais sans apporter les solutions toutes faites. Ce sera au Parlement de préciser les choses. Ceux-là même qui critiquent l'autoritarisme du Président Emmanuel Macron reprochent à François Bayrou son manque de dirigisme gouvernemental, allez comprendre !

    Car la méthode Bayrou, ce n'est pas d'apporter des solutions toutes faites, déjà packagées, avec l'ultimatum, à prendre ou à laisser. L'ultimatum, dans une Assemblée sans majorité, est voué à l'échec rapide. François Bayrou préfère la méthode de la négociation et de la concertation.


     

     
     


    On ne s'étonnera donc pas qu'il ait commencé sa déclaration par l'importance de la dette publique. C'était son leitmotiv depuis la campagne présidentielle de 2002. À l'époque, toute le monde s'en moquait, on empruntait, on payait, on faisait du clientélisme, on empruntait, on s'endettait. Lui, François Bayrou, était le petit caillou de la chaussure, le sparadrap du capitaine Haddock, la mauvaise conscience : pensez à nos enfants ! On ne peut pas vivre à crédit et endetter notre jeunesse. Il l'a répété cette après-midi : « Jamais nous n’avons fait l’effort de partager avec les Français cette évidence que la dette contractée par notre pays concerne leurs propres enfants, nos propres enfants, que la charge que nous leur laissons sera trop lourde pour être supportée. (…) La dette est injuste et elle est insupportable si elle met à la charge de nos enfants nos dépenses courantes. ».

    Ce problème supplante toutes ses préoccupations de chef du gouvernement : « Les sujets d’inquiétude sont innombrables, mais il en est un, criant, qui émerge avec force : le surendettement du pays. Nos compatriotes, surtout les plus fragiles, savent ce qu’est (…) le surendettement et quelles incertitudes et difficultés il suscite. Depuis la guerre, la France n’a jamais été aussi endettée qu’elle l’est aujourd’hui. J’affirme qu’aucune politique de ressaisissement et de refondation ne pourra être conduite sans tenir compte de ce surendettement et sans se fixer pour objectif de le contenir et de le réduire. Pourquoi cette situation nous oblige-t-elle tous, collectivement ? C’est parce que tous les courants politiques dits de gouvernement y ont eu part. Quand François Mitterrand a été élu, en 1981, la France était l’un des pays les moins endettés du monde : sa dette s’élevait à peine à plus de 20% de la production nationale. En 1995, ce rapport était de 52% ; l’endettement a donc progressé de plus de 30 points en quatorze ans. À la fin des années 1990, la santé économique de la France, sur tous les points, était nettement supérieure à celle de l’Allemagne. Son commerce extérieur était largement excédentaire et son endettement inférieur à celui de ses voisins. Puis en 2000, sous le gouvernement de Lionel Jospin, les courbes se sont brutalement infléchies et ont commencé une descente que rien ne paraît pouvoir arrêter. Entre 2007 et 2012, sous Nicolas Sarkozy, l’endettement s’est accéléré, augmentant de 25 points de produit intérieur. Entre 2012 et 2017… Il y en aura pour tout le monde, je vous le promets ! Entre 2012 et 2017, sous François Hollande, l’endettement a augmenté de 10 points. Enfin, depuis 2017, sous Emmanuel Macron, il a augmenté de 12 points. Je n’en fais pas un motif d’accusation, car j’en connais les raisons. Quand François Mitterrand a été élu, en 1981, c’était l’alternance : il fallait que les Français, comme on disait à l’époque, y trouvent leur compte. Pour Nicolas Sarkozy, c’est la crise des subprimes. Emmanuel Macron a fait face, coup sur coup, à une cascade de crises jamais vue et jamais imaginée. En voici la liste : à partir de 2018, les gilets jaunes, puis le covid-19, qui a mis le pays à l’arrêt, puis la guerre en Ukraine, qui a provoqué l’inflation et l’explosion du prix de l’énergie. J’affirme donc que tous les partis de gouvernement, sans exception, ont une responsabilité dans la situation créée ces dernières décennies. J’affirme également que tous les partis d’opposition, en demandant sans cesse à cette tribune des dépenses supplémentaires, ont dansé aussi le tango fatal qui nous a conduits au bord de ce précipice. Cette dette est une épée de Damoclès au-dessus de notre pays et de notre modèle social. ».

    Le Premier Ministre a ensuite expliqué que le contexte international était mauvais, les États-Unis évoluant mal comme d'autres grands blocs comme la Russie, l'Iran, bref : « Nous avons basculé dans un monde nouveau et dangereux : nous sommes passés de la force de la loi à la loi de la force. ».

    D'où la nécessité de l'Europe pour garder une influence dans le monde : « Pour que la France fasse vivre son trésor de civilisation et continue de le partager avec le monde entier, l’Europe doit devenir une communauté stratégique, une puissance politique et de défense à la dimension de la puissance économique qu’elle devrait être. Une seule condition est pour cela nécessaire : nous devons accepter de nous définir et de nous affirmer ensemble. La construction d’une communauté politique pour faire vivre cette communauté de civilisation est la question qui domine notre vie publique depuis 1945. À cette construction ont contribué, chacun à leur manière, le Général De Gaulle, Jean Monnet, Robert Schuman, Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand, Jacques Delors et Emmanuel Macron. Tous ont partagé la conviction selon laquelle l’indépendance de la France tient à celle de l’Europe et réciproquement. La prospérité de la France dépend de celle de l’Europe qui est capable, si elle le veut, de devenir le premier marché de la planète, de parler technologie, industrie, agriculture, à égalité avec les États-Unis et la Chine. C’est la raison pour laquelle nous soutenons de toutes nos forces le rapport présenté récemment par Mario Draghi, dont nous tirons la conclusion que nous devons nous battre tous ensemble pour un investissement à la hauteur de nos besoins. ».

    François Bayrou a articulé son action dans trois parties : « Nous devons en effet faire face à trois échéances. D’abord, nous devons répondre à l’urgence : il faut nous ressaisir pour adopter sans tarder les deux budgets, de l’État et de la sécurité sociale. En effet, nous payons tous au prix fort la précarité budgétaire, qui affecte aussi bien les entreprises et les investisseurs que les familles, les contribuables ou les emprunteurs. Nous devons relever un deuxième défi, celui de rétablir les conditions de la stabilité, qui impose de se réconcilier, ce dont le pays a tant besoin, et ce que ses citoyens ne cessent de réclamer. Enfin, le troisième défi s’inscrit dans le long terme : notre pays doit refonder son action publique, ce qui exige que nous nous attaquions sans tarder à tous les problèmes qui sont devant nous, et non à certains à l’exclusion des autres. ». En d'autres termes, le budget, une rénovation démocratique et une réforme de l'État pour restructurer en profondeur les dépenses publiques.


    Ce plan pourrait oublier beaucoup d'éléments. En fait, non, mais il répond d'abord à ce contexte spécial d'un mi-janvier encore sans vote du budget qui est sa première priorité absolue. Sans vote du budget, l'incertitude économique et sociale régnera et la France perdra beaucoup de crédit et d'argent à cause des taux d'intérêt qui monteront.

    Il a développé la méthode Bayrou comme procédé de déblocage : « Au cœur de ce blocage, il y a notre incapacité à vivre le pluralisme, à être en désaccord sans constamment nous menacer du pire. Les réquisitoires et les invectives minent la confiance des citoyens. Il est temps de changer de logiciel démocratique, donc de méthode, pour se confronter mais aussi se respecter et trouver des voies de passage, sans abdiquer ce que l’on est. Le lieu de la diversité où ces différences se transforment en capacité d’action, c’est le Parlement. C’est précisément sur ces bancs que, grâce à l’expression des différences, nous parvenons à dégager une volonté, une stratégie et des plans d’action pour le pays. ».

    Énumérons maintenant un certain nombre de sujets qui seront inscrits dans ses feuilles de route ministérielles (François Bayrou a aussi justifié le choix de ses ministres, ce qui est rare pour une déclaration de politique générale).

     

     
     


    Celui qui est sur toutes les lèvres depuis un mois, c'est la réforme des retraites. D'abord, un constat : « Le déséquilibre du financement du système de retraites et la dette massive qu’il a creusée ne peuvent être ignorés ou éludés. (…) Notre système de retraite verse chaque année quelque 380 milliards d’euros de pensions. (…) Or les employeurs et les salariés privés et publics versent à peu près 325 milliards par an. (…) Faites le calcul, restent 55 milliards, versés par le budget des collectivités publiques, au premier chef le budget de l’État, à hauteur de quelque 40 ou 45 milliards. Or, ces 40 ou 45 milliards annuels, nous n’en avons pas le premier centime. Chaque année, cette somme, le pays l’emprunte. Autrement dit, il a choisi de mettre à la charge des générations qui viennent ou qui viendront une partie du montant des pensions que nous versons aux retraités actuels. Les retraites représentent 50% des plus de 1 000 milliards de dette supplémentaires accumulés par notre pays ces dix dernières années. ».

    Puis, la proposition, celle de la "remise en chantier" (pas le mot "suspension") et d'un conclave : « Ce problème social et moral, le gouvernement n’entend pas le laisser sans réponse. La réforme des retraites est vitale pour notre pays et notre modèle social : bien des gouvernements successifs s’y sont engagés, depuis Michel Rocard jusqu’aux efforts courageux du gouvernement d’Élisabeth Borne. Je note dans ce débat passionnel un progrès considérable : plus personne ne nie qu’il existe un lourd problème de financement de notre système de retraites. En même temps, nombre de participants à ces discussions, notamment les organisations du dialogue social et les organisations syndicales, ont affirmé qu’il existait des voies de progrès et qu’on pouvait obtenir le même résultat par une réforme plus juste. Je choisis donc de remettre ce sujet en chantier, avec les partenaires sociaux, pour un temps bref et dans des conditions transparentes, selon une méthode inédite et quelque peu radicale. (…) La loi de 2023 a prévu que l’âge légal de départ passerait à 63 ans fin 2026. Une fenêtre de tir s’ouvre donc. Je souhaite fixer une échéance à plus court terme : celle de notre automne, où sera discutée la prochaine loi de financement de la sécurité sociale. J’ai la conviction que nous pouvons rechercher une voie de réforme nouvelle, sans aucun totem ni tabou, pas même l’âge de la retraite, à condition qu’elle réponde à l’exigence fixée : nous ne pouvons pas laisser dégrader l’équilibre financier que nous cherchons et sur lequel presque tout le monde s’accorde. Ce serait une faute impardonnable contre notre pays. Plusieurs partenaires sociaux ont indiqué qu’ils avaient identifié des pistes pour que la réforme soit socialement plus juste et cependant équilibrée. Ces pistes méritent toutes d’être explorées. Toutes les questions doivent pouvoir être posées. Chacun des partenaires sociaux aura le droit de faire inscrire à l’ordre du jour de ces discussions et négociations les questions qui le préoccupent : rien n’est fermé. (…) Je proposerai aux représentants de chaque organisation de travailler autour de la même table, de s’installer dans les mêmes bureaux, ensemble, pendant trois mois, à dater du rapport de la Cour des Comptes. Si, au cours de ce conclave, c’est ce qu’on dit quand on ferme les portes, cette délégation trouve un accord d’équilibre et de meilleure justice, nous l’adopterons. Le Parlement en sera saisi lors du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, ou avant, et si nécessaire, par une loi. Je souhaite que cet accord soit trouvé, mais si les partenaires ne s’accordaient pas, c’est la réforme actuelle qui continuerait à s’appliquer. ».


     

     
     


    Sur le budget 2025, François Bayrou a fixé ses objectifs : 5,4% du PIB de déficit public (au lieu de 5,0%) avec une croissance revue à la baisse de 0,9% (au lieu de 1,1%). Mais l'objectif final de 3% en 2029 reste inchangé. Toutefois, les réductions des dépenses publiques sont restées vagues dans cette déclaration : « Des économies importantes seront proposées. Pour la suite, c’est un puissant mouvement de réforme de l’action publique qu’il faut conduire. Il faudra trouver des méthodes d’organisation de l’État qui ne requerront pas d’augmentation de nos dépenses publiques. Il nous faut repenser tous nos budgets, non pas à partir du prolongement de ce qui se faisait l’année précédente, augmenté d’un pourcentage d’inflation, mais de ce qu’exige le service ou l’action à conduire. Ces budgets redéfinis et repensés, je demanderai à tous les ministres de les préparer dès le printemps. C’est un effort dont personne ne devra s’exclure, chacun à sa manière, dans l’exercice quotidien de ses missions. Cet exercice devra interroger notre organisation. (…) Les parlementaires seront pleinement associés à cet effort d’organisation et de rationalisation. C’est la fonction du Parlement, qui s’exprimera à son degré le plus éminent : contrôler et évaluer. Cet effort devra être prolongé et inventif. Il devra être soutenu dans le temps, parce que souvent, la réforme prend du temps et, au début, coûte cher. ».

    Dans le deuxième chantier, celui de la réconciliation, François Bayrou a souhaité redonner plus de pouvoir d'initiative au Parlement (il a cité le projet de loi sur la fin de vie). Pour revivifier la démocratie, il veut favoriser le pluralisme politique en créant une banque de la démocratie chargée de financer les partis politiques et les campagnes électorales : « Je suis partisan, quand je vois l’état de la démocratie américaine, que nous échappions à cette contrainte : la vie politique tenue par l’argent. ».

    Il a promu également la proportionnelle comme mode de scrutin aux élections législatives supposé garantir le pluralisme politique (ce auquel je suis très fermement opposé, j'y reviendrai) : « Il faut également que chacun puisse trouver sa place au sein de la représentation nationale, à proportion des votes qu’il a reçus. C’est la seule règle qui permettra à chacun d’être lui-même, authentiquement, et non prisonnier d’alliances insincères. Je propose que nous avancions concernant la réforme du mode de scrutin législatif. Chacun exprimera alors sa position : il y a une option à prendre sur ce principe, une discussion à avoir sur ses modalités. On voit bien quels sont les principaux choix. C’est mon opinion que ce mode de scrutin doit rester enraciné dans les territoires, qu’il ne doit pas créer plusieurs catégories de citoyens ayant des droits différents. Cette adoption du principe proportionnel pour la représentation du peuple dans nos assemblées nous obligera en outre probablement, comme l’a dit le Président du Sénat, à reposer la question de l’exercice simultané d’une responsabilité locale et nationale. ».

    Un petit commentaire sur ce projet de proportionnelle : les députés LR seront très opposés à ce mode de scrutin (et ils auront raison), mais il est possible qu'il existe une majorité favorable dans l'Assemblée actuelle. Toutefois, associer ce mode de scrutin (apprécié des sondés) au cumul des mandats (très impopulaire dans les sondages), c'est le meilleur moyen de faire échouer une telle réforme (ce qui ne serait pas pour me déplaire !!).


    Intégrée dans cette partie, la réforme de l'audiovisuel public amorcée par Rachida Dati, à savoir la création d'une holding qui chapeauterait France Télévisions et Radio France, sera poursuivie : « La réforme de l’audiovisuel public, bien commun des Français, devra être conduite à son terme. ».

    Dans le troisième volet, il y a la réforme de l'État. François Bayrou a proposé que les collectivités territoriales fassent un effort de 2,2 milliards d'euros (au lieu de 5) pour contribuer au redressement des finances publiques : « J’ai tout à fait confiance dans la capacité des élus à mener cet effort. ». Lui-même sait de quoi il parlait puisqu'il est (encore) maire de Pau.


    Friand de créativité et de nouvelles idées, François Bayrou a annoncé qu'il relirait les cahiers de doléances remis lors du grand débat des gilets jaunes, qu'on a négligés selon lui : « Il y a six ans, sur nos ronds-points, ils dénonçaient l’état de notre société, tel qu’ils le ressentaient : la division du pays entre ceux qui comptent et ceux qui ne comptent pas, ceux qui passent à la télévision et ceux qui regardent l’écran, ceux qui appartiennent aux milieux de pouvoir (…) et les autres qui se sentent oubliés, négligés.. ».

     

     
     


    François Bayrou a aussi évoqué le statut institutionnel de la Corse, de la Nouvelle-Calédonie, Mayotte, l'immigration et l'application des obligation de quitter le territoire français, les agriculteurs (« Aujourd’hui, on les accuse de nuire à la nature, et c’est une blessure profonde. Quand les inspecteurs de la biodiversité viennent inspecter les fossés ou les points d’eau avec une arme à la ceinture dans une ferme déjà mise à cran par la crise, c’est une humiliation ; c’est donc une faute. »), la transition écologique et l'adaptation au changement climatique, la culture, l'accès à la lecture autrement que sur des écrans, le sport, la solidarité pour les personnes en situation de handicap (« Je tiens à confirmer à l’Assemblée Nationale le remboursement intégral des fauteuils roulants dès 2025. »), le grand âge, la protection de l'enfance, le logement, etc.

    Le maire de Pau a fait une ode à l'esprit d'entreprise, en prenant la fable de la poule aux œufs d'or de La Fontaine : « Soutenir l’esprit d’entreprise, tel est le chantier suivant. Il existe chez nous un réflexe nuisible, déjà ancien : prendre pour cible, dans le débat, les entreprises, plus spécialement les entreprises françaises, et en particulier celles qui réussissent le mieux à l’exportation. Les entreprises que l’on dit multinationales sont en réalité celles qui, par leur savoir-faire, leur recherche, leur esprit de conquête, ont réussi à être sélectionnées pour la compétition mondiale. Elles font honneur à la France et contribuent à sa richesse. J’ai la conviction que, dans toutes les conditions fixées par la démocratie sociale, nous devons faciliter la tâche de nos entreprises. Elles doivent être prémunies contre des augmentations exponentielles d’impôts et de charges, sans quoi nous nous retrouverions dans la situation que décrit la fable de La Fontaine intitulée "La poule aux œufs d’or". Vous le savez, le propriétaire d’une poule qui pondait un œuf d’or chaque matin "crut que dans son corps elle avait un trésor. / Il la tua, l’ouvrit, et la trouva semblable / À celles dont les œufs ne lui rapportaient rien, / S’étant lui-même ôté le plus beau de son bien". L’entreprise produit les richesses et l’emploi, pour tout le pays, grâce à ses dirigeants, ses chercheurs, ses cadres, ses salariés ; mais si elle se voit surchargée de prélèvements et de normes, elle cesse de produire. Le trésor est dans l’activité, la créativité, la souplesse. ».

    Il a également longuement évoqué l'éducation, souhaitant en particulier que la sélection ne se fasse pas quand l'élève est trop jeune, prêt à revoir Parcoursup : « C’est pour moi le plus grand de nos échecs [les résultats médiocres de l'école], dont sont victimes en particulier les plus faibles. Car ceux qui sont issus des milieux qui n’ont pas les codes, ceux qui ne connaissent personne, comme on dit, et n’ont accès ni à l’influence, ni au pouvoir, se voient écartés sans recours, faute d’avoir les armes nécessaires pour affronter la traversée des formations supérieures. J’ajoute que l’obligation d’orientation précoce les perturbe et les met en danger. ». Puis est venue cette expression maladroite qui ne m'a pas paru très opportune : « Les enfants ne sont pas comme les poireaux : ils ne poussent pas tous à la même vitesse. ». Pour ajouter : « Vouloir sélectionner précocement, sans que l’esprit et les attentes aient mûri, est une erreur, ou en tout cas une faiblesse. Notre système scolaire et universitaire doit accepter, si ce n’est favoriser, les réorientations et les changements de formation. ».


    Ce sujet de l'éducation a été la seconde occasion pour louer l'action du Président de la République (la première occasion pour louer la parole haute de la France dans les relations internationales) : « Permettez-moi de rappeler l’intuition fondatrice que le Président de la République a présentée au pays en 2017 : combattre l’assignation de la naissance, du quartier, de la religion, de la consonance du nom, de l’accent, des difficultés nées de familles éclatées, de l’adolescence solitaire et offrir à tous ceux-là, tout au long de la vie, de nouvelles chances. ».
     

     
     


    François Bayrou a fait l'éloge du génie français dans la science et le développement : « Venons-en maintenant à la méthode que nous suivrons pour retrouver la production, l’innovation et l’industrie. On voudrait nous condamner au déclassement, alors que la Silicon Valley déroule ses tapis rouges à nos ingénieurs du numérique et de l’intelligence artificielle. Nous sommes, nous Français, des géants de la recherche informatique, algorithmique et automatique ; ne nous laissons pas devenir des nains de la nouvelle économie, qui sera précisément fondée sur le numérique. Il en est de même pour l’espace ou les énergies décarbonées. Le gouvernement est attaché à la trajectoire d’investissement dans la science définie par la loi de programmation de la recherche. Cette dernière se fait dans les universités et les laboratoires, mais aussi dans les entreprises. La stratégie nationale pour l’intelligence artificielle, dont je ne sais si elle est intelligente ni si elle est artificielle, mais elle est un changement d’être pour notre humanité, doit entrer dans sa troisième phase. Cette stratégie ambitieuse pour la diffusion de l’intelligence artificielle dans l’industrie, l’action publique, la formation et la recherche, s’appuie sur un programme d’investissement dans les infrastructures. Le sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle, qui se tiendra à Paris en février, traduira cette ambition. Dans ces domaines, il nous faut définir des politiques de filière, produit par produit, en partant des faiblesses et des manques de notre balance commerciale. Chaque filière réunira les grandes entreprises, les sous-traitants, l’État et les régions autour d’un enjeu de production. Les géants mondiaux présents sur notre sol et qui ont des racines en France, Dassault Systèmes, Safran, Total, Airbus, Saint-Gobain ou Danone, ont un potentiel de partage des capacités de mise au point et de soutien à des entreprises nouvelles, notamment pour les produits et les secteurs dont nous sommes absents. ».

    Autre thème très important, la santé et l'hôpital : « Il faut aussi retravailler sur l’enjeu clef de la démographie médicale, en impliquant notamment les élus territoriaux et en menant de front le travail sur la question, jusqu’ici irrésolue, de la formation des soignants. Je confirme que la santé mentale sera la grande cause nationale en 2025, comme l’avait décidé mon prédécesseur Michel Barnier, je l’ai soutenu et lui adresse mon amitié. Dans ce cadre, pour faire face à l’enjeu de la soutenabilité de l’hôpital, le gouvernement proposera une hausse notable de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam), ce qui permettra d’améliorer les conditions de travail des soignants et de protéger les plus fragiles. À cette fin, la mesure de déremboursement de certains médicaments et consultations ne sera pas reprise. ».


    Comité interministériel de contrôle de l'immigration, comité interministériel des Outre-mer, comité interministériel du handicap, délégation permanente de la réforme des retraites, fonds spécial entièrement dédié à la réforme de l'État... autant de comités Théodule que le Premier Ministre veut créer ou réinstaurer, alors qu'il se demandait pourtant : « Est-il nécessaire que plus de 1 000 agences, organes ou opérateurs exercent l’action publique ? Nous connaissons le rôle précieux de plusieurs d’entre eux, comme France Travail, mais ces 1 000 agences ou organes, sans contrôle démocratique réel, constituent un labyrinthe dont un pays rigoureux et sérieux peut difficilement se satisfaire. Les parlementaires seront pleinement associés à cet effort d’organisation et de rationalisation. ».

    La conclusion de François Bayrou a fait la part belle à son lointain prédécesseur, investi par des députés très différents sous la Quatrième République, Pierre Mendès France, après avoir cité Marc Sangnier : « Nous n’allons pas vivre le grand soir. Mais, si nous parvenons à nous faire entendre de vous, élus de la nation, alors nous pourrons passer du découragement à un espoir ténu mais raisonnable. C’est ce projet que j’ai voulu présenter devant vous. Je connais tous les risques. Si nous nous trompons, nous corrigerons. Mais le risque, c’est la vie. Pierre Mendès France, la référence n’est pas choisie au hasard, aurait dit : "Il n’y a pas de politique sans risque, il n’y a que des politiques sans chance". Ce sont ces chances que nous voulons saisir. J’ai foi dans le peuple français et dans ses représentants. Je sais les ressources d’intelligence, de bravoure et de droiture de notre Nation lorsqu’elle choisit de surmonter l’épreuve. ».

     

     
     


    Dans sa longue réponse faite aux orateurs qui ont participé à la discussion générale dans l'hémicycle, François Bayrou a notamment confirmé qu'il était favorable à l'instauration d'une allocation sociale unique, comme l'a souhaité Laurent Wauquiez, mais sans y mettre un plafond qui serait profondément injuste pour certaines personnes.

    Une motion de censure, déposée par le groupe insoumis (Jean-Luc Mélenchon a assisté à la séance publique) sera examinée par l'Assemblée le jeudi 16 janvier 2025. En principe, les députés RN, quoique très remontés contre le gouvernement, ne devraient pas la voter. Les écologistes, eux, sont revenus à la niche mélenchoniste et voteront la censure. Et les socialistes s'interrogent encore.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (14 janvier 2025)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Les conclaves du cardinal Bayrou.
    Déclaration de politique générale du Premier Ministre François Bayrou le 14 janvier 2025 au Palais-Bourbon (vidéo et texte intégral).
    François Bayrou au jour J.
    Édouard Philippe et sa partition particulière contre l'indolence.
    François Bayrou et le Chemin.
    Vœux 2025 d'Emmanuel Macron : aux Français de trancher ?
    Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron, le 31 décembre 2024 à Paris (texte intégral et vidéo).
    François Bayrou au travail !
    Gouvernement Bayrou : un choc d'autorité ?
    Composition du Gouvernement François Bayrou I nommé le 23 décembre 2024.
    Le difficile accouchement du gouvernement Bayrou.
    La méthode Bayrou réussira-t-elle ?
    Terre de désolation.
    La folle histoire de la nomination de François Bayrou.
    François Bayrou, le papa Macron !
    Le tour de François Bayrou !
    La polémique entre Maurice Druon et François Bayrou en juillet 2004.
    Le paysage politique français postcensure.
    Motion de sangsue : les conséquences économiques désastreuses de la censure.
    Philippe Vigier défend les Français face au renoncement national.
    Laurent Wauquiez met en garde contre l'instabilité institutionnelle.
    Emmanuel Macron face à ses choix.
    Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron le 5 décembre 2024 (texte intégral).
    La motion RNFP : Chassez le naturel, il revient au chaos !
    L'émotion de censure de Michel Barnier.
    La collusion des irresponsables.
    Gouvernement Barnier : les yeux du monde rivés sur la France.
    Risque de censure : Non, le RN n'est pas l'arbitre des élégances !
    Michel Barnier plaide pour la sobriété normative et procédurale !
    Discours du Premier Ministre Michel Barnier le 21 novembre 2024 à la Porte de Versailles (vidéo et texte intégral).
    Michel Barnier sur les pas de Pierre Mendès France.
    Discours du Premier Ministre Michel Barnier le 15 novembre 2024 à Angers (vidéo et texte intégral).
    PLF 2025 : la majorité de rejet !
    Michel Barnier : déjà deux mois !
    François Guizot à Matignon ?
    5 euros pour visiter Notre-Dame de Paris ?
    Achats dans la fonction publique : des économies à faire ?
    Doliprane : l'impéritie politique.
    Proche-Orient : l'incompréhension de Roger Karoutchi.
    Motion de censure : le quart d'heure de gloire d'Olivier Faure.
    Budget 2025 : l'impossible mission de Michel Barnier.
    Claude Malhuret : du vol des élections aux chefs d'escadrille...
    Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
    La quadrature du cercle de Michel Barnier.


     

     
     



    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250114-bayrou.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/les-conclaves-du-cardinal-bayrou-258647

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/01/14/article-sr-20250114-bayrou.html




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